29 congrès national de médecine et santé au travail€¦ · et santé au travail clinique...

32
Documents pour le Médecin du Travail N° 108 4 e trimestre 2006 507 dmt TD 151 A. DELÉPINE*, E. DURAND*, M. FALCY*, M. FERREIRA**, Y. GANEM*, C. GAURON*, D. LAFON*, C. LE BÂCLE*, M. OLIVIER***, J.P.RODRIGUES****, F. ROOS*, B. SIANO* * Département Études et assistance médicales, INRS. ** Service Juridique, INRS. *** Service de santé au travail France Telecom, Clermont-Ferrand. **** Département Formation INRS. (1) Un choix a été fait parmi les communications d’experts ainsi que pour les communications orales. Aucune communication affichée n’est rapportée. (2) L’ensemble des textes des communications peut être consulté dans le numéro 2 du volume 67 des Archives des Maladies Professionnelles de mai 2006 ou sur le site internet de Masson : www.masson.fr/revues/admp notes de congrès 29 e Congrès national de médecine et santé au travail Clinique médicale du travail Responsables : P. Davezies, A. Deveaux, C. Torres INTRODUCTION A. Deveaux (médecin du travail en service inter- entreprises, Lyon) a introduit ce thème en insistant sur la spécificité de la clinique médicale du travail par rapport aux autres approches médicales. La compréhension des enjeux du travail sur la santé nécessite de ne pas s’arrêter aux causes des pathologies observées mais d’étudier les rapports entre chaque in- dividu et le collectif de travail. Le travail n’est pas seu- lement un lieu dans lequel les hommes sont menacés de risques physico-chimiques ou sociaux (harcèle- ment...), ce qui donne une vision essentiellement pas- sive du travailleur, c’est un lieu dans lequel le travailleur est loin d’être un simple exécutant. Il est important de prendre en compte les réponses produites activement par celui-ci face aux sollicitations de son environne- ment. Cette approche médicale vise la relation de l’in- dividu avec son environnement, environnement produit d’une construction individuelle et collective. L’espace de la clinique médicale du travail se situe à l’interface corps-collectif du travail, dans l’articulation de l’individu et du collectif. ORIENTATIONS EN PHYSIOLOGIE DE L’ACTION Pour A. Berthoz (CNRS, Collège de France), le modèle de fonctionnement humain basé sur un pro- cessus efférent d’origine centrale n’est plus du tout d’actualité. Actuellement, il est reconnu que, en paral- lèle de la fonction sensitivo-motrice bien connue, le cerveau est un simulateur et émulateur d’action. Les travaux actuels en neurophysiologie, s’appuyant sur l’imagerie, ont montré l’existence de systèmes spé- cialisés impliquant des zones différentes du cerveau (traitement de l’espace proche et lointain, perception égocentrée ou allocentrée de l’espace...). Le cerveau choisit les référentiels adaptés à chaque activité. Les chercheurs ont également mis en évidence récemment que les mêmes aires du cerveau étaient activées par le mouvement et l’imagination, ce qui démontre l’impor- tance des aspects cognitifs de l’action ; il en est de même pour les actions personnelles ou faites par autrui (sys- tème miroir). Cet aspect cognitif du fonctionnement in- terne du cerveau lui permet de choisir entre plusieurs actions. Le cerveau n’est pas seulement un appareil de transmission, il reçoit des informations, reconstruit des images et projette sur le monde son interprétation ; ce qui explique que la réalité perçue est différente de la réa- lité réelle. Il possède, inscrit dans son anatomie, de mul- tiples modèles internes du corps lui permettant de s’ajuster aux changements de son environnement. Ainsi, les travaux sur la physiologie de la perception et de l’ac- tion ont mis en évidence un cerveau non pas « machine réactive » aux instructions et aux signaux mais « ma- chine proactive qui anticipe les conséquences de ses mouvements et de ceux du monde ». CLINIQUE DE L’ACTIVITÉ : DE L’INDIVIDU AU COLLECTIF ET RETOUR Y. Clot (Conservatoire national des arts et mé- tiers) a exposé la relation entre l’individu et le collectif de travail et la méthodologie d’étude utilisée dans la compréhension de la dynamique d’action des sujets. Lyon, 30 mai – 2 juin 2006 Le 29 e congrès national de médecine et santé au travail a réuni plus de 3 000 participants à Lyon du 30 mai au 2 juin 2006. Plusieurs sessions thématiques y ont été proposées sur des problématiques actuelles. Le choix de la rédaction a été de rapporter dans ce compte rendu (1) les sessions relatives à la clinique médicale du travail, la surveillance des risques chimiques, la gestion et la prévention des crises, les conduites addictives, la violence au travail, la génotoxicité, les grandes enquêtes, la pluridisciplinarité, les champs électromagné- tiques, la surveillance post-professionnelle « amiante », ainsi que la session des infirmières du travail (2) .

Upload: others

Post on 19-Jul-2020

2 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Documents pour le Médecin du Travail N° 1084e trimestre 2006

507

dmt TD 151

A. DELÉPINE*, E. DURAND*,

M. FALCY*, M. FERREIRA**,

Y. GANEM*, C. GAURON*,

D. LAFON*, C. LE BÂCLE*,

M. OLIVIER***,

J.P. RODRIGUES****,

F. ROOS*, B. SIANO*

* Département Études etassistance médicales, INRS.** Service Juridique, INRS.*** Service de santé au travail France Telecom,Clermont-Ferrand.**** DépartementFormation INRS.

(1) Un choix a été faitparmi les communicationsd’experts ainsi que pourles communications orales.Aucune communicationaffichée n’est rapportée.(2) L’ensemble des textesdes communications peutêtre consulté dans lenuméro 2 du volume 67des Archives des MaladiesProfessionnelles de mai2006 ou sur le site internet de Masson :www.masson.fr/revues/admp

n o t e s d e c o n g r è s

29e Congrès national de médecine et santé au travail

Clinique médicale du travailResponsables : P. Davezies, A. Deveaux, C. Torres

INTRODUCTION

A. Deveaux (médecin du travail en service inter-entreprises, Lyon) a introduit ce thème en insistantsur la spécificité de la clinique médicale du travail parrapport aux autres approches médicales.

La compréhension des enjeux du travail sur la santénécessite de ne pas s’arrêter aux causes des pathologiesobservées mais d’étudier les rapports entre chaque in-dividu et le collectif de travail. Le travail n’est pas seu-lement un lieu dans lequel les hommes sont menacésde risques physico-chimiques ou sociaux (harcèle-ment...), ce qui donne une vision essentiellement pas-sive du travailleur, c’est un lieu dans lequel le travailleurest loin d’être un simple exécutant. Il est important deprendre en compte les réponses produites activementpar celui-ci face aux sollicitations de son environne-ment. Cette approche médicale vise la relation de l’in-dividu avec son environnement, environnementproduit d’une construction individuelle et collective.L’espace de la clinique médicale du travail se situe àl’interface corps-collectif du travail, dans l’articulationde l’individu et du collectif.

ORIENTATIONS EN PHYSIOLOGIE DE L’ACTION

Pour A. Berthoz (CNRS, Collège de France), lemodèle de fonctionnement humain basé sur un pro-cessus efférent d’origine centrale n’est plus du tout

d’actualité. Actuellement, il est reconnu que, en paral-lèle de la fonction sensitivo-motrice bien connue, lecerveau est un simulateur et émulateur d’action.

Les travaux actuels en neurophysiologie, s’appuyantsur l’imagerie, ont montré l’existence de systèmes spé-cialisés impliquant des zones différentes du cerveau(traitement de l’espace proche et lointain, perceptionégocentrée ou allocentrée de l’espace...). Le cerveauchoisit les référentiels adaptés à chaque activité. Leschercheurs ont également mis en évidence récemmentque les mêmes aires du cerveau étaient activées par lemouvement et l’imagination, ce qui démontre l’impor-tance des aspects cognitifs de l’action ; il en est de mêmepour les actions personnelles ou faites par autrui (sys-tème miroir). Cet aspect cognitif du fonctionnement in-terne du cerveau lui permet de choisir entre plusieursactions. Le cerveau n’est pas seulement un appareil detransmission, il reçoit des informations, reconstruit desimages et projette sur le monde son interprétation ; cequi explique que la réalité perçue est différente de la réa-lité réelle. Il possède, inscrit dans son anatomie, de mul-tiples modèles internes du corps lui permettant des’ajuster aux changements de son environnement. Ainsi,les travaux sur la physiologie de la perception et de l’ac-tion ont mis en évidence un cerveau non pas « machineréactive » aux instructions et aux signaux mais « ma-chine proactive qui anticipe les conséquences de sesmouvements et de ceux du monde ».

CLINIQUE DE L’ACTIVITÉ : DE L’INDIVIDU AU COLLECTIF ET RETOUR

Y. Clot (Conservatoire national des arts et mé-tiers) a exposé la relation entre l’individu et le collectifde travail et la méthodologie d’étude utilisée dans lacompréhension de la dynamique d’action des sujets.

Lyon , 30 mai – 2 ju in 2006

Le 29e congrès national de médecine et santé au travail a réuni plus de 3000 participants à Lyon du 30 mai au 2 juin 2006.Plusieurs sessions thématiques y ont été proposées sur des problématiques actuelles. Le choix de la rédaction a été de rapporter dans ce

compte rendu(1) les sessions relatives à la clinique médicale du travail, la surveillance des risques chimiques, la gestion et la prévention descrises, les conduites addictives, la violence au travail, la génotoxicité, les grandes enquêtes, la pluridisciplinarité, les champs électromagné-

tiques, la surveillance post-professionnelle « amiante », ainsi que la session des infirmières du travail(2).

97382 507-538 15/12/06 21:33 Page 507

Documents pour le Médecin

du Travail N° 108

4e trimestre 2006

508

vail, la nécessité d’apporter toute son attention aux as-pects les plus concrets de l’activité.

Lors des consultations, la souffrance au travail s’ex-prime le plus souvent par des plaintes sous la forme deconflits interpersonnels ; mais les relations au travail nesont pas des relations familiales et les conflits au travailne peuvent pas être compris en se limitant aux rela-tions interhumaines. Il est important de se recentrersur le rapport que les individus entretiennent avec lesobjets qu’ils travaillent car le fond du désaccord portetoujours sur la façon de se comporter vis-à-vis de cesobjets. Ce sont ces relations aux objets travaillés quiconstitue le tissu relationnel professionnel ; l’hommeinvestit dans un objet, par exemple un dossier (on parlecouramment de « sentir un dossier, entrer dans un dos-sier… ») lui-même objet de l’activité d’autrui. Or dansnotre société, tout pousse à dévaloriser le rapport àl’objet ; celui-ci est considéré sous un angle purementinstrumental contrairement aux relations humaines quisont valorisées. P. Davezies rappelle que l’identité pro-fessionnelle est constituée par un réseau de relationsreliant les humains et les non humains.

L’homme, naturellement, est porté par une dyna-mique tendant à l’accomplissement de soi, en s’efforçant de développer sa « puissance d’agir ». Cedéveloppement est présenté par les travailleurs commela capacité à « sentir » l’objet travaillé, par les ergo-nomes comme la capacité à anticiper, par Spinozacomme la capacité à être affecté ; P. Ricoeur assimile lasouffrance à « l’amputation du pouvoir d’agir ».

Dans le travail, l’activité se présente comme unestructure à trois niveaux : le premier niveau est le but(ou la tâche demandée) dans des conditions données,le deuxième niveau concerne les motifs donnant au tra-vail sa coloration affective, permettant au travailleur desatisfaire un besoin, de donner à l’activité un sens per-sonnel ; enfin avec le temps apparaît un troisième ni-veau lié à l’incorporation du savoir faire permettant uncertain automatisme. Au départ, le but (imposé de l’ex-térieur) et les motifs (satisfaction de besoin personnel)ne coïncident pas ; mais secondairement, de nouveauxmobiles apparaissent, qui renvoient à des besoins col-lectifs. Cette étape s’intègre dans un mouvement dy-namique ouvrant de nouveaux horizons à l’individu quiva intégrer progressivement le souci de l’activité d’au-trui.

Cette dernière étape va permettre à l’individu d’as-sumer des actes libres, d’accéder à l’autonomie. Cetteévolution oriente l’homme dans le sens du développe-ment, de la maturation, vers l’état d’adulte responsable.Inversement, en cas d’obstacle, le salarié se referme surlui-même, est renvoyé à son narcissisme et la seule reconnaissance qu’il peut susciter est alors celui de vic-time. Bien que cette reconnaissance soit nécessaire, ilest également nécessaire de sortir du statut de victime(qui renvoie le salarié au pôle infantile) et de renouer

L’état de bien être de l’homme existe lorsque, par sonaction, il a créé des liens entre les choses. À l’opposé, lasanté est amputée quand l’homme devient l’objet passifdes choses. À partir de la perte de cet « état de bienêtre », certains en feront une maladie, d’autres non. Ilfaut bien comprendre que l’activité d’un sujet neconcerne pas seulement le résultat de l’action de ce sujetmais également tout ce qu’il n’arrive pas à faire, ses pro-jets… ; l’activité réalisée (action observable) n’a pas lemonopole de l’action ; les activités empêchées, non réa-lisées peuvent être sources de difficultés et relèvent decette amputation d’agir, mais elles peuvent être égale-ment moteur, source d’ingéniosité. Il est important debien différencier le travail collectif et le collectif de tra-vail. Il existe entre l’organisation du travail et le tra-vailleur une réorganisation de la tâche par les collectifsprofessionnels. Ce travail de réorganisation, appelé« genre professionnel », est une sorte d’intercalaire so-cial, il donne le sentiment à chaque travailleur de « lais-ser sa trace », d’appartenir au même corps, de participerà l’histoire collective ; le collectif de travail devient alorsl’instrument de l’activité individuelle. Quand le collectifde travail est mis à mal, le danger apparaît.

Y. Clot rappelle le modèle avec ses quatre dimensionsindissociables : la dimension personnelle, la dimensionimpersonnelle (prescription de la tâche), la dimensioninterpersonnelle (environnement hiérarchique et col-lègues) et la dimension transpersonnelle (transmissionde l’histoire professionnelle). Contrairement à ce quel’on pourrait croire, l’éloignement des situations artisa-nales renforce la nécessité du développement du métieravec ses quatre dimensions. Ainsi, un nouvel embauchéarrive dans un milieu professionnel étranger, il estd’abord concerné par la dimension impersonnelle, puiss’appropriera la dimension transpersonnelle en utilisantles ressources interpersonnelles.

Comment intervenir au sein d’un groupe de tra-vailleurs ? La compréhension de la dynamique d’actiondes sujets nécessite la constitution de groupe d’analysesuivie d’une autoconfrontation : enregistrement filmédes séquences d’activité de chaque membre du groupe,recueil filmé des commentaires du sujet confronté auximages de sa propre activité et des commentaires d’unde ses collègues sur cette activité, la dernière phase estla présentation du montage filmé au collectif avec élar-gissement du travail d’analyse au sein du collectif pro-fessionnel.

APPROCHE CLINIQUE DU TRAVAIL : CADRETHÉORIQUE ET APPLICATIONS

En s’appuyant sur les présentations de A. Berthoz etY. Clot, P. Davezies (Université Cl Bernard-Lyon1)a exposé, dans le cadre de la clinique médicale du tra-

97382 507-538 15/12/06 21:33 Page 508

Documents pour le Médecin du Travail N° 1084e trimestre 2006

509

avec le potentiel affirmatif de la personnalité (pôleadulte) par la reconstruction du pouvoir d’agir.

Devenir de la surveillance des risques chimiques

dans le contexte de la mobilitépersonnelle

Responsables : M. Guillemin, B. Després, J. Scalbert

Pour essayer de résoudre les difficultés de connais-sance des expositions, un certain nombre de méthodesclassiques d’évaluation des risques existent et ont étéprésentées lors de cette session. Leur application aucontexte de la mobilité a été discutée. Il s’avère qu’ellesy sont souvent peu adaptées. Face à ce constat, les ex-perts ont présenté un certain nombre de pistes de tra-vail et de réflexions, envisageables en santé au travailpour améliorer la surveillance des risques chimiquesdans le contexte de la mobilité professionnelle.

REGARD DU MÉDECIN DU TRAVAIL SUR L’ÉVOLUTION DES MOBILITÉS ET

DES RISQUES CHIMIQUES : IMPLICATIONS EN MATIÈRE DE SUIVI MÉDICAL

Le risque chimique est en perpétuelle mutation etles conséquences à long terme pour la santé des sala-riés sont souvent mal évaluées comme le rappelleS.Fantoni (Institut de santé au travail du Nord de laFrance, Lille). Le contexte évolutif des mobilités pro-fessionnelles aggrave ces perspectives en matière derisque différé. Or, un aperçu rapide du marché de l’em-ploi et des cursus laboris des salariés fait apparaître unincontestable accroissement des mobilités. Ces mobili-tés peuvent être externes ou internes au monde du tra-vail. Elles sont susceptibles d’être horizontales,ascendantes (promotionnelles) ou descendantes (d’unCDI à un contrat précaire…), géographiques, trans-fontralières, stratégiques, subies, choisies… Ce phéno-mène n’en est sans doute qu’à son début. Pourillustration, l’année 2006 a été proclamée année euro-péenne de la mobilité professionnelle par la Commis-sion européenne, qui conçoit cette mobilité comme uninstrument nécessaire au bon fonctionnement du mar-ché du travail. Les implications en matière de suivid’exposition, de surveillance des risques et de sur-veillance médicale sont multiples.

Au moins deux problématiques co-existent. En pre-

mier lieu, il s’agit de la connaissance des expositionspassées des salariés. Elle est utile non seulement pourappréhender le cumul des doses reçues vis-à-vis d’ex-positions futures, mais aussi pour mieux évaluer la re-lation de cause à effet entre certaines pathologies etl’histoire professionnelle. En deuxième lieu, c’est laconnaissance des expositions présentes. Elle est renduedifficile pour le médecin du travail qui ne peutconnaître exactement les situations professionnelles dufait des différentes mobilités.

APPORTS DE L’HYGIÈNE DU TRAVAIL À LA GESTION DU RISQUE CHIMIQUE

M. Guillemin (Institut universitaire de santé autravail, Lausanne) a souligné qu’il n’existe aucune har-monisation internationale, ni de consensus sur la ma-nière d’approcher ces problèmes, chacun étantpersuadé que sa méthode est la bonne. Un autre phé-nomène récent apparaît également, le fait qu’il est pos-sible d’éliminer ou de maîtriser les risques sans passertrop de temps à les évaluer. C’est une approche forte-ment soutenue par le BIT et l’OMS. L’idée derrière ceconcept est que l’on en sait assez sur le comportementdes produits chimiques et que grâce à des modèlessimples, on peut rapidement se faire une idée sur le de-gré d’exposition des salariés et arriver tout de suite à lameilleure solution possible. En fait, cette approche durisque chimique n’a pas encore été validée et les pre-mières études sur les modèles d’exposition simplifiéssont plutôt sévères.

Il apparaît donc, pour les experts, que les approchesde l’évaluation du risque chimique pratiquées jusqu’icidoivent évoluer, voire se modifier fondamentalementdans le contexte actuel où tout change et se transformeà un rythme effréné. Les salariés non seulement ontune mobilité professionnelle qui croît de manière ex-ponentielle, mais ils sont aussi exposés à des cocktailsde produits chimiques rendant impossible toute ap-proche « classique ».

CONNAISSANCE DES RISQUES CHIMIQUES D’ACCÈS DIFFICILE : EXPOSITIONS PASSÉES,

MOBILITÉ PROFESSIONNELLE ET AUTRES

Comme le rappelle J.Févotte (UMRESTTE,Lyon), pour le médecin du travail, l’enjeu reste toujoursd’essayer d’approcher au plus près la réalité d’un postede travail pour connaître les produits chimiques utili-sés. Dans le cadre de la mobilité, il doit souvent s’ap-puyer sur les seules informations apportées par letravailleur. Dans ce cas, la reconstitution de certains

97382 507-538 15/12/06 21:33 Page 509

Documents pour le Médecin

du Travail N° 108

4e trimestre 2006

510

présentes et connaître les doses d’exposition statisti-quement observées, en lui laissant le soin de poser sondiagnostic individualisé de risque, y compris à un ni-veau semi-quantitatif.

Pour pouvoir créer ces documents, il est nécessaireet urgent de systématiser la collecte des observationsfaites (d’exposition aussi bien que de santé en lien avecune exposition), par exemple les métrologies, les fichesd’entreprises, les attestations d’expositions, les résultatsde suivi post-professionnel…

Il est proposé également de créer un système decontrôle externe de qualité des fiches de données desécurité (FDS). Procédure qui pourrait être décritecomme lourde pour les entreprises productrices deFDS mais qui serait, en revanche, source d’économiesglobalement bien plus importantes dans l’évaluationdes risques par les entreprises utilisatrices.

STRATÉGIE DE SURVEILLANCE DES EXPOSITIONS : CHOIX DES SUBSTANCES,

TRAÇABILITÉ, TRANSMISSION DES INFORMATIONS

D. Lafon (INRS, Paris) évoque la question de latraçabilité des expositions et notamment les produits àgarder en mémoire.

La nouvelle réglementation sur les produits cancé-rogènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR) et le dé-cret sur les risques chimiques assurent cette traçabilitésur un certain nombre de produits : les CMR officielset les produits chimiques dangereux entraînant unrisque non faible. Les réglementations de la mise sur lemarché des nouveaux produits chimiques, actuelles etfutures (REACH), ne permettent cependant pas d’as-surer que toutes les substances non dangereuses ne lesont en effet réellement pas. Dans le futur, on décou-vrira encore que des produits sont cancérogènes outoxiques pour la reproduction alors qu’ils ne sont pasclassés pour ces risques. Il faudrait donc en théorieconserver les données sur l’ensemble des produits chi-miques utilisés et non uniquement ceux visés par lesdeux réglementations précitées.

Une des propositions serait de garder la liste de tousles produits utilisés (nom commercial et coordonnéesdu fabricant) avec un code simple qui permettrait dedistinguer des expositions faibles, intermédiaires,fortes selon des critères à définir collégialement. Cetteliste pourrait être donnée au salarié au départ de l’en-treprise et intégrée dans le carnet de santé profession-nel. Les fiches de données de sécurité et lescompositions pourraient être stockées pour la France,par exemple et sous réserve d’accords divers, au niveaude la base Sepia de l’INRS qui regroupe déjà toutes lespréparations toxiques ou corrosives.

aspects techniques de la plupart des emplois exercéspeut être beaucoup améliorée par la qualité (plus quepar la quantité) des questions posées à l’intéressé. Or ilexiste un certain nombre de questionnaires profession-nels qui ont déjà servi plusieurs fois et qui sont mainte-nant validés. Ils sont généralement organisés parmétier ou par activité, quelquefois par type d’exposi-tion. Il pourrait être possible de collecter assez rapide-ment un thésaurus de questions types (assorties deshypothèses d’expositions qui sous-tendent chaquequestion) à mettre à disposition de tout médecin dutravail, qu’il soit en situation de rechercher avec un tra-vailleur des expositions passées ou qu’il souhaite abor-der la visite d’une nouvelle entreprise.

Une autre proposition serait de mettre en place unoutil du type « carnet de santé professionnel » adaptéau suivi des emplois successifs (tâches, productions,produits utilisés, mesures atmosphériques…) possédépar le travailleur et qui le suivrait jusqu’à son départ enretraite. La création d’un tel outil aurait un intérêt im-médiat pour le salarié et le médecin mais aussi un inté-rêt collectif indéniable.

La mutualisation de ces données permettrait de réa-liser des matrices emplois /expositions centrées sur desmétiers, ce qui est rarement le cas. C’est le travail quiest classiquement réalisé par le médecin du travail dansle cadre de son enquête technique sur un emploi ouune activité, mais qui malheureusement est bien sou-vent réalisé de manière individuelle, chacun refaisantce que d’autres ont eu à faire avant lui et gardant « dansses tiroirs » ses avancées. Il reste à accomplir cette mu-tualisation des efforts (répartition des métiers, exposi-tions ou branches d’activités), des contacts (pouraméliorer la pluridisciplinarité en particulier) et des in-formations engrangées.

Des expériences ont montré qu’un réseau pluri-disciplinaire peut réaliser des travaux qui couvrent lesdifférents aspects d’une activité et les différentesconnaissances nécessaires à la surveillance de sesrisques (guide de visite, descriptif technique, aide àl’évaluation des risques…).

DE LA SURVEILLANCE DES EXPOSITIONS À LA SURVEILLANCE MÉDICALE : LES LIENS

ENTRE CES SURVEILLANCES, LEURS INTÉRÊTSINDIVIDUELS ET COLLECTIFS

Selon R.Garnier (Centre antipoison, Paris), lamise à disposition du médecin d’un panel de docu-ments : matrices emplois-expositions par nuisance, ac-compagnées de classifications utilisées pour définir lesmétiers et les activités, lui donnerait la possibilitéd’aborder des nouvelles tâches avec un bagage mini-mum, d’inventorier au moins les nuisances classiques

97382 507-538 15/12/06 21:33 Page 510

Documents pour le Médecin du Travail N° 1084e trimestre 2006

511

UNE ANALYSE CRITIQUE DES PRATIQUES DE SURVEILLANCE MÉDICALE FACE

AU RISQUE CHIMIQUE

Pour faire face à ces nouvelles méthodes de travailet ces nouvelles obligations, B. Fontaine (médecin dutravail, Lille) fait le constat de la nécessité de se réfor-mer, en particulier sur les pratiques actuelles de sur-veillance médicale face au risque chimique.

Le mode de raisonnement des médecins du travailest encore beaucoup basé sur l’importance de décou-vrir à un stade précoce les pathologies induites par letravail et dans le surmoi collectif de la profession, c’estencore souvent le salarié qui doit être apte à un posteet à son environnement et non le travail qui se doitd’être non pathogène. D’où une pratique importantede prescriptions d’examens complémentaires qui dé-coule de diverses motivations : volonté de protectionmédicale des sujets les plus fragiles, de rendre un ser-vice médical réel, d’où prescription de bilans « para-pluie » en amont de la connaissance des expositionspotentielles, respect d’une enveloppe budgétaire, sou-mission à une routine, respect de textes ou instructionstechniques obsolètes, voire paradoxaux.

On peut reprocher ainsi un certain nombred’usages : prescription souvent effectuée à la recherchede marqueurs d’effets sans vérification préalable de laréalité de l’exposition, prescription effectuée avec unréférentiel d’interprétation insuffisant, absence relativede rigueur sur les procédures de prélèvements et d’ana-lyses, une interprétation parfois insuffisante au niveauindividuel, une interprétation exceptionnellement faiteau niveau collectif.

Il est ainsi proposé de travailler sur une prescriptionréfléchie dans le cadre d’un arbre décisionnel : vérifica-tion d’une exposition, quantification de celle-ci, posi-tionnement sur une courbe dose-effet, utilisation desexamens situés le plus en amont possible de l’affectionrecherchée, ayant le meilleur rapport qualité prédic-tive/détriment/compliance.

Il est également proposé de posséder des cursus la-boris détaillés pour chaque salarié ; par exemple, l’exa-men de l’année des 50 ans pourrait être l’occasion de lapassation d’un questionnaire standardisé et validé ren-seignant sur les expositions antérieures.

LES APPORTS DE L’EVIDENCE BASED MEDICINEDANS LES PRATIQUES DE SURVEILLANCE

DU MÉDECIN DU TRAVAIL

C. Paris (Consultation de pathologie profession-nelle, Nancy) et J.F. Gehanno (Consultation de pa-thologie professionnelle, Rouen) se sont aussiintéressés aux apports possibles de l’Evidence based

medicine (EBM) dans les pratiques de surveillance dumédecin du travail. Apparu au début des années 90, ceconcept, traduit en français par « médecine factuelle »ou « médecine par les faits », s’est étendu progressive-ment à l’ensemble des spécialités médicales. L’applica-tion de cette démarche à la discipline de santé autravail est plus récente.

Un certain nombre de recommandations ont étéfaites concernant la pratique de l’examen médical sys-tématique à titre préventif et peuvent être utiles à lapratique du médecin du travail. Certains commencentà intégrer la pratique de l’EBM dans le diagnostic depathologies professionnelles. L’exemple des asthmesprofessionnels a été donné.

Tous ces exemples concernent la pratique cliniquede la médecine du travail, mais le développement del’EBM dans la démarche d’évaluation et plus particu-lièrement dans l’évaluation du risque est égalementpossible et souhaitable. Celle-ci doit toutefois être ac-compagnée d’un débat politique clair sur les prioritésdes politiques de santé et la notion de risque accep-table. Cette mise en œuvre nécessitera également unimportant travail de formation des médecins et de ré-flexion sur l’organisation de la pratique et des services.Le concept d’EBM, malgré ses limites, est susceptiblede renforcer et de rendre plus crédible l’exercice quoti-dien du médecin du travail et de conforter ainsi saplace dans le champ de la santé publique au sens large.

RÉGLEMENTATION ET JURISPRUDENCE : LES LIMITES DU POSSIBLE

POUR UNE SURVEILLANCE MÉDICALE INDIVIDUELLE OU COLLECTIVE

P.Y. Verkindt (Institut des sciences du travail,Lille) s’est interrogé sur la faisabilité juridique de cer-taines des propositions effectuées, notamment sur laconciliation du droit à la santé des salariés avec leurdroit au travail et au respect de leur liberté individuelleen ce qui concerne le suivi des expositions. En effet, sepose la question de l’accès à ces données, des risquesde gestion de l’emploi par les doses reçues, voire de tra-fics d’identité et/ou de dosimètres, de choix pour lesmédecins du travail entre le droit à l’emploi et le droità la santé… Dans ce cadre, le médecin du travail est-ill’acteur de la prévention individuelle ou collective ?Dans le premier cas, un certain nombre d’obstacles ju-ridiques et éthiques ont été mis à jour par les experts.Dans le deuxième cas, le but du suivi des expositionssera différent : être un moyen de preuve d’expositionen cas d’éventuelle lésion professionnelle et constituerun élément permettant, après anonymisation et trans-mission à une banque de données, l’élaboration de ma-trices emploi-exposition. Le suivi des expositions

97382 507-538 15/12/06 21:33 Page 511

Documents pour le Médecin

du Travail N° 108

4e trimestre 2006

512

tomobile…) ou des accidents graves. L’expérience etles connaissances accumulées depuis les grandes catas-trophes de ces dernières décennies (tableau I) devraientpermettre d’éviter de nouvelles crises ou accidentsgraves, ou du moins d’en atténuer les effets.

« Les accidents n’émergent pas ex nihilo d’uncontexte exempt de défaillances et de dysfonctionne-ments ». Les analyses a posteriori des situations de crisesrévèlent chaque fois qu’il existe une « période d’incuba-tion de l’accident », au cours de laquelle les conditionsde sécurité et de prévention se dégradent : défaillancestechniques, défauts matériels, effectifs insuffisants…Qu’ils soient techniques ou organisationnels, ces pro-blèmes sont constatés mais ne sont pas corrigés, ou in-suffisamment. L’état de dégradation est décelable, maisl’entreprise, confrontée « au contexte international deconcurrence acharnée et de déréglementation », ne sedonne pas les moyens de réagir à temps en revoyantl’organisation de sa sécurité. Le problème est accentuépar « la confusion fréquente chez un certain nombre demanagers entre impératifs de production et sécurité,comme si ces deux fonctions globales et fondamentalesde l’entreprise allaient nécessairement de pair. Or,nombre d’accidents récents ont montré que ces fonc-tions sont antagonistes et que l’altération ou l’inhibitiondes fonctions de sécurité est le résultat direct d’unepression excessive, quasi exclusive, placée sur les objec-tifs de performances productives ».

PRINCIPES DE GESTION D’UNE SITUATION DE CRISE

G. Prost (médecin du travail en service interen-treprises) et L. Mathon (Samu de Lyon) insistent surle fait que l’intervention des secours extérieurs au seind’une entreprise se fait dans un contexte de fragilisa-tion ou de destruction plus ou moins importante del’outil de travail. Elle est perçue de « façon brutale etdéstabilisante pour l’ensemble des salariés qui y tra-

passerait alors par un livret de suivi des expositions quine serait ni plus ni moins que la compilation d’attesta-tions d’exposition aux risques, sans aucune donnée bio-logique ni médicale, que le salarié devrait garder par devers lui, sans obligation, ni faculté de la produire saufen cas de maladie professionnelle. Il ne serait rempliqu’à la sortie de l’emploi. Dans ce cas, il n’y aurait pasde danger particulier. Il resterait à trouver les moyenspour faire circuler l’information qui aura nourri ces li-vrets d’exposition afin d’alimenter les banques de don-nées destinées à une meilleure prévention des risquesprofessionnels.

Gestion et prévention des crises

Responsables : M. Llory, G. Prost, J.C. Contassot

PRÉVENTION DES CRISES

M. Llory (Institut du travail Humain, Bompas)rappelle que quelle que soit leur origine et l’endroit oùelles se produisent, la plupart des situations de crisesentraîne les mêmes questions : pourquoi n’a-t-on rienfait avant, comment a-t-on pu en arriver là… Les crisesen santé au travail n’échappent pas à cette règle, ce quiamène à s’interroger sur l’existence et le repérage de si-gnaux précurseurs d’une crise pouvant toucher l’entre-prise.

Selon le secteur industriel où elles surviennent, lescrises peuvent avoir pour cause des phénomènes decontamination (industrie agroalimentaire…), de maî-trise insuffisante de produits et de pollutions dange-reuses (industrie chimique, secteur agricole…), demise en évidence de composants à risques (secteur au-

Historique (non exhaustif) des principales situations de crises ces trente dernières années (d’après Y. Dien et S. Pierlot)

Catastrophes industrielles1976 Italie – Seveso Usine chimique

1984 Inde – Bhopal Usine chimique

1986 Ukraine (ex-URSS) – Tchernobyl Centrale nucléaire

2001 France – Toulouse AZF - Usine chimique

Accidents majeurs1977 Ténériffe Collision 2 avions

1989 Alaska Naufrage de l’Exxon Valdez

1999 France – Tunnel du Mont Blanc Accident et incendie

1986 et 2003 États Unis Accidents des navettes spatiales Challenger et Columbia

1988, 1999, 2000 et 2002 Angleterre Accidents de train

TABLEAU I

97382 507-538 15/12/06 21:33 Page 512

Documents pour le Médecin du Travail N° 1084e trimestre 2006

513

vaillent », y compris pour les dirigeants. En effet, la ré-ponse est pluridisciplinaire (de nombreux services del’État ou de la collectivité vont se trouver réunis sur leterrain) et planifiée (chaque service a une méthodolo-gie qui lui est propre et agit selon des procédures pré-établies - tableau II), d’où beaucoup de difficultés pourle personnel de l’entreprise, à trouver sa place fauted’une connaissance préalable des rôles et limites dechacun des intervenants extérieurs.

Apprendre à communiquer avec les journalistes,afin de minimiser le risque d’une déformation des faitset des conséquences, est très important pour tout res-ponsable de l’entreprise puisque aujourd’hui tout évé-nement d’importance peut faire l’objet d’unemédiatisation quasi immédiate.

INTÉRÊT DE LA FORMATION ET DES EXERCICES

Comme pour le secourisme, l’apprentissage de lathéorie ne suffit pas. Le travail en cellule de crise doitêtre l’objet d’une formation pratique régulièrement re-nouvelée. Quel que soit le plan mis en œuvre, ces en-traînements réguliers vont permettre d’appréhender« l’ampleur de l’arsenal institutionnel amené à interveniren cas de crise : les mairies et les préfectures, les servicesde police et de gendarmerie, le corps des pompiers, lesDRIRE, les DDASS… » Selon C. Tarin (ARKEMA,Paris), « se former et s’entraîner au sein des cellules decrise ne peut que […] donner expertise et recul pourparticiper à la gestion des situations extrêmes ».

LANCEURS D’ALERTE : CASSANDRE AU PAYS DES RISQUES MODERNES

« La première difficulté d’une écoute attentive desalertes est qu’elles ne dévoilent leur pertinence et leurvaleur qu’a posteriori, après l’événement » rappellentY. Dien et S. Pierlot (EDF, Clamart).

Trop souvent, l’analyse des événements ne porte quesur les causes directes et ayant immédiatement précédéla situation de crise, ce qui conduit a affirmer que la si-tuation de crise (catastrophe, accident, incident grave)est le résultat d’un « exceptionnel enchaînement mal-heureux de circonstances » ou d’une succession d’er-reurs humaines totalement imprévisibles. En fait, lapériode d’incubation est marquée par une accumula-tion de signes. Ce sont souvent des signaux faibles, re-pérés le plus souvent par des personnels de terrain pourqui ces signaux prennent tout leur sens comme mar-queurs de la dégradation de la sécurité du système.Mais ces lanceurs d’alerte ne sont pas entendus ou ils

sont mal entendus. Quand ils sont rapportés à l’enca-drement, ces signaux sont trop souvent confondus avecdes allégations, des états d’âme ou des revendications,en particulier quand leur signalement est répété par lamême personne. Mais l’alerte n’est pas une simple dé-nonciation. Ses différents éléments sont principalementde nature technique, ils ont trait aux conditions de sé-curité et de travail (absence ou dégradation des condi-tions pour atteindre les objectifs). L’intérêt del’entreprise est d’être à l’écoute du lanceur d’alerte enacceptant le débat sur la dérive ainsi pointée, quelle quesoit la position du salarié rapportant le constat de dé-gradation des conditions de sécurité dans l’entreprise. Àl’appui de leur présentation, Y. Dien et S. Pierlot ontanalysé trois catastrophes comme exemples de situa-tions où les lanceurs d’alerte n’ont pas été entendus àtemps.

RÔLE(S) DU MÉDECIN DU TRAVAIL

Plusieurs communications ont porté sur le(s) rôle(s)du médecin du travail dont la synthèse peut être la sui-vante.

Le médecin du travail a un rôle à jouer tant dans laphase d’alerte que dans la gestion prévisionnelle d’unesituation de crise. Il aura ensuite à participer à la ges-tion des conséquences de la crise.

Temps de l’alerte

Le médecin du travail occupe une position privilégiéedans l’entreprise tant pour être lui-même lanceur d’alerteen attirant l’attention sur la dégradation des conditionsde travail et la montée des symptômes d’inquiétude, de

Les différents plans d’intervention

Plan ORSEC 5 services opérationnels :(organisation des secours) • police/renseignements

• soins médicaux/entraide• secours/sauvetage• transports et travaux• transmissions

PSS Porte le nom d’un risque (plan spécialisé de secours) identifié (inondation, feu de

forêt…) ou d’un site (barrage,autoroute…)

POI Propre à une entreprise classée(plan d’organisation interne) « Seveso » et rédigé sous la

responsabilité de l’employeur

PPI Déclenché par la préfecture (plan particulier si les moyens prévus au POI d’intervention) sont débordés ou s’il existe

un risque d’extension en dehors de l’entreprise

TABLEAU II

97382 507-538 15/12/06 21:33 Page 513

Documents pour le Médecin

du Travail N° 108

4e trimestre 2006

514

COMMUNICATIONS ORALES

Plusieurs communications orales ont suivi cette ses-sion consacrée à la gestion d’une crise en entreprise ; iln’est pas possible de les rapporter toutes. Une excep-tion est faite pour « Chikungunya et santé au travail »parce que cette communication rapporte une situationde crise exceptionnelle qui a concerné l’ensemble desservices de médecine du travail interentreprises d’unerégion, La Réunion.

� I. Stojcic (médecin du travail, La Réunion)rappelle que depuis 2005, La Réunion est touchéepour la première fois par une épidémie exceptionnellede chikungunya : 204 000 cas depuis le début de l’épi-démie, soit 25 % de la population. Cette épidémie a eude graves conséquences sur l’activité économique etprofessionnelle de l’île avec en particulier la chute del’activité touristique, un des secteurs fournissant le plusd’emplois, tous contrats confondus.

Le chikungunya est une arbovirose transmise pardes moustiques Aedes. À La Réunion, il s’agit d’Aedesalbopictus(3). Classiquement, en Afrique, en Asie duSud-Est et dans le sous-continent indien, le tableau cli-nique associe une fièvre élevée avec arthralgies, myal-gies, céphalées et une éruption maculopapuleuse.L’évolution clinique est le plus souvent favorable, sansséquelle. Mais le chikungunya peut aussi évoluer versune forme chronique marquée par des arthralgies per-sistantes et invalidantes (en swahili, chikungunya signi-fie « marcher courbé ») provoquant une incapacité deplusieurs semaines et une asthénie importante. À LaRéunion, des formes graves ont été rapportées tellesque méningo-encéphalites, cytolyses hépatiques, infec-tions néonatales et décès.

Les questions posées aux professionnels de santé autravail ont été multiples. Elles touchent à plusieurschamps :

■ La toxicologie. Des produits très divers, pas tou-jours connus des médecins du travail, ont été employésdans un contexte d’urgence sans que les fiches de don-nées de sécurité soient mises à disposition.

■ La prévention individuelle et collective. En dehorsdes tâches de lutte anti-moustiques, certains postes detravail se sont révélés particulièrement exposés aurisque de piqûres de moustiques : jardiniers, agents desstations d’épuration, de traitement des déchets…

■ La reconnaissance et la prise en charge en tantque « risque professionnel ». Dans les situations pro-fessionnelles citées ci-dessus, peut-on considérer la pi-qûre comme un risque professionnel ? Les répulsifscutanés et vestimentaires sont-ils des équipements deprotection individuelle ? Leur achat incombe-t-il alorsà l’entreprise ?

Les médecins du travail ont aussi été interrogés àpropos de l’impact sur l’environnement des produits

peur et de souffrance dans le personnel que pour re-cueillir des informations relevant d’une alerte et les trans-mettre tout en protégeant l’identité d’un lanceur d’alertequi ne voudrait pas être mis en avant.

Gestion prévisionnelle de la situation de crise

Le médecin du travail doit être systématiquementpartie prenante de l’élaboration des plans de secoursde son établissement. Ceci ne concerne pas seule-ment les grandes entreprises mais aussi les petitesentreprises dès lors qu’elles présentent un risque ob-jectif. Si une cellule de crise est créée de façon prévisionnelle, il devrait en faire partie. Il est l’inter-locuteur privilégié pour entrer en relation avec leSAMU départemental et définir avec lui les modali-tés d’intervention. Ce contact permet de préciser uncertain nombre de paramètres constants pour un en-clenchement des secours dans les meilleures condi-tions :

■ plan d’accès à l’entreprise, ■ principaux risques identifiés, emplacement des

principaux dangers,■ locaux susceptibles d’accueillir des blessés éven-

tuels et voies d’évacuation,■ surface la plus proche où un hélicoptère pourrait

se poser en sécurité (Dropping Zone ou DZ),■ matériel médical disponible dans l’infirmerie de

l’entreprise et, si nécessaire, possibilité de stockage dematériels ou médicaments spécifiques aux risques del’entreprise.

Ayant à la fois une connaissance privilégiée de sonentreprise et des principes généraux des secours, le mé-decin du travail devient un personnage clé de la miseen œuvre des secours et de la prise en charge des vic-times. Il est souhaitable qu’il ait également des notionsde communication avec les médias.

En post-crise

Le médecin doit savoir analyser avec les respon-sables des services de secours, en particulier le SAMU,les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre deleur intervention. Il devrait être associé à l’analyse desévénements ayant conduit à la crise et aux nouvellesrègles de prévention qui doivent être mises en place.Outre les psychotraumatismes suffisamment impor-tants pour devoir être pris en charge en consultationspécialisée, le médecin du travail doit être attentif audépistage des cicatrices et séquelles, moins physiquesque psychologiques, que la crise aura pu laisser afin dene pas les laisser s’installer de façon durable.

(3) Sur Aedes albopic-tus et les risques infec-tieux associés, voir S.

Malard et al- La dengue : un

problème de santépublique lié à des activi-

tés professionnelles. Doc med trav. 2003 ;

94 : 151-60. Égalementdisponible en ligne surwww.dmt-prevention.fr.

97382 507-538 15/12/06 21:33 Page 514

Documents pour le Médecin du Travail N° 1084e trimestre 2006

515

utilisés pour la lutte anti-moustiques et sur les effets se-condaires des répulsifs en cas d’utilisation prolongée.

La forme chronique de la maladie a pu justifier desarrêts de travail répétés ou prolongés sur plusieursmois, et nécessiter des aménagements de poste pour lemaintien ou la reprise du travail, du fait de l’asthénie ré-siduelle et des arthralgies. Les problèmes les plus im-portants se sont posés dans le BTP : travail en hauteur,accès par une échelle… avec un sur-risque d’accidentdu fait des arthralgies invalidantes.

Aedes albopictus, comme d’autres moustiques pré-sents sur l’île, est un vecteur potentiel d’autres virus cequi signifie, qu’après le chikungunya, La Réunion n’estdonc pas à l’abri d’éventuelles autres viroses importées.Cette épidémie de chikungunya a montré que les mé-decins du travail pouvaient être concernés de très prèspar des problèmes de santé publique interférant avec lasanté au travail. Cette expérience réunionnaise peut unjour concerner les autres départements d’outre-mer etla France métropolitaine(4).

Conduites addictives et travailResponsables : P. Frimat, R. Nakache

CONDUITES ADDICTIVES EN MILIEU PROFESSIONNEL : PROBLÈMES ET ENJEUX ?

D. Jayle (Président de la Mission interministé-rielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie[MILDT]) a donné des informations actualisées sur lesusages et les usagers de drogues et sur les phénomènesémergents qui y sont liés dans la société française. Ilfait le constat d’une augmentation des consommationsde produits illicites, notamment le cannabis, parmi lesnouvelles générations qui accèdent à l’emploi. Ellesexercent, de ce fait, des activités professionnelles ce quiconduit à revisiter (à questionner) les politiques de pré-vention, d’intervention et de prise en charge menées enmilieu de travail. La question qui peut être posée est de savoir si cette politique va se caler sur ce qui a étéprogressivement mis en place par rapport au risque alcool ? Cette politique se cantonnera-t-elle à ce quipeut être constaté durant le temps de l’activité profes-sionnelle ? ou bien prendra-t-elle en compte le retentis-sement en milieu professionnel de consommationseffectuées dans la sphère privée ? Quelle place faire à laprobabilité de survenue de dommages ? Quelle prise encompte de la stratégie de précaution dans le prononcéde l’inaptitude ? D. Jayle a fait état de l’existence d’unecommission « conduites addictives et milieu profes-sionnel » pilotée par la MILDT. Les travaux de cette

commission devraient aboutir à des recommandationsen la matière dans un futur proche.

PRÉVALENCE DE LA CONSOMMATION DE DROGUES EN MILIEU DE TRAVAIL

P. Frimat (Centre hospitalo-universitaire deLille) a rapporté les résultats des recherches menéespar l’Institut de santé au travail du Nord de la France.Les résultats de ces travaux, respectivement de 1995 etde 2003-2004, ont été résumés dans le compte rendudes journées de l’Institut national de médecine agricoledes 6 et 7 octobre 2005 (INMA)(5). Certains aspectsrelatifs à l’étude de 2003-2004 menée chez des chauf-feurs de poids lourds ont cependant été précisés :

■ L’usage de cannabis est maintenant extrêmementrépandu reléguant la consommation d’alcool au secondrang de cette population. Les opiacés naturels arriventen 3e place, suivis des opiacés synthétiques de substi-tution. Si les amphétamines et la cocaïne sont très peuretrouvées, il n’en est pas moins très inquiétant deconstater leur usage chez les conducteurs. Le faiblepourcentage de benzodiazépines ne reflète pas la réa-lité. La sensibilité de la plage de benzodiazépines dutest utilisé est vraisemblablement insuffisante. Cepoint sera à confirmer par une nouvelle étude de l’en-semble des 1 000 urines congelées avec les techniquesde référence. Le cannabis est beaucoup plus souventretrouvé positif en visite d’embauche qu’en visite an-nuelle, ce qui pourrait tendre à montrer l’abandon pro-gressif de son usage au fur et à mesure que l’on devientconducteur confirmé et/ou que l’on est sécurisé par lefait d’avoir un emploi (et de vouloir le conserver ?).

P. Frimat a également évoqué l’arrêté du 21 dé-cembre 2005 fixant la liste des affections médicales in-compatibles avec l’obtention ou le maintien du permisde conduire des véhicules des catégories du groupe lé-ger et du groupe lourd. Les pratiques addictives y sontdécrites y compris médicamenteuses. Il existe une nou-velle observation sur la prise de traitements de substi-tution nécessitant l’avis de la commission médicale.L’incompatibilité avec la conduite n’est pas systéma-tique. Elle l’est si la consommation de médicaments estsusceptible d’altérer la capacité de conduire ou le com-portement des conducteurs.

L’article R. 241-30 du Code du travail précise bienque le médecin du travail doit agir dans l’intérêt exclu-sif de la santé et de la sécurité des travailleurs. De lamême manière, la circulaire du 9 juillet 1990 préciseque « rien ne justifie un dépistage de la toxicomanie or-ganisé de manière systématique dans l’entreprise... ».Toutefois, dans certains cas particuliers, un dépistagepeut être justifié pour les postes à risques, notion nondéfinie réglementairement. À l’instar du dépistage

(4) Près de 800 cas dechikungunya ont étéimportés en France métro-politaine, particulièrementen Ile-de-France et enrégion Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), enparticulier sur Marseilleoù il existe une importantecommunauté d’originecomorienne. Aedes albo-pictus est implanté danscette région PACA. Ceciexplique que maintenant,la dengue et le chikungu-nya sont inscrits sur la listedes maladies à déclaration obligatoire(www.invs.sante.fr).

(5) Cf. Durand E.-Conduites addictives ettravail. Doc Méd Trav ;2006 ;106 : 203-15.

97382 507-538 15/12/06 21:33 Page 515

Documents pour le Médecin

du Travail N° 108

4e trimestre 2006

516

Les paramètres évolutifs favorables observés lors desconsultations ou sur le lieu de travail sont une meilleureponctualité, une bonne exécution du travail, le port desprotections individuelles, le soin du matériel, uncontact et dialogue avec les collègues, un sommeil ré-gulier et une bonne maîtrise de la substitution unique.Par voie de conséquence, les facteurs péjoratifs sontdes retards au travail, un absentéisme, un caractère vin-dicatif et oppositionnel, la détérioration des outils detravail, un isolement marqué… Ces conduites nécessi-tent une mise au point, parfois un arrêt temporaire dutravail.

ÉVOLUTION DES CONDUITES ADDICTIVES ILLICITES SUR LE TEMPS DE LA VIE

PROFESSIONNELLE

F. Facy (INSERM, Le Vésinet) a débuté son pro-pos en rappelant que dans une conception de santé pu-blique, la prise en compte de l’état de santé intègre nonseulement les indicateurs de maladies mais aussi les dé-terminants de santé. Ceux-ci proviennent du champsocial avec le revenu, le logement, l’éducation, l’emploioccupé et l’environnement géographique, mais ils re-prennent également les comportements individuelsdits « à risque ». La loi de santé publique, votée en2004, retient principalement les usages d’alcool et ta-bac comme déterminants de santé et fixe des objectifsquantifiables de réduction des consommations.

Les lieux de travail deviennent, comme d’autreslieux de vie, des postes d’observation et de suivi desconduites addictives et des espaces d’interventionspour la sécurité des personnes et des équipements.Plusieurs étapes sont repérables à travers les donnéesépidémiologiques disponibles même si les études de-meurent parcellaires sur l’état de santé de la populationactive. L’entrée dans un secteur, puis la progressiondans les catégories socio-professionnelles et enfin lemoment de la retraite sont des moments de change-ment où des fragilités ou des vulnérabilités peuvent serévéler en fonction de facteurs de risques antérieurs, oubien être consécutives à des inadaptations conjonctu-relles. Leurs traductions peuvent se faire à travers desconsommations de produits psychotropes jusqu’àl’abus et la dépendance. Les études les plus détailléesconcernent l’alcool pour le déficit de diplômes, de qua-lification et progression professionnelles. À partir desexpertises collectives de l’INSERM et de l’étude me-née auprès des Centres d’examens de santé en méde-cine préventive, il est possible d’illustrer les corrélationsentre difficultés professionnelles et gravité des usagesde psychotropes.

Des études nord-américaines ont montré que lesabuseurs précoces d’alcool présentent à la fois un ni-

systématique pratiqué à la SNCF depuis 2003 pour lepersonnel habilité à l’exercice des fonctions de sécurité,une recherche de consommation de substances psy-choactives chez les chauffeurs routiers n’est pas systé-matique. Une refonte de la circulaire de 1990 estenvisagée au ministère du travail, un groupe« conduites addictives et travail » au sein de la MILDTdoit faire des propositions dans le courant de l’année2006.

TRAVAIL PRÉCAIRE ET CONDUITES ADDICTIVES :POSSIBILITÉS D’ACTION POUR LE MÉDECIN

DU TRAVAIL ?

Cette communication de J.M. Eber (médecin dutravail, AST 67) présente l’action d’un des centres del’AST 67 à Strasbourg. Ce centre reçoit pour les deuxtiers de ses effectifs des salariés temporaires, ainsi quedes salariés en structures d’insertion. Les salariés pré-sentant des conduites addictives y sont sans doute plusnombreux que dans les entreprises dites « ordinaires ».Sur l’effectif suivi par ce service médical, 109 personnesconsomment des substances psychoactives. Pour 57d’entre eux il s’agit d’héroïne, buprénorphine, cocaïneou ecstasy et pour 52 exclusivement de cannabis sousforme de joints ou d’herbe plus de trois fois par jour. Surces 109 personnes, trois sont en entreprises fixes, troisen entreprises d’insertion, les autres sont en situation detravail temporaire. Il n’y a qu’une seule femme. L’âgemoyen de ce groupe est de 27 ans pour les consomma-teurs de cannabis et de 35 ans pour les consommateursd’autres substances. La grande majorité de ces per-sonnes a des antécédents d’échec scolaire, d’échec pro-fessionnel et de chômage. Pour 13 d’entre eux, laconsommation de substances est ancienne, remontantau début de l’adolescence avec la notion de violences fa-miliales vécues dans l’enfance, suivies d’un rejet fami-lial... Pour certains, la consommation a été associée àune délinquance : vol à main armée...

Pour toutes ces personnes, le maintien dans le posteoccupé est toujours encouragé. Lors de la consultation,l’entretien permet d’évoquer la prise de substances psy-choactives, d’encourager une réduction de cetteconsommation ainsi qu’une prise en charge thérapeu-tique. Ces conseils ne sont pas toujours suivis d’effetsmais dans certains cas, ils peuvent être à l’origine d’uneévolution favorable. L’orateur a précisé qu’en pratiquetoute tentative de désintoxication rapide, même en mi-lieu hospitalier avec l’accord de l’intéressé, a été unéchec. Le danger est réel lors d’un état de manque pro-voqué par un sevrage immédiat, imposé par une pres-sion extérieure. En revanche, l’usager équilibré etintégré dans son milieu de travail n’encourrait que peude risques.

97382 507-538 15/12/06 21:33 Page 516

Documents pour le Médecin du Travail N° 1084e trimestre 2006

517

veau d’études inférieur et des emplois plus modestes.Dans une enquête française auprès des jeunes adultesvenus consulter en centre d’examens de santé de l’As-surance maladie, les poly-consommateurs de boissonsalcoolisées et drogues illicites, dans les 30 jours ayantprécédé la consultation, sont les moins nombreux àavoir obtenu des diplômes supérieurs au bac. Les don-nées sur les usages de cannabis montrent une crois-sance importante pour les jeunes adultes, dans leur viecourante y compris professionnelle, et des indices dedifficultés d’attention et de vigilance sont suffisammentétablis pour construire des dispositifs de prévention etde prise en charge des usagers concernés, à la lumièredes enseignements de l’alcool.

L’étude GAZEL (1994) a montré que chez lesfemmes, la non-progression de carrière entre 1989 et1992 était plus importante chez les « grosses buveusesd’alcool ». Les chômeurs et les bénéficiaires de diversesaides sont plus souvent rencontrés chez les consom-mateurs de substances psychoactives illicites mêmechez les jeunes adultes vus en médecine préventive. Lamédecine du travail organise des recueils de donnéesépidémiologiques de façon parcellaire et hétérogène enfonction des secteurs d’activité. Les statuts des entre-prises influencent fortement les niveaux de qualifica-tion et les comportements (absentéismes, mobilité, âgede la retraite...). En 1995, l’étude du Nord Pas de Ca-lais a déterminé que 17,5 % des salariés vus en visitemédicale pendant la période d’enquête consommaientau moins une substance psychoactive (40 % aux postesde sécurité-sûreté). Dans le cas de l’alcool, les enquêtesmontrent la corrélation entre consommation et acci-dents du travail. À la SNCF, on estime l’alcool présentdans 20 % des 13 500 accidents du travail chaque an-née. L’étude nationale SAM (Stupéfiants et accidentsmortels de la route) montre les risques relatifs de res-ponsabilité d’accident mortel sous influence de canna-bis et/ou alcool. Une revue de littérature internationalemontre des résultats partiels mitigés et parfois contra-dictoires. Les difficultés de généralisation des résultatsde recherche concernent les comparaisons des raresétudes prenant en compte les changements des condi-tions de travail avec les données transversales de popu-lation générale. Le Baromètre Santé, en 2000, montreque les consommations de produits psycho-actifs sontdifférentes selon la catégorie professionnelle et le statutsocial : les agriculteurs et les artisans pour l’alcool auquotidien, les ouvriers pour le tabac et l’alcool au quo-tidien, les cadres pour le tabac et les médicaments.

L’étude GAZEL sur l’évolution de la consommationd’alcool des hommes en fonction de l’année de la re-traite révèle que la première année est une période pro-pice à une augmentation de cette consommation et plusparticulièrement chez les cadres et les agents de maî-trise. Par rapport à la population générale, les retraitéssont de grands consommateurs d’alcool au quotidien,

les autres inactifs (plus jeunes) fument du tabac au quo-tidien et du cannabis sur l’année. La cohorte GAZELd’EDF-GDF a permis d’étudier le rôle de la consom-mation d’alcool sur la carrière professionnelle et la mo-dification des comportements lors du passage à laretraite. La cohorte se compose à présent de 80 % de re-traités et leur évolution devrait apporter des élémentssur les consommations et la santé au long de la vie.

Les données épidémiologiques demeurent contin-gentes à des milieux spécifiques de travail en fonctionde types d’emplois et de statut d’entreprise. Un réel be-soin de connaissances est constaté de la part des pro-fessionnels de santé comme de la part des responsablesde ressources humaines des entreprises. De nom-breuses situations où les effets des conditions de travailet des abus de substances ne sont ni comptabilisées nidécrites de façon qualitative et un champ de recherchereste peu exploré, alors que le plan quinquennal de laMILDT insiste sur l’amélioration des connaissancesnécessaire au repérage précoce des situations à risqueet à la prévention des dommages collectifs.

Au niveau des partenariats entre professionnels desanté et du travail, des expérimentations sont à encou-rager. Les services de santé au travail, par leurs mis-sions et leur accessibilité, ont une place centrale pourdévelopper des partenariats avec le secteur spécialiséen addictologie en participant aux stratégies de repé-rage précoce et interventions brèves ou d’orientationdans le système de soins, hospitalier ou ambulatoire.

COMMUNICATIONS ORALES

Plusieurs communications orales ont été présentées.Seules certaines sont développées ici.

� P. Morel (Service santé au travail, PSA Peu-geot Citroën) a fait une communication sur la préven-tion des conduites addictives dans l’industrieautomobile. Sur un des sites de l’entreprise, au cours del’année 2000, le dépistage urinaire des substances psy-cho-actives à l’embauche pour les postes de sécurité arévélé un taux de positivité au cannabis de 33 %. Ledispositif de prévention a été renforcé à la suite de ceconstat. Différentes actions collectives ont permis desensibiliser les acteurs de l’entreprise et ont été com-plétées sous la forme d’éducation sanitaire ciblée auxapprentis, aux nouveaux embauchés et aux chauffeurs.Un module de formation intitulé « santé et sécurité autravail » est proposé à un public d’une douzaine de per-sonnes (présentation du service médical du site, orga-nisation des soins et des secours, hygiène de vie,réglementation et missions de la médecine du travail,conduites addictives, notions d’aptitude ou d’inapti-tude). Cette présentation évite tout discours moralisa-

97382 507-538 15/12/06 21:33 Page 517

Documents pour le Médecin

du Travail N° 108

4e trimestre 2006

518

� A. Trichard (Centre hospitalo-universitairede Lille) a présenté une revue de la littérature relativeaux traitements de substitution aux opiacés et aptitudeaux postes de sécurité. Ce point a permis de proposerdes recommandations aux médecins du travail : lesdoses du traitement de substitution doivent être stablesdepuis plusieurs semaines. Il ne doit pas exister deprises d’autres substances psychotropes, y comprisbenzodiazépines et alcool. Le suivi médical par le pres-cripteur doit être régulier. Des contrôles des toxiquesurinaires dans un souci de sécurité et de transparenceavec le salarié semble être un bon compromis.

� L’objet de la communication de E. Szwarc etcoll. (Inspection médicale régionale du travail del’Alsace) était une comparaison des données CRAM,DRTE et de l’institut de médicine légale de Strasbourg(IMLS) relatives aux accidents du travail mortels(ATM) en Alsace entre 2000 et 2004. Pendant cettepériode, les données CRAM font état de 185 ATM. Cechiffre n’inclut pas les accidents du trajet. Dans lemême temps, la DRTEFP a enregistré 33 dossiersd’ATM dont 11 signalés comme ayant comporté unexamen médico-légal du cadavre suivi ou non d’inves-tigations toxicologiques et quatre ayant comporté desinvestigations toxicologiques sans examen médico-lé-gal du cadavre. Les données de l’IMLS font état de 40autopsies ou levées de corps « ATM » (dont 22 ontdonné lieu à des analyses toxicologiques complémen-taires) et de cinq expertises toxicologiques réaliséessans examen médico-légal préalable du corps. Les ré-sultats de cette étude rétrospective mettent en évi-dence :

■ l’existence de discordances importantes entre lesdonnées statistiques sur les ATM selon qu’elles éma-nent de la CRAM, de la DRTE ou de la structure mé-dico-légale référente au plan régional, en rapport avecde multiples biais de recrutement ;

■ le caractère non systématique des investigationsmédico-légales en cas d’ATM, lié notamment à la mul-tiplicité des donneurs d’ordre potentiels (juge d’ins-tance sur requête de la CPAM, magistrats du Parquet,policiers, gendarmes...) et à l’absence de texte régle-mentaire indiquant la conduite à tenir ;

■ le faible pourcentage d’ATM donnant lieu à la réa-lisation d’investigations toxicologiques complémen-taires, alors que dans cette étude 8 sur 27 donnent desrésultats pouvant être pertinents dans l’appréciationdes circonstances favorisant l’accident (principauxtoxiques identifiés : alcool et cannabis).

Au vu de ces résultats, une meilleure intercon-nexion des données concernant les ATM semblesouhaitable afin d’en favoriser le suivi à la fois mé-dico-légal mais également d’un point de vue santéau travail.

teur ou tout amalgame jeunes/cannabis. Une structured’aide, véritable relais entre le service médical et le ter-rain, permet la prise en charge précoce et le suivi despersonnes en difficulté avec l’alcool ou la drogue. Lamise en œuvre de ce plan de prévention a permis desensibiliser les acteurs de l’entreprise et l’environne-ment local aux problèmes liés aux conduites addictives.En trois ans, le taux de positivité au cannabis est passéde 33 % à 20 %. La logique dissuasive du dépistage oucontrôle en entreprise, associée à la prévention (infor-mation, sensibilisation), participe à la réduction de l’ac-cidentabilité liée à la consommation de substancespsycho-actives.

� M. Wenzek et I. Ricordel (SNCF) ont pré-senté le bilan de deux années de dépistage urinaire sys-tématique des substances psycho-actives parmi lepersonnel SNCF affecté aux postes de sécurité des cir-culations ferroviaires. Un arrêté du 30 juillet 2003 duministère des Transports rend obligatoire le dépistagedes substances psycho-actives à l’embauche et lors desexamens périodiques. Le dépistage est réalisé à partirde protocoles conformes à la circulaire du ministèrechargé du Travail du 9 juillet 1990, faisant suite à l’avisdu Conseil supérieur de la prévention et des risquesprofessionnels et à l’avis du Comité national d’éthiquedu 30 août 1989. Les phases sont les suivantes : remised’une note d’information au personnel avant le recueildes urines ; le protocole de recueil des urines respecte ladignité des personnes. En cas de positivité, une confir-mation est demandée. Le seuil de positivité retenu est à50 ng/l pour le cannabis et 300 ng/l pour la cocaïne etles opiacés. La restitution d’un résultat positif, couvertpar le secret médical, est faite par le médecin au coursd’un entretien individuel. Au cours des deux premièresannées de dépistage 204 890 prélèvements urinaires ontété analysés. Le taux de positifs est de 2,8 % en 2004 et2,7 % en 2005. Une analyse plus précise retrouve pourle cannabis 0,9 % en 2004 et 0,8 % en 2005, pour la co-caïne 0,013 % en 2004 et 0,012 % en 2005, pour lesopiacés respectivement 1,65 % et 1,62 %, enfin pour lesamphétamines 0,22 % en 2004 et 0,26 % en 2005. Cestaux sont faibles, probablement du fait de l’informationdonnée un mois avant le dépistage. Un résultat positiflorsque les personnes sont dûment prévenues du dépis-tage et des conséquences sur l’aptitude, traduit uneperte de liberté vis-à-vis du produit. L’objectif du dépistage était avant tout d’identifier précisément lespersonnes dépendantes. Le dépistage contribue natu-rellement à la sensibilisation du personnel sur les dan-gers de la consommation de ces substances par lesopérateurs chargés de la sécurité des circulations. Ce-pendant cette action est lourde et consomme beaucoupde temps infirmier, coût auquel il convient de rajoutercelui des analyses, notamment celui de la confirmationdes résultats.

97382 507-538 15/12/06 21:33 Page 518

Documents pour le Médecin du Travail N° 1084e trimestre 2006

519

Violence au travail

Responsables : G. Lasfargues, A. Raix, M.F. Forissier,M.A. Denis

VIOLENCE AU TRAVAIL : LE POINT DE VUE DE L’ANALYSE PHILOSOPHIQUE

É. Hamraoui (Chaire de Psychanalyse-Santé-Travail du CNAM, Paris) a orienté son analyse sur ladéfinition des contextes organisationnels favorisantl’émergence et le développement de la violence au tra-vail. Il précise que l’imposition de la flexibilité commenorme a conduit nos sociétés à réorganiser la structureinterne de leur institution non sans effet déstructurantpour l’individu. Par ailleurs, le délitement du lien socialau sein de l’entreprise a à son tour entraîné l’instaurationde la « convivialité stratégique », marquant le net reculdes solidarités, de la concertation et des espaces de déli-bération sur l’organisation du travail. D’où l’accroisse-ment de la solitude, avec la multiplication inquiétante,depuis quelques années, des actes de violence retournéscontre soi-même, allant jusqu’au suicide.

Selon certains philosophes, seule la confrontationau risque permet à l’individu de se trouver lui-même,de devenir lui-même. D’où la définition du risque nonseulement comme principe de reconnaissance de la va-leur des individus, mais encore comme principe de hié-rarchie : « Celui qui prend le risque d’affronter la mortdevient le maître de celui qui n’en a pas le courage ».

Cette dénégation du pouvoir (transformation desentreprises) et de la servitude peut, selon É. Hamraoui,être interprétée comme conséquence de la nature desmécanismes d’exercice et d’entretien de la violencedans le monde du travail actuel. Refuser de prendre desrisques est jugé coupable. Aussi le refus de prendre desrisques contreviendrait-il aux lois de la nature humaineet constituerait un reniement de son essence. É. Ham-raoui s’est attaché à réfuter ce point et a développé uneanalyse philosophique approfondie de la nature desviolences pouvant s’exercer sur l’individu refusant deprendre des risques.

Trois ordres de violence sont ainsi distingués : ■ une violence réglée ou instituée, dirigée contre ce-

lui qui se trouve à l’intérieur de la structure (l’entre-prise) et valant comme avertissement ;

■ une violence sans les formes, comme exclusionfrappant quiconque refuse d’obtempérer et que l’onconsidère de ce fait comme « irrécupérables », voire« non rachetables » ;

■ une violence perpétrée contre des individus qui,dans la mesure où ils sont soumis au régime du condi-tionnement (paternaliste ou managérial), cessent d’être

reconnus en tant que sujets rationnels avant d’êtreabandonnés à eux-mêmes.

Après avoir détaillé ces trois ordres de violence,l’orateur conclut son intervention par des questions :L’acte de résistance a-t-il une chance de vaincre un jourla puissance idéologique écrasante à l’origine de la pro-motion du risque au rang de valeur suprême de nos so-ciétés où l’individu est condamné à investir sans fin sonpropre corps – opérateur – et son esprit dans le proces-sus de travail ? … L’issue ne serait-elle pas ici de tenterde rendre discutable ce qui aujourd’hui ne l’est pas – ouplus –, de transformer ce qui relève du dogme ou du ri-tuel de savoir en objet de débat ? Aujourd’hui, le re-couvrement mortifère du politique par une sphèrejuridico-éthique sacralisée mais impuissante à conjurerla violence du réel, ne doit-il pas faire de toute urgencedébat au sein de la société entière ?

DONNÉES DE LA LITTÉRATURE SCIENTIFIQUESUR LA VIOLENCE AU TRAVAIL

G. Lasfargues (Médecine et santé au travail, Faculté de médecine et CHU de Tours) introduit sonintervention sur les définitions de la violence au travailen rappelant la définition large que propose le BIT :« Toute action, tout incident ou tout comportementqui s’écarte d’une attitude raisonnable par lesquels unepersonne est attaquée, menacée, lésée ou blessée, dansle cadre ou du fait direct de son travail ».

Les diverses définitions englobent deux aspects dela violence en milieu de travail : d’une part les phéno-mènes de violence sociale subie par des travailleurs, etd’autre part des phénomènes de violence au travail.

Violence sociale en milieu de travail

Les données quantitatives montrent la fréquence desphénomènes de violence sociale dans le secteur des ser-vices et dans les professions en contact direct avec le pu-blic. Les pourcentages de personnel touché sontextrêmement variables en fonction des méthodesd’étude et des secteurs étudiés. D’un secteur d’activité àl’autre, on retrouve très fréquemment des stratégies col-lectives de défense du même type, celles des personnelsen contact avec le public pour lutter contre la souffranceet la peur de l’agression, et celles des hiérarchies dans lacrainte de voir mises en cause les stratégies organisa-tionnelles et de gestion de l’entreprise. L’impossibilitépour les uns et les autres de penser ce qui fait difficultédans le travail aboutit dans bien des situations à des fausses solutions de prévention car déconnectées dela réflexion sur l’activité réelle (formations alibi à la ges-tion du stress, de « coaching » individuel de salariés

97382 507-538 15/12/06 21:33 Page 519

Documents pour le Médecin

du Travail N° 108

4e trimestre 2006

520

versité des points de vue (métiers et hiérarchie) de fa-çon à recréer de la coopération. L’expérience montreque l’engagement du médecin du travail est essentieldans de nombreuses interventions.

Enfin, de plus en plus de publications font état d’in-terventions de médecins du travail basées sur une dé-marche clinique spécifique en santé au travail, afind’aider réellement les salariés victimes de violence dansle processus de reconstruction de leur santé en instrui-sant la question du travail.

VIOLENCE FAITE AUX FEMMES AU TRAVAIL : LE POINT DE VUE DES SOCIOLOGUES

H. Hirata a introduit son intervention en précisantque la violence faite aux femmes au travail se dérouledans la sphère du public (travail) mais aussi dans lasphère du privé. Les premières études sociologiques ethistoriques concernant la violence faite aux femmes autravail ont porté essentiellement sur les violences liées àl’organisation du travail, et notamment le harcèlementsexuel, des chefs et des supérieurs hiérarchiques. Lerapport d’oppression de sexe se double du rapport d’ex-ploitation de classe. Aujourd’hui, cette forme « clas-sique » de violence faite aux femmes au travail est loind’avoir disparue.

L’analyse en termes d’intériorisation (femmes) etd’extériorisation (hommes) faite par D. Kergoat a re-présenté un avancement considérable dans l’analysesociologique de la violence selon les sexes. Elle a per-mis de penser le rapport entre violence, absence d’issueinstitutionnelle et auto-dévalorisation des femmes, lerapport entre exercice de la violence, exploitation subieet comportement agressif envers la qualification et letravail, de la part des hommes.

La sociologie de la violence faite aux femmes abénéficié d’une quantification, pour la premièrefois, grâce à l’enquête ENVEFF (Enquête natio-nale sur les violences envers les femmes en France)réalisée en 2000 : 1,9 % des femmes (87 femmessur une échantillon de 4 500 environ) rapportentdes faits de harcèlement d’ordre sexuel et 0,1 %d’entre elles des agressions (attouchements, tenta-tives de viol et viol) sur les lieux de travail. La dif-fusion des résultats de cette enquête a suscité descontroverses, parmi lesquelles deux ont été citées :le « continuum » ou non de ces violences et laquestion de la « victimologie ».

Comme le travail, la violence est multidimension-nelle et dans cette mesure complexe et irréductible àun seul point de vue. L’enquête ENVEFF, conçue etréalisée par des démographes, sociologues, psycho-logues et épidémiologistes, est un bon exemple decette collaboration interdisciplinaire.

« fragiles », sélection à l’embauche des salariés sur le « profil psychologique »). La recherche de vraies solu-tions est difficile et doit impliquer les différents niveauxde l’entreprise pour ouvrir plus globalement à la réflexioncollective sur le travail réel dans les activités de service etsur ses conséquences dans la survenue et la gestion de laviolence des usagers.

Violence au travail

Les phénomènes de violence en milieu de travail ap-paraissent dans la majorité des cas comme une consé-quence possible des rapports sociaux de travail et de ladomination. Bien que la fréquence des actes de vio-lence au travail soit difficile à apprécier, les investiga-tions cliniques révèlent que ces actes sont associés àdes états de souffrance mentale grave s’exprimant pardes troubles psychopathologiques très divers nécessi-tant des prises en charge médicales urgentes. Lesétudes sur le stress au travail, utilisant les modèles épi-démiologiques (Karasek, Siegrist) mettent en avantdeux facteurs de risque importants de décompensationpsychopathologique : d’une part l’absence de recon-naissance et d’autre part l’absence du facteur protec-teur important que constitue le soutien social de la partdes collègues de travail et de l’encadrement.

Les écrits de médecins du travail comme les en-quêtes menées en psychodynamique du travail mettenten exergue les facteurs organisationnels et les modes demanagement agressifs qui favorisent les tensions et ladégradation des rapports sociaux dans l’entreprise.Comme dans la confrontation à la violence sociale enmilieu de travail, il n’est donc pas possible de fairel’économie de l’analyse du réel du travail, du débat surl’organisation du travail et de ses conflits.

Études d’intervention en milieu de travail

Les modalités des études d’intervention à visée pré-ventive de la violence sont variables en fonction desproblèmes de violence étudiés et des savoir-faire des in-tervenants. Certaines privilégient une démarche mixte,d’abord quantitative à partir des investigations épidé-miologiques de la santé mentale par les modèles destress au travail, puis qualitative visant à la réflexion surles facteurs de risque du travail et à la diminution descontraintes psychosociales.

Les interventions de type qualitatif, utilisant l’ana-lyse ergonomique et la psychodynamique du travail ontmontré leur intérêt dans des situations de violence avecdégradation avancée des rapports sociaux. Elles sontutiles lorsqu’elles privilégient des modalités d’interven-tion permettant de renouer avec le vécu et le réel dutravail et qui puissent dans le même temps relier la di-

97382 507-538 15/12/06 21:33 Page 520

Documents pour le Médecin du Travail N° 1084e trimestre 2006

521

FONCTIONNEMENT PSYCHIQUE ET VIOLENCEAU TRAVAIL

Dans son intervention, A. Raix détaille la nature etl’impact de la violence exercée par les organisations detravail sur les salariés en se référant à la construction etau fonctionnement psychosomatique humain. Dansun second temps, il présente par quels mécanismes lesindividus, en fonction de leur structure, vont tenter depréserver une part de leurs équilibres et de leur santéou tomber dans la pathologie avérée.

VIOLENCE, ORGANISATION DU TRAVAIL, MOBILISATION SUBJECTIVE : DES LIENS EMBARRASSANTS

De nombreuses interventions de A. Flottès (Psy-chodynamicienne consultante, Lyon) motivées par« la violence », ont lieu alors que les actions dévelop-pées antérieurement ont été inefficaces. Elle proposealors d’agir en s’appuyant sur les fondements théo-riques de la psychodynamique du travail et son expé-rience de praticien.

Lorsque la violence explose, la démarche pertinenten’est pas de diagnostiquer les « facteurs » organisation-nels, managériaux ou personnels, à son origine maisd’élaborer avec un groupe de volontaires, comment lesprocessus individuels et/ou collectifs qui permettaientjusqu’alors de travailler malgré la violence sous-jacente,ont été, brusquement ou progressivement mis en dé-faut. Dans chaque situation, une longue maturationpréalable est nécessaire, un cheminement des deman-deurs et des intervenants. Plusieurs exemples ont étéalors décrits.

A. Flottès explique ensuite qu’il n’est pas possible dedéfinir une organisation « maltraitante », pas plusd’ailleurs qu’une organisation « bien-traitante ». Pourelle, parler de « l’organisation du travail » sème la confu-sion et il est préférable de distinguer des théories organisationnelles qui évoluent selon les époques, maisvisent toujours à optimiser le rendement des travailleurs, des organisations prescrites, retraductionsplus ou moins habiles de ces objectifs par les hiérarchies,et des organisations pratiques, sans lesquelles les organi-grammes, normes et procédures ne sont qu’images vir-tuelles. C’est le zèle incessant des travailleurs pour lesincarner, qui construit le cadre du « travail réel ».

L’enjeu n’est pas alors de protéger les travailleursd’une organisation toute puissante, mais de les aider àpenser leur action, et les conflits politiques, éthiques etpsychiques dans lesquels elle s’inscrit. Tout en sachantque cela ne préservera personne des embarras du tra-vail. Et cet embarras est aussi celui des préventeurs, quela violence, et les « atteintes à la santé mentale », pren-

nent doublement à contre-pied de leur positionnementhabituel : si la violence n’est pas l’effet prédictible defacteurs constants, mais le symptôme de processus psy-chiques singuliers, dont l’aboutissement délétère ou fa-vorable est imprévisible, intervenir « préventivement »serait au mieux inefficace et au pire imprudent : la mo-bilisation indispensable pour ce travail d’élaborationn’existe que sous la pression d’une souffrance insuppor-table, et seuls les systèmes défensifs défaillants sont in-accessibles. La relance de la pensée et des débats sur letravail est en soi une dynamique préventive, mais lespréventeurs ne disposent pas de cette action, ils ne peu-vent que la mettre à disposition, en temps opportun.

LA VIOLENCE ORDINAIRE : LA DÉMARCHE PAS À PAS DU MÉDECIN DU TRAVAIL

B. Bié (Paris) a détaillé l’histoire d’une chercheuseprésentée par sa hiérarchie comme dangereuse, nui-sible à l’activité du laboratoire et devant d’urgence quit-ter l’unité. Par ailleurs, cette salariée menace dedéposer plainte pour harcèlement moral. Après deuxheures d’entretien, le médecin du travail pense quecette salariée a pu être authentiquement victime d’unharcèlement au long cours pour des raisons difficiles àidentifier : lutte de pouvoir ? répartition des moyens fi-nanciers ? détournement de jeunes chercheurs ?

Le médecin du travail s’interroge sur la réalité durisque et sur la part d’irrationnel. S’agirait-il par exempled’une peur liée aux bouleversements qui déstabilisent lemonde de la recherche à travers les restrictions finan-cières, la fuite des jeunes chercheurs... ? Cette peurpourrait s’accrocher sur des traits de comportement decette salariée dans un mécanisme visant à occulter lesincertitudes sur l’avenir de la recherche. Le développe-ment de cette approche tentera d’illustrer au plus prèsdu quotidien une démarche de médecin du travail dansson investigation, ses doutes et ses avancées dans laconstruction d’une compréhension avec les salariés.

SAUVER SA PEAU : CLINIQUE DE LA SANTÉ AUTRAVAIL SUR LE THÈME DE LA VIOLENCE

F. Thébaud relate l’histoire d’une technicienned’assurances dans une microstructure d’une mutuelle.Dans le secteur de travail dont il est question, il n’existeplus d’objet travail négociable et pas d’altérité possible,l’acte individuel s’y dissout dans un grand tout indiffé-rencié conduisant aux postures de soumission et d’allé-geance. Il s’agit d’un aperçu sur les stratégies mises enœuvre par une salariée qui ne renonce pas facilement àl’action, à la transformation de la réalité pour se main-

97382 507-538 15/12/06 21:33 Page 521

Documents pour le Médecin

du Travail N° 108

4e trimestre 2006

522

anomalies. La surveillance ne pouvant donner que desrésultats tardifs, des exemples de prévention par subs-titution ont été présentés ainsi que les limites de cettesubstitution. Enfin les dernières classifications duCentre international de recherche sur le cancer(CIRC) et les résultats de l’enquête SUMER ont étéprésentés.

INTERRELATIONS ENTRE GÉNOTOXICITÉ, MUTAGENÈSE ET CANCÉROGENÈSE

A. Botta (Pôle méditerranéen des sciences envi-ronnementales, Marseille) a eu pour tâche d’effectuerun rappel de la cancérogenèse : processus multi-étapesau cours duquel interviennent les effets mutagènes. Lamutation est un effet stable et héréditaire pour le ma-tériel génétique d’une cellule qui la fait passer d’un étatnormal où prime l’avantage à la communauté cellulaire(avec mécanisme pro apoptotique) à un état dans le-quel prévaut une sélection de type darwinien pour leclone anormal. Le passage à la cellule cancéreuse pour-rait résulter de plusieurs causes :

■ liées au hasard des mutations spontanées mal ré-parées par les systèmes cellulaires ; chaque gène aurait1010 occasions de muter,

■ épigénétiques essentiellement par des modifica-tions de la méthylation des gènes qui en perturbent lefonctionnement,

■ génétiques avec le rôle prépondérant du polymor-phisme génétique qui explique les différences d’activitéde certains gènes notamment ceux de bioactivation destoxiques ou de réparation de l’ADN,

■ liées à l’acquis environnemental qui agresse de fa-çon permanente le matériel génétique.

Le mécanisme principal de la mutagenèse est la pro-duction d’une liaison électrophile-nucléophile quiconduit à la formation d’adduits soit au niveau des pro-téines soit au niveau de l’ADN. Les lésions induirontun processus de réparation qui aboutira soit à une gué-rison, soit à l’apoptose, soit enfin à une réparation fau-tive (mutation). La réparation parfaite est le cas le plusfréquent au niveau des cellules somatiques ou germi-nales.

De plus, la plupart des réparations imparfaites n’ontaucune incidence sur le développement de la cellule.Seules certaines mutations survenant sur des gènes cri-tiques sont déterminantes.

Ces mutations vont activer des proto-oncogènes enoncogènes qui favoriseront la prolifération cellulaire,inactiver des gènes suppresseurs de tumeurs associés àl’arrêt du cycle cellulaire, à l’apoptose ou à la réparationdes lésions de l’ADN, ou enfin activer des gènes quivont agir sur les télomérases (enzymes responsables dela restauration des télomères) et ainsi faciliter la divi-

tenir vivante. En dernier recours, l’une des voies em-pruntées qui est un acte d’insoumission contre l’auto-rité : penser seule, écrire sur le travail et s’adresser à ladirection de l’entreprise, se révèlera être un piège ter-rible signant une rupture qui se manifestera bruyam-ment au niveau du corps.

LE MÉDECIN DU TRAVAIL FACE À LA VIOLENCE :RÉFLEXIONS ET REPÈRES POUR L’ACTION

V. Arnaudo (médecin du travail, Tours) a débutéson intervention en expliquant l’embarras dans lequelse trouve le médecin du travail face aux situations deviolence qui concentrent ses difficultés d’exercice : sesituer clairement du côté « exclusif » de la santé, dé-fendre et assumer une indépendance technique, tentersystématiquement d’élucider les liens entre travail et at-teintes de la santé. Par ailleurs, il est nécessaire de sepositionner vite, dans un contexte parfois survolté, avecprofessionnalisme vis-à-vis de l’événement et empathievis-à-vis des différents protagonistes.

Face aux situations très diverses de violence en lienavec le travail, il semble à V. Arnaudo que l’action du mé-decin du travail peut, selon les cas, se déployer dansquatre directions articulées : répondre à l’urgence réelleou ressentie, préserver les intérêts médico-professionnelsdes individus, et permettre le débat sur les enjeux collec-tifs, analyser la part du travail dans la genèse des événe-ments violents et dans les conduites qui y sont liées etenfin, réfléchir à la prévention de la violence. L’orateur aensuite développé ces quatre dimensions de l’action, enrappelant chaque fois le cadre dans lequel s’inscriventces actions ainsi que les aspects réglementaires et déon-tologiques lui paraissant à même d’étayer les pratiquesdes médecins. En conclusion, il a rappelé la place essen-tielle du médecin du travail dans cette prévention de laviolence au travail : par la spécificité de son exercice pro-fessionnel, à l’articulation de la santé et du travail, par saconnaissance de la santé individuelle et collective des sa-lariés et de leur évolution, et par son accès au milieu detravail ; ainsi que les difficultés nombreuses pour faireface à l’événement violent, envisager ses suites, et mettreen place une prévention de la violence.

De la génotoxicité à la cancérogenèse

Responsables : A. Botta, J. MathisLors de cette session ont été abordés les méca-

nismes de la mutagenèse et les conséquences sur la cel-lule ainsi que les tests qui permettent de surveiller les

97382 507-538 15/12/06 21:33 Page 522

Documents pour le Médecin du Travail N° 1084e trimestre 2006

523

sion cellulaire. Ces cellules dites « initiées » pourrontsubir un processus de « promotion » qui les conduira àdevenir cancéreuses. Ce processus ne dépend plusd’une action sur l’ADN mais il peut s’agir de phéno-mènes inflammatoires, hormonaux…

En conclusion devant ce processus multifactorieldans lequel interviennent le hasard, l’hérédité et l’envi-ronnement, la prévention primaire apparaît comme laseule démarche envisageable.

INTERACTIONS GÉNOME-ENVIRONNEMENTDANS LES CANCERS LIÉS AUX EXPOSITIONS

PROFESSIONNELLES

F. Eissinger (Institut Paoli-Calmette, Marseille)pose la question des interactions entre les gènes et l’en-vironnement. Il rappelle que certaines pathologies no-tamment tumorales ont une relation extrêmement forteavec des anomalies génétiques constitutionnelles. Lesrisques accrus de cancers sont connus chez les sujets quiprésentent des anomalies telles que MLH1, MSH2,BRCA1 ou BRCA2. Chez ces individus, les risquessont tels que les facteurs environnementaux n’auraientqu’un faible impact. À l’opposé il existe à l’évidence uneaction de facteurs environnementaux sur le matériel génétique (cf. supra). Par ailleurs, certains auteurs esti-ment que « la plupart des facteurs de risques environ-nementaux significatifs ont déjà été découverts ».

Il est donc maintenant important de rechercher s’ilexiste des facteurs génétiques qui auraient moins depoids à eux-seuls mais qui pourraient, en interactionavec des facteurs environnementaux, provoquer uneforte augmentation de risque. La recherche de ces ano-malies est à privilégier.

DE LA GÉNOTOXICITÉ À LA BIOSURVEILLANCE,ACTUALISATION DES TESTS

T. Orsière (Pôle méditerranéen des sciences en-vironnementales, Marseille), après avoir décrit les dif-férentes lésions susceptibles de survenir au niveau del’ADN, propose les tests capables de détecter l’en-semble de ces anomalies. Les lésions peuvent être pro-voquées par de nombreux facteurs : métabolismecellulaire, environnement (UV, radiations ionisantes),exposition chimique enfin erreur de réplication. Lesprincipales lésions varient selon le type de facteurs.Ainsi on note des lésions abasiques avec les radiationsionisantes, des pontages intra-brins avec les UV, despontages inter-brins pour les chimiothérapies, il peuts’agir également de cassures mono ou double brin, d’in-sertion ou de délétion de bases. Les systèmes de répa-

ration corrigent ces anomalies mais avec plus souventdes erreurs dans le cas des cassures double brin. Lesmutations qui en résultent sont soit géniques soit chro-mosomiques soit portent sur le nombre de chromo-somes de la cellule.

Pour étudier les effets génotoxiques, on doit utiliserdes tests tels que la recherche d’adduits ou le test descomètes. L’effet mutagène est mis en évidence par letest d’Ames et les effets clastogènes (structure du chro-mosome) ou aneugènes (nombre de chromosomes)sont dépistés par un test du micronoyau. Dans ce der-nier cas, il est possible de distinguer entre les deux ef-fets par une technique spécifique d’hybridation in situfluorescente de sondes centromériques. La mise enplace de tels essais doit tenir compte de l’importancedes facteurs de susceptibilité individuelle et de l’impos-sibilité de relier de façon causale ou quantitative l’effetet le risque individuel. Les résultats ne peuvent àl’heure actuelle être évalués que de façon collective. Unfacteur limitant supplémentaire provient du fait que lesprélèvements sont réalisés sur des cellules facilementaccessibles et pas nécessairement sur l’organe qui pré-sente le plus de risque.

Après ces exposés présentant les aspects théoriques,deux communications ont concerné des actions menéessur le terrain.

PROTOCOLES DE BIOSURVEILLANCE : EXEMPLES DE RÉALISATION

I. Sari-Minodier (Pôle méditerranéen dessciences environnementales, Marseille) a montré l’in-térêt des études de biogénotoxicologie en milieu pro-fessionnel. Les tests réalisés font partie d’uneévaluation globale des risques de cancer qui comprendune étude du poste et des mesures de prévention misesen œuvre ainsi que de la métrologie d’ambiance. Laréalisation d’une surveillance biogénotoxicologique im-pose des règles strictes de respect de l’éthique, le pro-tocole doit prendre en compte les caractéristiques(toxicocinétique) des agents génotoxiques évalués etles modalités de prélèvement et de transport deséchantillons. Un questionnaire doit être rempli afin debien préciser tous les facteurs de confusion (âge, sexe,tabac, nourriture…).

De nombreuses études ont montré la difficulté del’interprétation de ces tests, certaines indiquent mêmele caractère prépondérant des variations individuelles,liées au polymorphisme génétique, sur les expositionsenvironnementales. Il existe également une impossibi-lité de relier les effets génotoxiques observés à unrisque de survenue de cancers. Pour ces raisons, les ré-sultats ne peuvent être communiqués que de façon

97382 507-538 15/12/06 21:33 Page 523

Documents pour le Médecin

du Travail N° 108

4e trimestre 2006

524

au lanthane. Enfin le trichloroéthylène fait l’objet de sub-stitutions variables selon le type d’utilisation : fontainesbiologiques, produits lessiviels, solvants comme lescoupes pétrolières désaromatisées ou les cétones, al-cools… Tous ces exemples incitent à la prudence pourne pas substituer un produit toxique par un autre moinsétudié ou qui fera apparaître un risque nouveau.

Les deux dernières interventions concernaient le clas-sement du CIRC en insistant sur les nouveautés. Ces in-formations sont disponibles sur le site http://www.iarc.fr.Enfin les résultats de l’enquête SUMER 2003 sur lescancérogènes et mutagènes qui ont été publiés dans leDMT 104(6).

Grandes enquêtes en santé au travail

Responsables : T. Coutrot ; I. Magaud-Camus

Cette session explorait ce que les grandes enquêtessur la santé au travail apportent aux médecins du travail.

DES GRANDES ENQUÊTES VERS LES INDICATEURS DE SANTÉ

EN ENTREPRISE : LES GRANDES ENQUÊTES ET LES MÉDECINS DU TRAVAIL.

Dans leur rapport introductif, A.F. Molinié(Centre de recherches et d’études sur l’âge et les po-pulations au travail, Noisy le Grand) et T. Coutrot(Dares, ministère chargé du Travail, Paris) rappellentque jusque dans les années 70, alors que la questiondes conditions de travail est au cœur de l’actualité so-ciale, les données chiffrées sur le monde du travail pro-venaient soit du ministère chargé du Travail par le biaisdes enquêtes auprès des entreprises de plus de 10 sala-riés, essentiellement sur les aspects de la durée du tra-vail et parfois sur le nombre de travailleurs postés ousur chaîne, soit des statistiques des accidents du travailet des maladies professionnelles publiées par la Caissenationale de l’Assurance maladie des travailleurs sala-riés (CNAMTS). Se met alors en place, au sein du Co-mité national de la statistique, un dispositifd’observation des conditions de travail, présidé par unergonome. Les premières enquêtes nationales se met-tent en place en 1978 par interrogation directe d’unéchantillon de salariés, et en 1987 l’enquête SUMERsur les risques professionnels avec la participation decentaines de médecins voit sa première édition. La par-ticularité du système français est de construire les en-quêtes en lien avec les interrogations et pratiques desacteurs de terrain (médecins, ergonomes…) tout en

collective. Il est toutefois demandé au médecin du tra-vail d’effectuer la restitution individuelle aux salariésqui en feraient la demande.

Les études ont porté sur des radiologues industrielsdont le taux de micronoyaux était augmenté, et une re-cherche d’anomalies dans le test du micronoyau et descomètes chez des soudeurs du BTP a été faite. Enfinune étude complète a été réalisée chez des travailleursexposés aux hydrocarbures aromatiques polycycliques.Elle a comporté une étude de poste, une métrologie at-mosphérique, une biométrologie urinaire (métabolitesdu pyrène), des recherches d’adduits sur des cellulesendobuccales prélevées en fin de poste et un testd’Ames urinaire sur des souches spécifiques de Salmo-nelles permettant de ne pas prendre en compte l’effetdu tabac. Une augmentation des adduits en fin deposte est rapportée.

PRODUITS CANCÉROGÈNES, SUBSTITUTIONTOTALE OU PARTIELLE

J.P. Baud (APAS, médecine du travail du BTP duRhône) et F.X. Thomas (ingénieur conseil, CRAMRhône-Alpes) ont abordé la substitution qui est, au planréglementaire, la première mesure de prévention à ap-pliquer pour les produits et processus mutagènes ou can-cérogènes. Plusieurs exemples ont montré lespossibilités et les limites de ce processus. Pour les fibrescéramiques réfractaires (cancérogènes de catégorie 2,phrase de risque R49), les possibilités dépendront de la température d’utilisation. De 1100 à 1250 °C, leslaines d’isolation à haute température sont une alterna-tive ; elles ne sont classées actuellement qu’en catégorie3 et semblent faiblement bio persistantes. De 1430 °C à1600 °C, les fibres polycristallines peuvent être utilisées ;elles ne sont pas classées mais il existe peu d’essais toxi-cologiques les concernant. En ce qui concerne les déri-vés du chrome hexavalent et le minium au plomb, onconseille des phosphates de zinc ou d’aluminium.

L’hydrate d’hydrazine est employé pour la passivationdes circuits et peut être remplacé par de l’hydroxyde desodium si le circuit est à une pression inférieure à 40bars, par de la cyclohexylamine ou de la diéthylhexyla-mine entre 40 et 120 bars, mais aucun substituant n’estconnu pour des circuits dont la pression est supérieure à120 bars. La substitution de l’aldéhyde formique (em-ployé comme désinfectant) est possible par des ammo-niums quaternaires ou de l’acide peracétique.

Dans les panneaux de particules, la substitution estpeu avancée et les choix de panneaux peuvent être dic-tés par la quantité d’aldéhyde relargué (panneau declasse E1 = libération < 8 mg/100 g). Les électrodes desoudage TIG peuvent être contaminées par du thorium,elles pourront être remplacées par des électrodes dopées

(6) Guignon N.,Sandret N.- Les expo-

sitions aux produitscancérogènes, muta-

gènes et reprotoxiques-Doc Méd Trav ;

2005 ; 104 :471-83.

97382 507-538 15/12/06 21:33 Page 524

Documents pour le Médecin du Travail N° 1084e trimestre 2006

525

évitant de produire une vision réductrice des condi-tions de travail. Ainsi, pour avoir une meilleure com-préhension de la pénibilité au travail, une placeimportante est donnée à l’interrogation des salariés,soit directement soit par l’intermédiaire des médecinsdu travail.

Trois grands types d’enquêtes sont mises en place :■ les enquêtes nationales sur les conditions de travail

réalisées par l’intermédiaire des enquêteurs INSEE,■ les enquêtes SUMER centrées sur les risques pro-

fessionnels et réalisées par les médecins du travail,■ les enquêtes interprofessionnelles, conçues à l’ini-

tiative de médecins du travail, en collaboration avecdes chercheurs, sur des thématiques plus précises.

Dans ces enquêtes, les médecins du travail peuventavoir des rôles divers :

■ Médecins « utilisateurs ». À quoi peuvent servir lesrésultats dans la pratique des médecins du travail ? Lesrésultats permettent d’objectiver des risques émergentsou de revenir sur des idées reçues (comme la dispari-tion de la pénibilité du travail). Ils montrent l’intensifi-cation du travail, mettent en évidence des phénomènesde « sélection », repèrent des liens entre le fait d’être af-fecté, de rester ou non, dans telle ou telle situation detravail et les caractéristiques du travail et de la santé.Ces résultats permettent aussi de comprendre les effetsdifférés ou à long terme. Enfin, ils peuvent rendrecompte à la fois des évolutions et de la diversité desconditions de travail.

■ Médecins « enquêteurs ». Qu’apporte le fait departiciper à une grande enquête ? En pratique, fairepasser un questionnaire peut permettre d’approfondirla consultation, de fournir des outils d’évaluation, dedisposer d’un « réservoir » de questions pour des en-quêtes à plus petite échelle… Symboliquement, cela si-tue le médecin du travail dans un champ qui dépassel’entreprise en renforçant la visibilité sociale de ses mis-sions et en valorisant l’image de la médecine du travailauprès des salariés et de leurs représentants et parfoisauprès du médecin lui-même.

■ Médecins « concepteurs ». Il y a alors souvent unrôle formateur notamment par la confrontation et lescoopérations avec d’autres médecins, chercheurs oupraticiens, entre la pratique et la « littérature scienti-fique ».

ENQUÊTE SUMER 2002-2003 : QUE PEUT-ELLEAPPORTER AUX MÉDECINS DU TRAVAIL ?

De son expérience personnelle, B. Arnaudo (Ins-pection médicale régionale du travail, Rhône-Alpes)rapporte qu’être médecin enquêteur est un moyend’avoir une meilleure connaissance des expositions pro-fessionnelles, du travail en lui-même des salariés, des

moyens de protection utilisés, de l’état de santé des sala-riés et des besoins d’information. Cela permet aussi unemise en visibilité des missions réglementaires, de la placedu médecin du travail dans le dispositif de santé auprèsdu salarié enquêté, des collaborateurs et de la directiondu service de santé au travail, des autres médecins (gé-néralistes, spécialistes), des partenaires sociaux. Cela ap-porte un enrichissement des compétences, des études deposte plus approfondies et des recherches bibliogra-phiques. Le questionnaire lui-même peut servir decheck-list en dehors de l’enquête proprement dite avecla possibilité de s’approprier les questions.

En tant que médecin inspecteur régional du travail,faisant partie de l’équipe SUMER, B. Arnaudo rap-pelle que les résultats sont disponibles par le biais des« premières synthèses »(7) et par le biais de fiches clas-sées par secteur, nuisance et famille professionnelle dis-ponibles sur le site de la Dares(8).

Le questionnaire est une aide à l’identification desexpositions individuelles et des dangers dans l’entre-prise en donnant des trames pour la fiche de poste oula fiche d’entreprise. Ce peut être également une aideà la conception du plan d’activité, à la priorisation desrisques et des secteurs à prendre en compte pour réali-ser des actions de prévention. Enfin, les connaissancesproduites alimentent le débat social en portant sur laplace publique les conditions de travail. De ce fait SU-MER participe à la reconnaissance du rôle des servicesde santé au travail.

ENQUÊTE CONDITIONS DE TRAVAIL

S. Hamon-Cholet (Dares, ministère chargé duTravail) rappelle qu’il s’agit de l’enquête fondatrice.Elle existe depuis 1978 et est renouvelée tous les 7 ans (1984, 1991, 1998 et 2005). Initialement limi-tée aux salariés, elle couvre, depuis 1991, l’ensembledes actifs occupés qui sont interrogés par des en-quêteurs à leur domicile. Il s’agit d’une enquête éva-luant le travail réel tel qu’il est perçu par letravailleur, ce qui permet de voir apparaître desthèmes comme les problèmes de charge mentale, lesaccidents du travail, la politique de prévention ou laprise en charge collective des conditions de travail.Pour le médecin utilisateur, ces enquêtes sont moinsprécises sur les conditions de travail que SUMER,mais elles permettent des mesures de l’évolution dutravail, par exemple l’augmentation du port decharges lourdes ou des postures pénibles. Elle remeten cause également des idées reçues comme la diminution du travail à la chaîne (en 1998, il y enavait encore 36 %). Les résultats sont disponibles surle site du ministère chargé du Travail : www.tra-vail.gouv.fr.

(7) Lesquelles ont toutesété également publiéesdans les Documentspour le Médecin duTravail.(8) Cf. Les résultats de SUMER en fiches,Doc Méd Ttrav, 2006,107 ; 383

97382 507-538 15/12/06 21:33 Page 525

Documents pour le Médecin

du Travail N° 108

4e trimestre 2006

526

Elle a impliqué plus de 650 médecins du travail quiont recueilli 11 213 questionnaires exploitables. Dupoint de vue des médecins participants, la mise enplace de cette enquête leur a permis d’élargir leur ap-proche de la santé au travail en passant de la percep-tion individuelle et subjective à des connaissancesscientifiques par le biais des bibliographies et des mo-nographies nécessaires à l’élaboration du question-naire.

Cela leur a permis également une approche com-préhensive du travail et non plus seulement descrip-tive. L’analyse des résultats a été l’occasion deconfronter leur point de vue à d’autres disciplinescomme l’histoire, la sociologie, la psychologie… C’estégalement pour ces médecins un moyen de donner dusens à leur propre travail et de modifier leur regard cli-nique en l’enrichissant. Mais comment transmettretout cela aux autres médecins ? La question est à évo-quer dès l’élaboration de l’enquête.

Une table ronde a permis de préciser quelques-unsdes freins à la participation des médecins à ces« grandes enquêtes » : le problème du temps disponibleet donc de la priorisation des actions à mener ; les ob-jectifs qui ne sont pas toujours clairement définis, les re-tours qui ne sont pas toujours « utilisables », ladifficulté de passer d’une approche individuelle à uneapproche collective, c’est-à-dire le changement de lo-gique de l’aptitude à celle de l’évaluation des risques.Pourtant, si tous sont convaincus de la nécessité demettre la santé en chiffres pour que celle-ci puisse êtreprise en compte dans l’entreprise, comment éviter en-suite que ces chiffres ne dictent l’activité du médecin ?Et que faire de ce qui n’est pas chiffrable ?

Le point sur le développementde la pluridisciplinarité

Responsables : Y. Roquelaure, F. Jacquet

LA PLURIDISCIPLINARITÉ EN SANTÉ AU TRAVAIL.POUR QUELS OBJECTIFS ? POUR QUELS ENJEUX ?

Au cours de leur rapport introductif, Y. Roquelaure(CHU d’Angers) et F. Jacquet (Inspection médicalerégionale du travail, Rhône-Alpes) rappellent que lapluridisciplinarité au sein des services de santé au travail(SST) représente certes une obligation réglementairemais également une pratique professionnelle anciennedans le domaine médical (équipes soignantes dans leshôpitaux, travaux de rééducation…). Par ailleurs, les

ENQUÊTE VISAT : UN OUTIL DE CONNAISSANCE ET D’ACTION

J. C. Marquié (CNRS) et O. Couot (médecindu travail, Toulouse) précisent que l’enquête VISAT(vieillissement, santé, travail) a pour objectif d’antici-per les conséquences des changements liés au vieillis-sement des travailleurs en prenant en compte lesaspects psychologiques, la composante cognitive de lasanté ainsi que la santé post-professionnelle. Elleconcerne plus de 3000 salariés du sud de la Francenés en 1934, 1944, 1954 et 1964, qui ont été enquê-tés en 1996 par 94 médecins du travail ; les deux tiersde ces salariés ont pu être à nouveau interrogés en2001. Un troisième recueil a eu lieu en 2006. Cetteenquête permet donc un suivi sur 10 ans des relationsentre conditions de travail et santé ; par exemple : lafaçon de se sentir capable d’occuper son poste jusqu’àla retraite, les effets à long terme du travail en horairesdécalés, un travail riche et stimulant peut-il atténuerles effets du vieillissement… Pour le médecin du tra-vail enquêteur, participer à l’enquête est un moyend’avoir un meilleur contact avec le salarié, unemeilleure vision de la continuité du parcours profes-sionnel et donc un outil pour gérer la fin de vie pro-fessionnelle. Cette enquête permet aussi laproduction d’outils élaborés par les médecins du tra-vail pour des médecins du travail tels qu’un diapo-rama expliquant les relations entre physiologie etdémographie, des plaquettes à destination des em-ployeurs, des modules de formations pour les em-ployeurs des très petites entreprises… Participer àl’enquête, c’est aussi un outil de collaboration pluri-disciplinaire et de transformation des représentationset des pratiques des médecins et des chercheurs. Lesrésultats sont disponibles sur le site www.asso-visat.com.

ENQUÊTE SVP 50 : UNE ENQUÊTE SUR LES ENJEUX

DE SANTÉ AU TRAVAIL DES SALARIÉS DE PLUS DE 50 ANS

Cette enquête présentée par J.L. Pommier(Groupe épidémiologie du CISME) s’intéresse à lasanté et la vie professionnelle après 50 ans. Conçue etréalisée par des médecins du travail et des chercheursdu CREAPT (Centre de recherches et d’études surl’âge et les populations au travail), elle a pour objectifd’étudier les enjeux de santé et de travail des salariésde 50 ans et plus de tous les secteurs d’activité ainsique leur souhait de maintien ou de retrait du travail enexplorant les conditions de travail passées ou actuelles,leur représentation de la retraite, leur état de santé.

97382 507-538 15/12/06 21:33 Page 526

Documents pour le Médecin du Travail N° 1084e trimestre 2006

527

médecins du travail se sont également formés par l’in-termédiaire de la formation continue à d’autres disci-plines telles que l’ergonomie, la psychodynamique…Ainsi, les évolutions réglementaires suscitent aujour-d’hui davantage d’interrogations en termes d’organisa-tion des SST ou de financement de la pluridisciplinaritéqu’en terme de pratique professionnelle nouvelle.

Cependant, l’exercice actuel de la pluridisciplinarités’inscrit dans un cadre législatif et réglementaire nou-veau ainsi que dans un contexte économique et socialen pleine mutation. La création des « services de santéau travail », des « intervenants en prévention des risquesprofessionnels (IPRP) » et le « Plan santé au travail2005-2009 » sont autant d’éléments issus des diffé-rentes dispositions prises par l’État en vue de structurerdifféremment le paysage français de la prévention desrisques professionnels. Ces évolutions visent à favoriserle développement d’une « culture projet » en santé autravail dans laquelle la pluridisciplinarité apparaîtcomme un moyen d’action essentiel. Ce type de dé-marche s’appuie sur la construction de politiques desanté au travail basées sur des éléments de diagnosticgrâce aux données de plus en plus nombreuses qui per-mettent de dégager des axes d’actions prioritaires.

Il est rappelé certains points fondamentaux. Toutd’abord, que la surveillance de la santé des travailleursreste le principal objectif des médecins du travail et quela prévention fait appel à différents savoirs. Les inter-venants soulignent combien les problèmes liés auxrisques sont complexes et la nécessité, pour les appré-hender, de faire appel à plusieurs disciplines. Ceci im-plique la mobilisation de compétences multiples, del’évaluation des risques à la recherche d’actions de pré-vention.

Il s’agit donc aujourd’hui, pour les médecins du tra-vail, d’inscrire leurs pratiques au sein de projets dont ilsne sont pas les seuls acteurs mais dans lesquels ils vontapporter un éclairage singulier. Face à l’évolution dé-mographique des médecins du travail, aussi déficitairequ’incontournable, il s’agit aujourd’hui d’aller au-delàdes contraintes organisationnelles de la mise en œuvredes textes réglementaires pour investir le champ de lasanté au travail autrement, en développant de nou-velles pratiques collectives.

MISE EN PLACE DE LA PLURIDISCIPLINARITÉ EN SANTÉ AU TRAVAIL. ÉTAT DES LIEUX

DANS LES ENTREPRISES

L. Boitel (médecin conseil, CISME) souligne lerôle joué depuis les années 90 par le Centre interser-vices de santé et de médecine du travail en entreprise(CISME) dans la réalisation d’enquêtes sur la pluridis-ciplinarité. Elle présente les résultats de deux enquêtes

réalisées en 2003 et 2004 qui mettent en exerguequelques phénomènes caractéristiques liés à la mise enœuvre de la réforme :

■ recrutement d’autres compétences pour faire facenotamment à la pénurie de médecins du travail ;

■ certaines disciplines ont été privilégiées : ergono-mie, métrologie d’ambiances physiques, toxicologie,hygiène industrielle…

■ 30 % des services déclarent avoir mis en place lapluridisciplinarité.

Désormais, les réflexions semblent s’orienter davan-tage sur la problématique du travail collectif à partir decompétences et de savoirs différents ainsi que sur lescaractéristiques socioprofessionnelles des personnelsdes SST.

En conclusion, L. Boitel souligne que les IPRP esti-ment que les médecins du travail n’ont pas encore in-tégré la pluridisciplinarité et qu’il serait intéressant dedemander aux médecins du travail s’ils estiment que lesIPRP l’ont intégrée.

HABILITATION DES INTERVENANTS EN PRÉVENTION DES RISQUES PROFESSIONNELS

B. Millet (ingénieur conseil, CRAM Rhône-Alpes) présente les procédures d’habilitation des inter-venants en prévention des risques professionnels(IPRP). Les Services prévention des Caisses régionalesd’assurance maladie (CRAM), l’Organisme profession-nel de prévention du bâtiment et des travaux publics(OPPBTP) et les agences régionales pour l’améliora-tion des conditions de travail (ARACT) sont habilitésde droit. Les IPRP peuvent être des personnes moralesou physiques employées ou non par une entreprise ouun service de santé au travail.

Les habilitations, délivrées par un collège interrégio-nal constitué à parts égales de représentants desCRAM, de l’OPPBTP et des ARACT, sont valables surtout le territoire national, pour une durée de 5 ans pourles personnes morales et sans limite de durée pour lespersonnes physiques. Elles sont délivrées sur validationde compétences professionnelles ainsi que sur des ga-ranties d’indépendance. Les critères sont disponiblesauprès des CRAM, des ARACT ou de l’OPPBTP.

Le collège interrégional Sud-Est (Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Languedoc-Roussillon,Auvergne) a réalisé un bilan des habilitations au 1er dé-cembre 2005 (tableau III). Concernant le taux d’habi-litation, l’étude révèle que sur 270 dossiers decandidature examinés, 251 ont été accordés et 19 ontété refusés (tableau IV). Globalement, le taux d’habili-tation est de 93 %. Le tableau V indique le type d’em-

97382 507-538 15/12/06 21:33 Page 527

Documents pour le Médecin

du Travail N° 108

4e trimestre 2006

528

donc pas de vouloir décrire de façon pluridisciplinaireles risques ou les situations, mais bien de comprendredes situations, des problématiques à la lumière depoints de vue et d’apports de connaissance différents.

La pluridisciplinarité traverse à la fois les logiques degestion et de structuration de la prévention (conduitede projet) et les situations d’alerte (analyse multicau-sale des situations à risque).

L’approche pluridisciplinaire de la prévention n’enest encore qu’à ses premiers pas. En effet, il n’y a qu’àanalyser les programmes de formation initiale des dé-partements hygiène et sécurité au travail (HSE) ou lescatalogues de formation continue pour constater quel’approche technique et réglementaire des risques pro-fessionnels reste encore très largement répandue.

A. Garrigou propose une approche de la préventiondes risques professionnels selon deux pôles : « la ges-tion ou la structuration de la prévention », s’appuyantsur les principes des démarches projet, et « les fonc-tions d’alerte », visant à mettre en lumière des situa-tions dangereuses pouvant exposer les salariés à desrisques d’accidents ou de maladie professionnelle.

La logique de « gestion / structuration » renvoie versla notion de système de management de la santé et dela sécurité au travail. Elle se situe au niveau de l’entre-prise et de son représentant et concerne l’organisationdéveloppée pour appréhender les questions de santéau travail, les structures et les moyens mis en œuvrepour garantir l’atteinte d’objectifs clairs et affirmés. Elleintègre l’évaluation des risques et les actions de pré-vention à mettre en œuvre.

La logique « d’alerte » vise à identifier les situationsde travail pouvant occasionner des risques pour lasanté des travailleurs. Chaque salarié est acteur etcontribue pleinement à l’identification des situationspouvant occasionner un risque pour la santé.

L’activité des « préventeurs d’entreprise » tend à s’ins-crire prioritairement dans le cadre de la logique d’alertealors qu’ils sont généralement positionnés comme lesmaîtres d’œuvre de l’organisation du système de préven-tion. Leur crédibilité dépend davantage de leurs capaci-

ployeurs lors de la demande d’habilitation et le tableauVI le métier exercé par celui qui demande l’habilita-tion.

D’UNE APPROCHE PLURIDISCIPLINAIRE À UNE INTERVENTION PLURIDISCIPLINAIRE

EN SANTÉ AU TRAVAIL

A. Garrigou (Département Hygiène et sécuritéau travail, IUT, Université de Bordeaux I) présente lepoint de vue d’un ergonome sur la question de la pluri-disciplinarité en santé au travail. Pour lui, il existe aumoins un point commun et partagé entre les différentsacteurs de la santé au travail : chacun contribue à pré-server la santé au travail des salariés. Mais chacun dé-veloppe une approche spécifique et singulière selonson rôle, ses compétences, son champ disciplinaire.L’enjeu de la pluridisciplinarité est de chercher à pro-duire du sens, à comprendre les situations à partir de larichesse des différents apports disciplinaires. Il ne s’agit

Répartition régionale des habilitations dans l’interrégion Sud-est

Région Personnes physiques Organismes TOTALAuvergne 31 0 31Languedoc-Roussillon 23 7 30Rhône-Alpes 88 17 105Provence-Alpes-Côte d’Azur 80 5 85TOTAL 222 29 251

TABLEAU III

Bilan des habilitations par domaine de compétence, dans l’interrégion Sud-est

Nombre de candidatures Accords Refus % des habilitationsMédical 21 1 20 4,8 %

Technique 226 215 11 95,1 %

Organisationnel 214 192 22 89,7 %

TABLEAU IV

Répartition des habilitations selon le type d’employeurs au moment de la demande

Entreprises 37 %

Services de santé au travail 26 %

Cabinets de consultants 18 %

Professions libérales 9 %

Autres 10 %

TABLEAU V

Répartition des habilitations en fonction du métier exercé

Responsable de sécurité 25 %

Techniciens en hygiène & sécurité 16 %

Ergonomes 16 %

Consultants en évaluation des risques professionnels

10 %

Métrologues 10 %

Médecins du travail 5 %

Autres 17 %

TABLEAU VI

97382 507-538 15/12/06 21:33 Page 528

Documents pour le Médecin du Travail N° 1084e trimestre 2006

529

tés d’action que de la pertinence de leurs analyses.L’activité des médecins du travail s’inscrit dans les

deux logiques. Ils sont les conseillers du chef d’entreprisedans le cadre de sa politique santé sécurité au travail.Mais ils contribuent également à détecter des situationsd’alerte que ce soit dans le cadre des visites médicales oulors de leurs analyses en milieu de travail. C’est en celaqu’ils peuvent jouer le rôle de « passeur de monde ».

Le rôle des IPRP peut être multiple selon la struc-ture qui les emploie. Au sein d’un service de santé autravail, leur positionnement va dépendre de celui définipar le service dans les relations avec les autres acteurs,principalement avec les médecins du travail.

Le rôle des infirmières est lui aussi dépendant desdemandes de leur hiérarchie et de celles des médecinsdu travail.

L’ergonome est quant à lui davantage positionné dansla logique de gestion / structuration. Néanmoins, son po-sitionnement bascule du côté de l’alerte lorsqu’il inter-vient en entreprise au titre d’expert auprès du CHSCTqui est quant à lui toujours positionné du côté de l’alerte.

Enfin, le salarié contribue également quotidienne-ment à alerter les différents acteurs sur les risques pro-fessionnels sachant néanmoins que ce rôle n’est pastoujours « accepté » par les collectifs de travail fragilisés.

Les acteurs de la prévention ont tous été formésdans des champs disciplinaires distincts. Ce sont cessavoirs, ces pratiques, ces protocoles professionnelsspécifiques qui se rencontrent dans le cadre de la pré-vention des risques professionnels. La pluridisciplina-rité n’a pas vocation à gommer ces spécificités, cessingularités mais à créer des lieux d’échange, de débatoù chacun puisse exprimer sa perception des problé-matiques depuis son champ disciplinaire. Néanmoins,les jeux d’acteurs, les rapports de pouvoir entre acteursreprésentent les principaux freins à la mise en œuvre dedémarches pluridisciplinaires.

C’est la reconnaissance du besoin d’autres apportsdisciplinaires pour éclairer des problématiques qui vafavoriser la mise en œuvre de démarches pluridiscipli-naires dynamiques. Il s’agit bien là, pour chaque acteurde la prévention, d’acquérir de nouveaux savoirs pourtravailler ensemble au delà des rapports institutionnelsqui peuvent exister entre eux. Il appartient à chaqueacteur de développer les conditions de collaboration lesplus favorables pour permettre la construction de dé-marches pluridisciplinaires dynamiques.

COMMUNICATIONS ORALES

Les communications orales ont eu pour objectif deprésenter d’une part des retours d’expériences concer-nant la pratique de la pluridisciplinarité par des servicesde santé au travail et, d’autre part, des actions de pré-

vention menées au sein d’entreprises à travers une ap-proche pluridisciplinaire.

Le service de santé au travail des Deux Sèvres(SIST 79), présenté par F. Mesnard, est un service dé-partemental qui regroupe 40 médecins et auquel adhè-rent 7125 entreprises. Ce service a intégré lapluridisciplinarité dès janvier 2004 avec la mise enplace de trois pôles au sein du service : risque chi-mique, risque physique et maintien dans l’emploi destravailleurs handicapés. Ces pôles sont animés par desIPRP dont deux sont habilités. Les interventions desIPRP sont gratuites. Ils sont sollicités, pour leur inter-vention, par le médecin du travail et ils définissent encommun les modalités d’action au sein de l’entreprise.

Les statistiques des interventions des IPRP du pôlerisque chimique font état pour l’année 2005 de30 aides à l’évaluation des risques, 50 demandesd’études ponctuelles liées à un produit chimique,quatre travaux de métrologie et deux études de poste.

La pratique a montré que le principe d’une dé-marche participative entre médecins du travail et IPRPest un atout positif. La surcharge de travail des IPRPest néanmoins élevée compte tenu de l’augmentationdu nombre d’interventions.

� J. Messina a présenté l’association BTP SantéPrévention Centre Est. Créée en 2005, elle regroupe 13services de santé au travail, 55 médecins du travail, cor-respondant à 14 000 entreprises et 100 000 salariés (soit90 % des entreprises du BTP de moins de 10 salariés).

L’association est habilitée en tant que personne mo-rale comme IPRP. La cible privilégiée de l’associationreste les très petites entreprises (moins de 10 salariés)afin de les sensibiliser à la prévention : aide à l’évalua-tion des risques et mise en œuvre du document uniquepour les entreprises de maçonnerie et assistance dansl’évaluation du risque chimique et CMR pour les en-treprises de peinture ou plomberie.

J. Messina a souligné que cette assistance aux trèspetites entreprises a conduit en 2006 à l’élaborationd’un outil support d’aide à la rédaction du documentunique qui a facilité la démarche à 400 entreprises dansla région Rhône-Alpes et à la mise en place d’unebanque de données d’informations sur les produits chi-miques, les produits de substitution existants et les me-sures de prévention appropriées.

� M. Dayre et D. Leblanc ont présenté unedémarche menée dans la région Nord Pas-de-Calais Picardie en partenariat avec la branche profession-nelle des métiers de bouche qui regroupe les cafés, ta-bacs, hôtels restaurants, bars, discothèques (CHRD).Cette branche représente plus de 600000 salariés, répartis pour 95 % dans des établissements de moinsde 10 salariés.

97382 507-538 15/12/06 21:33 Page 529

Documents pour le Médecin

du Travail N° 108

4e trimestre 2006

530

d’isolement, l’arrivée des fûts vides est désormais assu-rée par un cariste.

S. Coelho et H. Bressot Perrin ont souligné le bilanpositif de cette collaboration entre le médecin du tra-vail, l’ergonome et les différents acteurs de l’entreprisequi ont entraîné des transformations organisationnelleset physiques du poste d’enfûtage et ont permis d’amé-liorer les conditions de travail.

Champs électromagnétiques et santé

Responsables : R. de Sèze, I. Marin-Laflèche

Face aux incertitudes scientifiques de possibles ef-fets des champs électriques et magnétiques (CEM)sur la santé, des recommandations sont nécessairespour mieux définir et appliquer des mesures de pré-caution. La session a permis de faire le point sur cesquestions.

MÉCANISMES D’INTERACTION DES CHAMPSÉLECTROMAGNÉTIQUES AVEC LES SYSTÈMES

BIOLOGIQUES ET LES EFFETS SUR LA MATIÈREVIVANTE

Les champs électromagnétiques sont devenus om-niprésents dans l’environnement. R. de Sèze (Ineris,Verneuil-en-Halatte) fait le point sur les mécanismesconnus et hypothétiques d’interaction entre les champsélectromagnétiques et les systèmes biologiques afin demieux appréhender le danger éventuel qu’ils représen-tent. Ces mécanismes sont différents en fonction de lagamme de fréquence considérée : champs statiques,champs d’extrêmement basse fréquence (ELF) etchamps radioélectromagnétiques ou radiofréquences(RF).

Les champs électriques statiques et magnétiquesstatiques ont des mécanismes d’interaction différents.

L’organisme vivant est composé de tissus faible-ment conducteurs à l’intérieur d’une enveloppe relati-vement isolante : la peau. De ce fait, un champélectrique appliqué sur un milieu biologique pénètremal dans l’organisme mais exerce des forces sur lesparticules chargées que sont principalement les ions.Les champs électriques statiques induisent, au niveau dela peau, l’apparition de charges électriques percep-tibles (hérissement des poils et des cheveux). L’effetdu champ électrique sur les charges libres dans lesfluides tissulaires se traduit par la formation de cou-rants, caractérisés par la grandeur « densité de cou-rant » exprimée en ampères par mètre carré (A/m2).

Une équipe pluridisciplinaire a été créée, regrou-pant trois médecins du travail, un toxicologue, un in-génieur de prévention CRAM, six secrétaires-assistantes en santé au travail et l’Institut de santé autravail du Nord de la France. Son but était de pro-mouvoir la santé dans les établissements relevant desmétiers de bouche. Le projet s’est appuyé sur différentsoutils et démarches :

Un outil d’autoévaluation des risques professionnelsa été élaboré et distribué dans plus de 300 établisse-ments. Il répertorie par unité de travail (par exemple uncomptoir de vente extérieur), les dangers qui peuventexister pour le salarié. Il contient également un guided’évaluation du risque chimique listant un certainnombre de produits chimiques avec l’étiquetage cor-respondant et les consignes de sécurité à respecter, unguide de sécurité qui répertorie les différents contrôlespériodiques à effectuer, le type d’équipements de pro-tection individuelle à prévoir, et rappelle la conduite àtenir en cas d’accident.

Un programme pluriannuel régional de santé a étémis en place à l’intention des jeunes de la profession(dont les apprentis). Il s’appuie sur l’évaluation sani-taire de 200 jeunes salariés sur des thèmes de santé autravail et d’hygiène de vie.

Des modules de formation à la sécurité spécifiquesont également été proposés.

Cette démarche a permis de mobiliser un large ré-seau régional d’acteurs de santé au travail tout en im-pliquant une branche professionnelle.

� H. Bressot Perrin et S. Coelho ont présentéune étude ergonomique dont le but était l’améliorationde la qualité et de la rentabilité, menée au sein d’uneentreprise pharmaceutique.

Le médecin du travail, confronté à des problèmes delombalgies et d’augmentation de l’absentéisme à unposte d’enfûtage de metformine (utilisé pour traitercertains diabètes) a sollicité l’intervention d’un ergo-nome pour proposer des solutions conciliant les impé-ratifs de production et de santé.

Deux groupes de travail, l’un composé d’opérateurset l’autre composé du CHSCT, du médecin du travail,du service sécurité, du service qualité et d’opérateurs,ont été créés. L’ergonome était médiateur au sein dechacun des groupes. Les entretiens avec les acteurs etl’observation des situations de travail ont montré que leposte d’enfûtage était pénible du fait du poids des fûts,de l’encombrement de la salle qui augmentait la chargecognitive, de la haute température de la salle (les fûtschauds étaient stockés dans la pièce) et du sentimentd’isolement du salarié.

Les pistes de solution ont consisté à mettre en placeune sortie en continu des fûts, l’utilisation d’un chariotà rouleaux pouvant transporter trois fûts, la mise enplace d’une porte à guillotine. Pour pallier au sentiment

97382 507-538 15/12/06 21:33 Page 530

Documents pour le Médecin du Travail N° 1084e trimestre 2006

531

Les champs magnétiques statiques n’interagissentqu’avec les charges électriques en mouvement et lesmatériaux ferromagnétiques, paramagnétiques ou dia-magnétiques. Trois mécanismes ont été décrits :

■ Effets magnéto-mécaniques. L’exemple le plusconnu est l’hémoglobine. Dans un champ magnétiquehomogène, l’hémoglobine va dans le sens du champmagnétique suivant qu’elle est oxygénée ou désoxygé-née. Cependant aucune influence significative n’a puêtre notée, car il faut des champs de l’ordre de 7 à 8Teslas, ce qui ne se rencontre pas dans l’environnementhabituel, y compris industriel ou professionnel.

■ Interactions électroniques. Un champ magnétiquepeut produire des interactions électroniques et ainsimodifier la vitesse de réaction chimique de certainesmolécules ou enzymes. L’effet est modéré et il n’a ja-mais été observé de dysfonctionnement cellulaire oueffet pathologique.

■ Déviation des charges en mouvement. Une chargeélectrique en mouvement, telle un ion, est déviée cir-culairement dans un champ magnétique. Au niveau dela crosse aortique, une différence de potentiel est ainsicréée dans le sang lorsque le champ magnétique est su-périeur à 1 Tesla. Ceci explique une augmentation del’onde T de repolarisation de l’électrocardiogramme àlaquelle ce potentiel se superpose.

Les champs électriques d’extrêmement basse fréquence(ELF) interagissent avec la matière en créant des cou-rants induits. Le mécanisme est le même que pour leschamps statiques. À 50 Hz, le champ interne est en-core très inférieur au champ externe (de l’ordre de 108).Un deuxième mécanisme a été décrit : l’amplificationtrans-membranaire dans lequel le champ de part etd’autre de la membrane peut être amplifié. Il n’a jamaisété observé d’effet biologique lié à ce mécanisme.

Un champ magnétique ELF variable induit un champélectrique à l’intérieur de l’organisme. Ces champs in-duits pénètrent plus profondément et sont plus homo-gènes que ceux que l’on peut engendrer directementavec un champ électrique externe. Le champ élec-trique induit génère à son tour des courants dans lestissus conducteurs de l’organisme. Ce phénomène s’ex-prime de façon concrète dans les nouveaux appareilsd’imagerie par résonance magnétique à 4 Teslas où desvariations intenses et rapides de champs électriquespeuvent provoquer chez le sujet des contractions mus-culaires involontaires (par la stimulation des potentielsd’action neuromusculaires). Ce mécanisme est égale-ment utilisé en médecine dans la magnétoneurostimu-lation : cette technique consiste à appliquer un champmagnétique très rapidement variable sur le crâne ou lacolonne cervicale. Dans les tissus, le courant induit per-met de dépolariser des nerfs et de déclencher un po-tentiel d’action, utilisé en diagnostic pour mesurer laconduction nerveuse (dans le diagnostic de sclérose la-térale amyotrophique, par exemple) et en thérapie

pour stimuler la contraction musculaire (en cas d’hé-miplégie).

Donc, il apparaît que le seul paramètre pouvantconduire à des effets sanitaires connus sont les cou-rants produits dans l’organisme. Ils s’expriment en den-sité de courant en A/m2.

D’autres effets biologiques ont été décrits mais nondémontrés tels que modification de l’électroencéphalo-gramme chez l’homme, magnétophosphènes (percep-tions visuelles colorées) ou modification de la synthèsede la mélatonine.

Plusieurs études épidémiologiques montrent une as-sociation entre une incidence augmentée de leucémieschez l’enfant et une exposition aux champs ELF. Du faitde l’absence de mécanisme connu permettant d’expli-quer ce phénomène, le centre international de recherchesur le cancer (CIRC) a classé les champs ELF dans legroupe 2B comme « possiblement cancérigène ».

En conclusion, pour l’épidémiologie le risque relatifest faible. Il s’agit d’une association plutôt qu’une rela-tion de cause à effet.

Dans le domaine des radiofréquences, on distingue leseffets thermiques, dus à des champs de forte intensité,et les effets athermiques, habituellement dus à deschamps de faible intensité. Au niveau macroscopique,les paramètres qui définissent les propriétés de la ma-tière vis-à-vis d’un rayonnement électromagnétique(propriétés diélectriques) sont la permitivité élec-trique(9) et la perméabilité magnétique. Un grandnombre de facteurs conditionne l’interaction (réflexion,absorption, réfraction, diffraction, diffusion) des RFavec les organismes biologiques et leur profondeur depénétration. Lorsque l’intensité du champ est élevée,l’énergie absorbée est à l’origine d’un échauffement.Cet échauffement est limité in vivo par des phénomènesde thermorégulation. La grandeur fondamentale asso-ciée à l’échauffement des tissus est le débit d’absorptionspécifique, ou DAS (en anglais SAR «Specific Absorp-tion Rate») dont l’unité est le Watt/kg.

Quelques accidents ont été provoqués par la miseen route inopinée d’un système d’émission en cours demaintenance ou de réparation de radars ou par la défi-cience d’un système de sécurité.

Si l’homme est accidentellement exposé à de fortesdensités de puissance, il peut subir des brûlures super-ficielles ou profondes.

PANORAMA DES SOURCES DE RAYONNEMENTS

ÉLECTROMAGNÉTIQUES

Afin de permettre aux employeurs de faire une éva-luation des risques, la connaissance des différentes ap-plications professionnelles est nécessaire. J. Herrault

(9) En électromagné-tique, la permitivité εd’un matériau est le rapport D/E du dépla-cement électrique D etl’intensité du champélectrique E. La permittivité est exprimée en farads parmètre (F/m).

97382 507-538 15/12/06 21:33 Page 531

Documents pour le Médecin

du Travail N° 108

4e trimestre 2006

532

Les limites ICNIRP, appelées restrictions de base,sont basées sur les effets avérés :

■ pour les basses fréquences (0 Hz à 100 kHz), lagrandeur pertinente est la densité du courant induitdans l’organisme. Le seuil physiologique de stimulationdu système nerveux est de 100 mA/m2. Les limitationssont déterminées en fonction de la fréquence ;

■ pour les hautes fréquences (100 kHz à 10 GHz),la grandeur pertinente est l’énergie électromagnétiquedéposée dans les tissus par pertes diélectriques, contri-buant à l’échauffement des tissus. Il s’agit du débitd’absorption spécifique (DAS) qui traduit la compéti-tion entre l’échauffement diélectrique dû à l’énergie in-cidente par unité de temps sur une quantité de matièrebiologique et les capacités de thermorégulation de l’or-ganisme. Il est admis, classiquement, que cet échauffe-ment ne doit pas dépasser 1°C ;

■ entre 0,3 et 10 GHz et pour les expositions auxchamps pulsés localisées à la tête, l’absorption spéci-fique est limitée à 10 mJ/kg moyennés sur 10 g de tis-sus (soit 0,1 mJ/10 g) pour les travailleurs. Cettelimitation est introduite afin de limiter ou de prévenirles effets auditifs dus à l’expansion thermoélastique.

■ entre 10 GHz et 300 GHz. La densité de puis-sance de l’onde incidente est limitée à 50 W/m2. Cettelimitation est destinée à prévenir un échauffement ex-cessif des tissus à la surface du corps.

Les grandeurs précédentes (sauf la densité de puis-sance de l’onde incidente) sont inaccessibles à la me-sure. Des grandeurs mesurables, extérieurementappelées niveaux de référence dérivés, ont été intro-duites. Elles permettent dans de nombreux cas pra-tiques d’apprécier l’exposition par des mesures et de lacomparer aux niveaux de référence. Elles concernent lechamp électrique E (unité volt/mètre – V/m) et lechamp magnétique H (unité ampère/mètre – A/m) ex-terne ou induction magnétique B (unité tesla – T). Dèslors, si tous les niveaux de référence dérivés sont res-pectés dans une gamme de fréquence donnée, cela im-plique que les restrictions de base le sont.

La directive européenne 2004/40/CE énonce lesprescriptions minimales de sécurité en ce qui concernel’exposition des travailleurs aux champs électromagné-tiques. Publiée le 29 avril 2004, elle doit être transpo-sée en droit national par tous les pays membres au plustard le 30 avril 2008. Elle reprend les recommandationsde limitation de l’ICNIRP en les associant aux prin-cipes de gestion et de prévention des risques en milieude travail énoncés dans la Directive cadre 89/391/CEEdite directive « prévention », en introduisant :

■ les niveaux de référence de l’ICNIRP deviennentdes valeurs d’action au sens employé couramment pourd’autres nuisances physiques. L’employeur doit prenddes mesures de réduction de la nuisance dès lors queles valeurs d’action sont dépassées. Les restrictions de

(INRS, Vandœuvre) précise qu’en fonction de lagamme de fréquences mise en œuvre par les machinesou équipements, il peut être individualisé cinq familles.Une sixième famille regroupe toutes les télécommuni-cations quelle que soit leur fréquence (tableau VII).

■ Tous les équipements fonctionnant avec un cou-rant électrique continu font partie de la famille deschamps statiques.

■ La distribution de l’électricité, le soudage élec-trique sont des exemples de champs ELF.

■ Les champs de moyennes fréquences se retrou-vent dans l’industrie sidérurgique, électronique, chi-mique ou agroalimentaire et également dans lesdétecteurs de métaux (dans les aéroports).

■ Les champs de hautes fréquences concernent le tra-vail du bois ou l’industrie textile papetière et plastique.

■ Les hyperfréquences peuvent se rencontrer dansbeaucoup de secteurs (décongélation d’aliments, vulca-nisation du caoutchouc, préparations de teinture, vitri-ficaton de déchets radio-actifs…).

EXPOSITION AUX CHAMPS ÉLECTROMAGNÉ-TIQUES, DE LA CONNAISSANCE SCIENTIFIQUE

À LA RÉGLEMENTATION

J.P. Servent (INRS, Paris) présente l’ICNIRP (In-ternational committee on non-ionizing radiation pro-tection), organisation scientifique qui examinerégulièrement les résultats des recherches et émet desrecommandations et des avis relatifs à la limitation del’exposition aux rayonnements non ionisants, et en particulier aux champs électromagnétiques (0 Hz –300 GHz).

Le bio-électromagnétisme a pour vocation de mettreen évidence les phénomènes biologiques ou/et sani-taires attribuables aux interactions des charges élec-triques exogènes avec les charges électriquesendogènes. Les recommandations destinées au publicincluent une marge de sécurité supplémentaire par rap-port aux recommandations destinées aux travailleursafin de tenir compte des spécificités de la notion de pu-blic (enfants, personnes déjà affectées par la maladie,vieillards, contrainte plus subie que maîtrisée…).

Familles des principales applications des champs électromagnétiques

Famille Gamme de fréquences (Hz)

1 Statique 0

2 ELF (extremely low frequency) 50 - 60

3 Moyennes fréquences (induction) 50 à plusieurs Méga

4 Hautes fréquences quelques Méga

5 Hyperfréquences (micro-ondes) 2,45 Giga

6 Télécommunications très variable

TABLEAU VII

97382 507-538 15/12/06 21:33 Page 532

Documents pour le Médecin du Travail N° 1084e trimestre 2006

533

base de l’ICNIRP deviennent des valeurs limites abso-lues qu’il ne faut en aucun cas dépasser ;

■ la responsabilité de l’employeur et le suivi médicaldes travailleurs exposés.

En conclusion, dans de nombreux cas, le respect desniveaux de références pourra être obtenu par des me-sures de prévention simples.

CONNAISSANCES ACTUELLES SUR LES RELATIONS ENTRE

LA TÉLÉPHONIE MOBILE ET LA SANTÉ

Dans le premier temps de son exposé, M. Hours(Unité mixte de recherche épidémiologique et desurveillance transport travail environnement IN-RETS- Université Lyon I- InVS) analyse les résultatsdes études épidémiologiques portant sur l’usage du té-léphone mobile en fonction de chaque type de patho-logies étudiées. Dans un second temps, des études enrelation avec l’exposition aux stations de base sont dé-crites, ainsi qu’un aperçu des résultats des études ex-périmentales.

Le seul risque avéré aujourd’hui est le risque acci-dentel lorsque l’on téléphone en conduisant, que cesoit avec ou sans utilisation d’un kit main libre. Les pre-mières études épidémiologiques évoquaient un risquepouvant aller jusqu’à quatre fois le risque habituel d’ac-cidents de la circulation. Les dernières études évoque-raient plutôt un risque de 1,5 : le téléphone au volantse surajoute en fait aux autres facteurs de risque. Cesont les hommes jeunes qui cumulent le plus de fac-teurs de risque accidentels (vitesse, alcool et conduiteen téléphonant).

Les études de cohorte réalisées à ce jour ne permet-tent pas de conclure sur la relation entre usage du télé-phone mobile et cancers : manque de recul dans letemps ; manque de puissance statistique (tumeursrares du cerveau et système hémato – immunitaire).

Concernant le neurinome du nerf acoustique, lespremières études manquaient de puissance (nombrede cas) et de recul pour pouvoir analyser l’effet de la-tence. Les premières études réalisées dans le cadred’Interphone permettent de compenser en partie cesdeux écueils. Les éléments de causalités analysés aucours de ces études sont la durée et la dose d’exposi-tion, la latéralité, la taille du neurinome.

Les conclusions semblent mettre en évidence l’ab-sence de risque de neurinomes associé à l’usage du té-léphone mobile pour une durée de moins de 10 ans. Audelà d’une latence de 10 ans et/ou d’une durée d’usagede 10 ans et plus, un excès de risque est possible no-tamment avec l’usage des téléphones analogiques (maisencore insuffisance de recul avec la technologie GSM).

Concernant les méningiomes, aucun excès derisque n’a été mis en évidence par les différentes étudespubliées à ce jour, excepté dans une publication deHardell (2002). Il semble peu vraisemblable quel’usage du téléphone mobile puisse être responsable deméningiome lorsque l’exposition date de moins de15 ans.

Deux études publiées à ce jour n’ont pas montréd’excès de risque de tumeurs des glandes salivaires. Ilest vraisemblable qu’il n’existe aucun risque supérieur à2 associé à un usage de moins de dix ans. Là encore, ilest nécessaire de disposer de données supplémentairespour des expositions plus longues ou plus anciennes oupour déterminer des risques plus faibles.

Il n’existe pas à ce jour de donnée concernant lesmaladies non tumorales. Les études de cohorte réaliséesn’ont pas montré l’existence d’un risque particulier demaladies neurodégénératives, mais compte tenu des li-mites énoncées ci-dessus, il n’est pas possible à ce jourd’éliminer un tel risque.

Dans certaines conditions, il est possible de faire del’expérimentation humaine, à condition de ne pas en-traîner de risque pour les sujets. Les deux domainesétudiés sont les problèmes de symptômes locaux et denotion de bien-être d’une part et la notion de vigilanceet de perturbations du sommeil d’autre part.

L’étude TNO a été celle qui a le plus fait parlerd’elle: son objectif était d’étudier la possibilité d’un res-senti de troubles du bien-être lors d’exposition auxchamps électromagnétiques émis par les stations debase GSM et UMTS. Deux groupes (l’un d’eux com-posé de personnes se disant hypersensibles aux champsélectromagnétiques) ont été exposés en aveugle et sui-vant des cycles variables. Les sujets devaient remplir unquestionnaire permettant d’évaluer leur bien-être aucours d’expérimentation. Aucune variation de ce bien-être n’avait été mis en évidence lors des expositions auGSM 900 ou 1800. Des perturbations, relativementminimes du bien-être ont été observées dans les deuxgroupes quand il s’agissait d’exposition aux champsprovenant d’une source UMTS.

Les études les plus fréquemment réalisées dans uncontexte expérimental chez l’homme concernent lesperturbations du sommeil et de la vigilance. Il existe effec-tivement des changements de l’électro-encéphalo-gramme lors de l’exposition à des champsélectromagnétiques de type GSM, sans qu’aucune si-gnification physiopathologique ne soit démontrée(tests neurocomportementaux normaux). Les étudessur la mémoire sont contradictoires : le problème de laqualité de la dosimétrie de certaines études est soulevé.Des perturbations de la vigilance sont en revanche sys-tématiquement retrouvées lors des tests de conduiteavec interférence de communications téléphoniques. Ils’agirait plus d’interférences liées au partage d’attentionface à plusieurs messages que d’une action spécifique.

97382 507-538 15/12/06 21:33 Page 533

Documents pour le Médecin

du Travail N° 108

4e trimestre 2006

534

conduire une étude expérimentale sur le suivi des per-sonnes retraitées ou inactives ayant été exposées àl’amiante. La Direction générale de la Santé (DGS) aégalement participé à cette expérimentation.

Les objectifs de cette étude étaient de :■ comparer et d’évaluer différentes méthodes de

repérage des retraités pouvant bénéficier de ce dispo-sitif ;

■ évaluer l’apport de la tomodensitométrie dans ledépistage des lésions attribuables à l’amiante ;

■ mesurer les doses d’irradiation délivrées par cesexamens tomodensitométriques (TDM) sur la base desrecommandations techniques émises par le groupe detravail associant des représentants de la Société d’ima-gerie thoracique, la Société de pneumologie de languefrançaise et la Société française de médecine du tra-vail(10).

Le recrutement des patients a débuté en octobre2003 en région Rhône-Alpes et en janvier 2004 pourles autres régions. Les résultats préliminaires portantsur les patients suivis jusqu’au 31 juillet 2005 sont pré-sentés par F. Conso (Université Paris V, Paris).

Un comité de coordination a été mis en place danschaque région pilote associant différents partenaires,dont des représentants des CRAM, des CPAM, desmédecins libéraux, des représentants des victimes del’amiante.

Les sujets ont été informés du dispositif soit parcourrier individuel reposant sur une sélection selonl’âge (Aquitaine) ou les secteurs d’activité profession-nelle (Rhône-Alpes), soit par voie de presse téléviséeou écrite (Basse et Haute-Normandie). Les personnesvolontaires ont été conduites à solliciter leur CPAMafin d’être incluses dans le dispositif de surveillance. EnNormandie, les centres d’examen de santé (CES) de laSécurité sociale ont été associés.

L’évaluation des expositions professionnelles a étéconduite à l’aide d’un questionnaire standardisé com-mun aux quatre régions décrivant les principaux em-plois ainsi que l’existence de quelques situations typesd’exposition à l’amiante. Les expositions profession-nelles ont ensuite été codées en trois classes (pas d’ex-position ou exposition faible – intermédiaire – forte) etles emplois les plus exposants ont été enregistrés. Unindice cumulé d’exposition simplifié a été créé en mul-tipliant la durée d’exposition par le niveau d’intensitéde l’exposition professionnelle.

Les patients inclus ont bénéficié d’un examen cli-nique standardisé, d’explorations fonctionnelles res-piratoires, d’une radiographie pulmonaire et d’unscanner thoracique selon un protocole spécifique.Les radiologues volontaires se sont engagés à res-pecter les recommandations techniques du proto-cole. Un guide de lecture leur a été proposé ainsiqu’une conduite à tenir pour les nodules de dia-mètre égal ou supérieur à 5 mm. Les scanners ont

Une étude portant sur des femmes enceintes volon-taires exposées/non exposées n’a pas montré de risqueparticulier pour le fœtus au niveau du rythme cardiaque.

Plusieurs études « en population générale » ontété publiées concernant les effets possibles sur lasanté des antennes relais de téléphonie mobile. Ce-pendant, il s’agit soit d’études de clusters, soitd’études présentant de telles erreurs méthodolo-giques (choix des populations biaisé, questionnairemal rédigé, mauvais choix de l’indicateur d’exposi-tion, tests multiples...) qu’il n’est pas possible de lesconsidérer comme probantes d’un effet des stationsde base sur la santé. Les conclusions du congrès dePrague (OMS) sur les symptômes subjectifs, en oc-tobre 2004, sont que les symptômes rapportées dansces études sont des symptômes atypiques.

Le groupe d’experts réuni par l’AFSSET à l’issue deces travaux a défini quelques urgences en matière dedéveloppement de recherche en se fondant sur les prio-rités de recherche définies par l’Organisation mondialede la santé.

En effet, quelques aspects ne sont pas (ou pas assez) étudiés et demandent des compléments de recherche : la spécificité des enfants (sont-ils plus sen-sibles que les adultes ?), les maladies neurodégénéra-tives, les nouveaux signaux (bluetooth, wifi...), la priseen compte du stress au travail.

En définitive, si les études se succèdent et s’amélio-rent qualitativement, l’incertitude persiste quand à unrisque potentiel à long terme de la téléphonie mobile.Les résultats de l’étude Interphone, très attendus, lève-ront vraisemblablement les doutes sur un effet à courtterme et sur un risque à long terme.

Surveillance post-professionnelle amianteResponsables : F. Conso, P. Brochard, M. Letourneux,

C. Paris, J.C. Pairon, E. Schorlé, F.X. Thomas.

SURVEILLANCE POST-PROFESSIONNELLE DES SUJETS AYANT ÉTÉ EXPOSÉS À L’AMIANTE :

RÉSULTATS PRÉLIMINAIRES DE L’EXPÉRIMENTATION NATIONALE.

En mai 2001, les régions Aquitaine, Haute etBasse-Normandie et Rhône-Alpes ont été désignéespar la Direction générale du travail du ministère del’Emploi et de la Solidarité et la Direction des risquesprofessionnels de la Caisse nationale de l’Assurancemaladie des travailleurs salariés (Cnamts) pour

(10) Laurent F, Ameille J, Beigelman C,

Philippe JC, Rémy J.Bon usage de la tomo-

densitométrie thoraciquedans la surveillance des

personnes antérieurementexposées à l’amiante.

Info-respiration. 2002 ;49 : 7-8

97382 507-538 15/12/06 21:33 Page 534

Documents pour le Médecin du Travail N° 1084e trimestre 2006

535

fait l’objet d’un codage consensuel selon une grillecommune aux quatre régions.

L’évaluation des expositions aux radiations ioni-santes délivrées par la tomodensitométrie thoracique aété menée par l’Institut de radioprotection et de sûreténucléaire (IRSN).

Sur les 20 017 personnes ayant demandé à béné-ficier de ce suivi, seulement 16 730 personnes ontadressé un questionnaire d’évaluation des exposi-tions professionnelles permettant leur inclusion àl’étude. Parmi ces personnes, 6 614 ont entrepris unbilan dont 4 556 scanners exploitables à la date du31 juillet 2005.

Les hommes représentent 95,1 % des participants,leur âge est compris entre 60 et 75 ans (73 %). Les ex-positions professionnelles ont été classées comme inter-médiaires dans 16,7 % des cas et comme fortes dans79,6 %. La prévalence des expositions fortes est signifi-cativement croissante entre Rhône-Alpes, Aquitaine etBasse et Haute-Normandie (p < 0,0001).

L’examen tomodensitométrique a montré une préva-lence globale de 7,1 % de syndrome interstitiel et de18,2 % de plaques pleurales avec un gradient positifentre Rhône-Alpes, l’Aquitaine et la Basse et la HauteNormandie.

La prévalence moyenne des nodules pulmonairesspontanément signalés par les radiologues est de16,4 %, sans variation significative entre les régions.L’étude de la distribution des anomalies tomodensito-métriques selon les classes d’exposition professionnellemontre une relation significative nette pour les plaquespleurales, une relation peu marquée pour les anomaliesde type interstitiel et aucune relation pour les nodulespulmonaires.

Un excès significatif de plaques pleurales a été observé dès les plus faibles niveaux d’exposition cumu-lée à l’amiante. La prévalence de plaques pleurales estaugmentée par rapport à la population de référence(personnes ayant présenté des expositions nulles oufaibles) chez les patients ayant exercé comme soudeurs,électriciens, ajusteurs, conducteurs de fours, chaudron-niers, dockers, plombiers et tuyauteurs et monteurs enisolation thermique.

Seuls les dockers avaient une prévalence significati-vement élevée de syndromes interstitiels par rapport à lapopulation de référence.

Afin d’évaluer la dose efficace délivrée, 187 examenstomodensitométriques ont été tirés au sort. Le niveaud’irradiation estimé de ce protocole est de 3,9 mSv avecune variation observée allant de 1,6 à 6,5 mSv, sans dif-férence selon les régions.

À titre de comparaison, la dose annuelle moyennede la population en France due à l’exposition auxsources naturelles de rayonnement est de l’ordre de2,4 mSv. En prenant comme indicateur le niveau de ré-férence diagnostique en TDM pour l’examen standard

des poumons chez l’adulte, la dose efficace serait del’ordre de 8,5 mSv. L’irradiation liée à la pratique d’uneTDM de dépistage dans le cadre de la surveillancepost-professionnelle est donc bien inférieure aux ni-veaux de dose associés à ces examens en pratique dia-gnostique courante et ne contre-indique pas saréalisation pour peu que les recommandations tech-niques soient respectées.

Les déclarations de maladie professionnelle enregis-trées au 31 juillet 2005 auprès des CPAM étaient de668 chez les patients participant à l’étude.

La sensibilité de la radiographie pulmonaire aété évaluée par rapport à celle de la tomodensito-métrie. Comme prévu, la sensibilité de la radiogra-phie (probabilité d’avoir un examen qui dépiste leproblème chez les patients atteints de la patholo-gie) est médiocre tant pour le syndrome interstitielque pour les plaques pleurales (21,1 % et 24,1 %respectivement) alors que la spécificité (probabilitéd’avoir un examen négatif chez les patients in-demnes) est satisfaisante dans les deux cas (res-pectivement de 97,9 % et 98,9 %). La sensibilité dela radiographie est encore moindre pour les no-dules pulmonaires (4,4 %). Cette étude vient doncconfirmer l’apport du TDM dans le dépistage deces pathologies.

Cette étude a également démontré la faisabilitéde ce large dépistage. En particulier, la sollicitationdes sujets par courriers individuels après sélectionsur l’âge et les secteurs d’activité professionnelle,comme cela a été organisé en Rhône-Alpes, a étésuivie d’un taux de réponse de plus de 38 % chez leshommes sollicités.

Les résultats définitifs de cette étude prévus pourl’automne 2006 permettront de préciser la méthodo-logie de quantification des expositions avec des affi-nages nécessaires entre les catégories intermédiaires etfortes, les études de concordance pour la lecture desTDM (la concordance étant moyenne entre la lecturedes radiologues et celle des experts), les conséquencesmédico-légales du dispositif et enfin la place des ex-plorations fonctionnelles respiratoires. L’impact psy-chologique de ce dispositif a été également évalué etfera l’objet d’analyses spécifiques.

Les experts de ce groupe à l’occasion de cette étudeproposent une simplification de la prise en charge financière de ce suivi afin de faciliter la diffusion du dis-positif auprès des médecins prescripteurs (rembourse-ment par carte vitale).

Ils proposent également la mise en place d’une visitespécifique de santé au travail pour tous les salariés de50 ans afin de retracer les expositions passées à descancérogènes à l’aide d’outils spécifiques réalisés pourles principaux cancérogènes du milieu professionnel.Des guides pour les expositions à l’amiante sont déjàdisponibles(11).

(11) http://www.sante-securite.travail.gouv.fr/mediatheque/pdf/medecin%20travail.pdf

97382 507-538 15/12/06 21:33 Page 535

Documents pour le Médecin

du Travail N° 108

4e trimestre 2006

536

IPRP. Cet investissement fait partie de leur projet pro-fessionnel qu’elles mentionnent d’ailleurs dans leur rap-port annuel.

LES INFIRMIÈRES EN SANTÉ AU TRAVAIL RÉDIGENT-ELLES UN RAPPORT INFIRMIER ?

F. Varaigne (infirmière en santé au travail, indus-trie agro-alimentaire) présente les résultats d’uneétude menée à travers un questionnaire élaboré par leGIT (Groupement des infirmiers au travail) Auvergne,présentée lors de la session. L’objectif de cette re-cherche était de mesurer le degré de connaissance durapport infirmier par les professionnelles et son utilisa-tion en pratique.

Sur 560 questionnaires envoyés, 233 réponses ontété reçues et analysées : 127 infirmières sur 233 rédi-gent un rapport infirmier. Il est inclus dans le rapportmédical à 34 % et est indépendant et personnalisé à40 %. Son contenu va du comptage des actes infirmierspar nature à l’ensemble des activités qui ont été effec-tuées. Il peut être présenté à plusieurs personnes oupas. Les retours sont également divers : positif, négatif,constructif pour l’avenir… Parfois sans écho…

Le débat existe donc, et illustre à travers le rapportd’activité infirmier, de justifier et valoriser le travail del’infirmière, son rôle et sa responsabilité. Il devient unmoyen d’échange et de discussion et peut servir d’outilaudit qualité en service infirmier. Il autorise à définirdes objectifs, des actions et une évaluation pour les an-nées à venir.

OBJECTIF ET CONTENU DU RAPPORT INFIRMIER

� M.N. Verrier (infirmière en santé au travail,Bourgoin-Jallieu) présente une autre trame construiteet imaginée, un fil conducteur pour concevoir ce rap-port infirmier, en se souvenant peut-être « qu’il estmieux de commencer petit, le faire vivre et le faire pro-gresser… ». Il faut décider de son contenu : sommaire,introduction, six chapitres avec présentation de l’entre-prise, cadre réglementaire de l’exercice de la professionde l’infirmière, actions en milieu de travail, activités auservice de santé au travail, actions de prévention ensanté publique, canevas du futur rapport infirmier.

La conclusion du rapport doit permettre de prendredu recul et donner l’opportunité d’un momentd’échange et de discussion.

Rédiger un rapport infirmier, c’est dire tout le travaileffectué, travail prescrit, travail réel aussi. Ce n’est pastenter de faire doublon avec celui du médecin, maisbien de travailler en partenariat avec l’équipe tout en-

Le rapport infirmier, du savoir-faire au faire-savoirSession infirmière organisée par le Groupement des

infirmiers au travail (GIT)Responsables : N. Reux, C. Chazette, M.N. Verrier

INTRODUCTION

« Le rapport d’activité infirmier est cher aux profession-nelles » : c’est à travers ces paroles que le ton a étédonné pour ouvrir le débat. Au-delà de son contenu,thèmes définis, façon de rédiger et de le présenter en-suite, c’est bien de la trace écrite de l’activité réaliséepar la professionnelle dont il est question ici ; c’est aussicelle de son existence au sein de l’entreprise qui estabordée. Ce document synthèse devient un pensumutile qui va vivre, évoluer et se perfectionner selon lesens que l’infirmière lui donnera.

HISTORIQUE DE L’INFIRMIÈRE DE SANTÉ AU TRAVAIL

En présentant l’historique de la profession, N.Reux (Hewlett-Packard, Grenoble) rappelle que lesinterrogations émergent sur le rôle, la place et la re-connaissance laissés à l’infirmière sur son propre ter-rain tout au long de l’histoire. Aujourd’hui, lesprofessionnelles soulignent leur rôle spécifique dansl’entreprise et leur souhait de davantage d’autonomie.

La profession d’infirmière de santé au travail est ré-cente. Est-ce pour cela qu’il existe un décalage entre lathéorie et la réalité du terrain ? Il y a ce que les profes-sionnelles souhaitent faire et la réalité. Et les réalitéssont différentes selon les lieux d’exercice, les parcoursde chacune, les interlocuteurs, l’investissement offert,les moyens mis à disposition et peut-être, la difficultépour certaines d’argumenter sur leurs propres besoins.Elles insistent sur leur envie de construire dans l’entre-prise, leur présence utile, véritable acteur de la santé quiconnaît les relations entre l’homme et le travail : le rap-port d’activité reste à ce titre l’écrit laissant une trace decette connaissance infirmière. C’est un premier pas versune nouvelle forme de communication, et qui sait ? versla recherche infirmière en santé au travail.

Au sein de l’équipe, chacun des participants est dé-signé dans ses activités spécifiques : le médecin, l’infir-mière et la secrétaire. Pour évoluer dans leurprofession, certaines infirmières préparent le DIUST,d’autres, au contraire, souhaitent se différencier despartenaires proches en demandant leur habilitation

97382 507-538 15/12/06 21:33 Page 536

Documents pour le Médecin du Travail N° 1084e trimestre 2006

537

tière. C’est solliciter les moyens matériels faisant défautet qui restent appropriés à la réalisation de l’activité. Lerapport d’activité infirmier devient alors un procédépour conserver la mémoire.

� La présentation de C. Chazette (infirmièreen santé au travail, Institut Langevin, Grenoble) apermis de lister un certain nombre de têtes de cha-pitres possibles pour un rapport :

■ les missions pédagogiques : les formations reçues parl’infirmière et celles qu’elle a dispensées (encadrementsdes étudiants en soins infirmiers, adhésion au GIT) ;

■ l’activité au service de santé au travail : assistanceau médecin du travail, réalisation d’examens complé-mentaires, fiches toxicologiques, soins urgents, bilandes accidents du travail, convocations, vaccinations… ;

■ les actions en milieu de travail : exercices d’évacua-tion avec les pompiers et le SAMU, étude de postes,formation gestes et postures, cardiofréquencemétries,visites de postes, mesures de bruit, suivi des actions deprévention en cours, contacts correspondants sécurité,élaboration d’un diaporama, formations du personnel,informations aux personnels en collaboration avec lesingénieurs pour le travail sur écran par exemple ;

■ les actions de santé publique : organisation desjournées « don de sang », groupe « prévention alcool »,conseils divers comme la diététique.

RETOURS D’EXPÉRIENCES

Le rapport d’activité signe le travail de la profes-sionnelle impliquée dans une équipe. Il se construit àpartir d’un vécu et peut-être maintenant, à partir d’unmodèle. Liberté à chacune ensuite de l’orienter avecdes perspectives, des objectifs différents. Il devientalors le prolongement d’un engagement professionnelet celui d’une reconnaissance. Par sa valeur, il tisse dulien et devient un symbole de reconnaissance entre lesprofessionnelles.

Chacune à son rythme « …du nano rapport infirmierau maxi-rapport infirmier… ». Mais un rapport d’activitéinfirmier ne vit que s’il est partagé, diffusé avec discer-nement.

Quand le rapport d’activité infirmier est rédigé parl’infirmière seule, il est validé par le médecin. Il devientun travail en binôme qui permet conjointement de re-voir toute l’activité de l’année. Il est ensuite diffusé àl’ingénieur sécurité, au directeur, au comité de direc-tion, aux membres du CHSCT… Il est possible d’ima-giner qu’il puisse à l’avenir être diffusé à d’autrespersonnes telles que le médecin inspecteur régional, lesprofesseurs de santé au travail, les différents directeursdes services interentreprises…

Le rapport d’activité infirmier fait partie d’une com-

pétence particulière et devient complémentaire de ce-lui du médecin. Il met en évidence les aptitudes detoute une équipe. À cette fin, il est nécessaire de défi-nir des objectifs, de s’engager dans des projets, d’assu-rer une synthèse du travail d’équipe. Ici aussi, lesactivités liées à l’infirmerie et celles liées aux visites mé-dicales sont répertoriées, avec une particularité quimontre sa singularité : par exemple, un suivi de consul-tation en cardiologie, des campagnes d’informationspeuvent être faites par affichage et intranet. Enfin, l’ac-tivité liée au suivi du document unique est mise en va-leur.

Jusqu’en 2002, les actions réalisées par les infir-mières ou en collaboration avec les médecins étaientinscrites dans un rapport commun. À partir de 2003, laconstruction du rapport d’activité a été modifiée de fa-çon à pouvoir identifier la partie médicale et la partieinfirmière, l’ensemble constituant le rapport du servicede médecine du travail. La partie infirmière présented’abord le cadre réglementaire de la fonction d’infir-mière de santé au travail, la répartition de l’effectif etles formations suivies. Ensuite, sont recensées et dé-crites les activités infirmières cliniques sur prescriptionet enfin, les activités infirmières non cliniques. La re-lecture du rapport est assurée par le médecin respon-sable de service. Le rapport d’activité infirmier est unoutil de traçabilité.

Une façon originale de témoigner de son expérienceen entreprise est la rédaction d’un journal qui peut de-venir un livre. C’est ce qu’a fait M. Laborde en publiant« Dehors les p’tits lus », dans lequel, face à un « trau-matisme psychologique aigu », elle propose une ré-flexion sur l’impact et la place de la médecine dutravail.

Conclusion

Dans son discours de clôture, J.D. Combrexelle,Directeur général du travail, a, dans un premier temps,insisté sur la mission du médecin du travail : « être àl’écoute du salarié, participer activement à l’élaborationde la politique de prévention des risques dans l’entre-prise, inscrire son action dans une logique plus large desanté publique tant en ce qui concerne l’exploitationdes données que la mise en œuvre des politiques, toutceci exige de la part du médecin du travail qu’il soit unprofessionnel travaillant au sein d’un réseau pluridisci-plinaire ».

« Qui dit professionnel dit formation tant initialeque continue. […] Qui dit professionnel dit capacité às’entourer d’un réseau de personnes aux compétencescomplémentaires. C’est là tout l’enjeu de la pluridisci-plinarité. […] Qui dit professionnel dit ressource

97382 507-538 15/12/06 21:33 Page 537

Documents pour le Médecin

du Travail N° 108

4e trimestre 2006

538

travail (AFSSET), mais également en amplifiant le dé-veloppement de la recherche fondamentale et de laconnaissance concrète des risques en milieu de profes-sionnel ;

■ la ressource médicale. Comme pour les autres spé-cialités, l’évolution de la démographie est cruciale. Larégularisation des médecins « sans papier » n’existeplus. Les aménagements du concours spécial européensont à l’étude ;

■ l’aptitude. « Revoir la notion d’aptitude médicale aun impact important sur l’exercice de la surveillance in-dividuelle opérée par les médecins du travail et consti-tue, à l’évidence, un élément dont il doit être tenucompte dans l’articulation des différentes missions dumédecin du travail ».

rare.[…] Qui dit professionnel dit enfin une organisa-tion administrative elle-même professionnelle. »

Dans un second temps, il a évoqué les axes selon les-quels devra être évaluée la réforme de la santé au tra-vail :

■ le tiers temps, élément fondamental de la « capa-cité du médecin du travail à contribuer à la préventiondes risques professionnels dans le milieu de travail » ;

■ la contractualisation de façon à « inscrire l’actiondes services de santé au travail dans les priorités de lapolitique nationale de santé au travail » ;

■ le lien avec la santé publique, en particulier en dé-veloppant les liens avec le département de Santé au tra-vail de l’Institut de veille sanitaire (InVS) et l’Agencefrançaise de sécurité sanitaire de l’environnement et du

Programme du prochain Congrès de médecine et santé au travail,Tours 200830e Congrès national de médecine et santé au travail à Tours, du 3 au 6 juin 2008

4 thèmes principaux• Femmes, travail et santé

• Évaluation des pratiques professionnelles

en médecine du travail

• Veille en santé mentale au travail

• Pénibilité et usure au travail

6 thèmes secondaires• Agents toxiques pour la reproduction

• Pathologies respiratoires agricoles

• Santé au Travail et encadrement de proximité

• Suivi biologique des expositions professionnelles

• Risques microbiologiques émergents

• Les consultations cliniques en médecine du travail

97382 507-538 15/12/06 21:33 Page 538