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Il était une fois la Création Colombie: des pluies empoisonnées contre la coca Porto Alegre: l’information alternative veut tisser sa Toile Mark Anspach: «sur l’autel du marché, les victimes sont anonymes» Afrique CFA:1000 F.CFA,Antilles:18 FF, Belgique:160 FB , Canada:3,95$Can, Espagne:550 Ptas, Luxembourg:154 F.Lux,Maroc:20 DH, Portugal:700 Esc , Réunion:22FF, Suisse:6,20 FS, United Kingdom:2,5£,USA:4,25 $US. Mai 2001 Sciences et croyances

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Sciences et croyancesIl etait un fois la creation

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  • P ro fil del i n t e r n a u t een rupturede To i l e

    Le nuclaire,p a ra d e leffetde serre ?

    I t s u k u s h i m aet son temple:le tempsre t ro u v

    Afrique CFA:1000 F.CFA,Antilles:18 FF, Belgique:160 FB, Canada:3,95$Can,Espagne:550 Ptas, USA:4,25 $US, Luxembourg:154 F.Lux, Portugal:700 Esc ,Suisse:6,20 FS , United Kingdom:2,5,Maroc:20 DH.

    Il taitune foisla CrationC o l o m b i e :des pluiese m p o i s o n n e sc o n t re la coca

    Porto A l e g re :l i n f o r m a t i o nalternative veuttisser sa To i l e

    Mark A n s p a c h :sur lautel dum a rc h , les victimessont anonymes

    Afrique CFA:1000 F.CFA,Antilles:18 FF, Belgique:160 FB, Canada:3,95$Can,Espagne:550 Ptas, Luxembourg:154 F.Lux,Maroc:20 DH, Portugal:700 Esc ,Runion:22FF, Suisse:6,20 FS, United Kingdom:2,5,USA:4,25 $US.

    Mai 2001

    Scienceset croyances

  • UNESCO :Les semailles de la paix

    Prsentation gnrale de lOrganisation, de larchitecturedes btiments de son sige parisien et des innombrables uvres dart qui y sont exposes.

    Trs largement illustr.

    23 x 28 cm, 112 p.

    160 FF/24,39

    Les foires internationales de lartisanat Les foires artisanales : un dbouch primordial pour une production parpille et non standardise, si importante pour le dveloppement des communauts et si recherche dans le monde entier pour son authenticit.

    Des conseils, des informations pratiques, des adresses :un incontournable pour les artisans.

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    7, place de Fontenoy, 75352 Paris 07 SP, FranceFax: +33 1 45 68 57 37Internet: www.unesco.org/publishingE-mail: [email protected] U N E S C O

  • DICI ET DAILLEURS4 Une journe de Galina, infirmire Kiev

    Un quotidien d'preuves et de rvesPhotographies de Reiner Riedler, texte de Galina Komarnitska

    PLANTE10 Coca et pluies empoisonnes, flaux de la Colombie

    La fumigation pour dtruire les champs de coca provoque des dgts irrversibles sur lespopulations et lenvironnement. Nelson Fredy Padilla Castro

    DUCATION13 Quand les filles manquent lappel

    Des millions dentre elles ne frquentent jamais lcole. Cynthia Guttman

    15 Ecoles communautaires: Le modle gyptien

    DROITS HUMAINS38 Plus que la simple vrit

    Les Commissions vrit et rconciliation permettent de panser les plaiesdune socit meurtrie par la guerre ou la dictature. Priscilla B. Hayner

    39 Bosnie: en finir avec lhritage sanglant40 Rwanda: Faire entendre sa douleur

    CULTURES41 Les conteurs nouvelle vague

    En Amrique latine, les conteurs ont trouv un large public en renouvelant leur art.Asbel Lopez

    43 Dire un conte, cest mettre du pain sur la table

    MDIAS44 Linformation alternative veut tisser sa Toile

    Pour le Forum social mondial de Porto A l e g r e, Internet rend possible une information alternativequi fasse contrepoids aux mdias dominants. Ren Lefort

    ENTRETIEN47 Mark Anspach: les victimes sont anonymes sur lautel du march

    Selon lethnologue amricain, tout un chacun peut tre sacrifi au nomde lefficacit de lconomie marchande.

    S O M M A I R E

    MAI 2001

    Le sommaire dtaill est en page 16.

    D o s s i e r Sciences et cro y a n c e sIl tait une fois la CrationLa connaissance de lunivers constitue l'undes plus grands dfis poss la science. M a i s, si les savants du mondeentier ne cessent d'enrichir la thoriedu big-bang, p o u r ra-t-elle jamais apporterune rponse la lancinante question:p o u rquoi y a-t-il quelque chose pluttque rien? Les croyances et les mythes ontp robablement l'ternit devant eux

    Le Courrier de lUNESCO, destin linformation,nest pas un document officiel de l Organisation.Lesarticles

    expriment lopinion de leurs auteurs et pas ncessairement celle de lUNESCO. Les frontires

    surlescartes nimpliquent pas reconnaissance officielle parlUNESCO ou les Nations unies, de mme que les dnominations

    de pays ou de territoires mentionns.

    D A N S C E N U M R O

    ImaginairesIl tait une fois la cration et

    la Cration du cosmos Rien ne

    se situe lchelle humaine dans cette

    exploration o la science butte sur ses

    limites au point de cder volontiers

    la place limaginaire (dossier,

    pp.16-37).Et ce sont les mythes

    et les croyances

    qui accompagnent cette cration

    que conte aussi, sa manire,

    lune des toiles de cette nouvelle

    vague de conteurs en Amrique

    latine, le Colombien Nicolas

    Buenaventura (pp. 41-43).

    ExclusionsLa fumigation pour radiquer

    la culture de la coca en Colombie

    oblige les populations fuir pour

    chapper aux dgts irrversibles

    que ce procd engendre (pp 10-12).

    Les coutumes, la pauvret et

    la violence sexuelle ferment toujours

    les portes de lcole des millions

    de jeunes filles, en Afrique et en Asie

    du sud notamment (pp.13-15).Aprs

    les guerres civiles, les dictatures ou

    un gnocide quelles ont vcues,

    des socits dchires ont mis

    sur pied des Commissions vrit

    et rconciliation.La Bosnie,

    le Mexique ou le Canada envisagent

    de leur emboter le pas (pp.38-40).

    Pour que les exclus de linformation

    acquirent une voix,le Forum social

    de Porto Alegre a choisi Internet

    comme champ de bataille contre

    les mga-groupes mdiatiques.

    Enfin,lethnologue amricain

    MarkAnspach compare les sacrifices

    oprs par les socits primitives

    pour mettre fin leurs conflits

    internes, et le sacrifice possible

    de quiconque, quexige la rationalit

    de lconomie marchande (pp. 47-51).

    La nbuleuse plantaire MyCn18

  • 4 Le Courrier de lUNESCO - Mai 2001

    Christina,deux mois, a t abandonne sa naissance lhpital de Konotop, comme de nombreux autres enfants ukrainiens.

    Les changements considrables, survenus ces 15 dernires annes,ont donn certains la possibilit de senrichir.Mais ils ont entran la grande majorit des gens vers la pauvret.

  • Mai 2001 - Le Courrier de lUNESCO 5

    Je repense souvent cette journe de lanne dernire. Ctaitle 27 mai,le lendemain de mon anniversaire. Je venais davoir28 ans. Je navais pas vraiment envie daller travailler mais,comme le dit lexpression ukrainienne: Hiba hotchech, mou-sych! (Tu veux ou tu veux pas, mais il le faut!).Ce matin-l,comme dhabitude, avant que lambulance ne

    sorte dans les rues de Kiev, jai procd toutes les vrific a t i o n sdusage. Le mdecin a rempli les formulaires dappel,une col-lgue a vrifi le matriel. B r e f,quand chacun a t fin prt, n o u snous sommes mis en route!

    Notre SAMU reoit des appels de toutes sortes.M a i s, le plussouvent, nous sommes confronts des maladies cardio-vas-culaires ou gastriques, des empoisonnements divers et, bienvidemment, des traumatismes.

    De 10 heures 16 heures,nous avons donc parcouru la villeselon un rituel quotidien.Je ne sais pas si cest cause de la mtocapricieuse de ce printemps-l, mais les crises cardiaques taientfrquentes. Certains malades recevaient des soins domicile,dautres taient transports lhpital de garde. Un hommestait fait tomber un tonneau de 200 litres sur la jambe. Prixde son imprudence: un pied cass

    Puis nous avons eu affaire deux fous du volant.Aprs lacollision,lun souffrait dun traumatisme crbral et dun chocau thorax. Lautre marchait autour de nous et gesticulait dses-prment en essayant de nous convaincre quil ne roulait pastrop vite,quil avait picol,mais peine, juste quelques bires,bien que picoler au volant soit interdit en Ukraine.

    Vers 17 heures 30,nous recevons un appel. Lhomme, noussignale-t-on,ne donne plus aucun signe de vie. Nous nous pr-c i p i t o n s. Cest un SDF. Il est ivre mort, incapable de la moindreraction. Et nous voil, trois jeunes femmes je suis la plus

    Moi, Galina Komarnitska, en regardantces photos, ces gens qui me ressemblent, jai euenvie de faire connatre au-deldes frontires mon travail, mes difficults, et unpeu de mes rves.

    PHOTOGRAPHIES DE REINER RIEDLER,TEXTE DE GALINA KOMARNITSKA

    REINER RIEDLER EST UN PHOTOGRAPHE AUTRICHIENDE 33 ANSQUI PRIVILGIE LTHIQUE DU REGARD.IL A RALIS DE NOMBREUXREPORTAGESTHMATIQUES EN EUROPEDE LEST. GALINA KOMARNITSKA ESTUKRAINIENNE.

    Une journede Galina,i n fir m i re Kiev

    D I C I E T D A I L L E U R S

    Une famille devant sa maison. Le pre est en prison.

  • Une journe de Galina,i n fir m i re Kiev

    6 Le Courrier de lUNESCO - Mai 2001

    Un moment de dtente, au domicile maternel, Izmail.

    Dans cette cole du village de Mikulicin,mal chauffe, on garde son bonnet.

  • Mai 2001 - Le Courrier de lUNESCO 7

    D I C I E T D A I L L E U R S

    Mais autre chose me laisse perplexe.Avant,pour les cas dece genre, nous avions un service spcialis et des centres detraitement de lalcoolisme, o travaillaient des hommes robustes.Ctait indispensable: b o i r e , chez nous,na pas la mme signi-fication quen Occident. M a i s, il y a peu,quelques bureaucratesont dcid de liquider ces tablissements, sans doute cause desdifficults conomiques. Et ils ont charg le SAMU dassurerla collecte des ivrognes.

    Le ntre se rveille et dcide que le moment est venu defaire connaissance.Il mattrape par la jambe et commence

    Dans leur maison de retraite, Lugansk,les anciens vivent de peu.

    ge,soulevant cette crature divine pauvre et sale pour ladposer sur un brancard et la traner jusqu lambulance. N o t r echauffeur nous aide, bien videmment,mais aucun homme, etencore moins une femme, ne peut se satisfaire dun tel travail.

    Nous sommes tous des enfants de Dieu, et personne na ledroit de juger ce SDF. Qui peut connatre les raisons de sadchance? Les changements considrables survenus dans notrepays ces 15 dernires annes ont donn aux uns la possibilit dedevenir trs riches et ont entran les autres vers la pauvret.Etces autres sont, malheureusement, la grande majorit.

  • D I C I E T D A I L L E U R S

    me tirer vers lui. Je crie, le chauffeur arrtela voiture et vient mon secours. Il lecalme avec un objet lourd.Lincident estvite conclu, mais mes mains continuentde trembler longtemps encore. Cette fois,on a eu de la chance. Notre client dortsans bruit ni mouvement. Nous devonslui prendre le pouls pour vrifier quil esttoujours en vie.

    Vingt kilomtres parcourir jusqulhpital et autant pour le retour,au milieudes embouteillages. Voil qui laisse letemps de se poser quelques questions.C e l l e - c i , par exemple: pourquoi aller lcole pendant dix ans et suivre, ensuite,plusieurs annes de formation trois pourune infirmire, six pour un mdecin silsagit seulement de ramasser des ivrognes?Jai le sentiment, dans ces moments-l,que ma profession, mes connaissances,mes huit annes dexprience sont inutiles.Quelle immense dception

    Mais on ne peut pas passer son temps broyer du noir.Dans deux mois, je prendsdes vacances.Avec mon copain,nous par-tons au bord de la mer Noire.Au t r e f o i s, j yallais avec mes parents, mais cest si loin.Comme dans un rve Nous voulons nousarrter Fe o d o c i e, la ville o a vcu Ay v a-s o v s k y, le peintre de marines. Puis nousirons plus au sud, Soudak et Novi Svet,l o le prince Galitsine a fait creuser desgaleries pour lever un champagne localqui fut mdaill lexposition universellede Paris, en 1900.Tout prs de l, se trouvela grotte o le chanteur Chaliapine, uneclbrit mondiale, donnait des concerts

    i m p r o v i s s. Et puis, on ma parl dun bosquet de genvriersaux armes si subtils que les mots ne sauraient le traduire. Jeconnais le parfum de la rose, du lilas ou de la lavande, mais celuidu genvrier mest encore inconnu.

    Je compte bien voir, a u s s i , le monastre To p l o v s k i , de lasainte martyre Paraskeva. Aprs la rvolution dOctobre, lesSovitiques ont install le kolkhoze Besboshnik (LAthe) surles terres du monastre. Les trois sources sacres ont alors tari.Au dbut des annes 90, quand les lieux ont t restitus lEglise orthodoxe, leau a jailli de nouveau. D s o r m a i s, d e sgens viennent de partout en plerinage pour boire et touchercette eau. Maintenant je crois la Providence divine. Cela, jelai appris par des rcits et des photos.B i e n t t , jaurai la chancede le voir de mes propres yeux.

    Un nouvel appel nous conduit dans une impasse, prs de lagare, o quelquun a trouv un garon sans connaissance. Lasirne retentit. On fonce dans linconnu, vers un lieu sans rueni maison. Il est presque minuit.

    8 Le Courrier de lUNESCO - Mai 2001

    Une journe de Galina, i n fir m i re Kiev

    Sur le march de Ternopil,une vendeuse protge son tal des intempries.

    Chiffres clsPopulation (1999): 50 millionsSuperficie: 604000 km2

    Taux dalphabtisationdes adultes (1998): 99,6%Esprance de vie (1998): 69 ansPopulation ne pouvant satisfaireses besoins essentiels (1998): 50%PNB par habitant (US$ courants) 1989: 2 610

    1999: 750

    U K R A I N E

    FeodocieSoudakSbastopol

    MerdAzov

    MerNoire C R I M E

    D n i e p r

    KIEV

  • Mai 2001 - Le Courrier de lUNESCO 9

    Un orphelin ukrainien apprivoise le monde pendant un sjour dt en colonie de vacances.

    Autrefois, jallais avec mes parentsau bord de la mer Noire.Mais cest si loin, comme dans un rve...

  • A

    NELSON FREDY PADILLA CASTRO

    JOURNALISTECOLOMBIEN, DIRECTEUR DERECHERCHES DELA REVUE CAMBIO ETCORRESPONDANT DU JOURNALARGENTIN CLARN.

    Coca et pluies empoisonnes,flaux de la ColombieLa politique de fumigation engage par le gouvernement colombien, avec laide des Etats-Unis, pourradiquer la culture de la coca provoque des dgts irrversibles sur les populations et lenvironnement.Mais les trafiquants eux-mmes font des ravages.

    premire vue, la feuille de coca na riend i m p r e s s i o n n a n t ,pas plus que larbustequi la produit. Mais ds quelle est expo-se la lumire, elle vire du vert clair aujauntre et laisse transparatre des ner-vures qui convergent vers son centre.Cest l que se concentre la drogue, e n j e udune guerre de plusieurs annes enC o l o m b i e, o sopposent 15 000 gu-rilleros de gauche et 8 000 paramilitairesdextrme-droite. Le contrle du traficde la coca assurant le financement desbelligrants.

    Depuis 15 ans, la situation en Colom-bie est lune des priorits de la politiquede scurit nationale des Etats-Unis,premier consommateur de cocane. D a n ssa lutte contre le trafic de stupfiants, legouvernement amricain a dj

    dbloqu des millions de dollars et fournidu matriel militaire au gouvernementcolombien.Washington a aussi apportson soutien au Plan Colombia le pro-jet le plus important du gouvernementde lactuel prsident Andrs Pastrana en lui fournissant une aide de 1,3 milliardde dollars.

    Pour le chef dEtat colombien, la des-truction des cultures de coca en Colom-bie tarira les sources de financement decette guerre. Elle poussera les partiesen prsence la table des ngociationset permettra de dmanteler les rseauxde trafiquants de cocane dans les villesn o r d - a m r i c a i n e s. Le gouvernementcolombien sest donn cinq ans pourrussir son plan. Les autorits de Bogotad i s p o s e n t , sur le terrain, de trois

    bataillons forms la lutte contre less t u p fiants et dune flotte arienne pourfumiger les cultures illgales avec du gli-phosate.

    Des organisations non-gouverne-mentales de dfense de lenvironnement,comme Accin Andina, estiment que legouvernement de Bogota sest engagdans une vritable politique de la terrebrle. Des dlgus de lUnion euro-penne ont condamn ce programme,car il ne prvoit aucune solution globaledaide aux populations qui vivent de lac o c a . Le gouvernement colombien,quant a lui,reconnat que 500 000 per-sonnes au moins (450 000 paysans et5 0 000 indignes) dpendent directe-ment de la culture et du traitement de lacoca. Cela ne la pas empch de pro-c d e r, en dcembre 2000 et janvier 2001, une fumigation secrte de 30 000 hec-tares de champs de coca, selon la Direc-tion de la lutte contre les stupfiants dela Police nationale.

    Plusieurs hameauxont t dserts

    Le gliphosate, de couleur rostre, e s tutilis depuis 1984 dans lradication dela marijuana.Dix ans plus tard,le gou-vernement en a autoris lusage sur leshauts plateaux andins pour dtruire laculture du pavot, dont sont extraitslopium, la morphine et lhrone.

    Aux Etats-Unis, la Floride a interditce produit suite aux rsultats controver-ss des tudes sur les effets du gliphosatesur lenvironnement. En Colombie, enrevanche, les tudes de lInstitut colom-bien dagriculture et dlevage ont concluque sa toxicit tait minimale, tant pourles hommes que pour la flore et la faune.Pour apaiser les critiques, les autorits sesont engages mettre en place un plande gestion de lenvironnement,qui seraitle garant de lutilisation exclusive de ce

    Un avion colombien de la Police nationale procde la fumigation des champs de pavot (Etat de Huila).

    N O T R E P L A N T E

    10 Le Courrier de lUNESCO - Mai 2001

  • produit chimique pour anantir les plan-tations illgales.Six ans plus tard, ce planse trouve toujours sur le bureau duministre de lenvironnement, Juan Mayr,dans lattente de modifications. Pendantce temps, la pluie empoisonne a djtouch plus de 300 000 hectares de jungleet de fort.

    Certains organismes de contrle,comme le Bureau du dfenseur dupeuple, ont constat que le gliphosateavait caus des dommages irrversiblestant sur les populations des zones trai-tes que sur lenvironnement. L t u d ela plus rcente de cet organisme a tralise lors de lexcution du PlanC o l o m b i a , dans ledpar tement deP u t u m a y o, l i m i -trophe de lEqua-t e u r, o sont culti-ves plus de lamoiti des feuillesde coca du pays.

    Le 11 janvierd e r n i e r, des repr-sentants de quatrecommunauts indi-gnes ont dnoncles effets du gliphosate sur la sant, lescultures vivrires (mas, b a n a n e, m a n i o cet cultures marachres) et le btail dontla mortalit a considrablement aug-ment.Entre le 15 et le 25 janvier 2001,une commission du Bureau du dfen-seur du peuple a enqut dans cettergion,accompagne de fonctionnairesdu Haut Commissariat des Nations uniespour les rfugis (HCR).Cest un spec-tacle de dsolation.Tout est dtruit,sansd i s t i n c t i o n : j u n g l e, plantations lgales,plantes mdicinales, bassins de piscicul-t u r e. La migration de la faune est vi-d e n t e, tout comme la pollution des rivireset la diminution de lactivit productivede la rgion.

    La commission a constat des mala-dies rcurrentes au sein de la popula-t i o n : affections cutanes et gastro-intes-t i n a l e s, fi v r e s, maux de tte, v e r t i g e s,grippes et vomissements. La police et laDirection nationale de lutte contre less t u p fia n t s,autorits charges des fumi-gations, assurent pour leur part que lamarge derreur dans les zones concer-nes par les oprations est minimale,grce aux informations fournies par lessatellites qui permettent une localisa-tion prcise des plantations de coca.M a i s

    le vent et dautres facteurs climatiquespeuvent drouter le gliphosate jusqu150 mtres des plantations, comme lavrifi le Bureau du dfenseur dupeuple.

    Les consquences sont importantes.Plusieurs hameaux ont t dserts etenviron 20 000 personnes ont abandonnleurs fermes pour fuir les zones de com-bat.A lt 2000, le HCR a d monterplusieurs camps dans la rgion du lacAgrio (Equateur) pour accueillir dven-tuels rfugis.

    Nous avons suffisamment dep r e u v e s pour rclamer la suspensionimmdiate des fumigations et une indem-

    nit pour tous ceuxdont les moyens desubsistance se trou-vent srieusementa f f e c t s, a f f i r m eEduardo Cifuentes,l e d i r e c t e ur d uBureau du dfen-seur du peuple,quisouligne le manquede co ord in at io nentre les autoritscharges de la lutte

    contre les stupfiants et celles respon-sables de lenvironnement.

    Accabl par une chaleur caniculaire,t e r r i fi par la gurilla et les groupes para-militaires, traumatis par le survol desavions et la fumigation: cest ainsi que vit,d s o r m a i s, Aicardo Loaiza, un paysanattir dans la province de Putumayo, la fin des annes 60, par le dveloppe-ment de la culture du riz. A 48 ans, cepre de 13 enfants, tabli dans la rgionde Santana, est las de cultiver la cocapour les patrons.Ilsefforce actuelle-ment de convaincre les 500 paysans deson village et des environs de signer unaccord avec le gouvernement. Regar-

    d e z - m o i ,r e g a rdez-vous! Nous sommes lefruit amer de cette maudite coca. Nouslavons cultive pendant 20 ou 30 ans etla seule chose quelle nous ait rapporte,cest la ruine, la prison ou la mort. Cecueilleur de coca chevronn,ce r a s p a ch ncomme lappellent les trafiquants, a tle premier signer laccord.

    Et comme lui,5 000 familles colom-biennes ont, ces derniers mois, d c i d darrter la culture de la coca. To u t e spropritaires de petites plantations, quinexcdent pas dix hectares, elles rcol-taient les feuilles trois six fois par an,les emballaient et les transportaient parvoie fluviale jusquau laboratoire le plusp r o c h e.Au j o u r d h u i , ces paysans se sontengags dtruire leurs plants de cocadans un dlai dun an. En change, ils

    La Colombie est le premier producteur decoca et de pte de base de cocane aum o n d e. Selon les chiffres publis en mars2001 par le Dpartement dtat amricain, l aColombie cultive la feuille de coca sur prs de140 000 hectares. La quantit de cocaneproduite annuellement dans ce pays est esti-me 580 tonnes.En Colombie, la coca na pas la mme signi-

    fication culturelle quen Bolivie ou dansdautres pays andins, mme si on lutiliseaussi des fins mdicinales, surtout dans lescommunauts indignes dAmazonie. S o nusage nest pas reconnu par la loi colom-b i e n n e, contrairement ce qui se passe danscertaines rgions de Bolivie.

    LA COLOMBIE ET LA COCA

    Plus de la moiti de la coca du pays seconcentre la frontire sud.

    Medellin

    Cali

    Mocoa

    BOGOTA

    C O L O M B I E

    V E N E Z U E L A

    B R S I L

    P R O U

    E Q U A T E U R

    P A N A M A

    Ocean

    Pacifique

    Mer des Carabes

    Mai 2001 - Le Courrier de lUNESCO 11

    La seule choseque la coca

    nous ait apporte,cest la ruine,

    la prisonou la mort.

  • b n ficieront de programmesde dveloppement alternatif.Une usine de traitement decur de palmiers et de fruitsa dj t construite San-tana. Elle assurera leur sub-sistance.

    Pour ces populationscomme pour les organisationsde protection de lenviron-n e m e n t ,cest la meilleure dess o l u t i o n s, car elle devraitmettre un terme la culturede la coca sans causer dedgts lcosystme.C e p e n-d a n t , les moyens fin a n c i e r saffects par le Plan Colom-bia au dveloppement alter-natif restent modestes, com-pars aux sommes engagesdans les oprations militaireset la fumigation. Les Etats-Unis ne consacrent que 300millions de dollars aux pro-grammes sociaux, contre unmilliard de dollar aux opra-tions militaires.

    Lurgence dun accordIl existe, par ailleurs, u n

    obstacle important lappli-cation des accords: ces der-niers ne concernent pas les gros pro-ducteurs de coca (cent hectares ou plus),protgs par des milices armes. SelonGonzalo de Fr a n c i s c o, conseiller du Pr-sident de la Rpublique et coordinateurdu Plan Colombia Putumayo, a v e ce u x , le gouvernement na pas dautrechoix que laction militaire et la fumiga-tion arienne.

    Gabriel Merchn, directeur nationalde la lutte contre les stupfia n t s, s u r-nomm le tsar anti-stupfiants,rtorque aux critiques que les dgtssur lenvironnement sont dabord le faitdes trafiquants de drogue et personne nep r o t e s t e.La controverse se limite lusagedu gliphosate, alors que nous lavons uti-lis dans le respect des lois et des normesinternationales.Le ministre de lEnvi-r o n n e m e n t , Juan Mayr, r e n c h r i t : l e st r a fiquants de drogue ont dbois 600 0 0 0hectares de jungle et de fort et ont utilis75 produits chimiques, tous plus nocifsque le gliphosate.

    Pour Toms Len Sicard,chercheur lUniversit nationale de Colombie,spcialiste des questions denvironne-ment et de dveloppement,il est dsor-

    mais urgent que les parties arrivent un accord: lune des principales cons-quences de ce conflit,cest la destructionde zones dcosystmes fragiles, commelAmazonie.

    Le lancement du Plan Colombia, l e sfumigations massives et les protestations

    des paysans ont provoqu la mobilisationdes cologistes.Ce qui a oblig le Dpar-tement dEtat amricain reconnatrepour la premire fois, il y a quelquessemaines, que des erreurs pouvaienttre commises lors des fumigations.Ladministration amricaine a admis la

    possibilit de changer de stra-tgie, condition que celle-cisoit remplace par une autre,plus effic a c e. Pour linstant,les statistiques dont disposentles autorits de lutte contreles stupfiants dmontrentque les hectares consacrs laculture de la coca augmententproportionnellement aux hec-tares fumigs. Les plantationsne font, en ralit, que sedplacer dune province uneautre, et il en sera ainsi tantque le mal ne sera pas atta-qu la racine: p a u v r e t ,c h m a g e,absence de servicesd E t a t , demande croissantede cocane

    En attendant, la voie judi-ciaire offre un ultime recours.Grce aux avocats ClaudiaSampedro et Hctor Surez,spcialistes en droit de len-v i r o n n e m e n t , un tribunaladministratif a admis la vali-dit dune requte exigeantdu gouvernement la rpara-tion des dommages subis parles populations et lenviron-nement du fait des oprationsde fumigation. Pour la pre-

    mire fois, la socit colombienne se pr-vaut de lEtat de droit pour demanderau gouvernement de rpondre des dgtscauss par les fumigations, de les sus-pendre et dassumer ses responsabilits enmatire de prvention, explique ClaudiaSampedro.

    Comment les autorits colombiennesont-elles pu procder, pendant plus 15a n s, des oprations de fumigation sansprendre la moindre mesure pour prot-ger lenvironnement? Qui doit rpondrede cette situation? Le juge administra-tif devra se prononcer rapidement, a v a n tque les requrants ne passent ltapesuivante: une action juridique interna-tionale pour atteinte un patrimoinecommun de lhumanit, en loccurrencelAmazonie.

    + Pour plus dinformations:http://usinfo.state.gov/espanol/http://www.presidencia.gov.cohttp://www.mediosparalapaz.org

    Un champ de coca fumig en janvier 2001.

    N O T R E P L A N T E

    12 Le Courrier de lUNESCO - Mai 2001

    Les trafiquantsde drogue

    ont dbois600 000 hectares

    de jungleet de fort.

    http://usinfo.state.gov/espanol/http://www.presidencia.gov.cohttp://www.mediosparalapaz.org
  • ECYNTHIA GUTTMAN

    JOURNALISTE AU COURRIER DE LUNESCO.

    Quand les fil l e smanquent lappelPar millions, elles ne frquentent jamais lcole malgr les efforts concerts de la communautinternationale pour promouvoir leur cause. A quoi tient cet chec?

    n Ethiopie, les petites filles sont parfoisenleves et maries de force ds lge dehuit ans. En Afrique de lOuest,elles sontrecrutes au sein de familles rurales pourtravailler comme domestiques dans lesvilles ctires ou dans les pays voisins. EnAfrique du Sud, un rapport rcent de lor-ganisation Human Rights Watch dnonceles violences sexuelles et les mauvais trai-tements qui empchent laccs des filles lcole. Quant au rgime des talibans, il apurement et simplement exclu les jeunesAfghanes de lcole.

    C o u t u m e s, pauvret et violence expli-quent pourquoi, sur environ 113 millionsdenfants non scolariss dans le monde,60% sont des filles; la plupart vivent enAfrique subsaharienne et en Asie du sud.En 1990, face une dgradation de lasituation dans de nombreux pays, les prin-cipales organisations internationales dedveloppement et 155 gouvernements ontlanc un cri dalarme lors dune grandeconfrence organise Jomtien,en Tha-lande. Le programme Education for All(Education pour tous), lanc cette occa-s i o n , fixait des objectifs ambitieux. Il met-tait laccent sur la ncessit dassurer lac-cs des filles et des femmes uneducation dont la qualit devait tre am-liore.

    Dix ans plus tard, Dakar, au Sngal,la communaut internationale se rend l v i d e n c e : peu de progrs ont t ralissen matire de scolarisation des filles .Lchance est remise 2015: tous lesenfants, et en particulier les filles [devront]b n ficier dune instruction primaire debon niveau, gratuite et obligatoire . P l u saudacieux encore, la communaut inter-nationale sengage liminer les ingali-ts entre les sexes dans le primaire et lesecondaire dici 2005.

    Cette dernire promesse na aucunech a n c e dtre tenue, a f firme ChristopherC o l c l o u g h , professeur lInstitute of Deve-lopment Studies (IDS), un centre dtudesdu Sussex, en Grande-Bretagne. Le projetde recherche1 quil a men dans neuf pays

    Les jeunes filles reprsentent 90% des enfants au travail.Une chance de moins,pour elles,de frquenter lcole.

    D U C A T I O N

    Mai 2001 - Le Courrier de lUNESCO 13

  • dAfrique noire, a fin de cerner les entraves la scolarisation des enfants et de propo-ser des solutions aux gouvernements,rvle que lcart entre le nombre de fil l e set de garons scolariss sest creus danscertains pays. Les gouvernements admet-tent que lducation des filles est trs impor-tante mais les politiques quils mettent enplace sont rarement en adquation avecleurs positions, estime Christopher Col-clough qui souponne une rticence defait de leur part.

    La tche de ces gouvernements nestpas facile, il faut le reconnatre. En particu-l i e r, dans les pays accabls par la dette ext-rieure, o les familles doivent assumer unepart de plus en plus importante des frais des c o l a r i t . Beaucoup de filles arrtent lcoleou ny vont jamais car leurs parents sont tropp a u v r e s , rsume Peninah Mlama, d i r e c-trice du Forum for African Women Educa-tionists (FAW E ) , organisation partenairedu projet de recherche de lIDS. Les atti-tudes traditionnelles restent trs prgnantes,surtout dans les zones rurales. Le peu dar-gent que les parents russissent grappillerpour envoyer leurs enfants lcole leurparat tre un investissement trop importantpour le consacrer leurs filles.

    Pour aggraver les choses, la pandmiede sida prlve sa dme parmi les jeunesa d u l t e s. Au Swaziland, par exemple, o nestime que le VIH tue trois quatre ensei-gnants chaque semaine. E t , en labsencedun soutien de famille, ce sont plus souventles filles que les garons qui doivent renon-cer lcole pour soccuper du foyer.

    Aucun remde miracleIl nexiste pas de remde miracle,

    mme si lon connat bien les raisons pourlesquelles les filles restent sur la touche. L apauvret est la premire dentre elles. L erle de la culture ne doit pas tre sous-estim mais, mme dans les socits les plustraditionalistes comme celle du Ymen rural,la grande majorit des familles souhaitentenvoyer leurs enfants lcole, ce quellesfont quand on rduit le cot de la scolari-

    s a t i o n , signale Carolyn Winter qui tra-vaille la Banque mondiale.

    Le problme rside dans les interac-tions entre les facteurs sociaux et cono-miques qui se renforcent les uns les autres ,souligne Christopher Colclough.Exemp-ter les parents des frais dinscription nersout pas certains problmes comme leremplacement du travail fourni par lesfilles la maison ou dans les champs oue n c o r e, dans certains pays, le refus de prin-cipe de voir les filles sinstruire. Ce moyenne tient pas compte non plus des cotsd g u i s s, qui vont de lhabillement auxm a n u e l s. Recruter plus denseignantes peuttre bnfiq u e, condition quon informeles parents de leur prsence, quon sou-mette les manuels une rvision afin denliminer les strotypes et quon sensibi-lise les professeurs ces questions.

    Nous avons appris une ch o s e : c e s tquil nexiste pas de solution simple et rapidepour rsoudre le problme. , explique MaryJoy Pigozzi, conseillre lUnicef pour lesquestions ducatives. Deux dmarches ontfait leurs preuves: impliquer les parentsaussi bien que lensemble du village ou duquartier dans le fonctionnement de lcoleet amliorer la qualit de la scolarit. I lsagit avant tout de penser cette amliora-tion de faon s e x u e , en tenant comptede la situation de llve: il faut se penchersur les conditions globales dapprentissagepour sattaquer des problmes tels que lascurit,le harclement sexuel et lensembledu processus denseignement et dappren-tissage

    Dterminer des stratgies efficaces estune chose, les appliquer en est une autre.Pratiquement tous les documents offic i e l svoquent lducation des fil l e s. Cest presquedevenu une mention politiquement cor-r e c t e, souligne Peninah Mlama. Mais lesgouvernements ne peuvent ou ne veulentpas vraiment agir. De nombreux minis-tres de lEducation ont mis sur pied descellules consacres aux ingalits entre lessexes ou lducation des filles: souvent,[ces structures] ne comptent quune oudeux personnes qui nont ni les aptitudes ni

    les moyens ncessaires pour influencer lespolitiques ducatives nationales.

    Les pressions exerces par les bailleursde fonds sont dailleurs justifies dans lamesure o lducation des filles et desfemmes contribue rduire la pauvret.Citons dautres consquences importantes:une diminution du taux de fcondit et dutaux de mortalit infantile,une amliorationde la sant et du mode dalimentation,uneproductivit accrue et lespoir de voir lagnration suivante bnficier son tourdune meilleure formation.Mais remettreen cause les vieilles structures patriarcaleset bureaucratiques est une tche crasante.

    Lexemple de lUttar PradeshCertains projets russissent cependant

    contourner les lenteurs administrativeset les obstacles culturels.A i n s i , lEtat indiende lUttar Pradesh sest servi dune loi surle dveloppement des organismes de bien-faisance pour crer une structure paral-lle charge de mettre en uvre un pro-gramme global pour la scolarisation desfilles en milieu rural. Dans chaque village,les femmes accompagnent les filles lcole; des associations de parents et deprofesseurs ainsi que les directeurs dcolerendent visite aux familles dont les enfantsne sont pas scolariss; des ONG localessefforcent de faire comprendre aux mresque lducation est un droit fondamental.

    Ces stratgies ne portent leurs fruitsque dans des pays disposs faire le pre-mier pas et combattre des attitudes pro-fondment ancres dans la socit. L e sgouvernements rellement motivs peu-vent renverser le mouvement en rendantlcole obligatoire, en retardant lge dumariage ou encore en abordant de frontle problme du travail des enfants.A dfaut,des millions de filles manqueront toujours lappel dans dix ans et leur absence contri-buera entretenir le cycle de la misre.

    + www.id21.org, un site dinformation sur les ques-tions ducatives du Institute of Development Stu-dies.www.unesco.org/education, pour connatre lactua-lit des projets internationaux.www.fawe.orgwww.antislavery.org, pour en savoir plus sur le tra-vail domestique des enfants et sur les faons delutter contre ce phnomne.www.girlseducation.org, pour dcouvrir un projetsur lducation des filles qui runit plusieurs organi-sations internationales.

    1. Intitul Partnership for StrategicResource Planning for Girls Educa-tion in A f r i c a , le projet est ralis encollaboration avec le Institute of Deve-lopment Studies (Sussex, R oy a u m e -Uni).Les gouvernements norvgien eti r l a n d a i s, la fondation Rockefeller et laBanque mondiale sont galementpartenaires.

    Les famillesassument une part

    de plus en plusi m p o r t a n t e

    des frais de scolarit

    14 Le Courrier de lUNESCO - Mai 2001

  • Lorsquen 1992, les coles communautairessont arrives dans les e z b a h, ces hameauxen bordure du Nil qui sont comme deslots au milieu du dsert,elles ont d par-tir de zro. Si, dans dautres rgions, leprincipal obstacle la scolarisation taitlisolation des filles et des femmes, i c ictait les grandes distances et lescontraintes conomiques. Nous aime-rions que chacun puisse aller lcole,affirmait un vieillard de Helba, u nhameau de la province dAssiut, m a i snous nen avons pas les moyens, pas plusque denvoyer les filles tudier loin dici.

    Dans la plupart des zones rurales dus u d , le taux de scolarisation des fil l e soscille entre 50 et 70 %, contre 90 % auniveau national. Par endroits, elles nereprsentent que 12 % des effectifs. Legouvernement a essay de remdier cette situation en multipliant les petitescoles dans les annes 1970,mais la crois-sance dmographique, les problmes

    conomiques et la sous-qualification desenseignants ont engendr des taux levsdabsentisme. Lexprience a t aban-donne.

    Dans le cas des coles communau-t a i r e s, les collectivits locales et le minis-tre de lEducation ont travaill deconcert ds le dbut,sous la supervisionde lUNICEF. Les premiers se sont char-gs de procurer les locaux, de veiller lassiduit des lves et de grer les c o l e s ;l UN I C E F,de rmunrer les quipespdagogiques et de fournir des manuels.

    Les filles font entendreleur voix

    Pour surmonter les obstacles cono-m i q u e s,nous avons install les coles prsdes habitations, tabli des emplois dutemps souples et rduit au minimum lesfrais scolaires. Il a fallu galementconvaincre certains parents que les fil l e s,aussi, devaient frquenter lcole.

    Notre approche repose sur lappren-tissage actif: nos jeunes animatrices desdiplmes de lenseignement secondairerecrutes sur place, recevant une forma-tion acclre transmettent lesconnaissances au moyen dactivits pda-gogiques ludiques. Elles enrichissent le

    contenu des programmes officiels avecdes sujets dintrt local, comme la sant,l e n v i r o n n e m e n t , lagriculture ou lhis-toire locale.

    Une srie de programmes laborssur mesure au fil des annes ont t tes-ts durant un an par un centre dlabo-ration des programmes qui a convi lesanimatrices participer la ralisation demanuels de maths et darabe, pour lestrois premires annes de lcole pri-m a i r e. Ils seront distribus quelque3 500 coles que le gouvernement a lan-ces dans les zones rurales,en sinspirantdu modle des coles communautaires.

    A c t u e l l e m e n t , nous mettons en placeun programme de formation lappren-tissage actif destin aux enseignants,d i r e c t e u r s, proviseurs et inspecteurs.P r o g r e s s i v e m e n t , nous russissons convaincre les tablissements de ldu-cation formelle dadopter dautresformes dvaluation que les examenshabituels.

    Les responsables politiques ont sou-tenu notre initiative, y voyant moins uneexprience quune contribution larforme de lducation nationale.D e p u i s1 9 9 5 , un Comit de linnovation scolairesattache introduire de nouvelles pda-gogies dans les coles.

    Depuis son lancement, notre pro-gramme a permis de scolariser prs de6 000 enfants. Mais les filles narriventpas toutes au terme de leur cursus, m m esi nos diplmes ont brillamment russileurs examens.

    Dans les hameaux, les coles com-munautaires ont provoqu des change-ments plus profonds. Au j o u r d h u i , o npeut entendre des animatrices dclarerpubliquement quelles npouserontquun homme qui les laissera pour-suivre leur travail.De mme, des jeunesfilles demandent leurs parents de leurpermettre daller jusquau terme de leurcursus scolaire avant le mariage. Peu peu,mme dans les zones les plus recu-les, les filles font entendre leur voix.

    Ecoles communautaire s :le modle gyptienDans 200 hameaux de la Haute-Egypte, les filles et les femmes ont t placesau centre dune exprience pdagogique nouvelle. De quoi secouer le systmeducatif gyptien.

    Q UAND LES FILLES MANQUENT L A P P E L

    MALAK ZAALOUK

    CHEF DU BUREAU DE LDUCATION, UNICEF,LE CAIRE.

    Une pdagogie ludique permet de captiver lattention des enfants.

    D U C A T I O N

    Mai 2001 - Le Courrier de lUNESCO 15

  • Voici 400 ans, lInquisition romaine condamnait Giordano Bruno prir sur le bcher. Lastronome italien avait soutenu que chaque toiledans le ciel est un soleil semblable au ntre et que lespace est infini.La science moderne lui a donn raison.Nous explorons toujours les frontires de la cosmologie. Rien,dans ced o m a i n e, ne se situe lchelle humaine.Arms dune thorie de la cra-tion le big-bang (pp. 18-20 et 26-27) les scientifiques recourent auxt l e s c o p e s, aux formules mathmatiques ou la collision des parti-cules lmentaires pour cerner les premiers temps du temps. Notre uni-

    vers rsulte-t-il dune expansion initiale, survenue une vitesse prodigieuse (p.21)? La ralitqui nous entoure est-elle dforme, au point de nous empcher dobserver la structure fonda-mentale de la matire (pp. 22-23) et de nous plonger dans un ddale dillusions optiques (pp.24-25)? Si chaque avance amliore notre comprhension,il se pourrait que la science approche sesl i m i t e s. Lapparition de la vie reste inexplicable (pp. 28-29) et aucune hypothse cosmologiquene semble en mesure dchapper quelque prsuppos mtaphysique (pp. 30-31). Dchu deson rle de dmiurge depuis des sicles,Dieu serait-Il, nouveau, la seulerponse possible nos interrogations( p p.32-35)? Ou servira-t-Il seulementdhypothse transitoire, en attendantque prenne forme une thorie scienti-fique mettant en jeu, comme dans lesmythes hindous,une succession cycliquedunivers (pp. 35-36)? Nos origines pourraient bien demeurerun mystre sublime. Et notre future dis-parition (p. 37) une priptie mineure.

    Dossier conu et coordonnpar Ivan Briscoe,avec les conseils scientifiquesde Jean-Pierre Luminet.

    V

    SCIENCES ET Il tait une

    D O S S I E R

    16 Le Courrier de lUNESCO - Mai2001

    S o m m a i re1/ F ro n t i res de la

    s c i e n c e1 8 Du big-bang lternit

    George Ellis

    2 1 Et linflation futEntretien avec Andrei Linde

    2 2 L u n i v e rs a une prhistoireI van Briscoe

    2 4 Cet espace qui nous chiffonneJean-Pierre Luminet

    2 6 Calendrier de lunivers

    2 / Cosmos, Dieu et nous2 8 La science pro g re s s e,

    les mystres aussiJohn Horgan

    3 0 Quand les mythes volentau secours de la scienceMarcelo Gleiser

    3 2 Dieu et le big-bang:une re n c o n t re au sommetDominique Lambert

    3 5 Et si le monde navait pas eude commencement ?S u d h a n va Deshpande

    3 7 La fre s q u eUne nouvelle dAlastair Reynolds

  • De tout temps, la contemplation du cielnocturne a provoqu chez les humains,merveillements et interrogations. Quelleest la nature des corps clestes? Quelleforce les anime? Quels effets ont-ils les unssur les autres? O sont-ils? Et quellei n fluence exercent-ils sur nous? A ces ques-t i o n s, qui fondent la cosmologie, c h a q u epoque et chaque culture apporte sespropres rponses.

    Pour lastronome moderne, les seulesrponses recevables sont fournies par laphysique. Mais si lon me permet de poin-ter mon tlescope non seulement vers lesprofondeurs de lespace mais aussi vers lep a s s , je crois pouvoir affirmer que lesrponses contemporaines sont toujours ins-pires par des valeurs culturelles profon-dment enfouies.

    L o n g t e m p s, les reprsentations du cos-mos ont fait appel aux croyances religieuses,aux pratiques sociales et aux observationsastronomiques. Deux mille ans dobserva-tions runies par les prtres babyloniens ontdonn naissance lastronomie plantairemathmatique et ouvert la voie auxmodles physiques labors par les philo-sophes grecs.Aristote a ainsi conu un cos-mos structur, hirarchique et fin i , c o m-patible avec les dogmes chrtiens, j u d a q u e sou islamiques.Dieu tait le Premier Moteurdes plantes et le fondement immuabledun systme plantaire stable.

    Au X V I Ie s i c l e, le cosmos aristotlicienlaissa la place la conception newtoniennedu monde. Scrutant lunivers infini, IsaacNewton montra comment une force unique la gravitation universelle expliquait lesmouvements des toiles, des plantes etdes comtes. Assurant la circulation desesprits vitaux et de lnergie vers les toiles,les comtes taient galement susceptiblesde percuter les plantes, au risque de cau-ser leur destruction.

    En 1755,Emmanuel Kant proposa unethorie physique de lorigine et de lvo-lution de lunivers. Il dcrivit laction desforces universelles dattraction et de rpul-sion sur la matire dissmine dans toutl e s p a c e, qui avait donn naissance lacomplexit physique et chimique en pro-voquant des instabilits dans le chaos.

    A partir dun point central dans lechaos, la cration se propageait ainsi latotalit de lespace infini. Jusqu puiserles multiples variations susceptibles daf-fecter sa structure et prir dans une vio-lente confla g r a t i o n .Kant envisageait luni-vers comme un phnix de la nature, qui nebrle que pour renatre de ses cendres etconnatre une nouvelle jeunesse, traverslinfinit des temps et des espaces.

    Louvrage de Kant fut une des pre-mires tentatives pour dcrire lorigine etlvolution du cosmos en concordance avecles lois universelles de la nature. Av a n t

    K a n t , on tenait pour acquis que la cra-tion tait fixe et lunivers maintenu dans untat stable. Do tira-t-il alors cette concep-tion volutionniste et moderne? Descroyances populaires, revues et corrigespar Newton.

    Jusquau X V I Ie s i c l e, lapparition dunecomte passait pour un signe divin, a n n o n-ciateur dun bouleversement imminent.Newton reprit son compte cette inter-prtation lorsquil dpeignit les comtescomme des agents naturels dploys parDieu pour crer, rnover ou dtruire lescorps clestes, mlant ainsi la physique etla culture populaire. Cette nouvelleapproche ouvrit la voie tous ceux quipensaient que des forces matriellescraient de nouveaux systmes solaires etque lunivers voluait selon des lois natu-relles.

    Si les croyances populaires ont contri-bu au dveloppement initial de la cos-mologie moderne, devons-nous nousinquiter de leur prsence persistante dansla science? Rjouissons-nous, au contraire,de linfluence de nos patrimoines culturelssur nos interrogations scientifiq u e s.La cos-mologie est en dfinitive une entreprisehumaine. En interrogeant le pass le plusrecul et lavenir le plus lointain, elle pour-suit une tradition riche et multiple et favo-rise les rapprochements entre tous les habi-tants de la Terre.

    LINVENTION DU C O S M O SSARA SCHECHNER

    CONSERVATRICEDE LACOLLECTION DINSTRUMENTS SCIENTIFIQUESHISTORIQUESDUFONDS DAVID P. WHEATLAND, UNIVERSIT DHARVARD (ETATS-UNIS).

    O P I N I O N

    Mai 2001 - Le Courrier de lUNESCO 17

    CROYA N C E Sn e fois la Cration

  • GEORGE ELLIS

    PROFESSEUR DEMATHMATIQUESAPPLIQUES LUNIVERSITDU CAP (AFRIQUEDU SUD), AUTEUR DE

    BEFORE THE BEGINNING (BOWERDEAN/MARION BOYARD, 1993).

    Du b i g - b a n g l t e r n i t Quest-ce que la cosmologie, comment remonte-t-elle jusquaux premiersinstants de lunivers et quest-ce qui lui permet daffirmer que le cosmosest en expansion? George Ellis lexplique, mme aux non-physiciens.

    1 . AUX FRONTIRES DE LA SCIENCE

    La cosmologie a deux objectifs: dterminer lanature de lunivers aux plus grandes chellesobservables et expliquer son histoire. Au s s ilongtemps quelle sappuyait sur des obser-vations sporadiques, la cosmologie ressem-

    blait une dmarche philosophique. Mais depuis 50a n s, elle connat une transformation radicale. Elle sefonde aujourdhui sur un solide corpus de connais-s a n c e s,et elle a partie lie avec les recherches de pointeen physique nuclaire et en physique des particules.

    Son outil de prdilection? Le tlescope. C o m-bin aux instruments de mesure et aux ordinateurs,il amplifie et analyse le rayonnement1 presque imper-ceptible qui nous parvient dune matire trs loigne.Au j o u r d h u i , on peut observer la taille apparente,lintensit du rayonnement, et quantit de galaxies etde quasars des distances inoues. En associant cesdonnes des thories physiques, la cosmologie

    parvient tablir un modle physique standardqui nous ramne aux premires secondes de lunivers,quand se sont forms les noyaux atomiques. Il paratmme possible aujourdhui,par une dmarche plusspculative, de remonter au seuil de la cration.

    A lchelle la plus grande, la structure lmentairede lunivers visible est dsormais bien comprise: cesont de vastes tendues despace vide, occupes defaon peu prs uniforme par des amas de galaxies.Chacune de ces galaxies se compose dun ensembledynamique denviron cent milliards dtoiles,ainsi quede poussires et de gaz.

    On connat aussi le mouvement fondamental duc o s m o s. Ces amas de galaxies obissent une expan-sion rgulire, si bien que la distance qui les spareaugmente dans toutes les directions. Si lon remontele cours du temps, on doit alors supposer que la den-sit et la temprature de la matire et du rayonne-ment slvent constamment, jusquau moment o,dans des conditions de chaleur extrme, ils sont troi-tement coupls.

    Lexpansion commence voici environ 10 m i l l i a r d sd a n n e s. Expose aux tempratures extrmes (plusdun milliard de degrs centigrades), la matire

    Un cho du pass de lunivers:cette image satellite montre le fond diffus cosmologique.

    1. Le rayonnement estl e flux dnergie portp a r des particules sub-a t o m i q u e s. Ce termeenglobe les ondes radio,les micro-ondes, l e sr ayons infrarouges, la lu-mire visible, les rayons Xet les rayons gamma.

    2. Lorsque sa sources l o i g n e, la lumire sedplace vers lextrmitrouge du spectre visible.On appelle ce phno-mne le dcalage vers lerouge.

    18 Le Courrier de lUNESCO - Mai 2001

  • nexiste que sous la forme des particules les plus l-m e n t a i r e s, en quilibre avec le rayonnement. L e sniveaux de chaleur et les bombardements du rayon-nement excluent la mise en place de structures com-p l e x e s. M a i s, mesure que lunivers stend et serefroidit,des units plus grandes et plus complexesse constituent. Dans les toutes premires secondes ducosmos, protons et neutrons se forment partir desquarks, des units de matire parmi les plus fonda-mentales connues ce jour. Puis, quelques minutesaprs la naissance de lunivers, protons et neutronssassocient pour former des noyaux atomiques lgers.Cest la nuclosynthse.

    3 0 0 0 0 0 ans plus tard, a ucours dun pisode baptisr e c o m b i n a i s o n,des atomes com-plets se construisent partir desnoyaux et des lectrons. L er a y o n n e m e n t , pig jusque-lpar les lectrons flottants, peutalors se d c o u p l e r de la matirepour circuler librement pendantdes milliards dannes-lumire,en se refroidissant constamment cause de lexpan-sion de lunivers. Ce rayonnement, quon appelleaussi le fond diffus cosmologique, nous offre lameilleure carte des premiers instants de lunivers.

    Une fois des atomes complets constitus essen-tiellement dhydrogne et dhlium ,la force gravi-tationnelle peut rassembler la matire pour formerla premire gnration dtoiles qui se groupent eng a l a x i e s, l e s q u e l l e s, leur tour, se runissent en amasde galaxies.

    Certaines toiles de premire gnration ont dis-paru dans de formidables explosions de supernovae,

    dissminant dans lespace les lments de vie orga-n i q u e, qui staient constitus en leur sein la faveurde ractions nuclaires successives. Ces nuages depoussires ont alors servi de berceau aux toiles deseconde gnration,entoures par les plantes surlesquelles les molcules organiques ont pu trouver desmilieux hospitaliers pour engendrer les premirescellules vivantes, qui seront lorigine des tresvivants complexes (voir aussi p. 26 -27).

    Trois grandes raisons accrditent cette histoire del u n i v e r s. P r e m i r e m e n t , on peut corrler les dis-tances estimes des galaxies (obtenues, par exemple,

    grce leur luminosit) et lavitesse laquelle elles sloi-gnent (dduites de la mesure deleur dcalage vers le rouge2) .Ces donnes montrent que lesplus lointaines sloignent plusvite:cest la preuve de lexpan-sion de lunivers. D e u x i m e-m e n t , lexistence mme durayonnement du fond diffus cos-mologique nous prouve quil a

    exist un tat antrieur extrmement chaud de luni-vers:son spectre prcis que dcrit avec exactitudeune formule thorique dduite par Max Planck,il ya cent ans montre que la matire et le rayonnementtaient en quilibre aux poques primitives. Et cetquilibre ne peut exister qu des tempratures extr-mement leves.

    Labondance dlments lgers dans lunivers( h y d r o g n e, hlium et lithium) constitue une troi-sime preuve. Notre thorie de la constitution desnoyaux atomiques dans lunivers primitif incandes-cent,fonde sur les acquis de la physique nuclaire

    Quels grands problmes reste-t-il rsoudre? En premier lieu, nousvoulons en savoir plus sur la gomtrie de lunivers, lintrieurcomme lextrieur de la zone observable. Cette rgion parat remar -quablement simple aux grandes chelles, puisquelle est homogne etisotrope (de mme apparence dans toutes les directions). Mais sesgrands paramtres ne sont connus quapproximativement.Une margedincertitude denviron 20% pse sur notre estimation de lge de luni-vers. Il faut lamliorer, tout comme il est ncessaire damliorer notreconnaissance de lnergie sombre qui provoque lexpansion accl-re de lunivers. De mme, la question se pose de savoir si des sectionsde lespace se referment sur elles-mmes et si,dans ce cas, lchelle defermeture est telle que nous vivons dans un petit univers, o nous per-cevons de multiples reflets des mmes galaxies (voirp. 24-25).Deuximement,nous voulons savoir de quoi lunivers est fait:nous igno-rons quel type de matire sous-tend la quasi-totalit de sa densit et dequelle nature est la force qui provoque son expansion. Le lien est troitentre les progrs de nos connaissances sur ces points et sur la cration desgrandes structures.Troisimement,nous souhaitons mieux comprendre les premiers instantsde lunivers. Quest-ce qui a dclench la puissante inflation cosmique?

    Quest-ce qui la prcde? Quelle a t la nature de la cration,et peut-on envisager dautres hypothses que la cration? Toute une srie dethses rivales existent,mais les vrification exprimentales sont trs dif-ficiles. On progressera dans ce domaine si lon approfondit nos connais-sances de la physique des particules, a fin de vrifier les interactions en jeu linstant de la cration et immdiatement aprs. Mais nous ne pourronsjamais atteindre les niveaux dnergie requis pour percer, exprimentale-ment, les secrets de la gravitation quantique.Tout nest donc pas vrifiable dans les lois qui sous-tendent lanalysecosmologique de la cration. Lobjectif consiste laborer une thoriephysique cohrente et convaincante, que confirment les expriences tantquelles sont ralisables.Une dernire question se pose: comment relier thorie et observa t i o ndans le contexte exceptionnel dune science qui na quun seul objetdtude:lunivers existant? Nous navons aucune analyse des limites dela preuve scientifique dans ce cas. Lhypothse dun ensemble duni-vers (un multivers) a t propose pour franchir cet obstacle. Il reste voir si elle est physique ou mtaphysique.

    LES NIGMES QUIL RESTE LUCIDER

    Lexplosion dtoilesa dissmin

    dans lespacedes lmentsorganiques

    lorigine du vivant

    Toute la thoriede luniverssadresse un individuparticulier:vous-mme.Walt Whitman,pote amricain(1819-1862)

    Mai 2001 - Le Courrier de lUNESCO 19

    I L T A I T U N E F O I S L A C R A T I O N

  • Une expansion aussi prodigieuse a d dabord rendrelespace entirement lisse, aprs quoi les flu c t u a t i o n squantiques3 au sein de cette force primitive ont crdes zones de densits marginalement diffrentes.L emouvement expansionniste, dans ses phases dinfla-tion puis de dclration, a pu alors tendre cesminuscules variations des rgions de la taille desamas de galaxies. Et la force gravitationnelle a ensuiteattir la matire, pendant des milliards dannes, d a n sles toiles et les galaxies telles que nous les connais-sons.

    E n fin , les travaux actuels sur les spectres loin-tains sont trs prometteurs. Ils suggrent que la naturemme de la physique pourrait tre diffrente dans lesrgions loignes dont nous recevons les rayonne-ments plusieurs milliards dannes aprs leur mis-s i o n . Cela signifie-t-il que les constantes de la nature

    varient avec le temps? Sil entait ainsi,ce serait une dcou-verte fondamentale.

    Au cours des prochainesa n n e s, les observations cos-miques vont considrablementp r o g r e s s e r. On comprendramieux comment la matire sestconcentre en galaxies et lonpourra avancer dans lexplora-

    tion de la gravitation. Ces progrs nous aideront d finir le modle le plus adapt la zone observablede lunivers.

    Quand ce modle sera tabli,il restera dinnom-brables nigmes rsoudre. Comment lier ce quenous comprenons de la gravitation quantique4 lathorie cosmologique notamment la naissancede lunivers? Et si les lois de la nature ntaient pasles mmes dans lunivers primitif? La vie est-ellerpandue dans le cosmos? Est-il possible de crerun univers autorisant la vie intelligente?

    Cest partir de ces acquis que se poursuivra lequestionnement philosophique. La science ne par-viendra jamais apporter des rponses dfinitives,mais elle peut continuer affiner le cadre dereprsentation dans lequel nous continuerons nousinterroger.

    et lhypothse dun univers en expansion,concordeavec toutes les mesures la condition que la densitde matire reste dans une fourchette aux limites bienp r c i s e s. O r, lobservation confirme remarquable-ment la thorie.

    Pour ces diverses raisons, la communaut scien-t i fique admet la vracit de cette histoire du cosmos.Il est clair que lunivers a jailli dune boule de feu ini-t i a l e, bien que lloignement de cet vnement etlimmensit de lespace laissent dinnombrables ques-tions sans rponse.

    Des observations rcentes ont nanmoins per-mis de prciser de nombreux dtails sur la structureet lhistoire du cosmos. Nous avons russi valuerla quantit de matire dans lunivers. A partir de l,on a pu dduire la prsence, en grande quantit,dune mystrieuse matire sombre, que la lumireou dautres rayonnements simi-laires sont incapables de dtec -t e r. En comparant les estima-tions quantitatives de la matiresombre (environ 95% de lamasse de lunivers) celles quedonnent les calculs sur la nuclo-s y n t h s e, nous pouvons dduireque cette matire nest pasc o n s t i t u e, pour lessentiel, d eprotons et de neutrons. B r e f, elle est entirement dif-frente de la matire ordinaire.

    On value mieux que jamais la distance degalaxies trs loignes, notamment en observant enleur sein les explosions de supernovae et en mesu-rant laffaiblissement de la lumire issue de lagoniede ces toiles. Cela a conduit une dcouverte inat-t e n d u e.On pensait que lexpansion de lunivers ralen-tissait,en raison de lattraction gravitationnelle. Or,elle semble sacclrer. Il faut bien attribuer ce ph-nomne une forme dnergie sombre, qui agit, ladiffrence de la matire sombre, comme un champgravitationnel ngatif, acclrant lloignement detoute matire. Il parat donc tabli que lunivers vastendre indfiniment.

    Les thories de la naissance des galaxies et desamas de galaxies ont galement fait lobjet derecherches intensives. En liant les donnes sur leseffets gravitationnels et la rpartition des galaxiesavec les minuscules fluctuations de temprature dansle rayonnement du fond diffus cosmologique, noussommes parvenus nous reprsenter lmergencedes grandes structures partir de petites variationsde densit dans lunivers primitif.

    Reste une grande question: comment expliquerque lunivers soit si homogne (ou uniforme) danstoutes les directions, alors quil contient aussi, et trstt, les petites diffrences de densit qui seront lessemences des futures galaxies?

    Le remarquable concept di n fla t i o n priodedexpansion extrmement rapide et sacclrant dansla toute premire fraction de seconde de la vie delunivers rend compte des deux caractristiques.

    UN SI CLE DAVANCE S SCIE NTIF IQUE S

    1905: Albert Einstein expose la thorie de la relativit.1912: Ernest Rutherford dcouvre le noyau de latome.1 9 2 4: Les quations fondamentales de la mcanique quantiquesont tablies.1929: Edwin Hubble rvle que lunivers est en expansion.1950: Lastronome Fred Hoyle lance, par drision, lexpressionbig-bang. Elle va pourtant simposer.1965: Dcouverte du fond diffus cosmologique (rayonnementdondes millimtriques).1981: Alan Guth prsente la premire version de la thorie delinflation cosmique.2 0 0 0: Premire preuve exprimentale du champ de Higgs l aforce qui donne une masse aux particules.

    3. Suivant la mcaniquequantique science delnergie et des particulesau niveau subatomique ,les ondes dnergie fluc-tuent de faon alatoire.

    4. La gravitation quantiqueest la thorie, e n c o r eh y p o t h t i q u e, du fonc-tionnement de la gravita-tion au niveau quantique.On estime quelle tait luvre linstant de lacration de lunivers.

    La sciencene parviendra jamais

    apporterdes rponses

    dfinitives

    20 Le Courrier de lUNESCO - Mai 2001

  • Mai 2001 - Le Courrier de lUNESCO 21

    I L T A I T U N E F O I S L A C R A T I O N

    Pourquoi une inflation au dbut de lunivers?Parce quelle permet dexpliquer la grandeur

    et lhomognit de lunivers, le fait quil offre peu prs partout la mme apparence, et pourquoiil sest tendu simultanment dans toutes les direc-t i o n s. Grce linfla t i o n , on comprend aussi laformation des galaxies partir des fluctuationsquantiques. Mais surtout,cette thorie nous per-met dexpliquer pourquoi diffrentes parties delunivers se ressemblent.

    Au tout dbut de lunivers, linstant 1043

    seconde aprs la cration (le temps de Planck),notre univers ne mesure quune fraction dec e n t i m t r e. Sa partie gauche ignore tout de sapartie droite, et le centre ne sait rien des deuxextrmits: le temps manque. Puis, tout coup,nous voici face un univers dans lequel tout seressemble! Cest l quintervient linflation.Jusqu 10 3 5 s e c o n d e, lespace connat unedilatation de 10 puissance mille milliards,comme une membrane lastique qui stireraitdans tous les sens et plus vite que la lumire, p o u ratteindre des dimensions bien suprieures cellesde notre univers actuel.Compar lunivers del p o q u e, celui daujourdhui ne reprsenteraitquun point minuscule sur un gigantesque bal-lon cosmique.

    Y a-t-il de la matire dans cet espace en expansion ?Dhabitude, on entend par matire des parti-

    cules en mouvement,qui se heurtent et formentdes choses solides, v i s i b l e s. Mais il existe aussi deschamps, comme le champ lectromagntique dela Terre. Nous ne le voyons pas, mais il existe, etcest aussi une forme de matire. Dans cet universb a l b u t i a n t , la matire se prsenterait sous la formedun champ appel champ scalaire. Nous nevoyons pas non plus ce champ il ressemble auvide mais il possde probablement beaucoupd n e r g i e. Dans un univers en expansion normale,la densit de la matire dcrot.Mais le champ sca-laire et son nergie, e u x , ne diminuent pas. R s u l-t a t : lespace se dilate plus vite et pendant pluslongtemps. Cest cela, linflation.

    Progressivement,pourtant,le champ scalaire

    va perdre de lnergie, se dsintgrer, p r o d u i r edes particules normales. Et lunivers va devenirchaud comme dans la thorie classique du big-bang.

    Do proviennent ces champs scalaires ?Peut-tre existent-ils ds lorigine de luni-

    vers, comme toute autre matire. Les parties delunivers o ces champs demeuraient faibles nontpas connu dinflation et sont restes trs petites.Alors que celles champs scalaires importantsse sont considrablement dilates. Nous vivonsdans une de ces parties.

    Vous avez employ lexpression arbre cosmiquepour dcrire le vritable univers. Q u e n t e n d e z - v o u spar l?

    Pour la formation des galaxies, il a d se pro-duire des petites fluctuations dans le champ. M a i ssi ces fluctuations sont grandes, elles peuvententraner la cration de nouvelles parties delunivers des endroits o les champs ont desvaleurs diffrentes, o les particules sont tanttplus lgres, tantt plus lourdes, o lespace et letemps sont diffrents de ce quils sont dans notrepartie de lunivers. Mais ces parties sont si loin-taines que nous navons pas la moindre chance deles voir un jour.

    Vous parlez galement dune inflation ternelle.Elle peut donc se produire nouveau?

    Elle peut se produire assez loin de nous,ou tout ct.Mais ne vous inquitez pas: l i n flation creraun bb univers que vous ne verrez mme pas.

    Il y a vingt ans, lorsque la thorie de linfla t i o na t invente, on la croyait sortie dun roman des c i e n c e - fic t i o n . Puis elle est devenue l a t h o r i ecosmologique standard, celle qui a permis dersoudre de nombreux problmes et de formulerdes prvisions qui ont t confirmes parl e x p r i m e n t a t i o n . Nous avons bien essay decomprendre lunivers sans linflation. M a i s,jusquici, aucune autre thorie ne nous a donnsatisfaction.

    PROPOS RECUEILLIS PAR IVAN BRISCOE

    JOURNALISTE AU COURRIER DE LUNESCO.

    Et li n fla t i o n f u tLinflation, la thorie cosmologique la plus discute de ces 20 derniresannes, nous apprend qu la naissance de lunivers, une force colossaleaurait transform un simple point en un espace quasi infini. ExplicationsdAndrei Linde, professeur luniversit de Stanford (Etats-Unis).

    1 . AUX FRONTIRES DE LA SCIENCE

    Les fluctuations quan-tiques dans un univers eni n flation engendrent desrgions de trs forte den-sit (les pics).Elles crentaussi des rgions (dec o u l e u rs diffrentes) os appliquent des loisphysiques spcifiques.L e s rgions de forte densit stendent ra-pidement et donnentnaissance dautre s , d edensit plus forte encore.A i n s i , l u n i v e rs sauto-reproduit sans cesse.

  • IVAN BRISCOE

    JOURNALISTE AU COURRIER DE LUNESCO.

    Lunivers a une p r h i s t o i reNotre univers ordonn serait n du big-bang, lui-mme apparu sur fond de rien.Et si ce rien tait un univers antrieur, constitu de supercordes?

    1 . AUX FRONTIRES DE LA SCIENCE

    Remontons lhistoire de notre univers jus-qu ses premiers instants.Une mme har-monie physique propice lordre cos-mique et naturel, et aux humains prside tous les pisodes. M a i s, aussitt quon

    parvient au chapitre des origines,on pntre en enfer:les tempratures dpassent celles du noyau de notreS o l e i l , la matire parat frappe dhystrie,des forcesincontrlables dsintgrent la moindre structure.Enfonons-nous encore plus loin dans le pass etlon sort de ce chaos furieux pour atteindre un nantpaisible et indistinct.

    Voil une fin ou plutt un dbut qui ne satis-fait personne. Ju s q u i c i , on a peu progress danslexploration de cette curieuse mutation du rien enun tout brlant et dchan. Cela ne signifie pas queles savants aient vacu la question. La notion dunengendrement du cosmos partir dune particule-Dieu ne rsolvant pas la question, ils sefforcentdexplorer une autre voie.Dchiffrer lhistoire davant

    le big-bang les intresse donc moins que didenti-fier la raison pour laquelle dun chaos insondablemerge un endroit ordonn.

    Gabriele Veneziano tient peut-tre une rponse.Selon ce grand physicien thorique italien, l aralit que nous percevons e s t soutenue paru n e autre ralit: les supercordes, q u i , vibrant endix ou onze dimensions, crent et composenttout lunivers partir de leurs minuscules frmis-sements.

    Dcoder cette version de la naissance du cosmosncessite une odysse travers toute la physique duX Xe s i c l e. La thorie des supercordes et ses variantessont issues des deux grandes perces thoriques deses premires dcennies la relativit gnrale etla mcanique quantique. Selon la premire, u n eimage convaincante de lunivers peut-tre rappor-te un point initial ou singularit, dune densitm a s s i v e, peut-tre mme infin i e.Le monde des quan-tas la deuxime thorie autorise des incursions lintrieur de latome,puis de ses composants (lesprotons, les neutrons et les lectrons), et enfin silon possde lquipement et lagilit desprit nces-saires des composants de ses composants.

    Dans latome,plus de 60 particules

    Combinons ces deux perspectives thoriques.Si lunivers est n de lbullition dune soupe pri-m o r d i a l e , elle ne pouvait contenir que les units dematire les plus lmentaires.Trouver les rgles quiles gouvernent est donc la voie royale pour com-prendre lapparition du cosmos.

    Jusqu la fin de lanne 2000,la capitale mon-diale de ces recherches tait un minuscule terri-t o i r e, cheval sur la frontire franco-suisse et occuppar un tube circulaire envelopp daimants puis-s a n t s : le CERN, le laboratoire europen de recherchen u c l a i r e. Le principe de son fonctionnement ests i m p l e : on lance un couple dlectrons, qui parcourtce circuit, de 27 k i l o m t r e s, 1 1 000 fois par seconde(presque la vitesse de la lumire). Quand ils cla-tent dans une violente collision, on observe le choc.

    Ces recherches reposent sur une formule fon-damentale dEinstein:E = mc2, qui tablit une qui-valence entre lnergie et la masse. Acclrez lemouvement dune particule subatomique commeun lectron ou un proton jusqu la vitesse de lal u m i r e, envoyez-la scraser contre une autre,et les

    Au cur de latome ( g.) le noyau;au cur du noyau,les neutrons et les protons;dans chacun deux,

    trois quarks.Et la recherche continue

    22 Le Courrier de lUNESCO - Mai 2001

  • nergies accumules dans cette course sparpille-ront en particules plus massives et trs phmres exactement comme celles qui dominaient luniversprimitif et qui se sont coagules quand lespace sestrefroidi.

    Un nouvel acclrateur entrera en fonction,en2005 au CERN:le grand collisionneur de hadrons.Muni dun champ magntique 100 000 fois sup-rieur celui de la Terre, il sera capable de recrerles conditions subatomiques qui prvalaient dans lapremire picoseconde de lunivers (10 1 2 s e c o n d e s).Nous allons pouvoir explorer des distances internes la matire peut-tre dix fois infrieures tout ce quenous avons vu jusquici, explique John Ellis, phy-sicien au CERN.

    Avec ces expriences et leur travail thorique,les savants ont dsagrg latome et les forces quigouvernent ses mouvements en plus de 60 parti-cules une vraie mnagerie!

    Des univers en palier,reposant lun sur lautre

    Lhistoire est loin dtre complte. E n u m r e rles quarks et les photons, et calculer leur puissance,tout cela est bel et bon. Mais comment expliquerlapparition de cette diversit bien structure decomposants partir dun bouillonnement initial?Et question peut-tre encore plus importante ointervient la gravitation? La particule cense la porter,le graviton, na jamais t observe.

    En qute dune rponse, la communaut scien-t i fique a recouru lide dunific a t i o n : plus on pntreen profondeur dans les composants de la matire,p l u sles formules doivent tre gnrales et lgantes.

    Pour laborer une thorie unifie de la nature,on sait dj quelle direction emprunter. Avant derendre son dernier soupir, lacclrateur du CERNa donn les premiers indices exprimentaux de cequon appelle le champ de Higgs. Cest un champde force, comme le champ lectromagntique,d a n slequel les particules entrent (ou non) en interac-tion et obtiennent leur masse.Vous faites cuire desptes et vous ajoutez de lhuile dolive, dit John Ellis.Quand le tout refroidit, lhuile se spare.Ce que noustentons, avec le nouvel acclrateur, cest de porterleau bullition pour voir les diffrences sva-porer1.

    Mais cela ne rsout pas lnigme de la force gra-vitationnelle. John March Russell,un physicien duCERN, senthousiasme pour une hypothse exal-tante:si la gravitation est dune telle faiblesse com-pare aux autres forces, cest parce que son nergieest massivement pompe dans dautres dimensions.Dans ce cas, s o u t i e n t - i l , le nouvel acclrateur rv-lerait beaucoup plus que de nouvelles particules.Lnergie pourrait tre aspire dans ce monde dudessous,ou bien, hypothse encore plus radicale,de minuscules trous noirs apparatraient pour unefraction de seconde.

    Ces nouvelles dimensions ne rendraient-ellespas les particules lmentaires encore plus nig-matiques? Au contraire, ce serait la premire preuvede lexistence des cordes. En thorie, le problmede la gravitation et la thorie des cordes se marient merveille, souligne March Russell.

    Mais que sont, au juste, ces cordes magiques?Depuis une trentaine dannes, les thoriciens schi-nent pour expliquer comment des lments en formede cordes denviron 1032 cm de long, donc invi-sibles dans toutes les expriences possibles engen-drent toutes les particules et toutes les forcesconnues, y compris la gravitation. Si cette thorietait vrifie, on tiendrait enfin le principe fonda-mental qui insuffle forme et fonction dans lunivers.

    La taille infinitsimale des cordes et leurs mul-tiples dimensions confinent la thorie un hautniveau dabstraction. Gabriele Ve n e z i a n o, p h y s i-cien au CERN lui aussi, ne recule pas devant ceti n c o n v n i e n t .Pas plus que devant la probable nces-sit de rcrire lhistoire de la cration.

    Les consquences sont rvolutionnaires.Au c u n esingularit infiniment dense ne peut avoir exist aucommencement de lunivers, en raison de la tailleirrductible des cordes. Le scnario suppose doncune prhistoire. Il se pourrait quelle ait dur trslongtemps partir dun univers banal, i n fin i ,r i che enondes gravitationnelles, dans lequel se forme unergion superd e n s e, propose Gabriele Ve n e z i a n o.Le dbut, cest la formation dun trou noir. Lesondes piges dans ce trou entrent en interactionsous forme de cordes.Une force parente de la futuregravitation provoque une expansion clair de les-p a c e, p u i s, lors du big-bang, lre des cordes faitplace celle des particules et des plantes, la ntre.

    Cette thorie soulve de nombreuses questions.Mais lide est vertigineuse: la ralit voluerait surdes univers en palier, chacun reposant sur le pr-cdent! Dans le monde daujourd h u i , le chteau estdtruit cest un tas de gravats, explique John Ellis,mais la structure initiale pouvait fort bien tre unique,et, en un sens, trs simple et trs belle.

    Limage dune collision dlectrons,au CERN. Lapremire preuve de lexistence du champ de

    Par conventionsont le doux etlamer, le chaudet le froid;en vrit, il y ales atomes etle vide.Dmocrite,philosophe grec(vers 460-400 av. J.-C.)

    1. Une autre piste derecherche pourrait aussiaboutir une unific a t i o n :la thorie de la super-s y m t r i e . Elle supposequun quilibre fonda-mental existe au niveauq u a n t i q u e. A trs hautenergie, les superparte-naires des particulesconnues se laisseraientfurtivement observer.

    Mai 2001 - Le Courrier de lUNESCO 23

    I L T A I T U N E F O I S L A C R A T I O N

  • 24 Le Courrier de lUNESCO - Mai 2001

    JEAN-PIERRE LUMINET

    ASTROPHYSICIEN LOBSERVATOIRE DE PARIS-MEUDON, DIRECTEUR DE RECHERCHES AU CNRS,AUTEUR DE LUNIVERS CHIFFONN (FAYARD, 2001).

    Cet espacequi nous c h i f f o n n eAu lieu dtre plat et infini, lunivers pourrait tre repli sur lui-mmeet notre perception abuse par des rayons lumineux dmultiplis.Dans ce jeu de miroirs, comment dterminer la forme de lunivers?

    Quelle est la forme de lunivers? Le pro-blme est plus compliqu quil nes e m b l e.Si lespace immdiat, celui quinous environne, est correctement dcritpar la gomtrie euclidienne1, l e s p a c e

    microscopique ( trs petite chelle)et lespace cosmologique ( trs grande chelle)en diffrent profondment. En effet, selon les loisde la mcanique quan-t i q u e, lespace micro-scopique est aussi chao-tique et fluctuant quelcume la surface deso c a n s. De mme, l e s-pace cosmologique estc o u r b e.

    Q u e n t e n d o n s - n o u spar espace courbe? Lacosmologie modernee s t , pour une large part,issue de la thorie de larelativit gnrale for-mule par Albert Ein-stein au dbut du X Xe

    s i c l e. Selon ses qua-t i o n s, tout espace estdform courb parla distribution de lamatire en son sein.Cette courbure semanifeste travers lune des forces les plus fon-damentales de lunivers: la gravit.

    Si nous tudions la forme de lespace unechelle suffisamment leve (cest--dire sup-rieure 102 5 m t r e s ) , on sait quil est globalementcourb par une distribution quasi uniforme de lamatire (amas de galaxies).Sa courbure est doncelle-mme uniforme, cest--dire constante dunpoint lautre de lespace. En outre, lunivers pos-sde une dynamique globale: il peut thorique-ment tre en expansion ou en contraction. P r -sentement,les observations indiquent quil est enexpansion.

    Les modles courbure spatiale constante,issus de la thorie de la relativit,ont t dcou-verts par Alexandre Friedmann et GeorgesLematre dans les annes 1920. Dans le modle leplus simple, un espace de courbure positive (dit detype sphrique) se dilate initialement partir dub i g - b a n g, atteint un rayon maximal, puis secontracte pour sachever dans un b i g - c r u n ch. Il se

    pourrait aussi que les-pace soit de courburenulle (dit de type eucli-dien) ou ngative (detype hyperbolique,cest--dire en selle dec h e v a l ) . Dans ces deuxc a s, lunivers est enexpansion perptuellemais le taux dexpan-sion se ralentit au coursdu temps.

    De fait, des obser-vations rcentes sug-grent que lespacecosmique est prochedtre euclidien, cest--dire plat et conforme notre perception.Mais elles indiquentaussi quil est enexpansion acclre.

    Le moteur de cette expansion rpond uneautre loi: la constante cosmologique, que lonpeut interprter comme lnergie du vide.

    Restent des questions cruciales rsoudre.D i s p o s o n s - n o u s, avec la cosmologie relativiste,dune description satisfaisante de la forme de les-pace grande chelle? On pourrait le croire premire vue, mais il nen est rien.Mme la ques-tion de la finitude ou de linfinitude de lespacenest pas clairement tranche. En effet,si un uni-vers sphrique est forcment fin i , un univers eucli-dien ou de courbure ngative est,lui,compatibleavec des espaces finis ou infinis.

    1 . AUX FRONTIRES DE LA SCIENCE

    La Croix dEinstein.Le champ gravitationnelde la galaxie (au centre) dvie la lumire

    du lointain quasar en quatre images distinctes.

    1. Gomtrie euclidienne:lensemble des lois for-mules au I I Ie sicle avantJ. - C.par le Grec Euclide.Elles sont fondes surcinq axiomes (le plusc o n n u : deux droitesparallles ne se coupentj a m a i s ) . La gomtrienon-euclidienne est appa-rue au XIXe sicle.

  • Mai 2001 - Le Courrier de lUNESCO 25

    A ce stade, nous avons besoin dune nouvelleapproche pour progresser: celle de la topologie, q u itraite de certaines formes invariantes des espaces.Un espace euclidien nest pas aussi simple quil yparat. Une surface sans courbure, par exemple,nest pas ncessairement le plan. Il suffit de dcou-per une bande dans le plan et den coller lesextrmits pour obtenir un cylindre. Mais il pr-sente une diffrence fondamentale avec le plan: i lest fini dans une direction. Ce type de propritrelve de la topologie et non de la courbure. Endcoupant le plan et en le recollant,nous navonspas chang sa forme locale, sa courbure,mais nousavons chang radicalement sa forme globale, satopologie.

    Nous percevonsdes images fantmes

    Dans un espace plat ou monoconnexe (dans levocabulaire de la topologie), deux points quel-conques sont joints par une seule godsique lquivalent de la droite , tandis que dans unespace multiconnexe, une infinit de godsiquesjoignent deux points (voir diagramme).Cette pro-prit confre aux espaces multiconnexes un int-rt exceptionnel en cosmologie.

    En effet, les rayons lumineux suivent les go-dsiques de lespace-temps. Lorsque nous obser-vons une galaxie lointaine, nous pensons voir unexemplaire unique dans une direction donne et une distance donne. Or, si lespace cosmiqueest multiconnexe, cela signifie que les rayons lumi-neux se dmultiplient. En consquence, ils crentdes images multiples de la galaxie observe.Comme toute notre perception de lespace pro-vient de lanalyse de ces trajectoires,si nous vivonsdans un espace multiconnexe nous sommes plon-gs dans une vaste illusion doptique qui faitapparatre lunivers plus vaste quil ne lest.Desgalaxies lointaines, que nous croyons originales,sont en ralit des images multiples dune seulegalaxie.

    Un espace chiffonn est donc un espace mul-ticonnexe de volume fin i , dont la taille est pluspetite que lunivers observ (rayon apparent:e n v i-ron 15 milliards dannes-lumire). Les espaceschiffonns crent un mirage topologique qui dmul-tiplie les images des sources lumineuses.Les astro-nomes connaissent bien les mirages gravitation-nels: au voisinage dun corps massif, situ sur laligne de vise dun objet plus lointain, la courburede lespace dmultiplie les trajets des rayons lumi-neux provenant de larrire-plan. Nous percevonsdonc des images fantmes regroupes dans ladirection du corps intermdiaire appel lentille.Ce type de mirage est d la courbure locale delespace autour de la lentille.

    Dans le cas du mirage topologique, ce nestpas un corps particulier qui dforme lespace, c e s t

    lespace lui-mme qui joue le rle de la lentille. E nconsquence, les images fantmes sont rpartiesdans toutes les directions et dans toutes les tranchesdu pass.Ce mirage global nous permettrait de voirles objets non seulement sous toutes leurs orien-tations possibles,mais galement toutes les phasesde leur volution.

    Un vestige refroidi du big-bangSi lespace est chiffonn,il lest de faon sub-

    tile et trs grande chelle, sinon nous aurionsdj identifi des images fantmes de notre propregalaxie ou dautres structures bien connues. O r,c enest pas le cas.

    C o m m e n t ,a l o r s, dtecter la topologie de luni-vers? Deux mthodes danalyse statistique ont tdveloppes rcemment. L u n e, la cristallographiecosmique, tente de reprer certaines rptitionsdans la distribution des objets lointains.Lautre tu-die la distribution des fluctuations de tempra-ture du rayonnement fossile un vestige refroididu big-bang , ce qui permettrait, si lespace estchiffonn,de mettre en vidence des corrlationsparticulires.

    Les projets exprimentaux de cristallographiecosmique et de dtection de ces corrlations sonten cours. Pour linstant, les observations ne sont passuffisantes pour tirer des conclusions sur la topo-logie globale de lespace.

    Mais les prochaines annes ouvrent des pers-pectives fascinantes:des sondages profonds recen-sant un trs grand nombre damas lointains degalaxies et de quasars, et des mesures du rayon-nement fossile, grce aux satellites Map et Planck.Nous saurons peut-tre alors attribuer une forme lespace.

    I L T A I T U N E F O I S L A C R A T I O N

    Un univers trs simple deux dimensions illustrecomment un observateursitu dans la galaxie A(rouge) peut voir des imagesmultiples de la galaxie B(jaune).Ce modle dunivers,appel tore, est construit partir dun carr dont on arecoll les bords opposs.La lumire de la galaxie Bpeut atteindre la galaxie Aselon plusieurs trajets, desorte que lobservateur,dans la galaxie A,voit lesimages de la galaxie B luiparvenir de plusieursdirections.Bien que lespacedu tore soit fini,un tre quiy vit a lillusion de voir unespace, sinon infini (enpratique, des horizonslimitent la vue),du moinsplus grand que ce quil nesten ralit. Cet espace fictif alaspect dun rseauconstruit partir dunecellule fondamentale, quirpte indfiniment chacundes objets de la cellule.

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  • 26 Le Courrier de lUNESCO - Mai 2001

    1043 secondes (soit 0,0000000000000000000000000000000000000000001 seconde)

    1035 to 1012 secondes

    106 secondes

    300000 ans

    Entre 5,5 et10,5 milliards dannes

    10 ( 15) milliardsdannes

    Calendrierde lunivers

    B Lespace et le temps dfinis parles lois fondamentales de la phy-sique dEinstein nont encore aucunsens.

    D Linflation sest arrte. La force motrice qui lanime laisse derrire elle des particuleslmentaires lectrons, quarks, gluons et neutrinos dans un environnement o les tem-pratures sont inoues (1027 degrs centigrades).puise, la force originelle de lunivers sescinde en force gravitationnelle et en dautres forces oprant au niveau nuclaire. Les loisdEinstein sont dsormais valables. Lunivers continue stendre et se refroidir.

    F Les quarks commencent sagglutiner trois par trois, formant les premiers protons et neu-trons modules de base des atomes. Lantimatire et la matire se rencontrent et sentre-dtruisent en laissant, pour une raison inconnue, un rsidu de matire. Lunivers sest refroidijusqu un milliard de degrs centigrades.

    H Aucune lumire ne pouvait traverser lunivers primitif, en raison de son mlange paisdlectrons et de photons (porteurs de la lumire et dautres ondes dnergie). A 3 0 0 0degrs centigrades, les lectrons sont capables de saccrocher au noyau atomique de base.Les photons sont librs, et constituent le premier signal lectromagntique que lunivers aitjamais connu. Nous pouvons encore entendre ce quil en reste aujourdhui. Lespace estdevenu transparent.

    J Notre soleil est form, ainsi que les plantes du systme solaire, peut-tre cause de lex-plosion cataclysmique dune supernova suivie de laccumulation graduelle des poussires,roches et gaz en corps sphriques. Sur les plantes les plus proches du Soleil Mercure,V n u s, la Terre et Mars , la plupart des gaz lgers sont brls, l a i s s a n t , dans le cas de la Te r r e,un mlange essentiellement compos de fer, de nickel,de carbone, doxygne et de magn-s i u m . Les plantes lointaines comme Jupiter et Saturne restent de gigantesques globes de gazlgers.

    L Des organismes multicellulaires se dveloppent,aids par lavnement de la reproductions e x u e. Les premiers vertbrs apparaissent pendant lOrdovicien.Suivent les dinosaures, les rep-tiles, les mammifres et les plantes. Il y a environ 5000000dannes, des hominids commen-cent peupler lAfrique. Homo sapiens se manifeste il y a plus de 100 000 ans.Le langage, la cul-ture et les socits humaines sont crs.

    David A.Hardy/Science Photo Library, Cosmos, Paris

  • Mai 2001 - Le Courrier de lUNESCO 27

    I L T A I T U N E F O I S L A C R A T I O N

    0

    1043 to 1035 secondes

    1011 secondes

    100 secondes

    2 ou 3 milliardsdannes

    A Lunivers est n dans des circonstances inconnues et peut-tre inconnaissables. La concep-tion traditionnelle du big-bang suggre quil a merg dune singula-rit un point de densit infinie o toutes les lois connues de lespace et du temps cessentde jouer. Les spculations se poursuivent cependant sur la cause premire:fluctuation dansun champ dcume quantique, croissance dans un trou noir, ou saut hors dun univers quisautodtruit.Les distes prfrent la main de Dieu.

    C Les thories actuelles supposent une priode dinflation acclre expansion qui adpass la vitesse de la lumire.Au dpart, minuscule ballon de moins dun millimtre de dia-mtre, lunivers se serait gonfl bien au-del des distances observables par les tlescopes. Laforce qui a provoqu cette expansion est inconnue.

    E La temprature baisse un million de milliards de degrs centigrades. L l e c t r o m a g n t i s m eest n.Les quatre forces fondamentales de la physique la force gravitationnelle, la forcenuclaire forte, la force nuclaire faible et llectromagntisme sont en place. Cest le pointde dpart de la cration de particules plus complexes.

    G Neutrons et protons fusionnent pour constituer les noyaux datome fondamentaux:ceuxde lhydrogne, de lhlium et du lithium. Lunivers se refroidit une vitesse extraordinaire, e til ny a plus assez de chaleur pour former dautres lments, plus lourds.

    I Lge des tnbres cosmiques prend fin avec la formation des premires toiles de luni-v e r s, au cur de denses nuages de gaz.Agglutin par la force gravitationnelle, lhydrogne deces toiles entre en fusion et se transforme en hlium, rpandant chaleur et lumire dans les-p a c e. Des ractions nuclaires trs violentes et temprature trs leve remontent lchelledes lments. Le carbone, loxygne et le magnsium se forment. Des toiles gantes, l e ssupernovae, meurent dans des explosions gigantesques, projetant de la matire lourde tra-vers les galaxies en gestation.

    K mergence de la vie. Les toutes premires cellules commencent peupler la terre. Les pre-mires thories suggraient que les composants fondamentaux de la vie, tels les acides ami-

    n s, a vaient t produits par laction des clairs sur une soupe primitive deau, d emthane et dhydrogne. On postule aujourdhui quen heurtant la Te r r e, des astrodes ontpu y apporter les semences de la vie organique.

    6,2 ( 11,2) milliardsdannes

    B. Tucker/International St/Cosmos, Paris

  • Lexplication du mystre de lexistence est-elleimminente? Des scientifiques de renom lep r t e n d e n t : les thories dunification de laphysique comme celle des supercordes ,combines avec des versions sophistiques

    du big-bang, nous fourniraient bientt une thoriede tout.Le physicien Stephen Hawking,par exemple,considre cette thorie de tout comme une rv-lation mystique qui nous amnera,devant la nature, mettre un premptoire A h , ctait donc a! aulieu du traditionnel Hein? Je nai pas compris .

    Si la perspective dun monde sans mystrevous refroidit,rassurez-vous:elle ne se rali-sera jamais. Cest le paradoxe de la sciencem o d e r n e :plus elle nous en apprend, p l u sle mystre spaissit.

    Un zeste de gravitationPrenez la question la plus l-

    m e n t a i r e : pourquoi y a-t-ilquelque chose plutt que rien?La formidable thorie du big-bang ne nous dit pas pour