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DE LA FERMENTESCIBILITE MALOLACTIQUE DES VINS INTERACTION LEVURES-BACTERIES S. LAFON-LAFOURCADE, Institut d'Œnologie, Université de Bordeaux li Institut National de la Recherche Agronomique 351, Cours de la Libération, 33405 TALENCE, Les phénomènes d'antagonisme levures-bactéries dans les vins ont été décrits pour la première fois par PASTEUR en 1873. Plus récemment, MILISAVLJEVIC (1958), FLESCH et JERCHEL (1960) ont montré que le temps de latence de la fermentation malolactique était lié en particulier à la souche de levure impliquée dans la fermentation alcoolique. Peu après RIBEREAU-GAYON et PEYNAUD (1960), PEYNAUD et DUPUY (1964) FORNACHON (1968) ont observé une inhibition totale de certaines bacté¬ ries lactiques dans des vins fermentés par des souches déterminées de levures dont quelques-unes appartiennent au genre Saccharomyces ellîp- soideus. Par contre, dans une étude détaillée des croissances mixtes levures-bactéries en millieu nutritif sucré, BOIDRON (1969) a relevé une influence favorable des levures sur les bactéries, influence qui s'avère plus ou moins durable selon que les bactéries concernées sont jeunes ou plus âgées. PEYNAUD (1967) a vérifié, par ailleurs, l'efficacité des levains mixtes (levures-bactéries) pour l'induction de la fermentation malolactique dans les vins. Toutes ces expérimentations s'appuient sur l'utilisation à l'origine, d'ensemencements bactériens faibles, de telle sorte que, même si leurs résultats sont exprimés en termes de fermentation malolactique, ceux-ci concernent essentiellement la croissance bactérienne. Nous nous propo¬ sons, dans ce travail, de déterminer l'influence de la souche de levure responsable de la fermentation alcoolique sur F « activité malique » de certaines souches bactériennes ajoutées au milieu fermenté. Rappelons qu'il est possible, au moyen de cellules bactériennes non proliférantes, de distinguer croissance et métabolisme malique des bactéries lactiques (LAFON-LAFOURCADE, 1970) et que nous avons défini (LAFON-LAFOUR¬ CADE, 1973) I' « activité malique » d'une bactérie lactique comme le pourcentage d'acide malique dégradé en 24 h., à 30 °C par 1 g de cellules fraîches non proliférantes par litre de milieu à pH 3,5-4. 203

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DE LA FERMENTESCIBILITE MALOLACTIQUE DES VINSINTERACTION LEVURES-BACTERIES

S. LAFON-LAFOURCADE,Institut d'Œnologie, Université de Bordeaux liInstitut National de la Recherche Agronomique351, Cours de la Libération, 33405 TALENCE,

Les phénomènes d'antagonisme levures-bactéries dans les vins ont étédécrits pour la première fois par PASTEUR en 1873. Plus récemment,MILISAVLJEVIC (1958), FLESCH et JERCHEL (1960) ont montré que letemps de latence de la fermentation malolactique était lié en particulierà la souche de levure impliquée dans la fermentation alcoolique. Peu aprèsRIBEREAU-GAYON et PEYNAUD (1960), PEYNAUD et DUPUY (1964)FORNACHON (1968) ont observé une inhibition totale de certaines bacté¬ries lactiques dans des vins fermentés par des souches déterminées delevures dont quelques-unes appartiennent au genre Saccharomyces ellîp-soideus. Par contre, dans une étude détaillée des croissances mixteslevures-bactéries en millieu nutritif sucré, BOIDRON (1969) a relevé une

influence favorable des levures sur les bactéries, influence qui s'avère plusou moins durable selon que les bactéries concernées sont jeunes ou plusâgées. PEYNAUD (1967) a vérifié, par ailleurs, l'efficacité des levainsmixtes (levures-bactéries) pour l'induction de la fermentation malolactiquedans les vins.

Toutes ces expérimentations s'appuient sur l'utilisation à l'origine,d'ensemencements bactériens faibles, de telle sorte que, même si leursrésultats sont exprimés en termes de fermentation malolactique, ceux-ciconcernent essentiellement la croissance bactérienne. Nous nous propo¬sons, dans ce travail, de déterminer l'influence de la souche de levureresponsable de la fermentation alcoolique sur F « activité malique » decertaines souches bactériennes ajoutées au milieu fermenté. Rappelonsqu'il est possible, au moyen de cellules bactériennes non proliférantes,de distinguer croissance et métabolisme malique des bactéries lactiques(LAFON-LAFOURCADE, 1970) et que nous avons défini (LAFON-LAFOUR¬CADE, 1973) I' « activité malique » d'une bactérie lactique comme lepourcentage d'acide malique dégradé en 24 h., à 30 °C par 1 g de cellulesfraîches non proliférantes par litre de milieu à pH 3,5-4.

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TECHNIQUES EXPERIMENTALES

Milieux utilisés.

— Milieu de culture bactérien : moût de raisin dilué deux fois additionnéd'extrait de levure (5 g par I) à pH 4,5. Après 4 à 5 jours de développe¬ment dans ce milieu stérilisé, les bactéries sont centrifugées à 9000tours/mn et 0 °C, lavées, centrifugées à nouveau et mises en suspen¬sion dans de l'eau distillée stérile à concentration convenable.

— Milieu de fermentation : jus de raisin à 220 g de sucre par litre.

— Levures testées : Sacch. ellipsoideus 194, Sacch. oviformis 88 XIII,Sacch. rosei 287, Sacch. chevalieri 51 F, Sacch florentinus 19 e4,Saccharomycode ludwigii 60 XVII, H. uvarum 8 a, H. anomala 29 h 1,.

— Bactéries testées : Leuconostoc gracile Cf 34, Lactobacillus hîlgardiiBC2.

Protocole d'essai.

Le jus de raisin est réparti en bouteilles de 750 ml, stérilisé à 115 °C,Après refroidissement, chaque bouteille est ensemencée avec quelquesgouttes d'un levain de 3 à 4 jours d'une levure ci-dessus. Après 17 jours,la fermentation alcoolique du sucre est complète, exception faite pourles milieux ensemencés avec les levures peu alcoogènes H. uvarum etH. anomala et pour lesquelles la densité est encore respectivement de9,7 et 9,5 degrés Beaumé. Ces milieux sont additionnés de quelques gout¬tes du levain de Sacch. ellipsoideus : 5 jours après, tout le sucre restantest transformé.

Chacun de ces milieux fermentés est alors centrifugé pour éliminerles levures en suspension, porté à pH 4, additionné de 10 p. 100 d'alcoolet réparti en tubes à essai stériles à raison de 10 ml par tube. L'acideL-malique dosé par méthode microbiologique est de 18 méq par litre.

On ajoute alors à une partie de ces tubes un centrifugeât de Leuco¬nostoc gracile Cf 34, et à l'autre partie un centrifugeât de Lactobacillushilgardii BC2 à raison de 1,2 et 5 g de bactéries fraîches par litre. Desdosages d'acidité totale sont effectués après 24 h et 48 h. De la différence

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îI

I d'acidité dans les tubes avant et après l'addition de la masse bactérienne,I on en déduit l'acide malique dégradé.

| Résultats et discussion.

i Le tableau I donne l'activité malique développée par les bactéries] Leuconostoc gracile Cf 34 et Lactobacillus hilgardii BC2 dans le milieul fermenté, en fonction de la souche de levure responsable de la fermen-i tation alcoolique.

TABLEAU I

« Activités maliques bactériennes » déterminées pour deux bactériesdans un milieu fermenté par différentes levures.

Bactéries

Levures Lactobacillus Leuconostochilgardii gracile

bc2 Cf 34

(1) Sacch. ellipsoïdeus 97 82

(2) Sacch. oviformis 97 82

(3) Sacch. rosei 91 82

(4) Sacch. chevalieri 88 91

(5) Sacch. florentinus 82 82

(6) Saccharomycodes ludwigii 76 53

(7) H. uvarum 73 65! (8) H. anomalai

70 58

Les chiffres sont les pourcentages d'acide L-malique dégradé en 24 hà 30 °C par 1 g de cellule fraîche non proliférante par litre de milieuà pH 4.

La fermentescibilité malolactique de chacun de ces milieux, c'est-à-dire son aptitude à promouvoir I' « activité malique »> des bactéries lacti¬ques (LAFON-LAFOURCADE, 1973) varie en fonction de la souche bacté¬rienne, mais aussi de la souche de levure mise en œuvre dans la fermen¬tation alcoolique ; dans certains cas on constate une inhibition très nettede I' « activité malique ».

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Ainsi, Lactobacillus hilgardii BC2 développe une « activité malique »

maximale dans le milieu fermenté avec Sacch. ellipsoideus ou Sacch.cviformis, un peu moins forte dans le milieu fermenté par Sacch. rosei,Sacch. chevalieri ou Sacch. florentinus, très diminuée dans le milieu fer¬menté par Saccharomycodes ludwigii (—21 p. 100), H. uvarum (— 24 p.100) ou H. anomala (— 27 p. 100). Pour la bactérie Leuconostoc gracileCf 34, I' « activité malique » maximale est relevée dans le milieu fermentépar Sacch. chevalieri. Elle est déjà inférieure de 9 p. 100 dans le milieufermenté par les autres Saccharomyces et plus fortement diminuée encoredans le milieu fermenté par H. uvarum ( — 26 p. 100) ; H. anomala ( — 33p. 100 ou Saccharomycodes ludwigii (— 38 p. 100).

Les levures les plus fréquemment rencontrées dans la pratique envinification : Sacch. ellipsoideus, Sacch. oviformis produisent des milieuxfavorables à la dégradation bactérienne de l'acide malique. Par contre,l'intervention de Saccharomycodes ludwigii, H. anomala, H. uvarum, conduità des milieux moins fermentescibles par les souches bactériennes. Si cesdeux premières souches ne se trouvent qu'accidentellement dans les moûtsen fermentation, la troisième est assez souvent observée dans la pre¬mière partie de la glycolyse qui amène le jus de raisin à une teneur de4 à 6 p. 100 d'alcool. Rappelons que les milieux (7) et (8) sont en faitle résultat de la fermentation de deux levures successivement puisquedans un deuxième temps un ensemencement avec Sacch. ellipsoideus aété nécessaire pour épuiser le sucre du milieu, Le milieu (7) reproduit,en première approximation, les conditions microbiologiques de la prati- i

que ; or, un milieu fermenté, comme dans ce cas, avec H. uvarum puis 1Sacch. ellipsoideus, présente une fermentescibilité malolactique inférieure [à celle qu'il posséderait s'il avait été le siège d'une fermentation pure de iSacch. ellipsoideus. [

IL'expérimentation ayant été conduite dans des conditions identiques >

de composition de milieu, de température, de pH, on peut estimer que 1l'inhibition du métabolisme de l'acide malique est le fait de substances (

libérées dans le milieu par les levures au cours de la fermentation alcooli¬que. Chaque souche bactérienne présente une sensibilité propre à ces jsubstances. Aucune de ces souches de levures n'a cependant la possibilité ide rendre le milieu qu'elle a fermenté totalement réfractaire à l'« activité jmalique » des bactéries lactiques. i

iConclusions. 1

i)

A partir d'un même milieu nutritif, chaque souche de levure est suscep- itible de produire un milieu fermenté qui présente, dans des conditions j

i

— 20G —

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égales de pH, concentrations en alcool, S02, acide malique, par sa compo¬sition même, une capacité propre à favoriser ou inhiber le métabolismemalique des bactéries lactiques non proliférantes. Bien que I" « activitémalique » des bactéries lactiques ne soit jamais totalement empêchée,on peut supposer que certaines substances libérées par la flore levurienneau cours de la fermentation alcoolique ne sont pas étrangères aux difficul¬tés rencontrées parfois par les vins à subir la fermentation malolactique.

Manuscrit reçu le 21 septembre 1973.

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

BOIDRON A.M., 1969. Contribution à l'étude de l'antagonisme entre leslevures et les bactéries lactiques du vin. Thèse de 3e cycle,Bordeaux.

FLESCH P. et JERCHEL D., 1960. Uber die Zuchtung von Bacterium gracilein natùrlichen L-Apfelsaure enthaltenden Nàhrmedien ». Mitteilun-gen, 10. 1.

FORNACHON J.C.M., 1968. Influence of différent yeasts on the growth oflactic and bacteria in wine. J. Sci. Food Agr. 19, 374-8.

LAFON-LAFOURCADE S., 1970. Etude de la dégradation de l'acide L-maliquepar les bactéries lactiques non proliférantes isolées des vins. Ann.Technol. agric., 19, 141.

LAFON-LAFOURCADE S., 1973. Sur les facteurs de la fermentation malo¬lactique des vins. Symposium Long Ahston « Lactic acid bacteriaof beverages and foods ».

MILISAVLJEVIC D„ 1958. Ann. sci. Agron. Belgrade 11, 34.

PEYNAUD E. et DUPUY P., 1964. Rapport français : Sur les méthodes d'iso¬lement, de culture et de classification des bactéries malolactiques.Bull. O.I.V., 37, 908.

RIBÉREAU-GAYON J. et PEYNAUD E., 1960. Traité d'oenologie, tome I,Béranger éd., Paris.

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