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Nicolas CHARRIERE
bâtonnier de l'ordre des avocats fribourgeoisavocat inscrit au Barreau de Fribourgmembre de l'OAF et de la FSA____________________________________________
Pérolles 4Case postale 14311701 Fribourgtél. : 0041 (0) 26 322 11 56fax : 0041 (0) 26 322 69 61e-mail : [email protected]
COURS DE DROIT
I. Introduction généraleII. Application du droit
III. Aperçu du droit publicIV. Droit des personnesV. Responsabilité civileVI. Droit des obligations
VII. Droit des marchés publicsVIII. Droit du travail
IX. Droit des poursuites
HEG Fribourg, septembre 2014
I. I N T R O D U C T I O N G E N E R A L E
1. HISTORIQUE
Le présent cours de droit, destiné à de futurs cadres dans l'administration ou dans des
entreprises privées ne saurait accorder une place importante à l'histoire du droit, à savoir l'étude
du développement de la science juridique. Cependant, pour parfois comprendre une institution,
pour la replacer dans son contexte, notamment géographique ou politique, il n'est pas inutile de
poser quelques repères d'histoire du droit. En effet, confrontée à un problème de droit
international, il est étonnant de trouver des solutions différentes selon le droit continental
(Suisse, France, Allemagne, ...) ou le droit anglo-saxon (USA, Angleterre, Afrique du Sud), pour
ne pas citer des Etats avec des systèmes juridiques plus particuliers.
Cette introduction historique ne se veut dès lors qu'un survol historique des principaux courants
juridiques :
1°) époque préhistorique :
Nous ne disposons d'aucune source pouvant attester l'existence de relations de type
juridique, telles que nous les connaissons aujourd'hui.
2°) époque antique (Egypte, Mésopotamie, Grèce) :
Les diverses civilisations qui se sont succédé en Europe, en Egypte et en Asie ont
permis le développement de sociétés très élaborées avec divers pouvoirs, et des
règles régissant les rapports entre ces pouvoirs.
En revanche, ces civilisations, y compris les cités grecques, n'avaient pas encore
élaboré de véritables règles de droit.
3°) Rome :
L'existence de véritables règles de droit est prouvée à partir de la fin de la République
romaine (Ier siècle avant J.-C.). Contrairement à nos textes légaux actuels, le droit
romain était composé de sentences regroupées dans des recueils de textes, lesquels
étaient utilisés par des jurisconsultes. Le contenu de ces textes de droit romain s'est
développé jusqu'à la fin de l'Empire.
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A Constantinople, après la chute de l’Empire romain d’Occident, en 476, l’Empire
romain d’Orient subsiste (Byzance) L’Empereur Justinien (527-565) avait chargé une
une commission de dix membres de procéder à une vaste compilation de toutes les
sources anciennes du droit romain, en y intégrant le droit de son temps. On donna à
cet ouvrage le nom de Corpus iuris Civilis, qui comprend quatre parties :
a) b) Les Code (Codex Justinianus), recueils de lois impériales tendant à remplacer
le Code Théodosien; il y eut un premier Code de Justinien, publié en 529 (texte
perdu), puis un second Code, en 534.
c) Le Digeste (Digesta ou Pandectes), qui est une compilation d'extraits de plus de
1500 louvrages rédigées par les jurisconsultes (Gaius, Papinien, Paul, Ulpien et
Modestin) de l’époque classique (fin de la République et début de l’Empire. Cet
ouvrage demeure aujourd’hui encore la principale source pour l'étude du droit
romain.
d) Les Institutes (Institutiones Justiniani) constituent un ouvrage élémentaire
d'enseignement du droit.
Contrairement au "droit" régissant les cités grecques, droit de nature uniquement
organisationnelle, le droit romain a réglementé de façon détaillée des institutions que
nous connaissons encore actuellement, telles que la responsabilité civile
(cf. art. 41 CO), les droits réels, les successions, les contrats.
Malheureusement, après la chute de l'Empire romain, au Vème siècle, le
développement des institutions juridiques a été brutalement stoppé, et n'a pu être
repris et poursuivi que par la seule entité ayant résisté aux invasions barbares, soit
l'Eglise.
4°) du Moyen-Age au XVIIIème siècle :
Depuis la chute de l'Empire romain, au Vème siècle, le droit s'est développé de façon
différenciée en Europe, selon l'origine des peuplades barbares ayant remplacé les
populations et les administrations romaines. Cependant, une institution unique en
Europe a assuré le lien et le développement de droit, à savoir l'Eglise. Durant ces
siècles, l'Eglise s'est arrogé d'importantes prérogatives légales et juridictionnelles,
notamment en matière de droit de la famille (mariage, nullité du mariage, filiation).
Quant aux pouvoirs temporels, ils ont développé des institutions juridiques
indépendantes dans les autres domaines du droit (responsabilité civile, contrats, droits
réels, droit pénal). Ces développements ont été tantôt autonomes, tantôt inspirés (plus
ou moins fortement) par le droit romain.
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Durant toute cette période, aucun Etat n'avait encore élaboré de Code ou de recueil
de textes de lois.
5°) Révolution française (Constitutions et codifications) :
La période des Lumières et de la Révolution française a fait naître un important
courant démocratique en Amérique et en Europe. Les Etats et les individus ont alors
ressenti le besoin de fixer d'une part les structures des Etats, et les droits des
individus.
Cette époque a donc donné le véritable coup d'envoi de la création des Constitutions
des Etats et des codifications des textes légaux.
Ce sont ainsi les USA qui adoptèrent le 17 septembre 1787 une Constitution qui
servira de modèle aux Constitutions des Etats modernes, y compris la Suisse. EN
substance, la Constitution américaine fondait un mode nouveau de gouvernement,
privé de monarque, alors que tous les Etats de l’époque étaient des monarchies
(France, Espagne, …) ou des Empires (Angleterre). La Constitution crée les trois
pouvoirs : le pouvoir législatif en main d’une assemblée représentative du peuple, le
pouvoir exécutif en main du Président, et le pouvoir judiciaire, indépendant. Ce type
d’Etat est à l’époque "révolutionnaire", car il signe (le début de) la fin des pouvoirs
féodaux. Cette Constitutions a pour contenu les notions et les fondements de l'Etat et
des droits des citoyens vis-à-vis de l'Etat. Il s’agit d’un acte novateur, qui a influencé et
qui continue d’influencer nos sociétés modernes.
Quant aux codifications, elles ont commencé en France, par le Code Napoléon (Code
civil français; CCfr) de 1803, ainsi que par les codes civils des Etats latins ou
fortement influencés par la France (Belgique, Hollande, Italie, Espagne, ...).
L'Allemagne a dû attendre sa réunification en 1871 pour commencer ses travaux de
codification qui ont abouti au Bürgerliches Gesetzbuch (BGB) de 1896.
La Suisse a également attendu la création de l'Etat fédéral en 1848 pour se doter
d'une Constitution, entièrement révisée en 1874 et en 1999. Sur la base de cette
Constitution fédérale de 1874 (Cst.), la Suisse s'est doté d'un premier Code fédéral
des obligations en 1881, puis d'un Code civil (CC) en 1907, comprenant une nouvelle
version du Code des obligations (CO).
En Europe, seuls l'Angleterre et les Etats qui dépendaient de la Couronne n'ont pas
suivi le mouvement de codification du droit et ont conservé un système jurisprudentiel,
où la source du droit n'est pas la loi écrite, mais les décisions des tribunaux.
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6°) situation actuelle :
Le droit que nous connaissons au début du XXIème siècle est donc très peu différent
par rapport à ce qui a été élaboré et codifié au début du XIXème siècle. Certes, des
problèmes nouveaux sont apparus et ont nécessité la création de nouveaux textes
légaux. Cependant, la science juridique n'a pas évolué, de telle sorte que l'on peut
dire que l'on est arrivé à un système abouti, même s’il est encore perfectible.
7°) développement futur :
Pour le futur, la science juridique peut évoluer sur deux points, celui de
l'harmonisation légale, voire l'uniformisation des droits, et celui du recours à la justice
privée (médiation, arbitrage, …).
Sur le plan législatif, l'évolution de plus en plus rapide des phénomènes de sociétés et
compte tenu de la mondialisation, il n'est plus possible à chaque Etat de développer
de façon autonome et efficace son propre système légal. Sur ce point, des progrès
importants ont été réalisés par l'intermédiaire de l'Union Européenne, et des Nations
Unies. Sur le plan juridictionnel, les organes judiciaires ont également montré leurs
limites, de telle sorte que les particuliers ont tendance à se tourner vers d'autres
modes de résolution des conflits, comme l'arbitrage, la conciliation ou la médiation.
2. LA NOTION DU DROIT
2.1. GENERALITES
Tout le monde pratique le droit, est soumis à des règles de droit, s’interroge sur la légalité
de ses actes, à longueur de journée, mais n’en a presque jamais conscience - sauf peut-
être les juristes.
La vision du droit n'est cependant pas celle de l'homme de la rue. En effet, le droit n'est
pas un élément monolithique. Un peu à l'image de la spectrographie, l'étude du droit
permet de mettre en évidence la multitude des opérations juridiques de la vie
quotidienne.
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Par exemple, si l'on considère, comme l'homme de la rue non-juriste, le comportement de
l'automobiliste qui circule en état d'ébriété et renverse un piéton, l'on a de la peine à voir
tous les éléments juridiques de cet état de fait. Pour l’œil d'un juriste, cet état de fait se
décompose comme suit :
- aspect administratif :
Le comportement de cet automobiliste justifiera dans un premier temps
l'intervention de l'Etat qui, par l'intermédiaire de la Commission des mesures
administratives en matière de circulation routière, prononcera un retrait de
permis.
Dans la mesure où le piéton et/ou l'automobiliste sont blessés, cet état de fait
intéressera également les organes de l'assurance sociale (CNA, AI, ...).
- droit pénal :
Le comportement de l'automobiliste décrit ci-dessus justifiera en outre
l'intervention de la Justice pénale. Ainsi, le Juge d'instruction ouvrira une
enquête pénale contre cet automobiliste, transmettra ensuite son dossier au
Tribunal compétent, lequel prononcera une peine d'amende ou
d'emprisonnement.
- droit privé :
Ensuite de cet accident, le piéton pourra attaquer l'automobiliste en
responsabilité et obtenir de ce dernier ou de son assurance RC des dommages
et intérêts ainsi que réparation du tort moral.
2.2. DEFINITION DU DROIT
Le droit est l'ensemble des règles générales et abstraites, édictées ou reconnues par un organe officiel, qui régissent l'organisation et le déroulement des relations sociales et dont le respect est en principe assuré par des moyens de contrainte.
2.2.1. Un ensemble de règles
La règle de droit est une proposition générale et abstraite qui indique ce qui doit
être fait dans un certain cas.
abstraite :
La règle de droit s'applique à un nombre indéterminé de situations concrètes.
générale :
La règle de droit régit un nombre indéterminé de personnes (destinataires).
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A titre d’exemple, les art. 197 ss CO donnent des indications sur tout acte de
vente (caractère abstrait de la norme) que toute personne peut passer (caractère
général de la norme).
2.2.2. Régissant les relations sociales :
L'homme est un "animal social", c'est-à-dire un animal fait pour vivre dans une
"cité". Le droit est donc un phénomène social organisé. Il se distingue par là
des règles de la physique, qui régissent les phénomènes de la nature, ou de la
psychologie, qui régissent les phénomènes sociaux non organisés.
2.2.3. Le caractère officiel :
Cet élément de la définition se réfère à l'origine de la règle. Le droit ne
s'intéresse, principalement, qu'aux comportements fondés sur des règles
édictées par l'Etat ou un organe reconnu par l'Etat. Ainsi le droit se distingue de
la sociologie, science qui étudie également des règles de comportement, fondées
sur d'autres critères (tradition, religion, ... ).
2.2.4. La force contraignante :
L'Etat qui édicte des règles de droit, les assortit d'une sanction pour inciter à leur
respect et obliger ceux qui les violent à s'y soumettre.
Ainsi les règles de droit protégeant l'intégrité physique et la vie sont-elles
assorties de sanctions pénales (peines d'emprisonnement, de réclusion ou
d'amende pour celui qui cause à autrui des lésions corporelles ou qui a tué une
personne), ou de sanctions civiles (obligation de verser des dommages et
intérêts pour réparer le préjudice consécutif aux lésions corporelles ou au décès).
De même, les règles (générales et abstraites) régissant le statut des
fonctionnaires (p.ex. obligation de fidélité et devoir de discrétion du fonctionnaire)
sont-elles assorties de sanctions administratives en cas de violation (p.ex. le
fonctionnaire qui révélerait des secrets de fonction sera passible, selon la gravité
de son manquement, à des sanctions telles que l'avertissement, le blâme, le
déplacement, la mise au provisoire, l'amende, et/ou la révocation).
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2.3. LES DOMAINES DU DROIT
Le droit (objectif), compris comme un système de normes régissant les relations sociales,
doit régler des problèmes extrêmement nombreux et divers. Ces domaines vont en effet
des relations entre personnes jusqu'aux relations entre les Etats, en passant par tous les
degrés de l'organisation de la société (mariage, contrats, propriété, autorisation de
construire, de conduire, règlement international des conflits, ...).
Il est dès lors indispensable d'opérer certaines classifications pour regrouper les
domaines voisins ou comparables. Ce souci de classification est dicté par les
considérations pratiques, notamment didactiques. Cependant, cette classification est
également opérée au niveau législatif. En effet, chaque domaine du droit fait l'objet de
lois ou de règlements bien différents. Savoir à quel domaine du droit appartient un cas
concret permettra de trouver la loi donnant des solutions à ce cas.
2.3.1. Les critères permettant la classification des domaines du droit :
Compte tenu de la nature des personnes et des entités en présence dans les
relations sociales, il est d'usage de classer les domaines du droit en fonction des
quatre types de relations suivantes :
- les relations entre Etats;
- les relations entre individus d'Etats différents;
- les relations entre un Etat et un individu de cet Etat;
- les relations entre individus d'un même Etat.
Ces quatre types de relations permettent de faire deux grandes classifications,
d'une part entre le droit privé et le droit public, d'autre part entre le droit international et le droit interne (ou national).
Certains domaines du droit échappent cependant à toute classification ou
recouvrent plusieurs catégories du domaine du droit. C'est le cas p.ex. du droit du
travail qui regroupe des domaines du droit public (sécurité au travail, ouverture
des entreprises le dimanche), et du droit privé (contrat individuel de travail), ou du
droit bancaire (droit public : autorisation de pratiquer, contrôle de la FINMA; droit
privé : contrat de mandat).
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2.3.2. Droit privé (interne) - droit public (interne) :
La distinction entre le droit public et le droit privé constitue aujourd'hui encore la
plus grande distinction dans les différents domaines du droit.
Par souci de simplification, il pourrait paraître suffisant de dire que le droit public
concerne toutes les relations où l'Etat, ou l'un de ses organes (Confédération,
cantons, communes, autres collectivités publiques), intervient, alors que le droit
privé concernerait uniquement les relations entre individus où l'Etat n'intervient
pas. Cette classification est cependant trop simpliste pour être suffisante.
Exemples : 1°) Lorsque la garage de la Police cantonale (organe de l'Etat)
achète auprès de l'importateur OPEL un nouveau véhicule
automobile, s'agit-il d'une relation de droit privé ou de droit
public ?
2°) Quid, si un agent de la Police cantonale, à la poursuite d'un
dangereux malfaiteur, demande à un automobiliste de lui
laisser sa voiture pour poursuivre ce malfaiteur ?
Il convient dès lors de rechercher la différence par d'autres critères. En outre, il
ne faut pas perdre de vue que cette différence est fondamentale.
a) Importance de la distinction :
Du point de vue législatif, la distinction entre le droit privé et le droit public
est fondamentale. En effet, compte tenu de la répartition des tâches entre la
Confédération et les cantons (cf. 3 Cst.), la Confédération est en principe
compétente pour édicter les règles de droit privé, alors que les cantons ont
une compétence générale pour édicter des normes de droit public. Des
conflits de compétences peuvent dès lors surgir entre la Confédération et les
cantons, conflits de compétences qui auraient pour origine une erreur quant à
la nature juridique d'un problème à légiférer (citons par exemple la poémique
sur la nécessité ou l’opportunité de légiféer sur la détention de chiens
dangeureux : est-ce que ce problème relève de la question de la
responsabilité civile du détenteur, et devrait alors être traité par le droit privé
au niveau fédéral, ou est-ce un problème de sécurité publique et de normes
vétérinaires, de la compétence des cantons ?)
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Du point de vue des règles applicables, la distinction entre le droit privé et
le droit public est également fondamentale. En effet, la solution à un cas
précis n'est pas identique suivant le domaine du droit. A titre d'exemple, le
régime de la responsabilité du médecin n'est pas la même suivant que le
médecin travaille dans un hôpital public ou si le médecin travaille à titre de
médecin privé (droit privé).
Du point de vue juridictionnel, cette distinction joue également un rôle. En
effet, en cas de litige, les tribunaux compétents ne sont pas les mêmes
suivant que l'affaire relève du droit public ou du droit privé (juridiction civile et
juridiction administrative).
b) Les critères de distinction :
La simple participation de l'Etat, ou l'un de ses organes, dans une relation ne
suffit pas à dire que cette relation s'inscrit dans le domaine du droit public. Afin
de savoir plus précisément si la relation s'inscrit dans le domaine du droit
privé ou du droit public, il convient de pondérer les théories suivantes :
- la théorie des intérêts en cause :
Ainsi, lorsqu'une règle de droit tend à promouvoir un intérêt général, elle
est de droit public. Lorsque la règle de droit tend à promouvoir un intérêt particulier, elle est de droit privé. Ce seul critère de distinction n'est pas
suffisant. En effet, il arrive que des relations de droit privé mettent en jeu
des intérêts généraux, p.ex. le droit de l'adoption (intérêt général à la
résolution des problèmes liés à l'enfance), qui est un domaine du droit
privé.
- la théorie des personnes impliquées :
La distinction repose dès lors sur la nature des personnes en cause. Ainsi,
lorsqu'une norme met en cause l'Etat ou les corporations publiques
(Confédération, cantons, communes, ...), elle est de droit public.
Lorsqu'elle met en cause des particuliers, elle est de droit privé. Cette
distinction doit être cependant prise avec précaution. C'est le cas
notamment lorsque l'Etat ou l'un de ses organes, ou une autre collectivité
publique, agit comme un particulier (p. ex. : une commune achète du
terrain à un particulier : droit privé).
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- la théorie des relations en jeu :
Cette distinction repose sur la nature des relations unissant les personnes
en cause. Dès lors que les personnes en cause sont dans un rapport d'égalité, on se trouve en présence de droit privé. Si les personnes en
cause sont dans un rapport de subordination, ces rapports s'inscrivent
dans le domaine du droit public. Une fois encore, ce critère de distinction
n'est pas suffisant. Ainsi, p.ex., dans le domaine du droit de la famille,
domaine du droit privé, il existe un rapport de subordination entre les
enfants et les parents. Il en va de même dans le domaine du contrat de
travail (droit privé), où le travailleur est subordonné à l'employeur. De
même, l'absence de rapport de subordination n'implique-t-il pas
obligatoirement un rapport de droit privé. Ainsi, lorsque deux communes
sont en litige sur la prise en charge des frais d'assistance d'une personne
indigente dont le domicile est incertain, ce litige ressortit au droit public.
c) Les définitions :
Sur la base des critères dégagés, le droit public se définit comme l'ensemble des règles de droit régissant des relations dans lesquelles l'Etat (ou des corporations qui lui sont liées) intervient comme détenteur de la puissance publique et qui vise en premier lieu l'intérêt général. On en déduit a contrario la définition du droit privé.
2.3.3. Enumération et classification des domaines du droit :
A l’intérieur des différenciations fondamentales entre le droit interne et le droit
national d’une part, et le droit privé et le droit public d’autre part, il est d’usage de
classer les différentes branches juridiques, suivant leur contenu et les domaines
réglés, de la façon suivante :
a) Droit international public :
Définition :Ensemble des règles de droit régissant les relations juridiques entre Etats,
ainsi que l’organisation et la structure des entités supranationales.
Domaines :
- droit des traités internationaux;
- droit diplomatique;
- droit humanitaire;
- organisation de l’ONU, de l’Union Européenne, de l’AELE, ...
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a) Droit international privé (DIP) :
Définition :
Ensemble des règles de droit indiquant le droit (national) applicable dans les
relations entre individus, ainsi que les Tribunaux et les autorités compétentes
pour trancher les litiges issus de ces relations.
Attention ! Le droit international privé n’indique pas quelle est la solution
juridique d’un problème surgissant entre deux ou plusieurs individus
domiciliés ou séjournant dans divers Etats ou de diverses nationalités, mais
seulement selon quel droit (national) et devant quel Tribunal ce conflit devra
être réglé.
Exemple :
La société X & Cie Ltd a son siège en Australie. Elle fournit des prestations de
services (conseil en gestion d’image) à la société X SA, dont le siège est à
Fribourg. Un litige survient entre les deux parties au contrat (conseil
anadéquat, qui a engendré un dommage, non-paiement des honoraires
convenus, …). L’art. 117 al. 2 lit. c de la Loi fédérale sur le droit international
privé (LDIP; RS 290) indique que ce litige doit être soumis au droit allemand
et l’art. 113 LDIP indique que ce même litige pourra être porté à la
connaissance d’un tribunal suisse ou australien.
Le DIP n’indique cependant pas quelle sera la solution finale de ce litige.
Cette solution finale se trouve dans le droit australien.
c) Droit privé (interne ou national) :
Définition :
Le droit privé régit les statuts et les relations juridique des individus et entre
individus (par opposition à la définition du droit public).
Domaines du droit privé :
- Droit civil :
Droit des personnes : régissant le statut juridique des sujets de droit
(personnes physiques et personnes morales), leur capacité, leur
naissance, leur création, leur mort ou leur extinction.
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Droit de la famille : régissant le statut des personnes (physiques) dans
la communauté familiale : droit du mariage, du divorce, régimes
matrimoniaux, droit de la filiation, de l’adoption.
Droit de la protection de l’adulte et de l’enfant (anciennement droit des tutelles tutelles : régissant l’organisation des autorités de protection
de l’adulte et de l’enfant (curatelle), ainsi que le statut des personnes
(physiques) soumises à une mesure de protection : directives anticipées,
représentation dans le domaine médical, curatelle, placement à des fins
d’assistance, organisation et responsabilité des autorités de protection de
l’adulte et de l’enfant (turateur, Justice de Paix, autorité de surveillance).
Droit des successions : régissant le statut des biens de la personne
décédée et les relations juridiques des héritiers. Qui est héritier (vocation
successorale)? Comment se transmet la succession aux héritiers
(dévolution successorale)?
Droits réels : régissant le statut des choses (meubles et immeubles), et
les relations des personnes (physiques ou morales) par rapport à ces
choses : propriété, droits réels limités (servitude, gage), possession,
Registre Foncier.
- Droit des obligations :
Partie générale : régissant la création des rapports d’obligations entre
sujets de droit, ainsi que l’exécution, l’extinction et les modalités de ces
rapports d’obligations.
Droit des contrats : régissant les rapports d’obligations entre deux ou
plusieurs sujets de droit, rapports fondés sur un contrat (vente, bail,
donation, prêt, travail, mandat, entreprise, cautionnement, société simple,
assurance, leasing, factoring, ...).
Droit de la responsabilité civile (RC) : régissant les rapports
d’obligations entre sujets de droit, rapports fondés sur un acte illicite
entraînant un préjudice (responsabilité pour faute, responsabilité
objective simple, responsabilité causale).
Droit de l’enrichissement illégitime : régissant les rapports
d’obligations entre deux ou plusieurs sujets de droit, rapports fondés sur
l’enrichissement sans cause.
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- Droit commercial :
Droit des sociétés : régissant le statut et l’organisation des sociétés
(personnes morales) : sociétés anonymes (SA), sociétés à responsabilité
limitée (SàRL.), sociétés coopératives (Scoop), sociétés en nom collectif
(SNC), ...
Registre du commerce : régissant l’organisation du Registre du
Commerce, sa tenue, et l’effet des inscriptions.
Comptabilité commerciale : régissant les principes juridiques
applicables à la tenue d’une comptabilité.
Droit des papiers-valeurs : réglementant la création, l’utilisation et les
effets des papiers-valeurs (lettre de change, billet à ordre, chèque,
warrant).
Droit de la concurrence déloyale : régissant l’activité commerciale
entre concurrents (publicité, protection des consommateurs).
Droit des cartels : régissant et réglementant les ententes cartellaires ou
autres ententes exerçant une influence sur la libre concurrence.
- Droit de la propriété intellectuelle ou immatérielle :Domaine du droit régissant le statut des créations de l'esprit humain
(oeuvre, marque, invention, ...), ainsi que les droits du concepteur. Ce
domaine regroupe le droit d'auteur, les brevets, les dessins et modèles
industriels, ...
d) Droit public (interne) :
Définition :
Le droit public se définit comme l’ensemble des relations dans lesquelles
l’Etat (ou des corporations qui lui sont liées) intervient comme détenteur de la
puissance publique et qui visent en premier lieu l’intérêt général (cf. supra I.
2.4.2.c).
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Domaines du droit public :
- Droit constitutionnel : ensemble des règles fondamentales de l’Etat et
de son fonctionnement. Le droit constitutionnel comprend notamment les
domaines suivants :
structures de l’Etat : Confédération et cantons, répartition des
compétences, séparation des pouvoirs, fédéralisme, démocratie,
système républicain, ...
éléments concrets de l’Etat : territoires, populations.
régimes politiques et organisation de l’Etat : droits politiques,
fonctionnement des organes de l’Etat.
droits fondamentaux : liberté individuelle (égalité), liberté de presse, de
commerce, de réunion, de conscience, garantie de la propriété, ...
- Droit administratif :
Définition :
Ensemble des règles régissant la gestion courante des affaires publiques
par les organes de l’administration, ainsi que les rapports entre ces
organes et les sujets de droit.
droit administratif général :
Définition :
Ensemble des règles régissant l’activité des divers secteurs de
l’administration. Le droit administratif général régit plus particulièrement :
organisation de l’administration : institution et organisation des
organes de l’administration, des services décentralisés (CNA, Banque
Nationale, EPF, ...), statut des fonctionnaires.
activité de l’administration : principes généraux (bonne foi, base
légale, intérêt public, proportionnalité), actes administratifs, contrats
administratifs, concessions ...
biens de l’administration et domaine public : bâtiments publics,
routes, lacs, cours d’eau.
droit administratif spécial :
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Notion :Compte tenu de la complexité et de la diversité des relations et des
phénomènes sociaux, l’Etat, par le droit administratif spécial, doit essayer
de régir tous ces aspects particuliers :
* aspect financier :
le droit fiscal : qui traite des ressources de l’Etat (impôts, taxes,
émoluments, ...).
le droit de la gestion financière : qui traite de l’administration et de la
gestion des fonds publics (budgets, comptes des collectivités
publiques). Est rattaché à ce domaine, le droit des marchés publics
* aspect économique :
Le droit économique qui comprend l’ensemble des règles régissant les
interventions de l’Etat dans la vie économique (aide aux régions
défavorisées, garantie des risques à l’exportation, politique agricole,
marchés publics...).
* aménagement du territoire et protection de l’environnement :
Ce domaine du droit administratif spécial régit l’intervention de l’Etat en
vue de l’utilisation rationnelle du sol et de la protection de
l’environnement. Ce domaine est subdivisé comme suit :
aménagement du territoire : plan directeur, plan d’aménagement,
plan de détail, plan d’affectation, ...
police des constructions : ensemble des règles d’ordre technique
relatives à la mise en valeur du sol (distance, hauteur, esthétique,
utilisation et occupation).
protection de l’environnement : ensemble des règles visant à
protéger l’homme dans son environnement : protection contre le bruit,
protection de l’eau, l’air, des sites, de la faune, de la flore, des forêts, ...
* droit social :
Notion :Ensemble des règles destinées à protéger l’individu contre les
difficultés de l’existence. Le domaine du droit social comprend
notamment :
droit du travail : ensemble des règles destinées à protéger la santé et
la personnalité du travailleur dans le cadre d’un contrat de travail
(horaire, travail de nuit, travail le dimanche, sécurité au travail, ...).
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droit des assurances sociales : ensemble des règles instituant un
régime de prestations garantissant à tous un minimum d’existence en
cas de réalisation d’un risque inhérent à la personnalité humaine
(vieillesse, retraite, décès, maladie, accidents, chômage, ...).
droit de l’aide sociale : ensemble des règles instituant un système
d’aide, subsidiaire, aux personnes en situation de précarité (aide
sociale au sens strict, allocations diverses, …).
* autres domaines du droit administratif spécial : droit scolaire (école
obligatoire, écoles supérieures, université, formation
professionnelle, ...), droit des transports (chemins de fer, navigation
aérienne et maritime), droit militaire, droit de la santé publique, ...
- autres domaines du droit public :
Certains domaines du droit doivent se ranger dans le domaine du droit
public, compte tenu de la participation de l’Etat. Cependant, certains de
ces domaines du droit public sont régis par des principes particuliers, si
bien qu’ils acquièrent une certaine autonomie. Parmi ces domaines
particuliers du droit public, il convient de citer :
le droit pénal :
Ensemble des règles décrivant les comportements portant atteinte aux
biens juridiques (vie, intégrité corporelle, patrimoine, liberté personnelle,
honneur, sécurité publique, ...) et régissant les sanctions (peines et
mesures) de ces comportements.
droits de procédure :
Ensemble des règles régissant le fonctionnement des Tribunaux et des
autorités chargées de juger (droit de l’organisation judiciaire), ainsi que
les règles applicables au déroulement des procès et des litiges devant
les Tribunaux et les autorités (droits de procédure au sens strict).
e) Attention ! La présente énumération des domaines du droit n’est pas
exhaustive. Cela signifie que chaque branche peut encore se subdiviser ou
que d’autres branches peuvent se créer. En effet, le droit ne fait que s’adapter
à l’évolution de notre société. Ainsi, il y a une vingtaine d’années seulement,
notre système juridique ne comprenait quasiment aucune disposition en
matière de protection de l’environnement. Aujourd’hui, compte tenu de
l’évolution technologique, il est possible que l’Etat régisse certains domaines
relatifs à l’utilisation de la haute technologie.
16
D’autre part, compte tenu de la complexité des relations entre individus et/ou
Etats, les différents domaines interfèrent. Ainsi, même la division importante
entre le droit privé et le droit public ne correspond plus à la réalité. Ainsi, dans
le domaine du droit du travail, une difficulté ressortira au domaine du droit
privé (contrat de travail), ainsi que du droit public (sécurité au travail, horaires
de travail, ...).
2.3.4. Autres critères de classification des règles de droit :
Il est également d'usage de classifier les règles de droit selon deux autres
approches :
a) droit matériel et le droit formel :
Le droit matériel désigne les règles de droit qui donneront aux parties la
solution à leur problème. Ce sont les dispositions légales qui exposent les
conditions et les conséquences (p.ex. : l'art. 41 CO ).
Le droit formel (ou droit de procédure) régit le déroulement des contestations
et l'organisation des autorités et des tribunaux. Les règles de procédure sont
en principe réunies dans des lois de procédure. Parfois cependant, elles
complètent directement des normes de droit matériel.
b) Le droit impératif et le droit dispositif :
Le droit n'a pas toujours la même valeur. Certaines règles de droit doivent être
appliquées, d'autres ne sont que proposées aux justiciables.
Le droit impératif doit être appliqué. Les parties ne peuvent pas y déroger.
C'est notamment le cas du droit public, du droit pénal, du droit de procédure,
des règles sur la forme des contrats, ou des règles instituant une protection
particulière en faveur d'une partie dite faible (p.ex. : droit de la filiation, contrat
de bail, de travail, cautionnement, ...).
Le droit dispositif est laissé à la libre disposition des parties, qui peuvent y
déroger, ou qui peuvent s'y référer si elles n'ont rien convenu d'autre (p.ex. :
aux conditions des art. 100 et 101 CO, les parties peuvent librement
reprendre le système de la garantie pour les défauts des art. 197 ss CO dans
un contrat de vente).
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3. LES SOURCES DU DROIT ET LES AUTORITES
3.1. GENERALITES
Savoir ce qu’est le droit et quels sont les domaines du droit est une chose. Savoir où se
trouvent ces fameuses règles de droit régissant les relations entre les individus est une
autre chose. Il existe deux grands systèmes juridiques :
- le système anglo-saxon ( Common Law ) :
Dans les pays anglo-saxons (USA, Royaume-Uni et autres pays du
Commonwealth), le droit, c’est-à-dire l’ensemble des règles régissant les relations
entre individus, résulte des décisions judiciaires rendues précédemment. Ainsi, une
sentence ou un jugement a une force normative et s’impose avec force obligatoire
au Juge appelé à trancher un litige ("the rule of precedent").
Attention ! Compte tenu du développement des relations internationales et de la
complexité des phénomènes sociaux, de nombreux pays de la famille anglo-
saxonne disposent actuellement de textes écrits, textes qui sont soit une codification
des décisions judiciaires rendues précédemment, soit une incorporation des traités
ou directives internationales (p.ex. les Directives de l'Union Européenne).
- le système continental (romano-germanique) :
Les pays européens, ainsi que les anciennes colonies de ces pays, reconnaissent le
principe de la primauté du droit écrit. En d’autres termes, pour les pays de cette
famille, le droit , soit l’ensemble des règles régissant les relations entre individus, ne
se trouve pas dans les décisions précédemment rendues, mais dans des textes
écrits (sous forme de lois, de codes, d’arrêtés, ou de règlement, ...).
Le droit suisse, influencé dans son passé lointain par le droit romain et par les droits
germaniques, et dans son passé récent par les grandes codifications du XIXème siècle
intervenues en Europe continentale, a également adopté le principe de la primauté du
droit écrit.
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3.2. LE SYSTÈME DE L’ART. 1 CC :
Le droit suisse, à l’instar de tous les droits romano-germaniques, a consacré le principe
de la primauté de la loi. Néanmoins, même si celle-ci ne donne pas la solution d’une
question, le Juge doit pouvoir statuer sous peine de commettre un déni de justice. Pour
résoudre cette difficulté, la loi propose deux sources subsidiaires du droit : la coutume et
le droit prétorien.
A lire le texte de l’art. 1 Code civil (CC), on voit que cette disposition légale répond plus
précisément à trois questions :
1) quelles sont les sources et les autorités du droit ?
Les sources sont la loi (al. 1), la coutume (al. 2) et le droit prétorien (al. 2). Les
autorités sont la doctrine et la jurisprudence (al. 3). Le Juge n’applique pas la
doctrine et la jurisprudence, il s’en inspire.
2) Quelle est la relation entre les différentes sources du droit ?
La loi est la première des sources du droit; elle a donc le pas sur la coutume et le
droit prétorien (al. 1). La coutume est la deuxième des sources du droit; elle a le pas
sur le droit prétorien (al. 2).
Cette hiérarchie des sources est une nécessité : une loi laisse des lacunes, il faut
donc indiquer au Juge où trouver la solution à un problème que la loi ne traite pas.
3) Comment doit être trouvée la règle applicable ?
La loi doit être appliquée non seulement selon sa "lettre", mais également selon son
"esprit" (al. 1). A défaut de loi, le Juge doit observer la même démarche vis-à-vis de
la coutume.
Le Juge doit en outre créer le droit prétorien comme le ferait le législateur (al. 2).
La doctrine et la jurisprudence ne servent d’appui que si leurs solutions sont
"consacrées" (al. 3).
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3.3. LES SOURCES DU DROIT :
3.3.1. Le droit écrit :
a) Définition :
Le droit écrit est l’ensemble des règles juridiques contenues dans les textes
édictés ou approuvés, selon une procédure régulière, par une autorité
investie du pouvoir législatif ou réglementaire.
b) La législation suisse comprend trois sortes de règles de droit écrit :
- le droit (écrit) fédéral : ce droit est édicté par les autorités
compétentes de la Confédération (Assemblée fédérale, Conseil fédéral
ou Tribunal fédéral);
- le droit (écrit) cantonal : ce droit est édicté par les autorités
compétentes de chaque canton. Le droit cantonal désigne également le
droit édicté par les autorités communales.
- entre ces deux catégories (droit fédéral et droit cantonal), il existe des
concordats intercantonaux qui sont des accords par lesquels les
cantons règlent des problèmes communs à certains d’entre eux ou à
tous (p.ex. le concordat en matière d’entraide judiciaire, concordat sur
l’exécution des peines d’emprisonnement et de réclusion, ...).
c) Terminologie :
- la loi au sens matériel :
La loi au sens matériel est tout acte énonçant une règle ou un
ensemble de règles de droit, édictée par une autorité compétente et
adoptée selon une procédure régulière.
Prise au sens matériel, la loi peut revêtir le caractère d’une constitution,
d’une loi, d’une ordonnance, d’un arrêté, d’un décret, d’un règlement,
de statuts, ...
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- la loi au sens formel :
(ATTENTION ! à ne pas confondre avec le droit formel, cf. supra 2.3.4.a)
La loi au sens formel est l’acte d’autorité édicté par le ou les organes
investis du pouvoir législatif, selon une procédure ordinaire prévue à cet
effet.
Au niveau fédéral, la loi au sens formel porte le nom de « loi fédérale »
et est adoptée par l’Assemblée fédérale (Conseil national et Conseil
des Etats), selon une procédure particulière, et est soumise au
référendum (facultatif pour les lois fédérales, obligatoires pour la
Constitution).
Au niveau cantonal, la loi au sens formel porte le nom de loi
(cantonale). A Fribourg, elle est adoptée par l’organe législatif, soit le
Grand Conseil.
d) Compétence législative entre la Confédération et les cantons :
C’est la Constitution fédérale (Cst.) qui détermine et règle la compétence
entre la Confédération et les cantons quant à savoir qui édicte les règles de
droit écrit.
L'attribution des compétences est régie par l'art. 3 Cst., lequel dispose que
les cantons bénéficient d'une présomption de compétence, sauf dans les
domaines où la compétence est expressément attribuée à la Confédération.
En d'autres termes, cela signifie qu'en l'absence de toute norme dans la
Constitution fédérale, les cantons sont compétents pour édicter des règles
de droit écrit. Au contraire, cela signifie également que la Confédération ne
peut édicter des normes de droit écrit que si elle en reçoit la compétence
expresse de la Constitution fédérale.
Exemple : L'art. 122 al. 1 Cst. donne expressément la compétence à la
Confédération d'édicter des règles de droit dans tous les
domaines du droit privé. Ainsi, les cantons n'ont pas la
possibilité d'édicter des règles de droit dans ce domaine (sauf
pour compléter le droit privé de la Confédération).
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e) Lacune de la loi :
Tout Etat qui adopte le principe de la primauté du droit écrit n'est cependant
pas en mesure de réglementer exhaustivement et immuablement tous les
phénomènes sociaux. Ainsi, inévitablement, la loi (au sens de droit écrit)
présente des lacunes pour deux raisons :
1°) Les besoins de la société sont si variés, la communication des hommes
est si active, leurs intérêts sont si multiples, et leurs rapports si étendus,
qu'il est impossible au législateur de pourvoir à tout.
2°) Les lois une fois rédigées demeurent telles qu'elles ont été écrites. Les
hommes, au contraire, ne se reposent jamais; ils agissent toujours; et
ce mouvement qui ne s'arrête pas, et dont les effets sont diversement
modifiés par les circonstances, produit à chaque instant, quelque
combinaison nouvelle, quelque nouveau fait, quelque résultat nouveau.
Distinction entre la lacune de la loi et le silence qualifié :
Il arrive parfois que le législateur ait volontairement omis de régler une
situation de fait ou qu'il ait volontairement exclu une possibilité ou une
hypothèse de la réalité sociale. Dans ce cas, la loi ne présente pas de
lacune au sens technique, mais elle comporte un silence qualifié.
Distinction entre lacune de la loi et lacune improprement dite :
Il arrive également que la loi ne soit pas lacunaire, mais que son application
conduise à des résultats choquants. Cependant, compte tenu du principe de
la primauté du droit écrit, le juge ne peut pas renoncer à appliquer une règle
de droit, pour le motif que le résultat n'est pas satisfaisant, voire choquant.
Ces situations justifient l'application de l'adage "dura lex, sed lex" (la loi est
dure, mais c'est la loi).
3.3.2. La coutume :
a) Définition :
La coutume (das Gewöhneitsrecht) désigne l'ensemble des règles juridiques
qui résultent d'un usage implanté dans une collectivité et tenu par elle
comme juridiquement obligatoire.
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b) Les conditions de l'existence d'une coutume :
La coutume en tant que source du droit n'existe, en droit suisse, que si les
quatre conditions suivantes sont remplies :
1°) Il ne peut être question de coutume, ou plutôt le juge ne peut
appliquer la règle coutumière, que si le droit écrit est lacunaire (cf. supra 3.3.1.e). Il ressort en effet de l'art. 1 al. 2 CC que "à défaut
d'une disposition légale applicable, le juge prononce selon le droit
coutumier, ...".
2°) La coutume présuppose l'existence d'un usage suivi pendant un certain temps. La répétition de cet usage, de cette pratique, crée
l'habitude, et la solution empirique devient une coutume qui se diffuse
dans le peuple.
3°) La conviction que l'usage est obligatoire. L'usage doit être
implanté dans une collectivité au point que les intéressés au rapport
de droit concerné aient la conviction d'être liés par cet usage.
4°) L'usage qui crée la coutume doit revêtir un caractère de généralité,
c'est-à-dire que sa validité doit s'étendre à l'ensemble du territoire, et
à toutes les personnes de ce territoire. En droit fédéral, la coutume
doit donc être le reflet d'une habitude implantée dans tout le territoire
de la Confédération.
c) Distinctions :
1°) L'usage local :
La coutume ne doit pas être confondue avec l'usage local. L'usage
local consiste en principe en l'ancien droit cantonal en vigueur avant
l'entrée en vigueur du Code civil, en 1911.
Exemple : Le Code civil et le Code des obligations renvoient
fréquemment à l'usage local (art. 642 al. 2 CC : notion de
partie intégrante d'une chose; art. 699 al. 1 CC : accès
aux forêts et aux pâturages d'autrui pour s'approprier
baies, champignons, et autres menus fruits sauvages).
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2°) Les usages commerciaux ou usances :
Attention ! Les usages commerciaux ou usances, soit les pratiques
généralement retenues dans une branche professionnelle, ou dans un
milieu d'affaires donné, ne sont pas une coutume au sens de
l'art. 1 al.2 CC. Ils ne s'appliquent à une relation juridique que si les
parties en cause s'y sont expressément référées.
3.3.3. Le droit prétorien :
a) Définition :
Le droit prétorien (das Richterrecht; en latin "preator" signifie juge) est la
règle de droit édictée par le juge en cas de lacune de la loi et d'absence de
coutume. Cette règle de droit est édictée par le juge comme s'il devait faire
acte de législateur, c'est-à-dire qu'il doit créer une norme générale et
abstraite applicable au cas d'espèce qui se présente à lui.
b) Procédé :
Le juge, qui constate une lacune de la loi, et qui ne peut dégager une règle
coutumière, doit procéder de la façon suivante :
1°) Le juge doit commencer par examiner quels sont les intérêts en
présence dans le litige, et quel poids il convient de reconnaître à
chacun d'eux en fonction des intérêts de la société.
2°) Le juge doit ensuite rechercher une norme abstraite et généralisable,
propre à donner une solution satisfaisante à tous les cas semblables
qui pourront se présenter à l'avenir.
3.3.4. Les sources du droit en droit public et en droit pénal :
Le droit public (et le droit pénal qui appartient au droit public) sont soumis au
principe strict de la primauté de la loi. Cela signifie que toute intervention de
l'Etat, en droit public et en droit pénal, ne peut être justifiée que par l'existence
d'une base légale.
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En droit pénal, l'art. 1 CP dispose que "nul ne peut être puni s'il n'a commis un
acte expressément réprimé par la loi". En droit public, à titre d'exemple, l'art. 8 du
Code de procédure et de juridiction administrative du canton de Fribourg (CPJA;
RSF 150.1) dispose que "l'autorité pourvoit à la réalisation de l'intérêt public,
dans le respect des droits des particuliers. Elle observe les principes suivants :a)
la légalité".
Ainsi, en droit public et en droit pénal, l'autorité ne peut pas, en cas de lacune de la loi (droit écrit), combler la lacune par un recours au droit coutumier ou au droit prétorien.
3.3.5. Les autres sources du droit :
Outre le droit écrit (cf. supra 3.3.1.), la coutume (cf. supra 3.3.2.) et le droit
prétorien (cf. supra 3.3.3.), les normes juridiques peuvent découler de deux
autres sources : les principes généraux du droit et les sources autonomes du
droit.
a) Les principes généraux du droit :
1°) La définition :
Les principes généraux du droit sont la formulation de valeurs
philosophiques sur lesquelles repose (ou devrait reposer) le système
juridique de l'Etat dans les nations occidentales.
L'origine de la référence à ces principes généraux remonte à la fin de
la Seconde Guerre Mondiale où, après l'effondrement du IIIème Reich
nazi, les puissances occidentales ont ressenti la nécessité de fonder
leurs systèmes juridiques non seulement sur un ensemble de règles
écrites (le régime nazi a également édicté des règles de droit écrit),
mais également sur un ensemble de valeurs.
2°) Exemples de principes généraux du droit :
Les principes généraux du droit expriment certaines notions implicites
de nos démocraties occidentales :
- Etat de droit :Ce principe fonde tout le fonctionnement de l'Etat qui doit
respecter le droit, et non pas être soumis à la volonté arbitraire
du gouvernant, par opposition à la notion de "raison d'Etat".
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- séparation des pouvoirs :La Constitution fédérale ne mentionne pas expressément
l'existence de trois pouvoirs : le législatif (parlement), l'exécutif
(gouvernement), et le judiciaire (tribunaux). Cependant,
l'existence de ces trois pouvoirs est un élément essentiel de
nos démocraties occidentales. Ce principe veut que chacun de
ces trois pouvoirs soit indépendant. Ainsi, le principe de la
séparation des pouvoirs est notamment violé lorsque le
gouvernement intervient dans une procédure judiciaire.
D'autres principes généraux expriment certaines règles
fondamentales dans l'application du droit :
- la non-rétroactivité des lois :Selon ce principe, unanimement reconnu dans nos démocraties
occidentales, les lois ne peuvent être applicables qu'à des faits
survenus après l'entrée en vigueur de la loi. Ainsi, si le
législateur supprime le système des jours-amendes en droit
pénal pour réintroduire les peines de courtes durée (inféàrieure
à 6 mois), un Tribunal ne pourra condamner une personne à
une peine privative de liberté de courte durée pour des faits qui
auraient été commis alors que le Code pénal prévoyait la
sanction financière sous forme des jours-amendes.
- droit d'être entendu:Depuis plusieurs années, les Etats démocratiques ont codifié le
principe du droit d'être entendu. Auparavant, ce droit n'était
reconnu que sous la forme d'un principe général du droit. Selon
ce principe, avant toute décision, la personne concernée doit
avoir la possibilité de présenter son point de vue (le droit d'être
entendu ne signifie cependant pas que le justiciable a toujours
le droit de s'exprimer oralement devant l'autorité appelée à
statuer sur son cas, quand bien même c'est souvent le cas,
notamment en procédure pénale).
Certains principes généraux du droit sont exprimés par des proverbes
latins. Ils sont l'expression de certaines valeurs nécessaires à la
bonne administration de la justice :
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- in dubio pro reo :Cet adage, fondamental, signifie que dans un procès pénal, le
doute doit toujours profiter à l'accusé. En d'autres termes,
l'accusé ne pourra être condamné que si le Tribunal a la
conviction qu'il est coupable.
- ne bis in idem :Cet adage exprime le principe qu'une personne ne peut pas
être jugée deux fois pour les mêmes faits ("jamais deux fois
dans la même chose"). Ainsi, lorsqu'une personne a fait l'objet
d'un jugement, son cas est définitivement réglé, sous réserve
de faits nouveaux. Dans cette hypothèse, il n'y a pas violation
du principe "ne bis in idem", puisque la personne ne serait pas
rejugée pour les mêmes faits, mais pour des faits nouveaux, qui
n'auraient pas été établis lors du premier procès.
b) Les sources autonomes du droit :
1°) La définition :
Les sources autonomes du droit sont l'ensemble de normes que les
organismes privés (et non pas l'Etat) se donnent en vertu de la liberté
qui leur est reconnue par la loi (cf. art. 19 CO).
2°) Exemples :
- les statuts :Les sociétés, les associations, ont le droit, et même l'obligation,
d'édicter des statuts, réglementant leur activité et leur
organisation.
- la convention collective de travail :Dans le contrat de travail, la loi prévoit que les partenaires
sociaux ont la faculté de réglementer certains points (durée du
travail, horaire, salaire, ...) par des accords, qui peuvent être
applicables à tous les employeurs et travailleurs d'une branche.
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- les clauses contractuelles et les conditions générales :Il s'agit de clauses contractuelles (préformulées pour les
conditions générales) qui décrivent de manière générale tout ou
partie du contenu d'éventuels contrats. Ces conditions sont en
fait des règles autonomes qui n'ont de portée que si les parties
décident de les intégrer à leur contrat. Elles sont rédigées de
manière abstraite mais n'ont de valeur que si elles sont
concrètement acceptées.
3.4. LES AUTORITES :
L'art. 1 al. 1 et 2 CC indique au juge qu'elles sont les sources du droit. Une fois les
sources du droit établies, le juge doit appliquer le droit. Pour ce faire, il doit s'inspirer de
la doctrine et de la jurisprudence (art. 1 al. 3 CC).
La doctrine et la jurisprudence ne sont pas des sources du droit, mais des autorités.
En d'autres termes, la doctrine et la jurisprudence ne s'imposent pas en raison du
prestige de leurs auteurs ou de leurs origines, mais de la pertinence de l'argumentation
avancée. Ainsi, le Tribunal civil de l'arrondissement de la Sarine ne va pas suivre
l'argument du Tribunal fédéral, parce que il est l'instance judiciaire supérieure du pays,
mais parce que l'argumentation du Tribunal fédéral est pertinente et convaincante.
3.4.1. La doctrine :
Au sens de l'art. 1 al. 3 CC, la doctrine désigne l'ensemble des opinions
exprimées dans les ouvrages de droit (traités, commentaires, monographies, ...).
L'opinion émise par les auteurs juridiques n'est pas irréfragable. Le juge peut
l'estimer non pertinente et renoncer à suivre un avis de doctrine dans un cas
précis.
La doctrine a les rôles suivants :
1°) Rôle législatif de la doctrine :
La doctrine contribue à faire évoluer tous les domaines du droit par ses
critiques, en suscitant la réflexion, et en émettant des propositions. Les
auteurs sont en outre fréquemment membres de commissions législatives.
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2°) Influence de la doctrine sur la jurisprudence :
La doctrine est l'un des outils essentiels des tribunaux pour l'application du
droit. Les juges ne se contentent pas de s'inspirer des décisions
précédentes. Au contraire, ils tiennent compte des critiques de ces
décisions, critiques émises par la doctrine.
3°) Rôle scientifique de la doctrine :
La doctrine met de l'ordre dans le droit, en systématisant les domaines du
droit, et en assurant la présentation de la matière. Elle étudie le droit existant
("de lege lata"), et propose des solutions pour le futur ("de lege ferenda").
3.4.2. La jurisprudence :
La jurisprudence désigne l'autorité qui se dégage de l'ensemble des décisions
des tribunaux, et des organes de l'administration, ainsi que de l'ensemble de leur
pratique.
La jusrisprudence et le droit prétorien ne doivent pas être confondus. L'art. 1 al. 2
CC dispose que le droit prétorien est une source du droit, alors que selon l'art. 1
al. 3 CC, la jurisprudence n'est qu'une autorité. Le droit prétorien désigne la règle de droit que le juge dégage du cas qui lui est soumis, pour trancher ce cas. Pour
dégager la solution de ce problème, où il n'y a ni droit écrit, ni coutume, le juge
s'inspirera de la jurisprudence.
La jurisprudence revêt une importance capitale pour les raisons suivantes :
1°) La sécurité du droit exige une continuité dans l'application du droit.
2°) L'égalité de traitement entre les justiciables impose que le droit leur soit
appliqué de façon identique à tous.
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