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33. Mani Christ d’Orient Bouddha Première partie : C o n t i n u i t é s

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33. Mani Christ d’Orient Bouddha

P r e m i è r e p a r t i e :C o n t i n u i t é

s

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Mani Christ d’Orient Bouddha d’Occident .

orientation

n dit que, sur un morceau de soie blanche, Mani traça une lignede telle sorte qu’un seul fil de soie ayant été retiré la ligne n’ap-parut plus.

Alawi

…Une lampe brûlant avec l’huile d’un olivier qui n’est ni del’Orient ni de l’Occident, s’enflammant sans même que lefeu la touche… Et c’est lumière sur lumière.

Coran 24 : 35

Celui qui étudie les véritables origines du christianisme remarqueimmédiatement que dès les premiers siècles de notre ère, la question cen-trale qui divisa entre elles les différentes sectes chrétiennes fut celle del’interprétation des textes sacrés soumis à la réflexion des fidèles (ce pro-blème de l’herméneutique est aussi commun aux exégètes du Coran et de laBible). Quel en est le sens vrai ? Ce sens vrai est-il ce qu’énonce l’apparencelittérale, extérieure ou exotérique ? Ou bien cette apparence littérale n’est-elle que le revêtement d’un sens caché intérieur ou ésotérique qu’ilconvient de rechercher, une métaphore ? Ces textes rapportent-ils demanière fidèle l’histoire et les paroles authentiques du Maître Jésus ? Oubien décrivent-ils symboliquement, comme dans les anciens cultes àMystères de l’Antiquité, les trois « temps » du processus de résurrectionde l’Homme intérieur, de l’Homme de lumière, du Christ en l’homme ?

Aujourd’hui, nous savons avec certitude que l’idée d’une vérité aumoins à deux niveaux, impliquant l’existence d’un exotérisme et d’un éso-térisme chrétien, fut largement partagée non seulement par les gnostiqueschristianisants (marcionites, basilidiens, valentiniens...) mais aussi, ce quel’on a souvent tendance à oublier ou à occulter, par certains Pères de l’É-glise comme Clément d’Alexandrie ou Origène1.

Bien que, depuis le début du XXème siècle, de nombreuses étudesaient été consacrées au manichéisme, le plus important des mouvementsgnostiques chrétiens, rares sont les savants ayant osé postuler, comme lefit Guy Stroumsa2, l’existence d’un ésotérisme dans la pensée et l’universde Mani, « l’Apôtre de Jésus-Christ ».

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Plus rares encore sont ceux qui ont tenté d’explorer systémati-quement l’imaginaire manichéen et de percer jusqu’au sens vrai de sesmystères, mythes et symboles.

Ce livre a pour objet de présenter les premiers résultats de notreenquête relative à l’idée d’un ésotérisme manichéen3.

Le double principe qui guide notre recherche est simple : les tex-tes écrits par Mani ou ses disciples sont avant tout symboliques ; ils ontprincipalement trait à la « seconde naissance », à la genèse de l’Hommenouveau « chrétien », qui se déroule en trois « jours », en trois « temps ».

Nous savons que le manichéisme tire son nom de celui de son fondateurMani ou Manès, qui signifie en sanskrit « pierre précieuse, gemme » et en syriaque« vase, vêtement »4. Ces trois figures (la pierre, le vase et le vêtement), dontla véritable signification, ésotérique, a généralement échappé aux spécia-listes de la question manichéenne5, se rattachent directement à la symbolique duGraal, au mystère du Graal, et dessinent à notre intention les grandes lignesdu processus de reconstruction de l’Homme intérieur.

La gnose actuelle, transmise par Jan van Rijckenborgh etCatharose de Petri, enseigne que la possibilité de rétablir la coupe nup-tiale, le Vase sacré, et de célébrer la Sainte Cène intérieurement, person-nellement, dans « le secret » de l’être, est présente dans tout homme : lepied de la coupe de cristal se trouve dans l’orifice cardiaque et les pou-mons, la tige du calice est dressée dans le cou (système de la trachée artè-re et du larynx), le haut de la coupe est formé par le globe de la tête6. Ils’agit donc ici non seulement d’un symbole, mais d’un fait spirituel irréfu-table, relatif à la régénération du système tête-coeur, base de l’Hommenouveau chrétien7. Mentionnons encore que le chakra-couronne (ou chakracoronal), relié à la glande pinéale, a la forme d’une coupe du Graal8.

Ces quelques indications « ésotériques » concernant le motif duGraal nous permettent de comprendre que dans la vie et l’enseignementde Mani, chaque image, chaque mot employé, doivent être pris avant toutcomme un symbole, un témoignage de la vie de l’âme, et interprétés demanière « intériorisée » (herméneutique = intériorisation).

Découlant logiquement de ce premier principe, notre thèse fon-damentale sera la suivante : le mythe manichéen, comme le mythe chris-tique, est un « mystère d’initiation »9, d’essence alchimique10, relatif à l’é-veil successif des trois kundalini, des trois Feux-racine (= Roues de l’eau,de l’air et du feu dans la mythologie manichéenne).

35. Mani Christ d’Orient Bouddha

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Mani Christ d’Orient Bouddha d’Occident .

S c h é m a 1 : L ’ a r b r e d e V i e

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37. Mani Christ d’Orient Bouddha

Ce terme, d’origine sanscrite, désigne la triple force spirituellelocalisée dans les sanctuaires de la tête, du cœur et du bassin (sacrum).Ces trois centres de conscience sont reliés entre eux par l’intermédiaire del’« arbre vert »11(Coran 36 : 80), formé par le système cérébro-spinal(sushumna) et les deux cordons du sympathique, à droite et à gauche dela colonne vertébrale (pingala et ida)12.

Cet axis mundi (axe du monde), qui établit la liaison entre le Cielet la Terre intérieures au « microcosme » humain, est désigné dans la litté-rature ésotérique comme le « feu du serpent » et symbolisé par le cadu-cée, l’arbre ou la colonne.

La tête du serpent correspond aux sept cavités cérébrales, laqueue au plexus sacré, et le corps du serpent, de couleur blanche, au feuspinal, au liquide céphalo-rachidien13.

Tous les systèmes initiatiques envisagent, sous une forme ou sousune autre, de transformer le « serpent de feu » de la conscience au moyende l’une des trois sources de force, situées dans la tête, le cœur ou le bassin.

L’initiation de type « tantrique » (yoga de la Force ascendante)propose de faire remonter le courant de kundalini du sacrum, par le feudu serpent (sushumna), jusqu’à la quatrième cavité cérébrale (hypophyse)et finalement jusqu’à la pinéale, siège de la « conscience cosmique » ;l’initiation « supramentale » (yoga de la Force descendante) inverse le pro-cessus précédent et fait descendre le courant de la kundalini de la tête, parle feu du serpent (sushumna) jusqu’à la base de la colonne vertébrale oùdort la Shakti, la Mère divine, le Dragon des légendes.

L’initiation « christique », elle, opère différemment : elle débute tou-jours par l’éveil de la kundalini dans le cœur ; celle-ci sort de sa « grotte » et sedirige vers le sommet du crâne ; dans un premier temps, elle se concentredans l’espace libre situé derrière l’os frontal, entre les deux arcades sour-cilières, posant ainsi le premier fondement d’une véritable unité tête-coeur (esquisse de la future coupe du Graal) ; elle descend ensuite le longdu cordon droit du sympathique (pingala) jusqu’au plexus sacré où a lieula rencontre avec Lucifer-Satan (le Démiurge) et l’ouverture de la seconde sour-ce de kundalini (celle du sacrum) ; lorsque la fusion des deux premiers feuxest réalisée, la Force divine remonte par le cordon gauche du sympathique(ida) et revient à son point de départ, dans la quatrième cavité cérébrale(hypophyse) ; l’élévation vibratoire de l’hypophyse, qui résulte de l’ouver-ture du cœur et du rétablissement de la circulation perturbée de « l’arbrede Vie », du système du feu du serpent, rend à nouveau possible la liaisonavec la pinéale, située au sommet du crâne ; la troisième source de kundalini

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s’ouvre alors et descend dans le sanctuaire de la tête (la coupe dressée), puisdans le canal central de la moelle épinière (sushumna), le « pilier du milieu »,d’où l’ancien moi est maintenant définitivement chassé.

C’est donc ainsi, par la renaissance de l’Âme dans le double sym-pathique et le rétablissement de la liaison avec l’Esprit grâce à la régéné-ration du système cerveau-moelle épinière, que s’accomplit la reconstruc-tion du Temple en trois « jours », en trois « temps », selon la formule évan-gélique. « Jésus s’est levé, dira le psalmiste manichéen. En trois jours [il]s’est levé. La croix de lumière, c’est sur trois puissances qu’elle s’élève. [...]Jésus, la Vierge et l’Intellect qui (est) au milieu d’eux – [ces trois] puis-sances sont l’Église du petit monde [microcosme]14. »

Selon notre typologie, l’éveil des trois kundalini constitue la base de l’expérience spiri-tuelle et l’origine de toutes les véritables religions disposant d’un fondement ésotérique.L’« expérience transpersonnelle », de type mystico-ésotérique, que nous opposons à l’ex-périence spirituelle, est fondée sur l’éveil, partiel ou total, des kundalini du sacrum et dela tête.

Cette courte description, relative à la circulation de la Lumièrespirituelle dans le « corps subtil » (astral-éthérique), nous livre le secret dumythe manichéen et de la méthode initiatique de l’Appel et de la Réponse,enseignée par Mani et ses successeurs (chiites, cathares, rose-croix).

SpiritualitéSystème des 3 kundalini

Mysticisme-OccultismeSystèmes à 2 kundalini

1. Cœur2. Bassin

3. Tête

Initiation christique15

1. Bassin2. Tête

Initiation tantrique

1. Tête2. Bassin

Initiation supramentale

Tableau 1 : Les trois méthodes d’initiation

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39. Mani Christ d’Orient Bouddha

LA STRUCTURE ABSOLUE (I) : LES CINQ ÉLÉMENTS

NORD

SUD

OUEST EST

FEU

AIREAU

TERRE

ETHER

D i a g r a m m e 1

LA STRUCTURE ABSOLUE (II) : DIALECTIQUES

DIALOGUE CONFLIT

ESPRIT

MATIÉRE

D i a l e c t i q u e a b s o l u e

D i a l e c t i q u e r e l a t i v e

BIEN MAL

D i a g r a m m e 2D i a g r a m m e 2

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Mani Christ d’Orient Bouddha d’Occident .

L’HOMME TRIPLE

Pinéale

Plexus sacré

ÂME

CORPS

ESPRIT

LE TEMPLE DANS L’HOMME

TÊTESaint des

Saints

BASSINParvis

COEURSaint

LA STRUCTURE ABSOLUE (III)

D i a g r a m m e 3D i a g r a m m e 3

D i a g r a m m e 4

LES TROIS MONDES (1)

LumiéreFEU

TénèbresEAU

SouffleAIR

Spirituel

Matériel

Psychique

LA STRUCTURE ABSOLUE (IV)

Monde supérieur

Monde intermédiaire

Monde inférieur

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Elle nous permet aussi de comprendre pourquoi les manichéens, sui-vant en cela d’autres gnostiques comme les hermétistes, les ophites, les naassènes ou lespérates, se proclamaient « Fils du Serpent »16, devenant ainsi objet de scandalepour les hommes religieux, catholiques ou musulmans, qui verront danscette affirmation l’aveu de leur « satanisme » et les persécuteront enconséquence pour « crimes contre Dieu »17 (nous découvrirons à la fin dela seconde partie, consacrée aux mystères du microcosme, le sens vrai decette formule apparemment énigmatique).

Cette explication, qui concerne l’éveil de la [triple] Kundalini et leprocessus de la régénération du système nerveux, nous ouvre aussi simultanémentla voie royale de l’« herméneutique sacrée », laquelle conduit au « secret »des textes gnostiques dont le sens vrai ne peut se révéler qu’à « l’hommerégénéré », comme l’affirmait Jacob Boehme18. Notons ici que l’origine dumot « herméneutique », qui désigne l’art et la science de l’interprétation des signes etdes symboles, de l’exégèse, remonte à Hermès, « l’herméneute par excellence »(F. Bonardel), dont le symbole est le caducée (baguette autour de laquel-le s’enroulent en sens inverse deux serpents19). Figure mythique del’Égypte antique, la tradition ésotérique lui attribue généralement la révé-lation primordiale de la Gnose en Occident et la transmission de laScience sacrée, en particulier l’alchimie20. Il résulte de ce qui précède qu’herméneutique et conscience sont intimement liées21, et que la pos-session d’un « serpent de feu » régénéré seule permet l’explication spirituelle etrationnelle des Écritures (lecture croisée).

Indiquons encore que nous devons la majeure partie de nos intui-tions à deux auteurs (un théosophe et un philosophe) : Jan vanRijckenborgh (1896-1968) et Henry Corbin (1903-1978)a.

Le premier, d’origine hollandaise, est le fondateur du LectoriumRosicrucianum22, mouvement spirituel d’inspiration gnostique et chrétienne qui s’in-titulera jusqu’à la fin de la Seconde Guerre Mondiale : « Ordre des Manichéens »23.

Cette appellation attire notre attention sur l’existence d’une filiation spirituelle entrel’œuvre de Mani et celle de Van Rijckenborgh : à plusieurs reprises, le gnostiquehollandais rappellera combien il s’était senti concerné, dès le début, de sarecherche par le message que la Fraternité des manichéens (comme celledes cathares24) avait livré au monde, y retrouvant non seulement un écho

41. Mani Christ d’Orient Bouddha

a. La première partie, exotérique, de notre commentaire s’appuiera essentiellement sur les recher-ches menées par H. Corbin alors que la seconde, plus ésotérique (donc plus complexe) s’inspirerades enseignements spirituels de Van Rijckenborgh. Il est, pour la période actuelle, le « Résurrecteurde la Sagesse orientale » (au sens de Sohravardi).

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profond à ses aspirations mais aussi une confirmation des découvertes aux-quelles il était parvenu dans ses investigations occultes de la mémoire de lanature (akasha).

Comme Mani, Van Rijckenborgh ressentit très jeune l’appel de laGnose, qu’il décrit comme « force, rayonnement et lumière », comme « uneradiation du Royaume immuable [Surnature] reliée de la manière la plussimple au microcosme humain, à l’étincelle d’Esprit, dont l’intention fon-damentale est de « ramener à la Maison ce qui était perdu »25.

Sa quête de la Vérité l’amena à rompre rapidement avec son milieureligieux d’origine (le protestantisme) et à orienter ses recherches sur lesmondes invisibles, en raison de ses facultés naturelles de clairvoyance.

Comme Mani, Van Rijckenborgh connut par l’intermédiaire de« l’Autre en lui », qu’il appelle son « Bien-Aimé », plusieurs révélations inté-rieures profondes, qui lui permirent de mettre à jour ce qu’il nommera ulté-rieurement « l’énorme mystification de l’au-delà » et de découvrir qu’il exis-te un règne originel, un règne dépassant de loin les domaines supérieurs duNirvana eux-mêmes et se distinguant nettement de la nature de la mort etde ses deux sphères [l’ici-bas et l’au-delà]26. » Suite à ces différentes expé-riences spirituelles, Van Rijckenborgh quitta le Rosicrucian Fellowship deMax Heindel auquel il avait adhéré pendant ses années de jeunesse pourcréer son propre mouvement, comme l’avait fait Mani après sa rupture avecles Elkasaïtes. Il avait alors vingt-huit ans.

Toute sa vie Van Rijckenborgh basera son enseignement sur lanotion claire et irréfutable de l’existence de deux Natures absolument sépa-rées et inconciliables (dualisme cosmologique27). Pour lui, le monde des soi-disant vivants (ici-bas) décrit par la science, et le royaume des morts (au-delà) dépeint par des « occultistes » comme Blavatsky, Steiner, Heindel oudes « mystiques » visionnaires comme Hildegarde de Bingen, sont une seuleet même réalité à laquelle il donne les noms de « nature de la mort » et de« monde dialectique ». Ces deux appellations explicites font ressortir lecaractère tragique, absurde, désespéré et inhumain d’un ordre de réalitéprofondément cruel et barbare, voué au culte de la mort (tant ici-bas que dansl’au-delà), constamment soumis au jeu des contraires et des oppositions : lebien se transforme en mal, et réciproquement, la joie se change en souffrance, lavictoire en défaite.

Mani Christ d’Orient Bouddha d’Occident .

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43. Mani Christ d’Orient Bouddha

PLAN DU LIVRE

PARTIE 3IMAGES

PARTIE 2TRADUCTION

PARTIE 1PRÉSENTATION

Exotérique Ésotérique Ésotérique de l’ésotérique

Le Musée Manichéen

Chants de laPerle

Her

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Fonc

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Être

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J. VAN RIJCKENBORGH

RÉSEAU CONCEPTUEL

Illumination

Énergétique

GNOSE

MicrocosmeIntériorisation

Philo-théosophie

Herméneutique Individuation

Ésotérisme Métahistoire

Orient Imaginal

Niveauxde Réal i té

D i a g r a m m e 6

D i a g r a m m e 5

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Mani Christ d’Orient Bouddha d’Occident .

GNOSE : LA TROISIÈME VOIE28

Révélation

Foi

GNOSE

Culture européenneGréco - judaïque

RaisonRELIGION SCIENCE

TROISIÈME NATURE ChuteRetour

Au-delà

NATURE

Ici-bas

Chemin de laLibération en 3

temps

Cycle des réincarnations(Samsara)

SURNATURE

LES 3 NATURES

D i a g r a m m e 8

D i a g r a m m e 7

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Cependant, explique-t-il, il existe un autre monde, absolu et éternel, non duel, pro-fondément différent, où l’homme en tant que créature spirituelle vit dans un état de béatitudeparfait, non pas dans un état incorporel comme c’est le cas dans l’au-delà, mais en pos-session d’un « vêtement de feu », d’un « corps de lumière », sublime et glorieux :c’est la « nature de la vie », désignée dans les Évangiles comme le Royaume, dans lalittérature bouddhique comme le Nirvana, et dans la philosophie manichéenne,comme la Terre de lumière.

Selon Van Rijckenborgh, il n’est possible d’accéder à cette Surnature quepar un processus radical de transformation de la conscience, placé symbolique-ment sous le signe de la rose, de la croix et du caducée (serpent). La rose est ici lesymbole de l’étincelle de lumière, l’étincelle divine des gnostiques, que VanRijckenborgh désigne aussi de manière plus actuelle comme l’« atome-étincelled’esprit » ou « atome christique » ; la croix est l’image du corps humain et le cadu-cée, la représentation du double système nerveux (axe cérébro-spinal et grandsympathique).

Quand ce noyau divin devient actif, explique-t-il, quand cette étincelle delumière s’enflamme dans le cœur, une force spirituelle nouvelle (l’ élixir des alchi-mistes) est libérée ; celle-ci déclenche dans le système corporel (laboratoire) unevéritable « réaction en chaîne », comparable au processus de la fission atomique :c’est le chemin de la transmutation à la transfiguration, dont l’exposé formait latrame des anciens traités hermétiques d’alchimie et des Évangiles.

Mais Van Rijckenborgh, à la différence de ses prédécesseurs, ne s’expri-me pas en termes allusifs et métaphoriques : il parle ouvertement d’une expé-rience ésotérique vécue dans la conscience et dans le corps (l’initiationchristique).45. Mani Christ d’Orient Bouddha

Commentaire : Dès avant la Deuxième Guerre mondiale, Jan van Rijckenborgh et Catharosede Petri, sa collaboratrice, ont basé leur enseignement spirituel sur la pensée de Mani. Leursécrits de l’époque témoignent largement de ce fait, en particulier l’hebdomadaire La Lumièrede la Rose-Croix, publication de la Fraternité de la Rose-Croix, Ordre des Manichéens.

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Mani Christ d’Orient Bouddha d’Occident .

TRANSVERSALITÉS : LA RÉVOLUTION DU DIALOGUE

DIALOGIQUEP e n s e u r - v o y a n t

ESPRIT

MATIÈRE

ORIENTOCCIDENT

Individu Connaissance

Savoir Collectif

SpiritualitéRationalité

Ésoté r i sme

Exoté r i sme

LA METHODE PHILO-THÉOSOPHIQUE

PENSEEMÉDITANTE

RÉVÉLATION (vision pénétrante)

DISCERNEMENT (discrimination)

Q U E S T I O N N E M E N T( f o n c t i o n c r i t i q u e )

O c c i d e n t

MÉDITATION(obser vat ion sans

obser vateur)Orient

Conscience

Compréhension

Apprendre à voir

Apprendre à penser

D i a g r a m m e 1 0

D i a g r a m m e 9

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47. Mani Christ d’Orient Bouddha

Il s’agit d’un processus intérieur en trois temps qui conduit l’homme enrecherche du stade Jean (la préparation au chemin) au stade Jésus (la naissance del’âme) pour parvenir au stade Christ : la liaison rétablie avec l’Esprit. C’est le chemind’éveil des trois kundalini, décrit plus haut, qui réalise la libération de l’Âme-Espritdès la vie présente et brise le cycle des réincarnations. Nous sommes donc rede-vable à Van Rijckenborgh et à ses disciples de nous avoir fourni la clefpermettant de comprendre et de libérer le véritable sens de ces textesmystérieux et profondément « hermétiques » que nous ont légué les écri-vains manichéens.

Henry Corbin, à la différence de Van Rijckenborgh, n’est pas ungnostique mais un intellectuel. Spécialiste de l’Iran, philosophe-herméneutede formation et « métahistorien » par vocation, chercheur infatigable entiè-rement dévoué à la cause gnostique, Corbin consacra sa vie entière à décou-vrir, traduire, commenter et éditer les trésors de la philosophie iranienneislamique, pour la plupart demeurés inconnus ou inédits jusque-là. Nous luidevons, entre autres, la redécouverte de la spiritualité chiite, comme source del’ésotérisme et de la Gnose en Islam29, et celle de la sublime Théosophie desOrientaux ou Platoniciens de Perse.

Celle-ci, initiée par Sohravardi (1155-1191) et ses successeurs, posecomme indissociable l’une de l’autre la recherche philosophique et l’expé-rience spirituelle (d’où le terme de « philo-théosophie » que nous propo-sons pour définir ce mode spécifique de pensée30) : « De même que le mys-tique, s’il est dépourvu de qualités philosophiques, est un incomplet, demême le philosophe, s’il n’a point en en sa compagnie la vision personnel-le des Signes et du malakût [monde de l’Âme], est lui aussi un incomplet,quelqu’un dont il n’y a pas lieu de faire grand cas, un homme à qui ne s’estjamais fait entendre le monde spirituel31. »

Archétype du « penseur-voyant »32 , du « sage-philosophe » , del’« homme transversal »33, Sohravardi doit aussi être considéré comme levéritable héritier spirituel de Mani en Iran et l’un des précurseurs du dialo-gue moderne entre Orient et Occident (dans sa doctrine illuminative inspi-rée de Platon, l’Orient désigne le Monde de la lumière, de l’Esprit, etl’Occident, le Monde des ténèbres, de la Matière ; le travail de la raison estdit « occidental », celui effectué par la vision intérieure, « oriental »).

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Le grand projet de Corbin, « le projet d’une vie », fut de « ressus-citer » la sagesse de l’ancienne Perse, « monde médian et médiateur » entreOrient et Occident, et de mettre à jour ces fameuses continuités qui per-mettent de concevoir l’ensemble iranien, de la Perse zoroastrienne à l’Iranchiite, comme formant un tout : religion de la Lumière (zoroastrisme,mithraïsme, manichéisme, chiisme), philosophie de la Lumière (traditionorientale).

L’exemple suivant suggère au mieux l’idée de ces « continuitésiraniennes » et « gnostiques »a dont l’affirmation fut le propos essen-tiel de son Grand Oeuvre philosophique : certaines traditions musul-manes veulent que, lors d’un voyage en Syrie, Mahomet, à l’âge dedouze ans – l’âge de la première révélation de Mani et de la rencontrede Jésus avec les docteurs de la Loi dans le Temple à Jérusalem, la villesainte – fut reconnu formellement comme le Sceau des prophètes – titreque s’était déjà attribué Mani – par un moine manichéen du nom deBohaïra, mot qui en syriaque signifie « l’Élu »34 ; c’est encore lui[= Georges] qui confirmera Mahomet dans sa vocation prophétique etattestera la réalité de ses visions lorsque celui-ci, en proie au doute,sera conduit à lui par sa femme Khadijab ; ajoutons pour finir queBohaïra serait, selon certains témoignages d’origine chiite, le dernierImam [Témoin spirituel] de Jésus35.

L’analogie de structure entre la perspective manichéenne et laperspective musulmane est bien évidemment frappante, et il faudraitbeaucoup de légèreté pour ne voir dans ces similitudes qu’un artificelittéraire, la méditation « transversale » des textes permettant aucontraire de déceler l’existence d’un réseau d’intentions et d’orienta-tions communes à ces approches spirituelles distinctes. Plus décisiveque le recours à une causalité historique toujours contestable, s’impo-se ici l’évidence d’une rencontre sous un horizon commun36.

Le principal mérite de Corbin demeurera certainement d’avoirrappelé aux chercheurs occidentaux l’existence du « monde imaginal »(= Moyen-Orient), intermonde entre le sensible et l’intelligible oùprennent forme les visions prophétiques, les songes visionnaires et lesperceptions suprasensibles.

Mani Christ d’Orient Bouddha d’Occident .

a . Il s’agit pour l’essentiel de « continuités symboliques », de « connexions imaginales ».b. H. Corbin, En Islam iranien, vol. I, p. 65.

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49. Mani Christ d’Orient Bouddha

D i a g r a m m e 1 2

DE L’HOMME RELIGIEUX A L’HOMME SPIRITUEL

SPIRITUELN3

RELIGIEUXN1

OCCULTISTE MAGICIENMYSTIQUEN2

LE PHÉNOMÈNE DE LA GNOSEEST ÉTERNEL ET UNIVERSEL

Gnose Chinoise

4 5

7

1

86

2 3

Gnose Chrétienne

Gnose Grecque

Gnose Indienne Gnose Égyptienne

Gnose Iranienne

Gnose JuiveGnose Islamique

GNOSEUNIVERSELLE

D i a g r a m m e 1 1

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Mani Christ d’Orient Bouddha d’Occident .

D i a g r a m m e 1 4

D i a g r a m m e 1 3

MÉTHODES :APPROCHE TRANSVERSALE en SCIENCES DES RELIGIONS39

QUESTIONDU SENS

EXPÉRIENTIELLE

HISTORICO-CRITIQUE

H E R M É N E U T I Q U E PHÉNOMÉNOLOGIQUE

Paradigme de séparativité

Paradigme de non-séparativité

Sujet (Conscience)

Objet(Science)

LA PHYSIQUE DU TAO

ÉVEIL

TÉMOIGNAGE (Expérience de l’Éveil)

COMPORTEMENT(Éthique de l’Éveil)

M É T H O D E( P é d a g o g i e d e l ’ É v e i l )

ENSEIGNEMENT(Phi losophie de l ’Évei l )

Contradictions

Relativisme spirituel

Expérience(Conscience)

Discours(Compréhension)

H i s t o i r eP h i l o s o p h i e

T h é o s o p h i e

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Il fut aussi l’un des rares penseurs occidentaux modernescapable d’entrevoir que l’herméneutique du « sens caché » du Coran,telle que la pratiquaient les ésotéristes musulmans, avait non seule-ment la puissance de nous ouvrir « le secret des âges et des espaces del’Iran, mais aussi celui de notre tradition spirituelle, à nous occiden-taux37 ». « Lisez le Livre avec extase du cœur, émotion intérieure etréflexion subtile. Lisez le Coran comme s’il n’avait été révélé que pourvotre propre cas », écrira Sohravardi à ses disciples38.

En faisant largement appel aux travaux novateurs de Corbin, nousvoulons aussi restituer à la civilisation arabo-musulmane son véritablevisage en rappelant qu’elle fut pendant mille ans « la Lumière del’Occident » et qu’il a toujours existé, des origines jusqu’à nosjours, un « autre islam », spirituel et gnostique, devant être considérécomme la source de ce qui fut l’une des plus brillantes civilisations que lemonde ait connu : l’islamisme40.

Le terme d’ « islamisme » a hélas pris en Occident (chrétien),depuis vingt ou trente ans, un sens spécialisé, politique, généralementpéjoratif, qui tend à assimiler l’islam à la violence, à l’intégrisme et au ter-rorisme (Islam = islamisme = intégrisme = terrorisme).

Ce dangereux glissement de sens est essentiellement le fruit d’unediabolisation du monde musulman dans son ensemble, orchestrée par lesgrands médias occidentaux qui, selon des stratégies déjà largement éprou-vées, attisent la peur et la haine de l’« étranger » en s’appuyant sur desréflexes nationalistes et racistes hérités d’un passé récent, celui de la déco-lonisation en Afrique du Nord, ou plus lointain, celui des guerres de reli-gions et des croisades qui virent s’affronter de manière sanglante, pour ladomination du monde et des esprits, Chrétienté et Islam41.

Les discours et les prises de position, qui visent à construire uneimage négative et menaçante de l’islam, font oublier que la violence desislamistes est avant tout une réponse, une réaction, à celle des grandsÉtats européens et en particulier des Etats-Unis (il s’agit ici d’une contre-violence politique).

51. Mani Christ d’Orient Bouddha

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Mani Christ d’Orient Bouddha d’Occident .

D i a g r a m m e 1 6

D i a g r a m m e 1 5

LES TROIS MONDES (2)

ORIENT

OCCIDENT

MOYENORIENT

INTELLIGIBLE

SENSIBLE

IMAGINAL

LA STRUCTURE ABSOLUE (V)

MONDE SPIRITUEL

MONDE SUBTIL

MONDE GROSSIER

CIVILISATION OU BARBARIE ?CIVILISATION

BARBARIE

Violence

Non-violence

MODERNITÉTRADITION

Démocratie

Matérialism

eLa

ïcité

Libéralisme

D i a g r a m m e 1 6

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53. Mani Christ d’Orient Bouddha

PROJET « SCIENCE ET GNOSE »43

SPIRITUALITÉ

SCIENCE DE L’ESPRITConscience

SCIENCE DE LA MATIÈREIntelligence

Voyant(observation connaissante)

Penseur(observation distanciée et impliquée)

Investigation du suprasensible Investigation du sensible

CHANGER LA CONSCIENCE CHANGER LES STRUCTURES

RATIONALITÉ

Nouveau paradigmeRisques de dérive mystico-occulte

R É F L E X I O N É P I S T É M O L O G I Q U E

D I A L O G U EN O N R A T I O NA L I T É / R A T I O NA L I T É

É D U C A T I O N T R A N S V E R S A L E

D i a g r a m m e 1 7

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Mani Christ d’Orient Bouddha d’Occident .

PENSÉE COMPLEXE

SUPRA RATIONNEL (ILLUMINATION)

IRRATIONNEL (SENSATION)

NON RATIONNEL(SYMBOLE)

RATIONNEL(CONCEPT)

HOMO SAPIENS

HOMO DEMENS

LA RÉFORME DE LA PENSÉE47

D i a g r a m m e 1 9

PASSERELLES44

INCOMPLÉTUDE

INCERTITUDE COMPLEXITÉ

RELATIVITÉ

SCIENCE

SPIRITUALITÉ

Erreurs catégorielles

D i a g r a m m e 1 8D i a g r a m m e 1 8

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55. Mani Christ d’Orient Bouddha

Dans la continuité des recherches menées par R. Barbier (L’approche transversale)et E. Morin (les 4 volumes de la Méthode), nous pensons qu’il est indispensable de réformerla pensée et l’éducation pour faire face aux véritables enjeux spirituels, scientifiques, moraux,économiques et politiques de notre époque (ère du Verseau)45.

Une éducation nouvelle, globale et intégrale, envisageant la conjonction de l’intel-ligence spirituelle, de la plus haute rationalité, de la sensibilité la plus aiguë, et d’un com-portement adéquat et conséquent, doit nous conduire au-delà d’une connaissancefragmentée qui, rendant invisibles les interactions entre le Tout et ses parties, brise « le complexe »et occulte les problèmes essentiels46.

Ceux-ci estiment légitime et logique la domination sans partagequ’ils exercent depuis la fin de l’Empire soviétique sur l’économie et lapolitique mondiale et tendent à oublier le fait que l’Occident « a vaincu lemonde non parce que ses idées, ses valeurs, sa religion étaient supérieu-res – rares ont été les membres d’autres civilisations à se convertir –, maisplutôt par sa supériorité à utiliser la violence organisée. Les Occidentauxl’oublient souvent, mais les non-Occidentaux jamais » (Huntington)42.

Les événements les plus tragiques de l’Histoire récente montrentqu’il est vain de croire que la violence politique et religieuse est le seul fait

QUÊTE DU SENS ET ÉDUCATION TRANSVERSALE

INITIATIONÉDUCATION

SAGESSE

POLITIQUE

R E L I G I O N PHILO-SCIENCE

Liberté

Responsabilité

Mystique Ésotérisme

Éthique Écologie

D i a g r a m m e 2 0

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Mani Christ d’Orient Bouddha d’Occident .

de l’islam : le génocide du Rwanda a été organisé par des factions catho-liques et soutenu par des Etats modernes comme la France ou la Belgique,et la purification ethnique à l’encontre des musulmans bosniaques fut prin-cipalement le fait de serbes, chrétiens orthodoxes, aidés par la Russie.

Il est donc impossible de parler de « frontières sanglantes de l’is-lam » (Huntington) sans évoquer simultanément les « frontières san-glantes de la chrétienté » orthodoxe et catholique au cœur de l’Europe,ou les « frontières sanglantes de l’hindouisme » au Cachemire et au SriLanka, ou encore les « frontières sanglantes des intérêts des grands Etatseuropéens ou américains » dans les lignes de frontière entre le Nord et leSud (Ramonet)48.

La question qui se pose maintenant est la suivante : menacé par lapuissance grandissante de la Chine confucéenne49 et de l’islam, qui necesse de progresser en France, en Europe et dans le monde, l’Occidentchrétien parviendra-t-il à conjurer son déclin, amorcé au début de cesiècle ? Dans un monde désormais « multipolaire et multicivilisationnel »,saurons-nous apprendre à coexister pacifiquement, comme l’indiquèrentBouddha, Jésus ou Mani en leur temps, ou bien nos différences nouspousseront-elles vers un nouveau type de conflit plus violent que ceuxque nous avons connu depuis un siècle50 ? C’est aussi à cette question« cruciale » que ce livre tente de répondre, en proposant un point de vuedifférent, « autre », sur de nombreux problèmes ou énigmes qui résistentaux méthodes d’investigation traditionnelles.

Un mot pour conclure. Malgré tous les efforts fournis par sesadversaires pour effacer de l’histoire jusqu’au souvenir même de son exis-tence en détruisant systématiquement ses livres, ses peintures et ses dis-ciples, nous voyons de nos jours apparaître et croître un intérêt renou-velé pour la personne de Mani et sa doctrine « œcuménique »a. Des récitsromanesques et des études érudites lui sont consacrés ; des archéologuesdécouvrent avec régularité des vestiges de communautés manichéennesou des textes originaux en Asie centrale, en Égypte et en Afrique du Nord ;des intellectuels et des chercheurs de Vérité, dans leur quête de valeurset de solutions nouvelles aux problèmes de notre temps, s’intéressent ànouveau à la pensée gnostique et au dualisme absolu du Prophète iranien.

a . Ce n’est probablement pas un hasard si ce livre, qui est le fruit de neuf ans de recher-ches, jour pour jour, paraît en 2002, année « manichéenne » par excellence (2+2=4).

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57. Mani Christ d’Orient Bouddha

Le temps est venu, semble-t-il, où la Vérité universelle cachée au cœur dela Gnose manichéenne, peut resurgir des ténèbres de l’imposture et del’erreur afin de parler au cœur de beaucoup.

Notre souhait est que le contenu de ce livre puisse contribuer àcet effort de réhabilitation et de « résurrection » de la philosophie de laLumière de Mani qui prend forme aujourd’hui internationalement, et qu’iltémoigne du fait que la Gnose est plus actuelle et plus moderne que jamais51.Puisse-t-il aussi trouver un écho favorable chez ceux qui cherchent lechemin du retour dans le Royaume de la Lumière et aspirent sincèrementà rencontrer de leur vivant le « Guide de notre temps », « le Paraclet dela Vérité ».

0 1 a v r i l 1 9 9 3 – 2 7 j u i l l e t 1 9 9 52 7 j u i l l e t 1 9 9 5 – 0 1 a v r i l 2 0 0 2

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59. Mani Christ d’Orient Bouddha

Ouverture :Récit(s) d’Exode

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PPLe Chant de la Perle

résentation

Nous avons choisi d’ouvrir et également de clore ce premier cha-pitre par deux récits initiatiques qui illustrent le mythe gnostique de ladescente et de la remontée de l’âme et présentent, par endroits, des paral-lèles frappants avec la vie légendaire de Mani telle qu’elle est relatée dansle Codex manichéen de Cologne (CMC)a52.

Le premier récit, le Chant de la Perle ou Hymne de l’âme, dont l’auteurnous est inconnu, est issu d’un ouvrage apocryphe chrétien, les Actes deThomas (ce dernier, considéré par les gnostiques comme le « jumeau deJésus », est l’Apôtre qui évangélisa l’Inde). Divers indices géographiques,linguistiques et historiques montrent que le poème, de langue syriaque, aété élaboré en milieu irano-parthe, au plus tard dans le premier quart duIIIème siècle.

Le second récit, le Récit de l’exil occidental, que nous devons à l’iranienSohravardi, se présente comme la forme proprement islamique du Chantde la perle (celui-ci illustre au mieux la permanence de l’Idée gnostique et deses « continuités » à l’intérieur des grandes traditions religieuses, dont lamise en lumière est le propos essentiel de ce livre)53.

L’argument de l’Hymne de l’âme est simple : le fils du Roi del’Orient est envoyé en mission en Egypte à la recherche d’uneperle précieuse qui repose au fond de la mer, près de l’antre d’un serpent.

a. Dans le gnosticisme, l’Occident ou l’Égypte est identifié avec le monde de la Matière, commel’atteste, par exemple, un fragment de texte manichéen d’origine iranienne où Mani mourant quit-te l’Égypte (misraim). Orient et Occident ne devant pas être compris dans un sens géographiquemais métaphysique, nos deux récits d’initiation proposeront donc, chacun à leur manière, unerelecture et une herméneutique spirituelle de l’exode d’Egypte et du retour au pays d’Israël, quiest la Terre promise des juifs, la Terre pure des bouddhistes, la Terre de lumière des manichéens,le Paradis des chrétiens et des musulmans, la véritable patrie de tous les Gnostiques (le mondespirituel dont ils portent tous témoignage est le même monde). Cf. Andreas-Henning,Mitteliranische Manichäica III (Sitz. ber. d. Pr. Akad. d. Wiss. Phil. hist. Kl. 1934), p. 18, cité par H.Corbin, En islam iranien, vol. II, p. 267 ; L’Archange empourpré, p. 281.

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Au cours de sa quête, le jeune Prince sombre dans l’inconscience et lesommeil, victime de la perfidie de ses ennemis. Sa famille s’émeut de sonsort et conçoit un plan pour l’arracher à sa condition : sous la forme d’unaigle, une lettre lui est envoyée afin de lui rappeler ses origines et le butde son voyage. Le « cri » de l’oiseau le réveille et les paroles gravées dansson cœur par ses parents avant son départ lui reviennent en mémoire : ilse dirige vers l’antre du serpent, l’endort en prononçant sur lui « le Nom »de son Père, de son frère et de sa Mère, lui arrache la perle, et rentre danssa patrie, victorieux. À la frontière entre l’Orient et l’Occident, il sedépouille de son ancien vêtement, et reçoit le manteau royal, la robe delumière, qui lui avait été promis dès le commencement.

De son côté, le Récit de l’exil occidental rapporte comment un jeuneprince oriental, voyageant en Occident, est fait prisonnier par leshabitants de la ville de Qayrawan et jeté, enchaîné, au fond d’un puitsdont il ne peut s’échapper que la nuit (à la condition toutefois de revenirchaque matin). Une nuit, une huppe lui apporte un message de la part deson père, qui lui rappelle sa mission et l’invite à rentrer chez lui, dans savéritable patrie. Alors commence le voyage de retour vers l’Orient, marquépar la traversée de l’océan des passions, puis l’ascension de la montagnede Qaf (le montagne sacrée) jusqu’au Sinaï mystique où réside sa famille.Le récit s’achève par la rencontre avec l’Ange et le renvoi en Occidentafin de participer au sauvetage de l’humanité.

Qu’il y ait un parallélisme certain entre le Chant de la Perle et leRécit de l’Exil occidental, on ne saurait le nier (les recherches menées parCorbin le démontrent amplement54 ). Dans les deux textes, structurés entrois « moments », apparaissent les thèmes gnostiques de l’oubli, del’appel, de la ressouvenance et de la rédemption, ainsi que certains sym-boles comme la perle, le vêtement, la lettre, le puits ou le double.Toutefois, nous pensons que le lien instauré entre les récits (et l’ensei-gnement de Mani ou de Van Rijckenborgh) ne devient évident que si l’onaccepte l’interprétation ésotérique et initiatique que nous prêtons à cesdifférentes figures.

La base de notre explication repose sur le fait spirituel suivant : leprincipe fondamental de la libération consiste dans la possession ducorps de l’âme, du nouveau vêtement de lumière, qui rend possible larencontre et l’union mystique de la « flamme monadique » au centre dumicrocosme humain (l’Homme de lumière qui provient de la Surnature),

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et de la personnalité née de la Nature (l’homme de ténèbres). Ce corpssuprasensible, supralumineux ou glorieux, naît aussitôt que l’âme divineéveillée dans le cœur (la perle) peut entrer en liaison avec l’EspritSeptuple au sommet du sanctuaire de la tête, dans la pinéale (le vase).Alors apparaît instantanément un champ lumineux incandescent qui sedéploie comme un vêtement sphérique tout autour du pèlerin spirituel.Celui qui vit dans le corps de l’âme retrouve sa filiation divine et entredans l’éternité.

Cette nouvelle genèse conduisant à la formation d’un Hommenouveau se développe en cinq phases55 : ce qui est nécessaire en premierc’est le désir de délivrance, accompagné d’un détachement du mondetrompeur (c’est le moment du récit où le jeune héros prend consciencede son emprisonnement et se rappelle sa mission) ; alors a lieu, deuxième-ment, l’entrée de l’âme dans le sanctuaire du cœur (cette phase cor-respond à la remise de la lettre par l’oiseau divin, dont les termes sontdéjà gravés sur les « tablettes du cœur »). La troisième tâche à accomplirest l’élévation de l’âme, qui oriente son regard intérieur vers le sommetdu feu du serpent, vers le « mont sacré » du crâne « d’où viendra le salut » ;cela implique que l’ancienne conscience, l’ancien moi, accepte de disparaîtrejournellement pour laisser place à l’Autre en lui (c’est la luttequ’entreprend le jeune prince, le « jeune homme », contre le serpentimpur ; dans le texte de Sohravardi, c’est la traversée du Ciel microcosmique,typifiée par une navigation et une série d’images apocalyptiques et alchi-miques). L’étape suivante du processus de renaissance est la liaison del’âme engendrée dans le cœur avec l’Esprit dans la pinéale, d’où résultela manifestation du nouveau vêtement de l’âme (c’est la lettre qui prendmaintenant une forme concrète, visuelle, pour le Prince et le guide jusqu’àla frontière entre les deux mondes ; c’est aussi l’arrivée du pèlerin auSinaï mystique et la rencontre corporelle avec l’« Ange monadique » auterme du voyage initiatique). La cinquième tâche maintenant dévolue aucandidat aux Mystères divins consiste à transférer la nouvelle conscienceilluminée du corps matériel dans le double éthérique, dans le « corps dumilieu » (c’est la réception du manteau royal où sont gravés les secrets dela Haute Connaissance ; de même, c’est le miroir sacré où l’homme « royal »contemple son double, son jumeau avec ses « yeux de lumière » et s’unità lui de manière indissoluble). Celui qui a gravi ces cinq marches

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maîtrise et contrôle alors son systèmeentier et entre dans un nouvel état devie, dont Hermès, le Père de tous lesgnostiques, témoigne en disant : « Je mesuis quitté moi-même pour ressusciterdans un corps immortel. Je ne suis pluscelui que j’étais, mais je suis rené duNoûs [le principe de l’Âme-Espritrenée]. »

Tel est, selon nous, le grandioseprocessus rapidement esquissé auquelappellent depuis l’origine des temps laGnose universelle et tous les messa-gers de la Lumière, et dont témoignè-rent l’auteur anonyme du Chant de laPerle et Sohravardi, le maître desOrientaux.

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Le Chant de la Perlea

Exposé du Thème

1. Encore enfant, je vivais dans mon royaume, la maison de mon Père,jouissant de l’abondance des richesses que me prodiguaient mes parents,lorsqu’ils m’envoyèrent, après m’avoir équipé, loin de l’Orient, ma patrie.

2. Ils puisèrent abondamment dans la richesse de notre trésor et en firentun ballot qu’ils m’attachèrent ;

3. Il était gros, et pourtant si léger qu’à moi seul je pouvais le porter.

4. C’était de l’or du pays d’Ellâjé, de l’argent du grand royaume de Kasak,des chalcédoines d’Inde, des pierres chatoyantes du pays de Kushân.

5. Ils me ceignirent du diamant qui taille le fer.

6. Ils me retirèrent le vêtement resplendissant que, dans leur amour, ilsm’avaient fait, ainsi que mon manteau de pourpre, tissé et ajusté à mamesure.

Mani Christ d’Orient Bouddha d’Occident .

a Cette proposition de traduction (libre) a été établie à partir de celles réalisées par P.-H. Poirier(L’Hymne de la perle des Actes de Thomas, « Homo religiosus 8 » Louvain-la-neuve, 1981, p. 343-348 ;Écrits apocryphes chrétiens, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1997, p. 1418-1425), J. Ménard (LeChant de la perle, Cariscript, 1991, p. 27-35), J. Magne (article « Le Chant de la perle à la lumière desécrits de Nag-Hammadi », Cahiers du cercle Ernest-Renan n° 100, 1977, p. 25-36), H. Leisegang(La Gnose, Payot, 1951, p. 257-260) ; C. Siegert (Mani - Perlenlieder, hermanes T. Verlag, p. 188-194).L’original syriaque se trouve dans l’ouvrage de P.-H. Poirier (1981, p. 329-336). Pour la commoditéde la lecture, nous avons subdivisé le texte en paragraphes. Cette répartition, qui n’existe pas dansl’original, a été faite selon ce qui a paru le plus judicieux pour l’intelligence du récit.

M o m e n t 1 : L a m i s s i o n

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7. Ils conclurent un pacte avec moi et ils l’écrivirent dans mon cœur, afinque je ne l’oublie pas : « Si tu descends jusqu’au fond de l’Égypte, et quetu rapportes la perle unique, celle qui est au milieu de la mer, là où demeu-re le serpent sifflant, tu revêtiras à nouveau ton vêtement resplendissantet ton manteau ajusté à ta mesure qui le recouvre, et avec ton frère, notreSecond, tu seras l’héritier de notre royaume. »

8. (C’est ainsi que) je quittai l’Orient.

9. Je descendis accompagné de deux messagers, car le chemin étaitdifficile et semé d’embûches et j’étais encore jeune pour un tel voyage.

10. Je franchis les frontières de la Mésène, le point de rencontre desmarchands de l’Orient, atteignis le pays de Babel et passai les murs deSarbug (= Labyrinthe56).

11. Je descendis jusqu’au fond de l’Egypte ; là, mes compagnons mequittèrent.

12. Je me dirigeai directement vers le serpent et restai aux alentours de sademeure, attendant qu’il s’endorme afin de lui ravir la perle.

13. Alors qu’ainsi je me trouvai absolument seul, étranger aux habitantsde ces lieux, je vis un de ceux de ma race, un homme libre, un oriental,jeune, beau et gracieux, un fils de l’onction ; il s’approcha et se lia à moi,et je fis de lui mon ami intime, mon compagnon à qui je confiai monaffaire.

14. Il me mit en garde contre les Égyptiens et le contact avec les êtresimpurs, et je me revêtis de leurs vêtements, afin que personne ne mesoupçonnât d’être un étranger venu pour s’emparer de la perle, nin’excitât le serpent contre moi.

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Moment 2 : La descente et l’oubli (la traversée de l’Entre-deux)

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15. Mais pour une raison ou pour une autre, ils remarquèrent que je n’étaispas un fils de leur pays ; par leurs ruses perfides ils me prirent au piège etils me donnèrent à manger de leur nourriture.

16. J ’oubl ia i que j ’éta is f i l s de roi et je ser vis leurs rois.J’oubliai la perle pour laquelle mes parents m’avaient envoyé (faire ce voyage) et àcause de la lourdeur de leur nourriture, je tombai dans un profond sommeil.

17. Mais mes parents surent tout ce qui m’était arrivé, et en furent affli-gés.

18. Un message fut proclamé dans notre royaume, ordonnant à tous lesrois et les chefs de Parthie, à tous les grands de l’Orient, de venir à la cour(de notre palais),

19. Et ils décidèrent de ne pas m’abandonner en Égypte.

20. Ils m’écrivirent alors une lettre, que chaque grand signa de son nom :« De ton Père, le Roi des Rois, de ta Mère, la souveraine de l’Orient, et deton Frère, notre second, à toi, notre Fils en Egypte, salut ! Réveille-toi,sors de ton sommeil et écoute les paroles de notre lettre. Souviens-toi quetu es fils de roi. Vois dans quel esclavage tu es tombé.Souviens-toi de la perle pour laquelle tu es parti en Égypte. Pense au vête-ment resplendissant que tu revêtiras. Pense au manteau glorieux dont tute pareras lorsque dans le livre des héros ton nom sera écrit et qu’avec tonfrère, notre Second, tu hériteras de notre royaume. »

21. Le Roi avait scellé la lettre de sa main droite contre la méchanceté desfils de Babel et des démons furieux de Sarbug.

22. Elle s’envola comme l’aigle, le roi de tous les oiseaux ; elle vola, seposa près de moi et devint toute parole.

23. Je m’éveillai au son de son cri et je sortis de mon sommeil. Je la priscontre moi, l’embrassai, défis son sceau et lus.

Mani Christ d’Orient Bouddha d’Occident .

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24. Les paroles de la lettre étaient celles-là mêmes qui étaient gravées dansmon cœur. Je me souvins alors que j’étais fils de roi, et la noblesse de manaissance se rappela à moi. Je me souvins de la perle pour laquelle j’avaisété envoyé en Egypte.

25. C’est ainsi que je me mis à charmer le terrifiant serpent sifflant. Enprononçant sur lui le nom de mon Père, le nom de notre Second et celuide ma Mère, la reine de l’Orient, je le plongeai dans le sommeil. Je m’em-parai alors de la perle et me retournai (entrepris de retourner) vers la mai-son de mon Père.

26. Leur vêtement souillé et impur, je m’en dépouillai et l’abandonnaidans leur pays, puis je me mis en route vers la lumière de l’Orient, notrepatrie.

27. Ma lettre, qui m’avait tiré hors du sommeil, me précédait sur le che-min ; de même qu’elle m’avait éveillé par sa voix, elle me guidait mainte-nant par sa lumière : l’éclat resplendissant de la soie de Séleucie m’éclai-rait et par ses paroles, m’encourageait dans ma hâte, me guidant et m’at-tirant dans son amour.

28. Je sortis (d’Égypte), passai Sarbug, laissai Babel sur ma gauche et par-vins à la grande Mésène, le port des marchands sur le bord de la mer.

29. Là me furent portés, des hauteurs d’Hyrcanie, mon vêtement resplen-dissant que j’avais quitté et ma toge qui le recouvrait, de la part de mesparents, par leurs trésoriers, à qui on les avait confiés à cause de leur fidélité.

30. Soudainement, alors que je ne me souvenais plus de la façon dont ilétait fait, car j’étais encore enfant lorsque je l’avais laissé dans la maisonde mon Père. Dès qu’il fut devant moi, mon vêtement resplendissant meressembla tel mon miroir. Je le vis en moi-même tout entier, comme moi-même je me retrouvai tout entier en lui, car deux étions-nous dans la divi-sion, séparés l’un de l’autre, et pourtant un à nouveau, dans une seuleforme.

31. Il en fut de même pour les trésoriers qui me l’avait apporté, je vis aussi67. Mani Christ d’Orient Bouddha

Moment 3 : Le retour et la réintégration

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qu’ils étaient deux et pourtant une seule forme, car unique était le sceaugravé sur eux, celui du roi qui, par leurs mains, me rendait le gage de marichesse : mon vêtement resplendissant, magnifique, orné d’éclatantescouleurs, d’or, de béryles, de chalcédoines et de pierres chatoyantes, tou-tes ses coutures bien cousues dans sa hauteur, rehaussées de diamants.L’image du Roi des rois le recouvrait tout entier et ses couleurs étince-laient comme des saphirs.

32. Je vis qu’il vibrait tout entier des forces de [la connaissance] et commeà parler je vis aussi qu’il s’apprêtait, j’entendis le son des mélodies qu’ilmurmurait en s’approchant : « J’appartiens au plus dévoué des serviteurs,à la mesure duquel j’ai été taillé devant (la face) du Père ; j’ai senti que mataille croissait avec ses œuvres ». Dans son émotion royale, il se tendaitvers moi de tout son être et me poussait à le prendre des mains de ceuxqui le présentaient. Mon amour me pressait aussi à courir à sa rencontre et àle recevoir.

33. Je me tendis vers lui, et le reçus.

34. Je me parai de la beauté de ses couleurs et m’enveloppai tout entier demon manteau aux teintes éclatantes.

35. Ainsi revêtu, je remontai à la porte du salut et de l’adoration.Je courbai la tête, et j’adorai la splendeur de mon Père, dont j’avais suiviles ordres et qui avait accompli ce qu’il avait promis en envoyant monvêtement vers moi.

36. À la porte de ses princes, je me mêlai aux grands, il se réjouit à monsujet et me reçut, et je fus avec lui dans son royaume. Tous ses serviteursle louaient devant son [trône] en l’invoquant. Il me promit que j’irais aussiavec lui à la porte du Roi des rois et que je paraîtrais en même temps quelui devant notre Roi, avec l’offrande de ma perle.

Mani Christ d’Orient Bouddha d’Occident .

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69. Mani Christ d’Orient Bouddha

Il y a en chaque serviteurdu Christ une indicible nostalgie, la nostalgie de la réalisation et de l’ac-complissement parfait du plan de Dieu pour le monde et l’humanité. Cesentiment s’explique par le fait que, quel que soit l’effort fourni par le ser-viteur dans le vignoble de Dieu, quelle que soit la magie de son oeuvre,quel que soit le zèle déployé par lui pour exécuter la tâche reçue, la réali-sation de l’univers ne progresse, dans le meilleur des cas, qu’extrêmementlentement.

Voilà ce qui suscite la nostalgie du serviteur de Dieu ! Il ne pourradonner qu’un seul coup de marteau sur le fer qu’il faut forger. Voilà son chagrin,voilà le drame de sa vie ! Et pourtant c’est là l’épreuve qui montrera s’ilest fidèle, comme Lui est fidèle de toute éternité ; s’il se contente deservir ; s’il est totalement disposé à exécuter la mission que son Dieu intérieurlui donne.

Ainsi s’en vont-ils de par le monde, ces travailleurs, figures deJean qui, liés en une chaîne divine et poussés par l’Esprit-Saintdoivent accomplir l’Oeuvre, ici, dans le temps. Chacun d’eux accompa-gne la masse des hommes dans son exode à travers le désert de la viecomme l’un des leurs. Ce sont les Envoyés de Dieu, venus pour témoignerde la Lumière.

Ils ne sont pas la Lumière, mais ilssont les messagers de la Lumière.

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Mani Christ d’Orient Bouddha d’Occident .

M« Je suis venu du pays de Babel pour faire retentir un Cri à travers le monde57 ».

C’est ainsi que Mani caractérisa sa mission en tant qu’« Envoyé »,« Messager » ou « Apôtre de la Lumière » : apporter le message de la Libérationà tous ceux qui veulent s’élever, par un processus de transmutation, de la viematérielle jusqu’à l’Homme-Âme-Esprit, et cela en dehors de tous critères derace, de nationalité, de religion ou de classe sociale.

Sa vie nous offre un exemple clair, un modèle parfait, de ces diffé-rentes phases de transformations et d’épreuves par lesquelles tout être humaindoit passer s’il veut vaincre la mort, dès son incarnation présente, et atteindreau statut de Né deux-fois, de Ressuscité, de Vivant.

Révéler les Mystères du christianisme gnostique, en tant que chemin d’ini-tiation menant à la Vie divine, au Royaume, par un processus en trois temps (pha-ses Jean, Jésus et Christ), telle était la véritable fonction du « mythe de la vie » deMani qu’aimaient à raconter et propager ses disciples.

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Selon la légende Mani est né en Babylonie le 14 avril 216, dans une régionqui fut pendant plusieurs millénaires le foyer de grandes et puissantes civilisations,comme Sumer ou la Perse. De là l’épithète de al-babilyu, le Babylonien, qui lui estattribué par les auteurs arabes et ses titres de « messager du Dieu de la Vérité venude Babylonie », ou de « Médecin issu de Babel », que lui octroient les textes mani-chéens58.

Les conditions merveilleuses de sa naissance, annoncée par des songes etdes prédictions, l’apparentent au Bouddha, à Jésus, à Mahomet et à beaucoup d’au-tres grands instructeurs spirituels59 . Les traditions manichéennes font de lui un filsde famille noble, proche des Arsacides, souverains parthes alors régnants, et le décri-vent comme « boiteux » de naissance60. Dès l’âge de quatre ans, Mani est retiré à lagarde de sa mère, Maryam (Marie), et vient s’installer avec son père, Patîk, chez lesElkhasaïtes. Il s’agit d’une communauté religieuse de type judéo-chrétien et gnos-tique qui respectait scrupuleusement les règles de pureté issues de la tradition juivetout en restant fidèle à l’enseignement intérieur du Christ. C’est dans ce milieu pri-vilégié et protégé que Mani grandit, forme sa pensée, et se prépare à samission prophétique.

À douze ans, celle-ci lui est confirmée une première fois par une révélationintérieure (c’est la première manifestation du Jumeau, du Double céleste), qui luidécouvre sa tâche particulière et le conduit à étudier toutes les religions et philoso-phies, aussi bien celles du passé que celles de son temps. Sa recherche aboutit à laconclusion que la Vérité n’y est présente qu’en partie : les Évangiles chrétiens, enparticulier,ne sont pas des sources fiables en raison des altérations et des interpolationsauxquelles ont été soumis les textes originaux ; Mani rejette aussi l’AncienTestament parce qu’il appartient à une phase maintenant révolue du développe-ment de l’humanité : l’enseignement du Christ, qui révéla la véritable nature du Pèreet l’existence du Royaume en l’homme et hors de l’homme, a définitivement abolile règne de la Loi et a remplacé la soumission à des autorités extérieures – idées oupersonnes – par l’autonomie de la conscience individuelle61 . Le jeune prophète sedonne alors pour mission de remettre en lumière ce qui reste de la Vérité universelle71. Mani Christ d’Orient Bouddha

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Mani Christ d’Orient Bouddha d’Occident .

dans les grandes religions et en vient à penser que le temps est venu oùun « Nouvel Appel » doit retentir. À l’âge de vingt-quatre ans, Maniconnaît une seconde révélation par l’intermédiaire de l’« Autre » en lui,qu’il appelle son « Jumeau » ou son « Compagnon ». C’est l’Âme-Espritunie à l’Esprit de Vérité [Esprit-Saint] dans son microcosme, qui luiapparaît directement, l’enseigne et le guide dans sa nouvelle tâche : établirune nouvelle religion mondiale, tolérante et humaniste, une nouvelle« Église intérieure », un nouvel ordre initiatique au service de la« Fraternité de la Lumière » (ou encore : « Fraternité de Shamballa »).

Dans les textes manichéens coptes, ce Compagnon divin est encoreappelé « Saïs » ou le « Vivant Paraclet ». Le Paraclet ou « Consolateur » est,nous le savons, l’une des désignations de l’Esprit-Saint dont le retour estpromis par Jésus à ses disciples dans l’Évangile de Jean. Souvent conçu parl’esprit religieux comme un phénomène extérieur à l’homme devant semanifester par le retour du Christ dans l’Histoire, le retour du Paraclet estinterprété par les gnostiques comme la révélation intérieure de l’Esprit àl’homme illuminé, prélude à tout développement spirituel. Voici com-ment cet événement décisif de la « descente de l’Esprit » dans le sanc-tuaire de la tête – aussi appelé « couronnement » dans la langue desMystères – nous est rapporté par Mani dans les Kephalaïa coptes62 [il s’agitde l’un des principaux ouvrages manichéens retrouvés en Égypte, en1930, qui regroupe différents enseignements de nature ésotérique trans-mis par Mani, « l’Homme de lumière », à ses disciples] :

Dans les années d’Ardashir, Roi de Perse, je grandis et atteignis la maturité.L’année même [240] où Ardashîr...(mourût), le Paraclet Vivant descendit vers moi et meparla. Il me révéla le Mystère secret, caché aux mondes et aux générations, le mystère dela Profondeur et de la Hauteur. Il me révéla le mystère de la Lumière et des Ténèbres,le mystère du Combat et de la Guerre et de la Grande Guerre que les Ténèbres ont sus-cités. Il me révéla aussi comment la Lumière a (subjugué) les Ténèbres par leur mélangeet comment le monde a été fondé. Il m’expliqua là-dessus comment les Vaisseaux ontété constitués afin que les dieux de la Lumière descendent en eux pour purifier la lumiè-re extraite de la création et rejeter dans l’abîme le déchet et la défluxion ; (il m’expliqua)le mystère de la formation d’Adam, le premier homme. Il m’enseigna aussi le mystère del’Arbre de la Connaissance dont Adam mangea (ensuite de quoi ses yeux furent capa-

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bles de voir). Aussi, le mystère des Apôtres qui ont été envoyés dans le monde afind’ « élire » les Églises ; le mystère des Elus et de leurs commandements, le mystère desCatéchumènes, leurs auxiliaires, et de leurs commandements ; le mystère des pécheurset de leurs oeuvres, du châtiment qui les menace. De la sorte, tout ce qui a été et tout cequi sera m’a été révélé par le Paraclet. Tout ce que l’œil voit, et que l’oreille entend et quela pensée pense [...], j’ai tout connu par lui, j’ai tout vu grâce à lui et je suis devenu (aveclui) un seul corps et un seul esprit.

La seconde de ces « annonciations » [ou révélations de l’Esprit],qui coïncide synchroniquement avec le couronnement de Shapur63

comme co-régent d’Ardashira, Roi de Perse et « Roi du Monde », marquele véritable début de la nouvelle religion : l’Esprit-Saint, l’Esprit de Vérité,confirme Mani dans sa qualité et sa vocation d’Apôtre de la Lumière,d’Illuminateur suprême envoyé par Dieu.

73. Mani Christ d’Orient Bouddha

14.4.216 Naissance de Mani en Babylonie.28.4.224 Victoire d’Ardashir sur Artaban V. Fin de la dynastie parthe des Arsacides et

début de la dynastie perse des Sassanides. Vers 220, Mani rejoint son pèreFataq (Patiq) dans la communauté des Elkasaïtes.

1.4.228 Mani reçoit sa première révélation à l’âge de 12 ans.18.4.240 Mani reçoit sa seconde révélation. Cette date correspond à la « naissance-

selon l’Esprit » du Prophète et marque le début de sa Mission. Shapur est cou-ronné « Roi » et co-dirige l’Empire perse avec Ardashir, son père. Voyages deMani en Inde et en Asie centrale de 240-243.

241 Mort d’Ardashir. Shapur lui succède comme Roi des rois.243 Mani revient en Iran. Rencontre officielle entre le Prophète et Shapur. Pendant

les vingt-quatre années qui suivent, missions de Mani et des ses prochesdisciples dans tout l’Empire iranien, le Nord-Ouest de l’Inde, jusqu’en Syrie eten Égypte.

260 Victoire de Shapur contre les romains : l’empereur Valérien est fait prisonnier.La Perse devient la première puissance mondiale de l’époque.

271 Mort de Shapur. Son fils Hormizd lui succède et meurt l’année suivante, pro-bablement empoisonné par les Mages. Bahram, son frère accède au trône. Lespersécutions contre les manichéens débutent à l’intérieur de l’empire Perse, àl’instigation du Grand Mage Kirdir.

31.1.277 Mani est arrêté, jugé et condamné à mort. Début de la « Passion ».

a . Shapur co-dirigera le pays avec son père Ardashir pendant deux ans jusqu’à la mort dece dernier. Ardashir est aussi le fondateur de la dynastie des Sassanides, qui dirigera l’Iranjusqu’à l’invasion arabe en 637.

Tableau 2 : Dates et points de repères64

Après 26 jours de détention, la « Crucifixion » de Mani prend fin : mort duProphète de l’Iran (26.2.277).

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Mani Christ d’Orient Bouddha d’Occident .

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Le temps est enfin venu pour lui de se manifester afin de divul-guer et de répandre le message d’espoir et de salut qui lui a été révélé.C’est probablement à cette occasion que le jeune homme change sonnom civil (qui nous est inconnu) pour celui de Mani.

Pour commencer, le nouveau Prophète de l’Iran se tourne versses anciens coreligionnaires, mais en vain car ceux-ci le rejettent comme« hérétique » et l’excluent de la communauté sous prétexte qu’il dévie dela Loi pour se tourner vers l’ « hellénisme ». Suite à son éviction, Mani serend d’abord à Ktésiphon, accompagné de son père et de deux disciples,puis dirige ses pas vers l’Inde en suivant l’itinéraire emprunté deux sièclesplus tôt par le légendaire apôtre Thomas, le « Jumeau de Jésus ».

Dans un premier temps Mani tente d’implanter son Message dans lescommunautés chrétiennes disséminées entre Caucase et Inde, se familiarisantau passage avec la culture bouddhique et la riche pensée indienne. Mais ce pre-mier voyage missionnaire au nord ouest de la péninsule indienne, dans le Turanet le Makran, se révèle un échec, dont il témoignera en ces termes : « Ces genssupportent des rois, accueillent les césars et les satrapes qui sont parmi eux.Mais la Vérité que j’ai prêchée parmi eux, ils ne l’ont pas accueillie ; ils n’ont pasécouté le message de Vie que j’ai dit parmi eux65. »

Deux ans plus tard Mani revient en Iran, après la mort d’Ardashir(242), qui marque le début du règne unique de son fils, Shapur. Une entrevueest alors ménagée entre lui et le nouveau Roi des rois par le plus jeune frère decelui-ci ; au terme de cet entretien la permission lui est accordée de prêcherlibrement sa nouvelle doctrine dans l’Empire iranien, alors immense et puissant,puisqu’il se posait en rival direct de Rome. À cette occasion, une amitié solidese noue entre les deux hommes : « l’homme le plus puissant du monde » fait deMani son conseiller et son médecin personnel et lui donne une place danssa « suite » (Keph. 1)66.

Protégé par le pouvoir royal, Mani parcourt inlassablementl’Empire en tous sens, à pied malgré son infirmité.

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Dans le Kephalaïa 76, il déclare avoir parcouru le monde, en cou-rant littéralement « sur la pointe des pieds », prêchant partout la « bonnenouvelle », l’« Évangile vivant », implantant des communautés et édifiantdes temples. Son grand projet, semblable en de nombreux points à celui deSohravardi, le fondateur de la Théosophie Orientale, est de fondre en une seule tradi-tion spirituelle l’Orient et l’Occident, la gnose du Bouddha, le dualisme de Zoroastreet le pur christianisme, enseigné par Jésus le Christ et Paul de Tarse. Mani voit danscette nouvelle religion universelle, tolérante et profondément humanistequ’il a élaboré un moyen de changer le monde par la non violence et lanon lutte.

La nouvelle religion de la Lumière ne doit connaître aucune limi-te à sa diffusion. C’est pourquoi Mani envoie ses disciples en mission àl’étranger en leur intimant « d’errer perpétuellement dans le monde, prê-chant la doctrine et guidant les hommes dans la Vérité ». Son message estenseigné dans toutes les langues, proclamé dans toutes les villes et serépand plus loin que toutes les autres religions. « Mon espoir, dira-t-il versla fin de sa vie, est parvenu jusqu’à l’orient du monde et en tous lesendroits de la terre habitée, aussi bien vers le nord que vers le sud. Aucundes apôtres qui m’ont précédé n’a jamais fait une telle chose ! » (Keph.1).

Afin d’assurer la conservation et la transmission de son enseigne-ment, le prophète iranien prend soin d’en fixer lui-même par écrit le contenu et del’illustrer par des calligraphies et des peintures67, dont le souvenir est, aujourd’huiencore, vivace dans la mémoire des peuples orientaux (en particulier enInde, en Chine et en Iran). « Jamais, affirmera-t-il, il n’a été écrit ni révéléde livres comparables à ceux que j’ai écrits68. »

La religion manichéenne ayant pour vocation d’être « entenduedans toutes les langues », d’être « annoncée dans toutes les villes », de« toucher chaque pays », Mani entreprit une réforme radicale de l’écriture, afinque tous puissent lire ses ouvrages. Il substitua l’alphabet syriaque orien-tal à l’écriture pelhevie, dérivée du vieux perse, et abandonna le systèmedes idéogrammes, inapte, en raison de son archaïsme et du très petit nom-bre de signes (treize) qui le constituait, à porter et à restituer le souffle desa Révélation prophétique (l’un des objectifs poursuivis par Mani dans ceprojet de modification de l’écriture était de se rapprocher le plus pos-sible de la langue parlée). « L’instrument qui résulta de cette réforme,

c r i r e e t p e i n d r e p o u r s e r v i r l ’ h u m a n i t éE

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77. Mani Christ d’Orient Bouddha

nous dit M. Tardieu, instrument que l’on a coutume d’appeler « alphabetmanichéen » [plus riche en caractères que l’arabe], fut si pratique et si clairqu’il devint, bien sûr, l’outil de propagande des manichéens sur toutel’étendue du domaine iranien mais qu’il fut adopté aussi par des non-manichéens (Sogdiens et Turcs) pour transcrire et traduire les Écrituresindiennes et bouddhiques. »

En quelques années, le manichéisme connaît donc un essor fou-droyant mais s’attire aussi de sévères inimitiés : les Mages mazdéens, quiavaient porté Ardashir au pouvoir, supportent difficilement l’influencegrandissante exercée par Mani sur son successeur.

Il leur faudra attendre la mort du souverain sassanide et de sonfils, mystérieusement décédé, pour mettre à exécution leurs sinistres pro-jets : établir le mazdéisme en religion d’État et éliminer par tous lesmoyens leurs opposants. Les manichéens, au même titre que les juifs, lesbouddhistes, les brahmanes, les nazaréens ou les chrétiens feront l’objetde persécutions impitoyables et sanglantes. Mani dira à ce propos dans unpsaume copte : « Depuis le jour de la grande persécution jusqu’au jour dela Croix, il y a eu six années. Je les ai passées à marcher au milieu du

n i m i t i éIS c r i b e s m a n i c h é e n s

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monde, à la façon des captifs, parmi les étrangers. Les puissances du Mal sesont ébranlées et agitées. Elles ont tourné leur épée contre l’homme humble.Elles ne voulaient plus me voir dans les rues de leurs villes69. »

À l’instigation de Kirdir, le grand Mage mazdéen, Mani est arrê-té, jugé, et condamné à mort pour « crimes contre Dieu » (commeSohravardi). Il est jeté en prison et couvert de chaînes, qui lui interdisenttout mouvement.

Son agonie sera lente. Les derniers moments de son existence sont consa-crés à son Église : il transmet le flambeau de l’Esprit à ses plus proches compa-gnons, et leur donne pour mission de continuer « la Guerre sainte » des fils de laLumière contre les fils des Ténèbres, qui ne finira que lorsque la dernière âme auraété sauvée de « l’abîme du monde ». Le martyre du Prophète (sa Passion ou saCrucifixion, diront plus tard ses disciples), qui dura vingt-six jours, s’achève par cettesublime prière, dernier « cri » d’une Âme vivante qui retourne à la quiétude de laVérité :

O Père, vois, le fer est sur moi.O le plus grand par la Justice,Entends ma voix,Ecoute la voix de l’opprimé.Que ma prière implorante Fasse tomber tous les voiles.

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79. Mani Christ d’Orient Bouddha

O Christ, ô Anges glorieux et lumineux,

J’invoque vos noms :Libérez mon esprit de sa prison, Otez de moi ce manteau de douleurEt conduisez-moi hors de ce monde.O Père, ô Homme originel,Ouvre les portes à ma plainte,Qu’elle parvienne dans les hauteurs.Vierge de Lumière,Et vous, Anges,Ecoutez ma supplique,Délivrez l’enchaîné de ses fers.

Le Roi de l’AmourQui l’avait envoyéEntendit sa voix…Et lui parla.L’Homme parfaitS’avança vers lui.La Vierge de Lumière apparut.Et les messagers de la LumièreS’approchèrent en une rondePour conduire sa grande Ame Dans les Hauteurs. La Parole protège la tête du Juste.Elle le conduitDans les sphères de la Lumière.L’envoyé de la LumièreEst de retour chez lui.Ainsi s’élève la perle de Lumière.

Au jour de son Ascension dans le « Jardin de lumière », dansle champ de la Résurrection, Mani « le Vivant » avait, dit-on, environ

soixante ans70.

A c e t a p p e l , d i t u n e H o m é l i e , i l f u t a i n s i r é p o n d u :

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81. Mani Christ d’Orient Bouddha

Le écit de l’Exil occidentalaRReprise du Thème

Prélude

Lorsque j’eus pris connaissance du « Récit de Hayy ibn Yaqzan »,malgré les admirables sentences spirituelles et les suggestions profondesqu’il contient, je le trouvai dépourvu de mises en lumière relatives à l’expériencesuprême qui est le Grand Ebranlement (Coran 79/34), gardé en trésor dans lesLivres divins, confié en dépôt aux symboles des Sages, caché dans le« Récit de Salaman et Absal » que composa l’auteur du « Récit de Hayyibn Yaqzan » [Avicenne]. C’est le Secret sur lequel sont affermies les étapesspirituelles des soufis et de ceux qui possèdent l’intuition visionnaire. Il n’y est pointfait allusion dans le « Récit de Hayy ibn Yaqzan », hormis à la fin du livre,là où il est dit : « Il arrive que des anachorètes spirituels [des Solitaires]d’entre les humains émigrent vers Lui... ». Alors j’ai voulu à mon tour enraconter quelque chose sous forme d’un récit que j’ai intitulé « Récit del’Exil occidental », dédié à certain de nos nobles frères [Orientaux]. Pource qu’il en est de mon dessein, je m’en remets à Dieu.

1. Début du récit. Lorsque, étant parti de la région au-delà du fleuve, j’eusentrepris, en compagnie de mon frère Asim, le voyage pour le paysd’Occident, afin de donner la chasse à certains oiseaux des rivages de laMer Verte.

2. Voici que nous tombâmes soudain dans « la ville dont les habitants sontdes oppresseurs » (Coran 4/77), je veux dire la ville de Qayrawan.

3. Lorsque ses habitants se furent aperçus de notre arrivée inopinée eteurent compris que nous étions des enfants du Shaykh connu comme al-Hadi ibn al-Khayr le Yéménite,

M o m e n t 1 : L a c h u t e d a n s l a c a p t i v i t é e t l ’ é va s i o n

a . Traduction de l’arabe par H. Corbin, dans En Islam iranien, vol. II, p. 288-294, Gallimard,1972. © Extrait publié avec l’aimable autorisation des Editions Gallimard.

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4. Ils nous cernèrent, nous lièrent avec des chaînes et des carcans de fer,et nous jetèrent prisonniers dans un puits à la profondeur dans limite.

5. Mais il y avait, dominant le puits inoccupé que l’on avait peuplé denotre présence, un château élevé, fortifié de nombreuses tours.

6. Il nous fut dit : « Vous ne commettrez aucune faute si, la nuit venue etvous étant dépouillés de vos vêtements, vous montez au château. Mais à lapointe du jour, il vous faudra absolument redescendre au fond du puits. »

7. Certes, au fond du puits, il y avait « des ténèbres s’entassant sur desténèbres » (Coran 24/40). Lorsque nous étendions nos mains, c’est àpeine si nous pouvions les voir (24/40).

8. Mais, pendant les heures de la nuit, nous montions au château, domi-nant alors l’immensité de l’espace, en regardant par une fenêtre.Fréquemment venaient à nous des colombes des forêts du Yémen, nousinformant de l’état des choses dans la région interdite. Parfois aussi nousvisitait un éclair du Yémen, dont la lueur en brillant du « côté droit »(cf. 28/30), du côté « oriental », nous informait des familles vivant dansle Najd. La brise parfumée des senteurs de l’arak suscitait en nous éland’extase sur élan d’extase. Alors nous soupirions de désir et de nostalgiepour notre patrie.

9. Ainsi donc nous montions pendant la nuit et descendions pendant lejour. Or, voici que pendant une nuit de pleine lune nous vîmes la huppe(cf. 27/20 ss.) entrer par la fenêtre et nous saluer. Dans son bec il y avaitun message écrit, provenant « du côté droit de la vallée, dans la plainebénie, du fond d’un buisson » (28/30).

10. Elle nous dit : « J’ai compris (27/22) quel est le moyen de vous délivrer,et je vous apporte à tous les deux « du royaume de Saba des nouvellescertaines » (27/22). Tout est expliqué dans le message de votre père. »

11. Nous prîmes connaissance du message. Voici ce qu’il contenait :« Ceci vous est adressé par al-Hadi, votre père. Au nom de Dieu leMiséricordieux, le Très-Miséricordieux. Nous soupirons après vous, mais vousn’éprouvez aucune nostalgie. Nous vous appelons, mais vous ne vous mettez pas enroute. Nous vous faisons des signes, mais vous ne comprenez pas. »

Mani Christ d’Orient Bouddha d’Occident .

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12. Il me donnait ensuite dans le message les indications que voici : « Toi,ô un tel, si tu veux te délivrer en même temps que ton frère, ne tardez pasà vous résoudre au voyage. Attachez-vous à notre câble, c’est-à-dire (auxnœuds) du Dragon du Ciel de la Lune au monde spirituel, lequel dominesur les plages de l’éclipse.

13. Lorsque tu seras arrivé à « la vallée des fourmis » (27/18), secoue lepan de ta robe et dis : « Gloire à Dieu qui m’a fait vivant après m’avoirfait mourir » (cf. 2/244 et 261). « C’est vers lui qu’est notre résurrection »(67/15). Ensuite fais périr tes gens.

14. « Finis-en avec ta femme car elle est de ceux qui restent en arrière » (15/60 et29/31). « Avance là où tu en as reçu l’ordre » (cf. 5/65), « tandis que toutce peuple sera mort, déraciné, lorsque viendra le matin » (15/66). Montesur le navire et dis : « Au nom de Dieu, qu’il vogue et qu’il arrive au port »(11/43).

15. Dans la lettre était expliqué tout ce qui surviendrait en cours de route.La huppe prit les devants et le soleil était en position juste au-dessus denos têtes lorsque nous arrivâmes à l’extrémité de l’ombre. Nous prîmesplace dans le vaisseau et il nous emporta « au milieu de vagues pareilles àdes montagnes » (11/44). Notre projet était de gravir la montagne du Sinaï, afinde visiter l’oratoire de notre père.

16. Alors entre moi et mon fils « les flots s’élevèrent » nous séparant, « etil fut parmi les engloutis » (11/45).

17. Je compris ainsi que pour mon peuple, le temps de l’accomplissement de la menacele concernant était le matin. « Le matin n’est-il pas proche ? » (11/83).

18. Et je sus que « la ville qui se livrait à des turpitudes » (21/74)« serait renversée de fond en comble » (11/84) et qu’il pleuvrait « sur elledes briques de terre cuite » (11/84).

M o m e n t I I : L a n a v i g a t i o n s u r l e va i s s e a u d e N o é

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19. Lorsque nous arrivâmes à un endroit où les flots s’entrechoquaient et où roulaientles eaux, je pris la nourrice qui m’avait allaité et je la jetai dans la mer.

20. Mais nous voyagions sur un navire « fait de planches et de clous »(54/13). Aussi nous l’endommageâmes volontairement (18/78) par crainted’un roi qui derrière nous « s’emparait de tout navire par la force »(18/78).

21. Et « le navire tout chargé » (l’arche, 26/119) nous fit passer l’île deGog et de Magog (cf. 18/93ss.), du côté gauche de la montagne al-Jûdî(cf. 11/46).

22. Or il y avait avec moi des génies qui travaillaient à mon service, et j’avais à madisposition la source du cuivre en fusion. Je dis aux génies : « Soufflez sur le ferjusqu’à ce qu’il devienne comme le feu » (et que je jette sur lui le cuivreen fusion, 18/95). Ensuite je dressai un rempart, de sorte que je fus séparéde Gog et de Magog (cf. 18/94).

23. Alors fut vraiment réalisé pour moi que « la promesse de ton Seigneurest vraie » (18/98).

24. Je vis en cours de route les puits de Ad et de Thamoud ; je parcourusla région, « elle était ruinée et effondrée » (2/26 et 22/44).

25. Alors, je pris les deux fardeaux avec les Sphères et les plaçai en com-pagnie des génies dans un flacon que j’avais fabriqué en lui donnant uneforme ronde et sur lequel il y avait des lignes dessinant comme des cercles.

26. Je coupai les courants d’eau vive depuis le milieu du ciel.

27. Lorsque l’eau eut cessé de couler au moulin, l’édifice s’effondra , et l’air s’échappavers l’air.

28. Je lançai la Sphère des Sphères contre les cieux de sorte qu’elle broyât le soleil, la lune et lesétoiles.

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29. Alors je m’échappai des quatorze cercueils et des dix tombes, d’où ressuscitel’ombre de Dieu, de sorte qu’elle est « attirée peu à peu » (25/48) vers lemonde hiératique, après que « le soleil lui a été donné pour guide »(25/47).

30. Je trouvai le chemin de Dieu. Alors je compris : « Ceci est mon chemin,c’est le droit chemin » (6/154).

31. Quant à ma sœur, voici que pendant la nuit elle fut « enveloppée dansle châtiment divin » (12/107) ; alors elle resta enténébrée dans une frac-tion de la nuit, après fièvre et cauchemar allant jusqu’à l’état de prostra-tion complète.

32. Je vis une lampe dans laquelle il y avait de l’huile ; il en jaillissait une lumiè-re qui se propageait dans les différentes parties de la maison. Là même laniche de la lampe s’allumait et les habitants s’embrasaient sous l’effet dela lumière du soleil se levant sur eux.

33. Je plaçai la lampe dans la bouche d’un Dragon qui habitait dans le châ-teau de la Roue Hydraulique [Noria] ; au-dessous se trouvait certaine MerRouge ; au-dessus il y avait des astres dont personne ne connaît les lieuxd’irradiation hormis leur Créateur et « ceux qui ont une ferme expérien-ce dans la connaissance » (3/5).

34. Je constatai que le Lion et le Taureau avaient tous deux disparu ; leSagittaire et le Cancer s’étaient involués tous deux dans le pliage opéré parla rotation des Sphères. La Balance resta en équilibre lorsque l’Etoile duYémen (Sohayl, Canope) se leva d’au-delà certains nuages ténus, compo-sés de ce que tissent les araignées du Monde élémentaire dans le mondede la génération et de la dissolution.

35. Il y avait encore avec nous un mouton ; nous l’abandonnâmes dans ledésert, où les tremblements de terre le firent périr, tandis que la foudretombait sur lui.

36. Alors, quand toute la distance eut été parcourue et que la route eutpris fin, tandis que « bouillonnait la fournaise » (al-tannûr, l’« athanor »,

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11/42 et 23/27) dans la forme conique (du cœur), je vis les corps célestes ; je me conjoi-gnis à eux et je perçus leur musique et leurs mélodies. Je m’initiai à leur réci-tal ; les sons en frappaient mon oreille à la façon du vrombissement pro-duit par une chaîne que l’on aurait tirée le long d’un dur rocher. Mes mus-cles étaient sur le point de se déchirer, mes articulations sur le point dese rompre, tant était vif le plaisir que j’éprouvais. Et la chose n’a cessé de serépéter en moi, jusqu’à ce que la blanche nuée finisse par se dissiper et que la mem-brane soit déchirée.

37. Je sortis des grottes et des cavernes et j’en finis avec les vestibules : jeme dirigeai droit vers la Source de la Vie. Voici que j’aperçus les poissonsqui étaient rassemblés en la Source de la Vie, jouissant du calme et de ladouceur à l’ombre de la Cime sublime. « Cette haute montagne, deman-dai-je, qu’elle est-elle donc ? Et qu’est-ce que ce Grand Rocher ? »

38. Alors l’un des poissons « choisit pour son chemin dans la mer un cer-tain courant » (18/60). Il me dit : « Cela, c’est ce que tu désiras si ardem-ment ; cette montagne est le mont Sinaï, et ce Rocher est l’oratoire de tonpère.« – Mais ces poissons, dis-je, qui sont-ils ?« – Ce sont les semblables à toi-même (tes semblables). Vous êtes les filsd’un même père. Épreuve pareille à la tienne les avait frappés ; Ce sonttes frères. »

39. Lorsque j’eus entendu cette réponse, et en ayant éprouvé la vérité, jeles embrassai. Je me réjouis de les voir comme ils se réjouirent de me voir.Puis je fis l’ascension de la montagne. Et voici que j’aperçus notre père àla façon d’un Grand Sage, si grand que les Cieux et la Terre étaient prèsde se fendre sous l’épiphanie de sa lumière. Je restai ébahi, stupéfait. Jem’avançai vers lui, et voici que le premier, il me salua. Je m’inclinai devantlui jusqu’à terre, et j’étais pour ainsi dire anéanti dans la lumière qu’il irra-diait.

M o m e n t I I I : A u S i n a ï m y s t i q u e

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40. Je pleurai un moment, puis je lui dis ma plainte au sujet de la prisonde Qayrawan. Il me dit : « Courage ! Maintenant, tu es sauvé. Cependantil faut absolument que tu retournes à la prison occidentale, car les entra-ves, tu ne t’en es pas encore complètement dépouillé. » Lorsque j’enten-dis ces mots, ma raison s’envola. Je gémis, je criai comme crie quelqu’unqui est sur le point de périr, et je le suppliai.

41. Il me dit : « Que tu y retournes, c’est inéluctable pour le moment.Cependant je vais t’annoncer deux bonnes nouvelles. La première, c’estqu’une fois retourné à la prison, il te sera possible de revenir de nouveauvers nous et de monter facilement jusqu’à notre paradis, quand tu le vou-dras. La seconde, c’est que tu finiras par être délivré totalement ; tu vien-dras te joindre à nous, en abandonnant complètement et pour toujours lepays occidental. »

42. Ses paroles me remplirent d’allégresse. Il me dit encore : « Sache quecette montagne est le mont Sinaï (23/20, Tur Sayna) ; mais au-dessus decelle-ci, il y a une autre montagne ; le Sinaï (95/2, Tur Sinina) de celui quiest mon père et ton aïeul, celui envers qui mon rapport n’est pas autre queton propre rapport envers moi.

43. « Et nous avons encore d’autres aïeux, notre ascendance aboutissantfinalement à un roi qui est le Suprême Aïeul, sans avoir lui-même ni aïeulni père. Nous sommes ses serviteurs ; nous lui devons notre lumière ;nous empruntons notre feu à son feu. Il possède la beauté la plus impo-sante de toutes les beautés, la majesté la plus sublime, la lumière la plussubjugante. Il est au-dessus de l’Au-dessus. Il est Lumière de la Lumièreet au-dessus de la Lumière, et toute éternité et pour toute éternité. Il estcelui qui s’épiphanise à toute chose « et toute chose va périssante hormissa Face » (28/88).

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44. C’est de moi qu’il s’agit dans ce Récit,car je suis passé par la catastrophe. Del’espace supérieur je suis tombé dans l’abî-me de l’Enfer, parmi des gens qui ne sontpas des croyants ; je suis retenu prisonnierdans le pays d’Occident. Pourtant je conti-nue d’éprouver certaine douceur que jesuis incapable de décrire. J’ai sangloté, j’aiimploré, j’ai soupiré de regret sur cetteséparation. Cette détente passagère fut unde ces songes qui rapidement s’effacent.

45. Sauve-nous, ô mon Dieu ! de la prisonde la Nature et des entraves de la Matière.« Et dis : Gloire à Dieu ! Il vous manifeste-ra ses Signes, alors vous les reconnaîtrez.Ton Seigneur n’est pas inattentif à ce quevous faites » (27/95). « Dis : Gloire àDieu ! Pourtant la plupart d’entre eux sontdes inconscients » (31/24).

P o s t l u d e

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