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    Cartsianisme et morinisme

    dans la potique musicale dOlivier Messiaen.

    Lexemple des Eclairs sur lAu-Del

    Nicolas Darbon

    Dieu est simpleMessiaen1

    Vous tes si compliqu et si simple,Vous tes infiniment simple

    Thomas a Kempis2

    Sil est un autre monde il est en celui-ci

    Paul Eluard

    A travers le prisme de la dernire uvre crite par Olivier Messiaen3:Eclairs sur lAu-Del (1988-92)4qui est une vritable somme de ses techniques musicales , nous tenterons de montrer le passage potique dunparadigme un autre. Deux philosophes nous semblent exprimer le mieux ces paradigmes : Ren Descartes etEdgar Morin. Ce dernier est pour nous le plus grand philosophe du XXe sicle, de mme que Descartes incarne lui seul, pour bien des observateurs, la pense gnrale de son temps. Dans le domaine des arts, on peut parler dupassage dune conception classique ou moderne une conception postmoderne (nous dveloppons le rapport dela complexit la postmodernit dans note thse de doctorat).5

    En 1637 paraissait le Discours de la mthode de Ren Descartes ; en 1977, Le Seuil publie le premier tomede La mthode dEdgar Morin6 : ces deux ouvrages sont lis par leur titre, par leur vise et les enjeux quils

    Cet article est issu dune confrence donne luniversit de Paris IV-Sorbonne1Titre de la Pice VIII desMditations sur les Mystres de la Sainte Trinit (1969), pour orgue.2KEMPIS, Thomas a,De imitatione Christi libri quator ex nova recensione Jacobi Merlo Horstii... ( LImitation deJsus-Christ ),Cologne, Cornab Egmond, 1647, 61 p. Cet ouvrage de Thomas a Kempis (1380-1471), est considrpar Messiaen comme le plus beau livre mystique aprs la Bible , MESSIAEN, Olivier, Trois petites liturgies ,livret de prsentation des Trois Petites Liturgies de la Prsence Divine, CD Erato 4509-92007-2, 1993, p. 9.3Luvre ultime est Concert Quatre, mais elle na pas t acheve par le matre.4Pour ceux qui voudraient sy rfrer, la partition des Eclairs sur lAu-Delest dite aux Editions Alphonse Leduc,Paris, 2 tomes, 1998. AL 28 2265Nous avons dj prsent la fois le morinisme , la pense scientifique contemporaine de la complexit et du

    chaos, et ses incidences sur la musique, dans une srie de communications. La premire est une confrence d1 heurequi peut tre entendue sur Internet.- Sens et enjeux des concepts de simplicit et de complexit dans la musique la fin de ce sicle, sminaire(Post) modernits 2001 : bilan d'un sicle de musique, dir. Pierre Albert Castanet, confrence donne au CDMC auprintemps 2001, disponible en ligne sur le site du CDMC : http://www.cdmc.asso.fr.- Pour une approche systmique de l'opra contemporain, Paris, Universit de Paris-Sorbonne, coll.Observatoire Musical Franais, 2001, 120 p.- Elments pour une musicologie de la complexit, in CADET, Bernard,La complexit : formes, traitements,effets,actes du colloque international de septembre 2002 de lUniversit de Caen, 2005.

    Pour une premire tude du rapport entre les notions de complexit et de postmodernit, cf. notre thse de doctorat :Sens et enjeux des concepts de simplicit et de complexit dans la musique la fin du XXe sicle ,Universit de ParisIV-Sorbonne, Histoire de la musique et musicologie, 4 tomes, nov. 2004. En particulier lintroduction du t. 3.6Les deux ouvrages sont :

    -

    DESCARTES, Ren, Discours de la mthode pour bien conduire sa raison et chercher la vrit dans lessciences, 1/ 1637, 2/ uvres et Lettres, Paris, Gallimard, 1951.- MORIN, Edgar,La mthode, Paris, Le Seuil, tome 1, La Nature de la nature, 1977 ; tome 2, La Vie de lavie, 1980 ; tome 3, La Connaissance de la connaissance, 1986 ; tome 4, Les Ides. Leur habitat, leur vie, leurs

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    Or, la transposition une chelle plus humaine 12du chant doiseau, cest--dire ladaptation lchellechromatique occidentale, relve de la simplification, et plus prcisment de la rduction. Sont en effet liminesbeaucoup de spcificits rythmico-mlodiques chappant notre notation et notre perception, comme pournen retenir que lIde13. Messiaen doit en plus dilater la temporalit - voire du mme coup baisser les hauteurs -,car non seulement, cela serait inaudible en ltat (de nature), mais injouable. La raison de cette adaptationtemporelle est selon nous discutable : si loiseau chante trs vite, cest selon Messiaen parce quil est plus petit etque son cur bat vite14- discutable mais intressant, nous le verrons plus loin.15

    1.1.2. La finitude des lments

    Ce qui frappe le plus dans la musique de Messiaen, et qui participe en premier lieu son immdiatelisibilit, cest lart consomm de sculpter des lments sonores autonomes quils soient motiviques,rythmiques, harmoniques, formels, timbriques - ressortant de faon vidente dans un discours dont lafragmentation na dgale que le sens de la confrontation, de la couleur et de la continuit. Une mlodie trssimple et frappante 16structure la Squence du verbe, Cantique divin des Trois petites Liturgies de la PrsenceDivine(1943-44), dont la forme alterne refrains et couplets.Le sectionnement du Chemin de lInvisible (n10)

    des Eclairs sur lAu-Del est non moins vident : aprs une brve introduction, un thme est entonn par lescors seuls, repris et prolong (avec des interventions des cordes puis des mouvements de lorchestre). Sensuitune apothose sur des trilles du total chromatique : le thme est rexpos par les cors accompagns delorchestre. Court appel strophique du Corbeau flteur Pie, et enfin coda reprenant lintroduction. Lide estnette : le chemin, cest le thme, interrompu, ritr, le mouvement ascensionnel. Linvisible, cest le totalchromatique trill de lorchestre, et surtout lOiseau. Le principe du leitmotivwagnrien combin celui du thmeet variation ne relve ni de lelliptique debussyste, ni du thematische Arbeitromantique ou post-sriel. Des motifssont bien utiliss : ils reviennent, mais chaque fois de faon varie ; cest le cas des thmes de Dieu lEtoile et laCroix dans les Vingt Regards de lEnfant Jsus (1944), des quatre piliers thmatiques de la Turangalla-Symphonie. Leurtransformation nest pas noye ; ils ne senchevtrent pas indissolublement17. Dans lesEclairs sur lAu-Del, ilny a pas de tels thmes cycliques. En revanche, le motif peut prendre des aspects divers : thme, choral, sujet decontrepoint, chant doiseau. De mme, les thmes sont conus pour tre reconnaissables : quarte augmente (n2,

    cf. figure 3,n6, fin du thme), sixte et quarte (n7, fin du thme), etc. Leur nettet est frappante : souvent ilssont nus (n9, 10), jous lunisson (n6) ou en blocs homorythmiques (n8). Lorchestration est utilise pour lesfaire ressortir, telle lunisson aux vents graves des sept Anges aux sept trompettes .

    12MESSIAEN, Olivier,Musique et couleur.Nouveaux entretiens avec Claude Samuel, Paris, Belfond, 1986, p. 103.13 Je suis oblig de supprimer des intervalles trs petits que nos instruments ne peuvent pas excuter .14MESSIAEN, Olivier,Musique et couleur, op. cit., p. 103.15Par surcrot, il y ajoute sa propre personnalit, il stylise , il prsente sa manire . HALBREICH, Harry, OlivierMessiaen, Paris, Fayard / Fondation Sacem, coll musiciens daujourdhui, 1980, p. 101.16MESSIAEN, Olivier, Trois petites Liturgies , op. cit., p. 717 De mme, le Thme daccords des Vingt Regards sur lEnfant Jsus (1944) pour piano se trouve partout,

    fractionn, concentr, aurol de rsonances, combin avec lui-mme, chang de rythme et de registre, transform,transmut de toutes sortes de faons : cest un complexe de sons de perptuelles variations, prexistant dans labstraitcomme une srie, mais bien concret et trs aisment reconnaissable par ses couleurs. Cest nous qui soulignons.MESSIAEN, Olivier, livret du disque Vingt Regards sur lEnfant Jsus,CD ERATO 4509-917705-2, 1975, pp. 6-7.

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    Le sens des proportions et de lquilibre dans la micro-forme (le thme, la pice) ou la macro-forme(luvre, le cycle), lalternance des parties contrastant systmatiquement entre elles sont notoires. La structure de Et Dieu essuiera toute larme de leurs yeux (n7) est dune simplicit remarquable : A B C, avec reprise. Onne peut mieux caractriser chaque partie : pour A, il sagit dun thme confi aux bois (sur des harmoniques etdes trilles aigus) ; pour B, changement de couleur : appel mystrieux des cors ; enfin C, cest lpisode chantsdoiseaux . Les lments, bien que juxtaposs, opposs, superposs, stratifis, perdent rarement leur autonomieet leur singularit. Cellules, lments, parties, pisodes sont caractriss parfois lextrme des registres, des

    timbres, des gestes instrumentaux, etc. Ils sont conus pour diffrer les uns des autres (modes, rythmes, etc.). Ilssont symboles, personnages ou pices distinctives dun vitrail sonore. Ils cohabitent les uns avec les autres : peude dveloppement ou de transition ; sil y a une volution, cest dans la perspective dun processus raisonn.

    1.1.3. La logique des procds

    Dans la quatrime pice des Eclairs sur lAu-Del Les lus marqus du sceau , les permutationssymtriques stagent distinctement aux cordes (1ers, 2eviolons et altos-violoncelles, agrments de cloches, gongsou cymbales) : ce processus rigoureux se droule jusqu la fin18. Cet art de Messiaen de filer un procd de faonrigoureuse et implacable, jusqu son achvement, est non moins vident dans lagrandissement asymtrique de

    LEchange (n3) des Vingt regards sur lenfant Jsus(1944) pour piano. Son achvement est tout aussi logique :on termine sur le Mi du dpart, une boucle sest opre. Car Messiaen apprciait avant tout le charme desimpossibilits - non les dveloppements ouverts et plus ou moins alatoires -, possdant un axe de symtriecomme les permutations symtriques, comme dans le Livre dOrgue (1951), les personnages rythmiques, lesrythmes non rtrogradables.19 Aussi quand il dit que certains compositeurs pataugent avec joie dans des trucs quils ne comprennent pas bien 20, il faut reconnatre il y a aussi du truc dans tous ces procds deson langage musical, tout en prenant soin denlever la connotation ngative du terme. Dautre part, la notion dergleest importante, tant dans son acception religieuse (lopposition rgulier / sculier est notre sens capitalepour comprendre sa vision du monde) que dans son rapport la technique musicale. Ds la Technique de monlangage musical, Messiaen se donne des contraintes. Etymologiquement, lart, cest la techn : lart est unedisposition susceptible de cration, accompagne de raison vraie disait Artistote21. La part de la musiquechappant la technique est faible chez Messiaen. Or, poursuit Aristote, Lart aime le hasard, comme le hasard

    aime lart 22. On voit de quel ct se range Messiaen : moins du ct du hasard que de la pense souveraine. Lacration pure rsidera dans le choix et dans tout ce qui nest pas cod ou raisonn, comme le lyrisme mlodique,le sens des couleurs harmoniques et orchestrales. Messiaen se constitue des rgles, la fois pour la direction delesprit et pour la construction dun langage : tout un arsenal de modes, daccords, de rythmes, qui iragrandissant, travers ses tendances (srialisme intgral, style oiseau) jusqu la grande synthse des Eclairs surlAu-Del - lexclusion dailleurs de rgles dorchestration, ce qui peut tonner de la part dun admirateur deBerlioz23. Habilit de lhomme , lart est chez Kant un vouloir qui fonde ses actes sur la raison 24; pourMessiaen, il ny aurait qu substituer vouloir par sensibilit .

    Issu dun esprit gomtrique, sa musique se plat multiplier les figures gomtriques dans lastructuration des thmes, dans les gestes instrumentaux. On peut mettre en regard la mme symtrie du thmeprincipal des toiles et la Gloire , Eclairs sur lAu-Del, aprs lpisode ornithologique central et celle duthme du saint dans Saint Franois dAssise (figures 2 et 3). La symtrie axiale autour du triton / quinte

    18Ce qui va crer de la vie, ce sont les accords, dont la succession kalidoscopique donne une impression de rosacesonore tournoyante.19Pour plus de dtails sur la complexit rythmique du Livre dOrgue, LEchange et un expos systmatique desprocds du matre, cf. ARNAULT, Pascal, DARBON, Nicolas,Messiaen les sons impalpables du rve, Lillebonne,Millnaire III, 2ded., 1999.20SAMUEL, Claude, MESSIAEN, Olivier, Prsences d'Olivier Messiaen. Dialogues et commentaires runis ClaudeSamuel, Arles, Actes Sud, coll. Srie Musique , 1999, 484 p., p. 82. [Nouvelle d. : texte revu et mis jour de deuxsries d'entretiens ralises en 1967 et 1986 sous les titres : Entretiens avec Olivier MessiaenetMusique et couleur].21ARISTOTE, Ethique de Nicomaque, Livre VI, chap. V-VI, Paris, Garnier, 1965, pp. 259-261.22Agathn, cit par ARISTOTE, op. cit., p. 261.23Signalons que Messiaen hrite cet esprit cartsien consistant rriger des Traits ou des Mthodes de compositeurs

    comme Rameau, auteur dun Trait de lharmonie rduite ses principes naturels (1722), de Berlioz, auteur dunTrait dorchestration (1844), ou des traits de Vincent DIndy, Charles Koechlin, etc., mais la grande diffrence deses prdcesseurs, sa Technique sapplique dcrire mthodiquement son propre langage.24KANT, Critique du Jugement, Partie I, Livre II, chap. 43, 1/ 1790, 2/ Paris, Vrin, pp. 124-125.

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    diminue25, formant une structure en arche, symbolise une ide de perfection (et de fixation spatio-temporelle)plus que de diablerie en musique : la Gloire de Dieu dans les Hauteurs chante par les toiles et les cieux 26.

    Figure 2 : Symtrie du thme du saint (Saint Franois dAssise)

    Figure 3 : Symtrie du thme principal des toiles et la Gloire (Eclairs sur lAu-Del), aprs lpisodeornithologique central.

    Le soin port la structuration mlodique, en particulier, prouve linscription de Messiaen dans le

    paradigme classique. Grand analyste de Mozart, ainsi que le montre son Trait de rythme, de couleur et dornithologie27,il rcupre du viennois une science de laccentuation et de la phrase. Faut-il rappeler, avec Charles Rosen,limportance des formules conventionnelles, de larticulation, de la clart thmatique, de la symtrie, quipermettent au style classique de se dvelopper sur un axe dramatique ?28 Messiaen se dtache quant lui dudrame laque, historicis, pr-rvolutionnaire, et se meut dans une sphre auto-centre, centripte,unidirectionnelle29. La multiplicit des particules constituant sa musique-vitrail recherche reflter letournoiement de la Jrusalem Cleste, comme dans les Couleurs de la Cit Cleste (1963)30.

    Messiaen et le nouveau paradigme Les critres de complexit

    1.2.1. La multiplication des lments

    25qui scinde strictement dailleurs loctave et lchelle modale.26Evangile selon Saint Luc, chap. 2, v. 14.27MESSIAEN, Olivier, Trait de rythme, de couleur et dornithologie(1949-1992), Paris, Leduc, dition posthume, 7tomes. Laccentuation chez Mozart est traite dans le 4etome. Cf. aussi : MESSIAEN, Olivier, Les 22 concertos pourpiano de Mozart,Paris, Sguier, 1990,120 p.28 ROSEN, Charles, Le Style classique. Haydn, Mozart, Beethoven, Paris, Gallimard, NRF, Bibliothque desides, 1978. (Nouvelle dition).29Georges Benjamin dit mme quelle est anti-directionnelle : les conflits de la dialectique ne la concernent pas.

    Il y a en effet dans la dialectique une dimension diachronique que Morin lui-mme conteste (ce qui lamne prfrerla notion contemporaine de dialogique). Cit inARNAULT, Pascal, DARBON, Nicolas,Messiaen, op. cit., p. 145.30Nous avons dvelopp cet aspect de luvre dans le chap. Rflexion sur lArt dOlivier Messiaen. Tableau desnouveaux apports , ARNAULT, Pascal, DARBON, Nicolas, op. cit.,p. 144-148.

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    Figure 4 : Trilles du total chromatique (lInvisible ?), nimbant le terrible thme entonn par les 6 cors (le

    Chemin ?) des chemins de lInvisible (Eclairs sur lAu-Del)

    Arrtons-nous La constellation du Sagittaire , qui est plutt un fouillis dastrodes ; cest en mmetemps le moment le plus synthtique des Eclairs sur lAu-Del, du point de vue des techniques employes. Ilrsume bien la pense messianesque arrive son ultime maturit. Le tableau ci-aprs montre la multiplicit destechniques utilises, leur superposition / juxtaposition : couches rythmiques (canon, rythmes indous notamment),couches mlodiques (thmes), couches oiseaux . Elle montre aussi la nettet des contrastes entre lments etchaque partie (par exemple medium-grave pour les thmes, jous par les cordes / aigu pour les chants doiseaux,jous par les bois), quaccentue chaque fois un silence plus ou moins grand faisant csure. Enfin, on observe la

    grande simplicit du plan en deux parties symtriques (la seconde est quasi identique la premire) avec codareprenant des lments, dans un mouvement descendant loppos de ce qui prcde. Cette symtrie est encoresouligne par des rythmes indous placs aux extrmits et au centre de la pice. Les dures confres chaquepartie montre un sens pointilleux des proportions (figure 5).

    Figure 5 : Multiplication des lments et simplicit formelle dans La constellation du Sagittaire , Eclairssur lAu-Del:

    Partie (dure)36 Elments rythmiques, mlodiques, harmoniques

    PARTIE A1 (20) incipit Rythmes indous candrakal puis lakskma en blocs harmoniques2 (40) Superposition :

    -

    Cluster en canon rythmique- Thme 1 en mode 2-

    Chant doiseau3 (15) csure Superposition :

    -

    Glissandos harmoniques naturels-

    Mouvement ascendant, en accelerando et crescendo4 (40) Superposition :

    -

    Hors-tempos(Chants doiseaux)- trille pianissimo suraigu

    36Pour les dures, nous nous rfrons lenregistrement de lOrchestre national de la Radio Polonaise, Katowice, dir.Antoni Wit, CD Jad C 099, Le Chesnay, 1994.

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    PARTIE A1 (25) incipit Rythmes indous vijaya, puis makaranda, pratpaekhara en blocs harmoniques2 (55) Superposition :

    - Cluster en canon rythmique-

    Thme 1 en mode 2-

    Chant doiseau3 (15) csure Superposition :

    -

    Glissandos harmoniques naturels- Mouvement ascendant, en accelerando et crescendo

    4 (40) Superposition :- Hors-tempos(Chants doiseaux)-

    Trille pianissimo suraigu

    CODA(40)(25)(40)

    Strette :Rythmes indous simhavikrama puis gajajhampa (A), en blocs harmoniquespuis : Thme 2 (B)puis : blocs harmoniques (mouvement descendant) :- accords renversements transposs

    - total chromatique- staccatos goutte deau

    1.2.2. Linterrelation, linterraction

    Nous avons vu un premier niveau de complexit. Or, pour entrer dans le nouveau paradigme, Messiaencherche-t-il laisser merger de ses fouillis des effets insouponns, qui feraient deux non un simpleamoncellement dlments plus ou moins imbriqus, mais qui marquerait un second niveau de complexit (sensscientifique du terme), le niveau dynamique de linattendu et du vivant ?

    Dans les superpositions modales ou rythmiques, la juxtaposition cre des liens entre les lments ; ces

    liens sont moins de lordre de lunit symbolique ou des parents structurelles que du contraste, les uns faisantressortir les autres (ce qui souligne les forces dynamiques qui les gouvernent). Stant lui-mme plac hors dusystme de gravitation universelle de la tonalit, mais dans le cadre dun systme de modes colors, Messiaenpeut superposer sa guise, sans rgles harmoniques contraignantes (si ce nest les rflexes de consonance-dissonance, les hritages, les gestes pianistiques). Ainsi, les rapports entre deux modes relvent moins ducouple classique tension / dtente que de lordre de la complmentarit des couleurs. Pour quil y ait complexitau sens morinien du terme, il faut quil y ait la fois antagonisme et complmentarit. Mais peut-on parler dunmode antagoniste un autre ? De ce fait, les superpositions peuvent se multiplier, les stratifications de textures enpermutations symtriques (n6), les ostinati mlodico-rythmiques peuvent sempiler, des lments profondmentdissemblables peuvent cohabiter, comme un accord rsonance contracte et un chant de la Fauvette des jardins(n8), sans parler des polyphonies oiseaux des arbres de Vie (n9).37

    Certes, les personnages rythmiques, non employs dans les Eclairs sur lAu-Del, sont un bonexemple de possible complexit : il sagit dune entit de trois rythmes qui seffondreraient en labsence dun seul.Il sont donc interdpendants ; le phnomne quils engendrent doit tre pris dans sa globalit. Mais parinteraction, nous entendons aussi : influence de lun sur lautre, altration, bifurcations, co-engendrement Or,ces personnages rythmiques se meuvent de faon autonome / htronome, disctinctement / simultanment.Cest moins lindcision de leur devenir mutuel qui est cout, mais le mcanisme dans sa globalit. De mme, les

    polytempise droulent comme des chants doiseaux indpendants les uns des autres. Sil ny a pas dinfluence, enrevanche, il ny a pas htrognit absolue : leur simultanit a t pense en fonction dune couleur modale,harmonique, structurelle prcise, en tout cas de part une sensibilit cratrice plaant ces lments dune certaine

    37Pour Alain Prier, la dissociation manifeste du rythme, de lharmonie et de la mlodie est telle dans le Quatuorpour la fin du Temps(1941), que chacun des protagonistes donne limpression dimproviser de son ct, et de faon

    bien plus subtile et dlie quen les modernes happenings o lanarchie finit par tuer la notion mme de libert . Il citela Liturgie de cristal (n1): le piano (ostinato harmonico-rythmique) marque sa complte autonomie par rapportau violoncelle (ostinato mlodico-rythmique) au couple compltement part de la clarinette et du violon (chantsdoiseaux). PERIER, Alain,Messiaen, op. cit., pp. 54-55.

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    faon, et non dune autre. Ces lments ne pourraient tre spars de leur contexte et placs ailleurs, comme cepeut tre le cas chez dautres compositeurs, notamment dans le cadre de luvre ouverte.

    En fait, le point de complexit le plus manifeste rside dans lutilisation de la couleur musicale. Les complexes de couleurs apparaissent ds les Prludes pour piano (1929), qui sont certes des tudes decouleurs 38, mais de couleurs mles,avant que son langage senrichisse dune rythmique et dune ornithologique.Mieux : Les sons impalpables du rve , pice polymodale, superpose deux modes bleu-orange et violet-

    pourpre. Encore une superposition dlments restants clairs et distincts , mais dont linterrelation permet chaque composante de ressortir. Pour les Trois petites Liturgies de la Prsence divine, Messiaen explique que la juxtaposition et la superposition des modes, qui sont des couleurs harmoniques, produit des mouvementsentremls , des tournoiements dont les Couleurs de la Cit Cleste sont une merveilleuse ralisation39. Leprincipe dubiquit et la nature cumulative du texte (plantes, fleurs, oiseaux, temporalits multiples) est rendupar des superpositions de couleurs polymodales entrecroises, et des procds varis tels que les fuses contrairesen ventail ferm confies au piano.

    Les bien nomms complexes de couleurs jouent sur lantagonisme / complmentarit des couleurssonores, comme un peintre souligne une couleur par sa complmentaire . Le simple son-couleur esttoujours multiple et nuanc, parfois lextrme, comme lemblmatique 2emode transpositions limites, utilisds le dbut (Le Banquet cleste, pour orgue, 1928). Mais lide mme de couleur sonore est dj un tissagesensoriel.

    1.2.3. Lincertitude, le dsquilibre

    Le chrtien fervent a-t-il laiss une place lincertitude ? Les thories scientifiques qui bouleversent lareprsentation du monde et lattitude de pense du XXe sicle : de la relativit gnrale la thermodynamique, lacyberntique, lcologie, les notions de catastrophe, dsordre, dsquilibre, inconnu, hybridation, turbulence,

    vie connaissent-elles quelques inscrustations dans la musique de Messiaen ?

    Paradoxalement, cest le chant grgorien qui linitie des donnes essentielles du Vivant : rythmiquesouple alternant des groupes neumatiques accentus par deux ou trois, ce qui perturbe lide dune pulsationmcanique, cr un dsquilibre interne compens par la priodicit des grands cycles de la phrase / souffle. Cestla matrialisation de la dialogique simple (conomie, dpouillement, prcision) / complexe (richesse, souplesse,polysmie symbolique). Le chant grgorien est luvre de moines trs savants, cest un art extraordinairementraffin, mlodiquement et rythmiquement, un art qui date dune poque o lharmonie nexistait pas dans lemonde occidental, avec lembarras des accords 40. Entre parenthses, il y a dans cet embarras une nostalgie dunge dor contredite par des uvres o lharmonie et la couleur sont mises en avant. Il rejette lartificialit de lapulsation mcanique telle quelle est enseigne dans les conservatoires , application radicale de la conceptionclassique (et occidentale) du temps musical. Le genre de la marche militaire est de ce fait antinaturelle selon lui.La vraie marche est une srie de chutes plus ou moins vites 41. Do lutilisation des valeurs irrationnelles. Lesens des proportions formelles, bien quissu de schmas on ne peut plus classiques, se trouve totalement complexifi , cest--dire rendu la libert et la singularit de la nature, au moment de sa priode oiseau .Rappelons que la complexit de la nature, une fois transpose, rationalise, simplifie dans sa musique, acquireune nouvelle complexit, limitation pourrait-on dire de la nature. Dans Des Canyons aux toiles, la Grivemusicienne chante sur des rythmes trs extraordinaires, encore plus riches que nos rythmes grecs et indous 42.Pour Messiaen, dans la nature et par consquent dans sa musique il existe des cycles rguliers et des loisimmuables (numriques par exemple). Ce concept de loi gouvernant lunivers est une importante pierredachoppement entre paradigme de simplification et complexit. Messiaen cherche rconcilier musicalement deslogiques opposes : foi et nature, foi et science, comme a pu le faire Teilhard de Chardin la mme poque43,mais en se plaant plutt dans une perspective cartsienne, fonde sur la certitude. Enfin, nous avons vu que lehasard, mme dans sa dimension cratrice, tait rejet a prioripar Messiaen.

    38Cit par Alain Poirier,Messiaen, Paris, Le Seuil, coll. Solfge, p. 19.39MESSIAEN, Olivier, Trois petites Liturgies , op. cit., p. 540SAMUEL, Claude, op. cit.,p. 3.41ibidem.,p. 103.42ibidem.,p. 141.43TEILHARD de CHARDIN, Pierre, Science et Christ, Paris, Le Seuil, 1955, 293 p. ;Le phnomne humain, Editionsdu Seuil, Paris, 1965, 348 p.

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    Lintelligibilit dune uvre complexe dpend la fois du compositeur et du public : la connaissance ducode du compositeur ou dun code commun permet de comprendre la musique. Dans le cas de Messiaen, lesmodes transpositions limites rejoignent les grandes rgles du systme tonal / modal que lauditeur a assimilesdepuis quelques sicles. Il se trouve donc que, mme si lauditeur ne saisit pas le caractre limit de leurstransposition, en tout cas il peroit, un niveau infrieur, de faon plus immdiate, un systme de consonances etde notes polaires. Mais combien dauditeurs peroivent rellement, y compris parmi les musicologues, le mode, letype daccords, et mme, un niveau basique, le son qui en loccurrence se veut couleur(s) ? Messiaen

    naura pas eu besoin de grands combats pour dfendre sa modernit, malgr les incomprhensions et lesscandales, en comparaison de certains de ses contemporains, qui eux ne possdaient pas un code jouant avecautant de finesse sur la tradition et linnovation.

    L'apprentissage d'un code qui devient style dun compositeur ou style dune poque - se fait par larptition, lacculturation, limprgnation. Connatre permet de reconnatre. Une rgle, une fois assimile, permetde transformer une impression de dsordre en amorce de construction. L'entropie et la complication de la ralitsonore se transforme en complexit musicale. Lintelligibilit via la mmoire peut fonctionner.

    Les thories de la complexit sont donc une rhabilitation car nous estimons que ces notions sont tropcartes des sciences de lducation par exemple - du savoir, de la culture, de la connaissance, en terme dequantit, tant en ce qui concerne loreille (reprage des hauteurs, des dures, des timbres) quen ce qui concerne laformation historique, esthtique, analytique. La sensibilit, la logique et les autres dispositions sont importantes,

    mais ne se fier qu elles serait illusoire si lon cherche comprendre la musique dOlivier Messiaen. Matriser lacomplexit de son discours musical, ce nest pas sen tenir simplement aux lments de tradition, mais avoirdcouvert et intgr les rgles propres luvre, comme les modes rythmiques ou les complexes de couleurs, quien font la singularit.

    Cette approche de la complexit permet aussi de mieux cerner ce qui fait la valeur de la musiqueclassique en gnral, et de Messiaen en particulier. Le peu de complexit pourrait sappeler la simplicit (laquelleserait un premier niveau sur lchelle de la complexit). Le peu de complication pourrait sappeler le simplisme oule minimalisme. Quant lexcs, il pourrait sappeler le complexisme (les allemands appellent certainscompositeurs Komplexists) ou le maximalisme. Mais lide dexcs revient admettre quen art, contrairement la

    vie ou aux phnomnes naturels, la complexit ne doit pas dpasser un certain seuil, le stade de ce qui est humainement perceptible (par lrudit ou le public), un seuil comprenant aussi les possibilits delinterprtation, les valeurs esthtiques, un seuil inscrit dans une poque donne et donc appel voluer.

    Toutefois, lapproche de Philippot semble dboucher sur une contre-dfinition de la complexit, si lonse rfre ce qui a t dit du morinisme. La production et la recherche de rgles rgissant la musique etdfinissant sa complexit ne renvoient-elles pas au paradigme classique ? Y a-t-il contradiction entre cetteconception issue des thories de linformation et une vision de la complexit hrite des thories du chaos et dessystmes dynamiques ? Pour ces dernires, cest bien la vie du systme, non ses rgles immuables et mcaniques,synonymes de mort, qui va gnrer de la complexit, cest--dire des qualits nouvelles. Cest tout le dbat entredterminisme et indterminisme : le chaos engendr par une simple quation, ou lordre et la cration surgissantde lentropie. De mme, la complexit est dcrite comme une longue conqute, une victoire de lordre et delintelligence, de la bactrie lhomme : quelle contradiction avec une vision non-linaire, quelle conscration dela notion de progrs, pourtant battue en brche de toute part ! Cette pyramide de la complexit exprime parMorin (Le Paradigme perdu48) nentre-t-elle pas en contradiction avec sa conception cyclique, rcursive, et son rejet

    de la dialectique pour la dialogique ?

    Le concept de dialogique ou de paradoxe est un pilier de la complexit : lexpos des critresmontre une gradation, la multiplication par exemple nexclut pas, au contraire, lautonomie des lments.

    Toutefois, elle soppose lconomie des moyens, comme le principe dincertitude scarte des phnomnesgouverns par la logique classique. L o apparat du chaos partir dune quation dterministe , cest dansles phnomnes non-linaires. De mme, lintrt de la complexit dun systme dynamique, qui napparat pasdans lexpos de Philippot, rside dans les productions inattendues dites mergentes . Bien que grandimprovisateur, Messiaen ne mise pas sur les possibles dun dynamisme plus ou moins alatoire qui pourraitrelever dun renoncement au contrle de la pense et de la sensibilit, dans lesprit par exemple de luvreouverte. Xenakis stait tt intress aux thories du chaos, Hugues Dufourt la thorie des catastrophes, Cageaux potentialits contenues hors du concept de musique . Aujourdhui, les fractales intressent Jean-ClaudeRisset, la courbure du temps Franois Leclre. Mais pour le compositeur desEclairs sur lAu-Del, il sagit dunepense arithmtique et gomtrique la fois plus orientale et plus euclidienne.

    48MORIN, Edgar,Le Paradigme perdu : la nature humaine, Paris, Le Seuil, coll. Points, srie Essais, 1979, 262 p.

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    frustration, au regard de la vie ternelle ? De quelle souffrance enfouie la sublimation musicale, ladorationmystique, lattente et la nostalgie dun Au-del sont-elles la face cache ?

    Le rousseauisme naturaliste, la nostalgie dun ge dor, la qute dun langage non articul ouarchtypique, au XXe sicle, est all trs loin. Parce que la civilisation nous a gts 58, explique Messiaen, lesyeux et les oreilles se tournent vers la nature, qui seule a conserv une puret, un jaillissement, une fracheur quenous avons perdu 59. La Grive des bois (n10), dans Des Canyons aux toiles (1971-74), montre avec clart,

    force et simplicit, lantagonisme entre lhomme corrompu, cest--dire pour reprendre les termes du matre -lhomme dform par lui-mme et qui sest, par sa propre faute, rendu laid, coupable, mchant, criminel (ideincarne par larpge retourn de la grive) et lhomme dans sa vrit originelle, le chef-duvre de la Cration,rendu sa magnificence premire aprs la mort (ide incarne par le cor).

    Non seulement le matre ne croit pas au hasard, mais sa pense est toute entire tourne vers lamatrise du temps. Pour lui, le hasard ne peut pas merger dun quelconque calcul, comme pouvait le faireXenakis. Loin des thories du chaos dterministes, il ne croit qu la Prdestination. Dans la Bible, tout est crit ;Daniel comme Jean, dans lApocalypse, utiliss pour lesEclairs sur lAu-Del, ferment la porte au hasard. Danielpar exemple fixe la dure exacte des perscutions ; ainsi la loi des nombres gouvernent les rythmes et les cycles(temps dynamique), les structures et les essences (temps statique).60Lart ne peut gure surgir de lalatoire ; aucontraire, les phnomnes naturels mouvants et ondulatoires sont rendus en musique par un savant et subtilcontrle du rythme, comme a pu le faire Debussy61. Chez Messiaen, la construction mlodique cherche cette

    continuit qui se rapproche du chant grgorien ; par ses valeurs irrationnelles, le rythme peut couler, ainsi quelentend ltymologie grecque (rhe)62.

    le rythme est issu du mouvement des flots, des ondulations des vagues de la mer. Il se rattache donc primitivement aumouvement, mais au mouvement rpt avec des variantes toujours nouvelles ; cest--dire linfini de la priodicitirrgulire63

    Toutefois, la matrise du temps passe par sa rationalisation (il doit tre dans un premier temps divis , hach ) et, sur le plan suprieur, par des processus stricts visant souvent contrarier cette coulementunilinaire : superposition, rtrogradation, etc. Entre ce temps charnel de la mlodie et lordonnancement

    classiques des parties ou pisodes qui se succdent, il peut y avoir une temporalit suspendue de nature religieuserefltant lHarmonie prtablie (Leibniz) ou encore la Grce (Pascal). On voit avec clart que ce nest pas une

    vision de lespace-temps contemporain comme peut lavoir par exemple Tristan Murail dans la Dynamique desfluides (1990-91) pour orchestre, uvre contemporaine desEclairs sur lAu-Del utilisant mtaphoriquement lesfractales et le chaos.

    2.3. Esotrisme et cartsianisme

    A notre poque de prcision scientifique,au moment des thories sur lexpansion de lunivers,

    on saperoit que la Bible a toujours dit la Vrit,que le nombre des toiles tait vraiment innombrable

    et aussi que les toiles chantent.Olivier Messiaen64

    58SAMUEL, Claude, Permanences d'Olivier Messiaen, op. cit, p. 141.59Ibid., p. 2.60RIFFARD, Pierre A.,LEsotrisme, op. cit., Invariant 5 : le nombre , p. 357.61SAMUEL, Claude, Permanences d'Olivier Messiaen,op. cit, p. 105.62LOUVIER, Alain, Olivier Messiaen, le rythme et la couleur , Portrait(s) dOlivier Messiaen, Paris, BibliothqueNationale de France, 1996, p. 49.63MESSIAEN, Olivier, Trait, op. cit., tome 1, p. 39.64cit inPERIER, Alain,Messiaen, Paris, Le Seuil, coll. Solfge , 192 p., p. 148.

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    constituent une source de lsotrisme ; saint Thomas dAquin et sa Somme Thologique73, cits par exemple pour lelangage communicable, qui est une rfrence importante en astrologie74: noublions pas que pour Messiaen, lestoiles chantent 75. Sil a mis en musique la constellation du Sagittaire , cest quelle est au cur de notregalaxie, et quelle correspond son signe zodiacal...

    Messiaen possde un sotrisme symbolisant76, type idal reprsent par lalchimiste Paraclse, o lenombre, les images, les sons-couleurs sont analogie. Messiaen fait correspondre, de faon cumnique, les

    religions du monde, et trouve une logique spirituelle universelle dans la symbolique des nombres : on sait saconnaissance des cultures orientales. On trouve de nombreuses illustrations sotriques, et des explicationsmontrant un intrt gourmand, dans le Trait. Par exemple, le rythme candrakal (la beaut de la Lune) qui dbute La constellation du Sagittaire , se structure en deux groupes de 3 auquel on ajoute 1, chiffre 7 dj voqu pour Les sept Anges aux sept trompettes , correspondant lide de Rdemption dans les Vingt Regards sur lEnfant

    Jsus.

    A propos du Sceau de Salomon (chiffre 7)

    Pour les Chinois, explique Messiaen, le Yang et le Yin expriment les forces masculines et fminines qui se partagentlunivers. Un triangle quilatral, la pointe en haut, symbolise llment mle, le feu et le Yang. Un triangle quilatral, la

    pointe en bas, symbolise llment femelle, leau et le Yin. Ces deux figures entrelaces donnent lhexagramme, bas sur le

    chiffre 6. En y ajoutant le cercle dans lequel sinscrivent les 2 triangles, nous obtenons 6 + 1 = 7, et encore une fois, lerapport de 6 7. Le dessin ci-dessus tait connu des Egyptiens. On le nomme Sceau de Salomon . Il fut respect dans laculture hbraque en tant qu Etoile de David . Cest aussi un des diagrammes symboliques ou yantra les plusemploys aux Indes () Le cercle entourant la figure toile reprsente le Temps.77

    La coda de cette mme constellation du Sagittaire se termine par le rythme indou gajajhampa(la forcedu lion, seigneur des catgories), reposant sur le chiffre 4 ; le principe du svastikaenlac reprsentant ce chiffre estutilis par Messiaen pour figurer les quatre piliers thmatiques de la Turangalla-Symphonie.

    Or, la doctrine alchimique est explicitement utilise pour le Thme 4 de la Turangalla-Symphonie : Solve et

    Coagula, Dissous et Coagule , formule alchimique, lune des douze sentences de lsotrisme occidental !78Nest-ce quun amusement ?

    Lalchimie tend tout entire dvelopper sa magie dans la puissance mystrieuse des nombres : Sachezque les sept mtaux drivent de trois matriaux , nonce Paraclse, le matre Alchimiste 79. Sept et trois : nouveau les sept Anges aux sept trompettes ! La symbolique numrale prsente chez Bela Bartk ne renvoyaitpas lAu-del, alors que des compositeurs spirituels comme Manfred Kelkel ou John Cage sinspiraient dushingon travers des mandalassonores ou du Yi king, formes de lsotrisme oriental. Sans parler de compositeursmystico-sotriques comme Giacinto Scelsi, Krzysztok Penderecki ou encore Karlheinz Stockhausen, adepte du

    [Rusbroeket, Rusbrock l'Admirablev, Rusbrochius, Rusbroche], crits, Bgrolles-en-Mauges, Abbaye de Bellefontaine,coll. Spiritualit occidentale , 1990.71

    MONLEON, Jean de,

    Le Sens mystique de l'Apocalypse, op. cit.72SAINT-AUGUSTIN,La Cit de Dieu, Paris, Classiques Garnier, 1960, tome II.73DAQUIN, Thomas, Somme Thologique, Paris, Descle de Brouwer, 1953.74 Lorsque quelquun est heureux, cest parce que dit-on, il est bien honnte grce Dieu, bien gard grce lAngeet bien n de grce au Ciel. Et pour des raisons semblables, les astrologues peuvent juger de la longueur et de labrivet de la vie , DAQUIN, Thomas, Somme contre les gentils, Livre III, chap. 92, cit in JUNCTIN DEFLORENCE, F., Speculum astrologiae(posth., 1581-1583), Lyon, 2 vol., B.N. : n V 1903, p. IX.75Citations mises en exergue La constellation du Sagittaire : vous, astres du ciel, bnissez le Seigneur ! (DANIEL, Cantique des trois jeunes gens, chap. 3, v. 63 ; Dieu appelle les toiles, elles rpondent (Livre deBaruch, chap. 3, V. 35) ; Le concert joyeux des toiles du matin (Livre de Job, chap. 38, v. 7). Les toilesproduisent aussi un concert joyeux en compagnie des acclamations des fils du ciel dans le quatrime pisode dEtexspecto resurrectionem mortuorum (1964).76Cf. RIFFARD, Pierre, op. cit., p. 223.77MESSIAEN, Olivier, Trait, op. cit., cit in: ARNAULT, Pascal, DARBON, Nicolas, Messiaen, op. cit., pp.136-137.78Cf. RIFFARD, Pierre, op. cit., p. 944.79Ibid.p. 351.

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    yoga des uvres de Sri Aurobindo80. La super-formule de Licht81, nest-ce pas une reprsentation de la Clef, la Formule du monde 82, proche de cette Clart simple de la lumire universelle dont parle lauteur deChronochromie83? La synesthsie, enfin : nest-ce pas une alchimie des sons transforms en couleurs - et mme,en couleurs terrestres / clestes chez Messiaen ? Alchimique correspondance entre la musique et lAu-del : Silest un autre monde il est en celui-ci (Paul Eluard)84.

    Lsotrisme de Messiaen est dautre part extatique85: la force dionysiaque qui transparat dans la

    rythmique, le mlodisme, la puissance des contrastes, le rapport la nature, les visions fulgurantes, est une forcesexuelle totalement sublime et centre sur ladoration du divin. Certaines pages de Messiaen sont empreintesdune telle joie mystique quon ne peut sempcher de songer lextase ambigu, rotico-mystique 86 de laSainte Thrse de Bernini87. Rappelons la parent du langage musical messianesque avec celui de lauteur de Pomede lextase (1907), Alexandre Scriabine : rythmes non rtrogradables, mode 2, correspondances colores, rapports lInde, accords mystiques . LActe pralable(1915) est considr comme lune des douze grandes uvres dartsotriques.88

    On peut aussi rflchir sur son aurade Matre face des gnrations dlves qui se sont rclams de luiavec dfrence, en France et dans le monde. On peut le comparer Stockhausen qui, sans tre proprementparler un pdagogue professionnel, est aussi visionnaire et mystique, et qui a eu plus encore ce statut dinitiateuret de passeur.

    Messiaen ntait pas un disciple de lArcane ; il navait pas la religion du silence et du secret , soncatholicisme tait flamboyant, il ne compliquait pas son langage en occultations, au contraire, il lexpliquaitcomme rarement un compositeur ne la fait89. Seul le langage communicable est un stnogramme, mais il perd deson hermtisme, puisque Messiaen le dvoile. Loccultation est plutt le fait dun musicien comme BrianFerneyhough, qui, malgr les prsentations analytiques de ses uvres complexes, cache des structures ou desprocdures, gomme, contrarie certaines logiques. Bien que dune immense richesse, la musique de Messiaen esttout sauf hermtique90.

    Perdant de son hermtisme, claire et dtermine, et donc ne prtendant pas renvoyer un mondecach , elle perdrait de son mystre, si elle ntait musique, ineffable, cest--dire le reflet de lAu-del. Lasyntonie, principe sotrique par excellence, est cet tat semblable qui rend possible le jeu de correspondancessotrique / exotrique, microcosme / macrocosme. Messiaen voque le diamtre possible de lunivers et celuidu proton, tout ce qui est clair et palpable et tout ce qui est obscur, mystrieux, surnaturel, tout ce qui dpasse la

    science et le raisonnement .91Or, la syntonie et cela expliquerait cette Joie si prsente dans ses uvres -est la ralisation heureuse de deux donnes fondamentales : la Connaissance-jouissance et lHomme parfait(Messiaen avait en plus de tout, un nom prdestin). Lsotriste (le microcosme initi) est radieux comme le monde (lemacrocosme mystrieux) est rayonnant. Il y a participation un mme et unique secret. Les mmes lois agissent, lesanalogies fonctionnent 92.

    80AUROBINDO, Sri,La synhtse des Yoga, livre I, Le Yoga des uvres , 1/ Sri Aurobindo Ashram Trust, 1970, 2/Paris, Buchet / Chastel, coll. La braque du soleil , 1972, 452 p.81La super-formule deLichtest reproduite intgralement inRIGONI, Michel, Stockhausen un vaisseau lanc vers leciel, Lillebonne, 1998, 370 p., pp. 278-279.82

    Cf. RIFFARD, Pierre, op. cit., p. 5.83Cit in : PERIER, Alain, op. cit., p. 154.84Cit in RIFFARD, Pierre, op. cit., p. 4.85Cf. RIFFARD, Pierre, op. cit, p. 217.86 Serge Gut parle mme dune rotico-mystique , dune sensualit rotique marque , subodorant une amphibologie dlicieuse entre religieux et extra-religieux dans lemploi rpt de terme comme dsir , grce , amour , bien-aim . GUT, Serge,Le groupe Jeune France, Paris, Champion, 1984, pp. 16-17.87La Sainte Thrse de Bernini se trouve lglise S. Maria della Vittoria.88Cf. RIFFARD, Pierre, op. cit, p. 943.89Toutefois, il tait fascin par le symbolisme cach des cent vingt dei-tlas contenus dans le rngadeva : cette listefut une rvlation, jai senti immdiatement que ctait une mine extraordinaire, je lai regarde et copie, contempleet retourne dans tous les sens pendant des annes afin de parvenir en saisir le sens cach Avant galement desapproprier leur symbolisme cosmique. MESSIAEN, Olivier,Musique et Couleur, op. cit, p. 82.90Lsotrisme prsente deux volets : la forme sotrique qui est lhermtisme, organis en discipline de larcane ;dautre part, lefondsotrique qui est la glose.91A propos deLes choses visibles et invisiblesde lOffertoire, cit in : PERIER, Alain, p. 114.92RIFFARD, Pierre, op. cit., p. 378.

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    Emprunt dsotrisme, Messiaen est pleinement mystique. Messiaen transpose musicalement toutes lescouleurs, les allgories, les principes et la symbolique de la Ville-Fiance. Il faut beaucoup de certitude pour osernommer sa propre pice musicale : Le Chemin de lInvisible , tout en se rfrant la dclaration de Jsus : Jesuis le Chemin, la Vrit, et la Vie .93La musique, quelle soit transposition ou tentative de transposition, estniplus ni moins le Christ. Lpisode musical qui succde, cest encore le Christ, lumire du Paradis . Messiaen estun mystique visionnaire : il Voit ; il entre en intime communion, par la musique, avec le Divin principe mmedu mysticisme. Sa musique sonne toujours comme une rponse. La premire citation de lApocalypse est Je vis

    un Fils . Cela donne : Apparition du Christ glorieux , une succession daccords rsonance contracte, enmode 2 et en mode 3, confie aux bois et cuivres. Ds lors, pourquoi ne pas voquer la dimension purementprophtique de sa musique ? Elle rvle le monde cach de lAu-del et des mystres divins, non certes par laparole, mais par un moyen plus proche peut-tre, celui des sons. Comme saint Franois, les oiseaux lui parlent.Par consquent - et bien que, de part le monde, le Voyant nest quun homme parmi les autres -, plus que sainteCcile, patronne un peu harmonie-fanfare des musiciens, plus que tous les compositeurs croyants, Messiaen,musicien surdou, glorifi, touch par la Grce ds avant de natre, nincarne-t-il pas une forme musicale de lasaintet ?

    Dans lsotrisme, on retrouve le dualisme du simple et du complexe, le mouvement du zro linfini, etinversement, une boucle rcursive que Platon, rfrence des sotristes avec Pythagore, appelait dialectique. Danscet extrait de la correspondance de Thomas Merton, moine cistercien de la Stricte Observance - lun des auteurs

    chers Messiaen la fin de sa vie94

    -, on discerne la fois lidal religieux de simplicit, de dpouillement,dhumilit, et cette ide de reliance95qui est une caractristique de lsotrisme mais aussi lpicentre des sciencesde la complexit.

    Le contemplatif nest pas celui qui a des visions passionnes de chrubins transportant Dieu sur leur char imaginaire, il estsimplement celui qui sest risqu dans un dsert de lesprit au-del du langage, au-del des ides, en ce lieu o Dieu se trouvedans la simplicit de la confiance pure. () Ds lors, le message du contemplatif ne sera pas de vous dire daller cherchervotre joie dans la jungle du langage et des problmes qui entourent Dieu aujourdhui. Que vous le compreniez ou non, Dieuvous aime, Il est prsent en vous, Il vit en vous96.

    Cest exactement ce que la Bhagavad Gtenseigne : Je sige dans la psych intrieure de tous les tres. (15.15)97: Un le tout 98, est lide-clef de lalchimie et de lhermtique ; cest la fois la monade de Leibniz,unit premire contenant le tout, et le principe hologrammatique dE. Morin, le tout tant dans la partie qui estdans le tout99. Plus globalement, si lsotrisme semble avoir des parents avec le morinismecontemporain (cheminement, inachvement, rcursivit, paradoxe, micro / macro) et la science classique -mcanique universelle, principe, loi, nombre, rgles -, il est totalement rejet par le cartsianisme et la philosophieclassique, et lui-mme rejette les thses de Descartes.

    Aux alternatives sparer-relier, simplifier-complexifier, Messiaen apporte une rponse ferme. Face lnigme thologique par excellence de la sainte Trinit - le Divin est-il Unit ou Trinit ? Un ou Multiple ? peut-tre les deux, de faon dialogique : unitas multiplex ? sa rponse musicale est la suivante : Pour bien marquerque le mystre de la Sainte-Trinit napporte aucune composition en Dieu, nous nonons aussitt : Les Troissont Un 100. Par consquent, la pice VIII desMditations sur le Mystre de la Sainte-Trinitpour orgue expose un

    thme issu de lAlleluia de la Toussaint jou dans une parfaite simplicit : nu et sans accompagnement. Plus que

    93On note ce propos un paradoxe : la recherche de la vrit et la vrit se confondent, mais les mots sont diffrents.Rapport dialogique de lUn et du Multiple.94 MERTON, Thomas,La nuit prive d'toiles, Paris, Albin Michel, coll. Espaces libres , 1994, 392 p. Autresouvrages de Thomas Merton en rapport avec le mysticisme oriental : Mystique et zen. Suivi de Journal d'Asie, Paris,Albin Michel, coll. La bibliothque spirituelle , 1995, 532 p. ; Le nouvel homme,1/ The new man, 2/ Paris, Le Seuil,coll. Points. Sagesse , 1995, 189 p.95Inutile de rappeler que lun des sens tymologiques de religion, religare, est relier .96MERTON, Thomas, lettre lAbbaye de Gethsmani, le 21 aot 1967.97La Bhagavad Gt, Le Chant du Seigneur (Sanskrit), est un pisode du Mahbbrata. La Bhagavad-Gt, Paris,s.e., coll. mile-Charles-Marie Senart , 1944, 2edition, trad. avec le texte en regard.98graphie grecque, vers 300.99 Morin, La mthode, livre 3, p. 101, et TROUILLARD , Jean, Les Philosophies de lUn , EncyclopaediaUniversalis, tome 18, Paris, 1985, 1280 p., pp. 427-429.100MESSIAEN, Olivier, livret du disque Trois petites Liturgies de la Prsence divine, op. cit, pp. 30-31.

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