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Droit civil II Jérémy Stauffacher Droit civil II : 1. Cours du 21 septembre 2011 : La notion de droit réel : Un droit réel est un droit subjectif privé (de jouissance) qui confère à son titulaire, à l’exclusion de toute autre personne, la maîtrise (totale ou partielle) d’une chose ou d’un animal. Un droit subjectif privé est une prérogative, un avantage, qui découle du droit au sens objectif. Il permet à quelqu’un d’exiger quelque chose de la part d’un tiers, qui subit l’inconvénient corrélatif à la création de l’avantage. On parle de droits de jouissance (par opposition aux droits de compétence). Les droits de jouissance ou droits primaires donnent directement un avantage à une personne et imposent un inconvénient à une autre (la plupart des droits privés). Les droits de compétence ou droits secondaires sont des droits qui ne donnent pas d’avantage immédiat mais donne la compétence de changer les choses par la suite. Un bailleur peut par exemple décider de résilier le contrat de bail (compétence de résiliation). Le bénéficiaire d’un droit de compétence peut donc modifier la situation juridique lorsqu’il le souhaite (création d’une nouvelle situation juridique). Les droits réels entrent dans la catégorie des droits de maîtrise. Il y a donc création d’un pouvoir sur un bien, au contraire des droits de créance qui visent à obliger une seule personne à effectuer une prestation. Les droits corporatifs découlent eux de l’appartenance à un groupe, une société ou une association (l’actionnaire d’une SA a le droit de toucher des dividendes par exemple). Les droits de maîtrise confèrent au titulaire le pouvoir sur une chose envers tous (erga omnes). Ce sont donc des droits absolus Les droits de maîtrise résultent du fait que le titulaire est en droit d’exiger de tout le monde l’abstention vis-à-vis de la chose. Le pouvoir sur la 1

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Droit civil II Jérémy Stauffacher

Droit civil II :1. Cours du 21 septembre 2011   :

La notion de droit réel   :

Un droit réel est un droit subjectif privé (de jouissance) qui confère à son titulaire, à l’exclusion de toute autre personne, la maîtrise (totale ou partielle) d’une chose ou d’un animal. Un droit subjectif privé est une prérogative, un avantage, qui découle du droit au sens objectif. Il permet à quelqu’un d’exiger quelque chose de la part d’un tiers, qui subit l’inconvénient corrélatif à la création de l’avantage. On parle de droits de jouissance (par opposition aux droits de compétence). Les droits de jouissance ou droits primaires donnent directement un avantage à une personne et imposent un inconvénient à une autre (la plupart des droits privés). Les droits de compétence ou droits secondaires sont des droits qui ne donnent pas d’avantage immédiat mais donne la compétence de changer les choses par la suite. Un bailleur peut par exemple décider de résilier le contrat de bail (compétence de résiliation). Le bénéficiaire d’un droit de compétence peut donc modifier la situation juridique lorsqu’il le souhaite (création d’une nouvelle situation juridique).

Les droits réels entrent dans la catégorie des droits de maîtrise. Il y a donc création d’un pouvoir sur un bien, au contraire des droits de créance qui visent à obliger une seule personne à effectuer une prestation. Les droits corporatifs découlent eux de l’appartenance à un groupe, une société ou une association (l’actionnaire d’une SA a le droit de toucher des dividendes par exemple). Les droits de maîtrise confèrent au titulaire le pouvoir sur une chose envers tous (erga omnes). Ce sont donc des droits absolus Les droits de maîtrise résultent du fait que le titulaire est en droit d’exiger de tout le monde l’abstention vis-à-vis de la chose. Le pouvoir sur la chose découle donc de l’absence de comportement des tiers (tout le monde doit s’abstenir d’agir : le contenu du droit n’est donc pas énoncé). Les droits de créance sont à l’opposé des droits de maîtrise puisqu’ils obligent une seule personne à effectuer un comportement actif. La conséquence de cette notion de droit de maîtrise est que le droit n’est à l’origine pas actualisé. Le droit n’est véritablement « actif » que lorsque la maîtrise est menacée. Le droit donne alors deux prérogatives : les actions réparatrices et défensives.

L’objet des droits de maîtrise est la chose (catégorie des droits réels), mais pas uniquement. Les droits de la personnalité sont une catégorie des droits de maîtrise. Les droits réels touchent la chose (objet ou animal) alors que les droits de la personnalité touche la personne directement. Il existe en outre une 3 ème

catégorie : les droits de la propriété immatérielle, comprenant les droits d’auteur entre autre. Les droits réels sont des droits sur des choses. Toutefois, selon l’article 641a CC, on applique aux animaux les mêmes dispositions qu’aux choses. Il y a donc des similitudes entre choses et animaux. En résumé, on peut dire que

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les droits réels sont absolus (erga omnes), latents (inactifs, sans menaces d’atteinte), sans contenu précis (contenu général) et patrimoniaux (estimable en argent). Il est important de bien distinguer le droit réel de la possession. Le droit réel trouve son fondement dans le système juridique. Il y a donc des règles qui justifient un droit réel (acquisition valable). La possession n’est qu’une situation de fait, une maîtrise matérielle. En général, le propriétaire est possesseur, mais ce n’est pas toujours vrai (cas du voleur). Malgré tout, le possesseur est protégé par certains mécanismes juridiques.

Éléments liés   :

Le droit réel est lié à un certain nombre d’éléments. Premièrement, le droit de suite permet au titulaire du droit réel de suivre son objet où qu’il se trouve afin de le récupérer. Cette faculté découle du caractère erga omnes du droit réel. Cela souligne une fois de plus la différence avec les droits de créances. Le droit de suite est toutefois limité dans le but de protéger la bonne foi du tiers. Si un tiers acquiert de bonne foi la possession d’un objet qui appartient à quelqu’un d’autre, on peut qualifier la chose d’objet volé (cas où une personne à qui on a confié une chose la revend à un tiers, sans l’avertir que la voiture ne lui appartient pas : le droit suisse donne la priorité au tiers de bonne foi, qui devient propriétaire de l’objet qu’il achète, le propriétaire originel ne peut donc demander que des dommages et intérêts auprès de la personne qui a trahi sa confiance, mais plus la restitution de l’objet). Deuxièmement, le droit de préférence donne la priorité au titulaire d’un droit réel par rapport aux droits de créance (droits personnels). Si le propriétaire d’une maison vend cette maison alors qu’un tiers en était usufruitier, la vente de la maison se fera avec la qualité d’usufruitier du tiers (la maison est grevée d’une servitude). Le droit réel de l’usufruitier l’emporte donc sur le droit de créance de l’acheteur de la maison.

Les types de droits réels   :

Il existe deux grands types de droits réels : la propriété et les droits réels limités. La propriété donne la maîtrise totale sur un bien alors que les droits réels limités n’accordent qu’une maîtrise limitée. La maîtrise totale est divisée en trois composantes : l’usus, le fructus et l’abusus, autrement dit l’usage, la perception des fruits et la disposition du bien (aliénation totale ou partielle, destruction). Un propriétaire a un pouvoir total sur l’objet et réunit donc ces trois composantes. L’art. 641 CC précise toutefois que ce pouvoir s’exerce dans les limites de la loi. Il existe donc un certain nombre de restrictions imposées par la loi. La propriété peut également être individuelle (propriétaire unique) ou collective (propriétaires multiples). Dans ce dernier cas, le droit de propriété est unique, mais il est exercé, détenu, par plusieurs personnes. On distingue deux formes de propriété collective : la copropriété (propriété par étages) et la propriété

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commune. Dans un cas de copropriété, plusieurs personnes sans lien apparent deviennent propriétaire d’un bien et possèdent des quote-parts idéales de ce bien (qui peuvent être vendues). Une fois la copropriété créée, une relation naît entre les copropriétaires (communauté incidente). La propriété par étages est un type de copropriété (on devrait dire copropriété par étages). Les copropriétaires par étages doivent se répartir le bien (au contraire des copropriétaires qui possèdent tous le bien dans son ensemble, sans répartition). Comme le nom l’indique, des copropriétaires par étages possèdent chacun un droit localisé sur une partie du bien. Les copropriétaires par étages sont propriétaires du bien tout entier mais procèdent ensuite à une répartition, un partage (droit localisé). La propriété commune quant à elle exige que les propriétaires communs soient liés entre eux par une certaine relation juridique (héritiers par exemple : communauté héréditaire, hoirie). La différence massive réside en outre dans l’absence de quote-part. Un propriétaire commun ne peut donc pas vendre l’objet sans l’accord des autres propriétaires.

Les droits réels limités sont absolus mais ne confèrent qu’une maîtrise partielle (usage et / ou jouissance ou valeur de garantie). Les biens ont en effet un intérêt pour l’usage que l’on peut en faire mais également pour leur valeur pécuniaire. Certains droits réels limités permettent d’avoir la maîtrise exclusive sur la valeur de garantie (droit de gage : droit sur le prix que l’on pourrait tirer en vendant un objet : le créancier gagiste, par exemple, a donc le droit de prendre l’exclusivité du prix). Il existe trois types de droits réels limités :

Les servitudes permettent d’avoir l’usage et / ou la jouissance d’un bien. Selon l’art. 730 al. 1 CC, les servitudes peuvent être de différents types. Elles peuvent tout d’abord être affirmatives (permettant au titulaire d’exercer certains droits sur la chose : servitude de passage) ou négatives (obligeant le propriétaire à s’abstenir de tout comportement : interdiction de bâtir). Il existe ensuite un certain nombre de distinctions à établir :

- Les servitudes mobilières : ce sont alors toujours des usufruits.- Les servitudes immobilières : il en existe deux types :

o Les servitudes immobilières foncières grèvent un immeuble au profit du propriétaire actuel d’un fond. Exemple de la servitude de passage : c’est le propriétaire de la maison située à côté du fond sur lequel le passage se fait qui bénéficie de la servitude de passage. La servitude immobilière foncière est donc liée à la qualité de propriétaire d’un fond (en faveur du fond dominant). La servitude est donc accordée en lien avec la qualité de propriétaire.

o Les servitudes immobilières personnelles font primer la personne et non le fond. La qualité de propriétaire d’un autre fond n’influence donc pas la servitude, qui est liée à la personne et non à un fond dominant. Exemple de la servitude de parking accordée à une personne travaillant en ville. Ces servitudes peuvent être :

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Les servitudes immobilières personnelles proprement dites (ou régulières) : indissociables du titulaire (aucune transmission possible), on peut citer l’usufruit (art. 745 CC) et le droit d’habitation (art. 776 al. 1 CC).

Les servitudes immobilières personnelles improprement dites (ou irrégulières) que l’on peut diviser en deux groupes :

Les servitudes cessibles, à savoir les droits personnels de superficie, permettant à son titulaire de construire sur le fond d’un tiers (art. 779 al. 1 CC) ou de source, permettant à son titulaire d’utiliser l’eau d’une source (art. 780 CC).

Les servitudes incessibles, à savoir les différentes servitudes de l’art. 781 CC (droit personnel de passage entre autre).

2. Cours du 28 septembre 2011   :

Les droits de gage, autre type de droits réels limités, permettent de faire réaliser à son profit l’objet grevé, si la créance garantie n’est pas payée. Si un propriétaire doit de l’argent à un créancier (souvent une banque en matière immobilière) et ne paye pas, le créancier peut poursuivre le débiteur pour faire exécuter la créance et se faire verser en priorité (à concurrence du montant de sa créance) la somme ainsi obtenue. Un créancier chirographaire est un type particulier de créancier : il a une créance personnelle mais sans gage. Il se sert donc après les créanciers gagistes, s’il reste un solde. En résumé, le gage permet de profiter en priorité de la valeur de réalisation d’un bien. Il existe deux types de droits de gage :

- Les trois formes de droits de gage immobiliers (art. 793 ss) :o L’hypothèque (art. 824 à 841 CC) : il s’agit alors d’un gage sans

dépossession (la personne conserve sa maison). Les hypothèques sont en général constituées volontairement pour obtenir un prêt bancaire. Il existe pourtant également des hypothèques légales (imposées par la loi ou découlant de la loi) directes (art. 836 CC) ou indirectes (la loi donnant au créancier le droit d’obtenir une hypothèque).

o La cédule hypothécaire (art. 842 à 874 CC) : elle se distingue de l’hypothèque car la créance et le gage sont indissociables, liés par un papier-valeur (pas de gage sans créance ou inversement). La cédule hypothécaire est une créance personnelle garantie par un gage immobilier. Le débiteur répond alors non seulement sur l’immeuble, mais également sur tous ses biens.

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o La lettre de rente (art. 842 à 874 CC) : abrogée le 31 décembre 2011 (entrée en vigueur de la révision des droits réels), la lettre de rente est peu utilisée (2 dans toute la Suisse). Il s’agit d’une créance constituée en charge foncière sur un immeuble, n’obligeant que le propriétaire de l’immeuble grevé. Au contraire de la cédule hypothécaire, ce dernier ne répond que sur l’objet du gage, et non sur ses propres biens. De même, au contraire de la cédule hypothécaire et de l’hypothèque, le débiteur est forcément le propriétaire de l’objet du gage (de l’immeuble).

- Les droits de gage mobiliers (art. 884 ss), pouvant prendre les formes principales suivantes :

o Le nantissement (art. 884 CC) : dans les cas de nantissement, le débiteur qui constitue le gage doit se dessaisir de l’objet qu’il met en gage (objet remis au créancier, la banque en général).

o Le droit de rétention (art. 895 CC) : ce droit permet dans certains cas au créancier de conserver l’objet du gage tant que le débiteur n’a pas payé la créance (exemple du garagiste qui a le droit de conserver le véhicule tant que le facture n’est pas payée). Le propriétaire confie donc son objet a un tiers, qui a le droit de retenir l’objet jusqu’au paiement de la facture.

o Les hypothèques mobilières (art. 885 CC) : lorsque le nantissement n’est pas possible (dessaisissement impossible), on inscrit les gages dans un registre, ce qui permet au débiteur de conserver la possession de l’objet (cas d’avions, de bateaux ou de bétail).

Le troisième et dernier groupe de droits réels limités est les charges foncières (art. 782-792 CC). Il s’agit du droit d’exiger du propriétaire actuel d’un immeuble certaines prestations (par exemple livrer une certaine quantité de bois), dont ce propriétaire ne répond que sur cet immeuble. La prestation doit être en relation avec le fond d’un propriétaire.

Contrairement aux créances normales, dans le cadre d’une charge foncière, le débiteur ne répond que sur l’immeuble en question (art. 782 al. 1 CC). Le créancier ne peut donc pas faire réaliser autre chose que l’immeuble. On dit donc parfois que ce n’est pas véritablement une créance. Il s’agit d’une sorte de droit de gage limité à l’immeuble grevé.

C’est donc un désavantage par rapport aux créances normales. Cependant, sur l’immeuble en question, le titulaire dispose d’un droit de gage (droit réel limité opposable à tous). Les charges foncières protègent donc les biens du propriétaire de l’immeuble mais menacent en même temps l’immeuble directement puisqu’il est grevé.

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Droits analogues aux droits réels   :

Certains droits ressemblent à des droits réels sans en avoir les capacités. On leur donne juste une image qui les rapproche des droits réels. Il existe 4 droits analogues aux droits réels :

- Les obligations réelles ou propter rem : ce sont des créances pour lesquelles le débiteur et / ou le créancier sont désignés par le fait qu’ils sont propriétaires d’un bien : la créance suit donc la propriété du fond ou de l’objet en question et non pas la personne directement.

- Les droits personnels renforcés : ce sont des créances (droits personnels), liées par exemple au droit d’emption (droit d’acheter sans obligation), renforcées par une annotation au registre foncier. Le droit d’emption annoté permet à l’empteur de l’emporter sur les droits réels limités, servitudes postérieures à son droit d’emption par exemple. Ainsi, l’empteur qui achète un immeuble pourra faire radier une servitude qui aurait été constituée sur l’immeuble après l’annotation du droit d’emption (radiation des droits réels limités possible entre l’annotation du droit d’emption au registre foncier et l’achat de l’immeuble par l’empteur). Il en va de même pour les droits de préemption octroyés par la loi dans certains cas.

- Les droits d’appropriation : ces droits permettent de devenir propriétaire de certaines choses ou animaux. L’art. 699 CC évoque l’appropriation des baies en forêt. Il ne s’agit pas de droits réels qui confèrent une maîtrise, mais de droits préférentiels en attribution d’un tel droit réel (propriété).

- Les expectatives de droits réels : ce sont des situations d’attente de création de droit réel. Dans l’exemple d’un achat par acomptes par exemple, la propriété passe une fois que le dernier acompte est payé.

L’objet des droits réels   :

L’objet des droits réels est la chose (portion délimitée et impersonnelle de l’univers, qui est susceptible d’une maîtrise humaine et n’est pas un animal). La chose doit donc présenter les caractéristiques suivantes :

- Il doit s’agir d’un objet matériel. Les droits, les énergies ou le patrimoine ne sont donc pas des choses.

- L’objet doit être délimité, présenter une certaine cohésion. Cela pose problème pour les liquides et les gaz. On considère que la cohésion est créée par le récipient qui les renferme.

- L’objet doit être susceptible d’appropriation. Cela exclut donc l’air libre, la lumière ou l’eau courante (usage commun : res communes omnium).

- L’objet doit être impersonnel, excluant le corps des personnes vivantes (et les prothèses, mais pas les perruques ou les dentiers).

- Enfin, il ne doit pas s’agir d’un animal (art. 641a CC).

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Les choses soustraites au droit privé   :

Le droit public soustrait totalement ou partiellement certaines choses au domaine privé : il s’agit des choses publiques et des choses hors du commerce :

- Les choses publiques : affectées directement et de façon permanente à des buts d’intérêt public ou à l’usage commun, leur aliénation est en conséquence restreinte ou supprimée. Il en existe deux groupes :

o Les choses du patrimoine administratif : ce sont les choses qui servent directement à l’accomplissement d’une tâche publique (immeubles administratifs, écoles, casernes). Cette catégorie comprend également les choses totalement ou partiellement religieuses (res divini juris), comme les lieux de culte (res sacrae) ou les cimetières (res religiosae).

o Les choses dans l’usage commun (art. 664 CC) : l’art. 664 CC désigne ces choses par l’expression « choses sans maître ». Il ne faut alors pas confondre les choses dans l’usage commun avec les choses sans maître (au sens original) qui désigne des choses susceptibles d’appropriation mais qui ne sont actuellement dans la propriété de personne.

Les glaciers, les cours d’eau (s’ils sont qualifiés de choses), les terrains impropres à la culture.

Les choses dans l’usage commun par affectation, comme les routes, les places ou les parcs publics.

- Les choses hors du commerce (res extra commercium) : l’aliénabilité est supprimée ou restreinte en raison de leur nature ou pour des motifs d’intérêt général (organes ou tissus humains, stupéfiants, poisons).

Pluralités de choses   :

Il arrive parfois que plusieurs choses aient entre elles des traits communs qui ont une importance juridique. On dénombre trois cas : les universalités de fait, les universalités de droit et la relation chose principale – chose accessoire :

- Les universalités de fait : il s’agit d’une pluralité de choses distinctes qui, en raison de leur commune affectation économique, forment une unité dans les affaires (une bibliothèque, un paquet d’actions, une collection de timbres : rapport de coordination, par opposition au rapport de subordination). Pour les droits réels, l’universalité de fait n’a aucune importance (la maîtrise portant sur chaque chose individuelle qui compose l’universalité, principe de spécialité). En revanche, en droit des successions ou en droit des obligations, il est possible de traîter une universalité de fait comme un ensemble de choses. Il ne faut alors pas

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confondre universalité de fait et chose multiple, cette dernière étant considérée comme une chose unique au regard des droits réels.

- Les universalités de droit : il s’agit d’un ensemble de choses et de droits assujettis à un but et formant de ce fait une certaine unité. L’universalité de droit n’est pas objet de droits réels (principe de spécialité) mais son unité est reconnue par le droit dans une mesure plus large que l’universalité de fait. On peut citer trois principaux cas d’universalité de droit : le patrimoine (ensemble des droits pécuniaires appartenant à une personne, droits réels, droits corporatifs, créances, etc), le patrimoine séparé (droits pécuniaires détachés du patrimoine) et l’entreprise (ensemble organisé de choses, de droits et de relations de fait).

- La relation chose principale – chose accessoire (art. 644) : l’accessoire est un objet mobilier qui, d’après l’usage local ou la volonté clairement manifestée du propriétaire de la chose principale, est affecté d’une manière durable à l’exploitation, à la jouissance ou à la garde de celle-ci et qui est joint, adapté ou rattaché pour le service de la chose. Dépendant économiquement de la chose principale (rapport de subordination), la loi présume qu’il suit le sort juridique de celle-ci.

Classification des choses   :

Comme en droit romain, il existe un certain nombre de distinctions à établir parmi les choses pour mieux les définir :

- Meubles et immeubles : un meuble est une chose qui peut être transportée d’un lieu dans un autre sans altération de sa substance (art. 713 CC). Un immeuble est une portion de la surface terrestre (biens-fonds), comprenant ce qui y est étroitement rattaché (constructions, plantes ou droits immatriculés au registre foncier, art. 655 al. 2 CC). La distinction est essentielle : propriété mobilière (art. 713-729) et propriété immobilière ou foncière, (art. 655-712t) ou gage mobilier (art. 884 à 918) et gage immobilier (art. 793 à 883).

- Choses fongibles et choses non-fongibles : les choses fongibles (vins, argent, fruits) sont des choses désignées habituellement par leur nombre, leur poids ou leur mesure. Elles sont donc remplaçables par une chose du même type (au contraire des choses non-fongibles : une œuvre d’art, un immeuble, des fers à béton façonnés pour une construction). Le critère de distinction est objectif, c’est l’usage des affaires et non la volonté des parties qui est décisif.

- Choses de genre et choses d’espèce (ou corps certains) : au contraire des choses fongibles et non fongibles, le critère de distinction entre choses de genre et choses d’espèce est subjectif. Autrement dit, c’est la volonté des parties qui est déterminante. Il faut donc se demander si l’objet en

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question a une valeur « unique » aux yeux des parties. Une chose de genre est donc généralement remplaçable, alors qu’un corps certain ne l’est pas.

- Choses consomptibles et choses non consomptibles : une chose est consomptible lorsque son utilisation provoque sa disparition juridique (denrées alimentaires, carburants, argent). Les choses consomptibles ne sont donc pas destinées à être consommées (immeuble, habits).

- Choses divisibles et indivisibles : une chose est divisible si elle peut, sans diminution sensible de sa valeur, être décomposée en plusieurs choses ayant économiquement la même valeur (liquides, pièce d’étoffe et même argent, par interprétation économique). Une chose est donc indivisible lorsqu’il n’est pas possible de la diviser sans entraîner une perte sensible de sa valeur économique.

- Choses simples et choses complexes : une chose simple constitue une unité homogène ou infrangible. L’unité peut être donnée par la nature (pierre, plante) ou par l’homme (feuille de papier, pièce de monnaie). Une chose complexe (art. 642 al. 2 CC) au contraire est faite de parties (parties intégrantes) qui conservent leur existence physique mais qui ne sont plus considérées par le droit comme des choses distinctes (voiture, armoire, immeuble). Au contraire de l’accessoire, la partie intégrante n’est donc pas une chose mais un élément constitutif d’une chose.

Enfin, il existe trois catégories d’éléments qui ne sont pas des choses et qui pourtant y sont, dans une certaine mesure, assimilées. Ce sont :

- Les animaux : selon l’art. 641a CC, les animaux ne sont pas des choses mais sont tout de même régis par les dispositions applicables aux choses (respect de la sensibilité animale et du sentiment d’affection). Précisons que seuls certains animaux ont un régime distinct de celui des choses :

o Les animaux de compagnie vivant en milieu domestique qui ne sont pas gardés dans un but patrimonial ou de gain : art. 651a, 722 al. 1bis, 728 al. 1bis, 934 al. 1 CC, 43 al. 1bis CO et 92 LP.

o Le bétail : art. 613a, 715 al. 2, 885 CC et 15 LDFR.o Les animaux échappés : art. 719 CC.

- Les forces naturelles : l’art. 713 CC assimile les forces naturelles aux choses mobilières. Toutefois, l’application des règles relatives aux meubles ne peut se faire que par analogie, les forces naturelles n’étant pas des choses (comme les animaux et les droits). La force naturelle doit être comprise dans son sens physique, à savoir la capacité de fournir un travail (énergie hydraulique, chimique, électrique, atomique). Ils sont donc objets de droits réels (pour autant qu’ils soient captés et utilisés).

- Certains droits : cela concerne :o L’art. 646 al. 3 CC : aliéner ou engager le droit d’un copropriétaire.o L’art. 655 al. 2 CC : assimilant certains droits à des immeubles.o L’art. 745 al. 1 CC : disant que l’usufruit peut porter sur des droits.

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o L’art. 899 al. 1 CC : précisant que des droits (créances) peuvent être objet de droits de gage.

Les principes de règlementation   :

Certains principes règlementent les droits réels (6 principes). Premièrement, il existe un nombre limité de droits réels, on parle du principe du numerus clausus. En effet, comme vu précédemment, il existe quatre types de droits réels : la propriété, les servitudes, les droits de gage et les charges foncières. Cela est logique puisque l’une des caractéristiques du droit réel est d’être opposable à tous. Chacun doit donc pouvoir clairement identifier le contenu des droits réels existants (question des sécurités des transactions).

Deuxièmement, les droits réels doivent se voir et être perceptibles par les autres. On parle du principe de publicité des droits réels. Il doit y avoir une forme extérieure, reconnaissable par tous les tiers. Pour les meubles, la loi organise la publicité des droits réels autour de la possession. Le fait de posséder un meuble montre l’existence d’un droit réel. Pour les immeubles, la possession ne joue pas le même rôle. On utilise en effet le registre foncier pour assurer la publicité des droits réels visant les immeubles. Cela a deux conséquences :

- Premièrement, on présume que le possesseur d’un meuble et la personne inscrite au registre du foncier sont bien titulaires du droit qu’ils prétendent avoir (art. 930, 931 et 937 CC).

- Deuxièmement, le tiers qui se fie de bonne foi à l’apparence créée et acquiert sur cette base un droit réel est protégé dans son acquisition (art. 933 à 935 et 973 CC).

Troisièmement, on parle également du principe de processus d’acquisition (constitution ou transfert), qui veut que l’on applique toujours les mêmes mécanismes en matière d’acquisition des droits réels. Dans ce cadre-là, il faut alors distinguer :

- L’acquisition moyennant modification de la possession ou inscription au registre foncier (respect du principe de publicité). L’acquisition peut avoir lieu de deux manières :

o Acquisition dérivée : l’acquéreur tire son droit de l’aliénateur. Dans une vente, l’acheteur va acquérir le droit du vendeur. Si le droit du vendeur était valable, le droit de l’acheteur le sera également. Pour que l’acquisition ait lieu, il faut :

Un titre d’acquisition : une personne s’engage à vous faire parvenir son droit. Il s’agit donc d’un contrat / acte générateur d’obligations. Sans titre d’acquisition, il est impossible d’acquérir valablement. À la signature du contrat générateur d’obligations, le vendeur reste propriétaire de l’objet (au contraire de la France, où la

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vente fait passer la propriété, sans qu’il soit nécessaire d’exécuter la vente).

Une opération d’acquisition : la personne doit exécuter son engagement et réaliser ce qu’elle a promis de faire, réaliser la vente dans le cas de la vente d’un immeuble par exemple. Cette opération d’acquisition est constituée de deux éléments :

Un acte de disposition : il s’agit d’une manifestation de volonté par laquelle l’aliénateur relâche son droit et y renonce. En matière immobilière, il est nécessaire de procéder à une réquisition d’inscription au registre foncier (inscrire le nouveau propriétaire de l’immeuble).

Un acte matériel : il s’agit du changement effectif de la possession (transfert physique ou inscription au registre foncier). A ce moment-là uniquement, la propriété est transférée à l’acheteur.

o Acquisition originaire : on acquiert alors par soi-même, sans tirer son droit de quelqu’un d’autre. On peut acquérir de manière originaire une chose sans maître (animal sauvage par exemple, art. 718 CC). On peut citer l’occupation comme exemple d’acquisition originaire. Il faut une manifestation de publicité mais l’acquisition se fait sans l’intervention d’un tiers, sans transfert de propriété.

- L’acquisition sans modification de la possession ou inscription au registre foncier (exemple des héritiers reprenant les droits du de cuius). Ce sont donc des cas exceptionnels, influencés par les circonstances de la vie (dérogation au principe de publicité).

Quatrièmement, le principe de causalité signifie que l’opération d’acquisition n’est valable que si le titre d’acquisition (contrat de vente par exemple) l’était également. Il n’est énoncé expressément qu’en matière immobilière (art. 974-975 CC) mais il s’applique également aux meubles.

Cinquièmement, le principe de spécialité veut que chaque droit réel porte sur un objet déterminé. Il y a ainsi autant de droits réels que d’objets. Il est donc impossible de vendre directement tous ses biens.

Sixièmement, le principe de priorité dans le temps fixe la relation entre plusieurs droits réels. Selon ce principe, les droits réels limités priment sur la propriété (le propriétaire acceptent de limiter sa maîtrise absolue de la chose). Il n’y a donc pas de question de priorité temporelle entre propriété et droits réels limités. Par contre, entre les différents droits réels limités, le droit le plus ancien prime : prior tempore, potior jure : le premier dans le temps dispose du droit le plus fort. Le moment décisif est celui de la date de constitution d’un droit (exemple à l’art. 893 al. 2 CC). Il existe toutefois une exception : en matière de droits de gage

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immobiliers, le rang des droits réels est déterminé par la case hypothécaire qui est assignée aux droits de gage immobiliers (art. 813 CC).

3. Cours du 5 octobre 2011   :

La possession   :

Le code définit la possession à l’art. 919 CC (art. 919-941 CC) : il s’agit de la maîtrise effective d’un bien. La possession est donc un pouvoir de fait sur un bien matériel, au contraire des droits réels qui confèrent une maîtrise de droit, caractérisée par la légitimité de sa cause. La possession par contre est indépendante de tout droit et existe par le seul fait qu’un bien est maîtrisé. Toutefois, même s’il s’agit d’une situation de fait, la loi lui attache certaines conséquences juridiques. Le possesseur peut ainsi se défendre contre un perturbateur, chasser un usurpateur, invoquer la présomption de droit et parfois même reprendre un bien en se fondant sur le fait qu’il l’a possédé antérieurement. La notion de possession retenue dans le CC provient essentiellement du droit germanique (et non pas du droit romain). En effet, la maîtrise matérielle (corpus) est requise, mais une maîtrise économique est suffisante. L’idée d’animus n’est donc pas reprise comme telle en droit suisse, même si la maîtrise effective n’existe que si elle est assortie de la volonté de posséder. En outre, comme en droit germanique, la maîtrise multiple est possible (fermier qui exploite un fond et propriétaire qui perçoit les fermages). Au final, la possession est toujours la somme d’un élément de fait et d’un élément subjectif :

- L’élément de fait : il s’agit de la maîtrise de fait qu’une personne est en mesure d’exercer sur un bien matériel, pour autant que cette maîtrise ne résulte pas de circonstances de nature passagère qui interrompent la maîtrise d’autrui. Il y a donc deux composantes :

o Une maîtrise de fait : la maîtrise peut être physique (rapport spatial entre le possesseur et le bien : le bien doit se trouver dans la sphère d’influence du possesseur) ou intellectualitée (par son comportement, le possesseur affirme que le bien est dans sa sphère d’influence). On peut citer comme exemples de rapport spatial les vêtements que porte une personne, la voiture en stationnement ou la machine agricole laissée sur le champ. Comme exemples de maîtrise intellectualisée le propriétaire d’un appartement qu’il loue à un tiers ou le propriétaire d’un tas de bois entreposé en forêt.

o Aucune interruption passagère de la maîtrise d’autrui : la maîtrise de fait acquise par suite de circonstances de nature passagère suspendant la maîtrise d’autrui n’est pas suffisante pour fonder la possession (art. 921 CC). Ainsi, le client qui prend en main les articles dans un magasin n’en devient pas pour autant possesseur.

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- L’élément subjectif : celui qui maîtrise effectivement un bien doit en plus avoir la volonté de posséder. La possession est en effet un acte humain qui met en cause l’intelligence et la volonté. L’intéressé doit donc avoir la volonté générale de posséder des biens d’un genre déterminé ou remplissant certaines conditions. Ainsi, le titulaire d’une boîte aux lettres est automatiquement possesseur du courrier qui y est inséré car, en plaçant la boîte, il a exprimé d’une manière générale la volonté de maîtriser le contenu de celle-ci. Cette manifestation de volonté n’est pas un acte juridique mais une action de fait (actus realis). Une certaine capacité de discernement est donc requis, mais la capacité civile active n’est pas en soi nécessaire (cela n’exclut donc pas d’office les personnes mineures ou interdites). En outre, comme vu précédemment, l’interruption passagère de la maîtrise ne conduit pas à la perte de la possession (la possession repose alors uniquement sur la volonté).

La possession des droits   :

L’art. 919 al. 2 CC régit la possession des servitudes et des charges foncières. Dans ces deux cas, elle consiste dans l’exercice effectif du droit. En définitive, elle n’est utile que si l’exercice du droit n’implique pas par lui-même une maîtrise du bien sur lequel il porte. Ainsi, le titulaire d’une servitude affirmative sur un fonds et qui exerce celle-ci obtient par cet exercice une maîtrise effective partielle du fonds servant : la possession du droit ne semble donc rien ajouter à sa position. En ce qui concerne les servitudes négatives, on considère que le titulaire exerce son droit si le propriétaire du fonds servant s’abstient de certains actes d’utilisation (dans le but de respecter la servitude). Pour les charges foncières, il y a exercice du droit si les prestations sont fournies ou si l’ayant droit les a réclamées. En outre, même si l’art. 919 al. 2 CC ne concerne que les servitudes et les charges foncières, certains auteurs estiment qu’il est possible de posséder une créance ou un droit de la propriété immatérielle.

La possession fictive   :

Dans certains cas, le code admet une possession fictive faisant abstraction des éléments énoncés (maîtrise de fait ou volonté) par l’art. 919 al. 1 CC :

- Le maître d’une maison habitée ou une entreprise publique est censé être possesseur des objets perdus dans les locaux soumis à son autorité, qu’il sache ou non que ces objets s’y trouvent (art. 720 al. 3 CC), faisant ainsi abstraction de la volonté de posséder.

- Selon l’art. 921 CC, celui dont la maîtrise de fait est interrompue par des faits de nature passagère, reste possesseur, sans prise en compte de l’élément de fait.

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- Enfin, selon l’art. 560 al. 2 CC, les héritiers sont, dès le décès, possesseurs de plein droit des biens qui étaient en possession du de cuius. Ils acquièrent en définitive la même possession (originaire, dérivée, médiate) qu’avait le défunt. Dans ce cas, on fait donc abstraction de la volonté de posséder et de la maîtrise de fait.

Espèces de possessions   :

Il existe tout d’abord trois notions voisines de la possession :

- La possession pour autrui : le possesseur pour autrui (auxiliaire de la possession ou instrument de la possession) exerce directement la maîtrise de fait sur un bien, mais seulement à titre subalterne, pour le compte du véritable possesseur. Il y a donc un lien de subordination entre le possesseur pour autrui et le véritable possesseur. On peut citer comme exemples le travailleur par rapport aux outils mis à sa disposition, l’employé d’un supermarché par rapport aux marchandises, le berger par rapport au troupeau qu’il surveille, etc. Précisons que l’auxiliaire de la possession ne bénéficie pas de la protection de la possession, ni de la protection du droit (sauf éventuellement le droit de défense, art. 926 CC).

- La puissance : il s’agit d’une maîtrise de fait supposant un rapport spatial assez étroit et indépendante de tout élément subjectif.

- La détention : utilisée en droit de la responsabilité civile, cette notion est proche de celle de la puissance (art. 56 CO, 58 LCR).

A côté de ces deux notions proches de la possession, il existe plusieurs types de possession répartis dans trois critères de distinction :

- Possession simple et possession multiple : lorsqu’il y a maîtrise de fait totale, le bien maîtrisé ne faisant l’objet que d’une seule possession, on parle de possession simple. Au contraire, lorsqu’un seul bien fait l’objet de plusieurs possessions de qualités différentes, on parle de possession multiple. Il existe alors deux types de possessions multiples, fondés respectivement sur le genre de maîtrise exercée et sur le titre sur lequel la maîtrise repose :

o Possession immédiate et possession médiate : la possession immédiate est celle de la personne qui exerce directement, sans intermédiaire, la maîtrise de bien sur un bien. La possession médiate est celle de la personne qui exerce sa possession par le truchement d’un tiers auquel elle a accordé un droit.

o Possession originaire et possession dérivée : il s’agit des seules espèces de possession expressément mentionnées dans le code (art. 920 CC). Dans ce type de possession, une relation lie le possesseur originaire au possesseur dérivé. Le premier, possédant un bien comme propriétaire ou à un autre titre, le remet à un tiers pour lui conférer sur ce bien, un droit réel limité ou un droit

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personnel. Le deuxième est celui à qui le possesseur originaire remet un bien (usufruitier, locataire, emprunteur, dépositaire, etc.). Le possesseur originaire doit donc posséder comme propriétaire (ou à un autre titre), peu importe que celui-ci soit valable ou non (cas du voleur). En outre, le possesseur dérivé doit reconnaître qu’il tient sa possession d’un tiers qui pourra à tout moment exiger la restitution de l’objet. Cela veut donc dire que si le possesseur dérivé décide de ne plus reconnaître la possession originaire de celui qui lui a confié l’objet, il devient lui-même possesseur originaire (cas du voleur). Enfin, précisons que le possesseur originaire est forcément un possesseur médiat alors que le possesseur dérivé peut être un possesseur médiat ou immédiat (cas du sous-locataire).

- Possession individuelle et possession collective : la possession individuelle (peu importe son type) est celle qui est exercée par une seule personne. Au contraire, la possession collective est celle qui est exercée par plusieurs possesseurs, qui peuvent alors être :

o De même qualité : par exemple deux amis possédant une voiture ont une possession collective immédiate et simple.

o De degrés différents : une personne déposant des biens à la banque dans un coffre ne pouvant être ouvert que si le déposant et un représentant de la banque agissent simultanément.

La possession collective peut être une copossession (chacun des possesseurs peut exercer la maîtrise de fait sur le bien sans le concours de l’autre : deux personnes ayant chacun la clé permettant d’ouvrir un coffre-fort) ou une possession commune (les possesseurs ne peuvent exercer la maîtrise de fait qu’ensemble : deux personnes ayant chacun une des deux clés nécessaires à l’ouverture d’un coffre-fort). Le critère de distinction est donc un critère de fait.

- Possession légitime et possession illégitime : la possession légitime est fondée sur un droit réel ou personnel valable alors que la possession illégitime n’est fondée sur aucun motif juridique (art. 938-940 CC).

L’acquisition de la possession   :

La possession est en principe acquise par transfert, par remise (acquisition dérivée, art. 922). Parfois cependant, une personne acquiert la possession de manière originaire, sans transfert. Cette acquisition originaire n’est pas régie par le code mais ses conditions découlent de la nature même de la possession : il faut exercer une maîtrise de fait et manifester la volonté de posséder. Les cas d’acquisition originaire sont règlementés par la loi : il en existe 5 :

- L’occupation de choses sans maître (art. 658 et 718 CC).

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- La prise de possession :o D’une chose ou d’un animal trouvés (art. 720 CC).o D’un trésor (art. 723 CC).o D’objets ayant une valeur scientifique (art. 724 CC).o D’épaves (art. 725 et 700 al. 2 CC).

Ces différents cas sont des situations où l’acquisition originaire est autorisée par la loi. Il existe cependant un certain nombre de situations dans lesquelles l’acquisition originaire est possible même si l’acquéreur n’est pas en droit de l’opérer. Le voleur par exemple acquiert originairement la possession de l’objet volé alors même qu’il n’a pas le droit de le faire. Enfin, on admet qu’il y a acquisition originaire lorsque des personnes veulent procéder à une acquisition dérivée, alors que les conditions de validité ne sont pas réalisées (incapacité de discernement ou crainte fondée de l’aliénateur).

Comme on l’a dit précédemment, la possession s’acquiert en principe par transfert. On parle alors d’acquisition dérivée (cession volontaire de la possession à l’acquéreur). Le code régit l’acquisition dérivée aux articles 922-925 CC (titre marginal : transfert). En plus, le code effectue des distinctions supplémentaires entre :

- L’acquisition dérivée de la possession avec remise de la chose (art. 922 al. 1 et 923) : il est alors nécessaire de séparer ce mode d’acquisition selon qu’il se fait entre présents ou entre absents :

o Entre présents (art. 922 al. 1 CC) : elle peut avoir lieu avec remise de la chose ou avec remise des moyens de la possession :

L’acquisition s’opère par la remise de la chose elle-même à l’acquéreur. En matière mobilière, l’objet devra changer de mains alors qu’en matière immobilière, l’acquéreur devra s’installer dans les lieux.

L’acquisition s’opère par la remise à l’acquéreur des moyens de possession (instrumenta possessionis). Ce sont eux qui permettent d’exercer la possession (clés d’un appartement par exemple).

Dans les deux cas, un changement visible dans la maîtrise de la chose doit survenir. Pour opérer un tel transfert de la possession, trois conditions sont nécessaires :

L’aliénateur doit avoir la possession qu’il entend transmettre à l’acquéreur.

L’aliénateur doit ensuite remettre la chose ou les moyens de la possession à l’acquéreur.

Enfin, aliénateur et acquéreur doivent la volonté correspondante à l’acquisition dérivée. Elle doit être manifestée par une double action de fait, supposant de part

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et d’autre la capacité de discernement (mais pas forcement la capacité civile active). Précisons enfin que seuls la crainte fondée de l’aliénateur, le dol de l’acquéreur (controversé), ou l’incapacité de discernement de l’aliénateur peuvent affecter la validité de l’acquisition. Dans ces cas-là, la possession est alors acquise originairement.

o Entre absents (art. 923 CC) : lorsque l’aliénateur ou l’acquéreur, voire les deux, sont absents, le code admet une certaine forme de représentation (art. 32 CO). Il faut alors distinguer deux situations :

La représentation de l’acquéreur : là encore, il faut établir deux catégories :

L’intermédiaire devient possesseur dérivé : dans ce cas, l’intermédiaire acquiert pour lui la possession immédiate et dérivée, procurant par la même la possession médiate et originaire au représenté. Ce cas se produit lorsque l’intermédiaire est un représentant direct de l’acquéreur au sens du droit des obligations (art. 32 al. 1 CO) mais jouit, par rapport au représenté, d’une position suffisamment indépendante pour que l’on puisse admettre la création d’une possession dérivée (un banquier acquérant des titres au nom d’un client et les gardant en dépôt).

L’intermédiaire ne devient pas possesseur dérivé : dans ce cas, l’intermédiaire est un auxiliaire de la possession (instrument de la possession du représenté, possession pour autrui). Ainsi, dès la remise de la chose, le représenté devient possesseur simple de la chose (employé de maison achetant des produits pour son patron).

La représentation de l’aliénateur : dans ce cas, l’intermédiaire peut être un possesseur dérivé qui, en remettant la chose au tiers, lui transmet sa propre possession et la possession originaire du représenté. L’intermédiaire peut ensuite également être un auxiliaire de la possession qui, en remettant la chose à l’acquéreur, lui transmet la possession simple qu’avait l’aliénateur.

- L’acquisition dérivée de la possession sans remise de la chose (art. 922 al. 2 et 924 CC) : il n’y a alors aucune modification apparente de la maîtrise de fait, ni de la chose, ni des moyens de possession. L’acquisition s’opère uniquement par échange de manifestations de volonté. Il existe 4 modes d’acquisition dérive sans remise de la chose :

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o Le transfert de possession ouverte ou longa manu traditio (art. 922 al. 2 CC) : ce mode de transfert permet l’acquisition dérivée de la possession lorsque l’acquéreur est en mesure d’exercer la maîtrise de fait sur la chose, mais ne veut pas le faire immédiatement. La possession ne s’exerce alors pas directement sur l’objet (terrain à bâtir, que personne ne peut véritablement maîtriser ou tas de bois entreposés dans les forêts, jamais véritablement sécurisé ou contrôlé par leur possesseur). Dans ce genre de cas, même si l’acquéreur ne s’est pas saisi physiquement de l’objet, la seule volonté fait changer la possession (sans manifestation concrète). Trois conditions sont nécessaires :

L’aliénateur doit avoir la possession immédiate de a chose. La possession transmise doit être ouverte (plusieurs

personnes doivent pouvoir exercer la possession sur la chose, notamment l’acquéreur). Cela est le cas pour un tas de bois entreposé, des matériaux déposés au bord d’une chaussée, un vélo non-cadenassé, etc.

Aliénateur et acquéreur doivent enfin manifester leur volonté réciproque et concordante de procéder à un transfert. On parle de contrat possessoire (acte juridique exigeant la capacité civile des parties).

o La délégation de possession (art. 924 al. 1 CC) : la délégation de possession rend possible l’acquisition dérivée de la possession médiate sans que la possession immédiate d’un tiers en soit affectée. L’aliénateur est donc un possesseur médiat qui convient avec l’acquéreur que le possesseur immédiat (le tiers) possèdera désormais pour l’acquéreur. Par exemple, une personne vend des titres déposés en banque et transfert la possession en déléguant à l’acheteur sa possession médiate des titres (la banque a la possession immédiate). Pour qu’une délégation de possession soit valable, il est nécessaire de respecter 3 conditions :

L’aliénateur doit avoir la possession médiate de la chose. La chose doit être en possession dérivée d’un tiers, qui aura

en principe une possession immédiate (mais pas forcément, cas du sous-locataire).

Enfin, aliénateur et acquéreur doivent conclure un contrat possessoire, sans forme prédéfinie.

Il faut ensuite s’intéresser aux effets d’un tel procédé, classés en trois étapes successives :

Avant la notification : dès la conclusion du contrat possessoire, l’acquéreur devient possesseur médiat. Toutefois, aussi longtemps que le tiers possesseur immédiat n’a pas été averti de la délégation (notification), il continue

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à posséder pour l’aliénateur (et non pas pour l’acquéreur) et peut encore restituer valablement la chose à ce dernier.

La notification : l’aliénateur doit en principe aviser le tiers qui procure la possession médiate à l’aliénateur. Cette notification n’est soumise à aucune forme.

Après la notification : en principe le tiers qui possédait pour l’aliénateur est tenu de posséder désormais pour l’acquéreur. Toutefois, si le tiers est titulaire d’un droit réel limité sur la chose, il peut naturellement l’opposer à l’acquéreur (droit postérieur au sien). Par contre, si le tiers n’a qu’un droit personnel, il ne peut l’opposer à l’acquéreur (droit relatif opposable uniquement à l’aliénateur).

o Le constitut possessoire (art. 924 al. 1 CC) : le constitut possessoire permet l’acquisition de la possession originaire alors que l’aliénateur demeure en possession de la chose à un titre spécial. L’aliénateur est un possesseur qui convient avec l’acquéreur que celui-ci aura désormais la possession originaire et médiate, alors que l’aliénateur conserve la possession dérivée à un titre spécial. Par exemple une personne vend sa voiture mais passe avec l’acheteur un contrat de bail en sa faveur. Ainsi, plutôt que de d’abord transférer la voiture à l’acheteur pour ensuite la restituer au vendeur (qui devient locataire), on supprime les étapes inutiles. Comme pour les autres mode d’acquisition dérivée de la possession sans remise de la chose, il existe trois conditions :

L’aliénateur doit avoir la possession de la chose. Il s’agit en principe d’un possesseur originaire qui veut devenir possesseur dérivé.

Le constitut possessoire n’est valable que si l’aliénateur conserve la possession dérivée en vertu d’un titre juridique (droit personnel ou réel acquis par acte juridique ou découlant de la loi). Ce peut ainsi être un bail, un prêt, un dépôt, un usufruit ou encore un droit d’administration.

Enfin, comme précédemment, un contrat possessoire est requis. L’aliénateur doit reconnaître l’acquéreur comme possesseur originaire.

o La brevi manu traditio (non régie par le code) : découlant directement du droit romain, la brevi manu traditio intervient dans les cas où l’acquéreur est déjà possesseur de l’objet. Elle permet l’acquisition dérivée de la possession lorsque l’acquéreur est déjà en possession dérivée de la chose. L’aliénateur est possesseur originaire d’une chose dont il a remis la possession dérivée à l’acquéreur. Il convient alors avec l’acquéreur de renoncer à sa possession originaire, de sorte que l’acquéreur aura désormais une

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possession simple (originaire). Il s’agit donc de l’opération inverse du constitut possessoire. Deux conditions doivent être réalisées :

L’acquéreur doit avoir la possession dérivée de la chose à un titre spécial (bail, dépôt, nantissement).

A nouveau, un contrat possessoire doit être conclu. - La remise de titre représentatif de marchandises (art. 925 CC) : il s’agit

d’une remise de papier-valeur. Dans le cas d’un transport de marchandises (art. 440 CO) achetées par un tiers par exemple, le transporteur devient forcément possesseur dérivé des marchandises, le vendeur ne conservant que la possession originaire. Lorsqu’il reçoit les marchandises à transporter, le transporteur émet un papier-valeur ayant une valeur juridique (un titre, un document). Le transporteur assure donc avoir reçu les marchandises et s’engage à ne les restituer qu’à la personne disposant de ce papier-valeur. Le transporteur remet donc le papier-valeur au vendeur, qui va alors envoyer (en recommandé) le titre d’acquisition à l’acheteur. Le transfert de ce document équivaut alors au transfert de la possession originaire des marchandises. En remettant le papier, le vendeur transfère la possession et exécute son contrat de vente. Au moment où l’acheteur devient possesseur du papier, il acquiert directement les marchandises en elle-même. Par l’envoi du papier, on lui transfère la possession des marchandises, et par là la propriété de ces mêmes marchandises. Lorsque le transporteur livre les marchandises, l’acheteur doit alors présenter le papier-valeur pour obtenir matériellement ce qu’il a acheté. Si le transporteur venait à vendre les marchandises à un tiers de bonne foi (conflit entre détenteur du papier et possesseur de bonne foi des marchandises), ce dernier l’emporterait sur le détenteur du papier-valeur car on donne la priorité à la possession effective. Il existe donc trois conditions :

o Les marchandises doivent avoir été confiées à un voiturier ou à un entrepositaire, en vertu d’un contrat de transport (art. 440 CO) ou d’un contrat d’entrepôt (art. 482 CO).

o Le voiturier ou l’entrepositaire doit avoir émis un titre représentatif de marchandises et ce titre doit être un papier-valeur (conditions : art. 1153 CO).

o Enfin, le papier-valeur doit être transféré à l’acquéreur dans les formes prévues pour le genre de papier-valeur considéré (art. 967 al. 1 et 2 CO). Le transfert de possession suffit pour les titres au porteur mais une cession écrite est nécessaire pour les titres nominatifs et un endossement est requis pour les titres à ordre.

- L’acquisition dérivée de la possession des droits : lors de la création du droit (principalement une servitude ou une charge foncière), l’acquisition de la possession a lieu lors du premier acte d’exercice du droit. Ensuite, le transfert dépend du type de droit considéré :

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o L’exercice du droit implique la maîtrise d’une chose : la possession du droit est transférée avec la possession de cette chose.

o L’exercice du droit ne confère pas la maîtrise d’une chose : la possession du droit est transmise avec la possession du fonds dominant ou, à défaut, avec la titularité du droit.

4. Cours du 12 octobre 2011   :

La perte de la possession   :

Le code ne régit pas véritablement la perte de la possession. Il précise uniquement que la possession n’est pas perdue lorsque l’exercice en est empêché ou interrompue par des faits de nature passagère (art. 921 CC). C’est cette règle, interprétée a contrario, permet de déterminer les cas dans lesquels la possession est perdue. Ce sont en effet des cas où l’exercice de la possession est interrompu par des faits dont la nature n’est pas passagère. Cette situation peut survenir de deux façons, selon que la perte est voulue ou non :

- La perte volontaire : o Par transfert : il y a alors forcément acquisition dérivée par un

tiers de la possession. Il s’agit de toutes les situations où la chose fait l’objet d’une acquisition dérivée.

o Par abandon (déréliction) : une personne renonce alors à exercer la maîtrise sur l’objet, sans toutefois la transférer à un tiers. Si un tiers s’empare finalement de l’objet, il y a alors création d’une possession originaire.

- La perte involontaire : il s’agit de cas où une personne est dessaisie de son objet, par perte, vol ou soustraction. On peut également citer l’erreur dans les transferts, lorsque l’aliénateur se trompe d’objet par exemple.

Dans les deux cas précédemment évoqués, la possession est perdue. Il s’agit à présent de voir quand la possession n’est pas perdue et donc d’interpréter directement l’art. 921 CC. Premièrement, lorsque la maîtrise effective est certes interrompue, mais par des faits de nature passagère (la remise d’un objet à un possesseur dérivé n’interrompt pas la possession, elle crée une possession originaire, tout comme la remise d’un objet à un auxiliaire de la possession, qui ne modifie absolument pas la possession). La nature passagère des faits doit être appréciée selon l’expérience de la vie. Il faut donc considérer l’instant où l’exercice de la possession est empêché, mais également envisager une certaine durée et rechercher si l’interruption de la maîtrise effective ne devait être que momentanée ou non. On peut citer comme exemples de faits de nature passagère :

- Le dépôt d’actions auprès de l’autorité d’annulation.- Le fait d’oublier un objet dans un bateau au cours d’une croisière.

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- Le fait d’oublier un porte-monnaie dans une cabine téléphonique (pour autant que celui qui a oublié l’objet se souvienne de l’endroit où se trouve son bien (dans le cas inverse on parle de chose égarée ou perdue).

- Le fait de confier les clés donnant accès à un lieu à un tiers.- La séquestration d’une chose pour les besoins d’une enquête pénale. - Le fait de perdre son objet dans sa maison (même si on ne sait plus où, car

l’objet reste dans la sphère de maîtrise du possesseur).

5. Cours du 17 octobre 2011   :

La protection de la possession   :

La possession étant indirectement liée au droit, il est logique qu’il ne doit pas être facile de modifier allègrement la possession. Cela modifierait en effet l’apparence du droit et favoriserait le règne du plus fort (protection de la paix publique). Il existe donc une série de mesures (3 moyens de protection de la possession en soi) permettant de protéger la possession en tant que telle, indépendamment du droit de propriété (art. 926-929 CC) :

- Le droit de défense (art. 926 CC) : il s’agit du droit de repousser par la force une attaque contre la possession. Il appartient en principe à tout possesseur d’une chose, mobilière ou immobilière, d’un animal ou d’un droit. L’attaque doit être dirigée contre l’auteur de l’acte d’usurpation ou de trouble. En principe, le recours personnel à la force est interdit (pas de justice personnelle). Le droit de défense est une exception puisqu’il autorise la justice privée (propre). Le droit de défense peut prendre deux formes :

o L’art. 926 al. 1 CC donne le droit de repousser une attaque alors que le possesseur a encore la possession (légitime défense). On peut citer par exemple la tentative de vol de sac, où la personne résiste et lutte. Le recours à la force n’est toutefois légitime que s’il est nécessaire et proportionné (art. 926 al. 3 CC).

o L’art. 926 al. 2 CC va plus loin en permettant de récupérer la possession de son objet alors même qu’elle est perdue (droit de contre-attaque). Il s’agit d’un droit de reprise. Naturellement, cette tentative de récupération doit être immédiate (poursuite du voleur par exemple). Il doit donc y avoir une situation de flagrant délit (pas possible d’exercer ce droit le lendemain ou 1h après le vol). En fait, l’objet doit avoir été enlevé au possesseur par violence ou clandestinement et celui-ci doit réagir immédiatement pour rétablir sa maîtrise par la force.

Pour exercer ce droit de défense, la personne doit avoir (eu) la possession de la chose. De même, il doit y avoir un acte d’usurpation (dépossession, en cas de vol d’objets quelconques) ou de trouble (perturbation ou entrave de la possession, en cas de squat d’immeuble par exemple). Cette

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usurpation ou ce trouble doivent être illicites (donc pas autorisés par le loi ou par le possesseur). En effet, le droit privé ou le droit public peuvent justifier une usurpation ou un trouble (légitime défense, art. 52 al. 1 CO, nécessité, art. 52 al. 2 CO ou exécution forcée, art. 91 et 223 LP). De même, le possesseur peut avoir donné son consentement et ainsi rendre l’atteinte licite. Enfin, il est également nécessaire de respecter le principe de proportionnalité (art. 926 al. 3 CC). Celui qui exerce son droit de défense ne doit en effet pas commettre de voies de fait excessives.

- L’action réintégrante (art. 927 / 929 CC) : lorsque la première démarche (droit de défense) ne suffit pas, il est tout à fait possible de poursuivre en justice l’usurpateur. Il s’agit donc de l’action possessoire que celui dont la chose a été usurpée peut intenter contre l’usurpateur pour récupérer cette chose. Celui qui a perdu la possession de la chose doit avoir la qualité pour agir et l’auteur de cette dépossession doit avoir la qualité pour défendre (2 conditions personnelles). En outre, l’action réintégrante reprend les mêmes conditions d’illicéité que le droit de défense. De plus, le défendeur ne doit pas pouvoir établir un droit préférable (réel ou personnel, art. 927 al. 2 CC) qui l’autoriserait à conserver la chose (2 conditions matérielles). Enfin, l’art 929 CC limite dans le temps l’ouverture de l’action. Le demandeur est déchu de son action s’il ne réclame pas la restitution aussitôt après avoir connu le fait et l’auteur de l’atteinte (art. 929 al. 1 CC). De plus, le délai de péremption est fixé à 1 an (art. 929 al. 2 CC). Il faut en effet que la possession de l’usurpé soit récente (1 condition de temps). La situation juridique ne doit pas se stabiliser au profit de l’usurpateur. Précisons que l’action réintégrante doit être dirigée contre l’usurpateur de mauvaise foi directement (l’auteur de la dépossession), pas contre un éventuel receleur ou un autre tiers auquel le responsable de l’usurpation aurait donné l’objet. L’action réintégrante peut prendre deux formes :

o La réintégrante proprement dite : elle tend à la restitution de la chose ou de l’animal (art. 927 al. 3 CC).

o L’action en dommages-intérêts : elle tend à la réparation du dommage (art. 927 al. 3 CC). Il s’agit cependant d’un simple rappel de l’action générale en dommages-intérêts (art. 41 CO). La réparation suppose donc un chef de responsabilité (une faute) et le dommage doit être la conséquence des moyens employés par le défendeur. Les conditions de temps fixées par l’art. 929 CC ne sont alors pas applicables (prescription de l’art. 60 CO).

De plus, la procédure est plutôt rapide (procédure sommaire) en matière d’action réintégrante. Cela est logique puisqu’il ne s’agit que d’une question de possession (litige possessoire) et non pas de propriété. Enfin, l’autorité de chose jugée d’une décision rendue sur la base de l’art. 927 CC

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ne porte que sur la question de la possession (et non sur les rapports de droit civil litigieux entre les parties).

- L’action en raison du trouble (art. 928 / 929 CC) : cette action est la même que l’action réintégrante mais pour les cas de troubles. Les conditions temporelles et personnelles (la qualité pour agir appartient à celui dont la possession est troublée) sont les mêmes que pour l’action réintégrante, tout comme pour la procédure. Par contre, l’action en raison du trouble est purement possessoire (condition matérielle) : le défendeur n’est donc pas admis à faire valoir un droit préférable sur la chose (art. 928 al. 1 CC). L’action est donc admise chaque fois qu’il y a un trouble (entrave à l’exercice de la possession n’entraînant pas une dépossession) illicite de la possession. L’action en raison du trouble peut prendre deux formes (tout comme pour l’action réintégrante) :

o L’action en raison du trouble proprement dite : elle peut alors tendre à faire cesser le trouble ou à le prévenir :

L’action en cessation du trouble : cette action suppose que le trouble dure encore, que la chose soit troublée.

L’action en interdiction du trouble : cette action peut viser deux buts distincts :

Soit éviter que des troubles qui se sont déjà produits par le passé ne se reproduisent.

Soit empêcher qu’un trouble très probable ne se réalise dans le futur.

o L’action en dommages-intérêts : elle vise à obtenir la réparation du dommage subi par l’effet du trouble de la possession. Ce sont donc les effets du trouble et non plus sa cause qui sont concernés.

La protection du droit par la possession   :

Les art. 926-929 traitent des moyens de défendre la possession comme telle (l’art. 937 al. 1 CC, lorsqu’il parle d’action possessoire, ne renvoie pas à la protection de la possession.). Les art. 930-937 précisent dans quelle mesure le possesseur peut invoquer sa possession pour protéger le droit qu’il prétend avoir sur la chose ou l’animal. En effet, s’il veut apporter la preuve de son droit, le possesseur doit, chaque fois qu’il n’a pas acquis de façon originaire, établir aussi le droit du titulaire précédent et ainsi de suite. Conformément au principe de publicité, la possession est un signe important de l’existence d’un droit sur l’objet. Ainsi, à certaines conditions, le possesseur d’un objet est privilégié en cas de contestation portant sur l‘existence du droit qu’il prétend avoir. La protection du droit fondée sur la possession ne s’applique qu’aux choses et aux animaux. En matière immobilière, cette protection est attachée à l’inscription au registre foncier (présomption de possession en faveur de l’inscrit au registre). En revanche, le possesseur d’un immeuble peut invoquer les moyens de défense de

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la possession en tant que telle. La protection du droit par l’intermédiaire de la possession est assurée au moyen de deux groupes de dispositions :

- Les présomptions (art. 930 / 931 CC) : le possesseur d’un objet mobilier est présumé titulaire du droit qu’il prétend avoir. La présomption de propriété (si tel est le droit présumé) demande une possession qualifiée (ni violente, acquises par des comportements violents, ni clandestine, maîtrise de fait dissimulée aux tiers, ni équivoque, acquise dans des circonstances peu claires, douteuses). Une présomption est une conséquence (propriété ou droits réels limités, sauf hypothèque mobilière, par exemple) tirée de faits probants (possession). La présomption peut uniquement être tenue en échec par la contre-preuve (le fait probant, de base, n’existe pas : il n’y a pas de possession qualifiée) ou la preuve du contraire (le jugement fait par le législateur ne se confirme pas dans le cas concret : le possesseur n’est pas propriétaire). Dans le cas de la possession, on présume que celui qui est possesseur est propriétaire. On distingue alors les présomptions suivantes : (p. 149)

o Les présomptions de propriété déduites d’une possession simple ou originaire : selon l’art. 930 CC, la possession simple ou originaire donnent naissance à deux présomptions de propriété :

La présomption de propriété fondée sur la possession actuelle : cela signifie le possesseur actuel d’une chose mobilière en est présumé propriétaire. L’art. 930 al. 1 CC présume la propriété du possesseur actuel, simple ou originaire. S’il y a possession collective, il y a alors présomption de propriété collective (c’est la copropriété qui est choisie, forme la plus souple de propriété collective ne nécessitant pas de relations juridiques préalables).

La présomption de propriété fondée sur la possession antérieure : l’alinéa 2 ajoute une règle concernant le possesseur antérieur. Ainsi, les possesseurs antérieurs sont présumés avoir été propriétaires pendant la durée de leur possession. Si la présomption du possesseur actuel tombe, le possesseur antérieur est alors présumé propriétaire.

o Les présomptions déduites d’une possession dérivée : déterminées à l’art. 931 CC, elles sont au nombre de deux :

La présomption du droit du propriétaire : l’art. 931 al. 1 CC précise que le possesseur dérivé (d’un objet mobilier) peut invoquer la présomption de propriété de la personne dont il tient sa chose de bonne foi. Plus clairement, cela signifie :

Que si le possesseur dérivé (usufruitier) tient l’objet du propriétaire directement, alors il peut invoquer la

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présomption de propriété du possesseur originaire (qui est le propriétaire).

Que si celui qui a remis l’objet au possesseur dérivé (locataire) n’est pas le propriétaire, alors :

o Le possesseur dérivé peut invoquer la présomption de l’existence du droit de celui dont il tient l’objet (art. 931 al. 2 CC).

o Le possesseur dérivé peut invoquer la présomption du droit du propriétaire.

Toutefois, pour que les différentes présomptions ci-dessus existent, le possesseur dérivé doit être de bonne foi. Il doit en effet croire que la personne dont il invoque le droit est bien titulaire de ce droit (par exemple que le propriétaire est bien le propriétaire de la chose). En outre, l’art. 931 al. 1 CC ne crée pas une nouvelle présomption, il ne fait qu’étendre le cercle des personnes autorisées à faire valoir les présomptions des art. 930 al. 1 et 931 al. 2 CC. En effet, au lieu de prouver le droit du propriétaire ou du possesseur originaire, le possesseur dérivé peut se contenter d’invoquer à titre individuel l’art. 931 al. 1 CC.

La présomption du droit du possesseur dérivé : le possesseur dérivé est présumé titulaire du droit (réel limité ou personne) sur lequel il prétend fonder sa possession (art. 931 al. 2 CC). Cette présomption se fonde donc sur celui dont le possesseur dérivé tient son droit sur l’objet.

- Les fictions (art. 933 / 935 CC) : bien que les présomptions permettent d’inverser le fardeau de la preuve, elles n’en restent pas moins des présomptions, des idées, des suppositions. Les fictions vont plus loin puisqu’elles protègent un possesseur de manière absolue, sans que quiconque puisse briser la fiction de droit. Les fictions jouent un rôle dans deux cas, lorsque les présomptions ne sont d’aucune utilité :

o L’aliénateur n’est pas propriétaire de l’objet mais le transfert tout de même à l’acquéreur. Il n’a alors pas le pouvoir de disposer de la chose mais le fait tout de même.

o L’aliénateur est propriétaire de l’objet mais là encore il n’a pas le pouvoir d’en disposer (en raison d’une disposition légale ou à la suite d’une décision judiciaire, comme la saisi judiciaire par exemple) mais le transfère tout de même.

Ainsi, en l’absence du pouvoir de disposer, l’acquéreur, même en étant de bonne foi, n’est pas protégé car nul ne peut transférer plus de droits qu’il n’en a lui-même. Les présomptions sont inapplicables car la preuve du contraire peut être apportée en démontrant l’absence du pouvoir de disposer. Par contre, lorsqu’il est de bonne foi (croyant avoir acquis

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l’objet d’une personne ayant le pouvoir de disposer), l’acquéreur peut utiliser l’une des deux fictions énoncées par le CC. L’acquéreur-possesseur est alors présumé propriétaire (ou titulaire d’un autre droit réel) mais il est également fictivement considéré comme tel (la preuve du contraire n’est donc plus possible). Au travers de cette fiction, on voit donc que la loi privilégie les acquéreurs de bonne foi lorsque l’objet a été confié (art. 933 CC) ou consiste en monnaie ou en titre au porteur (art. 935 CC). Toutefois, la bonne foi de l’acquéreur n’est protégée que s’il existe un motif supplémentaire de protection (respectivement apparence du droit par la possession ou sécurité des transactions). Il convient dès lors d’analyser plus précisément les deux fictions du code :

o La fiction de la chose confiée, art. 933 CC : l’acquéreur est maintenu dans son acquisition si l’aliénateur était possesseur d’un objet mobilier confié et que, alors que l’acquéreur était de bonne foi, cet objet a été valablement transféré à celui-ci en vue de l’acquisition d’un droit réel (propriété ou limité). Exemple : un possesseur originaire confie son objet à un tiers (possesseur dérivé immédiat). Ce tiers, au lieu de rendre l’objet, décide de le vendre à un tiers de bonne foi. Ce tiers de bonne foi est alors concerné par l’art. 933 CC et devient propriétaire fictif de l’objet. Le propriétaire d’origine perd ainsi la propriété sur son objet. On décrète que le tiers de bonne foi qui acquiert un objet vendu ou transmis par un aliénateur non-propriétaire devient propriétaire (alors même que la vente, par exemple, n’était pas valable). Le tiers est donc maintenu dans son acquisition et le propriétaire précédent a perdu sa propriété (récupération du bien impossible). Bien entendu, ce dernier pourra se retourner contre l’aliénateur ayant vendu sans en avoir le droit. Si le tiers de bonne foi n’acquiert pas la propriété mais un droit réel limité, la propriété d’origine ne sera pas supprimée mais le droit réel limité restera valable (gage par exemple). Cela permet d’éviter de freiner la vie économique puisqu’un tiers de bonne foi acquérant un objet ne doit en principe pas se méfier du vendeur. De même, le propriétaire étant à l’origine de la situation juridique, il a décidé seul de confier son objet à un tiers et doit donc en assumer les risques et les conséquences. La réalisation de cette fiction suppose toutefois la réalisation de 4 conditions :

L’objet doit être une chose mobilière, un meuble ou un animal, et donc pas un immeuble. Cela ne fait donc que rappeler le champ d’application général des règles sur la protection du droit par la possession.

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Il faut qu’au départ l’objet ait été confié au sens de l’art 933 CC. Il doit donc être remis volontairement à l’aliénateur. Cela peut être possible dans trois situations :

Une personne confie son bien en créant une possession dérivée. Il y a donc création d’un droit réel limité ou d’un droit personnel.

Une personne a volontairement aliéné un bien dans l’idée d’en transférer la propriété (vente par exemple) mais le titre d’acquisition se révèle finalement non-valable (l’opération d’acquisition est alors invalidée également : le contrat est nul).

Une personne, propriétaire d’une chose, n’a pas (ou plus) le pouvoir de disposer d’une chose (cas de saisie par exemple, en cas de poursuite), mais décide de l’aliéner (de la vendre).

Le tiers acquéreur doit acquérir sur la chose un droit de propriété ou un autre droit réel limité (servitudes). L’aliénateur doit donc être devenu possesseur de l’objet qui lui a été remis (cela exclut donc les auxiliaires de la possession). Cela signifie que le transfert de l’objet doit être valable (titre d’acquisition et opération d’acquisition).

Enfin, il est nécessaire que le tiers acquéreur soit de bonne foi (art. 3 CC). En somme, l’acquéreur ne doit pas avoir le sentiment que l’acquisition qu’il fait est irrégulière. Pour cela, il doit croire que l’aliénateur est propriétaire de l’objet et a donc le pouvoir de disposer de celui-ci. De plus, la bonne foi doit exister au moment de l’acquisition. Cela veut dire que même si, après la vente, l’acquéreur apprend que l’aliénateur n’était pas propriétaire, il reste propriétaire. En outre, la bonne foi (au sens subjectif) est présumée (art. 3 al. 1 CC) mais l’acquéreur est déchu de son droit de l’invoquer si elle est incompatible avec l’attention que les circonstances permettaient d’exiger de lui (art. 3 al. 2 CC). Il peut toutefois exister des cas (plus rares) où l’acquéreur sait que l’aliénateur n’est pas propriétaire mais pense qu’il va le devenir. C’est donc souvent l’ignorance de l’acquéreur qui fonde sa bonne foi (dans la mesure de la diligence). Comme précisé plus haut, il existe un devoir de diligence (art. 3 al. 2 CC). Ainsi, lorsque les circonstances appellent de la part du tiers acquéreur une certaine prudence, ce dernier ne peut invoquer sa bonne foi. Il est en effet nécessaire de prendre un certain nombre de précautions dans la vie quotidienne. La naïveté n’est pas protégée par l’art. 3 CC. On

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voit donc que la bonne foi de l’acquéreur permet en quelques sortes de compenser l’absence du pouvoir de disposer de l’aliénateur (soit parce qu’il n’est pas propriétaire, soit parce ce pouvoir lui a été retiré). Toutefois, la bonne foi ne l’emporte pas toujours sur les restrictions mises, par la loi ou par une décision d’une autorité : elle est ainsi parfois inopérante. Cela est le cas si l’acquisition intervient après le prononcé de la faillite de l’aliénateur ou si la chose acquise est, comme telle, soustraite au droit privé (chose publique ou chose hors du commerce, les biens culturels par exemple).

o La fiction de monnaie et de tires au porteur, art. 935 CC : l’acquéreur doit être maintenu dans son acquisition s’il a acquis de bonne foi de la monnaie ou des titres au porteur, peu importe qu’ils aient été confiés ou non à l’aliénateur. Dans le cas de l’art. 935 CC le critère ne se base plus sur la qualité de chose confiée mais sur la nature de la chose mobilière (de l’argent ou un titre au porteur, qui est un papier-valeur dont le texte ou la forme constate que chaque porteur en sera reconnu comme ayant droit, art. 978 CO). Exemple : une personne confie de l’argent à un tiers. Si ce tiers se sert de cet argent et achète quelque chose à un tiers de bonne foi, ce dernier est protégé. En ce qui concerne les conditions, que ce soit pour la bonne foi ou pour l’acquisition, ce sont les mêmes que pour la fiction des objets confiés.

Lorsque les conditions de l’art. 933 ou de l’art. 935 CC sont réalisées, l’acquéreur devient effectivement titulaire du droit en cause (propriété ou autre droit réel). L’acquisition est considérée comme originaire et les droits réels qui existaient déjà sur l’objet et inconnus de l’acquéreur s’éteignent dans la mesure où ils sont incompatibles avec le droit acquis de bonne foi.

La protection judiciaire du droit du possesseur   :

Le code prévoit aux art. 932, 934 et 936 CC les compléments judiciaires des règles sur les présomptions et sur les fictions (art. 930-931 CC et respectivement art. 933 et 935 CC). En effet, les présomptions liées à la possession produisent deux effets sur le plan judiciaire :

- L’effet défensif : basé sur l’art. 932 CC (le possesseur d’une chose mobilière peut opposer à toute action dirigée contre lui la présomption qu’il est au bénéfice d’un droit préférable), l’effet défensif n’ajoute en réalité rien aux présomptions des art. 930-931 CC. En effet, le possesseur étant présumé titulaire du droit qu’il prétend avoir, il peut simplement utiliser sa possession pour contrer une demande en restitution. L’art. 932

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CC ne vise donc que les cas où le possesseur est défendeur au procès. Naturellement, les présomptions ne sont invocables que si elles remplissent diverses conditions. Ainsi, l’art. 932 CC réserve les cas d’usurpation ou de trouble (art. 927-928 CC) car l’usurpateur et le fauteur de trouble ne sont pas des possesseurs qualifiés (art. 930-931 CC). Si les conditions de la présomption sont remplies, l’adversaire du possesseur doit établir qu’il a un droit qui lui permet de reprendre l’objet. Autrement dit, il ne suffit pas qu’il prouve que le possesseur n’a pas de droit sur cet objet, il doit lui même prouver qu’il dispose d’un tel droit. Il devra donc lui-même utiliser une présomption (présomption de la possession antérieur par exemple).

- L’effet offensif : en principe, la présomption du possesseur actuel (art. 930 al. 1 et 931 CC) l’emporte sur celle du possesseur antérieur (art. 930 al. 2 CC). Le possesseur actuel peut donc presque à chaque fois opposer à l’action en restitution dirigée contre lui par un possesseur antérieur la présomption qu’il est au bénéfice d’un droit préférable (art. 932 CC). Toutefois, il existe deux situations dans lesquelles la présomption attachée à la possession antérieure l’emporte, accordant au possesseur antérieur une action dite mobilière :

o Lorsque le possesseur antérieur a été dessaisi sans sa volonté, par un vol par exemple (art. 934 CC) : dans ce cas-là, l’art. 934 CC permet au possesseur antérieur de récupérer son objet, peu importe l’actuel possesseur. On distingue trois types de conditions :

Les conditions personnelles : la qualité pour agir appartient à tout possesseur dessaisi d’un objet mobilier sans sa volonté (le demandeur est donc un possesseur antérieur). La qualité pour défendre appartient au possesseur actuel (possession simple, originaire ou dérivée).

Les conditions matérielles : le demandeur doit avoir été dessaisi sans sa volonté (pas de choses confiées) d’un objet mobilier (ou animal, mais pas argent ou titres au porteurs, concernés par l’art. 936 CC) et le défendeur ne doit pouvoir faire valoir d’exceptions (droit préférable ou inexistence du droit du demandeur.

Les conditions temporelles : le délai (de péremption) donné au possesseur antérieur pour ouvrir l’action mobilière est de 5 ans (art. 722 al. 1 CC). Toutefois, il existe concernant les animaux domestiques un délai différent, fixé à 2 mois (art. 722 al. 1 bis CC). De même, l’art. 934 al. 1 bis CC modifie lui aussi le délai (fixé à 30 ans) pour les biens culturels (œuvres d’art). Toutefois, en matière de biens culturels, l’action doit être ouverte dans l’année qui suit le

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moment où l’ancien possesseur a eu connaissance du lieu où se trouve l’objet et de l’identité du possesseur de celui-ci (art. 934 al. 1bis CC).

o Il s’agit à présent d’analyser les effets de l’action mobilière de 934 CC. En principe, l’action tend à la restitution de l’objet (conformément aux règles relative au possesseur illégitime, art. 938-940 CC). Dans certains cas toutefois, le demandeur, en échange de la restitution de l’objet, doit payer le prix que le défendeur de bonne foi a lui-même payé pour acquérir l’objet (art. 934 al. 2 CC : enchères publiques, marché ou marchand d’objets de même espèce). Cette restriction a pour but d’augmenter la sécurité des affaires dans les trois hypothèses retenues par la loi. L’action mobilière de l’art. 934 CC est donc ouverte à n’importe quel possesseur antérieur, qu’il soit ou non propriétaire (présomption). En outre, l’action de 934 CC ne se basant pas sur la mauvaise foi du possesseur actuel, elle pourra être ouverte contre un tiers de bonne foi. On peut résumer cela en disant que l’action de l’art. 934 CC est l’action du possesseur antérieur contre le tiers de bonne foi. La loi avantage donc en général le possesseur antérieur. Il existe toutefois une exception à ce principe : la spécification (art. 726 CC), qui est un cas d’acquisition de la propriété. On peut penser à un voleur qui s’emparerait d’une certaine quantité d’or. L’or est alors confié à un bijoutier qui en fait un bijoux. Si le possesseur antérieur de l’or se manifeste, c’est le travail investi par le bijoutier qui l’emportera sur la valeur de l’or non-travaillé. Dans ce genre de cas, on donnera donc la priorité au tiers de bonne foi car il a acquis la propriété à titre originaire en transformant (par spécification) la matière première. Il devra donc payer la matière première mais pourra conserver le fruit de son travail.

o Lorsque le possesseur actuel était de mauvaise foi lorsqu’il a acquis la possession (art. 936 CC) : le critère de cette action mobilière est la mauvaise foi de l’acquéreur. Autrement dit, pour que cette action puisse être utilisée, l’acquéreur devait savoir que l’aliénateur n’était pas propriétaire de la chose. Comme pour l’action de l’art. 934 CC, il faut distinguer trois types de conditions :

Les conditions personnelles : la qualité pour agir appartient à tout possesseur antérieur, peu importe les circonstances de cette dépossession (vol ou chose confiée). La qualité pour défendre appartient au possesseur actuel de mauvaise foi. S’il n’est plus en possession de l’objet, il reste tenu de réparer le dommage subi par le demandeur.

Les conditions matérielles : l’action peut concerner n’importe quel type de choses mobilières ou n’importe quel

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animal : seule compte la mauvaise foi de l’acquéreur. Naturellement, le possesseur peut être effectivement de mauvaise foi ou ne pas avoir été suffisamment prudent par rapport aux circonstances du cas d’espèce (diligence). De plus, comme pour la première action mobilière, le défendeur ne doit pas pouvoir faire valoir d’exceptions.

Les conditions temporelles : pour ce type d’action, il n’y a aucun délai de péremption. L’art. 714 al. 2 CC (acquisition de la propriété) ne s’applique donc jamais aux acquéreurs de mauvaise foi. Un possesseur de mauvaise foi ne peut donc jamais devenir propriétaire.

L’art. 936 al. 2 CC prévoit toutefois une exception : lorsque la personne qui réclame l’objet est elle-même de mauvaise foi, elle ne peut à valablement exiger la restitution à une seconde personne de mauvaise foi (in pari turpitudine melior est causa possidentis : dans la même turpitude, meilleure est la cause du possesseur). Dans ce cas, le possesseur-défendeur de mauvaise foi l’emporte contre le demandeur de mauvaise foi.

Précisons pour finir que si une personne dépossédée a le choix entre les deux actions, elle devrait choisir l’art. 936 CC puisqu’il s’agit d’une action plus forte. L’absence de délai en fait en effet un moyen plus sûr de récupérer son objet. En fait, la voie de l’art. 934 CC est utile avant tout si le défendeur est de bonne foi.

La responsabilité du possesseur illégitime   :

Les art. 938-940 régissent la responsabilité du possesseur qui n’a pas de titre à posséder et qui doit restituer l’objet au véritable ayant droit. Il s’agit d’une lex specialis par rapport aux règles du CO. Ces articles concernent autant les meubles que les immeubles (portée générale) et s’appliquent surtout lorsque la restitution est ordonnée (par le biais d’une action mobilière, d’une action réintégrante ou d’une action en revendication) ou lorsqu’une personne devient possesseur sur la base d’un acte non valable. Ces règles ne s’appliquent par contre pas lorsque le droit réel ou personnel en vertu duquel une personne possède un objet s’éteint (on applique alors les règles de l’usufruit ou du nantissement par exemple). La question de la responsabilité du possesseur illégitime traite de trois éléments. Il faut alors distinguer pour chacun de ces éléments selon que le possesseur est de bonne foi (art. 938-939 CC) ou de mauvaise foi (art. 940 CC) :

- Le droit d’usage et le droit de jouissance : il s’agit de se demander ce qu’il advient des profits que le possesseur a tirés (fruits divers).

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o Pour le possesseur de bonne foi : le possesseur de bonne foi peut utiliser l’objet et en jouir. Il ne doit aucune indemnité à l’ayant droit (art. 938 al. 1 CC), sous réserve de l’art. 939 al. 3 CC.

o Pour le possesseur de mauvaise foi : le possesseur de mauvaise foi doit indemniser l’ayant droit de tous les avantages qu’il a retirés de l’usage ou de la jouissance de l’objet (art. 940 al. 1 CC). Il doit également indemniser l’ayant droit des fruits qu’il a négligé de percevoir (conséquence de l’obligation de réparer tout dommage résultat de l’indue détention). Ainsi, si le possesseur de mauvaise foi oublie de percevoir le loyer d’un appartement, il devra tout de même le rembourser à l’ayant droit. Il faut également précisé que le possesseur de mauvaise foi répond même sans faute, sous réserve de l’art. 940 al. 3 CC.

- Le droit de disposition : relatif à la responsabilité du possesseur en cas de dommage, de détérioration ou d’aliénation.

o Pour le possesseur de bonne foi : le possesseur de bonne foi a le droit de disposer de l’objet conformément à son droit présumé (art. 938 al. 2 CC). Il ne doit donc aucune indemnité.

o Pour le possesseur de mauvaise foi : le possesseur de mauvaise foi n’est pas en droit de disposer de la chose. Il doit donc indemniser l’ayant droit de tout dommage résultant de l’indue détention (art. 940 al. 1 CC). On peut comparer sa situation à celle du débiteur en demeure qui répond même du cas fortuit.

- Le remboursement des impenses : relatif aux dépenses utiles faites en relation avec l’objet lui-même.

o Pour le possesseur de bonne foi : le possesseur de bonne foi peut exiger le remboursement des impenses nécessaires et utiles (art. 939 al. 1 CC). Il reste toutefois nécessaire de mettre en balance les profits réalisés et l’argent que devrait lui restituer l’ayant droit (art. 939 al. 3 CC). Pour ce qui est des impenses somptuaires (autres impenses), il n’a pas droit au remboursement. Il garde toutefois le droit d’enlever ce qu’il a ajouté à l’objet si les trois conditions suivantes sont réalisées :

Le droit d’enlèvement doit être exercé avant la restitution. La séparation doit être possible sans dommage pour l’objet. Le demandeur n’offre pas de contre-valeur pour

l’embellissement (art. 939 al. 2 CC). o Pour le possesseur de mauvaise foi : le possesseur de mauvaise foi

ne peut exiger que le remboursement des impenses nécessaires et ce dans la seule hypothèse où l’ayant droit aurait aussi dû les faire lui-même (art. 940 al. 2 CC). En général, le possesseur de mauvaise

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foi a même le droit de refuser la délivrance de l’objet jusqu’au remboursement des impenses (controversé).

6. Cours du 26 octobre 2011   :

Le registre foncier   :

Le registre foncier n’est pas un livre, il s’agit d’un service public (bureaux et arrondissements, art. 951-953 CC) chargé de donner l’état des droits en relation avec les immeubles (art. 942 CC). Ces documents précisent qui est propriétaire d’un immeuble et quels sont les droits réels limités qui grèvent celui-ci. Ils renseignent également sur certains droits personnels. Il a donc pour fonction de réaliser le principe de publicité en matière immobilière (il est donc public, art. 970 al. 1 CC). Ainsi, nul ne peut se prévaloir de ce qu’il n’a pas connu une inscription portée au registre foncier (art. 970 al. 4 CC). De plus, l’inscription du droit au registre du commerce est en principe nécessaire à la naissance du droit (art. 971 al. 1 CC). On parle du principe absolu de l’inscription constitutive. Enfin, le principe de causalité implique qu’une inscription au registre foncier ne produit d’effets que si elle repose sur un titre d’acquisition valable. Il s’agit du principe de la légalité matérielle de l’inscription, art. 974 CC. Il existe toutefois une exception (art. 973 al. 1 CC) : celui qui a acquis un droit réel en se fiant de bonne foi aux énonciations du registre foncier est maintenu dans son acquisition. Selon l’art. 655 CC, les immeubles comprennent les biens-fonds, les parcelles, les mines, les parts de copropriété, etc. Le registre foncier comprend également des indications de fait par rapport aux immeubles (surface, contenu, description). Le registre ne joue son rôle de publicité que dans le cadre des droits, pas des faits. Cela est logique : il n’est pas nécessaire de modifier le registre foncier pour détruire une maison ou raser une forêt sur un terrain. Les seuls faits descriptifs qui font foi dans le registre sont les limites du terrain. Elles sont en effet strictement fixées par le registre et cela est un fait auquel on peut se fier. Le registre se fonde sur un principe de territorialité (principe réel, un document pour chaque immeuble, art. 942 CC). Il existe donc un certain nombre de principes régissant le registre foncier.

Quant à la règlementation du registre foncier, essentiellement contenue dans les art. 942-977 CC. Ces règles ont été complétées par une ordonnance du Conseil fédéral (22 février 1910, ORF). Il faut également ajouter le droit cantonal, qui intervient dans certains domaines. Au final, on distingue :

- Le droit formel du registre foncier, relevant du droit administratif, qui définit l’organisation de celui-ci et la procédure à suivre pour les opérations à effectuer (art. 942-962 et 967-970a CC).

- Le droit matériel du registre foncier, lié au droit privé, qui régit les conditions de fond des opérations au registre foncier ainsi que leurs effets (art. 963-965 et 971-977 CC).

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7. Cours du 2 novembre 2011   :

L’organisation du registre foncier   :

Selon l’art. 953 CC, les cantons sont compétents pour régler la formation des arrondissements du registre foncier, l’organisation des bureaux, la nomination et le traitement des fonctionnaires ainsi que pour fixer les émoluments. Le droit fédéral impose en effet la formation d’arrondissements pour la tenue du registre (art. 951 al. 1 CC) mais laisse aux cantons le soin de régler la formation de ces arrondissements. Dans chaque arrondissement doit se trouver un bureau du registre foncier, dirigé par un conservateur du registre foncier. Enfin, les cantons peuvent en principe percevoir des émoluments (rémunérations, sommes d’argent) pour les opérations au registre foncier (comme d’ailleurs pour les travaux de mensurations qui s’y rattachent, art. 954 al. 1 CC).

Les documents du registre foncier   :

Les différents documents du registre foncier sont énumérés à l’art. 942 al. 2 CC. On distingue deux catégories de documents, selon que ces documents produisent ou non tous les effets du registre :

- Les documents constitutifs du registre foncier (art. 942 al. 2 CC) : ce sont les documents officiels auxquels on peut se fier. Il s’agit :

o Du grand livre (art. 945 CC, 2-3, 8-9 ORF) : il s’agit de la base de données fournissant les informations juridiques pour chaque immeuble. Il existe aujourd’hui une version informatisée du grand livre (art. 942 al. 3 CC). Dans le grand livre, chaque immeuble reçoit un feuillet et un numéro distinct (art. 945 al. 1 CC), selon le principe réel (un document pour un immeuble).

o Du journal (art. 2, 8 et 10 ORF) : il s’agit du livre dans lequel les réquisitions d’opérations au registre foncier sont portées à mesure qu’elles ont lieu et à la suite les unes des autres (art. 948 al. 1 CC). Il s’agit donc d’un procès verbal chronologiques. L’effet de l’inscription remonte au jour où elle a été faite au journal (l’inscription au grand livre peut en effet prendre beaucoup de temps et ainsi traîter inégalement les personnes).

o Des documents complémentaires : il s’agit de tous les compléments au grand livre qui, en général, produisent les mêmes effets que lui. Il existe 4 documents complémentaires : l’état descriptif (indiquant la situation et la surface des immeubles, le genre des cultures ou les bâtiments se trouvant sur un fond), les plans, art. 950 CC (fruits de la mensuration officielle représentant géométriquement les immeubles), les pièces justificatives, art. 948 al. 2 CC et 2 ORF (documents numérotés qui constatent les faits

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juridiques sur lesquels le conservateur s’est fondé pour porter au registre ou radier un droit ; le contrat de vente par exemple, dans le cadre d’une vente) et le rôle (état des immeubles).

- Les registres accessoires (art. 11-13 ORF) : le but de ces registres est de faciliter la tenue du registre foncier. Ces registres accessoires ne produisent pas les effets du registre foncier. On peut citer le registre des propriétaires, art. 11 ORF (il s’agit du registre inverse au registre foncier, listant ce que chaque propriétaire possède) ainsi que le registre des créanciers, art. 12 ORF (ce registre permet de retrouver plus facilement les créanciers qui sont au bénéfice de gages). Enfin, l’art. 13 ORF parle d’autres registres accessoires facultatifs, qui peuvent être mis en place par les cantons.

Malheureusement, le registre tel qu’il a été présenté n’est pas encore totalement en vigueur. En effet, il reste environ 15% du territoire à mesurer (les plans étant des documents capitaux, il faut absolument terminer les mesures). Ainsi, en attendant ce registre foncier fédéral, on applique ce qui était appliqué avant 1912. On utilisait alors des cadastres, basés sur le principe personnel (un document par personne), au contraire du registre foncier basé sur le principe réel. Il se pose toutefois la question des effets de ces cadastres. Lorsque ces documents cadastraux sont bien établis, on s’y fie comme s’il s’agissait du registre foncier (TF 46, 48 al. 1-2, GE, NE, FR, BE, etc.). Par contre, lorsque les plans ne sont pas suffisamment précis, les cadastres ne produisent pas les effets de la foi publique (TF 48 al. 3, VS, TI, etc.). En outre, le droit transitoire se base également sur les règles du CC (TF 47). Les mécanismes des droits réels s’appliquent donc partout, qu’un registre foncier fédéral existe ou non. En résumé, c’est la forme du registre qui change mais pas le fond. Au final, précisons que le registre foncier peut être tenu sur papier ou au moyen de l’informatique (art. 942 al. 3 CC). Lorsque le registre est informatisé (art. 111 ORF), le système étant complexe, la loi définit à quelles conditions les données contenues peuvent produire des effets juridiques :

- Les données doivent être correctement enregistrées dans le système.- Les appareils de l’office du registre foncier doivent permettre la lecture

des données sous forme de chiffres et de lettres par des procédés techniques, ou sous forme de plan (art. 942 al. 4 CC).

Ainsi, les données relatives à un immeuble ne produisent les effets du grand livre (en particulier la foi publique au sens de l’art. 973 CC) que si elles sont sécurisées dans le système, au sens de l’art. 111i ORF, et si le système ne permet de les modifier qu’au moyen d’une nouvelle procédure de traitement règlementée, selon l’art. 111g ORF et l’art. 111b al. 1 ORF.

8. Cours du 9 novembre 2011   :

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La publicité du registre foncier   :

Le registre foncier est public. L’art. 970 CC régit la communication de renseignements et la consultation du registre foncier alors que l’art. 970a CC permet aux cantons de publier les acquisitions de propriété immobilières. Ce sont principalement ces deux art. qui traitent du principe de publicité du registre foncier. On distingue en outre deux types de données :

- Les données librement accessibles : selon l’art. 970 al. 2 CC, toute personne a accès à la désignation d’un immeuble, à son descriptif, au nom et à l’identité de son propriétaire ainsi qu’au type de propriété et à la date d’acquisition de celle-ci. De plus, sur la base de 970 al. 3 CC, le CF a autorisé la libre consultation des servitudes et des charges foncières ainsi que de la plupart des mentions (art. 106a al. 1 ORF). Les données librement accessibles doivent toutefois toujours être demandées en relation avec un immeuble déterminé.

- Les autres données : l’art. 970 al. 1 CC précise que celui qui fait valoir un intérêt a le droit de consulter le registre foncier ou de s’en faire délivrer des extraits. Cela permet d’éviter que le registre foncier ne soit utilisé dans un motif de pure curiosité et allège la charge de travail du conservateur. Ainsi, sauf si le propriétaire consent à la consultation d’éléments du registre le concernant, la consultation du registre n’est ouverte qu’à la personne qui justifie d’un intérêt digne de protection (intérêt juridique ou économique, scientifique, journalistique, personnel voire même familial). L’intéressé peut alors prendre connaissance du contenu du registre par consultation ou par demande d’extrait du registre foncier (titres publics ne bénéficiant toutefois pas de la foi publique).

Les cantons peuvent publier les acquisitions de propriété immobilière (art. 970a al. 1 CC). Ils déterminent alors librement les modalités de la publication (publication ou non de la contre-prestation reçue par l’aliénateur). Concernant les effets de la publicité au registre foncier, selon l’art. 970 al. 4 CC, nul ne peut se prévaloir de ce qu’il n’a pas connu une inscription portée au registre foncier. Il s’agit donc d’une fiction. La bonne foi de celui qui prétendrait ignorer le contenu du registre ne peut être retenue car elle est incompatible avec l’attention que les circonstances permettaient d’exiger de lui (art. 3 al. 2 CC, principe de diligence).

La surveillance du registre foncier   :

La surveillance du registre est réglée par les cantons (art. 953 CC), qui doivent instituer une autorité de surveillance, chargée d’exécuter les tâchées listées par les art. 956-957 CC. La Confédération exerce en outre une haute surveillance sur la tenue du registre. L’autorité de surveillance cantonale peut être soit une autorité spécialement constituée (type collégial), soit une autorité qui exerce

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également d’autres tâches (tribunal par exemple). Les organes de surveillance ont des fonctions de deux ordres :

- Une fonction de surveillance générale, exercée par le biais d’une surveillance régulière (art. 956 al. 1 CC) et par l’exercice du pouvoir disciplinaire (art. 957 CC).

- Une fonction juridictionnelle : les décisions du conservateur peuvent faire l’objet d’une plainte à l’autorité de surveillance (ou à l’autorité judiciaire désignée par la loi).

La surveillance fédérale, quand à elle, est exercée par l’Office fédérale chargé du droit du registre foncier (haute surveillance portant principalement sur des questions techniques) et par le TF. Le TF est la juridiction de recours contre les décisions des autorités cantonales de surveillance (art. 102 al. 1 ORF). Il est saisi par la voie du recours en matière civile (art. 72 al. 2 LTF) ou par un recours constitutionnel subsidiaire (art. 113 LTF).

La responsabilité pour la tenue du registre   foncier   :

Les cantons sont responsables de tout dommage résultat de la tenue du registre foncier (art. 955 al. 1 CC). Le lésé doit donc diriger l’action en responsabilité contre les cantons directement. Le canton dispose de son côté d’un droit de recours contre les fonctionnaires, employés et autorités de surveillance immédiate qui ont commis une faute. Ce système assure donc au lésé une protection particulièrement efficace, expliquée notamment par l’importance des intérêts en jeu, par l’obligation pour les particuliers de faire appel aux institutions du registre foncier, par le risque de paralyser l’esprit d’initiative des agents du registre foncier en leur faisant supporter une responsabilité primaire (si les fonctionnaires étaient placés en première ligne) et par la difficulté de découvrir, le cas échéant, l’auteur du préjudice.

La qualité pour agir au moyen d’une action en responsabilité appartient à toute personne subissant un dommage résultat de la tenue du registre foncier. La qualité pour défendre appartient au canton sur le territoire duquel a eu lieu la gestion illicite du registre. La responsabilité du canton est alors engagé si un acte relevant de la tenue du registre foncier est illicite et a causé un dommage. La faute (des organes du registre foncier) n’est donc pas nécessaire. Reprenons les trois conditions :

- Un acte relevant de la tenue du registre foncier : la tenue du registre est l’ensemble des activités que les organes du registre foncier doivent déployer pour assurer la publicité foncière telle qu’elle est prévue par le droit fédéral ou cantonal. On peut donc citer les opérations faites dans le grand livre, le journal, les documents complémentaires et les documents accessoires, l’émission ou la radiation des titres de gage (art. 857 et 864 CC), la consultation du registre et la délivrance d’extraits ou encore la conservation des pièces justificatives.

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- Un acte illicite : l’illicéité suppose deux éléments :o La violation d’une prescription relative à la publicité foncière et

destinée à protéger les intérêts du lésé : une norme, légale ou règlementaire, relative à la tenue du registre foncier doit avoir été violée. La norme doit ensuite avoir pout but de protéger les intérêts du lésé. Tel n’est pas le cas des normes sur l’organisation interne du registre ou sur les indications à faire figurer dans l’état descriptif (sauf la surface).

o L’absence de motifs légitimes : le lésé ne doit ainsi pas avoir par exemple consenti à l’acte dommageable. De même, si les organes cantonaux se sont conformés à une directive de l’Office fédéral chargé du droit du registre foncier, il ne sera pas possible d’attaquer les organes cantonaux, mais plutôt directement la Confédération (il s’agirait alors d’engager la responsabilité de la confédération plutôt que celle du canton).

- Un acte causant un dommage : la responsabilité ne vise que la réparation d’un dommage, comme par exemple les frais d’un procès perdu en raison des manquements dans la tenue du registre foncier. Il doit naturellement y avoir un lien de causalité naturelle et adéquate entre le manquement dans la tenue du registre et le dommage subi par le lésé.

Précisons enfin que le délai de prescription est celui fixé par l’art. 60 CO (10 ans) et que les cantons disposent d’un droit de recours (action récursoire) contre les fonctionnaires, employés et autorités de surveillance qui ont commis une faute (art. 955 al. 2 CC). Cela signifie que les cantons peuvent se retourner contre les fonctionnaires seulement si ceux-ci ont commis une faute.

Les opérations au registre foncier   :

Il existe 4 opérations au registre :

- L’immatriculation des immeubles : il s’agit de l’ouverture d’un feuillet pour un immeuble au grand livre. L’immatriculation crée donc une unité foncière, un objet de droits réels immobiliers (principe réel : un feuillet correspond à un immeuble). On distingue 5 types d’immatriculation, répartis en deux catégories, l’immatriculation des immeubles du domaine privé pour les 4 premières, et l’immatriculation des immeubles publics pour la dernière :

o L’immatriculation d’un biens-fonds : un bien-fonds est une surface de terrain ayant des limites déterminées de façon suffisante (art. 3 al. 2 ORF). Comme il s’agit d’un objet distinct de droits réels, son immatriculation n’est possible que s’il n’est l’objet que d’un seul droit de propriété et si les droits réels limités qui le grèvent portent sur le bien-fonds dans son ensemble. En général, les biens-

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fonds doivent être immatriculés d’office (art. 3 al. 1 ORF). L’immatriculation nécessite un plan, l’ouverture d’un feuillet et un état descriptif (art. 1 ORF). Chaque immeuble reçoit alors un feuillet et un numéro distincts dans le grand livre. Il faut encore parler à propos des biens-fonds de division et de réunion :

La division de biens-fonds : par division, on peut comprendre soit la distraction d’une partie du bien-fonds, avec maintien de l’ancien feuillet pour le reste (art. 85 al. 1 ORF), soit le parcellement , qui suppose la clôture de l’ancien feuillet et la création d’un nouveau feuillet pour chaque nouvelle parcelle (art. 85 al. 2 et 96 ORF).

La réunion de biens-fonds : la réunion suppose la clôture des anciens feuillets (art. 91-92 et 96 ORF) et l’adjonction, qui est l’accroissement du bien-fonds primitif, qui conserve le même numéro (art. 93 ORF).

o L’immatriculation des droits distincts et permanents : ce type d’immatriculation ne porte pas sur des réalités physiques mais sur des droits (droit de superficie par exemple ou droits visés par l’art. 943 al. 1 ch. 2 CC). Le but de cette immatriculation est de dissocier la valeur économique de la construction pour en faire un objet de droit qui va pouvoir se traîter juridiquement. Lorsque ces droits sont immatriculés au registre foncier, on les considère comme des immeubles (art. 655 CC). L’art. 943 al. 1 ch. 2 CC vise avant tout :

Les servitudes immobilières personnelles improprement dites (principal), comme les droits de superficie et les droits de sources (art. 943 al. 2 CC et 7 ORF).

Les charges foncières personnelles (controversé). Les concessions octroyées sur les eaux publiques. Certains droits relevant de la législation cantonale.

De plus, comme précisé, ces droits doivent être des droits distincts, c’est-à-dire des droits établis ni en faveur du propriétaire actuel du fonds dominant, ni exclusivement en faveur d’une personne déterminée (art. 7 al. 2 ch. 1 ORF). Ils doivent également être permanents, et donc être établis pour 30 ans au moins ou pour une durée indéterminée (art. 7 al. 2 ch. 2 ORF). Ces droits ne sont toutefois immatriculés que sur demande écrite de leur titulaire (art. 7 al. 1 ORF), au contraire des biens-fonds. Le consentement du propriétaire du fond grevé n’est en outre pas nécessaire, pas plus que celui d’autres titulaires de droits réels.

o Les mines : peu présentes en Suisse, les concessions minières accordées par les cantons à des exploitants doivent être immatriculées au grand livre. Les mines ne sont pas considérées comme des terrains mais comme des droits d’exploitation. On peut

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donc séparer la valeur du terrain et la valeur de la mine. La technique est la même que pour les droits distincts et permanents (dissociation de la valeur).

o Les parts de copropriété d’un immeuble : le mécanisme n’est pas tout à fait le même que pour les droits distincts et permanents. L’art. 655 CC précise entre autre que l’immatriculation des parts de copropriété n’est pas une condition pour avoir la qualité d’immeuble (au contraire des droits distincts et permanents). Le but de cette immatriculation est de pouvoir traiter la valeur de la part de copropriété indépendamment du biens-fonds lui-même et des autres parts de copropriété. Il s’agit donc encore une fois de créer un objet de droit indépendant. Ainsi, si une maison est la propriété de trois copropriétaires, il existe un immeuble matériel (le terrain) mais trois immeubles juridiques. Chaque copropriétaire peut grever sa part de copropriété sans mettre en danger la part de l’autre ou le biens-fonds en lui-même. Ces différents processus permettent donc d’assouplir le système juridique. Pour les parts de PPE, l’immatriculation est obligatoire (art. 10a al. 2 ORF). En pratique, l’immeuble de base n’a pas de propriétaire : le grand livre liste les parts de PPE mais pas les copropriétaires. Les parts de copropriété par contre ne doivent pas forcément être immatriculées (art. 10a al. 1 ORF). L’immatriculation doit être faite si la situation juridique est assez technique ou compliquée et rend donc l’immatriculation nécessaire (présence de gages).

o Les immeubles publics : en principe, les immeubles qui ne sont pas propriété privée et ne servent à l’usage public ne sont pas immatriculés. Toutefois, il existe une exception en matière d’immeubles appartenant à la collectivité publique. Leur immatriculation est nécessaire afin de rendre possible l’inscription de droits réels de nature privée. Elle peut également être prévue directement par les cantons, pour obtenir une vue d’ensemble des différents immeubles entre autre.

- L’inscription : ce sont des indications relatives aux droits réels qui constituent les données les plus importantes que l’on trouve sur le feuillet du grand livre. Ainsi, la plupart des droits réels immobiliers (art. 946 al. 1 CC) sont liés à une inscription au registre foncier. Dans certains cas, l’inscription est nécessaire pour que le droit soit acquis ou transféré (inscription constitutive) alors que dans d’autres cas, le droit existe de par la loi, mais doit tout de même être inscrit pour être opposable aux TdBF et pour que son titulaire puisse en disposer (inscription déclarative). Précisons tout de même que certains droits réels immobiliers existent (hypothèques légales directes) ou sont transférés (droits de gage,

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servitudes personnelles cessibles ou charges foncières personnelles) indépendamment d’une inscription. Dans les cas où l’acquisition et / ou le maintien du droit réel immobilier sont liés au registre foncier, on distingue entre l’inscription constitutive et l’inscription déclarative :

o L’inscription constitutive (art. 963 al. 1 CC) : l’inscription est constitutive lorsqu’elle est nécessaire à l’acquisition du droit réel considéré (principe absolu de l’inscription, art. 963 al. 1 CC). L’inscription constitutive est en générale la dernière étape du processus d’acquisition dérivé d’un droit réel immobilier. Elle constitue en fait l’acte matériel dans le processus d’acquisition. Avant cela, il faut donc un titre d’acquisition (vente ou contrat constitutif de servitude) puis une opération d’acquisition, divisée en un acte de disposition (réquisition au registre foncier) et en un acte matériel, l’inscription à proprement parler.

o L’inscription déclarative (art. 963 al. 2 CC) : l’inscription n’est pas nécessaire à l’acquisition du droit réel considéré mais joue tout de même un rôle pour le maintien ou l’exercice du droit (principe relatif de l’inscription, art. 963 al. 2 CC). L’inscription n’a donc pour but que de mettre le registre en accord avec la réalité juridique. Toutefois, tant que le nouveau titulaire du droit n’est pas inscrit au registre, il ne peut disposer de son droit car il n’a pas le pouvoir formel de disposer. De même, il court le risque de perdre son droit par suite de l’acquisition d’un droit réel par un TdBF. Enfin, le titulaire du droit ne bénéficie pas de la présomption attachée à l’inscription dans un registre public.

Pour déterminer les cas dans lesquels une inscription constitutive ou déclarative est requise, il faut se tourner vers les différentes dispositions du CC, qui précisent en général pour chaque situation le type d’inscription nécessaire. La règle est que l’acquisition se fait selon le principe absolu, mais il existe bon nombre d’exceptions. Comme on l’a vu plus haut, les inscriptions (à caractère déclaratif comme à caractère constitutif) requiert deux conditions, un titre d’acquisition et une opération d’acquisition (avec une réquisition en tant qu’acte de disposition et l’inscription en elle-même en tant qu’acte matériel) :

o Les inscriptions à caractère constitutif : Le titre d’acquisition peut alors être un acte juridique (un

contrat générateur de l’obligation de transférer un immeuble ou de le grever d’un droit réel limité), la loi (sous forme d’une hypothèque légale indirecte, autrement dit une créance propter rem) ou une déclaration unilatérale du propriétaire de l’immeuble (le titre d’acquisition réside donc dans la volonté manifestée du propriétaire).

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L’acte de disposition : la réquisition : il faut alors distinguer selon le type de titre d’acquisition :

Acte juridique : la réquisition est alors un acte de disposition causal (valable que si l’acte juridique l’est également) par lequel le propriétaire de l’immeuble dispose de l’immeuble, en le transférant à un tiers ou en constituant un droit réel limité. La réquisition d’inscription ne peut en outre pas être retirée unilatéralement. Quant aux conditions, le requérant doit avoir le pouvoir de disposer (condition de fond, en lien direct avec la qualité de propriétaire de l’immeuble, art. 963 al. 1 CC). La réquisition doit ensuite indiquer séparément chaque inscription à faire (art. 12 al. 2 ORF), dans l’ordre (art. 12 al. 3 ORF), et être faite par écrit (art. 13 al. 1 ORF). Cela est possible si le requérant signe une formule de réquisition directement au bureau du registre foncier (art. 13 al. 2 ORF). La réquisition peut également être faite par un représentant (art. 16 ORF). Enfin, selon l’art. 963 al. 3 CC, les cantons peuvent charger les officiers publics de requérir les inscriptions des actes reçus (art. 16 al. 3 ORF).

Loi : la réquisition d’inscription de l’hypothèque légale indirecte obéit aux mêmes règles que la réquisition fondée sur un acte juridique, sous réserves des éléments suivants :

o La personne habilitée à requérir n’est pas le propriétaire de l’immeuble mais le futur titulaire de l’hypothèque. Ce dernier dispose donc d’une sorte de pouvoir de disposer de l’immeuble d’autrui.

o La réquisition doit souvent avoir lieu dans un certain délai (art. 839 al. 2 CC).

o La réquisition d’inscription est un acte unilatéral qui peut être révoqué tant que l’inscription au grand livre n’a pas eu lieu.

Déclaration unilatérale : là encore, les règles sont les mêmes que lorsque la réquisition repose sur un acte juridique, sauf :

o La réquisition consiste normalement en une demande écrite du propriétaire (art. 20 ORF). Pour la constitution d’une PPE toutefois, la demande doit être constatée en

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la forme authentique ou dans les formes du testament ou d’un pacte successoral (art. 712d al. 3 CC).

o La réquisition d’inscription est un acte unilatéral qui peut être révoqué tant que l’inscription au grand livre n’a pas eu lieu.

Selon l’art. 965 al. 1 CC, l’inscription ne peut avoir lieu sans légitimation préalable du requérant quant à son droit de disposition et quant au titre sur lequel il fonde l’opération. Par rapport au droit de disposition, la légitimation du requérant porte sur les points suivants :

Identité : le requérant établit son droit de disposition en prouvant son identité avec la personne légitimée aux termes du registre (art. 13a ORF et 965 al. 2 CC).

Qualité pour recourir : le requérant doit ensuite prouver qu’il est la personne légitimée à requérir l’inscription (art. 15 al. 1 ORF). Il doit donc prouver qu’il est bien le propriétaire inscrit (art. 15 al. 2 ORF), lorsque le titre d’acquisition est un acte juridique ou une déclaration unilatérale, ou qu’il est bien le titulaire de la créance propter rem en cas d’hypothèque (titre d’acquisition : loi).

Capacité civile : le requérant doit établir qu’il a la capacité civile passive (art. 11 et 53 CC) et active (art. 12-19 CC). En outre, si le conjoint est marié et que l’immeuble aliéné peut servir de logement familial, soit les conditions de l’art. 169 CC ne doivent pas être remplies, soit le conjoint ou le juge doivent avoir autorisé l’aliénation de l’immeuble en cause.

Pouvoir de représentation : seulement pour les cas où le propriétaire de l’immeuble se fait représenter.

Compétence de l’autorité ou du fonctionnaire : seulement pour les cas où ce sont les autorités cantonales qui requièrent l’inscription de l’immeuble.

Quant à la légitimation par rapport au titre d’acquisition, l’art. 965 al. 3 CC dit que le requérant justifie son titre d’acquisition en prouvant que les formes auxquelles la validité de celui-ci est subordonnée ont été observées. Le requérant doit donc toujours établir l’existence d’un titre d’acquisition (art. 965 al. 1 CC) et ensuite démontrer, dans une certaine mesure, la validité matérielle du titre. La légitimation varie ensuite en fonction du titre :

Acte juridique : la légitimation consiste dans le dépôt de l’acte en mains du conservateur (art. 18-19 ORF).

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Loi : le requérant doit prouver que les conditions de la créance tendant à la constitution de l’hypothèque légale sont remplies (art. 22-22a ORF).

Déclaration unilatérale : la pièce justificative est alors directement la réquisition en elle-même (art. 20 ORF).

o Les inscriptions à caractère déclaratif : les inscriptions déclaratives exigent un titre d’acquisition et une opération d’acquisition (avec une réquisition en tant qu’acte de disposition et l’inscription en elle-même en tant qu’acte matériel) :

Le titre d’acquisition : il s’agit de la loi. L’acte de disposition : la réquisition : les règles sont les

mêmes que l’acquisition par acte juridique selon le principe absolu, sous réserves des points suivants :

C’est l’acquéreur du droit qui a qualité pour requérir l’inscription et non pas le titulaire du droit.

La réquisition d’inscription est un acte unilatéral qui peut être révoqué tant que l’inscription au grand livre n’a pas eu lieu.

- L’annotation (art. 959-961a CC) : d’une manière générale, l’annotation est une opération qui confère à un rapport juridique des effets apparentés à ceux des droits réels ou qui constatent que de tels droits existent. Il faut distinguer trois espèces d’annotations :

o Les annotations des droits personnels (art. 959 CC) : ces annotations ne sont faites que si elles sont expressément prévues par la loi (art. 959 al. 1 CC). Ainsi, les cas d’annotations de droits personnels sont les suivants :

Les droits de préemption, d’emption et de réméré (art. 216a CO et 712c al. 1 CC).

Le droit au bail, à loyer ou à ferme (art. 261b et 290 CO). Le droit de profiter des cases libres (art. 814 al. 3 CC). Le droit de retour en cas de prédécès du donataire (art. 247

CO et 71 al. 1 ORF ; droit personnel controversée). Le droit d’opposition en matière de PPE (art. 712c al. 2 CC). La convention excluant temporairement le partage d’une

copropriété (art. 650 CC). La convention supprimant un droit légal de préemption

(art. 681b CC). La convention dérogeant au régime légal en fin de droit de

superficie (art. 779e CC).o Les annotations des restrictions du droit d’aliéner (art. 960 CC) :

l’art. 960 CC prévoit alors trois hypothèses :

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L’annotation d’une décision officielle, rendue pour la conservation de droits litigieux ou de prétentions exécutoires (art. 960 ch. 1 CC).

L’annotation d’une saisie (art. 960 ch. 2 CC). L’annotation d’autres actes juridiques (art. 960 ch. 3 CC).

o Les annotations des inscriptions provisoires (art. 961 CC) : là encore, trois groupes de cas sont prévus :

Les inscriptions provisoires en vue de la conservation d’un droit réel allégué : celui qui allègue un droit réel est autorités à en demander l’inscription provisoire (art. 961 al. 1 ch. 1 CC). L’inscription provisoire permet d’éviter le risque qu’un tiers n’acquière de bonne foi un droit réel sur l’immeuble en se fiant à l’inscription pas encore à jour figurant au registre (procès pour droit réel contesté).

Les inscriptions provisoires afin de permettre un complément de légitimation : selon l’art. 966 al. 2 CC, lorsqu’une réquisition devrait être rejetée parce que le requérant n’a pas justifié suffisamment de son droit de disposition, il est possible de procéder à une inscription provisoire du droit (art. 961 al. 1 ch. 2 CC).

Les inscriptions provisoires d’hypothèques légales : l’inscription provisoire des hypothèques légales indirectes est prévue par les art. 22 al. 4 et 22a ORF.

Tout comme pour les inscriptions, il est nécessaire de distinguer les annotations constitutives des annotations déclaratives. Les premières sont nécessaires pour que l’effet prévu par la loi se produise (même à l’égard des TdMF). Dans le cas des deuxièmes, l’effet existe même avant l’annotation et celle-ci sert à éviter qu’un TdBF puisse échapper aux effets prévus par la loi. Comme en matière d’inscription, la plupart des annotations sont constitutives. On peut notamment mentionner les annotations déclaratives suivantes : les annotations de saisie (art. 960 al. 1 ch. 2 CC), les annotations d’un droit réel allégué (art. 961 ch. 1 al. 1 CC), les annotations d’une substitution fidéicommissaire (art. 960 al. 1 ch. 3 et 490 al. 2 CC) et les annotations d’un jugement ordonnant une annotation (art. 665 CC, appliqué par analogie). Les conditions et la procédure des deux types d’annotation sont les suivantes :

o Conditions et procédure en matière d’annotations constitutives : l’annotation n’est possible que s’il existe un titre d’annotation (acte juridique, décision officielle ou loi) suivi d’une réquisition émanant de la personne compétente (le propriétaire dont la liberté est limitée par l’annotation).

o Conditions et procédure en matière d’annotations déclaratives : l’art. 963 al. 2 CC s’applique par analogie aux annotations

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déclaratives. Le titre d’annotation peut être l’un des 4 éléments cités ci-dessus (types d’annotation déclarative).

Pour terminer, il est nécessaire d’examiner les effets des annotations. Selon les art. 959 al. 2, 960 al. 2 et 961 al. 2 CC, les annotations ont pour conséquence de rendre le droit ou la restriction annotée opposables à tout droit postérieurement acquis sur l’immeuble. L’effet principal des annotations est donc de restreindre le pouvoir de disposer du propriétaire. Cela n’est toutefois pas le seul effet produit par les annotations, on parle également de l’effet de rattachement entre le droit annoté propter rem et l’immeuble. Voyons donc ces deux effets :

o La restriction du pouvoir de disposer : le droit ou le rapport juridique annotés auront, au besoin, la priorité sur les droits postérieurement acquis sur l’immeuble. La restriction n’empêche donc pas le propriétaire de transférer son immeuble ou de le grever de droits réels limités (art. 961a CC). Elle se distingue donc du blocage du registre foncier qui interdit toute opération ultérieure sur le feuillet concerné. Il s’agit de l’effet typique des annotations. Seules 5 types d’annotation ne produisent pas cet effet : le droit d’opposition en matière de PPE (art. 712c al. 2 CC), l’exclusion du partage de la copropriété (art. 650 CC), la suppression des droits de préemption légaux (art. 681b CC), la dérogation au régime légal en fin de droit de superficie (art. 779e CC et la clause de transfert de la qualité d’associé d’une société coopérative (art. 850 al. 3 CO). L’opposabilité aux tiers de manifeste de 4 manières :

Opposabilité à des mesures postérieures d’exécution forcée (notamment en cas de saisie ou de faillite).

Opposabilité à des droits ou restrictions annotés postérieurement (principe de la priorité dans le temps valable également entre droits ou restrictions annotés).

Opposabilité aux droits réels limités constitués postérieurement (seulement si le droit réel limité est incompatible avec le droit annoté, art. 812 CC).

Opposabilité à l’acquisition postérieure de la propriété par un tiers.

o L’effet de rattachement : au contraire de l’effet typique, l’effet de rattachement ne limite pas juridiquement la liberté de disposer du propriétaire. Cette annotation a pour effet que l’acquéreur de l’immeuble doit reprendre le rapport juridique qui a fait l’objet de l’annotation (rapport lié à la propriété de l’immeuble). Les annotations qui produisent un effet de rattachement sont celles visées par l’art. 959 CC :

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Les annotations qui ne produisent pas l’effet typique : ce sont les 5 types d’annotation listés précédemment. Ces annotations ont donc pour seul but de rendre les conventions annotées opposables aux tiers, mais pas de restreindre le pouvoir de disposer du propriétaire.

Les annotations visées par l’art. 959 CC (produisant déjà l’effet typique) produisent aussi l’effet de rattachement.

- La mention : il s’agit d’une indication signalant dans le grand livre un rapport juridique qui est en relation avec l’immeuble, mais dont l’existence n’est en principe pas liée au registre foncier. Le but principal de la mention est ainsi d’informer les utilisateurs du registre et de faciliter les transactions immobilières. Seuls les art. 946 al. 2 et 962 CC rappellent la possibilité de mentionner les accessoires de l’immeuble et certaines restrictions de la propriété fondées sur le droit cantonal. Les mentions doivent en outre être prévues par la loi (on ne peut pas mettre ce qu’on veut dans le registre foncier). On peut par exemple mentionner, en droit privé, les accessoires (art. 946 al. 2 et 805 CC), le règlement d’une copropriété (art. 647 et 712g al. 3 CC), l’interdiction de disposer (art. 178 al. 3 CC) et le représentant légal (art. 962a CC) ou, en droit public, la restriction de la propriété d’un immeuble (art. 962 al. 1 CC), les éléments liés au droit foncier rural (art. 86 LDFR) et certains aspects de la loi sur la prévoyance professionnelle (art. 30e al. 2 LPP). Comme les inscriptions et les annotations, les mentions doivent reposer sur un titre d’acquisition (la loi ou un acte juridique). La mention en elle-même est opérée soit d’office, soit sur réquisition, selon ce que prévoit la règle matérielle applicable. L’effet de la mention est en principe uniquement d’informer sur l’existence du rapport juridique concerné. Cela signifie que, conformément à l’art. 970 al. 4 CC (appliqué par analogie), nul ne peut se prévaloir de ce qu’il n’a pas connu une mention portée au registre. La mention n’a par contre pas de conséquence sur le rapport juridique en question. L’existence et le contenu de ce dernier sont indépendants de la mention. On peut toutefois citer l’exception de la mention des accessoires (art. 805 al. 2 CC) qui fait présumer de la qualité d’accessoire. Cela signifie que la mention inverse le fardeau de la preuve en matière d’accessoires. De même, la mention des droits réels constitués avant 1912 produit en réalité les effets d’une inscription déclarative (présomption d’existence du droit mentionné et exclusion de la bonne foi du TdBF).

9. Cours du 16 novembre 2011   :

Ces 4 opérations peuvent être modifiées (la modification n’est pas véritablement une opération car elle prend soit la forme d’une radiation car elle limite un droit, soit la forme d’une inscription car elle étend la portée d’un droit) ou supprimées

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(radiation). En matière d’inscription, on distingue les radiations extinctives et les radiations rectificatives. Une radiation est une opération qui supprime une inscription lorsque celle-ci n’a pas ou plus de justification. On dit qu’une radiation est extinctive si elle est nécessaire pour entraîner la perte du droit inscrit et qu’elle est rectificative si elle a pour but de remettre le registre foncier en accord avec la réalité juridique (le droit inscrit n’a alors jamais existé ou s’est déjà éteint, indépendamment de la radiation de l’inscription). On peut comparer la radiation extinctive (art. 964, 969 CC) à l’inscription constitutive et la radiation rectificative (par analogie, art. 963 al. 2 CC) à l’inscription déclarative.

Il est également possible de bloquer le registre foncier (art. 56 ORF). Le blocage est une interdiction faite au conservateur du registre de procéder à des opérations sur un feuillet déterminé du grand livre. Il est en général ordonné par une autorité (juge, art. 178 al. 3 CC) mais résulte parfois de la loi et doit alors être mis en œuvre d’office par le conservateur (art. 841 al. 3 CC). Le blocage a pour conséquence le refus de donner suite aux réquisitions de procéder à des opérations constitutives de droits. Cela signifie que les opérations n’ayant qu’une portée déclarative peuvent être effectuées. Lorsque le blocage est ordonné sur la base du droit cantonal, il doit être justifié par des motifs d’intérêt public et ne pas être contraire au sens et à l’esprit du droit fédéral. Le but recherché par le blocage ne doit donc pas pouvoir être atteint autrement que par cette mesure.

10. Cours du 23 novembre 2011   :

Décisions du conservateur et recours   :

En principe, le conservateur n’agit que sur réquisition (art. 11 ORF). Le conservateur doit successivement se prononcer sur la recevabilité de la réquisition, puis le bien-fondé et rend pour finir une décision au sujet de l’opération requise :

- Recevabilité de la réquisition : la réquisition parvenue au registre foncier doit être immédiatement portée au journal (art. 948 CC et 14 ORF). Le conservateur doit toutefois tout d’abord analyser la recevabilité de la réquisition. Il doit donc se demander si la demande qui lui est faite présente les caractéristiques d’une réquisition (art. 11 ss ORF). L’éventuelle décision d’irrecevabilité est alors communiquée au requérant et à tout intéressé et peut être attaquée par la voie du recours à l’autorité de surveillance (art. 104 ORF).

- Bien-fondé de la réquisition : le conservateur doit s’assurer le plus vite possible (art. 26 al. 2 ORF) que les conditions de légitimation fixées par l’art. 965 CC sont remplies. Selon le principe absolu, la légitimation doit exister au moment où la réquisition a été faite, car l’effet de l’inscription remonte à l’inscription au journal (art. 972 CC et 26 al. 4 ORF). Le conservateur ne doit donc pas prendre en considération la faillite ou le décès du requérant survenus après la réquisition. Selon le principe relatif,

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c’est au moment de l’inscription au grand livre que la légitimation doit exister. De ce fait, le législateur doit tenir compte des modifications intervenues depuis l’inscription au journal. Le conservateur doit donc vérifier si les conditions des art. 966 al. 1 et 955 CC sont respectées. Il contrôle donc à titre principal le droit de disposition du requérant et la validité du titre d’acquisition. Le pouvoir de contrôle du conservateur n’est toutefois pas illimité : concernant le titre d’acquisition, le contrôle porte sur l’observation des formes auxquelles la validité de l’acte est subordonné et sur les questions de fond (art. 965 al. 3 CC).

- Décision relative à l’opération requise : le conservateur peut alors rendre trois types de décision :

o L’admission de la réquisition : le conservateur procède donc à l’opération requise. Cette décision passe immédiatement en force et ne peut pas faire l’objet d’un recours à l’autorité de surveillance. Sauf si tous les intéressés y consentent, une modification de l’opération effectuée ne peut être opérée que par la voie du redressement du registre (action en rectification, art. 975 CC). Le conservateur doit en outre aviser les intéressés de toute opération au grand livre les concernant (art. 969 al. 1 CC).

o Le rejet de la réquisition : si les conditions de l’opération requise ne sont pas remplies, le conservateur doit rejeter la réquisition (art. 966 al. 1 CC et 24 al. 1 ORF), décision sujette à recours.

o La suspension de la procédure : dans certains cas, le conservateur n’est pas obligé de rejeter directement la réquisition, il peut suspendre la procédure afin que le requérant corrige les erreurs. Cette suspension peut être autorisée par la loi ou par la pratique.

11. Cours du 30 novembre 2011   :

Les voies de recours contre les décisions du conservateur   :

Le recours à l’autorité de surveillance n’est ouvert que si la loi ne prévoit pas la voie judiciaire (art. 956 al. 2 CC). En principe donc, seule la voie judiciaire est possible lorsque le conservateur a procédé à une opération au grand livre (redressement du registre foncier). Les autres décisions (rejet d’une réquisition, décision d’irrecevabilité, refus de délivrer un extrait ou d’autoriser la consultation du registre, etc.), par contre, peuvent être attaquées par un recours à l’autorité de surveillance, puis éventuellement par un recours au TF. Les différentes conditions du recours à l’autorité de surveillance sont les suivantes :

- Conditions personnelles : la qualité pour recourir appartient à toute personne touchée par la décision attaquée et qui a un intérêt digne de protection à ce que cette décision soit annulée (art. 103-104 ORF). Le recours est dirigé contre le conservateur du registre foncier. Les

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personnes dont les droits sont en opposition avec ceux du recourant et étant directement touchés par la décision rendue sont eux aussi parties à la procédure et peuvent dès lors se déterminer sur le recours.

- Conditions matérielles : il y a deux conditions matérielles :o Nature de la décision attaquée : toutes les décisions du

conservateur du registre foncier (sauf l’acceptation d’une réquisition tendant à une opération au grand livre) sont susceptibles d’être attaquées par le recours à l’autorité de surveillance (rejet d’une réquisition, décision d’irrecevabilité d’une réquisition, refus de mentionner les accessoires, etc.).

o Motif du recours : la décision doit ensuite avoir été prise à tort, soit en violation du droit fédéral (ou du droit cantonal d’application), soit sur la base d’une constatation inexacte des faits.

- Conditions temporelles : le recours doit être adressé à l’autorité dans les 30 jours qui suivent la communication du rejet de la réquisition (art. 103 al. 1 et 104 al. 1 ORF). Il n’existe par contre aucun délai en cas de recours pour déni de justice ou pour retard injustifié (art. 104 al. 2 ORF).

La procédure est régie par le droit cantonal. Si le recours est admis, l’autorité de surveillance invite le conservateur à procéder à l’opération ou à l’acte officiel en cause. La date des effets des opérations au grand livre est celle de la date de l’inscription au journal. La décision par laquelle l’autorité rejette le recours peut être attaquée soit devant l’autorité cantonale supérieure de surveillance (si elle existe) soit devant le TF (art. 956 al. 3 CC et 103 al. 4 ORF).

En principe, les décisions de l’autorité de surveillance peuvent être attaquées par la voie du recours en matière civile au TF. Même si les règles relatives à la tenue du registre foncier relèvement matériellement du droit public, ce n’est donc pas le recours en matière de droit public qui est ouvert. Toutefois, lorsque la voie du recours en matière civile n’est pas ouverte (valeur litigieuse insuffisante), il est possible de déposer un recours constitutionnel subsidiaire (art. 113 LTF). Selon l’art. 116 LTF, le recourant ne peut alors invoquer par cette voie que la violation de ses droits constitutionnels (interdiction de l’arbitraire, art. 9 Cst.).

12. Cours du 7 décembre 2011   :

Les effets des inscriptions valables   :

On distingue les effets communs aux deux types d’inscription (inscription constitutive et inscription déclarative), les effets des inscriptions constitutives (selon le principe absolu), les effets des inscriptions déclaratives (selon le principe relatif) et les effets des inscriptions indues :

- Les effets communs aux deux types d’inscription : ces effets résultent de l’art. 937 al. 1 CC, qui établit la présomption que le droit inscrit existe (en

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relation avec l’art. 9 CC) et assure à la personne inscrite une protection particulière de son droit en justice. La présomption vaut aussi bien pour le registre foncier que pour les registres cantonaux qui lui sont totalement ou partiellement assimilés (art. 46 et 48 titre final du CC). La présomption n’est toutefois pas suffisante pour faire présumer la titularité du droit dans tous les cas (droits de gage, servitudes personnelles cessibles et charges foncières personnelles, qui peuvent être cédées sans que cela apparaisse au registre). Dans les autres cas, comme les présomptions attachées à la possession d’une chose mobilière, la présomption de l’art. 937 al. 1 CC a pour effet d’inverser le fardeau de la preuve : c’est au tiers qui conteste l’existence ou le contenu du droit inscrit de le prouver. L’art. 937 al. 1 CC légitime également la personne inscrite à faire valoir en justice n’importe quelle prétention déduite de son droit sur l’immeuble. La personne inscrite bénéficie donc de deux éléments :

o L’action tirée de l’inscription, élément offensif de la protection.o L’exception correspondante, élément défensif de cette protection.

La personne inscrite a toujours qualité pour agir, sauf si l’inscription ne fait pas présumer la titularité du droit. La qualité pour défendre appartient à celui qui prétend que le droit n’existe pas ou qu’il a un contenu ou un titulaire différent de celui qui ressort de l’inscription. L’action n’est admise que si le défendeur ne peut pas faire valoir, par voie d’exception, un droit préférable sur l’immeuble. Pratiquement, le défendeur soutiendra que l’inscription que l’inscription est inexacte et qu’il y a lieu de procéder à son profit à un redressement du registre foncier. L’action tend donc le plus souvent à la restitution de la possession de l’immeuble ou à la cessation du trouble de cette possession. Elle peut également tendre à la constatation du droit inscrit ou à la réinscription du demandeur comme titulaire du droit. On voit donc que l’art. 937 al. 1 CC est le parallèle des actions mobilières puisqu’il permet d’obtenir un effet défensif et un effet offensif.

- Les effets des inscriptions constitutives : précisés aux art. 971-972 CC, les effets rappellent le principe absolu de l’inscription (art. 971 al. 1), déterminent la date de la naissance du droit (art. 972) et précisent l’importance de celle-ci pour fixer le contenu du droit (art. 971 al. 2 CC) :

o Le principe absolu : comme on l’a déjà vu précédemment, l’inscription constitutive est nécessaire à la naissance du droit (dernière phase du processus d’acquisition du droit réel).

o La date de la naissance du droit : selon l’art. 972 al. 2 CC, la date de la naissance du droit est celle de l’inscription de la réquisition au journal. Le droit ne prend donc naissance que s’il a été porté au grand livre (art. 25 al. 4 ORF).

o Le contenu du droit inscrit : le contenu du droit inscrit peut être précisé, dans les limites de l’inscription, par les pièces justificatives

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ou de toute autre manière (art. 971 al. 2 CC). Cette règle revêt une importance particulière (double portée) pour la copropriété (PPE), pour les servitudes ainsi que pour les charges foncières. Négativement, elle indique que l’interprétation ne peut conduire à donner à un droit réel immobilier un contenu qui ne ressort pas de l’inscription au registre foncier. Positivement, elle autorise l’interprétation à l’aide des pièces justificatives et l’interprétation de tout autre moyen utile.

- Les effets des inscriptions déclaratives : l’inscription déclarative n’est pas nécessaire pour que le droit prenne naissance ou soit transféré : celui-ci est acquis de par la loi. L’inscription ne renseigne donc ni sur la date de constitution du droit, ni sur le contenu de celui-ci. Elle permet par contre d’éviter la perte du droit en le rendant opposable aux tiers (dBF et dMF).

- Les effets des inscriptions indues : il faut distinguer selon le domaine :o Selon le principe absolu : selon l’art. 974 al. 2 CC, l’inscription est

indue lorsqu’elle a été opérée sans droit ou en vertu d’un acte juridique non obligatoire. Autrement dit, l’inscription est indue chaque fois qu’il manque l’une de ses deux conditions matérielles (titre juridique valable et réquisition émanant de la personne compétente). On parle alors d’inscriptions initialement indues.

o Selon le principe relatif : une inscription peut être devenue inexacte parce qu’un droit a été acquis de par la loi en dehors du registre foncier (inscription subséquemment indue). Il est également possible que l’inscription soit initialement indue parce que ses conditions matérielles n’étaient pas réalisées (titre d’acquisition et réquisition). Si le titre d’acquisition fait défaut, l’inscription est clairement indue. En revanche, si seule la réquisition n’était pas valable, l’inscription n’est pas déclarée indue car le droit inscrit a été valablement acquis selon la loi (un vice affectant la réquisition ne peut tenir en échec l’effet de la loi).

Quant aux effets, l’inscription, même indue, est présumée exacte au sens des art. 9 et 937 al. 1 CC. La présomption d’existence du droit inscrit et la protection judiciaire spécifique dont bénéficie son titulaire valent donc également pour les inscriptions indues. Quant au fond, l’inscription indue ne produit pas cependant pas d’effets, sous réserves de la protection de l’acquéreur de bonne foi prévue à l’art. 973 al. 1 CC. Tout intéressé peut donc tenir en échec la présomption de l’art. 937 al. 1 en apportant la preuve que l’inscription est indue, sauf s’il entend par là contester le droit réel qu’un tiers a acquis en se fiant de bonne foi à l’inscription (indue) au registre. A l’égard de ce TdBF, la présomption est élevée au rang de fiction, avec la conséquence qu’il est maintenu dans son acquisition.

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La protection du tiers de bonne foi   :

On parle du tiers de bonne foi acquéreur de droits réels sur l’immeuble. En principe, le transfert de propriété d’un immeuble suppose que l’aliénateur puisse valablement disposer du droit en question. En l’absence d’un tel pouvoir de disposer (aliénateur inscrit à tort comme propriétaire d’immeubles), l’acquéreur, même de bonne foi, ne devrait pas être protégé. Nul ne peut en effet transférer plus de droit qu’il n’en a eu lui-même. Toutefois, dans le but d’assurer la sécurité des transactions immobilières, le législateur a décidé de faire abstraction de ces principes lorsqu’une personne acquiert un immeuble en se fiant de bonne foi au registre foncier. L’art. 973 al. 1 CC élève donc la présomption de 937 al. 1 au rang d’une fiction disant que le registre foncier est réputé exact et complet. Le TdBF acquiert donc les droits réels sur l’immeuble tels qu’ils ressortent du registre et les droits d’autres personnes qui entreraient en conflit avec les siens sont par là même supprimés. La solution retenue en matière immobilière est donc très proche de celle utilisée en matière mobilière (art. 933 et 935 CC). On peut résumer l’ensemble en disant que l’acquéreur de bonne foi peut se fier à ce qui figure au registre foncier (principe de la foi publique du registre foncier). Le TdBF acquiert seulement aux conditions suivantes, il faut donc :

- Un tiers : il faut que la personne qui acquiert n’ait pas été mêlée comme partie aux circonstances qui ont conduit à l’inscription (indue) à laquelle il s’est fié. Il ne doit donc pas être concerné pas l’erreur dans le registre.

- De bonne foi : le tiers doit naturellement ignorer le caractère indû de l’inscription. La bonne foi doit exister au moment de l’acquisition et est présumée. Celui-ci est toutefois déchu du droit de l’invoquer si elle est incompatible avec l’attention que les circonstances permettaient d’exiger de lui (art. 3 al. 2 CC : principe de diligence). Comme en matière mobilière, la bonne foi de l’acquéreur ne lui assure pas d’être protégé en toutes circonstances. Elle ne permet de compenser que les inexactitudes de l’inscription. Si l’immeuble acquis est soustrait au droit privé ou si le registre foncier a fait l’objet d’une mesure de blocage, la bonne foi ne suffit plus à protéger le TdBF dans son acquisition.

- Qui acquiert : mis à part le vice résultat de l’inscription indue, l’acquisition du droit réel par le TdBF doit tout de même être valable. Il faut donc que le TA et l’OdA soient valables. Le droit acquis doit pouvoir faire l’objet d’une inscription et, s’il s’agit d’une inscription absolue, l’acte juridique qui fonde l’inscription ne doit pas être vicié.

- Un droit réel : l’art. 973 al. 1 CC ne protège que le TdBF qui acquiert un droit réel. Celui qui acquiert un droit personnel en relation avec l’immeuble (bail par exemple) n’est pas protégé. La situation reste similaire même lorsque le droit personnel est annoté au registre.

- En se fiant à une inscription : l’acquéreur n’est protégé que s’il a acquis en se fondant sur une inscription du registre foncier. Cela comprend le

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registre foncier fédéral mais aussi les institutions cantonales. Quant aux documents, la foi publique est attachée au grand livre mais aussi aux documents complémentaires et au journal. En outre, les annotations en tant que telles (et pas les droits personnels qu’elles contiennent) font également partie des documents du registre foncier sur lesquels un TdBF peut se fier. Par contre, les mentions, n’ayant qu’un caractère informatif, ne sont pas concernées par la règle de l’art. 973 al. 1 CC (à l’exception des mentions des droits réels constitués avant 1912). Enfin, précisons que la foi publique s’étend aussi à l’absence d’une inscription, dans la mesure où cette inscription aurait été nécessaire pour maintenir le droit en cause (servitudes ou droits de gage par exemples, mais pas hypothèque légale).

- Hors des prévisions de l’art. 973 al. 2 CC : la protection du TbBF ne s’étend pas aux limites des immeubles compris dans les territoires en mouvement permanents désignés comme tels par les cantons. La restriction ne concerne que les limites de l’immeuble (les autres aspects des inscriptions, comme l’existence même du droit réel, ne sont donc pas concernés par la décision d’inclure un immeuble dans le périmètre d’un territoire en mouvement permanent. Précisons que les immeubles concernés sont signalés par une mention (art. 660a al. 3 CC et 8 ORF).

Si toutes les conditions sont remplies, l’acquéreur de bonne foi est maintenu dans son acquisition (art. 973 al. 1 CC). Ainsi, malgré le caractère indû de l’inscription ou de l’annotation, le tiers conserve son droit. L’ayant droit antérieur perd donc le droit correspondant. Le TdBF acquiert le droit réel (respectivement l’effet réel), tel qu’il ressort des inscriptions (respectivement des annotations) figurant au registre. Cela a deux conséquences :

- Positivement, cela signifie qu’à l’égard de l’acquéreur de bonne foi, le registre foncier est censé être exact. Ainsi, l’acquéreur de bonne foi d’un fonds devient propriétaire de celui-ci même si l’aliénateur était inscrit à tort comme propriétaire.

- Négativement, cela signifie qu’à l’égard de la même personne, le registre foncier est censé être complet. Cela signifie que si un droit de gage a été radié à tort, le tiers acquiert l’immeuble sans cette charge.

Quant à l’ayant droit, la protection du TdBF a comme corollaire que les droits des véritables titulaires s’éteignent dans la mesure où ils sont incompatibles avec ceux de l’acquéreur de bonne foi. Ainsi, le véritable propriétaire (mais non inscrit) perd son droit si la personne inscrite indûment comme propriétaire transfère l’immeuble à un acquéreur de bonne foi.

Le redressement du registre foncier   :

Le redressement du registre foncier est l’opération de modification d’une écriture effectuée dans le but de mettre le registre en harmonie avec la réalité

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juridique ou factuelle. Le redressement des inscriptions et des annotations (et de leur éventuelle radiation) est régi par les art. 975-977 et 963 al. 2 CC. Le principal problème est de délimiter les cas d’application de 975, 976 et 977 CC :

- L’action en rectification de l’art. 975 CC : l’action est possible si une inscription a été faite, modifiée ou radiée sans cause légitime. Cette situation se présente en général si l’inscription est illégitime dès le début. L’action de 975 prévoit cependant des exceptions et est parfois ouverte pour modifier des inscriptions devenues illégitimes après avoir été portées au registre (cas d’extinction subséquente d’un droit à raison de la perte de sa valeur juridique). En principe donc, l’action en rectification concerne les cas d’absence initiale d’une cause légitime. L’action n’est alors possible que si deux conditions sont réunies :

o Une opération attaquable : les inscriptions (toutes les opérations relatives à un droit réel) ou leur radiation et les annotations (sauf celles ordonnées par une autorité, art. 960 al. 1 ch. 1-2 et 961 CC) peuvent être attaquées par l’action de 975 CC. Les mentions ne peuvent donc pas faire l’objet d’une action en rectification.

o Une opération effectuée indûment : ce sont les cas où les conditions matérielles de l’opération font défaut (titre d’acquisition ou réquisition d’inscription). Dans le cadre du principe relatif, un vice affectant la réquisition n’entraîne pas directement l’invalidité de l’inscription.

- La rectification selon l’art. 976 CC : l’art. 976 al. 1 permet au conservateur de procéder, sur réquisition du propriétaire grevé ou d’office, à la radiation des inscriptions qui ont perdu toute valeur juridique. Pour qu’elle puisse s’appliquer, 4 conditions doivent être remplies :

o L’inscription doit avoir été initialement valable.o Le droit inscrit doit être éteint pour une cause intrinsèque (cause

qui tient à la nature même ou au contenu du droit).o L’inscription doit avoir perdu toute valeur juridique. Même si le

droit est éteint, l’inscription peut conserver une valeur formelle, en ce sens que le droit pourrait par exemple renaître à l’égard d’un acquéreur de bonne foi (art. 973 al. 1 CC). Pour appliquer 976, il faut que même une telle acquisition ne puisse pas être envisagée, soit parce que le droit n’a plus de sens, soit parce que la bonne foi du tiers n’est pas possible parce qu’il ressort de l’inscription elle-même que le droit est éteint.

o Le conservateur ne doit avoir aucun doute quant à l’extinction du droit inscrit. Ce point est déterminant, notamment lorsque l’application de 976 est envisagée dans une hypothèse où la radiation du droit doit en principe être obtenue par une action en rectification du registre foncier.

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- La rectification selon l’art. 977 CC : en relation directe avec les art. 98-99 ORF, l’art. 977 CC ouvre deux voies de redressement du registre :

o La rectification opérée avec le consentement des intéressés ou sur ordre du juge (majorité des cas, principe général).

o La rectification décidée par le conservateur, qui agit de son chef et sans autre formalité nécessaire (exception).

Pour l’une comme pour l’autre, il existe trois conditions :o Les pièces justificatives doivent être valables et complètes, de

sorte qu’une inscription correcte aurait été possible.o L’opération doit avoir été illégitime dès le début. L’hypothèse de

l’art. 977 est donc la même que celle de l’action de l’art. 975 CC.o L’opération doit avoir été effectuée par mégarde, et ce

involontairement (art. 98 ORF). L’illégitimité de l’opération provient d’une transcription erronée des pièces justificatives, due à une inadvertance du conservateur (nom mal orthographié, confusion dans le n° du fonds).

Pour savoir quelle voie choisir entre les deux procédures de l’art. 977, il convient de distinguer les éléments suivants :

o La rectification touchant à la consistance du droit (art. 98 ORF) : le droit est alors touché dans son existence, son rang, son objet, ses qualités, ses modalités, la personne de son titulaire et celle d’autres ayants-droit. L’art. 98 ORF prévoit que le conservateur puisse rectifier directement l’inexactitude s’il la constate immédiatement. Par contre, lorsque l’erreur n’est constatée qu’après que les intéressés ou des tiers ont eu connaissance de l’inscription inexacte, le conservateur doit obtenir le consentement écrit des intéressés ou un ordre du juge (al. 3-4). Cette voie est cependant exclue si dans l’intervalle un TdBF a acquis l’immeuble (seule l’action en rectification de l’art. 975 sera alors ouverte).

o La rectification ne touchant pas à la consistance du droit (art. 99 ORF) : le conservateur peut alors en tout temps procéder de son propre chef à la rectification de l’inexactitude.

La procédure de redressement diffère en fonction de la voie de rectification choisie. Il faut donc analyser séparément la procédure pour chacune des trois voies de rectification du registre foncier :

- L’action de rectification de l’art. 975 :o Conditions personnelles : la qualité pour agir appartient à celui

dont les droits réels ont été lésés par l’inscription ou l’annotation au registre foncier. Il faut donc être titulaire d’un droit réel et être lésé directement ou indirectement par l’opération indue (inscription, annotation ou radiation respective). Le droit réel en cause doit exister au moment de l’introduction de l’action.

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Précisons que l’annotation suffit pour conférer la qualité pour agir au titulaire du droit annoté. La qualité pour défendre appartient à tous ceux qui tirent avantage de l’opération indue. L’action doit en outre être dirigée contre tous ceux qui ont qualité pour défendre.

o Conditions matérielles : le demandeur doit établir qu’il s’agit d’une opération attaquable et que les conditions de fond de cette opération n’étaient pas remplies au moment où elle a été effectuée. Les principaux moyens que peut faire valoir le défendeur pour contrer le demandeur sont les suivants :

Le défendeur a acquis un droit réel ou a été libéré du droit réel d’un tiers en se fiant de bonne foi au registre (art. 973).

Le défendeur a acquis le droit par prescription ordinaire (art. 661 et 731 al. 3 CC).

L’opération indue a été validée. La demande constitue un abus de droit.

o Conditions temporelles : étant une action réelle, l’action en rectification du registre foncier ne se prescrit pas.

o Effet du jugement et procédure : le demandeur peut obtenir l’inscription provisoire de son droit chaque fois qu’il allègue un droit réel (art. 961 al. 1 ch. 4 CC). L’AeRec du registre foncier est une action en constatation de droit : le jugement constate le véritable état des droit sur l’immeuble. Le demandeur qui a obtenu gain de cause peut requérir lui-même la rectification du registre.

- La rectification selon 976 CC : la procédure de rectification peut d’abord être déclenchée par une réquisition émanant du propriétaire de l’immeuble grevé du droit dont l’inscription a perdu toute valeur juridique (art. 976 al. 1 CC). Le conservateur doit alors rendre une décision motivée, indiquant les faits ou circonstances qui l’ont conduit à maintenir ou à radier l’inscription. Si la réquisition est rejetée, le recours à l’autorité de surveillance. fondé sur l’art. 103 ORF est ouvert. Le conservateur peut ensuite agir d’office (art. 976 al. 1 CC), ce qu’il doit consigner au journal (art. 14 al. 1 ORF). Dans les deux cas, la décision prise doit faire l’objet d’un procès verbal qui sera classé avec les pièces justificatives. L’inscription rectifiée doit alors renvoyer au journal (art. 100 al. 3 ORF). Si le conservateur procède à la radiation, il doit en aviser les intéressés (art. 976 al. 2 et 969). Les tiers dont les droits sont lésés par la radiation peuvent contester le bien-fondé de celle-ci en ouvrant une action en réinscription (art. 976 al. 3 CC). Ils peuvent le faire en tout temps mais elle ne sera admise que si le défendeur ne peut établir un droit qui l’emporte sur celui du demandeur. Le tiers qui entend agir en réinscription a donc tout intérêt à le faire rapidement.

- La rectification selon 977 CC :

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o Le redressement sans formalité : le conservateur qui constate une inexactitude de l’inscription a alors le devoir de la corriger.

o Le redressement avec consentement des intéressés ou sur ordre du juge : le conservateur a le devoir de mettre en œuvre d’office la procédure de redressement s’il constate une inexactitude au sens de l’art. 98 al. 3 ORF) : tout intéressé peut exiger que le conservateur le fasse. Le conservateur entame la procédure en avisant les intéressés de l’inexactitude et en leur demandant de consentir par écrit à la rectification (art. 98 al. 3 ORF). S’il manque le consentement d’un intéressé, le conservateur doit provoquer une décision judiciaire (art. 977 al. 1 CC et 98 al. 4 ORF) portant sur la possibilité d’effectuer la rectification.

13. Cours du 14 décembre 2011   :

La notion de propriété   :

Le législateur définit la propriété aux art. 641-641a CC. Il s’agit d’un droit réel (absolu, à contenu général et latent) donnant l’usage, la jouissance et la disposition (maîtrise totale, matérielle et juridique) de la chose ou de l’animal sur lequel il porte. La maîtrise conférée par le droit de propriété étant illimitée, la liberté du propriétaire est présumée : c’est à celui qui prétend que le droit du propriétaire est restreint de le prouver. L’ordre juridique apporte néanmoins de nombreuses restrictions à cette maîtrise :

- Les restrictions volontaires : le propriétaire d’un objet peut lui-même restreindre sa maîtrise, soit en conférant directement à un tiers un droit réel limité, soit en constituant indirectement en faveur d’un tiers un droit personnel en relation avec l’objet (bail à loyer ou prêt).

- Les restrictions légales : ces restrictions résultent de l’ordre juridique dans son ensemble (et pas seulement de la loi, comme l’indique l’art. 641 al. 1 CC). On distingue deux types de restrictions légales :

o Les restrictions générales : nombreuses et indirectes, on peut citer les limitations résultant de l'interdiction de l’abus de droit (art. 2 al. 2 CC), de la RC (obligation de réparation du préjudice causé), du droit des successions (limitation du droit de disposer) ou encore des art. 19-20 CO (restriction à la liberté contractuelle).

o Les restrictions spéciales : prévues par le droit privé ou public, elles concernent avant tout la propriété foncière, et sont alors :

Directes, découlant directement de la loi sans qu’aucune inscription au registre foncier ne soit nécessaire (droit de ramasser les champignons par exemple).

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Indirectes, la loi donnant au bénéficiaire le droit d’obtenir une restriction dont la validité dépend d’une inscription au registre foncier (hypothèque légale indirecte).

La protection de la propriété   :

Selon l’art. 641 al. 2 CC, le propriétaire d’un objet peut le revendiquer contre quiconque le détient sans droit et repousser toute usurpation. Cette disposition donne deux moyens de défendre le droit de propriété :

- L’action en revendication : il s’agit de l’action du propriétaire complètement dépossédé qui souhaite retrouver la possession de l’objet.

- L’action négatoire : il s’agit de l’action du propriétaire atteint dans son droit mais non-dépossédé. L’action négatoire vise à faire cesser le trouble.

Outre ces deux actions, le propriétaire dispose d’autres moyens de droit privé pour défendre son droit :

- Si le propriétaire est possesseur, il dispose des moyens de protection de la possession (art. 926-929 et 937 al. 2 CC).

- Le propriétaire qui a été possesseur d’un objet mobilier peut intenter les actions mobilières (art. 934 et 936 CC).

- Le propriétaire inscrit au registre foncier bénéficie de l’action tirée de l’inscription, prévue par l’art. 937 al. 1 CC.

- Si les droits du propriétaire sont lésés par une inscription opérée sans cause, l’action en rectification du RF est disponible (art. 975 CC).

- Si l’atteinte au droit de propriété a son origine dans l’exercice de la propriété immobilière d’un voisin, l’action n’est possible que dans les conditions de l’art. 679 CC. Dans ce genre de cas, l’atteinte causée à la propriété résulte simplement du comportement d’un voisin, qui exerce lui-même son droit sur son terrain. Il y a conflit entre deux droits de propriété, chacun conférant, dans une certaine mesure, le droit de se comporter comme on le souhaite sur son terrain. La loi doit donc arbitrer le conflit et déterminer si le comportement du voisin gênant est excessif ou non. La particularité de ce système est que, s’il y a excès, la règle de l’art. 41 CO s’applique même sans faute. Le but de cette action est d’atteindre une coexistence pacifique entre les propriétaires-voisins.

- D’autres moyens divers :o Le propriétaire peut également invoquer le droit général à la

légitime défense, l’état de nécessité ou l’usage autorisé de la force.o S’il y a un intérêt juridique, le propriétaire peut ouvrir une action

en constatation de la propriété (caractère subsidiaire). o Lorsque le propriétaire fonde son titre sur la qualité d’héritier, il

peut agir par l’action en pétition d’hérédité (art. 598-600 CC).

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o Lorsque le propriétaire agit contre un débiteur sujet à une exécution forcée, il utilisera les actions de droit de poursuite (effets de droit matériel, art. 107-109 CC).

o S’il existe une relation contractuelle entre le propriétaire et l’auteur du trouble, les actions découlant du rapport juridique peuvent être invoquées en concours avec l’art. 641 al. 2 CC.

Le propriétaire est donc protégé de par son droit mais également par les deux instruments de publicité que sont la possession et le registre foncier. Pour finir, on note les précisions suivantes :

- Lorsque le propriétaire n’a jamais été possesseur : seule la protection de l’art. 641 CC est alors ouverte. On peut citer l’exemple d’une vente aux enchères, pour lesquelles le propriétaire n’est pas forcément tout de suite mis en possession de la chose. Les moyens de protection de la possession ne sont alors pas accessibles.

- Lorsque les conditions des art. 934 et 936 CC ne sont pas remplies, par exemple en cas de dessaisissement volontaire en faveur d’un TdBF : là encore, seule l’action de 641 CC est possible. On peut citer l’exemple d’un propriétaire louant volontairement sa voiture à un tiers, qui décide finalement de ne pas la rendre à son propriétaire.

- Lorsque le possesseur n’est pas propriétaire : dans ce cas, seules les actions mobilières (art. 934 et 936 CC) sont ouvertes au possesseur.

L’action en revendication   :

Il s’agit de l’action en restitution d’un objet, fondée sur le droit de propriété du demandeur. Ses conditions sont les suivantes :

- Conditions personnelles :o Qualité pour agir : elle appartient au propriétaire qui n’a pas la

possession de l’objet de son droit (mobilier ou immobilier) ou qui n’en a que la possession originaire et médiate (bailleur-propriétaire agissant contre le locataire par exemple).

o Qualité pour défendre : elle appartient à celui qui possède l’objet au moment de l’ouverture de l’action (peu importe le type de possession : simple, médiat ou immédiat). Précisons que l’auxiliaire de la possession n’a pas la qualité pour défendre.

- Conditions matérielles : le demandeur doit prouver qu’il a valablement acquis la propriété de l’objet. S’il ne peut faire état d’un mode d’acquisition originaire de la propriétaire, il doit également établir le droit de propriété de celui dont il tient son droit à titre dérivé (probatio diabolica). La restitution ne sera ordonnée que si le défendeur ne fait pas valoir l’un des deux moyens suivants :

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o Le défendeur ou un tiers est devenu propriétaire de l’objet (par exemple par prescription acquisitive, art. 728 et 661 ss CC) ou par acquisition de bonne foi (art. 933, 935 et 973 al. 1 CC).

o Le défendeur ou celui dont il tient sa possession à titre dérivé a le droit de posséder l’objet, soit en vertu d’un droit réel limité, soit en vertu d’un droit personnel (s’agissant d’un droit à caractère relatif, le droit personnel n’est opposable au propriétaire que s’il a été concédé par ce-dernier ou par une personne autorisée à le faire).

- Conditions temporelles : l’action en revendication est imprescriptible.

L’action tend à la restitution de l’objet : elle a donc un caractère condamnatoire et non simplement déclaratoire. Le défendeur est en principe condamné à remettre la possession (simple ou immédiate) de l’objet au demandeur (et non à tolérer que celui-ci la reprenne). Seul le propriétaire peut ouvrir l’action en revendication. Il ne peut céder sa prétention sans céder en même temps sa propriété. L’incessibilité de l’action est justifiée car la solution contraire permettrait d’éluder les règles du transfert de la propriété immobilière. Enfin, précisons que l’importance pratique de la revendication n’est pas très grande car le demandeur, dont le droit n’est pas souvent aisé à prouver (probatio diabolica) cherchera à utiliser de préférence les autres voies de droit dont il dispose. En matière immobilière, le propriétaire inscrit utilisera l’action tirée de l’inscription et le propriétaire non-inscrit l’action en rectification du RF. En matière mobilière, les actions mobilières permettent souvent au propriétaire d’obtenir la restitution de l’objet. La revendication n’est véritablement utile que lorsque le propriétaire n’a jamais été possesseur ou lorsqu’il s’est dessaisi volontairement de la chose.

L’action négatoire   :

L’action négatoire est l’action par laquelle le propriétaire peut faire cesser tout trouble de sa maîtrise sur une chose ou un animal. Ses conditions sont les suivantes :

- Conditions personnelles :o Qualité pour agir : elle appartient au propriétaire troublé dans sa

maîtrise de l’objet (mobilier ou immobilier). o Qualité pour défendre : l’action doit être dirigée contre l’auteur,

direct ou indirect, du trouble. Elle vise tant la personne qui cause le trouble que celle qui le tolère, la favorise ou l’encourage, et ce indépendamment de toute faute.

- Conditions matérielles : l’action n’est admise que s’il y a :o Un trouble de la propriété : il y a trouble de la propriété lorsque le

propriétaire n’est pas totalement dépossédé mais subit une restriction dans son pouvoir juridique ou dans son pouvoir de fait.

o Qui ne résulte pas de l’exercice du droit de propriété sur un fonds voisin : selon l’art. 679 CC, celui qui est atteint dans son droit de

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propriété foncière parce qu’un autre propriétaire foncier excède son droit peut agir en cessation du trouble. Cette règle, renvoyant indirectement aux art. 684 ss CC sur les rapports de voisinage, est une lex specialis par rapport à l’art. 641 al. 2 CC.

o Un trouble illicite : l’illicéité peut être levée si l’auteur du trouble peut établir un motif justificatif fondé sur la loi (droit de passage, droit d’accès ou droit à l’usage d’une source) ou sur le consentement du lésé (il s’agit souvent d’un acte juridique conférant à l’auteur du trouble un droit réel limité sur l’objet ou un droit personnel en relation avec celui-ci).

o Un trouble actuel ou imminent : l’action n’est admise que si le trouble dure encore ou s’il est sur le point de se (re)produire. Si le trouble a pris fin et ne menace pas de se répéter, seule est ouverte une action en dommages-intérêts (art. 41 ss ou 97 CO).

- Conditions temporelles : comme l’action en revendication, elle est imprescriptible. Il faut toutefois réserver un abus de droit si le propriétaire a toléré la situation pendant longtemps. De même, il faut réserver les cas de déchéance prévus aux art. 674 al. 3 et 684 al. 2 (trouble résultant de la présence d’une construction).

Comme l’action en revendication, l’action négatoire a un caractère condamnatoire puisqu’elle tend à supprimer le trouble s’il dure encore ou à interdire le trouble s’il semble imminent. L’action négatoire est fondée sur le droit de propriété du demandeur. Ce dernier doit donc prouver ce droit. Pour éviter de devoir fournir la preuve de sa propriété, le propriétaire peut ouvrir, s’il est possesseur, l’action à raison du trouble de la possession (art. 928 CC).

L’étendue de la propriété   :

Comme les autres droits réels, le droit de propriété porte avant tout sur des choses et, conformément au principe de spécialité, un seul droit de propriété ne peut avoir pour objet qu’une seule chose. L’application de ce principe pose problème lorsqu’on n’a ni affaire à des choses simples (unité visible) ni à des choses distinctes (sans lien juridique ou factuel). Il existe en effet deux cas intermédiaires. Il s’agit alors de délimiter la notion de chose pour bien cerner l’étendue du droit de propriété. Les art. 642 à 645 CC apportent une réponse par rapport à l’étendue du droit de propriété concernant :

- Les parties intégrantes, éléments composant une chose complexe. - Les accessoires, choses mobilières affectées à une chose principale.

En revanche, les art. 642-645 CC ne traitent ni des universalités de fait (créées par les habitudes de la vie sociale : bibliothèque de livres ou troupeaux de moutons), ni des universalités de droit (basées sur le droit : patrimoine). Dans les deux cas, malgré une apparence d’unité, les choses composant une

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universalité ont un sort juridique distinct. L’universalité en tant que telle n’est donc pas un objet de droit de propriété.

Les parties intégrantes   :

L’art. 642 al. 2 définit la partie intégrante comme ce qui, d’après l’usage local, constitue un élément essentiel de la chose et n’en peut être séparé sans la détruire, la détériorer ou l’altérer. On peut citer comme exemples de parties intégrantes les fruits naturels non-séparés (art. 643 al. 2) ou les choses jointes ou mélangées au sens de l’art. 727 al. 2 CC. Trois conditions doivent être remplies :

- Il doit exister un lien matériel entre la partie intégrante et la chose complexe à laquelle elle est intégrée. La partie intégrante doit donc être physiquement reliée (vis, clous, ciment ou simplement pesanteur) à la chose complexe. Cela implique que la partie intégrante comme la chose complexe soient des entités matérielles. Le lien doit être tel que la séparation impliquerait forcément la destruction, la détérioration ou l’altération de la chose complexe ou de ses parties intégrantes.

- Il doit exister un lien intellectuel faisant apparaître la partie intégrante comme un élément essentiel de la chose complexe. La partie intégrante doit être, d’un point de vue économique, nécessaire à la chose complexe, au point que celle-ci ne répondrait plus à sa destination si la partie intégrante faisait défaut. L’absence de la partie intégrante doit donc faire apparaître la chose complexe comme incomplète. En Suisse par exemple, une maison ne peut se concevoir sans toit, sans porte ou sans fenêtre. Par contre, un réfrigérateur (même encastré dans le mur) n’est pas un élément essentiel d’un bâtiment.

- L’usage local doit reconnaître que les parties intégrantes sont des éléments constitutifs qui, pris isolément, ne constituent pas des choses. Ainsi, en plus du lien matériel et du lien intellectuel, la connexité entre les parties intégrantes et la chose complexe doit être accentuée par l’usage local. Selon le TF, l’usage local joue toutefois un rôle subsidiaire, ne permettant que de trancher les cas limites.

Selon l’art. 642 al. 1, le propriétaire d’une chose est propriétaire de tout ce qui en fait partie intégrante. La partie intégrante partage donc le sort juridique de la chose complexe à laquelle elle est reliée. On parle du principe de l’accession (droit impératif), qui a pour but de mettre le régime juridique en accord avec les unités économiques (lien intellectuel) et avec la réalité (lien matériel).

En ce qui concerne les parties intégrantes non-intégrées, elles demeurent des choses distinctes tant qu’elles restent séparées. Les pneus d’hiver entreposés en été restent des choses simples tant qu’ils ne sont pas rattachés à la chose complexe (voiture). Cela veut donc dire que les parties intégrantes disparaissent juridiquement lorsqu’elles sont intégrées à la chose complexe : il n’y a alors plus

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qu’un droit de propriété sur le tout. Naturellement, le fait de rattacher les parties intégrantes à la chose complexe cause la perte de la propriété sur les parties intégrantes. Ainsi, l’entrepreneur qui construit une maison pour un client perd la propriété des briques de construction au fil de l’évolution des travaux. Cela signifie que le principe de l’accession est un mode d’acquisition originaire de la propriété. Dans certains cas, la loi confère cependant à l’ancien propriétaire un droit d’enlèvement (droit de reprise, ius tollendi) qui a le caractère d’un droit d’appropriation. Lorsqu’un tel droit n’est pas accordé, l’ancien propriétaire n’a droit qu’à des dommages-intérêts, pour autant que les conditions des art. 41 ss et 97 CO soient remplies, ou éventuellement à la restitution de l’enrichissement illégitime (art. 62 ss CO). Précisons enfin que même si l’art. 642 al. 2 n’énonce le principe de l’accession que pour le droit de propriété, ce principe vaut aussi pour les autres droits réels. En revanche, la possession peut ne porter que sur une partie intégrante (possession partielle), pour autant que la maîtrise effective de la seule partie intégrante soit possible (locataire ne possédant que quelques pièces d’un immeuble).

Les fruits naturels   :

Les fruits naturels sont les produits périodiques et tout ce que l’usage autorise à tirer de la chose suivant sa destination (art. 642 al. 2 CC). Il s’agit donc de tout ce que la nature, avec ou sans intervention humaine, fait produire à une chose à des intervalles plus ou moins réguliers (pommes, légumes, herbes, céréales, lait, œufs). Outre les produits périodiques, tous les produits qui peuvent être tirés de la chose sans porter atteinte à sa substance sont des fruits naturels (arbres, petits animaux, sable, gravier, roches, sel, perle de l’huître).

Selon l’art. 643 al. 3, les fruits naturels non séparés font partie intégrante de la chose. Cette qualité leur est reconnue de par la loi, indépendamment de la réalisation des conditions de l’art. 642 al. 2. Le principe de l’accession s’applique donc aux fruits naturels, avec ses conséquences et ses limites, en matière de propriété (art. 643 al. 1), de droit réels limités, de possession ou de droits personnels. Après la séparation, les fruits naturels deviennent des choses mobilières indépendantes, qui font l’objet de droits réels distincts. Si le propriétaire de la chose a la jouissance de celle-ci, il acquiert ipso iure la propriété des fruits séparés (acquisition originaire de la propriété). Si un tiers a la jouissance de la chose, il acquiert la propriété des fruits, en principe dès la séparation (acquisition originaire de la propriété, cas de l’usufruitier, art. 756 al. 1 CC, du fermier, art. 275 CO ou du possesseur de BF, art. 938 CC). Lors de la séparation des fruits, il y a création d’une nouvelle chose (nouvelle réalité juridique). Il s’agit donc du schéma inverse de la situation du garagiste qui monte des pneus d’été ou d’hiver sur une voiture.

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Les accessoires   :

L’art. 644 al. 2 CC définit la notion d’accessoire : ce sont des objets mobiliers qui, d’après l’usage local ou la volonté clairement manifestée du propriétaire de la chose principale, sont affectés d’une manière durable à l’exploitation, à la jouissance ou à la garde de celle-ci et qu’il y a joints, adaptés ou rattachés pour le service de la chose :

- Une chose mobilière : seule peut être accessoire une chose mobilière indépendante de la chose principale. Cela exclut notamment les parties intégrantes, les immeubles et les droits.

- Affectée : l’accessoire doit être mis d’une manière durable au service de la chose principale, eu égard à la destination économique de celle-ci. Pour apprécier ce rapport d’affectation, il faut considérer la chose principale comme telle, mais aussi, surtout en matière immobilière, l’activité artisanale ou industrielle qui s’exerce sur la chose principale. Il faut en effet que l’essentiel de cette activité se déroule sur l’immeuble (chose principale) en cause. De plus, le rapport entre l’accessoire et la destination économique doit être objectif, en ce sens que le premier sert à l’exploitation (machines, ustensiles), à la jouissance (chauffage d’appoint, rideau) ou à la garde (bouteille, écrin) de la seconde (art. 644 al. 2). Enfin, le rapport doit être durable (art. 644 al. 2 et 645). Il n’est pas nécessaire que l’affectation soit définitive, elle peut même être limitée dans le temps (mobilier d’un hôtel par exemple).

- A une chose principale : il ne peut y avoir d’accessoire s’il n’y a pas de chose principale dont il puisse dépendre. La chose principale peut être une chose mobilière (en principe) mais aussi un immeuble (art. 655 al. 2).

- Selon un rapport local : conformément au principe de publicité, l’art. 644 al. 2 exige qu’il y ait, entre la chose principale et l’accessoire, un rapport local reconnaissable par les tiers. Les accessoires doivent en effet être (visiblement) joints, adaptés ou rattachés à la chose principale. Précisons toutefois que le lien ne doit pas nécessairement être aussi solide que celui qui lie les parties intégrantes entre elles. Il n’est pas nécessaire que l’accessoire se trouve dans ou sur la chose principale, ni que le rapport local soit permanent (des wagons-citernes servant à l’exploitation d’une industrie chimique peuvent être accessoires de l’immeuble en cause).

- D’après l’usage local ou la volonté du propriétaire : selon l’art. 5 al. 2, le droit cantonal en vigueur avant 1912 est tenu pour l’expression de l’usage local, à moins que l’existence d’un usage contraire ne soit prouvée. Le renvoi à l’usage local est justifié parce que, le statut de l’accessoire étant une exception à la règle selon laquelle des choses distinctes ont un sort juridique distinct, il importe que ce statut corresponde aux habitudes des intéressés. L’usage local permet en fait de trancher les cas limites. La volonté du propriétaire de la chose principale peut conférer la qualité

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d’accessoire à la chose mobilière même s’il n’y a pas d’usage local ou s’il existe un usage local contraire. En principe, lorsqu’il n’existe pas d’usage local, il appartient à la partie qui se prévaut de la qualité d’accessoire d’établir la volonté du propriétaire. Le propriétaire a en outre la possibilité de mentionner les accessoires d’immeuble au RF (art. 946 al. 2 CC et 79 al. 2 ORF), ce qui crée une présomption en faveur de la qualité d’accessoire (art. 805 al. 2).

Concernant le régime juridique des accessoires, l’art. 644 al. 1 prévoit que tout acte de disposition relatif à la chose principale s’étend aux accessoires, si le contraire n’a pas été réservé. En effet, de par son union avec la chose principale, l’accessoire forme avec elle une unité économique. Il existe donc une présomption, établie par le code, que l’accessoire partage le sort juridique de la chose principale. Au contraire de la partie intégrante, l’accessoire peut ainsi avoir un sort juridique distinct de la chose principale. Il ne faut pas interpréter la règle de l’art. 644 al. 1 dans un sens strict : il s’agit d’un principe établit par le code en raison de l’unité économique formée par les deux choses, mais la volonté des parties peut tenir ce principe en échec. Comme précédemment, même si elle est énoncée en relation avec la propriété, la présomption de l’art. 644 al. 1 a une portée générale, valable pour tous les droits réels et même en matière de possession ou de droits personnels.

Enfin, conformément à l’art. 644 al. 1 CC, l’acquéreur de la chose principale devient propriétaire de l’accessoire, sous réserve d’une convention contraire. La propriété de l’accessoire passe à l’acquéreur en même temps que celle de la chose principale, indépendamment du transfert de possession de l’accessoire.

14. Cours du 21 décembre 2011   :

La propriété collective   :

Dans la plupart des cas, le droit de propriété est exercé par une seule personne (propriété individuelle). Parfois cependant, un seul et même bien peut faire l’objet d’un droit de propriété exercé par plusieurs personnes (propriété collective). Cette propriété collective peut prendre deux formes (principe du numerus clausus des droits réels) : copropriété (forme présumée en cas de doute) et propriété commune. La distinction tient à la manière dont les deux formes sont constituées et ensuite exercées. La copropriété, d’origine romaine, ne suppose pas de liens antérieurs entre les copropriétaires et est exercée de manière plutôt individualiste. Au contraire, la propriété commune, d’origine germanique, n’est que la conséquence d’une communauté qui lie les propriétaires communes et est exercée de façon collective, sans qu’existent des parts dont chaque communiste puisse disposer.

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La copropriété et la propriété par étages   :

La copropriété est la forme de propriété collective qui n’exige pas l’existence d’une communauté antérieure entre les propriétaires collectifs et dans laquelle chaque titulaire à une part idéale de la chose ou d l’animal (art. 646 al. 1). Il s’agit d’un droit de propriété unique, dont plusieurs personnes sont titulaires. La part du copropriétaire est une fraction de la chose (quote-part), ne correspondant pas à une partie déterminée du bien en copropriété (au contraire de la PPE). En fait, chaque copropriétaire a un droit qui porte sur la totalité de la chose mais qui est limité par l’existence du droit des autres copropriétaires : la part n’est donc qu’idéale (entité non matérielle). Cette part constitue pourtant elle-même un objet de propriété individuelle dont le titulaire peut disposer (art. 646 al. 3). Précisons que la part de copropriété d’un immeuble constitue elle-même un immeuble (art. 655 al. 2 ch. 4). Entre les copropriétaires se crée une sorte de société légale (communauté, art. 649b). Le droit de copropriété se caractérise par deux éléments : la titularité d’une part idéale et l’ensemble des droits et devoirs de membre de la communauté des copropriétaires. La copropriété peut en outre revêtir deux formes : la copropriété ordinaire (art. 646-651a) et, en matière immobilière seulement, la (co)propriété par étages (PPE).

La PPE est une copropriété sur un immeuble, organisée de manière que chaque copropriété a le droit exclusif d’utiliser et d’aménager intérieurement des parties déterminées d’un bâtiment (art. 712a al. 1). Il s’agit donc d’un droit de copropriété sui generis qui comporte deux éléments liés : un droit de copropriété qui porte sur l’immeuble tout entier et un droit exclusif de jouissance et d’administration sur des parties déterminées de l’immeuble. La PPE se distingue de la copropriété par le fait qu’elle est, de par la loi, dotée d’une organisation plus forte (art. 712g à 712t). La communauté formée par les propriétaires d’étages bénéficie d’une certaine autonomie juridique (art. 712l). La PPE peut avoir pour objet un bien-fonds ou un droit de superficie immatriculé. Elle se distingue de la copropriété sur un immeuble en ce sens que la part du propriétaire d’étage est assortie du droit exclusif d’utiliser certaines parties d’un bâtiment (dans la copropriété ordinaire, le droit d’utilisation de chaque copropriétaire porte en principe sur toute la chose). La délimitation entre le domaine exclusif et le domaine de chaque propriétaire d’étage et le domaine commun joue donc un rôle essentiel. L’art. 712b apporte les précisions suivantes :

- Les parties du bâtiment en jouissance exclusive doivent être nettement délimitées dans l’espace. Le droit exclusif doit porter sur :

o Un étage ou une partie d’étage constitué en appartement, en locaux commerciaux ou professionnels (pas simplement une place de parc marquée sur le sol d’un garage).

o Un étage ou une partie d’étage qui forme un tout disposant d’un accès propre (pas simplement une chambre ou une partie

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d’appartement à laquelle on accède en traversant des locaux faisant partie de la jouissance exclusive d’autrui).

- Des règles impératives tracent la ligne de démarcation entre le domaine exclusif de chaque PdE et le domaine commun. Ainsi, le PdE ne peut acquérir de droit exclusif ni sur le bien-fonds (ou le droit de superficie en vertu duquel le bâtiment a été construit), ni sur les parties importantes pour l’existence, la disposition ou la solidité du bâtiment (toit, murs porteurs), ni sur les ouvrages ou installations qui servent aussi aux autres PdE pour l’usage de leurs locaux (chauffage, ascenseur). Toutes ces parties de l’immeuble sont donc nécessairement communes et objets d’une gestion collective (art. 712b al. 2).

- Pour le reste, les PdE sont libres de définir, dans l’acte constitutif ou dans une convention postérieure soumise à la même forme, d’autres parties communes. Toutefois, à défaut d’une telle convention, toutes les parties du bâtiment qui ne répondent pas aux critères de l’art. 712b al. 2 sont présumées être l’objet du droit exclusif d’un PdE (art. 712b al. 3 in fine).

Constitution de la copropriété et de la PPE   :

Il faut distinguer selon que la constitution résulte :

- De la loi : ce mode de constitution ne concerne que la copropriété ordinaire (pas la PPE légales), principalement dans les cas suivants (cas de copropriété naissant ex lege de par le droit fédéral) :

o Les biens des époux mariés sous le régime de la participation aux acquêts ou de la séparation de biens leur appartiennent en copropriété lorsque la preuve de la propriété de l’un ou de l’autre ne peut être apportée (art. 200 et 248).

o L’adjonction ou le mélange de choses appartenant à plusieurs propriétaires fait naître entre eux une copropriété (art. 727 al. 1).

o Les démarcations communes appartiennent en copropriété aux propriétaires des fonds voisins, sauf exception (art. 670).

o Les choses perdues trouvées par plusieurs personnes deviennent, aux conditions des art. 720-722, copropriétés de ces personnes.

- D’un jugement : là encore, ce mode de constitution ne concerne que la copropriété ordinaire. Il est possible qu’un juge ou une autre autorité attribue une chose à plusieurs personnes qui ne sont pas / plus liées par une communauté en main commune (propriété commune), faisant naître une copropriété. Cela peut notamment être le cas :

o Dans une action en partage successoral (la constitution de la copropriété ne produira de véritables effets que si le partage de celle-ci n’est pas aussitôt possible au vu de l’art. 650 al. 3).

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o Lorsqu’un immeuble est attribué à plusieurs enchérisseurs (art. 59 ORFI, ordonnance sur la réalisation forcée des immeubles).

- D’un acte juridique : la constitution d’une copropriété ordinaire ou d’une PPE par acte juridique nécessite un titre d’acquisition et une opération d’acquisition (selon les principes valables pour l’acquisition dérivée de tous les droits réels) :

o Copropriété ordinaire : il s’agit alors en général d’un contrat, par lequel plusieurs personnes acquièrent un bien en copropriété, en relation avec une vente, une donation, un contrat de partage successoral. Il peut également s’agir d’une disposition pour cause de mort (bien attribué à plusieurs personnes). Sauf prescription contraire, la forme du TA est celle qui doit être respectée pour le transfert de la propriété (forme authentique pour les immeubles, art. 657 al. 1). Quant à l’OA, les règles générales relatives à l’acquisition des droits réels s’appliquent. En matière mobilière, l’acquisition de la copropriété exige un transfert de la possession aux copropriétaires (art. 714 al. 1 par analogie). En matière immobilière, l’inscription de la copropriété au registre foncier est nécessaire (art. 656 al. 1 par analogie).

o PPE : selon l’art. 712d al. 2, l’acte constitutif (titre d’acquisition) d’une PPE peut être :

Un contrat : la PPE naît par contrat (art. 712d al. 2 ch.1) : Lorsque plusieurs personnes acquièrent un

immeuble en PPE (vente en constitution simultanée d’une PPE entre les acquéreurs).

Lorsque plusieurs personnes déjà propriétaires de l’immeuble (copropriétaires ou propriétaires communs) conviennent de soumettre l’immeuble au régime de la PPE (conversion en PPE).

Une déclaration unilatérale du propriétaire de l’immeuble : l’art. 712d al. 2 ch. 2 donne au propriétaire du fonds (ou au titulaire du droit de superficie distinct et permanent) la possibilité de diviser idéalement sa propriété en parts d’étage. Le propriétaire sera initialement titulaire de toutes les parts d’étages, lui permettant d’organiser seul la PPE avant de les aliéner. En général, l’acte unilatéral constitutif d’une PPE prend la forme d’une déclaration (en la forme authentique, art. 712d al. 3) adressée au conservateur du RF. Précisons qu’il est aussi possible de constituer une PPE par testament.

Peu importe le mode de constitution, l’acte constitutif (TA) doit contenir, outre la volonté de créer une PPE (art. 712e al. 1) :

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La délimitation des étages ou parties d’étages : l’exigence de l’art. 712e al. 1 est précisée par l’art. 33b ORF. L’acte constitutif doit indiquer de manière claire et précise la description, la délimitation et la composition des unités d’étages (situation, surface, éléments constitutifs de l’unité, locaux annexes, types). La loi n’impose toutefois pas de plan de répartition, même si en pratique, cela se fait souvent.

L’indication de la valeur de l’étage par rapport à la valeur du bien-fonds : cette valeur doit être indiquée en pour-cent ou en pour-mille de la valeur du bien-fonds ou du droit de superficie (art. 712e al. 1). La valeur de la quote-part modifie l’influence de son propriétaire lors des votes mais aussi le pourcentage des frais que celui-ci doit payer. Ainsi, le propriétaire d’une quote-part importante aura un poids important dans le vote mais devra également payer une part plus élevée des frais de l’immeuble.

Concernant l’OA, la PPE n’est valablement constituée que lorsqu’elle est inscrite au feuillet du bien-fonds ou du droit de superficie distinct et permanent sur lequel elle est constituée. L’immatriculation de chaque part d’étage comme immeuble est ensuite obligatoire (art. 10a al. 2 ORF). Contrairement à la copropriété ordinaire, pour laquelle les noms des différents copropriétaires sont inscrits sous un même feuillet, le conservateur désigne les propriétaires d’étages par une référence aux feuillets des diverses unités d’étages. Précisons enfin que l’ouverture du feuillet pour les parts d’étages n’a pas pour effet de clore le feuillet du bien-fonds ou du droit de superficie. L’immeuble sur lequel est constituée la PPE reste ce qu’il était.

Extinction de la copropriété et de la PPE   :

En ce qui concerne l’extinction de la copropriété ou de la PPE, on distingue l’extinction relative (copropriété ou PPE prend fin pour un seul des copropriétaires) et l’extinction absolue (copropriété ou PPE prend fin pour tous les copropriétaires.

Extinction relative   :

Les causes d’extinction relative sont valables pour la copropriété et pour la PPE. Elles sont au nombre de quatre :

- L’aliénation de la part : le copropriétaire peut aliéner sa part (vente, donation), ce qui implique naturellement l’extinction relative de son droit.

- La renonciation à la part : le copropriétaire peut renoncer à sa part.

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- La réalisation forcée de la part : la part de copropriété peut être l’objet d’une réalisation forcée (art. 646 al. 3 in fine).

- L’exclusion : l’art. 649b permet d’exclure un copropriétaire de la communauté, aux conditions suivantes :

o La violation d’une obligation découlant de la copropriété : la violation peut être le fait du copropriétaire lui-même ou le fait de personnes auxquelles il a cédé l’usage du bien ou dont il répond (art. 649b al. 1). Il n’est pas nécessaire que la violation de l’obligation lèse tous les autres copropriétaires et la faute n’est pas non plus requise.

o Une violation présentant une gravité particulière : la violation doit être telle que l’on ne puisse raisonnablement imposer aux autres copropriétaires la continuation de la communauté. En outre, l’exclusion a de telles conséquences pour le copropriétaire concerné qu’elle ne saurait être prononcé à titre subsidiaire, si toutes les sommations et tous les avertissements sont demeurés vains (mesure ultima ratio).

Quant à la procédure d’exclusion, l’exclusion d’un copropriétaire ne peut être prononcée que par le juge, au terme d’un procès ordinaire (art. 646b al. 1 et 3). Le jugement a pour effet d’obliger le copropriétaire à aliéner sa part (action condamnatoire et non constitutive). A défaut d’exécution dans le délai fixé, le juge ordonne la vente aux enchères publiques de la part de copropriété concernée (art. 649b al. 3). Enfin, précisons que les règles sur l’exclusion d’un copropriétaire s’appliquent par analogie à l’exclusion de l’usufruitier ou du titulaire d’un autre droit de jouissance sur une part de copropriété, pour autant qu’il s’agisse d’un droit réel ou d’une personnel annoté au RF (art. 649c).

Extinction absolue   :

Le législateur a voulu donner à la PPE une stabilité beaucoup plus grande qu’à la copropriété ordinaire. Le propriétaire d’étage, au contraire du copropriétaire ordinaire, ne peut demander le partage. Les causes d’extinction absolue sont néanmoins en principe les mêmes pour les deux formes. Il existe tout de même une cause d’extinction absolue propre pour chacune des deux formes. Il existe donc 5 causes communes aux deux formes et deux causes propres :

- Les causes communes : elles sont au nombre de cinq :o La perte de la chose ou de l’animal : mentionnée uniquement en

relation avec la PPE (art. 712f al. 1), cette cause a pourtant une portée générale (art. 666 al. 1). Lorsque la copropriété est inscrite au RF, la radiation a le caractère d’une rectification purement déclarative. En matière immobilière, la destruction du bâtiment ne

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constitue par une cause d’extinction de la copropriété. Toutefois, l’art. 712f al. 3 donne au propriétaire d’étage (PPE) le droit de demander la dissolution de la copropriété si le bâtiment est détruit pour plus de la moitié de sa valeur et qu’une reconstruction serait pour lui une charge difficile à supporter.

o L’extinction du droit de superficie sur lequel la copropriété est constituée : comme pour la cause précédente, celle-ci a une portée générale (pour la PPE art. 712f al. 1). Là encore, la copropriété prend fin de par la loi, la radiation au RF est purement déclarative et peut être opérée selon l’art. 976.

o L’extinction par acte juridique : les copropriétaires peuvent décider de mettre fin à la copropriété (contrarius actus). Toujours de portée générale (pour la PPE art. 712f al. 2 in initio), une telle situation peut se produire en cas d’aliénation de l’objet à un tiers, de reprise de celui-ci par un seul copropriétaire ordinaire ou de partage sans aliénation. Dans ce cas, le partage s’opère, même pour la PPE, selon les règles de la copropriété ordinaire (art. 651). Pour la PPE, la limitée de convenir de la dissolution reste toutefois limitée par l’art. 712f al. 2 in fine : la dissolution n’est possible que du consentement de ceux qui ont des droits réels sur les parts lorsque le transfert de ces droits sur l’immeuble n’est pas sans inconvénient pour ces personnes.

o La réunion de toutes les parts dans les mains d’un seul copropriétaire : pour la copropriété ordinaire, la réunion en mains d’un seul copropriétaire de toutes les parts met en principe fin de plein droit à la copropriété. Au contraire, en cas de PPE, cet état de fait laisse subsister formellement la propriété collective, mais le copropriétaire peut demander la radiation (art. 712f al. 2 et art. 712d al. 2 ch. 2). Dans les deux hypothèses, lorsque des tiers ont des droits réels sur une part, l’extinction n’est possible que du consentement de ces personnes si leurs droits ne peuvent être transférés sans inconvénients sur l’objet (art. 712f al. 2 in fine).

o La réalisation forcée de la chose ou de l’animal : la copropriété prend fin si le bien vient à être réalisé dans une procédure d’exécution forcée, principalement en raison d’une poursuite en réalisation de gage.

- L’extinction absolue de la PPE selon la procédure de l’art. 33c ORF : lorsque la PPE a été constituée avant la construction du bâtiment et que l’attestation officielle prévue à l’art. 33b al. 2 ORF n’est pas produite ou lorsqu’il est constaté que la répartition des locaux n’est pas conforme à la loi, le conservateur doit engager la procédure de conversion de la PPE en copropriété ordinaire (art. 33c al. 4 ORF).

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- L’extinction absolue de la copropriété ordinaire en cas de demande de partage émanant d’un copropriétaire : les copropriétaires ordinaires n’étant pas liés par une communauté préexistante, chacun d’eux peut en principe exiger en tout temps le partage de la copropriété (art. 650 al. 1, droit rattaché propter rem à la part de copropriété dirigé contre tout copropriétaire actuel). Le code exclut par contre le droit au partage en matière de PPE (art. 650 al. 1). La copropriété est en effet une situation juridique instable, fragile, qui peut toujours être dissoute, au contraire de la PPE qui est stable, fixe et durable. Le droit au partage en matière de copropriété ordinaire est tout de même limité par la loi dans deux cas :

o Le droit au partage est d’abord exclu si l’objet en copropriété est affecté à un but durable (art. 650 al. 1 in fine) : on apprécie donc si l’objet est affecté à un but durable en examinant si le but poursuivi par la constitution de la copropriété ne peut être atteint que par le maintien de celle-ci. C’est l’application de ce principe qui exclut le droit au partage en cas de PPE.

o Le droit au partage ne doit également pas être exercé en temps inopportun (art. 650 al. 3) : le partage est inopportun si sa mise en œuvre entraîne une charge excessive ou des inconvénients sensibles pour les autres copropriétaires ou certains d’entre eux. Le juge décide donc en tenant compte des intérêts des copropriétaires concernés.

De même, le partage de la copropriété peut être temporairement (pas plus que 30 ans, art. 650 al. 2) exclu par acte juridique (art. 650 al. 1). A l’échéance du délai prévu, une exclusion du partage pour une nouvelle période reste possible. Si le droit au partage est contesté, chaque copropriétaire peut faire valoir ce droit par l’action tendant au partage. Il s’agit d’une action en contestation de droit, par laquelle le demandeur fait constater par le juge son droit au partage. Le for de cette action est prévu aux art. 19 al. 1 lit. a et 20 LFors.Concernant le mode de partage, l’art. 651 al. 1 laisse les copropriétaires libres de partager la copropriété comme ils le veulent. Le partage s’opère alors de façon extrajudiciaire, par contrat. Si le partage implique le transfert d’un immeuble, le contrat doit être passé en la forme authentique. Si les copropriétaires ne s’entendent pas sur le mode de partage, chacun d’eux peut ouvrir l’action en partage (art. 651 al. 2), laissant le juge décider. Il ne peut toutefois décider librement du mode de partage : il est en effet lié par les conclusions des parties (exclusion de la vente aux enchères publiques par exemple) et par l’art. 651 al. 2, qui détermine exhaustivement les possibilités du juge : le partage en nature, possible uniquement si la chose peut être divisée en parts (pas forcément égales, moyennant compensation par des soultes, art. 651 al. 3) sans diminution notable de sa valeur (art. 651 al. 2), ou la vente aux enchères

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publiques ou limitées aux copropriétaires (art. 651 al. 2). Le juge ne peut donc pas transformer la copropriété ordinaire en PPE (jurisprudence). Il existe toutefois quatre exceptions à la règle de l’art. 651 al. 2 :

o La copropriété entre époux ou entre partenaires enregistrés : les art. 205 al. 2 et 251 prévoient alors un troisième mode de partage : l’attribution du bien par le juge. Celui-ci peut en effet attribuer entièrement le bien à celui des époux qui justifie d’un intérêt prépondérant. L’art. 24 LPart établit le même principe pour les partenaires enregistrés.

o La copropriété sur un animal : lorsque l’objet de la copropriété est un animal qui vit en milieu domestique (vivant dans le proche environnement des copropriétaires : maison, jardin, volière, etc.) et qui n’est pas gardé dans un but patrimonial ou de gain (lien affectif nécessaire), le juge doit, si plusieurs copropriétaires demandent à recevoir l’animal, attribuer la propriété de celui-ci au copropriétaire qui représente la meilleure solution pour l’animal au vu des critères appliqués en matière de protection des animaux (art. 651a al.1). Précisons que l’art. 651a al. 1 l’emporte, en tant que lex specialis, sur les art. 205 al. 2 et 251.

o La copropriété sur une entreprise ou un immeuble agricoles : chaque copropriétaire peut alors, aux conditions fixées par les art. 36 ss LDRF, demander que l’entreprise ou l’immeuble lui soit attribué. Si l’un des copropriétaires d’un immeuble ou d’une entreprise agricoles est sous tutelle et que cet immeuble vient à être vendu (non application des art. 36 ss LDRF), l’art. 69 LDRF exclut la vente aux enchères. Cette disposition exclut donc l’application de l’art. 404 al. 2.

o Le copropriétaire sous tutelle : si l’un des copropriétaires est sous tutelle, les enchères doivent être publiques (art. 404 al. 2), sous réserve de l’art. 69 LDRF.

Les droits du copropriétaire quant à la part   :

La part de copropriété exprime le droit de chaque copropriétaire sur l’objet en copropriété. Ce droit porte sur cet objet dans son entier, mais il est limité par le droit analogue des autres copropriétaires. Le droit de chacun est mesurée par une quote-part (notion arithmétique qui définit la proportion du droit de propriété revenant au copropriétaire concerné). Les quotes-parts sont présumées égales (art. 646 al. 2), même si les parties ou le juge peuvent établir une autre répartition. En cas de PPE, l’indication de la valeur de chaque part d’étages est un élément nécessaire de l’acte constitutif. En outre, la part de copropriété sur un immeuble est elle-même un immeuble (art. 655 al. 2 ch. 4). L’immatriculation est obligatoire pour les parts d’étages (PPE) alors qu’elle n’est exigée pour les parts de copropriété ordinaire que si la clarté et la précisions des

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inscriptions l’exigent. Toutefois, si le RF est informatisé, les parts de copropriété indépendantes doivent être immatriculées, lorsque l’une d’elles est grevée d’un droit de gage (art. 943 al. 1 ch. 4, 10a ORF et 111c ORF).

Quant à la disposition de la part en copropriété, selon l’art. 646 al. 3, le copropriétaire peut (sauf en cas de copropriété propter rem) :

- Aliéner sa part : en principe, tout copropriétaire peut aliéner (totalement ou partiellement) sa part (vente, donation, échange), en respectant les règles prévues pour le transfert de propriété de l’objet lui même. Cette liberté fait toutefois l’objet de certaines restrictions. L’art. 201 al. 2 prévoit tout d’abord que lorsqu’un bien appartient en copropriété à des époux mariés sous le régime de la participation aux acquêts, aucun d’eux ne peut, sauf convention contraire, disposer de sa part sans le consentement de l’autre. Ensuite, en matière immobilière, la liberté d’aliéner est sujette à diverses restrictions :

o Le droit de préemption légal en cas de copropriété ordinaire : selon l’art. 682 al. 1, les copropriétaires ont un droit de préemption légal contre tout acquéreur d’une part qui n’est pas copropriétaire. Ce droit est lié à la qualité de copropriétaire (côtés actif et passif, obligation propter rem). Il ne peut être aliéné qu’avec la part de copropriété elle-même et se présente comme une restriction légale directe du droit d’aliéner des copropriétaires. Il ne peut être exercé qu’en cas de vente d’une part de copropriété à une personne qui n’est pas déjà copropriétaire de l’immeuble en cause (art. 681 al. 2). Le but de ce droit est de donner à chaque copropriétaire un moyen de s’opposer à l’entrée dans la communauté d’une personne indésirable. Il a donc priorité sur les autres droits de préemption conventionnels que le copropriétaire aurait constitués sur sa part (art. 681 al. 3). Quant aux effets (art. 681 à 681b), le copropriétaire qui aliène sa part (selon les conditions de l’art. 681 al. 1) doit en informer les autres copropriétaires (art. 681a al. 1) afin que ceux-ci déclarent dans un délai de trois mois (dès le moment où les copropriétaires ont eu connaissance de la conclusion du contrat de vente et de son contenu) s’ils entendent exercer leur droit (art. 681a al. 2). Ce droit ne peut toutefois plus être exercé s’il s’est écoulé plus de deux ans depuis l’inscription de l’acquéreur au RF. Le copropriétaire qui a exercé son droit peut exiger le transfert de la part vendue. Si plusieurs copropriétaires exercent leurs droits, la part vendue leur est attribuée (sauf convention contraire) en proportion de leur part de copropriété au moment de l’attribution (art. 682 al. 1). Lorsqu’un autre prix n’a pas été convenu, le transfert au(x) copropriétaire(s) se fait au prix convenu entre le

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vendeur et le tiers (art. 681 al. 1 in fine CC et 216d al. 3 CO). Si le tiers a déjà été inscrit au RF, le préempteur peut agir directement contre lui pour obtenir l’exécution du droit de préemption et la rectification du RF (art. 665 et 975). L’effet du droit de préemption légal est donc semblable à celui du droit de préemption conventionnel annoté. En revanche, le titulaire du droit de préemption légal ne pourra pas exiger la radiation des droits inscrits ou annotés postérieurement à la création du rapport de copropriété. Enfin, précisons que le droit de préemption légal est une restriction de droit privé que les parties peuvent modifier, voire supprimer (conditions de l’art. 681b al. 1). Le titulaire du droit de préemption peut également renoncer à exercer son droit, mais cette renonciation doit être faite par écrit et après la survenance du cas de préemption (art. 681b al. 2).

o Les restrictions conventionnelles en cas de PPE : le code supprime le droit de préemption légal en cas de PPE (art. 712c al. 1) car l’existence de ce droit rendrait trop difficile l’aliénation des parts d’étages. Les propriétaires d’étages ont cependant :

La faculté de réintroduire le droit de préemption : ce droit peut en effet être prévu dans l’acte constitutif ou par convention ultérieure (art. 712c al. 1, 216 al. 3 CO et 71a ORF). La clause réintroduisant le droit de préemption peut être annotée au RF (art. 712c al. 1 in fine et 71a ORF), ce qui rend le droit de préemption opposable aux tiers. L’effet de l’annotation n’est pas limité à 25 (même si le droit de préemption est d’origine conventionnelle) mais se poursuit pour toute la durée de la PPE.

Le droit d’opposition conventionnel des propriétaires d’étages : ce droit peut être prévu dans l’acte constitutif ou par convention ultérieure (art. 712c al. 2). Les conditions de forme sont les mêmes que pour la réintroduction du droit de préemption. La clause introduisant le droit d’opposition peut également être annotée au RF rendant alors le droit opposable aux tiers. L’exercice de ce droit nécessite la réalisation de trois conditions :

Il faut d’abord une décision des autres propriétaires, prise à la majorité (art. 712c al. 2).

L’opposition doit ensuite être formée dans les 14 jours qui suivent la communication de l’aliénation (art. 712c al. 2).

Enfin, l’opposition doit être fondée sur des justes motifs. Le juge décide en cas de contestation et le

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défendeur peut demander que la décision soit prise en procédure sommaire (art. 712c al. 3).

- Constituer des droits réels limités et des droits personnels sur sa part (engager sa part) : le copropriétaire peut en principe constituer sur sa part un droit réel limité ou un droit personnel, en respectant les règles de formes applicables à la constitution de tels droits sur l’objet en copropriété. Les précisions varient selon le type de droit :

o Droits de gage : le copropriétaire peut engager sa part (art. 646 al. 3 et 800) même si l’objet en copropriété lui-même est déjà grevé de droits de gage. L’inverse n’est cependant pas possible (art. 648 al. 3), sauf si tous les intéressés y consentent.

o Servitudes et charges foncières : la constitution de tels droits n’est possible que dans la mesure où la part de copropriété se prête à l’utilisation ou à la prestation promises. Tel est en principe le cas pour l’usufruit. Pour les autres servitudes personnelles et pour les servitudes foncières, la constitution n’est possible que si la part permet une maîtrise localisée adéquate de l’immeuble. En cas de PPE, la constitution d’un usufruit ou d’un droit d’habitation sur la part peut être exposée au droit d’opposition (art. 712c al. 2). En outre, les règles relatives à l’aliénation s’appliquent.

o Droits personnels : le copropriétaire peut louer sa part, la prêter, accorder à son sujet un droit de préemption, d’emption ou de réméré. En cas de PPE, la conclusion d’un bail peut être exposée au droit d’opposition (art. 712c al. 2).

- Renoncer à sa part : un copropriétaire peut renoncer à sa part, soit, en matière mobilière, par un abandon volontaire de la possession (art. 729), soit en matière immobilière, par la réquisition de radiation adressée au conservateur du RF (art. 666 al. 1).

- Subir une réalisation forcée de sa part : la part de copropriété peut faire l’objet d’une exécution forcée (art. 646 al. 3, 23-23d ORFI et 73 ss ORFI).

Enfin, quant à la protection de la part de copropriété, le copropriétaire peut défendre sa part contre les tiers comme contre les autres copropriétaires :

- Contre les tiers : le copropriétaire peut utiliser toutes les actions du propriétaire individuel : celles dérivant de son droit (not. art. 641 al. 2 et 679) et celles dérivant de la possession (art. 926 ss et 934 ss).

- Contres les autres copropriétaires : il peut également faire valoir les actions dérivant de la propriété, notamment l’action de l’art. 670 et l’action négatoire de l’art. 641 al. 2. Au besoin, le copropriétaire peut agir en constatation de l’étendue de sa quote-part. Enfin, le copropriétaire peut faire valoir toutes les actions qui dérivent de la communauté créée

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par la copropriété (action en constatation de la nullité ou en annulation d’une décision prise par les autres copropriétaires).

Les droits du copropriétaire quant à l’objet   :

Outre les droits sur la part de copropriété, le copropriétaire a des droits sur l’objet de copropriété en lui-même. Ces droits sont de deux ordres : le copropriétaire a d’abord des droits qu’il peut exercer seul (sphère propre) et ensuite des droits qu’il ne peut exercer qu’en commun avec les autres copropriétaires (sphère commune). Les droits faisant partie de la sphère propre du copropriétaire sont divisés en deux groupes :

- Les droits envers les autres copropriétaires : chaque copropriétaire a un droit d’usage et de jouissance sur l’objet en copropriété et également une certaine liberté en matière d’actes d’administration :

o Le droit d’usage et de jouissance : selon l’art. 648 al. 1, le copropriétaire jouit de la chose et en use dans la mesure compatible avec le droit des autres. Ce droit est mesuré par la quote-part (art. 646 al. 3) et entre dans la sphère propre du copropriétaire. Ce dernier ne peut donc en être privé. Naturellement, pour ce qui est de son exercice concret, le copropriétaire doit s’entendre avec les autres copropriétaires (le juge décide, au besoin). En matière de PPE, ces principes sont complétés par l’art. 712a al. 2 :

Sur les parties de l’immeuble qui font l’objet de son droit exclusif, le propriétaire d’étage a un droit d’usage et de jouissance exclusif. Il peut librement aménager et utiliser ces locaux (dans la limite du droit des autres copropriétaires, art. 712a al. 2 et 3).

Quant aux parties communes, le principe de l’art. 648 al. 1 s’applique : le propriétaire d’étage en a donc l’usage et la jouissance dans la mesure de sa quote-part (modalité définies par les propriétaires d’étages, art. 712g al. 3).

o Le droit d’effectuer certains actes d’administration : les copropriétaires ont un droit propre d’administrer l’objet en copropriété dans trois cas (art. 647a et 647 al. 2) :

Les actes d’administration courante : chaque copropriétaire peut faire seul les actes d’administration courante (art. 647a al. 1 et 712g al. 1). Il agit en tant que représentant de la communauté. En cas de PPE, la compétence sera souvent attribuée à l’administrateur, excluant ainsi les autres propriétaires d’étages.

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Les actes d’administration indispensables : chaque copropriétaire peut exiger (au besoin par la voie judiciaire) que soient exécutés les actes d’administration indispensables au maintien de la valeur et / ou de l’unité de la chose (art. 647 al. 2 et 712g al. 1). Cette règle est impérative (art. 647 al. 2 in initio et 647a al. 2 in fine) et les frais correspondants sont supportés par tous les copropriétaires. Le juge doit décider selon une procédure simple et rapide (procédure sommaire en principe).

Les actes d’administration urgents : chaque copropriétaire peut prendre lui-même les mesures urgents requises pour préserver la chose d’un dommage imminent ou s’aggravant (art. 647 al. 2 ch. 2 et 712g al. 1). A nouveau, le copropriétaire agit comme représentant de la communauté. En matière de PPE, le droit de chaque propriétaire d’étage de faire les actes d’administration urgents est subsidiaire par rapport au droit analogue de l’administrateur (art. 712s al. 1). De même, les frais correspondants sont supportés par tous les copropriétaires et la règle est impérative (art. 647 al. 2 in initio et 712g al. 2 in fine).

- Les droits envers les tiers : selon l’art. 648 al. 1, chaque copropriétaire peut veiller aux intérêts communs, mais seulement dans la mesure compatible avec le droit des autres. Cela implique :

o Le droit d’exercer dans l’intérêt de tous les prétentions indivisibles découlant de la propriété : chaque copropriétaire peut agir en revendication et intenter l’action négatoire ou l’action de l’art. 679 (même si les autres copropriétaires ont consenti au trouble). Le copropriétaire n’agit pas en véritable représentant de la communauté, même si son action profite aux autres copropriétaires.

o Le droit de faire valoir pour sa quote-part les prétentions divisibles : si la prétention est divisible (dommages-intérêts, perception des fruits, etc.) le copropriétaire ne peut la faire valoir que dans la proportion de sa quote-part.

Relèvent de la sphère commune des copropriétaires tous les actes de disposition affectant l’objet en copropriété ainsi que la plupart des actes d’administration :

- La disposition de l’objet en copropriété : les actes de disposition affectant l’objet ne sont valables que si tous les copropriétaires y ont consenti (sauf règles diverses, art. 648 al. 2). Cela concerne :

o L’aliénation de l’objet : il s’agit du transfert de la propriété (vente, donation) à un tiers ou à un copropriétaire. Si la copropriété porte sur un immeuble, le transfert doit être fait en la forme authentique

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(art. 657 al. 1). L’aliénation de l’objet est un cas d’extinction absolue de la copropriété.

o La constitution de droits réels limités : le consentement est alors nécessaire pour les DRL grevant l’objet mais aussi pour les DRL constitués en faveur de l’objet (sauf si le DRL est constitué à titre gratuit et n’entraîne aucune obligation pour les autres copropriétaires). Les copropriétaires ne peuvent en outre pas grever l’objet en copropriété de droits de gage et de charges foncières si des parts de copropriété sont déjà grevées de tels droits (art. 648 al. 3). Toujours concernant les droits de gage et les charges foncières, le législateur a prévu un ordre de priorité entre la part de copropriété et l’objet en copropriété :

Si l’objet a été grevé avant les parts, le droit de gage ou la charge foncière sur l’objet en copropriété a la priorité.

Si une ou plusieurs parts sont déjà grevées, l’objet en copropriété ne peut plus être grevé (art. 648 al. 3). Cette règle signifie en fait qu’un droit de gage (ou une charge foncière) constitué sur l’objet ne peut être primé par d’autres droits de gage (ou d’autres charges foncières) constituées antérieurement sur une part de copropriété. Ainsi, la constitution postérieure d’un droit de gage (ou d’une charge foncière) sur l’objet reste possible si tous les intéressés consentent à ce que ce droit ait la priorité sur les autres droits grevant les parts.

o Le changement de destination de l’objet en copropriété (art. 648 al. 2) : chaque copropriétaire peut, sauf réglementation contraire convenue à l’unanimité, s’opposer à toute décision impliquant une modification importante du but de l’objet en copropriété.

- L’administration de l’objet en copropriété :o Les règles impératives : il existe un certain nombre de dispositions

impératives établies par la loi qui limitent la liberté conventionnelle des copropriétaires. Il s’agit d’abord de l’art. 647 al. 2 qui interdit qu’un copropriétaire soit privé de son droit de faire seul les actes d’administration indispensables ou urgents. La liberté des copropriétaires est ensuite limitée par quelques règles impératives en cas de PPE. Il résulte de l’art. 712g al. 2 que les propriétaires d’étage ne peuvent pas prévoir de modifier les règles concernant les actes d’administration et les travaux de construction autrement qu’à l’unanimité. En outre, les règles impératives sur l’organisation de la PPE restreignent indirectement la liberté d’aménager l’administration de l’immeuble (existence, compétence et fonctionnement de l’AG).

o Les règles conventionnelles : on distingue alors :

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Les règles conventionnelles relatives aux actes d’administration et aux travaux de construction : ces règles permettent aux copropriétaires de convenir de règles dérogeant à celles prévues aux art. 647a à b (actes d’administrations) et aux art. 647c à e (travaux de construction). Cette possibilité est prévue par l’art. 647 al. 1 qui renvoie directement à l’art. 712g al. 2. Ces règles doivent alors être approuvées à l’unanimité, dans l’acte constitutif ou par la suite (exception de l’art. 647a al. 2). Les règles ainsi adoptées sont opposables à tout ayant cause d’un copropriétaire (pour autant que les règles soient en rapport direct avec l’administration et l’utilisation commune de l’objet) et à tout acquéreur d’un droit réel sur une part (art. 649a). Tout se passe comme dans une société : le nouveau venu est soumis aux dispositions statutaires, aux mesures administratives prises par les copropriétaires et aux décisions et ordonnances judiciaires. Les dispositions du règlement d’utilisation et d’administration ne sont toutefois opposables à l’ayant cause d’un copropriétaire que si elles ont un rapport direct avec l’administration et l’utilisation commun de l’objet. Précisons qu’aucune opération au RF n’est nécessaire, même si l’art. 647 al. 1 donne aux copropriétaires la possibilité de faire mentionner au RF l’existence d’un règlement d’utilisation et d’administration.

Les autres règles conventionnelles relatives à l’administration de l’objet en copropriété : l’administration de l’objet peut soulever diverses difficultés : organisation des parties communes, répartition des charges, rôle de l’assemblée, etc. La compétence pour adopter des règles conventionnelles dépend du type de copropriété :

Copropriété ordinaire : les règles peuvent prendre place dans le règlement d’utilisation et d’administration (unanimité et opposabilité).

PPE : les règles sont alors régies par l’art. 712g al. 3. La code accorde à chaque propriétaire d’étage le droit d’exiger un tel règlement, qui peut par la suite être approuvé ou modifié par la majorité des propriétaires d’étages, représentant en outre plus de la moitié de la valeur des parts. Chaque propriétaire d’étage peut également exiger la mention du règlement au RF (cela n’est pas nécessaire pour que l’effet de l’art. 649a se produise).

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o Les règles de droit dispositif : ces règles s’appliquent aussi bien à la copropriété qu’à la PPE (art. 647 a à e et 712g al. 1). Le code distingue deux grandes catégories, selon le contenu :

Les actes d’administration ne concernant pas les travaux de construction : là encore, on distingue :

Les actes d’administration courante : en principe, chaque copropriétaire a le droit de les faire (art. 647a al. 1). Il s’agit d’actes relevant de la sphère propre de chaque copropriétaire. Le copropriétaire peut toutefois être privé de ce droit par une décision prise à la majorité de tous les copropriétaires (sauf pour les cas aussi visés par l’art. 647 al. 2).

Les actes d’administration plus importante : pour déterminer si l’acte d’administration relève de l’art. 647a ou de l’art. 647b, il faut tenir compte des circonstances concrètes (importance de l’objet, nombre de copropriétaire, coût, impact, etc.) et s’inspirer des exemples donnés par le code. Pour les actes d’administrations plus importants, l’art. 647b exige une double majorité (par têtes et par parts).

Les actes d’administration relatifs aux travaux de construction : de même, on distingue, selon l’importance :

Les travaux de construction nécessaires : il s’agit des travaux d’entretien, de réparation ou de réfection relatifs à une construction, immobilière ou mobilière, pour autant qu’ils soient concrètement indispensables au maintien de la valeur et/ou de l’utilité de la chose (art. 647c), peu importe le coût. La décision d’effectuer de tels travaux doit en principe être prise à la majorité (art. 647c), sauf pour les cas suivants :

o Si les travaux en cause constituent un acte d’administration courante, c’est alors l’art. 647a qui s’applique).

o Si une décision ne peut être obtenue par la voie prévue par l’art. 647c, chaque copropriétaire peut requérir le juge d’ordonner les travaux, voire les faire effectuer en cas d’urgence (art. 647 al. 2).

o En cas de PPE, l’art. 647c ne s’applique qu’aux parties communes, même si l’un des propriétaires d’étages a sur elles un droit d’utilisation exclusif (art. 712a al. 2).

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Les travaux de construction utiles : l’art. 647d vise les travaux de réfection ou de transformation qui sont destinés à augmenter la valeur de la chose ou à améliorer son rendement ou son utilité (ascenseur, garage). De tels travaux ne peuvent être décidés qu’à la majorité des copropriétaires représentant en outre plus de la moitié de la valeur des parts (art. 647d al. 1). Ce principe est complété par deux règles au caractère impératif :

o Chaque copropriétaire a un droit de véto lorsque les travaux envisagés auraient pour effet de le gêner notablement et durablement ou compromettraient le rendement de la chose (art. 647d al. 2).

o Par ailleurs, pour éviter d’imposer des dépenses à un copropriétaire et éviter d’empêcher les autres copropriétaires d’effectuer les travaux, il reste possible d’exécuter les travaux si les autres copropriétaires se chargent de la part des frais qui ne peuvent être demandés au copropriétaire s’opposant aux travaux (art. 647d al. 3).

Les travaux de construction somptuaires : ce sont les travaux exclusivement destinés à embellir la chose, à en améliorer l’aspect ou à en rendre l’usage plus aisé. En principe, ces travaux doivent être décidés à l’unanimité (art. 647e al. 1). Toutefois, les travaux décidés à la double majorité (têtes et parts) peuvent être exécutés pour autant que l’opposant ne soit pas durablement entravé dans son droit d’usage et de jouissance, que les autres copropriétaires l’indemnisent de l’atteinte et qu’ils se chargent de sa part des frais (art. 647e al. 2).

La communauté des copropriétaires   ordinaires   :

Le code prévoit l’exclusion de la communauté (art. 649b), l’opposabilité du règlement d’utilisation et d’administration aux ayants cause des copropriétaires (art. 649a) ainsi que diverses règles de majorité (art. 647a à e). Ces éléments soulignent les liens corporatifs qui existent entre les copropriétaires. La loi ne précise par contre pas comment la communauté doit être organisée. Les copropriétaires peuvent prévoir des règles à ce sujet dans le règlement d’utilisation et d’administration (art. 647 al. 1). La communauté n’a pas la

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capacité d’exercer des droits en son nom, elle ne peut pas actionner ni être actionnée en justice. Quant aux frais, il faut distinguer :

- Les rapports internes : la relation des copropriétaires avec les tiers est régie par le CO (art. 32 ss, 41 ss, 70 et 143 CO).

- Les rapports externes : selon l’art. 649 al. 1, les copropriétaires doivent supporter en proportion de leurs parts les frais d’administration, les impôts et les autres charges résultant de la copropriété ou grevant l’objet. Ils peuvent également convenir d’une autre répartition (sous réserve des art. 647d al. 3 et 647e al. 2). En outre, si l’un des copropriétaires, dans les rapports internes, a payé au-delà de sa part, il a un recours contre les autres copropriétaires (art. 649 al. 2).

La communauté des propriétaires d’étages   :

La PPE étant constituée en principe pour longtemps et réunissant en plus dans la plupart des cas de nombreux propriétaires, le code régit de façon détaillée la communauté des propriétaires d’étage. Il s’agit de détailler successivement la nature juridique de la communauté, son organisation et son fonctionnement.

Quant à la nature juridique, la communauté des propriétaires d’étages se constitue de par la loi, dès la constitution d’une PPE. Elle n’est pas propriétaire de l’immeuble et a simplement pour but de permettre la gestion de l’immeuble, dans la mesure où cette dernière relève de la sphère commune des propriétaires d’étages. Le code confère une certaine autonomie juridique à la communauté : selon l’art. 712l, le communauté peut être titulaire de droits et d’obligations, peut exercer ces droits et exécuter ces obligations en son nom, peut actionner ou être actionnée en justice, poursuivre ou être l’objet d’une exécution forcée. Toutes ces aptitudes n’existent toutefois qu’en relation avec le but de la communauté (gestion de l’immeuble, art. 712l al. 1 et 712h).

Par rapport à l’organisation, la communauté n’a qu’un organe nécessaire, l’assemblée des propriétaires d’étages. Elle peut cependant avoir un administrateur ou un comité. L’assemblée des propriétaires d’étages est régie par les art. 712m à 712p (et à titre subsidiaire, selon l’art. 712m al. 2, par les art. 64-69 et 75, relatifs aux règles sur les associations). L’assemblée existe de droit et constitue le pouvoir suprême de la communauté. Elle se tient normalement sous la forme d’une AG (art. 66 al. 1) et est, sauf disposition contraire, convoquée par l’administrateur ou par un cinquième des propriétaires d’étages. L’assemblée tenue sans convocation n’est valable que si tous les propriétaires d’étages sont présent (art. 701 et 844 CO par analogie). Quant aux attributions de l’assemblée, elle prend les décisions importantes relatives au fonctionnement de la communauté et à l’administration de l’immeuble (présomption générale de compétences, art. 712m al. 1 ch. 1). On distingue les 3 types de pouvoir :

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- Le pouvoir règlementaire : l’assemblée adopte le règlement d’administration et d’utilisation et qui le modifie. Elle a également la compétence pour adopter un règlement de maison (art. 712g).

- Le pouvoir administratif : l’assemblée est compétente pour nommer un administrateur, un comité et un délégué (art. 712m al. 1 ch. 2-3). Elle a également compétence pour toutes les affaires administratives qui ne relèvent pas de l’administrateur ou d’un autre organe aux termes de la loi, du règlement ou d’une décision précédemment prise (art. 712m al. 1 ch. 1 et 712s al. 1). Elle approuve également chaque année le budget et les comptes ainsi que la répartition des frais entre les propriétaires d’étages. Elle décide en outre de la création d’un fonds de rénovation et conclut les assurances requises par la loi (art. 712m al. 1 ch. 4-6).

- Le pouvoir de contrôle (art. 65 al. 2) : l’assemblée surveille l’activité de l’administrateur (art. 712m al. 1 ch. 2) ou le fait surveiller par le comité ou le délégué (art. 712m al. 1 ch. 3). Elle peut révoquer l’administrateur (art. 712r) ou les autres organes (art. 65 al. 2 et 3).

Pour que l’assemblée puisse délibérer valablement, la moitié des propriétaires d’étages (au moins deux), représentant en outre la moitié de la valeur des parts, doit être présente ou représentée à l’assemblée (art. 712p al. 1, exigence d’un quorum). Si ce quorum n’est pas atteint, une seconde assemblée peut être convoquée au plus tôt 10 jours après la première et les exigences sont alors moins strictes (art. 712p al. 2-3). Si à nouveau le quorum ne peut être atteint, il reste à chaque propriétaire d’étage les compétences liées à sa sphère propre (art. 647 al. 2 entre autre). Les décisions sont en général prises à la majorité des voix des membres présents (art. 67 al. 2). Chaque propriétaire d’étage dispose du droit de vote, en principe égal pour chacun (vote par tête, art. 67 al. 1). La loi ou le règlement peuvent toutefois imposer une majorité selon la valeur des parts.

Selon l’art. 712m al. 2, la contestation des décisions de l’assemblée a lieu par une action en justice tendant à l’annulation de la décision prise (règles applicables à l’association, art. 75). Il faut toutefois réserver le cas des décisions absolument nulles, dont la nullité peut être constatée en tout temps. Il s’agit des décisions qui vont à l’encontre de la structure fondamentale de la PPE ou violent les règles destinées à protéger les tiers (créanciers notamment). Les conditions pour l’action en annulation sont de trois types :

- Conditions personnelles : la qualité pour agir appartient à tout propriétaire d’étage qui n’a pas adhéré à la décision contestée (en n’assistant pas à l’assemblée, en s’abstenant ou en votant contre la décision). La qualité pour défendre appartient à la communauté des propriétaire d’étages.

- Conditions matérielles : l’action est donnée contre les décisions contraires aux dispositions légales ou conventionnelles (art. 75 par analogie).

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L’action ne permet pas de faire revoir par le juge l’opportunité ou l’adéquation d’une décision.

- Conditions temporelles : l’action doit être ouverte dans le mois à compter du jour où le demandeur a eu connaissance de la décision (délai de péremption, art. 75).

L’action aboutit à un jugement formateur qui annule la décision avec effet rétroactif et produit ses effets à l’égard de tous les propriétaires d’étages et des autres intéressés, même s’ils n’ont pas participé à la procédure.

L’administrateur, bien que non imposé par la loi, est un élément capital dans le cadre de l’administration interne et de la représentation de la communauté à l’égard des tiers. Il est nommé par l’assemblée (art. 712m al. 1 ch. 2, sous réserve de l’art. 712q al. 1). Si l’assemblée ne le fait pas, chaque propriétaire d’étage peut demander au juge qu’il nomme un administrateur (art. 712q al. 1). Le même droit appartient à tout tiers ayant un intérêt légitime à cette nomination (art. 712q al. 2). Il peut notamment s’agir d’un créancier gagiste ou d’un assureur. Les rapports entre la communauté et l’administrateur sont réglés par un contrat (mandat à titre onéreux, art. 394 ss CO ou contrat de travail, art. 319 ss CO). Ce contrat détermine entre autre la durée des fonctions de l’administrateur (sous réserve de l’art. 712r), sa rémunération et l’étendue de sa responsabilité. L’administrateur a deux sortes d’attribution :

- Gestion interne : il exécute les tâches découlant de la loi ou les décisions de l’assemblée. Ces tâches sont précisées à l’art. 712s.

- Gestion externe : il représente la communauté et les propriétaires d’étages envers les tiers pour les affaires qui relèvent de l’administration commune et entrent dans ses attributions légales (art. 712t al. 1).

L’administrateur peut être révoqué en tout temps par l’assemblée à la majorité simple (art. 712r al. 1). Ce droit n’est pas subordonné à l’existence de justes motifs mais est limité dans le cas où l’administrateur a été nommé par le juge, auquel cas l’assentiment du juge est nécessaire (art. 712r al. 3). Si l’assemblée ne fait rien, chaque propriétaire d’étage peut, dans le mois, demander au juge de prononcer la révocation (art. 712r al. 2), auquel cas la révocation est subordonnée à l’existence de justes motifs. La révocation ne concerne que le pouvoir de gestion et laisse donc subsister les droits que l’administrateur peut faire valoir en vertu du contrat qui le lie à la communauté (art. 712r al. 1).

Enfin, la communauté peut se donner une organisation plus complète en nommant un comité ou un délégué (art. 712m al. 1 ch. 3). Il s’agit d’organes facultatifs, dont les propriétaires d’étages ou les tiers ne peuvent exiger la nomination (art. 712q a contrario). Le comité ou le délégué sont nommés par l’assemblée et peuvent être chargés de tâches administratives (conseiller l’administrateur, contrôler la gestion et soumettre à l’assemblée un rapport). Le

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comité ou le délégué auront donc plus le caractère d’un organe de surveillance que d’une direction au sens de l’art. 69.

En ce qui concerne le fonctionnement de la communauté, celle-ci joue un rôle aussi bien dans les rapports internes que dans les rapports externes. La structure donnée par la loi à la PPE est très différente des quelques éléments communautaires présent dans une copropriété ordinaire. Les rapports internes, pour commencer, se font par l’intermédiaire de l’organisation que les propriétaires d’étages forment entre eux. Pour ce qui est de la sphère commune, les propriétaires d’étages n’administrent l’immeuble qu’indirectement, par leur participation à l’assemblée, assemblée qui définit l’activité de gestion et prend le décisions principales relatives à l’administration de l’immeuble. L’exécution de ces décisions appartient en principe à l’administrateur (art. 712s al. 1). Dans le domaine de sa sphère propre, le propriétaire d’étage peut exercer directement ses droits exclusifs (art. 712a al. 2) et utiliser les parties et installations communes de l’immeuble. La communauté joue toutefois un certain rôle : l'administrateur exerce une fonction de surveillance et doit prévenir les heurts qui pourraient se produire entre les propriétaires (art. 712s al. 3). Les propriétaires d’étages doivent donc respecter la loi, le règlement d’administration et d’utilisation et le règlement de maison.

Il s’agit maintenant d’analyser les frais et les charges communes, autrement dit des frais et charges liés aux parties communes de l’immeuble et à leur administration. L’art. 712h al. 2 en donne une liste non-exhaustive :

- Les dépenses d’entretien, de réparation et de réfection des parties communes du bien-fonds et du bâtiment ainsi que des installations et ouvrages communs : ces frais ne sont communs que s’ils découlent de décisions prises conformément à la loi ou aux dispositions conventionnelles (art. 647d al. 3 et 647e al. 2).

- Les frais d’administration : il s’agit notamment de la rémunération de l’administrateur, des primes d’assurance contre les risques divers et les primes d’assurance responsabilité civile (art. 712m ch. 6).

- Les contributions de droit public et les impôts : ces frais ne sont communs que s’ils incombent à l’ensemble des propriétaires d’étages (si l’objet imposable est l’immeuble en tant que tel par exemple).

- Les intérêts et annuités : il s’agit des intérêts à payer aux créanciers qui ont un droit de gage sur le bien-fonds ou envers qui les propriétaires sont tenus solidairement ou la rente du droit de superficie.

Les frais et charges communs sont en principe répartis entre les propriétaires d’étages proportionnellement à la valeur (déterminée en pour-cent ou en pour-mille dans l’acte constitutif, art. 712e) de leurs parts (art. 712h al. 1). Deux précisions sont toutefois nécessaires :

- La loi prévoit d’abord deux dérogations :

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o Selon l’art. 712h al. 3, si certaines parties ou installations du bâtiments, certains ouvrages ne servent que très peu ou pas du tout à certain propriétaires d’étages, il doit en être tenu compte dans la répartition des frais (disposition de droit impératif).

o Selon l’art. 712m al. 1 ch. 6, si un propriétaire a fait des aménagements extraordinaires qui augmentent les primes d’assurance du bâtiment, la majoration de prime peut être mise à la charge de ce propriétaire, sauf s’il a conclu une assurance complémentaire pour son propre compte.

- Ensuite, le principe de l’art. 712h al. 1 n’est pas de droit impératif : l’acte constitutif ou le règlement (à la majorité prévue par l’art. 712g al. 3) peuvent prévoir des correctifs, pour autant que ceux-ci respectent la règle impératif de l’art. 712h al. 3. C’est l’administrateur qui répartit les frais et charges communes entre les propriétaires d’étage (art. 712s al. 2).

Enfin, alors que dans la copropriété ordinaire les copropriétaires sont réciproquement créanciers et débiteurs des contributions aux frais communs, dans la PPE, c’est la communauté qui est créancière des contributions dues par les propriétaires d’étages (art. 712l al. 1). Dans les rapports externes, c’est également la communauté qui est débitrice des frais communs à l’égard des tiers. Ce droit de la communauté aux contributions destinées à couvrir les frais et charges communs bénéficie en outre d’une double garantir :

- L’hypothèque légale (art. 712i al. 3 et 839) : pour garantir son droit aux contributions des trois dernières années, la communauté (l’administrateur ou, à défaut, chaque propriétaire d’étage, s’il a reçu l’autorisation par une décision prise à la majorité des propriétaires ou par le juge, art. 712i al. 2) peut (facultatif) requérir l’inscription d’une hypothèque (légale indirecte, dont la naissance dépend de l’inscription au RF) sur la part de chaque propriétaire actuel (art. 712i al. 1).

- Le droit de rétention : le droit aux contributions des trois dernières années est également garanti par un droit de rétention accordé à la communauté sur les meubles qui garnissent les locaux d’un propriétaire d’étage et qui servent à leur aménagement ou à leur usage (art. 712k). Ce droit de rétention est le même que celui d’un bailleur (d’où l’application par analogie des art. 268 à 268b CO, à ceci près que le droit de rétention prévu à l’art. 712k s’applique aussi si l’unit d’étage n’est pas utilisée à des fins commerciales).

Pour en finir avec les rapports internes, il reste à parler du fonds de rénovation. La communauté a un patrimoine, constitué des créances de contributions et des disponibilités fournies par leur encaissement (art. 712l al. 1). Elle peut décider d’accroître ces disponibilités en créant un fonds de rénovation destiné à faciliter la réalisation de travaux importants d’entretien ou de réfection de l’immeuble (art. 712m al. 1 ch. 5). Ainsi, moyennant le versement régulier de contributions

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modestes, les propriétaires évitent que la réalisation d’une réfection importante de l’immeuble soit empêchée du fait que certains propriétaires s’y opposent faute de moyens financiers.

Concernant les rapports externes à présent, il convient de traiter de la représentation de la communauté et de la responsabilité pour les dettes de la communauté. Premièrement, concernant la responsabilité, il résulte de l’art. 712 l que la communauté entre en rapports juridiques avec les tiers par le biais de l’administrateur (organe exécutif). Son pouvoir légal de représentation s’étend à toutes les affaires qui relèvent de l’administration commune et entrent dans ses attributions légales (art. 712t al. 1, complété par 712s qui précise les attributions de l’administrateur dans les rapports internes). Il faut admettre que, à l’égard des TdBF, le pouvoir de représentation de l’administration correspond aux attributions que ce dernier doit raisonnablement avoir au vu de l’art. 712s. Les TdBF ne peuvent pas se voir opposer des décisions de la communauté qui restreindraient le pouvoir de représentation normal de l’administrateur tel qu’il ressort de l’art. 712s (les TdBF ne sont pas censés connaître le règlement ou les décisions de l’assemblée). Pour le reste, l’art. 712t régit deux cas particuliers :

- Concernant les procès menés pour ou contre la communauté, l’administrateur ne peut agir en justice comme demandeur ou comme défendeur que s’il y a été autorisé préalablement par l’assemblée (sauf si l’affaire est tranchée en procédure sommaire). Il peut également agir de son chef dans les cas d’urgence mais doit alors obtenir ultérieurement l’autorisation de continuer la procédure (art. 712t al. 2).

- L’art. 712t al. 3 confère à l’administrateur le pouvoir de recevoir valablement des communications destinées à l’ensemble des propriétaires d’étages. Ces déclarations, sommations, jugements et décisions seront donc valablement communiqués, même s’ils concernent des affaires qui ne sont pas de la compétence de l’administrateur.

Enfin, concernant la responsabilité pour les dettes de la communauté, la loi donne aux créanciers la possibilité d’exiger le paiement de leurs créances directement auprès de la communauté (celle-ci disposant d’un patrimoine résultant des contributions des propriétaires). Les créanciers doivent poursuivre la communauté et faire saisir ses actifs (art. 712l al. 2). Il n’y a en outre pas de responsabilité directe des propriétaires d’étages. Parmi les actifs de la communauté figurent notamment les créances envers les propriétaires d’étages, en paiement de leurs contributions aux frais communs. Les créanciers de la communauté peuvent naturellement saisir les créances contre les propriétaires d’étages (avec les garanties dont bénéficient ces créances). Le code accorde également au créancier en faveur duquel une créance de contribution est saisie la possibilité de requérir lui-même l’inscription d’une hypothèque légale sur la part du propriétaire concerné (art. 712i al. 2 in fine).

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La propriété commune   :

La propriété commune est la forme de propriété collective qui suppose l’existence entre les propriétaires d’un lien personnel antérieur et dans laquelle les propriétaires ne peuvent en principe exercer leurs droits qu’au sein et par l’intermédiaire de cette communauté. La propriété commune est donc la conséquence (en matière de droits réels) d’une communauté qui produit pour ses membres d’autres effets encore. Au contraire de la copropriété, la propriété commune ne peut pas être constituée pour elle-même et doit donc toujours être liée à une communauté préexistante entre les intéressés (art. 652). Elle prend naissance, de par la loi, dès que cette communauté a un patrimoine. L’objet de la propriété commune n’est toutefois pas ce patrimoine mais chacun des biens qui en font partie, pris individuellement. En outre, les droits (créances) faisant partie de ce patrimoine font également l’objet d’une titularité commune. Les art. 652 à 654 ne précisant rien, il faut se tourner vers les règles légales ou jurisprudentielles pour déterminer quelles communautés ont pour conséquence une propriété commune :

- La communauté de biens entre époux (art. 221 ss).- L’indivision (art. 336 ss).- La communauté héréditaire (art. 602 ss).- La société simple (art. 530 ss CO, sous réserve de l’art. 544 CO). - La société en nom collectif (art. 552 ss CO).- La société en commandite (art. 594 ss CO).- Les communautés auxquelles le droit privé cantonal aurait, en se fondant

sur une réserve au sens propre, lié une propriété commune.

Par rapport à l’extinction de la propriété commune, selon l’art. 654 al. 1, la propriété commune s’éteint par l’aliénation du bien sur lequel elle porte (la situation est alors la même qu’en cas de copropriété) ou par la fin de la communauté qui est à son origine. Contrairement au copropriété, la communiste n’a donc pas de prétention en partage de la propriété commune (art. 653 al. 3). Il ne peut mettre fin à la propriété commune que dans la mesure où il peut exiger la dissolution de la communauté qui la fonde (art. 546 al. 1 ch. 6 CO, 7 CO, 604 CC, concernant le partage partiel). Si la communauté prend fin, la propriété commune s’éteint en principe, mais pas immédiatement. Elle subsiste aussi longtemps que dure la liquidation de la communauté. C’est le transfert des biens (à un tiers ou à un communiste) qui met effectivement un terme à la propriété commune. La liquidation s’opère selon les règles propres à chaque communauté et s’achève par un partage (partage manuel ou convention écrite de partage). En l’absence de règles particulières, on applique les règles relatives à la copropriété (art. 654 al. 2 et pour les immeubles et entreprises agricoles, art. 654a).

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Les droits et les devoirs du communiste   :

Ces droits et devoirs ne font pas l’objet de règles générales applicables à l’ensemble des propriétés communes. L’art. 653 al. 1 renvoie aux règles de la communauté légale ou conventionnelle à l’origine de la propriété commune. L’usage, la jouissance et la disposition des biens en propriété commune ainsi que la répartition des frais et charges doivent donc être étudiés en relation avec chaque espèce de communauté. Il existe en outre une règle subsidiaire relative aux droits des communistes. L’art. 653 al. 2 prévoit en effet que, à défaut de règles générales en relation avec la communauté, les droits des communistes ne peuvent être exercés qu’en vertu d’une décision unanime. Les dispositions propres à chaque communauté confèrent toutefois souvent à l’un des communistes le droit de représenter la communauté pour l’administration ou la disposition des biens en propriété commune, diminuant ainsi de beaucoup la portée du principe subsidiaire de l’art. 653 al. 2. Enfin, par rapport aux dettes relatives aux biens en propriété commune, le droit suisse ne connaît pas de dettes communes qui ne pourraient être exigées que de l’ensemble des communistes. Pour les rapports externes, il faut donc se tourner vers l’art. 143 CO, qui ne prévoit la solidarité des débiteurs que si elle a été convenue ou prévue par la loi (ce qui est le cas dans de nombreuses hypothèses).

La part de communauté, en relation avec les biens en propriété commune   :

La propriété commune ne procure pas à chacun des communistes une part idéale du bien (art. 653 al. 3 et exclusion de la quote-part). Le droit du communiste sur le bien en propriété commune n’est que l’expression de sa participation à la communauté qui est à l’origine de la propriété commune. La part de communauté consiste en effet en un ensemble de droits et de devoirs. Ainsi, le communiste ne pouvant pas disposer d’une part du bien en propriété commune, les modifications relatives à la titularité de la propriété commune ne peuvent avoir lieu que par l'entrée d’une personne dans la communauté ou la sortie d’un membre de cette communauté. La modification se produira donc pour tous les biens faisant partie du patrimoine commun. Il faut également préciser que le lien qui unit les membres de la communauté et par conséquent la possibilité d’une modification de la composition de la communauté varie selon chaque type de communauté (communauté entre époux).

Lorsque l’entrée d’un nouveau membre est autorisée et possible, elle ne modifie pas la propriété commune en soi, elle entraîne cependant de par la loi une diminution des droits des autres communistes (l’accord de la personne supplémentaire sera nécessaire pour que des décisions puissent être prises). Le nouveau membre devient titulaire de la propriété commune des biens qui font partie du patrimoine de la communauté de par sa seule qualité de membre (sans aucune opération d’acquisition). Inversement, la sortie d’un membre (si elle

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n’entraîne pas la dissolution de la communauté) augmente les droits de ceux qui restent dans la communauté. La sortie de la communauté entraîne de plein droit la perte de la propriété commune sur les biens compris dans le patrimoine. Pour finir, concernant l’exécution forcée dirigée contre un communiste, c’est le montant que le communiste retirerait en cas de liquidation de la communauté qui est objet de l’exécution forcée. Il n’existe en effet pas de part idéale des biens que les créanciers d’un communiste pourraient faire réaliser dans une procédure d’exécution forcée.

15. Cours du 22 février 2012   :

La propriété foncière   :

La propriété foncière a pour objet les immeubles (art. 655 al. 1) soumis au droit privé (art. 664, choses publiques). Sont immeubles les biens-fonds, les droits distincts et permanents, les mines et les parts de copropriété d’un immeuble (art. 655 al. 2). Chaque immeuble constitue en principe un objet indépendant de droit réel. Il est toutefois possible de lier un immeuble à un autre, de sorte que l’immeuble dépendant suit nécessaire le sort de l’immeuble principal.

Un bien-fonds (art. 655 al. 2) est une surface de terrain ayant des limites déterminées de façon suffisante (art. 2 let. a ORF). Pour pouvoir être immatriculé comme immeuble distinct, un terrain doit pouvoir être décrit sur le feuillet du RF selon la mensuration officielle (plan, art. 950 al. 1). Les limites doivent avoir été déterminées par un géomètre (art. 5 ss OMO). Une fois immatriculé, le bien-fonds est une réalité tridimensionnelle (volume), déterminée horizontalement par les art. 668-670 et verticalement par les art. 667 et 671-678.

Les droits distincts et permanents (art. 655 al. 3) sont des servitudes immobilières (et droits analogues) immatriculées au registre foncier. Il s’agit de servitudes immobilières qui peuvent être constituées en droits distincts (art. 22 al. 1 let. a ch. 1 ORF). Cela vise donc les servitudes personnes improprement dites : droit de superficie (art. 675 et 779 ss) le droit de source (art. 704 et 780), et les autres servitudes (l’art. 781). Un droit est distinct lorsqu’il n’est constitué ni en faveur d’un fonds dominant, ni exclusivement en faveur d’une personne déterminée (art. 655 al. 1 ch. 3). La première condition exclut ainsi les servitudes foncières et la deuxième les servitudes foncières proprement dites. Le droit distinct doit être cessible et transmissible, par la loi ou une convention. Un droit est permanent s’il est établi pour 30 ans au moins ou pour une durée indéterminée (art. 655 al. 3 ch. 2 et 22 al. 1 let. a ch. 1 ORF). Un droit distinct et permanent n’est alors considéré comme un immeuble que s’il est immatriculé au RF selon les formes prévues à l’art. 22 al. 2 ORF. Ces droits sont alors des immeubles et par conséquent des objets de droits réels immobiliers, tout en restant des droits régis par leurs propres règles. L’assimilation du droit distinct et permanent immatriculé à un immeuble a 3 conséquences majeures :

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- Il peut être à son tour grevé de droits réels limités (droits de gage immobiliers ou servitudes) ou faire l’objet d’un droit annoté (droit d’emption, de préemption ou de réméré). La servitude grevant un DDP peut, à son tour, si elle remplit les conditions de l’art. 655 al. 3, être immatriculée comme immeuble au RF.

- Son transfert et la constitution de droits réels limités qui le grèvent sont régis par les règles applicables aux immeubles.

- Il est soumis aux règles sur la réalisation forcée des immeubles.

Malgré l’immatriculation comme immeuble, le DDP reste déterminé quant à son contenu et à son étendue par les règles propres aux droits, notamment par rapport à la relation du titulaire du droit avec le propriétaire du fonds.

La mine (art. 655 al. 2 ch. 3) est le droit d’exploiter techniquement un gisement donné. Il ne s’agit donc pas du gisement lui-même, mais d’une concession octroyée par un canton en vertu de la régale des mines. Enfin, les parts de copropriété (ordinaire ou PPE) d’un immeuble sont des droits auxquels l’art. 655 confère la qualité d’immeuble.

Les immeubles dépendants   :

Un immeuble (appelé immeuble dépendant) peut être rattaché à un autre immeuble (appelé immeuble principal), de telle sorte que le propriétaire du second soit également propriétaire du premier. Ainsi, l’immeuble dépendant partage le sort de l’immeuble principal et ne peut être ni aliéné, ni mis en gage, ni grevé d’un autre droit réel séparément (art. 655a al. 1). Un tel lien de dépendance est utile lorsque deux immeubles ne peuvent être réunis mais que l’exploitation de l’immeuble dépendant est au service exclusif de l’immeuble principal (ou des immeubles principaux). On peut citer l’exemple de places de parc destinées aux habitants du fonds A se trouvant sur le fonds B.

Les immeubles publics   :

Les immeubles publics sont ceux qui relèvent du patrimoine administratif d’une collectivité publique ou qui sont dans l’usage commun, par nature ou par affectation. Ils ne sont en principe pas régis par le droit privé (droit public cantonal ou fédéral). L’art. 664 ne vise que les immeubles qui sont dans l’usage commun au sens du droit public. L’expression chose sans maître désigne les immeubles dans l’usage commun par nature alors que le terme bien du domaine public fait référence aux immeubles dans l’usage commun par affectation. L’art. 664 ne concerne pas les immeubles du patrimoine administratif des collectivités publiques (écoles, musées, bâtiments administratifs). Le statut de droit public de ces immeubles reste contesté. Le droit administratif détermine en général si un immeuble relève du patrimoine administratif, à quelles modalités son usage est

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subordonné et si des particuliers peuvent se voir reconnaître des droits propres sur ces immeubles. Le droit administratif précise également si l’immeuble doit être immatriculé au RF et dans quelle mesure il peut être grevé de droits de gage (art. 796 al. 2). La responsabilité de l’État pour ces immeubles reste par contre régie par le droit privé (art. 679 CC et 58 CO).

L’acquisition de la propriété foncière   :

L’acquisition de la propriété foncière obéit aux règles générales d’acquisition des droits réels. Les modes d’acquisition peuvent être classés d’après deux critères :

- Selon que la validité du droit dépend ou non de la validité du droit du propriétaire précédent, il y a acquisition dérivée ou originaire.

- Selon que le rôle que joue l’inscription au RF, il y a acquisition moyennant inscription (principe absolu) et sans inscription (principe relatif).

L’acquisition dérivée moyennant inscription au RF est le type d’acquisition que le code tient pour la règle (art. 656 al. 1). Selon les principes généraux de l’acquisition des droits réels, cette acquisition suppose un titre d’acquisition (acte générateur de l’obligation de transférer la propriété) et une opération d’acquisition (acte de disposition : réquisition adressée au conservateur du RF d’inscrire l’acquéreur comme nouveau propriétaire et acte matériel : inscription au grand livre). L’inscription est alors constitutive, conformément au principe absolu de l’inscription. Les cas d’acquisition dérivée moyennant inscription sont les transferts de la propriété foncière par acte juridique et à titre particulier. Il s’agit en général d’actes entre vifs (ventes, enchères volontaires publiques ou privées, échange, donation, apport à une société, contrat de partage d’une copropriété ou d’une propriété commune). On peut toutefois envisager quelques l’acquisition dérivée moyennant inscription en cas de disposition pour cause de mort prévoyant le legs d’un immeuble (art. 484 et 562). Concernant les actes entre vifs et selon l’art. 657 al. 1, les contrats ayant pour objet le transfert de la propriété foncière ne sont valables que s’ils sont reçus en la forme authentique. La loi veut éviter que les parties ne prennent des engagements irréfléchis et amener les parties à préciser leur pensée de façon suffisante grâce au concours de l’officier public afin de fournir une base sûre pour l’inscription au RF. Les modalités de la forme authentique sont déterminées par chaque canton pour leur propre territoire (art. 55 titre final). La règle de l’art. 657 al. 1 s’applique en principe à tous les types de contrat (nommés, innommés) tendant à une acquisition dérivée de la propriété moyennant inscription (sauf exceptions : contrat de partage successoral, art. 634 al. 2 et vente aux enchères publiques volontaires, art. 229 CO). Concernant les dispositions pour cause de mort, l’art. 657 al. 2 prévoit que ces dispositions qui tendant à transférer (à titre particulier et moyennant inscription) la propriété d’un immeuble demeurent soumises aux

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formes qui leur sont propres (art. 499-509 et 512). Cela vaut notamment pour les testaments et les pactes successoraux qui comportent des legs.

Il s’agit à présent de préciser les effets de l’inexécution de l’obligation de transférer la propriété foncière. Le titre d’acquisition ne confère à l’acquéreur qu’un droit personnel (créance tendant au transfert de la propriété). C’est en effet l’inscription au RF qui opère le changement de propriétaire. Jusqu’à l’inscription donc, l’aliénateur conserve le pouvoir de disposer de l’immeuble. Ainsi, s’il conclut un autre contrat et l’exécution, il viole son obligation envers le premier acquéreur et lui doit des dommages-intérêts, mais l’acte de disposition du bien reste valable. L’acquéreur dispose tout de même d’un moyen lui permettant de rendre son titre d’acquisition immédiatement opposable à tout tiers : il peut obtenir du juge une restriction du droit d’aliéner annotée au RF (art. 960 al. 1 ch. 1). Cette annotation n’empêche pas l’aliénateur de disposer de son immeuble, mais elle rend le droit du nouvel acquéreur inopposable au bénéfice de l’annotation.

Si l’aliénateur n’exécute ensuite pas son obligation, l’acquéreur peut agir en exécution du transfert de propriété (art. 665 al. 1). Cette action, tendant à l’exécution d’un droit personnel, ne doit pas être confondue avec l’action en rectification du RF prévue à l’art. 975. Cette action n’appartient en effet qu’à celui dont les droits réels ont été lésés par une opération au RF. Les conditions de l’action en exécution du transfert sont au nombre de deux :

- L’acquéreur doit être au bénéfice d’un titre d’acquisition valable.- Le refus de l’aliénateur de requérir l’inscription doit être injustifié.

L’aliénateur peut valablement refuser le transfert s’il est en droit d’invoquer l’exception qui fait valoir que la créance tendant au transfert est prescrite (exception non adimpleti contractus, art. 82 et 127 CO).

La qualité pour agir appartient à la personne qui est au bénéfice du titre d’acquisition (acheteur, donataire, légataire) ou à son successeur à titre universel ou particulier (cessionnaire d’une créance d’achat cessible). La qualité pour défendre appartient à la personne obligée par le titre d’acquisition ou à son successeur universel, à condition qu’elle soit encore propriétaire de l’immeuble. En effet, si elle n’est plus propriétaire, l’action en exécution se transforme en action en dommages-intérêts.

L’action en exécution aboutit à un jugement formateur attribuant directement la propriété au demandeur (art. 665 al. 1). L’acquéreur devient donc propriétaire sans inscription au RF, conformément à l’art. 656 al. 2. Il peut dès lors requérir lui-même l’inscription en se fondant sur les art. 665 al. 2 et 963 al. 2. Enfin, il convient de parler de la situation de l’acquéreur mis en possession de l’immeuble avant d’avoir été inscrit au RF. Il n’est en effet pas rare que l’acquéreur entre en possession de l’immeuble avant que l’inscription n’ait pu être opérée. Faute d’inscription, l’acquéreur n’est pas encore propriétaire, mais en tant que

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possesseur, il peut faire valoir les moyens destinés à protéger la possession comme telle (art. 926-929 CC), comme le rappelle l’art. 937 al. 2. La présomption du droit de propriété et l’action tirée de l’inscription continuent par contre à appartenir à l’aliénateur, encore inscrit comme propriétaire au RF.

La prescription acquisitive   :

La prescription acquisitive est l’acquisition d’un droit sur un bien par suite de la possession paisible et prolongée de ce bien. Même si un possesseur n’a pas de titre d’acquisition valable, la sécurité des transactions exige qu’après un certain temps, il acquière un droit sur ce bien. L’écoulement du temps exerce un effet guérisseur (tout comme en cas de prescription extinctive d’une créance ou d’une action pénale, dans un sens négatif). La prescription acquisitive ne joue qu’un rôle modeste dans le système suisse des droits réels immobiliers, fondés sur l’institution du RF. L’acquisition de droits réels sur les immeubles exige en effet des formalités à l’occasion desquelles la validité du titre d’acquisition est vérifiée. En outre, l’art. 973 protège directement le tiers de bonne foi qui a acquis un droit réel sur un immeuble en se fiant au RF. Il reste toutefois des cas dans lesquels une personne peut être inscrite au RF comme titulaire d’un droit réel alors que son TA n’est pas valable, voire des cas où une personne peut acquérir la possession d’un immeuble sans être inscrite au RF. Dans ces différents cas, il importe de savoir si une prescription acquisitive (PA) est possible. Le code distingue deux types de PA de la propriété foncière :

- La PA pour une personne inscrite comme propriétaire sans cause légitime : cette personne acquiert la propriété si elle possède l’immeuble de bonne foi, sans interruption et paisiblement pendant 10 ans (art. 661). L’acquisition (prescription ordinaire) s’opère sur la base du RF.

- La PA pour une personne possédant un immeuble sans être inscrite au RF : cela peut être le cas si l’immeuble n’est pas immatriculé ou s’il n’a apparemment pas de propriétaire. Dans ces cas, selon les art. 662-663, la propriété est acquise a celui qui, même de mauvaise foi, a possédé l’immeuble sans interruption et paisiblement comme propriétaire pendant 30 ans. L’acquisition (appelée cette fois prescription extraordinaire) s’opère en dehors du registre foncier.

Perte de la propriété foncière et mesures judiciaires   :

Selon l’art. 666 al. 1, la propriété foncière s’éteint par la radiation de l’inscription et par la perte totale de l’immeuble. La portée de la radiation est cependant différente selon l’occasion à laquelle elle a lieu (acquisition de la propriété par un tiers ou abandon pur et simple de la propriété par son titulaire). Il convient donc de distinguer la perte relative et la perte absolue de la propriété foncière. La perte est relative si la propriété ne s’éteint que dans la personne de l’ancien propriétaire mais continue ou renaît directement dans celle de l’acquéreur

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(acquisition dérivée ou originaire, sauf occupation : la perte de la propriété n’est en général pas concomitante à l’acquisition et l’immeuble reste un certain temps sans maître). La perte est absolue lorsque le droit de propriété s’éteint sans que l’immeuble ait un nouveau propriétaire (immeuble totalement perdu ou abandon par le propriétaire, déréliction). La déréliction (premier cas de perte absolue) est l’acte juridique unilatéral par lequel le propriétaire se défait de son immeuble sans en transférer la propriété. Ce genre de cas est rare : les charges liées à un immeuble sont rarement supérieures aux profits que l’on peut en tirer. L’abandon de la possession avec intention de ne plus être propriétaire ne suffit toutefois pas pour qu’il y ait déréliction, il faut encore que le propriétaire requière la radiation de son inscription au RF. On peut admettre un deuxième cas de perte totale (absolue) de l’immeuble (pour les bien-fonds) lorsque, à vues humaines, il n’est pas possible de rétablir les lieux afin de permettre l’exercice des droits du propriétaire (terrain recouvert par les flots, inexploitable à cause d’un éboulement, emporté par un glissement de terrain). La perte totale du bien-fonds entraîne l’extinction de la propriété ainsi que de tous les droits et charges en relation avec le fonds (clôture du feuillet au RF). Les autres types d’immeubles (parts de copropriété, droits distincts et permanents, mines) disparaissent avec l’extinction, selon les règles qui leur sont propres. Pour terminer, toujours en relation avec l’acquisition et la perte de la propriété foncière, le législateur a introduit deux dispositions permettant de requérir des mesures judiciaires lorsque le propriétaire d’un immeuble est introuvable (art. 666a) et lorsqu’une personne morale propriétaire d’un immeuble ne dispose plus des organes prescrits (art. 666b).

L’étendue de la propriété foncière   :

Les immeubles (au contraire des choses mobilières) ne sont pas délimités par la nature. Le législateur précise donc aux art. 667-678 comment en déterminer l’étendue (horizontale et verticale). Dans le sens horizontal, il est possible de fixer artificiellement des limites, puis de les marquer sur le terrain (art. 668-670). Dans le sens vertical, une délimitation n’est pas possible : les limites (au-dessus et au-dessous du sol) sont donc fixées par le code (art. 667, 671-678).

L’extension horizontale de la propriété foncière   :

Pour qu’un bien-fonds puisse être considéré comme un objet distinct de droits réels, il doit être délimité (sa délimitation doit au moins être possible). Selon l’art. 668 al. 1, les limites des immeubles sont déterminées par le plan et par la démarcation sur le terrain. Pour l’un comme pour l’autre, l’art. 668 al. 1 n’institue qu’une présomption d’exactitude (en accord avec l’art. 9 CC). Le propriétaire peut donc en tout temps établir que son droit de propriété s’étend au-delà de la limite sur le terrain ou sur le plan. Si cela s’avère nécessaire, il peut ouvrir une

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action en revendication, une action négatoire, voire une action en constatation de propriété. S’il y a contradiction entre le terrain et le plan, l’art. 668 al. 2 présume l’exactitude du plan (glissement de terrain ou déplacement de bornes plus probables qu’une erreur dans les plans). L’exactitude du plan, partie constitutive du RF (art. 942 al. 2) est élevée au rang de fiction à l’égard du TdBF acquéreur du fonds (art. 973). Si une telle acquisition a lieu, le propriétaire voisin ne peut plus contester les limites figurant sur le plan et perd ainsi la partie du fonds qui lui appartenait. Précisons que le plan ne fait foi qu’en ce qui concerne les limites du terrain, et pas par rapport à la surface ou aux indications de fait qui y figurent (genre de cultures).

L’extension verticale de la propriété foncière   :

Le principe veut que la propriété du sol emporte celle du dessus et du dessous, dans toute la hauteur et la profondeur utile à son exercice (art. 667 al. 1). C’est donc le critère de l’intérêt qui est déterminant dans la détermination de l’étendue verticale de la propriété foncière.

Négativement, la propriété du dessus et du dessous du sol fait que le propriétaire peut s’opposer à toute immixtion de tiers sur son fonds. En principe donc, le propriétaire peut s’opposer à toute ingérence de tiers dans le volume aérien de son fonds (peu importe l’objet de l’immixtion : objet volant, installation téléphérique, construction ou plante). Il faut toutefois réserver les restrictions légales à la propriété qui apportent des exceptions à cette règle : pour les constructions (art. 671-674), pour les conduites (art. 691 et 676) ou pour les plantes (art. 678 et 687 ss). Comme pour le volume aérien, le propriétaire peut en principe s’opposer à toute immixtion dans le volume souterrain de son fonds (travaux qui y seraient effectués). Les seules exceptions concernent les conduites (art. 691) et naturellement les règles sur l’expropriation. Le propriétaire doit toutefois pouvoir faire valoir un intérêt digne de protection justifiant son droit sur le volume souterrain (tel ne sera pas le cas si des travaux effectués à une si grande profondeur qu’ils ne présentent pas de risque d’effondrements ni d’autres nuisances ou si le propriétaire ne peut apporter la preuve qu’il pourrait lui-même utiliser le sous-sol dans un avenir proche). La propriété du sous-sol est en outre limitée par la régale des mines reconnue par la plupart des cantons.

Positivement, elle s’exprime par le principe de l’accession (superficies solo cedit) : le propriétaire peut, sous réserve de la loi, élever des constructions, mettre des plantes, exploiter des sources (art. 667 al. 2). Cela signifie que dans les limites du volume utile, le droit du propriétaire s’étend à tout ce qui est incorporé au sol (constructions, plantations et sources, art. 667 al. 2). Par construction, il faut entendre tout ce qui est uni au fonds par les moyens de la technique, soit au-dessus, soit au-dessous du sol (bâtiments, murs, ponts, conduites, garages souterrains). Cela exclut donc les constructions mobilières de l’art. 677, à savoir

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les constructions légères élevées sur un fonds sans intention de les y établir à demeure. Conformément au principe de l’accession, le propriétaire du fonds est également propriétaire des constructions. Exceptionnellement au principe, des constructions peuvent appartenir à autrui, par l’effet de certains droits réels limités (servitudes de superficie, art. 675, d’empiètement, art. 674, ou de conduites, art. 676) ou par l’effet de l’art. 670 (copropriété sur les clôtures).

Constructions mobilières et empiètement   :

Les constructions mobilières appartiennent aux propriétaires de ces choses (art. 677 al. 1). Une construction est dite mobilière si elle est :

- Objectivement légère : il s’agit d’analyser avec attention le lien qui unit la construction au sol. On peut citer comme exemples les ruches, les garages préfabriqués, les boutiques, les baraques ou les petits chalets.

- Subjectivement non établie en demeure : celui qui met la construction en place doit manifester son intention de ne pas l’établir à demeure. Cet élément doit être reconnaissable par les tiers. Ce critère est également secondaire : il ne peut jouer un rôle que si la construction est relié au sol de manière lâche. Une halle de fête ou une tente pour une exposition temporaire, même solidement fixée au sol, est une construction mobilière. Un rûcher, par contre, n’en est pas une s’il est établi à demeure.

Les constructions mobilières sont des meubles (régime des droits réels mobiliers). Ainsi, si elles appartiennent au propriétaire du fonds sur lequel elle se trouve, c’est parce que le propriétaire en a acquis la propriété conformément aux règles régissant les meubles (art. 714 ss), et non selon le principe de l’accession. Elles peuvent donc avoir un propriétaire autre que le propriétaire de l’immeuble (pacte de réserve de propriété ou location).

Les constructions empiétant sur le fonds d’autrui sont des constructions situées en partie sur le fonds d’autrui. Elles sont régies par l’art. L’empiètement consiste en une mise à contribution illicite du fonds voisin. Cela peut arriver dans trois cas : construction située en partie sur le fonds du constructeur et en partie sur le fonds voisin, constructions empiétant par un balcon, un toit, dans le volume aérien du fonds voisin ou par une cave dans le volume souterrain et enfin non respect de distances par rapport aux limites du fonds fixées par le droit cantonal.

Les restrictions de la propriété foncière   :

La maîtrise conférée par la propriété foncière est sujette à limitations :

- Les restrictions volontaires : le propriétaire peut, par sa propre volonté, restreindre l’une ou l’autre faculté que lui donne le droit de propriété.

- Les restrictions légales : comme l’indique l’art. 641 al. 1, la loi impose certaines limitations à l’exercice de la propriété sur les immeubles.

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Les restrictions volontaires   :

Le propriétaire peut restreindre son droit quant aux droits d’usage, de jouissance ou de disposer. Il peut accorder un droit réel limité ou un droit de nature personnelle. On peut résumer les espèces de restrictions volontaires à la propriété par le tableau suivant :

Usage et jouissance Disposition

Droit réelServitudes foncières ou

personnellesDroits de gage immobilier,

charges foncières

Droit personnelBail (à loyer, à ferme) ou

prêtDroits d’emption, de

préemption ou de réméré

Dans ce chapitre, nous ne traiterons que les droits personnels touchant au pouvoir de disposer, à savoir les droits d’emption, de préemption et de réméré (art. 681-682a). Les droits d’emption et de réméré (conventionnels, volontaires) ne sont régis que très brièvement par la loi (art. 216, 216a, 216b CO et 959 CC). Le droit de préemption (conventionnel) par contre fait l’objet d’une réglementation plus détaillée (art. 216-216e CO et 959 CC).

Le droit d’emption et le droit de réméré   :

Le droit d’emption est la faculté en vertu de laquelle une personne (l’empteur) peut se porter acheteur d’une chose par une simple déclaration unilatérale de volonté et exiger de l’autre personne (le promettant ou le concédant) le transfert de la propriété de la chose moyennant le paiement du prix. Même s’il est étudié en relation avec les restrictions volontaires (du pouvoir de disposer) de la propriété foncière, le droit d’emption a une portée plus générale et peut avoir pour objet des meubles (actions). Il peut également avoir sa source dans la loi (droit d’emption légal). En définitive, le droit d’emption doit être considéré comme l’ensemble des prérogatives qui résultent pour son titulaire de l’existence (entre lui et le promettant) d’une vente conditionnelle soumise à la condition suspensive potestative que le titulaire déclare vouloir exercer son droit (il s’agit en fait d’un droit d’acheter). La position juridique du bénéficiaire présente les caractéristiques suivantes :

- Il est créancier conditionnel du transfert de la propriété de la chose à l’égard du promettant. Il est acheteur conditionnel.

- Il est débiteur conditionnel du prix de vente (dette purement formelle, dépendant d’une condition dont le débiteur est maître).

- Le titulaire du droit a le droit formateur de provoquer, par une déclaration unilatéral de volonté (levée de l’option) la réalisation de la condition potestative et de rendre la vente parfaite.

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Le droit de réméré est la faculté en vertu de laquelle une personne (le vendeur d’un bien) peut exiger d’une autre personne (l’acheteur de ce bien, le promettant) qu’il lui retransfère la propriété du bien moyennant paiement du prix (sauf convention contraire, prix payé par l’acheteur pour acquérir le bien). Le droit de réméré peut trouver sa source dans la volonté des parties (droit de réméré conventionnel) mais aussi dans la loi (droit de réméré légal de l’aliénateur d’une entreprise agricole, art. 55 LDFR).

Le droit de préemption   :

Le droit de préemption est la faculté en vertu de laquelle une personne (le préempteur) peut exiger d’une autre personne (le promettant) le transfert de la propriété d’une chose, dans l’éventualité où le promettant la vend à un tiers. Le droit de préemption est ordinaire si le prix à payer par le préempteur est celui que le tiers acquéreur s’est engagé à payer et limitatif si le prix a été fixé dès la constitution du droit. S’agissant d’une restriction volontaire de la propriété, le droit de préemption est en général constitué par un contrat entre le futur titulaire du droit et le promettant : il s’agit du pacte de préemption. Il doit revêtir la forme authentique (art. 216 al. 2 CO) lorsqu’il concerne un droit de préemption immobilier limitatif (la forme écrite suffit en cas de droit de préemption ordinaire, art. 216 al. 3 CO). Si le prix et les modalités du transfert ne sont pas précisés, ce sont les clauses de vente conclue entre le promettant et le tiers qui font règle (art. 216d al. 3 CO). Ce pacte doit contenir, outre la volonté de constituer un droit de préemption :

- La désignation du promettant et du titulaire du droit.- La désignation de l’objet du droit (quel immeuble sera visé). - La fixation de la durée du droit : cette durée ne peut excéder 25 ans (art.

216a CO) sauf pour le droit des propriétaires d’étages (art. 712c al. 1).

Le droit de préemption portant sur un immeuble peut être annoté au RF (art. 959 al. 1 CC et 216a CO). L’annotation doit être expressément convenue par les parties, en la forme authentique ou écrite (selon que le droit est limitatif ou non) soit dans le pacte de préemption, soit dans une convention postérieure. L’annotation produit l’effet typique (restriction du pouvoir de disposer) et l’effet de rattachement propter rem. Il faut toutefois apporter deux précisions. Premièrement, si le promettant vend l’immeuble sans donner au titulaire du droit la possibilité de l’exercer, le titulaire peut agir directement contre le tiers acquéreur en exécution du droit de préemption (art. 655) et obtenir la rectification du registre foncier (art. 975). Deuxièmement, pour déterminer si le préempteur est lésé par des droits constitués postérieurement à l’annotation de son droit, il faut distinguer selon que le droit est limitatif ou non :

- Si le droit n’est pas limitatif : l’existence de droits postérieurs au droit de préemption réduit normalement le prix que le tiers acquéreur offre pour

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l’immeuble et par conséquent celui que le tiers acquéreur doit payer. On présume ainsi que le préempteur n’est pas lésé. Le préjudice n’est toutefois pas exclu : un droit d’emption postérieur au droit de préemption annoté devient caduc par la loi si les parties n’en ont pas disposé autrement (radiation possible qu’avec l’accord du bénéficiaire ou sur ordre du juge). Si le préempteur veut tout de même obtenir la radiation des droits postérieurs, il devra payer un prix plus élevé que celui du tiers.

- Si le droit est limitatif : le préempteur sera en général lésé par les droits postérieurement acquis. S’il décide de laisser subsister ces droits, il pourra demander une réduction du prix. En outre, ces droits constituent plutôt une facilité pour le préempteur, qui peut reprendre la dette hypothécaire au lieu de payer le prix en espèces.

Par rapport aux effets (avant l’exercice du droit de préemption : I, l’exercice du droit de préemption : II, après l’exercice du droit de préemption : III) du droit de préemption, ce n’est que si le promettant vend l’immeuble et que le titulaire du droit l’exerce que le droit de préemption produit ses effets spécifiques. Ainsi, tant qu’un cas de préemption ne s’est pas réalisé (I), le titulaire du droit de préemption ne jouit (sauf convention contraire) d’aucun droit en relation avec l’objet du droit (immeuble). Le propriétaire continue à pouvoir disposer librement de son bien, en fait comme en droit, même si le droit de préemption est annoté. Pour qu’il y ait préemption, il faut un cas de préemption : il faut que le promettant ait conclu une vente ou un acte juridique équivalent économiquement à un vente (art. 216c al. 1 CO). La convention doit viser le transfert de la propriété de l’immeuble contre une prestation pécuniaire. C’est ensuite la conclusion de ce contrat, et non son exécution, qui est déterminante. Cela signifie que des pourparlers de vente ou une simple intention de vendre n’obligent pas le titulaire du droit à prendre parti. Lorsque le cas de préemption se réalise, les droits qui en résultent pour le bénéficiaire lui sont acquis et on entre dans l’exercice du droit de préemption. Cet exercice (II) suppose naturellement d’abord que le titulaire du droit ait connaissance du cas de préemption. Le vendeur doit donc aviser le titulaire du droit de l’existence d’un cas de préemption (art. 216d al. 1 CO). S’il néglige de le faire et que le titulaire du droit subit un dommage, il doit des dommages-intérêts. L’art. 216e CO prévoit ensuite que le titulaire du droit doit exercer son droit dans un délai de trois mois. Si le droit est annoté, il sera exercé à l’encontre du propriétaire inscrit. Dans le cas contraire, il ne peut l’être qu’à l’encontre du vendeur. Cela a pour conséquence que si le vendeur a aliéné l’immeuble entre-temps, l’acquéreur n’est pas lié par le droit de préemption. L’exercice du droit par le préempteur consiste en une déclaration unilatérale de volonté, sujette à réception, précise et univoque. Il s’agit d’un acte formateur ne pouvant comporter ni condition ni réserve et ne pouvant être limité dans le temps ou révoqué. Il reste par contre possible de l’invalider pour vice de la volonté (art. 23 ss CO). Lorsque le

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préempteur a exercé son droit a exercé son droit (III), le promettant est obligé de vendre l’immeuble au préempteur et celui-ci est obligé de l’acheter (lien de contrat de vente). Un nouveau contrat de vente n’a pas à être passé et la résiliation du contrat de vente survenant après l’exercice du droit reste sans effet (art. 216d al. 2 CO). Le préempteur ne devient pas propriétaire de l’immeuble du seul fait de l’exercice de son droit, il obtient une créance tendant au transfert de propriété, créance qu’il peut, si nécessaire, faire valoir en justice (art. 665 al. 1) et qui se prescrit par 10 ans (art. 127 CO). Le préempteur qui exerce son droit se trouve dans la situation d’un acheteur : c’est donc le propriétaire vendeur qui doit requérir l’inscription du préempteur au RF (art. 963 al. 1). Si l’obligé refuse de faire la réquisition, le préempteur peut ouvrir une action tendant au transfert de propriété (art. 665 al. 1). Si le promettant vendeur a requis l’inscription du tiers acquéreur au RF, la situation diffère selon que le droit est annoté ou non :

- Si le droit n’est pas annoté, le préempteur ne peut plus obtenir l’exécution du transfert de propriété. Pour le tiers acquéreur, le droit de préemption est une res inter alios acta : le préempteur n’a qu’une action en dommages-intérêts contre le promettant pour inexécution du pacte de préemption (art. 97 CO).

- Si le droit est annoté, le préempteur peut agir contre l’acheteur inscrit au RF en exécution du droit de préemption (art. 665 al. 1) ou en rectification du RF (droit annoté exercé à l’encontre du propriétaire inscrit).

Pour finir avec le droit de préemption, il convient de parler du transfert et de l’extinction du droit. Le droit de préemption est en principe transmissible aux héritiers du titulaire mais pas cessible (art. 216b al. 1 CO). La cessibilité peut toutefois être prévue dans le pacte de préemption. L’extinction du droit peut survenir en cas de non-exercice. Il faut, comme souvent, distinguer selon que le droit est annoté ou non au RF :

- Si le droit n’est pas annoté : dans ce cas, il s’éteint s’il n’est pas exercé à la survenance d’un cas de préemption. Le titulaire avait un droit d’acquisition contre le promettant, s’il ne le fait pas valoir, le droit tombe. L’acquéreur n’est en effet pas lié par le droit de préemption.

- Si le droit est annoté : le droit de préemption subsiste pour le temps fixé dans l’annotation contre le nouveau propriétaire de l’immeuble. L’annotation rattache en effet le droit à l’immeuble (propter rem).

Le droit de préemption peut également prendre fin lorsque la cause du transfert de l’immeuble ne constitue pas un cas de préemption. Là encore, comme toujours, il faut distinguer selon que le droit est annoté ou non au RF :

- Si le droit n’est pas annoté : en cas de succession à titre universel (entre vifs ou à cause de mort), l’obligation du promettant passe à ses successeurs (si ceux-ci viennent à vendre, le titulaire peut exercer son droit). En cas de succession à titre particulier (donation, apport dans une

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société), le droit non annoté s’éteint, sauf si l’acquéreur a repris l’obligation de l’aliénateur. En l’absence d’une telle reprise, l’acquéreur est à même de disposer de l’immeuble et n’est pas tenu par le pacte de préemption (res inter alios acta). De même, le titulaire du droit ne peut même pas demander des dommages-intérêts car le promettant ne s’était pas engagé à n’aliéner l’immeuble que sous forme de vente (sous réserve des règles sur l’abus de droit selon l’art. 2 al. 2 CC).

- Si le droit est annoté : le droit subsiste alors en principe pendant sa durée de validité contre tout acquéreur de l’immeuble.

Les restrictions légales   :

Les restrictions légales sont des règles qui suppriment ou limitent l’une ou l’autre des facultés normalement comprises dans la propriété. Ces règles sont édictées pour tenir compte des besoins d’autres personnes, des intérêts des propriétaires voisins (intérêt général). On distingue les restrictions de droit privé des restrictions de droit public. Les premières sont prévues dans l’intérêt des particuliers (bénéficiaire chargé de faire respecter la restriciton). Les secondes sont établies dans l’intérêt public et s’inscrivent dans un rapport de subordination entre une collectivité publique et le propriétaire foncier (collectivité chargée de faire valoir la restriction).

Les restrictions de droit privé   :

L’art. 680 énonce deux règles de portée générale par rapport aux restrictions de droit privé : leur régime par rapport au RF (al. 1) et les modalités de leur suppression ou de leur modification (al. 2). Avant de voir ces règles, il convient toutefois d’analyser 3 caractéristiques générales des restrictions :

- Les restrictions de droit privé dépendent du droit fédéral : seul le législateur fédéral est compétent pour les introduire, sauf réserves du code en faveur du droit cantonal (art. 5 al. 1) : art. 686, 688 et 695 CC.

- Ces restrictions relèvent de l’autonomie privée et ne sont pas mises en œuvre d’office mais seulement à la demande de ceux qui en bénéficient. Les bénéficiaires peuvent donc renoncer à faire valoir leur droit, voire même renoncer au droit lui-même (art. 680 al. 2).

- La compétence pour trancher les litiges appartient normalement au tribunal civil et non à l’autorité administrative. La violation des devoirs incombant au propriétaire appelle des sanctions civiles (obligation de prévenir ou de faire cesser le trouble, paiement de dommages-intérêts) et non des sanctions administratives.

Les restrictions de droit privé peuvent être classées selon deux critères :

- Selon la nature des facultés touchées :

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o Les restrictions d’utilisation (droits d’usage et de jouissance) : elles peuvent par exemple impliquer un devoir de tolérance (art. 695), un devoir d’abstention (ne pas construire à la limite d’un fonds, art. 686) ou un devoir de faire (déterminer les limites, art. 669).

o Les restrictions du droit de disposer (droit de disposition) : elles peuvent revêtir deux formes qui correspondent aux deux aspects que le droit de disposer recouvre. Des restrictions peuvent d’abord toucher la liberté positive (aliéner ou grever un immeuble) en prévoyant un droit de préemption légal (art. 681 ss CC et 42 ss LDFR) ou un droit d’attribution (art. 11 ss LDFR). D’autres restrictions peuvent viser la liberté négative (ne pas aliéner ou grever un immeuble) en vue d’accorder, par exemple, à un voisin le droit de passer sur le fonds (art. 694).

- Selon le mode de constitution :o Les restrictions directes : la restriction est directe si elle découle

de la seule réalisation des conditions prévues par la loi. Dès lors que la situation décrite par la loi se réalise, le propriétaire est tenu de souffrir la limitation de son droit (art. 700 par exemple : lorsqu’un animal s’échappe, le propriétaire doit tolérer qu’un tiers pénètre sur son fonds pour le récupérer).

o Les restrictions indirectes : la restriction est indirecte si elle ne donne à l’ayant droit qu’une prétention contre le propriétaire foncier. La restriction n’est que virtuelle : l’ayant droit doit la faire valoir par les moyens appropriés. L’art. 694 oblige le propriétaire à accorder une servitude de passage à un voisin n’ayant qu’une issue insuffisante sur la voie publique mais ce voisin doit demander la constitution de cette servitude (voie amiable ou jugement).

Il convient à présent de présenter les restrictions légales de droit privé et leurs rapports avec le registre foncier. Selon l’art. 680 al. 1, les restrictions n’ont pas à être annotées au RF. Il suffit en effet de consulter la loi pour savoir qu’elles existent. Elles sont également opposables même à un acquéreur de bonne foi. La portée de l’art. 680 al. 1 doit toutefois être précisée suivant le type de restriction. En ce qui concerne les restrictions directes, l’art. 680 al. 1 a une portée absolue : leur existence ne dépend pas de leur inscription au RF. Certaines d’entre elles doivent toutefois apparaître au registre sous forme de mentions (comme par exemple les droits de passage permanents établis par le droit cantonal, art. 696 al. 2 CC, 61 et 127 ORF). Les restrictions indirectes par contre existent certes sans inscription mais leur existence suppose la constitution d’une servitude ou d’une hypothèque qui exige une inscription constitutive au RF. Le droit d’exiger le passage nécessaire sur le fonds voisin existe de par la loi, sans inscription, mais la concrétisation de ce droit (servitude de passage) nécessite une inscription (constitution à l’amiable ou par voie judiciaire). L’art. 680 al. 2 traite

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de la suppression et de la modification des restrictions légales de droit privé. Contrairement aux restrictions légales de droit public, les restrictions de droit privé relèvent de l’autonomie privée et peuvent être modifiées, voire supprimées par convention. La modification peut consister soit en une aggravation, soit en une suppression. Le bénéficiaire peut ainsi renoncer (en général définitivement) à tout ou partie de l’avantage conféré par la restriction en acceptant que cette renonciation soit opposable aux tiers (effet réel, art. 680 al. 2). Précisons que l’art. 680 al. 2 ne s’applique complètement (sans réserve) qu’aux servitudes (droits d’usage et de jouissance) supprimant ou modifiant les restrictions directes mises par la loi à l’utilisation d’un immeuble.

Les droits de préemption légaux   :

Il existe un certain nombre de droits de préemption tirant leur origine dans la loi (à côté des droits de préemption conventionnels des art. 216 ss CO). Les art. 681-681b énoncent quelques règles générales applicables à tous les droits de préemption légaux. Elles régissent les conditions d’exercice du droit, l’exercice en tant que telle ainsi que la modification et la suppression du droit :

- Les conditions d’exercice du droit : o Le cas de préemption : l’art. 216c CO est applicable : le droit de

préemption peut être invoqué en cas de vente ou d’acte juridique équivalent économiquement à une vente (art. 681 al. 1). Par contre, la réalisation forcée est reconnue comme cas de préemption (au contraire de ce qui vaut en cas de droit conventionnel). Le droit ne peut alors être exercé que lors des enchères et aux conditions de l’adjudication (art. 681 al. 1) : le préempteur ne bénéficie donc d’aucun privilège de prix.

o La caducité du droit : le droit de préemption ne peut pas être exercé si l’immeuble est aliéné à une personne titulaire d’un droit de préemption de rang préférable ou de même rang (art. 681 al. 2).

o L’intransmissibilité et l’incessibilité du droit : les droits de préemption légaux sont à ce point liés à la personne de leurs titulaires qu’ils ne peuvent être transférés, ni entre vifs, ni pour cause de mort (art. 681 al. 3, pour les droits de préemption conventionnels, voir art. 216b CO).

o L’ordre des priorités entre droits légaux et conventionnels : il est possible que des droits de préemption légaux cohabitent avec des droits de préemption conventionnels. Dans ce genre de cas, les droits légaux priment les droits conventionnels (art. 681 al. 3).

- L’exercice du droit : il appartient au vendeur de communiquer le cas de préemption aux titulaires de droits de préemption légaux. L’acquisition de l’immeuble est ensuite subordonnée à l’exercice du droit dans un certain

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délai. Précisons que le droit peut être exercé contre tout propriétaire de l’immeuble :

o La communication du cas de préemption : le vendeur est tenu d’informer le titulaire du droit d’un cas de préemption (art. 681a al. 1). Ce n’est donc ni à l’officier public instrumentant la vente ni au conservateur du registre foncier de procéder à cet avis.

o Le délai d’exercice du droit : l’exercice du droit est subordonné au respect de deux délais, l’un relatif, courant dès la connaissance du cas de préemption, l’autre absolu, courant dès l’inscription de l’acquéreur au registre foncier (art. 681a al. 2) :

Délai relatif : le préempteur doit invoquer son droit dans les trois mois à compter du moment où il a eu connaissance de la conclusion du contrat de vente et de son contenu.

Délai absolu : le préempteur doit exercer son droit dans les deux ans suivant l’inscription de l’acquéreur au RF.

o Le destinataire du droit : le préempteur peut exercer son droit contre tout propriétaire de l’immeuble, même si celui-ci a acquis l’immeuble en ignorant l’existence du droit de préemption légal (art. 681a al. 3). L’acquéreur de bonne foi n’est donc pas protégé tant que le titulaire du droit peut l’exercer (2 ans ou 3 mois).

- La modification et la suppression du droit :o Les modifications ou la renonciation définitive : les parties peuvent

modifier un droit de préemption légal. Le titulaire peut également y renoncer définitivement, en dehors de la survenance d’un cas de préemption. La convention (pouvant être annotée au RF si le droit de préemption appartient au propriétaire actuel d’un autre immeuble, art. 681b al. 1) modifiant ou supprimant le droit de préemption doit revêtir la forme authentique afin de protéger le titulaire du droit contre des engagements inconsidérés.

o La renonciation après la survenance d’un cas de préemption : le titulaire d’un droit de préemption légal peut renoncer à exercer son droit, mais seulement après la survenance d’un cas de préemption et en la forme écrite (art. 681b al. 2). Il s’agit d’une renonciation temporaire : le titulaire déclare ne pas vouloir exercer son droit dans un cas particulier mais conserve le droit de l’exercer par la suite si un nouveau cas de préemption se présente.

Il s’agit à présent de présenter les différents droits de préemption légaux. On distingue les droits du CC (art. 682) des droits de préemption ruraux, établis par la LDFR (art. 682a). Les premiers découlent de l’art. 682, qui accorde un droit de préemption légal aux copropriétaires, ainsi qu’au propriétaire d’un fonds grevé d’un droit de superficie distinct et permanent et au superficiaire. Les deuxièmes, institués par la LDFR, sont accordés aux parents et aux fermiers. La LDFR

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reconnaît aux cantons la compétence de prévoir d’autres droits de préemption légaux dans certains cas déterminés (art. 56 LDFR). Les droits de préemption des parents se rapportent entre autre aux entreprises et aux immeubles agricoles. S’agissant d’une entreprise agricole, le droit de préemption appartient aux descendants de l’aliénateur ainsi qu’à ses frères et sœurs et à leurs enfants. Le droit ne peut être invoqué que si le bénéficiaire entend exploiter lui-même l’entreprise (et en paraît capable, art. 42 al. 1 LDFR). Le droit de préemption des frères et sœurs n’existe en outre que si l’aliénateur a acquis l’entreprise en totalité ou en majeure partie de ses père et mère ou dans leur succession depuis moins de 25 ans (art. 42 al. 1 ch. 2 LDFR). Quant aux immeubles agricoles, seuls les descendants de l’aliénateur sont titulaires du droit de préemption. Encore faut-il qu’ils soient propriétaires ou disposent économiquement d’une entreprise agricole et que l’immeuble (agricole) en cause, soit situé dans le rayon d’exploitation (la localité) de l’entreprise visée (art. 42 al. 2 LDFR).

Les restrictions du droit de voisinage   :

Le droit de voisinage est un ensemble de règles (art- 684-698 et 706-710 CC) qui restreignent la liberté du propriétaire foncier au profit de ses voisins, de façon à faciliter leur coexistence pacifique et à permettre la meilleure exploitation possible de chaque fonds (fonction économico-sociale du droit de voisinage). Les restrictions légales imposées à l’un des propriétaires constituent ainsi une extension de la propriété de son voisin. Le code énonce une règle générale à l’art. 684 CC puis liste diverses situations particulières :

- Les fouilles et les constructions (art. 685-686 CC). - Les plantations (art. 687-688 CC).- L’écoulement des eaux (art. 689-690 CC).- Le besoin d’un propriétaire d’établir des lignes ou des conduites sur le

fonds voisin (art. 694-696 CC).- La question des clôtures (art. 697 CC). - Le problème des sources (art. 706-710 CC).- Les frais de construction et d’entretien des ouvrages nécessaires à

l’exercice du droit de voisinage (art. 698 CC).

L’exercice de la propriété foncière crée forcément certaines influences sur les fonds voisins (bruit, fumée). Les voisins doivent en principe tolérer ces immissions, dans la mesure où elles ne sont pas excessives (art. 684 CC).

Les immissions excessives   :

Les immissions sont des conséquences indirectes que l’exercice de la propriété peut avoir sur les fonds voisin (art. 684 CC). L’art. 684 ne vise donc pas les empiètements directs (stationnement de voiture, dépôt de matériaux) mais seulement les répercussions de l’exploitation d’un fonds hors des limites de

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celui-ci (fumées, odeurs, bruits). L’immission doit être dans une relation de causalité adéquate avec l’exploitation du fonds. On distingue les immissions positives des immissions négatives : les premières font parvenir sur le fonds voisin un élément matériel (poussière) ou immatériel (bruit), les secondes privent le fonds voisin d’un élément dont celui-ci bénéficiait auparavant (ensoleillement, lumière, vue).

Les immissions positives peuvent être matérielles ou psychiques. Elles sont matérielles (insectes, gaz, matière liquide, pollution) lorsque des matières pénètrent sur le fonds voisin ou lorsque des forces y exercent leurs effets (art. 684 al. 2 : pollution de l’air, mauvaises odeurs, bruit, vibrations, rayonnements). Les immissions sont psychiques ou morales (présence d’un abattoir, de malades incurables ou d’un bordel) lorsqu’elles provoquent chez les voisins un sentiment désagréable tel que la répugnance ou l’angoisse. Les immissions négatives sont également visées par l’art. 684 al. 2 (privation de lumière, d’ensoleillement ou de vue). Il faut toutefois distinguer le type d’immission négative considérée :

- Les immissions négatives résultant de restrictions temporaires à l’accès à un fonds (travaux de construction notamment) : on applique l’art. 684. L’art. 679a ne permet toutefois pas d’obtenir l’interdiction de toute immission mais seulement la réparation du dommage causé.

- Les immissions négatives résultant de la seule présence sur le fonds voisin de constructions ou de plantations : l’art. 684 ne joue qu’un rôle subsidiaire : les art. 686 et 688 instituent une réserve au sens propre en faveur du droit cantonal, qui sont compétents pour fixer les distances à respecter pour construire ou planter. L’art. 684 assure toutefois une protection minimale qui peut être invoquée en tout temps.

Positives ou négatives, les immissions ne sont prohibées par l’art. 684 que si elles sont excessives (selon des critères objectifs : homme raisonnable et moyennement sensible). Le pouvoir d’appréciation du juge joue un rôle important (prise en considération de l’ensemble des circonstances du cas concret pour mesurer les intérêts en présence). L’art. 684 al. 2 donne des critères pour apprécier le caractère d’une immission :

- L’immission doit avoir un effet dommageable : cela concerne tant le dommage au sens strict que les simples effets incommodants pour les voisins. Ce critère n’est pas déterminant, une immission provoquant en effet toujours un effet dommageable quelconque.

- L’immission doit excéder les limites de la tolérance dues entre voisins : il faut prendre en considération la situation et la nature de l’immeuble ainsi que l’usage local. Concernant la situation et la nature de l’immeuble, cela signifie qu’il faut tenir compte de l’endroit où se trouve l’immeuble (ville ou campagne, quartier résidentiel, industriel, commerçant ou mixte). Il faut également considérer le développement prévisible (sécurité) du

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quartier. En outre, la réglementation relative à l’aménagement du territoire joue un rôle toujours plus grand (tout comme les règles de la protection de l’environnement ou de la protection contre le bruit). L’usage local (usage étroitement localisé) est d’importance moindre : il faut que l’usage plus ancien ait attribué au quartier un caractère qui subsiste ou encore que la seule arrivée du voisin ait modifié le lieu.

La mise en œuvre des restrictions dérivant du droit de voisinage   :

Dans plusieurs cas, les art. 684 ss indiquent à la fois la règle matérielle et la voie à suivre pour en obtenir la mise en œuvre. Ainsi, celui qui prétend obtenir un droit de ligne, de conduite, de passage ou de fontaine nécessaire (art. 691, 694 et 710 CC) doit, faute d’accord, obtenir du tribunal la constitution de la servitude. De même, selon l’art. 685 al. 2, si un propriétaire constate qu’une construction ne respecte pas le droit de voisinage, il ne peut obtenir la mise en œuvre effective de ces règles qu’aux conditions prévues à l’art. 674 al. 3 (sans quoi il devra se contenter d’une indemnité équitable en échange de la constitution d’une servitude). Des formes particulières de sanctions peuvent être prévues en matière de plantations (art. 687 s.) ou de sources (art. 706-708). En plus des voies de droit des art. 684 ss, il existe une sanction générale sous forme d’actions à raison de l’atteinte et en responsabilité contre le propriétaire foncier qui excède son droit. Prévue aux art. 679 s. CC, elle s’applique dans toutes la mesure où les art. 684 ss ne prévoient pas de règles spéciales. Dans la pratique, elle est surtout utilisée pour la violation de l’art. 684. L’art. 679 al. 1 accorde deux types d’actions au voisin lésé :

- Une action en cessation de l’atteinte et une action en prévention de l’atteinte (non prévue par l’art. 679 al. 1, admise par la jurisprudence) : ces actions visent à défendre le droit lui-même du voisin en remettant les choses en ordre ou en prenant les mesures en vue d’écarter le danger. De même, une action en constatation de droit est possible.

- Une action en réparation du dommage : cette action tend à obtenir la réparation du dommage qu’aurait subi le voisin. L’art. 679 al. 1 introduit donc une responsabilité (causale, objective) du propriétaire d’immeuble pour les dommages causés à ses voisins par une violation des art. 684 ss.

Avant de présenter les conditions communes, il convient de préciser le champ d’application des art. 679 s. par rapport à d’autres règles proches.

En tant que propriétaire, le voisin peut notamment protéger son droit par l’action négatoire (art. 641 al. 2) et diriger cette action contre tout perturbateur (incluant naturellement le propriétaire d’un fonds voisin). Toutefois, les atteintes provenant des voisins ne rentrent dans le champ d’application de l’art. 641 al. 2 que s’il s’agit d’atteintes directes (voisin agissant directement sur le fonds du demandeur). Si l’atteinte n’est qu’une conséquence indirecte (et souvent

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involontaire) de l’exercice du droit de propriété sur un autre fonds, ce sont les art. 679 s. qui s’appliquent (excluant 641 al. 2). Les art. 670 s. sont donc une lex specialis par rapport à 641 al. 2 pour le cas où l’atteinte provient du fait qu’un voisin excède son droit de propriété en violant les art. 684 ss CC.

En tant que possesseur de son fonds, le voisin peut agir à raison du trouble de sa possession (art. 928 CC). Pouvant être dirigée contre un voisin, elle présente de grands avantages par rapport aux art. 679 s. CC (rapidité de la procédure). Si l’atteinte provient d’un excès dans l’exercice de la propriété sur un fonds, il y a concours d’action entre l’art. 928 et les art. 679 s. CC (l’illicéité du trouble, selon l’art. 928, sera jugée conformément aux règles du droit de voisinage). Les deux actions se différencient quant au délai pour agir (pas de délai pour l’action à raison de l’atteinte prévue à l’art. 679 al. 1, délai prévu par l’art. 929 pour l’action de l’art. 928 CC) et quant aux effets (l’action de l’art. 928 ne règle pas le litige).

Il peut arriver que l’excès dans l’exercice du droit de propriété sur un fonds cause aussi une atteinte aux droits de la personnalité des voisins (émanation toxique touchant la santé). Le voisin pourra alors agir par le biais des art. 28 ss et / ou par le biais de art. 679 s. CC (concours d’action). L’action des art. 28 ss présente des avantages liés au for (art. 20 let. a CPC) et à la possibilité d’obtenir la réparation du tort moral (art. 47 et 49 CO).

Les conditions communes des art. 679 s. CC   :

Les 4 actions (cessation, prévention, constatation et réparation) sont subordonnées à un certain nombre de conditions communes :

- Les conditions personnelles :o La qualité pour agir : elle appartient au voisin, autrement dit à la

personne qui est propriétaire de l’immeuble voisin (possesseur immédiat ou non) et qui a la maîtrise effective de l’immeuble par l’effet d’un droit réel limité (usufruit ou droit de superficie, mais non droit de gage) ou d’un droit personnel (locataire ou fermier). La notion d’immeuble voisin varie selon la norme du droit de voisinage que l’on applique : les art. 687-688 suppose la contigüité du fonds, au contraire des art. 684-685 ou 689 (des immeubles situés à plusieurs kilomètres d’une usine d’où proviennent des émanations toxiques peuvent être considérés comme voisins au sens de l’art. 684 CC).

o La qualité pour défendre : il faut distinguer selon que l’immeuble d’où provient l’atteinte dépend de personnes privées ou d’une collectivité publique :

L’atteinte provient d’un fonds appartenant à une personne privée : la qualité pour défendre est reconnue au

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propriétaire mais aussi au titulaire du droit réel limité (ou du droit personnel) qui a l’usage du fonds.

L’atteinte provient d’un fonds appartenant à une collectivité publique : lorsque le fonds relève du patrimoine fiscal, la question est réglée par les art. 679 s. CC. Ces dispositions s’appliquent également aux fonds dont l’usage est commun ou qui appartiennent au patrimoine administratif (litige de droit civil malgré tout). L’application de ces art. ne doit toutefois pas entraver la collectivité publique dans l’accomplissement de ses tâches. Ainsi, les art. 679 s. ne s’appliquent pas si l’excès est inévitable ou ‘sil ne peut être évité que moyennant des frais disproportionnés.

- Les conditions matérielles : l’admission de toutes les actions est subordonnée à la réalisation des trois conditions suivantes :

o L’excès (dépassement des limites assignées à la propriété foncière par le droit du voisinage) : il y a excès (art. 679) si un comportement humain en connexité avec l’utilisation et / ou l’exploitation du fonds viole les dispositions du droit de voisinage restreignant le droit de propriété. Cela implique 4 points :

L’excès doit être un fait de l’homme (excluant les faits naturels : avalanche, éboulement ou glissement de terrain).

Le comportement humain doit être en connexité avec l’exercice du pouvoir de fait sur le fonds (exploitation, utilisation du fonds : pas de rapport fortuit).

L’excès doit provenir de l’utilisation d’un fonds et se produire sur un autre fonds, sous réserves des servitudes de superficie (le superficiaire peut agir contre le propriétaire du fonds) et des propriétaires d’étages (les propriétaires d’étages peuvent agir entre eux).

L’excès doit consister dans la violation des règles du droit de voisinage (art. 684 ss CC). Il est de plus logique que si le voisin a donné son consentement au comportement dommageable, l’atteinte n’est pas illicite. En outre, lorsque la violation résulte d’une immission négative provenant de la présence d’une construction ou d’une installation, les actions de l’art. 679 al. 1 ne sont admises que si les dispositions régissant la construction ou l’installation en vigueur n’ont pas été respectées (art. 679 al. 2).

o L’atteinte (actuelle ou menaçante) aux droits du voisin : l’excès commis par le défendeur doit causer une atteinte aux droits du voisin. Il peut s’agir d’un dommage mais aussi d’une atteinte qui ne constitue pas un dommage au sens strict. Il n’est pas nécessaire que le fonds soit affecté dans son intégrité, il suffit que les effets de

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l’excès se fassent sentir sur les personnes qui séjournent sur le fonds ou sur les choses mobilières qui s’y trouvent.

o Le rapport de causalité entre l’excès et l’atteinte : on applique simplement les règles ordinaires sur la causalité naturelle et adéquate (fardeau de la preuve au demandeur).

Les conditions particulières et l’objet des actions   :

Chaque action a des conditions propres et un but (objet) particulier :

- L’action en cessation de l’atteinte : elle tend à la suppression de l’état de choses qui est à l’origine de l’atteinte. L’action a pour objet la suppression de la cause de l’atteinte sur le fonds d’où elle provient L’action n’est pas soumise à des conditions matérielles particulières (à part le caractère actuel de l’atteinte : le comportement à l’origine de l’atteinte doit se poursuivre au moment de l’ouverture de l’atteinte). En tant qu’action réelle, elle ne se prescrit pas (sauf cas d’abus de droit d’un propriétaire tolérant pendant longtemps une immission excessive). Le for de l’action est au lieu où est situé le RF dans lequel est (ou devrait être) immatriculé l’immeuble (art. 29 al. 1 let. a CPC).

- L’action en prévention de l’atteinte : elle tend à faire interdire un comportement qui causerait des immissions excessives sur le fonds voisin. Pas prévue à l’art. 679 mais admise par la jurisprudence, elle n’est pas subordonnée à des conditions matérielles supplémentaires (à part le caractère hautement vraisemblable de l’atteinte).

- L’action en constatation de droit : admise par la doctrine, elle tend à faire constater par le juge soit la licéité du comportement de l’auteur de l’immission soit l’illicéité du comportement du voisin. Elle a un caractère subsidiaire : elle est ouverte quand les autres actions ne sont pas disponibles mais que le demander a un intérêt suffisant.

- L’action en réparation du dommage : elle tend à obtenir la réparation des dommages causés au demandeur par les immissions négatives. Le demandeur doit alors prouver le dommage et la relation de causalité entre l’atteinte et le dommage, la faute n’importe par contre pas (responsabilité objective). L’action en réparation du dommage se prescrit selon l’art. 60 CO. Il faut réserver les cas d’immissions excessives licites, lorsqu’elles sont temporaires et inévitables : leur interdiction serait disproportionnée. L’art 679a CC prévoit alors des dommages-intérêts.

Les droits d’accès sur le fonds d’autrui   :

En plus des restrictions dérivant du droit du voisinage, le code prévoit un second groupe de restrictions légales de droit privé à la propriété foncière : les droits d’accès sur le fonds d’autrui (art. 699-701 CC). Au contraire des restrictions liées au droit de voisinage, ces restrictions ont été introduites en faveur de toute

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personne (et non seulement des voisins). La loi liste trois cas qui font exception au principe selon lequel le propriétaire peut interdire à quiconque l’accès à son fonds (art. 641 al. 2) :

- Chacun a libre accès aux forêts et pâturages d’autrui et de s’approprier les baies, champignons et autres menus fruits qui y poussent (art. 699 CC).

- Chacun peut pénétrer sur le fonds d’autrui pour y récupérer des épaves ou des animaux échappés (art. 700 CC).

- Chacun peut utiliser le fonds d’autrui en cas de nécessité (art. 701 CC).

Les restrictions de droit public   :

La propriété n’est pas limitée que par des restrictions de droit privé prévues dans l’intérêt des particuliers, elle est également limitée par de nombreuses règles établies dans l’intérêt public (art. 702 CC). La compétence de la confédération d’édicter des restrictions de droit public résulte des dispositions constitutionnelles qui lui attribuent le pouvoir de légiférer dans divers domaines touchant de près ou de loin à la propriété foncière (art. 26 Cst.). Les cantons tirent eux-aussi leur compétence de la constitution fédérale (art. 3) et l’art. 702 CC ne fait que rappeler leur compétence d’édicter des restrictions de droit public. Toutes les restrictions de droit public doivent avoir une base légale, être justifiées par un intérêt public ou par la protection d’un droit fondamental d’autrui et être proportionnées au but visé (art. 36 Cst.). De plus, lorsqu’elles équivalent à une expropriation (matérielle), ces restrictions ne peuvent être mises en œuvre que contre le versement d’une indemnité (art. 26 al. 2 Cst.). De même, lorsque la restriction émane d’un canton, elle ne doit pas éluder les règles de droit civil ou en violer la lettre ou l’esprit. On peut voir trois caractéristiques communes aux restrictions de droit public :

- Édictées pour un motif d’intérêt public, elles échappent à la disposition des particuliers et ne peuvent donc en principe pas être supprimées ou modifiées par une convention ultérieure (art. 680 al. 3).

- Les autorités administratives doivent veiller d’office à l’observation de ces restrictions (sans préjudice au droit d’intervention des particuliers).

- Les litiges relatifs à ces restrictions sont en principe de la compétence des autorités administratives et leur mise en œuvre est assurée par les moyens de la contrainte administrative (sanctions administratives).

Comme pour les restrictions de droit privé, on distingue les restrictions de droit public d’une part selon qu’elles affectent le pouvoir de disposer de l’immeuble ou l’usage et la jouissance de celui-ci et d’autre part selon leur caractère direct ou indirect. De même, comme les restrictions de droit privé et pour les mêmes motifs, les restrictions de droit public existent sans être inscrites au RF (art. 680 al. 1). C’est donc au droit public de gérer leur publicité. Les restrictions étant de plus en plus nombreuses, il est devenu nécessaire (en plus de l’utilisation de

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mentions au RF et de la mise à disposition du public des informations dans les services de l’administration fédérale, cantonale ou communale) d’harmoniser les informations foncières officielles (art. 75a al. 3 Cst.). Deux voies ont été suivies :

- La mention de certaines restrictions est désormais obligatoire (art. 962 CC, entrée en vigueur le 1er janvier 2012). Les restrictions de droit public résultant d’une décision concrète et individuelle (prise après le 1er janvier 2012 et ayant un effet durable) affectant le propriétaire de l’immeuble (art. 962 al. 1). La règle peut limiter négativement le droit du propriétaire d’utiliser l’immeuble ou celui d’en disposer ou, au contraire, obliger positivement le propriétaire à un certain comportement. L’obligation de requérir la mention vise également toute modification ultérieure de la restriction, y compris l’extinction des effets (art. 962 al. 2). Les cantons sont en outre libres de prévoir d’autres mentions, mais doivent alors communiquer la liste à la confédération (art. 962 al. 3 et 129 al. 3-4 ORF).

- Un cadastre des restrictions de droit public renseigne sur les autres restrictions non-mentionnées au RF (art. 16-18 LGéo). Le cadastre doit répertorier les restrictions de droit public qui ne font pas l’objet d’une mention au RF selon l’art. 962 (art. 16 al. 1 ORF). Il s’agit donc logiquement des décisions qui ont un caractère général et abstrait et qui valent pour un ensemble d’immeubles situés dans un certain périmètre. Il contient les restrictions de droit public dans les domaines définis par le conseil fédéral (plans d’affectation cantonaux et communaux, sites pollués et périmètres de protection des eaux souterraines) et ceux que les cantons aimeraient ajouter (art. 16 al. 3 LGéo). L’introduction du cadastre est complexe et prend du temps (phase pilote jusqu’en 2015, introduction finale au plus tard en 2020). Le cadastre est tenu par canton et doit être accessible sous forme électronique et de manière centralisée (art. 16 al. 4 LGéo). Comme les mentions au RF, il est censé être connu (art. 17 LGéo) mais ne bénéficie pas de la foi publique.

La propriété mobilière   :

La propriété mobilière est régie par les art. 713-729 (plus les dispositions générales sur la propriété : art. 641-654a CC, applicables tant aux meubles qu’aux immeubles). La réglementation spéciale est principalement consacrée à l’acquisition et à la perte de la propriété mobilière (art. 714-729). La propriété sur un meuble peut être individuelle ou collective (copropriété ordinaire ou propriété commune). Une PPE en matière mobilière est naturellement exclue. L’objet de la propriété mobilière est la chose mobilière, les animaux et certaines forces naturelles (art. 713 et 641a CC). Une chose mobilière est une chose qui peut se transporter d’un lieu dans un autre, sans altération sensible de sa substance. Trois éléments caractérisent donc la chose mobilière :

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- Il doit s’agir d’une chose : une chose est une portion délimitée et impersonnelle de l’univers matériel qui est susceptible de maîtrise humaine. La chose mobilière peut être un corps solide ou un fluide (pour autant qu’il soit retenu dans un récipient). Les droits ne sont pas des meubles et ne peuvent donc pas être objets de propriété mobilière.

- Le meuble doit soit se déplacer par ses propres moyens, soit être déplaçable : les animaux peuvent se déplacer et les choses inanimées peuvent être déplacées par une force extérieure.

- La chose doit être mobilière : une chose n’est mobilière que si elle n’est pas reliée à un immeuble ou à un autre meuble de façon à être partie intégrante (pas d’existence juridique propre) à celui-ci. En principe, les fruits naturels non séparés (art. 643 al. 2), les constructions (art. 667 al. 2) et les plantations (art. 667 al. 2 et 727) sont parties intégrantes de par la loi. Une fois séparées de la chose complexe, les parties intégrantes (re)deviennent des choses mobilières. Les accessoires par contre restent toujours des choses mobilières (art. 644 al. 2).

Il existe un certain nombre de cas particuliers. Certaines choses mobilières ne sont en effet pas soumises aux règles ordinaires sur la propriété mobilières :

- Les bateaux : tous les bateaux sont des meubles. Toutefois, en raison de leur dimension, l’application des règles sur la propriété mobilière aux bateaux pose parfois problèmes. Ainsi, les grands bateaux de la navigation intérieure et les navires de mer peuvent être soumis à une régime juridique qui se rapproche de celui des immeubles.

- Les aéronefs : pour les mêmes motifs que les bateaux, il se justifie aussi de soustraire les avions et autres aéronefs à l’application des art. 713 ss et de les soumettre à un régime juridique analogue à celui des immeubles.

- Les papiers-valeurs et autres titres de créance : le papier-valeur est une chose mobilière (feuille de papier) sur lequel un droit est reconnu. Cependant, parce la valeur du support matériel est généralement insignifiante par rapport à la valeur du droit reconnu, les règles sur la propriété mobilière s’effacent en principe devant celles relatives à la titularité du droit reconnu. Ainsi, on présume que le droit sur le papier appartient au titulaire du droit reconnu sur ce même papier.

La propriété mobilière porte également sur les animaux (qui ne sont pas des choses, art. 641a mais à qui on applique les règles applicables aux choses) et sur certaines forces naturelles. L’art. 713 assimile aux choses mobilières les forces naturelles susceptibles d’appropriation et qui ne sont pas comprises dans les immeubles. Les forces naturelles ne sont donc objets de propriété mobilières que moyennant la réalisation de deux conditions :

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- Elles doivent être susceptibles d’appropriation : elles doivent avoir été captées et être utilisables par l’homme à ses fins.

- Elles ne doivent pas être comprises dans les immeubles. L’art. 713 fait allusion aux forces naturelles dont le régime est défini par une concession sur les eaux publiques (immatriculée comme immeuble au RF). Dès lors, ces forces naturelles sont régies par le droit foncier.

Les effets de la propriété mobilière   :

Les effets (protection, étendue et restrictions) de la propriété mobilière ne sont pas régis spécialement, il convient donc de se reporter aux règles générales sur la propriété (art. 641 ss CC) ainsi qu’à celles sur la possession (art. 926 ss CC). La protection de la propriété mobilière (PM) est assurée en principe par l’action en revendication et par l’action négatoire (art- 641 al. 2). En pratique toutefois, le propriétaire s’appuiera souvent sur les règles de la possession pour protéger indirectement son droit (les moyens de défense de la possession, art. 926-929 mais surtout les voies de protection judicaire du droit du possesseur, en particulier l’action mobilière, art. 934 et 936). A côté de cela, dans la procédure d’exécution forcée, la protection de la PM revêt la forme d’actions du droit des poursuites (procédure de tierce opposition, art. 106-109 LP et action en revendication des tiers dans la faillite, art. 242 LP). L’étendue de la PM est régie par les art. 642-645 (cas des accessoires, des constructions mobilières et des plantations mobilières).

Il reste donc à examiner les restrictions qui frappent ou peuvent frapper la propriété sur une chose mobilière. Tout comme la propriété foncière, la propriété mobilière peut faire l’objet de restrictions volontaires ou légales. Les restrictions volontaires (droit réel et personnel) peuvent se rapporter au droit d’usage et de jouissance ou au droit de disposer. Le seul droit réel limitant le droit d’usage et de jouissance que peut constituer le propriétaire est une servitude personnelle d’usufruit (art. 745 ss CC). Le propriétaire peut par contre accorder divers droits personnels d’utilisation, principalement par le biais de la location de la chose (bail à loyer ou à ferme, art. 253 ss CO) ou par le biais du prêt de la chose (art. 305 ss CO). Quant au droit de disposer, le propriétaire peut le limiter en constituant un droit de gage mobilier (art. 884 ss CC). Il peut aussi limiter sa liberté d’aliéner un bien mobilier en accordant à un tiers le droit de l’acquérir par les droits d’emption, de préemption ou de réméré.

Les restrictions légales peuvent, comme en matière de propriété foncière être de droit privé ou de droit public. D’une manière générale, l’exercice de la propriété mobilière est plus libre que celui de la propriété foncière. Les seules restrictions de droit privé proviennent des règles sur l’abus de droit, sur la responsabilité, sur les successions et sur les limites de la liberté contractuelle. La plupart des restrictions de la propriété mobilière proviennent ainsi du droit public, qu’il soit

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cantonal ou fédéral. Les cantons peuvent apporter des restrictions à la propriété mobilière par des règles de droit public (réserve au sens impropre, art. 6 CC). Ils peuvent notamment restreindre ou prohiber le commerce de certaines choses ou frapper de nullité les opérations qui s’y rapportent (art. 6 al. 2). La confédération peut, comme en matière foncière, par voie législative, prévoir des restrictions de la propriété mobilière dans la mesure de ses attributions constitutionnelles.

Généralités sur l’acquisition de la propriété mobilière   :

Conformément aux règles générales d’acquisition des droits réels, les modes d’acquisition de la PM peuvent être classés suivant deux critères, selon que la validité du droit dépend ou non de la validité du droit de l’acquéreur et selon le rôle que joue la prise de possession par l’acquéreur. On distingue ainsi acquisition dérivée (validité dépend de l’acquéreur) et originaire (acquisition indépendante) et acquisition moyennant modification de la possession (transfert ou prise de possession) et acquisition sans prise au transfert de possession.

Les modes d’acquisition dérivée de la propriété mobilière   :

Il faut distinguer l’acquisition dérivée moyennant transfert de la possession et l’acquisition dérivée sans transfert de la possession. La première, aussi appelée tradition, est régie par les art. 714-717. Elle suppose un titre d’acquisition et une opération d’acquisition (acte de disposition et transfert de possession ; point 1, conditions ordinaires de la tradition). Diverses règles spéciales peuvent s’appliquer si les parties transfèrent la possession par constitut possessoire (art. 717 ; point 2). Enfin, les parties peuvent prévoir que le transfert n’aura pas lieu tant que l’acquéreur ne lui aura pas versé le montant du prix de vente (pacte de réserve de propriété au sens de art. 715-716 CC ; point 3).

La tradition nécessite un titre d’acquisition (TA) et une opération d’acquisition (OA). Le titre d’acquisition est un acte juridique qui a pour effet d’obliger le propriétaire à transférer la propriété de la chose l’acquéreur. Il peut s’agir d’un contrat de vente, d’échange, de donation, d’apport à une société, de transfert de propriété à titre fiduciaire, de partage (entre vifs) ou de legs (pour cause de mort). Selon le principe de causalité, l’acquisition de la propriété mobilière dépend de la validité du titre d’acquisition (cause valable). Si le TA n’est pas valable ex tunc (inexistence, nullité absolue, invalidation par vice du consentement), l’OA est sans effet : l’aliénateur reste propriétaire et peut revendiquer la chose (sous réserve de l’acquisition par un TdBF ou de la prescription acquisitive). La validité du TA n’est en principe pas liée à une forme particulière (sauf contrats de partage successoral, promesses de donner, ventes à crédit visées par la LCC et ventes avec paiements préalables : forme écrite, et legs, fait dans la forme des dispositions pour cause de mort, art. 498 ss CC). L’OA

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se divise en deux éléments : un acte de disposition et un transfert de possession. L’acte de disposition consiste en un contrat réel (sans exigence de forme) par lequel l’aliénateur et l’acquéreur manifestent leur volonté de transférer (hic et nunc) la propriété de la chose, en exécution du titre d’acquisition. Il s’agit du pendant en matière mobilière de la réquisition d’inscription au RF en matière immobilière. L’acte de disposition intervient en général juste après l’acte générateur de l’obligation de transférer la propriété mais peut tout à fait n’intervenir que plus tard. Le contrat réel peut également contenir des conditions (suspensive ou résolutoire). S’agissant d’un acte de disposition, le contrat réel n’est valable que si l’aliénateur a le pouvoir de disposer de la chose mobilière (nul ne peut transférer à autrui plus de droits qu’il n’en a lui-même). Ce principe souffre une exception : le TdBF est protégé dans son acquisition si les autres conditions du transfert de propriété sont remplies. Pour que l’acquisition de la propriété soit parfaite, il faut que le transfert de la possession complète l’OA par laquelle l’aliénateur exécute l’obligation résultant du TA. Conformément au principe de publicité des droits réels, le transfert de la possession est l’acte matériel propre à produire les effets voulus (transfert) par le contrat réel.

L’art. 717 CC règle de façon spéciale le cas où le transfert de la possession nécessaire à la tradition est opéré par constitut possessoire (art. 924 al. 1). Dans un tel cas, l’acquéreur ne reçoit que la possession originaire de la chose, alors que l’aliénateur reste possesseur dérivé (titre spécial, location ou dépôt par exemples). Ce mode de transfert pourrait donc être utilisé pour faire passer formellement la propriété de la chose à l’acquéreur alors même que l’aliénateur reste possesseur et continue à en tirer tous les profits économiques. Pour éviter cette situation, l’art. 717 prévoit qu’un tel transfert de propriété n’est pas opposable aux tiers s’il a eu pour but de léser ou d’éluder les règles concernant le gage mobilier. De par cette règle, il convient de distinguer les effets que produit un tel transfert entre les parties et envers les tiers. L’acquéreur devient propriétaire de la chose et l’aliénateur devient possesseur dérivé (chose confiée, art. 933). L’acquéreur est possesseur originaire et peut aliéner la chose. Il peut, au besoin, récupérer la chose chez l’aliénateur (en vertu du droit personnel mais aussi par l’action en revendication). Envers les tiers, le transfert est également en principe valable. Il existe toutefois deux exceptions lorsque :

- Le transfert a pour but de léser les tiers : il s’agit du cas où le transfert vise à priver les créanciers de l’aliénateur de leur garantie.

- Le transfert a pour but d’éluder les règles concernant le gage mobilier.

Dans ces deux cas, le transfert de propriété, bien que valable entre les parties, n’est pas opposable aux tiers. Il s’agit ainsi d’un cas exceptionnel de propriété relative. Les tiers peuvent, au besoin, recourir au juge pour faire constater que le transfert ne leur est pas opposable.

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Pour terminer avec l’acquisition dérivée de la propriété mobilière moyennant transfert de possession, il convient de parler de la réserve de propriété. Dans certains cas, alors même que les conditions de la tradition sont remplies (TA et OA), il est possible que l’aliénateur souhaite que la propriété ne soit pas transférée directement mais ultérieurement seulement, une fois le prix de vente payé. Les art. 715-716 offrent ainsi aux parties la possibilité de convenir que, malgré le transfert de possession à l’acquéreur, l’aliénateur se réserve la propriété de la chose. Le but de la réserve est analogue à celui d’un droit de gage, en ce sens qu’elle sert de garantie au payement du prix de l’objet aliéné (et pas pour d’autres créances que l’aliénateur aurait contre l’acquéreur). La réserve de propriété est une modalité de la tradition et s’opère par une convention (pacte) entre l’aliénateur et l’acquéreur et par une inscription dans un registre public tenu par l’office des poursuites. Le pacte de réserve propriété, dans un langage juridique, consiste à introduire une condition suspensive dans le contrat réel passée entre l’aliénateur et l’acquéreur, en ce sens que ceux-ci font dépendre le transfert de la propriété du payement du prix de vente. En fait, la réserve de propriété vise à obtenir le résultat inverse de celui du transfert de propriété par constitut possessoire : l’acquéreur profite économiquement de la chose alors que l’aliénateur en est encore propriétaire. Le risque est alors important que des tiers tirent la conclusion que l’acquéreur est déjà propriétaire.

La deuxième, acquisition dérivée sans transfert de possession, peut avoir lieu dans deux cas principaux : à l’occasion d’une succession universelle premièrement et lors de ventes aux enchères volontaires deuxièmement. Concernant la succession universelle, il s’agit des mêmes cas que pour l’acquisition dérivée d’immeubles sans inscription au RF, à savoir l’acquisition par les héritiers (légaux ou institués), les mutations liées à l’adoption ou à la dissolution du régime de communauté des biens, les mutations consécutives à certaines fusions ou scissions de sociétés ou encore les cas de transferts de société de tout ou partie de leur patrimoine. Dans ces différents cas, le transfert a lieu par la loi, indépendamment du transfert de possession. Pour les enchères volontaires, selon l’art. 253 al. 1 CO, l’adjudicataire d’un meuble lors d’enchères en acquiert la propriété dès l’adjudication. La constitution et l’extinction de la réserve de propriété sont ainsi soumises à des conditions précises. De plus, la réglementation des art. 715-716 CC est complétée par l’art. 217 al. 2 CO et par les art. 9 al. 2 let. i et 18 al. 1 LCC. Le TF a également adopté deux ordonnances en la matière (Ordonnance concernant l’inscription des pactes de réserve de propriété, OIPR, et ordonnance concernant l’épuration des registres des pactes de réserve de propriété) et publié plusieurs circulaires.

L’acquisition originaire de la propriété mobilière avec prise de possession   :

On analysera ici uniquement l’acquisition par un tiers de bonne foi (laissant de côté l’occupation, l’acquisition des choses et animaux trouvés, l’acquisition des épaves, la spécification, la prescription acquisitive ainsi que tous les modes

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d’acquisition originaire de la propriété mobilière sans prise de possession). Selon l’art. 714 al. 2, celui qui, étant de bonne foi, est mis à titre de propriétaire en possession d’un meuble en acquiert la propriété même si l’auteur du transfert n’avait pas qualité pour l’opérer. La propriété lui est acquise à condition qu’il soit protégé par les règles de la possession (art. 933-935). Dans l’intérêt du commerce et de la sécurité des transactions, l’art. 714 al. 2 introduit une dérogation au principe selon lequel l’aliénateur doit avoir le pouvoir de disposer de la chose pour en transférer valablement la propriété. La bonne foi de l’acquéreur a un effet guérisseur sur cette absence du pouvoir de disposer. On dénombre trois cas d’application de ce principe :

- Le bien mobilier acquis par le TdBF avait été confié à l’acquéreur : il s’agit du cas visé par l’art. 933 CC. Dans ce genre de situations, la bonne foi de l’acquéreur est inopérante si l’absence du pouvoir de disposer de l’aliénateur provient de sa faillite prononcée (art. 204 LP).

- Le bien mobilier acquis par le TdBF est de la monnaie ou un titre au porteur : peu importe dans ce cas que ce bien ait été confié à l’aliénateur ou que ce dernier en ait été dessaisi (art. 935 CC).

- L’ancien possesseur s’est fait voler ou a perdu le bien acquis par le TdBF, ou en a été dessaisi de quelqu’autre manière sans sa volonté et le droit de l’ancien possesseur d’ouvrir une action mobilière est périmé (délai de 5 ans en général, art. 934 al. 1). Durant ce délai, l’ancien possesseur peut récupérer le bien par le biais de l’action mobilière et il est alors exclu qu’un TdBF puisse devenir propriétaire. Au-delà de ce délai, l’art. 714 al. 2 s’applique et le premier possesseur de bonne foi du bien après l’écoulement du délai devient propriétaire de ce bien.

Les droits réels limités   :

Les droits réels limités (DRL) sont des droits qui confèrent une maîtrise partielle sur une chose ou un animal. Ils se divisent en trois groupes (principe du numerus clausus des droits réels) : les servitudes, les droits de gage et les charges foncières. Le code traite d’abord des servitudes et des charges foncières (art. 730-792) puis des droits de gage immobiliers (art. 793-783) et enfin des droits de gage mobiliers (art. 884-918). Aussi appelé droit restreint, en raison de la restriction du contenu de la maîtrise, ces droits n’en sont pas moins des droits réels : ils procurent à leur titulaire la maîtrise directe d’une chose et ont le caractère de droits patrimoniaux absolus. Alors que la propriété procure une maîtrise totale, le droit réel limité ne confère que certaines facultés de maîtrise en fonction de sa nature. Un DRL est donc un droit qui confère une maîtrise partielle sur une chose ou un animal. Cette maîtrise partielle peut consister soit dans la faculté d’utiliser et / ou de jouir du bien, soit dans la possibilité de bénéficier de la valeur de garantie représentée par le bien. Dans le premier cas,

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on parle de servitudes alors que dans le deuxième il peut s’agir de charges foncières ou de droits de gage. Tout comme la propriété, les DRL portent sur une chose ou un animal, mais peuvent aussi avoir pour objets des droits distincts et permanents immatriculés au RF, des droits de copropriété ou des créances.

Quant à sa nature, le DRL représente pour le propriétaire du bien grevé une limitation du pouvoir d’exercer les facultés dérivant de la propriété. La constitution d’un DRL peut être comprise comme l’individualisation et le transfert à un tiers de l’une des facultés liées à la propriété (théorie du démembrement) ou comme la compression de la propriété (théorie de la charge). Cette deuxième théorie paraît plus pertinente car on ne peut considérer la propriété comme un ensemble de facultés dont l’une pourrait être détachée des autres. Selon la théorie de la charge donc, la maîtrise du propriétaire tend toujours à une domination totale du bien et ainsi, à l’extinction des DRL, la propriété reprend sa forme initiale (élasticité de la propriété).

Le rang des DRL   :

Il est possible (voire fréquent) que plusieurs DRL grèvent le même bien. Il y a alors concours entre les DRL de nature différente (droit de gage et servitude) ou de même nature (plusieurs servitudes). Ces DRL ne s’excluent pas forcément, il n’y a alors pas de problème de compatibilité (droit de passage et droit de source exercé sur le même fonds). Dans le cas contraire, lorsqu’il y a incompatibilité, en ce sens qu’un ou plusieurs DRL ne peuvent être exercés pleinement en raison de l’existence des autres, il faut déterminer quel est le droit qui doit céder le pas à l’autre en fixant le rang des DRL. Il y a ainsi incompatibilité :

- Entre deux servitudes qui ne peuvent être exercées ensemble : par exemple un droit de superficie et une servitude de non-bâtir.

- Entre deux droits de gage ou deux charges foncières si le produit de la réalisation ne suffit pas à régler les deux créances garanties.

- Entre une servitude et un droit de gage ou une charge foncière si, lors de la réalisation de l’objet grevé, l’existence de la servitude diminue la valeur de l’objet au point que le produit de la réalisation ne suffit plus à couvrir le montant garanti par le gage ou si, avant la réalisation, l’exercice de la servitude déprécie l’objet.

Dans ces 3 cas, il faut déterminer quel DRL prime l’autre (les autres). Le principe est celui de la priorité dans le temps : le droit constitué antérieurement (constitution du droit) l’emporte en général (prior tempore, potior jure). Le principe est énoncé aux art. 972 al. 1, 812 al. 2 et 893 al. 2 CC.

Il s’agit à présent de présenter quelques précisions et exceptions au principe :

- Le principe s’applique sans restriction en cas de collision entre plusieurs servitudes incompatibles. Ainsi, le titulaire d’un usufruit peut exiger que

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la jouissance et l’usage de la chose conférés par son droit ne soient pas troublés par l’exercice d’un droit de superficie postérieur.

- Le principe s’applique aussi aux rapports entre servitudes et droits de gage. Tant qu’un créancier gagiste ne demande pas la réalisation de la chose grevée, la coexistence de ces deux DRL ne pose aucune problème (sauf si l’exercice de la servitude réduit sensiblement la valeur de la chose : dans ce cas, si la servitude a été constituée la première, le créancier gagiste doit accepter cette réduction de valeur, dans le cas contraire, il peut en empêcher l’exercice). Le conflit se manifeste surtout en cas de réalisation du bien grevé. Il faut alors distinguer 2 situations :

o Le bien a d’abord été grevé d’une servitude, puis il a été frappé d’un droit de gage : le droit de gage saisi le bien dans l’état où il se trouvait, donc avec la servitude, qui est donc opposable au créancier gagiste (respect de la servitude).

o Le bien est d’abord grevé d’un droit de gage, puis le propriétaire constitue une servitude : le droit de gage antérieur l’emporte, mais seulement dans la mesure où il peut être établi que la servitude porte atteinte à la valeur du bien. Pour s’en assurer, il faut procéder à une double mise à prix du bien, d’abord grevé de la servitude et ensuite sans la servitude. Ce n’est que si la première offre n’atteint pas le montant de la dette et qu’une offre supérieure est faite lors de la seconde mise à prix que la servitude est radiée.

- Les rapports entre droits de gage sont aussi en principe régis par le principe de priorité dans le temps. Pour les droits de gage mobiliers, la règle vaut sans restriction (art. 893 al. 2). Par contre, le principe souffre quelques exceptions en matière de droits de gage immobiliers. Le rang de ces droits n’est en effet pas lié à la date de leur constitution mais à la case hypothécaire que leur assigne l’inscription. Il est possible de constituer des droits de gage en deuxième rang (ou en rang quelconque) même s’il n’existe encore aucun droit en premier rang (ou en rang antérieur). La ou les cases laissées libres pourront ainsi être occupées ultérieurement. De ce fait, un droit de gage constitué postérieurement peut primer d’autres droits de gage antérieurs. En outre, la radiation d’un droit de gage ne fait pas avancer les autres (principe des cases fixes, art. 814 al. 1). Toutefois, la case hypothécaire occupant elle-même un rang déterminé par la date de sa constitution, l’exception au principe n’est qu’apparente : le système est en fait une application particulière du principe de priorité dans le temps. En cas de réalisation forcée de l’immeuble par ailleurs, on ne tient pas compte des cases libres (art. 815 CC).

- Au final, il n’existe que deux séries de véritables exceptions au principe de la priorité dans le temps :

o Les premières résultent de la loi : la loi accorde parfois un rang privilégié à certains droits de gage légaux directes (art. 808 al. 3,

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810 al. 2 et 836), aux servitudes constitués en exécution d’une restriction légale indirecte de la propriété foncière (art. 674 al. 3, 691, 694 et 710), aux charges foncières de droit public (art. 784), ainsi qu’aux servitudes constituées par voie d’expropriation ou suite à des améliorations foncières.

o Les secondes résultent de la volonté des bénéficiaires de DRL de rang antérieur : le principe de priorité dans le temps étant de droit dispositif, le titulaire d’un DRL peut renoncer au bénéfice du rang affecté à son droit par le biais d’une convention de postposition (art. 812 al. 2). Le propriétaire peut aussi renoncer au bénéfice du système des cases hypothécaires en accordant au créancier gagiste le droit de profiter des cases libres (art. 814 al. 3).

Les DRL sur son propre bien   :

En principe, les DRL existent sur une chose ou un animal appartenant à autrui. Le propriétaire de l’objet n’a en général aucun intérêt à être titulaire d’un DRL sur son propre objet. En droit suisse, il existe pourtant quelques hypothèses où un propriétaire peut avoir un DRL sur son propre bien. Il convient alors de distinguer selon que le DRL a un rang préférable à d’autres DRL grevant ce bien. Si le DRL dont le propriétaire est titulaire est en concours avec d’autres DRL de rang postérieur, le DRL du propriétaire ne s’éteint pas, on parle alors de consolidation partielle. Le propriétaire a un intérêt à conserver le DRL car il lui assure sur le bien une maîtrise partielle qui, sans ce droit, pourrait être remise en cause par les autres droits grevant le bien. Dans le cas contraire (cas de consolidation totale), c’est-à-dire en cas de réunion chez une seule personne de la propriété d’un bien mobilier (il faut distinguer la consolidation totale en cas de bien mobilier et immobilier) et d’un DRL sur celui-ci qui ne l’emporte pas sur d’autres DRL, le droit est éteint. Ainsi, si un bien mobilier n’est grevé que d’un usufruit et que l’usufruitier acquiert le bien, l’usufruit s’éteint. La publicité du DRL n’est plus assurée et l’intérêt que le propriétaire pourrait avoir n’est plus suffisant. Si le bien en cause est un immeuble, le RF permet d’assurer la publicité des DRL. Il est ainsi admis que le propriétaire puisse conserver son DRL. Le code fait référence à cette possibilité dans deux situations :

- Les servitudes du propriétaire sur son propre immeuble :o Lorsqu’un propriétaire, bénéficiaire d’une servitude sur un fonds

voisin, acquiert ce fonds, la servitude ne s’éteint pas. Il peut alors naturellement faire radier la servitude (art. 735 al. 1).

o La personne qui est propriétaire de deux fonds a le droit de grever l’un de servitudes en faveur de l’autre (art. 733). Il doit alors adresser au RF une réquisition d’inscription (en la forme authentique, art. 732 al. 2) de la servitude.

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- Les droits de gage du propriétaire sur son propre immeuble : normalement, c’est le débiteur, propriétaire d’un immeuble, qui constitue un droit de gage en faveur de son créancier. Il peut aussi arriver qu’un propriétaire constitue un droit de gage sur son immeuble pour garantir la dette d’un tiers. Dans un cas comme dans l’autre, les personnes du propriétaire et du créancier gagiste sont distinctes. Il existe toutefois deux situations dans lesquelles ces qualités personnelles sont réunies :

o Les cas où les qualités de propriétaire et de créancier gagiste viennent à se confondre, sans que le droit de gage ne s’éteigne : il peut s’agir du cas où le propriétaire qui a engagé son immeuble pour la dette d’autrui acquiert par la suite la créance garantie (notamment si le propriétaire paye la dette, art. 827 CC et 110 CO). Le propriétaire devient lui-même créancier et est garanti par le droit de gage grevant son propre immeuble. Un second cas est celui où le créancier gagiste acquiert l’immeuble grevé d’un droit de gage en sa faveur. Là encore, le droit ne s’éteint pas.

o Il y a aussi réunion des qualités de propriétaire et de créancier gagiste lorsqu’un propriétaire crée d’emblée un droit de gage en sa faveur sur son propre immeuble. Le propriétaire d’immeuble peut ainsi constituer une cédule hypothécaire à son nom, en se désignant lui-même comme créancier (art. 857 al. 2 et 860 al. 2).

Les servitudes   :

Une servitude (se servir de) est un DRL qui procure à son titulaire l’usage et / ou la jouissance d’un bien. En principe, la servitude a pour objet un bien appartenant à autrui (sauf cas mentionnés ci-dessus). Le code distingue deux grandes catégories de servitudes : les servitudes foncières (art. 730-743) et les autres servitudes, à savoir les servitudes personnelles (art. 745-781a). Les servitudes foncières assujettissent un fonds (le fonds servant) à un autre fonds (le fonds dominant). La servitude appartient cependant toujours au propriétaire actuel d’un certain fonds et est principalement dirigée contre le propriétaire actuel d’un autre fonds. Les servitudes personnelles, au contraire, existent au profit d’une personne déterminée. Il y a toujours un bien servant mais aucun bien dominant : le droit appartient à une personne en tant que telle, et non en tant que propriétaire d’un autre bien. Les servitudes personnelles se divisent en deux catégories (qui seront étudiées après l’étude des servitudes foncières) :

- Les servitudes personnelles proprement dites : elles sont indissolublement liées à une personne déterminée : elles ne passent donc pas aux héritiers du titulaire et ne sont pas cessibles. Il s’agit, de par la loi, de l’usufruit et du droit d’habitation.

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- Les servitudes personnelles irrégulières : cessibles et transmissibles aux héritiers, ces servitudes ne sont pas indissolublement liées à une personne. Le droit de superficie et le droit de source sont en général cessibles et transmissibles de base. Pour les autres servitudes irrégulières, tel n’est pas le cas mais la cessibilité et la transmissibilité peuvent être prévues (art. 781 al. 2). Pouvant avoir le même contenu que les servitudes foncières, la différence tient dans le fait qu’elles sont établies en faveur d’une personne déterminée ou d’une collectivité.

Les servitudes foncières   :

Une servitude foncière est un DRL (1) qui confère au propriétaire actuel d’un immeuble (2) la faculté d’utiliser, sous certains rapports (4), un autre immeuble (3). S’agissant d’un DRL (1), la servitude se distingue de la simple autorisation à bien plaire (à titre précaire) d’utiliser un immeuble et du droit personnel d’utiliser l’immeuble d’autrui (locataire). Seule la servitude présente les caractéristiques d’n DRL et peut donc être inscrite au RF (art. 958). La servitude est irrévocable et n’est en principe pas sujette à conditions. Accordée le plus souvent pour une durée indéterminée, il reste possible d’en fixer d’emblée, de façon certaine, la durée (5, 30 ou 99 ans).

En tant que droit er charge propter rem (2), la servitude foncière est liée à la propriété du fonds dominant : son titulaire est toujours le propriétaire actuel de ce fonds. La servitude est opposable à tous (caractère réel), mais produit l’essentiel de ses effets envers le propriétaire actuel du fonds servant. On peut donc dire que la charge de la servitude est liée à la propriété du fonds servant.

La servitude foncière peut en principe avoir pour objet n’importe quel immeuble au sens de l’art. 655 (3). L’immeuble est grevé dans son entier, quand bien même la servitude ne s’exerce qu’à un endroit donné (servitude de passage).

Enfin, selon l’art. 730 al. 1, la servitude foncière est une charge imposée sur un immeuble en faveur d’un autre immeuble et qui oblige le propriétaire du fonds servant à souffrir, de la part du propriétaire du fonds dominant, certains actes d’usage, ou à s’abstenir lui-même d’exercer certains droits inhérents à la propriété (4). De cette définition ressortent trois éléments :

- Les deux genres de servitudes foncières : o La servitude affirmative : le propriétaire du fonds servant est tenu

de tolérer certains actes d’usage de la part du propriétaire du fonds dominant (art. 730 al. 1).

o La servitude négative : le propriétaire du fonds servant doit lui-même s’abstenir d’actes d’usage qu’il serait normalement en droit de faire (art. 730 al. 1). Le bénéficiaire de la servitude ne se sert pas directement du fonds servant : il n’en use que de manière

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indirecte, profitant, dans l’intérêt de son fonds, de ce que le propriétaire du fonds servant ne peut pas exercer.

- Une charge imposant une attitude passive : la servitude implique pour le propriétaire du fonds servant un charge qui consiste soit en un devoir de tolérance (servitude affirmative), soit dans un devoir d’abstention (servitude négative). Dans tous les cas, c’est une attitude passive qui est attendu de lui. Dans cette caractéristique réside une des différences entre servitudes foncières et charges foncières : le contenu spécifique de ces dernières étant en effet une prestation positive que doit faire le propriétaire du fonds grevé, et non une attitude passive.

- Une utilisation partielle de l’immeuble grevé : la servitude foncière ne peut conférer à son titulaire qu’une utilisation partielle du fonds grevé (art. 730 al. 1). La servitude foncière se distingue ainsi de l’usufruit, qui confère en général à son titulaire la plénitude de l’usage et de la jouissance d’un bien. C’est précisément pour cette raison que la servitude foncière (au contraire de l’usufruit, art. 749, et du droit de superficie, art. 779l) peut être constituée sans limite de temps.

Les caractéristiques de la servitude foncière ayant été vues, il convient à présent de parler du principe de la libre détermination du contenu de la servitude et de ses limites. Les parties qui constituent une servitude sont en principe libres d’en déterminer le contenu (art. 19 CO) et donc de préciser les facultés d’usage qui seront attribuées au propriétaire du fonds dominant ou celles dont le propriétaire du fonds servant devra s’abstenir. Il reste naturellement impossible de constituer en servitude foncière un usufruit ou un droit d’habitation (qui sont des servitudes personnelles proprement dites). A l’inverse, il est possible de constituer en servitude foncière un droit de superficie ou un droit de source. La liberté des parties est également limitée par 4 points de vue :

- Un contenu licite : la servitude doit avoir un contenu licite (art. 20 CO). Elle ne saurait en particulier supprimer ou modifier une restriction de droit public à la propriété foncière (art. 680 al. 3).

- Un intérêt raisonnable du propriétaire du fonds dominant : le propriétaire du fonds dominant doit avoir un intérêt raisonnable à la servitude (selon l’appréciation subjective de l’ayant droit). L’intérêt doit justifier la création d’un droit opposable à tous et ne pas constituer la satisfaction d’une pure lubie pour laquelle le RF ne saurait être utilisé.

- Une restriction de la propriété du fonds servant : la servitude ne peut impliquer qu’une restriction de la propriété du fonds servant et non de certains aspects de l’activité du propriétaire non liés au fonds. Les servitudes négatives ne sont admissibles que si l’activité à laquelle le propriétaire renonce affecte l’état matériel de l’immeuble, l’aspect extérieur ou le caractère économique de celui-ci (servitude de non-bâtir ou servitude interdisant la construction d’un bâtiment déterminé). En ce

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qui concerne les servitudes interdisant simplement l’exploitation sur un fonds d’un industrie ou d’un commerce, elles ne sont admissibles que si elles sont formulées de telle façon qu’elles affectent la manière d’utiliser le fonds lui-même (selon le Tribunal fédéral, une interdiction d’exercer sur un fonds une activité professionnelle affecte toujours le caractère économique et social de l’immeuble).

- L’absence de prestation principale positive : enfin, la servitude foncière ne doit pas consister en une prestation positive (art. 730). Il est impossible d’ériger en servitude l’obligation de livrer de l’eau à l’ayant droit. Ce genre de buts ne peut être atteint (avec des effets réels) que par une charge foncière. De même, il n’est pas possible d’intégrer à la servitude l’obligation de payer une redevance pour l’octroi du droit et/ou pour son exercice (charge foncière à nouveau). La servitude ne peut également pas interdire au propriétaire toute utilisation de son fonds. Il reste par contre possible de constituer une obligation de faire à titre accessoire (art. 730 al. 2). La règle permet ainsi aux parties de prévoir que le propriétaire du fonds servant doit faciliter ou assurer l’exercice de la servitude par des prestations positives (liées le plus souvent à l’entretien des ouvrages ou installations nécessaires). On peut citer par exemple l’obligation d’entretenir le sentier ou la passerelle sur lesquels s’exerce le droit de passage ou l’obligation d’entretien des conduites et bassins nécessaires au captage, dans le cadre d’une servitude de source. Cette obligation accessoire ne lie en principe que le propriétaire du fonds servant qui en est convenu. Les parties peuvent toutefois prévoir que l’obligation liera tout acquéreur du fonds (effet de rattachement propter rem obtenu grâce à l’inscription de l’obligation accessoire au RF, art. 730 al. 2 CC et 21 al. 2 Titre final CC). Cela ne vaut toutefois pas pour les obligations accessoires constituant une dérogation à la répartition de la charge d’entretien (art. 741 al. 2) qui ont un caractère propter rem dès qu’elles résultent des pièces justificatives du RF (contrat constitutif).

La constitution des servitudes foncières   :

La constitution des servitudes foncières obéit aux règles générales (acquisition moyennant inscription ou sans inscription et acquisition origine ou dérivée). Le code ne règle que partiellement la question de l’acquisition (art. 713-733). Pour le reste, il faut se référer aux règles sur l’acquisition de la propriété foncière (art. 731 al. 2). Il convient ici surtout de distinguer selon que la constitution de la servitude a lieu moyennant inscription ou sans inscription.

La constitution moyennant inscription   :

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L’inscription au RF est en principe nécessaire à la constitution d’une servitude foncière (art. 731 al. 1). On applique donc les règles sur l’inscription constitutive (principe absolu de l’inscription). On distingue alors trois cas en fonction du TA :

- La constitution des servitudes foncières en vertu d’un acte juridique en faveur d’un tiers : ce mode d’acquisition correspond à l’acquisition dérivée de la propriété foncière moyennant inscription, il exige donc un titre d’acquisition et une opération d’acquisition :

o Le titre d’acquisition : il s’agit d’un contrat constitutif de servitude (ou d’une disposition pour cause de mort portant legs sur la servitude). Il confère au bénéficiaire une créance tendant à la constitution d’une servitude. La servitude est en général accordée volontairement par le propriétaire du fonds servant mais il peut arriver qu’il soit obligé de passer le contrat parce que le cocontractant est au bénéfice d’une restriction légale de la propriété foncière (droit de passage nécessaire, art. 694 ou droit à la conduite nécessaire, art. 691). L’acte constitutif doit contenir tous les éléments servant à déterminer la charge imposée au propriétaire du fonds grevé (fonds dominant et fonds servant, contenu de la servitude, volonté des parties, caractère réel et éventuellement obligations accessoires). Si la servitude ne s’exerce que sur une partie de l’immeuble, l’acte constitutif doit préciser quelle est l’assiette de la servitude (si nécessaire avec l’aide d’un extrait de plan de registre foncier, art. 7 OMO). Concernant la forme de l’acte, il y a deux situations :

Si la servitude est prévue dans un acte pour cause de mort, les formes de cet acte doivent être respectées (art. 498 ss).

Pour le contrat constitutif, l’art. 732 al. 1 exige la forme authentique, sous réserve des deux exceptions suivantes :

Lorsqu’une servitude légale est constituée d’entente entre les parties et que le contrat reconnaît l’existence d’un titre légal, la forme écrite suffit. La loi est ainsi le véritable fondement (indirect) de la servitude et justifie donc l’exception.

Les servitudes constituées dans un contrat de partage successoral peuvent l’être dans la forme écrite exigée pour ce contrat (art. 634 al. 2).

o L’opération d’acquisition : l’opération d’acquisition consiste en un acte de disposition et en un acte matériel :

L’acte de disposition : l’acte de disposition est la réquisition d’inscription de la servitude au registre foncier. Il nécessite le pouvoir de disposer du constituant.

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L’acte matériel : il s’agit de l’inscription au RF. Selon l’art. 968, la servitude doit être inscrite aux feuillets du fonds servant et du fonds dominant. Seule l’inscription au feuillet du fonds servant est toutefois essentielle à la constitution de la servitude. Cette inscription doit alors désigner le fonds bénéficiaire de la servitude, faute de quoi l’inscription est lacunaire et la servitude pas valablement constituée.

- La constitution des servitudes du propriétaire : lorsque la servitude est constituée en faveur du propriétaire, le titre d’acquisition consiste dans la volonté même du propriétaire, manifestée par la réquisition (dressée en la forme authentique) d’inscription au RF. La seule pièce justificative à fournir au conservateur est d’ailleurs précisément une réquisition, devant contenir les mêmes éléments que le contrat constitutif de servitude.

- L’acquisition de bonne foi du fonds dominant : une servitude foncière, pourtant nulle parce que reposant sur un titre d’acquisition non valable, peut prendre naissance lors de l’acquisition du fonds dominant par un tiers de bonne foi (protection de la bonne foi).

La constitution sans inscription   :

Le code ne mentionne que le cas de la prescription acquisitive (art. 713 al. 3) mais le renvoi de l’art. 731 al. 2 aux règles de la propriété concerne également les autres modes d’acquisition sans inscription :

- La prescription acquisitive : les règles sur la prescription acquisitive de la propriété foncière (art. 661-663) sont applicables par analogie aux servitudes foncières (tant pour la prescription ordinaire qu’extraordinaire). L’art. 731 al. 3 ajoute seulement que la prescription acquisitive des servitudes n’est possible qu’à l’égard des immeubles dont la propriété peut elle-même s’acquérir de cette manière.

- Les autres modes de constitution d’une servitude foncière sans inscription : par le renvoi de l’art. 731 al. 2 aux règles sur l’acquisition de la propriété foncière, plusieurs autres modes d’acquisition sans inscription s’appliquent aux servitudes foncières (principe relatif de l’inscription). Ce sont l’occupation (lorsque le fonds servant n’a pas de propriétaire), l’expropriation et les cas analogues (selon la législation fédérale ou cantonale), l’adjudication dans les enchères forcées (servitude figurant sur l’extrait du RF ou produite par un tiers n’existant en réalité pas, mais non contestée) et le jugement. Il faut également ajouter le cas des servitudes de conduite qui prennent naissance sans inscription, au sens des art. 676 al. 3 et 691 al. 3 CC.

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L’extinction des servitudes foncières   :

L’extinction des servitudes foncières est traitée aux art. 734-736 CC. Il convient d’examiner premièrement les modes d’extinction en général avant d’analyser spécialement les modes d’extinction régis par le code.

En principe, les servitudes s’éteignent moyennant une radiation au RF (radiation extinctive, cas le plus fréquent étudié ci-dessous) mais la loi prévoit certains cas d’extinction indépendante d’une telle opération (radiation rectificative). Il faut également préciser que le droit suisse ne prévoit ni prescription extinctive (en cas de non-usage de la servitude), ni usucapio libertatis par le propriétaire du fonds qui accomplirait durant une période prolongée des actes en opposition avec la servitude. Dans les cas d’extinction indépendante de la radiation, l’extinction résulte de la loi. La radiation n’a finalement pour seul but que de mettre le RF en harmonie avec la réalité juridique. On distingue tout de même deux situations, selon l’importance de la radiation :

- Les modes d’extinction laissant subsister l’apparence de la servitude : dans ce cas, la radiation vise à supprimer l’apparence du droit et. notamment, à exclure la reconstitution de la servitude à l’occasion d’une acquisition de bonne foi du fonds dominant. On peut citer l’exemple de l’extinction par suite d’expropriation. Il s’agit des cas suivants :

o L’expropriation et les cas analogues.o L’adjudication dans les enchères forcées.o Le jugement : le cas le plus important est celui de la libération

judiciaire des servitudes (art. 736) et sera étudié lui aussi ci-dessous. Une servitude peut également prendre fin par l’effet d’un jugement rendu en exécution de l’obligation prise par le propriétaire du fonds dominant de renoncer à son droit (art. 665).

o La renonciation à la servitude : il s’agit de l’acte de disposition par lequel le propriétaire du fonds dominant renonce hic et nunc à son droit (et non simplement l’engagement de requérir la radiation de l’inscription). La renonciation éteint immédiatement la servitude. Comme l’extinction par radiation (acte juridique) et par jugement, la renonciation sera étudiée ci-dessous.

- Les modes d’extinction enlevant toute portée à l’inscription : la cause d’extinction est alors tellement importante que le maintien de l’inscription ne peut produire aucun effet, même à l’égard de celui qui s’y fierait de bonne foi. La radiation n’est alors qu’une mesure d’ordre. On peut citer l’exemple de la disparition totale du fonds servant. Il s’agit notamment des 4 causes suivantes :

o La perte totale du fonds dominant ou du fonds servant.o L’impossibilité de l’exercice.o La déréliction du fonds dominant.

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o L’expiration du temps pour lequel la servitude a été constituée.

Il s’agit maintenant d’analyser trois modes d’extinction (dont on a brièvement parlé plus haut), à savoir l’extinction en vertu d’un acte juridique (radiation), l’extinction fondée sur la volonté du propriétaire du fonds dominant (renonciation) et l’extension par libération judiciaire (jugement) :

- L’extinction des servitudes inscrites en vertu d’un acte juridique : s’agissant de l’opération inverse de la constitution des servitudes, elle suppose un titre d’acquisition et une opération d’acquisition :

o Le titre d’acquisition : il s’agit d’un contrat (sans forme) ou d’un legs (formes des dispositions pour cause de mort) obligeant le propriétaire du fonds dominant à supprimer la servitude.

o L’opération d’acquisition : acte de disposition et acte matériel : L’acte de disposition : il consiste dans une réquisition

formelle de radiation adressée par le propriétaire du fonds dominant au conservateur du RF (art. 963 al. 1). La réquisition étant causale, elle suppose la validité du titre d’acquisition (art. 974). Lorsque des tiers ont sur le fonds dominant des droits affectés par la suppression, la radiation ne peut être opérée qu’avec leur consentement.

L’acte matériel : il s’agit de la radiation à proprement parler, qui doit être opérée par le conservateur du RF et éteint la servitude matériellement et formellement (art. 734). Elle doit être opérée sur le feuillet du fonds servant (décisive) et sur celui du fonds dominant.

- L’extinction des servitudes inscrites fondée sur la seule volonté du propriétaire du fonds dominant : l’existence d’une véritable cause (titre) d’extinction n’est pas forcément nécessaire. Le propriétaire du fonds dominant peut simplement décider de renoncer à la servitude. Ce peut être le cas si le propriétaire, de son propre mouvement ou à la demande du propriétaire du fonds servant, requiert la radiation de la servitude ou déclare consentir à la radiation de celle-ci. Cette situation peut également se produire lorsque deux fonds sont réunis dans la même main. Dans les deux cas, la radiation n’a qu’un caractère déclaratif car la servitude s’éteint de par la loi du seul fait de la déclaration de renonciation du bénéficiaire. Précisons encore que, si des tiers ont des droits réels limités sur le fonds dominant (usufruit, gage, etc.), leur consentement est nécessaire, aux mêmes conditions que pour l’extinction de la servitude sur la base d’un acte juridique (par radiation).

- La libération judiciaire des servitudes : l’art. 736 donne au propriétaire du fonds grevé la faculté de requérir du juge la suppression totale ou partielle d’une servitude ayant perdu toute utilité pour le fonds dominant ou n’ayant plus qu’une utilité réduite hors de proportion avec les charges

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imposées au fonds servant. Il est en effet logique que la servitude s’éteigne lorsqu’elle ne présente plus un intérêt raisonnable pour le propriétaire du fonds dominant. La libération judiciaire se fonde sur la préoccupation de libérer la propriété foncière de charges qui n’ont plus raison d’être (et par la notion de d’abus de droit et de clausula rebus sic stantibus). Comme on vient de le dire, on distingue la servitude qui a perdu toute utilité de la servitude ne conservant qu’une utilité réduite :

o La servitude ayant perdu toute utilité : il existe 3 conditions pour appliquer l’art. 736 al. 1 CC :

Le propriétaire du fonds dominant doit n’avoir plus d’intérêt raisonnable au maintien de la servitude.

L’intérêt doit avoir définitivement disparu : il ne doit pas pouvoir renaître dans un avenir prévisible.

L’utilité de la servitude doit être appréciée au vu de son contenu et de son étendue (art. 738-739) et en fonction du but pour lequel elle a été constituée (identité).

Si les conditions sont remplies, le propriétaire du fonds servant peut s’adresser au juge pour obtenir la suppression de la servitude et ce sans avoir à payer d’indemnité (art. 736 al. 1).

o La servitude ne conservant qu’une utilité réduite : à nouveau, les conditions d’application de l’art. 736 al. 2 sont au nombre de trois :

Les faits aggravant la charge pour le fonds servant doivent être postérieurs à la constitution de la servitude. L’art. 736 ne peut servir à corriger une disproportion initiale.

L’utilité de la servitude doit s’être réduite et apparaître comme hors de proportion avec les charges imposées au fonds servant. Ce qui est décisif, c’est que l’intérêt au maintien de la servitude soit devenu proportionnellement ténu, peu importe la raison (diminution de l’intérêt du propriétaire du fonds dominant ou aggravation de la charge pour le propriétaire du fonds servant).

Le propriétaire du fonds servant ne peut obtenir la libération de la servitude que s’il indemnise le propriétaire du fonds dominant (art. 736 al. 2). Il s’agit ainsi d’une forme d’expropriation privée (les règles de l’expropriation par rapport à la fixation de l’indemnité s’appliquent d’ailleurs).

Lorsque ces conditions sont remplies, le juge prononce la suppression totale ou partielle de la servitude et fixe le montant de l’indemnité. Le jugement, comme dans le cas de l’art. 736 al. 1, est déclaratif : la servitude s’éteint de par la loi dès que l’indemnité est versée (les effets des jugements sont donc conditionnés au paiement de l’indemnité).

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Les effets des servitudes foncières   :

La servitude foncière confère à son titulaire une maîtrise directe, de portée limitée, sur le fonds grevé. Cette maîtrise s’exerce sans le concours du propriétaire du fonds grevé (fonds servant), qui est simplement tenu, comme un tiers quelconque, de respecter le droit réel du titulaire. Il n’existe en principe aucun rapport d’obligation entre le propriétaire du fonds dominant et celui du fonds servant (un tel rapport peut résulter de l’art. 741 ou être prévu à titre accessoire par les parties, art. 730 al. 2). En dehors de ces deux cas, on reconnaît l’existence d’une relation particulière qui donne lieu à l’application des règles de la bonne foi (art. 2 CC). Pour le reste, les effets des servitudes foncières sont régis par les art. 737-741. L’art. 737 et l’art. 741 définissent la position de l’ayant droit et celle du grevé (point 1). Les art. 738 et 740 règlent le contenu de la servitude (point 2). L’art. 739 établit le caractère fixe du contenu (point 3). Enfin, les effets des servitudes concernent aussi la protection des droits du titulaire (point 4).

La situation de l’ayant droit implique pour lui des facultés et des devoirs. Concernant les premières, celui à qui la servitude est due peut prendre toutes les mesures nécessaires pour la conserver et pour en user (art. 737 al. 1). Il doit néanmoins exercer son droit de la manière la moins dommageable (art. 737 al. 2, servitus civiliter exercenda). En principe, seul l’ayant droit peut exercer les facultés conférées par la servitude. Toutefois, la servitude couvrant l’ensemble des besoins du fonds dominant, elle doit aussi profiter à ceux qui acquièrent des droits sur ce fonds (locataires, usufruitiers, superficiaires). Par contre, le propriétaire du fonds dominant ne peut en principe pas céder à d’autres tiers l’exercice de la servitude. Quant aux devoirs, il arrive fréquemment que l’exercice d’une servitude soit lié à certains ouvrages ou installations sur le fonds servant (conduite, chemin, passage, prise d’eau, fontaine). L’entretien de ces éléments incombe naturellement à celui qui en profite. L’art. 741 al. 1 met ainsi les frais d’entretien de ces installations à la charge de l’ayant droit. S’ils profitent aussi au propriétaire du fonds grevé, la charge de l’entretien incombe aux deux parties. Les règles de l’art. 741 n’étant pas de droit impératif, les parties peuvent y déroger. La situation du grevé est évidemment liée à la situation de l’ayant droit. Le propriétaire du fonds servant doit souffrir toutes les atteintes à sa propriété qui sont nécessaire à l’exercice de la servitude. Il ne peut en aucun cas rendre plus incommode ou empêcher l’exercice de la servitude (art. 737 al. 3). Le propriétaire peut tout de même imposer à l’ayant droit certaines incommodités qui ne gênent pas sensiblement l’exercice de la servitude, notamment des mesures visant à réduire ou à supprimer les effets dommageables de la servitude (il y a lieu de peser les intérêts en présence pour déterminer quelles mesures peuvent être imposées à l’ayant droit). Il s’agit là d’un cas d’application du principe servitus civiliter exercenda qui prévoit que l’ayant droit doit s’abstenir de mesures gênant particulièrement le propriétaire du fonds grevé.

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Quant au contenu de la servitude, l’art. 971 al. 2 précise que le contenu peut être précisé, dans les limites de l’inscription, par les pièces justificatives ou de toute autre manière. L’art. 738 reprend ce principe (lex specialis) en matière de servitudes. Selon ce principe donc, l’inscription fait règle puisqu’elle désigne clairement les droits et obligations dérivant de la servitude (art. 738 al. 1). Il faut donc se reporter en priorité à l’inscription (au feuillet du fonds servant) pour déterminer le contenu d’une servitude. Si l’inscription est claire, les autres moyens d’interprétation (contrat constitutif en particulier) ne peuvent être pris en considération que dans les limites qu’elle fixe. Tout de même, l’inscription étant très sommaire, il est souvent nécessaire de recourir à ces autres éléments pour déterminer l’origine de la servitude et la manière dont la servitude a été exercée pendant longtemps (mode antérieur d’exercice). L’origine de la servitude réside dans le titre d’acquisition, à savoir le contrat constitutif déposé comme pièce justificative au RF. L’interprétation de ce titre permet d’établir la réelle et commune intention des parties ou, lorsque cela n’est pas possible, la volonté des parties conformément au principe de la confiance. Précisons que le tribunal est apte à combler une lacune proprement dite présente dans le titre d’acquisition. Concernant le mode antérieur d’exercice de la servitude, on précisera qu’il s’agit de la manière dont la servitude a été exercée paisiblement et de bonne foi (art. 738 al. 2). Ce long (plus que quelques années) usage paisible et de bonne foi n’a pas le caractère d’une prescription acquisitive : il s’agit simplement d’un moyen d’établir la portée que les parties ont voulu donner à la servitude. Précisons pour finir que le contenu des servitudes doit être interprété restrictivement, les droits du propriétaire grevé ne devant être restreints que dans la mesure nécessaire à l’exercice normal de la servitude.

Les besoins nouveaux du fonds dominant n’entraînent aucune aggravation de la servitude (art. 739 CC). Par aggravation il faut entendre une augmentation notable dans la charge résultant de la servitude. L’exercice d’une servitude est en effet souvent soumis à certains fluctuations (aggravation mais aussi atténuation). Pour juger s’il y a aggravation, il faut partir de l’intérêt que la servitude avait pour le fonds au moment de sa constitution. Cet intérêt doit ensuite être comparé avec l’intérêt actuel, déterminé sur la base de données objectives. Il y a alors aggravation de la servitude lorsque celle-ci est utilisée dans un but autre que celui que les parties avaient en vue lors de sa constitution.

La protection des servitudes est, comme la protection de la propriété, double  : le titulaire bénéficie de la protection de la possession (art. 926-929) et de la protection de son droit en tant que tel (art. 737 al. 1). Dans tous les cas, l’action tendant à la défense de la servitude peut être complétée par une action en dommages-intérêts aux conditions des art. 41 ss CO. La protection de la possession diffère (dans le cheminement) selon que la servitude est affirmative ou négative. Dans le premier cas, le titulaire jouit des moyens de protection de la possession prévus aux art. 926-929 (droit de défense, réintégrante et action à

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raison du trouble). Si la servitude est négative, l’exercice effectif du droit est assimilé à la possession (art. 919 al. 2), faisant en sorte que, même sans avoir la maîtrise effective du fonds servant, le titulaire dispose des moyens de défense de la possession. La protection du droit se fonde sur l’art. 737 al. 1 qui précise que l’ayant droit peut prendre toutes les mesures nécessaires pour conserver sa servitude. Il peut ainsi ouvrir une action en constatation de la servitude ou, à des conditions analogues à celles admises pour la propriété (art. 641 al. 2) intenter une sorte d’action en revendication et une action négatoire (souvent appelée action confessoire). L’action en revendication sera utilisée lorsque le titulaire de la servitude est totalement empêché d’exercer son droit, Si la servitude est inscrite au RF, l’ayant droit pourra invoquer la présomption attachée à cette inscription et agira par l’action tirée de l’inscription (art. 937 al. 1). L’action confessoire peut être dirigée contre celui qui prétend à un droit incompatible avec la servitude (si le droit est inscrit au RF, l’action se doublera d’une action en rectification du RF, art. 975) ou contre quiconque trouble l’exercice de la servitude, y compris le propriétaire du fonds grevé (art. 737 al. 3). Elle tend dès lors à faire cesser l’état de chose incompatible avec la servitude et / ou à faire interdire tout nouveau trouble à l’avenir.

La modification des servitudes foncières   :

Certains faits nouveaux (au contraire des besoins nouveaux du fonds) autorisent des modifications de la servitude en faveur du propriétaire du fonds servant. A certaines conditions en effet (art. 742), le propriétaire du fonds grevé peut exiger que la servitude soit exercée ailleurs que là où elle l’a été jusqu’alors (on parle alors de changement dans l’assiette de la servitude). Il existe en outre un problème en cas de division du fonds. Si le fonds dominant est divisé, la servitude doit alors continuer à grever chaque parcelle (art. 743 al. 3) mais cette règle souffre des exceptions pour des raisons analogues à celles qui ont inspiré l’art. 736 al. 1. Dans la mesure où la servitude a perdu sa raison d’être, elle doit être supprimée sur le(s) fonds issu(s) de la division (art. 743 al. 2-3).

L’usufruit et le droit d’habitation   :

L’usufruit est la servitude qui confère à une personne déterminée la jouissance complète d’une chose ou d’un droit (art. 745 al. 2). Il comprend donc le droit d’usage et le droit de jouissance (art. 755 al. 1). L’usufruit (usus fructus) confère à son titulaire le droit d’utiliser l’objet grevé. Il bénéficie des droits de suite et de préférence (droit réel) et fonde un rapport de possession dérivée. Un rapport d’obligation légal se greffe en plus sur l’usufruit entre le propriétaire actuel de l’objet grevé (nu-propriétaire) et l’usufruitier : des droits et des obligations réciproques naissent pour l’un et pour l’autre (le nu-propriétaire est donc destinataire du droit absolu mais aussi titulaire et destinataire des droits

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personnels relatifs découlent de sa relation avec l’usufruitier). L’usufruit est une servitude personnelle proprement dite, indissolublement liée à la personne de son titulaire (par opposition aux servitudes personnelles irrégulières). L’usufruit est incessible (seul son exercice peut être transféré, art. 758). Il est également intransmissible et ne passe donc pas aux héritiers mais s’éteint à la mort de l’usufruitier (art. 749). L’usufruit peut être constitué en faveur d’une seule personne (physique ou morale) ou en faveur de plusieurs personnes déterminées. Dans ce dernier cas, on applique les règles sur la copropriété (co-usufruit) ou sur la propriété commune (usufruit commun). Selon l’art. 745 al. 1, l’usufruit peut être établi sur des meubles, des immeubles, des droits ou un patrimoine (seule servitude pouvant porter sur des choses mobilières). Selon les objets susceptibles d’être grevés, on distingue 5 types d’usufruit :

- L’usufruit proprement dit : il porte sur un corps certain, meuble ou immeuble. Il s’agit du cas normal, décrit par la loi (art. 746-767).

- Le quasi-usufruit : il porte sur des choses consomptibles (art. 722 al. 1-3).- L’usufruits sur des choses évaluées ou usufruit de disposition :

l’usufruitier a le droit de disposer de choses mobilières qui ont été estimées lorsqu’elles lui ont été remises (art. 722 al. 2-3).

- L’usufruit des droits (créances notamment) : cet usufruit peut notamment être transformé en quasi-usufruit, selon l’art. 775 CC.

- L’usufruit d’un patrimoine : il se présente comme la somme des usufruits portant sur les choses et les droits qui composent le patrimoine (art. 766).

Le droit d’habitation est une servitude qui confère à son titulaire le droit de demeurer dans une maison ou d’en occuper une partie (art. 776 al. 1). Comme l’usufruit, il s’agit d’une servitude personnelle proprement dite, incessible et intransmissible (art. 776 al. 2). Toutefois, au contraire de l’usufruit, il ne procure qu’une jouissance limitée sur l’immeuble grevé (droit de l’utiliser pour habiter). De plus, au contraire de l’usufruit à nouveau, son exercice ne peut être cédé (droit éminemment personnel). Outre ces deux différences, les deux droits sont très proches et l’art. 776 al. 3 soumet le droit d’habitation aux règles de l’usufruit sauf disposition contraire de la loi.

Les servitudes personnelles irrégulières   : le droit de superficie   :

Seul le droit de superficie sera étudié ici (on peut citer le droit de source ou les autres servitudes de l’art. 781 comme autres servitudes personnelles irrégulières). Le droit de superficie (art. 779-779l) est la servitude en vertu de laquelle une personne a la faculté d’avoir ou de faire des constructions sur ou en-dessous du fonds grevé (art. 779 al. 2). Il donne la possibilité de dissocier la propriété du fonds de la propriété des constructions qui s’y trouvent au moment de la constitution ou qui sont édifiées par la suite. Le droit de superficie tient ainsi en échec le principe de l’accession (art. 667) : le titulaire du droit de

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superficie devient propriétaire des constructions et autres ouvrages établis au-dessus et au-dessous du fonds grevé (art. 675 al. 1). Le droit de superficie peut être constitué en servitude foncière ou en servitude personnelle :

- Servitude foncière (en faveur du propriétaire actuel d’un fonds).- Servitude personnelle (en faveur d’une personne nommée) : seule cette

situation est visée par les art. 779 ss CC. Il peut alors être distinct ou non  : il est distinct si sa cessibilité et sa transmissibilité n’ont pas été supprimée (art. 7 al. 2 ch. 1 ORF). Il peut également être permanent ou non : il est permanent s’il est établi pour 30 ans au moins ou pour une durée indéterminée (art. 7 al. 2 ch. 2 ORF). S’il s’agit d’un droit distinct et permanent (au sens de l’art. 7 al. 2 ch. 1-2), il peut être immatriculé comme immeuble au RF (art. 779 al. 3 et 943 al. 1 ch. 2), ce qui est souvent le cas dans la pratique.

Le champ d’application des art. 779a ss dépend du type de droit superficie :

- Les art. 779b-h s’appliquent à tous les droits de superficie personnels.- L’art. 779l ne s’applique qu’aux droits distincts.- L’art. 779a ne s’applique qu’aux droits distincts et permanents.- L’art. 779d al. 1 in fine, al. 2-3, l’art. 779i et l’art. 779k ne s’appliquent que

si le droit de superficie est immatriculé au registre foncier.

La constitution du droit de superficie est régie par les règles applicables aux servitudes foncières (contrat en la forme écrite suivi d’une inscription au RF). Il est toutefois nécessaire de faire les deux réserves suivantes :

- Si le droit de superficie est distinct et permanent, le contrat constitutif n’est valable que s’il est passé en la forme authentique (art. 779a).

- Si le droit est distinct, il ne peut pas être constitué pour plus de 100 ans (art. 779l al. 1). Le droit peut par contre en tout temps être prolongé, en la forme prescrite pour sa constitution, pour une nouvelle durée maximum de 100 ans (art. 779l al. 2).

Quant au transfert, sauf convention contraire, le droit de superficie est cessible et passe aux héritiers (art. 779 al. 2). Les créanciers du superficiaire peuvent saisir son droit et celui-ci peut le grever de droits de gage ou de servitudes. Le transfert concerne donc tant le changement de titularité du droit que la constitution de DRL sur celui-ci. Lorsqu’il n’est pas immatriculé comme immeuble au RF, le transfert s’opère indépendamment du RF (règles prévues pour la cession de créance, art. 165 CO, et règles pour la constitution des DRL sur les droits, art. 745 et 899 ss, appliquées par analogie). Le transfert requiert ainsi une déclaration écrite du superficiaire : le transfert du droit emporte nécessairement le transfert des constructions et ouvrages concernés par ce droit. Lorsque le droit est immatriculé comme immeuble au RF, le transfert obéit aux règles valables pour les immeubles (contrat de cession en la forme authentique).

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Lorsque le droit de superficie est distinct et permanent, le propriétaire du fonds grevé a un droit de préemption légal contre tout acquéreur du droit de superficie (art. 682 al. 2). Le superficiaire dispose lui-aussi d’un droit de préemption légal contre tout acquéreur du fonds grevé, seulement dans la mesure où c fonds est mis à contribution par le droit de superficie (art. 682 al. 2). Ces droits de péremption visent la réunion de la propriété du fonds et de celle des constructions et permettent d’éviter à l’une des parties de devoir traiter avec un tiers qui ne lui convient pas. Ces droits sont analogues au droit de préemption légal des copropriétaires (art. 682 al. 1). Il s’agit de restrictions légales directes du droit de disposer (non cessibles et non transmissibles, art. 681 al. 3), qui grèvent de plein droit la servitude de superficie et l’immeuble grevé. A la différence du droit de préemption conventionnel, ce droit peut être exercé en cas de réalisation forcée, lors des enchères mêmes et aux conditions de l’adjudication (art. 681 al. 1 et art. 60a ORFI). Ce droit de préemption ne peut par contre être invoqué en cas d’aliénation au titulaire d’un droit de préemption légal de même rang ou de rang préférable (art. 681 al. 2). Le propriétaire et le superficiaire ont la possibilité de modifier le droit de préemption dont ils sont titulaires de par la loi en passant une convention en la forme authentique (art. 680 al. 1 et 681b al. 1), convention qui peut être annotée au RF.

Il s’agit à présent de présenter les effets du droit de superficie. D’une manière générale, les règles présentées à propos des servitudes foncières s’appliquent, sous réserve des 4 précisions suivantes :

- Le contenu du droit réel de superficie : le droit permet à son titulaire d’être propriétaire des constructions et autres ouvrages qui existent sur l’immeuble grevé lors de la constitution du droit ou qu’il a fait édifier par la suite sur cet immeuble (art. 779). Le superficiaire peut aussi utiliser le sol avoisinant la construction et prendre les mesures nécessaires à l’exercice du droit (implicitement comprises dans l’octroi du droit). Le contenu précis du droit est défini par l’acte constitutif (surface qui peut être bâtie, emplacement de celle-ci, types de constructions, utilisation des surfaces non-bâties). Ces clauses définissant le contenu même du droit sont bien évidemment opposables aux tiers (art. 779b).

- Les obligations conventionnelles entre propriétaire du sol et superficiaire : le droit de superficie, à la différence de l’usufruit, ne fait pas naître un rapport d’obligation qui s’ajoute aux devoirs nés du droit. Le superficiaire n’a donc pas le devoir d’entretenir l’ouvrage, ni celui de l’assurer, ni même celui de construire si le fonds grevé n’est pas encore bâti. Naturellement, propriétaire et superficiaire peuvent naturellement assortir la constitution du droit d’obligations conventionnelles (paiement d’une contre prestation par exemple). Ces engagements ne lient que le superficiaire et ne sont donc pas opposables aux tiers (en général, le superficiaire s’engage à les faire reprendre par le cessionnaire).

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- La répartition des charges : il est logique que le superficiaire supporte tous les frais (charges privées) liés à la construction et à l’entretien des bâtiments et ouvrages dont il est propriétaire ainsi qu’à l’utilisation des surfaces non bâties dont il fait usage.

- Le retour anticipé : comme sanction en cas d’excès dans l’exercice du droit ou en cas de violation des obligations contractuelles du superficiaire, l’art. 779f donne au propriétaire un droit de retour anticipé (possibilité de priver le superficiaire de sa servitude). Le droit de superficie ne s’éteint alors pas mais est simplement transféré au propriétaire, qui devient titulaire d’un DRL sur son propre immeuble (il serait plus exact de parler de rétrocession du droit). Ce retour anticipé est soumis à deux conditions :

o Le superficiaire doit avoir gravement violé ses devoirs (art. 779f) : le superficiaire peut soit avoir gravement excédé son droit réel (dépassé les limites de l’emprise, construit un bâtiment de nature autre que celle prévu) soit avoir gravement violé ses obligations contractuelles (manquement dans l’exploitation ou l’entretien du bâtiment, tel qu’il aurait dû le faire).

o Le propriétaire doit verser au superficiaire une indemnité équitable pour les constructions qui lui échoient : cette indemnité ne doit pas forcément représenter un dédommagement complet, la faute du superficiaire pouvant être retenue comme facteur de réduction (art. 779g al. 1). L’indemnité doit être versée au superficiaire (ou au moins garantie) avant que le droit ne puisse être rétrocédé au propriétaire (art. 779g al. 2 CC).

Si les conditions sont remplies, le propriétaire doit demander la rétrocession du droit de superficie. Si les parties parviennent à se mettre d’accord, elles procèderont à ce transfert selon les formes ordinaires. Dans le cas contraire, c’est le juge qui doit ordonner le transfert, une fois l’indemnité payée ou garantie. Le droit de superficie est cédé au propriétaire avec tous les droits et charges qui y sont rattachés (art. 779f) en particulier les droits de gage qui le grèvent. Le propriétaire, devenu titulaire d’un droit de superficie sur son propre immeuble, ne peut le faire radier que moyennant le consentement des personnes ayant un DRL sur celui-ci (usufruit, droit de superficie au second degré, droit de gage). En général, le propriétaire cherchera plutôt à aliéner le droit de superficie (vendant ainsi les constructions auxquelles il donne droit).

Il s’agit à présent de parler de la rente superficiaire et de sa garantie. Le droit de superficie étant généralement accordé moyennant une contre-prestation, celle-ci peut consister en un versement unique ou, plus fréquemment, dans le service d’annuités ou d’autres montants périodiques (rente du sol). L’obligation de payer une rente est une dette personnelle du superficiaire et donc non rattachée au

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droit de superficie à titre d’obligation propter rem (ce faisant, elle ne passe pas à l’acquéreur du droit de superficie). Généralement toutefois, le propriétaire et le superficiaire conviendront que ce dernier conviendra avec l’acquéreur du droit d’une reprise de dette de rente (art. 175 CO). Il subsiste alors un problème : l’obligation de payer la rente n’étant pas garantie de plein droit par un droit de gage sur le droit de superficie, il appartient aux parties de régler conventionnellement la garantie de la rente. Il suffit en fait au propriétaire d’avoir une garantie pour quelques annuités seulement (hypothèque pour un montant correspondant à quelques versements périodiques). Il est alors essentiel qu’en dérogation aux règles ordinaires le droit de gage ne soit pas radié lors de sa mise en œuvre car le propriétaire se retrouverait alors privé de toute protection pour l’avenir. Ainsi, les art. 779i et k instituent une hypothèque légale pour renforcer la position du propriétaire. Il s’agit d’une hypothèque légale indirecte, la loi conférant au propriétaire le droit d’en exiger la constitution. Ce droit à la garantie, propter rem, n’existe qu’à 2 conditions :

- Le montant garanti vaut au maximum trois annuités (art. 779i al. 1) : les annuités peuvent être inégales mais l’hypothèque demandée doit alors représenté trois annuités (art. 779i al. 2 CC).

- Le droit de superficie doit être immatriculé au RF (art. 779i al. 1).

L’hypothèque prend naissance par son inscription au RF (la loi en est le titre). Les dispositions relatives à la constitution de l’hypothèque légale des artisans et entrepreneurs s’appliquent par analogie (art. 779k al. 2). Concernant ses effets, l’hypothèque prend rang à la date de sa constitution (règles ordinaires, art. 972 et 961 al. 2). Elle n’est pas armée d’un privilège et, en cas de réalisation forcée, n’est pas radiée après que le propriétaire a reçu la part du produit de la réalisation qui lui est du (art. 779k al. 1 in fine CC).

Pour terminer avec le droit de superficie, il s’agit de parler de son extinction. Le droit de superficie s’éteint pour les causes qui mettent fin aux servitudes foncières, la cause la plus fréquente étant la survenance du terme extinctif dont les parties sont convenues (30, 50 ou 100 ans). Les parties peuvent aussi décider de mettre fin à la servitude par un contrat extinctif. Le superficiaire peut aussi renoncer à son droit en requérant sa radiation au RF. Enfin, le propriétaire peut exiger la libération judiciaire aux conditions de l’art. 736 CC. A l’extinction du droit, le principe de l’accession reprend force et le propriétaire acquiert la propriété des constructions, qui deviennent parties intégrantes du fonds (art. 779c). En principe, il n’acquiert pas gratuitement la propriété des constructions mais doit, sauf convention contraire, verser au superficiaire une indemnité équitable (art. 779d). La question de cette indemnité peut être réglée d’avance (art. 779e) en fixant les critères propres à établir le montant, la procédure à suivre. Il est aussi possible de supprimer toute indemnité, ce qui implique que le superficiaire devra amortir totalement ses constructions avant l’extinction du droit. Il est également possible de prévoir le rétablissement de l’état primitif du

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fonds (destruction des constructions et remise en état du terrain). Les conventions prévoyant les éléments ci-dessus doivent être passées en la forme prescrites pour la constitution du droit et ne lient que les parties au contrat (et leurs successeurs universels). Il reste possible de les faire annoter au RF, ce qui les rend opposables aux tiers. Dans un délai de trois mois dès l’extinction du droit, l’ancien superficiaire peut requérir l’inscription d’une hypothèque légale en garantie de l’indemnité due si celle-ci n’est ni payée ni garantie par le propriétaire. L’hypothèque est alors inscrite à la place du droit de superficie radié et prend le rang de celui-ci (art. 779d al. 2-3 et 50 al. 2 ORF). Fréquemment, le superficiaire, pour obtenir des crédits de constructions, constitue des droits de gage sur la servitude de superficie. Se pose alors la question de la protection des créanciers gagistes garantis par le droit de superficie. A l’extinction du droit de superficie, les créanciers gagistes devraient normalement perdre leur droit, faute d’objet. L’art. 779d al. 1 prévoit toutefois, pour les protéger, que leur droit de gage porte désormais sur la créance en indemnité du superficiaire. Il y a en fait subrogation réelle : le droit de gage grevant le droit de superficie est reporté ispo jure sur la créance en indemnité lors de l’extinction du droit de superficie. De ce fait, l’indemnité ne peut être versée au superficiaire qu’avec le consentement des créanciers gagistes. Il reste toutefois possible que le propriétaire ne paye pas l’indemnité (cas de réalisation forcée dirigée contre ce propriétaire : créance d’indemnité impayée). Pour éviter cela, si l’indemnité n’est ni payée ni garantie, les créanciers gagistes (comme l’ancien superficiaire) peuvent requérir l’inscription d’une hypothèque légale (indirecte) en garantie de l’indemnité due.

Les charges foncières   :

La charge foncière procure à son titulaire la faculté d’exiger du propriétaire actuel d’un immeuble certaines prestations, dont ce dernier ne répond que sur cet immeuble (art. 781 al. 1). Il s’agit de la combinaison d’une obligation rattachée à un immeuble et d’une garantie spéciale procurée par celui-ci :

- Une créance : il s’agit du droit personnel permettant d’exiger du propriétaire actuel de l’immeuble grevé une certaine prestation. Tout nouveau propriétaire de cet immeuble en devient de plein droit débiteur (art. 792 al. 1 CC : il s’agit d’une dette propter rem).

- Une charge réelle : elle consiste dans l’assujettissement de l’immeuble à la garantie de la dette. La garantie du créancier est limitée à la valeur de réalisation de l’immeuble : le créancier ne peut prétendre être payé que sur le produit de réalisation de l’immeuble (art. 782 al. 1 et 791 al. 1). Cet inconvénient est toutefois compensé pour le créancier par le caractère prioritaire de la garantie fournie : le montant obtenu lors de la réalisation forcée de l’immeuble est attribué en priorité au titulaire de la charge foncière (comme pour en cas de droits de gage).

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Les droits de gage immobiliers   (DdGI)   :

Les droits de gage immobiliers peuvent prendre deux formes : l’hypothèque et la cédule hypothécaire (art. 793). La systématique du code en la matière est la suivante (révision entrée en vigueur le 1er janvier 2012) :

- Art. 793-823 CC : dispositions générales et communes (point 1). Cela nous amènera à parler de 8 points, répartis en deux catégories :

o Notion, constitution et extinction des droits de gage immobiliers : Notion et espèces de droits de gage immobiliers. Constitution des droits de gage immobiliers. Extinction des droits de gage immobiliers.

o Effets généraux des droits de gage immobiliers : L’étendue des droits du créancier. La protection des créanciers hypothécaires. Le rang des droits de gage immobiliers. La réalisation du gage. Les autres institutions communes.

- Art. 824-841 CC : l’hypothèque en particulier (point 2).- Art. 842-865 CC : la cédule hypothécaire en particulier (point 3).- Art. 866-874 CC : articles concernant la lettre de rente, abrogés.- Art. 875 CC : les obligations (nominatives ou au porteur) foncières.- Art. 876-883 CC : articles concernant la lettre de rente, abrogés.

Notion, constitution et extinction des droits de gage immobiliers   :

Il s’agit de présenter la notion, la constitution et l’extinction des droits de gage immobiliers. Ces trois thèmes sont présents dans le code aux art. 793-804 CC.

Notion et espèces de droits de gage immobiliers   :

Le droit de gage est un DRL qui assujettit une chose à la garantie d’une créance en capital. Cet assujettissement veut que si la dette n’est pas exécutée le créancier gagiste peut faire réaliser la chose à son profit : la garantie est fournie par le droit prioritaire du créancier à la valeur de réalisation de la chose. Le droit de gage immobilier est donc le droit qui permet à son titulaire de faire réaliser l’immeuble à son profit afin d’obtenir le paiement de la créance garantie. La constitution d’un DdGI peut viser deux buts principaux :

- La garantie d’une créance : il s’agit le plus souvent de garantir une créance (souvent un emprunt à long terme fait par le propriétaire pour acquérir l’immeuble grevé ou pour financer une construction). Dans ce genre de cas, le remboursement de la dette se fait par annuités correspondant à quelques pourcents de la somme (amortissements).

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- La mobilisation de la valeur du sol : lorsqu’un propriétaire immobilier constitue un DdG, il individualise la valeur de réalisation de l’immeuble et la détache de l’immeuble pour la confier au créancier gagiste. Ce dernier peut selon sa volonté disposer de vctte valeur en cédant la créance garantie (le droit de gage profitera alors au cessionnaire, art. 170 CO). Cette possibilité est même favorisée par l’incorporation la créance (et le DdGI) dans un papier-valeur (cédule hypothécaire et, jadis, lettre de rente). La valeur de réalisation de l’immeuble est dès lors contenue dans le papier-valeur et peut être aliénée avec toutes les facilités et tous les avantages liés au transfert des papiers-valeurs. La cédule hypothécaire permet donc de mobiliser (rendre mobilière) la valeur de l’immeuble.

Comme le précise l’art. 793 al. 1, il n’existe que deux espèces de DdGI : l’hypothèque et la cédule hypothécaire (lettre de rente abrogée en 2012). L’hypothèque sert en général à garantir une créance et la cédule hypothécaire est un papier-valeur (droit de gage négociable). L’hypothèque s’épuise dans sa fonction de garantie, il s’agit d’un droit accessoire attaché à la créance (droit principal). La créance garantie a une existence propre, distincte de celle du droit de gage : elle subsiste sans lui et la constitution du droit de gage n’exerce sur elle aucune influence (pas de novation). La créance garantie peut être une créance quelconque et le débiteur peut être une personne autre que le propriétaire de l’immeuble grevé (art. 824 al. 1-2).

L’hypothèque ne peut être incorporée dans un papier-valeur, alors que la créance oui (plutôt rare). Lorsque la créance garantie n’est pas contenue dans un papier-valeur, elle se transfère comme une créance ordinaire (art. 164 ss CO). Exceptionnellement, la créance garantie peut être incorporée dans un papier-valeur. Tel est notamment le cas pour les obligations hypothécaires, au porteur ou nominatives (reconnaissances de dettes mises sous forme de papiers-valeurs et garanties par une hypothèque, art. 965 CO). Au contraire de la cédule hypothécaire, l’obligation hypothécaire n’incorpore pas le droit lui-même mais seulement la créance garantie. Au contraire de l’hypothèque, la cédule hypothécaire permet de garantir une créance et de mobiliser la valeur du sol (émission d’un papier-valeur, nominatif ou au porteur, qui incorpore créance et droit de gage, art. 859 al. 1). Si le papier est nominatif, la cédule hypothécaire a le caractère d’un titre à ordre (art. 1145 ss CO) alors que s’il est au porteur, il s’agit d’un titre au porteur (art. 978 ss CO). La créance et le droit de gage forment un tout indissociable : la créance n’existe pas indépendamment du droit de gage. L’émission du papier-valeur entraîne le détachement de la créance du rapport juridique de base (novation, art. 855 CC, sauf convention contraire). La créance nouvelle prend la forme d’une reconnaissance de dette abstraite (puisqu’elle n’énonce pas la cause de l’obligation). La créance garantie étant incorporée dans un papier-valeur, il n’est pas possible de faire valoir le droit ou de la transférer indépendamment du titre. On peut définir la cédule hypothécaire comme une

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créance personnelle garantie par un gage immobilier : le débiteur d’une cédule hypothécaire répond de la dette sur l’immeuble grevé par le droit mais également sur tous ses biens. Sa situation est donc analogue à celle du débiteur d’une dette garantie par une hypothèque. Précisons en outre que le débiteur peut être une personne autre que le propriétaire de l’immeuble grevé (art. 845 al. 1 CC). La lettre de rente, abrogée en 2012, était une créance constituée en charge foncière sur un immeuble.

La constitution des droits de gage immobiliers   :

Il s’agit premièrement de préciser quelles sont les conditions matérielles relatives à la constitution des DdGI (art. 794-798). La constitution d’un DdGI obéit au principe de spécialité, tant pour la créance garantie (art. 794-795) que pour l’immeuble grevé (art. 796-798). L’une et l’autre doivent être déterminés :

- La spécialité du droit de gage quant à la créance garantie : le droit de gage est un droit accessoire dépendant du droit principal qu’est la créance garantie. Le DdG ne s’actualise que si la créance garantie existe et suit cette créance si elle est cédée (art. 170 CO). Il est donc nécessaire que cette créance soit déterminée de façon suffisante lors de la constitution du droit de gage, tant par rapport au capital que par rapport aux intérêts :

o Le capital : un DdGI ne peut être constitué que pour garantir une créance d’argent, créance qui doit être déterminée (montant indiqué en monnaie suisse et inscrit au RF ; cas d’hypothèque en capital). Il reste possible de garantir une créance indéterminée (voire future ou éventuelle ; cas d’hypothèque maximum) en indiquant une somme fixe représentant dès lors le maximum de la garantie immobilière (art. 794 al. 2).

o Les intérêts : les parties décident librement si la créance garantie porte intérêt (et le taux). Si le droit de gage garantit une créance déterminée (art. 794 al. 1), les intérêts bénéficient aussi, de par la loi, de la garantie fournie par le droit de gage (dans les limites de l’art. 818 al. 1 ch. 3). Cette extension légale de la garantie aux intérêts échus ne se produit que si le taux d’intérêt est inscrit au RF (art. 40 al. 1 let. d ORF). Le taux initialement fixé peut être augmenté par les parties mais l’extension légale n’aura lieu que si le nouveau taux est à son tour inscrit au RF. En outre, dans le but d protéger les créanciers de rang postérieur, le taux d’intérêt ne peut être porté à plus de 5% sans leur consentement. Lorsque le droit de gage garantit une somme maximale (art. 794 al. 2), la garantie s’étend à tous les intérêts échus dans les limites de la somme inscrite au RF. L’inscription du taux d’intérêt au RF est impossible (au-delà, les intérêts constituent une dette chirographaire).

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- La spécialité du droit de gage quant à l’immeuble grevé : en général, il s’agira d’un immeuble unique, mais il est aussi possible de constituer un DdG sur plusieurs immeubles en garantie d’une même créance. Quoiqu’il en soit, l’immeuble grevé doit être clairement désigné lors de toute constitution de DdGI. En outre, le législateur a fixé diverses limites de charges qui déterminent à concurrence de quel pourcentage de sa valeur un immeuble peut être grevé de droits de gage :

o Les immeubles pouvant être objets de droit de gage : le DdGI peut avoir pour objet n’importe quel immeuble immatriculé au registre foncier (art. 655 al. 2) : bien-fonds, droit distinct et permanent immatriculé au RF, mine ou part de copropriété (par étages). Ce principe souffre trois exceptions :

Certains immeubles publics immatriculés au RF ne peuvent être objets de DdG : le droit public peut soumettre à des règles particulières ou même prohiber l’engagement des immeubles publics (art. 796 al. 2, réserve impropre).

Les parts de copropriété ordinaire sur un immeuble peuvent être objets de DdG même sans être immatriculées : selon l’art. 800, chacun des copropriétaire peut grever sa quote-part d’un droit de gage. Hors, les parts de copropriété ordinaire sur un immeuble ne doivent être immatriculées au RF que si celui-ci est informatisé, ce qui n’est pas le cas partout (art. 111c ORF). De ce fait, les parts de copropriété ordinaire peuvent être objets de DdG alors même qu’elles ne sont pas immatriculées au registre foncier

L’immeuble de base ne peut en principe plus être grevé de DdG si des parts de copropriété (par étages) sont déjà grevées : en dérogation à l’art. 796 al. 1, l’immeuble de base ne peut être grevé de DdG si une ou plusieurs parts de copropriété sont déjà grevées de tels droits (art. 648 al. 3). Un droit de gage peut toutefois être constitué sur l’immeuble de base, à condition qu’il ait la priorité sur les droits de gage grevant les parts.

o La désignation de l’immeuble grevé : selon le principe de spécialité, l’immeuble grevé doit être spécialement désigné lors de la constitution du droit de gage (art. 797 al. 1 CC).

o La constitution d’un droit de gage sur plusieurs immeubles en garantie d’une même créance : il n’est pas contraire au principe de spécialité d’engager plusieurs immeubles pour garantir une seule créance. La mise en gage de plusieurs immeubles implique une répartition de la garantie sur les différents immeubles (art. 798 al. 2-3) mais il est aussi possible, à certaines conditions, de grever chaque immeuble pour l’entier de la créance (DdG collectif) :

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Le droit de gage collectif : chaque immeuble garantit la totalité de la créance. Le créancier peut se faire désintéresser sur le produit de la réalisation de chacun des immeubles grevés mais n’a qu’un seul et même droit de gage. La garantie est ainsi renforcée. Le droit de gage collectif n’est possible que lorsque les immeubles grevés appartiennent au même propriétaire ou lorsque les propriétaires des immeubles sont débiteurs solidaires de la créance garantie (art. 798 al. 1). L’engagement collectif doit en outre ressortir de l’inscription au RF (art. 42 ORF).

L’engagement de plusieurs immeubles avec répartition : si les conditions requises pour constituer un droit de gage collectif ne sont pas remplies ou si les parties ne veulent pas grever les immeubles collectivement, il faut procéder à la répartition de la garantie (art. 798 al. 2). Le créancier acquiert dès lors un droit de gage distinct sur chaque immeuble grevé pour une fraction de la créance garantie (la garantie est divisée, non la créance). Les parties sont libres de convenir de la répartition de la garantie. Si elles ne le font pas, la répartition se fait proportionnellement à la valeur des immeubles grevés (art. 798 al. 3).

o Les limites de charge : la constitution de droits de gage trop élevés pouvant entraîner le surendettement de certains propriétaires, il existe certaines limites à la constitution de droits de gage, notamment en matière de droit foncier rural :

La charge maximale pour les immeubles agricoles : en principe, les immeubles agricoles ne peuvent être grevés de droits de gage immobiliers que jusqu’à concurrence de la charge maximale, qui correspond à la somme de la valeur de rendement agricole augmentée de 35% et de la valeur de rendement des parties non-agricoles (art. 73 al. 1 LDFR). Cette limite s’applique à tous les immeubles agricoles au sens de l’art. 6 LDFR (loi sur le droit foncier rural). Ce principe souffre toutefois un certain nombre d’exception (art. 75 LDFR). Il ne saurait tenir en échec la constitution de DdG destinés soit à protéger les collectivités publiques ou certains particuliers ayant des droits sur l’immeubles, soit à garantir des crédits d’investissements accordés sous le contrôle d’autorités publiques pour développer l’entreprise agricole. Si l’inscription d’un DdG dépasse la limite de charge, le conservateur doit la rejeter (art. 76 al. 3 LDFR)., sous réserve des art. 77-79 LDFR (prêt sans intérêt accordé) et 76 al. 2 LDFR (autorisation de dépassement).

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Les conditions matérielles à la constitution des DdGI ayant été vues, il s’agit à présent d’analyser les modalités proprement dites de cette constitution. La constitution de DdGI obéit aux règles générales sur l’acquisition des droits réels. Il faut distinguer tout d’abord selon qu’elle a lieu sans ou avec inscription :

- La constitution moyennant inscription : il s’agit du cas normal, comme le précise l’art. 799 al. 1. La constitution d’un DdG a lieu à titre dérivé et nécessite un titre d’acquisition (acte juridique ou legs, décision unilatérale du propriétaire qui crée un cédule hypothécaire, loi : hypothèque légale indirecte) suivi d’une opération d’acquisition (réquisition d’inscription adressée au conservateur du RF suivie de l’inscription du DdG au feuillet du grand livre). Exceptionnellement, la constitution d’un DdG peut avoir lieu à titre originaire (acquisition par un tiers de bonne foi notamment). Seule sera étudiée ici la constitution des DdGI suite à un contrat de gage immobilier :

o Le titre d’acquisition : il s’agit d’un contrat (passé en la forme authentique, art. 799 al. 2) par lequel le propriétaire s’oblige à constituer un droit de gage sur son immeuble par le biais d’une réquisition d’inscription au RF. Le contrat est conclu entre le propriétaire de l’immeuble et le créancier (même si le propriétaire n’est pas nécessairement le débiteur de la créance garantie. Les modifications du DdG exigent la conclusion d’un nouveau contrat en la forme authentique (sauf en cas de diminution de la charge ou si les clauses modifiées ne constituent pas des éléments objectivement essentiels du contrat).

o L’opération d’acquisition : la réquisition d’inscription du DdGI doit émaner du propriétaire de l’immeuble grevé (art. 963 al. 1) ou de son représentant (art. 963 al. 3). L’inscription au RF est constitutive et son effet remonte au jour de l’inscription au journal.

- La constitution sans inscription : comme pour tous les autres droits réels, le principe de l’inscription souffre quelques exceptions en matière de DdGI (art. 799 al. 1). Il s’agit premièrement des exceptions prévues par la loi (droits de gage légaux de droit fédéral, art. 808 al. 3, 810 al. 2, 819 et 818 ch. 2, et hypothèques légales directes de droit cantonal, art. 836 CC). Même si l’application par analogie des règles relatives à la propriété foncière (notamment l’art. 656 al. 2) n’est pas d’emblée exclue, les modes d’acquisition qui supposent la possession de l’immeuble (occupation et prescription acquisitive) sont exclus en matière de DdGI, tout comme la constitution par succession universelle, par expropriation ou par exécution forcée. Au final, le seul cas d’acquisition de la propriété foncière sans inscription qui puisse trouver application pour les droits de gage immobiliers est le jugement (décision du juge au terme d’une action en exécution d’un contrat constitutif de droit de gage).

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L’extinction des droits de gage immobiliers   :

Comme pour les autres droits réels, il convient de distinguer l’extinction moyennant la radiation de l’inscription au RF (art. 801 al. 1) et celle qui se produit indépendamment de toute radiation (art. 801 al. 1 in fine et al. 2). Trois modes d’extinction particuliers existent en plus : l’extinction des droits de gage en cas de réunions parcellaires (art. 802-804), l’extinction partielle des droits de gage lors d’un parcellement (art. 833, 846 et 852) et la purge hypothécaire (art. 828-830). Seuls seront présentés ici l’extinction moyennant radiation, l’extinction partielle en cas de parcellement et la purge hypothécaire :

- L’extinction moyennant une radiation : en principe, l’extinction d’un DdGI est liée à la radiation extinctive de l’inscription au RF, fondée sur une cause valable. Le titre d’extinction peut consister en un contrat ou un legs portant obligation pour le créancier gagiste de supprimer le droit de gage. En général toutefois, il s’agira de l’extinction de la créance garantie (l’extinction de la créance supprimant toute portée matérielle au droit de gage, art. 114 al .1 CO). La réquisition d’extinction doit être faite par le créancier gagiste (art. 964 al. 1) mais peut aussi émaner du propriétaire, moyennant le consentement écrit du créancier à la radiation. La radiation au grand livre a un effet extinctif. Elle ne peut intervenir que si tous ceux à qui l’inscription donne des droits consentent par écrit à la radiation.

- L’extinction partielle en cas de parcellement : par le terme de parcellement, l’art. 833 vise trois hypothèses (sous réserve de l’art. 811) :

o L’aliénation d’une partie de l’immeuble grevé.o La division d’un immeuble, pour autant qu’elle soit suivie de

l’aliénation d’une parcelle au moins.o L’aliénation d’un immeuble grevé d’un droit de gage collectif.

Si dans ces trois hypothèses les parties ne conviennent pas d’une solution contraire, la garantie doit être répartie proportionnellement à la valeur des différents immeubles grevés (art. 833 al. 1).

- La purge hypothécaire : la purge hypothécaire permet à l’acquéreur d’un immeuble grevé de DdGI de libérer son immeuble, à condition qu’il ne soit pas personnellement tenu des dettes hypothécaires et que celles-ci excèdent la valeur de l’immeuble. Dans ce cas, l’acquéreur peut proposer aux créanciers de racheter les droits de gage grevant l’immeuble en leur offrant le prix auquel il a acheté l’immeuble (ou une somme correspondant à la valeur de celui-ci). Les créanciers peuvent alors accepter l’offre ou exiger la vente aux enchères de l’immeuble. La purge hypothécaire n’est possible qu’à 4 conditions :

o L’acquéreur ne répond que personnellement des dettes.o Les droits de gage existent déjà au moment du transfert.o La somme des dettes garanties excède la valeur de l’immeuble.o Le bien ne fait pas l’objet d’une poursuite en réalisation du gage.

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Les effets généraux des droits de gage immobiliers   :

Il s’agit de présenter successivement l’étendue des droits du créancier, la protection des créanciers hypothécaires, le rang des droits de gage immobiliers, la réalisation du gage et les autres institutions communes. Le tout premier effet d’un DdGI est de rendre imprescriptible la créance qu’il garantit (art. 807 CC ; effet réflexe du droit de gage sur la créance).

L’étendue des droits du créancier   :

Précisée aux art. 805-806 et 822, l’étendue des droits du créancier définit la portée du droit de gage sur l’immeuble. En l’occurrence, le DdG frappe l’immeuble avec ses parties intégrantes ainsi que ses accessoires. Si l’immeuble a été donné à bail, le droit de gage frappe également (dans certaines limties) les loyers et fermages. Enfin, en cas de détérioration indemnisée par un assureur, le montant reçu est aussi frappé par le droit de gage :

- L’immeuble : le DdG frappe l’immeuble comme tel (art. 805) dans les limites du RF. Il le frappe avec les droits qui lui sont rattachés propter rem (en particulier les droits de copropriété dépendante, art. 32 ORF, les servitudes foncières et les charges foncières).

- Les parties intégrantes : en vertu du principe de l’accession, le droit de gage s’étend aussi aux parties intégrantes de l’immeuble grevé (art. 805 al. 1 : constructions mobilières, plantations, sources). De même, les fruits naturels étant des parties intégrantes jusqu’à leur séparation de la chose fructifère (art. 643 al. 3), ils sont compris dans le droit de gage tant qu’ils restent unis à l’immeuble (et en sont libérés à leur séparation).

- Les accessoires : le DdGI frappe également les accessoires de l’immeuble (art. 805 al. 1 en application de l’art. 644 al. 1), peu importe que l’accessoire ait été affecté à l’immeuble avant ou après la constitution du droit de gage. L’accessoire ne fait pas l’objet d’un droit de gage distinct, c’est plutôt le droit de gage immobilier qui étend son effet aux accessoires dans la mesure où ils sont compris dans son objet. En conférant à des choses mobilières de valeur la qualité d’accessoire et en requérant la mention de ces accessoires au RF, le propriétaire constituant du droit de gage a la possibilité d’accroître sensiblement son crédit hypothécaire. Il peut alors exister deux situations de conflit entre le DdGI sur les accessoires et les droits des tiers sur ces mêmes accessoires :

o Il est possible qu’au moment de la constitution du DdGI les accessoires appartiennent à des tiers ou aient sur eux des DRL. Si le créancier hypothécaire ignore de bonne foi que des tiers ont des droits sur les accessoires, le TF estime que les droits des tiers priment dans tous les cas deux du créancier (art. 805 al. 3). Cette solution est critiquée : une partie de la doctrine estime que les

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droits des tiers ne devraient l’emporter sur ceux du créancier que si celui-ci est de mauvaise foi (art. 936) ou si les tiers avaient été dessaisi involontairement de l’accessoire (art. 934). L’art. 805 al. 3 ne serait alors qu’un renvoi aux art. 933 ss CC.

o Les droits des tiers peuvent également entrer en conflit avec ceux du créancier lorsque des accessoires frappés par un DdGI sont aliénés. Selon le TF et la doctrine majoritaire, le propriétaire des accessoires na en principe pas le pouvoir de conférer à des tiers des droits qui tiendraient en échec ceux du créancier hypothécaire (le TdBF ayant acquis un droit réel sur l’accessoire est protégé).

- Les loyers et fermages : le DdG frappe les loyers et fermages qui ont couru depuis la poursuite en réalisation de gage ou depuis la déclaration de faillite (art. 806 al. 1). La règle s’applique aussi aux fruits civils de l’immeuble grevé (rente superficiaire notamment), mais pas aux créances que le propriétaire d’un hôtel pourrait avoir contre ses clients ou contre le gérant de l’établissement. Le DdGI ne s’étend toutefois aux loyers et fermages que si l’immeuble grevé est effectivement loué. Il ne frappe par ailleurs que les loyers et fermages courant depuis l’ouverture de la poursuite en réalisation de gage (ou de la déclaration de faillite) jusqu’au moment de la réalisation (art. 806 al. 1 CC et 91 ORFI).

- L’indemnité d’assurance : le DdGI s’étend enfin aussi à l’indemnité due au propriétaire par l’effet d’un contrat d’assurance relatif à l’immeuble ou aux meubles soumis à la garantie hypothécaire (art. 57 al. 1 LCA dont découlent les art. 822 CC et 57 al. 2 LCA). La règle visent toutes les espèces d’assurances privées ou publiques couvrant les risques de dépréciation de l’immeuble, de ses parties intégrantes et de ses accessoires. Elle constitue une lex specialis par rapport à l’art. 810 qui règle les droits du créancier en cas de dépréciation de l’immeuble sans la faute du propriétaire. Le DdGI s’étend donc à la créance du propriétaire contre l’assureur et comporte ainsi un droit de gage mobilier sur une créance au sens de art. 899-900 CC.

La protection des créanciers hypothécaires   :

Le droit du créancier gagiste tend à la réalisation forcée de l’immeuble grevé et ne peut être exercé tant que la créance n’est pas exigible. Dans l’intervalle, le risque existe ainsi que la valeur de l’immeuble grevé soit anéantie ou diminuée et que sa garantie soit donc compromise. Le code accorde donc au créancier des moyens pour se protéger contre la dépréciation de l’immeuble et distingue selon que la dépréciation et due (art. 808-809 CC) ou non (art. 810 CC) à la faute du propriétaire. Une réduction de valeur peut aussi résulter de l’aliénation de petites parcelles (art. 811 CC) :

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- Dépréciation de l’immeuble par la faute du propriétaire : par dépréciation, il faut entendre une diminution de la valeur de l’immeuble qui est due à des actes matériels (non à des actes juridiques). La diminution peut résulter d’actes positifs ou de l’omission d’actes qui s’imposent. Il faut alors distinguer deux situations :

o Menace ou début de dépréciation : le code met trois moyens à disposition du créancier gagiste lorsqu’il existe un risque que le propriétaire déprécie l’immeuble ou que la dépréciation est en cours. Ces trois moyens peuvent être utilisés cumulativement :

L’action en prévention ou en cessation des actes dommageables (art. 808 al. 1) : le créancier hypothécaire peut s’opposer aux projets du propriétaire ou aux actes dépréciant l’immeuble. L’action peut aussi être dirigée contre des tiers autres que le propriétaire (action réelle).

Le droit de prendre les mesures nécessaires (art. 808 al. 2) : le juge peut autoriser le créancier gagiste à prendre lui-même les mesures nécessaires pour éviter la dépréciation (en cas d’urgence, il peut procéder de son chef). Dans les deux cas, le propriétaire fautif doit rembourser les frais d’intervention (créance garantie par une hypothèque légale, art. 808 al. 3, primant toutes les autres charges inscrites).

Le droit d’exiger des sûretés (art. 809 al. 2) : le créancier peut exiger des sûretés s’il existe un danger de dépréciation imputable au propriétaire. Il peut s’agir d’améliorations du droit de gage immobilier (octroi d’un meilleur rang, extension à un autre immeuble) ou de sûretés réelles ou personnelles (cautionnement par exemple). Si les parties n’arrivent pas à s’entendre et que le créancier ne s’exécute pas dans le délai fixé par le juge, celui-ci peut exiger le remboursement partiel de la créance hypothécaire (al. 3).

o Dépréciation déjà survenue : le créancier peut alors exiger soit le rétablissement de l’état antérieur (lorsqu’il est possible de remédier à la dépréciation), soit la constitution de nouvelles sûretés (art. 809 al. 1, selon les formes de l’art. 809 al. 2). Si le débiteur (de la créance garantie) ne s’exécute pas dans le délai fixé par le juge, le créancier est en droit de réclamer un remboursement suffisant pour sa garantie (art. 809 al. 3).

- Dépréciation sans faute du propriétaire : lorsque l’immeuble grevé perd tout ou partie de sa valeur par suite d’évènements non imputables au propriétaire (tremblement de terre, tornade, ouragan, volcan, astéroïde, accident spatial, bombe nucléaire, guerre mondiale, inondation, incendie, crise immobilière, usure du bâtiment, expropriation, constitution de servitudes nécessaires, élection d’un président communiste), les

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créanciers ne bénéficient en principe pas d’une protection particulière. Cependant, si le propriétaire reçoit une indemnité pour le dommage subi, l’art. 810 al. 1 permet au créancier gagiste d’exiger soit des sûretés, soit le remboursement partiel de la créance garantie. Le créancier est aussi autorisé à prendre des mesures nécessaires pour parer aux dépréciations ou les empêcher sans devoir s’adresser au juge (art. 810 al. 2). Quant au remboursement des frais, le créancier a une créance contre le propriétaire mais celui-ci n’en répond pas personnellement (art. 810 al. 2 in fine). Le créancier bénéficie d’une hypothèque légale directe (garantie purement réelle), naissant sans inscription et primant toutes les autres charges pouvant grever l’immeuble (art. 810 al. 1).

- L’aliénation des petites parcelles : l’art. 811 autorise parfois le dégrèvement des parcelles détachées en vue de leur aliénation, en dépit de la dépréciation du droit de gage qui en résulte.

Le rang des droits de gage immobiliers   :

Le rang des droits réels limités est en général déterminé par le principe de la priorité dans le temps (art. 972 CC). Entre les droits de gage par contre, il a fallu trouver une solution pour résoudre les problèmes de priorité (lorsque le produit de la réalisation ne peut désintéresser tous les créanciers). Le législateur a retenu le système des cases hypothécaires fixes. Il s’agit dès lors de présenter successivement le système en général, son champ d’application, la détermination du rang des droits de gage, les conséquences du système et ses exceptions :

- Le système des cases hypothécaires fixes : le rang des DdG est déterminé par la volonté des parties et non par la date de leur constitution. Le DdG est assigné à un rang déterminé (une case) auquel il reste attaché. La valeur de l’immeuble est dérivée en des quotes-parts de garantie idéales. Ce système confère une certaine stabilité au titre et est avantageux pour le propriétaire, qui peut constituer une garantie de rang postérieure en faveur de créanciers compréhensifs (parenté notamment) et ainsi ménager les meilleurs rangs pour obtenir auprès d’une banque un crédit hypothécaire à un rang favorable (taux d’intérêt plus bas).

- Le champ d’application : le système ne s’applique pas à tous les DdGI. Reposant sur la volonté des parties, il prévaut naturellement lorsque le droit de gage est constitué volontairement (en dérogation à l’art. 972 CC). Par contre, le rang des droits de gage légaux est fixé par des règles particulières. Le rang des hypothèques légales indirectes est déterminé par le système de la priorité dans le temps. Les droits de gage légaux directs, prenant naissance par le seul effet de la loi, occupent en général les tous premiers rangs et priment les autres droits inscrits, sans égard à la date de leur constitution.

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- La détermination et la modification du rang des droits de gage : lorsque le système s’applique, le rang de DdG est déterminé par le contrat de gage immobilier (ou par la réquisition d’inscription au RF en cas de décision unilatérale). Si rien n’est précisé (exceptionnel), l’art. 972 al. 1 s’applique (principe de priorité dans le temps). En principe, le rang d’un DdG est fixe mais rien n’empêche de la modifier conventionnellement (améliorer : antéposition, reculer : postposition). Deux cas doivent être envisagés :

o Les titulaires de droits de gage existants (ou d’autres DRL ou droits personnels annotés) peuvent donner leur accord (par une déclaration unilatérale en la forme écrite) à la postposition de leurs droits en vue de la constitution d’un nouveau DdG.

o En cas d’échange de rang, le changement de rang s’opère par un contrat entre les titulaires de DRL concernés et le propriétaire de l’immeuble. Toutes les personnes affectées par la modification de rang doivent y donner leur consentement (art. 964 CC).

- Les conséquences : on note trois conséquences particulière :o La réserve d’un rang préférable : le propriétaire peut constituer

d’emblée un DdG de rang postérieur mais il doit alors indiquer le montant par lequel ce DdG est primé (art. 813 al. 2). La valeur de cette case libre (ou réservée) doit figurer dans l’inscription au RF.

o Le non-avancement des droits de gage : en cas d’extinction d’un DdG antérieur, le DdG de rang postérieur ne prend pas sa place (art. 814 al. 1, principe des cases fixes). La case que le droit radié occupait devient ainsi libre et le propriétaire peut en disposer sans égard aux créanciers postérieurs (art. 814 al. 2). Précisons que le droit de gage qui profitera de la case libre primera les autres DRL et droits personnels annotés portés au RF postérieurement à la constitution du droit de gage radié (et ayant laissé la case libre).

o La constitution de droits de gage de même rang : le système n’exclut pas la constitution de plusieurs DdG de même rang (art. 817 al. 2) : le rang est alors occupé par plusieurs cases (en cas d’extinction d’un DdG, la case devient libre et occupable).

- Les exceptions : la règle de l’art. 814 al. 2 n’est pas de droit impératif (les parties y dérogent systématiquement en pratique). De même, la loi apporte elle-même quelques exceptions au principe :

o Les exceptions conventionnelles : le propriétaire et le créancier gagiste peuvent convenir qu’en cas de libération d’une case, le propriétaire en fera bénéficier le droit de gage du créancier (art. 814 al. 3). Une telle convention doit être passée en la forme authentique car elle aggrave la situation du propriétaire. Sauf dispositions conventionnelles, le droit permet de profiter

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successivement de toutes les cases libres. Précisons que ce droit peut être annoté au RF, ce qui lui confère l’effet réel (art. 814 al. 3).

o Les exceptions légales : l’art. 815 prévoit que, lors de la réalisation forcée du gage, l’autorité ne doit tenir compte des cases hypothécaires que si et dans la mesure où elles sont occupées :

Si au moment de la réalisation du gage une case est libre, elle est ignorée et les créanciers de rang postérieurs avancent selon leur rang. La case libre n’est donc pas une valeur saisissable comme telle.

L’art. 815 assimile aux cases vides les titres hypothécaires au nom du propriétaire ou au porteur qui se trouvent en main du propriétaire. Là encore, les créanciers postérieurs avancent selon le rang.

L’art. 815 s’applique lorsque la créance garantie par le droit de gage antérieur n’atteint pas le montant du droit de gage inscrit au RF (et également lorsqu’une créance garantie par une hypothèque légale figure à l’état des charges mais est par la suite supprimée).

La réalisation du gage   :

L’art. 816 al. 1 énonce le principe : faute par le débiteur de satisfaire à ses obligations, le créancier a le droit de se payer sur le prix de l’immeuble (lorsque la créance garantie est exigible). Il s’agit de l’effet spécifique du DdG : le créancier a le droit de requérir la vente de l’immeuble afin de se désintéresser sur le produit de sa réalisation (principe de droit impératif). En principe, le créancier exerce son droit sur l’immeuble en ouvrant une procédure de réalisation forcée (règles de la LP). Le propriétaire et le créancier peuvent aussi convenir que le créancier pourra faire vendre l’immeuble par voie privée. On distingue alors deux situations d’application de la LP :

- Si le créancier demande le paiement de la créance garantie (ou en cas de poursuite par voie de faillite), le débiteur peut exiger qu’il procède par une poursuite en réalisation de gage (art. 41 al. 1 LP).

- Si le créancier ne demande que le paiement des intérêts ou des annuités, il peut choisir soit la poursuite en réalisation du gage, soit la poursuite par voie de saisie ou de faillite, suivant la qualité du débiteur (art. 41 al. 2 LP).

Les modalités de la réalisation de gage sont régies par les art. 151-158 LP (en relation avec les art. 133-143b LP). L’immeuble est vendu avec toutes les charges qui le grèvent (servitudes, droits de gage garantissant des dettes non exigibles : état des charges dressé sur la base d’un extrait du RF et des productions des créanciers gagistes et autres titulaires). Si cela s’avère nécessaire, on procède à la double mise à prix (art. 812 al. 2 CC). L’immeuble est adjugé au plus offrant (pour

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autant que l’offre soit supérieure à la somme des créances garanties par un droit de gage préférable à celle du poursuivant, art. 126, 142 et 156 LP).

Il s’agit à présent de préciser deux situations particulières :

- Le cas d’une créance garantie par plusieurs immeubles : lorsqu’une créance est garantie par plusieurs immeubles (droit de gage collectif ou moyennant répartition de la garantie), la poursuite en réalisation du gage doit porter sur tous les immeubles (art. 816 al. 3). Il n’est par contre pas nécessaire que tous les immeubles soient réalisés (ils ne le seront que dans la mesure jugée nécessaire par l’office des poursuites).

- La réalisation de parts de copropriété (par étages) : les parts de copropriété (PPE) peuvent être objets de réalisation forcée (art. 646 al. 3) mais la procédure est influencée par le fait que l’immeuble de base peut, lui-aussi, être grevé de DdG.

Une fois l’immeuble réalisé, il convient de désintéresser le(s) créancier(s) gagiste(s) au moyen du produit de réalisation (comprenant le montant obtenu pour les fruits et les accessoires, les loyers et les fermages et éventuellement l’indemnité d’assurance). Le DdG étant opposable à tous, les créanciers gagistes ont la préférence sur les autres créanciers qui auraient fait saisir l’immeuble (art. 113 ORFI). Il en va de même dans la faillite : le produit de la réalisation ne profite aux créanciers chirographaires qu’après désintéressement de tous les créanciers gagistes. S’il y a plusieurs créanciers gagistes, le produit est réparti entre eux selon leur rang (art. 817 al. 1). Entre créanciers de même rang, la répartition se fait au marc le franc, proportionnellement à leurs créances (art. 817 al. 2). Pour terminer avec la réalisation du gage, il convient de parler de l’étendue de la sûreté offerte par le droit de gage. La mise en œuvre de la procédure de réalisation et la distribution du produit de celle-ci implique que soit déterminée l’étendue de la garantie (ce que garantit exactement le droit de gage). Il est possible de dégager 5 éléments des art. 818-819 (et 808 al. 3 et 810 al. 2) :

- Le capital : montant effectif de la créance garantie.- Les frais de poursuite : calculés selon le tarif officiel (art. 16 LP).- Les intérêts moratoires (art. 104-105 CO).- Les intérêts conventionnels : seuls sont couverts par le droit de gage les

intérêts de trois années échus au moment de l’ouverture de la faillite ou de la réquisition de vente et ceux qui ont couru depuis la dernière échéance (art. 818 al. 1 ch. 3). La garantie hypothécaire prend fin le jour de la réalisation forcée. Si le produit de la réalisation ne couvre pas toute la dette garantie, le créancier dispose d’une créance chirographaire pour les intérêts non-couverts. Pour les créances maximales, les intérêts ne sont couverts que dans les limites du montant inscrit au RF.

- Certaines autres prestations : le DdGI garantit encore les dépenses faites par le créancier pour éviter une dépréciation du droit de gage (art. 808 al.

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3 et 810 al. 2). La garantie s’étend également aux autres impenses nécessaires pour la conservation du bien (art. 819).

Les autres institutions communes   :

Les dispositions générales sur les droits de gage immobilier (art. 793-823) comportement encore deux groupes de règles communes à tous les DdGI :

- Les art. 820-821 relatifs aux droits de gage en cas d’amélioration du sol : le législateur fédéral a prévu un privilège de rang pour certains droits de gage constitués en relation avec des travaux d’améliorations foncières. Les bailleurs de fonds étant mieux garantis, le financement des entreprises d’améliorations foncières est facilité. Les créanciers gagistes qui se voient imposer un droit de gage de rang préférable ne sont pas lésés car ils profitent de la plus-value apportée à l’immeuble par les travaux. Le privilège de rang prévu par les art. 820-821 concerne des droits de gage conventionnels créés pour couvrir les frais de l’amélioration de l’immeuble.

- L’art. 823 (et 850) concernant la représentation du créancier gagiste et/ou du débiteur : dans deux cas, le code prévoit la désignation d’un représentant du créancier gagiste et/ou du débiteur afin de sauvegarder les intérêts de l’autre partie ou du tiers. Un représentant fiduciaire ou gérant autonome est alors chargé de la défense des intérêts d’autrui : il agit en son propre nom mais ses actes produisent des effets définitifs pour le représenté. Les deux cas sont les suivants :

o La curatelle du créancier gagiste : il peut arriver qu’un débiteur ne sache pas qui est son créancier ou comment joindre celui-ci (et que son intervention soit nécessaire). L’art. 823 al. 1 prévoit qu’à la requête du débiteur ou d’autres intéressés, l’autorité tutélaire peut nommer un curateur au créancier dont le nom ou le domicile sont inconnus, lorsque l’intervention personnelle de ce dernier est prévue par la loi et qu’il y a lieu de prendre d’urgence une décision.

o Le fondé de pouvoir : pour faciliter les rapports entre le créancier gagiste et le débiteur, les parties peuvent désigner un intermédiaire neutre, appelé fondé de pouvoir ou détenteur de gage (banque ou fiduciaire, chargée de sauvegarder en toute diligence et impartialité les droits du créanciers, du débiteur et du propriétaire, art. 850 al. 1). Il s’agit donc d’une personne de confiance, neutre. La désignation d’un fondé de pouvoir est plutôt rarement utilisée mais rien n’empêche de l’utiliser pour une hypothèque (plutôt utiliser en relation avec les titres, en raison de leur négociabilité). Lors de l’émission de titres fonciers, où le débiteur se trouve en face d’un grand nombre de créanciers, le recours a un fondé de pouvoir est parfois obligatoire.

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L’hypothèque   :

L’hypothèque (art. 824-841 CC) est le droit de gage mobilier dont le rôle s’épuise dans la fonction de garantie d’une créance. Pas incorporée dans un papier-valeur, l’hypothèque prévoit l’existence distincte de la créance et du droit. En ce qui concerne la constitution des hypothèques, les règles générales sont complétées en 4 points par les art. 824-825 CC :

- La créance garantie par hypothèque : l’hypothèque peut garantir une créance quelconque (actuelle, future ou éventuelle, art. 824 al. 1). Le montant de cette créance peut même être indéterminé ou variable (art. 825 al. 1). Les parties doivent toutefois, dans ce cas, fixer un montant maximum garanti (respect du principe de spécialité des DdG) : il s’agit alors d’une hypothèque maximale au sens de l’art. 794 al. 1. L’hypothèque se porte donc particulièrement bien à la garantie d’un compte de crédit, d’une peine conventionnelle ou de la créance consécutive à une éventuelle responsabilité (État contre un fonctionnaire responsable).

- L’hypothèque garantissant la dette d’un tiers (art. 827, 831 CC) : un propriétaire peut constituer sur son immeuble une hypothèque (ou une cédule hypothécaire, art. 845) pour garantir la dette d’un tiers (art. 824 al. 2). La dissociation des qualités de débiteur et de propriétaire du gage peut même intervenir après la constitution de l’hypothèque (aliénation de l’immeuble sans reprise de dette).

- L’importance de la case hypothécaire : au contraire de la cédule hypothécaire, l’hypothèque peut garantir une créance d’un montant indéterminé ou variable mais cela ne remet en aucun cas en cause le système des cases fixes (art. 813 ss CC).

- La preuve de l’hypothèque : le créancier gagiste peut demander au conservateur du RF qu’il délivre un document constatant la constitution de l’hypothèque (extrait du RF ou attestation en copie du contrat

L’extinction de l’hypothèque suit les règles générales relatives à l’extinction des DdGI. Les art. 826 ss ajoutent tout de même quelques règles spéciales ayant trait à la radiation de l’inscription suite à l’extinction de la créance garantie et au dégrèvement des immeubles constitués en gage pour la dette d’autrui :

- La radiation de l’hypothèque suite à l’extinction de la créance garantie : en principe, lorsque la créance est éteinte, le propriétaire de l’immeuble grevé peut demander la radiation de l’hypothèque (l’extinction de la créance supprime toute portée matérielle à l’inscription). L’art. 826 donne au propriétaire le droit d’exiger du créancier qu’il consente à la radiation (conformément à l’art. 964). Le propriétaire peut toutefois utiliser l’hypothèque pour garantir une nouvelle créance (remploi de

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l’hypothèque). Ce transfert de l’hypothèque d’une créance (éteinte) à une nouvelle créance nécessite alors la conclusion d’un acte authentique.

- Le dégrèvement des immeubles garantissant la dette d’autrui : le propriétaire dont l’immeuble garantit la dette d’autrui n’est pas personnellement tenu de payer la dette mais est par contre exposé à subir la réalisation forcée de son immeuble si le débiteur ne paye pas ses obligations. Pour éviter cela, il peut désintéresser lui-même le créancier, ouvrant la voie au dégrèvement de son immeuble. Le code facilite cette possibilité en demandant au créancier de dénoncer la dette au remboursement auprès non seulement du débiteur mais aussi du propriétaire de l’immeuble grevé (art. 831). Ensuite, le propriétaire peut désintéresser le créancier aux mêmes conditions que le débiteur (art. 827 al. 1). Enfin (et surtout) le propriétaire qui a payé le créancier gagiste est subrogé dans les droits de celui-ci (art. 827 al. 2).

Les effets de l’hypothèque   :

Les art. 832-835 complètement les dispositions générales relatives aux effets des DdGI. Ces précisions concernent deux éléments :

- La cession de la créance garantie par hypothèque : les conditions et les effets de la cession d’une créance garantie par hypothèque sont soumis aux règles ordinaires (art. 164 ss CO). L’art. 835 précise simplement que l’inscription au RF n’est pas nécessaire pour valider la cession.

- Les effets de l’aliénation de l’immeuble grevé sur la créance garantie : le propriétaire d’un immeuble grevé d’une hypothèque peut librement aliéner cet immeuble et ce transfert n’affectera en général ni la créance garantie ni l’existence du droit de gage (art. 832 al. 1). Les effets sont alors logiques : si l’aliénateur était débiteur du droit de gage, il perd sa propriété mais conserve sa dette. Quant au droit de gage, il reste attaché à l’immeuble (caractère réel), ce qui produit une dissociation des qualités de propriétaire du gage et de débiteur de la dette garantie. Cette dissociation présentant certains désavantages (présence de trois intéressés), le code encourage vivement la reprise de dette par l’acquéreur de l’immeuble (art. 832 al. 2 et 834) :

o La reprise de la dette par l’acquéreur (art. 175 ss CO, modifiés partiellement par les art. 832 et 834) : il arrive fréquemment que l’acquéreur de l’immeuble reprenne la dette garantie par une hypothèque sur le bien qu’il achète. Cela permet premièrement de réduire le montant qu’il doit verser au comptant et évite que son immeuble garantisse la dette d’un tiers. Il y a d’abord reprise de dette interne (promesse du nouveau débiteur de libérer l’ancien) puis reprise de dette externe. Cette deuxième étape consiste en fait

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dans le contrat conclu entre l’acquéreur et le créancier hypothécaire (application des art. 834 al. 1-2 et 832 al. 2).

o La délégation de la dette en cas d’exécution forcée : les art. 832 et 834 ne s’appliquent pas comme tels à l’aliénation de l’immeuble grevé lors d’une procédure d’exécution forcée. L’art. 135 LP prévoit que les obligations personnelles du débiteur sont déléguées à l’acquéreur : le droit de poursuite impose une reprise de dette légale, sans convention entre les intéressés.

Les hypothèques légales   :

Pour protéger certains créanciers, le législateur met leurs créances au bénéfice d’une hypothèque légale (le titre d’acquisition est la loi). Il s’agit donc d’une restriction légale de la propriété affectant la liberté négative de disposer du propriétaire de l’immeuble en cause. Il existe deux types d’hypothèques légales :

- Les hypothèques légales directes : elles prennent naissance dès que les conditions requises par la loi pour sa constitution sont remplies (l’inscription au RF n’est pas nécessaire). On note trois cas d’hypothèques légales directes, déjà présentés préalablement : l’hypothèque garantissant les frais engagés par le créancier pour éviter une dépréciation de l’immeuble grevé (art. 808 al. 3 et 810 al. 2), l’hypothèque garantissant les impenses faites par le créanciers pour la conservation de l’immeuble (art. 819 CC) et l’hypothèque garantissant les frais et poursuite et les intérêts moratoires (art. 818 ch. 2). Les cantons peuvent en outre prévoir d’autres hypothèques légales, en vertu de l’art. 836 CC. Il s’agit d’un cas d’application de l’art. 6 CC selon lequel le droit fédéral laisse subsister les compétences des cantons en matière de droit public (réserve au sens impropre). Les hypothèques légales décidées par les cantons sont donc des restrictions légales de droit public à la propriété. Les cantons peuvent déterminer librement le rang des hypothèques légales qu’ils instituent, comme le précise l’art. 836 (« … priment tous les autres DdG … »).

- Les hypothèques légales indirectes : les hypothèques légales indirectes sont les droits de gage dont certains créanciers peuvent exiger la constitution en garantie de leurs créances. L’hypothèque ne prend pas naissance automatiquement : la loi confère au créancier un droit à l’inscription. Il appartient donc à ce dernier de faire valoir ce droit et de veilleur à ce que l’hypothèque soit effectivement constituée. Le droit fédéral connaît 7 types de créances garanties par une hypothèque légale indirecte (auxquels il faut ajouter la réserve au sens propre permettant aux cantons de prévoir des hypothèques légales indirectes, art. 836 CC) :

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o La créance du vendeur d’un immeuble (art. 837 al. 1 ch. 1) : appelée parfois hypothèque réversale, elle peut être demandée en garantie du prix de vente ou du solde du prix de l’immeuble.

o La créance des entrepreneurs et artisans (art. 837 al. 1 ch. 3).o La créance des cohéritiers envers l’attributaire d’un immeuble lors

du partage (art. 837 al. 1 ch. 2 et 336 ss CC).o La créance du bénéficiaire d’un entretien viager qui transfère à son

cocontractant la propriété d’un immeuble (art. 523 CO). o La créance de la communauté des propriétaires d’étages contre

chaque propriétaire d’étage, tendant au paiement des contributions des trois dernières années (art. 712i CC).

o La créance du propriétaire ayant concédé un droit de superficie (immatriculé au RF), tendant au versement de la rente superficiaire pour un maximum de trois ans (art. 779i et k CC).

o La créance du superficiaire tendant au versement de l’indemnité qui lui est due, à l’extinction de son droit, pour les constructions récupérées par le propriétaire du fonds (art. 779d al. 2-3).

Le droit à l’inscription d’une HLI est un droit de nature personnelle, tirant son origine dans la loi. Ce droit à l’inscription n’est ni un droit réel (l’hypothèque ne prend naissance que si le bénéficiaire du droit le fait valoir) ni même un droit produisant un effet réel. La créance légale à la constitution de l’hypothèque est toutefois rattachée propter rem à l’immeuble : le débiteur de l’obligation est le propriétaire actuel de l’immeuble (art. 712i et art. 779i notamment). Selon l’art. 837 al. 2, le bénéficiaire du droit à l’inscription d’une HLI ne peut renoncer d’avance à ce droit (sauf pour l’HLI de l’art. 779d concernant le superficiaire). Comme on l’a dit, le TA des HLI est la loi (droit à l’inscription que celle-ci reconnaît au bénéficiaire). Le bénéficiaire est habilité à requérir lui-même l’inscription de l’hypothèque et le consentement du propriétaire n’est naturellement pas nécessaire (sous réserve de l’art. 22 ORF). Le requérant se légitime en produisant les titres qui établissent la créance en garantie de laquelle l’hypothèque doit être constituée. L’inscription au RF doit intervenir dans un délai de trois mois (les HLI des propriétaires d’étages et du propriétaire dont l’immeuble est grevé d’un droit de superficie peuvent être inscrites en tout temps pendant la durée du rapport juridique en cause). Le délai de 3 mois est un délai de péremption (le bénéficiaire perd son droit à son terme). Quant à l’inscription à proprement parler, le conservateur se charge de vérifier si la légitimation du requérant est suffisante, si la créance à garantir est établie à satisfaction et si le délai est respecté. S’il inscrit l’hypothèque, il avise le propriétaire (art. 969) et le propriétaire de l’immeuble grevé a alors la possibilité de contester l’inscription par le biais d’une action en

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rectification du RF (art. 975). Une fois inscrite, l’hypothèque produit les effets ordinaires du DdGI. Son rang est déterminé par les règles ordinaires. L’hypothèque du superficiaire reçoit toutefois le rang qu’occupait le droit de superficie dont la radiation donne lieu à l’indemnité qu’elle garantit (art. 779d al. 2).

L’hypothèque légale privilégiée des artisans et entrepreneurs   :

Certains artisans et entrepreneurs étant amener à créer des plus-values sur des immeubles, il est naturel que le législateur ait décidé de protéger spécialement ce type de créanciers. Trois raisons motivent cette protection :

- Ils n’ont en principe pas le droit d’exiger d’être payés à l’avance par le maître d’ouvrage, souhaitant en général pouvoir contrôler la bienfacture des travaux. Ils sont alors souvent payés biens de mois après.

- L’usage et la concurrence dans le domaine de la construction ne permettent pas aux artisans et entrepreneurs de demander des sûretés au moment de la procédure de soumission ou au moment de la conclusion du contrat. En outre, l’immeuble concerné est en général déjà grevé de droits de gage au début des travaux de construction.

- Selon les principes de spécialité et d’accession, il n’est pas possible de créer une hypothèque sur une portion matérielle de l’immeuble ni d’exercer un droit de rétention sur les matériaux utilisés ou de stipuler une réserve de propriété en faveur des artisans et entrepreneurs.

Pour toutes ces raisons, le législateur a créé une hypothèque légale indirecte privilégiée en faveur des artisans et entrepreneurs. Le privilège de cette hypothèque est lié au fait que les immeubles sont souvent déjà grevés de DdG au moment des travaux. Normalement, l’hypothèque des AeE étant constituée postérieurement aux DdG déjà existant, les créanciers artisans et entrepreneurs pourraient ne plus être suffisamment garantis alors qu’ils ont contribué à la plus-value sur l’immeuble (travaux). Pour éviter cette situation, l’art. 841 prévoit que les créanciers gagistes de rang antérieur doivent indemniser les artisans et entrepreneurs qui subissent une perte lors de la réalisation de leurs gages. Pour cela, les créanciers antérieurs doivent avoir pu reconnaître que la constitution de leurs DdG porterait préjudice aux AeE. Ces derniers peuvent ainsi récupérer au détriment des autres créanciers l’équivalent de la plus-value qu’ils ont créée sur l’immeuble par l’apport de leur travail et de leurs matériaux.

Il s’agit maintenant de présenter les conditions du droit à l’inscription de cette hypothèque légale indirecte privilégiée des artisans et entrepreneurs. Elles concernent successivement six points essentiels :

- L’ayant droit : il doit s’agir d’un artisan (A) ou d’un entrepreneur (E), au sens de l’art. 837 al. 1 ch. 3. L’un comme l’autre sera en général lié par un contrat conclu avec le propriétaire de l’immeuble mais l’HL lui est aussi accordée s’il travaille en tant que sous-traitant pour un autre A ou E. Le

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terme artisan ou entrepreneur vise toute personne indépendante qui, sur la base d’un contrat d’entreprise, fournit sur un immeuble du travail et des matériaux ou du travail seulement. Le sous-traitant est un artisan ou un entrepreneur indépendant qui a fourni des matériaux et du travail (ou du travail seulement) en vertu d’un contrat d’entreprise à un autre A ou E.

- L’objet des travaux : l’inscription de l’HL des AeE peut être requise pour des travaux ayant porté sur un bâtiment ou un autre ouvrage :

o Un bâtiment : il s’agit de toutes constructions (érigées sur un immeuble susceptible d’être grevé de DdG) destinées à l’habitation de l’homme ou servant à abriter des animaux ou d’autres biens.

o Un autre ouvrage : l’expression doit être comprise dans un sens très large, englobant tout ce que l’homme fixe au sol à l’aide de moyens techniques (à la surface ou de manière souterraine).

- Les travaux : pour bénéficier de l’HLI, un AoE doit avoir fourni des matériaux et du travail ou seulement du travail (art. 837 al. 1 ch. 3). Celui qui s’est contenté de livrer des matériaux n’est pas protégé : il agit comme un simple vendeur et n’est donc pas obligé de faire crédit au maître d’ouvrage (il est en général payé de suite).

- L’objet du droit de gage : l’objet du droit de gage est constitué par l’immeuble sur lequel ont porté les travaux des créanciers qui demandent l’inscription de l’HLI. Il peut s’agir d’un bien-fonds, d’un droit distinct et permanent immatriculé au RF, d’une mine ou d’une part de (co)propriété (par étages). Il peut parfois arriver qu’un AoE effectue en vertu d’un contrat d’entreprise unique des travaux de construction portant sur plusieurs immeubles (construction par lotissement). Dans ce cas, le droit de gage collectif n’est pas possible : l’hypothèque doit être demandée sous la forme d’un droit de gage partiel, grevant chaque immeuble pour la partie de la créance dont répond son propriétaire (art. 798 al. 2).

- Le sujet passif du droit à l’inscription : le droit à l’inscription d’une HLI des AeE est toujours dirigée contre le propriétaire actuel de l’immeuble sur lequel se troue le bâtiment ou l’ouvrage concerné par les travaux.

- La non-prestation de sûretés : le propriétaire peut éviter l’inscription de l’hypothèque légale en fournissant des sûretés suffisantes à l’AoE (art. 839 al. 3 in fine et art. 22 al. 3 ORF). Cette condition, formulée négativement, montre que l’hypothèque légale des AeE ne constitue pour le législateur qu’un moyen de protection subsidiaire, revêtant une importance particulière lorsque la facture n’est pas payée en raison d’un différend sur la qualité du travail effectué par l’entrepreneur.

Il s’agit à présent d’analyser la mise en œuvre à proprement parler du droit à l’inscription. Précisons d’abord que les règles ordinaires régissant les hypothèques légales indirectes s’appliquent, que ce soit à la nature juridique du droit à l’inscription de l’hypothèque des AeE, à la renonciation anticipée à ce

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droit ou à la constitution même de l’hypothèque. Le législateur a, en plus, édicté trois règles particulières, relatives au moment de la requête, à la reconnaissance de la créance et à l’inscription provisoire de l’hypothèque :

- Le moment de la requête : la loi fixe en pratique deux moments, celui à partir duquel l’inscription peut être requise et le moment ultime :

o Le premier moment possible : l’art. 839 al. 1 permet à l’ayant droit de former sa requête dès qu’il s’est obligé à exécuter le travail, à savoir dès le moment de la conclusion du contrat.

o Le délai de trois mois : l’art. 839 al. 2 prévoit que l’inscription de l’hypothèque légale au RF doit être requise dans les trois mois qui suivent l’achèvement des travaux (tous les travaux qui constituent l’objet du contrat d’entreprise ont été exécutés et l’ouvrage est livrable). Comme pour les HLI en général, il s’agit d’un délai de péremption, qui ne peut être ni suspendu ni interrompu. La réquisition et l’inscription doivent donc intervenir dans les trois mois (il est suffisant que l’inscription soit simplement portée au journal avant l’échéance du délai).

- La reconnaissance de la créance : le droit propre de requérir unilatéralement l’inscription d’une hypothèque légale indirecte sur l’immeuble d’autrui est soumis à trois conditions alternatives :

o La reconnaissance par le propriétaire : il suffit qu’il reconnaisse le montant garanti par le gage (art. 22 al. 2 ORF allemand). Une véritable reconnaissance de dette n’est d’ailleurs même pas possible si le propriétaire n’est pas débiteur du montant dû à l’entrepreneur ou si la prestation n’a pas encore été fournie.

o L’autorisation donnée par le propriétaire : selon l’art. 22 al. 2 ORF in fine, le propriétaire peut également se limiter à autoriser le conservateur du RF d’inscrire l’HLI pour un certain montant. Une telle autorisation a la portée de la reconnaissance du montant garanti par gage au sens donné par le TF. Cette condition n’a donc pas de portée pratique puisqu’elle est similaire à la première.

o Le jugement : lorsque le propriétaire ne reconnaît pas le montant garanti par le gage, l’ayant droit peut demander au juge d’établir ce montant. L’action tend donc à l’établissement du montant garanti et non à l’établissement de la créance elle-même. Elle peut ainsi être ouverte contre le propriétaire sans que l’ayant droit agisse simultanément en paiement de la dette (notamment si le débiteur n’est pas le propriétaire de l’immeuble grevé.

- L’inscription provisoire de l’hypothèque : l’art. 22 al. 4 ORF renvoie à l’art. 961 al. 1 ch. 1 et permet à l’ayant droit d’obtenir une inscription provisoire (de son hypothèque capitale, très rarement de son hypothèque maximale) dans deux cas : lorsqu’il y a désaccord entre les parties par

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rapport ou montant ou à l’existence de la créance et lorsque le montant des sûretés à fournir est contesté. Pour obtenir cette inscription, il suffit que l’AoE rende vraisemblable le droit allégué (art. 961 al. 3 et 22 al. 4 ORF) en donnant au juge des éléments suffisants quant aux diverses conditions du droit. La décision qui autorise l’inscription n’est pas sujette à recours en matière de droit public alors qu’un rejet peut l’être.

Il s’agit maintenant d’évoquer brièvement le rang de l’hypothèque légale des artisans et entrepreneurs. Il faut distinguer deux types de relations :

- Le rang de l’hypothèque légale des artisans et entrepreneurs en relation avec d’autres droits de gage : la détermination du rang obéit aux règles ordinaires applicables aux hypothèques légales indirectes.

- Les relations entre plusieurs hypothèques légales d’artisans et entrepreneurs : le rang est en principe déterminé par la date d’inscription de chacune des hypothèques. Toutefois, une application stricte du principe de priorité dans le temps risquerait de pénaliser certains AoE du seul fait que les travaux des uns (fondations, gros œuvres) doivent nécessairement être exécutés avant ceux des autres (installations électriques ou sanitaires). L’art. 840 prévoit, pour résoudre ce problème, que, lors de la réalisation de l’immeuble (mais seulement à ce moment), les différents ayants droit concourent entre eux à droit égal, indépendamment de la date d’inscription de leurs hypothèques. Ainsi, si la somme ne couvre pas l’entier de chaque droit de gage, elle est redistribuée entre les différents AeE proportionnellement au montant de leurs droits de gage, sans tenir compte du rang des droits.

Pour terminer avec l’hypothèque légale des entrepreneurs, il convient de parler du privilège. En effet, l’art. 841 al. 1 institue une sorte de droit de préférence en leur faveur, portant sur la plus-value qu’ils ont créée sur l’immeuble. L’art. 841 al. 1 est donc une exception à l’art. 805 car la valeur d’une partie de l’immeuble (la plus-value résultant des travaux) est individualisée et réservée aux AeE. Ce privilège prend la forme d’une créance qu’AeE peuvent faire valoir, après la réalisation forcée, contre les créanciers de rang antérieur et qui tend au paiement de cette plus-value apportée à l’immeuble. Cette créance bénéficie en plus d’un régime de faveur : à certaines conditions, l’artisan ou l’entrepreneur peut faire suspendre la distribution des deniers tant que la question de son privilège n’est pas réglée. Ainsi, si les créanciers antérieurs contestent le principe ou l’étendue du privilège, les AeE peuvent ouvrir une action en exécution dont les conditions personnelles et matérielles permettent de définir directement le privilège lui-même :

- Les conditions personnelles :o La qualité pour agir appartient aux artisans et entrepreneurs au

bénéfice d’une hypothèque légale qui ont subi une perte

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(différence entre le montant de la créance garantie par l’hypothèque légale et montant qui lui est attribué lors de la répartition du produit de la réalisation de l’immeuble grevé) lors de la réalisation de l’immeuble, à l’occasion d’une poursuite en réalisation de gage ou de la faillite du propriétaire.

o La qualité pour défendre appartient à tous les créanciers gagistes de rang antérieurs, qui peuvent être actionner simultanément.

- Les conditions de fonds :o La condition objective : la perte subie par l’AoE doit avoir sa cause

dans la constitution d’un ou de plusieurs DdG antérieurs. Tel est le cas si le DdG antérieur a grevé l’immeuble d’une charge supérieure à la valeur de celui-ci avant les travaux et si ensuite l’emprunteur a pu utiliser le crédit garanti autrement que pour financer les travaux à l’origine de la plus-value prise par l’immeuble.

o La condition subjective : le privilège des ayants droit à l’encontre des créanciers gagistes de rang antérieur n’existe que si ceux-ci pouvaient reconnaître que la constitution de leurs gages porterait préjudice aux AeE (art. 841 al. 1 in fine). Ces CG ne peuvent invoquer leur bonne foi que si elle est compatible avec l’attention les circonstances permettaient d’exiger d’eux. Il faut examiner ce critère de bonne foi et de diligence à deux moments :

Lors de la constitution du droit : le créancier doit s’assurer que le crédit garanti par le DdG sera bien utilisé pour payer les créanciers de construction. Si le montant du DdG dépasse la valeur du sol, le créancier doit éviter qu’il en résulte un préjudice pour les AeE en s’assurant que les fonds mis à disposition de l’emprunteur serviront bien à financer des travaux apportant une plus-value à l’immeuble. Le créancier doit, dans ce but, accorder le prêt sous forme d’un crédit de construction (crédit qui ne peut être utilisé que pour payer des factures de créanciers de construction correspondant à des travaux exécutés).

Lors de l’utilisation du crédit : le créancier gagiste doit, selon le TF, veiller à ce que le principe d’égalité entre les artisans et entrepreneurs soit respecté.

Concernant les effets du privilège, les AeE ne peuvent le faire valoir qu’après la réalisation de l’immeuble (ce n’est que là qu’ils connaitront leurs pertes). Les ayants droit se voient impartir un délai de 10 jours par l’office pour intenter l’action (exercice du privilège, art. 117 ORFI, procédure à suivre) :

- Si l’action est ouverte dans ce délai : la distribution de la part de collocation litigieuse est suspendue. Si la demande des ayants droit est

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admise, l’office doit leur remettre la part qui serait normalement revenue aux créanciers de rang antérieur (art. 117 al. 2 ORFI).

- Si l’action n’est pas intentée dans le délai de 10 jours : les AeE peuvent encore faire valoir leur privilège dans le délai de prescription ordinaire (une année) mais l’office devra tout de même procéder à la distribution de la part de collocation litigieuse. Les ayants droit perdent le privilège d’exécution forcée de l’art. 117 al. 2 ORFI mais pas le privilège découlant de l’art. 841 CC en tant que tel.

L’étendue du privilège est fonction de la plus-value apportée à l’immeuble par les travaux de constructions. La créance que l’AoE peut faire valoir contre le créancier gagiste est en effet calculée sur la base de cette plus-value. La plus-value consiste en la différence entre le produit de la réalisation de l’immeuble et la valeur du sol. Les coûts de construction, les factures établies ou d’autres estimations n’entrent donc pas en ligne de compte. La plus-value obtenue lors de la réalisation de l’immeuble détermine le montant maximal qui peut revenir aux artisans et entrepreneurs lors de la mise en œuvre de leur privilège. Divers facteurs sont néanmoins susceptibles de réduire l’étendue du privilège :

- La plus-value ne sera entièrement distribuée aux AeE que si elle est inférieure, voire égale aux pertes subies. Si la plus-value est supérieure aux pertes, les AeE toucheront au mieux le montant de leurs pertes.

- Si le montant qui peut être exigé des créanciers antérieurs ne couvre pas l’ensemble des pertes, chaque AeE sera payé proportionnellement à sa contribution à la plus-value (égalité de traitement).

- La part d’un AoE ne s’accroît pas de celle des autres créanciers privilégies qui n’ont pas intenté l’action de l’art. 841. Lorsqu’un AoE ouvre l’action, il n’a droit qu’à une indemnité calculée en fonction de sa participation : il ne bénéficie donc en aucun cas de l’abstention des autres.

- Pour calculer la créance d’un AoE contre les créanciers antérieurs, il faut tenir compte des montants qu’il a déjà reçus, soit au moment de la réalisation forcée, soit sous forme d’acomptes.

Pour terminer avec le privilège des AeE, il s’agit de parler de leur protection en cas de transfert des créances hypothécaires de rang antérieur. En effet, les créanciers de rang antérieur pourraient songer à priver les ayants droit du privilège accordé par l’art. 841 en cédant leurs créances hypothécaires à un tiers de bonne foi. Si la créance cédée par le créancier antérieur est garantie par une hypothèque, le transfert à un TdBF ne pose aucun problème car l’acquéreur (même de bonne foi) est exposé aux mêmes exceptions que le cédant. Par contre, si la créance du cédant est garantie par une cédule hypothécaire, l’acquéreur pourrait se prévaloir de sa bonne foi pour s’opposer à l’action des AeE (art. 865-867 et 872 CC). Pour éviter cette situation, le législateur a édicté deux règles :

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- Les créanciers de rang antérieur qui cèdent leurs titres de gage immobilier répondent envers les AeE du montant dont ceux-ci se trouvent frustrés par la cession. Le TF applique cette disposition par analogie au cas où un créancier antérieur a été désintéressé par le propriétaire au moyen d’un nouveau prêt hypothécaire qui échappe à l’action des AeE.

- Les AeE peuvent faire mentionner au RF le début des travaux. Dès la mention et jusqu’à la fin du délai d’inscription, les DdG sur l’immeuble ne peuvent plus être inscrits que sous la forme d’hypothèque (art. 841 al. 3). Les ayants droit peuvent ainsi empêcher la constitution de cédules.

La cédule hypothécaire   :

La cédule hypothécaire est une créance personnelle garantie par un gage immobilier (art. 842 CC) : créance et DdG sont incorporés dans un papier valeur. La cédule hypothécaire peut être définie comme un papier valeur (point 1) qui incorpore (point 2) une créance (point 3) garantie par un droit de gage immobilier (point 4), papier-valeur pouvant ensuite être utilisé de différentes façons en vue de garantir une créance (point 5) :

- Un papier-valeur : les droits incorporés par la cédule hypothécaire ne peuvent être exercés ou transférés qu’au moyen du titre (art. 868-869 CC). La CH est un papier-valeur qualifié pouvant prendre la forme d’un titre au porteur ou d’un titre à ordre (art. 859 et 872 CC). Les art. 965-973 CO (règles générales concernant les papiers-valeurs) s’appliquent dans la mesure où les art. 842 ss CC ne prévoient rien (lex specialis).

- Unité des droits incorporés : la CH incorpore dans un P-V la créance et le DdGI qui garantit celle-ci. Créance et DdG forment un tout indissociable.

- La créance garantie : cet élément amène 4 précisions :o Une créance personnelle : selon l’art. 842, la CH garantit une

créance personnelle : cela signifie que le débiteur répond de cette créance sur l’objet du DdG (l’immeuble) mais aussi personnellement, sur tous ses biens (distinction avec la LdRente).

o Une créance ne comportant ni condition ni contre-prestation (art. 854 CC) : ensuite, la CH étant un P-V destiné à circuler, elle ne supporte aucune clause qui nuirait à sa négociabilité. De telles clauses n’auraient en fait d’effets qu’entre le débiteur et le créancier initial mais ne seraient pas opposables aux tiers.

o Une créance nouvelle : la constitution d’une CH donne naissance à une créance nouvelle (créance résultant de la reconnaissance de dette exprimée dans le titre). La plupart du temps, les parties sont déjà créancière et débitrice l’une de l’autre : dans ce cas, l’art. 855 al. 1 prévoit que la constitution de la CH éteint par novation l’obligation dont elle résulte, l’ancienne créance s’éteint par la création d’une nouvelle créance incorporée dans la CH.

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o Dissociation des qualités de débiteur et de propriétaire : la dette reconnue dans une CH peut ne pas être celle du propriétaire de l’immeuble grevé (la CH est alors comparable à l’hypothèque). Si le propriétaire de l’immeuble grevé n’est pas débiteur de la dette reconnue dans la CH, on applique les règles en matière d’hypothèque (art. 845 al. 1).

- Le droit de gage immobilier : la créance reconnue dans la CH est garantie par un DdGI qui lui est indissolublement lié. La créance et le DdG étant incorporés dans un P-V, la CH ajoute à sa fonction de garantie la possibilité de mobiliser la valeur du sol.

- Les modes d’utilisation :o Cédule hypothécaire utilisée en garantie directe : la garantie prend

la forme d’un DdGI établi directement en faveur du créancier. La créance garantie est reprise par la créance du même montant incorporée dans la CH. Le créancier acquiert la titularité de la créance et du droit de gage immobilier.

o Cédule hypothécaire utilisée en garantie fiduciaire : la CH peut aussi être utilisée pour garantir une créance qui existe à côté de la cédule (garantie à caractère fiduciaire). Le créancier acquiert la titularité de la créance et du DdGI incorporé dans le titre en vue de garantir une créance distincte de celle incorporée dans la cédule.

o Cédule hypothécaire utilisée en garantie indirecte : les parties peuvent enfin garantir une créance en constituant en faveur de celle-ci un gage mobilier (analogue au nantissement) sur une CH (garantie indirecte). Le créancier doit d’abord faire réaliser la CH en tant que gage mobilier avant que la garantie immobilière incorporée ne puisse être mise à contribution.

La constitution de la CH est en principe soumise aux règles générales des art. 794-800 CC. Il existe tout de même quelques particularités liées à l’émission d’un papier-valeur. Les dispositions spéciales concernent tant les conditions matérielles de la constitution du droit de gage que ses modalités :

- Particularités quant à la créance garantie et à l’objet du droit de gage :o Dénonciation de la créance garantie : le principe de spécialité du

droit de gage quant à la créance garantie s’applique aussi en matière de CH. L’art. 844 précise en plus que la CH ne peut être dénoncée, par le créancier ou par le débiteur, que six mois d’avance et pour le terme usuel assigné au paiement des intérêts.

o Limites de charges prévues par le droit cantonal : les règles générales sur l’immeuble objet de droit de gage s’appliquent aussi aux CH (y compris, entre autre, les dispositions fédérales fixant une charge maximale). Le législateur fédéral laisse toutefois aux cantons la possibilité d’édicter des règles spéciales sur les limites

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de charge des CH. Cette réserve au sens propre permet aux cantons de prendre deux types de mesures en vue de renforcer la confiance qui peut être attachée aux CH :

Ils peuvent prévoir une estimation officielle, facultative ou obligatoire, de l’immeuble grevé (art. 843 al. 1). Le créancier pourra ainsi mieux évaluer la garantie offerte.

Si l’estimation officielle est obligatoire, les cantons peuvent en plus prévoir que la créance garantie ne pourra pas dépasser le montant de l’estimation de l’immeuble grevé, voire un pourcentage de ce montant (art. 843 al. 2).

- Modalités de constitution d’une cédule hypothécaire :o Le titre d’acquisition : il faut distinguer selon que la CH est

constituée directement en faveur d’un tiers ou que le propriétaire de l’immeuble constitue la cédule à son propre nom ou au porteur pour ne la céder qu’ensuite au tiers créanciers :

Cédule constituée en faveur d’un tiers : la CH obéit aux règles générales. Le titre d’acquisition est un contrat (en la forme authentique, selon l’art. 799 al. 2 CC) de gage immobilier par lequel le propriétaire de l’immeuble s’engage envers le tiers créancier à constituer en sa faveur une cédule hypothécaire nominative ou au porteur.

Cédule constituée au nom du propriétaire ou au porteur (art. 859 al. 2) : les qualités de propriétaire de l’immeuble grevé et de créanciers gagistes étant réunies dans une même personne, le titre d’acquisition consiste dans la décision unilatérale du propriétaire.

o Inscription au registre foncier : la CH prend naissance par l’inscription au RF et par la création et la délivrance d’un titre. La réquisition d’inscription doit émaner du propriétaire de l’immeuble (art. 963 al. 1) ou de son représentant. L’inscription produit des effets différents selon que la CH est constituée en faveur d’un tiers par contrat ou au nom du propriétaire ou au porteur par déclaration unilatérale. Dans le premier cas, le conservateur doit en principe délivrer le titre immédiatement après l’inscription du droit de gage au RF (les effets produits par l’inscription et par le titre sont en principe confondus). Si par contre le titre n’est pas émis directement, l’inscription produit tout de même ses effets avant la création du titre (art. 856 al. 2). Par contre, le créancier ne peut pas disposer de la créance tant que le titre n’est pas émis. Si la CH est constituée par déclaration unilatérale du propriétaire, l’inscription au RF ne crée qu’une charge virtuelle sur l’immeuble (les rôles de propriétaire de l’immeuble grevé et de créancier gagiste étant confondus).

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o Délivrance du titre : comme on l’a dit, il faut tout d’abord l’inscription au RF mais aussi, ensuite, la délivrance du titre. L’art. 856 al. 1 précise qu’un titre sera délivré pour toute CH inscrite au RF. Le conservateur doit procéder à la création du titre (art. 857 al. 1-2 et 858) et remettre ensuite celui-ci à l’ayant droit (art. 857 al. 3). Dans les deux cas, une violation des dispositions légales entraîne la responsabilité du canton, car il s’agit d’actes ressortissant à la tenue du registre foncier (art. 955 CC). Précisons en outre que la CH, dressée par le conservateur du RF, doit ensuite être signée par cette même personne (art. 857 al. 1-2 CC).

Comme pour le reste, l’extinction de la CH obéit en principe aux règles générales valables pour tous les DdGI. Les particularités de la CH conservent malgré tout une influence sur l’extinction du droit de gage en cas de paiement de la dette garantie, lors de la radiation du DdG et lorsque le créancier est inconnu. Le code prévoit également certaines règles pour la modification des CH :

- Le sort de la cédule en cas de paiement de la dette garantie : l’existence d’un titre incorporant créance et droit de gage a deux conséquences lors du remboursement de la dette garantie :

o La remise du titre : en principe, le débiteur qui paie la totalité de la dette peut exiger du créancier qu’il lui remette le titre (art. 88 et 90 CO). Le titre ne doit pas être annulé (art. 873) : le débiteur devient son propre créancier (créance virtuelle). Cela permet ainsi de réutiliser la même cédule en la cédant à un tiers.

o Les deux possibilités ouvertes au débiteur : en général, lorsque l’obligation principale s’éteint (par paiement ou autre), les DdG qui la garantissent s’éteignent également (art. 114 al. 1 CO). Ce principe vaut sous réserve des dispositions spéciales sur les DdGI (art. 114 al. 3 CO). L’art. 863, précisément, prévoit que s’il n’y a pas de créancier ou si le créancier renonce à son gage, le débiteur peut faire radier l’inscription ou la laisser subsister. Dans ce deuxième cas, la situation est alors analogue à celle du propriétaire qui constitue une CH en son nom ou au porteur.

- La radiation du droit de gage : il faut distinguer selon que la radiation est :o Radiation extinctive : elle est extinctive lorsque la dette est éteinte

par le paiement ou pour une autre cause. C’est le créancier gagiste qui a qualité pour requérir la radiation (art. 964). Toutefois, étant donné que le débiteur peut demander la restitution du titre, c’est alors souvent le débiteur qui, en pratique, requiert la radiation. Naturellement, l’inscription ne peut être radiée que si le titre a été préalablement cancellé ou annulé judiciairement (art. 864).

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o Radiation déclarative : elle est déclarative en cas de perte totale de l’immeuble, d’expropriation, de réalisation forcée, de purge hypothécaire et d’annulation judiciaire (art. 871 CC).

- L’annulation des titres dont le créancier est inconnu : l’art. 871 prévoit une procédure spéciale d’annulation du titre lorsque le créancier est resté inconnu pendant 10 ans (cette procédure remplace dans une certaine mesure la prescription de la créance, exclue par l’art. 807 CC).

- Les modifications de la cédule : les modifications d’une CH nécessitent un contrat (forme authentique, sauf en cas de diminution de la charge ou de points objectivement non essentiels). Le conservateur ne peut inscrire une modification au RF que s’il est en mesure de la mentionner simultanément sur le titre (art. 874 al. 2). S’il s’agit d’une aggravation de la charge, la réquisition doit émaner du propriétaire de l’immeuble grevé (le créancier gagiste, ayant intérêt à ce type de modification, remettra normalement sans problème la cédule en vue de la modification du titre). Au contraire, lorsqu’il s’agit d’un allègement de la charge, elle s’opère sur simple déclaration écrite du créancier gagiste. L’art. 874 al.1 confère alors au débiteur le droit de faire inscrire la modification au RF (protection de l’acquéreur de bonne foi). A défaut d’inscription, les modifications opérées ne sont pas opposables à l’acquéreur de bonne foi du titre, sauf pour les acomptes payés sous forme d’annuités (art. 874 al. 3).

Les effets de la cédule hypothécaire   :

La CH produit naturellement premièrement les effets généraux de tout droits de gage immobilier. Ses effets spécifiques tiennent à l’incorporation de la créance et du droit de gage dans un papier-valeur et au fait que la créance elle-même est liée directement à l’inscription au RF. Il convient d’analyser les effets dans deux situations, comme pour tout cas de papier-valeur. Pour terminer, il s’agira également de parler du transfert de la cédule hypothécaire et plus précisément la protection accordée à l’acquéreur de bonne foi de celle-ci :

- L’exercice du droit du créancier avec le titre : le créancier ne peut faire valoir son droit que moyennant la présentation du titre (art. 868 L. 1 CC et 965 CO). En constituant une cédule, le débiteur s’est implicitement engagé à ne pas exécuter sa prestation sans la présentation du titre. Pour le reste, le débiteur n’est libéré de son obligation qu’aux conditions ordinaires (art. 966 al. 2 CO) : à savoir en cas de paiement à l’échéance (sans dol ni négligence grave) entre les mains de la personne qui présente le titre et qui est légitimée par celui-ci. Ce principe souffre tout de même une importante exception : selon l’art. 862 al. 1, le débiteur est en droit, tant qu’il n’a pas été avisé du transfert de la créance, de payer à l’ancien créancier, sans exiger la présentation du titre, les intérêts et annuités

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pour lesquels il n’existe pas de coupons. Concernant le lieu du paiement, le débiteur est tenu (sauf si le titre précise autre chose) de faire tous ses paiements au domicile du créancier, même si le titre est au porteur.

- L’exercice du droit du créancier sans le titre (annulation judiciaire de la cédule hypothécaire) : comme on l’a dit, le débiteur n’est tenu d’exécuter sa prestation que sur présentation du titre (art. 868 al. 1 CC, 966 al. 1 CO). Le créancier dont le titre a été détruit ou qui l’a perdu n’est donc plus en mesure de faire valoir son droit. Il ne perd cependant pas tout : l’art. 870 lui donne la possibilité de faire annuler le titre par le juge et, cela fait, de demander le paiement ou, si la créance n’est pas exigible, de requérir la délivrance d’un nouveau titre. La solution est donc la même que pour tous les autres papiers-valeurs (règles générales des art. 971-972 CO).

- Le transfert de la cédule hypothécaire : par transfert, il faut entendre non seulement la cession de la créance incorporée mais aussi la constitution d’un droit réel limité sur cette créance (droit de gage ou usufruit). Seul sera étudié le transfert à titre particulier par acte juridique, transfert soumis aux règles générales de l’acquisition des papiers-valeurs :

o Les conditions du transfert : il nécessite un titre d’acquisition, suivi d’un acte de disposition et d’un transfert de la possession du titre :

Le titre d’acquisition : il s’agit en général d’un contrat générateur d’obligations (vente, donation, apport à une société). L’obligation de transférer peut aussi résulter d’un legs. Le transfert n’est valable que si le titre l’est également (caractère causal du transfert de la cédule).

L’opération d’acquisition : qui consiste en : L’acte de disposition : il s’agit de l’acte par lequel le

créancier déclare se dessaisir de sa créance ou la grever d’un DRL. La forme de la déclaration dépend de son type : aucune forme pour les CH au porteur, forme écrite pour les CH nominatives (il s’agit souvent d’un endossement (menton écrite de la cession figurant au dos du titre). Quant au fond, l’acte de disposition doit remplir les conditions de validité ordinaires (art. 1 ss CO) : pouvoir de disposer du titre notamment. La protection de l’acquéreur de bonne foi dépend du type de cédule hypothécaire (art. 935 CO pour les titres au porteur et art. 1006 al. 2 CO pour les titres nominatifs).

L’acte matériel (transfert de la possession du titre) : l’opération d’acquisition n’est parfaite que lorsque l’aliénateur a effectivement transmis à l’acquéreur la possession du titre (art. 869 al. 1 CC, 868 al. 1 CC et art. 967 al. 1 CO). Aucune opération au RF n’est

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requise, mais l’acquéreur peut se faire inscrire dans le registre des créanciers (art. 66 al. 1-2 ORF).

o Les effets du transfert : l’acquéreur devient titulaire de la créance incorporée dans la CH (avec le droit de gage qui la garantit), ou, en cas de constitution d’un DRL, titulaire de l’usufruit ou du droit de gage mobilier grevant la cédule. Le transfert a aussi des effets quant à l’étendue des droits du créancier et des devoirs du débiteur. Lorsque la créance garantie n’existait pas ou était sujette à exceptions, ou lorsque le DdGI n’avait pas été valablement constitué, le transfert modifie la situation juridique de l’acquéreur de bonne foi, qui est protégé, et du débiteur, qui perd les moyens de défense qu’il pouvait avoir jusque là :

Selon l’art. 865, l’inscription au RF fait règle à l’égard de toute personne qui s’en est rapportée de bonne foi aux énonciations du registre. De ce fait, l’art. 865 étend la foi publique du registre foncier au DdG et à la créance garantie (créance et droit de gage formant un tout indissociable).

Selon l’art. 866, la teneur de la CH dressée en due forme fait règle à l’égard de toute personne qui s’en est rapportée de bonne foi aux énonciations du titre. La CH mentionnant la créance et le droit de gage, l’art. 866 étend la foi publique attachée au RF pour la créance comme pour le droit de gage. La foi publique du registre se combine donc avec la foi publique attachée aux papiers-valeurs qualifiés.

Toujours concernant les effets de la cédule hypothécaire, il s’agit à présent d’analyser les conditions de la protection de l’acquéreur du titre face au débiteur : il y en a trois :

Une acquisition de bonne foi : le tiers doit avoir valablement acquis la CH, conformément aux conditions exposées ci-dessus. La seule bonne foi du tiers ne peut réparer les vices affectant le transfert du titre. L’acquéreur doit ensuite avoir été de bonne foi lors du transfert.

Un titre dressé en due forme : le titre doit contenir toutes les énonciations essentielles relatives à la créance (somme, désignation du débiteur et du créancier) et au droit de gage (désignation de l’immeuble grevé) ainsi que la signature du conservateur du RF. Si l’un de ces éléments fait défaut, la CH est frappée de nullité (nullité opposable au TdBF, art. 866).

Un titre conforme à une inscription régulière au registre foncier : le titre n’existe que s’il est conforme à l’inscription de la CH au RF. Si le titre ne correspond pas à l’inscription, l’art. 867 al. 1 indique que c’est le RF qui fait foi. L’art. 867 al. 2 prévoit un correctif à l’affaiblissement de la foi

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publique résultant de l’art. 867 al. 1 : l’acquéreur de bonne foi du titre a droit à la réparation du dommage qu’il a subi, conformément aux règles établis pour le RF (cas de responsabilité causale du canton selon l’art. 955).

Pour terminer avec la CH (et ses effets), il convient d’analyser l’étendue de la protection de l’acquéreur de bonne foi. Par rapport à la créance, la protection se traduit par une limitation des exceptions que le débiteur peut lui opposer : le débiteur ne peut faire valoir que les exceptions dérivant de l’inscription ou du titre et celles qu’il a personnellement contre le créancier poursuivant (art. 872 CC, correspondant à l’art. 979 CO pour les titres au porteur et à l’art. 1007 CO pour les titres à ordre) :

Les exceptions qui dérivent de l’inscription ou du titre : ces moyens de défense (caractère objectif) tiennent soit à la nullité du titre ou de l’inscription, soit aux modalités de la créance définies sur le titre ou dans l’inscription.

Les exceptions que le débiteur a personnellement contre l’acquéreur : il s’agit des moyens de défense (caractère personnel) que le débiteur peut opposer à l’acquéreur de la cédule dont il ne disposait pas contre le cédant (au contraire des exceptions ci-dessus, que le créancier pouvait déjà invoquées contre l’auteur du transfert et qui sont conservées contre l’acquéreur). Il s’agira en général d’une exception de compensation mais il peut aussi s’agir d’un délai de paiement supplémentaire accord par l’acquéreur.

Les droits de gage mobiliers   (DdGM)   :

Le DdGM est un droit réel limité qui assujettit une chose (mobilières en général) à la garantie d’une créance en capital. Le DdGM est l’accessoire d’une créance et le principe d’accessoriété s’applique sans réserve (au contraire de ce qui vaut en matière de DdGI) car l’extinction de la créance entraîne forcément celle du droit de gage. En outre, il n’est pas possible pour le créancier gagiste devenu propriétaire de l’objet du gage de conserver un droit de gage sur cet objet (au contraire, encore une fois, de ce qui vaut en matière de DdGI). Il est donc impossible d’être titulaire d’un droit de gage mobilier sur sa propre chose. On peut donc définir le DdGM comme le droit réel qui permet à son titulaire de faire réaliser une chose mobilière appartenant à autrui ou un droit (qui n’est pas un immeuble au sens de l’art. 655 al. 2) afin d’obtenir le paiement de la créance garantie. Il existe, comme en matière de DdGI, un numerus clausus :

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- Le nantissement : il s’agit de la forme la plus courante de droit de gage mobilier : il suppose que le constituant se dessaisisse de l’objet nanti en le remettant au créancier gagiste ou à un tiers (art. 884, 886-894 CC).

- Le droit de rétention : pouvant prendre la forme générale prévue aux art. 895-898 ou résulter de dispositions spéciales du CC, du CO ou d’une autre loi, il permet à une créancier, se trouvant en principe en possession d’une chose mobilière appartenant à un débiteur, à retenir celle-ci et à la faire réaliser en cas d’inexécution de la créance.

- L’hypothèque mobilière : au contraire du nantissement, la constitution du droit de gage n’exige pas le dessaisissement (pas de transfert de possession au créancier gagiste) mais est manifestée par une inscription dans un registre (art. 885 par exemple). Ce type d’hypothèque peut notamment concerner le bétail (art. 885 CC), les bateaux (art. 38-52 LRB) ou les aéronefs (art. 26-51 LRA).

- Le droit de gage sur les créances et autres droits : ce type comprend également l’engagement de droits incorporés dans des papiers-valeurs (art. 899-906 CC) et suppose un acte écrit (sauf titres au porteur).

- Le droit de gage des prêteurs sur gages : il ne peut être pratiqué que par les personnes dûment autorisées par les cantons et à des conditions particulières (protection suffisante de l’emprunteur).

- Les lettre de gage : il s’agit d’une forme particulièrement sûre de garantie réelle, combinant droits de gage immobiliers et droits de gage mobiliers et destinés à favoriser les prêts à certaines institutions bancaires.

La doctrine a cherché à regrouper les différentes formes de droits de gage mobiliers selon divers critères. Il existe principalement deux classifications :

- Classification selon l’origine du droit de gage : on peut distinguer les DdGM selon qu’ils ont leur origine dans une convention (un legs éventuellement ; DdGM conventionnel) ou dans la loi (DdGM légal).

- Classification selon la publicité du droit de gage : cette classification repose sur une série de distinctions fondées sur la manière dont l’existence du droit de gage est manifestée pour les tiers. On distingue ainsi les DdGM dont la constitution nécessite un transfert de la possession de l’objet grevé et ceux qui prennent naissance alors même que le propriétaire conserve la possession de la chose mise en gage :

o Les droits de gage mobiliers fondés sur la possession : le nantissement en est le modèle. Le transfert de possession nécessaire à la constitution du droit de gage peut être opéré volontairement par le propriétaire ou être indépendant de cette volonté (cas des épaves, art. 700 al. 2, par exemple).

o Les hypothèques mobilières au sens large : En général, il s’agit des cas où le droit de gage est manifesté

par l’inscription dans un registre (transfert de possession

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au créancier gagiste impraticable). Cette inscription est alors constitutive (on parle alors plus précisément d’hypothèque mobilière au sens étroit). Dans d’autres cas, le droit de gage résulte directement du titre d’acquisition, l’inscription n’ayant qu’un rôle déclaratif.

Enfin, exceptionnellement,, le droit de gage mobilier sans transfert de possession peut être constitué sans qu’il soit manifesté par une inscription dans un registre (on peut citer l’exemple de quelques droits de rétention).

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