uniscope 610 - février 2016

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l uniscope de l’UNIL le magazine du campus Le professeur Alexandre Berney nous parle de psychiatrie de liaison, soit la collabo- ration nécessaire entre la psychiatrie et d’autres disciplines médicales dans des cas aussi divers que la maladie grave ou la dépression post-partum. (p. 6) Liaisons heureuses N° 610 / 1 er février – 28 février 2016 CAMPUS Intégrer la société dans la production scientifique (p. 8) SAVOIRS Dans l’univers du bodybuilding (p. 11) SAVOIRS Un chercheur traque la pollution (p. 15)

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Le magazine du campus de l'Université de Lausanne (UNIL).

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Page 1: Uniscope 610 - Février 2016

l uniscopede l’UNILle magaz ine du campus

Le professeur Alexandre Berney nous parle de psychiatrie de liaison, soit la collabo- ration nécessaire entre la psychiatrie et d’autres disciplines médicales dans des cas aussi divers que la maladie grave ou la dépression post-partum. (p. 6)

Liaisons heureuses

N° 610 / 1er févr ier – 28 févr ier 2016

CAMPUSIntégrer la société dans la

production scientifique (p. 8)

SAVOIRSDans l’univers

du bodybuilding (p. 11)

SAVOIRSUn chercheur traque

la pollution (p. 15)

Page 2: Uniscope 610 - Février 2016

l’uniscope n° 610 | 2016

C’EST LE NOMBRE

DE PHOTOGRAPHIES

prises pour réaliser la carte de vœux

électronique 2016 de l’UNIL.

1123

Lu dans la presse

Trois saisons. C’est le temps que

Ludovic Chazaud passera au

Théâtre La Grange de Dorigny

en qualité de résident. Le jeune

artiste mettra en scène deux

spectacles basés sur le thème de

la liberté. Le premier d’entre eux,

de Francine Zambanorédactrice en cheffe

Imaginer les lézards heureux, qui

traite de la liberté individuelle,

sera joué du 16 au 20 février.

Interview à lire en page 4.

En page 6, rencontre avec

Alexandre Berney, qui dirige au

CHUV l’unité de consultation et de

liaison au sein du service de psy-

chiatrie de liaison, dont le but est

d’intervenir auprès des confrères

d’autres spécialités dans des situa-

tions variées, notamment pour

des patients neurologiques affec-

tés par des maladies comme par-

kinson ou la sclérose en plaques.

Autre réflexion passionnante

en page 8 avec notamment une

interview d’Alain Kaufmann,

directeur de l’Interface sciences-

société, qui s’exprime sur les

interactions indispensables qui

doivent exister entre l’Université

et la société.

De l’amour et du romantisme en

page 10, avec Benjamin Constant

et son roman Adolphe, qui fête

son bicentenaire. Un anniversaire

célébré comme il se doit avec une

exposition et un livre concoctés

par les chercheurs de l’Institut

Benjamin Constant.

La suite ? En page 12, doctorant à

la Faculté des sciences sociales et

politiques, Ronan Coquet raconte

Edito

Image du mois LE 22 JANVIER 2016, le professeur Alexandre Roulin a pré-

senté à Davos, «Birds know no boundaries», programme

d’élevage de chouettes effraies par des paysans israéliens,

palestiniens et jordaniens dans la vallée du Jourdain. Ou

comment la recherche fondamentale peut amener à des

programmes de préservation de la biodiversité, favorisant

le dialogue entre populations marquées par la guerre.

TROC-O-POLE est une collaboration

entre le dicastère Durabilité et campus,

la FAE et l’association Unipoly, avec

le soutien d’Unibat. Cet espace est

à la disposition des membres de la

communauté universitaire pour

amener des objets en bon état dont ils n’ont plus l’utilité et/ou

prendre gratuitement certains objets dont ils ont besoin. Il s’agit

d’un concept de partage visant à diminuer l’impact écologique

de la consommation et à limiter le gaspillage. Au premier étage

de l’Anthropole, en face de l’auditoire 1031. Ouverture : tous

les mercredis de 8h à 18h, jusqu’au 22 février ; ensuite, ouvert

du lundi au vendredi de 8h à 18h.

« Dans le respect de mes interlocu-

teurs, je revendique le corps comme

espace de créativité. » Stéphanie

Pahud, dans le magazine L’Hebdo

du 14 janvier.

Campus durable

Espresso

RETROUVEZ-NOUS SUR INSTAGRAM

https ://instagram.com/unilch

Entendu sur le campus

«Je vais aller noyer

ma tristesse»

Une étudiante sortant de

l’Amphimax, un jour d’examen

2

Le chiffre

Page 3: Uniscope 610 - Février 2016

2016 | l’uniscope n° 610

3Espresso

BRÈVES

PREMIÈRES IMPRESSIONS

Première rencontre avec un recruteur, vos futurs collègues ou vos nouveaux voisins : il leur faut en moyenne trente secondes pour vous apprécier ou pas… Explications et démonstration le 19 février 2016 avec Marianne Schmid Mast, professeure à l’UNIL, qui recourt à la réalité virtuelle pour investiguer le com-portement interpersonnel. Evénement exclusif réservé aux membres du réseau Alumnil. Programme et inscriptions sur le portail Alumnil.

2049 : QUEL FUTUR ÉNERGÉTIQUE VOULONS-NOUS ?

En octobre 2015, des scientifiques et des spécialistes de tous bords ont tra-vaillé à l’élaboration de quatre scénarios préfigurant la manière dont l’évolution énergétique va conditionner nos modes de vie. L’équipe de Volteface vous invite à venir en débattre le mardi 9 février 2016, de 17h à 18h30 à l’UNIL, à l’Amphimax, et décider du scénario qui vous semble le plus souhaitable pour notre société. Lors de ce rendez-vous, vous serez également informés sur l’avancement des treize pro-jets de recherche-action dont Volteface a permis le lancement en 2015. Différentes personnalités, dont Anne-Catherine Lyon, cheffe du Département de la formation, de la jeunesse et de la culture (DFJC), par-ticiperont à cet événement. Informations et inscriptions sur volteface.ch.

CÉLÉBRITÉS CÉLÉBRÉES

Deux jours pour envisager les « figures de la sin-gularité » dans l’es-pace public, alors que les sciences sociales ont long-

temps considéré cette mise en lumière de quelques personnalités comme une anomalie faisant obstacle à la pensée du collectif, du général et donc du poli-tique. Les interventions prévues lors de ce colloque international aborderont différentes identités à la fois privées et emblématiques telles que Georges Simenon, Marilyn Monroe, Céline Dion, Michel Houellebecq ou encore Julian Assange. Pour clore un projet FNS mené entre mars 2013 et février 2016, cet évé-nement public est proposé par l’Institut des sciences sociales les 8 et 9 février (Géopolis, 2235).

RESEAU ALUMNILUNE EXPOSITION SUR LES SOINS PALLIATIFS, c’est grave, docteur ?

Ces photographies de Luc Chessex, ces deux conférences données par le

psychologue Matthieu Bernard et le

professeur de médecine palliative Gian

Domenico Borasio et ces témoignages audio

de patients, de proches et de bénévoles

évoquent la vie, jusqu’au dernier souffle, et

non la mort. Du 10 au 28 février 2016, le Musée

de la main UNIL-CHUV nous initie à la question

des soins et de l’accompagnement des

personnes en fin de vie à travers des portraits

et des expertises rassemblés sous le titre

« Le temps qui reste ».

Vernissage mardi 9 février dès 18h30.

Terra academica

son immersion dans l’univers du

bodybuilding. Puis en page 15,

William Lacour, ingénieur

chimiste à l’Ecole des sciences cri-

minelles, évoque son travail, qui

consiste notamment à élucider

les crimes environnementaux.

S’ensuit en page 16 une grande

interview consacrée à Michael

Hengartner, recteur de l’Universi-

té de Zurich et nouveau président

de l’association swissuniversities.

Enfin, en page 19, un article consa-

cré au professeur Richard Benton,

lauréat du Prix Latsis national

2015 pour ses travaux sur l’odorat

de la mouche drosophile.

Les uns les autres

SOUHAITEZ-VOUS DESSINER OU PEINDRE

régulièrement avec d’autres personnes

intéressées par les arts visuels, sur le campus

de l’UNIL ? C’est ce que propose S.H.A.P.E. (pour

Société des hétéroclites artistes pratiquant

l’esquisse). Active pendant les semestres, cette

association propose des séances de modèle,

des projets autour de thèmes communs aux

participants ou des modules techniques.

Les artistes en herbe de tous niveaux sont

les bienvenus. Une occasion de s’exercer en

groupe, de se perfectionner et de partager

ses compétences.

www.asso-unil.ch/shape ou

www.facebook.com/shape.unil.epfl

PATRICE MANGIN, directeur sortant du Centre universitaire

romand de médecine légale (CURML) et professeur honoraire à la

Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL depuis le 1er janvier,

prononcera sa leçon d’adieu le 18 mars à l’auditoire César Roux

du CHUV. Au cours de sa carrière, longue de plusieurs décennies,

il a été amené à travailler sur des affaires célèbres : Lady Diana,

Yasser Arafat, le juge Bernard Borrel ou le dossier Ségalat.

Lors de cette cérémonie, la parole sera également confiée à la

nouvelle cheffe du CURML, Silke Grabherr, qui donnera sa leçon

inaugurale. Le chercheuse de 35 ans s’est notamment illustrée

en développant une technique d’imagerie médicale post

mortem portant sur les vaisseaux sanguins, devenue référence

dans le monde entier.

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Petite astuce

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Page 4: Uniscope 610 - Février 2016

l’uniscope n° 610 | 2016

Mélanie Affentranger

Cinq personnages, bloqués sur une île inhospitalière, découvrent la liberté. Ils réalisent que tout pourrait changer s’ils

faisaient des choix. Mais à quel prix ? « C’est là tout l’enjeu de la pièce : voir les protagonistes entamer leur première journée de conscience, commencer à respirer la profonde absurdité de l’existence », explique Ludovic Chazaud, met-teur en scène d’Imaginer les lézards heureux qui sera jouée au Théâtre La Grange de Dori-gny du 16 au 20 février prochain. Durant trois ans, le jeune artiste résident explorera la notion de liberté.

Le spectacle évoque l’angoisse et l’absurdité de la vie. Expliquez-nous.

Ludovic Chazaud : L’œuvre et les problématiques de Stig Dagerman ont servi de base à notre tra-vail. Il s’agit d’un auteur suédois dont l’écriture, très complexe, me touche particulièrement. La pièce Imaginer les lézards heureux est essentiel-lement tirée de son roman L’île des condamnés. La première partie du spectacle est très narra-tive, telle des histoires que l’on pourrait évoquer

autour d’un feu de camp. Chaque personnage se raconte, retrace les événements qui l’ont amené à se considérer bloqué dans sa vie. Il s’agit d’une sorte de fresque où chacun se retourne vers ses propres démons du passé, les événements fon-dateurs. Comme si ces éléments déterminaient ce qu’ils sont aujourd’hui et les empêchaient d’avancer. Les protagonistes réalisent ensuite que tout pourrait changer s’ils décidaient d’agir ensemble sur l’absurdité du monde.

Après avoir raconté ce qui les a amenés à fuir, les cinq personnages essaient donc de se ras-sembler pour dépasser leur propre histoire ?

Oui, ils tentent de définir leur futur ensemble en rebattant les cartes de leur univers. Ils dé-couvrent un rocher blanc sur la plage, symbole peut-être de la page blanche. Faut-il y graver quelque chose et recommencer à zéro ? Ou lais-ser la surface immaculée en continuant à racon-ter les histoires du passé ? Autant de questions qui animeront la seconde partie du spectacle. Chacun trouvera sa propre porte de sortie, sa solution. Une aventure complètement dingo avec des chansons, de la musique des îles et un décor psychédélique !

4 Actualités

Absurde libertéUn vent de liberté souffle sur le Théâtre La Grange de Dorigny. La compagnie Jeanne Föhn, invitée en résidence, se penchera sur cette thématique durant trois ans. Rencontre avec son metteur en scène Ludovic Chazaud.

Un petit avant-goût de la scénographie ?

Je ne voulais pas que les personnages res-semblent à des naufragés. Ils sont bien por-tants, des vacanciers qui, a priori, ont tout pour être heureux. L’espace scénique est très simple, onirique. L’île déserte symbolise le for intérieur. Les couleurs du décor sont très fortes, extrêmes. Comme pour montrer que cet endroit ne peut pas exister en réalité. Et, bien sûr, il y a des lézards qui rôdent…

Justement, d’où vient le titre « Imaginer les lézards heureux » ?

Pour Stig Dagerman, l’auteur du texte origi-nal, ces animaux représentent l’être humain qui aurait évolué jusqu’à se refermer sur lui-même et ne plus communiquer. Les lézards symbolisent l ’angoisse et véhiculent une image très poétique que j’ai souhaité mélan-ger au Mythe de Sisyphe de Camus. L’écrivain français fait le rapprochement entre un héros de la mythologie grecque et la vie comme un éternel recommencement absurde. Sisyphe est en effet condamné à pousser continuellement un rocher en haut d’une montagne. Rocher qui dégringole systématiquement avant que le but ne soit atteint. Dans son essai, Camus consi-dère qu’il faut « imaginer Sisyphe heureux » et que le personnage trouve son bonheur dans l’accomplissement de sa tâche plutôt que dans sa finalité.

Vous allez travailler durant trois saisons sur la notion de liberté. Pourquoi ce thème ?

Je souhaitais monter trois spectacles et ai réalisé qu’ils se recoupaient autour de cette notion. Avec des angles d’attaque différents. Imaginer les lézards heureux traite de la liberté individuelle, des choix personnels, tandis que le second aborde plutôt la liberté de la nature sur l’être humain, et vice-versa. Le troisième volet s’intéresse à l’aspect poli-tique. Mon projet initial était de me plonger dans cette thématique à travers trois créa-tions pour explorer l ’existentialisme, qui considère l ’homme comme unique, libre et postule que chaque individu crée le sens de sa vie par ses propres actions. Je met-trai normalement en scène l ’un des deux

A LA GRANGE COMME À LA MAISONDepuis ses débuts, le Théâtre La Grange de Dorigny a toujours accueilli des artistes en résidence, une douzaine au total. « Il s’agit souvent d’une équipe avec qui nous avons déjà collaboré et que nous souhaitons suivre, explique Dominique Hauser, coprogram-matrice. Il y a deux ans, lorsque la compagnie Jeanne Föhn avait foulé les planches de l’UNIL pour la première fois, nous avions eu un vrai coup de cœur ! »

Son metteur en scène, Ludovic Chazaud, souhaitait travailler sur la notion de liberté. « Nous lui avons proposé une résidence parce que cette thématique peut facilement s’insérer dans le monde académique. Par le passé, nous avons par exemple accueilli des artistes s’intéressant au monde du travail ou à la guerre. Il faut qu’ils puissent col-laborer et échanger avec les chercheurs, les étudiants et l’UNIL en général », poursuit l’administratrice.

Durant trois ans, les troupes ont ainsi l’assurance d’avoir un lieu qui les reçoit et sou-tient leur travail. Tout est mis à disposition gratuitement : la salle, le personnel tech-nique et le matériel. La compagnie Jeanne Föhn répétera par exemple pendant quatre semaines sur place avant la première du spectacle Imaginer les lézards heureux. « C’est la vraie force de la résidence. Nous pouvons installer notre décor, nos lumières, notre son. Lorsque le public arrivera, les comédiens se sentiront chez eux, ils se seront appro-prié l’espace », se réjouit Ludovic Chazaud.

Page 5: Uniscope 610 - Février 2016

2016 | l’uniscope n° 610

5Actualités

autres spectacles durant ma dernière saison de résidence.

Le théâtre fêtera l’année prochaine le 25e anniversaire de sa programmation d’événe-ments culturels. Vous participez activement à l’organisation de ce jubilé…

Oui, c’est d’ailleurs pour cette raison que je ne monterai pas de pièce à proprement parler lors de la saison 2016-2017. Dans le cadre de cet anniversaire, nous allons organiser une série d’événements autour du thème de la liberté, en collaboration avec des membres de l’UNIL. La forme exacte reste à définir mais nous envisageons par exemple de créer des binômes entre des chercheurs et des artistes qui ont foulé les planches de la Grange durant les vingt-cinq dernières années. Un metteur en scène pourrait par exemple travailler avec un biologiste sur « Qu’est-ce que la liberté des molécules ? » Le but serait de produire des « capsules », sortes de petites pièces qui

pourraient être présentées dans le cadre d’un festival ou en ouverture des spectacles de la saison 2016-2017. Je vais prochainement prendre contact avec les différents parte-naires pour leur expliquer notre projet et mettre en place les groupes de travail.

Jeanne Föhn, un drôle de nom pour une com-pagnie de théâtre…

Je voulais que la troupe soit incarnée par un personnage, que je puisse me cacher derrière quelqu’un peut-être. Une femme, pourquoi pas ? Mes emails sont d’ailleurs signés « Ludo pour Jeanne » (rires). A l’origine, la moitié de l’équipe était française et l’autre suisse. Sym-boliquement, je souhaitais faire naître un en-fant de ces deux pays. Ou que nous ayons un parent commun. D’où le prénom Jeanne, très français, et le nom Föhn, un terme helvétique qui me plaît énormément. Et puis ça sonne bien et c’est rigolo.

Ludovic Chazaud met en scène Imaginer les lézards heureux, du 16 au 20 février au Théâtre La Grange de Dorigny. F. Imhof © UNIL

BIO EXPRESS• 1983 : Naissance à Lyon• 2006 : Diplôme en arts du spectacle,

Université de Lyon II, et, en parallèle, formation théâtrale au Conservatoire d’art dramatique La Scène sur Saône

• 2006 : Arrivée en Suisse• 2009 : Bachelor à la Haute école

de théâtre de Suisse romande (Manufacture)

• 2009 : Fondation de la compagnie Jeanne Föhn, création de L’étang (de R. Walser)

• 2010–2012 : Création d’Une histoire ou Christian Crain (de la compagnie Jeanne Föhn et Antoinette Rychner)

• 2013-2014 : Création de Couvre-feux (de D.-G. Gabily)

• 2014 : Naissance de sa fille Liselotte• 2015–2018 : Résidence au Théâtre

La Grange de Dorigny et contrat de confiance de l’Etat de Vaud

Pour vous, être libre, c’est quoi ?

Avoir conscience du fait qu’on crée notre propre histoire. Qu’elle n’a pas été écrite et qu’elle ne peut l’être que par nous. Pour être libre, il faut considérer que chacun de nos actes est juste. Le philosophe Alain disait : « Le trait le plus visible dans l’homme juste est de ne point vouloir du tout gouverner les autres, et de se gouverner seulement lui-même. » Pour moi, c’est ainsi que l’on accède à la liberté.

Imaginer les lézards heureux

D’après l’œuvre de Stig Dagerman

Du 16 au 20 février 2016

Théâtre La Grange de Dorigny

www.grangededorigny.ch

Page 6: Uniscope 610 - Février 2016

l’uniscope n° 610 | 2016

La psychiatrie en appui aux autres disciplines médicales

Nadine Richon

Il dirige au CHUV l’unité de consultation et liaison, au sein du service de psychia-trie de liaison, dont le chef est le professeur

Friedrich Stiefel. Celui-ci a présenté son confrère le 10 décembre dernier devant un parterre d’invités venus assister à une leçon inaugurale aux apparences de simplicité évo-quant, notamment, la collaboration entre psychiatrie et autres disciplines médicales, le mystère des symptômes physiques sans ma-ladie clairement définie ni lésion cérébrale évidente, ou encore la nécessité de former les étudiants en médecine à la communication, en prenant l’exemple de l’annonce d’un dia-gnostic sévère.

La Faculté de biologie et de médecine a consolidé l’enseignement des compétences cliniques, en particulier le domaine de la communication médecin-patient, dont Alexandre Berney est le coordinateur au ni-veau prégradué. Il a été nommé professeur associé à l’été 2015. Dans le cas de l’ensei-gnement autour de l’annonce d’un diagnostic sévère, chaque étudiant est filmé lors d’une interaction avec un patient-comédien, et un travail de réf lexion en supervision vient soutenir et affiner des compétences com-municationnelles souvent naturellement présentes chez les étudiants et qu’il s’agit de ne pas perdre en route, sous l’effet de cer-taines routines professionnelles. Il faut ap-prendre à accueillir l’émotion des malades, à la valider, dans un contexte où le médecin n’a pas forcément une solution médicale à offrir. Cet enseignement a fait l’objet d’une recherche dirigée par Alexandre Berney et soutenue par le Fonds d’innovation péda-gogique de l’UNIL ainsi que la Ligue suisse contre le cancer. Cette recherche a clairement démontré les effets positifs de l’entraînement proposé aux étudiantes et aux étudiants.

Au-delà du diagnostic défavorable, donner du temps au temps paraît essentiel. Des

6 Rencontre

La rencontre avec la maladie grave, quelle qu’elle soit, ne va pas sans une fragilisation de nature psychologique, qui peut prendre ou non une ampleur nécessitant un traitement spécifique. Quelques explications avec le professeur Alexandre Berney.

Psychiatre et psychothérapeute (la formation en Suisse est double), Alexandre Berney a choisi une discipline à la fois « très scientifique et très relationnelle ». F. Imhof © UNIL

Page 7: Uniscope 610 - Février 2016

2016 | l’uniscope n° 610

7Rencontreétudes montrent que l’on gagne en efficacité dans l’entretien médical en laissant davan-tage de place au patient, qui peut ainsi don-ner des informations capitales. La personne non interrompue ne prend pas plus de 90 secondes en moyenne pour exprimer son motif de consultation.

Symptômes bien réels sans cause identifiée

La psychiatrie de liaison intervient auprès des confrères d’autres spécialités dans des situa-tions variées : face à un malade très éprouvé psychiquement dans les suites d’une opéra-tion lourde, lorsqu’une personne présentant une pathologie psychiatrique reconnue doit être hospitalisée pour une raison médicale ou encore dans le cas d’une accouchée confrontée à une dépression post-partum… Alexandre Berney évoque par exemple les patients neu-rologiques affectés par des maladies comme parkinson, la sclérose en plaques ou l’AVC, qui peuvent provoquer des symptômes psy-chiatriques parfois sévères venant impacter l’évolution médicale. Il décrit par ailleurs les patients présentant des troubles fonctionnels d’allure neurologique – convulsion, paralysie pouvant aller jusqu’à la chaise roulante, crise d’apparence épileptique, hyposensibilité… – sans lien avec une maladie neurologique ni avec une lésion cérébrale repérable au scanner. Etrange, non ?

Doucement, sans forcer son hypothèse, Alexandre Berney répond à la néophyte qui récolte ses propos dans son bureau au sein d’un immeuble ancien derrière le CHUV : « Nous avons une tentative de modèle expli-catif touchant aux interactions entre les dif-férentes zones du cerveau qui sous-tendent notre comportement émotionnel, ou le trai-tement de l’information au plan cognitif, et qui viennent moduler d’autres régions plus directement en lien avec la production de symptômes. Il ne s’agit ni de simulation, ni de mécanismes conscients », souligne-t-il. Le phénomène est connu. « On a des textes très parlants d’Hippocrate, où l’on reconnaît des patients que l’on voit aujourd’hui ; au XIXe siècle, Jean-Martin Charcot à la Salpêtrière parlait déjà de lésion cérébrale dynamique ; Freud, l’un de ses élèves, a proposé la notion de trouble de conversion avec l’hypothèse que le patient « convertit » quelque chose de psychique en symptômes physiques », précise le professeur Berney. On ne parle donc plus d’hystérie depuis bien longtemps…

Ces manifestations peuvent s’explorer au-jourd’hui par la neuro-imagerie fonctionnelle, qui permet d’observer les conséquences d’une

action physique ou mentale sur l’activité mé-tabolique de différentes régions cérébrales. Alexandre Berney collabore en ce moment à une telle recherche au sein d’une équipe mul-tidisciplinaire soutenue par le FNS.

Emotions : entre trop-plein et déconnexion

Si nous sommes tous soumis à des émotions, comment se fait-il que nous ne nous laissions pas tous envahir de la même façon ? « Les mé-canismes d’inhibition sont assez développés chez les humains », note le spécialiste. La plu-part du temps, nous avons cette « capacité de prendre de la distance et de ne pas agir impul-sivement ». Entre un trop-plein d’émotions et une « déconnexion d’avec ses émotions » pou-vant mener également à des débordements, il faut donc trouver « un équilibre assez fin » qui nous permette de réaliser ce qui se passe en nous, de reconnaître nos émotions (et celles d’autrui), tout en prenant le recul nécessaire pour ne pas nous laisser déborder. La psychia-trie de liaison appelle aussi à prendre le temps du recul et de la réflexion dans le domaine de l’art médical.

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Page 8: Uniscope 610 - Février 2016

l’uniscope n° 610 | 2016

8 Campus

De la science autrementLe cliché du chercheur, donneur de leçons en blouse blanche, tend à perdre du terrain. Aujourd’hui, des projets interdisciplinaires inédits voient le jour grâce à des apports parfois inattendus de la société. Exemple avec la pièce Blanche/Katrina.

David Trotta

Blanche DuBois serait-elle à l’origine de l’ouragan Katrina qui a frappé La Nou-velle-Orléans et la Louisiane en 2005 ?

L’Université de Lausanne pose la question dans un projet de recherche inédit. Il abou-tira début mars à une pièce de théâtre opérant le lien entre le changement climatique et l’uni-vers de Tennessee Williams dans Un tramway nommé désir.

Science en scène

Le spectacle Blanche/Katrina, du domestique au climatique est un projet de l ’Interface sciences-société de l’UNIL. L’un des treize travaux inscrits dans le programme de Vol-teface, la plateforme de recherches sur les aspects sociaux de la transition énergétique. « L’hypothèse théâtrale consiste à dire que quelque chose se passe à l’échelle domestique dans l’appartement de la sœur de Blanche, qui va déclencher un phénomène climatique quarante ans plus tard : l’ouragan Katrina », explique Yoann Moreau, chargé de recherche et responsable scientifique de la pièce.

Projet novateur pour l’UNIL, il rassemble une dizaine de chercheurs et une troupe profes-sionnelle. Du côté scientifique, l’idée est de questionner « l’effet papillon » selon le point de vue de différentes disciplines, comme la sociologie, la physique, la littérature ou encore l’économie. Autant de matériaux, élaborés avec les chercheurs et restitués à la troupe, qui serviront de canevas à la mise en forme artistique concrète du projet en mots, en sons, en danse, en scénographie et en images. Le résultat sera présenté au public dès le 4 mars au Théâtre de l’Arsenic à Lausanne.

Arts et catastrophes

« Il y a un saut conceptuel entre l ’échelle domestique et celle climatique », souligne Alain Kaufmann, directeur de l’Interface. L’effet papillon permet de faire un lien entre ces deux univers. « En tant que scientifiques, nous avons un vrai problème à les articuler, confirme Yoann Moreau. Et la difficulté ne tient pas seulement à un manque de données.

Sur ces questions de change-ment d’échelle et de tempo-ralité, l’art est une ressource capable de réconcilier l’incon-ciliable et de penser l’impen-sable. » Une autre manière de pratiquer la recherche donc, qui vise à mettre en récit et sur un même niveau les discours qui proviennent aussi bien du monde académique que de la société civile sur l ’écologie globale et la vie domestique.

Cette autre façon de faire de la science porte un nom : la « recherche-création ». Mais le procédé n’est pas appli-cable à tout. Il suppose que les différentes parties pre-nantes soient réunies autour de questionnements com-muns qui dépassent chacune des disciplines. « Les collectifs qui travaillent selon cette mé-thode abordent le plus souvent des catastrophes, c’est-à-dire des problèmes qui concernent tout le monde, aussi bien les artistes que les scientifiques », souligne Yoann Moreau.

Une transition salutaire ?

Avec Blanche/Katrina notamment, l’Interface sciences-société a choisi d’intégrer la société dans la production scientifique. Une manière participative de penser la recherche déjà déve-loppée au niveau international, peu pratiquée en Suisse, mais nécessaire selon Alain Kauf-mann. Interview.

Les sciences et les questions liées au domaine scientifique sont présentes dans le quotidien de la population. Comment l’expliquez-vous ?

Alain Kaufmann : Le rapport au savoir est très différent aujourd’hui. Il demande une

Chargé de recherche à l’Interface sciences-société, anthropo-logue et physicien de formation, Yoann Moreau est également dramaturge pour la compagnie Jours tranquilles. F. Imhof © UNIL

Alain Kaufmann, directeur de l’Interface

sciences-société. F. Imhof © UNIL

Page 9: Uniscope 610 - Février 2016

2016 | l’uniscope n° 610

9Campus

approche bien plus ouverte et symétrique que celle développée au départ par le monde académique évoluant dans sa bulle. Ceci est notamment lié à l’émergence d’internet, qui a radicalement changé la donne.

De quelle manière ?

Tous les grands problèmes scientif iques et techniques font aujourd’hui l ’objet de controverses, notamment sur le web. Ils sont soumis à de nombreux discours difficiles à vérifier. On voit émerger un phénomène nouveau qui consiste à considérer les don-nées scientifiques comme une opinion par-mi d’autres. C’est par exemple le cas avec le

« climato-scepticisme », ou le « climato- négat ionnisme », un phénomène l ié à certains lobbys et groupes d’intérêts qui désinforment systématiquement. Cette si-tuation est nouvelle pour les scientifiques, dont l’expertise n’était jusqu’à maintenant pas contestée sous cette forme.

Vous agissez donc par nécessité ?

Je suis persuadé que les universités qui, à l’avenir, ne tisseront pas des liens étroits avec la population et qui refuseront de l’intégrer dans la recherche courront un risque réel. Le monde académique, s’il ne se crée pas des alliés dans la société, sera menacé. Nous devons rester en phase avec la société.

Pour le bien des scientifiques ou de la société ?

En Suisse, certains partis politiques com-mencent à contester le droit de l’université à enseigner les sciences humaines et sociales à tous les étudiants qui souhaitent les pra-tiquer et voudraient restreindre l’accès aux études. Les discours politiques qui émergent aujourd’hui sont très souvent utilitaristes, alignés sur les besoins de l ’économie, et idéologiques. Les sciences humaines pro-duisent un discours qui déplaît à certains partis. Parce qu’elles cassent les préjugés idéologiques dans bien des domaines.

Vous dites que certains domaines, ici les sciences sociales, sont perçus différemment.

Oui. Les sciences de la nature bénéficient d’une forme de crédit symbolique, parce que le public n’a pas l ’impression de pou-voir contester ce type de savoirs. Elles uti-lisent un jargon et une formalisation qui leur donnent une forme de « dureté » et les font apparaître comme peu contestables. Alors que les savoirs émanant des sciences humaines et sociales sont plus proches du quotidien et du vécu. Il y a cette idée que tout le monde a plus ou moins de connais-sances sur le plan de la sociologie, de la psy-chologie, voire de la philosophie.

Vous dites également qu’internet diffuse souvent de fausses vérités. Le public aurait-il aujourd’hui particulièrement besoin de savoirs confirmés ?

Nous avons plus que jamais besoin de per-sonnes qui valident les connaissances, les synthétisent et qui éconduisent les rumeurs, sans faire de l’idéologie ou de la désinforma-tion. Et nous n’avons jamais eu autant besoin de connaissances pour affronter les défis qui nous attendent, qui sont absolument incom-parables avec ceux que nous avons dû affron-ter au cours des décennies précédentes.

Au fond, y a-t-il une réelle demande du pu-blic ou est-ce une nouvelle stratégie scien-tifique pour mobiliser le devant de la scène médiatique ?

Il y a une demande accrue de la population de participer à la définition des questions scientifiques et techniques. Dans des son-dages récents, nous constatons qu’une majo-rité des personnes estime que l’information est insuffisante et souhaiterait davantage être associée aux décisions qui concernent ces questions. Cela s’observe également au niveau du monde associatif, qui se mobilise massivement sur les questions scientifiques.

Ce qui s’explique peut-être par un manque de confiance envers les scientifiques.

Il y a une grande confiance envers les scienti-fiques qui travaillent dans le domaine public. Mais la défiance envers les scientifiques qui collaborent avec l’industrie est effectivement très grande. Ce qui pose un gros problème, notamment dans le domaine de la santé, où ce travail avec le privé est indispensable.

Qu’en est-il ici, à l’UNIL ?

La demande est très importante. L’Interface sciences-société développe un maximum de partenariats. Et nous constatons par exemple dans le cadre du laboratoire public « L’Eprouvette » que nous atteignons la limite de charge. Il y a une demande croissante que nous devons malheureusement limiter.

Blanche/Katrina, du domestique au climatiquePar l’Interface sciences-société et la compagnie Jours tranquillesDu 4 au 13 mars 2016Théâtre de l’Arsenic

unil.ch/interfacevolteface.ch

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l’uniscope n° 610 | 2016

10 Campus

Adolphe, un succès ConstantPublié en 1816, le roman de Benjamin Constant fête son bicentenaire avec une exposition et un livre. Consacré à la postérité de ce texte, cet anniversaire est concocté par des chercheurs de l’UNIL.

David Spring

J eune homme brillant et désenchanté, Adolphe séduit Ellénore, maîtresse d’un comte. Mais une fois passé l’incendie

des premiers moments, il réalise qu’il n’est plus épris de son amante. Contrairement à cette dernière qui, éperdue de passion, réduit sa vie en cendres. Publié en 1816, le roman du Lausannois Benjamin Constant raconte « la décomposition d’une relation », décrit

Léonard Burnand, directeur de l ’Institut Benjamin Constant, installé à l’Unithèque.

Une exposition et un ouvrage (Adolphe de Benjamin Constant. Postérité d’un roman. Slatkine, 2016) conçus par l’institut marquent le bicentenaire de la parution d’Adolphe et cé-lèbrent son riche héritage. Ainsi, le livre fut un succès immédiat dès sa publication à Londres et à Paris. « Plus de 150 éditions en français ont été recensées », précise Léonard Burnand. Réédité régulièrement, que ce soit en poche, en version électronique ou en édition luxueuse pour biblio-philes, le texte connaît un destin exceptionnel pour une œuvre « vaudoise », au sens large du

terme. Adolphe se joue des frontières : il fut tra-duit en anglais en 1816, puis dans toutes les lan-gues européennes au fil du XIXe siècle. Il existe en japonais depuis les années 1930 et même en persan, depuis 2009.

Du style !

L’écriture de Benjamin Constant, prodigue en points-virgules (« Je pressai sa main de mon bras ; nous nous mîmes à table »), représente un

défi corsé pour les traducteurs. L’ouvrage publié à l’occasion de l’anniversaire contient plusieurs contributions des premiers concernés.

« Le texte se lit très bien à voix haute, ajoute Guillaume Poisson, bibliothécaire-documen-taliste à l’institut. A son écoute, des auditeurs fondaient en larmes, dans les salons du début du XIXe. » Journaliste et député, Benjamin Constant « a le sens de la formule qui fait mouche », note Léonard Burnand. Un exemple ? « Nous parlions d’amour de peur de nous parler d’autre chose », qui résume cruellement le cœur de l’intrigue : l’incapacité du langage à restituer les sentiments sans les trahir.

Léonard Burnand (directeur) et Guillaume Poisson (bibliothécaire-documentaliste), à l’Institut Benjamin Constant. F. Imhof © UNIL

En ce moment, ce récit romantique est lu dans des gymnases par des centaines d’adolescents. Peut-il encore leur parler ? « Certains aspects sont datés, et c’est normal, explique Léonard Burnand. Mais ce roman traite de la relation entre des individus et une société oppressante. Le poids de l’opinion des autres, qui s’exerce sur Ellénore et son jeune amant, résonne à l’heure des réseaux sociaux, où le regard d’autrui et la réputation prédominent. »

Et des images

Adolphe a excité l’imagination des artistes. Guillaume Poisson s’est consacré à une en-quête inédite : rechercher et mettre en valeur les éditions illustrées conservées dans les collections de la Bibliothèque cantonale et universitaire, qui possède par ailleurs le ma-nuscrit du roman. « Comment restituer les troubles intérieurs et les tourments amoureux par le dessin ? » résume le chercheur. Ce der-nier a déniché des œuvres de grande qualité, dont les thèmes sont récurrents. « La première rencontre entre les amants, leurs promenades et bien sûr la fin, très poignante. » Ces illustra-tions pourront être découvertes à l’exposition et dans l’ouvrage.

Les adaptations d’Adolphe, que ce soit au ciné-ma (réalisation de Benoît Jacquot avec Isabelle Adjani, en 2002), au théâtre, à l’opéra ou en bande dessinée, figurent au programme de cet anniversaire. Tout comme les réécritures ou les hommages, de La Muse du Département (Balzac, 1843) à L’Imitation (Chessex, 1998). Le manuscrit de ce dernier sera d’ailleurs pré-senté au public à cette occasion. Ainsi, deux siècles après sa parution, sans avoir connu d’éclipse, la tragique histoire d’Ellénore et d’Adolphe continue de vivre.

Vernissage le 18 février. Salle du Sénat, palais de Rumine, 18h30. Lecture d’extraits. Exposition jusqu’au 16 avril à la BCU Lausanne, site Riponne. Visites guidées : samedi 12 mars, 11h, et jeudi 14 avril, 15h.

En parallèle, exposition de livres-objets dans le libre-accès de la BCU, site Unithèque.

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11Savoirs

Entre ceux qui tentent de garder la forme et les autres qui transforment leur corps, il y a un monde. Chercheur à l’UNIL, Ronan Coquet s’est plongé dans l’univers du bodybuilding.

Dopage

En parallèle du changement physique, l’adhé-sion à la discipline se traduit aussi dans les discours. En premier lieu ceux qui touchent à la santé des pratiquants. « Dans le cadre des conversions au bodybuilding, on remarque une évolution des représentations et des pra-tiques, notamment en lien avec la prise de produits dopants. En interne, le dopage n’est pas condamné », note le chercheur qui a réa-lisé une trentaine d’entretiens en marge des observations menées « à couvert », en habits de sport donc, dans une salle lausannoise.

Et au sein des pratiquants, certains deviennent des acteurs légitimes voire incontournables sur la question, en développant une forme d’expertise sur l’usage des produits. « Loin d’être des têtes brûlées pour autant, ils emma-gasinent des connaissances autochtones, tout en cherchant des appuis auprès de médecins. » Des savoirs que les culturistes partagent et qui viennent donner un sentiment de contrôle des risques pour la santé.

prêterait davantage ses traits à un personnage hypertestostéroné dans une superproduction. Des conversions dites « introspectives » qui, fondées plus explicitement sur un sentiment de vulnérabilité sociale, infléchissent les par-cours de vie de façon significative.

Réservé aux mâles ?

Peu nombreuses, les femmes représentent une catégorie à part dans cette discipline. « La différence saute aux yeux en observant les salles de musculation, affirme Ronan Coquet. Les femmes fréquentent principa-lement l’espace cardio-training alors que les hommes privilégient davantage les machines et les poids libres. »

La question du genre divise les pratiques des deux sexes, et très rares sont celles qui valo-risent encore la forte masse musculaire. Les femmes se conforment davantage au modèle de la « miss bikini », moins volumineux. Une catégorie aujourd’hui dominante, qui mar-ginalise celles qui n’intègrent pas les critères de féminité. « L’évolution institutionnelle des compétitions féminines rend manifeste cette tendance depuis les années 1990 », souligne le chercheur.

David Trotta

Se rendre dans une salle de sport afin de sculpter son corps, amoindrir des courbes disgracieuses ou redonner une

seconde jeunesse à son cœur est devenu mon-naie courante. Pour certains, il ne s’agit que d’un premier pas avant d’entamer une trans-formation majeure de leur enveloppe char-nelle. Une partie de la population qu’a analy-sée Ronan Coquet dans une thèse consacrée aux adeptes du bodybuilding.

Orthodoxie

Précision d’entrée de jeu : faire de la muscu-lation, plutôt à la manière du fitness pour se maintenir en forme, et pratiquer le culturisme sont des activités bien différentes. Mais com-ment distinguer ces deux populations ? « Par leurs objectifs notamment, répond Ronan Coquet, doctorant à la Faculté des sciences sociales et politiques. Les buts des bodybuil-ders se portent sur l’esthétique et le fait de se conformer aux canons de la discipline. » A la manière de communautés aux valeurs établies, les adeptes tendent à adhérer à une orthodoxie commune déclinée en trois pôles : l’équilibre des masses musculaires, leur den-sité et la définition, ou la sèche, soit le fait d’avoir le peau au plus près des muscles.

Le doctorant a identifié deux catégories de pratiquants pour qui la conversion au cultu-risme peut être aussi bien un atout qu’un véritable poids, notamment dans le cadre de leur activité professionnelle. « Chez les conso-nants, pour qui l’investissement dans la pra-tique s’inscrit dans le prolongement de dispo-sitions antérieures, le corps musclé est valorisé et constitue une ressource. » C’est le cas par exemple d’un agent de sécurité, en mesure de renforcer son statut par la musculation.

De l’autre côté, il y a ceux que l’image des-sert. Par exemple un cadre supérieur qui

Ronan Coquet a en partie réalisé sa thèse sur le bodybuilding en immersion dans une salle lausannoise. F. Imhof © UNIL

Une thèse qui bombe le torse

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l’uniscope n° 610 | 2016

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Accès 10 min. du centre-villeMétro m1 > arrêt UNIL-Mouline

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du 16 au 20 février

IMAGINER LES LÉZARDS HEUREUX CRÉATION

D’après l’� uvre de Stig DagermanPar la Cie Jeanne FöhnMise en scène Ludovic Chazaud

les 25 et 26 février,puis du 29 février au 4 mars

CONCERTS DE SONS D’UNIVERSITÉ CRÉATION Par Ici-Même [Gr.] (France)Horaires � éciauxRéservation indi� ensable

du 3 au 6 mars

FEMME NON-RÉÉDUCABLE De Stefano MassiniPar Association « Mise en scène » et � éâtre pour le momentMise en scène Dominique de Rivaz

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13

2016 | l’uniscope n° 610

Savoirs

David Trotta

Le pain, aliment cuit, représente la civili-sation. La pomme de terre, issue préci-sément du sol, a longtemps été dénigrée

tandis que les oiseaux, qui évoluent dans le ciel, étaient particulièrement appréciés. Question de hiérarchie et de symbole. Dans la littéra-ture médiévale notamment, parler de nourri-ture n’est pas fruit du hasard. Les mets s’ac-compagnent d’une forte valeur informative, et servent bien souvent à remplacer la parole. Une thématique qui sera au cœur de la conférence publique « Communiquer par la nourriture : de la séduction à la dérision » donnée le 25 février par Jean-Claude Mühlethaler, professeur de français médiéval.

Importance contextuelle

En tant que tels, les aliments ne disent pas grand-chose. Les rendre parlants, afin de tour-ner en dérision un personnage ou signifier une scène de séduction, est question de contexte. Des exemples ? « Dans Le Chevalier au Lion de Chrétien de Troyes, le héros se rend dans un château, tue le seigneur mais va se retrouver piégé, raconte Jean-Claude Mühlethaler. Il se cache dans une chambre où le reconnaît une servante. Comme il est à bout de forces, elle lui sert à manger. Mais pas n’importe quoi. » Yvain recevra pour repas un chapon, coq châ-tré. Référence au cheval du héros tranché par

la herse du château, et donc symbole de perte de statut du chevalier. « Le chapon est réservé aux malades et aux convalescents, voire aux femmes, explique le chercheur. C’est donc nécessairement dévalorisant pour Yvain. »

Et du côté de la séduction ? Dans Jean de Saintré, un roman du XVe siècle d’Antoine de La Sale, quand un homme d’Eglise se fait coureur de jupons. « La scène est très parlante, parce que l’on se trouve en temps de carême. L’abbé, fort mondain, invite la Dame des Belles Cousines à manger. Ironiquement, il y a pro-fusion sur la table. » Le vin servi et les mets largement apprêtés, commence alors un jeu de pieds masqué par la nappe. Glissement sym-bolique de la table vers la chambre. « Il s’agit d’une transgression forte. C’est une satire antimonastique de la fin du Moyen Age, où on reprochait aux ecclésiastiques de prêcher une morale sévère et de ne pas la respecter eux-mêmes », souligne Jean-Claude Mühlethaler.

Valeur informative

Dans la littérature, l’alimentation a presque toujours pour vocation d’informer le lecteur. Elle donne des indications sur des scènes,

des personnages ou sert parfois l’intrigue. « Une vulgaire salade, qu’on cueille dans son jardin, est utilisée chez Marguerite de Na-varre pour tuer une épouse infidèle, illustre le chercheur. Elle, qui a « mélangé » l’amant

et le mari, sera empoisonnée par un mélange d’herbes. »

Question de logique littéraire, ce qui est décrit répond à une fonction. Le sel par exemple, qui coûte très cher, montre la richesse. Et inver-sement, les éléments non pertinents pour l’intrigue ne sont pas décrits. Dans le cas de la salade, l’auteur n’indique pas quelles herbes ont été utilisées comme poison. Signe que leur nature n’est d’aucune importance.

« Communiquer par la nourriture : de la séduction à la dérision »Conférence publique de Jean-Claude MühlethalerJeudi 25 février à 18hPalais de Rumine, auditoire XIX du Musée de zoologie

Quand les mets se font motsUne vulgaire anguille peut-elle ridiculiser le plus noble des suzerains ? Les textes médiévaux montrent que l’alimentation est parfois bien plus explicite que la parole.

CYCLE DE CONFÉRENCESLa présentation de Jean-Claude Müh-lethaler est la première d’un cycle de six conférences, organisé par le Centre d’études médiévales et postmédiévales de l’Université de Lausanne, autour de l’alimentation. « Ce thème dit énormé-ment sur nos sociétés, et le Moyen Age le montre particulièrement bien », sou-ligne le chercheur. Elle sera déclinée selon des approches diverses, présentée aussi bien par des membres de l’UNIL que de la Haute Ecole pédagogique ou de l’Ecole hôtelière. Au menu : vin, alimentation… ou régime !

unil.ch/cemep

Jean-Claude Mühlethaler n’est pas avare en anecdotes quand il s’agit d’illustrer son propos. F.Imhof © UNIL

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l’uniscope n° 610 | 2016

HIPPOPOTAMESCOMMENT ÉTUDIER LES

Sous leur air paisible, ces mammifères attaquent quelque 500 humains chaque année. Du coup, pour les connaître sans énerver tout un troupeau, des chercheurs de l’UNIL ont travaillé sur des échantillons de crottes et autres os des musées. Cela permettra peut-être de sauver ces colosses menacés.

A lire dans la nouvelle édition d’Allez savoir! Disponible en ligne, pour les tablettes et smartphones, ainsi que dans les caissettes sur le campus.

www.unil.ch/allezsavoir

Sous leur air paisible, ces mammifères attaquent quelque 500 humains chaque année. Du coup, pour les connaître sans énerver tout un troupeau, des chercheurs de l’UNIL ont travaillé sur des échantillons de crottes et autres os des musées. Cela permettra peut-être de sauver ces colosses menacés.

A lire dans la nouvelle édition d’Disponible en ligne, pour les tablettes et smartphones,

SANS SE FAIRE TUER

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15Savoirs

2016 | l’uniscope n° 610

Elucider les crimes environnementauxLa pollution d’un cours d’eau est-elle due à des pesticides ? Des déchets de ferme ? Qui est responsable ? Autant de questions auxquelles la police scientifique est aujourd’hui amenée à répondre. Les explications de William Lacour, doctorant à l’Ecole des sciences criminelles.

Mélanie Affentranger

«Etudier les poissons morts n’est pas très glamour. Nous ne sommes pas beaucoup à nous pencher

sur les crimes environnementaux », plaisante William Lacour. Pour l’ingénieur chimiste, il s’agit d’identifier rapidement la nature exacte de la substance à l’origine de la contamina-tion d’une rivière. En d’autres termes, déter-miner si l’atteinte à l’environnement est due par exemple à un déversement d’eaux usées, de pesticides ou de lisier (mélange de déjec-tions d’animaux d’élevage et d’eau). « Les analyses des laboratoires conventionnels s’arrêtent en général à ce stade. Le véritable apport des sciences criminelles est de remon-ter à la source, à l’auteur. L’objectif est de pou-voir imputer une pollution à une exploitation agricole, une station d’épuration ou une in-dustrie particulière. »

Traquer les antibiotiques

Dans le cadre de son travail de master, Wil-liam Lacour a ainsi montré que l’analyse d’an-tibiotiques permettait d’aider à identifier le responsable d’une contamination. Ces médi-caments, donnés aux animaux, se retrouvent naturellement dans le lisier et donc dans les rivières en cas de pollution. « Chaque agricul-teur donne des substances et des dosages dif-férents à ses bêtes. Du coup, les concentrations des divers produits ne sont jamais les mêmes entre deux fermes et permettent de remonter précisément à la source. »

Récemment, le chercheur a par exemple aidé la police à trouver l’auteur de la contamina-tion d’une fontaine. « Dans les 20 km à la ronde, une seule exploitation pouvait être à l’origine du problème mais les agents ne trouvaient aucune preuve. Nous avons ana-lysé les antibiotiques dans l’eau. Les résultats confirmaient formellement que c’était bien ce domaine agricole qui pouvait être responsable de la pollution. Sur la base de nos recomman-dations, les autorités ont investigué davantage et trouvé une fissure au fond de la fosse à lisier.

Dans ce cas, le propriétaire n’a pas été inquiété puisqu’il s’agissait d’un accident. »

William Lacour a également initié une col-laboration avec la Brigade du lac d’Yverdon-les-Bains, qui s’occupe, entre autres, des cours d’eau de la région. Aujourd’hui, cette unité de la police cantonale vaudoise le prévient à chaque fois qu’une pollution est annoncée. Dépêché sur le terrain afin d’effectuer des pré-lèvements pour sa recherche, le jeune scienti-fique a remarqué que le principal problème auquel les agents étaient confrontés était la durée nécessaire pour identifier, dans un pre-mier temps, la nature exacte de la substance nocive. « Les policiers se fient beaucoup à la couleur et à l’odeur de l’eau pour différencier une pollution au lisier d’une pollution au pes-ticide par exemple. Une démarche intéressante mais un peu hasardeuse. »

Avoir du flair

Aujourd’hui, dans le cadre d’une thèse débutée il y a plus d’une année, l’ingénieur chimiste cherche un moyen d’aider la police directement

sur place. L’Ecole des sciences criminelles a ainsi fait l’acquisition d’un appareil portable capable d’analyser les composés volatils conte-nus dans l’eau. Une technologie potentielle-ment utilisable directement sur le terrain et qui présente l’avantage d’être beaucoup plus rapide que l’approche actuelle. « En fonction de l’odeur du liquide, les agents pourraient ainsi directement savoir à quoi la pollution peut être due, faire des prélèvements pertinents et com-mencer l’investigation plus rapidement. »

Parallèlement, William Lacour collabore avec l’EPFL, qui lui fournira prochainement un « nez électronique ». « Nous effectuerons des essais avec les deux appareils pour évaluer leurs potentiels respectifs. Seront-ils capables de distinguer du lisier d’un pesticide ? Et si oui, pourra-t-on différencier le lisier de porc de celui de vache ? En fonction des résultats, nous proposerons la solution la mieux adaptée aux besoins de la police. »

William Lacour a montré que l’analyse des antibio-tiques présents dans de l’eau polluée permettait d’aider à retrouver l’exploitation agricole à l’origine de la contamination. F. Imhof © UNIL

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l’uniscope n° 610 | 2016

16 L’interview du mois

Un biologiste pour faire vivre swissuniversitiesNadine Richon

Très jeune, Michael Hengartner se voyait déjà chercheur, sans savoir encore dans quel domaine. Son père mathématicien

avait entraîné la famille en France, aux Etats-Unis, puis au Canada. C’est là, au Québec, où vit encore sa mère, que le jeune Saint-Gallois s’est formé dans la chimie du vivant, avant de rejoindre le Massachusetts Institute of Technology (MIT) pour sa thèse en biologie sous la direction de Robert Horvitz. Recteur de l’Université de Zurich (Universität Zü-rich) depuis le 1er février 2014, le professeur Hengartner vient de prendre la présidence de swissuniversities. Rencontre dans l’impo-sant bâtiment centenaire qui abrite l’univer-sité et, finalement, dans le restaurant qui, au sommet de cette bâtisse, domine la ville et en

donne une vue époustouflante. A un jet de pierre, l’hôpital universitaire (Universitätss-pital Zürich) et l’Eidgenössische Technische Hochschule Zürich (ETHZ) complètent ce tableau du savoir.

Michael Hengartner, comment êtes-vous arrivé à la biologie ?

J’étais le deuxième de cinq garçons et mon père pensait, en théorie, que nous devrions tous faire des mathématiques, seule profession raisonnable à ses yeux. Je n’étais pas opposé à cette vision mais, mon frère aîné ayant choisi ce chemin, j’ai alors pensé à la physique, qui est aussi très mathématique. Je me suis inscrit à l’Université Laval mais, durant l’été précé-dant mes études, j’ai lu What is life, du prix Nobel de physique Erwin Schrödinger, et j’ai

pensé que si les physiciens eux-mêmes nous expliquent que les sciences de la vie sont plus intéressantes que la physique… J’ai finalement choisi un compromis, la biochimie. J’aurais pu travailler ensuite avec un prix Nobel, et mes amis pensaient que j’aurais dû suivre ce professeur, mais un autre homme est arrivé dans ma vie si j’ose dire…

Le prix Nobel Robert Horvitz ?

Oui, mais à cette époque il ne l’était pas en-core… Au départ, je me suis rendu avec des amis à une réunion animée par Horvitz, qui travaillait sur le ver C. elegans ou Caenorhab-ditis elegans. Je n’étais pas du tout intéressé ; à la fin de la séance, je veux m’échapper mais, apercevant de potentielles recrues, il nous ap-pelle. Il aimerait nous présenter ses projets et

Michael Hengartner a travaillé au Cold Spring Harbor Laboratory, où il a rencontré Nouria Hernandez et Winship Herr, qui a été son mentor dans ce monastère new-yorkais de la science. F.Imhof © UNIL

Rencontre avec le nouveau président de l’association swissuniversities, dont les trois chambres rassemblent depuis novembre 2012 toutes les hautes écoles reconnues en Suisse (universitaires, pédagogiques et spécialisées).

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2016 | l’uniscope n° 610

17L’interview du mois

me donne un rendez-vous. J’y vais et c’est seu-lement à la fin de notre discussion d’une heure que je réalise à quel point je suis fasciné par un sujet dont il me parle dans les huit dernières minutes de notre entretien : la mort cellulaire programmée. Horvitz va m’entraîner avec lui dans cette recherche sur l’apoptose, pour laquelle il recevra le Prix Nobel car la portée de ces travaux dépassait de loin le destin d’un simple ver. Il sera invité un peu partout dans le monde pour en parler, et moi aussi, car il m’envoie à sa place dans des congrès et, ma foi, j’aime bien ça.

Vous parlez volontiers de votre passion pour la recherche…

Il faut que je vous explique l’intérêt de travail-ler sur C. elegans ! L’animal a un total de 959 cellules et il génère en plus durant sa crois-sance 131 cellules qui vont mourir pour la plupart dans l’heure qui suit. Ça m’embêtait, je ne comprenais pas un tel gaspillage d’énergie et de temps. Chez l’homme aussi i l y a beaucoup d ’apoptose, à peu près la moitié de nos cellules nerveuses meurent après la naissance. Un exemple : des neurones situés à la base de votre colonne vertébrale disent aux cellules de votre gros orteil de se contracter, mais comment savent-ils le nombre de cellules musculaires générées dans l’orteil ? Ils n’en n’ont aucune idée. L’organisme va donc produire deux fois plus de neurones que nécessaire pour être sûr d’en avoir assez. Ou encore, lors de la forma-tion de nos mains, il y a initialement du tissu entre les doigts, donc l’organisme va dire à ces cellules : « Désolé, les gars, vous êtes au mauvais endroit, alors s’il vous plaît… » Et elles se suicident. Ce programme de suicide nous protège aussi contre des maladies. Par exemple, si une cellule réalise qu’elle est infec-tée par un virus, elle va se suicider, comme si elle se disait : « Je me tue et je prends le virus avec moi dans la mort. »

Dans le cas du cancer, alors ?

Normalement, une cellule sur la voie cancé-reuse se suicide. Si l’on pense au nombre de cel-lules que nous possédons et au temps que nous vivons, nous devrions avoir beaucoup plus de cancers. Dans le lymphome folliculaire, à cause d’une mutation, les cellules ne peuvent plus se tuer et la personne développe finalement un

cancer. En travaillant sur le ver C. elegans, j’ai découvert un gène de survie actif dans les cel-lules qui doivent subsister et qui les protège des protéines enclenchant le suicide. L’activation de ce même gène de survie chez l’homme cause le lymphome folliculaire justement.

Maintenant, un exemple de coordination entre les hautes écoles suisses ?

Notre système dual comprend les filières apprentissage et maturité, et les jeunes issus de ces deux pôles doivent pouvoir continuer leurs études s’ils le désirent. Il est donc essen-tiel de faire vivre ces deux filières au niveau supérieur avec de hautes écoles universitaires et des HES qui ne sont pas identiques mais complémentaires. Jusqu’ici, la coordination s’arrêtait au niveau du doctorat, et les jeunes issus des HES souhaitant obtenir ce grade étaient obligés de s’associer avec des univer-sités à l’étranger. swissuniversities a lancé

un projet af in de per-mettre aux diplômés des HES d’obtenir un docto-rat universitaire dans le cadre d’un programme conjoint entre les diffé-

rentes hautes écoles suisses. D’une manière générale, nos universités bénéficient de condi-tions cadres idéales, mais cela n’est pas encore assez visible sur la scène internationale. Il faut y veiller et prendre garde à une sorte de para-doxe. Avoir des conditions idéales, c’est essen-tiel, mais il ne faudrait pas s’endormir dans un confort qui nous empêcherait finalement de progresser.

Le président de swissuniversities doit-il être plus présent sur la scène politique ?

Il doit. Je n’ai pas grandi ici, je suis épigéné-tiquement (culturellement, si vous voulez) québécois et je crois savoir que les univer-sités suisses financées par les payeurs de taxes se sont imposé une grande discrétion politique. Cette tradition m’a surpris car les fermiers aussi sont soutenus par l’Etat, et pourtant ils font un lobbying très actif. On note également une réticence académique à descendre dans les bas-fonds de la politique. En 1998, d’une manière assez exceptionnelle, on a vu des scientifiques dans la rue afin d’expliquer la nécessité des animaux trans-géniques pour la recherche. Si cette initiative pour la « protection génétique » n’avait pas été rejetée, je ne serais pas rentré en Suisse car

je n’aurais tout simplement pas pu y poursuivre mes recherches.

Et la votation du 9 février 2014 « contre l’im-migration de masse » ?

J’étais recteur depuis quelques jours et, honnêtement, j’ignorais totalement que le programme de recherche européen Hori-zon 2020 serait touché en cas d’acceptation de cette initiative. Pareil pour Erasmus. Les conséquences de ce vote concernent tous les secteurs d’activité, mais les chercheurs et les étudiants ont été les premières victimes, même si la Suisse riche a réussi à récupérer un peu les choses pour les étudiants. Si l’initia-tive avait été votée six mois plus tard, Horizon 2020 était signé et nous étions bons pour six ans. Il en va de notre possibilité de recruter et d’attirer les chercheurs étrangers, de retenir les nôtres et de rester dans les compétitions internationales, pour faire une analogie avec le sport de pointe. Alors oui, nous devons par-ler, et les hautes écoles suisses, dans toute leur diversité, peuvent le faire maintenant d’une seule voix. Il faut rappeler à chaque occasion que l’éducation reste le meilleur investisse-ment pour un pays comme la Suisse. D’une manière générale, je suis pour une discussion approfondie sur les relations entre la Suisse et l’Europe, sans réduire la question à l’im-migration et aux universités. Pour revenir à Erasmus, je dois vous avouer que l’échange des étudiants est une des affaires que j’essaie de forcer ici à l’Université de Zurich, car 90% de nos étudiants ne partent pas, et c’est très isolant. Même deux mois intensifs durant l’été, ce serait mieux que rien.

Quelle est pour vous l’importance de l’ensei-gnement ?

J’épouse la philosophie de Humboldt où l’enseignement et la recherche sont le yin et le yang. Vous ne pouvez pas avoir l’un sans l’autre. Vous devez amener les étudiants à la limite du savoir, donc connaître tout ce qui se fait dans votre discipline pour pousser cette limite chez vous et chez les étudiants. Alors vous remplissez la fonction qui est la vôtre dans une université.

L’éducation reste le meilleur investissement

pour la Suisse.

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l’uniscope n° 610 | 2016

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3 - 4 juin 20161re édition

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2016 | l’uniscope n° 610

19Vie académique

A 38 ans, le professeur Richard Benton a décroché le Prix Latsis national 2015 pour ses travaux sur l’odorat de la mouche drosophile, un insecte qui le passionne depuis vingt ans.

Francine Zambano

«Pour moi, la recherche, ce n’est pas une question de célébrité mais un esprit d’équipe », com-

mente d’emblée Richard Benton. Le Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS), sur mandat de la Fondation Latsis, vient de lui décerner le prix du même nom, donné chaque année à un jeune chercheur de moins de 40 ans pour un travail exceptionnel mené en territoire helvétique. Professeur as-socié à la Faculté de biologie et médecine, au sein du Centre intégratif de génomique (CIG), Richard Benton a décroché la timbale 2015, d’une valeur de 100’000 francs, pour ses re-cherches sur l’odorat de la drosophile.

Il est visiblement ravi, Richard Benton. « C’est un honneur, dit-il. Je suis chef du groupe mais c’est vraiment un travail intense de collabo-ration avec toute mon équipe. » A 38 ans, le chercheur est une référence dans les milieux scientifiques. Il met son jeune succès sur le compte de sa formation en Angleterre, où le cursus est plus rapide. Humble, Richard Ben-ton ? « J’ai eu la chance d’établir mon propre groupe assez tôt. Aujourd’hui, c’est tellement difficile de trouver un poste professoral, les gens travaillent pendant des années comme postdoc, les carrières indépendantes com-mencent souvent plus tard qu’il y a dix ou vingt ans. »

Dans la nature

N’empêche. La recherche qu’il mène à l’UNIL est unique. Richard Benton étudie le sys-tème olfactif de la mouche. D’un côté, c’est un domaine assez spécialisé. D’un autre, il concerne beaucoup de monde : les neurobio-logistes car ces études permettent de mieux comprendre la structure et le fonctionnement des circuits neuronaux. Il plaît aussi aux écologistes, ce système permettant de com-prendre l’interaction entre les insectes et l’en-vironnement. L’odorat intéresse également le grand public : comprendre comment le nez

perçoit les odeurs nous ouvre une fenêtre sur le fonctionnement du cerveau.

En fait la drosophile est un organisme qui est facile à cultiver en laboratoire. « C’est un mo-dèle qui a été établi il y a plus d’un siècle, nous en avons donc une connaissance de base très vaste et pouvons tisser ainsi des liens entre le comportement, la physiologie, l’anatomie et la génétique. Aujourd’hui, nous pouvons manipuler tout type de gène dans n’importe quelle cellule de la mouche. Cela nous donne une puissance expérimentale qui est beaucoup plus élevée qu’avec d’autres organismes. »

« C’est beau »

Cette passion pour la mouche, Richard Ben-ton l’a ressentie pour la première fois pendant son bachelor à l’Université de Cambridge. Il avait alors 19 ans. « C’était lors d’un cours sur le développement embryonnaire de la mouche, j’ai trouvé ça beau ! » Après sa thèse,

le scientifique a reçu pour Noël un livre avec une drosophile en couverture. Il s’agissait d’une biographie de Seymour Benzer, un des pionniers de la neurogénétique. « C’était tel-lement bien écrit », souff le-t-il. Cet ouvrage lui a donné l’envie de chercher un poste de re-cherche dans un groupe de neurobiologistes. Richard Benton s’est retrouvé comme postdoc à New York à l’Université de Rockefeller, où il a commencé à étudier l’odorat. Le chercheur rejoint ensuite l’UNIL en 2007. « C’est vrai-ment un plaisir d’être ici. Je collabore avec les biologistes qui étudient l’évolution, avec des spécialistes en bioinformatique, avec des équipes d’ingénieurs pour construire un ro-bot aquatique qui détecte les polluants. Ces possibilités de collaboration sont un point fort, c’est inspirant. Nous pouvons compter sur des expertises techniques et intellectuelles pour traiter de n’importe quelle question. Lausanne, c’est un paradis pour la recherche fondamentale. »

Une affaired’équipe

A 38 ans, Richard Benton est une référence dans les milieux scientifiques. F.Imhof © UNIL

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20 Et pour finir…

Le tac au tac d’Adrien Bürki

C’était la mauvaise nouvelle de fin 2015 pour les amateurs de guitares et cheveux longs ! Le parrain du rock, alias Lemmy Kilmister, a fini par rendre les armes à 70 ans et 4 jours. Et avec lui, inévitablement, c’est aussi Motörhead qui débranche. Emblème de l’intransigeance et du « tout est permis », il laisse bien heureusement un héritage colossal. Résumé en trois points.

Ace of Spades, 1980. C’est un rock, c’est un pique, c’est un as. Que dis-je ? C’est un classique ! Qui vient marquer la transition entre les années septante et huitante, et la mouvance heavy

qui s’amorce alors. En moins de trois mi-nutes, le morceau ouvre aussi bien l’album éponyme que la voie à une décennie de groupes qui pousseront toujours plus loin les limites de la vitesse et du son.

I Ain’t no Nice Guy, 1992. C’est sur les réseaux sociaux que le groupe a annoncé le décès soudain de son bassiste et chan-teur, le jeudi 28 décembre 2015, deux jours seulement après qu’un cancer a été dia-gnostiqué à Lemmy. Et les réactions n’ont pas tardé à pleuvoir. Dave Navarro, Juliette Lewis, Metallica, Airbourne, Dave Grohl, Jimmy Page ou encore le photographe Ross Halfin. Pléthore de stars ont tenu à rendre hommage à l’un des leurs. Car des frères de route, Lemmy en avait. Et certaines amitiés ont par ailleurs donné naissance à des collaborations plus qu’intéressantes, comme lorsque Motörhead décide d’inviter le chanteur Ozzy Osbourne et le guitariste soliste des Guns N’ Roses Slash sur un titre de l’album March Ör Die.

Whorehouse Blues, 2004. Lemmy, c’était la démesure et l’excès. Mais il était aussi un homme des fondamentaux. Preuve sur le dernier titre de l’album Inferno, qui conclut sur un blues acoustique tout en simplicité. Deux guitares, un harmonica et, on l’ima-gine, un verre de Jack qui se vide aussi vite que les couplets s’enchaînent.

ISSN 1660–8283 | Uniscope, p.p. 1015 Lausanne | Unicom, service de communication et d’audiovisuel | Tél. 021 692 20 70, fax 021 692 20 75 | [email protected], www.unil.ch |

Editeur Unicom, Université de Lausanne | Directeur d’édition Philippe Gagnebin (Ph.G.) | Rédactrice en cheffe Francine Zambano (F.Zo) | Rédaction David Trotta (D.T.) + Nadine Richon (N.R.) + Mélanie Affentranger (M.A.) + David Spring (D.S.) | Direction artistique Edy Ceppi | Graphisme et mise en page Joëlle Proz | Correcteur Marco Di Biase | Photo couverture Felix Imhof | Impression PCL Presses Centrales SA | Arctic Volume White 90 gm2, sans bois | Photolitho Images3 Lausanne | Publicité Go ! Uni-Publicité SA à Saint-Gall tél. 071-544 44 70, [email protected]

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Qui suis-je ? concours

Les propos tenus dans l’uniscope n’engagent que leurs auteur·e·s.

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Si vous étiez un film ?Les oiseaux de Hitchcock. Pour sa perfection formelle et l’absence de musique qui donne à l’action son intensité.

Si vous étiez un réalisateur ?Wes Anderson. J’admire son univers visuel et narratif très minutieux et stylisé – et drôle – où les personnages et leur complexité affleurent de manière discrète et personnelle.

Si vous étiez un acteur ?Une actrice ! Jennifer Lawrence : une de ces comédiennes capables de sauver un film à elles seules.

Si vous étiez un personnage de fiction ?Hrundi V. Bakshi, le héros de The Party, incarné par Peter Sellers : un vrai/faux acteur indien, rôle presque muet, hilarant.

Si vous étiez une série TV ?Code Quantum, pour le mariage de la science-fiction, de l’humanisme et de la comédie.

Si vous étiez une chanson d’amour ?Chelsea Hotel #2 de Leonard Cohen.

Petit, vous vouliez être…Archéologue. Ou plutôt, je voulais être Indiana Jones !

Votre lecture du moment ?Je relis Le Seigneur des anneaux, dans une nouvelle traduction récemment parue, ce qui remet de l’étrangeté dans un univers connu.

Qu’est-ce que vous appréciez particulièrement à l’UNIL ?L’Anthropole. Pas seulement parce que j’y ai fait mes études : j’aime le contraste entre ce bâtiment monumental et un peu froid et la vie qui y fourmille.

Qu’est-ce que vous n’aimez pas à l’UNIL ?Les vendredis après-midi.

La plus importante invention de toute l’histoire de l’humanité ?Les poches. En plus des films, des livres et des mains, on peut y mettre tant de choses utiles et inutiles.

Un don que vous souhaiteriez posséder ?Pouvoir rajouter un jour avant les délais…

Par Francine Zambano

Katharina Hausherr, Service Génotypage, CIG, a reconnu Madame Fruzsina Szuromi , la directrice du Chœur Universitaire, et remporte donc le tirage au sort.

Adrien Bürki, documentaliste scientifique à la section d’histoire de l’art et vainqueur du concours du film de poche de l’UNIL. F. Imhof © UNIL

Un tirage au sort sera effectué parmi les bonnes réponses. L’heureux·euse gagnant·e se verra offrir un objet de la boutique UNIL.

LEMMY

COUP DE CŒURde David Trotta

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