universite paris 7 – denis diderot

630
UNIVERSITE PARIS 7 – DENIS DIDEROT UFR DE MATHEMATIQUES Ecole doctorale "Savoirs scientifiques : épistémologie, histoire des sciences et didactique des disciplines" THESE Pour l’obtention du diplôme de Docteur de L’UNIVERSITE PARIS 7 Spécialité : DIDACTIQUE DES MATHEMATIQUES Présentée et soutenue publiquement le 15 novembre 2006 par Abdulkadir ERDOGAN LE DIAGNOSTIC DE LAIDE A LETUDE, EN MATHEMATIQUES Analyse didactique des difficultés relatives à l'algèbre et aux fonctions en Seconde Directeurs de thèse : M. Pierre DUCHET et M. Alain MERCIER Membres du Jury Mme Michèle ARTIGUE, Professeur, Université Paris 7 Présidente du jury M. Yves CHEVALLARD, Professeur, IUFM d’Aix Marseille Rapporteur M. Pierre DUCHET, Directeur de Recherche, CNRS Directeur de thèse M. Alain MERCIER, Professeur, INRP Directeur de thèse M. Gérard SENSEVY, Professeur, IUFM de Bretagne Examinateur M. Carl WINSLØW, Professeur, Université de Copenhague Rapporteur

Upload: ngonhu

Post on 05-Jan-2017

238 views

Category:

Documents


4 download

TRANSCRIPT

  • UNIVERSITE PARIS 7 DENIS DIDEROT

    UFR DE MATHEMATIQUES

    Ecole doctorale "Savoirs scientifiques : pistmologie, histoire des sciences et

    didactique des disciplines"

    THESE

    Pour lobtention du diplme de

    Docteur de LUNIVERSITE PARIS 7

    Spcialit : DIDACTIQUE DES MATHEMATIQUES

    Prsente et soutenue publiquement le 15 novembre 2006 par

    Abdulkadir ERDOGAN

    LLEE DDIIAAGGNNOOSSTTIICC DDEE LLAAIIDDEE AA LLEETTUUDDEE,, EENN MMAATTHHEEMMAATTIIQQUUEESS

    AAnnaallyyssee ddiiddaaccttiiqquuee ddeess ddiiffffiiccuullttss rreellaattiivveess ll''aallggbbrree eett

    aauuxx ffoonnccttiioonnss eenn SSeeccoonnddee

    Directeurs de thse : M. Pierre DUCHET et M. Alain MERCIER

    Membres du Jury

    Mme Michle ARTIGUE, Professeur, Universit Paris 7 Prsidente du jury

    M. Yves CHEVALLARD, Professeur, IUFM dAix Marseille Rapporteur

    M. Pierre DUCHET, Directeur de Recherche, CNRS Directeur de thse

    M. Alain MERCIER, Professeur, INRP Directeur de thse

    M. Grard SENSEVY, Professeur, IUFM de Bretagne Examinateur

    M. Carl WINSLW, Professeur, Universit de Copenhague Rapporteur

  • la mmoire de mon grand-pre

    la personne qui ma tant marqu et de qui jai tant appris

  • REMERCIEMENTS

    Lorsquun tel travail est achev, il est difficile de remercier avec des mots justes toutes les personnes qui ont contribu son dification et dexprimer sa reconnaissance toutes celles sans qui ce travail naurait jamais pu aboutir.

    Ainsi, ma plus vive reconnaissance va dabord M. Pierre DUCHET et M. Alain MERCIER. En acceptant dencadrer ce travail et en me soutenant tout au long de ces annes, ils ont normment contribu laboutissement de ce projet, et jou un rle extraordinaire dans ma formation, chacun sa manire, dans ce que cette thse ma permis de devenir aujourdhui, chercheur en didactique des mathmatiques.

    Je remercie dabord Pierre qui ma beaucoup marqu avec sa passion pour les mathmatiques et pour la recherche. Chaque rencontre avec lui a t pour moi loccasion de dcouvrir de nouvelles ides, dapprendre de nouvelles choses. Je lui suis normment reconnaissant de mavoir donn le got de la recherche et de la rigueur, et ceci toujours avec comprhension, patience et dans une relation damiti profonde.

    Mon aventure dans cette voie a commenc avec Alain. A peine les pieds poss sur le sol franais, jai pu profiter pleinement de ses comptences, de ses expriences professionnelles et de ses qualits humaines. Je le remercie pour ses encouragements, son soutien sincre, ses conseils dont javais fort besoin au dbut de cette aventure et aux moments difficiles de cette thse o limpression que rien ne va commence peser lourdement.

    Toute ma gratitude va galement M. Yves CHEVALLARD et M. Carl WINSLOW qui ont voulu rapporter cette thse, en sacrifiant gnreusement leur tche une priode estivale. Je les remercie pour leurs remarques claires et constructives.

    Je remercie vivement Mme Michle ARTIGUE et M. Grard SENSEVY pour leur participation au jury, en apportant divers regards mon travail.

    Je remercie tous les enseignants qui mont chaleureusement accueilli dans leurs classes pendant plusieurs mois et tous les lves qui ont contribu la ralisation de ce projet avec leur collaboration sympathique.

    Jadresse ma sincre reconnaissance aux responsables de lquipe DIDIREM qui ont accept de maccueillir, et qui ont gnreusement mis ma disposition tous les moyens ncessaires pour mes recherches. Je remercie galement les chercheurs de cette quipe pour leurs soutiens et leurs conseils, les thsards de lquipe des jeunes chercheurs (anciens et nouveaux) pour les moments de rencontre scientifique et amicale, enfin le personnel qui y est rattach pour leur gentillesse et leur efficacit.

    Je remercie galement le laboratoire Combinatoire & Optimisation qui a assur financirement une partie de mes recherches.

    Je remercie tous les doctorants (anciens et nouveaux) du bureau 5B01 pour des moments passs

  • ensemble avec tant de rires, danecdotes et de rcits imaginaires...

    Un grand merci tous mes amis qui mont toujours soutenu et avec qui jai eu tant partager : Hizir, Feridun, Hasan, quipe des six, Oktay, Blent(s), Ibrahim La liste est longue, que les oublis me pardonnent.

    Je souhaite enfin exprimer ma plus profonde gratitude et mes remerciements ma famille.

    A mes parents dabord qui mont tout donn,

    A mes frres et mes surs qui, au-del dtre toujours ses cts et courir sans cesse ses besoins, ont du galement subir les caprices de leur petit frre (cest vrai que parfois je navais pas tort !)

    A ma belle famille dont le soutien ne nous a jamais manqu,

    Enfin ma petite famille "Emelihim", ma femme et mon fils, quant eux mes sentiments sont partags ! Je les remercie du fond du cur pour tout ce quils ont reprsent pour moi dans cette aventure, mais je sais que je dois aussi mexcuser pour tout ce que je nai pas su reprsenter pour eux, surtout dans laffolement de ces derniers temps. Pas besoin davantage de mots, je sais que, encore une fois, ma femme me comprendra et mon fils, tu verras, on aura encore tant de choses vivre ensemble et je te transmettrai la flamme que mon pre et mon grand-pre ont mise lintrieur de moi

  • 7

    TABLE DES MATIERES

    INTRODUCTION ................................................................................................................... 13

    PREMIERE PARTIE

    PRESENTATION DU PROBLEME ET ELABORATION DUN CADRE DIDACTIQUE APPROPRIE ........................................................................................................................... 19

    Introduction ............................................................................................................................ 21

    CHAPITRE 1. Etude et aide ltude.................................................................................. 23 I. Sur le terme "tude" ................................................................................................................................. 23 II. La notion dtude dans lapproche anthropologique............................................................................... 25 III. Etude travers le phnomne de transposition didactique et les contraintes temporelles de lenseignement............................................................................................................................................. 28 IV. Etude dans les dveloppements rcents de lapproche anthropologique............................................... 31

    IV.1. Le modle praxologique de ltude.............................................................................................. 33 IV.2. Les moments de ltude et la notion de topos................................................................................ 34

    V. Retour sur la notion dtude autonome................................................................................................... 37 VI. Dautres travaux didactiques relatifs ltude ...................................................................................... 39 VII. Conclusion ........................................................................................................................................... 40

    CHAPITRE 2. Gense dune problmatique ...................................................................... 41 I. Les forums de questions mathmatiques et le besoin daide ltude dont ils tmoignent ..................... 41 II. Le fonctionnement didactique des forums de questions mathmatiques ................................................ 42 III. Laide apporte sur les forums : quelle marge de manuvre ? ............................................................. 43 IV. Des attentes affrentes ltude............................................................................................................ 44

    IV.1. Question pose par un lve de Seconde ....................................................................................... 44 IV.2. Question pose par un lve de DEUG ......................................................................................... 47 IV.3. Une conclusion intermdiaire ........................................................................................................ 49

    V. La dimension pistmique de ltude autonome : notion de site mathmatique..................................... 49 VI. Conclusion ............................................................................................................................................ 51

    CHAPITRE 3. Problmatique et cadre gnral du travail ................................................ 53 I. Retour sur la problmatique ..................................................................................................................... 53 II. Une mise au point thorique ................................................................................................................... 54 III. Le site mathmatique comme fil conducteur dune analyse pour un diagnostic ................................... 55 IV. Le cadre exprimental du travail ........................................................................................................... 57

    IV.1. La dmarche de recherche ............................................................................................................. 58 IV.2. Les variables tudies.................................................................................................................... 58

  • 8

    IV.3. La mise en place de la dmarche exprimentale............................................................................ 59 IV.4. La population concerne................................................................................................................ 62 IV.5. Mthodologie................................................................................................................................. 63

    DEUXIEME PARTIE

    LE SITE ALGEBRIQUE-FONCTIONNEL ET SON ECOLOGIE SCOLAIRE ................ 65

    Introduction ............................................................................................................................ 67

    CHAPITRE 4. Elements de repre pour ltude du site algbrique-fonctionnel ............. 71 I. Un aperu historique du site algbrique-fonctionnel ............................................................................... 71

    I.1. Des quations algbriques lalgbre moderne : le langage algbrique, les nombres et les polynmes............................................................................................................................................... 72 I.2. Lalgbre et la gomtrie : les courbes gomtriques....................................................................... 74 I.3. Le concept de fonction ..................................................................................................................... 75

    II. Retour sur le site algbrique-fonctionnel relatif la classe de Seconde ................................................. 78 III. Une premire structuration du site algbrique-fonctionnel ................................................................... 80 IV. Quelques remarques complmentaires relatives au site algbrique-fonctionnel ................................... 82

    IV.1. Les faits marquants du site algbrique-fonctionnel ....................................................................... 82 IV.2. Les travaux didactiques relatifs au site algbrique-fonctionnel..................................................... 84

    CHAPITRE 5. Ecologie du site algbrique-fonctionnel au niveau du Collge................. 85 I. Etude des programmes officiels ............................................................................................................... 86

    I.1. Les nombres ..................................................................................................................................... 87 I.2. Les expressions algbriques ............................................................................................................. 88 I.3. Le concept dquation ...................................................................................................................... 89 I.4. Les concepts dordre et inquation................................................................................................... 90 I.5. Les concepts de fonction et de variation........................................................................................... 91 I.6. Conclusion de lanalyse des programmes du Collge ...................................................................... 94

    II. Etude des manuels scolaires ................................................................................................................... 95 II.1. Les concept dquation et dexpression algbrique......................................................................... 96 II.2. Les concepts dordre et dinquation ............................................................................................ 100 II.3. Les concepts de fonction et de variation ....................................................................................... 101

    III. Conclusion de lanalyse des manuels IV. Conclusion .......................................................................................................................................... 108

    CHAPITRE 6. Le site algbrique-fonctionnel de la classe de Seconde ........................... 109 I. Les objectifs gnraux du programme de la classe de Seconde............................................................. 110 II. Le contenu denseignement .................................................................................................................. 110 III. Analyse des manuels de la classe de Seconde ..................................................................................... 115

    III.1. Analyse du manuel Dclic ........................................................................................................... 116 III.2. Quelques aspects du manuel Transmath ...................................................................................... 138

  • 9

    IV. Conclusion .......................................................................................................................................... 139

    CHAPITRE 7. Au-del de Seconde .................................................................................... 147 I. Programmes des classes de Premire et Terminale................................................................................ 147

    I.1. Programmes de Premire et Terminale ES..................................................................................... 147 I.2. Programmes de Premire et Terminale scientifique ....................................................................... 149

    II. Analyse des manuels de Premire S ..................................................................................................... 150 II.1. Le manuel Dclic .......................................................................................................................... 151 II. 2. Le manuel Transmath................................................................................................................... 153

    III. Conclusion........................................................................................................................................... 154

    Conclusion de la partie ........................................................................................................ 157

    TROISIEME PARTIE

    LES CLASSES-INSTITUTIONS :UNE CONSTRUCTION .............................................. 159

    Introduction .......................................................................................................................... 161

    CHAPITRE 8. Classe de Seconde comme une institution particulire dtude ............. 163 I. Les caractristiques principales de la classe de Seconde ....................................................................... 163 II. La nouvelle classe de Seconde.............................................................................................................. 164 III. Les dispositifs dtude de la classe de Seconde................................................................................... 169

    III.1. Lenseignement modulaire........................................................................................................... 169 III.2. Laide individualise (AI)............................................................................................................ 171 III.3. Les regards critiques sur laide individualise ............................................................................. 172

    IV. Conclusion .......................................................................................................................................... 176

    CHAPITRE 9. Les institutions observes et leurs caractristiques vis--vis de ltude 177 I. Classe de Mme Lecourt (LK)................................................................................................................. 177

    I.1. Le fonctionnement gnral de la classe et celui des diffrents dispositifs dtude......................... 180 I.2. Lorganisation et le suivi du travail personnel................................................................................ 184

    II. Classe de M. Branly (EB) ..................................................................................................................... 186 II.1. Le fonctionnement gnral de la classe et celui des diffrents dispositifs dtude ....................... 187 II.2. Lorganisation et le suivi du travail personnel .............................................................................. 188

    III. Classe de Mme Rolland (RR).............................................................................................................. 189 III.1. Le fonctionnement gnral de la classe et celui des diffrents dispositifs dtude ...................... 190 III.2. Lorganisation et le suivi du travail personnel............................................................................. 192

    IV. Conclusion .......................................................................................................................................... 194

    CHAPITRE 10. Le rapport des lves ltude en mathmatiques ............................... 197 I. Conception du questionnaire .................................................................................................................. 198 II. Analyse a priori du questionnaire......................................................................................................... 199 III. Le dpouillement et lanalyse du questionnaire................................................................................... 202

  • 10

    III.1. Les traitements croiss................................................................................................................. 203 III.2. Analyse des commentaires : les questions ouvertes..................................................................... 205 III.3. La prparation des donnes pour le traitement ............................................................................ 206

    IV. Le traitement et les rsultats ................................................................................................................ 207 IV.1. Les caractristiques gnrales de la population ........................................................................... 207 IV.2. Entre en classe de Seconde, rupture et continuit ...................................................................... 212 IV.3. Le travail mathmatique des lves en classe.............................................................................. 220 IV.4. Travail la maison ...................................................................................................................... 226

    V. Analyse diffrentielle des rapports des lves ltude ....................................................................... 229 V.1. Les reprsentations de ltude communment partages .............................................................. 229 V.2. Les reprsentations discriminantes de ltude selon les positions scolaires des lves ................ 230 V.3. Les reprsentations discriminantes de ltude suivant les classes : retour sur les institutions ...... 232

    CHAPITRE 11. Les lves particuliers et leurs dispositions dtude.............................. 233 I. Classe de Mme Lecourt : Charles et Gilles racontent leurs dispositions personnelles dtude.............. 233

    I.1. Le cas de Charles............................................................................................................................ 233 I.2. Le cas de Gilles .............................................................................................................................. 237

    II. Ce que dclarent les lves de M. Branly ............................................................................................. 240 II.1. Le cas de Magali ........................................................................................................................... 240 II.2. Le cas dAurlie ............................................................................................................................ 241 II.3. To, Sabrina et Rva : diffrents profils dlve, diffrents rapport ltude .............................. 243

    III. Rbecca, Faza et Laora : les lves de Mme Rolland......................................................................... 245 IV. Conclusion........................................................................................................................................... 251

    Conclusion de la partie ........................................................................................................ 253

    QUATRIEME PARTIE

    ETUDE ET AIDE A LETUDE :TRAVAIL DES ELEVES ET DU PROFESSEUR AUTOUR DU CONTROLE .................................................................................................. 257

    Introduction .......................................................................................................................... 259 I. Les trois dimensions de lvaluation scolaire des connaissances........................................................... 259 II. Le contrle en tant que moment dtude autonome particulier............................................................. 261

    CHAPITRE 12. Etude et aide ltude dans la classe de Mme Lecourt ........................ 263 I. Le contrle relatif au site algbrique-fonctionnel dans la classe de Mme Lecourt ................................ 263 II. Analyse du sujet du contrle................................................................................................................. 265 III. Analyse a priori des exercices proposs ............................................................................................. 266

    III.1. Etude du sens de variation de la fonction f(x)=4-(2x-8) sur lintervalle [+;4[ .................... 268 III.2. Les quations et inquations du premier exercice........................................................................ 276 III.3. Les inquations du quatrime exercice ........................................................................................ 279 III.4. Lexercice 2 portant sur la recherche de laire minimale dun paralllogramme......................... 280

  • 11

    III.5. Lexercice 3 portant sur la construction du graphe dune fonction vrifiant certaines proprits 281 III.6. Conclusion de lanalyse a priori du sujet du contrle ................................................................. 282

    IV. Analyse des copies des lves............................................................................................................. 283 IV.1. Barme du contrle...................................................................................................................... 283 IV.2. Le taux de russite des lves...................................................................................................... 283 IV.3. Les erreurs des lves concernant ltude du sens de variation ................................................... 284 IV.4. Les productions des lves concernant les quations et inquations ........................................... 288 IV.5. Les productions des lves concernant le deuxime exercice ..................................................... 290

    V. Les productions des lves selon les positions scolaires ...................................................................... 291 V.1. Le cas des bons lves .................................................................................................................. 291 V.2. Lautre extrmit de la chane : les lves faibles......................................................................... 297 V.3. Le cas des lves moyens.............................................................................................................. 299 V.4. Conclusion de lanalyse des productions des lves ..................................................................... 302

    VI. Lanalyse de la sance consacre la correction du contrle ............................................................. 303 VI.1.Le droulement de la sance......................................................................................................... 304 VI.2. Correction de la question du sens de variation ............................................................................ 305 VI.3. Correction des quations et inquations du premier exercice...................................................... 309 VI.4. Correction du deuxime exercice ................................................................................................ 311 VI.5. Correction du quatrime exercice ................................................................................................ 312 VI.6. Conclusion de lanalyse de la sance de correction..................................................................... 313

    VII. Analyse des sances denseignement prcdant le contrle .............................................................. 314 VII.1. Les sances denseignement de Mme Lecourt relatives au site algbrique-fonctionnel ............ 314 VII.2. Le travail de llve, le travail du professeur et une distinction formelle des topos................... 316 VII.3. Les sances denseignement, leurs objectifs et leur articulation ................................................ 317

    VIII. Les trois sances denseignement relatives lintroduction de ltude du sens de variation et la rsolution dquations et inquations fonctionnelles................................................................................. 324

    VIII.1. La prsentation des sances ...................................................................................................... 324 VIII.2. Le cours du mardi 04 /03- 1er exercice sur le sens de variation ................................................ 325 VIII.3. Le cours du jeudi 06/03- 2me exercice sur le sens de variation et la rsolution dquations -inquations............................................................................................................................................ 331

    VIII.4. Le cours du vendredi 07/03, 3me exercice sur le sens de variation et la rsolution dquations -inquations............................................................................................................................................ 339 VIII.5. Conclusion de lanalyse des sances prcdant le contrle....................................................... 345

    IX. Conclusion .......................................................................................................................................... 345

    CHAPITRE 13. Etude et aide ltude dans la classe de M. Branly .............................. 349 I. Les contrles relatifs au site algbrique-fonctionnel dans la classe de M. Branly ................................. 349

    I.1. Le sujet du premier contrle........................................................................................................... 349 I.2. Analyse du sujet du contrle .......................................................................................................... 350 I.3. Analyse des copies des lves ........................................................................................................ 351

    II. Le deuxime contrle relatif au site algbrique-fonctionnel................................................................. 355

  • 12

    II.1. Analyse des exercices proposs .................................................................................................... 356 II.2. Analyse des copies des lves....................................................................................................... 358 II.3. Conclusion de lanalyse des contrles et des copies des lves .................................................... 360

    III. Les sances denseignement de M. Branly relatives au site algbrique-fonctionnel ........................... 361 III.1. Prsentation de lenseignement dispens ..................................................................................... 361 III.2. Les sances denseignement, leurs objectifs et leur articulation.................................................. 363 III.3. Analyse de la sance de module du 19/03/03 portant sur les fonctions et la rsolution dquations et inquations ........................................................................................................................................ 368

    IV. Conclusion .......................................................................................................................................... 373

    CONCLUSION GENERALE ............................................................................................... 375 I. Le mouvement de la thse...................................................................................................................... 377 II. Une synthse des rsultats des diffrentes parties................................................................................. 381 III. Rsultats saillants de la thse : lments de diagnostic ....................................................................... 385 IV. Un mot sur les articulations thoriques ............................................................................................... 387 V. Des pistes pour une aide ltude efficace........................................................................................... 390 VI. Nos perspectives de recherche............................................................................................................. 394

    BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................ 395

    ANNEXES ............................................................................................................................. 403 ANNEXE 1. Programmes Officiels.............................................................................................. 407

    ANNEXE 2. Entretiens avec les professeurs............................................................................... 427

    ANNEXE 3. Questionnaire des lves ......................................................................................... 451 ANNEXE 4.Entretien avec les lves........................................................................................... 469

    ANNEXE 5. Les sances denseignement de Mme Lecourt ...................................................... 511

    ANNEXE 6. Les copies de contrle des lves de Mme Lecourt............................................... 565

    ANNEXE 7. Les sances denseignement de M. Branly ............................................................ 585 ANNEXE 8. Les sances denseignement de Mme Rolland ...................................................... 625

  • INTRODUCTION

  • Si nous pouvons considrer lenseignement comme une tche minemment cooprative entre le professeur et les lves, une grande partie des apprentissages relve du territoire individuel et priv des lves, qui doivent chercher s'enseigner c'est--dire tudier, pour apprendre. Usuellement appele travail personnel et souvent identifie au travail en dehors de lcole, cette partie du travail des lves se trouve lorigine des phnomnes didactiques qui prennent aujourdhui une importance particulire. Les textes officiels attribuent diverses fonctions ce travail et insistent sur son importance dans la ralisation des apprentissages viss par lcole. Par ailleurs, nous assistons depuis une quinzaine dannes la mise en place de nouveaux dispositifs denseignement (Enseignement modulaire, Travaux personnels encadrs, Aide individualise) dont les objectifs sont trs divers, allant de la lutte contre lchec scolaire, en passant par la rduction des taux de redoublements ou la russite aux examens, jusqu lacquisition dune certaine autonomie chez les lves. Et pourtant, ni les insistances permanentes des textes officiels, ni larrive de ces nouveaux dispositifs ne semblent rien arranger, si ce nest le contraire : le Haut Conseil de lvaluation de lcole (HCEE) a communiqu, en mai 2005, un rapport intitul le travail des lves pour lcole, en dehors de lcole . Mme si le rapport avait pour objectif de faire un tat des connaissances sur les tches relatives au travail scolaire des lves en dehors de lcole et sur lefficacit de ces tches en fonction des rsultats et des progrs scolaires, il a attir lattention par ses rsultats relatifs lvolution du systme de cours particuliers. Les journaux se sont vite empars de ces rsultats, avant mme que le rapport ne soit rendu public1 : en se nourrissant de langoisse des parents, dune comptition scolaire accrue et de lincapacit de lcole, le march du soutien scolaire serait en train de muter. Il ne sagirait plus dun phnomne relatif une partie aise de la population, ni dun certain niveau dge dans les tudes, ni seulement des enfants en difficult mais dsormais le soutien scolaire couvrirait tout le parcours scolaire, de la maternelle aux tudes suprieures. Le march du soutien scolaire priv - vhicul notamment par la possibilit dune rduction dimpts - aurait gagn du terrain depuis une dizaine dannes, avec une croissance annuelle de plus de 40% pour certaines fondations et plus de

    1 Voir par exemple, Libration, dition du 27 avril 2005, et Le Monde, dition du 30 avril 2005.

  • Introduction

    16

    100% en un an pour certaines dautres, au point que lon puisse qualifier cette croissance dune expansion spectaculaire selon lexpression du sociologue Dominique Glasman, lauteur de ce rapport.

    Pourtant, ces rsultats nauraient pas d surprendre la plupart des acteurs du systme denseignement (professeurs, parents, corps dinspection) parce quils mettent en vidence un phnomne assez connu de tous. Mais c'est un phnomne devant lequel tous semblent se trouver dsarms : le travail la charge des lves leur pose des problmes srieux et ces problmes semblent tmoigner d'un dysfonctionnement de lcole. Cela engendre un besoin daccompagnement et daide pour de nombreux lves, un besoin dont nous avions dj observ la manifestation massive travers les questions poses par les lves sur les forums mathmatiques sur Internet (Erdogan, 2001).

    Les causes de ce phnomne pourraient tre multiples et peuvent faire lobjet de plusieurs hypothses. On peut par exemple considrer que les lves de notre poque ne travaillent pas assez ou quils ont perdu il y a longtemps le got du travail, de linvestissement personnel, et que lcole continue de nier cette ralit - comme le laisse entendre le rapport - parce quelle ne peut pas faire autrement.

    Or, dans ltat actuel de la recherche on connat trs peu de choses sur ces points. Si les symptmes sont connus, leur interprtation et leur origine restent problmatiques. Autrement dit, labsence des lments fiables pour un diagnostic fait problme.

    Mettre en avant quelques travaux en Sciences de lEducation, qui posent la question au dtour des problmatiques assez larges (rythme scolaire, mthode de travail, conditions matrielles, familiales et sociales), et souvent sans prendre en compte les spcificits disciplinaires, semble apporter trs peu de rponses ces questions.

    Quant la didactique, en consacrant la plus grande partie de son nergie lidentification et la modlisation des phnomnes lis la scne officielle des apprentissages, elle semble avoir peu explor le travail la charge des lves, encore moins les questions qui laccompagnent. Des questions dont la plupart sont pourtant souleves depuis 15 ans (cf. Mercier, 1992).

    Partant donc de l'hypothse que le travail la charge des lves pose des problmes spcifiquement didactiques, et du constat que la question daide ce travail savre problmatique, nous sommes amen engager une recherche approfondie sur la nature prcise de ce travail, sur ses enjeux et sur les conditions de son fonctionnement. Notre thse aborde ces questions avec l'intention de dgager des lments de diagnostic appropris.

    Un tel objectif a des consquences importantes, tant sur le plan thorique que sur le plan exprimental et il convient ici de prciser des choix faits et des dlimitations effectues.

    En considrant la finalit de tout acte denseignement comme lacquisition par les lves dune connaissance spcifique dont il vise faciliter et organiser laccs, nous utilisons le terme tude autonome pour dsigner la part autonome de travail qui revient la charge des lves. Il va de soi que le seul cadre du travail la maison ne couvrira pas cette vision, puisque ltude autonome

  • Introduction

    A. ERDOGAN 17

    sinscrit dans la ralit du temps dapprentissage et traverse la sparation des lieux dtude : travail en classe, travail la maison.

    Que lon ne sy trompe pas, cette notion dtude autonome ne renvoie pas une posture autodidactique de l'lve mais nomme un mode ncessaire de son activit qui non seulement accompagne toute action d'enseignement mais qui, nous le montrerons, est largement influenc par les choix didactiques oprs dans la classe.

    Notre thse porte sur la classe de Seconde, une classe charnire tant sur le plan des contenus denseignement que sur celui des enjeux de la scolarit, et elle se centre sur la partie algbrique et fonctionnelle du programme.

    En mettant en uvre un systme dinterprtation, en analysant une multitude de donnes relatives quatre classes de Seconde (textes officiels, manuels scolaires, observations des sances denseignement, copies dlves, questionnaire, entretiens individuels des lves et des professeurs) et en faisant interagir les rsultats de ces diffrentes donnes, la thse cherche aboutir des lments de diagnostic pour repenser les situations didactiques dtude et pour imaginer ce que pourrait tre une aide efficace ltude.

    Le travail sorganise autour de quatre grandes parties divises en plusieurs chapitres.

    La premire partie s'attache dlimiter et clarifier notre problmatique. Pour ce faire, elle propose une lecture des travaux existants dans le domaine didactique, notamment celle de lapproche anthropologique comme la thorie qui propose un modle explicite dtude et daide ltude. Les questions souleves lors de cette lecture et les notions convoques (contrat didactique, moments de ltude, topos de llve) dbouchent sur une dfinition approfondie de la notion dtude autonome et sur la ncessit d'articuler une dimension pistmique cette notion, une articulation dont le fondement est labor partir de nos recherches antrieures (Erdogan, 2001). Nous introduisons alors une notion importante, celle de site mathmatique (Duchet & Erdogan, 2005), notion partir de laquelle nous pouvons recentrer notre problmatique et reformuler nos hypothses de recherche.

    Un site mathmatique dsignant la structure organise des objets mathmatiques et des relations parmi ces objets, une structure se prsentant comme rfrence indispensable de ltude autonome, il parait ainsi ncessaire que lon soccupe non seulement de llve qui tudie les mathmatiques, mais aussi des mathmatiques quil est appel tudier, des conditions et des contraintes qui simposent lui travers les mathmatiques. La deuxime partie a donc pour objectif de mettre en vidence le site algbrique-fonctionnel comme un domaine dtude et danalyser son cologie scolaire - de la classe de Sixime jusquen classe de Terminale - dont les rsultats nous permettent danticiper grandement les difficults que les lves de la classe de Seconde peuvent rencontrer lors de leur tude autonome et celles que le professeur peut rencontrer lors de lorganisation de cette tude.

    La classe est linstitution didactique principale dans laquelle se dfinit toute activit dtude autonome, se mettent en place les trajectoires possibles pour ltude des uvres particulires. La troisime partie

  • Introduction

    18

    cherche dabord repenser cette institution - classe de Seconde, en dgageant ses caractristiques particulires vis--vis de ltude autonome. Nous y tudions ensuite le rapport ltude de ses sujets (professeur- lves) et des moyens que les lves semblent avoir leur disposition pour tudier et ceux dont dispose le professeur pour les aider tudier.

    Le domaine dtude mathmatique tant restitu pour ltude, les caractristiques de la classe de Seconde vis--vis de ltude, ainsi que celles des classes observes tant identifies, la quatrime partie analyse - travers des situations dtude autonome, notamment celle du contrle en classe qui vient clore lenseignement du chapitre en question - les difficults rellement rencontres par les lves et leur prise en charge par le professeur, tout en mettant l'preuve le systme dinterprtation labor au cours des trois premires parties.

    La thse met tout dabord en vidence des problmes lis au contenu du curriculum et son organisation qui sopposent au bon fonctionnement de ltude autonome. Nous avons en effet identifi un certain nombre de contraintes de ce type qui dterminent les choix du professeur qui cherche organiser cette tude comme ceux des lves qui ont occuper leur topos. Nous montrons que ce topos est dtermin dans le site par l'ensemble de ce que le professeur ne prend pas en charge, parfois volontairement parce qu'il leur dsigne ainsi l'enjeu officiel de son enseignement, mais trs souvent involontairement parce que ces objets n'appartiennent pas au site de la classe bien qu'ils appartiennent au topos d'une tude autonome relative aux enjeux officiellement dsigns.

    Ces problmes se trouvent renforcs par la position des uns et des autres vis--vis de ltude autonome. Plus prcisment, si ltude autonome est considre par tous les acteurs du systme denseignement comme la cl de la russite des apprentissages viss, la thse met en vidence des phonmes dignorance relatifs sa profondeur pistmique.

  • 19

    PREMIERE PARTIE

    PRESENTATION DU PROBLEME ET ELABORATION DUN CADRE DIDACTIQUE

    APPROPRIE

    Introduction

    Chapitre 1. ETUDE ET AIDE A LETUDE

    Chapitre 2. GENESE DUNE PROBLEMATIQUE

    Chapitre 3. PROBLEMATIQUE ET CADRE GENERAL DU TRAVAIL

  • 21

    INTRODUCTION

    Sil nexiste ce jour aucune convention sur la notion pour nommer le travail la charge des lves, nous avons dabord convenu de lappeler tude (en mathmatiques) qui est une notion sans doute trop large pour assurer le sens que nous attribuons ce travail. Cependant, dun point de vue tymologique et pistmologique elle savre une notion pertinente. Elle trouve ses origines aussi bien dans la culture que dans la recherche. Cest pourquoi, nous allons dabord tenter de prciser cette notion en tant que dmarche intellectuelle dun individu apprenant. Nous en ferons usage jusqu ce quapparaissent les notions ncessaires, dans le cadre didactique appropri, pour qualifier ce travail dtude autonome (des lves en mathmatiques), notion qui englobe la fois lide dun travail que les lves doivent mener en mode autonome pour assurer les apprentissages et le sens ci-dessus de ltude.

    Lusage du mot tude et de ladjectif autonome nest donc pas arbitraire mais relve de la tentative dlaborer une approche spcifique pour le travail la charge des lves. cet effet, aprs avoir examin le sens primitif de la notion dtude, nous allons faire une lecture des travaux didactiques qui se sont intresss ltude autonome des lves et aux questions qui lui sont relatives. Nous allons en particulier faire un long dtour lapproche anthropologique, car ds son origine jusquaux travaux les plus rcents, la notion dtude y est omniprsente. Nous allons chercher mieux saisir le sens de cette notion en tant que notion didactique et nous allons essayer de voir quel point les outils fournis par cette approche nous permettent de traiter les questions que nous nous posons autour du problme du diagnostic de laide ltude.

    Aprs avoir revu la notion dtude autonome la lumire des notions appropries, nous allons nous arrter sur notre mmoire de DEA afin de mieux cerner les questions qui se trouvent lorigine de notre thse. En effet, si les forums tmoignent dun besoin daccompagnement et daide ltude fortement ressenti par de nombreux lves, les conditions de satisfaction de ce besoin dpasse largement le cadre des forums et posent des problmes didactiques difficiles. Nous illustrons ce phnomne par quelques situations dtude qui posent problme et nous aboutissons la ncessit darticuler une dimension pistmique ltude autonome. Cette dimension apparat indispensable partir du moment o ltude autonome suppose non pas un rapport aux objets du contrat didactique mais la construction dun rapport aux objets mathmatiques dont lensemble fonctionne comme une structure porteuse de sens et devient la rfrence de lactivit de llve. Cette dimension de ltude

  • 22

    autonome est laxe principal de notre travail et nous labordons travers la notion de site mathmatique. Cette notion nous permet non seulement dadopter un point de vue thorique sur ltude, mais aussi de formuler des hypothses de recherche et concevoir une analyse didactique relative aux difficults de ltude autonome.

    La partie se termine par les prcisions relatives notre dmarche exprimentale, la manire dont nous pensons nous approcher de la ralit de ltude autonome.

  • A. ERDOGAN 23

    CHAPITRE 1

    ETUDE ET AIDE A LETUDE

    I. Sur le terme "tude"

    Une premire acception du mot "tude" en franais est lacception tymologique : le mot studium en latin signifie avoir attachement pour - zle, soin, application, attention, got - avoir lapplication desprit .

    Selon lexplication donne par le dictionnaire2, il y a tude lorsquil y a application mthodique de lesprit cherchant apprendre et comprendre. Etudier, cest chercher comprendre par un examen. Les mots analyser, examiner, observer sont donns titre de synonyme du mot tudier.

    Cest une dfinition sans doute assez large et elle couvre aussi bien tout un domaine de recherche que le domaine denseignement. Mais nous pouvons dj dterminer partir de cette dfinition certaines caractristiques de la notion dtude en ce qui concerne la didactique :

    Le mot comprendre se trouve dans cette dfinition comme action attendue dune personne en position dtudiant, montrant sur quoi lintention dtudier ou ltude devrait se centrer. Si pour un lve, en tant que sujet pistmique, le but de toute activit mathmatique est dapprendre quelque chose de lordre du savoir mathmatique, comprendre est laction qui se trouve lorigine de toute nouvelle tentative dapprendre.

    En commentant une pense de Goethe titre dexemple, Bachelard marque la diffrence entre le rationalisme et lempirisme :

    Quand lenfant commence comprendre quun point invisible doit prcder le point visible, que le plus court chemin dun point un autre est conu comme une droite avant mme quon la trace

    2 Le Petit Robert, Dictionnaire alphabtique et analogie de la langue franaise, Edition 2000

  • Premire Partie Problmatique et Mthodologie

    24

    sur le papier, il en prouve un certain orgueil, une certaine satisfaction. Cet orgueil correspond prcisment la promotion intellectuelle qui fait passer lenfant de lempirisme au rationalisme. Au lieu de constater, lenfant saperoit quil comprend. Il vit une mutation philosophique. [Bachelard, 1949, p.13]

    Une deuxime chose que lon peut tirer de cette dfinition est que ltude rfre la rflexion, leffort de pense. Elle soppose la simple pratique et la routine. Par consquent, elle savre coteuse en temps et en effort.

    Ces deux points de vue sur ltude en impliquent un troisime : dans les cas avancs, laction de comprendre et de rflchir amnera une attitude de recherche dexplication et didentification des causes, attitude essentielle pour une dmarche mathmatique. Cest par exemple cette recherche des causes qui semble avoir constitu les fondements de la science grecque entre les VIme et Vme sicles avant notre re. Quil sagisse dastronomie, de mathmatiques, de mdecine, dhistoire ou de philosophie, une pense tourne vers la recherche des causes au moyen des preuves est considre aujourdhui comme le fondement et la caractristique de la science grecque. La revue Sciences Humaines, dans le numro consacr lhistoire et la philosophie des sciences note cette spcificit de la manire suivante3 :

    Ce qui marque justement loriginalit des Grecs rside en ceci : on passe de la connaissance des faits la recherche des causes, de la matrise de certains savoirs la dmonstration rigoureuse de leur validit. Et cela sobserve dans tous les domaines du savoir : lastronomie, les mathmatiques, la mdecine, lhistoire, et bien sur la philosophie. Hrodote, le premier historien, ne se content pas de raconter les guerres entre Grecs et Barbares, il en recherche les raisons : [] Hippocrate de Cos, celui que lon considre comme le pre de la mdecine occidentale, ne se contente pas dtablir des listes de maladies, den rpertorier les symptmes, il propose pour une premire fois une tiologie (recherche des causes) de la maladie.

    En mathmatiques, la recherche des causes prend la forme de la dmonstration. Alors que les Babyloniens connaissaient les proprits des angles, des cercles les Grecs, eux, veulent prouver. Toute lentreprise des Elments dEuclide se distingue de la simple collection des dcouvertes gomtriques (des Babyloniens) en ce que son auteur veut dmontrer chacune des propositions.

    Sans identifier ici un lycen au chercheur - mathmaticien, ni supposer de sa part une quelconque autodidaxie, nous pouvons souligner que ltude, dans son acception gnrale, rfre une conduite et une posture particulire vis--vis de son objectif, identifi - nous reviendrons sur ce point- au savoir.

    La question de ltude, prsente ici en termes les plus gnraux, devient une question didactique lorsquon laborde du point de vue de la ncessit et de lefficacit de ltude pour les apprentissages viss, en loccurrence les apprentissages mathmatiques. Ds lors, considrant lenseignement comme une tche minemment cooprative entre professeur et lves et lactivit dtude comme le travail dont la charge revient llve, nous sommes amen des interrogations de nature proprement

    3 La revue Sciences Humaines hors srie de la priode dcembre 2000/janvier-fevrier 2001, (extrait de larticle "Y-a-t-il eu un miracle grec ?" du rdacteur en chef Jean-Franois Dortier, p.7)

  • Chapitre 1 Etude et aide ltude

    A. ERDOGAN 25

    didactique :

    - Quel est le rle de lactivit dtude dans le processus didactique ?

    - Comment peut-on dfinir une notion dtude ?

    - O, et quand, se ralise lactivit dtude ?

    - quelles conditions lefficacit de ltude peut-elle tre garantie ?

    Alors que les trois premires questions supposent un examen du processus didactique lui-mme, c'est--dire un examen centr sur les modes dacquisition et de transmission des savoirs, la dernire nous conduit nous intresser des situations dtude particulires, en analyser les enjeux et les contraintes dans le but dvaluer leur efficacit. Pour pouvoir apporter quelques pistes, au moins aux premires questions, il nous parat ncessaire dtudier comment lactivit dtude sinsre dans le processus didactique. Lapproche anthropologique constitue un premier pas pour nous dans cette direction.

    II. La notion dtude dans lapproche anthropologique

    Etude nest pas une notion nouvelle pour ceux qui sintressent lenseignement bien que le sens que chacun attribue cette notion soit diffrent suivant les points de vue et selon la position occupe dans la socit : certains vont la considrer comme le travail propre de llve alors que dautres vont plutt la voir comme le produit dune activit collective. Ainsi, le point de vue dun sociologue et celui dun didacticien sur cette notion diffreraient dans leurs problmatiques ainsi que dans leurs discours.

    Bachelard, quand il traitait de llve rationnel il y a plus dun demi-sicle, dfinissait laction du sujet rationnel comme laction dun esprit sappliquant sur soi-mme :

    Dune manire gnrale, il y a culture dans la proportion o slimine la contingence du savoir ; mais cette limination, jamais complte, nest mme jamais dfinitive. Elle doit tre sans cesse reffectue. Au fond, le dnombrement cartsien a deux fonctions : garder les connaissances et maintenir leur ordre jusqu ce que la conscience dordre soit assez claire pour que lordre des connaissances rappelle les connaissances. Cest l prcisment, dans lintimit du sujet, un acte du rationalisme appliqu, lacte utile dun esprit qui sapplique sur soi-mme. La conscience rationnelle du savoir survole la conscience empirique. Elle fixe litinraire le plus court, le plus instructif. [Bachelard, 1949, p.14]

    Et selon lui, llve qui tudie, repassant la composition du savoir, compose son propre tre :

    Ltre qui veut apprendre repasse la composition du savoir. Sil examine ce savoir repass dans ses profondeurs mtaphysiques, il a bientt la curieuse impression de repasser une sorte de composition de son propre tre ou plus exactement encore de composer son tre mme dans les belles formes de la pense rationnelle. Cest alors que ltre est tre de connaissance , cest alors seulement quil a effac le psychologisme et quil a accd au normativisme [ibid. p.15]

  • Premire Partie Problmatique et Mthodologie

    26

    Dans le domaine de la didactique des mathmatiques franaise, la notion dtude prend ses premires formulations avec un texte de Y. Chevallard (1988a), non publi, datant de prs de vingt ans maintenant. La notion semble mise entre parenthses jusqu (Chevallard, 1995) o cette notion sinflchit et devient partie intgrante de lapproche anthropologique.

    Dans le premier texte, il montre dabord les places que vont venir occuper, dans le systme denseignement, lapprenant, ltudiant et lenseign (llve). Au sens strict des termes, un apprenant cest quelquun qui apprend. Un tudiant cest quelquun qui tudie. Une premire distinction faite par Chevallard concerne alors les positions institutionnelles de ltude et de lapprentissage : ltude est une conduite visible, appartenant la sphre publique; lapprentissage est tout dabord un travail de lordre du priv. Autrement dit, ltude est quelque chose que lon peut voir alors que lon peut seulement imaginer et - la limite - valuer lapprentissage. Chevallard remarque ainsi que ltude rfre au rle officiellement dsign llve dans le systme denseignement : lorsquune personne vient assister un tel procs en tant qulve, elle se transforme en tudiant .

    Une deuxime distinction vient alors marquer les positions respectives de ltudiant et de llve dans le processus didactique : lenseign (llve) est le sujet sur lequel porte toute action didactique tandis que ltudiant est le sujet agissant. Il ragit lenseignement en produisant un certain type dactions. Chevallard note ainsi quen parlant de lenseign, nous voquons le professeur, les conditions ou les contraintes venant simposer llve par le professeur. Par contre, en mentionnant ltudiant, nous nous rfrons plus ses ractions potentielles et sa rponse, aux conditions et aux contraintes de son action.

    Considrant ltude comme action didactique principale de llve en position dtudiant, cette dmarcation entre la position de lenseign et celle de ltudiant conduit Chevallard une affirmation forte sur lenseignement et lapprentissage : Enseigner cest crer un ensemble de conditions que lon croit favorable lapprentissage, tudier cest exploiter ces conditions pour apprendre. 4

    Un enseignement qui nassigne pas llve une position dtudiant ne saurait alors tre efficace. Ce que Chevallard explique de manire remarquable. Le foss entre enseign et apprenant, poursuit-il, est marqu par la place que va venir occuper ltudiant, en dautres termes, ltude est le chanon manquant entre lenseignement et lapprentissage. (cf. Chevallard, Bosch et Gascon, 1997)

    Cette prise de position propos de lenseignement et de lapprentissage implique en effet des questions trs diverses que lauteur ne manque pas de souligner :

    Quest-ce quun bon ensemble de conditions [pour ltude] ? Que signifie exploiter [ces conditions] pour apprendre ? Ou encore, quelle est la nature des conditions cres ? Comment peut- on les dcrire ?

    Il sagit de questions majeures dont la comprhension est ncessaire pour la problmatique de ltude.

    4 Original en anglais. Les traductions sont de lauteur.

  • Chapitre 1 Etude et aide ltude

    A. ERDOGAN 27

    Une rponse gnrale se construit autour de la notion de contrat didactique. Le contrat dsigne des tches effectuer, indique des moyens et outils daction et suggre des pistes pour leur mise en uvre. Sur ce point, Chevallard affirme que cest en sinvestissant dans la situation que ltudiant sempare du contrat didactique, celui-ci devenant alors lappareil de rgulation dont la finalit est le contrle des situations didactiques par ltudiant.

    Mais les rponses apportes ces questions par Chevallard ne se limitent pas au contrat didactique. Dans le mme texte de 1988a, il va en outre sattacher dcrire le fonctionnement du savoir dans le systme didactique afin de cerner les modes de son acquisition par ltudiant. Nous allons revenir sur ce point dans la section suivante.

    Dans le deuxime texte (Chevallard, 1995), aprs avoir introduit la notion de praxologie comme un lment essentiel de son approche, lauteur identifie le dprissement de ltude5 comme un phnomne caractristique de lcole du XXme sicle. Il identifie ce dprissement car il avait dj montr que la progression temporelle de lenseignement impose dune part une action denseignement, suffisant assurer lapprentissage et dautre part le travail permanent de lidonit6 du rapport personnel de chaque lve un rapport institutionnel changeant, travail ncessitant une action propre de llve, cest--dire ltude. Ce point mrite dtre dvelopp et nous allons le faire travers une lecture de la transposition didactique et de lorganisation temporelle de lenseignement.

    5 Dans le premier temps (au XVII sicle), ltude apparat comme institution didactique principale. Lessentiel de lenseignement tait compos du devoir crit que llve rdigeait en tude . En consquence, Chevallard nous explique en mentionnant le travail de Mayeur (1981) et Prost (1968) que le cours proprement dit noccupait quune place forte rduite. La classe ntait quun lieu de rendez-vous entre deux sances en tude . Le cours hebdomadaire qui ne durait que quelques heures, durant lequel le professeur contrlait le travail donn la sortie de la sance prcdente que les lves devaient faire la maison, seuls ou surveills et il donnait le nouveau travail.

    Dans un deuxime temps qui va de 1880 1902, le cours magistral occupe une place prpondrante dans lorganisation scolaire de ltude. Le cours ntait plus un lieu de rendez-vous entre deux sances de travail en tude mais la sortie du cours magistral, llve tait cens avoir t prpar ltude de la matire.

    Pourtant cette fonction du professeur ne saura rsister la monte des besoins en tude et une nouvelle re souvrira vers les milieux des annes 1980. Lindpendance didactique que lon peut supposer chez les lves dun systme scolarisant de rares lites, la masse dune classe dge ne saurait y atteindre note Chevallard. Ainsi apparat donc, dans un troisime temps une autre fiction qui exige que, au sortir de la classe, llve ait compris - et mme, matrise effectivement - la matire enseigne ! Le temps pass en classe devait donc dsormais constituer lessentiel des gestes de ltude. 6 Dans ltude dune question, on dirait que lorganisation propose fait apparatre certains objets pertinents la construction dun rapport personnel un objet sensible relativement une position. Cest--dire quelle fait apparatre des objets tels que le rapport institutionnel cet objet sensible prsuppose certaines proprits des rapports institutionnels ces objets. Dans le cas o ces exigences sont satisfaites on dit que les rapports personnels (dun lve) ces objets sont idoines au rapport institutionnel lobjet sensible. Et cest ce fait de rendre son rapport idoine un objet sensible qui est appel le travail de lidonit (cf. Chevallard, 1988b).

  • Premire Partie Problmatique et Mthodologie

    28

    III. Etude travers le phnomne de transposition didactique et les contraintes temporelles de lenseignement

    Le fonctionnement de lcole moderne semble avoir mis en place deux phnomnes didactiques insparables. Le premier est celui de lorganisation temporelle de lenseignement, le second est le processus de transposition didactique, tous les deux donnant lieu plusieurs travaux de recherche depuis maintenant plus de quinze ans, notamment dans le cadre de lapproche anthropologique7.

    Comme le reformulaient encore une fois, dans un travail rcent, Mercier et ses co-auteurs (Mercier et al., 2005), une grande partie du processus de transposition didactique peut se rsumer comme la mise en texte du savoir sous la forme dune succession des chapitres ordonns, de manire ce quil puisse tre enseign officiellement. Le processus de transposition didactique est ensuite poursuivi par le professeur en classe dont la tche principale est de donner un contexte aux objets du savoir, en les rorganisant par rapport ce qui est dcrit dans le programme et dans les manuels. Llve, son tour, est invit aborder les questions et les problmes qui lui sont prsents pour apprendre les connaissances vises.

    Ce processus de transposition didactique relve, certes, des contraintes trs diverses comme la lgitimation du contenu denseignement par un savoir de rfrence. Mais comme le montre clairement Chevallard et Mercier (1987) dans ltude portant sur la formation du temps didactique, le temps savre tre la contrainte principale du systme denseignement. La dure dune anne scolaire, dun cours de mathmatiques est, par exemple, une contrainte impose lenseignement. Mais ceci ne signifie pas une contrainte venue de lextrieur, ni mme totalement ngative, notent ainsi les auteurs. Selon les mmes auteurs, le phnomne de temporalit relve du fait que chaque systme produit son propre temps, engendre une temporalit spcifique et ce temps est mesur en mesurant ce que le systme produit. Ainsi le temps de lcole est mesur par la progression dans le savoir, dans lavancement du texte du savoir qui constitue la lgitimit de lcole vis--vis de la socit.

    Cette progression dans le savoir enseign est marque par lintroduction successive des diffrents objets denseignement qui vont dlguer aux connaissances prcdemment introduites en classe le statut de connaissances anciennes, sans forcment que celles-ci soient anciennes, ni totalement acquises par les lves. Par ailleurs, cette introduction des nouvelles connaissances ne signifie pas une rupture avec les anciennes mais au contraire, lavancement du cours va en effet montrer quelles sont, dune certaine manire, la suite des anciennes. Ceci amne une sorte de dialectique ancien-nouveau entre les connaissances prcdemment enseignes et celles qui viennent dtre introduites. Cette dialectique ancien-nouveau assure une organisation du savoir enseign, par lenchanement des chapitres, de faon avoir du sens dans la mesure o il va permettre de rsoudre certains

    7 Pour ne citer que les prcurseurs, nous pouvons penser en particulier luvre de Chevallard (1985) sur la transposition didactique, la brochure de lIREM de Marseille sur la formation du temps didactique (Chevallard & Mercier, 1987) et la thse de Mercier (1992).

  • Chapitre 1 Etude et aide ltude

    A. ERDOGAN 29

    problmes.

    Lorganisation et la conduite en classe de la dialectique ancien-nouveau, soulignent les auteurs (Chevallard & Mercier, 1987), sont normalement sous la responsabilit du professeur. Car, il ne dispose pas seulement dune somme de connaissances suprieure celle des lves, mais il sait aussi avant eux comment les objets se combinent les uns avec les autres. Il dispose dun pouvoir danticipation et de dcision sur le caractre ancien-nouveau des objets. Par consquent, comme le notent Johsua et Dupin (1993), les lves et le professeur constituent deux registres pistmologiques diffrents. Un est responsable dorganiser et dexposer le savoir, les autres sont responsables de construire leurs rapports au savoir partir des situations qui leur sont proposes. Suivant Mercier et al. (2005), ce rapport asymtrique entre le professeur et les lves vis--vis du savoir conduit la notion du temps didactique dans lequel le professeur joue deux rles simultans : il doit dune part assurer lavance visible du temps didactique, puisque ceci est le but institutionnel de son travail, tout en mme temps organisant cette avance de manire faciliter ltude du texte du savoir par llve. Par consquent, le temps didactique savre tre progressif et cumulatif, le notent ainsi les auteurs.

    Le temps de llve nest pas identique au temps didactique, gnr par la dialectique ancien-nouveau et gr par le professeur. Il ncessite au moins la prise en compte de deux rapports de llve au savoir, comme le prcisent les auteurs :

    Le premier est un informel et personnel rapport au savoir, qui se dveloppe lorsque llve rsout des problmes. Le second est un rapport public et formel au savoir qui est tabli dans et par les interactions sociales entre le couple dlves ou entre llve et le professeur. Lorsque ce rapport merge, il permet llve de vrifier si sa connaissance est suffisamment solide pour tre nomme, dmontre et donc partage avec dautres lves et le professeur.

    Le processus dapprentissage avance donc travers une constante interrelation dun dynamique priv et publique : le sujet entre dans un rapport avec la matire de lapprentissage travers son priv et personnel rapport au savoir. Cependant, pour pouvoir progresser, il doit socialiser cet initial rapport. En communiquant avec les autres, un rapport au savoir plus formel et public merge, un rapport social qui nest pas encore institutionnalis comme tel. La tche de linstitutionnalisation est sous la responsabilit du professeur, qui publiquement et officiellement reconnat lmergence de certains rapports au savoir comme compatible avec le savoir mathmatique vis par son enseignement.8 [Mercier et al., 2005, p.142]

    Dans le temps didactique, les objets du savoir sont cumulatifs alors que le temps dapprentissage ncessite une rorganisation du savoir dj appris pour construire le rapport idoine aux objets du savoir venant dtre enseigns. Comme le soulignent les auteurs, le temps dapprentissage est pour cette raison souvent dcrt un moment plus tard. En reprenant ltude un autre moment et en rvisant, llve doit construire son propre temps dapprentissage :

    Suivant la dfinition donne plus haut propos du personnel et informel rapport au savoir, nous pouvons dire que llve apprend en prenant des responsabilits personnelles pour les problmes

    8 Original en anglais. Les traductions sont de lauteur.

  • Premire Partie Problmatique et Mthodologie

    30

    quil est amen rsoudre. Un lve qui embarque sur la rsolution dun problme doit rorganiser the toolbox disponible pour lui. Parfois, une rorganisation plus substantielle dune discipline est requise et cest le rle de ltude qui permet llve de rviser la matire. Quand un lve tudie, rvise ses notes et reconstruit le contenu dune certaine manire, il prsente simultanment le concept de temps inhrent au processus dapprentissage. Ceci est le temps dapprentissage de llve [Ibid, p.144]

    Ce que nous appelons tude autonome des lves se caractrise donc par ce travail de reprise et de rorganisation des connaissances, autrement dit, par la production du temps dapprentissage. Elle est inhrente tout processus dacquisition des connaissances. Cependant, le processus de transposition didactique et les contraintes temporelles de lenseignement lui confrent un autre statut dans la mesure o ceux-ci conduisent un partage des responsabilits entre professeur et lves et la cration du temps et des lieux dtude :

    Les fictions institutionnelles du temps didactique sont porteuses dinjonctions didactiques bien prcises, qui renvoient laction personnelle de llve ce que lenseignement ne peut prendre en charge [Mercier, 2001, p.33]

    Il est donc inutile de dire, encore une fois, que tout ce processus est gr par le contrat didactique dont le rle principal et de designer llve ce quil y a tudier. Mais si ltude autonome est le travail personnel de llve, quel point le contrat didactique peut-il lui dsigner les objets de sa propre uvre ?

    Pour rpondre cette question, le contrat didactique doit acqurir son sens plein. En considrant ltude autonome comme la part de travail ncessaire incombant llve, nous parlerons du contrat dtude pour dsigner la composante spcifique du contrat concernant ltude. Les lments de matrise de ce contrat dtude font partie de ce quil sera convenu de nommer culture dtude.

    Depuis les premiers textes jusquaux plus rcents, cest du moins ce que montrent les travaux didactiques, sans le dire explicitement. Chevallard notait dj dans ce premier texte sur ltude (Chevallard, 1988a) que le contrat didactique doit indiquer les enjeux de la situation actuelle et les enjeux centraux du savoir prcdemment enseign. Pour aider ltudiant interprter la situation, le contrat didactique, poursuit-il, doit lui montrer clairement les enjeux en termes de connaissances enseignes, montrer la ligne de laction que peut suivre ltudiant. Partant du fait que les apprentissages dans une situation donne ne se rduisent pas au savoir enseign, Chevallard suppose en plus que ltudiant doit en outre acqurir la comprhension et la matrise de la situation comme un ensemble, ou encore connatre, par exemple, quelles connaissances on attend quil apprenne. Ceci est sans doute une position pistmique trs forte vis--vis de ltude, une position qui, si elle est valide, montre clairement linsuffisance dune interprtation restrictive en termes de contrat didactique.

    Par ailleurs, le travail de Mercier (1992) et celui de Sensevy (1998) montrent que ltude suppose une forme particulire de travail, un apprentissage qui permet non seulement la construction des connaissances par llve mais contribue aussi lavancement du temps didactique qui est sous la responsabilit du professeur.

  • Chapitre 1 Etude et aide ltude

    A. ERDOGAN 31

    Autrement dit, peine la ncessit de ltude est rendue visible par la lecture prcdente, le recours un cadre dinterprtation et des outils thoriques permettant de considrer ltude autonome dans un sens plus large que le seul cadre du contrat didactique devient indispensable. En particulier, il est ncessaire que lon soccupe, non seulement de la relation didactique, mais aussi de lenvironnement spcifique du savoir comme nous le dcrit, par exemple, la thorie des situations didactiques en termes de milieu (Brousseau, 1986). Ce questionnement sur les outils et les modles adquats pour tudier ltude autonome des lves qui constitue lobjet principal de notre thse nous amne la construction dun modle spcifique que nous allons appuyer sur les outils thoriques dj disponibles. cet effet, nous allons poursuivre la lecture de lapproche anthropologique avec les travaux plus rcents.

    IV. Etude dans les dveloppements rcents de lapproche anthropologique

    Dans les dveloppements plus rcents de lapproche anthropologique, ltude est toujours caractrise comme lacte didactique principal. Par exemple, Chevallard (1997a) note que mme si ladjectif didactique est relatif au fait denseigner, dinstruire, la figure du professeur nest pas la premire dans la didactique :

    Pourtant la configuration sociale o simpose, culturellement, la figure du professeur ne saurait tre regarde comme didactiquement premire : socialement, le didactique peut et, trs souvent, doit faire lconomie de toute figure professorale. Dans la configuration didactique la plus fondamentale, que je note S(x ;o), une personne, x, tudie quelque objet , o, qui est lenjeu didactique. Le didactique sidentifie ainsi au simple fait que quelquun (x) tudie quelque chose (o). En dautres termes, le didactique est coextensif ltude. Il y a du didactique pour autant quil y ait de ltude . Quil y ait un professeur importe peu. [Chevallard, 1997a, p.19]

    De ce point de vue, souligne Chevallard, la charge du sens retombe sur le mot tude et tudier. Suivant le sens latin du mot, tudier un objet serait alors au moins marquer lgard de cet objet une attention plus grande que ce qui est dusage. Ce sera, dune certaine faon "sarrter sur" - pour ltudier Aller au-del de la dfinition, note Chevallard, serait rpondre la question tant donn lenjeu didactique o, que peut faire x afin dtudier o ?

    Cette dfinition de ltude autour dun objet ou de lenjeu dtude permet ainsi Chevallard de formuler les systmes de collectif de ltude et daide ltude partir desquels on considre les tches de llve et du professeur :

    Suivant les dfinitions donnes par lauteur, pour mieux tudier cet objet, x peut demander laide des autres personnes. Si ces personnes, x, x",... tudient o la manire de x, et sils travaillent ensemble, il se forme alors un autre systme autodidactique S(x,x,x" ; o), autrement dit un collectif dtude, analogue au premier mais qui permet de cumuler les efforts. Mais il peut arriver quune autre personne, y, soit sollicite, non pas en tant que compagnon dtude de x, mais pour aider x tudier o,

  • Premire Partie Problmatique et Mthodologie

    32

    sans pour cela elle-mme tudier o. On dit dune telle personne quelle est un aide ltude, qui vient former avec x un systme didactique not S(x;y; o). De la mme faon, dans le cas o, X = x,x, x" la formule S(X,y,o) signifie que x,x,x" tudient o avec laide de y. Selon Chevallard, la question fondamentale lgard de y est alors de savoir que peut faire y afin daider x tudier o ? .

    Cette dfinition de ltude et de la direction de ltude se trouve nouveau dans un texte ultrieur de Chevallard (1999), mais cette fois-ci sous une forme relativement diffrente. Selon lauteur, on peut dire quil sagit dtude pour une personne ou pour un collectif de personnes, un premier niveau, lorsque devant une question pose, la rponse nest pas immdiate ou elle est dun certain degr de complexit. Mais une question fort au sens didactique, poursuit-il, comment dterminer ? , comment faire ? conduit une tude dun autre niveau. Dans ce cas, la personne interroge ou le collectif est amene (sauf y renoncer) tudier la question pose, c'est--dire crer ou produire une rponse.

    Plus loin dans le texte de 1997a, ltude est considre comme quivalente lide de faire quelque chose pour apprendre ou apprendre faire quelque chose. Deux processus bien distincts que nous dcrit Chevallard :

    Lide du didactique, lide dtude, c'est--dire, fondamentalement, lide de faire quelque chose afin dapprendre quelque chose ( savoir ) ou dapprendre faire quelque chose ( savoir-faire ), parait en fait consubstantielle aux socits humaines [Chevallard 1997a, p.240]

    La caractrisation de la didactique par la notion dtude saccentue davantage dans les travaux ultrieurs. Au dbut du texte consacr ltude des ostensifs du travail mathmatique, Bosch et Chevallard (1999) notent :

    [] Partant du constat que le didactique est partout dense dans le mathmatique, ou, en dautres termes, que lactivit mathmatique suppose toujours une activit dtude, on a propos trs rcemment de concevoir la didactique des mathmatiques comme la science de ltude et de laide ltude des (questions de) mathmatiques (Chevallard, Bosch, Gascon, 1997) [Bosch et Chevallard, 1999, p.79]

    On remarquera donc que ltude est au cur de la problmatique de lapproche anthropologique. Elle est considre comme la base de la didactique, de tout acte denseignement et dapprentissage. Cependant, les dfinitions qui sont donnes ne nous apprennent gure sur ce en quoi consiste lactivit dtude et ne nous permettent pas didentifier les conditions de son fonctionnement. Soucieuse de dvelopper un modle didactique capable danalyser, dinterprter et dorganiser les pratiques enseignantes, lapproche anthropologique semble dsormais sintresser davantage aux conditions de lorganisation de ltude par le professeur quaux conditions de ltude pour les lves. Les premires dfinitions de ltude dans les premiers textes ainsi que la tentative de dfinir les conditions de ltude en mathmatiques pour les lves semblent laisser la place des formulations beaucoup plus larges, rpondant particulirement la forme la plus commune des apprentissages scolaires. Mais ceci ne doit pas laisser penser que le savoir est considr dans cette approche comme allant de soi, sans poser problme. ce propos, Chevallard explique :

  • Chapitre 1 Etude et aide ltude

    A. ERDOGAN 33

    On a trs peu remarqu, rptons-le, combien le libre jeu des formes didactiques slectionne la matire tudie, ou, lorsque celle-ci est impose, la travaille et laltre. Paradoxalement, une pense de lcole exclusivement soucieuse des savoirs tend oublier le problme des formes didactiques appeles spcifiquement par ltude de tel ou tel type de praxologie, et par-l, sinterdit de matriser le destin scolaire des savoirs. A linverse, les pdagogues spcialistes des formes gnrales de ltude se montrent tout aussi inattentifs la spcificit des contenus de savoir, et donc aux besoins didactiques spcifiques quil sagit de satisfaire. [Chevallard, 1997b, p.60]

    Une problmatique plus formelle de ltude devait alors tre entreprise pour tudier les pratiques enseignantes et pour modliser les actions didactiques du professeur. Notamment, Chevallard (1997a) note que le rle du professeur qui se multiplie (avec par exemple la mise en place de nouveaux dispositifs denseignement) appelle concrtement une multitude de crations techniques en mme temps quune laboration technologique consistante, suppose un modle explicite de ltude et de la direction dtude, qui permet de penser efficacement lessentiel du fonctionnement didactique. [p.49]

    Il sagira donc dsormais de mettre en place ce modle, en partant des principes fondamentaux de lapproche et en introduisant des notions importantes (organisation didactique, moments dtude), qui viendront complter le modle prsent partir de la notion de praxologie. Nous prsenterons rapidement ce modle sous le nom de modle praxologique de ltude.

    IV.1. Le modle praxologique de ltude

    Lapproche anthropologique du didactique que modlise Chevallard depuis maintenant une quinzaine dannes se propose comme objectif de situer lactivit mathmatique, et donc lactivit dtude en mathmatiques, dans lensemble des activits humaines et des institutions sociales (Chevallard, 1999, p.223). Elle part de lhypothse que toute activit humaine rgulirement accomplie peut tre subsume sous un modle unique [Ibid.], modle auquel on donne le nom de praxologie ou organisation praxologique.

    Une praxologie comporte quatre composantes essentielles :

    Tche ou le type de tches : la base de la notion de praxologie se trouvent les notions de tche (t) et de type de tches (T). Ainsi, la conformit du rapport dun sujet au rapport institutionnel se traduit par la capacit pour le sujet daccomplir un type de tches fix par linstitution.

    La technique : Laccomplissement de toute tche rsulte de la mise en uvre dune technique . Une technique tant une manire de faire particulire , quelques prcisions doivent tre notes : dabord, toute technique a une limite de porte, elle russit sur une partie des tches du type T auquel elle est relative . Deuximement, une technique nest pas forcement de nature algorithmique. Enfin, les techniques changent dinstitution institution, de pays pays. Ainsi, il peut y avoir pour un mme type de taches plusieurs techniques mme si une institution donne considre souvent une technique comme la seule manire de faire. On obtient donc un systme de tches / techniques not [T/]

  • Premire Partie Problmatique et Mthodologie

    34

    La technologie : Pour pouvoir exister dans une institution, une technique doit apparatre comprhensible, lisible et justifie. On appelle technologie, un discours descriptif et justificatif des tches et des techniques.

    La thorie : Parfois la justification du discours technologique fait appel un discours de niveau suprieur, appel la thorie .

    La structure pratico-technique [T/] (savoir-faire) associe la structure technologico-thorique [/] (savoir) constitue une organisation praxologique [T///], aussi appele praxologie.

    La notion de savoir tant associe celle de praxologie, ltude sera dsormais considre comme entrer en contact avec une uvre particulire9, gnre par une tche - une question au sens fort dont la rponse appelle llaboration dune praxologie. Cest ce modle que nous appellerons dsormais le modle praxologique de ltude de lapproche anthropologique.

    On remarquera que mme si ce modle permet de penser la structure du savoir tel quil vit dans une institution donne, il ne dit rien des conditions sous lesquelles ce savoir est rencontr par les lves, ni de part de responsabilit qui leur incombe dans la construction de ces uvres. ce propos, deux notions essentielles viennent marquer le dveloppement ultrieur de la thorie, en lui donnant ainsi le caractre dtre oprationnel. La premire notion est celle de moments dtude qui permet de penser efficacement les tches du professeur, ce sur quoi sont particulirement centrs les textes plus rcents. La seconde est la notion de topos qui permet surtout de poser des questions lgard de la position que llve est cens occuper au sein de linstitution et du travail quil est appel accomplir.

    IV.2. Les moments de ltude et la notion de topos

    La place de ltude dans le processus didactique ne peut pas se dfinir sans une interrogation sur les positions occupes respectivement par les lves et le professeur dans la relation didactique et sans dfinir les rles qui leur incombent institutionnellement dans ce processus. Comme nous avons analys ci-dessus, les lves et le professeur nappartiennent pas au mme registre pistmologique. Lun est responsable de lorganisation et de lavancement du savoir dans la classe, les autres sont responsables deffectuer les gestes ncessaires lapprentissage. Cette relation asymtrique entre le professeur et les lves vis--vis du savoir constitue en effet le point de dpart pour lapproche en question qui se propose tout dabord dtudier les tches du professeur, en considrant celui-ci la fois comme organisateur et directeur de ltude conduite ou conduire par les lves. Ce point de vue,

    9 La notion duvre a ici un sens particulier : selon lauteur, une uvre est une production humaine intentionnelle visant rpondre des questions qui sont les raisons dtre de luvre. Un type de tches T est une uvre ; plus gnralement, on admettra que toute uvre sgale en tout ou partie une ou plusieurs praxologies, mme quand une telle organisation praxologique nest pas aisment identifiable, notamment parce que la prsentation usuelle des uvres tend privilgier leurs traces matrielles davantage que les pratiques que ces uvres rendent possibles" (Chevallard 1997c, sous la rubrique les uvres et les raisons dtre).

  • Chapitre 1 Etude et aide ltude

    A. ERDOGAN 35

    dsormais transparent, retrouve sa forme fondamentale avec le texte de Chevallard (1997a) dj cit, dont le titre familire et problmatique : la figure du professeur indique justement lintention de lauteur de modliser les pratiques enseignantes selon les termes de lapproche. Sa lecture approfondie nous permettra de comprendre les contraintes et les moyens du professeur dans lorganisation et dans la direction de ltude, et par l, davancer dans lidentification des conditions et contraintes de ltude pour llve.

    Dans ce texte, aprs une analyse historique de lvolution du rle du professeur qui se voit diversifi sous les injonctions institutionnelles, Chevallard tente de dfinir le rle du professeur, en identifiant tout dabord les deux grandes composantes du systme des tches professorales :

    En premire approximation, le systme des tches professorales laisse apparatre deux grandes composantes solidaires. La premire est forme des tches de conception et dorganisation de dispositif dtude, ainsi que de gestion de leur environnements (un dispositif tant la composante matrielle dune technique, par opposition sa composante gestuelle) ; la seconde, des tches daide ltude, et en particulier de direction dtude et denseignement, dont laccomplissement est appel par la mise en uvre, dans le cadre des dispositifs prcdemment mentionns, de techniques didactiques dtermines. [p.42]

    Si le premier type de tches du professeur, soit la dtermination des organisations mathmatiques10 tudier en classe, consiste dterminer les types de tches mathmatiques, les dveloppements techniques et leurs composantes technologiques/thoriques, la direction donner ltude dune organisation mathmatique dtermine suppose en effet la conduite dune transposition et dune reconstruction de cette organisation. Cest l quintervient la notion de moments dtude comme la description de la mise en place de ltude dune organisation mathmatique en classe :

    On ne saurait videmment sattendre ce quune telle construction soit univoquement dtermine. Mais on saperoit pourtant que quelque soit le cheminement de ltude, certains types de situations sont ncessairement prsents, mme sils le sont de manire trs variable, tant au plan qualitatif quau plan quantitatif. On appellera donc moments de ltude, ou moments didactiques, de tels types de situations, parce quon peut dire que, quelque soit le cheminement suivi, il arrive un moment o tel ou tel geste didactique devra tre accompli ; o, par exemple, on devra fixer les lments labors (moment dinstitutionnalisation) ; ou encore, on devra se demander ce que vaut ce qui sest construit jusque-l (moment de lvaluation) ; etc. [Chevallard, 1997a, p.45]

    Les moments de ltude se composent ainsi de 1.Moment de la (premire) rencontre avec un type de tches T, 2.Moment de lexploration du type de tches et de lmergence de la technique , 3.Moment de la construction du bloc technologico-thorique [/], 4.Moment de linstitutionnalisation. 5.Moment du travail de lorganisation mathmatique (et en particulier de la technique). 6.Moment de lvaluation.

    Chevallard souligne que les moments de ltude sont dabord une ralit organique de ltude, avant den tre une ralit chronologique. Lordre indiqu est donc arbitraire. Il prcise aussi quune bonne

    10 Une organisation mathmatique est une organisation de nature mathmatique (Chevallard 1997a, p.43).

  • Premire Partie Problmatique et Mthodologie

    36

    gestion supposerait que chacu