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STraTegic OuTlOOk fOr canada CD Institut ’Institut CAD L’ÉCLIPSE DE LA RAISON 2015 LES PERSPECTIVES STRATÉGIQUES DU CANADA FERRY DE KERCKHOVE l’institut de la cad cahier vimy vimy paper cda institute CDA Institute L'Institut de la CAD ~ 1987 ~

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L'Institut de la CAD rend public le document Cahier Vimy 22 - l'édition 2015 de Perspectives stratégiques pour le Canada.

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Page 1: Vimy Paper 22

STraTegic OuTlOOk fOr canada

CD Institut

’Institut

CAD

L’ÉCLIPSE DE LA RAISON

2015 LES PERSPECTIVES STRATÉGIQUES DU CANADA

FERRY DE KERCKHOVE

l’institut de la cad cahier vimy

vimy paper cda institute

CDAInstitute

L'Institut de la CAD

~ 1987 ~

Page 2: Vimy Paper 22

L’Institut de la Conférence des associations de la défense

L’Institut de la Conférence des associations de la défense est un organisme caritatif et non partisan qui a pour mandat de

promouvoir un débat public éclairé sur les enjeux de notre sécurité et de la défense nationale.

Institut de la Conférence des associations de la défense

151 rue Slater, bureau 412A Ottawa (Ontario) K1P 5H3

613 236 9903 www.cdainstitute.ca

Tous les logos et les marques de commerce utilisés sont la propriété de leurs détenteurs respectifs.

L’utilisation qui en est faite dans cette publication l’est en vertu des dispositions de la loi canadienne applicable sur

l’utilisation équitable non commerciale et nominative.

Conference of Defence Associations Institute

The Conference of Defence Associations Institute is a charitable and non-partisan organization whose

mandate is to promote informed public debate on national security and defence issues.

Conference of Defence Associations Institute

151 Slater Street, suite 412A Ottawa, Ontario K1P 5H3

613 236 9903 www.cdainstitute.ca

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Use in this publication is under non-commercial and normative fair use provisions of applicable Canadian

law.

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LES PERSPECTIVES STRATÉGIQUES DU CANADAFERRY DE KERCKHOVE

L’Institut de la Conférence des Associations de la Défense © Février 2015

Page 4: Vimy Paper 22

Version française Cahier Vimy 22 - 2015: Les perspectives stratégiques du Canada de Kerckhove, Ferry Print: ISBN 978-1-928082-04-0 PDF: ISBN 978-1-928082-03-3

English version The Vimy Paper Vol. 22 - 2015: The Strategic Outlook for Canada de Kerckhove, Ferry Print: ISBN 978-1-928082-02-6 Pdf: ISBN 978-1-928082-01-9

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LES PERSPECTIVES STRATÉGIQUES DU CANADA 2015

L’AUTEUR1

FERRY DE KERCKHOVE

Vice-président exécutif, Institut de la CAD

Professionnel en résidence, École supérieure d’affaires publiques et internationales, Université d’Ottawa

Distinguished Alumni, ICDAE/CDFAI

Ancien haut-commissaire au Pakistan

Ancien ambassadeur en Indonésie

Ancien ambassadeur en Égypte

Membre du conseil de direction de l’Institut de la CAD

L’auteur tient à saluer tout particulièrement la contribution de l’Amiral Drew Robertson (ret) pour son infatigable appui et ses conseils tout au long de la rédaction de ce document, dont il mériterait d’être cité comme co-auteur. Il salue également le travail d’édition des versions anglaise et française du Lieutenant-général Richard Évraire (ret) ainsi que la contribution du personnel de

l’Institut.

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CONSEILLERS

Cette liste des conseillers ne signifie pas qu’ils aient été nécessairement en accord avec le texte ci-après mais ils ont constitué un groupe de consultation auquel les auteurs sont éminemment reconnaissants. (*Membre du conseil de direction de l’institut de la CAD)

L’Hon. Lloyd Axworthy Ancien ministre des Affaires étrangères

M. Tony Battista* Directeur général, CAD/Institut de la CAD

M. David C. Bennett Ancien diplomate américain, Professeur, U.S. Army War College

LCol Dr. Doug Bland (ret)* Ancien directeur des études en gestion de la défense, Université Queen’s

Dr. Darrell Bricker* PDG, IPSOS Affaires pubiques

LGén Charles Bouchard (ret) Président & DG, Charles Bouchard & Associates Directeur exécutif, Lockheed Martin Canada

Col Brett Boudreau (ret)* Ancien directeur des Affaires publiques, présidence du Comité militaire de l’OTAN; Propriétaire et Consultant principal, Veritas Strategic Communications Inc. Conseiller à la rédaction, Frontline Defence Magazine

Vice-Amiral Ron Buck (ret) Ancien Vice-chef d’État-major de la Défense du Canada Président, Ligue de la Marine du Canada

M. Richard Cohen* Président, RSC Strategic Connections Inc. Ancien Colonel de l’Armée britannique

M. David Collins* Ancien ambassadeur du Canada Directeur, David Collins Inc. Scotiamere

M. Robert Collette Ancien ambassadeur du Canada Président, RCBI

Dr. Howard Coombs Professeur, Collège militaire royal du Canada

Dr. John Scott Cowan* Ancien président, Institut de la CAD

M. Dan Donovan* Éditeur, Ottawa Life Magna International

LGén Richard Evraire (ret)* Ancien représentant militaire auprès de l’OTAN

M. Robert Fowler Ancien ambassadeur du Canada auprès de l’ONU; ancien sous-ministre de la Défense nationale

LGén Michel Gauthier (ret)* Consultant indépendant, Follow-the Sapper Consulting Ancien Commandant de la Force expéditionnaire du Canada

MGén Daniel Gosselin (ret) Ancien Commandant, Académie de la défense du Canada

Dr. Ann Griffiths Co-directrice et chargée de recherche, Centre for Foreign Policy Studies, Dalhousie University

M. Ken Hansen Chargé de recherche, Centre for Foreign Policy Studies, Dalhousie University

Me. Meaghan Hobman Gestionnaire, Administration et Relations publiques, Institut de la CAD

MGen Al Howard (ret) Ancien Commandant adjoint de l’Armée canadienne

Dr. Tahira Hira Professeur & Conseillère principale du Président, Iowa State University

Gén Ray Henault (ret)* Ancien chef d’État-major de la défense du Canada et président du Comité militaire de l’OTAN

Sean Henry Ancien Colonel, FAC

LES PERSPECTIVES STRATÉGIQUES DU CANADA

L’INSTITUT DE LA CAD | CAHIER VIMMY

iv

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Commodore Dr. Eric Lerhe (ret) Centre for Foreign Policy Studies, Dalhousie University Ancien Commandant MARPAC

LGén Marc Lessard (ret)* Ancien Commandant CANOPSCOM Ancien Commandant Commandement régional (Sud)

M. Pierre Lortie* Conseiller principal, Affaires, Dentons Canada

LGén George Macdonald (ret) * Ancien Vice chef d’État-major de la défense Président, GEM Strategies Partenaire principal, CFN Consultants

BGén Don Macnamara (ret)* Ancien professeur en affaires internationales, Queen’s University

MGen Lewis Mackenzie (ret) Ancien Commandant UNPROFOR – ancienne Yougoslavie

Dr. David McDonough Consultant, Institut de la CAD

Mme Marie Claire Ouellette Organisatrice, Atelier de la CAD sur les questions de sécurité et de défense

Capt(M) Ian Parker (ret) Associé, CFN Consultants

Col Alain Pellerin (ret) * Ancien directecteur exécutif – Institut de la CAD

Col George Petrolekas (ret)* Ancien conseiller stratégique du Chef d’État-major de la défence

M. David Perry Analyste principal de défense – Institut de la CAD et candidat au doctorat, université Carleton

M. Colin Robertson* Conseiller stratégique principal, McKenna, Long & Aldridge SARL; vice-président et chercheur invité, Institut canadien de la défense et des affaires étrangères; fellow, School of Public Policy, University of Calgary

Vice-Amiral Drew Robertson (ret)* Ancien Commandant de la Marine royale canadienne

Me. Valerie Shapiro, Présidente Conseil international canadien, Section de Vancouver

M. David Smart Professeur adjoint et chargé de cours, School of Public Administration, Dalhousie University Fondateur et PDG, Get Smart Consulting

M. Vernon Turner Ancien ambassadeur du Canada en Russie

Commodore Kelly Williams (ret) * Directeur principal, Stratégie et relations gouvernmentales, General Dynamics Canada

Cdr Ian Wood (ret) Chercheur en defense, Centre for Foreign Policy Studies, Dalhousie University

Nos remerciements vont aussi aux fonctionnaires, militaires, diplomates et journalistes dont nous taisons les noms mais à qui nous sommes reconnaissants pour leurs observations et conseils.

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PRÉFACE

C’est avec beaucoup de plaisir que l’Institut de la conférence des associations de défense (Institut de la CAD) présente le 22ème cahier Vimy, l’édition 2015 du document Les perspectives stratégiques du Canada rédigé par l’ancien ambassadeur du Canada Ferry de Kerckhove.

Dans l’environnement volatile du XXIe siècle en terme de sécurité, les pays font face à une vaste gamme de défis tant au plan de la défense que de la sécurité intérieure. Ces défis entraînent un ensemble de plus en plus complexe de responsabilités internationales qu’il est impossible d’éviter. La menace croissante à la sécurité a des caractéristiques aussi bien conventionnelles qu’asymétriques – des guerres classiques comme des activités terroristes et criminelles violentes, auxquelles s’ajoutent des catastrophes naturelles ou provoquées par l’homme. Cette évolution a exigé des états qu’ils entament une réflexion globale dans un monde en changement perpétuel et qu’ils agissent en conséquence. Dans un tel environnement international, tous les pays se doivent de réévaluer leurs mécanismes de défense et de sécurité et de travailler d’arrache-pied pour anticiper, comprendre et gérer des menaces tant transfrontalières que sans frontières. Les événements de l’année qui vient de s’achever, marquée notamment par des attaques de loups solitaires radicalisés, ont choqué bien des gens, dont les Canadiens, nous faisant prendre de plus en plus conscience que le Canada n’est pas à l’abri de ce type d’attaques. Notre participation à l’OTAN, à NORAD et à d’autres institutions multilatérales continue d’inciter les dirigeants politiques canadiens à prendre des mesures appropriées pour faire face à la multiplicité de menaces.

Pour le Canada, l’année 2014 a été marquée tant de succès que d’échecs, par l’expression de sentiments vibrants de fierté nationale, mais également par des tragédies. Certaines des entreprises constructives du Canada en 2014 ont compris la participation à la coalition contre l’État islamique sous l’égide des Américains, l’expédition de ressources humaines et matérielles pour lutter contre les actes de terrorisme et le déploiement de ressources logistiques et médicales en Afrique de l’Ouest pour aider à combattre la crise d’Ebola. L’année dernière a également été assombrie par la série de coupes budgétaires dans les forces armées canadiennes, l’absence d’une politique de défense publique et des délais accrus dans les prises de décision sur les grands programmes d’acquisition pour la défense.

Le document « Perspectives stratégiques » souligne cette année les éléments fondamentaux de la défense et de la sécurité du Canada auxquels le gouvernement doit s’attacher. Il souligne également l’écart croissant entre les ressources disponibles et celles qui sont nécessaires pour répondre aux engagements permanents et futurs. Tout ceci conduit à un constat: le besoin fondamental de renouveler le cadre de sécurité et de défense du Canada, en passant par les politiques étrangère, de défense et de sécurité. Il faut aussi un engagement ferme du gouvernement de fournir aux forces armées canadiennes et aux autres institutions nationales de sécurité les moyens de prendre les mesures qui s’imposent en temps de crise.

Le document fournit une évaluation du rôle et des capacités du Canada à notre époque mouvementée. Il souligne que la plupart des réponses, sinon toutes, exigeront un engagement résolu du gouvernement canadien. Il réaffirme également le besoin d’éduquer et d’éclairer la population canadienne sur les questions de sécurité de défense et invite notre gouvernement à définir des politiques et de dédier les ressources nécessaires à la planification et à l’exécution de ripostes à court et à long terme aux menaces internes et de sécurité internationale.

Bon nombre de ces conclusions sont renforcées par les résultats d’une enquête d’opinion publique sur les attitudes canadiennes en matière de sécurité et de défense, entreprise au nom de l’Institut de la CAD par IPSOS et son PDG Darrell Bricker.

« Les Perspectives stratégiques du Canada 2015 » renforcé par les résultats de l’enquête Ipsos, offre beaucoup d’éléments de réflexion alors que l’environnement de sécurité internationale et nationale continue d’évoluer. Les discussions que ce document est susceptible d’animer par ses conclusions et ses recommandations sont dès lors bienvenues.

Général Ray Henault (ret), CMM, CSM, DC Président de l’Institut de la CAD

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TABLE DES MATIÈRES

PRÉFACE vi

SOMMAIRE 1

1. INTRODUCTION: L’ÉTIOLEMENT DE LA RAISON? 3

2. UN ENVIRONNEMENT INTERNATIONAL EN MUTATION:LA RÉALITÉ DÉPASSE LA FICTION 5Quel ordre international? 5Sept tendances critiques 6Autre tendances? 8La Russie et l’Ukraine: un retour à la guerre froide? 9Une inflexion dans les relations entre grandes puissances? 11La Chine 12Le Moyen-Orient: la paix verra-t-elle le jour? 16 - Le conflit israélo-palestinien 16 - L’Iran 17 - L’État islamique: bienvenue en « Extrêmistan » 18Au-delà de la folie 21

3. LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE CANADIENNE:CONNAISSONS-NOUS NOTRE PLACE DANS LE MONDE? 22L’ABC de la politique étrangère canadienne 22Le multilatéralisme aujourd’hui: encore pertinent? 23La politique étrangère canadienne d’aujourd’hui 24La réponse du gouvernement aux crises récentes 25Le problème sous-jacent 27

4. LA DÉFENSE DU CANADA:ON DEMANDE UNE POLITIQUE DE SÉCURITÉ NATIONALE 28Quelques éléments de base 28La situation des forces armées canadiennes aujourd’hui 29La marine royale canadienne 31L’armée canadienne 34La force aérienne royale canadienne 37Un pivot canadien vers le Pacifique dans ces circonstances? Fort peu probable 40Là où tout s’effondre: de coupes furtives à des coupes brutales 40L’opinion publique canadienne: la défense est-elle importante? 46

5. CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS 46

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SOMMAIRE

L’année 2014 a été extraordinaire. Elle a été marquée par deux crises majeures qui ont conduit, à peine quelques mois après le départ de nos dernières troupes d’Afghanistan, à la participation simultanée du Canada à deux missions militaires qui se poursuivent en 2015. La première a été l’affectation d’un contingent des FAC en Europe pour renforcer la souveraineté de nos partenaires est-européens de l’OTAN et faire face à l’agressivité de la Russie, suite à sa mainmise criminelle sur la Crimée, territoire inaliénable de l’Ukraine; la seconde est constituée d’une mission de formation et d’un autre contingent de CF-18 dans le cadre de la coalition menée par les États-Unis pour contrer l’agression en Irak et en Syrie par le califat islamique autoproclamé. Ces événements et d’autres encore, comme les attaques de loups solitaires au cénotaphe d’Ottawa et à Saint-Hubert, ont rappelé aux Canadiens le rôle critique de leur gouvernement pour ce qui est d’assurer la défense, la sécurité, et la protection de ses citoyens.

Le monde est effectivement à la fois dangereux et imprévisible surtout au regard des défis simultanés du leader apparemment délirant d’une puissance nucléaire, de la folie malheureusement déterminée d’un groupe comme l’État islamique, d’une Chine qui alterne entre le leadership de l’économie mondiale et l’exercice de pressions musclées contre ses voisins dans les mers de Chine, du chaos général en Libye, en Irak et en Afghanistan, des massacres incessants en Syrie et, en plus de tout cela, une économie mondiale où le prix du pétrole joue au yo-yo dans un mélange de politique et d’économie. Enfin les négociations avec l’Iran permettent aux optimistes et aux pessimistes de s’entre-déchirer.

Les tendances en arrière-plan des dernières années n’ont pas changé de façon considérable. Le leadership reste une denrée rare; les institutions internationales commencent à souffrir de vieillissement et leurs membres continuent à s’opposer à sacrifier un peu de souveraineté pour le bien commun; une gouvernance faible dans presque tous les pays du monde continue à entamer la confiance des populations envers leur gouvernement, la montée de l’extrémisme souligne un problème civilisationnel fondamental, les insurrections et l’irrédentisme affectant certains états qui n’existent que de nom, les poussent au bord de l’effondrement.

Face aux récentes crises qui définiront la scène internationale en 2015 et au-delà, les réponses du gouvernement auront des conséquences importantes pour la situation future de la défense du Canada. D’après Doug Bland, l’un des meilleurs analystes des questions de défense au Canada, le problème n’est pas tellement « l’absence d’une politique étrangère cohérente sur laquelle construire les forces armées, mais l’absence d’une politique de défense visant à fournir des forces armées adéquates dont le Canada pourrait se servir dans le cadre de missions diverses, étrangères, intérieures, alliées, internationales et humanitaires … Avec des forces canadiennes raisonnablement et adéquatement structurées, les gouvernements canadiens seront bien positionnés pour entreprendre la plupart des missions pour lesquelles des capacités militaires sont nécessaires ou appropriées; en revanche sans de telles capacités, bon nombre de missions futures dans n’importe quel secteur de politique échoueront ». Bien qu’au début de son mandat, le gouvernement Harper se soit engagé à donner plus de puissance aux Forces armées canadiennes, l’engagement plus récent en vue de parvenir à un équilibre budgétaire à temps pour la prochaine élection a causé une forte déviation de la stratégie. Les Canadiens doivent se rendre compte que l’efficacité des réponses des forces armées canadiennes aux événements récents camoufle un déclin considérable dans leurs capacités et leur disponibilité opérationnelle, déclin attribuable aux coupures et au gel des fonds de fonctionnement destiné à la formation, la maintenance, même le carburant, bref, au cœur du niveau de préparation des forces.

En dépit de l’accord récent encourageant sur la construction des navires de patrouille extracôtiers et de l’Arctique et de la décision presque simultanée sur l’acquisition des navires de combat de surface, la marine entame l’année 2015 passablement affaiblie alors que les coupures au nom de la réduction du déficit du gouvernement ont entraîné une chute de 23% dans le financement de la marine pour maintenir la flotte disponible en mer. La force aérienne attend une décision sur le remplacement de ses CF-18 vieillissants. L’armée se comporte mieux mais souffre néanmoins de sous-équipement et des insuffisances en effectifs.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. La Stratégie de défense: le Canada d’abord de 2008 n’a pas reçu le financement stable promis mais a plutôt subi des coupures constamment à la hausse. Le budget de défense est maintenant plus petit en données ajustées pour l’inflation qu’il ne l’était en 2007 et a subi des réductions de 32 milliards de dollars sur les 20 ans de la SDCA, avec 5 milliards additionnels transférés au-delà de la fin du cadre de la SDCA en 2028 par l’espace ouvert par la comptabilité d’exercice. En outre, en dépit de pressions additionnelles sur le budget de la défense de 9 milliards de dollars à l’horizon de la SDCA, en raison de l’impact des gels du budget de fonctionnement de 2010 et 2014, le financement disponible n’a pas été modifié. Aussi, ces pressions déplaceront d’autres engagements de la SDCA.

Les dépenses de capital ont décliné au cours des quatre dernières années, en partie en raison de l’incapacité à remplacer des équipements majeurs, laissant environ 25% des fonds prévus en dépenses de capital non dépensés pour chacune des quatre

1LES PERSPECTIVES STRATÉGIQUES DU CANADA

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dernières années. En chiffres courants, entre 2009/10 et 2012/13, le MDN n’est pas parvenu à dépenser chaque année un minimum d’un milliard de dollars de ses fonds disponibles. Aujourd’hui, les dépenses en capital représentent environ 14% des dépenses de défense, le plus faible niveau de dépenses en capital depuis 1977/78 - une part déclinante d’un budget déclinant du MDN, alors que le ratio devrait être de plus de 20%. À ce rythme, le résultat est une détérioration des FAC avec un arriéré croissant de dépenses à entreprendre dans les années futures, sans compter que les budgets pour des dépenses d’équipement reportées perdent généralement un pouvoir d’achat important au fil des années. Le programme du MDN dépasse non seulement les ressources financières pour le mettre en œuvre mais manque également du personnel militaire et civil avec l’expérience et la formation adéquate pour gérer effectivement ses propres projets.

À plus long terme l’effet cumulatif de reports et des délais sera que la plupart des flottes combat de l’ARC et de la MRC seront remplacés aux alentours de 2025, créant une demande d’acquisition qui va volant financé, sinon les capacités des FAC en seront d’autant plus réduites.

A moins d’un financement réel, la lame d’étrave en 2025 résultant des fonds non dépensés en capital, du taux d’inflation plus élevé pour le secteur de la défense rognant sur pouvoir d’achat, des délais en matière d’acquisition (nouveaux chasseurs, remplacement des Aurora), des retards (NSI, Cyclone) et d’annulations, imposera des choix graves aux dirigeants y compris la possibilité de reports additionnels pendant que l’équipement existant continuera de vieillir. Existe-t-il une façon aujourd’hui de rendre ses choix plus faciles à l’avenir? Bien que certaines mesures positives aient été prises par le gouvernement en vue de ces acquisitions, tout optimisme devrait être pondéré, au mieux. La réalité c’est que nous entamons une période de déclin continu des capacités des FAC, moins de formation et moins d’effets, avec en conséquence une influence réduite sur la scène mondiale et une contribution affaiblie à notre propre sécurité intérieure et internationale. Ce n’est pas une situation dans laquelle un pays du G7, avec les intérêts qu’a le Canada, voudrait être.

Fondamentalement, si les contraintes financières déterminent la stratégie et non l’inverse, une réflexion complète indépendante et transparente est essentielle. Mais une telle réflexion doit porter sur tous nos instruments d’influence, pas seulement la défense, d’où notre « appel annuel » à un examen de la politique étrangère, commerciale, d’aide et de sécurité de même que de la politique de défense.

Les conséquences doivent être portées à l’attention des Canadiens. En effet, bien que cela ne soit pas une question importante lors des élections, cela ne signifie pas que les Canadiens ne veulent pas des forces armées qui soient efficaces; mais les convaincre que nous sommes sur une mauvaise voie exigera que les partis politiques se saisissent de la question. Les élections cette année ne font que renforcer notre invitation, au nouveau gouvernement du Canada qui s’en suivra, d’entreprendre un examen global de la politique étrangère, commerciale, de développement et de défense de façon à présenter une vision unifiée du rôle du Canada dans le monde et des exigences dans leur intégralité, pour la mettre œuvre. En termes simples, que voulons-nous faire dans le monde, et comment!

Il appartient à des institutions comme l’Institut de la CAD, le Canadian Defence and Foreign Affairs Institute, l’Institut McDonald Laurier, le Conseil International Canadien, etc. d’évoquer ces questions, sans partisannerie, en mettant l’accent sur les aspects suivants et en espérant qu’il soit repris lors des débats électoraux.

Recommandations

A) Exigences globales: Un appel au gouvernement d’entreprendre un examen global de la politique étrangère, commerciale, de

développement et de défense de façon à présenter une vision unifiée du rôle du Canada dans le monde et des exigences, dans leur intégralité, pour la mettre en œuvre;

Une stratégie nationale de sécurité devrait également être élaborée.

B) Recommandations en matière de défense: Un appel au gouvernement à ce que la composante de politique de défense (éventuellement un Livre blanc)

de l’examen général comprenne:1. La production d’un plan d’investissement à long terme y compris une stratégie d’acquisition pleinement

financée et l’accélération de la mise en œuvre de la SAMD;2. L’élaboration d’une revue des études antérieures sur le renouvellement de la défense et la

transformation;3. La mise sur pied d’un programme de rationalisation des infrastructures et des bases de la défense;

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4. L’élaboration d’un cadre pour l’expansion de la réserve et une meilleure utilisation des talents desréservistes dans des spécialités nouvelles et, si les fonds le permettent, faire en sorte qu’un petit nombrede réservistes atteignent le même niveau de formation et d’entraînement que la force régulière pourpermettre un déploiement rapide, dans l’esprit du rapport de 2011 du comité permanent du Sénat sur lasécurité nationale et la défense Répondre à l'appel – le rôle de la Première réserve du Canada dansl'avenir et des études subséquentes.

C) Recommandations liées à la défense: Une invitation au gouvernement à élaborer une politique générale sur le renseignement, la cybersécurité, le

cyberterrorisme, sous la direction du Centre de la sécurité des télécommunications Canada, en accordant uneattention toute particulière à l’infrastructure de cybersécurité du MDN, conformément au rapport duvérificateur général;

Une invitation au gouvernement à fournir plus de clarté sur la prolongation des opérations contre l’Étatislamique.

« Ce ne sont pas les espèces les plus fortes qui survivent, ni les plus intelligentes. Ce sont celles qui s’adaptent le mieux au changement ». Charles Darwin

1. INTRODUCTION: L’ÉTIOLEMENT DE LA RAISON?

Alors que Perspectives stratégiques entame sa quatrième année, à la lumière de la gamme étonnante de changements qui se sont produits dans l'environnement international, on doit se demander dans quelle mesure la position du Canada en matière de sécurité et de défense aide notre pays à relever le défi darwinien, particulièrement à une époque où la pensée rationnelle et la réalité semblent céder leur place à la fiction, à des messages fabriqués de toutes pièces, et même à de l’insanité.

Au niveau mondial, le point de départ de toute réflexion semble toujours être la chute du Mur de Berlin en 1989. Le souvenir de la guerre froide s’est estompé jusqu'à ce que les rodomontades de Vladimir Poutine provoquent une remontée d'adrénaline de l’OTAN. Aux dires des spécialistes, les 25 dernières années ont été marquées par la « Pax Americana ». Pourtant il y a eu bien peu de Pax au cours de ces décennies perdues. Bien que la science et la technologie aient accumulé plus de progrès dans les dernières décennies que dans toute l'histoire de l'humanité, il y a eu très peu de réalisations en termes de transformation d’un monde ayant vécu sous le joug de la terreur nucléaire pendant 50 ans, en une communauté mondiale plus unifiée, plus progressive, et plus respectueuse de l’état de droit. Le dividende de la paix qui était supposé découler de la fin de la guerre froide a été entièrement gaspillé en raison d’une mauvaise gestion des conflits hérités de l’après-guerre 40-45 notamment au Moyen-Orient,

3LES PERSPECTIVES STRATÉGIQUES DU CANADA

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dans les Balkans, en Asie du Sud, en Afrique, de même qu’à la suite de la chute de l’Union soviétique.

Vinrent ensuite le 11 septembre et la naissance de « la guerre contre le terrorisme » qui, selon certains, a altéré le cours de l’histoire et même la perspective que le monde avait de lui-même, faisant face à ce que « nous constatons aujourd’hui, phénomène unique dans l’histoire humaine, un terrorisme qui semble chercher de façon myope a tuer le plus grand nombre de gens possible, sans aucun objectif politique visible et sans ambition territoriale déclarée ».2 Sans même compter la perte en vies humaines, si l’on prend en compte les pertes économiques à l’échelle du monde résultant de l’attaque du 11 septembre et les guerres qui ont suivi en Afghanistan et en Irak, le coût total a excédé 5 billions de dollars. Plus d’une décennie a été consacrée à la lutte contre le djihad mondial dont l’État islamique est la dernière incarnation. L’Occident s’est engagé dans des guerres qui ont invariablement manqué de remplir leurs objectifs, à supposer que ceux-ci aient été clairs au départ. En plus des opérations en Irak et en Afghanistan que personne ne pourrait objectivement appeler un succès, la Libye et la Syrie ont été des échecs monstrueux, même si toute la responsabilité n’en incombe pas à l’Occident. Ces guerres toutefois ont suscité un durcissement de l’anti américanisme dans le monde, notamment dans les pays musulmans/ arabes.

Quoique nombreux soient ceux qui ont cru que le Printemps arabe représentait un nouveau tournant dans l’histoire, cela s’est avéré aussi illusoire que la conviction naïve en Occident que la Russie deviendrait lentement mais sûrement « comme nous », surtout si l’on considère la façon réelle ou perçue qu’a eu l’Occident de traiter la Russie de Eltsine comme « un adolescent malcommode ». Mais le monde en est sorti passablement traumatisé et les États-Unis ont entamé une période d’introspection au moment même où de nouveaux centres de pouvoir émergeaient, contestant un leadership américain que les États-Unis eux-mêmes semblaient parfois ne plus vouloir exercer.

Dans l’édition de l’année dernière des Perspectives stratégiques, nous avions essayé de voir si le retranchement américain pouvait être expliqué comme un phénomène temporaire d’un pays las de la guerre et affligé d’un leadership hésitant, ou s’il reflétait une tendance américaine fondamentale en dépit de plus d’un siècle de participation à de nombreuses guerres. S’agissant de la Chine, la question fondamentale est celle de sa volonté ou non d’exercer un rôle de leadership dans la promotion de la stabilité dans le monde, fut-ce au prix de s’imposer une certain flexibilité dans la poursuite agressive de ses intérêts. Notre réflexion sur la Russie a été quasi prophétique quand nous avons souligné l’hostilité profonde de M. Poutine envers l’Occident et sa détermination à créer un empire eurasien. Les événements en Ukraine se sont produits à peine quelques mois plus tard. Depuis lors M. Poutine a manifestement offert au monde une interprétation chimérique de la réalité.

Avec l’agression contre l’Ukraine, le monde s’est rendu compte qu’une fois de plus la recherche éperdue de pouvoir l’emporte sur le droit international et que l’apparence de valeurs communes n’est simplement qu’une apparence. Avec l’avènement de l’État islamique, la confrontation principale dans les années à venir sera la concurrence entre les valeurs, polarisée dans le maelström de la soif de pouvoir. L’année dernière nous avions consacré une section au sujet hautement sensible de « la religion, la politique, et l’ethnicité » et avions fait référence à des conflits « huntingtoniens » inspirés ou exploités par la religion ». La rationalité a fort peu de place dans un tel débat. Manifestement, comme l’a si bien dit l’ancien otage d’Al Qaïda dans le Maghreb (AQIM) et ancien haut fonctionnaire canadien Bob Fowler qui en a fait l’expérience lui-même, « autant nous voudrions qu’il n’en soit pas ainsi, il n’y a effectivement aucun consensus universel sur les valeurs essentielles; nous ne connaissons guère de succès n’importe où dans le monde en essayant de forcer les gens à échanger leurs valeurs pour les nôtres ».3 Avec la montée en force de l’extrémisme de l’Asie au Moyen-Orient et l’effondrement de la domination occidentale, la coexistence pacifique des valeurs pourrait être aussi déterminante que la coexistence pacifique de la guerre froide!

Une évaluation du rôle du Canada dans ce contexte de changement exige un acte de foi quant à la poursuite par le gouvernement canadien d’objectifs de défense et de sécurité bien définis, qui ne soient pas ombragés par des luttes partisanes ou des accents idéologiques. Ces objectifs devraient être de nature généreuse et bien éclairés par une perception précise des menaces auxquelles font face notre pays et notre population. Alors seulement sera-t-il possible de comprendre les exigences de défense que le gouvernement devrait remplir. En d’autres mots, toujours dans le contexte de la coexistence des valeurs, le modèle que le gouvernement devrait poursuivre en est un d’ouverture à la coopération et de fermeté quant aux valeurs. Alors que l’échéance des élections fédérales se rapproche, la discussion devrait porter entre autres sur le rôle que le Canada désire jouer dans le monde au cours des cinq prochaines années et sur les ressources que le gouvernement prévoit engager pour la protection et la sécurité de ses citoyens à domicile et à l’étranger. Les électeurs doivent pouvoir obtenir des informations claires et en temps utile

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sur les politiques de sécurité et de défense que le gouvernement entend poursuivre ainsi que sur les moyens pour les mettre en œuvre.

2. UN ENVIRONNEMENT INTERNATIONAL EN MUTATION: LA RÉALITÉ DÉPASSELA FICTION

« Je ne me sens pas obligé de croire que le même Dieu qui nous a comblé de bon sens, de raison et decapacités intellectuelles, souhaitait que nous ne nous en servions pas ».

(Galilée, lettre à la grande duchesse Christine)

Comme Niels Bohr l’a dit, « prédire est très difficile, surtout à propos de l’avenir ». C’est plutôt simpliste de dire que nous faisons face à un nombre étonnant de crises internationales de nature et de caractères divers: la Russie, l’Ukraine, la Syrie, l’Irak, ISIS devenu le « califat islamique », l’expansion des crises au Soudan et au Sud Soudan, la République Centrafricaine, le Mali, la république démocratique du Congo, l’impasse continue entre Israël et les Palestiniens après la guerre de Gaza, Boko Haram. Pendant ce temps, la Chine continue de jouer des muscles, incitant le Japon et d’autres voisins à accroître leurs capacités militaires; les négociations avec l’Iran ont été prolongées pour combler le vaste écart tant sur le fond qu’au niveau de la confiance; et la Corée du Nord continue à améliorer ses fusées de longue portée tant sur la distance que sur la capacité d’embarquement. Comme George Packer l’a exprimé, « ce fut une année de chocs. Ils se sont produits dans des lieux troubles, loin du cercle confortable de sécurité et de liberté; mais leur impact a été profondément ressenti en Occident où les structures de pouvoir et de principes qui servaient à contenir de tels bouleversements ne semblent plus exister de nos jours ».4 En fait nous faisons face à une contestation fondamentale de l’ordre existant, à supposer que ce dernier existe encore.

Quel ordre international?

Le monde semble être la croisée des chemins. Il est en effet très difficile de trouver la moindre consolation aujourd’hui alors que les événements semblent défier la sagesse conventionnelle quant à l’évolution du système international et déraciner certains fondements qu’avec arrogance ou naïveté, nous pensions être la base de l’ordre international, par exemple les normes et institutions fondées sur l’état de droit, le cadre solide du droit international. Trois événements majeurs se sont produits pour lesquels l’Occident était très mal préparé:

La prise de la Crimée par la Russie a signifié qu’une partie du territoire d’un pays souverain a été happé de façonpratiquement irréversible par un État souverain voisin, totalement à l’encontre du droit international, de la charte desNations unies et d’accords bilatéraux. La dernière tentative de ce genre, au Koweït, a été arrêtée lors de la premièreguerre du Golfe.

Le recours à des armes chimiques par un gouvernement contre sa propre population menant néanmoins à une double« récompense », soit l’élimination des stocks de ces armes bannies sans qu’il en coûte rien au coupable, Bashar Al-Assad, le paria responsable, maintenu au pouvoir.

Aujourd’hui on assiste à un conflit armé qui semble remonter au temps des croisades tout en laissant entrevoir unavenir très inquiétant, à savoir le conflit armé entre Sunnite et Chiite par-delà les frontières nationales de pays pour laplupart fragilisés, conflit qui a suscité l’État islamique. Les territoires non soumis à l’autorité étatique, comme la Libye,le Nord du Mali, certaines parties de la Syrie et de l’Irak, offrent des espaces vacants permettant à de tels groupes decroître.

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Sept tendances critiques

Ces événements importants et bien d’autres reflètent l’impact cumulatif de tendances majeures qui pourraient avoir des effets graves pour la sécurité occidentale et nos modes de vie. Fort peu de ces impacts trouveront leurs solutions en 2015 mais ils continueront à exiger des dirigeants canadiens de définir le rôle, s’il en est, que notre pays pourrait jouer ou devrait continuer à jouer pour en atténuer les effets. La complexité du monde d’aujourd’hui et les facettes multiples des menaces militaires et non militaires rendent le défi encore plus inquiétant.

1. Une évidente crise de leadership attribuable en partie à la lassitude face à la guerre, à un néo-isolationnisme importantau sein de nos opinions publiques et aux incertitudes quant aux intérêts nationaux face à un monde de plus en pluscomplexe et polarisé. Mais les leaders eux-mêmes ont failli à la tâche, paralysés notamment par la perte de confiancequ’ont entraînée des fuites telles que « Wikileaks » et les révélations de Snowden. La crise de leadership semblepratiquement endémique en Occident. Si l’on regarde au-delà de la présidence de Barak Obama, on peut se poserlégitimement une question quant au leadership américain après 2016. Les dirigeants, y compris ceux d’Ottawa, neparviennent pas à articuler les intérêts nationaux spécifiques qui sont menacés ou qui sont engagés face aux situationsnouvelles. Les déclarations des dirigeants semblent confuses comme on a pu s’en apercevoir lors des réactions initialesdu président Obama sur l’État islamique. Le plus souvent, les membres du grand public sont mal informés oudésinformés et ne se prêtent à aucune analyse critique. Ainsi ils en viennent à accepter souvent la superficialité de ceque l’on propose et de confondre le message et le fond. Les Canadiens méritent mieux.

2. On constate une crise institutionnelle à l’échelle du monde, accompagnée par une diminution de la confiance envers ladiplomatie multilatérale, ce qui affecte aujourd’hui la capacité de désamorcer les crises de façon précoce. Cette criseinstitutionnelle affecte particulièrement l’OTAN. Constituée à l’origine comme une alliance de défense collectiveréunissant des pays aux valeurs communes, après la chute du mur de Berlin l’OTAN a entrepris des opérations horszone, justifiant celles-ci sous prétexte que la stabilité régionale faisait partie intégrante de l’intérêt commun de sesmembres, cet intérêt étant défini par la nécessité de défendre nos valeurs communes – démocratie, liberté et droits dela personne. On estimait que ces valeurs étaient menacées dans le nouvel environnement de sécurité. Aujourd’huil’OTAN remue un sabre usé et rouillé tandis que ses membres ne parviennent pas à se rendre compte que les moyensde l’alliance ne sont pas à la hauteur de son langage et que ses victoires, au mieux, étaient pyrrhiques, par exemple enLibye et en Afghanistan. Nonobstant son rôle fondamental en matière de sécurité collective et de prévention desconflits, l’efficacité de l’ONU est déterminée par l’engagement de ses membres. L’ONU a réussi à répondre à l’attaquecontre le Koweït il y a 25 ans. Depuis lors elle a complètement échoué, grâce au droit de veto des cinq membrespermanents du Conseil de sécurité.

3. La troisième tendance a une dimension sociale et économique et s’exprime par une crise de confiance générale de lapopulation face aux inégalités de revenus croissantes qui ont un impact sur le débat « beurre ou canons » dans lessociétés démocratiques. Depuis 1990 le groupe de Canadiens les plus riches n’a cessé d’accroître sa part du revenunational total tandis que le groupe des Canadiens plus pauvres ou à revenu moyen ne cessait de voir leur part seréduire5. Le résultat s’est traduit par moins d’opportunités, situation face à laquelle les gouvernements sont soitincapables de prendre des mesures correctrices ou n’en ont pas l’intention. À partir d’un certain moment la réductiondes niveaux de vie des classes moins favorisées finit par créer une distance entre la population et le gouvernement.

4. Cette dernière tendance trouve son parallèle dans une crise de gouvernance, à savoir la relation entre gouvernants etgouvernés, les questions difficiles étant mises de côté tandis que les réponses pour le court terme sont offertes enfonction de calendriers électoraux. Certes le blocage politique aux États-Unis qui s’est manifesté notamment lors del’impasse budgétaire ou des mesures de séquestre subséquentes n’est qu’un exemple parmi tant d’autres; mais laplupart des nations occidentales font face à des problèmes similaires. Le Canada non seulement connaît un manque decivilité croissant au Parlement mais les débats en profondeur y sont devenus une exception, étant plus que jamais à lamerci de la partisannerie ou encore de projets de loi omnibus « fourre-tout ». Souvent les institutions nationales ne

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répondent plus aux besoins des sociétés modernes et les lois adoptées parviennent à peine à se mettre au diapason des problèmes de l’heure.

5. Il est probable que la tendance la plus impressionnante et inquiétante tout à la fois est de nature civilisationnelle dansle sens « huntingtonien » ou plus spécifiquement, du rôle de la religion, plus particulièrement l’Islam, dans l’évolutionpolitique des sociétés, une question qui met mal à l’aise les gouvernements occidentaux. On constate un début deconflit des civilisations, des valeurs et des cultures que nous n’avons pas voulu admettre publiquement par peur malplacée d’un manque de correction politique. Les « califats » n’acceptent absolument pas les valeurs et modes de vieoccidentaux. Le langage de l’État islamique n’est guère différent de celui des chefs religieux wahhabites d’ArabieSaoudite. La seule brutalité généralisée en pratique diffère. Le grand public doit être informé de cet état de choses s’ilveut éviter de se bercer d’illusions quant à sa sécurité. Bien qu’il y ait un certain rapprochement entre musulmansmodérés et l’Occident sur le plan des valeurs, il n’y a aucun effort fondamental de part et d’autre pour se rejoindre. Àl’inverse comme on le voit en Afrique musulmane, en Malaisie et en Indonésie, l’écart s’agrandit. Évidemment leterrorisme islamique inspiré par le wahhabisme est l’élément principal et le plus virulent que nous avons à gérer. Làencore les gouvernements démocratiques doivent être clairs et précis dans l’évaluation des risques, dangers, etmenaces afin de préparer leurs populations respectives pour les conflits ou actes terroristes éventuels qui pourraientles atteindre. Dénoncer le terrorisme ne suffit pas. Nous devons articuler de façon précise une stratégie distincte quiprenne en compte les incompatibilités fondamentales notoires dans l’environnement international.

Le printemps arabe a libéré des forces religieuses et politiques significatives, dont des extrémistes. Le rôle que ceux-ci ont joué dans les révolutions arabes leur a donné de la légitimité et leur a permis d’exiger un rôle de leadership dans la reconstitution et le développement de leurs pays. Toutefois aujourd’hui nous observons des «contre-révolutions » à caractère militaire et anti-islamiste, ce qui ajoute encore à la complexité du choix de nos vrais amis par rapport aux ennemis que nous devons combattre. Notre courbe d’apprentissage est très abrupte en raison des nombreux facteurs qui sont à l’origine de l’islam radical. Nos pays tissés par l’histoire font face à des états que les pays occidentaux ont créés pour la plupart au cours du siècle précédent et dont l’unité provient bien plus de l’Islam que de leur « arabisme » ou ethnicité. De fait l’Islam imprègne et transcende les frontières des états-nations musulmans. La compréhension d’une telle tendance constitue un défi unique pour l’Occident. Bien que le multiculturalisme et le pluralisme du Canada puissent aider à fournir des réponses, le terrorisme maintenant issu des pays occidentaux eux-mêmes soulève des questions quant à la qualité des réponses politiques d’aujourd’hui.

6. À la crise précédente s’ajoute un autre phénomène: l’histoire qui rattrape la géographie. Les dirigeants d’aujourd’huisemblent ne pas prendre en compte l’histoire, la géographie, l’ethnicité, et les aspirations politiques. Un siècle après laGrande Guerre, le traité de Versailles et les traités subséquents provoquent encore des insurrections et une fragilisationdes états, d’autant plus qu’aujourd’hui aussi bien la couche de stabilité forcée de la guerre froide que la présence dedictatures inspirées ou favorisées par l’Occident ont cédé le pas à des révolutions multiples et à un renouveaud’irrédentisme. Bien que le monde arabe soit aujourd’hui l’épicentre de la contre-révolution et de la nouvelle guerrecontre la terreur, l’héritage géographique de Staline dans l’après Union soviétique finira par créer des remous en Asiecentrale et au-delà. La division coloniale de l’Afrique par l’Occident en états qui ne sont aujourd’hui des nations que denom finira aussi par susciter le chaos dans les états multi-ethniques, multi-religieux et multilingues. Boko Haram est unrappel grave de crises à venir. Les frontières westphaliennes vont exploser. Robin Wright évoque « dangereusement »le risque de 5 pays passant à 14 au Moyen-Orient.6

7. Enfin nous passons par une transition de proportions majeures. Si après la chute du mur de Berlin nous nous sommesillusionnés sur le triomphe de la démocratie et du libéralisme sous-tendant un capitalisme vibrant, il semble aujourd’huique l’inévitabilité de l’extension de la démocratie libérale partout dans le monde a pris un sérieux recul au cours desdernières décennies notamment dans de nombreux pays dont nous dépendons pour notre croissance économique etnotre bien-être.7 Qu’il s’agisse d’une conséquence de la multipolarité émergente, du retranchement des États-Unis, d’une Chine agressive, ou du refus de la Russie de respecter le droit international, nous nous avançons manifestementsur un tracé inconnu. Le paradigme de sécurité internationale a grand besoin d’une mise à jour. Il faut reconnaître que

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depuis le 11 septembre nous avons superposé l’antiterrorisme à nos politiques de sécurité et ainsi entravé notre perception et compréhension des courants sous-jacents.

Autres tendances?

Par-delà ces sources d’anxiété, certaines tendances plus prometteuses pourraient commencer à faire sentir leur impact, comme l’accélération des innovations et des technologies, l’expansion géométrique de la révolution des communications et les progrès dans le domaine de la santé. Pourtant la crise d’Ebola, nonobstant les avancées réelles dans la recherche d’un traitement, souligne la fragilité de l’écosystème humain. Bien que la région géographique de la crise soit limitée, les réactions excessives qu’elle a suscitées montrent une fois encore comment, en dépit de ses progrès remarquables, l’Afrique est immédiatement mise au ban et devient la victime de politiques xénophobes rétrogrades. Pendant ce temps-là le décompte des morts continue à monter.8

Le pouvoir de l’État fait également face à une concurrence croissante de la part d’une vaste gamme d’acteurs non étatiques d’importance croissante comme les réseaux sociaux, les communautés vibrantes sur l’internet et les nouvelles plates-formes de collaboration au sein de la société civile. « L’Internet partout et pour tous » est une forme importante de diffusion du pouvoir auquel s’ajoute un univers d’intrusion de toutes sortes, à la Wikileaks et Snowden et s’étendant aux domaines cybernétique, industriel, multinational, voire au rôle renouvelé des clans tribaux comme on le constate en Libye. Les interactions se produisent dans différentes sphères et différents espaces; les hiérarchies intellectuelles et les suprématies politiques font l’objet de contestations répétées.9 Les États, en l’espèce de leurs gouvernements, sont dépassés et ne parviennent pas à s’ajuster à ces changements importants. En même temps on assiste à l’émergence d’une nouvelle forme de nationalisme xénophobe exacerbé par des sentiments d’insécurité et d’impuissance.

Les pressions démographiques tant dans les pays vieillissants que dans les nations jeunes vont avoir un impact croissant sur la stabilité sociale comme on le constate avec l’augmentation rapide des populations en Asie et dans le monde musulman, qui exigent légitimement un meilleur partage de la richesse mondiale. Le nouveau statut – à court terme – des États-Unis comme le plus gros producteur mondial de gaz et à la veille peut-être d’atteindre l’autosuffisance énergétique au cours des prochaines années, n’affectera en rien la croissance de la demande pour les sources conventionnelles d’énergie parmi les économies en émergence. Mais cette situation modifie certainement le paradigme stratégique de l’accès à l’énergie, indépendamment des chutes des prix du pétrole, géopolitiquement induits (par exemple, la récente guerre des prix provoquée par l’Arabie Saoudite contre l’Iran). En attendant, pour le Canada, cela pourrait constituer un changement transformateur, à supposer que la querelle sur l’oléoduc Keystone soit résolue et qu’émerge une véritable politique énergétique nord-américaine intégrée.10 En fait l’Amérique du Nord pourrait devenir le chef de fil de la croissance mondiale.11

Rien de tout cela ne garantit beaucoup de stabilité à court ou à moyen terme. Le secteur des ressources naturelles pourrait être ébranlé par la Chine et les autres économies à forte croissance. Rien ne prouve que l’économie mondiale fasse preuve nécessairement d’équilibre et de résilience, ce qui pose des questions majeures de gouvernance internationale à une époque où les institutions multilatérales comme les Nations unies sont soit vilipendées ou, faute d’un engagement des pays membres à les réformer ou à les renforcer, sont incapables de répondre aux nouvelles demandes. Même les institutions de Bretton Woods sont menacées alors que des modèles alternatifs sont élaborés par des pays comme les BRICS qui n’acceptent plus la domination euro-américaine du système financier international. Il reste à voir dans quelle mesure les méga-accords commerciaux comme le Partenariat transpacifique ou le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement aboutiront et si le langage du commerce et de l’investissement sera capable de l’emporter sur la compétition politique dans un monde multipolaire.

En définitive la complexité des questions géopolitiques auxquelles le Canada fait face ne sera que multipliée par les changements économiques et sociaux sismiques qui façonnent le monde. De nos jours il est impossible de gérer les questions une par une comme si elles n’avaient aucune relation entre elles, qu’elles étaient homogènes et auto-contenues. Les problèmes nous confrontent à différents niveaux d’analyse qui s’interpénètrent et exigent des réponses stratégiques globales si l’on veut assurer à nos citoyens un environnement stable et pacifique.

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La Russie et l’Ukraine: un retour à la guerre froide? « On ne devrait jamais humilier la Russie » (François Mitterrand, 1995)

Dans Perspectives stratégiques 2014 nous avions fait ressortir l’attitude hostile du président Poutine envers ou plutôt contre l’Occident, motivé par son désir de rétablir l’image de la Russie en réponse à l’humiliation perçue ou délibérément exagérée depuis la chute de l’Union soviétique, par son regret d’avoir perdu d’anciennes républiques soviétiques aux mains de l’Occident, et sa rancœur devant la proximité de l’OTAN aux frontières de la Russie. La crise ukrainienne qui s’est transformée en un conflit gelé n’a que partiellement levé le voile sur les intentions véritables de Monsieur Poutine. L’ancien agent du KGB/FSB est à la fois imprévisible et grand praticien de l’illusion.12 Pour ce chef plus tacticien que stratège, il n’y a pas d’objectif final précis; il exploite n’importe quel signe de faiblesse pour agrandir son pouvoir à domicile et la puissance et le prestige de la Russie à l’étranger. Il continuera à mettre de la pression sur l’Ukraine de diverses façons tant que cela donnera des résultats, s’accaparant tout ce qui sera disponible. Évidemment le rêve d’un lien terrestre avec l’Ukraine exigerait un effort militaire majeur et soutenu, ce qui est peu plausible mais pas impossible.13 Populiste, il reflète le comportement des anciens dirigeants russes remontant jusqu’au XVe siècle. Il ne baissera pas pavillon devant l’Occident mais pourrait modifier ses positions au gré des événements à condition que ce soit lui qui mène le jeu, comme il l’a prouvé dans l’affaire des armes chimiques syriennes avec les États-Unis.

Il y a un paradoxe chez cet homme qui tout en étant agressif, en bout de ligne, agit prudemment. La mainmise sur la Crimée a été effectuée prudemment et méthodiquement avec un minimum de risques, reflétant peut-être ce que disait de lui Henry Kissinger, agissant « d’une position stratégique faible masquée par une force tactique ».14 Ou encore au regard du discours de Poutine au Kremlin le 18 mars 2014, « les actes de la Russie semblent être dictés à la fois par le désir de rétablir sa position de grande puissance et de prendre en compte ses vulnérabilités en matière de sécurité; à cela s’ajoute la désolation face à ce que les deux dernières décennies ont apporté à la Russie: le resserrement de l’endiguement par l’OTAN (perception peut-être renforcée par deux siècles de guerre contre les puissances européennes aux portes de Moscou), la conviction des États-Unis de leur exceptionnalisme, l’appui des nations occidentales aux révolutions de couleur y compris celle qui a mené à l’attaque contre les droits des Russes en Ukraine, et les violations répétées des normes internationales par les nations occidentales au Kosovo, en Irak, et en Libye ».15

L’Ukraine pour le Président Poutine est une question existentielle. Comme il a dit à propos de l’Ukraine et de la Russie « nous ne sommes pas simplement de proches voisins ... Nous sommes un seul peuple. Kiev est la mère des cités russes. L’ancienne Rus est notre source commune et nous ne pouvons vivre l’un sans l’autre »16 alors que la version occidentale souligne la décision prise en toute liberté par les Ukrainiens de se débarrasser de leurs leaders prosoviétiques en faveur d’un gouvernement pro-occidental. Au contraire la version russe soutient que l’Occident veut affaiblir la Russie et même faire rentrer l’Ukraine dans l’OTAN, ce qui pour la Russie est une ligne rouge, quelque chose que des commentateurs comme Kissinger et Brzezinski estiment ne devoir pas être à l’ordre du jour même si le secrétaire général de l’OTAN Stoltenberg a rappelé récemment que « au sommet de l’OTAN à Bucarest en 2008, nous avons pris la décision d’ouvrir la porte et que l’Ukraine deviendrait membre de l’OTAN ».17

La question importante pour l’Occident c’est de gérer un homme d’un côté, hostile, de l’autre, le leader légitime d’une superpuissance militaire nucléaire. Il est clair aujourd’hui que le mélange des sanctions et de la chute brutale des prix du pétrole a eu un impact majeur sur l’économie russe (voir Figure 1). De fait beaucoup s’inquiètent maintenant de l’effet que pourrait avoir un effondrement économique russe sur une économie mondiale fragile, particulièrement en Europe. Certains pays européens évoquent déjà la possibilité de suspendre les sanctions. La Russie fait preuve de résilience mais certains soutiennent qu’à la vitesse à laquelle le rouble chute et compte tenu de l’exode massif de capitaux, les réserves de la Russie pourraient s’évaporer en moins de 6 mois18. L’accord gazier sur 30 ans avec la Chine, qui favorise cette dernière, n’est pas en mesure de fournir à la Russie une compensation économique dans les prochaines années. Pourtant le succès est loin d’être garanti. Les sanctions manquent de clarté quant à leurs objectifs. Si l’idée est de faire renoncer la Russie à la Crimée, l’ensemble des sanctions actuelles ne feront pas l’affaire ni à court, ni à moyen terme. Un politicien suédois bien informé évoquait « 40 ans d’attente ».19 Au mieux la Crimée pourrait être un faible atout dans des négociations futures sur la normalisation des relations, incluant éventuellement un référendum sous supervision internationale, agréé mutuellement entre la Russie et l’Ukraine.

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Figure 1: La situation économique en Russie: une inflation atteignant 9.7% à la fin de 2014 et grimpant plus haut en 2015; une fuite des capitaux de $150 milliards en 2014 plus $80 milliards en 2015 avec une chute de l’investissement direct en Russie de 50%; une baisse du PNB de 2.9 à 4.5%.

L’évocation récente par Vladimir Poutine du respect de l’intégrité territoriale de l’Ukraine peut être une démarche tactique pour nous empêcher de renforcer les capacités militaires ukrainiennes. Mais les attaques des rebelles en Ukraine grâce à l’appui des forces et de l’équipement russes vont se poursuivre. Il faudrait un effondrement total de l’économie russe pour faire tomber le président Poutine; son clan n’est guère susceptible de déposer leur chef qui les a enrichis à moins qu’il ne devienne un handicap total. Les sanctions ne feront que renforcer la volonté de la Russie de se détourner de l’Occident et la pousser vers un nationalisme plus xénophobe et plus anti-occidental que jamais. Poutine n’a besoin que de garder le conflit ukrainien gelé tandis que l’Occident n’a guère d’autre choix que de maintenir des relations bilatérales essentielles avec l’ours russe. Une « guerre » contre la Russie est tout simplement impensable. Le dialogue est une option mais un tel dialogue doit être basé sur le respect mutuel avec des objectifs clairement définis et des intérêts bien compris.

Dans tout engagement avec le dirigeant russe nous devrons garder les yeux grands ouverts. Quel que soit le résultat du rêve eurasien, il ne nous plaira pas. Ses fondements n’auront rien à voir avec un rassemblement de démocraties mais bien plus avec un vaste clan de dictatures partielles ou entières, comprenant jusqu’à maintenant la Biélorussie, l’Arménie, le Kazakhstan, le Kirghizstan et le Tadjikistan, la Russie espérant embrigader les trois non-alignés que sont l’Azerbaïdjan, l’Ouzbékistan et le Turkménistan.20 Les anciennes républiques soviétiques perdues à jamais comprennent les membres de l’Union européenne et de l’OTAN, l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie, tandis que l’espoir continue à se porter sur l’Ukraine, la Moldavie et la Géorgie, en dépit de leurs efforts en vue de rallier le camp occidental. Ce n’est pas étonnant que l’Ukraine soit l’enjeu principal. Pour l’Occident les choix ne sont pas évidents: pouvons-nous et devrions-nous approfondir nos relations avec les pays de l’Eurasie? À tout prendre en 2015, une confrontation latente est probablement ce que l’on peut espérer de mieux.

Ce qui reste à déterminer, c’est l’application future par la Russie de sa politique de « protection préventive des Russes ethniques » au-delà de l’Ukraine, et la continuation de sa pénétration économique en Europe centrale et orientale, notamment dans le pays capitaliste « illibéral » de la Hongrie du premier ministre Orban. Commentateurs et chercheurs s’interrogent sur le retour à la guerre froide. Jouant sur les mots certains parlent de la Paix froide. La « colère bleue » exprimée par Monsieur Poutine dans sa diatribe anti-occidentale du 18 mars donnerait à penser que les deux options sont plausibles: « nous avons toute raison de croire que la politique infâme d’endiguement entamée aux 18e, 19e, et 20e siècles se poursuit aujourd’hui. Ils essayent constamment de nous pousser dans un coin parce que nous adoptons des positions indépendantes, parce que nous y tenons, et parce que nous appelons les choses par leurs noms et refusons de faire les hypocrites. Mais il y a une limite à tout. Et avec l’Ukraine, nos partenaires occidentaux ont franchi « le Rubicon » jouant avec l’ours russe à leurs dépens, agissant de façon irresponsable et non professionnelle ».21

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Nous pourrions faire face maintenant à une réaffirmation d’une profonde différence culturelle accentuée par le besoin qu’ont les dirigeants russes de renforcer leur pouvoir. Pour citer une fois de plus Kimberley Martin, « l’Occident est blâmé pour avoir dénigré la Russie tout au long de son histoire, l’accusant d’être rétrograde et d’aller dans la mauvaise direction, tout en niant à la Russie sa place légitime, simplement parce que sa culture diffère de celle de l’Europe. Dans les années 90, dit-on, l’Occident a essayé de modeler la Russie à son image, imposant une humiliation à l’identité distincte de la Russie et s’appropriant en plus ses ressources naturelles. Le néo-eurasianisme rejette les valeurs occidentales de démocratie, de tolérance libérale et des droits individuels. Il soutient au contraire la supériorité d’une culture communale statiste, uniquement russe ». Mais plus le caractère russe détermine le fondement de l’Eurasie, plus les pays de la Communauté des états indépendants se poseront des questions sur le rôle même de leur identité à l’intérieur du projet. Même Loukachenko de Biélorussie a exprimé ses préoccupations à propos de l’absorption de la Crimée. La solidarité avec Moscou demeure liée à la crainte de perdre le pouvoir.

L’Occident va devoir trouver un juste équilibre entre les représailles contre la Russie pour son action en Ukraine et le maintien d’un dialogue avec la Russie sur des questions comme le fondamentalisme islamique, l’instabilité en Méditerranée méridionale, notamment le dangereux désastre libyen, le terrorisme dans ses infinies variétés, et, de façon plus urgente, le risque d’un échec des négociations avec l’Iran sur son programme nucléaire d’ici à juin 2015. Dans la mesure où nous avons des intérêts communs avec « l’ennemi » dans d’autres domaines, il a fallu un certain temps avant que l’Alliance atlantique n’établisse une stratégie claire. Même au sein de l’alliance, la menace est perçue sous différents angles et selon différentes perspectives; en outre la nécessité d’accroître les dépenses de défense est regardée d’un mauvais œil par la plupart des membres de l’Europe occidentale. Le sommet du pays de Galles est venu tout près de définir une stratégie globale, notamment en rassurant les nouveaux membres européens de l’OTAN que l’article 5 de l’alliance est solide comme le granite face à toute tentative russe de redessiner les frontières de l’après Union soviétique. L’OTAN est tout à fait prête à contrer l’aventurisme russe qui s’est manifesté au-delà de l’Ukraine, notamment par des activités aériennes et maritimes autour du périmètre de l’OTAN. Une volonté réelle s’est manifestée au sein de l’alliance, engagement que le Canada a totalement endossé, ce qui doit quand même donner à penser à Vladimir Poutine.

L’augmentation des fournitures militaires par les alliés à l’Ukraine et le renforcement des capacités des états riverains des pays baltes augmentent la crédibilité de l’Occident. Mais le renforcement de l’OTAN est principalement axé sur des forces conventionnelles et non ciblé sur la pénétration furtive d’insurgés, comme c’est le cas dans l’Est de l’Ukraine, dans ce qu’on appelle maintenant « les tactiques de guerre hybrides ».22 La dissuasion classique est moins efficace dans de tels cas. Néanmoins la dissuasion classique ne devrait pas être abandonnée dans la mesure où elle sous-tend quand même toute stratégie anti guerre hybride. L’une des conséquences positives des événements récents c’est qu’il ne devrait plus être nécessaire d’évoquer l’Iran ou d’autres états voyous pour faire accepter la mise à jour de la défense antimissile de l’OTAN à partir de bases en Roumanie et en Pologne, ou encore basée en mer. Le comportement de la Russie devrait être une justification suffisante23 et il est clair que le désarmement nucléaire n’est plus à l’ordre du jour dès lors que le traité des forces nucléaires intermédiaires (FNI) n’est même plus respecté. Sur le terrain, toutefois, autour de Luhansk et de Donetsk, dans la région de Donbass, le conflit restera gelé, tout comme en Transnistrie, en Ossétie du Sud et en Abkhazie.

Une inflexion dans les relations entre grandes puissances?24

Dans Perspectives stratégiques de l’année dernière, nous avons fait un parallèle entre 1914 et le monde d’aujourd’hui. C’est fascinant de constater combien les relations internationales sont devenues compétitives à tous les niveaux, politique, économique, et social, en dépit des grands sommets, des partenariats commerciaux mondiaux, et des institutions multilatérales. Il peut paraître facile de lier le siècle d’humiliation de la Chine, les regrets tardifs de la Russie à propos de l’effondrement de l’Union soviétique, le nationalisme arrogant de l’Inde dans sa marche vers la modernité sous Modi, et peut-être même le recours par Shinzo Abe au nationalisme japonais pour stimuler la relance de l’économie de son pays. Pourtant le fil conducteur est souvent caractérisé par un désir d’en finir avec l’hégémonie américaine, d’autant plus maintenant que les États-Unis semblent affaiblis par des décennies de guerre et d’intervention étrangère et un manque apparent de leadership. Cette poussée en faveur d’un équilibre différent de l’ordre international s’accompagne, dans le cas du Japon, de graves préoccupations quant au respect des obligations américaines en vertu des traités conclus. Dans un avenir prévisible la coopération internationale restera à la baisse alors que le nouveau monde multipolaire émergera dans un climat de friction. Le Canada se doit de réfléchir sur à quoi tout cela nous mène.

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La relation russo-chinoise ne se limite pas à de vastes accords dans le secteur des hydrocarbures. Il y a souvent un confluent tactique et parfois stratégique entre les deux pays qui tient autant à leur régime politique qu’à leur rejet fondamental de la « pax americana ». Aucun des deux pays n’est intéressé à se joindre aux démocraties libérales du monde qu’ils considèrent dysfonctionnelles et inefficaces. L’exercice conjoint de leur droit de veto au Conseil de Sécurité a profondément limité la capacité de l’ONU de remplir son mandat humanitaire et de paix et sécurité. Tous deux refusent d’être contraints par des normes internationales. On en voit la preuve dans les gestes unilatéraux posés par la Chine dans des territoires contestés, dans l’espace aérien et dans le milieu marin en Asie. Il en va de même de son refus dès le départ de respecter toute décision éventuelle du tribunal d’arbitrage de la Convention des Nations unies sur le droit de la Mer (CNUDM) sur la contestation par les Philippines des revendications de la Chine dans la mer de Chine méridionale. De fait, alors que la Russie joue des muscles dans l’est de l’Ukraine, la Chine pour sa part fait de même dans les mers de Chine orientale et méridionale sans toutefois recourir à des interventions militaires.

La Chine

Nous avons accordé beaucoup d’attention à la Chine l’année dernière notamment sur la question de la zone d’identification de défense aérienne (ZIDA) dans la mer de Chine orientale. On peut prédire sans hésiter que sa volonté de renforcer sa domination régionale ira en s’affirmant. En effet, « la Chine a entrepris, ou a continué à effectuer du travail de récupération des terres dans les hauts fonds contestés de la mer de Chine méridionale pour créer ou élargir un territoire sans égard pour les revendications d’autres pays... Sans aucun accord avec le Vietnam, sans même le prévenir, la Chine a expédié une plate-forme pétrolière de la compagnie étatique CNOOC dans les eaux que les deux pays revendiquent, en la protégeant par des cercles concentriques de bateaux de pêche, de garde-côtes, et de vaisseaux de guerre ».25

Figure 2: Les revendications maritimes dans les mers de Chine26

L’objectif stratégique de la Chine est d’établir le contrôle sur ce qu’elle considère comme sa « mer intérieure » (de la façon dont les Romains appelaient la Méditerranée « Mare Nostrum ») en dominant les approches maritimes. Si elle y parvenait, l’hégémonie régionale qui en résulterait permettrait à la Chine de traduire cette puissance en une influence mondiale plus grande. Dans sa démarche à l’égard des éléments juridiques de ses revendications, la Chine fusionne des références à la CNUDM

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quand il s’agit d’enchâsser à son avantage un élargissement de juridictions multilatéralement agréées, et une instrumentalisation de revendications historiques quand cela lui convient. Elle rejette en même temps tout recours à la Cour internationale de justice et toute démarche multilatérale dans le cas de délimitations maritimes spécifiques avec d’autres pays avec qui elle préfère traiter par voie bilatérale. Cette démarche bilatérale s’accompagne de pressions à caractère économique, notamment dans le secteur de l’investissement. À cela s’ajoutent des tentatives de modifier les normes internationales régissant la souveraineté en mer et dans l’espace aérien. Il semble que la Chine ne s’inquiète nullement de ce que son comportement agressif dans les mers de Chine vise certains de ses principaux partenaires commerciaux.

À long terme l’expansion du contrôle sur « la mer chinoise » semble suivre ce qu’un fonctionnaire chinois a décrit comme « la stratégie du chou »: la consolidation du contrôle sur les îles contestées en enveloppant ces iles, comme des feuilles d’un chou, de couches successives d’occupation et de protection formées par des bateaux de pêche, des garde-côtes et finalement des vaisseaux de guerre chinois. Cette stratégie a pour but à long terme d’exclure toute puissance militaire occidentale des mers adjacentes et d’isoler les états de la mer de Chine méridionale par rapport aux alliés et partenaires des États-Unis dans un processus de quasi « finlandisation ». La Chine pense toujours sur la durée et envisage des scénarios multiples au cas où les choses iraient mal.27 La figure 3, ci-dessous, illustre les deux lignes en pointillés, l’une anti accès, plus proche de la terre ferme et l’autre, définissant la zone d’interdiction, plus en haute mer.28 Les États-Unis pour leur part sont déterminés à maintenir la liberté de navigation tout en essayant d’éviter d’être entraînés dans un conflit à la suite d’obligations liées à des traités bilatéraux avec le Japon et les Philippines.

Pour ce qui est de la ligne de neuf traits (comprenant la zone définie par la ligne rouge à la figure 2) dont la Chine se sert pour justifier ses revendications,29 les États-Unis ont finalement indiqué leur position le 5 février 2014 lors d’une comparution devant le comité de la Chambre de Représentants sur les affaires étrangères: « en droit international les revendications maritimes dans la mer de Chine méridionale doivent être dégagées à partir d’éléments terrestres. Tout recours par la Chine à la ligne de neufs traits pour revendiquer des droits maritimes qui ne soient pas basés sur des territoires terrestres revendiqués ne serait pas conforme au droit international. La communauté internationale souhaiterait que la Chine clarifie ou ajuste sa revendication au titre de la ligne de neufs traits pour que sa position soit conforme au droit international de la mer ».

Figure 3: Lignes chinoises d’anti-accès et d’interdiction de zone

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Les incidents frontaliers avec l’Inde constituent un élément important dans la patiente marche en avant de la Chine. Cette question est survenue de temps à autre depuis la guerre sino indienne de 1962 alors que la Chine « avait puni » l’Inde pour avoir accueilli le Dalaï-Lama quelques années auparavant, avant finalement de se retirer du territoire indien. Avec l’arrivée au pouvoir d’un premier ministre nationaliste à Delhi, alors que la Chine établit ses revendications en milieu marin, il n’est pas surprenant que des incidents frontaliers reprennent. On ne peut exclure des opérations militaires plus étendues entre les deux superpuissances asiatiques. Le nouveau partenariat Indo-américain n’y est pas étranger. La Russie suit cette affaire très attentivement parce qu’il y a également des territoires dans l’extrême est de la Russie qui, à un moment donné dans l’histoire, appartenait à l’empire de Chine et la Russie est tout aussi préoccupée par l’invasion furtive de son territoire par des émigrés chinois dans des villes comme Khabarovsk au nord de Harbin et au-delà.

Plus globalement, la stratégie de la Chine consiste à réduire la crédibilité des États-Unis, son « rééquilibrage vers l’Asie » et ses alliances dans la région, tout en exerçant de fortes pressions sur les acteurs régionaux. Bien qu’elle soit encore loin de parvenir à une parité maritime avec les États-Unis, la Chine est engagée dans une course aux armements qu’elle pense pouvoir soutenir par son programme de construction navale massif, en espérant que les États-Unis s’épuiseront éventuellement à cause de mesures autodestructrices adoptées par le Congrès face à un Président impuissant, dans le genre du séquestre et autres circonvolutions législatives. Cela paraît quand même utopique.

La Chine, destinée bientôt à devenir la plus vaste économie sur la planète en parité de pouvoir d'achat, va continuer à constituer un défi pour la communauté internationale. Mais il y a aussi des intérêts commerciaux et d’investissement considérables qui militent en faveur d’une coopération grandissante avec l’Ouest. Il est difficile de prédire dans quelle mesure des intérêts divergents d’un côté ou le simple bon sens de l’autre favoriseront l’harmonie ou la discorde. Tout en poursuivant ses intérêts économiques dans le contexte général et les normes du capitalisme – par exemple l’OMC, la négociation d’accords de libre-échange, d’accords de protection de l’investissement étranger – la Chine cherche également à modifier, voire, à repousser des normes internationales notamment dans le domaine humanitaire comme la responsabilité de protéger, les sacrifiant sur l’autel d’un nationalisme étatique puissant et du principe westphalien sacro-saint de la non-ingérence.

Les deux figures suivantes30 illustrent l’intensité des réseaux commerciaux faisant de la Chine une partie intégrante et dominante de l’économie mondiale mais aussi un pays très dépendant du commerce international même si elle évolue vers une croissance davantage basée sur la demande intérieure. En fait, une telle croissance s’accompagnera d’une augmentation des importations. Plus important encore, le déficit commercial américain avec la Chine, à 320 milliards de dollars en 2013, est le plus élevé au monde. Comme acheteur majeur de bons du trésor américain, la Chine est le plus grand prêteur au gouvernement américain pour une dette de $1.25 billions en 2014, ce qui représente un cinquième de la dette publique américaine contrôlée par des pays étrangers. Bien que certains s’inquiètent de l’influence que cela donne à la Chine qui pourrait précipiter une récession soit en demandant le remboursement des prêts ou simplement en cessant d’acheter les bons du trésor américain, la Chine est le dernier pays à avoir le moindre intérêt à provoquer une telle crise. Les États-Unis et la Chine sont essentiellement un couple qui se dispute constamment mais reste ensemble en raison d’un intérêt supérieur. Mais comme dans toute relation profondément instable, il y a toujours le risque que des éléments externes la déstabilisent sans qu’elle puisse être contrôlée.

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Figure 4: Tracés majeurs du commerce par container (image fournie par le professeur Comtois)

Figure 5: Principaux ports de containers dans le monde de 1990 à 2012 (Millions d’unités équivalentes à des containers de 20 pieds)

La relation entre la Chine et les États-Unis est évidemment caractérisée par un mélange instable d’éléments coopératifs et compétitifs, issus de la dynamique de la montée en force des puissances majeures de l’est. Les États-Unis ont été présents dans les mers asiatiques depuis des décennies. Bien que des incidents de faible gravité se soient produits dans la mer de Chine, les deux pays ont déjà accepté leur interdépendance ce qui a conduit généralement à une volonté marquée d’éviter des conflits – l’attitude du président Obama envers le président Xi Jinping est totalement différente de sa relation avec le Président Poutine. Leur toute première déclaration sur le changement climatique, bien que non déterminante, a souligné leur volonté de répondre

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ensemble aux menaces communes. Si la raison l’emporte, le contexte économique de la relation et les préoccupations de sécurité communes pourraient conduire les deux pays à établir une forme de convergence stratégique. Mais est-ce que la raison peut vraiment l’emporter dans le monde dans lequel nous vivons?

Le Moyen-Orient: la paix verra-t-elle le jour?31

Le conflit israélo-palestinien

Entre le jour du discours du président Obama au Caire en 2009 et maintenant, l’administration américaine, dont les secrétaires d’État Clinton et Kerry, a investi énormément de temps et d’efforts pour trouver solution au cauchemar israélo-palestinien, vieux de soixante-sept ans. La dernière ronde de négociations a montré une fois de plus que le premier ministre Netanyahou n’était pas prêt à conclure un accord. Pour sa part, la campagne de Mahmoud Abbas pour une reconnaissance de la Palestine aux Nations Unies et bilatéralement, bien que légitime, n’a pas aidé sa cause. La reprise subséquente du lancement de fusées par le Hamas, suivi de l’assaut sur Gaza a mis fin à l’espoir. Quelles que soient les formules élégantes pour camoufler la réalité, la relation entre Netanyahou et le président Obama a fort peu de chances de s’améliorer avant la fin du mandat du président. Et maintenant qu’une fois de plus Israël est en campagne électorale il y a de fortes chances que l’électorat se déplace encore plus à droite, n’incitant guère le président américain à tenter quoi que ce soit au cours des mois à venir. Toute tentative d’influencer le leader israélien sur la colonisation, par exemple, par le truchement d’un changement de position américaine sur le conflit aux Nations unies provoquerait une réaction bipartisane hostile au Congrès, qui serait fortement soutenue par la population américaine. Cela pourrait faire du tort à la candidature démocrate aux élections présidentielles de 2016. Pendant ce temps-là, les deux questions fondamentales divisant Israël et les États-Unis demeurent insolubles: l’expansion continue de la colonisation israélienne dans le moignon de territoire restant pour un État palestinien éventuel, et les négociations nucléaires avec l’Iran. Et on ne peut s’attendre à aucun effort de la part de Netanyahou ou de n’importe quel leader israélien pour faire avancer les négociations avec les Palestiniens tant qu’il n’y aura pas de lisibilité sur les résultats des pourparlers avec l’Iran. En revanche, les négociateurs occidentaux doivent trouver pénible la satisfaction exprimée par le leader israélien, allié des États-Unis, devant l’échec de la négociation le 24 novembre 2014 et le prolongement du délai sur 7 mois dans l’espoir que le temps joue contre la conclusion d’un accord.

Le conflit a des ramifications dans toute la région: « le nœud Gordien du conflit israélo-palestinien n’a jamais été défait mais il n’a pas affecté seulement les deux parties principales mais toutes les nations du Moyen-Orient et au-delà; la colonisation israélienne comme le désir légitime des palestiniens d’avoir leur État servent souvent à camoufler des problèmes plus profonds dans le monde arabe, enflammant les opinions et se manifestant par des réactions anti-occidentales ».32 La tragédie aujourd’hui n’est pas seulement que le cessez-le-feu avec le Hamas risque de ne pas durer mais qu’il y a un risque réel de reprise des manifestations dans le mode intifada à Jérusalem-est et en Cisjordanie. La situation ne fera qu’empirer, le désespoir s’accentuant, et provoquera des réactions de plus en plus violentes des forces de sécurité israéliennes. Le risque d’une augmentation de la violence a aussi été alimenté par le projet de loi sur l’État juif qui, même s’il n’est pas en jeu pour l’instant, a néanmoins laissé une marque indélébile dans l’esprit des Arabes israéliens.

Un nombre croissant de pays occidentaux envisagent de reconnaître pleinement l’État palestinien – le Parlement européen et l’Assemblée nationale française se sont joints au Royaume-Uni et à la Suède qui l’ont déjà fait, sans le moindre effort de la part des États-Unis pour les convaincre de faire autrement.33 Mais de telles mesures n’ont aucune chance de persuader Israël d’envisager des types de solutions dans le genre du plan Olmert – Abbas de 2008. Pendant ce temps, « Palestiniens et Israéliens continueront de vivre dans un état de peur alors qu’il ne devrait pas vraiment en être ains ».34 Est-ce que l’historien cité par Max Hastings pourrait avoir raison?: « Consciemment ou inconsciemment, Israël a décidé de préférer un état de guerre permanent plutôt que de faire les concessions indispensables aux Palestiniens pour en arriver à une paix durable ».35 Le paradoxe continue: une forte proportion de la population juive d’Israël souhaite l’expansion de la colonisation pour accueillir une population croissante mais rejette la notion de pays binational par peur d’être éventuellement dépassé par la croissance démographique de la population palestinienne. Ainsi la rhétorique des deux états demeure. Sur Israël et l’Iran, Aaron Miller résume superbement le dilemme du président américain: « l’idée que l’administration Obama voudrait se placer en position de défendre un accord avec l’Iran auquel Israël et la majorité du Congrès s’opposent – et paraître implicitement se porter à la défense des Iraniens dans ce contexte – défie les lois de la gravité politique, particulièrement pour un président très affaibli ».36 Pourtant un accord avec l’Iran

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est stratégiquement plus important que des progrès mitigés sur la question palestinienne. Mais la raison prévaudra-t-elle?

L’Iran

Le report de sept mois des négociations entre l’Iran et le groupe P5+1, soit les cinq membres permanents du conseil de sécurité plus l’Allemagne, permet un examen des aspects mal connus et totalement inconnus de tout le programme nucléaire iranien. Comme l’a longuement expliqué Anthony Cordesman,37 il y a de nombreuses questions techniques, comme le nombre de centrifugeuses et leur forme plus avancée, le niveau d’enrichissement de l’uranium et l’importance des stocks, la production éventuelle de plutonium, toute la question de l’échéancier ou du seuil technologique avant que l’Iran ne puisse produire une arme nucléaire, la mise en force d’un accord, la durée de ce dernier et quand les sanctions devraient être levées et comment. Ensemble ces éléments définissent les critères d’un accord répondant « aux impératifs de sécurité tant des États-Unis que de nos alliés régionaux » ce qui impliquerait d’empêcher « l’Iran de construire et de déployer des armes nucléaires ».38 Retarder l’enrichissement mais permettre à l’Iran de poursuivre l’installation de centrifugeuse et de mettre au point le concept ou le dessin d’une arme nucléaire ne satisferait pas aux exigences d’un accord.

D’après le plus récent rapport de l’Agence internationale de l’énergie atomique,39 l’Iran continue à respecter scrupuleusement l’accord nucléaire intérimaire qu’il avait conclu l’année dernière avec le P5+1. « Depuis l’entrée en vigueur de l’accord, a dit l’agence, l’Iran a bloqué l’enrichissement de son uranium à 5% de l’isotope U235, a dilué ou converti tout son stock d’uranium à 20% et réduit le stock d’uranium à 5% à 7,765 kg soit 17,119 livres. L’Iran n’a pas installé de composantes majeures aux réacteurs à eau lourde de Arak qui pourraient produire du plutonium, un autre combustible utilisable pour une bombe, et continue à permettre à l’agence d’inspecter les sites d’enrichissement à Fordow et à Natanz sur une base quotidienne et de visiter les ateliers d’assemblage des centrifugeuses, les ateliers de production de rotors de centrifugeuse et les installations d’entreposage ».40 Il est clair cependant que le niveau de confiance envers l’Iran n’est pas élevé – les rumeurs de non-respect à l’usine d’Arak a une fois de plus soulevé l’imagination fertile des pessimistes. Il faut reconnaître que le directeur général de l’agence, M. Amano, a récemment exprimé certaines appréhensions quant à l’absence de volonté de l’Iran de répondre aux préoccupations à l’égard des dimensions militaires éventuelles de son programme nucléaire. Aussi le temps de réaction est fondamental: « Si l’on veut disposer d’un temps de réaction adéquat, il est essentiel de placer des limites sur les programmes nucléaires sensibles de l’Iran, d’imposer des mesures de vérification satisfaisantes et d’obtenir la preuve que des progrès concrets ont été enregistrés avec l’Iran eu égard aux préoccupations de l’agence quant à ses tentatives antérieures, voire, présentes de mise au point d’armes nucléaires. En raison d’une longue histoire de non-respect par l’Iran de ses obligations de garantie, un accord se doit de durer longtemps, de l’ordre de vingt ans, pour qu’il n’y ait aucun danger que l’Iran cherche à acquérir des armes nucléaires ».41 Pour ce qui est des centrifugeuses, il semble qu’il demeure une grande distance quant au nombre acceptable. Les États-Unis souhaitent que le nombre descende à 1500 en partant de 10 000 tandis que l’Iran semble vouloir en garder 7000 ce qui fournirait un seuil technologique de six mois pour la fabrication d’une bombe au lieu du minimum d’un an que les alliés demandent et que 3000 centrifugeuses permettraient.

Par-delà les questions techniques importantes, la géopolitique régionale peut affecter l’évolution des négociations. Tant la Syrie que l’Irak font maintenant face à l’État islamique et ce fait semble avoir produit une coopération tacite, sinon ouverte, entre « le Grand Satan » est un membre notoire de « l’axe du mal ». De fait, bien que la rhétorique demeure ferme, la lutte contre l’État islamique a définitivement suscité une communauté d’intérêt stratégique entre les deux. De fait, quand il s’agit de l’État islamique, la relation entre les États-Unis et l’Iran est beaucoup plus nette qu’avec la Turquie. Certains soutiennent qu’à long terme la relation qui émerge pourrait mener à une transformation du système d’alliance dans la région. Mais la route est encore longue et tortueuse avant que l’on ne parvienne à une nouvelle relation irano-américaine. La première ligne d’obstacles formidables comprend le Congrès américain et les gardes révolutionnaires islamiques et c’est sans compter le côté imprévisible du leader suprême iranien. D’ailleurs, certains recommandent que les préparatifs américains (et Israéliens?) en vue d’une guerre éventuelle contre l’Iran devraient continuer. Dans une ère d’incertitude profonde et dangereuse, folie et raison sont interchangeables.

Les raisons pour lesquelles l’Iran voudrait poursuivre le développement de ses capacités nucléaires sont claires: la sécurité (pas seulement contre Israël mais également contre les états arabes voisins), le prestige, et de l’influence dans la région. Toute possibilité de conclure un accord devrait donner à l’Iran des assurances sur ces trois critères; cela exigerait l’avènement d’une

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relation entièrement différente avec l’Occident. Est-ce que l’un ou l’autre des protagonistes est même prêt à envisager un tel « renversement des alliances » et que signifierait-il vis-à-vis du monde arabe, et serait-ce stratégiquement suffisamment intéressant pour les États-Unis au point d’avancer plus avant dans cette direction? L’issue de tout ce débat en 2015 reste très incertaine. Le vrai danger, c’est qu’il existe suffisamment de gens en faveur d’un échec des négociations, pas seulement en Occident mais également en Iran, et encore davantage dans la région elle-même, qu’un sabotage en bout de ligne soit fort possible.

L’État islamique: bienvenue en « Extrêmistan »42

Figure 6: Le « territoire » de l’EI au 20 novembre 2014

Il n’y a pratiquement pas une personne sur terre qui n’ait pas entendu parler de l’État islamique aussi dénommé l’État islamique en Iraq et au Levant (EIIL). Mais d’aucuns se demandent comment traiter ce phénomène horrible issu de la deuxième guerre du Golfe en 2003 et de l’insurrection subséquente contre les États-Unis. Centré initialement en Irak le mouvement a profité de la guerre civile en Syrie pour lancer des opérations majeures dans ce pays. Son chef, Abou Bakr Al-Baghdadi, a déclaré la constitution du califat islamique le 30 juin 2014 en exprimant la volonté de reconquérir l’ancien empire musulman abbasside. Outre qu’il bénéficie de financements privés arabes, l’État islamique se finance en profitant des ressources pétrolières dans les régions d’Irak sous son contrôle.

Le succès de l’État islamique en Irak est largement dû à la guerre civile en Syrie et à la division entre sunnite et chiite après que le gouvernement déplorable de Maliki ait exclu les sunnite du gouvernement et mis à pied les officiers sunnite de l’armée dont bons nombres se sont subséquemment ralliés à l’État islamique. Bien que certains progrès aient été accomplis pour rendre le gouvernement irakien plus représentatif de la diversité religieuse et ethnique du pays, il reste encore beaucoup à faire. L’effondrement initial de l’armée irakienne, les actes de violence horribles perpétrés par l’État islamique notamment contre les Yazidis, ainsi que la décapitation de deux journalistes américains ont conduit les États-Unis à créer une coalition et à lancer des attaques aériennes pour « désagréger et détruire l’EIIL ». Bien que cela n’ait jamais été dit comme tel, la position de la coalition en Irak pourrait bien conduire à la destruction de l’État islamique mais étant donné la situation en Syrie, on ne pourra pas faire mieux que de le « désagréger ».43 Il y a presque unanimité pour dire que la destruction de l’État islamique est pratiquement impossible sans des troupes sur le terrain. Les États-Unis ont accentué la formation des forces irakiennes qui ont connu quelques succès; mais jusqu’à maintenant les États-Unis se contentent d’assurer la formation des forces irakiennes et ont évité d’envoyer des troupes sur le terrain pour participer aux combats. Le Canada s’est joint à la coalition à la demande des États-Unis et à déployé entre autres six chasseurs, deux avions de reconnaissance et un avion de ravitaillement en vol.

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Comme l’a si bien écrit David Rothkopf, « La mission contre l’État islamique a été entreprise par ce que l’on pourrait appeler l’Alliance Sans Nom. Elle réunit, avec un niveau de coordination qui doit être supérieur à ce que quiconque veut admettre publiquement, les plus étranges compagnons de bataille: les États-Unis, les Kurdes, le régime irakien, l’Iran, la Russie, une certaine aide de l’OTAN, et le régime de Bashar al-Assad. Il a l’appui tacite de tous les pays allant d’Israël jusqu’au Conseil de Coopération du Golfe. Le niveau de la menace que représente l’État islamique a fait en sorte que la grand Mufti d’Arabie Saoudite l’a caractérisé « d’ennemi numéro un de l’islam ». Plus globalement à l’échelle du monde, des pays comme la Chine, l’Inde et les pays de l’Union européenne reconnaissent aussi la menace. Si l’on tient compte du fait que, étrangement, les pilotes du gouvernement irakien installé par les États-Unis volent sur des avions construits en Russie, en consultation avec des chefs iraniens, avec l’appui des États-Unis, des Peshmerga, et de la force aérienne syrienne, il devrait y avoir des possibilités de progrès contre cette menace ».44 Cela dit, même si la contribution arabe musulmane aux opérations militaires contre l’État islamique s’est accrue, elle demeure largement symbolique. Il semble que la guerre aérienne n’ait qu’un impact limité pour ce qui est la destruction de l’État islamique bien qu’elle soit parvenue à bloquer leur capacité de lancer des opérations de grande envergure.

De nombreux chefs religieux musulmans ont dénoncé l’idéologie et les actions de l’État islamique, reconnaissant qu’il représentait un danger pour l’islam et les musulmans, et bon nombre de pays ont adopté des lois pour décourager les efforts de recrutement de combattants étrangers. Pour leur part les anciens régimes, voire d’anciens ennemis, se sont unis pour renforcer leurs liens face à l’EI: l’Égypte l’Arabie Saoudite, la Jordanie, les Émirats arabes, même le Qatar et Israël partagent une préoccupation commune à propos de l’État islamique.45 Le Qatar a d’ailleurs arrêté de financer des organisations terroristes. En attendant on se pose beaucoup de questions sur ce qui motive les gens à se joindre à l’État islamique. Pour les pays occidentaux, il est essentiel de comprendre les raisons pour lesquelles un bon nombre de leurs citoyens se joignent à l’État islamique et les menacent partout en Europe et même au Canada.

Pour les jeunes musulmans, les raisons invoquées comprennent un rejet des régimes autoritaires, l’exclusion, le chômage, la recherche d’un nouvel idéal, les promesses religieuses, l’amertume et la rancœur envers l’Occident, l’échec du processus de paix au Moyen-Orient et plus de douze années d’attaques occidentales contre des pays du monde musulman.

Pour les non musulmans, la foi ne joue pratiquement aucun rôle et pourtant ce sont des médias sociaux islamiques hautement efficaces qui ciblent les individus vulnérables, profitant des sentiments d’injustice, d’exclusion, de la soif d’action sinon une attraction perverse pour le terrorisme, un désir d’être craint, l’attrait d’une vie plus excitante que celle offerte par les gangs de jeunes et d’une perspective aux antipodes d’un sens de marginalisation, de victimisation et de vulnérabilité. Paul Berman fait référence à « des mouvements de masse pathologiques qui s’enivrent à l’idée de massacres ».46

Toutefois bien que les médias occidentaux tendent à considérer l’État islamique comme des barbares, certains chercheurs comme Shady Hamid,47 suggèrent qu’on ne devrait pas ignorer la nature profondément religieuse du mouvement et l’importance de la référence à un califat. En fait, Ahmed Rashid l’exprime très clairement: « contrairement à Al Qaïda, EIIL n’a pas fait des États-Unis et de ses alliés leur cible principale. L’État islamique désire détruire l’ennemi le plus proche, à savoir les régimes arabes, en premier. C’est avant tout une guerre au sein de l’islam: un conflit de sunnite contre des chiite mais aussi une guerre d’extrémistes sunnite contre des musulmans plus modérés – entre ceux qui pensent que le monde musulman devrait être dominé par une seule forme de wahhabisme et sa branche extrémiste salafiste, et ceux qui appuient une vision pluraliste de la société musulmane. Les leaders de l’État islamique cherchent à éliminer toutes les minorités musulmanes et non musulmanes du Moyen-Orient – à effacer non seulement les anciennes frontières et les états imposés par les puissances occidentales, mais à changer toute la composition ethnique, tribale et religieuse de la région ».48

Dans la mesure où plusieurs pays occidentaux se sont maintenant engagés dans la guerre contre l’État islamique, il pourrait être utile de revoir certaines des hypothèses qui l’entourent y compris son aura d’invincibilité. Leur capacité de recruter et d’utiliser les médias sociaux à leur avantage montre manifestement que ces héritiers d’une idéologie médiévale brutale, au nom de la religion, savent parfaitement bien ce qu’ils font. Bien qu’on considère le mouvement surtout comme une forme d’islam radical, la dimension politique est liée à la défense des régimes ou populations sunnite. La notion de califat, sans frontières mais en même temps spirituelle et territoriale, répond bien à la fois aux aspirations religieuses et à la soif de pouvoir politique.

La discussion sur la durée des opérations contre l’EIIS est généralement très imprécise puisqu’elle dépend entièrement des

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moyens déployés contre lui; ceux qui connaissent mieux les choses – les militaires – n’ont pas beaucoup droit à la parole. La poursuite de l’option militaire jusqu’à maintenant ne permet guère aux aspects politiques de la guerre en Syrie ou encore de la division sectaire en Irak d’être pris en compte. Est-ce qu’une habilitation politique et un regain de tolérance religieuse constitueraient de meilleures armes contre l’État islamique que les moyens militaires? Les attaques aériennes ne sont définitivement pas la réponse finale et l’État islamique restera vivace au moins à moyen terme. Il a un territoire, une structure gouvernementale, des racines, ce que Al Qaïda n’avait jamais eu. Mais en définitive, comme il défend un territoire, il est également vulnérable. L’analyste de l’Irak Michael Knight, qui a entrepris une étude approfondie des capacités militaires de l’État islamique, a conclu que l’EIIS «est une puissance militaire surtout à cause de la faiblesse et de l’absence de préparation de ses ennemis ».49 Cela devrait avoir une influence sur la décision du Canada de prolonger ou non sa participation au sein de la coalition.

Il y a des questions plus fondamentales qui exigent des réponses:

- Premièrement pourquoi les États-Unis et ses alliés se sont lancés à l’attaque de l’État islamique après avoir été silencieux pendant la guerre civile syrienne? Où va la raison dans le monde aujourd’hui quand deux décapitations ont plus d’influence que 200 000 morts et des millions de réfugiés?

- Deuxièmement, plus globalement, maintenant que nous sommes totalement engagés dans la lutte contre l’État islamique, existe-t-il un ordre de priorité entre cette guerre, la déposition de Assad (à supposer ce sont encore l’objectif), et les négociations nucléaires avec l’Iran, sans oublier le conflit israélo-palestinien? Avons-nous une idée claire de ce qui est le plus important au sein de ces objectifs inter-reliés?

- Troisièmement, est-ce que la menace de l’État islamique est exagérée? Y a-t-il une corrélation entre la nature de la menace et les engagements jusqu’à maintenant? Est-ce que l’État islamique essaye de nous entraîner dans le combat pour susciter davantage d’hostilité contre l’Occident – on est déjà plutôt mal parti à ce niveau-là, mais au point où on en est, est-ce que cela ne nous est pas égal tant que nous ne perdons pas de combattants? Mais il y a aussi les attaques terroristes au Canada et en France et les complots terroristes en Belgique et dans d’autres pays. Est-ce que cela signifie que l’État islamique et d’autres groupes comme Al Qaïda étendent leurs opérations au front occidental?

- Quatrièmement où sont les forces armées des pays de la région sur le terrain qu’ils estiment que l’État islamique n’a pas le droit d’occuper? Est-ce que la force de la réaction militaire occidentale permet plus facilement à ces pays de surseoir à leurs obligations et d’éviter de prendre leur part de responsabilités dans la lutte contre l’État islamique? Dans ce contexte, la position de la Turquie est tout à fait compréhensible… ou l’est-elle vraiment?

- Cinquièmement, au sein de cette soi-disant coalition, existe-t-il une communauté de valeurs ou même de conception pour mener le combat jusqu’à sa conclusion définitive? Est-il possible que la diversité d’intérêts, voire d’objectifs, entraîne l’effondrement de la coalition? En outre cet effondrement pourrait survenir en raison du déséquilibre entre l’objectif de « détériorer et détruire » et les moyens déployés. On se souvient des « travaux non finis » des interventions antérieures, en Afghanistan, en Irak, et en Libye. Quel est le critère de succès?

- Enfin est-ce que les actions de la coalition risquent d’inciter le gouvernement irakien à ralentir le processus de réforme et d’inclusion – étant entendu que certains progrès ont été réalisés dans les négociations avec les Kurdes d’Irak?

Dans la mesure où cette guerre n’a guère d’assise stratégique, les réponses à chacune des questions sont liées à l’interprétation des différents acteurs. Au moins un consensus semble se dégager sur une zone d’interdiction aérienne le long de la frontière turque avec la Syrie – certains diront même trois ans trop tard. Pour ce qui est de la Syrie proprement dite, il n’existe toujours pas stratégie claire; les exemples de la Libye et même de l’Irak semblent provoquer beaucoup d’hésitation de la part des Américains face au régime Assad. Les membres de l’armée syrienne libre (ASL) se plaignent qu’ils n’ont pas accès aux armements nécessaires pour lutter à la fois contre l’État islamique et contre Assad et ils ont l’impression que les États-Unis se rangent du côté du régime en place. Une décision récente des États-Unis de former l’ASL pourrait atténuer ces préoccupations. Mais il n’est pas étonnant qu’Erdogan, qui est fixé sur l’expulsion de Bashar al-Assad, refuse de faire participer la Turquie au combat tant qu’il n’aura pas reçu de réponse des États-Unis. Cela dit il n’y aura pas de victoire sans combattre l’État islamique en Syrie et cela ne peut pas s’accomplir avec seulement des attaques aériennes.

Et puis il y a le rôle de la Russie, un « allié » dans la lutte contre n’importe quel extrémisme à proximité de son flanc sud, mais

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rangé décidément du côté d’Assad avec l’appui tacite de l’Arabie Saoudite et de l’Égypte. En fait, l’Irak préférerait sans doute qu’Assad reste au pouvoir dans le contexte du croissant chiite. L’État islamique est évidemment la priorité mais faute de stratégie de repli, étant donné les sacrifices consentis par les États-Unis en Irak, l’administration américaine ne voudra pas permettre que le pays tombe dans les mains de l’État islamique; aussi assisterons-nous probablement à une longue période de reconstruction ainsi qu’en atteste le nombre croissant de troupes américaines sur le terrain dans un rôle non-combattant. La même motivation semble être à l’origine de l’engagement à accroître le nombre de troupes américaines en Afghanistan avec un rôle plus opérationnel. Le prolongement des négociations avec l’Iran sur sept mois, attribuable à des questions difficiles à régler, est probablement dû aussi à la nécessité d’en arriver à une certaine lisibilité, suite à des succès réels sur le terrain contre l’EIIL, même si cela devait renforcer la position des Iraniens. Bien que l’État islamique ne soit pas une menace existentielle pour les États-Unis et l’Occident en général, après les attaques à Ottawa et à Paris par des « djihadistes retournés au pays », comme l’ancien directeur de la Syrie et le secrétaire d’État à la défense Léon Panetta 18 janvier à CNN, « nous entamons un chapitre nouveau et peut-être plus dangereux dans la guerre contre le terrorisme ». D’un autre côté, on ne peut ignorer le diagnostic de Rami Khouri: « les actions militaires américaines dans des terres lointaines transforment généralement celles-ci en espaces chaotiques, dysfonctionnels, ingouvernables et violents ».50 Il ne conteste pas la nécessité de s’en prendre à l’État islamique mais s’interroge sur la nature et l’origine de l’intervention: «attaquer et détruire ces groupes est une priorité pour la région et le monde; mais les deux dernières décennies ont montré qu’une telle lutte menée essentiellement avec des troupes étrangères et des états arabes autoritaires ne fait que créer davantage de chaos et de ressentiment, ce qui permet ultimement à ces groupes criminels de grandir ».51

Au-delà de la folie

Massacre de la Saint Barthélémy, 1572 (François Dubois pinxit)

Il n’y a sans doute pas lieu de comparer l’horreur du massacre de la Saint Barthélémy au seizième siècle et les « guerres de religion » d’aujourd’hui. Pourtant la division entre sunnite et chiite aujourd’hui se compare presque au clivage entre catholiques et protestants il y a 500 ans. À cette époque comme aujourd’hui, il est impossible de dissocier les dimensions religieuses et politiques/économiques ainsi qu’on le constate avec les crimes commis par les Islamistes de Boko Haram au Nigéria sous prétexte que les chefs religieux nigérians enseignent « une forme corrompue de l’islam », « l’épuration ethnico-religieuse » d’abord par les musulmans, et ensuite massivement par les milices chrétiennes en République Centrafricaine, sans oublier le génocide rwandais, le Darfour, les attaques au Kenya, en Somalie ou encore Al Qaïda dans le Sahel. Les radicaux islamistes acquièrent de plus en plus d’influence dans des pays comme le Pakistan, reprennent du terrain en Afghanistan, nonobstant les actions de ISAF et d’autres, commettant un grand nombre d’attaques suicide et d’autres actes terroristes en Irak. On sait ce qui se passe malheureusement dans la Libye post-Kadhafi: la libre circulation d’armes, de stupéfiants, et des migrants illégaux, partout dans le Maghreb et au Sahel. Pour l’Égypte, la sécurité de ses plus de 1000 km de frontières avec la Libye à l’ouest, où des groupes extrémistes se battent pour le contrôle du pays et opèrent au-delà des frontières, représente un défi plus grand que celui auquel le maréchal Sissi fait face dans le Sinaï. La Tunisie et l’Algérie se sentent également menacées.

À côté de la descente du Moyen-Orient dans une spirale d’insanité, de l’incohérence de la politique occidentale, de la redéfinition par un Président russe, délirant et possiblement dangereux, des États-Unis et l’OTAN comme l’ennemi, attribuant à

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l’Occident tous les maux de son pays, de l’expansion de l’extrémisme en Afrique, à côté de tout cela, on pourrait croire que les autres crises dans le monde sont mineures. Pourtant le chef imprévisible et parfois évanescent de la Corée du Nord continue à pousser en avant le programme d’armement nucléaire de son pays, même si, parfois, il amorce des ouvertures plutôt incompréhensibles à l’endroit des autres pays de la région. Il a pu paraître ridicule de la part du régime nord-coréen de pirater la société Sony au moment où leur division de Hollywood était sur le point de lancer une comédie basée sur la personne du leader nord-coréen; mais si la preuve en est donnée, cela laisserait peser la menace de dommage direct et majeur à une industrie de haute technologie aux États-Unis. Des décennies de sanctions n’ont eu que très peu d’impact sur la famille Kim. Et même la Chine ne peut pas faire grand-chose – ou ne veut rien faire – à moins de suspendre toute aide et tout appui à la Corée du Nord, ce qui serait désastreux et pourrait provoquer l’Armageddon.

L’année dernière nous avons parlé de la décennie perdue de la lutte contre le terrorisme après le 11 septembre mais avions conclu qu’après plus d’une décennie, le terrorisme avait perdu un peu de son lustre stratégique alors que forteresse américaine avait solidifié ses frontières, entraînant dans sa suite un Canada parfois réticent. Mais l’Occident, tout comme le monde arabe, n’est pas parvenu à aller au cœur de la mouvance terroriste qu’aucun bombardement ne pourra résoudre. L’âge de la raison – si tant est qu’il ait existé au cours des cent dernières années qui ont connu les guerres les plus dévastatrices de l’histoire – a cédé sa place à l’âge de l’extrémisme avec ses formes multiples – et pas seulement à la marge des sociétés.

Ce qui est tragique dans le monde aujourd’hui, c’est que collectivement, nous avons permis à la foi aveugle, qui par essence est fondée sur des croyances et non sur la raison, de remplacer la morale. Cette dernière est simplement un code de conduite agréé sur la base de la rationalité des sociétés, sans être lié inévitablement à des croyances religieuses. Nous vivons à un âge où les questions de politique publique, que ce soit le mariage gai, la recherche des cellules souches, et même la liberté de parole et de pensée, sont débattues à partir d’une perspective idéologique, souvent théologique et même théocratique, et beaucoup moins à la suite d’un processus de réflexion rationnelle et dépassionnée.

3. LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE CANADIENNE: CONNAISSONS-NOUS NOTRE PLACEDANS LE MONDE?

« Premièrement, l’élément indispensable d’une politique étrangère réussie est un concept stratégique à long terme fondé sur une analyse soignée de tous les facteurs pertinents. Deuxièmement, l’homme d’État

doit distiller cette vision en analysant et en opérant sur un ensemble de pressions ambiguës, souvent conflictuelles pour les façonner en une direction cohérente et délibérée.… Et troisièmement il doit agir à la

limite extrême du possible, comblant l’écart entre les expériences de sa société et ses aspirations » (les trois conclusions dégagées par Kissinger de la carrière de Richelieu)52

L’ABC de la politique étrangère canadienne

Lors des éditions précédentes de Perspectives stratégiques, nous avons déploré l’absence de vision, d’imagination, d’une véritable pensée de politique étrangère, et la portée limitée des quelques initiatives du gouvernement Harper. Mais la vraie question n’est pas tellement ce que des chercheurs pensent mais ce que les Canadiens veulent de leur gouvernement en termes de politique étrangère et de défense ou encore comment ils conçoivent le rôle du Canada sur la scène nationale. Est-ce que le gouvernement de l’heure, pour utiliser la phrase de John Scott Cowan, contribue à «une maturation de la façon dont nous nous percevons sur la scène mondiale » dans l’espoir que « les mythologies étroites et compétitives du passé ne continueront pas à nous dominer autant qu’auparavant. En essayant de comprendre les questions entourant la défense et la sécurité de nos jours, il est essentiel de prendre en compte les nouveaux faits de la vie moderne ».53 Le Canadien moyen exprime rarement son opinion sur les questions de politique étrangère et les débats parlementaires offrent peu de substance.

La nostalgie n’est pas un substitut à la politique étrangère et il ne sert à rien de jeter un regard en arrière pour voir si nous pouvons retrouver une quelconque gloire passée avec laquelle nous avons coloré notre histoire diplomatique. Nonobstant la

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légende de l’avènement du Canada sur la scène internationale lors de la Première Guerre mondiale, il n’en a pas moins fallu un certain nombre d’années additionnelles avant que nous ne parvenions à « conquérir » notre indépendance de Londres en 1931. Nous nous sommes vantés d’avoir pu décider de déclarer la guerre nous-mêmes à l’Allemagne plusieurs jours après que le Royaume-Uni l’ait fait mais c’est elle qui nous a embrigadés dans la deuxième guerre mondiale. Il est indéniable qu’au cours des deux guerres mondiales, nous avons apporté une contribution largement supérieure à notre démographie et nous serons toujours fiers des sacrifices consentis par tant de Canadiens et de Canadiennes sur les champs de bataille. Bien que nous ayons mûri au point de devenir une puissance économique et militaire importante, en 1945, le Canada a été presque complètement ignoré dans les décisions des trois Grands. C’est la France et non le Canada qui a réussi à se réintroduire en leur compagnie, en dépit d’une contribution limitée aux efforts de guerre, sans décrier pour autant l’épopée du général de Gaulle. C’est à ce moment-là que le Canada s’est sagement tourné vers le multilatéralisme – fonctionnaliste de surcroît! L.B. Pearson, la crise de Suez aidant, demeure le héros de cette époque, quand le Canada, d’après Dean Acheson, paraphrasant William Wordsworth, était « la voix sévère de la fille de Dieu ». Mais déjà, comme toujours et encore aujourd’hui été, ce qui comptait le plus pour nous, c’était notre relation avec les États-Unis, relation qui nous définit, que cela nous plaise ou non.

Pierre Elliott Trudeau nous a donné une certaine image de nous-mêmes à laquelle nous rattachons de temps en temps. Bien qu’il n’y ait aucun doute qu’il ait insufflé un sentiment de fierté chez la plupart des Canadiens en raison de sa stature internationale et de sa promotion acharnée du caractère unique du Canada, il n’en demeure pas moins que sa politique étrangère, en dehors de la reconnaissance de la Chine, de son amitié avec Castro qui lui a valu l’ostracisme de l’administration américaine, et d’une brave tentative – échouée – de revigorer la négociation de la Réduction des forces mutuelle et équilibrée (connue sous l’abréviation MBFR), correspond plus ou moins à ce qu’un pays comme le Canada peut espérer apporter sur la scène mondiale. Cela ne veut pas dire que l’impact du Canada n’a pas été exemplaire dans le domaine normatif et dans l’élaboration de traités au service de l’humanité et que notre contribution au renforcement du cadre multilatéral ne fait pas l’objet d’admiration. Mais la question à se poser aujourd’hui, c’est qu’est-ce qu’il reste de tout ça dans l’esprit des Canadiens? Est-ce que notre vision, notre conception de la sécurité a changé au diapason des circonstances plus dures et plus évolutives du temps présent?

Le multilatéralisme aujourd’hui: encore pertinent?

Toute référence aujourd’hui au multilatéralisme, une pierre angulaire « passée » de la politique étrangère canadienne, pourrait être taxée de nostalgie. En fait le concept de lui-même s’est affadi. Le Canada n’est pas le seul pays à avoir moins systématiquement recours aux institutions multilatérales ou alors à le faire au cas par cas. Cette évolution remonte au lendemain du 11 septembre quand la guerre contre le terrorisme a été « kidnappée » par la guerre de George Bush contre l’Irak, ce qui a provoqué probablement le pire spectacle de désunion aux Nations unies, faisant éventuellement plus de tort à l’institution elle-même qu’à ses membres. En outre, la nature des guerres aujourd’hui – pas entre les états, pas même contre un État, mais contre des groupes sans frontières définies – n’était pas prévue par les auteurs de la charte des Nations unies. Mais l’adoption unanime de la résolution 2178 du conseil de sécurité des Nations unies sur l’État islamique le 24 septembre 2014, bien que n’ayant pas autorisé spécifiquement les opérations de la coalition menée par les États-Unis, nous a rappelé à tous combien les Nations unies sont pertinentes quand les états membres se rendent compte que l’ONU demeure l’un des meilleurs « outils de la boîte ». Aussi peut-on espérer que la participation de M. Harper au débat à l’appui de la résolution 2178 est une reconnaissance tardive qu’en matière de paix et de sécurité, les Nations unies s’inscrivent en ligne directe d’une grande tradition canadienne.

De fait, nos contributions ont été nombreuses et à ce jour, si l’on en croit les sondages,54 les Canadiens demeurent très attachés à l’institution et à l’esprit sous-jacent qui a permis d’essaimer de nombreuses réalisations inspirées ou appuyées par le Canada, comme la rédaction par John Humphrey de la Déclaration universelle des droits de l’homme, les Opérations de maintien de la paix, le dialogue Nord-Sud, le sommet de la Terre de Rio en 1992, la lutte contre l’apartheid, le protocole de Montréal, le travail contre les pluies acides et pour la protection de la couche d’ozone, l’interdiction des mines antipersonnel, la réduction du commerce des diamants du sang, la Cour pénale internationale, la création de la Commission de la consolidation de la paix de l’ONU, la Commission internationale sur l’intervention et la souveraineté de l’État, qui a mené au concept de la responsabilité de protéger, le réseau de la sécurité humaine, l’exception pour l’Arctique à la Convention de l’ONU sur le droit de la mer pour la protection de l’environnement dans l’Arctique et bien d’autres articles « canadiens » comme le droit à un « plateau continental élargi », notre appui aux objectifs de développement du millénaire, l’assistance humanitaire dans de nombreux lieux au fil des

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années sous les auspices de l’ONU, y compris au Pakistan, aux Philippines et finalement, mais non des moindre, nos contributions à l’opération Unified Protector en Libye et à ISAF en Afghanistan.

Bon nombre de ces contributions ont non seulement enchâssé notre politique étrangère mais elles ont également renforcé la sécurité du Canada, souvent de façons différentes mais complémentaires par rapport à des institutions comme l’OTAN et NORAD. À ce titre elles ont longtemps sous-tendu ce que les Canadiens pensent de leur place et de leur rôle dans le monde. Bien entendu, comme les événements le démontrent plus que jamais aujourd’hui, l’OTAN demeure le fondement de notre sécurité, de notre défense et de notre politique étrangère, tandis que NORAD encadre la structure de défense intégrée avec des États-Unis.

La politique étrangère du Canada aujourd’hui

John ibbitson est probablement le plus proche de la réalité dans l’évaluation de la politique étrangère actuelle du gouvernement.55 D’une certaine façon, les changements ont été tellement profonds qu’ils en sont sidérants: « ce qui était élitiste est devenu populiste; ce qui était multilatéral est devenu péremptoire; ce qui était coopération est devenu confrontation; ce qui était affaires étrangères est devenu une extension de la politique intérieure. Ce qui était maintien de la paix, aide étrangère, sécurité collective est devenu une fixation incessante sur des accords commerciaux ». Pour comprendre ce que le gouvernement veut que le Canada devienne, nous devons approfondir ce qui le mobilise idéologiquement. Il y a eu une décision délibérée de ne pas entreprendre une revue de politique étrangère comme les gouvernements précédents l’avaient fait, mais de traiter des problèmes au jour le jour, au fur et à mesure qu’ils se présenteraient; de rarement assumer un leadership sur les questions internationales importantes, animé par un non-interventionnisme conforme à sa façon de gérer les questions intérieures, par exemple avec les provinces; de dénigrer les politiques antérieures, de s’en moquer en les taxant d’inefficaces et plus applicables au Canada; et enfin de clamer haut et fort d’être guidé par une politique étrangère fondée sur des principes. Le changement reflétait également le déplacement de l’influence relative des provinces en faveur du conservatisme de l’ouest par rapport à la perspective plus internationaliste du Québec. C’est ce conservatisme, et un désir profond du Premier ministre de ne pas se faire imposer des décisions ou des politiques par un quelconque organisme multilatéral qui aide à expliquer pourquoi M. Harper est plus à l’aise dans un cadre bilatéral ou international où une interprétation plus « westphalienne » de la souveraineté demeurait à l’ordre du jour, l’unanimité étend le seul cadre décisionnel.

C’est effectivement le secteur multilatéral qui a le plus « souffert ». Le dédain profond du gouvernement pour la diplomatie multilatérale a été parfaitement exprimé par le Premier ministre dans son discours à le conférence du Parti conservateur, le 16 juin 2011: « et nous n’avons pas l’intention de nous mettre à la traîne et nous associer à l’ordre du jour de tous les autres simplement pour bien nous entendre avec eux. Nous n’allons pas faire plaisir à chaque dictateur avec nos votes aux Nations unies ». Mais ce n’était là qu’un épiphénomène d’un rejet de tout compromis, de tout consensus et d’une politique étrangère totalement axée sur des intérêts de politique intérieure, sans le moindre égard pour les avantages que d’autres pourraient en tirer au-delà de nos frontières. Le gouvernement actuel, qui tend à considérer les Nations unies comme du babillage exempt de tout résultat, n’a pas fait grand-chose pour contribuer au renforcement des institutions de l’ONU, surtout après avoir perdu sa campagne pour un siège au Conseil de sécurité en 2010. Le bilan est faible. Aussi n’est-il pas étonnant que notre capacité d’influencer les résultats à l’ONU ait été passablement réduite. Même si les engagements de Kyoto étaient pratiquement impossible à respecter, notre retrait du protocole a créé une onde de choc dans la communauté internationale de l’environnement qui s’en est pas encore remise, d’où le désastre de Copenhague et, plus récemment, « la leçon » administrée par le président français François Hollande sur l’environnement lorsqu’il est venu à Ottawa en novembre 2014. Le retrait de la convention de l’ONU sur la lutte contre la désertification a été coûteux pour notre image internationale. Il est probable que la décision la plus désolante à cause de son impact direct chez nous, a été l’obstruction du gouvernement sur la Déclaration des Nations unies sur les Droits des peuples autochtones, d’autant plus que cette déclaration était symbolique et n’engageait à aucune obligation formelle. Le Canada s’est également opposé à une résolution des Nations unies sur le droit à l’eau potable et à la salubrité, ce qui est surprenant de la part d’un pays qui possède le tiers de l’eau potable de la planète.

Il y a aussi de nombreux traités des Nations unies que le Canada n’a pas ratifiés, affectant notamment les droits des enfants, des personnes avec des infirmités, les droits économiques sociaux, de même que sur les disparitions forcées et les travailleurs immigrés. Enfin, outre plusieurs autres questions importantes liées aux droits de la personne que le gouvernement a choisi

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d’ignorer, le Canada, étonnamment, a refusé de signer l’accord sur le commerce des armes, alors que même les États-Unis l’ont signé. Il est intéressant de constater que d’un côté, le Canada a joué le rôle de chef de file aux Nations unies sur la résolution sur les abus des droits de la personne de l’Iran et a engagé des fonds importants pour la santé maternelle et des enfants mais que de l’autre côté, il a imposé des restrictions sur les droits sexuels et reproductifs, éliminant d’une initiative valable un des éléments clés pour les femmes dans le monde en développement, à savoir, le droit de choisir. Lors de l’Examen universel du Canada par les pairs au Conseil des droits de l’homme à Genève, contrairement aux conventions établies, le Canada a refusé de répondre à n’importe quelle recommandation qui n’était pas liée à du travail déjà en cours. Il a ignoré, en s’en moquant, les rapporteurs spéciaux des Nations unies venant au Canada pour voir où nous en étions sur des questions comme le droit à l’alimentation ou les droits des enfants, le gouvernement leur suggérant avec arrogance de visiter des pays « où les problèmes étaient plus sérieux ». Il semble que le gouvernement est disposé à dénoncer les abus commis à l’étranger tout en étant idéologiquement prêt, à domicile, à limiter les droits qui pourraient porter atteinte à la souveraineté de l’État.

Ce qui est plus troublant, c’est que le ressentiment accumulé en raison de l’échec de la campagne de 2010 pour un siège au conseil de sécurité de l’ONU, en laissant de côté la bravade du gouvernement, a eu un impact également sur les questions de sécurité, par exemple, le très lent processus d’approbation de projets dans le cadre du programme START ou GTSR (Groupe de travail sur la stabilisation et la reconstruction) en raison de la réticence du gouvernement à travailler avec les agences de l’ONU. Celles-ci sont utilisées « à la carte » comme agences d’exécution mais pas comme un élément fondamental de l’évolution de la société internationale. Pourtant du point de vue de la sécurité, il y a des questions importantes exigeant un consensus multilatéral, ou, au minimum, un examen au sein de l’ONU, comme toute la question du droit des conflits armés, alors que de nouvelles technologies comme les drones, les cyber attaques, ou encore le changement dans la nature du droit à l’autodéfense telle qu’elle s’applique à des mesures prises contre des groupes terroristes au-delà des frontières de l’État. Mais il y a fort peu de chances que le Canada amorce de cette discussion.

Les réponses du gouvernement aux crises récentes

Face aux crises récentes qui continueront à définir la scène internationale en 2015, les réponses du gouvernement ont eu un côté éclectique et ont été prises souvent en fonction d’intérêts politiques internes, tout en ayant des incidences pour notre position à venir en matière de défense.

Sur l’Ukraine, le Premier ministre de pris la position la plus hostile possible envers la Russie, laissant peu d’espace au dialogue: « le Canada ne pouvait pas rester indifférent face à la menace que représente aujourd’hui le comportement de la Russie… ce que j’appelle une invasion lente et continue de la part du régime Poutine… Le militarisme et l’expansionnisme agressif de la Russie sont une menace non seulement pour l’Ukraine mais aussi pour l’Europe, pour l’État de droit, pour les valeurs qui unissent les nations occidentales ». Il a mené la charge pour suspendre la Russie du groupe G-8. Lui et le ministre des affaires étrangères Baird ont accordé leur plein l’appui à la révolution Euromaidan, faisant plusieurs apparitions à Kiev au cours de la crise, rappelant l’ambassadeur du Canada en Russie, menaçant de déclarer l’ambassadeur de Russie à Ottawa « persona non grata », comparant « le régime de Poutine » aux actions d’Adolf Hitler quand ce dernier a envahi la Tchécoslovaquie en 1938, et imposant ses propres séries de sanctions. La démarche du Canada jusqu’à maintenant a mis l’accent sur les sanctions économiques ou liées à des personnes et a rejeté toute forme de dialogue. Il en résulte que nous nous sommes essentiellement exclus de toute forme de négociation future. Le langage utilisé est très différent de la démarche plus équilibrée des États-Unis et des Européens, par exemple, la reconnaissance par John Kerry des « intérêts légitimes de la Russie en Ukraine ».

Le meilleur « coup » de Monsieur Harper serait survenu quand il a dit au président russe au cours de la réunion du G-20 en Australie: « sortez de l’Ukraine ». Pourtant il est difficile de voir en cela autre chose que ce que Chris Westdal, ancien ambassadeur du Canada en Ukraine et en Russie, décrivait comme «une politique étrangère axée sur la diaspora ». On constate aussi une certaine sélectivité de la part du Premier ministre quant aux causes que le Canada choisit de défendre, non pas parce que le Premier ministre a tort de dénoncer la Russie, mais parce qu’il fait plus de bruit que de mal.

S’agissant de la Chine, le gouvernement continue d’essayer de rattraper les autres pays pour ce qui est de l’accès au marché chinois. Il est intéressant de constater que des défenseurs ardents du gouvernement Harper comme Fen Hampson et Derek Burney expriment dans leur plus récent livre56 leur préoccupation devant le risque que le Canada puisse se trouver à la traîne s’il

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ne sort pas de son confortable cocon et ne s’attaque pas agressivement au marché asiatique, pas seulement la Chine et l’Inde mais aussi les nombreux autres partenaires potentiels comme la Thaïlande, l’Indonésie, les Philippines, la Malaisie, le Vietnam. C’est d’autant plus essentiel que le Canada est en train de perdre des parts de marché dans ses marchés traditionnels, à commencer par les États-Unis qui deviennent de plus en plus protectionnistes. Évidemment, la chute importante de la valeur du dollar canadien par rapport au dollar américain pourrait avoir un effet opposé. On retrouve le même cri d’alarme dans le projet de document interne du MAECD, accédé par la CBC.57 Le gouvernement Harper a été remarquablement discret quant aux actions de la Chine en mer de Chine méridionale et orientale. S’il y a un « pivot asiatique » de la part du Canada, il est strictement limité aux domaines du commerce et de l’investissement, avec très peu d’accent sur la dimension sécurité, pas plus que sur les incidences de celle-ci sur l’avenir de nos forces armées. Pourtant, en août dernier, le gouvernement canadien a pour la première fois accusé ouvertement le régime chinois d’espionnage, ce qui a d’ailleurs mené une semaine plus tard à la détention du couple Garratt.

Il y a un équilibre discret de la part de notre gouvernement entre l’exercice de pressions sur la Chine à propos des droits de la personne et la poursuite de sa « diplomatie économique », en pleine connaissance du fait qu’à la suite du méga-accord énergétique entre la Chine et la Russie, la concurrence pour l’accès aux marchés de l’énergie de la Chine ira en s’accroissant. Bien que le Premier ministre Harper ait rappelé aux Canadiens sa position initiale, sa mise en œuvre a complètement changé: « vous vous souvenez peut-être qu’il y a eu une certaine controverse dans les premiers mois de ce gouvernement, quand nous avions dit que quand nous entretenions des relations avec la Chine ou avec n’importe quel autre pays, trois éléments d’intérêts entraient en jeu. Il n’y avait pas seulement les intérêts économiques, il y avait aussi des valeurs humaines fondamentales, les valeurs canadiennes, et enfin nos intérêts de sécurité… Nous insistons pour que ces trois éléments soient sur la table pour cette relation comme pour toutes les autres ».58 A y regarder de près, le premier élément domine, le second a connu une baisse sérieuse, et le troisième est tout à fait absent. Et pourtant, étant donné la nécessité du Canada de diversifier ses exportations de ressources naturelles, particulièrement dans le secteur des hydrocarbures, on aurait espéré qu’une transition pacifique vers un monde multipolaire soit une priorité quasi-existentielle. La sécurité, c’est important.

Cela ne vaut pas la peine de rappeler la position partiale du gouvernement envers le conflit Israélo-palestinien. Il suffit de rappeler qu’il avait exprimé des doutes considérables, voire des critiques à l’endroit de l’effort de dernière heure de John Kerry au printemps 2014, et dénoncé formellement le haut-commissaire des Nations unies pour les droits de l’homme à l’époque, Navi Pillay, pour avoir critiqué la riposte très lourde d’Israël aux attaques à la fusée de Gaza et d’avoir suggéré « la forte possibilité qu’Israël aurait commis des crimes de guerre à Gaza ».59 Quand il s’agit d’Israël, le Canada n’a aucune hésitation à se distancer des évaluations des Nations unies ou de ses alliés, y compris celles des États-Unis, et a refusé de condamner les plans d’extension de la colonisation par Israël dans les territoires occupés, notamment à Jérusalem Est. Le gouvernement a également réagi négativement à la candidature de la Palestine à la Cour pénale internationale. Il ne faut pas s’attendre à ce que la politique du gouvernement actuel change en 2015. Pourtant le Canada doit comprendre que le conflit Israélo-palestinien ne peut pas continuer à pourrir davantage et qu’à titre d’ami fidèle et inconditionnel d’Israël, le Canada se doit de donner un plus grand appui à la création d’un État palestinien parce que celle-ci est essentielle pour la sécurité d’Israël. Même si une paix durable entre les deux parties n’entraînera pas une stabilisation complète de la région, elle éliminerait au moins une source majeure de discorde et de perturbation.

Sur l’Iran, le site officiel du gouvernement ne mentionne même pas les négociations 5+1. Le Canada a été le dernier pays occidental à exprimer son appui aux pourparlers mais avec beaucoup de réserve. Le site indique aussi que: « le régime iranien est la plus grande menace à la paix et la sécurité dans le monde aujourd’hui ». A la rigueur, vu de Tel-Aviv, on pourrait accepter que M. Netanyahou dise de l’Iran qu’il constitue une menace existentielle pour Israël. Mais pour le reste du monde? Alors que les États-Unis visent un nombre de centrifugeuses aux alentours de 1500 pour un seuil critique d’un an, le Canada exige de l’Iran de ne conserver qu’un tout petit nombre, comme 200. Le ministre des affaires étrangères Baird a écrit un article dénonçant sur toute la ligne le bilan de la première année du président iranien Rouhani. Le Canada est un peu déphasé par rapport au 5+1, et continue non seulement à exprimer son scepticisme à propos des négociations mais ne voyait aucune utilité à une extension de la période intérimaire, position qui aurait été mal accueillie par les États-Unis si seulement le Canada avait la moindre importance dans cette affaire. Bien que la préoccupation du gouvernement pour la prolifération nucléaire dans la région soit compréhensible si l’Iran acquérait des armes nucléaires, aucune mention n’est faite de la possession bien connue de cette capacité par Israël. Le Canada appuie fortement la position négative d’Israël à l’égard de la proposition d’une zone exempte

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d’armes de destruction massive au Moyen-Orient, proposition présentée dans le contexte de l’examen quinquennal du traité de non-prolifération nucléaire (TPN). Enfin, ayant fermé l’ambassade à Téhéran et exigé le départ des diplomates iraniens du Canada, nous nous sommes exclus de tout rôle utile dans le processus.

État islamique: il faut donner crédit au gouvernement canadien pour avoir adopté une position de principe sur l’État islamique même si l’on ne percevait pas de menace directe à l’endroit du Canada venant de l’État islamique, nonobstant les incidents tragiques d’Ottawa et de Saint-Jean. La décision du Canada de participer aux opérations aériennes contre l’État islamique était également opportune à l’appui d’une initiative majeure du président américain. Notre engagement de six mois inclut six chasseurs CF-18, un avion de ravitaillement Polaris et deux avions de reconnaissance Aurora pour participer aux attaques aériennes contre des cibles de l’État islamique en Irak et éventuellement en Syrie, « tant que ceci ne serait pas interprété comme une guerre contre le gouvernement de la Syrie », M. Harper ayant indiqué à la mi-novembre que: « nous ne sommes pas intéressés à participer à n’importe quelle guerre contre un gouvernement de la région – notre seul combat militaire est contre l’EIIS ». En outre nous avons affecté un solide groupe des Forces d’opérations spéciales canadiennes qui aident à la formation de l’armée irakienne qui en a désespérément besoin. Notre contribution a également une forte signification politique, ce qui nous empêchera pratiquement de nous retirer si on nous demandait de prolonger notre participation. Une prolongation serait plus onéreuse car elle impliquerait des rotations d’équipage et davantage de risques de perte, particulièrement si l’État islamique parvenait à se procurer des capacités antiaériennes sophistiquées.

D’un point de vue politique, avec les élections de 2015, le gouvernement Harper va devoir faire la part des choses entre le côté positif – un public canadien généralement favorable – et les aspects négatifs – la lassitude progressive (la mémoire de l’événement au Parlement, lié à tort ou à raison au terrorisme international, s’estompera rapidement) et les pertes éventuelles. Tout va dépendre du succès de la campagne « détériorer et détruire ». Les résultats sur le terrain seront déterminants tout comme la reconstitution des forces irakiennes et la prise en charge par le système politique irakien de la guerre. Mais ce qu’il y a de plus important encore, c’est un règlement acceptable qui mette fin à la guerre civile en Syrie. Le problème, comme Gwynne Dyer le souligne, c’est qu’il n’y a guère de logique quand on traite avec « des formes anachroniques et radicales de l’Islam ».60 Comme Peter Jones le souligne après avoir suggéré que la tourmente dans la région pourrait mener à la disparition de plusieurs pays tels qu’ils existent maintenant – Syrie, Irak, Yémen, Libye – et à la naissance d’une série de pays taillés à même les cendres de Picot-Sykes: « en nous engageant dans les frappes aériennes, nous nous sommes effectivement rangés aux côtés de ceux qui cherchent à reconstituer la région selon des critères westphaliens. Ce faisant, nous fermons les yeux sur le fait que la plupart des nouveaux états qui émergeront n’auront rien à voir avec le modèle démocratique respectueux des droits de la personne. Nous nous engageons pour tenter d’arrêter ceux qui ont une conception très différente de l’avenir de la région: un sectarisme constant et un bain de sang au nom de la religion au service d’objectifs mythiques, justifiant des degrés de terreur et de brutalité horrifiants. Le succès est loin d’être garanti et nous risquons même de rendre la situation pire encore ».61

Le problème sous-jacent

La déclaration du sommet du Pays de Galles du Conseil de l’Atlantique Nord au niveau des chefs d’État et de gouvernement a présenté un cadre remarquablement complet à l’Alliance et à ses membres, invitant notamment la création « d’une force de réaction rapide » déployée en Europe de l’Est pour réagir aux déplacements des forces militaires russes, de même que le renouvellement de l’engagement de porter les dépenses de défense à 2% du PNB. La déclaration a couverte toute la gamme des crises de l’heure: Russie/Ukraine, État islamique, Afghanistan, Kosovo, Somalie, défense antimissile, terrorisme, examen du TNP, sécurité cybernétique, etc. L’adoption de sanctions additionnelles par les membres de l’Alliance a été endossée. Pour sa part le gouvernement canadien a pris des décisions clés pour faire face à certaines des crises de 2014 qui se poursuivront en 2015. Ces décisions, notamment sur la crise ukrainienne et la campagne contre l’État islamique, font appel fondamentalement au recours à des moyens militaires en plus des sanctions. Il est clair que le fardeau est beaucoup plus grand pour les forces armées canadiennes (FAC) que pour n’importe quel autre secteur du gouvernement. Dès lors la question se pose quant à la provenance des fonds pour financer de telles missions. Plus globalement, est-ce que les FAC sont prêtes et capables d’entreprendre de nouvelles missions compte tenu des coupes profondes imposées au budget de la défense du Canada et du report de décisions majeures d’acquisition d’équipement.

D’après Doug Bland, l’un des meilleurs analystes des questions de défense au Canada, le problème n’est pas tellement «

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l’absence d’une politique étrangère cohérente sur laquelle construire les forces armées, mais l’absence d’une politique de défense visant à fournir des forces armées adéquates dont le Canada pourrait se servir dans le cadre de missions diverses, étrangères, intérieures, alliées, internationales et humanitaires … Avec des forces canadiennes raisonnablement et adéquatement structurées, les gouvernements canadiens seront bien positionnés pour entreprendre la plupart des missions pour lesquelles des capacités militaires sont nécessaires ou appropriées; en revanche sans de telles capacités, bon nombre de missions futures dans n’importe quel secteur de politique échoueront ».62 Bien qu’au début de son mandat le gouvernement Harper se soit engagé à édifier une force de défense nationale puissante, est-ce que l’engagement plus récent de parvenir à un équilibre budgétaire à temps pour la prochaine élection a causé des dommages irréparables aux forces canadiennes au moment où on n’en a le plus grand besoin ou bien l’érosion peut-elle être inversée à temps? Fort douteux!

4. LA DÉFENSE DU CANADA: ON DEMANDE UNE POLITIQUE DE SÉCURITÉNATIONALE

« De même que les hommes ne vivent pas seulement de pain, ils ne combattent pas seulement avec des armes. Ceux qui sont au front et ceux qui sont derrière eux à fortifier nos défenses, doivent avoir

l’endurance et le courage qui découlent d’une foi inébranlable dans le mode de vie qu’ils défendent ». (Franklin Roosevelt, « les quatre libertés », 6 janvier 1941)

Quelques éléments de base

À notre époque d’incertitudes croissantes dans le monde, on doit espérer que tous les Canadiens se rendent compte de plus en plus qu’un rôle essentiel du gouvernement est d’assurer la défense du Canada, de sa souveraineté, et de la sécurité et la protection de ses habitants. Cela représente un défi complexe, étant donné la géographie, la démographie, l’économie, et le contexte géopolitique du Canada.63 En tant que deuxième plus grand pays au monde, avec les côtes les plus longues du monde, une population qui vient au trente-huitième rang, dont 90% sont concentrés dans une bande de 160 km le long de la frontière canado-américaine. Le Nord, où la Russie est l’un de nos plus proches voisins, représente 40% du territoire canadien et on n’y retrouve moins de 0. 4% de la population nationale, dispersée dans cette immensité.

Le Canada est un pays de distances stratégiques – 5000 km d’une côte à l’autre et presque 3500 km entre Ottawa et Resolute Bay. La frontière canado-américaine, la plus long au monde, est d’environ 8900 km, comprenant la frontière avec l’Alaska sur 2500 km. Peu de pays sont dans cette situation. Alors que pour la plupart des pays, les distances stratégiques sont celles qui distinguent une capacité expéditionnaire par rapport à des responsabilités internes, au Canada, particulièrement dans l’Arctique, il s’agit souvent de la même chose. Cette vaste masse terrestre est située entre les États-Unis et la Russie avec des accès aériens et maritimes aux États-Unis et une population urbaine de 80%, dont plus de 50% sont concentrés dans cinq régions métropolitaines de Victoria à Saint-Jean, Terre-Neuve. Tout ceci représente un immense problème en matière de défense avec tous les défis liés au respect de notre souveraineté. Fondamentalement le Canada semble indéfendable.

L’accord Canada-États-Unis d’Ogdensburg de 1940 fut le premier à reconnaître la nécessité d’une défense mutuelle de l’Amérique du Nord et il fut renforcé par le traité de Washington de 1949 portant la création de l’OTAN, suivi par l’accord nord-américain de défense aérospatiale de 1958. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, la politique de défense du Canada s’est exprimée en cercles concentriques – d’abord la défense du Canada, ensuite la défense de l’Amérique du Nord en coopération avec les États-Unis, et troisièmement la contribution à la sécurité et à la stabilité internationale via l’OTAN et les Nations unies. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, les ressources militaires allouées à ces obligations n’ont jamais été très généreuses. Bien qu’étant l’une des huit économies les plus fortes du monde pendant de nombreuses années, maintenant au quatorzième rang, depuis le milieu des années soixante, le budget de la défense a presque tout le temps été le plus faible des pays de l’OTAN – et il en est encore de même aujourd’hui, le Canada se plaçant au 83 rang dans le monde pour les dépenses de défense en pourcentage du PNB.

La culture stratégique du Canada depuis plus de 100 ans a été de favoriser les interventions expéditionnaires à l’étranger avec

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des alliés pour traiter des menaces perçues à la sécurité du Canada, le plus souvent loin des frontières du pays, pour éviter à avoir traiter de telles menaces dans un pays qui est indéfendable sans aide. Ce n’est pas que ce territoire, encadré par l’Atlantique et le Pacifique, ait eu beaucoup besoin d’être protégé. Mais la technologie et la mondialisation ont rendu ces barrières géographiques désuètes tandis que notre culture stratégique ne s’est pas encore adaptée. Pour de nombreux gouvernements, les défis géographiques, politiques, géopolitiques et financiers d’une capacité de défense effective ont conduit à la reconnaissance non proclamée que les États-Unis défendraient toujours l’Amérique du Nord et que le Canada aurait simplement à apporter sa propre contribution. La nature de cette contribution a fait l’objet d’une théorie dans les années 70 mise de l’avant par Nils Orvik, intitulé « la défense contre de l’aide », une stratégie par laquelle un petit État ou un État de taille moyenne maintient un niveau de défense suffisant, unilatéralement ou en coopération avec un plus grand État commis à sa sécurité, pour éviter « une aide non souhaitée » de la part du plus grand État.64

Bien que les gouvernements canadiens et le public canadien n’aient jamais mis en doute la nécessité de forces armées, le partenariat au sein de NORAD et l’appartenance à l’alliance dans l’OTAN ont permis au Canada de n’avoir jamais à investir autant dans la défense d’un pays aussi vaste que le nôtre exigerait. Mais cela signifie aussi que souvent le Canada n’a pas immédiatement accès à l’équipement dont il a besoin pour des opérations comme celle menée en Afghanistan. Cela explique pourquoi le Canada a mis beaucoup l’accent sur l'interopérabilité avec les forces américaines pour assurer un impact conjoint et un niveau de préparation identique.

L’évolution de l’environnement de sécurité internationale – complexe, difficile et dangereux – a rendu le calcul de sécurité plus compliqué pour le Canada. La multipolarité en émergence, une présence étrangère croissante dans l’Arctique, et l’impossible question de la cyber-insécurité n’en sont que quelques exemples. La croissance de la capacité nucléaire de même que de la portée des fusées de la Corée du Nord rend la défense antimissile balistique nord-américaine de plus en plus pertinente. Mais les menaces ne se limitent pas aux risques militaires; aussi faut-il de la part du gouvernement dans son ensemble une vision commune et des réponses holistiques, bref, une démarche globale en matière de sécurité.65 Des capacités militaires inhérentes à l’appui de la gamme complète des opérations sont essentielles; pourtant le sous-investissement dans ces capacités devient d’autant plus problématique que l’environnement sécurité devient de plus en plus complexe.

La situation des forces armées canadiennes aujourd’hui

L’accent mis initialement par le gouvernement Harper sur la poursuite du renforcement des capacités militaires du Canada qui avait été commencé par le premier ministre Martin, était une réaction très nette aux coupes profondes imposées aux militaires par le gouvernement de l’ancien Premier ministre Jean Chrétien dans les années 1990, que l’ancien chef d’état-major de la défense Rick Hillier avait décrit comme ayant créé « la décennie de la noirceur ». Pour le Premier ministre Harper, c’était une question de fierté de même que l’expression d’une conviction idéologique, que Ibbitson dépeint comme « les forces armées canadiennes servant d’instrument pour ré-imaginer l’histoire du Canada », l’un des principaux exemples étant l’accent mis sur la guerre de 1812 avec les États-Unis. Pour étayer cette nouvelle démarche, la Stratégie de défense: le Canada d’abord (SDCA) de 2008 fournit un cadre pour la modernisation des forces canadiennes basée sur ce que le gouvernement affirmait avoir été «une analyse approfondie et rigoureuse des risques et menaces auxquels feront face les Canadiens et le Canada au cours des années à venir ». Pour faire face aux défis immédiats en Afghanistan, le Premier ministre a donné des instructions au gouvernement et accordé les ressources nécessaires, en puisant notamment dans le budget de la défense des fonds prévus pour d’autres activités, afin de remplir la mission entreprise dans la province de Kandahar.

Certaines acquisitions importantes sous l’autorité de M. Harper dans le cadre de l’ISAF (Force internationale d'assistance à la sécurité (FIAS) en Afghanistan) ont fortement renforcé nos capacités militaires, par exemple le transport stratégique aérien avec les C17, le transport aérien tactique avec un certain nombre d’hélicoptères Chinook. C’est en partant de là qu’on a un problème aujourd’hui. Dans la mesure où certaines de ces dépenses avaient peu, ou rien avoir avec les capacités des FAC prévues dans la Stratégie de défense: le Canada d’abord (SDCA), il n’est pas étonnant que la SDCA n’ait jamais été complètement financée. Certes, certains de ces équipements spécifiquement liés à la guerre ont été conservés. Les coupes subséquentes imposées au budget de la défense nationale pour équilibrer le budget a entraîné un niveau de préparation moindre, des délais dans l’achat d’équipement, un affaiblissement des capacités, un ralentissement dans l’exécution des objectifs poursuivis par le Premier ministre en matière de souveraineté dans l’Arctique et l’impossibilité de poursuivre la mise à niveau des FAC sur la voie de la SDCA et leur transformation en un instrument plus étoffé et plus efficace.

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De fait, dans les années qui ont suivi la crise économique et financière 2008-2009, qui a « affecté le Canada profondément »,66 la priorité absolue du Premier ministre, l’économie, devait devenir le cœur des relations internationales du gouvernement, transcendant tout le reste. Les résultats ont été le renversement de la politique d’ostracisme envers la Chine, le rôle actif du Canada dans le processus de réforme du G20, le renforcement de la « diplomatie économique » du Canada (un peu fictif dans la mesure où l’ancien MAECI avait déjà fait une grande part du chemin dans cette direction), l’intégration de l’Agence canadienne de développement international (ACDI) au sein du nouveau ministère MAECD pour mieux lier aide et commerce, et la fixation sur l’élimination du déficit, en partie issu du programme d’infrastructures après 2009. La fixation sur le retour à un surplus budgétaire a conduit notamment à des coupes sauvages dans le budget de la défense. L’ancien diplomate américain, expert notoire du Canada, David Jones, est allé jusqu’à rédiger un article intitulé « Les militaires canadiens: avec peu de soutien, une nouvelle décennie de noirceur à l’horizon ».67 Alors même que ces préoccupations augmentent, les crises de 2014 auxquels le gouvernement a répondu par une action militaire – l’agression russe, le terrorisme de l’État islamique et la lutte contre l’Ebola – qui, ensemble, illustrent la complexité et les dangers dans l’environnement international, pourraient forcer une révision critique des choix du gouvernement en matière de défense.

En fait l’une des questions fondamentales que l’Ukraine soulève pour le Canada, comme l’écrit John Ivison, est de savoir si « la ligne du gouvernement Harper sur les événements en Ukraine va exiger une doctrine de défense radicalement nouvelle, pour prendre en compte l’expansionnisme russe ».68 La Russie est en pleine phase de réarmement. Le Canada pour sa part n’a toujours pas mis à jour la SDCA! Mais ce que l’Ukraine a révélé, c’est la pertinence continue/renouvelée de l’OTAN dans la politique étrangère canadienne. Après tout, la plupart des éléments que nous avons consacrés l’ont été dans le cadre de l’OTAN. Mais cela souligne également la nécessité d’une mise à jour de la SDCA à la lumière de l’évaluation clairvoyante de la stratégie russe offerte par l’Alliance et de la nécessité d’un réinvestissement collectif dans les capacités de défense. La conclusion inévitable, c’est qu’en réponse au réarmement russe ou en tout cas à la modernisation régulière de ses forces armées, l’OTAN a offert une réponse politico-militaire dans le cadre de l’Opération Réassurance tandis que le Canada n’a même pas été capable de mettre à jour la SDCA mais a continué à couper dans les dépenses de défense en dépit de son engagement au sommet de l’automne de l’OTAN.

Et pourtant nos récentes contributions en réponse aux crises internationales n’ont pas été négligeables. Le gouvernement a pris les mesures suivantes à l’appui de l’Ukraine et des états baltes:

- Renforcer les capacités de l’Ukraine en matière de commandement, de contrôle, de communications et d’informatique et aider à améliorer les systèmes de gestion du personnel et à réformer le soutien logistique et la normalisation au sein des forces armées;

- Fournir une importante aide non létale en matière de sécurité à l’Ukraine, pour aider le pays à sécuriser ses frontières à l’Est contre les agressions russes;

- Aider les pays baltes à renforcer leurs capacités en matière de cybersécurité, de sécurité énergétique et de communications stratégiques;

- Déployer six chasseurs CF-18 pour opérer dans l’espace aérien des pays baltes; - Déployer des troupes du 3e Bataillon, Princess Patricia's Canadian Light Infantry, en Pologne pour prendre part à des

exercices d’infanterie; et - Détacher une frégate auprès des Forces maritimes permanentes de l’OTAN en Méditerranée orientale et dans la Mer

Noire.

Au même moment notre participation à la campagne de bombardement aérien contre l’État islamique comprend six CF-18, un avion de ravitaillement en vol Polaris, deux avions de surveillance Aurora de même qu’un groupe des forces spéciales canadiennes au sol pour aider à la formation de l’armée irakienne. Et pendant que ces opérations se poursuivent, le Canada continue à fournir de l’aide humanitaire avec nos FAC dans la lutte contre l’Ebola et à dépêcher des navires et des avions dans la lutte contre le trafic de stupéfiants dans les eaux des Caraïbes.

Mais les Canadiens doivent se rendre compte que la vitesse et l’efficacité des réponses des forces armées canadiennes à des événements internationaux cachent un déclin considérable dans leurs capacités et leur degré de préparation. C’est une source de grande fierté que les FAC aient si bien répondu à l’appel. Comme George Petrolekas et Dave Perry l’ont écrit récemment,

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« le Canada demeure l’une des rares puissances moyennes qui puisse apporter une contribution autonome à n’importe quelle mission aérienne qu’il entreprend ».69

Mais le long terme est beaucoup moins encourageant à une époque où le monde devient à la fois plus dangereux et plus imprévisible.

La Marine royale canadienne

Il y a un consensus triste mais réel parmi les experts civils et en uniforme que des trois branches des Forces armées canadiennes, c’est la Marine Royale Canadienne (MRC) qui est dans un état le plus piteux. L’agressivité de la Russie et les tensions accrues dans les mers de Chine méridionale et orientale soulignent l’importance du renouvellement des capacités en hélicoptères, navires de ravitaillement, et navires de défense aérienne qui manqueront à l’appel pour les années à venir. En effet la MRC entame l’année 2015 passablement affaiblie. Une collision et un incendie majeur ont conduit à la décision probablement inévitable de retirer les ravitailleurs de la classe Protecteur et deux des trois destroyers de défense aérienne trois ans plus tôt que prévu. Au même moment cinq à six frégates subissent avec succès leur modernisation à mi-parcours avec le résultat qu’il n’y a pas plus que deux de nos frégates qui soient disponibles pour des opérations au large de l’une ou l’autre côte; on espère que les autres navires reprendront du service d’ici à 2018 à raison de deux vaisseaux modernisés par an. Les défis sont importants: pas de ravitaillement et une autonomie de la flotte réduite de cinq semaines à cinq jours, une capacité de commandement et de contrôle limitée dans les frégates, aucune capacité de défense aérienne des destroyers et beaucoup moins de navires disponibles par rapport aux besoins. Le résultat: moins de sécurité à domicile et moins d’occasions de contribuer à la sécurité à l’étranger. La réaffectation de la frégate NCSM Toronto de ses fonctions de sécurité maritime y compris des patrouilles anti piraterie en mer d’Arabie, au commandement de l’OTAN pour l’opération Réassurance est un exemple de réduction des contributions à l’étranger.

Les coupes du gouvernement pour réduire le déficit ont entraîné une diminution de 23% des fonds d’opérations de la MRC normalement affectés au carburant, à la formation, à la maintenance, nécessaires pour garder en mer la flotte disponible.

En 2015, la MRC n’aura d’autre choix que d’avoir recours à différentes stratégies de mitigation pour surmonter ces problèmes. Les sous-marins et les navires de défense côtière sous la responsabilité de la réserve continueront à supporter la plus large part du fardeau opérationnel comme ils l’ont fait au cours de la fructueuse Opération Caraïbes pour lutter contre le trafic de drogue en Amérique centrale ou pour travailler avec la garde côtière canadienne et d’autres départements dans l’Arctique. La MRC est parvenue à maintenir une frégate en disponibilité opérationnelle élevée auprès des forces maritimes permanentes de l’OTAN en Méditerranée et dans la mer Noire, en établissant des rotations d’équipage permettant de maintenir le vaisseau sur les lieux. Une frégate modernisée a maintenant rejoint ce groupe. Un commodore canadien, appuyé par un personnel canado-australien, dirige la force opérationnelle multinationale CTF 150 dans la région de la mer Rouge et de l’océan Indien. Le déploiement avancé est efficace et ces missions peuvent et devraient se poursuivre.

L’avenir à long terme de la MRC est également incertain. Du côté positif, un nombre croissant de frégates modernisées seront rejointes dans deux ans par une version améliorée de l’avion de patrouille Aurora et, espérons-le, un nouvel hélicoptère Cyclone même s’il peine encore à satisfaire aux exigences initiales.

Le travail sur une stratégie navale pour l’Arctique progresse sous la direction active des chefs de la MRC. Il est également de plus en plus évident que le navire de patrouille extracôtier et de l’Arctique Harry DeWolfe (NPEA/AOPS) fournira une capacité de surveillance et de contrôle absolument indispensable là où on en a le plus grand besoin. Ces navires ne sont pas de simples « briseurs de bouillie de glace » comme l’ont dit certains. En outre la MRC et Travaux publics Canada ont déjà eu trois discussions techniques avec l’industrie sur le navire de combat de surface canadien (NCSC) et ont sollicité leur contribution dans l’énoncé des besoins. La MRC a également démontré que son avant-projet de spécifications est appuyé par une modélisation avancée et des recherches en profondeur. Enfin, le déploiement actuel d’une frégate qui vient d’être modernisée en dit long sur la confiance de la MRC envers l’industrie canadienne et sa capacité de fournir des équipements maritimes de qualité, à preuve l’allocation à Lockheed Martin Canada du contrat de 180 millions de dollars pour moderniser les frégates de Nouvelle-Zélande. Une grande partie de ce travail se déroulera au Canada, ce qui étaye l’un des éléments centraux du nouveau programme canadien de construction navale.

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La stratégie nationale d’approvisionnement en matière de construction navale (SNACN) qui régira la reconstruction de la flotte au cours des 25 années et plus a récemment été saluée par le bureau du Vérificateur général qui a noté qu’à ce jour le processus « gère l’acquisition de navires militaires dans le respect de l’échéancier et du financement ». D’autres l’ont décrit comme un « modèle » pour l’acquisition de matériel de défense de façon générale. Néanmoins cet exercice complexe s’est surtout concentré sur la sélection objective et intègre de chantiers navals et a abouti à la signature d’un contrat pour la construction de navires.

Il y a bon nombre de facteurs inconnus, particulièrement du côté financier, qui pourraient déséquilibrer un programme comprenant des structures très complexes et des échéanciers sur une très longue durée. L’ancien agent budgétaire du Parlement, Kevin Page, l’a répété à maintes reprises. En effet la SNACN qui institue un dispositif de localisation stratégique des sources d'approvisionnement avec deux chantiers navals pour le plus vaste programme d’acquisition de matériel de défense dans l’histoire du Canada, exige la recapitalisation tant de la Marine royale canadienne que de la garde côtière canadienne pour plus de 50 grands navires et 115 plus petits bateaux à un coût excédant 50 milliards de dollars, sur une période de temps de 30 ans ou plus (voir tableau). Un projet aussi considérable est une proie facile pour des coupes, des retards, des renversements et des annulations. En effet, aussi bien le vérificateur général que l’agent budgétaire du Parlement ont soutenu qu’il n’y avait pas suffisamment de fonds pour le nombre de navires que la MRC désire acheter dans le cadre du programme de la SNACN: « un écart semble se faire jour entre le niveau d’ambition de la SNACN, l’évolution des capacités navales, et les budgets ».70 Il semble qu’ils pourraient avoir raison. Outre la possibilité qu’il y ait moins de navires qui soient livrés à la MRC, il y a aussi le risque de devoir réduire les exigences de performance. En outre jusqu’à tout récemment, le gouvernement a été lent dans la mise en œuvre de la SNACN. La signature en janvier 2014 d’un contrat de construction pour les navires de patrouille extracôtiers et de l’Arctique est certainement un bon pas en avant tout comme l’annonce presque simultanée d’une stratégie d’acquisition pour les navires de combat de surface. Ce contrat fait d’Irving Shipbuilding l’entrepreneur principal pour les NCS ce qui permet maintenant une compétition finale pour la conception et les systèmes de combat intégrés des navires. Il est essentiel que ce processus se poursuive sans interruption car l’inflation absorbe chaque jour une partie des fonds modestes alloués. Cette préoccupation s’applique également aux navires de soutien interarmées car là aussi l’annonce d’un contrat à pris plus longtemps que ce à quoi on s’attendait. Tout délai mine également le deuxième élément central de la SNACN à l’effet que l’effort de construction navale doit être continu pour éliminer les inefficiences provoquées par les cycles antérieurs d'expansion et de ralentissement.

Les délais dans les décisions ont également un impact sur la capacité opérationnelle de la flotte. Bien que le Canada l’ait fait deux fois lors des premières phases de la guerre contre le terrorisme, aujourd’hui il n’est plus capable d’expédier un groupe opérationnel naval indépendant outre-mer – ce qui est généralement la première réponse du gouvernement canadien à une crise majeure. Maintenant, la MRC doit se fier sur un allié pour fournir un navire de ravitaillement et, si la menace augmente, un destroyer de défense aérienne. En réponse, le gouvernement a récemment sollicité de l’information auprès de l’industrie au cas où les ministères décidaient d’utiliser des navires pétroliers civils pour « boucher le trou » jusqu’à ce que les navires de soutien interarmées de la classe Queenston soient livrés au début des années 2020. Rien ne pourra résoudre l’absence de destroyer de défense aérienne jusqu’à l’arrivée des premiers navires de combat de surface, probablement en 2025. À cette date-là, la première frégate aura 37 ans et tout délai additionnel imposé au programme NCS risque de repousser l’âge des frégates de la MRC au même niveau que les fragiles destroyers de défense aérienne de 45 ans et plus, qui viennent d’être retirés du service. Ces préoccupations à l’endroit de délais ne sont pas théoriques. Il y a un effet de « lame d’étrave » qui croît à chaque délai d’acquisition pour la défense, celui-ci s’ajoutant à la concurrence pour une enveloppe financière fixe, grignotée de surcroît par l’inflation, au moment où la MRC a besoin de ses nouveaux navires de combat de surface (l’expression « lame d’étrave, empruntée à la marine, signifie que quand des exigences reportées s’accumulent et que des complexités imprévues entourent un projet, un pays finit par chevaucher une lame d’étrave, une vague d’accumulation des complications d’échéancier et de livraison).

Si la SNACN continue sur sa lancée initiale et que les délais des projets liés au processus sont minimisés, les nouveaux navires, s’ajoutant aux navires de la classe Victoria, aux Cyclone, aux Aurora modernisés et aux navires de classe Halifax, la MRC pourrait constituer une flotte moderne et hautement capable aux alentours de 2025. Mais avant d’en arriver là, la MRC devra continuer à compenser les pertes de navires et les retards de construction navale en se servant des mêmes techniques que celles dont elle se sert maintenant. Néanmoins pour les huit prochaines années le MRC offrira au gouvernement beaucoup moins de

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possibilités et moins de capacités au moment où des crises surviendront par rapport à ce qu’elle a pu livrer au cours des 20 dernières années.

En outre, alors que la MRC possède maintenant trois sous-marins opérationnels de la classe Victoria, l’analyste de la défense Rob Burroughs a fait remarquer que « une nouvelle génération de sous-marins n’apparaît ni dans la SDCA, ni dans la SNACN, pas plus que dans le nouveau guide d’acquisition de la défense (GAD), qui ne fait référence qu’au projet d’extension de l’équipement des sous-marins (SELEX) ». Il ne souligne ensuite que « l’absence d’un remplacement dans le GAD en dit long… dans la mesure où n’importe quel programme de remplacement des sous-marins devrait être financé en plus de tous les projets d’acquisition existants qui, selon le GAD, se montent à 208 ». L’auteur note ensuite qu’il y a plus de 400 sous-marins opérant à l’échelle du monde, y compris 154 de plus en construction, et que la côte du Pacifique à elle seule connaîtra une augmentation de 47% dans le nombre de sous-marins d’ici à 2025. Étant donné que le sous-marin est l’élément essentiel de la capacité d’interdiction des mers, son absence du Guide d’acquisition de la défense est étonnante.71

Lot des navires de combat Navires de combat nécessitant une conception et une construction complexes, y compris des travaux de modernisation des infrastructures

6 navires de patrouille extracôtiers et de l’Arctique (MRC royale canadienne)

15 navires de combat de surface canadiens (MRC)

Premières estimations du coût total d’acquisition (sur 30 ans)

3,5 milliards de dollars, dont 2.3 pour la construction des navires

26,2 milliards de dollars

29,7 milliards de dollars

Lot des navires non destinés au combat Navires nécessitant une construction plus simple et plus près des caractéristiques commerciales

2 navires de soutien interarmées (MRC)

1 brise-glace polaire (Garde côtière canadienne)

4 navires hauturiers de recherche (Garde côtière)

Premières estimations du coût total d’acquisition (sur 7 ans)

2,3 milliards de dollars

0,8 milliard de dollars

0,4 milliard de dollars

3,5 milliards de dollars

Construction de petits navires Réservé à la concurrence nationale (pas ouvert aux entrepreneurs choisis pour les lots susmentionnés)

115 navires (p. ex., embarcations de sauvetage et navires de recherche halieutique de la Garde côtière, remorqueurs de la MRC)

Premières estimations du coût total d’acquisition (sur 30 ans) 2,0 milliards de dollars

Travaux de réparation et de radoub continu

Ouvert à la concurrence nationale.

La Défense nationale et la Garde côtière canadienne ont des obligations concernant l’entretien de leur flotte actuelle de navires

Premières estimations du coût annuel continu

500 à 600 millions de dollars

Figure 7: Portée de la Stratégie nationale d’approvisionnement en matière de construction navale72

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Bien que les huit prochaines années pour la MRC soient plus ou moins établies, les questions liées au patrouilleur extracôtier, aux navires de soutien interarmées et aux navires de combat de surface, doivent être prises en compte, les délais doivent être minimisés, et les navires doivent être livrés. Dans l'intérim, l’éventuelle location commerciale d’une capacité de ravitaillement doit être poursuivie.

Par-delà ces questions, il faut considérer l’impact possible de réductions financières apparemment irréversibles (voir la section ci-dessous sur les acquisitions) sur les capacités de la MRC, pour les FAC dans leur ensemble, et sur ce que cela pourrait signifier pour la sécurité et la souveraineté du Canada. Les gouvernements précédents ont tous utilisé de façon régulière la MRC dont ils ont hérité et ce n’est pas surprenant compte tenu des réalités géographiques et géopolitiques du Canada; mais certains n’ont pas rebâti la MRC quand c’était nécessaire. Les récentes annonces à propos de la SNACN créent un mouvement favorable. Ce à quoi 2025 ressemblera dépendra des décisions prises par les gouvernements actuel et futurs, mais la situation aux alentours de 2025 pourrait être problématique pour la MRC et les FAC si les investissements appropriés ne sont pas effectués.

L’armée canadienne

« L’armée fait face à trois défis majeurs: premièrement aujourd’hui nous avons encore 60,000 personnes déployées dans le monde aussi devons-nous nous assurer que nos soldats sont prêts à accomplir les

missions que nous leur confions. Deuxièmement nous devons trouver un moyen de continuer à préparer ses soldats au moment où, compte tenu des réalités financières actuelles, nous sommes en train de

réduire les effectifs de l’armée…. Troisièmement nous devons nous demander à quoi voulons-nous que l’armée du futur ressemble. Le monde autour de nous change rapidement et je dis à tout le monde que

ce n’est peut-être pas la période la plus dangereuse mais certainement la plus incertaine que j’ai connue. Et nous devons avoir une armée capable de s’adapter aux nouvelles réalités ».

(Général Raymond T. Odierno, chef d’état-major de l’armée américaine, Joint Force Quarterly, 30 Septembre, 2014)

Le général américain Odierno pourrait tout aussi bien avoir parlé de l’armée canadienne, car elle fait face aux mêmes défis et les besoins aujourd’hui font définitivement face à de l’incertitude. L’énoncé de mission de l’Armée canadienne – mettre sur pied des forces de combat terrestres efficaces et polyvalentes, afin de satisfaire les objectifs de défense du Canada73 – couvre une vaste gamme de rôles en réponse aux exigences du gouvernement. Dans sa stratégie récemment mise à jour, intitulé Engagés vers l’avant: la stratégie de l’armée, (troisième édition), l’armée identifie diverses opérations sur le territoire national y compris une réponse à des attaques terroristes majeures, l’aide aux autorités civiles lors de crises aux Canada (comme une catastrophe naturelle) ou l’appui à divers événements nationaux d’envergure, ou encore, mener des opérations de combat à l’appui d’opérations multinationales. Par exemple, pendant que l’Armée était profondément engagée dans des opérations de stabilité en Afghanistan et qu’elle assurait la sécurité et un soutien logistique pour les Jeux olympiques de 2010 à Vancouver, on en fit appel afin qu’elle contribue à l’intervention interarmées des Forces armées canadiennes après le tremblement de terre en Haïti. L’Armée comprend environ 50 000 soldats (25 000 de la force régulière, 20 000 de la réserve à temps partiel, et 5000 Rangers), appuyée par 5000 employés civils. Cette Armée, petite en comparaison de la plupart des autres armées modernes des pays occidentaux, est une force professionnelle qui doit être en mesure de fournir des soldats bien entraînés dans divers environnements et conditions.

L’une des contributions des plus importantes de l’Armée dans les dernières années s’est déroulée en Afghanistan. L’Armée canadienne a officiellement terminé son engagement en Afghanistan en 2014 avec la fin de la contribution de la mission de formation et de mentorat de la Force internationale d'assistance à la sécurité (FIAS). La fin de cette mission longue de plus d’une décennie rend plus impérieuse la nécessité aujourd’hui pour l’Armée de se concentrer sur les menaces et missions futures tout en restant au diapason du gouvernement et du public canadiens. Ce n’est pas le lieu d’examiner les leçons apprises en Afghanistan – bien qu’on souhaiterait que le gouvernement lance éventuellement un examen de notre engagement à l’échelle du gouvernement – mais un facteur important qui est ressorti de l’expérience, c’est l’importance d’un fort contingent de la Réserve. De fait, la force régulière de l’Armée n’était pas d’une taille suffisante pour couvrir les longs déploiements de

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troupes en Afghanistan. Ce n’est qu’en insérant un grand nombre de soldats de la Réserve dans les unités de formation de l’Armée en Afghanistan que celle-ci a pu répondre à ses obligations. Cependant, avec une Réserve d’environ 20 000, la situation du Canada est aux antipodes de la plupart des pays qui ont des forces de réserve beaucoup plus substantielles.

Étant donné l’importance de leur contribution, il est souhaitable d’examiner le rôle des Réserves dans le contexte des besoins et des capacités au regard de la disponibilité opérationnelle des forces d’un côté, et le niveau de préparation de l’autre. La distinction est importante. La disponibilité opérationnelle signifie être préparé et capable d’agir, de répondre et d’être immédiatement déployé au besoin. En revanche, le niveau de préparation, concept plus vaste et moins lié à un échéancier, réfère aux politiques établies pour bâtir et maintenir les capacités opérationnelles des FAC, requises pour répondre à des menaces de sécurité et de protection intérieure et de défense internationale. Les tâches et les activités impliquées dans la définition de l’état de préparation font appel aux ressources de tous les ministères du gouvernement. En abrégé, la disponibilité opérationnelle réfère aux forces permanentes à temps plein; l’état de préparation à la Réserve.

Les ressources du commandement des forces opérationnelles spéciales canadiennes (COMFOSCAN) et la brigade d’intervention rapide représentent des forces opérationnelles disponibles de l’Armée canadienne que l’on peut déployer immédiatement. Les Réserves de l’Armée canadienne représentent la majeure partie de l’ensemble des réserves des FAC, mais c’est une force relativement et comparativement petite et dispersée, si l’on considère les demandes courantes et futures au pays pour de l’assistance aux autorités civiles dans le contexte de la sécurité publique. Ainsi le rôle et les effectifs de la Réserve de l’armée sont des questions qui pourraient faire l’objet d’un examen régulier. Avec la réduction significative des postes de la Classe B (en service pour des périodes allant de plus de six mois à un an et plus), la viabilité des unités de réserve avec le personnel de classe A (effectuant des périodes de service de réserve courtes, 37.5 jours par an, avec une durée continue maximum de 12 jours ouvrables consécutifs) devient une question essentielle. Les groupes-compagnies d'intervention dans l'Arctique, tout comme les opérations intérieures, sur lesquelles on met beaucoup l’accent, constituent un engagement solide pour les réservistes. Cependant un financement adéquat des postes de classe A doit rester une priorité. L’Armée ne peut pas permettre à la Réserve de stagner en devenant une priorité de financement moins importante. Une allocation adéquate de ressources aux réservistes de l’Armée aura pour résultat la mise sur pied d’une force d’opérations tout en assurant qu’au long terme, l’Armée aura de la profondeur stratégique. Le financement et la dotation de la Réserve de l’Armée sont des questions importantes. Elles soulèvent l’éternelle question des priorités: faire en sorte que les effectifs de l’armée régulière soient portés à niveau, une opération coûteuse en soi, ou le renforcement des Réserves. Ce n’est pas le type de question à laquelle on peut offrir une réponse immédiate. Il est dès lors raisonnable de se demander ce que les Canadiens veulent, quelle politique le gouvernement proposerait, et sur quelle base d’évaluation.

Il est peut-être utile de se rappeler que le Comité permanent de la sécurité nationale et de la défense a déposé un rapport le 15 décembre 2011 intitulé Répondre à l'appel – le rôle de la Première réserve du Canada dans l'avenir. La présidente du comité, Pamela Wallin a résumé les recommandations du comité dans un communiqué de presse:

accroître la taille et l’effectif de la Première réserve et hausser le nombre de jours d’instruction pour la Réserve; offrir à la Réserve une rémunération stable, prévisible, non discrétionnaire et protégée provenant de sa propre

enveloppe budgétaire; identifier les tâches opérationnelles et les critères mesurables en ce qui a trait à la disponibilité de la Réserve, pour les

affectations au pays et à l’étranger; maintenir un petit groupe de réservistes possédant le même niveau d’entraînement que les membres de la Force

régulière, pour un déploiement plus rapide, et affecter certains membres de la Première réserve à des rôles plusspécialisés, telle la cyberdéfense;

continuer les démarches en vue d’informer les anciens combattants réservistes des services et avantages en matièrede soins de santé auxquels ils ont droit; et

réévaluer le rôle que joue la Réserve en tant qu’intermédiaire entre les Forces et les collectivités canadiennes.

Il y a d’autres questions qui pourraient être prises en compte par une extension de la Réserve y compris assurer une meilleure visibilité et une meilleure connexion avec la population canadienne en général.74 Cela pourrait être réalisé en recrutant pour la Réserve de l’Armée des gens déjà qualifiés dans différents métiers et professions, en finançant la participation à des programmes collégiaux ou universitaires associés à un engagement sur la durée de service de la Réserve. De telles possibilités

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d’éducation pourraient être offertes à des membres à temps plein sous la forme d’incitatif à une retraite précoce.

Bien que la majeure partie des membres de la Réserve de l’Armée devraient être affectés à des emplois dans les armes de combat (infanterie, blindés, artillerie et génie de combat), les services d’appui au combat (communications, transport, renseignement, entretien), et des emplois dans des métiers et classifications d’appui aux services de combat (service médical, aumônerie, affaires publiques, de la coopération civile militaire) pourraient aussi être utiles.

Outre la question de la Réserve, il y a bien d’autres questions importantes pour l’Armée. En effet, le développement le plus important a été la réduction du financement de l’Armée, particulièrement sur le secteur O&M, dans la mesure où cela peut avoir un impact sur la formation et la disponibilité opérationnelle. Pour ce qui est des projets d’acquisition, l’annulation du véhicule de combat rapproché (VCR) a été de loin la décision la plus importante.

La formation en ce qu’elle touche à la disponibilité opérationnelle est une préoccupation essentielle. Il faut féliciter le leadership de l’Armée pour avoir maintenu le Plan de gestion de l’état de préparation (PGEP/MRP) qui comprend la formation d’un groupe de travail à haut degré de disponibilité opérationnelle et un quartier général de brigade. Ce PGEP comprend quatre axes d’opérations: les opérations intérieures de routine, les opérations intérieures pour des événements spécifiques, les opérations internationales de longue durée, et le renforcement mineur pour des opérations internationales aux fins de déploiement en cas de crise. Cela devrait permettre de satisfaire les exigences du Canada à court terme. Cependant ce sont les effets réels et à long terme de la réduction de l’entrainement collectif qui sont préoccupants. C’est un élément essentiel dans la perspective institutionnelle à long terme de l’Armée. Il est intéressant de constater que pour le général Odierno, chef d’état-major de l’armée américaine, « le maintien d’une force volontaire professionnelle hautement entraînée est la priorité numéro un ». Le Canada devrait être au même diapason.

Ainsi qu’on l’a mentionné, l’annulation du véhicule de combat rapproché (VCR) a été un événement marquant dans le cadre du programme d’acquisition de l’Armée. Il y a eu beaucoup d’appui pour cette décision parce que les coûts d’ensemble (acquisition et opérations) de ce projet auraient été très difficiles à couvrir. L’argument clé dans l’annulation du VCR était qu’il n’était pas nécessaire pour les VCR d’accompagner les chars d’assaut étant donné que la nouvelle génération de véhicules d’assaut légers (VAL) offrait autant de protection que les VCR plus fortement blindés. Aussi, les améliorations dans le blindage – blindage adaptatif, et le système de défense blindé israélien par exemple – annulent le besoin d’un blindage plus épais ou du moins minimisent la menace.75 L’annonce que les véhicules utilitaires de soutien moyen (VUSM MMN - modèle militaire normalisé) seraient bientôt disponibles a été accueillie avec beaucoup de satisfaction. Le programme d’acquisition de l’Armée à court et à moyen terme ne comprend pas d’éléments contentieux. Cependant, la livraison complète du programme est essentielle pour assurer que l’Armée maintienne ses capacités dans un environnement évolutif.

La pertinence est de loin le plus gros défi qui confronte l’Armée aujourd’hui. Avec la fin de la mission en Afghanistan et le peu de probabilité que le Canada soit engagé dans un long conflit terrestre à court terme, des missions modestes et à faible risque des FAC seront probablement la norme. Dans ce contexte il est essentiel que l’adaptabilité et la flexibilité de l’Armée demeurent au cœur des FAC. Entre des opérations au pays, des opérations de maintien de la paix, et les opérations de combat, l’Armée peut effectivement déployer des troupes bien équipées, bien entraînées et bien dirigées dans bon nombre de scénarios. Des réductions additionnelles soit financières soit en effectifs réduiraient cette capacité de façon significative. Il est important que le commandant de l’Armée canadienne reçoive un financement O&M adéquat pour assurer un entraînement satisfaisant et conserver la flexibilité voulue pour les différentes options de recours aux forces.

Mais que faut-il pour que l’Armée canadienne soit prête à répondre? C’est certain que l’Armée ne peut pas remplir ses obligations sans que ses chefs accordent une attention toutes particulières à l’entraînement et à la préparation de ses unités et formations. L’Armée identifie les caractéristiques clés suivantes comme étant essentielles à sa capacité d’atteindre les objectifs nationaux:

Des soldats professionnels: C’est le cœur de l’Armée; les soldats sont organisés en groupements tactiques et en groupes brigades, des structures capables de mener des opérations avec de multiples partenaires. Les soldats professionnels ont besoin de l’entraînement jugé nécessaire pour s’assurer qu’ils aient la compétence voulue face au travail dangereux qu’on leur demande d’effectuer. Ils doivent donc bénéficier de l’équipement et des véhicules qui augmenteront leur aptitude à faire le travail.

Une force souple et agile: étant donné sa petite taille, l’Armée doit être adaptative et agile et pouvoir être déployée rapidement par divers moyens afin d’intervenir lors de menaces nationales, continentales et internationales dans des

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environnements complexes. Il n’y a pas d’autre moyen! Une telle flexibilité ne peut être réalisée que si l’Armée dispose de suffisamment de ressources pour entraîner ses soldats et leur faire acquérir une vaste gamme de compétences.

Une force d’envergure moyenne: l’Armée doit être bien équipée pour faire face à ses adversaires. Elle ne peut pas être victime d’un système d’acquisition inefficace qui ne lui fournit pas l’équipement et des véhicules nécessaires au bon moment. En tant que force d’envergure moyenne, appuyée par des capacités blindées, l’Armée du futur doit être capable de mener et de maintenir en puissance des opérations terrestres complexes, jusqu’au niveau de la division, dans l’ensemble du spectre des opérations.

En ayant ces caractéristiques essentielles à l’esprit, on peut se demander si le budget opérationnel de l’Armée est suffisant. Les ressources sont limitées et le MND et les FAC sont censés contribuer une part proportionnelle à la réduction du déficit budgétaire gouvernement fédéral, vivre selon ses moyens et réaffecter soigneusement des fonds à l’interne pour mieux répondre aux exigences nouvelles et émergentes de la défense de demain. Ce faisant il ne faudrait pas que cela se fasse aux dépens de ses possibilités d’entraînement, d’opérations et d’entretien à un niveau acceptable de disponibilité opérationnelle.

Heureusement les changements récents dans le processus d’acquisition pour la défense devraient permettre à l’Armée d’acquérir l’équipement et les véhicules nécessaires pour réaliser les tâches imparties. Mais pour l’instant, les achats futurs d’un certain nombre d’équipements pour l’armée, identifiés dans le Guide d’acquisition de la défense, continuent d’être retardés.

Au regard de toutes ces considérations, le gouvernement du Canada et les FAC doivent envisager la meilleure façon de réaliser ce qui suit:

- Maintenir un haut degré d’entraînement des forces; - Assurer une puissance terrestre décisive pour renforcer les capacités des partenaires, répondre aux demandes d’aide

humanitaire et de secours aux sinistrés, et solidifier l’interopérabilité et les capacités multinationales; - Parvenir à opérer dans un environnement divers, hybride qui comprendra un ensemble de capacités

conventionnelles, antiterroristes et anti criminelles; et - Étant donné la déconnexion financière entre la SDCA originale et les coupes imposées au budget de la défense,

mettre à jour ou éliminer la SDCA.

Comme le suggérait le général Odierno pour les États-Unis, le Canada doit prendre en compte le fait que les conflits de l’avenir conduiront les FAC dans des secteurs très différents même au-delà de ce à quoi nos hommes et femmes font face en Irak, par exemple, des régions avec peu d’infrastructure, exigeant un sens critique de l’information, un réseau de commandement, contrôle et de communications robuste, une plus grande mobilité et capacité de survie, des capacités de transport aérien différentes, et beaucoup plus d’interarmisation dans ce que l’armée peut tout particulièrement fournir, comme l’appui au renseignement, au génie, à la logistique et au commandement terrestre.

Les coupes budgétaires ont réduit la capacité de l’Armée à répondre à l’architecture de la SDCA. Des aspects critiques nous avions évoqué l’année dernière, c’est le coût de notre infrastructure et des bases. Comme il s’agit d’une question politique, il appartient au pouvoir politique de s’engager à rationaliser notre infrastructure qui absorbe une partie considérable du budget de maintenance et rogne les budgets de formation et d’exercice. Oui tout est une question d’argent. Mais même si l’Armée s’en sort mieux que ses deux partenaires, la question demeure: le Canada aura-t-il une Armée viable dans 10 ans?

La force aérienne royale canadienne

Au début de l’administration Harper, le Canada s’est procuré avec une grande célérité deux plates-formes de transport aérien (les C130J et les C17) et a acquis toute une série d’équipements opérationnels pour l’Afghanistan, y compris des véhicules de patrouille blindés, des chars, des camions lourds, des hélicoptères Chinook, un soutien à l’aviation et de multiples projets destinés à accroître la survie de véhicules. Le progrès rapide réalisé pour ces dossiers est parfois cité comme la preuve de ce qui est possible à l’intérieur des contraintes du système d’acquisition actuel.

Pourtant, pour ce qui est du remplacement des avions chasseurs, sans rentrer dans les détails entourant l’annonce par le gouvernement Harper en 2010 que des F-35 remplaceraient les CF-18, le sous-titre «l’éclipse de la raison » sur la couverture de ce document pourrait tout à fait s’appliquer à la passion déraisonnée des deux côtés du débat sur le F-35. Il a même suscité une

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discussion sur la nécessité pour un pays comme le Canada, le deuxième plus grand au monde, de disposer d’avions chasseurs (comme la carte ci-dessous le montre, la superficie du Canada recouvre la totalité de l’Europe. Comme le disait un éditorial du National Post du 21 octobre 2014: « la responsabilité la plus fondamentale de n’importe quel gouvernement est d’assurer la souveraineté et la sécurité de la nation. Au Canada cela signifie davantage avions ».

À l’heure actuelle, comme le suggèrent Don Macnamara and Richard Shimooka, la menace d’une attaque directe contre le Canada peut apparaître minime; néanmoins le Canada fait face à des défis plus grands pour ce qui est de sa souveraineté, particulièrement dans l’Arctique.76 La Russie a renouvelé son intérêt pour la région pour des raisons géostratégiques; le marine russe se sert de l’Arctique comme bastion pour sa flotte de sous-marins équipés de missiles balistiques. À mesure que des possibilités nouvelles d’expansion économique dans le nord se présentent, la Russie a mis davantage l’accent sur l’intégrité territoriale de la région. Un nombre croissant de bombardiers et de missions de reconnaissance aux abords de notre espace aérien ne cessent de tester notre vigilance et provoquent un flux ininterrompu d’interceptions par NORAD. L’avion chasseur fournit la bonne réponse à ce type d’intrusion. On ose croire que les deux missions dans lesquelles nous sommes engagés en Europe et au Moyen-Orient constituent une preuve suffisante de leur contribution essentielle à la défense de nos intérêts à l’étranger. « Ils possèdent des caractéristiques particulièrement indispensables, y compris la rapidité de réaction, la flexibilité, l’imputabilité et l’efficacité coût ».77

Figure 8: 17 Wing Publishing, Winnipeg, Source: Don Macnamara et Richard Shimooka, “From First Principles – The

Need for a Fighter-Capable Air Force,” Canadian Military Journal, automne 2014.

Les deux auteurs soutiennent également que: « tout conflit dans la région Asie-Pacifique met très probablement aux prises six des principaux partenaires commerciaux du Canada » et n’importe quel scénario de ce genre ferait automatiquement appel à la puissance aérienne parce que celle-ci est « agile, intégrée, précise, imputable et réactive avec une portée globale ».

La question aujourd’hui est simple: les CF-18 vieillissants, destinés à être mis hors de service aux alentours de 2020, ont vu leur existence prolongée jusqu’en 2025. Étant donné toute la controverse qui entoure le F-35, il est peu probable qu’une décision sur le prochain avion soit prise cette année. Mais il en coûtera beaucoup pour maintenir la flotte de CF-18 opérationnelle jusqu’en 2025 étant donné que certains de ces chasseurs ont plus de 30 ans, ont été beaucoup utilisés et continueront visiblement de l’être pour un avenir prévisible en Europe de l’Est et au Moyen-Orient. En outre il se produira un effet considérable de « lame d’étrave » dans les années autour de 2025 quel que soit l’avion choisi, le report de plusieurs décisions d’acquisition affectant les trois branches de la défense. À l’origine, le Canada avait l’intention d’acheter 80 F-35 pour remplacer ses CF-18 mais a réduit le nombre anticipé en 2006. Le plafond de 9 milliards de dollars imposé par le gouvernement Harper pour le coût des avions a conduit les chefs militaires à proposer 65 comme le minimum dont l’ARC aurait besoin. D’autres chiffres sont en jeu sans aucune considération pour les besoins 10 ans plus tard. Il ne sert à rien d’essayer de faire croire que des avions européens puissent être des concurrents et ce n’est pas la peine de tourner en rond: le Canada n’achètera ni le Rafale de Dassault Aviation, ni l’Eurofighter Typhoon, fabriqué conjointement par BAE Systems PLC, Finmeccanica SpA et le groupe Airbus NV. À supposer qu’il y ait un réel débat, le choix sera entre le F-35 de Lockheed Martin et le F-18 F E/F Super Hornet, la plus récente création de Boeing mais en fin de ligne de production. À 9 milliards, on peut difficilement se procurer 65

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F-35 à moins qu’on ne tienne pas compte des contingences et qu’il y ait une réduction au titre de l’armement, des pièces de rechange et des modifications.

Le Super Hornet est certainement un excellent avion, particulièrement dans sa configuration Growler adaptée à la guerre électronique, en raison de son interopérabilité avec le F-35 mais c’est un avion de quatrième génération, incapable de tenir le coup face à un avion de la cinquième génération comme le J35 chinois ou l’équivalent russe. Essentiellement, l’avionique du F-35 sera le barème des capacités au moment où le Canada remplacera ces CF-18. Acquérir un Super Hornet à prix de rabais parce que la ligne d’assemblage est à la veille de fermer n’en fait pas un avion de cinquième génération. Les Australiens en ont acheté un petit nombre pour assurer la transition en attendant la livraison des F-35. Les données sur le coût de l’avion sont erratiques parce qu’en définitive cela dépend du nombre de F-35 vendus dans le monde. Le Super Hornet serait moins cher mais il reste à savoir dans quelle mesure l’avantage au plan coût l’emporterait comparativement aux autres facteurs à considérer, y compris les capacités de l’avion.

Même si c’est un fait que l’avantage de la furtivité de n’importe quel avion puisse être de courte durée, le Super Hornet n’est pas comparable sur ce plan. Le véritable avantage du F-35 qui est éclipsé par la discussion sur la furtivité, c’est la couverture à 360° des capteurs renforcés par capteurs maillés en réseaux, fournissant une plate-forme d’opération largement supérieure à celle que n’importe quel avion de la génération actuelle possède. Jusqu’à maintenant, à part le Danemark, tous les acheteurs éventuels ont opté pour le F-35. Les rythmes de production sont également un facteur dans la mesure où, si la demande mondiale pour le F-35 se maintient, Lockheed Martin produira deux F-35 par semaine ce qui donnera de meilleures économies d’échelle.

Une autre possibilité plutôt qu’une flotte unique avec un seul d’avion, c’est celle d’une flotte mixte pour arriver au meilleur équilibre entre capacités, nombre d’avions, et coûts. Ce serait le modèle australien, le Super Hornet étant une solution intermédiaire en attendant l’arrivée à temps et au budget prévu des F-35 en 2025. Le résumé d’une récente étude sur le concept n’est guère positif78: « L'analyse a révélé qu'une flotte mixte, constituée de plus de 65 avions plus performants pouvant exécuter les missions les plus difficiles de l'OTAN, et d'avions moins puissants pouvant exécuter les obligations du Canada envers le NORAD ne procurerait pas la même capacité globale qu'une seule flotte de 65 chasseurs plus performants. En outre, des indications solides démontrent qu'à moins que le coût d'achat d'une flotte d'avions moins puissants représente la moitié du coût d'achat d'une flotte d'appareils plus performants, une flotte mixte offrirait moins de capacités à un coût plus élevé ».

Si la capacité financière est le facteur décisif, maintenant que les CF-18 du Canada ont été prolongés jusqu’en 2025, il est possible, même probable que dans quelques années, des chiffres différents, vraisemblablement à la baisse, du nombre d’avions seront envisagés. Ce serait faire fi des examens en profondeur des besoins du Canada. Le gouvernement va devoir entreprendre d’urgence un examen des exigences, dans la transparence et fondé sur une réflexion stratégique plutôt que par opportunisme. Heureusement des événements récents comme l’attitude agressive de la Russie, les perturbations constantes et changeantes en même temps au Moyen-Orient et l’angoisse croissante à propos de la région de l’Asie-Pacifique nous conduiront peut-être à mettre au point une stratégie de sécurité nationale, dans la ligne de ce qu’on retrouve dans les livres blancs français, britannique et australien. Il est clair que les défis de l’année qui s’est écoulée, à eux seuls rappellent aux Canadiens que nous n’avons aucune idée de ce qui peut arriver demain et qu’en dépit de notre soi-disant immunité géographique, le Canada se doit d’être prêt car il ne fait aucun doute que les dangers pour notre sécurité et notre souveraineté iront en s’accroissant.

Il y a aussi la question du remplacement des avions Aurora modernisés. Ils ont maintenant plus de 30 ans de service et certains d’entre eux ont vu leur vie prolongée jusqu’en 2030 par une série de modernisations et d’extension à leurs structures. Le remplacement de ces avions très utiles dans les années 2025 s’ajoutera aux pressions financières.

Une initiative récente de l’ARC illustre un autre retard dans le processus décisionnel du gouvernement. La force aérienne a l’intention de tester au cours de l’année un modèle élargi, plus flexible, du temps de réaction pour la recherche et le sauvetage le long de la côte est, en dépit du fort retard pris pour l’achat d’un nouvel avion. Le MDN a discrètement évalué les mérites du positionnement de ses hélicoptères et de ses avions d’une telle façon à ce qu’ils puissent répondre dans les 30 minutes à un appel d’urgence, 24 heures par jour, sept jours par semaine. D’après son propre guide d’acquisition de la défense, le gouvernement Harper était supposé avoir lancé un appel d’offre l’année dernière pour l’achat d’un avion de recherche à ailes

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fixes et le contrat aurait dû être décerné cette année. Malheureusement le projet en est seulement à une phase de projet d’appel d’offres. Pour les Canadiens, la recherche et le sauvetage ne peuvent absolument pas se permettre le moindre échec!

Un pivot canadien vers le Pacifique dans ces circonstances? Fort peu probable

Le pivot canadien vers l’Asie en est encore à ses premiers balbutiements. Cependant, les intérêts croissants du Canada dans la région Asie-Pacifique ne sont pas sans défi au vu des développements dans cette région du monde qui connait la plus forte croissance. Nombreux sont ceux qui ont invité le Canada à imiter sinon à copier la stratégie de rééquilibrage des États-Unis dans le Pacifique. Les arguments à l’appui de cette démarche vont bien au-delà du simple appui à notre grand allié au plan de la défense. Comme le disent Derek Burney et Fen Hampson, pour notre propre intérêt économique « d’une façon ou d’une autre, nous devons nous sortir du cocon nord-américain ».79 C’est aussi la reconnaissance que le climat de sécurité dans la région est marqué du sceau de l’instabilité et que le Canada, comme membres du G8, devrait apporter sa contribution au maintien de la stabilité dans ce secteur stratégique. Il faut aussi bien comprendre qu’un pivot asiatique n’est pas simplement une question de marine. En fait quelle que soit sa forme ou sa nature, un tel rééquilibrage exigerait une interarmisation solide compte tenu des distances impliquées et de la nécessité d’une démarche intégrée entre les trois branches des Forces armées canadiennes.

Récemment, de façon très nette, le plan de politique étrangère interne du gouvernement déclarait que « la situation est critique: les relations commerciales et d’investissement du Canada avec les nouvelles économies, à commencer par l’Asie, doivent s’approfondir, et comme pays nous devons devenir plus pertinents pour nos nouveaux partenaires ».80 Dans le même ordre d’idées, le ministre de la défense canadien d’alors, M. MacKay, avait indiqué que le Canada voulait un siège à la rencontre des ministres de la défense de l’Association des nations de l’Asie de l’Est (ANASE) et s’était fait dire que les forces canadiennes seraient déterminantes pour l’obtention de ce siège. Un peu plus tôt, le secrétaire général de l’ANASE avait fait comprendre clairement que le Canada ne pouvait pas compter sur des accords de libre-échange sans contribuer à la sécurité à long terme de la région.

Étant donné la situation financière serrée du ministère de la Défense nationale et la chute dramatique du nombre de navires disponibles, on ne peut pas s’attendre à grand-chose à court terme. En outre un plan à long terme bien élaboré, fut-il modeste, aura de meilleures chances d’être bien accueilli outre-mer qu’une rafale de navires et d’avions canadiens visitant tout d’un coup la région. Nous sommes malheureusement bien connus dans la région pour ce type de passage sans lendemain. Un plan susceptible de réussir est un plan qui s’inscrit dans la durée. Une possibilité serait d’accepter l’invitation australienne officieuse à se joindre à leurs programmes de développement d’opérations amphibies avec du personnel de l’Armée canadienne. On pourrait envisager des déploiements pendant six mois de nos avions Aurora et de nos sous-marins auprès de bases alliées. Comme les distances de traversée du Pacifique sont immenses, une capacité de ravitaillement en mer est essentielle. Nous pourrions également expédier une frégate auprès du groupe aéronaval de la septième flotte américaine et choisir un port d’attache au Japon pendant un an. Enfin, le Japon et l’Australie s’apprêtent à travailler ensemble pour construire la prochaine génération de sous-marins et nous pourrions bénéficier beaucoup d’une participation à cet effort.

Pourtant, alors que les analystes ont souligné ces réponses éventuelles à la demande du ministre de la défense d’obtenir une entrée à l’ANASA qui serait facilitée par les FAC, le Premier ministre et les autres membres du cabinet sont restés résolument silencieux. Tant que ça ne changera pas et que les fonds ne seront pas alloués, le Canada restera un observateur dans la région et auprès de ses conseils.

Là où tout s’effondre: de coupes furtives à des coupes brutales81

Le but de cette section n’est pas de passer en revue le processus d’acquisition et les divers efforts réalisés par le gouvernement pour l’améliorer. Les spécialistes comme Dave Perry, Yan Simon ou Elinor Sloan l’ont fait admirablement. La question ici est de déterminer en fin de compte si tous les projets et les plans des trois branches des FAC passées ici en revue survivront au cours des 10 prochaines années et dans quelle mesure devront-ils être réduits ou même risqueront-ils d’être amputés de façon catastrophique.

Pour bien apprécier le dilemme auquel fait face le gouvernement aujourd’hui il est important de se rappeler quel était le point

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de départ dans la course pour continuer à rebâtir les forces armées du Canada. Et ça, c’était la SDCA, la stratégie de défense le Canada d’abord par laquelle « en se fondant sur le budget de 2006, qui prévoyait une augmentation de 5,3 milliards de dollars sur cinq ans, y compris une augmentation du montant de base alloué à la défense de 1,8 milliard de dollars commençant en 2010-2011… le gouvernement s'est engagé, dans son budget de 2008, à faire passer de 1,5 p. 100 à 2 p. 100 le taux annuel d'augmentation du montant alloué à la défense, à compter de l'année financière 2011-2012. Au cours des 20 prochaines années, ces fonds additionnels feront passer le budget annuel du ministère de la Défense nationale de 18 milliards de dollars en 2008-2009 à plus de 30 milliards en 2027-2028. Au total, le gouvernement prévoit investir près de 490 milliards de dollars en défense au cours de cette période. Plus important encore, l'assurance d'un financement stable permettra au ministère de la Défense nationale de planifier à long terme et de répondre à ses besoins futurs. En outre, en plus de cette nouvelle formule, le gouvernement s’engage à financer séparément les coûts additionnels d’opérations majeures ».

2015: au revoir SDCA!

Le budget

Depuis lors, toutefois, la contribution à la réduction du déficit est devenue bien plus importante que l’atteinte des cibles de financement de la SDCA. L’année dernière nous avions fait référence aux coupures du budget des FACS et du MDN comme ayant été faites de façon furtive, notamment par des désinvestissements comme le retrait des programmes AWACS et AGS de l’OTAN, les coupes dans l’entraînement et la disponibilité opérationnelle, l’emploi de la réserve à temps plein et la rémunération et les bénéfices marginaux des militaires. Cela s’est suivi du plan d’action pour la réduction du déficit (PARD) en 2012, imposant une de 7.4% dans les dépenses opérationnelles. Depuis lors les coupes se sont poursuivies. Le budget de la défense est une cible facile à cet égard car elles peuvent se faire sans provoquer trop de réactions, au moins pour une certaine période de temps. À l’heure actuelle, les niveaux de personnel établis des FAC comprennent 68 000 personnels en uniforme – un chiffre qui semble une vache sacrée – 24 000 réservistes, environ 25 000 fonctionnaires civils de la défense pour un budget total d’environ 18 milliards de dollars. En 2013 le programme de Renouvellement de la défense s’est attaché à en améliorer « l’efficacité et l’efficience ». Si on met ensemble les gels, le reprofilage du capital et les reports d’acquisitions82 – par exemple en prolongeant la vie des CF-18, en retardant la signature du contrat pour un nouvel avion de recherche et sauvetage à ailes fixes, l’exécution seulement partielle du projet d’équipement intégré du soldat83 – tous attribuables à ce que Elinor Sloan appelle «une politique pour alimenter une base permanente de capacités intérieures » – le résultat est un écart énorme entre les dépenses prévues, effectives et projetées en partant de la SDCA de 2008.

Qu’est-ce que tout cela signifie (voir le graphique ci-dessous): Le résultat n’a pas été un financement stable mais bien des coûts constamment croissants; Le budget est maintenant plus faible qu’il ne l’était en 2007 si l’on tient compte de l’inflation; En résumé, le budget a été soumis à:

o 32 milliards de dollars de réductions sur le durée de 20 ans de la SDCA; eto 5 milliards additionnels transférés au-delà de la fin du cadre de la SDCA en 2028 par l’espace ouvert par la

comptabilité d’exercice;o Ces réductions ont déjà abaissé le financement de la SDCA de 490 à 453 milliards de dollars.

En dépit de pressions additionnelles sur le budget de la défense de 9 milliards de dollars à l’horizon de la SDCA, enraison de l’impact des gels du budget de fonctionnement de 2010 et 2014, le financement disponible n’a pas étémodifié, aussi ces pressions déplaceront d’autres engagements de la SDCA.

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Figure 9: SDCA (milliards de $): Prévue, effective, projetée. La ligne bleue représente le plan initial de la SCDA. La ligne verte représente les dépenses à ce jour – illustrant une baisse significative depuis 2010. La ligne rouge est la projection tout à fait crédible de Dave Perry. Non seulement y a-t-il eu une réduction importante du financement mais cet écart va continuer à s’accroître dans le contexte du plan actuel du gouvernement.

Les dépenses de capital

Les deux graphiques suivants touchent à la question du financement du capital, comme suit: Les dépenses de capital ont décliné au cours des quatre dernières années, en partie en raison de l’incapacité à

remplacer des équipements majeurs; Le MDN n’est pas parvenu à dépenser environ 25% des fonds prévus en dépenses de capital pour chacune des quatre

dernières années: à partir de 2007/ 2008, « le gouvernement du Canada a eu des difficultés sans précédent à faireavancer le programme de dépenses en capital pour la défense. Au cours de cette période, en moyenne, 23% des fondsautorisés par le Parlement en vote 5, pour un total de 7.2 milliards de dollars, n’ont pas été dépensés tel que prévu.Avant cette période, en remontant à 1973, la moyenne historique de fonds non-dépensés tel que prévu au vote 5 n’aété que de 2% ».84

En chiffres courants, entre 2009/ 10 et 2012/ 13, le MDN n’est pas parvenu à dépenser chaque année un minimumd’un milliard de dollars de ses fonds disponibles.

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Figure 10: pourcentage du vote 5 non dépensé

Le graphique suivant montre que les dépenses en capital représentent:o maintenant environ 14% des dépenses de défense – une part déclinante d’un budget déclinant du MDN;o le plus faible niveau de dépenses en capital depuis 1977/78;o à un rythme de dépenses qui, historiquement, a été considérée comme menant à la détérioration des FAC

ou à un arriéré croissant de dépenses à entreprendre dans les années futures;o Les budgets pour des dépenses d’équipement reportées perdent généralement un pouvoir d’achat

important au fil des années.

Figure 11: Dépenses de capital du MDN en % - prévues (bleu) et effectives (rouge).

Le gouvernement a mis de l’avant plusieurs initiatives pour améliorer les acquisitions. La SNACN est destinée à rebâtirles compétences industrielles de défense maritime tant au gouvernement que dans l’industrie. Le contrat récent pourle NPEA est un signe de mouvement. En revanche, le programme du MDN dépasse non seulement les ressourcesfinancières pour les mettre en œuvre mais également les ressources humaines nécessaires pour gérer et faire avancerle programme de capital. Les lacunes en capacité signifient simplement que le MDN n’a pas suffisamment depersonnel militaire ou civil avec l’expérience et la formation adéquate pour gérer effectivement ses propres projets.

La nouvelle stratégie d’approvisionnement en matière de défense (SAMD) est censée accroître l’efficacité duprocessus mais tout progrès qu’elle peut réaliser dans l’accélération du processus d’acquisition se déroulera sur uncertain nombre d’années.

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2025: l’échéance fatidique

Toute projection sur la situation des CAF en 2025 compte tenu des circonstances évoquées ci-dessus ne peut se faire que sur la base d’une extrapolation linéaire, en reconnaissant pleinement que d’autres variables intermédiaires pourraient affecter les politiques et décisions du gouvernement. En supposant que la SDCA demeure inchangée, il n’y a guère d’espoir que la situation s’améliore dans 10 ans.

Le budget

Une prévision des fonds disponibles à l’avenir doit partir du budget actuel qui a été réduit à un niveau inférieur que lebudget de 2007 ajusté en fonction de l’inflation.

Si le budget actuel bénéficie d’une croissance régulière de moins de 1%, ce qui a été approximativement le taux debase de la SDCA, le résultat est la ligne rouge inférieure dans le premier graphique ci-dessus.

o Les 37 milliards de dollars déjà retirés de la fenêtre de financement de la SDCA a réduit le budget de celle-cià 453 milliards de dollars. En effet, des 37 milliards de dollars:

5 milliards sont des fonds reportés au-delà de 2027/28 donc au-delà du cadre de 20 ans de laSDCA; et

Des 32 milliards de dollars restants, environ 5 milliards de dollars à un taux moyen de 20% endépenses de capital, ont été supprimés pour un total de l’ordre de 10 milliards de réduction encapital.

o La ligne rouge représenterait une réduction additionnelle de 23 milliards sur les 453 milliards actuellementdisponibles, ramenant le chiffre aux environs de 430 milliards soit 60 milliards de moins qu’un financementstable de la SDCA:

De même, à un taux de 20% de dépenses en capital, cela représenterait un montant additionnelde l’ordre de 5 milliards supprimés du capital.

Faute de tout engagement sur des données budgétaires futures, le taux de croissance représenté par la ligne rougedonne un aperçu de ce que le budget pourrait bien devenir;

Ce niveau de financement, au niveau actuel de personnel, accentuerait la tendance à la baisse de disponibilitéopérationnelle et de l’investissement en capital.

Quelle que soit la façon dont on regarde ces chiffres, étant donné les incidences en personnel, en réduction d’investissement en capital et en réduction de disponibilité opérationnelle, cela probablement conduira le Canada à un niveau de capacités militaires presque insignifiant pour un pays du G7 et poserait de graves questions quant à notre contribution non seulement à des opérations expéditionnaires mais également à la défense de l’Amérique du Nord. Pour ce qui est du capital, c’est la portée du programme d’acquisition qui sera entrepris ou devrait l’être autour de 2025 qui aura un impact bien plus important que l’effet immédiat d’un budget réduit en dépenses de capital.

À quoi 2025 va ressembler: La recapitalisation des FAC qui surviendra dans les années 2020 est à la fois énormément importante et

sans précédent tant au niveau du type d’équipement remplacé sur une courte période – les flottes decombat – et, en conséquence, du coût annuel que l’on peut prévoir;

Les reports et les délais de la part des gouvernements au cours des 25 dernières années ont créé un arriérédans la recapitalisation de l’équipement acheté sur une période de 50 ans, une accumulation qu’il va falloirgérer sur une période de 15 ans;

Les remplacements des Sea King, des CF-18 Hornet et des avions Aurora, de même que la majeure partie dela flotte de navires de surface auront tous lieu pendant cette période;

En effet, ici à 2025, les navires de soutien interarmées auront récemment rejoint la flotte, le premier desnavires de combat de surface canadiens aura été mis en service et d’autres seront en construction, tandisque les nouveaux chasseurs seront en service et des préparatifs seront en cours pour remplacer les Auroraavant la fin de leur cycle de vie en 2030.

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Il s’agit là des flottes de de combat de navires et d’avions des FAC prêts à défendre le Canada et l’Amériquedu Nord en force et à contribuer à des opérations à l’étranger. Tous ces équipements ont déjà atteint ouexcédé la fin de leur période de service.

Toutes ces acquisitions au nom de la SDCA vont imposer des pressions compétitives sur le budget de capital autourdes années 2025:

Étant donné qu’il n’y a aucune indication sur l’orientation du budget pour les années à venir à part lescoupes récentes, on doit s’attendre à une croissance des budgets de la défense qui restera en-deçà desprévisions de la SDCA;

en conséquence, avec la suppression de plus de 10 milliards de fonds de capital de la fenêtre actuelle de laSDCA, le paiement de la recapitalisation de celle-ci qui devrait être en cours en 2025 ne seravraisemblablement pas possible sans que le gouvernement prenne des décisions importantes à l’intérieurdu budget de la défense ou encore en ajoutant des injections distinctes pour certains projets de capital;

Si le gouvernement ne prend pas ce type de mesure pour traiter du manque de capital, il faudra avoirrecours à une combinaison de réductions dans le nombre de plates-formes acquises ou dans les capacitésde ces mêmes plates-formes en-deçà de ce qui était prévu au plan opérationnel, ou encore il faudraaccepter une détérioration éventuelle des capacités.

Les perspectives qu’offre l’impact de cette baisse générale ne sont guère réconfortantes: Si les gouvernements à venir décident de ne pas accroître le financement en capital pour les acquisitions ou prennent

des décisions à l’intérieur de l’enveloppe du MDN pour préserver le remplacement des capacités, le résultat final serades FAC réduites avec:

o Moins de possibilités d’action indépendante à la défense du territoire canadien et de nos vastes zonescôtières… une mission que les gouvernements se doivent d’entreprendre;

o Moins de possibilités de contributions pertinentes et durables de la part des dirigeants Canadiens et descapacités moindres pour répondre à des engagements internationaux et relever les défis de la paix et lasécurité internationale; et

o de plus grands risques.

Il est difficile d’évaluer l’impact d’une capacité de défense en peau de chagrin et du déclin de capacités spécifiques ainsi que de la disponibilité opérationnelle pour le Canada, en partie parce que personne ne sait comment le milieu international va changer. Mais si l’on s’en remet aux événements surprenants de l’année dernière en termes de sécurité ou encore la complexité, les dangers et les risques que l’on peut prévoir en matière de sécurité internationale, ce n’est peut-être pas le moment pour le Canada d’avoir des capacités moindres compte tenu des responsabilités et intérêts globaux qu’un pays du G7 se droit d’envisager. En effet, la possibilité qu’au cours des 10 prochaines années il n’y ait ni conflit, ni catastrophe, ni recours aux forces canadiennes et alliées est à peu près nulle. Les débats aux États-Unis sur l’impact du séquestre et des réductions des budgets de la défense, évidemment à une échelle différente, soulignent néanmoins combien ces décisions peuvent conduire à mettre en brèche des options fondamentales. Il est indéniable que la réduction inévitable de la structure des forces du Canada limitera le nombre d’options disponibles pour les deux gouvernements. La lame d’étrave en 2025 résultant des fonds non dépensés en capital, du taux d’inflation plus élevé pour le secteur de la défense, rognant sur pouvoir d’achat, des délais en matière d’acquisition (nouveaux chasseurs, remplacement des Aurora), des retards (NSI, Cyclone) et d’annulations, confrontera cumulativement nos maîtres politiques d’une façon que les dirigeants actuels soit ne reconnaissent pas ou ne veulent pas débattre. Néanmoins cette lame d’étrave frappera dur dans 10 ans. Est-ce que cela signifiera encore d’autres reports de projets prévus à cette époque alors que l’équipement existant continuera à se détériorer? Le débat entre beurre et canon ne va pas disparaître.

Une SDCA entièrement renouvelée devrait avoir comme objectif premier de résoudre les incohérences entre le financement et les capacités. Si les ressources additionnelles ne sont pas mises à disposition, des décisions difficiles devront être prises à la défense. De telles décisions devraient découler d’un véritable examen de la politique de défense si l’on veut éviter qu’elles soient fondées sur la détérioration des capacités, la facilité ou l’opportunisme, sans égard pour les intérêts à long terme de la nation et les capacités nécessaires pour les réaliser.

Fondamentalement, bien des mesures entreprises par le ministère pour prendre en compte la situation budgétaire n’ont pas

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encore fait leurs preuves. Il y a de sérieux doutes quant à la réalisation des économies annoncées. L’ampleur des coupes antérieures, les économies évanescentes et les coupes à venir n’auront qu’un seul résultat: moins de défense. Mais c’est clair que les questions sociales et l’économie préoccupent les Canadiens. Aussi au moment de l’échéance électorale d’octobre, tout surplus, s’il en est, aura été dépensé principalement sur les questions sociales. Les dépenses de défense seront limitées aux opérations courantes. Toute déclaration du gouvernement à l’effet qu’il y aurait davantage de défense dans les années à venir souffrirait d’une très faible crédibilité. La question clé, c’est ce qu’en pensent les Canadiens? Mais nous devons aussi reconnaître que quand les contraintes financières déterminent la stratégie et non l’inverse nous n’avons d’autre choix que d’accepter cette réalité inéluctable dans l’environnement politique actuel.

L’opinion publique canadienne: la défense est-elle importante?

L’institut de la CAD a eu la chance de bénéficier d’un sondage Ipsos consacré aux points de vue des Canadiens envers les forces armées canadiennes.85 Certains des résultats sont révélateurs. Il existe une fierté considérable et croissante envers les Forces armées canadiennes, atteignant 74%, et une reconnaissance de leur travail à 65%. Moins de la moitié, cependant, souhaite qu’elles participent à des missions de combat – 42% – probablement le résultat de la guerre en Afghanistan. Le portefeuille des contribuables est important, cependant, car seulement 35% pensent qu’ils « en ont pour leur argent dépensé par les FAC », ce qui n’est pas très encourageant quand on parle de maintenir les dépenses de défense et encore moins de les accroître. Il existe une certaine ambiguïté quant au « rôle de combat assuré » et « maintien de la paix » à 33%. On peut avoir de l’espoir en ce qui concerne les acquisitions qui ont fait la manchette et ont frappé les Canadiens, car seulement 30% pensent que « les militaires sont bien équipés pour le travail qu’on leur demande de faire ». Là où ça devient moins bon, c’est sur la capacité des forces armées canadiennes de prendre les bonnes décisions quand il s’agit de dépenser les dollars des contribuables (25%); manifestement, le MDN n’est pas jugée efficace dans ce contexte, ce qui affecte également la confiance en la capacité de corriger les insuffisances dès lors que les Canadiens estiment que les FAC sont dépensières. Il n’y a pas beaucoup d’intérêt pour ce qui est de faire partie des forces canadiennes tout en maintenant une vie civile – 21%; aussi l’emploi dans la Réserve n’est pas un élément mobilisateur. Quant aux « missions prioritaires de nos militaires », l’aide en cas de catastrophe dans les communautés canadiennes arrive bien évidemment au sommet à 68%, la recherche et le sauvetage dans la même ligne atteint 63%, les patrouilles sur terre, mer, et dans l’espace aérien, donc la souveraineté, obtiennent également un bon appui à 62%. La protection des voies commerciales maritimes, à 53%, est très intéressante dans la mesure où elle semble refléter une plus grande prise de conscience que ce à quoi on s’attendrait sur l’importance de la mer pour notre commerce. L’affirmation de notre souveraineté dans le nord n’était jugée mission prioritaire que par 47% ce qui n’est pas si mal si l’on considère les connaissances générales limitées des Canadiens sur le Nord. D’autres missions obtiennent un pourcentage progressivement plus faible: la défense contre les cyber-attaques à 40%, les missions des Nations unies et de l’OTAN à 38%, les opérations de maintien de la paix sans intervention armée à 36%, l’assistance en cas de désastre à l’étranger à 34%, la sécurité dans le cadre de manifestations internationales à 34%, les opérations anti piraterie à 26%, etc. Bien que la plupart des réponses aux questions aient obtenu des scores plus positifs qu’en 2013, reflétant probablement la satisfaction devant la fin de la guerre en Afghanistan, le mécontentement à l’égard du comportement russe, et le dégoût profond envers l’État islamique, on ne relève pas un sentiment d’engagement profond envers la défense. Il est peu probable que les partis politiques consacrent beaucoup de temps aux questions de défense bien que l’on puisse s’attendre à ce que le Premier ministre souligne notre réponse aux événements en Ukraine et profite du profond sentiment de choc envers l’État islamique.

5. CONCLUSIONS ET RECOMMENDATIONS

Les deux dernières éditions de Perspectives stratégiques se sont permis une vaste gamme de recommandations. La plupart decelles-ci restent pertinentes. Les élections cette année ne font que renforcer notre invitation au nouveau gouvernement duCanada qui s’en suivra d’entreprendre un examen global de la politique étrangère, commerciale, de développement et dedéfense de façon à présenter une vision unifiée du rôle du Canada dans le monde et des exigences dans leur intégralité, pour lamettre en œuvre. En termes simples, que voulons-nous faire dans le monde, et comment! Dans la foulée d’un tel examen, ilest aussi grand temps de produire une stratégie de sécurité nationale.

Il n’est pas surprenant, compte tenu de l’environnement de sécurité globale actuel, que quelques mois après que le dernier soldat ait quitté l’Afghanistan, les Forces armées seraient engagées à nouveau sur deux fronts. Il faut rendre hommage à ces

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décisions et encore davantage pour la capacité des FAC de répondre aussi bien à l’appel dans des conditions financières difficiles et face à la menace croissante de coupures additionnelles à l’avenir. Il faut aussi reconnaître certaines décisions importantes du gouvernement en ce qui concerne le renforcement des FAC. Des acquisitions d’équipement importantes, notamment en navires et en aéronefs, sont le résultat de décisions difficiles prises par le gouvernement, qui peuvent avoir des impacts pour nos capacités pendant 50 ans et laisser un legs important pour de nombreux gouvernements à venir. Mais la difficulté qu’il y a à en arriver à de telles décisions est considérable, en partie en raison de la différence entre des mandats politiques de courte durée et la longévité inhérente de l’équipement qui permet aux gouvernements de reporter les décisions et de laisser à leurs successeurs des capacités qui frisent l’obsolescence. Que les FAC opèrent encore des hélicoptères de 50 ans, illustre parfaitement le fait que de nombreux gouvernements ont manqué de sérieuses occasions de faciliter la tâche à ceux qui les suivent. Comparativement aux gouvernements antérieurs libéraux et conservateurs, à part peut-être le gouvernement Martin, le gouvernement Harper a pris un plus grand nombre de décisions de la sorte. Toutefois les coupures budgétaires brutales des dernières années révèlent une perspective à court terme, qui suscite de réels défis pour le gouvernement à venir.

Il devrait être clair qu’avec la suppression des fonds au budget de la défense, la SDCA de 2008 n’est plus une stratégie valide. Le gouvernement aurait bien fait de cesser d’y faire référence dès lors que le financement en ait été réduit de 490 milliards de dollars à 453 soit un écart de 37 milliards qui ne cessera de grandir avec le temps. D’autres questions ont également un impact sur la capacité financière. Les délais d’acquisition doivent être pris en compte par la stratégie d’acquisition en matière de défense – le mot stratégie étant un peu utilisé à cor et à cri ces jours-ci – mais l’ironie c’est que la réduction des délais par la SAMD va prendre un certain temps à se réaliser. De nombreux rapports gouvernementaux ont été rédigés sur les possibilités de faire des économies dans la défense, mais on ne sait pas grand-chose du résultat de ces études et le public ne peut évaluer la nature des progrès réalisés. C’est le cas par exemple des recommandations du rapport sur la transformation dont, apparemment, 35% ont été mis en œuvre, 30% rejetés et 35% faisant encore l’objet d’un examen. Mais on ne sait pas quel sort a été réservé aux recommandations individuelles. La SNACN que l’on a beaucoup vanté, va rebâtir notre base industrielle maritime et on s’attend à ce que dès cet été le travail commence sur le premier navire NPEA. Mais le véritable potentiel de la SNACN demeurera latent jusqu’à ce que les navires soient construits sur les deux côtes.

Tout optimisme devrait être modéré. La réalité c’est que nous entamons une période de déclin continu des capacités des FAC, avec moins de formation et moins d’impacts, avec en conséquence une influence réduite sur la scène mondiale et une contribution affaiblie à notre propre sécurité intérieure et internationale. Si seulement en échange d’une masse critique moindre nous pourrions au moins avoir plus d’effet. Mais c’est là que le refus apparent du gouvernement d’envisager des ajustements à la taille de nos forces entre en jeu dans la mesure où des FAC à hauteur de 68 000 semblent agir comme un obstacle à des idées novatrices.

La trajectoire actuelle du financement de la défense pourrait mener à une force réduite, victime peut-être de coupures imposées aux capacités au hasard, sans logique, davantage au gré de leur détérioration plutôt qu’à partir d’une décision stratégique raisonnée. Il est absolument essentiel de mener une réflexion complète, indépendante, et transparente. Mais une telle réflexion doit porter sur tous nos instruments d’influence, pas seulement la défense, d’où notre « appel annuel » à un examen de la politique étrangère, commerciale, d’aide et de sécurité de même que de la politique de défense.

D’ici aux élections y a-t-il quelque chose que le gouvernement devrait faire? L’enquête Ipsos et d’autres démontrent que les questions de défense ne sont pas très importantes pour les Canadiens. Ils sont heureux que la guerre en Afghanistan soit terminée et que nos troupes s’y soient bien conduites. Ils sont beaucoup plus préoccupés du traitement réservé aux anciens combattants. L’enquête Ipsos démontre que ce qui compte vraiment pour les Canadiens, c’est l’appui que les forces armées peuvent donner face à des catastrophes naturelles ou causées par l’homme, comme les inondations de la rivière Bow à Calgary et de la rivière Rouge à Winnipeg. En même temps, la réponse aux événements en Ukraine a été endossée par la communauté canado-ukrainienne et par les Canadiens en général. L’OTAN a aussi une bonne cote par ce qu’elle reflète la solidarité et l’engagement. La révulsion contre l’État islamique a été un sentiment général et, pour l’instant, la stratégie du gouvernement est gagnante, mais le débat à la Chambre des Communes sur l’expédition de nos troupes et de nos avions en Irak n’a pas été resplendissant, c’est le moins qu’on puisse dire. Avec tout cela, il y a de fortes chances que les Canadiens ne se rendent pas compte que leurs capacités de défense sont en train de diminuer et que d’ici à 2025 elles seront passablement plus faibles, à moins d’investissement.

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Les conséquences doivent être portées à l’attention des Canadiens. En effet, bien que cela ne soit pas une question importante lors des élections, cela ne signifie pas que les Canadiens ne veulent pas des forces armées qui soient efficaces; mais les convaincre que nous sommes sur une mauvaise voie exigera que les partis politiques se saisissent de la question. Il pourrait y avoir un peu d’espoir à cet égard. Les problèmes du dossier acquisition ont attiré l’attention d’un certain public mieux informé. La SAMD a fait l’objet d’un certain tapage de la part du gouvernement tout comme les progrès de la SNACN, notamment pour ce qui est du contrat des NPEA. Les Canadiens sont contents quand on parle de «fabriqué au Canada ». En fait, si la décision sur les avions chasseurs n’avait pas été reportée, on parlerait beaucoup aujourd’hui des bénéfices industriels liés à l’acquisition d’un nouveau chasseur tactique. Mais il ne faut pas oublier la tendance pacifiste bien informée du NPD qui bénéficie d’une bonne écoute parmi une partie de l’électorat canadien. Le porte-parole pour la défense du NPD est l’un des députés les mieux informés sur la question et fait preuve d’un véritable sens de responsabilité envers les FAC. Les Libéraux peuvent revendiquer le fait que l’initiative d’une refonte de nos capacités militaires s’est produite sous l’égide du Premier ministre Martin. Les questions liées aux anciens combattants occuperont une bonne place dans les débats. L’absence de transparence de la part du gouvernement, de façon générale, et plus spécifiquement sur les questions de défense, sera également un sujet de débat – peu de gens ont oublié la saga du F-35. Les dépenses de défense sont une épée à double tranchant car si les coupures au budget de la défense passent bien, il n’en reste pas moins qu’il y a une responsabilité fondamentale pour le gouvernement d’assurer la sécurité des Canadiens aujourd’hui, et de laisser à ses successeurs des institutions nationales, comme les FAC, en bon état. Cela exige à la fois ouverture et engagement.

Il appartient à des institutions comme l’institut de la CAD, le Canadian Defence and Foreign Affairs Institute, l’Institut McDonald Laurier, le Conseil International Canadien, etc. d’évoquer ces questions, sans partisannerie, en mettant l’accent sur les aspects suivants et en espérant qu’il soit repris lors des débats électoraux.

Recommendations

A) Exigences globales: Un appel au gouvernement d’entreprendre un examen global de la politique étrangère,

commerciale, de développement et de défense de façon à présenter une vision unifiée du rôle duCanada dans le monde et des exigences, dans leur intégralité, pour la mettre en œuvre;

Une stratégie nationale de sécurité devrait également être élaborée;

B) Recommandations en matière de défense: Un appel au gouvernement à ce que la composante de politique de défense (éventuellement un

Livre blanc) de l’examen général comprenne:1. La production d’un plan d’investissement à long terme y compris une stratégie d’acquisition

pleinement financée et l’accélération de la mise en œuvre de la SAMD;2. L’élaboration d’une revue des études antérieures sur le renouvellement de la défense et la

transformation;3. La mise sur pied d’un programme de rationalisation des infrastructures et des bases de la

défense; 4. L’élaboration d’un cadre pour l’expansion de la Réserve et une meilleure utilisation des

talents des réservistes dans des spécialités nouvelles et, si les fonds le permettent, faire ensorte qu’un petit nombre de réservistes atteignent le même niveau de formation etd’entraînement que la force régulière pour permettre un déploiement rapide, dans l’espritdu rapport de 2011 du comité permanent du Sénat sur la sécurité nationale et la défense -«Répondre à l'appel - le rôle de la Première Réserve du Canada dans l'avenir » et des étudessubséquentes.

C) Recommandations liées à la défense: Une invitation au gouvernement à élaborer une politique générale sur les renseignements, la

cybersécurité, le cyberterrorisme, sous la direction du Centre de la sécurité destélécommunications Canada, en accordant une attention toute particulière à l’infrastructure decybersécurité du MDN, conformément au rapport du vérificateur général; et

Une invitation au gouvernement à fournir plus de clarté sur la prolongation des opérations contrela l’État islamique.

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NOTES 1 Bien que je sois le principal auteur de Perspectives stratégiques, ce texte a bénéficié d’un certain nombre de contributions écrites et orales tant de la part de membres du Conseil de l’Institut de la CAD et d’autres généreux chercheurs. Je tiens à citer tout particulièrement Drew Robertson pour avoir accepté de passer des heures sur le document en projet. Mes remerciements s’adressent également à Don Macnamara, Marc Lessard, Al Howard, John Scott Cowan, Doug Bland, Eric Lerhe, George Petrolekas, David McDonough, et bien entendu Dave Perry pour son travail remarquable. J’ai souvent ajusté et incorporé leurs idées dans le document. Ils s’y retrouveront mais j’espère qu’ils me pardonneront toute erreur ou interprétation erronée qui demeurerait. Bien entendu, Richard Evraire mérite aussi ma reconnaissance pour l’extraordinaire travail de révision dans les deux langues officielles. 2 Brendan O'Neill, “I'm sorry, but we have to talk about the barbarism of modern Islamist terrorism,” The Telegraph, 14 December 2014. 3 Robert Fowler, “Half measures in fight against Islamic State will only make matters worse,” Globe & Mail, 10 October 2014. 4 “The Birth of a New Century,” Foreign Policy, November-December 2014, p. 54. 5 “Income Inequality,” Conference Board of Canada, http://www.conferenceboard.ca/hcp/details/society/income-inequality.aspx 6 “How 5 countries could become 14,” New York Times, 28 September 2013, http://www.nytimes.com/interactive/2013/09/29/sunday-review/how-5-countries-could-become-14.html?ref=sunday&_r=2& 7 Comme me l’a suggéré Doug Bland dans une discussion privée 8 Hal Newman, “Global | Epidemiological Update: Outbreak of Ebola Virus Disease in West Africa,” Big Medicine, 30 April 2014, http://bigmedicine.ca/wordpress/2014/04/global-epidemiological-update-outbreak-of-ebola-virus-disease-in-west-africa/#sthash.zO0VQrho.dpbs 9 Voir Ferry de Kerckhove, “Multilateralism on Trial,” in Alan Alexandroff, ed., Can the World Be Governed (Wilfrid Laurier University Press, 2008). 10 Ferry de Kerckhove and George Petrolekas, “Canada as an Energy Superpower: Myths and Realities,” 17 October 2014, http://www.gmfus.org/archives/canada-as-an-energy-superpower/ 11 Voir David H. Petraeus and Robert B. Zoellick, North America Time for a New Focus, Council on Foreign Relations, Independent Task Force Report, No. 71, 2014. 12 Voir Kimberley Marten, Columbia University Professor, “Why Sanctions Against Russia Might Backfire,” The World Post, 21 August 2014, http://www.huffingtonpost.com/kimberly-marten/why-sanctions-against-rus_b_5696038.html 13 Les préoccupations à cet égard découlent du prix et de la durée de construction du pont au-dessus du détroit de la Baie Taman. 14 “Entrevue avec Henry Kissinger: 'Do We Achieve World Order Through Chaos or Insight?'” Der Spiegel, 13 November 2014, http://www.spiegel.de/international/world/interview-with-henry-kissinger-on-state-of-global-politics-a-1002073.html 15 Drew Robertson, projet de texte sur “China and Russia: an inflection point in Great Power Relations,” Automne 2014. 16 Discours du President Putin à la Douma, 18 mars 2014. 17 http://www.nato.int/cps/en/natohq/opinions_115315.htm 2 décembre, 2014 18 Point de vue de l’ancien ambassadeur du Canada à Moscou , Ralph Lysyshyn. L’ancien Premier ministre de Russie, Mikhail Kasyanov, prédit une chute vertigineuse de l’économie russe et de ses réserves dans les années qui suivent, ce qui pourrait obliger M. Poutine à changer de cap. (Conférence à l’Université d’Ottawa, 24 novembre 2014). 19 Table ronde de l’Institut de la CAD, 24 novembre 2014, Ottawa. 20 La Biélorussie finit par céder aux pressions de la Russie et en vint à reconnaître que la Crimée faisait maintenant partie de la Russie mais Loukachenko a indiqué qu’il s’agissait d’un “mauvais précédent” et continue à refuser de reconnaître l’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud. Pour sa part, le Kazakhstan, avec sa forte population russe dans le nord, est resté muet. 21 Poutine, idem. 22 Voir Jill Aitoro ,“Defense Lacks Doctrine to Guide It Through Cyberwarfare,” Nextgov, 13 September 2010, http://www.nextgov.com/defense/2010/09/defense-lacks-doctrine-to-guide-it-through-cyberwarfare/47575/

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23 Dmitri Trenin, “Welcome to Cold War II,” Foreign Policy, 4 March 2014 24 Cette section emprunte d’un texte non publié par l’Amiral(ret) Drew Robertson, “China and Russia: an inflection point in Great Power Relations.” 25 Idem. 26 Présentation par le Professeur Geoffrey Till’: “The Naval Rebalance to the Pacific,” Maritime Security Challenges Conference, Victoria, 6-9 October 2014. 27 La clé du succès serait l’efficacité des capacités anti-accès (A2) et interdiction de zone au cours de la prochaine décennie. Voir David S. McDonough, “America’s Pivot to the Pacific: Selective Primacy, Operation Access, and China’s A2/AD Challenge”, Calgary Paper in Military and Strategic Studies, No. 7, 2013 28 Till, idem. 29 La ligne de neuf tirets réclamées par la Corée et la Chine,” http://en.wikipedia.org/wiki/Nine-dotted_line#mediaviewer/File:9_dotted_line.png 30 Tirées d’une présentation par le Professeur Claude Comtois on “Container Trade and Pacific Rim Security,” Maritime Security Challenges 2014 Conference, Victoria, 6-9 October 2014 31 Bien que pas parfaitement exact, le Guardian publie un réseau d’interactions dans le Moyen-Orient de David McCandless, montrant comment il défie toute solution possible. Voir “Friends and enemies in the Middle East. Who is connected to whom? – interactive,” 24 September 2014, http://www.theguardian.com/news/datablog/ng-interactive/2014/sep/24/friends-and-enemies-in-the-middle-east-who-is-connected-to-who-interactive 32 George Petrolekas et Ferry de Kerckhove, “How to turn a scorched-earth Gaza into a path to peace,” Globe & Mail, 25 July 2014, http://www.theglobeandmail.com/globe-debate/how-to-turn-a-scorched-earth-gaza-into-a-path-to-peace/article19767286/ 33 Le 17 décembre, le Parlement européen a adopté une résolution appuyant en principe la reconnaissance de l’État palestinien dans le contexte des pourparlers de paix avec Israël. Le vote a été de 498-88 avec 111 abstentions. 34 Idem. 35 Max Hastings, “ I’ve always loved Israel but this brutality breaks my heart,” Daily Mail, 24 July 2014, http://www.dailymail.co.uk/debate/article-2703531/MAX-HASTINGS-Ive-loved-Israel-brutality-breaks-heart.html 36 Aaron David Miller, “Why the U.S. and Israel are split over the Iran deal,” CNN, 10 November 2013, http://www.cnn.com/2013/11/10/opinion/miller-iran-us-israel-negotiations/index.html?iphoneemail 37 Anthony Cordesman, “Assessing a Deal or Non-deal with Iran: The Critical Issue of Iran’s Progress in Weapons Research, Development, and Production Capability,” Center for Strategic and International Studies, 24 novembre 2014, http://csis.org/publication/assessing-deal-or-non-deal-iran 38 Idem. 39 IAEA report GOV/2014/58, 7 November 2014, http://isis-online.org/uploads/isis-reports/documents/gov- 2014-58.pdf 40 Barbara Slavin, “IAEA report on past Iranian nuke research may hamstring deal,” Al-Monitor, 5 September 2014, http://www.al-monitor.com/pulse/originals/2014/09/iran-nuclear-talks-iaea-weapons-technology-enrichment-u-235.html#ixzz3Jca4AAMD 41 “Iranian Nuclear Talks,” Testimony of David Albright, President Institute for Science and International Security (ISIS) before the Terrorism, Nonproliferation, and Trade Subcommittee, Committee on Foreign Affairs, U.S. House of Representatives, 18 November 2014, http://isis-online.org/conferences/detail/testimony-of-david-albright-before-house-subcommittee/ 42 David J. Rothkopf, “The Threat and Promise of the fracturing of the Middle East,” Foreign Policy, 20 August 2014. 43 Voir George Petrolekas and Howard Coombs, “Kobani: A Metaphor for the Contradictions Facing the West,” The National Interest, 16 October 2014, http://nationalinterest.org/blog/the-buzz/avoiding-the-long-war-redux-11429 44 Idem. 45 Comme Avigdor Liberman a essayé de l’expliquer: “This is the first time that the moderate Arab world understands and internalizes the fact that its real threat is not the Jews, not Zionism and not Israel, but the Muslim Brotherhood and Jabhat al-

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Nusra and Hamas and the Islamic State and al-Qaeda and all the terrorist factions of the different denominations over the generations.” Al-Monitor, 3 December 2014. 46 Paul Berman, Terror and Liberalism, New York, Norton, 2003, p. 153. 47 Conférence à Ottawa le 2 décembre 2014. 48 Ahmed Rashid, “ISIS: What the US Doesn’t Understand,” New York Review of Books, 2 December 2014. 49 In Jacob Siegel, “Has ISIS Peaked as a Military Power?” The Daily Beast, 22 October 2014. 50 Rami Khouri, “Obama’s dangerous embrace of war,” Cairo Review of Global Affairs, 4 December 2014. 51 Idem. 52 Henry Kissinger, World Order, New York: Penguin Press, 2014, p. 23. 53 Introduction a `Perspectives stratégiques du Canada 2012, Institut de la Conférence des Associations de Défence, 2012. 54 Kathryn White, “Canadian perceptions of the United Nations,” in John Trent, ed., The United Nations and Canada, World Federalists, 2014, pp. 42-43. “In a study of polling results, Roland Paris identified ‘some attitudinal shifts’ among Canadians, but found that ‘a closer examination reveals that Canadians continue to perceive their country’s foreign policy role through predominantly liberal internationalist lenses.’” Cité dans “After half a century of liberal internationalism, Tories have forged a new foreign policy myth,” National Post, 2 January 2015, http://www.24news.ca/the-news/canada-news/79305-after-half-a-century-of-liberal-internationalism-tories-have-forged-a-new-foreign-policy-myth 55 John Ibbitson, “The Big Break –the Conservative Transformation of Canada’s Foreign Policy,” CIGI Papers, No. 29, April 2014. 56 Derek Burney et Fen Osler Hampson, Brave New Canada: Meeting the Challenge of a Changing World, McGill-Queen’s University Press, 2014. 57 “Secret Document Details New Canadian Foreign Policy,” CBC News, 19 November 2012, http://www.huffingtonpost.ca/2012/11/19/canada-foreign-policy-harper-asian-china-secret_n_2162199.html 58 Discours à Beijing, 9 novembre 2014. 59 Par exemple, le 12 juillet 2014: “Le Canada rejette les critiques injustifiées formulées par la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, Mme Navi Pillay, concernant la réponse d’Israël aux attaques à la roquette en provenance de Gaza. Les commentaires de Mme Pillay prenant pour cible Israël ne sont pas utiles et ne brossent pas un portait exact de la situation ». 60 Gwynne Dyer, “‘Global’ Terrorism,” http://gwynnedyer.com/2014/global-terrorism/ 61 Peter Jones, “Who Will Make the Middle East’s New Map?” CIPS Blog, 29 October 2014, http://cips.uottawa.ca/who-will-make-the-middle-easts-new-map/#sthash.sD7eW0MB.dpuf 62 Doug Bland, communication privée, 8 décembre 2014. 63 Je suis reconnaissant envers Don Macnamara pour sa contribution à cette section 64 Philippe Lagassé, “Nils Orvik's 'defence against help': the descriptive appeal of a prescriptive strategy,” International Journal, Vol. 65, No. 2, March 2010. 65 Voir Ann Fitz-Gerald and Don Macnamara, “Comprehensive Security requires comprehensive structures – how comprehensive can we get?” SSWG Paper (CDFAI-CIC), March 2012. 66 Cité dans un débat entre Fen Hampson et Lloyd Axworthy in “Canadian Foreign Policy,” CBC Radio, 14 February 2014, https://www.cigionline.org/articles/2014/02/canadian-foreign-policy 67 David Jones, “Canada’s military: With little support, a new decade of darkness looms,” Yahoo News, 17 January 2013, https://ca.news.yahoo.com/blogs/davidvsdavid/canada-military-little-support-decade-darkness-looms-145259507.html 68 John Ivison, “Crimea crisis forcing Harper to rethink NATO, Arctic defence,” National Post, 17 March 2014, http://fullcomment.nationalpost.com/2014/03/17/john-ivison-crimea-crisis-forcing-harper-to-rethink-nato-arctic-defence/ 69 George Petrolekas and David Perry, “The Canadian Forces’ good (and bad and ugly) year ahead,” National Post, 6 January 2015, http://news.nationalpost.com/2015/01/06/petrolekas-perry-the-canadian-forces-good-and-bad-and-ugly-year-ahead/ 70 2013 Fall Report of the Auditor General of Canada, http://www.oag-bvg.gc.ca/internet/English/parl_oag_201311_03_e_38797.html#hd3a.

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71 Robert Burroughs, “Canada’s Quest for New Submarines,” Vimy Paper, Conference of Defence Associations Institute, 2015. 72 Source: National Shipbuilding Procurement Strategy Secretariat and official documents used for planning purposes, effective 2010. 73 Engagés vers l’Avant: La Stratégie de l’Armée The Army Strategy, 3ème édition, Ministère de la Défense nationale, 2014, http://publications.gc.ca/collections/collection_2014/mdn-dnd/D2-335-2014-fra.pdf 74 Dans l’esprit du Programme canadien de leadership national, http://sevenyearproject.com/images/Board-REPORT-2011final.pdf 75 Communication privée avec George Petrolekas. 76 Cette section a bénéficié de contributions multiples de Don Macnamara et de Richard Shimooka; voir leur “From First Principles – The Need for a Fighter-Capable Air Force,” Canadian Military Journal, Autumn 2014, http://www.journal.dnd.ca/vol14/no4/page40-eng.asp 77 Idem. 78 Rapport sommaire - Évaluation des options de remplacement de la flotte de CF-18, Le 10 décembre 2014, http://www.tpsgc-pwgsc.gc.ca/app-acq/stamgp-lamsmp/eorfcf18-eorcf18ff-fra.html 79 Derek H. Burney et Fen Osler Hampson, “Breaking out of our North American cocoon,” National Post, 14 August 2014, https://www.cigionline.org/articles/derek-h-burney-and-fen-osler-hampson-breaking-out-of-our-north-american-cocoon 80 Greg Weston, “Secret document details new Canadian foreign policy,” CBC News, 19 November 2012, http://www.cbc.ca/news/politics/secret-document-details-new-canadian-foreign-policy-1.1152385 81 Cette section a bénéficié énormément des travaux de David Perry 82 Voir Elinor Sloan, ”Something has to give: why delays are the new reality of Canada’s defence procurement strategy,” CDFAI October 2014, http://www.policyschool.ucalgary.ca/sites/default/files/research/sloan-defenceacquis-cdfi.pdf 83 Pour plus de details, voir Paul Harris et al., “Canadian Small Arms Demonstration Project,” May 2008, http://www.dtic.mil/ndia/2008Intl/Pageau.pdf 84 Dave Perry, “The Growing gap between defence ends and means: the disconnect between Canada First Defence Strategy and the Current Defence Budget,” Vimy Paper, No. 19, CDA Institute, June 2014; David Perry, “Putting the ‘Armed’ Back Into the Canadian Armed Forces: Improving Defence Procurement in Canada,” Vimy Paper, No. 21, CDA Institute and MacDonald-Laurier Institute, January 2015. 85 Novembre 2014. Avec l’aimable permission du Dr. Darrell Bricker, PDG, Ipsos Global Public Affairs. M. Bricker présentera lui-même les résultats lors de la Conférence d’Ottawa 2015 sur la Sécurité et la Défence de la CAD et de l’Institut de la CAD.

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