2010_11_lf_all

12
Ce supplément de douze pages est édité et publié par Rossiyskaya Gazeta (Russie), qui assume l’entière responsabilité de son contenu Publié en coordination avec The Daily Telegraph, The Washington Post et d’autres grands quotidiens internationaux Distribué avec PAGE 8 Mercredi 17 novembre 2010 Le 21 octobre, le gouvernement russe a approuvé un programme d’efficacité énergétique de 9,532 trillions de roubles qui devrait révolutionner le système de fonc- tionnement des usines et bâti- ments conçus à l’époque sovié- tiques. Est-ce trop peu, trop tard ? La Russie s’embarque-t- elle dans une véritable révolu- tion de l’énergie verte ? « Le vent politique a tourné au sommet et le constat selon le- quel le climat est véritablement en train de changer fait l’objet d’un consensus croissant. Il y a aussi la volonté de construire une économie plus efficace », consi- dère Kevin James de Climate Change Capital, basé à Londres. L’expert ajoute qu’après les feux de forêt de l’été dernier, les pou- voirs publics ont compris que le changement climatique n’était pas une évolution positive pour la Russie - bien que le Premier ministre Vladimir Poutine ait, dans le passé, plaisanté sur le réchauffement planétaire, qui « permettra aux Russes de faire des économies sur l’achat des manteaux de fourrure ». Réveil écolo La Russie gaspille chaque année autant d’énergie qu’il en faut pour faire tourner l’économie française. La situation devrait changer car le Kremlin a enfin compris l’étendue du problème. Plissetskaïa fait briller les étoiles En défaut d’intimité La légende du ballet russe s’offre un spectacle de gala pour fêter ses 85 ans. La photographe Françoise Huguier dévoile la réalité crue des logements com- munautaires russes. P. 12 P. 11 ANNA NEMTSOVA SPÉCIALEMENT POUR LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI RACHEL MORARJEE BUSINESS NEW EUROPE SUITE EN PAGE 7 SUITE EN PAGE 6 Un nombre croissant de familles russes opte pour un retour au mode de vie traditionnel, plus proche de la nature. Mais les ha- bitudes consuméristes ne sont pas toujours faciles à perdre. Jenia, médecin, travaillait jadis à l’Institut médical de Novossi- birsk, un centre de recherche prestigieux. Il y a trois ans, son mari, pianiste, lui a parlé d’un groupe d’écologistes qui vivent de la terre à 75 km au nord de Novossibirsk, sur les bords de l’Ob. « J’ai bien ri en écoutant son conte de fées, mais il m’a dit qu’il m’emmènerait voir de mes propres yeux. Et c’est comme ça que nous sommes arrivés ici... pour y rester », se souvient-elle. Jenia, son mari et leurs deux fi lles de sept et huit ans vivent désor- mais avec les 51 familles de la commune baptisée Terre d’abon- dance, dont les membres ont entre un et 91 ans. Des communautés de « colons » surgissent dans les coins les plus reculés du pays, dont la Sibérie, attirant des milliers de Russes en quête d’une vie autonome et respectueuse de l’environnement. Le nombre d’ « éco-communes », comme on les appelle, a drasti- quement augmenté en dix ans. Ce mouvement de retour à la terre attire ceux qui se sont las- sés des villes polluées et du consumérisme effréné qui règne en milieu urbain. Jenia, grande et élancée, travaille en chantant toute la journée, range des choux sur sa véranda, remplit de miel des bocaux pour l’hiver et peint des œufs avec ses lles. « Depuis que nous avons déménagé ici, mon nouvel inté- rêt pour l’art, le chant, la scien- ce et l’agriculture me tire du lit tous les matins », dit-elle. Les aspirations d’activistes comme Jenia ne plaisent pas à tout le monde. L’Église orthodo- xe russe voit dans ces commu- nes des sectes qui vénèrent de faux dieux. Et certaines autori- tés locales contestent les velléi- tés de diverses communautés vi- sant à devenir propriétaires des terres qu’elles occupent. Fuir la ville et renaître à la campagne Mode de vie Reportage en Sibérie auprès d’ex-citadins qui ont voulu changer d’air, pour de bon ! Le retour à la nature attire de plus en plus de jeunes citadins. Le monopole Alrosa est à la recherche de financements, y compris étrangers, pour stimuler sa production. Des sous pour le diamant russe PAGE 4 PAGE 9 Roms abandonnés Délaissés par les pouvoirs publics russes, minés par la criminalité et la discrimination, ils peinent à s’adapter à la vie moderne. Reportage dans un humble village de Roms. Ses ventes pâtissent du prix prohibitif proposé aux consommateurs rus- ses, sans parler du dynamisme de la concurrence. Le vin français trinque PAGE 5 Rapprochement OTAN-Russie DÉBATS ET OPINIONS Dmitri Medvedev va se rendre à Lisbonne pour le prochain sommet de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord. Un geste fort préfaçant une coopé- ration plus étroite de la Russie. Le politologue Dmitri Trenine définit quatre axes conduisant à un véritable rapprochement, parmi lesquels la formation conjointe des élites militaires. MDF PHOTOXPRESS (3) ANNA NEMTSOVA L’agression barbare d’un journa- liste en plein centre de Moscou, le 5 novembre dernier, met le princi- pal défenseur des droits de l’hom- me dans une situation délicate alors qu’il vient à peine d’entrer en fonction. Mikhaïl Fedotov ve- nait juste de remporter ses deux premières victoires : l’autorisa- tion d’un meeting de l’opposition au cœur de la capitale, et le ve- to opposé par le Président Dmi- tri Medvedev aux amendements durcissant la loi sur les manifesta- tions. Un score honorable immé- diatement assombri par l’attaque contre Oleg Kachine. Ce journa- liste du quotidien Kommersant a eu les doigts mutilés, comme pour l’empêcher d’écrire. La ca- pacité de Fedotov à mobiliser les autorités pour des résultats rapi- des sur l’enquête sera un élément clé pour juger de son efficacité. Dans un entretien avec La Russie d’Aujourd’hui, l’ombudsman du Président dévoile ses projets. La chasse aux vieux démons Droits de l’homme Entretien exclusif avec le conseiller présidentiel pour les droits de l’homme LIRE EN PAGE 3 L’activiste Vladimir Milov manifeste : « J’exige que soient retrouvés les exécutants et les commanditaires de l’agression d’Oleg Kachine ». AP

Upload: la-russie-daujourdhui-la-russie-daujourdhui

Post on 17-Mar-2016

266 views

Category:

Documents


44 download

DESCRIPTION

Mercredi 17 novembre 2010 Ses ventes pâtissent du prix prohibitif proposé aux consommateurs rus- ses, sans parler du dynamisme de la concurrence. Le monopole Alrosa est à la recherche de financements, y compris étrangers, pour stimuler sa production. La photographe Françoise Huguier dévoile la réalité crue des logements com- munautaires russes. La légende du ballet russe s’offre un spectacle de gala pour fêter ses 85 ans. Distribué avec ANNA NEMTSOVA RACHEL MORARJEE PAGE 8 PAGE 5

TRANSCRIPT

Page 1: 2010_11_LF_all

Ce supplément de douze pages est édité et publié par Rossiyskaya Gazeta (Russie), qui assume l’entière responsabilité de son contenu

Publié en coordination avec The Daily Telegraph, The Washington Post et d’autres grands quotidiens internationaux

Distribué avec

PAGE 8

Mercredi 17 novembre 2010

Le 21 octobre, le gouvernement russe a approuvé un programme d’efficacité énergétique de 9,532 trillions de roubles qui devrait révolutionner le système de fonc-tionnement des usines et bâti-ments conçus à l’époque sovié-tiques. Est-ce trop peu, trop tard ? La Russie s’embarque-t-elle dans une véritable révolu-tion de l’énergie verte ?« Le vent politique a tourné au sommet et le constat selon le-quel le climat est véritablement en train de changer fait l’objet d’un consensus croissant. Il y a aussi la volonté de construire une économie plus efficace », consi-dère Kevin James de Climate Change Capital, basé à Londres. L’expert ajoute qu’après les feux de forêt de l’été dernier, les pou-voirs publics ont compris que le changement climatique n’était pas une évolution positive pour la Russie - bien que le Premier ministre Vladimir Poutine ait, dans le passé, plaisanté sur le réchauffement planétaire, qui « permettra aux Russes de faire des économies sur l’achat des manteaux de fourrure ».

Réveil écoloLa Russie gaspille chaque année autant d’énergie qu’il en faut pour faire tourner l’économie française. La situation devrait changer car le Kremlin a enfin compris l’étendue du problème.

Plissetskaïa fait briller les étoiles

En défaut d’intimité

La légende du ballet russe s’offre un spectacle de gala pour fêter ses 85 ans.

La photographe Françoise Huguier dévoile la réalité crue des logements com-munautaires russes.

P. 12

P. 11

ANNA NEMTSOVASPÉCIALEMENT POUR LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

RACHEL MORARJEEBUSINESS NEW EUROPE

SUITE EN PAGE 7

SUITE EN PAGE 6

Un nombre croissant de familles russes opte pour un retour au mode de vie traditionnel, plus proche de la nature. Mais les ha-bitudes consuméristes ne sont pas toujours faciles à perdre.

Jenia, médecin, travaillait jadis à l’Institut médical de Novossi-birsk, un centre de recherche prestigieux. Il y a trois ans, son mari, pianiste, lui a parlé d’un groupe d’écologistes qui vivent de la terre à 75 km au nord de Novossibirsk, sur les bords de l’Ob. « J’ai bien ri en écoutant son conte de fées, mais il m’a dit qu’il m’emmènerait voir de mes propres yeux. Et c’est comme ça

que nous sommes arrivés ici... pour y rester », se souvient-elle. Jenia, son mari et leurs deux � lles de sept et huit ans vivent désor-mais avec les 51 familles de la commune baptisée Terre d’abon-dance, dont les membres ont entre un et 91 ans. Des communautés de « colons » surgissent dans les coins les plus reculés du pays, dont la Sibérie, attirant des milliers de Russes en quête d’une vie autonome et respectueuse de l’environnement. Le nombre d’ « éco-communes », comme on les appelle, a drasti-quement augmenté en dix ans. Ce mouvement de retour à la terre attire ceux qui se sont las-sés des villes polluées et du consumérisme effréné qui règne en milieu urbain.

Jenia, grande et élancée, travaille en chantant toute la journée, range des choux sur sa véranda, remplit de miel des bocaux pour l’hiver et peint des œufs avec ses � lles. « Depuis que nous avons déménagé ici, mon nouvel inté-rêt pour l’art, le chant, la scien-ce et l’agriculture me tire du lit tous les matins », dit-elle.Les aspirations d’activistes comme Jenia ne plaisent pas à tout le monde. L’Église orthodo-xe russe voit dans ces commu-nes des sectes qui vénèrent de faux dieux. Et certaines autori-tés locales contestent les velléi-tés de diverses communautés vi-sant à devenir propriétaires des terres qu’elles occupent.

Fuir la ville et renaître à la campagneMode de vie Reportage en Sibérie auprès d’ex-citadins qui ont voulu changer d’air, pour de bon !

Le retour à la nature attire de plus en plus de jeunes citadins.

Le monopole Alrosa est à la recherche de financements, y compris étrangers, pour stimuler sa production.

Des sous pour le diamant russe

PAGE 4 PAGE 9

Roms abandonnésDélaissés par les pouvoirs publics russes, minés par la criminalité et la discrimination, ils peinent à s’adapter à la vie moderne. Reportage dans un humble village de Roms.

Ses ventes pâtissent du prix prohibitif proposé aux consommateurs rus-ses, sans parler du dynamisme de la concurrence.

Le vin français trinque

PAGE 5

RapprochementOTAN-Russie

DÉBATS ET OPINIONS

Dmitri Medvedev va se rendre à Lisbonne pour le prochain sommet de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord. Un geste fort préfaçant une coopé-ration plus étroite de la Russie. Le politologue Dmitri Trenine dé� nit quatre axes conduisant à un véritable rapprochement, parmi lesquels la formation conjointe des élites militaires.

MDF

PHOTOXPRESS (3)

ANNA NEMTSOVA

L’agression barbare d’un journa-liste en plein centre de Moscou, le 5 novembre dernier, met le princi-pal défenseur des droits de l’hom-me dans une situation délicate alors qu’il vient à peine d’entrer en fonction. Mikhaïl Fedotov ve-nait juste de remporter ses deux premières victoires : l’autorisa-tion d’un meeting de l’opposition au cœur de la capitale, et le ve-to opposé par le Président Dmi-tri Medvedev aux amendements durcissant la loi sur les manifesta-tions. Un score honorable immé-diatement assombri par l’attaque contre Oleg Kachine. Ce journa-liste du quotidien Kommersant a eu les doigts mutilés, comme pour l’empêcher d’écrire. La ca-pacité de Fedotov à mobiliser les autorités pour des résultats rapi-des sur l’enquête sera un élément clé pour juger de son efficacité. Dans un entretien avec La Russie d’Aujourd’hui, l’ombudsman du Président dévoile ses projets.

La chasse aux vieux démonsDroits de l’homme Entretien exclusif avec le conseiller présidentiel pour les droits de l’homme

LIRE EN PAGE 3 L’activiste Vladimir Milov manifeste : « J’exige que soient retrouvés les exécutants et les commanditaires de l’agression d’Oleg Kachine ».

AP

Page 2: 2010_11_LF_all

02 LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI LARUSSIEDAUJOURDHUI.FRCOMMUNIQUÉ DE ROSSIYSKAYA GAZETADISTRIBUÉ AVEC LE FIGARO International

BEN ARISBUSINESS NEW EUROPE

Français et Allemands misent sur un marché russe en passe de devenir le plus vaste d’Europe. L’heure n’est plus aux leçons en matière de démocratie, de droits de l’homme ou de bonne gouvernance économique.

L’axe Paris-Berlin-Moscou relancéGéopolitique Les nouvelles réalités économiques et diplomatiques réorientent les priorités européennes en faveur de la Russie

te du géant gazier russe Gazprom. Une aubaine pour son pays, puis-que le gazoduc aboutit sur la côte allemande via la mer Baltique, conférant ainsi à Berlin le rôle de pivot en matière de politique énergétique européenne.Dès 2005, la nouvelle chanceliè-re Angela Merkel choisit de se démarquer de son prédécesseur, en effectuant sa première visite à l’étranger en Pologne. Un pied de nez remarqué à la Russie. Les relations se sont pourtant ré-cemment améliorées, la chance-lière souhaitant appuyer les en-treprises allemandes sur ce nouveau marché européen en

Moscou en octobre dernier. S’ex-primant à la veille des réunions annuelles du Fonds monétaire in-ternational, et juste avant la pré-sidence française des G8 et G20, Christine Lagarde a tenu à � at-ter les oreilles russes. « La poli-tique monétaire dans le monde a changé. Elle n’est plus unilaté-rale ou bilatérale, elle est multi-latérale. Et nous devons être mul-tilatéraux, multidimensionnels », a souligné la ministre, ajoutant que les investissements français en Russie venaient pour la pre-mière fois de dépasser ceux des États-Unis.Si des doutes subsistaient enco-re quant à l’engagement de la France et de l’Allemagne en fa-veur d’un partenariat renforcé avec la Russie, le sommet tripar-tite de Deauville entre Sarkozy, Merkel et Medvedev les a balayés � n octobre. Les dirigeants allemand et fran-çais ont promis de faire tout leur possible pour accélérer la mise en place d’un régime sans visas pour les voyageurs russes, dans les pays respectifs. De son côté, la Russie a vigoureusement fait pression pour obtenir l’abolition des visas, un point � gurant parmi les priorités de la population russe en matière de politique étrangè-re. Au cours des pourparlers à Deau-ville, une source élyséenne en a clairement résumé l’enjeu, en avouant que « la Russie souhaite assouplir les exigences en matiè-re de visas, tandis que les pays de l’Union europénne aspirent à un meilleur accès au gaz et à l’éco-nomie russes ». Des propos con� r-més par Angela Merkel qui ap-pelle à la mise en place rapide d’un traité russo-européen ser-vant de cadre à un projet d’abo-lition des visas entre l’UE et la Russie, à un moment où l’Alle-magne et la France ont pris un virage très prononcé à droite en matière d’immigration.

L’Europe a brusquement changé d’attitude à l’égard de la Russie, sa politique faisant apparaître un nouvel axe Paris-Berlin-Moscou. De son côté, le président russe Dmitri Medvedev s’efforce sans relâche de convaincre les diri-geants européens qu’il fait tout pour améliorer le climat d’inves-tissement en Russie. Pourtant, n’oublions pas qu’il y a trois ans à Munich, le président de l’époque Vladimir Poutine lançait un avertissement en forme d’ultimatum, appelant fer-mement les Européens à cesser de s’ingérer dans les affai-res intérieures de la Russie, au risque de voir le Kremlin se tour-ner vers de nouveaux amis. Mais la crise économique a tout chamboulé. Avant qu’une tempê-te � nancière ne balaie le globe à l’automne 2008, les pays riches pouvaient se permettre d’avoir de grands idéaux. Aujourd’hui, ces mêmes pays font face à des dettes et des dé� cits colossaux. Leur principal objec-tif ? Maintenir une économie en marche, et à cet égard, le marché russe offre de belles possibilités pour les entreprises en quête de plus-value. L’Allemagne fait exception à la règle. L’ancien chancelier alle-mand Gerhard Shroeder a passé une grande partie de la dernière décennie à courtiser ouvertement la Russie. Ce qui, au passage, lui a permis de se reconvertir dans une fonction à la hauteur de ses ambitions : l’ex-chancelier est dé-sormais à la tête du projet de ga-zoduc Nord Stream pour le comp-

pleine expansion. Une politique soutenue par l’élite allemande. « Selon un vieux dicton allemand, ‘la Russie n’est jamais aussi forte qu’elle n’y paraît. Mais elle n’est jamais aussi faible qu’elle n’y pa-raît’ », écrivait l’ex-ministre de l’Économie Wolfgang Clément en octobre dernier dans The Mos-cow Times. « La relation Allema-gne-UE-Russie se résume en quel-ques mots : nous dépendons les uns des autres ».

Atteindre les sommetsMi-octobre, le président allemand Christian Wulff s’est rendu en vi-site d’État à Moscou, accueilli

avec les honneurs militaires et les dîners de gala des grandes cir-constances, illustration probante de l’intensi� cation des liens entre les deux pays. « Près de 6 500 en-treprises allemandes sont implan-tées en Russie et nombre d’entre elles ont l’intention de poursui-vre leur développement », a no-tamment déclaré le président al-lemand.Guidé par un élan de moderni-sation qui nécessite des investis-sements et des transferts de tech-nologies étrangers, le Kremlin a retourné le compliment à l’Alle-magne: « Nous avons un impor-tant volume d’investissements al-

lemands accumulés dans notre économie, près de 16,5 milliards d’euros. Au premier semestre 2010, nous avons enregistré une croissance d’environ 4,3 milliards d’euros », a déclaré le Premier mi-nistre Vladimir Poutine, lors de sa rencontre avec le président al-lemand. Le chiffre cité représen-te un peu plus d’un sixième du total des investissements en Rus-sie. La France a été plus lente à sui-vre. En matière d’investissements, la ministre des Finances Chris-tine Lagarde tient fermement les rênes. Elle a par ailleurs effectué sa troisième visite de l’année à

Le sommet de Deauville, en octobre dernier, a confirmé la renaissance de l’axe Paris-Berlin-Moscou.

Une vieille idéeLe sommet de Deauville le mois dernier a relancé l’idée, déja an-cienne, de l’axe Paris-Berlin-Mos-cou qui était loin jusqu’à pré-sent de recueillir l’assentiment de Washington et de Londres. Lors du sommet Eltsine-Chirac-Schroe-der à la fin des années 90, il avait été question d’une autoroute et d’une voie ferrée rapide Londres-Paris-Berlin-Varsovie-Moscou-Eka-terinbourg, l’inclusion de la capi-tale britannique reflétant le souci de ne pas froisser le pôle Londres-Washington. La réponse des hy-per-atlantistes se traduisit par une campagne de presse et de com-munication dénigrant l’axe Pa-ris-Berlin-Moscou. Les temps ont en apparence changé puisque les trois dirigeants actuels, pourtant considérés comme plus atlantistes que leurs prédécesseurs, n’ont pas cherché à ménager les susceptibi-lités britaniques. Il est vrai qu’An-glais et Américains sont focalisés sur leur situation intérieure res-pective. Mais le projet de coopé-ration militaire franco-britannique récemment annoncé montre que Londres n’est pas écartée.

EN BREF

Les 26 et 27 novembre, réunion à Strasbourg des représentants de près de 70 collectivités ter-ritoriales russes et françaises pour envisager ensemble les voies possibles de l’innovation via une coopération interrégio-nale directe. Les débats couvri-ront un large ensemble de do-maines, comme la culture, les sciences et l’économie. Il s’agit d’une opération décentralisée, même si les États nationaux ap-portent un appui logistique à l’affaire.

Principal groupement de la diaspora russe, l’Association Russe d’Entraide inter-Profes-sionnelle fête cette année son trentième anniversaire. La cé-lébration officielle s’est tenue le 15 octobre dans les salons d’honneur de l’Hôtel de Ville de Paris. « L’association compte 850 membres. Elle est devenue un réseau européen qui sert de maillon entre les générations et les émigrés des différentes vagues », commente son actuel président, Michel Lebedeff. Plus qu’un cercle d’amis, l’AREP est une organisation diversi� ée de professionnels russophones.

Les régions prennent l’initiative

Jubilé dans la diaspora russe

ANDREÏ KOLESNIKOVKOMMERSANT

Vladimir Poutine a manifesté à la mi-octobre sa lassitude face à l’inertie de l’union interétatique Russie-Belarus. La priorité régionale va désormais à l’union douanière avec Astana et Minsk.

Le duo infernal remplacé par un trio bon enfant

Ex-URSS Moscou mise sur le Kazakhstan et le Belarus à la fois

l’État de l’Union entre la Russie et le Belarus, tandis que le futur de l’espace économique commun aux trois pays s’est précisé. Une fois par semestre, le Pre-mier ministre russe Vladimir Poutine rencontre son homolo-gue biélorusse Sergueï Sidorski pour évoquer l’ État de l’Union. Une fois par semestre, tous deux font talentueusement semblant qu’un État unique réel existe, avec sa charte et son budget.

Après une réunion de trois heu-res de l’Union douanière Bela-rus-Kazakhstan-Russie le 15 oc-tobre, il ne restait plus rien de

La réunion du 15 octobre n’a pas traîné et les vingt questions à l’ordre du jour ont été vite ré-glées. Une demi-heure plus tard, les participants ont changé de salle pour rejoindre le Premier ministre du Kazakhstan, Karim Massimov. Poutine a lancé la discussion sur les contrats gaziers en annon-çant que la Russie � xerait d’ici à 2015 des prix à revenus égaux pour le gaz vendu à l’intérieur et à l’extérieur du pays. « Que faire de nos partenaires biélorus-ses pendant la période de 2012 à 2015 ? », s’est interrogé Pou-tine. « Nous nous sommes mis d’accord : c’est l’affaire des en-treprises, et j’ai demandé à Ga-zprom de régler la question ». Les tuiles vont ainsi continuer à pleuvoir jusqu’en 2015 sur la tête du président biélorusse Alexandre Loukachenko. Poutine s’est déclaré favorable à la création d’une monnaie com-mune avec le Belarus, assortie d’un centre d’émission commun. Mais pas question d’une Banque centrale avec un capital à parts égales entre Russes et Biélorus-ses. « Les économies russe et bié-lorusse sont de taille différente », a noté le chef du gouvernement russe. « Celle du Belarus repré-sente 3% de celle de la Russie. Ce serait injuste que la Banque centrale soit formée à parité ! » Soit. Il se peut qu’un espace éco-nomique unique soit créé. Mais l’État de l’Union du Belarus et de la Russie n’a jamais existé et ne verra jamais le jour.

L’État commun au Belarus et à la Russie ne fait plus du tout illusion.

YEVGENY VOROTNIKOVSPÉCIALEMENT POURLA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

La récente visite de Dmitri Medvedev a ravivé les tensions diplomatiques avec le Japon qui a rappelé son ambassadeur à Moscou.

La visite qui a fâché Tokyo

Pacifique Îles Kouriles

titane, soufre, ainsi qu’en or, ar-gent et pierres précieuses. Sans compter que le retour des îles Kouriles serait vécu comme un immense victoire diplomati-que. La chute de l’URSS est considérée par de nombreux po-litiques japonais comme une dé-faite de la Russie, leur allouant le droit de réanimer des dispu-tes territoriales. « Depuis plus de 50 ans, Tokyo argue que le traité de paix entre la Russie et le Japon n’a toujours pas été signé depuis la Seconde Guerre mondiale, et ne le sera pas tant que la Russie ne cédera pas ses « territoires autochtones », [nom des îles Kouriles au Japon] », es-time l’expert en géopolitique Ser-gueï Mossolikov.Moscou a réagi calmement mais en rejetant toute revendication territoriale. La Russie cherche à trouver un compromis. En 2005, elle avait proposé de ren-dre deux des quatre îles Kouri-les, alternative � nalement reje-tée par Tokyo. Le Kremlin se rassure en pariant sur le fait que ce con� it n’aura pas de consé-quences graves sur les relations économiques des deux pays, ti-rées notamment par l’exploita-tion conjointe de gaz et de pé-trole en Sibérie orientale.

La réaction du gouvernement ja-ponais à la visite du président russe dans les Kouriles était pré-visible, contrairement à ce qu’ont affirmé certains experts et hom-mes politiques à Moscou. Cette réaction découle de la politique actuelle mise en œuvre par le Parti démocratique et son lea-der Naoto Kan. Arrivé au pou-voir cette année, le nouveau Pre-mier ministre s’emploie à traiter les problèmes économiques du pays. Or les îles Kouriles pour-raient lui en offrir une solu-tion. Outre la réparation de préjudi-ces historiques, le « droit au re-tour » des îles, rattachées à l’URSS par le Traité de paix de San Francisco de 1951, le Japon ne perd pas de vue l’accès pos-sible aux ressources naturelles dans le sud de l’archipel des Kou-riles. Selon certaines estimations, le sud des îles Kouriles est riche en pétrole, magnésium, rhénium,

RUSSIAN LOOK

REUTERS/VOSTOCK-PHOTO

Voir la vidéo surlarussiedaujourdhui.fr

Page 3: 2010_11_LF_all

03LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI larussiedaujourdhui.frcommuniqué de rossiYsKaYa GaZeTadisTribué aVec le fiGaro société

Propos recueillis pareugene abov

en routes. En ce qui concerne les meetings de l’opposition, nous sommes dans une impasse qui doit devenir une route de com-préhension mutuelle entre la so-ciété et le pouvoir. Nous avons aussi défini les trois questions les plus urgentes à pré-senter au Président : la politique d’État concernant les enfants, la maternité et l’enfance ; les réfor-mes de la justice et de la police ; enfin, la déstalinisation. Ce qu’on appelle « la déstalinisation de la

(entretien réalisé juste avant l’autorisation des meetings du 31 octobre).

quand un haut fonctionnaire prend son poste, on lui fixe une période dite des « cent jours », au terme de laquelle on procède à une première évaluation de son travail. qu’espérez vous accom-plir durant cette période ?Si je parviens à mettre fin aux violences de la place Trioumfal-naïa, où les opposants se font ta-basser par la police, ce sera un grand succès. Nos défenseurs des droits de l’Homme et l’opposition demandent le permis de mani-fester sur cette place moscovite le 31 des mois qui en ont [en vertu de l’article 31 de la Constitution qui donne le droit de manifester, ndlr], mais les autorités munici-pales refusent systématiquement. J’espère arriver à sortir de cette impasse. Selon un dicton russe, nos principaux problèmes, ce sont les imbéciles et les routes. Cette formule répond aux deux ques-tions classiques de notre histoi-re : « À qui la faute ? » et « Que faire ? ». À qui la faute ? Aux im-béciles. Que faire ? Des routes. Notre tâche principale, les cent premiers jours et les suivants, c’est de transformer les culs-de-sacs

conscience publique » est en fait un vaste champ qui couvre tous les problèmes d’élimination des vestiges et des stéréotypes com-portementaux typiques d’ un ré-gime totalitaire.

quels indices vous permettront de comprendre que votre pro-gramme de déstalinisation fonc-tionne bien ?Nous n’avons pas de projets, du moins dans l’immédiat, de renom-mer les rues, déboulonner des sta-tues, détruire les symboles du passé totalitaire. Au contraire, nous voulons commencer par construire et non par détruire. Nous voulons bâtir la mémoire des victimes du régime totalitai-re, leur élever des monuments, créer des musées, nous voulons que des rues portent leur nom. Tout cela est très utile pour édu-quer la société en général, et la jeunesse en particulier. Les jeu-nes doivent connaître la vérité sur leur passé. Et en fonction des ré-sultats des sondages, nous ver-rons si notre programme fonc-tionne ou non et si nous devons continuer dans la même direc-tion.

la presse occidentale rappelle sans cesse que la russie est l’un

des pays les plus dangereux au monde pour les journalistes. on pense tout de suite à Khlebnikov, Politkovskaïa. comment assurer la sécurité des journalistes ?Jusqu’à peu, j’ai occupé le poste de directeur du Centre du jour-nalisme en situations extrêmes au sein de l’Union des journa-listes de Russie. En cette qualité, je traitais tous les cas d’agres-sion, de persécution, de licencie-ments et d’autres affaires de vio-lation des droits dans le domaine de la presse. Malheu-reusement, c’est vrai que les en-quêtes sur les assassinats de jour-nalistes sont très mal menées, mais je ne crois pas qu’il s’agis-se d’une mauvaise volonté des autorités. Les crimes de ce type sont en général très embrouillés, difficiles à élucider, et même si les autorités voulaient à tout prix les résoudre, elles ne pourraient pas faire grand-chose. C’est im-possible aujourd’hui. Et puis nos policiers ne savent plus travailler, tout simplement. Ils ne se don-nent de la peine qu’à partir du moment où il y a une rétribu-tion matérielle à la clé.

c’est-à-dire que cela dépasse le cas des seuls journalistes ? c’est une caractéristique de nos forces de l’ordre ?Oui, c’est une caractéristique gé-nérale. J’ai des exemples d’offi-ciers qui proposent de ne retrou-ver le coupable qu’en échange de telle ou telle somme. C’est le degré ultime de la dégradation de notre système d’ordre public. Mais la corruption ne touche pas que cette sphère-là. Elle dévore l’État tout entier. C’est le plus gros problè-me de la Russie actuelle.

ben arisBusiness new europe

l’intégration des personnes handicapées dans la société russe reste très difficile malgré des progrès récents.

Le combat d’Evelina pour travailler normalementhandicap reportage sur une jeune handicapée qui se heurte aux barrières de l’invalidité dans la vie professionnelle russe

Evelina se promenait sur un che-min lorsqu’elle s’est retrouvée au beau milieu d’un échange de tirs entre les forces fédérales russes et les rebelles tchétchènes. Une balle perdue a tout fait basculer. Eve-lina a perdu la motricité de toute la partie inférieure de son corps. Pourtant, elle s’estime chanceu-se, car elle fut immédiatement transportée par hélicoptère à un hôpital où, durant deux jours, les médecins luttèrent pour la sauver. Une fois sa vie hors de danger, elle fut transférée à Mos-cou et ce fut le début d’une in-terminable convalescence.Plus d’un million d’enfants rus-ses sont affligés de handicaps et le pays manque cruellement de services spécialisés. Nombreux

La meilleure amie d’Evelina s’appelle Ioulia Bessonova. Elle est également dans un fauteuil roulant, et a partagé sa chambre avec Evelina lorsqu’elle était adolescente. Aujourd’hui, elle est professeur d’anglais. Ioulia a eu la chance non seulement de trou-ver un emploi, mais aussi de bé-néficier d’un ascenseur dans l’école, pour se rendre à sa salle de classe. Les deux jeunes femmes ont pu mettre assez d’argent de côté pour se payer une voiture amé-nagée. Evelina reste prudem-ment optimiste sur son avenir : « Tout dépend des autres. Ils faut qu’ils réalisent qu’il est possible de travailler malgré un handi-cap ».

Allongée sur son lit, dans un ap-partement moscovite qu’elle par-tage avec sa mère et sa sœur ca-dette, Evelina Matveeva surfe sur le net tout en discutant au télé-phone. Née à Grozny, elle a passé la plupart de sa vie alitée, de-puis qu’une balle a traversé son torse il y a quinze ans, effleurant le cœur et brisant sa colonne ver-tébrale. C’était en janvier 1995, au début de la première guerre de Tchét-chénie. Alors âgée de onze ans,

sont ces enfants qui n’atteignent pas l’âge adulte. Grâce à des aides diverses, la famille d’Eve-lina s’est installée à Moscou. Iossif Kobzon, une vedette de la chanson soviétique, lui a fait un don de 15 000 euros. Mais l’argent manque. Evelina reçoit une pension de 238 euros et travaille à temps partiel dans une clinique de réhabilitation pour un salaire minuscule. Ob-tenir un emploi à temps plein relève du rêve, tant la discrimi-nation envers les handicapés est forte. « En Occident, si l’on a perdu l’usage de ses jambes, on est considéré comme une person-ne malgré tout », explique Eve-lina. « Ici, on est juste un mala-de, point final ». evelina matveeva à droite et son amie ioulia bessonova à gauche.

VeroniKa dormanspécialement pourla russie d’aujourd’hui

oleg Kachine vient s’ajouter à la longue liste des journalistes agressés ou tués en russie ces dernières années, sans que les enquêtes n’aient jamais abouti.

L’affaire Kachine met les autorités au pied du mur

criminalité encore un journaliste agressé

Trois pistes se dégagent a priori. La méthode d’intimidation res-semble à celle employée à l’égard des combattants actifs contre la construction d’une autoroute à travers la forêt de Khimki : le journaliste Mikhaïl Beketov, battu et devenu estropié en 2008, et le militant de l’opposition Konstantin Fedotov, tabassé à coups de batte de baseball à peine 24 heures avant l’agres-sion de Kachine. Seconde hypo-thèse : Oleg Kachine avait refu-sé de présenter ses excuses au gouverneur de Pskov, Andrei Tourtchak, qu’il avait insulté dans son blogue. Enfin, le site du mouvement de jeunesse pro-Kremlin « Molodaïa Gvardia » a qualifié Kachine de « traître » et publié sa photo scellée d’un « sera puni » menaçant. La violence contre les journa-listes est très fréquente en Rus-sie. Plus de 300 d’entre eux ont été tués depuis la chute de l’URSS en 1991, a affirmé le pré-sident de l’Union des journalis-tes , Vsevolod Bogdanov.

« Un assassinat de journaliste sur dix fait l’objet d’une vérita-ble enquête », s’indigne Ryjkov. Malgré la résonance internatio-nale de l’affaire, le meurtre d’An-na Politkovskaïa, en 2006, n’a toujours pas été élucidé. Pour l’heure, un sentiment de co-lère domine parmi les journalis-tes russes, décidés à ne pas lâ-cher la garde tant que l’enquête n’a pas prouvé son efficacité. En attendant, les amis et collègues d’Oleg Kachine se plaignent de l’incurie des enquêteurs ignorant tout de la victime au moment de commencer les interrogatoires. Novaïa Gazeta, le principal jour-nal d’opposition, s’est indigné du fait que la vidéo de surveillance ayant capté l’agression circule sur Internet : impossible d’y re-connaître les agresseurs, les voilà rassurés. Et pour parfaire le ta-bleau, une dirigeante de l’orga-nisation de jeunesse « Nachi » (pro-Kremlin) a cru bon de conseiller aux journalistes sou-haitant garantir leur sécurité « de ne plus donner de raisons de se faire tuer ».

Une semaine après s’être fait vio-lemment tabasser en bas de chez lui, Oleg Kachine, les mains mu-tilées et le crâne fracturé, a été tiré d’un coma artificiel. Pendant les jours qui ont suivi l’agres-sion, des collègues journalistes, quelques hommes politiques et de rares sympathisants se sont relayés en permanence devant la préfecture centrale de Mos-cou. Espacés de cinq mètres - la loi russe autorise le « piquet so-litaire » - ils brandissaient des pancartes exigeant que soient re-trouvés les commanditaires de l’attaque. Vladimir Ryjkov, une figure de l’opposition, rentre la tête dans les épaules pour se pro-téger d’un vent mordant : « Nous sommes ici pour défendre Oleg Kachine, nous défendre nous-mêmes et tous les citoyens rus-ses. Cela aurait pu arriver à n’im-porte qui d’entre nous ». Dmitri Medvedev a immédia-tement réagi, déclarant que « ceux qui sont impliqués dans ce crime seront punis quels que soient leur statut, leur position dans la société ou leurs mérites s’ils en ont », sous-entendant qu’il pourrait s’agir d’hommes de pouvoir ou d’influence et que, pour la première fois, ce ne se-rait pas un obstacle à l’enquête. Mais les sceptiques ne manquent pas. « C’est une réaction nor-male, humaine, et nous la sa-luons », commente Ilia Baraba-nov, directeur adjoint de l’hebdomadaire d’opposition The New Times. « Mais l’histoi-re nous montre que ces bonnes intentions ne se traduisent ja-mais dans les faits. En 20 ans, aucun commanditaire d’un as-sassinat ou d’une agression de journaliste n’a été puni ».Mikhaïl Fedotov, le conseiller des droits de l’homme auprès du président russe, est lui-mê-me très prudent. « C’est un crime difficile à élucider. Pour établir l’identité des commanditaires, il faut déterminer à qui profite le crime ». Pour l’heure, les en-quêteurs se sont mis d’accord sur le motif : l’activité profes-sionnelle et l’engagement civi-que du journaliste.

mikhaïl fedotov

Le 12 octobre, Dmitri Medvedev a nommé Mikhaïl Fedotov à la tê-te du Conseil d’assistance au dé-veloppement des institutions de la société civile et des droits de l’homme auprès du Président.

construire un pont entre le pouvoir et l’opposition

enTreTien la mission du conseiller présidentiel aux droits de l’homme

« statistiquement, un assassinat de journaliste sur dix fait l’objet d’une véritable enquête »

Ben aris

serg

e go

lova

ch

boris nemtsov, un des leaders de l’opposition, participe à la première manifestation dite du « 31 » autorisée par le Kremlin.

alex

an

dr

vayshtein

_kom

mer

san

t

Page 4: 2010_11_LF_all

04 LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI LARUSSIEDAUJOURDHUI.FRCOMMUNIQUÉ DE ROSSIYSKAYA GAZETADISTRIBUÉ AVEC LE FIGARO Économie

industrie minière Alrosa, en situation de monopole en Russie, contraint de faire appel à des capitaux extérieurs

Temps difficiles pour le diamant russe

De grandes ambitions boursièresAlrosa envisage de recueillir jusqu’à 2,5 milliards de dollars lors d’une première levée de fonds en bourse. Le monopole russe du diamant a confirmé ses intentions dans un entretien accordé par son PDG Fedor Andreïev au quoti-dien Kommersant. La part placée pourrait atteindre 20% et le dia-mantaire n’exclut pas de réaliser l’opération en partie sur le mar-ché londonien. En principe, Mos-cou doit rester la place financière directrice pour la compagnie rus-

se. Andreïev se déclare opposé à l’entrée d’un investisseur stratégi-que au capital du groupe, ce qui signifie que l’État, qui gardera le contrôle, ne veut pas voir émerger un actionnaire capable d’influer sur les décisions stratégiques. Pour cette raison, le PDG caresse l’idée d’un placement ouvert aux petits porteurs russes. Très parta-gés, les experts évaluent la valeur du groupe entre 5 et 10 milliards de dollars. L’opération devrait se dérouler en 2011 ou 2012.

Avec une superficie de 3,1 millions de kilomètres carrés, la Iakoutie représente près du cinquième de l’ensemble du territoire russe. Un climat particulièrement froid (tem-pérature moyenne de -40 °C en janvier dans la capitale régiona-le Iakoutsk) et l’éloignement des grands centres de peuplement ont limité son développement. La région a une population de 950 000 habitants.Sur la photo : la mine de Mirny, située en Sibérie orientale.

AUX CONFINS

Diamants bruts provenant des gisements de Iakoutie.

SVETLANA SOROKINALA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

Le géant Alrosa (97% de la production nationale de diamant) a besoin de plusieurs milliards d’euros pour financer sa dette et les investissements nécessaires à sa production.

Globalement, la compagnie mi-nière a du mal à faire face à la demande croissante issue des pays émergents. Or Alrosa a besoin d’investissements urgents pour devancer l’épuisement.L’extraction et la vente de dia-mants sont une activité des plus rentables, mais depuis juin, le groupe a accumulé des dettes s’élevant à plus de 2,6 milliards d’euros, et nécessite des � nance-ments supplémentaires à hauteur de 1,3 milliards d’euros d’ici à 2012, assurent les spécialistes.Et le coût des investissements continue de grimper. Alrosa ex-ploite la mine de Mirny, énorme fosse à ciel ouvert située dans les vastes étendues gelées de la Ré-publique de Sakha. Avec pas moins de 525 mètres de profon-deur et 1,25 km de diamètre, la plus grande mine du monde conti-nue de se creuser, risquant de pro-voquer, à terme, un effondrement des parois. Compte tenu de cette

Le vieillissement des installations minières, une politique opaque et un programme social de grande envergure ont plongé Alrosa dans un goulot � nancier alors que s’im-posent de gros investissements.Le 7 octobre dernier, les législa-teurs de la république de Sakha (Iakoutie) en Sibérie orientale, dé-tenteurs d’environ 40% du mo-nopole diamantaire, ont autorisé le géant public russe à s’ouvrir aux investisseurs privés. La so-ciété a déjà changé de statut ju-ridique, et prévoit de vendre entre 20-25% de ses actions l’année pro-chaine, en vue de recueillir les fonds qui lui font défaut.

situation, l’industrie minière devra se tourner vers une extraction sou-terraine pour atteindre le reste des ressources diamantifères. Selon Andreï Lobazov, de la banque d’investissement Metropol, le coût de l’opération pourrait bien faire exploser le plafond de la dette.Garant de la ville minière per-chée aux abords de la carrière, Alrosa est déjà fortement affai-blie par le poids des coûts so-ciaux. En 2008, la crise � nancière mon-diale sévissant jusque dans la Toundra russe, la compagnie a vu sa production réduite de maniè-re drastique. En outre, elle a dû augmenter considérablement sa dette pour maintenir son niveau de main d’œuvre. Ainsi, même lorsque les ventes de diamants étaient proches de zéro, aucun em-ployé n’a été licencié. « De décembre 2008 à juin 2009, la dette d’Alrosa a augmenté de plus de 1 milliard d’euros », a dé-

Il n’empêche que c’est désormais d’un � nancement extérieur qu’a besoin l’entreprise. Or, ouvrir la mine aux investisseurs étrangers est une mesure pouvant s’avérer politiquement impopulaire en Sibérie. Alrosa n’aura sans doute pas le choix. Sergei Goryianov, expert chez Rough & Polished, estime que la � rme sera contrainte de céder ses actifs : « Sa dette est déjà trop élevée, et la société né-cessite de plus en plus de crédits. Par exemple, le groupe a besoin d’argent pour explorer et déve-lopper de nouveaux gisements de diamants. Si Alrosa ne trouve pas les fonds suffisants, cela aura un impact sur sa production, car les réserves disponibles sont proches de l’épuisement ». Cette année, Alrosa compte ven-dre 2,5 milliards d’euros de dia-mants contre 1,6 milliards en 2009." Il faut diversifier la pro-

duction et promouvoir d’autres types d’activités.

En introduisant l’entreprise sur les marchés financiers, on créera de nouveaux emplois et on obtiendra une plus grande efficacité ».PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE DE IAKOUTIE

ILS L’ONT DIT

Yegor Borisov

" La société a besoin de fi-nancements pour un projet de mines souterraines, car

les exploitations existantes sont proches de l’épuisement. Cela apportera de la transparence et attirera les investisseurs ».EXPERT CHEZ ROUGH & POLISHED

Sergei Goryianov

PAUL DUVERNETLA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

Présent depuis plusieurs décennies en Russie, le fabricant français de matériel électrique renforce ses positions sur un marché en pleine croissance.

Schneider Electric s’implante à Samara

Distribution électrique Acquisition de 50% d’Electroshield-TM

acquérir la totalité du capital d’Electroshield-TM dans des conditions � nancières identiques. Il lui faut pour cela obtenir au préalable l’aval du régulateur russe, l’agence fédérale anti-mo-nopole. L’opération s’inscrit en outre dans la stratégie globale de Schneider Electric, qui est de rester le leader mondial dans le segment de la moyenne tension. Emmanuel Babeau, directeur � -nancier du groupe, estime que « cette transaction répond à notre ambition de croissance dans les nouvelles économies, comme l’In-de, le Brésil et la Russie, et de renforcer notre activité de moyen-ne tension ». Il s’agit de saisir la croissance où elle se trouve, en particulier dans les pays émer-

Le groupe français a signé � n octobre un accord pour le rachat de 50% d’Electroshield-TM Sa-mara, le leader russe des équi-pements de moyenne et basse tension. Schneider a déboursé 265 millions d’euros pour satis-faire son ambition, qui est de s’af-� rmer comme le « numéro un du marché en pleine croissance de la moyenne tension en Russie », dixit un communiqué de presse. À terme, le français compte bien

gents. La Russie, qui connaît d’énormes besoins en matière de construction et d’amélioration de l’efficacité énergétique, repré-sente une cible de choix pour le groupe français, qui y employait

déjà 3 500 salariés et réalisait en moyenne un chiffre d’affaires annuel de 550 millions d’euros. Par comparaison, Electroshield-TM emploie 7 500 personnes pour un chiffre d’affaires prévu

d’environ 425 millions d’euros en 2010. Si le rapport entre les effectifs et le chiffre d’affaires est moindre pour le groupe russe, il convient de noter que ses ventes ont pro-gressée de 30% par rapport à 2009, et ceci en dépit de la crise écono-mique, qui avait particulièrement frappé le secteur industriel. Basé à Samara, à un millier de kilomè-tres à l’est de Moscou, Elec-troshield-TM compte en tout qua-tre unités industrielles et une forte présence commerciale dans les pays de l’ex-URSS, en particulier l’Ouzbékistan et le Kazakhstan. Point non moins crucial pour Sch-neider : les liens étroits de sa cible russe avec l’industrie du gaz et du pétrole russe, à laquelle Elec-troshield-TM fournit des équipe-ments clés. Lors de la signature du contrat de vente, le président de Schneider Electric Jean-Pas-cal Tricoire a assuré que son grou-pe serait « étroitement associé » au plan de modernisation de trois raffineries de Rosneft, le numéro un russe du pétrole. Un plan qui représente des dépenses de trois milliards de dollars. Le gros lot est désormais tout proche…

claré son directeur des relations publiques, Andreï Poliakov. En mai 2009, le gouvernement est venu à la rescousse, en achetant environ 800 millions d’euros de diamants à la compagnie et en les ajoutant aux réserves de l’État.

[email protected] larussiedaujourdhui.fr/lettres

Malgré la crise, les ventes du nouveau partenaire russe ont progressé de 30% par rapport à l’an dernier

REU

TER

S/V

OST

OC

K-PH

OTO

(2)

Une séparation temporaire avec l’être aimé ou un rendez-vous tous les quatre mois au service russe des migrations, tel était jusqu’à présent le sort réservé aux parents ou conjoints des étrangers venus travailler en Russie. Le Parlement russe a déci-dé de remédier à cette situation. Le 19 octobre, il a adopté en première lecture un projet de loi qui permettra aux conjoints des expatriés d’obtenir et de prolonger leur visa de travail pour toute la durée de l’expatriation.

EXPATRIÉS

LA LOI RUSSE S’HUMANISE :UNE TRACASSERIE DE MOINS POUR LES CONJOINTS D’EXPATS

Pour en savoir plus :larussiedaujourdhui.fr

VO

STO

CK-

PHO

TO

Page 5: 2010_11_LF_all

05LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI larussiedaujourdhui.frcommuniqué de rossiYsKaYa GaZeTadisTribué aVec le fiGaro économie

forum d’affaires france-russie8 et 9 décembre, moscou

UBIFRANCE organise un forum ouvert à toutes les entreprises françaises souhaitant échanger leurs expériences avec leurs ho-mologues russes. Des rendez-vous individuels, tables rondes et séminaires thématiques figu-rent au programme. Le Forum coïncide avec la tenue à Moscou du Séminaire intergouverne-mental (8 décembre) en présen-ce des Premiers ministres des deux pays.

www.ubifrance.fr ›

tous les détails surlarussiedaujourdhui.fr

en bref

Vladimir Poutine a fait un nou-vel appel du pied à Renault pour que le groupe français monte jusqu’à 50% du capital de son partenaire russe. Carlos Ghosn, le PDG de Renault jusqu’ici hostile à des investis-sements supplémentaires dans un constructeur qu’il détient déjà à 25%, s’est dit intéressé par la proposition. L’alliance Renault-Nissan-AvtoVAZ am-bitionne de porter à 40% sa part du marché automobile russe. Les ventes d’AvtoVAZ, après un effondrement consécutif à la crise mondiale, sont bien repar-ties cette année, grâce à une res-tructuration, un important ap-port financier de la part de l’État fédéral et une forte reprise de la demande sur le marché russe.

La Compagnie unifiée de construction navale (OSK), côté russe, et le groupe français DCNS ont signé le 1er novem-bre un accord sur la création d’un consortium commun. Le type de navires à produire n’a pas été précisé. Igor Setchine, vice-Premier ministre et prési-dent du Conseil d’administra-tion de OSK, a indiqué qu’il s’agissait de « poser les bases d’une coopération civile et mi-litaire franco-russe ». Moscou négocie parallèlement avec Paris l’achat de 4 navires de projection de classe Mistral.

renault étudie la prise de contrôle d’avtoVaz

création d’un consortium de chantiers navals

affaires à suiVre

niKiTa arTemeVla russie d’aujourd’hui

les ventes de vin français en russie sont freinées par des prix prohibitifs reflétant des taxes excessives et une trop grande concentration des acteurs. mais le marché évolue...

entre la bière et la vodka, une place pour les grands crus

industrie viticole malgré les prix, le vin français cherche à percer sur le marché russe

pour 5 euros. La même bouteille figure au menu du restaurant Chez Clément au prix de 25 euros. Mais en Russie, sur les éta-gères de la chaîne d’épiceries « Azbouka Vkoussa », elle est af-fichée à 37 euros… Autre exem-ple, le Champagne Louis Roe-derer Cristal Brut, un spiritueux haut de gamme apprécié en Rus-sie, s’y vend à 247 euros, tandis qu’en France, on le trouve en moyenne à 125 euros, soit deux fois moins cher. Pourquoi une telle majoration ?Les responsables russes avancent pour explication le fait que les producteurs français ne peuvent traiter qu’avec une poignée de distributeurs qui se partagent le marché. Selon les experts du Centre d’étude du marché d’al-cool fédéral et régional (CEM-FRA), environ 80% des vins im-portés passent par 15 compagnies, dont les plus importantes sont Luding (19% du marché), Moro-import (10%), ILS (8,4%). Une conséquence, plus qu’une cause. « En Russie, il est difficile d’ob-tenir une licence, et c’est extrê-mement onéreux », explique le conseiller commercial d’UBI-FRANCE en Russie, Philippe Pe-gorier. « En protégeant les pro-ducteurs locaux, les autorités russes oublient les consomma-teurs ». Selon Mikhaïl Blinov, dé-

Exporter du vin en Russie n’est pas chose facile, admet Sylvie Crazes, la présidente de l’Union des Grands Crus de Bordeaux. « Ce n’est pas notre faute si nos produits présentés sur le marché russe ne sont pas suffisamment diversifiés, et affichent des prix trop élevés », a-t-elle déclaré lors des Journées françaises des vins et spiritueux à Moscou, fin oc-tobre. « C’est une question d’or-dre administratif. Nous regret-tons cette situation ». La Russie d’Aujourd’hui a essayé de com-prendre pourquoi les vins de qua-lité français ne parviennent pas toujours jusqu’aux rayons des simples supermarchés russes. Il y a quelques mois, le Service fédéral anti-monopole (FAS) a mené une étude sur la composi-tion des prix des vins importés, concluant que les Russes payaient leurs bouteilles de vin français plusieurs fois le prix acquitté par les Européens. Par exemple, un vin blanc sec d’Alsace dans un commerce parisien est proposé

puté à la Douma, les droits d’en-trée de 20% sont désormais prohibitifs. Toutes ces mesures ont un impact direct pour le coût final du vin, réduisant la deman-de et la concurrence sur le marché. Pour remédier à cette situation, une Association des importateurs de vin (AIV) a vu le jour récem-ment. « En Russie, nous avons besoin de créer un marché du vin accessible. Il est nécessaire de modifier les structures de

la demande croissante pour le vin de qualité profitera aux français.

consommation par type d’alcool

Russie. Malgré les interdictions et les difficultés, 99,2 millions de litres de vin ont été importés en Russie au cours de la première moitié 2010, soit 20,8% de plus que l’année dernière à la même époque. Avec environ 20 millions de litres (19% des importations totales), la France représente une grosse portion des livraisons. Selon les experts, l’abaissement des barrières douanières permet-tra d’accroître la demande en vin français, et de créer un environ-nement favorable à la concur-rence, étape indispensable pour le développement des produits locaux. Gérard César, sénateur de la Gi-ronde, nous a confié que des né-gociations étaient déjà en cours avec la ministre des Finances Christine Lagarde, afin qu’elle s’efforce de convaincre les auto-rités russes de la nécessité de simplifier les procédures admi-nistratives pour les entreprises françaises. Des produits de qua-lité à des prix abordables per-mettront peut-être de faire de la Russie, royaume des buveurs de bière et de vodka, un pays consommateur de vin, comme c’était encore le cas, en réalité, il n’y a que 20 ans. Les Russes devraient pouvoir s’offrir les meilleurs crus bordelais sans se ruiner.

Propos recueillis par emmanuel Grynszpan

entretien avec sandro Khatiachvili, directeur de projet chez simple, distributeur de vin à moscou.

le vin français : peu dégusté, trop cher et très concurrencé

ché viennent s’ajouter, mais ce sont les mêmes pour tous les vins importés ». Les fortes taxes, les certifications, les changements incessants de la réglementation « impliquent un travail humain très important. Une vingtaine de personnes sont employées dans notre compagnie rien que pour la paperasse », ce que le consom-mateur finit par payer. La demande pour le vin français reste faible. « C’est une niche étroite, c’est pourquoi nous ne pouvons pas vraiment baisser les prix », regrette Khatiachvili.En outre, le vin français se trou-ve en concurrence avec de soli-des rivaux. « Les vins italiens sont plus populaires. C’est dû au fait que les Italiens se montrent

Expert en vins français et espa-gnols, Sandro Khatiachvili ob-serve avec une certaine réserve la percée des vins de qualité sur le marché russe : « Je ne vois malheureusement pas d’évolu-tion positive sur les cinq derniè-res années. Les Russes boivent presque la même gamme de vin qu’il y a dix ans, et je n’ai pas observé l’émergence de connais-seurs du vin. Suivant les moyens dont ils disposent, les consom-mateurs éclairés vont reconnaî-tre disons 30 à 40 appellations dans leur gamme de prix et ne vont pas voir plus loin. En ce qui concerne les champagnes, la compréhension des appellations est minimale ». L’expert regrette que le facteur essentiel qui guide le choix du consommateur russe reste le prix, et non pas la connaissance du produit. Or, le rapport qualité-prix n’est pas toujours favora-ble au label français, dont les vins de table et vins de pays sont parfois deux fois plus chers que leurs concurrents chiliens à qua-lité équivalente. Khatiachvili re-connaît que le vin français est très cher en Russie et relève que « des facteurs autres que le mar-

beaucoup plus agressifs sur le plan commercial. Ils font énor-mément d’efforts pour popula-riser l’image de leur pays. Un exemple : Moscou compte des tas de restaurants italiens alors qu’il ne reste plus un seul res-taurant 100% français ». La pas-sivité des Français est montrée du doigt. « À notre niveau, nous faisons beaucoup d’efforts pour faire connaître le vin français. Nous remplissons le rôle des autorités françaises, et cela ne suffit pas », estime Khatiachvili. Il y a bien le syndicat des Grands Crus bordelais qui organise un festival annuel à Moscou. « Bonne idée, mais c’est trop peu ». Autre erreur française, l’opération Beaujolais nouveau qui, selon notre expert, « discrédite globa-lement la production française, car c’est un mauvais vin. Les crus Beaujolais ne se vendent pas du tout à cause de ça ». Il ne faudrait pas non plus né-gliger la concurrence des vins russes. « Nos consommateurs sont très patriotiques, et le vin du Kouban fonctionne sur la forte nostalgie qu’il évoque » en dépit de sa modeste qualité. Le mes-sage est clair : ici, il faut d’abord s’imposer par l’image avant de triompher sur le goût.

millions de décalitres de vin ont été importés en Russie dans la première moitié 2010, soit 20,8% de plus que l’année dernière.

millions de litres de vin français ont été importés en Russie dans la première moitié de 2010, soit 19% des importations totales dans le pays.

9,92

20

chiffres clés

consommation des boissons al-coolisées en faveur du vin », ex-plique Alexandre Pochinok, membre du Conseil de la Fédé-ration de Russie. En effet, aujourd’hui encore, la Russie reste associée à la vodka, même si la population consomme prin-cipalement de la bière. La part de la vodka dans la consomma-tion globale des boissons alcoo-lisées est de 13%, et de seule-ment 6% pour le vin. En revanche, elle s’élève à 80% pour la bière, et à peine 1% pour le cognac. Pourtant, une vingtaine d’années auparavant, la consom-mation de vin était de 21 litres par personnes et par an, contre 13 litres de vodka… Il est vrai que du temps de l’URSS, la culture de la consom-mation de vin était plus présen-te qu’aujourd’hui. Les citoyens ordinaires avaient accès à des crus de qualité en provenance de Moldavie, de Géorgie et de la région de Krasnodar. « De plus, il est très facile d’acheter une bouteille de « vin » à base d’al-cool pur et de sucre, sans rai-sins », s’indigne M.Pochinok. « Ce type de vin représente au moins 25% du marché ». Dans ce contexte, les compagnies françaises peuvent justement jouer un rôle clé dans l’amélio-ration de la qualité du vin en

www.larussiedaujourdhui.fr/expert

sim

ple

ria novosti

cep

ha

s/fo

tob

an

k

source: ria novosti

Page 6: 2010_11_LF_all

06 LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI larussiedaujourdhui.frcommuniqué de rossiYsKaYa GaZeTadisTribué aVec le fiGaro énergie

réveil écologiqued’euros. La Russie est le premier producteur mondial de pétrole et de gaz. Plafonnés par l’État, les prix domestiques de l’énergie res-tent très en dessous du marché et rendent inopérante toute incita-tion aux économies. Medvedev table donc sur un changement profond des comportements. Son objectif est d’augmenter de 40% le rendement énergétique de l’éco-nomie nationale d’ici à 2015. Le Président a lancé des mesures pour réduire la part des hydro-carbures dans la production d’électricité. Il a aussi ordonné la suppression progressive des am-poules à incandescence. Sur cette voie, la Russie est à la

Mais le temps n’est plus aux bla-gues. Le Président Dmitri Med-vedev a adopté une ligne beau-coup plus ferme sur la nécessité de protéger l’environnement. Il s’appuie en outre sur un rapport de la Banque mondiale qui mon-tre que l’amélioration de l’effica-cité énergétique augmentera la productivité et la compétitivité du pays. « Des investissements dans ce secteur pourraient faire éco-nomiser l’équivalent de 70 mil-lions de tonnes de pétrole par an », a précisé Medvedev l’été dernier. Au prix actuel du marché, cela revient à économiser 27,6 milliards

traîne et loin derrière la Chine, qui est déjà le premier produc-teur mondial d’éoliennes et de panneaux solaires, tout en étant sur le point de fabriquer la pre-mière voiture totalement électri-que. Néanmoins, la Russie bouge dans la bonne direction. Cet été, le gouvernement a dévoilé un pro-jet de construction de huit cen-trales produisant des ampoules à très basse consommation. La pre-mière usine solaire russe ouvrira vraisemblablement à Kislovodsk

(Caucase du Nord) dès l’année prochaine, selon Rostovteploelek-troproekt, une compagnie russe spécialisée dans la création de centrales électriques. C’est une petite centrale de 13 MW à 3 mil-liards de roubles, mais d’autres centrales solaires et éoliennes sont déjà en projet. L’entreprise comp-te également développer les sour-ces d’énergie renouvelable pour un montant de 215 millions d’euros dans la région de Kras-nodar et précise que « le projet

éolien sera mis en place en deux étapes, avec une capacité totale de 100 mégawats, et le travail dans le parc d’éoliennes pourrait commencer dès l’année prochai-ne, en fonction des autorisations nécessaires ». Siemens est aussi candidat pour participer au pro-jet, tandis que le géant de l’hy-droélectricité RusHydro se diver-sifie en construisant un parc d’éoliennes à Saint-Péters-bourg. Entre-temps, l’énergie hydrauli-que gagne aussi du terrain. Au mois de juin, l’entreprise italien-ne ENEL et RusHydro ont signé un accord de coopération sur des projets d’énergie renouvelable, no-tamment marémoteurs et géother-miques, ainsi que sur la revente d’électricité.On observe des progrès similai-res dans l’industrie du biocarbu-rant. Le producteur de gaz natu-rel russe Itera veut construire une usine de méthanol dans la région de l’Oural. En juin dernier, le conseiller économique du Prési-dent, Arkady Dvorkovitch, a an-noncé que le gouvernement sou-tiendrait de petits projets énergétiques utilisant des biocar-burants en leur consentant des avantages fiscaux et des taux d’in-térêts bonifiés. Les biocarburants pourraient bé-

néficier de plans de recyclage déjà enclenchés. En août, le ministère des Ressources naturelles et de l’Environnement a élaboré un avant-projet de loi pour promou-voir le recyclage. On est encore loin du tri entre les conserves et les déchets organiques, comme dans les foyers européens, mais la loi prévoit que les usines devront recycler les déchets dont elles se débarrassaient en douce jusqu’à présent. Les usines à papier de-vraient vendre une grande partie de leurs résidus à des centrales de biocarburant, ce qui se traduirait par un gain économique en plus de la réduction des déchets.La Russie s’est aussi éprise de la voiture hybride. Le milliardaire Mikhaïl Prokhorov a affirmé qu’il comptait lancer une production massive de voitures électriques à bas prix dans le pays, un projet naturellement applaudi par le gouvernement. Les trois premiers prototypes de la voiture à 8 500 euros devraient sortir de la chaî-ne de fabrication en décembre.

rachel morarjeeBusiness new europe

après six ans d’apathie, les autorités russes activent le potentiel d’investissements « propres » générés par le négoce de crédits carbone.

retard à l’allumage sur le carboneRussie, mais le bourbier politi-que nous a empêchés de le faire », se souvient James.Il faut croire qu’il est entré trop tôt sur le marché russe des droits d’émission de carbone, qui vient à peine de se former. Cette année, la Russie a donné son feu vert à quinze projets qui visent à ré-duire les émissions de gaz à effet de serre. Les secteurs concernés vont de la production de papier à l’industrie chimique. Trente millions de tonnes de crédits de carbone produits par ces projets pourraient générer près de 214 millions d’euros. En ratifiant le Protocole de Kyoto en 2004, la Russie s’est engagée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Parallèlement, le programme donne aux pays dé-veloppés la possibilité d’investir dans la réduction des émissions des pays en développement.

Lorsque Kevin James de Clima-te Change Capital s’est installé à Moscou en 2005, il espérait que son entreprise, spécialisée dans la dépollution des vieilles usines soviétiques, deviendrait l’une des premières à faire fortune dans ce secteur. Hélas, il fut contraint de jeter l’éponge après seulement quatre ans d’activité, bloqué par des conflits incessants entre les ministères autour de la vente des crédits de carbone en échange d’une réduction des émissions.« Nous avons essayé de lancer trois ou quatre projets respec-tueux de l’environnement en

C’est principalement grâce à l’ef-fondrement de l’URSS et l’ex-ploitation des complexes d’in-dustrie lourde datant en grande partie de l’époque soviétique que les émissions de carbone sont restées au niveau de 1990 en Rus-sie.

Mais jusqu’à la crise financière de 2008, les autorités ne voyaient pas les bénéfices qu’on pouvait tirer des réductions des émis-sions, car le pays était inondé de liquidités, analyse James. Cette attitude a changé lorsque l’argent a commencé à manquer.Le premier appel d’offres pour identifier les quinze pionniers cette année était un test. S’il s’avère concluant, d’autres pro-jets suivront. Il ne faut cependant pas rêver.On ne mise plus, en effet, sur les espoirs que plaçaient les inves-tisseurs internationaux dans la capacité de la Russie à émettre près de 300 millions de tonnes de crédits de carbone et à géné-rer ainsi une valeur de près de 2,140 milliards d’euros sur le marché, d’autant que l’avenir de celui du carbone reste incertain au-delà de 2012.

moscou a ratifié Kyoto en 2004.

les étrangers mènent la danseLes firmes occidentales jouent un rôle capital dans la prise de conscience écologique des entre-prises en Russie, où elles s’effor-cent en particulier d’appliquer les normes internationales au niveau local. « Les avancées ne sont pas aussi importantes que souhaitées, mais la conscience et l’intérêt pour ces questions grandissent, et de plus en plus d’entreprises nous rejoignent », constate Ele-na Kopylova, représentante du Fonds mondial pour la nature (WWF).Kimberley-Clark, qui a ouvert une usine près de Moscou en juin der-nier, promeut une gestion res-ponsable des matières premières en Russie, assure Cecila Ortliela, chargée de la stratégie de durabi-lité mondiale. Tetra Pak Russie se procure la plu-part du carton de ses emballages auprès d’un fournisseur local cer-tifié FSC, l’International Paper de Svetlogorsk. Le fabricant d’embal-

lages a désormais pour mission de recycler la plupart de ses pro-duits, affirme le vice-président de la société pour la conservation de l’environnement, Alexandre Bar-soukov. Le recyclage des embal-lages de Tetra Pak Russie n’est ni difficile, ni coûteux. Pourtant, il n’a débuté qu’il y a trois ans. La so-ciété suisse TDF Ecotech est en-trée en négociation l’année der-nière pour racheter une usine de recyclage dans la région de Kav-kazskie Mineralniye Vody, à hau-teur de 90,5 millions d’euros. Mais les efforts environnementaux des Occidentaux ne séduisent pas tous les écologistes. « Je ne vois pas la différence entre les sociétés occidentales ou pro-occidentales, et les entreprises russes », esti-me le représentant de Greenpea-ce Ivan Blokov, qui note que les groupes occidentaux ont tendance à assouplir leurs normes en matiè-re de gestion durable dès qu’ils en ont la possibilité.

suiTe de la paGe 1

Enfin, bien que lente au démar-rage, la Russie participe désor-mais à la bourse mondiale des droits d’émission de gaz à effet de serre après avoir signé 15 pro-jets d’une valeur de 22 millions d’euros.Les organisations non gouverne-mentales considèrent que ces ac-tions témoignent d’un virage dans le bon sens mais ce ne serait pas la première fois que le gouverne-ment russe élabore des projets louables pour échouer dans leur mise en œuvre. « Il y a une lon-gue liste de sociétés industrielles qui souhaitent moderniser leur fonctionnement et en améliorer l’efficacité », estime Vladimir Chouprov de Greenpeace. Mais au sommet du pouvoir, nombreux sont ceux, comme Vladimir Pou-tine lui-même, qui demeurent sceptiques sur l’impact réel du ré-chauffement climatique. Et l’ex-pert de conclure : « Le gouverne-ment n’est pas vert et beaucoup de nos lois sont anti-environne-mentales ».

Les usines devront recycler les déchets dont elles se débarrassaient en douce jusqu’à présent

des maisons de la région de novossibirsk équipées en solaire.

la voiture hybride russe s’appellera

« ë » [io].

reuters/vostock-photo

ria novosti

Dpa/vostock-photo

www.rmcip.ru

Page 7: 2010_11_LF_all

07LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI LARUSSIEDAUJOURDHUI.FRCOMMUNIQUÉ DE ROSSIYSKAYA GAZETADISTRIBUÉ AVEC LE FIGARO Régions

Fuir la ville et renaître à la campagne, les mains dans la terre

breuses personnes venues cher-cher une nouvelle vie au sein de la communauté. « Nous sommes ici pour créer un nouveau mo-dèle social d’individus libres, pro-fessionnels et confiants. Nous mettons l’accent sur la réduction de notre impact négatif sur l’en-vironnement », précise Dmitri. Les organisations écologistes ins-tallées en Russie, telles que Greenpeace, voient d’un bon œil le mouvement des éco-commu-nes. « Nous sommes favorables à tous les mouvements verts car ils re� ètent un désir naturel des gens de vivre en harmonie avec la nature », estime Vladimir Tchouprov, chef du département de l’économie d’énergie. Le nombre exact de Russes qui ont fui vers la nature est diffi-cile à évaluer. Mais il va crois-sant. Au moins 10 000 person-nes ont rejoint la Ville du Soleil de Vissarion, une communauté verte près d’Abakan. Des dou-zaines de villages écologiques ont surgi ces dernières années dans l’Altaï, en Carélie et sur la Volga. Certains se sont même exportés à l’étranger. L’éco-village Cham-bhala-Chasta Anastasia à Ash-land, dans l’Oregon (États-Unis), a ses racines en Russie et attire les « fans » de la nature. Tout n’est pas que miel dans cette nouvelle vie, car la nature est parfois très rude. L’hiver dernier, les températures sont descendues au-dessous de 50° dans l’Altaï.

enfants vivent désormais au sein d’une communauté de 22 artis-tes qui fabriquent de la poterie et des � ûtes, dans un village. Mais même cette vie minimaliste lui paraît encore trop agitée. Elle cherche patiemment un autre re-fuge, encore plus proche de la nature. Et surtout plus loin des hommes.

Les écologistes de Terre d’abon-dance assurent qu’ils ne sont pas une menace, et chaque maison est ouverte aux invités qui peu-vent venir visiter et goûter au miel, à la tarte au potiron ou au lait de chèvre produits sur place. L’agriculture biologique est à la base du régime végétarien suivi par la population communau-taire. Les familles préfèrent ne pas envoyer les enfants à l’école et les con� ent aux membres de la communauté spécialisés dans tel ou tel domaine. Jenia, par exemple, enseigne la chimie. Chaque ménage participe au pot commun de Terre d’abondance. La famille de Valery Popov, un ancien physicien, aide les nou-veaux arrivants à construire leurs maisons en bois. Les Na-dejdine, un couple de dentistes, sont aussi les boulangers de la communauté. Klavdiya Ivanova, anciennement professeur de mu-sique, est connue pour ses vête-ments traditionnels faits à la main. Son mari, officier de l’ar-mée à la retraite, aide au recy-clage. « Toute ma vie, j’ai fait par-tie d’un système, à l’école, à l’université, en officier loyal. Puis le système s’est écroulé sous mes yeux, détruit par des menteurs, des voleurs, des chefs outrageu-sement corrompus », raconte Dmitri Ivanov, offrant une jus-ti� cation banale pour de nom-

Allumer les fours à bois un matin de gel n’est pas une sinécure, ra-content les activistes. Et comme dans n’importe quelle entrepri-se humaine, des con� its survien-nent. Olga Koumani, ancienne-ment journaliste d’investigation à Novossibirsk, a quitté la gran-de ville en 2002. « Je n’arrivais plus à respirer, j’étouffais dans

le système », explique-t-elle. En quête d’un meilleur cadre de vie, Olga a d’abord rejoint, avec ses trois enfants, la commune de Charbaï, dans l’Altaï. « Les chefs de la commune voulaient juste contrôler notre argent et exploi-ter notre travail », con� e Olga, qui est partie s’installer dans un lieu encore plus isolé. Elle et ses

Jenia (à droite) a abandonné son travail prestigieux de chercheur pour le labeur physique des champs.

Les familles préfèrent éduquer leurs enfants à la maison. La force d’attraction de la nature sauvage reste difficile à quantifier.

SUITE DE LA PAGE 1

Tout n’est pas que miel dans cette nouvelle vie, car la nature est rude et réserve parfois des surprises

GALINA MASTEROVALA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

Les défenseurs du patrimoine parviendront-ils à convaincre le nouveau maire de protéger cette perle architecturale, en restaurant les maisons en bois une par une ?

Sauvez les dinosaures constructivistes ! Architecture Reportage à Samara, bijou provincial menacé par la frénésie des promoteurs immobiliers

galvanise un grand nombre de simples citoyens, surtout des jeu-nes gens, dont l’activisme civi-que est en train de s’organiser un peu partout dans le pays. « L’intérêt d’une visite de Sama-ra tient dans la découverte d’une grande ville européenne dont très peu de gens ont entendu parler en Occident », a écrit Marcus Binney, le président de l’Orga-nisation non gouvernementale Save Europe’s Heritage, dans son rapport de l’an dernier.

re de Moscou), à l’origine du rap-port « Samara : une ville en danger sur la Volga », ont pro-posé de restaurer l’un des pré-cieux bâtiments en bois de la ville, pour montrer comment la restauration peut faire revivre un quartier et enclencher un pro-cessus qui stimulerait le touris-me à l’occasion de la Coupe du monde. Au début, le maire de Samara a bien accueilli le rapport de Stad-nikov, mais il n’a rien fait pour mettre en œuvre les recomman-dations présentées. Un nouveau maire a été élu en octobre, et lui aussi a eu des paroles positives, mais aucune action concrète pour l’heure. Les militants de Samara ont re-pris espoir suite aux événements récents dans la capitale : la construction d’une autoroute qui devait traverser la forêt de Khi-mki et en détruire une partie a été suspendue a� n d’étudier plus en profondeur le dossier. Suite au limogeage du maire de Moscou, Iouri Loujkov, un cham-pion du développement débridé, de nombreux projets controver-sés ont été suspendus, dont un centre commercial géant sous la place Pouchkine et un grand musée à deux pas du Kremlin. Les autorités auraient-elles en� n réalisé l’urgence du problème ?

Durant la plus grande partie du XXème siècle, Samara a été une ville fermée, abritant un pro-gramme de développement de missiles soviétiques, donc inac-cessible aux étrangers qui étaient ainsi privés de ses charmes inat-tendus. Aujourd’hui, ce joyau ar-chitectural, un mélange d’art nouveau et de constructivisme, demeure un secret bien gardé.Samara, qui portait à l’époque soviétique le nom du révolution-naire Kouïbychev, est en danger car des années de développement ont érodé son excentrique beau-té et son héritage architectural. À un millier de kilomètres à l’est de Moscou, cette ville est une des principales préoccupations des défenseurs du patrimoine qui cherchent à remplacer la fréné-sie post-soviétique de verre et d’acier par des plans d’urbanis-me respectueux des paysages ur-bains historiques. C’est un combat difficile dans un pays où l’argent parle sou-vent plus fort. Mais cette lutte

Au milieu du XIXème siècle, Sa-mara, un important centre d’échanges sur la Volga, avait été surnommée la Chicago russe. Les nouveaux riches invitaient dans cette grosse ville marchande les meilleurs architectes du pays pour ériger leurs magni� ques de-meures art-nouveau, d’imposants bâtiments administratifs et des lieux de culte élancés. L’un des édi� ces les plus célèbres est le manoir construit pour l’artiste et homme d’affaires Konstantin

Golovkine, surplombant la Volga et gardé par deux statues géan-tes d’éléphant. Après la Révolution, de nom-breux bâtiments constructivis-tes ont été batis dans la ville, de-venu un grand centre industriel, dont la Fabrika-Koukhnya ou usine-cuisine, une cantine en forme de faucille et de marteau. C’est de là qu’est partie la révol-te. Les promoteurs du coin ont décidé de raser le célèbre mo-nument pour y construire un cen-tre commercial. En septembre, Vitaly Stadnikov, architecte et défenseur du patrimoine actif, a organisé autour des bâtiments en danger une promenade à vélo qui a rassemblé des centaines de militants. « La vitesse des des-tructions est un choc pour ceux qui connaissent la ville », s’indi-gne Stadnikov,Le mouvement de révolte était en gestation de longue date. De-puis la chute de l’URSS, des cen-taines de bâtiments historiques ont été démolis, ravagés par le feu, souvent incendiés dans l’in-térêt des promoteurs. Les incen-diaires ne sont bien entendu ja-mais inquiétés par la justice.« Ces quinze dernières années, la construction a tellement ex-plosé que la ville est en train de perdre son âme », s’inquiète Na-talia Douchkina, professeur à

l’École d’architecture de Moscou et petite fille de l’architecte Alexeï Chtchoussev, qui a conçu le mausolée de Lénine sur la Place rouge. Mais les défenseurs du patrimoine espèrent convain-cre les autorités et les hommes d’affaires locaux que le dévelop-pement économique et la pré-servation architecturale sont par-faitement compatibles. Stadnikov et l’agence Ostojenka ont pro-duit un rapport pour montrer comment la ville peut faire un usage efficace de ses terrains si

elle respecte les hauteurs histo-riques des bâtiments dans le cen-tre. « Nous démontrons qu’en sui-vant les logiques du capitalisme pré-révolutionnaire, quatre ou cinq étages peuvent produire la même densité que 15 ou 25 », ex-plique l’architecte. Les militants invoquent Tomsk où de nombreuses maisons en bois ont été restaurées. Stad-nikov, conjointement avec Save Europe’s Heritage et MAPS (so-ciété de défense de l’architectu-

Samara photographiée depuis la Volga.

Les défenseurs des sites placent leurs espoirs pour Samaria dans les résultats obtenus à Moscou

RÉPUBLIQUE DE L’ALTAÏ

ANNA NEMTSOVA (3)

PHOTOXPRESS

Le diaporama surlarussiedaujourdhui.fr

Le diaporama surlarussiedaujourdhui.fr

Page 8: 2010_11_LF_all

08 Débats et Opinions

CE SUPPLéMENT DE DoUzE PAGES EST éDITé ET PUBLIé PAR ROSSIYSKAYA GAZETA (RUSSIE), QUI ASSUME L’ENTIèRE RESPoNSABILITé DU CoNTENU. SITE INTERNET WWW.lARuSSIEdAujOuRdhuI.fR EMAIL [email protected] TéL. +7 (495) 775 3114 FAX +7 (495) 9889213 ADRESSE 24 / 4 RuE PRAVdY, éTAGE 12, MOScOu 125 993, RuSSIE. EVGENY ABOV : DIRECTEUR DE LA PUBLICATIoN, MARIA AfONINA : DIRECTRICE DE LA RéDACTIoN, jEAN-lOuIS TuRlIN : DIRECTEUR DéLéGUé, EMMANuEl GRYNSZPAN : RéDACTEUR EN CHEF, dIMITRI dE KOchKO : RéDACTEUR EN CHEF ADjoINT (VERSIoN PAPIER), VlAdISlAV KuZMIchEV : RESPoNSABLE DES PAGES éCoNoMIE, fEdOR KlIMKIN : RéDACTEUR EN CHEF (VERSIoN WEB), MIllA dOMOGATSKAYA : RESPoNSABLE DE L’éDITIoN (VERSIoN PAPIER), ANdREI ZAYTSEV: SERVICE PHoTo. VSEVOlOd PulYA : RéDACTEUR EN CHEF DU SITE WWW.RBTh.Ru, julIA GOlIKOVA : DIRECTRICE DE PUBLICITE & RP, ([email protected]) oU EIlEEN lE MuET ([email protected]). MARIA TchOBANOV : REPRéSENTANTE À PARIS ([email protected], 06 60 70 11 03).TRADUCTEURS : VERONIKA dORMAN, EuGENE ZAGREBNOV, chlOé VAlETTE.

© CoPYRIGHT 2010, zAo ‘RoSSIYSKAYA GAzETA’. ToUS DRoITS RéSERVéS.AlEXANdRE GORBENKO : PRéSIDENT DU CoNSEIL DE DIRECTIoN, PAVEl NEGOITSA : DIRECTEUR

GéNéRAL, VlAdISlAV fRONIN : DIRECTEUR DES RéDACTIoNS. ToUTE REPRoDUCTIoN oU DISTRIBU-TIoN DES PASSAGES DE L’oEUVRE, SAUF À USAGE PERSoNNEL, EST INTERDITE SANS CoNSENTEMENT PAR éCRIT DE RoSSIYSKAYA GAzETA. ADRESSEz VoS REQUêTES À [email protected] oU PAR TéLéPHoNE AU +7 (495) 775 3114. LE CoURRIER DES LECTEURS, LES TEXTES oU DESSINS DES RUBRIQUES “oPINIoN” oU “CoMMENTAIRES” RELèVENT DE LA RESPoNSABILITé DES AUTEURS oU DES ARTISTES. LES LETTRES DESTINéES À êTRE PUBLIéES DoIVENT êTRE ENVoYéES PAR éMAIL À [email protected] oU PAR FAX (+7 (495) 775 3114). LA RUSSIE D’AUjoURD’HUI N’EST PAS RESPoNSABLE DES TEXTES ET DES PHoToS ENVoYéS.

PARTENAIRES MédIA

lA RuSSIE d’AujOuRd’huI ENTEND oFFRIR DES INFoRMATIoNS NEUTRES ET FIABLES PoUR UNE MEILLEURE CoNNAISSANCE DE LA RUSSIE.

Le courrier des Lecteurs, Les opinions ou dessins des rubriques “débats et opinions”

et “perspectives” pubLiés dans ce suppLément représentent divers points de vue et ne

refLètent pas nécessairement La position de La rédaction de La russie d’aujourd’hui ou de rossiyskaya Gazeta. merci d’envoyer vos

commentaires par courrieL : [email protected]

Pas de désarmement sans réforme globale

otan-russie : les 4 voies d’un raPProchement

evgueni Primakov, igor ivanov,

evgueni Velikhov, Mikhaïl Moïsseïev

izvestia

Dmitri Treninspécialement pour

la russie d’aujourd’hui

l’année 2010 a été une étape importante pour le désarmement et la non-prolifération nucléaires,

avec à la clé une influence posi-tive sur le renforcement de la sé-curité internationale.Les présidents russe et améri-cain ont signé à Prague un nou-veau traité Start. Si ce document est ratifié, les relations stratégi-ques entre les deux super-puis-sances nucléaires seront plus sta-bles, transparentes et prévisibles. La conférence suivante consacrée au Traité sur la non-proliféra-tion des armes nucléaires a été un succès et s’est conclue par la publication d’un document de synthèse sur les moyens de ren-forcer l’accord, son régime et ses institutions.Ce sont là, incontestablement, de grandes avancées fort utiles. Ce-pendant, on n’a pas encore tou-ché à l’essentiel : la dissuasion réciproque, paradoxale car pour une large part tournée vers une menace du siècle passé. Qui plus est, la dissuasion est sans effet contre les nouvelles menaces du XXIème siècle : la propagation des armes de diffusion massive (ADM) et de leurs vecteurs, le ter-rorisme international, les conflits ethniques et religieux, la crimi-nalité transfrontalière. Pire en-core, la dissuasion nucléaire sti-mule le processus de propagation des ADM et des technologies de missiles, ou dérange la coopéra-tion plus avancée entre les gran-des puissances dans la lutte contre de telles menaces.Il faut aussi réduire le niveau d’armement au principe de quan-tité suffisante minimale, renfor-cer la stabilité stratégique, ex-clure toute possibilité de première frappe nucléaire, ou de lancement de missile en raison d’un incident technique, ou de

dmitri Medvedev va se rendre à Lisbonne en no-vembre pour rencontrer les dirigeants de L’Or-

ganisation du traité de l’Atlanti-que Nord afin de trouver un ac-cord sur un système de défense européen. Cette perspective ap-pelle quelques nuances. La Rus-sie ne fera pas partie du futur système de l’OTAN pour la bonne raison que Moscou veut rester stratégiquement indépendant. Pa-rallèlement, un système commun au sein duquel Moscou aurait une

g lement des l i t iges , un partenariat égal en droit avec la Russie. Il est important que ces principes soient mis en œuvre dans la politique extérieure des États-Unis et de leurs alliés. Cela concerne à la fois le bou-clier anti-missiles, les armes conventionnelles, les vecteurs stratégiques non-nucléaires, les projets de militarisation de l’es-pace. Sur ces questions et sur d’autres dans le domaine de la réduction des armes à court terme, il faut des mesures sup-plémentaires de renforcement de la confiance. Réfléchissant aux perspectives à long terme, nous sommes parve-nus à l’idée qu’un monde sans armes nucléaires n’équivaut ab-solument pas au monde existant, les armes nucléaires en moins. Il faut élaborer un système inter-national reposant sur de nom-breux autres principes et insti-tutions. Le monde, libéré des armes nucléaires, ne doit pas être un monde libre de faire la guer-re en utilisant d’autres types d’ar-

mauvaises évaluations des inten-tions de la partie adverse, ou du manque de temps pour prendre une décision politique réfléchie.L’étape suivante du désarmement nucléaire ne peut pas être exclu-sivement bilatérale. Elle exige des contraintes et des mesures de confiance conformes aux puis-sances nucléaires tierces. À la dif-férence des États-Unis, la posi-tion géostratégique de la Russie la met à portée de tous les États nucléaires. La conception de la dissuasion nucléaire est devenue un obsta-cle insurmontable sur le chemin long et difficile du désarmement nucléaire mondial, qui a des par-tisans et des opposants, en Rus-sie, aux États-Unis et dans d’autres pays. En Russie, il y a une idée large-ment répandue : le potentiel nu-cléaire du pays est l’attribut prin-cipal de son statut de grande puissance, sans lequel les États-Unis et les autres ne prendraient pas en compte ses intérêts de po-litique extérieure.

Mais nous sommes persuadés que le statut de la Russie dans le monde sera garanti par la mo-dernisation de son économie, la croissance du niveau de vie de ses habitants, les libertés et les droits politiques et sociaux de ses citoyens, le développement de la science et de la culture. Néan-moins, tant que la menace de « projection des forces » et son application directe seront utili-sées dans les relations interna-tionales, la Russie devra conser-ver un potentiel militaire suffisant, y compris nucléaire, pour se dé-fendre et défendre ses alliés.Ainsi, le chemin vers le désar-mement nucléaire se situe entre l’augmentation de la confiance entre les États et le renforcement de la sécurité et de la stabilité mondiales. L’administration Obama s’est déclarée en faveur d’une approche multilatérale pour garantir la sécurité inter-nationale, le renforcement de ses normes juridiques et des institu-tions existantes, l’ordre de prio-rité des diplomates dans le rè-

part de contrôle et un droit de veto sur les décisions des États-Unis ne sera jamais accepté par Washington ou Bruxelles et ne doit pas être recherché par le Kremlin. En revanche, les États-Unis, l’OTAN et la Russie, qui ont déjà consacré beaucoup de temps à une évaluation des menaces res-pectives et découvert entre elles de nombreuses similitudes, peu-vent commencer à donner vie au Centre commun d’échange de données (JDEC) pour surveiller les lancements de missiles, une mission qui pourrait être élargie à l’échelle planétaire. Ce projet commun pourrait aussi, à terme, embrasser d’autres pays

de l’OTAN. Par la suite, les sys-tèmes de défense antimissile pourraient être coordonnés entre eux, chacun des partenaires contrôlerant ses propres armes et étant responsable de zones d’opération clairement délimi-tées. Cette approche en profon-deur et un tel degré de coopéra-tion pourraient produire la masse critique susceptible de faire d’une compétition stratégique résiduel-le une collaboration stratégique moderne. Une deuxième mesure qui, au XXIème siècle, doit accompagner la défense antimissile, est celle de lancer une initiative de cyber-sécurité qui mettrait en commun les ressources russes et celles de

l’OTAN afin de détecter les atta-ques cybernétiques, s’en protéger et s’en défendre. L’OTAN et la Russie ont pareillement intérêt à s’assurer que le fonctionnement même de leurs sociétés n’est pas perturbé par des moyens non conventionnels et des agresseurs non-traditionnels. À l’aube de l’âge cybernétique, c’est un exer-cice prometteur et tourné vers l’avenir que d’organiser et insti-tutionnaliser une coopération de ce type, débarrassée de l’héritage de la Guerre froide. Démarrer une coopération militaire technique entre l’OTAN et la Russie serait le troisième point important. La Russie vient de lancer un pro-gramme de réarmement. Moscou a même commencé à faire des emplettes à l’étranger, au grand dam de son propre complexe mi-litaro-industriel. Mais plutôt que de se lancer dans des courses individuelles, il vau-drait mieux s’engager dans la re-cherche commune, le développe-

Evgueni Primakov, premier mi-nistre russe (1998-1999), minis-tre des Affaires étrangères (1996-1998), membre du présidium de l’Académie des sciences russe (ASR).

Igor Ivanov, ministre des Affai-res étrangères (1998-2004), se-crétaire du Conseil de sécurité (2004-2007), docteur ès sciences, professeur au MGIMO.

Evgueni Velikhov, président du centre scientifique russe Institut Kurchatov, académicien, mem-bre du présidium de l’ASR.

Mikhaïl Moïsseïev, Comman-dant de l’état major général, premier vice-ministre russe de la Défense de l’URSS (1988-1991), général des armées.

Dmitri Trenin est le directeur du Centre Carnegie de Moscou.

LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI LarussieDaujOurDhui.frcOMMuniqué De rOssiYsKaYa GaZeTaDisTribué aVec Le fiGarO

mes de destruction massive, des forces armées conventionnelles, de nouveaux systèmes d’armes conventionnelles reposant sur de nouveaux principes physiques. Outre les grandes guerres, il y a aussi les conflits locaux. Les pe-tits pays lorgnent désormais du côté des armes nucléaires comme moyen de neutralisation de l’ex-trême supériorité des principa-les puissances disposant d’armes conventionnelles. C’est l’une des principales causes de la propa-gation nucléaire au niveau ré-gional, engendrant une menace de terrorisme nucléaire. Contrer ces dangers exige la création de mécanismes fiables de règlement pacifique des grands conflits et des conflits locaux, internatio-naux et transfrontaliers.C’est pourquoi la mise en place du désarmement nucléaire, qui doit rester un but stratégique, ne sera possible que dans un contex-te de profonde réorganisation in-ternationale. Cela, incontestable-ment, contribuera au règlement d’autres problèmes majeurs du XXIème siècle, liés à l’économie et à la finance mondiales, à l’ap-provisionnement en énergie, à l’écologie, au climat, à la démo-graphie, aux épidémies, à la cri-minalité transfrontalière et à l’ex-trémisme religieux. Dans ce contexte, le désarme-ment nucléaire est moins une fin en soi que l’une des grandes orientations, une condition préa-lable et un moyen de réorgani-ser la vie internationale à un ni-veau plus civilisé au sens littéral du terme.

ment et la coproduction de systèmes d’armement. C’est une question de bon sens tant du point de vue stratégique que politique et commercial. Une telle coopé-ration est possible dans de mul-tiples domaines, de la construc-tion navale aux communications et à l’aérospatiale. Une quatrième décision, elle aussi vitale, pourrait être celle de fon-der un collège Russie-OTAN, pour former des officiers militaires et des civils capables d’accomplir des tâches de coopération en ma-tière de sécurité, de lutte contre le piratage et la drogue, et de dé-fense antimissiles. La mission principale du collège serait de susciter et de maintenir un esprit d’équipe parmi les étudiants. Faute d’une telle approche, tout projet d’intégration, même déci-dé en plus haut lieu, serait voué à l’échec.

des

sin

de

dm

itry

div

in

le général de Gaulle, né il y a 120 ans le 22 novem-bre 1890, a toujours été considéré comme un ami

proche de la Russie - ce qui était vrai à l’époque soviétique l’est encore. Il a d’abord impression-né par son courage pendant la guerre. Alors que la France sem-blait écrasée sous la botte enne-mie, il s’est dressé en géant, tel le héros de la mythologie russe Ilya Mouromets, contre le colos-se hitlérien avec une poignée de compagnons téméraires. De Gaulle l’aristocrate avait même réussi à séduire le régime stali-nien dont la propagande crai-gnait et neutralisait tout ce qui n’était pas rouge et faucillé. Au cours de l’hiver 1944, Staline avait invité De Gaulle à Mos-cou. Les deux hommes discutè-rent pendant treize heures. Sta-line était-il reconnaissant envers cet étrange général rebelle, qui avait affirmé, alors que les Alle-mands approchaient de Moscou : « Hitler perdra, c’est impossible de vaincre la Russie ». Dans l’en-tourage de Churchill, on mur-murait au contraire que pour Moscou, la fin était proche.C’est en partie grâce à l’aide du partenaire soviétique que De Gaulle a pu avoir voix au cha-pitre aux conférences des vain-queurs, auxquelles ni Churchill ni Roosevelt n’associaient la France. Parallèlement, le chef de la France libre faisait contre-poids aux ambitions soviétiques, s’opposant à Staline pour gar-der l’Europe de l’Est sous in-fluence occidentale avant même qu’elle ne soit libérée - la Polo-gne, si cruciale pour l’URSS, fai-sait l’objet d’une attention par-ticulière de sa part. Ce qui ne l’empêchait pas de détester les nazis ni de refuser le pardon aux traîtres ou aux collabos. Devenu président, De Gaulle reçut Khrouchtchev à Paris et fut déçu par cet interlocuteur inculte. L’aristo et le mineur d’origine paysanne n’avaient de toute évidence pas la même vi-sion des choses. Mais le Prési-dent de Gaulle a réjoui le pays des Soviets en sortant de l’or-ganisation militaire de l’OTAN une France à laquelle il avait redonné sa superbe. Ses contacts avec Brejnev, plus sophistiqué et initialement plus souple que Khrouchtchev, ont scellé l’en-tente entre les deux pays. J’ai toujours vu en Charles de Gaulle un honnête patriote qui su arracher son pays à l’empri-se des Allemands puis au dan-ger de le voir sombrer dans le gauchisme. Quelle est la diffé-rence entre De Gaulle et ses suc-cesseurs au poste suprême ? Elle est de taille : il s’est toujours comporté comme un président, sans jamais descendre d’une marche. Par exemple au niveau d’un ministre de l’Intérieur.

de Gaulle, l’ami loyal des russes

nikolaï Dolgopolov

spécialement pour la russie d’aujourd’hui

Nikolaï Dolgopolov est le rédacteur en chef adjoint de Rossiyskaya Gazeta.

sOuVenirs, sOuVenirs...

Page 9: 2010_11_LF_all

09Perspectives

Préparé parVeronika Dorman

LU DANS LA PRESSEKHODORKOVSKI : LE POUVOIR CRAINT SA LIBÉRATION

Le verdict du second procès de Mikhaïl Khodorkovski, l’ex-patron de Ioukos, et de son associé Pla-ton Lebedev, est attendu pour le 15 décembre. La presse russe a salué le dernier plaidoyer de Khodorkovski devant le tribunal. Elle s’interroge désormais sur l’attitude du pouvoir, dont l’insis-tance à cloîtrer les deux hommes paraît de plus en plus absurde.

L’HOMME D’UNE IDÉETatiana Lysova VEDOMOSTI

ABSURDITÉ RASSURANTEStanislav Minine NEZAVISSIMAÏA GAZETA

UNE PUNITION POUR TOUSLa rédactionGAZETA.RU

En sept ans derrière les barreaux, Khodorkovski s’est mû d’oligar-que classique en homme d’une idée (la défense du droit, ndlr). En tant que tel, il ne se conduit pas de manière rationnelle. Ceux qui ont réussi à s’arracher à la poigne de nos forces de l’ordre donnent deux conseils : évite de te la ra-mener et n’accuse aucun individu concret d’actions illégales. Depuis sept ans, Khodorkovski enfreint obstinément ces deux commande-ments, irritant le pouvoir et ceux qu’il a nommés. Bien qu’il soit me-nacé d’écoper d’une lourde peine, il n’a pas dévié de cette idée.

Khodorkovski et Lebedev ont les témoignages pour eux, la logique et l’opinion publique. Mais ils ont contre eux une distribution dé-finitive des rôles. Notre système est plus confortable avec un Kho-dorkovski prisonnier qu’en liber-té. Leur acquittement brouillerait les cartes. Le pouvoir a-t-il faibli ? Ou la raison est-elle autre ? Tout deviendrait moins clair. Et notre conscience préfère accepter l’ab-surde plutôt que d’être bouscu-lée. Khodorkovski est devenu un mythe. À l’instant où le juge pro-noncera « innocent ! », le mythe s’écroulera.

Khodorkovski et Lebedev ont deux possibilités : mourir en pri-son ou en sortir, mais dans un pays qui aura changé. Au début de la présidence de Medvedev, l’acquittement de Khodorkovski et de Lebedev aurait signifié que le nouveau maître du Kremlin vou-lait réellement changer le pays. Aujourd’hui, c’est un autre ta-bleau : tant que le pays n’a pas changé, ils ne seront pas remis en liberté. Le jour du verdict, nous saurons combien de temps le pou-voir s’est octroyé pour espérer un changement qui permettrait à ces personnes d’être libérées.

Natalia GevorkyanSPÉCIALEMENT POUR

LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

Une terrasse de café à la Bastille. Un � ot in-cessant de gens devant nous. Ce n’était pas

pendant ces dernières grèves sur les retraites, mais les ma-nifestations des jeunes contre le CPE (contrat première em-bauche). Mon fils, passeport européen en poche mais vivant à Moscou depuis l’âge de neuf ans. Et sa copine, passeport russe, mais qui travaille en Eu-rope depuis cinq ans. Lui, intéressé et sceptique. - C’est génial de pouvoir des-cendre dans la rue pour dire ce que tu penses. Sans prendre de coups de matraque sur la tête. L’État s’en � che royale-ment. Et à quoi ça sert, alors ? L’État fait ce qu’il veut…Elle, intéressée et optimiste. - Eh bien non. Ils peuvent ob-tenir quelque chose. Et puis ils expriment leur position, et ça c’est important. Mon � ls est pathologiquement apolitique. Sa maturité électo-rale est tombée au moment où il était difficile de prendre au sérieux les élections en Russie. Il a eu 18 ans en 1999. Sa co-pine, en revanche, a grandi en Occident. Les manifs et les grè-ves font partie de son univers. Elle pense que l’État n’est pas totalement indifférent, même s’il adopte une mesure impo-pulaire. D’autant plus s’il fait marche arrière. On peut faire gober à mes concitoyens que les manifes-tants empêchent les gens de se rendre à la datcha. Ils sont sin-cèrement étonnés : comment ça, l’accès à l’aéroport est blo-qué ? Plus d’essence à cause des

CES SACRÉS FRANÇAIS

L’inconfort de la libertégrèves ? La plupart remercient le sort que rien de tel n’arrive chez eux, sans penser au prix du confort, ou du conformisme, ou de l’indifférence, souvent des sy-nonymes. L’annonce de l’aug-mentation de l’âge de la retraite en Russie, survenue au plus fort des désordres en France, est pas-sée inaperçue. Les Moscovites étaient plus intrigués par les pro-testations en France que par les enjeux de fond. Un seul m’a de-mandé : « Et quelles sont les chances de Sarkozy désormais avec un taux de popularité à 30% ? »En allumant la télé récemment, mon � ls s’est souvenu de cette discussion à la Bastille. - Il y avait eu des manifs aussi, et qu’est-ce qu’ils ont gagné, ceux qui ne voulaient pas du CPE ?La loi n’est pas passée et celui qui l’avait proposée n’a pas été élu président. - C’est que la loi devait être fran-chement pourrie. Et pourquoi ils font la grève cette fois-ci ? La loi est pourrie, là encore ?Je me suis sentie prise au piège. Je pense que le CPE, comme la réforme des retraites, est ration-nel. Il me dévisage avec une in-compréhension sincère :- Mais alors, si ces lois sont jus-tes, comme tu dis, c’est quoi l’em-brouille ? - Pour ton droit d’avoir un avis et de l’exprimer ouvertement, je suis prête à avoir froid, me dé-placer à pied, repousser mes voyages et ne pas aller à la dat-cha. Et j’espère que toi aussi, pour ton droit d’avoir ton avis, tu es prêt à faire ce genre de sa-cri� ce. Pas si gros que ça, somme toute.

Natalia Gevorkyan est corres-pondante à Paris du journal en ligne gazeta.ru.

François PerreaultSPÉCIALEMENT POUR

LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

fuse de lui servir une bière. Une demi-heure plus tard, le pilote halluciné déboule, ne compre-nant pas pourquoi l’embarque-ment n’est pas terminé. Il sur-saute en entendant un cri : l’hôtesse n’a pas apprécié que le passager du 20A, très éméché, lui mette la main aux fesses.Finalement, l’avion décolle. Mal-gré l’interdiction de consommer les bouteilles hors taxes, la moi-tié de l’avion picole sec. Olga-la-babouchka sort le saucisson, le pain noir et le fromage, et dé-plie sa petite nappe. Igor, qui sif-� e son Baileys, engueule l’hôtes-se qui refuse de lui donner un rabe de ragoût. Dans le feu de l’action, c’est Jean-Pierre qui re-çoit le reste de Baileys sur les genoux. L’hôtesse, en larmes, dé-campe en classe Affaires.Heureusement, le vol durera moins longtemps que prévu. C’est arrivé au-dessus de Varsovie : Igor fait connaissance avec Vla-dimir (celui du 20A). En moins de deux, ils sont copains comme cochons. Les deux comparses pro� tent alors du moment où les deux hôtesses du fond étaient consolées par leurs collègues du devant pour aller en griller une dans les toilettes. Manque de bol, le petit incendie déclenché par le mégot d’Igor dans la poubelle sera difficile à maîtri-ser. La fumée s’intensi� e, une si-rène se déclenche, Igor s’énerve, brise le loquet de la porte. Malgré tout ses efforts, le steward ne par-vient pas à la forcer. Vladimir, lé-gèrement claustrophobe, hurle. Fi-nalement, le calvaire arrive à son terme : l’atterrissage d’urgence s’est bien déroulé, et on dit que Minsk est une ville charmante.

Rien de tel qu’un retour au pays pour se res-sourcer. Après un week-end parisien, Jean-

Pierre se sent d’attaque pour affronter à nouveau la grisaille moscovite de novembre. Arrivé à Charles-de-Gaulle, inutile de chercher sur l’écran le comp-toir d’embarquement du vol pour Moscou : il suffit de trou-ver le troupeau de femmes bien mises, derrière lesquelles un troupeau de maris ahane en traînant d’énormes sacs de bou-tiques de luxe. On peut égale-ment suivre le nuage olfactif de Chanel N°5, les deux mè-nent au même endroit.Entre la salle d’embarquement et les boutiques hors-taxes, on observe un va-et-vient intéres-sant. Les maris gardent les ba-gages pendant que les épouses ra� ent le stock de parfums et de chocolats ; puis les maris partent à leur tour écumer le rayon des alcools et ramener en toute logique quatre cartou-ches de clopes : elles sont plus chères qu’à Moscou.Embarquement immédiat dans l’avion. Manque de bol, Jean-Pierre est coincé au milieu. Côté hublot, Igor dépasse notre ami de quelques dizaines de kilos ; côté couloir, Olga-la-babouch-ka-qui-visite-sa-� lle-exilée est non moins imposante.À bord, c’est le cirque. Les com-partiments bagages sont insuf-� sants pour les sacs de shop-ping, les babouchkas tentent de cacher leurs gros paquets sous leurs sièges. Les hôtesses engueulent les babouchkas et Igor engueule l’hôtesse qui re-

CES SACRÉS RUSSES

Attentat à base de vodka

François Perreault est expatrié à Moscou depuis quatre ans.

MACHA FOGELSPÉCIALEMENT POURLA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

Entre nostalgie et misère, freinés par la criminalité et les discriminations, les Tsiganes de Moscou peinent à s’adapter à la vie moderne. La Russie d’Aujourd’hui leur a rendu visite.

Minorités Reportage dans un village Rom dilapidé dans la région de Vladimir

« Je vais vous le dire, moi : le problème des Tsiganes, c’est qu’il n’y en a pas deux qui tra-vaillent ». Le jeune policier russe est de visite dans le village tsi-gane Gorodishy, à quelque 150 km de Moscou. Dans son uni-forme à veste en cuir, les che-veux blonds ras et l’œil clair, il prend un air amusé pour dire leur fait à Géorgui Chekine, alias Yaloush en langue rom, qui tra-vaille pour l’organisation russe interrégionale de défense des Tsi-ganes, et au vieux Guendar, l’an-cien du village. Guendar se dé-fend et siffle entre les dents qui lui manquent, tandis que le po-licier s’en va : « Les Tsiganes n’ont pas d’éducation, ils ne trouvent pas à s’employer de nos jours ». Guendar est le baro, « l’ancien » du village. Dans ce tabor (« cam-pement ») de la région de Vla-dimir, vivent des Tsiganes du groupe ethnique des Koldiary, l’un des peuples qui ont le mieux conservé leurs coutumes ; tous étaient nomades en 1956, quand l’URSS a sédentarisé de force les Tsiganes. Les Koldia-ry, venus d’Europe orientale, étaient traditionnellement ma-quignons ou artisans fer-railleurs. Après la chute du communisme, certains se sont reconvertis en ouvrant de fruc-tueuses entreprises de chauffa-ge central. Mais ici, dans le vil-

lage, personne n’a réussi quoi que ce soit. « On ne fait rien de la journée. On reste debout à attendre que ça se passe ». Une douzaine de jeunes hommes se tiennent, veste en cuir et vête-ments sombres, les mains dans les poches. Derrière eux passe la voie de chemin de fer. Elle longe le tabor, dont les maisons de bois sont alignées à la russe, le long d’une rue principale.Guendar reprend : « Celui qui a une voiture fait le chauffeur occasionnel et ramène de quoi nourrir la famille. Mais com-ment fait celui qui n’a pas de voiture ? Bah, il vole, c’est sim-ple, pour les enfants ».On entre dans la maison de Guendar. « Tout ce qui est beau ici, ça vient du communisme. À l’époque, il n’y avait pas de pauvres ni de riches », regrette Guendar. « Quand on n’avait pas de travail, on touchait le chômage ». Les murs sont ten-dus des splendeurs du soviétis-me, voilages roses et jaunes, et des châles à � eurs éclatants re-

criminelle. « Mais après la pé-restroïka, toutes les nations de Russie se sont mises à faire du commerce, et les Tsiganes, sou-vent illettrés, n’ont pas pu suivre », explique Marianna Seslavinskaya, l’une des diri-geantes de l’Union interrégio-nale russe de défense des Tsi-ganes, Roma Union. Marianna Sleslavinskaya et son mari Gueorgy Tsvetkov font de l’éducation des Tsiganes une priorité absolue, dès lors que cette éducation intègre la cultu-re tsigane. Tous deux travaillent dans un laboratoire de recher-che, mais manquent de moyens : ils ne sont que deux pour toute la population tsigane. « Nous n’avons pas de région allouée, contrairement à la plupart des minorités russes. Du coup, per-sonne ne s’occupe de � nancer la transmission de notre cultu-re. Les enfants rom qui débu-tent l’école à six ans appren-nent le russe avec les autres comme si c’était leur langue ma-ternelle, alors qu’ils parlent le tsigane ». En1927, le pouvoir avait mis en place un program-me d’enseignement pour les Tsi-ganes, mais Staline l’a suppri-mé dès 1938, en prélude à sa campagne anti-cosmopolite. « Ce qu’il faut », poursuit Ma-rianna, « c’est d’abord enseigner aux Tsiganes leur langue, avant la culture russe. Car un Tsigane qui perd sa propre culture ne devient pas un Russe pour autant. Il devient marginal. Sau-vegarder l’identité des Tsiganes, c’est la seule façon de les inté-grer, pour leur permettre de trou-ver du travail et leur éviter de sombrer dans des problèmes identitaires, dans la pauvreté et la criminalité ». 180 000 à 400 000 Tsiganes vivent en Russie aujourd’hui.

Les Roms, grands oubliés des pouvoirs publics

LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI LARUSSIEDAUJOURDHUI.FRCOMMUNIQUÉ DE ROSSIYSKAYA GAZETADISTRIBUÉ AVEC LE FIGARO

couvrent les canapés. À demi-allongée sur un divan, la mère, en costume bleu, fume avec un sourire ferme. « Tu veux voir le � lm du mariage de ma nièce ? » Les images révèlent une belle � lle de quinze ans dont la jupe orange virevolte, avec des mé-dailles de cuivre qui cliquettent, tandis que la vieille femme ap-porte le thé, le beurre, les cham-pignons marinés. « Ah non, c’est vrai, tiens, on n’a plus l’électri-cité ».L’inactivité des Tsiganes résul-te de leur non-intégration dans l’économie moderne, urbaine et concurrentielle, alors qu’ils ne constituent plus, en Russie, une population nomade. Du temps du communisme, certains grou-pes de Tsiganes, les « Russka Roma » notamment, ceux qui chantaient pour les nobles du régime tsariste, et les plus in-tégrés de nos jours encore, s’étaient spécialisés dans la contrebande. Il y avait peu de marchandises à l’époque. C’était une activité illégale, mais non

TATIAN

A KO

TOVA

_FOC

USPIC

TUR

ES (2)

Le diaporama surlarussiedaujourdhui.fr

Page 10: 2010_11_LF_all

LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI LARUSSIEDAUJOURDHUI.FRCOMMUNIQUÉ DE ROSSIYSKAYA GAZETADISTRIBUÉ AVEC LE FIGARO

10 Culture

C’est à Paris, dans une cave du 14ème arrondissement, que Dmitri Bortnikov a écrit Le Syndrome de Fritz. « Aussi dé-charné qu’un personnage de Giacometti », dit-il. Giacomet-ti, dont le petit atelier est tout proche. Largement autobiogra-phique, le livre a jailli « comme un vomissement ».Dans un squat parisien, Fritz écrit � évreusement à même son drap. Les souvenirs remontent, marée irrépressible. Une morne campagne sans nom au milieu de la steppe. Un petit garçon obèse regarde le monde cruel, veule, sordide : une mère épui-sée par le labeur, un grand-pè-re libidineux, antisémite et al-coolique, un père haï qui le tabasse jusqu’à la nausée. Une arrière-grand-mère adorée. Des terrains vagues, des immeubles lépreux, l’hôpital, où sa mère travaille. Fritz, s’y empiffre des restes laissés par les in� rmiè-res et les patients ; la morgue où on l’envoie porter les corps de nourrissons. Un abattoir où il découvre, ébloui, l’amour in-terdit du corps des hommes. Le décor rappelle l’univers de Pa-solini : « Rails étincelants, che-minées fumantes des fabriques, blessures sombres zébrant le mur de l’abattoir, frênes jeunes et sveltes, érables poussiéreux, terrains vagues, tessons de bou-teille ». À la télé, Fritz décou-vre Le Roi Lear. Il sera le bouf-fon, celui qui jouit d’une liberté sans limites !Fritz s’évade dans la boulimie et dans les livres qu’il dévore. Le bouffon trouve des échos chez Rabelais. « Rabelais m’a révélé le trésor inestimable qu’était l’aptitude à rire des tra-gédies du corps... Quelle cocas-se vêture que mon saindoux ! une magnifique fourrure de kilos qui n’avait pas été taillée pour moi... se tromper de cos-tard, quelle bonne blague ! » La mort de l’aïeule marque un tournant, une maturité soudai-ne. Puis ce sera l’armée, quel-que part dans un port du bord de la Baltique. Les caserne-ments, le mitard, la faim, le froid et la misère sexuelle ; la violence, parfois insoutenable, faite à l’homme par l’homme. On pense à Céline. On pense à Genet aussi : même fascination pour le corps masculin, la mar-ginalité et la violence.Le Syndrome de Fritz est un livre puissant, sombre et lumi-neux, écrit dans une langue ru-gueuse, lyrique aussi, que la tra-ductrice Julie Bouvard a su admirablement restituer.

CHRONIQUE LITTÉRAIRE

Écrire pour ne pas mourir

TITRE LE SYNDROME DE FRITZÉDITION NOIR SUR BLANCTRADUIT PAR JULIE BOUVARD

Christine Mestre

Découvrez d’autreschroniques surlarussiedaujourdhui.fr

CHLOÉ VALETTESPÉCIALEMENT POURLA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

À partir des mémoires d’Elsa Triolet et de Lili Brik, Bruno Niver retrace les univers poétiques parallèles du Paris et du Moscou des années 20.

Pour les yeux d’Elsa, en vers... et contre toutArt total Aragon et Maïakovski au cœur d’un spectacle qui mêle chorégraphie, poésie, chanson et théâtre

Dans les yeux d’Elsa, brillent Aragon et Maïakovski. Un « triolet », aimait à répéter Maïakovski, lié par l’histoire et la poésie. Mis en scène, créé et interprété par Bruno Niver, le spectacle musical Ils se sont ren-contrés à Paris est une ode can-dide au poète. Bruno Niver fait revivre sur scène la rencontre entre Vladimir Maïakovski et Lili Brik d’une part, celle de

la parole. Un chanteur-poète, une comédienne, une danseuse et deux musiciens qui déambu-lent dans un espace réduit, une mise en scène minimaliste qui donne tout son sens aux vers. Alternant chansons de Léo Ferré et de Jean Ferrat, et récital de poèmes, le spectacle dévoile Maïakovski et Aragon sous un nouveau visage. Bruno Niver scande la révolte des poètes maudits, mais aussi le lyrisme et l’exaltation amoureuse, ré-citant les poèmes dédiés aux sœurs et muses, Lili et Elsa. Ce spectacle en français et en russe surtitré est à voir au théâ-tre du Marais jusqu’au 18 dé-cembre, les jeudis, vendredis et samedis. Le spectacle dévoile Maïakovski et Aragon sous un nouveau visage.

FEDOR KLIMKINLA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

En quête de nouveautés cinématographiques slaves ? Direction la Normandie où Honfleur accueilera le 18ème Festival du cinéma russe.

Le cinéma russe débarqueFestival La Normandie à l’heure slave du 24 au 28 novembre au rendez-vous cinématographique de Honfleur

Pendant cinq jours, les specta-teurs pourront découvrir une trentaine de longs métrages de réalisateurs russes, con� rmés et débutants. Huit � ctions seront en compétition pour le Grand prix. Devise de la manifestation : proximité des stars et du public. « Après chaque projection, nous débattons avec les créateurs du � lm. N’importe quel spectateur peut solliciter le réalisateur ou les acteurs », explique Elena Kvassova-Dufort, la porte-pa-role du festival. Alexeï Outchitel, très attendu, vient présenter son dernier � lm, La lisière (voir encadré). Connu et aimé du festival, il avait reçu le Grand prix en 1995 pour La Folie de Gisèle.Par soucis d’exclusivité, les � lms en compétition ne sont évidem-ment pas encore sortis en Fran-ce. On peut espérer que la pro-jection à Hon� eur permettra à un maximum de toiles de trou-ver des distributeurs dans l’hexa-gone. En l’honneur du 65ème anniver-saire de la victoire sur le nazis-me, le thème du festival « Re-

LE MOT DE LA PRÉSIDENTE

Des talents toujours en mouvement

L’unicité du Festival tient à la fois au charme de la ville avec son joli port, ses maisons anciennes, et à l’ambiance stimulante et dé-

Françoise SchnerbPRÉSIDENTE

DU FESTIVAL

VERONIKA DORMANSPÉCIALEMENT POURLA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

Une longue et riche année de révérences culturelles croisées s’achève, mais il reste encore quelques événements éclatants à la carte.

Kissine, Berezovsky et Repine s’offrent Pleyel

Musique classique « Week-end russe » à Paris avec les plus prestigieux virtuoses de l’Est

tions Internationales Albert Sarfati, qui coproduit la manifes-tation avec la Salle Pleyel. Le premier concert du program-me réunit pour une unique date le couple légendaire que forment le violoniste Vadim Repine et le pianiste Boris Berezovsky, qui interpréteront des œuvres de Proko� ev, Janacek et Ravel. Dans la catégorie Solistes prestigieux également, Evgueni Kissine joue-ra des œuvres de Schumann et Chopin. « Au piano, il est tout de même aujourd’hui la référen-ce absolue et pouvoir le comp-ter parmi les artistes de ce week-end est un grand privilège pour nous », se réjouit Voni Sarfati. Au programme symphonique, le magistral Orchestre symphonique Tchaïkovski, au grand complet, sous la direction de Vladimir Fe-doseev, enchantera les petits et les grands. D’abord, un joyeux mé-lange de Pierre et le Loup de Pro-ko� ev et de La Belle au bois dor-mant de Tchaïkovski, en

« Pour bon nombre de Français, la Russie reste l’un des berceaux incontestés de la culture classi-que. Dans le domaine du sympho-nique ou de l’opéra, des compo-siteurs ou des écrivains, des musiciens ou des danseurs, l’éco-le Russe est une référence », com-mente Voni Sarfati, de Produc-

Excès de vitesse en locomotive

1945, juste après la guerre. Le simple tankiste Ignat (Vladimir Machkov), de retour du front, vient travailler comme mécanicien à Kraï, un village perdu de la Si-bérie. Amour, haine, passion, lutte entre le bien et le mal, tout y est et tout est porté à l’extrême. Le réalisateur Alexeï Outchitel joue sur le cliché selon lequel l’âme russe est insondable et exploite à fond une autre idée reçue qui veut que les Russes raffolent de la vi-tesse au volant. Grande première pour le cinéma russe : les specta-teurs assisteront à une course de locomotives. L’amour n’est pas moins specta-culaire. Ignat tombe amoureux de l’Allemande Elsa (Anjorka Stre-chel), qui a vécu toute la guerre à bord d’une locomotive abandon-née dans la taïga. Le couple mixte sert à illustrer un autre thème im-portant du film : les relations en-tre deux peuples, entre des Rus-ses vainqueurs et des Allemands vaincus. Très attendu en Russie et sorti sur les écrans à la rentrée, La lisière a fait couler beaucoup d’encre dans sa patrie. Le film a d’ailleurs été sélectionné pour représenter la Russie aux Oscars hollywoodiens.

gards sur la Seconde Guerre mondiale » sera illustré par une série de � lms russes et soviéti-ques, dont des classiques : la bouleversante Balade du soldat de Grigori Tchoukhrai, primé à Cannes en 1960 ou le déchirant Ils ont combattu pour la patrie de Sergueï Bondartchouk. De son côté, le supplément La Russie d’Aujourd’hui, partenaire média de l’événement, présen-tera une exposition des travaux du photographe pétersbourgeois Sergueï Larenkov.

Louis Aragon et d’Elsa Triolet de l’autre, aux couleurs de la poésie et aux sons des chansons françaises et romances russes. De Moscou à Paris, sur les pas d’Elsa, l’actrice et narratrice Marina Kapralova lance au pu-blic une invitation au voyage. Au menu, ambiance cabaret et nostalgie de la Belle époque. Au détour du café Certa, dans le passage de l’Opéra aujourd’hui disparu, c’est aussi la rencon-tre furtive de quelques autres poètes des « années folles », André Breton, Tristan Tzara, Paul Eluard. Un croisement scé-nique du surréalisme et du fu-turisme à travers le prisme de quelques pas de danse, de cos-tumes « calligrammés », et de

tendue qui règne durant ces cinq journées. Les Russes s’y sentent chez eux et les spectateurs vont à leur rencontre, pour un véritable échange autour du cinéma. Ce cli-mat privilégié et la qualité de la programmation font de Honfleur un rendez-vous à ne pas manquer.

compagnie de la comédienne Ma-rie-Christine Barrault, récitante. Le lendemain, deux illustres ac-teurs russes, Mikhaïl Phillipov et Polina Koutepova liront en russe des extraits du roman Guerre et Paix de Léon Tolstoï pour accom-pagner la suite éponyme de Pro-ko� ev, précédée de l’Ouverture 1812 de Tchaïkovski et suivie de la Symphonie n°3 Eroica de Beethoven, pour une trilogie consacrée à la campagne de Na-poléon en Russie. « Nous avons composé ce pro-gramme pour notre public russe, mais il a déjà eu un grand succès au festival de Cannes, c’est pour-quoi nous avons choisi de le re-jouer dans la célèbre salle Pleyel », commente le maestro Vladimir Fe-doseev, qui aime passionnément la culture française et regrette de ne pouvoir se produire plus sou-vent en France. Un Week-end russe, samedi 4, dimanche 5 et lundi 6 décembre 2010, à la Salle Pleyel.L’orchestre symphonique Tchaïkovski sous la baguette de Fedoseev.

OLE

G N

AC

HIN

KIN

GU

ILLA

UM

E B

ELV

ÈZE

KIN

OPO

ISK

.RU

Vladimir Machkov, dans une scène du film La lisière.

Contenu multimédia surlarussiedaujourdhui.fr

Contenu multimédia surlarussiedaujourdhui.fr

Page 11: 2010_11_LF_all

LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI LARUSSIEDAUJOURDHUI.FRCOMMUNIQUÉ DE ROSSIYSKAYA GAZETADISTRIBUÉ AVEC LE FIGARO

11Culture

CHLOÉ VALETTELA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

La galerie Robert Vallois rend hommage à l’art russe dans le cadre d’une exposition consacrée à Boris Zaborov (jusqu’au 14 décembre).

Le livre immortalisé dans la sculpture

Exposition Zaborov à la galerie Vallois

être ? S’interrogeant sur leur de-venir, Zaborov nous renvoie à l’ère des nouvelles technologies et à l’espace-temps médiatique. « Le livre comme objet de cultu-re est menacé de disparition. Pre-nez le livre électronique ! Mes livres-sculptures contiennent tous les éléments ‘hors radars’ : couverture, reliure, fleuron », martèle le sculpteur.Pour la galerie Vallois, Zaborov a toujours été un ami et un grand artiste. « Tout est une question de contact. Pour nous, c’est une très belle rencontre », révèle Ro-bert Vallois, le directeur de la ga-lerie d’art. L’histoire entre le col-lectionneur et le sculpteur a pris forme il y a presque trente ans, lorsque Zaborov a posé dé� ni-tivement ses valises à Paris, où il vit et travaille aujourd’hui.

Les œuvres présentées, sculptures-livres ou livres-sculptures en bronze, tra-duisent l’essence même d’une ré� exion complexe de Boris Zaborov, à la fois peintre et sculpteur, sur la mémoire, le temps, la vie. Les bronzes « Un livre ouvert et un masque », ou encore « Quatre livres et une montre », témoignent de cette corrélation entre réminiscence et existence. Cette quête mènera l’artiste vers la création d’une « bibliothèque des vestiges », dans laquelle ses sculptures pren-dront un sens.Boris Zaborov a une approche archéologique du livre. À taille réelle ou géant, cadenassé, rare-ment ouvert, le livre est une trou-vaille. « C’est une boîte de Pan-dore. On y trouve le savoir, la connaissance, mais on ne peut pas l’ouvrir, ni le feuilleter », ex-plique l’artiste.Livres anciens, délaissés, malme-nés souvent… En danger peut-

JULIA KOUDINOVALA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

À Paris, la photographe Françoise Huguier dévoile une réalité crue dans 68 clichés mis en abyme par une sélection de textes emblématiques de la littérature russe.

Intimité rugueuse des logements communautaires

Photographie La Russie vue d’en bas

femmes qui y vivent (et n’ont sou-vent pas connu autre chose), n’ont pas les moyens de louer leur propre appartement. Ils par-tagent avec d’autres familles cui-sine et salle d’eau, et parfois même leur propre chambre.L’objectif de la photographe pé-nètre profondément dans l’inti-mité de ces « communards » mal-gré-eux. Le courant passe de toute évidence mieux avec les femmes. Laconique, Huguier re-marque : « Les hommes sont ins-

Ce n’est pas la Russie telle qu’on la veut voir, c’est une Russie que beaucoup aimeraient voir rester cachée. Parfois triste et même sordide, elle possède aussi un ca-ractère pittoresque, unique. Avec une approche presque sociolo-gique, la photographe et réali-satrice Françoise Huguier se pen-che sur la Russie de tout en bas. Se dé� nissant comme une « pho-tographe documentaire », Hu-guier est une grande voyageuse qui décide, en 2000, de passer plusieurs années à Saint-Péter-sbourg pour travailler sur les ap-partements communautaires, où vivent encore 10% des habitants de la « capitale du nord ». Elle s’installe dans ce monde à part, régi par des règles que les Occi-dentaux ont eu la chance de pou-voir oublier depuis la fin du XIXème siècle. Les hommes et

PAUL DUVERNETLA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

La Fondation Mikhaïl Prokhorov organise « Sibérie inconnue », un festival d’art contemporain multidisciplinaire axé sur le thème de l’immense territoire au-delà de l’Oural.

Avis de rafales créatrices sibériennes annoncé sur Lyon

Festival Treize manifestations artistiques contemporaines programmées du 15 au 21 novembre

Une performance du théâtre AXE (ci-dessus), les marionnettes de la troupe moscovite Teni (en haut à droite) et une photo du Liquide Theatre (en bas à droite), basée sur les œuvres de Malevitch.

Le milliardaire Mikhaïl Prokho-rov n’est pas rancunier. La der-nière fois où son nom a fait la une des journaux lyonnais, c’était en 2007, lors de son arrestation par les policiers français à Cour-chevel. Soupçonné à tort d’être lié à un réseau de proxénétisme, il avait passé 48 heures en garde à vue dans les geôles lyonnaises. Pour faire oublier ce fâcheux in-cident et montrer que les hom-mes d’affaires russes ne sont pas dénués de culture, sa fondation offre un panorama exceptionnel de la production artistique ac-tuelle de son pays. C’est un événement sans précé-dent pour le public lyonnais, qui n’a jamais été aussi gâté en ma-tière d’accès à la culture russe. Multidisciplinaire, la manifes-tation accueillera 80 artistes et proposera des représentations théâtrales (avec notamment la première en France des « Récits de Choukchine »), de la musique classique et contemporaine, de la danse, des expositions… et même un très sérieux colloque en présence d’écrivains et de spé-cialistes de la littérature russe et française. Accueillis par les grandes institutions culturelles de Lyon, ces événements seront pour la plupart présentés en ex-clusivité nationale. Voire même mondiale dans le cas de Nicolas Lyovotchkine, dont les monuments visionnaires, ob-jets hors du commun, seront montrés pour la première fois,

avant même l’exposition prévue prochainement à Moscou. Les arts plastiques seront mis à mal dans une performance dadaïste des fameux « Sinie Nossy » [nez bleus, ndlr]. Moins radicale, mais venant du Grand Nord (Norilsk), une exposition conjointe de pein-tres russes et français présente-ra des œuvres créées en commun avec des élèves de l’orphelinat

local et des scolaires lyonnais. Le Théâtre des Nations donne-ra un spectacle inspiré par les récits du célèbre écrivain sibé-rien Vassili Choukchine tandis que trois troupes russes brûle-ront (voir photos) les planches des meilleurs théâtres lyon-nais.La musique classique est aussi à l’honneur avec deux opéras de Rachmaninov (Aleko et Monna Vanna) à l’Opéra de Lyon. L’Or-chestre national de Russie diri-gé par Mikhaïl Pletnev et le « Studio de la musique nouvel-le » d’Igor Dronov s’occuperont du genre symphonique. La scène électronique sera elle représen-

tée par l’hilarant « Slam electro » de Iolotchnye Igrouchki. En organisant ce festival dédié à la création russe d’aujourd’hui, la Fondation Mikhaïl Prokhorov entend offrir à la France une nou-velle vision de la Russie, loin des clichés qui opposent les deux cultures. Le festival « Sibérie In-connue » est inscrit par le minis-tère de la Culture russe au pro-gramme officiel des événements culturels de l’année croisée Fran-ce-Russie 2010, dont il constitue l’un des temps forts. Il dresse le portrait d’une culture contrastée en associant des � gures majeu-res de la scène russe indépendan-te et des artistes venus d’univers

moins repérés. Pourquoi la Sibé-rie ? Parce qu’elle « occupe une grande place dans la mythologie culturelle de la Russie et qu’elle est devenue un centre important d’art contemporain du pays », ex-plique un communiqué de la Fon-dation. La force symbolique de cet im-mense territoire est évidemment moindre en Occident, mais elle n’a pas manqué d’inspirer dans le passé nombre de penseurs français, comme le Marquis de Sade, Alexandre Dumas ou Jules Verne. Cette « Sibérie inconnue » sera un excellent vecteur d’ins-piration pour les artistes fran-çais du futur.

La Sibérie « occupe une grande place dans la mythologie culturelle et est devenue un centre de création »

tables. Les femmes sont les pi-liers de la société russe ». L’humour n’est pas absent, lorsqu’elle observe les espaces « privés » jalousement délimités - « c’est du communautaire très individualiste ».Ne vous méprenez pas, il ne s’agit pas stricto sensu d’un reportage. Huguier reste une artiste. L’es-thétisation reste discrète, mais un œil averti ne manquera pas de remarquer le travail sur trois couleurs « fétiches » : rouge, vert et turquoise, qui sont selon Hu-guier « les couleurs typiques des kommunalki ». Comme chez Jan Saudek, on trouve ce curieux mé-lange de poésie et d’insalubrité, de couleurs vives et de tâches brunâtres, de chair appétissante sur fond de pauvreté extrême.Parallèlement à l’exposition, le � lm documentaire Kommunal-ka, réalisé par la photographe en 2008, est projeté à horaires � xes.Pavillon Carré de Baudouin - Paris XXe. Jusq’au 8 janvier.

Natacha, 26 ans : « Mon égérie, que je photographie depuis 2001 ».

PRO

KH

OR

OV

FUN

D.R

U(3

)

MD

F

GA

LER

IE V

ALL

OIS

SC

ULP

TUR

ES

LE RUSSE MONDIALISÉ, MALGRÉ LES IMBÉCILES

GassanGusseinov

LENTA.RU

À l’époque soviétique, le russe était une langue internationale régiona-le. Formellement, c’était

(et c’est encore) l’une des langues officielles du Conseil de sécurité de l’ONU, mais dans les faits, il était moins étudié dans le monde que le français ou l’espagnol. En revanche, le russe était vérita-blement une langue véhiculaire dans les ex-pays soviétiques, les États d’Asie, d’Afrique et d’Amé-rique latine dans lesquels l’URSS contribuait à la formation de ca-dres pour la construction du so-cialisme. On rencontre encore, dans les endroits les plus surpre-nants, des gens qui ont appris le russe en lisant Maïakovski « sim-plement parce que Lénine le par-lait » (dixit le poète, ndlr). Un chauffeur de taxi berlinois originaire d’Iran ou un médecin afghan à Brême, qui ont appris le russe à Bakou dans les années 1970 ou au lycée de médecine en Ukraine dans les années 1980, ne sont pas que des vestiges d’un empire disparu. Ils sont membres du réseau mondial des amis de la langue russe.L’URSS a éclaté, la Russie a perdu des territoires, mais la lan-gue russe, à l’inverse, s’est mon-dialisée. Bien sûr, des imbéciles de part et d’autre de la frontière cherchent à enrayer le processus.

Les uns utilisent le russe comme une arme politique, font du chan-tage aux États voisins en décla-rant « concitoyens » tous les rus-sophones des pays étrangers. Les autres, tout aussi imbéciles, pri-vent une partie de leur popula-tion de ses droits civils de base sous prétexte qu’il s’agit d’« oc-cupants ». Si tu es ravi qu’un ser-veur moldave te parle russe dans un restaurant en Italie, sois pa-tient avec un chauffeur de taxi Tadjik débutant à Moscou. Une langue acquiert des fonctions mondiales quand on ne peut pas ne pas l’apprendre. Mais quelle sorte de russe s ’ impose aujourd’hui, au niveau mondial ? C’est moins le langage des tech-nologies spatiales ou la poésie de l’Âge d’argent, que les jargons des politiciens et des routiers, des ma-quereaux et des dealers, des for-ces de l’ordre et des rebelles du Caucase. Ces parlers doivent être étudiés par tous ceux qui aiment et veulent saisir la Russie contem-poraine, de l’entrepreneur à l’agent d’Interpol. Un soldat américain parlant par-faitement le russe a avoué récem-ment qu’en Afghanistan, il valait mieux, dans certaines circons-tances, parler russe qu’anglais avec les habitants. « Question survie, c’est plus pratique », m’a-t-il dit. Même ceux dont c’est la langue maternelle en ont be-soin pour survivre, me suis-je dit. J’avais ma réponse à la question de savoir si le russe était ou non, aujourd’hui, une langue mondiale.

Gassan Gousseinov est docteur en philologie et enseigne la litté-rature ancienne au MGU.

Les jargons des politiciens, des maquereaux, des forces de l’ordre et des rebelles du Caucase doivent être eux aussi étudiés par ceux qui veulent comprendre la Russie contemporaine

Le diaporama surlarussiedaujourdhui.fr

Le diaporama surlarussiedaujourdhui.fr

Page 12: 2010_11_LF_all

12 LoisirsRECETTE

Croquettes Pojarski : sauvées par le Tsar !

L’un des honneurs les plus rares que nous décernions aux hom-mes est de baptiser un mets de leur nom. En Russie, les plats portent souvent les noms des riches et/ou des puissants : le bœuf du comte Stroganoff, le veau du comte Orlov, ou la pâ-tisserie de meringue et de fruit de la danseuse étoile Anna Pa-vlova. J’avais tout cela à l’esprit en commençant mes recherches sur les croquettes de gibier Po-jarski. Je me suis dit qu’elles avaient été nommées en l’hon-neur du prince Dmitri Pojarski de Souzdal, l’un des héros de la ré-volte patriotique contre les Polo-nais au XVIIème siècle. Ça m’ap-prendra à mal connaître mon Pouchkine ! Il y a quatre siè-cles, le poète adoré des Russes a donné à un copain ce précieux conseil de cuisine et de voyage :

Fais une pause pour déjeunerChez Pojarski à Torjok Goûte les croquettes fritesEt reprends la route léger.

« Chez Pojarski » était une taver-ne réputée, tenue par un homme ambitieux du même nom, dans la ville marchande de Torjok, stratégiquement située le long de la « route impériale », entre

Moscou et Saint-Pétersbourg. L’his-toire veut que le tsar Nicolas Ier se soit présenté à l’improviste chez Pojarski pour goûter ses fameu-ses croquettes de veau. Le patron ayant reçu beaucoup de monde ce jour-là, les croquettes étaient épui-sées, le garde-manger vidé. Pojars-ki aurait concocté à la va-vite des croquettes avec ce qu’il lui restait sous la main de volaille et de gi-bier. Quand le tsar appela Pojarski, l’aubergiste baissa la tête, craignant le courroux royal. Mais le tsar, d’hu-meur généreuse après un excellent repas, le récompensa et inclut les croquettes Pojarski au menu impé-rial. L’astucieux Pojarski s’est pré-senté depuis comme le « Fournis-seur de la Cour impériale ». Plus d’un siècle plus tard, les cro-quettes Pojarski sont toujours à la fête en Russie. On a tout à gagner à remplacer la volaille par du gi-bier : dinde, perdrix, tétras ou la-pin ajoutent des nuances de saveur intéressantes et s’allient parfaite-ment avec l’accompagnement tra-ditionnel que sont les champignons sautés et les pommes de terre fri-tes. La recette originale de Pojarski a disparu, comme sa taverne, et la polémique fait désormais rage en-tre les partisans de l’ajout de vin de Madère, de vodka, de gin et de vin blanc sec. On vous laisse juge !

Ingrédients :• Un pain blanc un peu rassis sans la croûte, coupé en cubes • 100 ml de crème fraîche épais-se • Un petit oignon • 750 g de volaille ou gibier (poulet, dinde, tétras, perdrix, etc) • 500 g de veau • 250 g de beurre salé • 1 botte d’aneth frais (ou thym ou persil) • 4 gros œufs • Sel et poi-vre • 30 ml de vin de Madère ou de Marsala • 300 g de panure • 60 ml d’huile végétale

Préparation :Placez les cubes de pain rassis dans un plat peu profond, recou-vrez de crème fraîche. Laissez reposer 15 min, puis égouttez le pain et gardez la crème de côté. Séparez les jaunes des blancs de deux œufs, conservez un blanc.Mélangez toute la viande, les cu-bes de pain trempé, les oignons ou ciboulette, les deux jaunes d’œufs, sel, poivre, aneth, vin, et 50 g de beurre dans un mixeur. Mixez quatre fois pour bien mé-langer et versez dans un saladier. Battez le blanc d’œuf en neige puis incorporez à la viande. Couvrez le mélange et réfrigérez deux heures.

Pendant ce temps, faites fondre le beurre. Quand le beurre est fondu, enlevez le film blanc opaque à la surface. Quand le beurre se divise, décantez le liquide jaune transpa-rent dans un récipient séparé et je-tez le résidu crémeux. Pour l’assemblage des croquettes, placez un bol d’eau froide à côté d’une plaque de cuisson. Versez la panure dans une assiette plate et battez l’œuf restant et les 50 ml de crème dans un bol. Façonnez la mixture de viande en une croquette de 10-12 cm de long.Trempez la croquette dans la mixtu-re d’œuf et crème, puis roulez dans la panure. Réchauffez 1/3 du beurre clarifié dans une grande poêle et ajoutez 20 ml d’huile. Faites frire les cro-quettes 12-15 minutes jusqu’à ce qu’elles soient dorées. Enlevez-les et placez dans un plat dans un four un peu chaud. Nettoyez la poêle et recommencez jusqu’à ce que toutes les croquettes soient cuites. Accom-pagnez de champignons sautés ou pommes de terre frites.

Jennifer Eremeeva SPÉCIALEMENT POUR

LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

Autres recettes surlarussiedaujourdhui.fr

La « Diva de la danse » fait encore briller les étoiles

Ballet Maïa Plissetskaïa souffle ses 85 bougies : clichés d’une carrière de légende

LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI LARUSSIEDAUJOURDHUI.FRCOMMUNIQUÉ DE ROSSIYSKAYA GAZETADISTRIBUÉ AVEC LE FIGARO

À L’AFFICHE DE L’ANNÉE CROISÉE 2010

DÉBAT « D’ENCRE ET D’EXIL »26-28 NOVEMBRE,BIBLIOTHÈQUE PUBLIQUE D’INFORMATION, CENTRE POMPIDOU, RUE BEAUBOURG, PARIS

Les dixièmes rencontres interna-tionales des écritures de l’exil sont consacrées à la Russie. Parmi les invités : Sergueï Bolmat, Mikhaïl Chichkine, Irina Muravieva, David Markish et Leonid Guirchovitch. Lectures, films, spectacles évoque-ront les grandes plumes exilées : Tsvetaeva, Bounine, Nabokov, Ber-berova, Brodsky ou Soljenitsyne.

bpi.fr ›

LA FERME GÉANTE 2010 À NANTERRE26-27 NOVEMBRE,RUE MAURICE THOREZ 92000 NANTERRE

La ville de Nanterre invite les arti-sans russes de Veliky Novgorod à participer à la Ferme géante 2010. Des artisans viendront exposer et vendre des produits d’artisanat russes et présenter la cuisine po-pulaire de leur pays : blinis, pel-menis, pirojkis... Ils feront la pro-motion de leur ville dans le cadre de cette manifestation.

infos-russes.com ›

LA TROUPE DU HÉLIKON DE MOSCOU EN RÉSIDENCE À L’OPÉRA DE MASSY25, 26 ET 27 NOVEMBRE ; 4-5 DÉCEMBRE,OPÉRA DE MASSY, 1 PLACE DE FRANCE, 91300 MASSY

Le plus turbulent des théâtres d’opéra russe, le Hélikon, présente cet automne deux opéras :L’amour des trois oranges de Ser-geï Prokofiev (les 25 et 27 novem-bre) et Raspoutine, composé par Jay Reise sur commande du New York City Opera (les 4 et 5 dé-cembre).

opera-massy.com ›TOUS LES DÉTAILS SUR NOTRE SITELARUSSIEDAUJOURDHUI.FR

Vladimir Vassiliev chez Maïa Plissetskaïa, années 1980.

Maïa Plissetskaïa, 1953.

Ballet La Mouette, dans les an-nées 1980.

BiographieNée à Moscou le 20 novembre 1925, Maïa Plissetskaïa, privée de ses parents en 1937-1938 dans les purges staliniennes, est recueillie par sa tante et son oncle, tous deux danseurs. Dès l’âge de 9 ans, elle débute sur les planches du Bolchoï. En 1943, la fille « d’enne-mis du peuple », remarquée de-puis l’enfance pour son extraor-dinaire talent, entre au Ballet du Bolchoï et devient la fierté de tou-te la nation soviétique. En 1958, elle épouse le compositeur russe Rodion Chtchedrine. Prima balle-rina assoluta du Bolchoï à partir de 1962, elle y défend avec auda-ce les chorégraphes modernes et fait découvrir à la Russie Maurice Béjart ou encore Roland Petit, qui créeront des ballets spécialement pour cette soliste hors pair.

" Je suis surprise à chaque fois de la manière dont les gens me reçoivent. Où que

je sois, partout, des regards exal-tés, des applaudissements. Ça ne se simule pas. Je vois bien que les gens sont sincères. J’ai toujours vécu et je vis pour cela… ARGUMENTY I FAKTY, 23 NOVEMBRE 2005

" Au commencement était le mot, dit-on. Et moi je pense qu’au commencement était

le geste, parce que le geste est compris de tous, mais pas le mot. EKHO MOSKVY, 26 NOVEMBRE 2000

PAROLE DE PRIMA BALLERINA

Votre publicité dans ce

supplément

Contactez

Julia [email protected]

Tél.: +7 (495) 775 3114

www.facebook.com/larussiedaujourdhui

Ne manquez pas notre « Photo du jour » sur Facebook !

Les solistes russes et français danseront en l’honneur de la légendaire ballerine.

Pour célébrer ses 85 ans, les étoi-les russes et françaises lui ren-dront hommage lors d’un spec-tacle de gala au Théâtre des Champs-Élysées, organisé le 6 décembre avec le concours du Fonds caritatif Maris Liepa et l’Association des amis des Sai-sons russes du XXIe siècle. Les solistes du Bolchoï et du Mariins-ki rejoindront sur scène ceux de l’Opéra national de Paris pour honorer la grande dame du bal-let. Dans la salle, aux côtés de Maïa Plissetskaïa seront présents ses amis et collaborateurs : Pier-re Cardin, Alissia Alonso, Patrick Dupont et Roland Petit.

ALAMY/PHOTAS

ALE

KSA

ND

R M

AK

AR

OV

/FO

TOSO

YU

Z(3)

ITA

R-T

ASS