un revirement jurisprudentiel important en matière de responsabilité médicale pour défaut...

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MISE AU POINT Un revirement jurisprudentiel important en matière de responsabilité médicale pour défaut d’information A significant jurisprudential turn-around in terms of medical responsibility for lack of information C. Rougé-Maillart a, * ,b,c , G. Visseaux a , A. Gaudin a , N. Jousset a a Service de me ´ decine le ´ gale, CHU d’Angers, 4, rue Larrey, 49933 Angers cedex 09, France b IFR 132, LHEA Inserm U922, universite ´ d’Angers, 49035 Angers, France c Centre de recherche juridique et politique JeanBodin, Upres EA n o 4337, universite ´ d’Angers, 49000 Angers, France MOTS CLÉS Responsabilité médicale ; Information du patient ; Consentement du patient ; Perte de chance ; Préjudice d’impréparation Résumé L’arrêt rendu le 3 juin 2010 par la première chambre de la Cour de cassation est capital en matière de responsabilité médicale liée au défaut d’information. En effet, non seulement il reconnaît l’indemnisation pouvant découler d’un défaut d’information du patient sur le risque encouru, quand bien même la connaissance de ce risque n’aurait pas eu d’incidence sur le consentement du patient mais il ouvre la voie de la consécration du droit à l’information comme un droit subjectif. # 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. KEYWORDS Medical responsibility; Patient notification; Patient consent; Loss of opportunity; Prejudice through lack of preparation Summary The ruling given on 3 June 2010 by the main chamber of the Appeal Court is fundamental in terms of medical responsibility linked to a lack of information. Effectively, not only does it recognize any compensation which may occur as a result of a failure to inform the patient about the risks run, even when knowledge of this risk would not have affected the patient’s consent, it also paves the way for the recognition of the ‘‘right to know’’ as a subjective right. # 2011 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. La première chambre civile de la Cour de cassation a rendu le 3 juin 2010 un arrêt qui a déjà été très commenté 1 [21]. Les faits sur lesquels la Cour de cassation devait statuer peuvent être résumés comme suit : un patient est atteint La revue de médecine légale (2011) 2, 2227 * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (C. Rougé-Maillart). 1 Cass. première civ., 3 juin 2010, n o 09-13591 cassation par- tielle de CA Bordeaux, 9 avril 2008. 1878-6529/$ see front matter # 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.medleg.2011.02.003

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MISE AU POINT

Un revirement jurisprudentiel important enmatière de responsabilité médicale pour défautd’informationA significant jurisprudential turn-around in terms of medical responsibilityfor lack of information

C. Rougé-Maillart a,*,b,c, G. Visseaux a, A. Gaudin a, N. Jousset a

a Service de medecine legale, CHU d’Angers, 4, rue Larrey, 49933 Angers cedex 09, Franceb IFR 132, LHEA Inserm U922, universite d’Angers, 49035 Angers, FrancecCentre de recherche juridique et politique Jean—Bodin, Upres EA no 4337, universite d’Angers, 49000 Angers, France

MOTS CLÉSResponsabilité médicale ;Information du patient ;Consentement dupatient ;Perte de chance ;Préjudiced’impréparation

Résumé L’arrêt rendu le 3 juin 2010 par la première chambre de la Cour de cassation estcapital en matière de responsabilité médicale liée au défaut d’information. En effet, nonseulement il reconnaît l’indemnisation pouvant découler d’un défaut d’information du patientsur le risque encouru, quand bien même la connaissance de ce risque n’aurait pas eu d’incidencesur le consentement du patient mais il ouvre la voie de la consécration du droit à l’informationcomme un droit subjectif.# 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDSMedical responsibility;Patient notification;Patient consent;Loss of opportunity;Prejudice through lackof preparation

Summary The ruling given on 3 June 2010 by the main chamber of the Appeal Court isfundamental in terms of medical responsibility linked to a lack of information. Effectively, notonly does it recognize any compensation which may occur as a result of a failure to inform thepatient about the risks run, even when knowledge of this risk would not have affected thepatient’s consent, it also paves the way for the recognition of the ‘‘right to know’’ as asubjective right.# 2011 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

La revue de médecine légale (2011) 2, 22—27

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected]

(C. Rougé-Maillart).

1878-6529/$ — see front matter # 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droidoi:10.1016/j.medleg.2011.02.003

La première chambre civile de la Cour de cassation a rendu le3 juin 2010 un arrêt qui a déjà été très commenté1 [21].

Les faits sur lesquels la Cour de cassation devait statuerpeuvent être résumés comme suit : un patient est atteint

1 Cass. première civ., 3 juin 2010, no 09-13591 — cassation par-tielle de CA Bordeaux, 9 avril 2008.

ts réservés.

2 Pour exemple : CA Paris, première ch., sect. B, 9 mai 2008, no 06/20 616 « les juges déduisent des circonstances que le patient étaitprêt à accepter certains risques même vitaux afin de remédier à sesdouleurs et que même si elle ne peut être totalement exclue, laprobabilité de renonciation en raison du risque de paralysie radialeétait donc très modérée ; en conséquence, la chance perdu estramené à 30 % du préjudice total ».

3 Cass. première civ., 7 décembre 2004, no 02-10957.4 CE 19 mai 2004, no 216039.

Un revirement jurisprudentiel important à propos du défaut d’information du patient 23

d’impuissance à la suite d’une adénomectomie prostatique.Il recherche la responsabilité de l’urologue, d’une part, autitre d’un défaut d’information préalable sur les risques detroubles érectiles liés à cette intervention et, d’autre part,au motif que le médecin n’avait pas rempli son obligation desuivi postopératoire.

Le manquement fautif dans le suivi opératoire n’est pasretenu.Encequi concerne ledéfautd’information, celui-ci estétabli. Mais les juges de la Cour d’appel de Bordeaux estimentque ce défaut d’information n’a pas causé de préjudice aupatient en raison du caractère nécessaire de l’intervention.

En effet, les juges du fond relèvent qu’il n’existait pasd’alternative à l’adénomectomie pratiquée, eu égard audanger d’infection que faisait courir le maintien de la sondevésicale. Ils ont donc estimé qu’il était peu probable que lepatient, même dûment averti des risques érectiles, auraitrenoncé à l’intervention. Ils ont ainsi rejeté la demanded’indemnisation du patient.

Contestant cette décision, le patient se pourvoie encassation. Un des moyens est de mettre en avant que ledéfaut d’information constitue un manquement à une obli-gation fondamentale et que ce manquement peut êtreconsidéré comme un préjudice, même uniquement moral,que le juge ne peut laisser sans réparation.

L’arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux est cassé sur lefondement des articles 16, 16-3 al2 et 1382 du code civil. LaCour de cassation énonce « qu’il résulte des deux premiers deces textes que toute personne a le droit d’être informée,préalablement aux investigations, traitements ou actions deprévention proposés, des risques inhérents à ceux-ci et quesonconsentementdoit être recueilli par lepraticienhors lecasoù son état rend nécessaire une intervention thérapeutique àlaquelle elle n’est pas à même de consentir ; que le non-respect du devoir d’information qui en découle cause à celuiauquel l’informationétait légalement due, unpréjudice qu’envertu du dernier texte le juge nepeut laisser sans réparation ».

Après plusieurs années d’une jurisprudence contestée, laCour de cassation consacre une solution souhaitée par unepartie de la doctrine : le défaut d’information sera désor-mais, dans tous les cas, source de responsabilité.

Cependant, on ne peut voir, dans cet arrêt, une recon-naissance du préjudice d’impréparation, tel qu’il étaitsuggéré par certains auteurs. Certes, il est acquis que laréparation d’un préjudice moral doit être reconnue en casde manquement au devoir d’information, même s’il est établique le patient, dûment averti, aurait accepté l’acte de soin ;mais comme le disait le professeur Baccache [2], ce n’est pasla consécration d’un nouveau chef de préjudice mais la consé-cration d’un nouveau droit subjectif, le droit à l’information.

Nous nous proposons de revenir brièvement sur la juris-prudence de ces dernières années en matière d’informationdu patient avant de présenter les commentaires et avis sur laportée de cet arrêt.

La perte de chance, seul préjudiceindemnisable lors d’un manquement audevoir d’information

Bien qu’ayant constaté le défaut d’information du patient,les juges de la Cour d’appel de bordeaux ont estimé

que ce manquement ne pouvait être à l’origine d’un préju-dice pour ce dernier, l’intervention s’étant avérée néces-saire.

Cette solution était en conformité avec une jurisprudenceconstante en la matière depuis quelques années [19].

En effet, il avait été reconnu que le défaut d’informationdu patient ne peut être la cause directe du dommage (qui luiest en rapport uniquement avec l’acte de soin) mais seule-ment d’un dommage de perte de chance : le patient a perduune chance d’échapper au risque car il n’a pas eu le choix derefuser l’intervention, choix qu’il aurait eu s’il avait étéaverti du risque. Le dommage réparable n’est donc pas celuide l’intégralité des préjudices subis par le patient maisseulement celui d’une fraction de ces préjudices. Pour lecalculer, les juges évaluaient les chances qu’aurait eu lepatient de refuser l’intervention s’il avait été correctementinformé. Cette évaluation de la perte de chance étant laisséeau libre arbitre des juges, certaines juridictions avaientd’ailleurs tenté de donner des bases objectives à cetteappréciation2.

Des juridictions du fond avaient bien tenté, à plusieursreprises, de condamner des médecins à réparer l’entierdommage [17]. Mais, par des décisions similaires, laCour de cassation et le Conseil d’État avaient mis fin àces tergiversations : « la violation d’une obligation d’infor-mation ne peut être sanctionnée qu’au titre de la pertede chance subie par le patient d’échapper par unedécision peut-être plus judicieuse au risque qui s’estfinalement réalisé »3 ; « la réparation du préjudicerésulte pour le patient de la perte de chance de se sous-traire au risque dont il n’avait pas été informé et doitêtre fixée à une fraction des différents chefs depréjudice »4.

Ainsi, le médecin qui a manqué à son devoir d’informa-tion ne pouvait être condamné qu’à indemniser la perte dechance et non l’entier préjudice. Il pouvait même échap-per à toute responsabilité lorsqu’il était établi qu’aucuneperte de chance ne pouvait être reconnue. En effet,lorsque l’acte médical s’avère indispensable, les jugesavaient estimé que la perte de chance ne pouvait êtreretenue. Les juges considéraient que, même averti desrisques, le patient n’aurait pas refusé l’acte de soin. Ainsi,il avait été établi que le défaut d’information ne pouvaitdonner lieu à réparation que si l’acte thérapeutique nes’avérait pas indispensable.

Ce raisonnement, qui fut initialement celui de la Cour decassation dans son arrêt rendu le 20 juin 2000 (aboutissementde l’affaire Hédreul) [10] avait été adopté de manière

24 C. Rougé-Maillart et al.

constante par les juridictions aussi bien civiles qu’adminis-tratives5 [5].

C’est donc conformément à cette jurisprudence que lesjuges de la Cour d’appel de Bordeaux ont rendu leurdécision : l’adénomectomie était indispensable puisque lepatient n’aurait pu garder la sonde à demeure en raison durisque infectieux. Ainsi, le défaut d’information n’étant pasà l’origine d’un préjudice, aucune indemnisation ne pouvaitêtre retenue.

Cependant, ce recours à la perte de chance était critiquépar une partie de la doctrine qui estimait que la reconnais-sance de ce préjudice intermédiaire n’était passatisfaisante : le patient ne pouvait obtenir, tout au plus,qu’une réparation partielle de son dommage (et parfoisaucune indemnisation).

La recherche d’une meilleure indemnisationdes patients lors d’un défaut d’information

Il estvrai quedepuisquelquesmois, sedessinaitunemouvancejurisprudentielle très claire, la Cour de cassation semblantrechercher des palliatifs à la limitation de la réparation dudommage dans un contexte de défaut d’information.

Dansun arrêt rendu le 28 janvier 20106, elle reconnaissait lapossibilité de cumuler la réparation du préjudice néde lapertedechanced’éviter l’interventionenraisond’undéfautd’infor-mation et celle du préjudice corporel lié à l’acte médical.

Dans cette affaire, une patiente avait subi une interventionpour traitement d’une hernie hiatale. Cette interventions’était compliquée de douleurs récalcitrantes. L’expertiseavait établi, d’une part, que la patiente n’avait pas étéinformée des risques de cette intervention et, d’autre part,que l’intervention réalisée (vagotomie et pyloroplastie) étaitinjustifiée. La Cour d’appel avait limité la condamnation dumédecin à l’indemnisation de la perte de chance d’avoir évitél’opération chirurgicale. La Cour de cassation a cassé cettedécision,estimantque lespréjudicesdont lapatiente avaitétévictime « découlaient de façon directe, certaine et exclusived’une intervention chirurgicale mutilante, non justifiée et nonadaptée de sorte qu’ils ouvraient aussi droit à réparation ».

5 Cass. première civ. 6 décembre 2007 : le préjudice de perte dechance n’est pas retenu par les juges qui estiment que mêmeinformée la patiente n’aurait pu se rendre dans un autre établisse-ment vu la gravité de son état — CAA Bordeaux, 2 octobre 2008,no 06BX01018 : pas de responsabilité pour défaut d’informationlorsqu’il n’y a pas eu de perte de chance — CA Paris,28 novembre 2008, no 06/14147 la perte de chance de renoncer àl’intervention n’est pas démontrée et la patiente est déboutée.Cass. première civ., 16 octobre 2008, no 07-16.716, l’absenced’information ne cause aucun préjudice indemnisable lorsqu’il estétabli que le patient, même informé des risques, n’aurait pas refuséde se soumettre à l’acte médical. CAA Bordeaux, 7 février 2008,no 05BX01981, le défaut d’information ne peut engager la responsa-bilité du centre hospitalier que si ce défaut a fait perdre au patientune chance de se soustraire à la réalisation du risque en refusant dese soumettre à l’acte médical. Et plus, récemment CE 19 mars 2010,A., no 310421 « la faute commise par le centre hospitalier pour ne pasl’avoir informé des risques de compression médullaire. . . n’a pasentraîné de perte de chance pour le patient de se soustraire aurisque qui s’est finalement réalisé ».

6 Cass. première civ., 28 janvier 2010, no 09/10.992.

Il est vraiquecetarrêtneremettait pas clairementencausele principe d’une réparation du défaut d’information limitée àla seule perte de chance puisque le praticien avait égalementcommis une faute technique. Mais cette décision reconnaissaitla possibilité d’une indemnisation supplémentaire lorsquel’obligation d’information faisait défaut et qu’une faute médi-cale distincte était à l’origine de séquelles physiques.

Cela démontrait la volonté des juges d’améliorer l’indem-nisation de la victime et pour reprendre l’expression deF. Arhab-Girardin d’apporter « une réponse aux critiquesdoctrinales dénonçant une régression dans la sanction dudéfaut d’information » [1].

Un deuxième arrêt dénotait également de cette volonté7.Un patient avait présenté une paraplégie grave dans lessuites d’une intervention chirurgicale pour hernie discale.Un défaut d’information avait été retenu à l’encontre dumédecin qui avait été condamné à indemniser le préjudicede perte de chance en rapport avec cette faute, préjudiceévalué à 80 % de l’entier dommage. Le patient avait égale-ment saisi l’Oniam pour demander l’indemnisation du surplus(soit 20 %) au titre de la solidarité nationale. Deux problèmesse posaient dans cette affaire : tout d’abord, celui de savoirsi le patient indemnisé par le médecin au seul titre de laperte de chance pouvait demander à l’Oniam le complémentd’indemnisation (ce à quoi la Cour de cassation a répondu parla positive). Mais, et c’est ce qui nous intéresse, se posaitégalement la question de la reconnaissance du préjudice deperte de chance voué au caractère nécessaire ou non del’intervention.

En effet, le médecin, dans cette même affaire, s’étaitpourvu en cassation, contestant le caractère nécessaire del’intervention. Il voulait ainsi démontrer que le patientn’avait perdu aucune chance d’éviter le dommage puisque,même informé des risques, il aurait accepté l’intervention(pourvoi reposant sur une jurisprudence jusqu’ici classique).Et si la Cour de cassation a rejeté le pourvoi, c’est au motifqu’en l’espèce, les conditions du caractère nécessaire del’intervention n’étaient pas réalisées.

Par cette décision, les juges voulaient « pallier » àl’impossibilité d’indemniser intégralement le dommage encas de faute d’information. Cependant, ils ne semblaient pasvouloir remettre en cause le principe qu’un défaut d’infor-mation ne peut conduire à indemniser que la perte de chanceet que ce préjudice doit être certain et donc lié au caractèrenon indispensable de l’acte.

Toutefois, le professeur Baccache avait souligné que cetarrêt n’était peut-être « qu’une étape provisoire dans l’évolu-tion de la responsabilité pour défaut d’information » [3].

Et en effet, depuis plusieurs années, une partie de ladoctrine se demandait s’il ne fallait pas reconnaître unpréjudice indépendant du préjudice de perte de chance.

La reconnaissance d’un préjudiced’impréparation : une solution souhaitée parune partie de la doctrine

Comme nous l’avons expliqué auparavant, la reconnaissancedu préjudice de perte de chance se heurte à la réalité du

7 Cass. première civ., 11 mars 2010, no 09-11.270.

8 Cass. première civ., 22 octobre 2009, no 08-15.442.

Un revirement jurisprudentiel important à propos du défaut d’information du patient 25

caractère indispensable de l’acte. En effet, non informé durisque, le patient a perdu une chance de se soustraire à l’actemédical ; mais encore faut-il que ce choix perdu ait été réel ?Si l’acte était indispensable, le patient n’aurait, de toutesfaçons, pas eu le choix et en l’absence de choix, il n’y pas deperte de chance. Dans cette situation, le défaut d’informa-tion n’est donc source d’aucun préjudice et donc d’aucuneindemnisation.

Mais une partie de la doctrine proposait d’indemniser unnouveau préjudice [12,14]. En effet, le Pr Penneau sedemandait si, indépendamment du préjudice consistant enla perte de chance de refuser un acte médical, le défautd’information ne pouvait être source d’un autre préjudice,qualifié de préjudice d’impréparation [14]. Ainsi, même si lepatient n’a pas d’autres choix que d’accepter une interven-tion indispensable, il doit être informé des risques gravesencourus. Non averti de ces risques, le patient est « horsd’état de se préparer moralement à la possibilité de sasurvenue et subit un dommage psychologique d’autant plusgrand que l’accident survenu est grave. . . Il a toute raison des’en plaindre et d’en demander réparation » [14].

La reconnaissance de ce préjudice moral permettraitd’être pratiquement toujours indemnisé lors d’un manque-ment sur l’information des risques. Comme l’expliquaitL. Neyret [13], il s’agirait de mettre en place un système« à triple détente. . . la victime pourrait réclamer ainsi à titreprincipal la réparation intégrale de son dommage corporel,ensuite à titre subsidiaire la réparation de la perte de chanced’éviter ce dommage et à titre infiniment subsidiaire laréparation du préjudice moral de non préparation ».

Cependant, la Cour de cassation ne semblait pas vouloirmodifier sa jurisprudence ; on se souvient, en effet, desnombreux commentaires qu’avait suscité l’arrêt rendu le6 décembre 2007 par la première chambre civile, arrêt decassation partielle d’une décision de la Cour d’appel deBordeaux [2,4,13,15,20] : les juges devaient statuer sur lademande d’indemnisation de la famille d’un patient décédédes suites d’une hémiplégie grave survenue au décours d’uneintervention sur les carotides. Il était reproché au chirurgiende ne pas avoir informé le patient et sa famille du risque quis’était finalement réalisé. Les juges avaient considéré qu’iln’existait pas de préjudice de perte de chance dans lamesure ou même informé du risque, le patient « comptetenu de la gravité du problème cardiaque, de son évolutionrapide, du caractère relativement faible du risque encouru,de la nécessité due à l’intervention » aurait décidé de se faireopérer. En revanche, ils avaient retenu un préjudice quis’apparentait au préjudice moral d’impréparation : si lepatient avait été informé du risque, il aurait pu se préparerà son éventualité et aurait subi un moindre choc lors de sasurvenue.

Mais la Cour de cassation avait cassé cette partie del’arrêt estimant qu’il n’était pas possible de reconnaîtrele préjudice moral : « . . . en statuant ainsi, quand le seulpréjudice indemnisable à la suite du non-respect de l’obliga-tion d’information du médecin, laquelle a pour objet d’obte-nir le consentement éclairé du patient est la perte de chanced’échapper au risque qui s’est finalement réalisé, la Courd’appel a violé les textes susvisés ».

Cette décision avait été largement critiquée par la doc-trine qui estimait qu’en refusant d’indemniser le préjudicemoral résultant d’un défaut d’information, la Cour de

cassation « méconnaissait un authentique préjudiceindemnisable » [11].

Depuis, quelques arrêts pouvaient laisser penser que laCour de cassation « ne paraissait plus aussi hostile à lapossibilité d’indemniser le préjudice résultant d’un défautd’information sur les risques encourus, même lorsque l’inter-vention était inévitable » [6]. Ainsi, le 22 octobre 20098, laCour de cassation devait se prononcer sur la demande d’unepatiente atteinte de radiodermite et qui recherchait laresponsabilité du médecin pour défaut d’information surles effets secondaires d’une radiothérapie. Le pourvoi invo-quait une violation des articles 16 et 16-3 du code civil. Cepourvoi avait été rejeté au motif que « la patiente nedemandait pas réparation d’un préjudice autre que le seulpréjudice corporel ». Si le pourvoi avait invoqué un préjudicedistinct du préjudice corporel, la Cour de cassation auraitpeut-être rendu une décision différente. Mais il est vrai queles juges ne s’étaient pas prononcés sur ce que devait être cepréjudice distinct et la décision s’inscrivait au final dans laligne jurisprudentielle antérieure.

L’arrêt rendu le 03 juin 2010 qui reconnaît l’indemnisa-tion du préjudice moral découlant d’un défaut d’informationalors que le soin était indispensable est donc un revirement.

Cependant, on ne peut pas voir dans cet arrêt une recon-naissance du préjudice d’impréparation, telle qu’elle étaitsouhaitée par une partie de la doctrine.

Certes, cet arrêt marque le fait que la réparation d’unpréjudice moral doit être reconnue en cas de manquementau devoir d’information, même s’il est établi que le patient,dûment averti aurait accepté l’acte de soin ; mais ce n’estpas au titre d’un préjudice né d’un manquement à la relationcontractuelle mais au titre de l’atteinte à un droit fonda-mental.

Le droit à l’information : un droit subjectifdu patient

Pour contester l’arrêt de la Cour d’appel de bordeaux, lepourvoi basait un de ses arguments sur le fait que« l’obligation du médecin d’informer son patient avant deporter atteinte à son corps est fondée sur la sauvegarde de ladignité humaine ; que le médecin qui manque à cetteobligation fondamentale cause nécessairement un préjudiceà son patient, fut-il uniquement moral, que le juge ne peutlaisser sans indemnisation ». On était bien au-delà d’unmanquement à une obligation contractuelle. Le pourvoiavançait l’idée d’une atteinte à un droit fondamental.Comment, en effet, pris de cette manière, laisser cettepatiente sans indemnisation ?

La Cour de cassation a suivi le pourvoi et cassé la décisionau visa des articles 16 et 16-3 alinéa 2 du code civil quiaffirment, l’un le principe du respect de la dignité de lapersonne, l’autre le principe de l’exigence du consentementà toute atteinte à l’intégrité du corps humain.

Depuis longtemps, des auteurs n’avaient pas manqué derappeler que le droit d’être informé découle du droit aurespect de l’intégrité corporelle consacré à l’article 16-3 ducode civil.

9 Cass. première civ. 20 mai 1936, RTD civ. 1936 :691.

26 C. Rougé-Maillart et al.

En 1998, le Pr S. Hocquet-Berg estimait que « afin demieux sanctionner les atteintes à ce devoir d’humanisme,mais aussi pour ériger celui-ci au rang de droit à la dignité dupatient, il est sans doute possible et souhaitable d’y voir là unvéritable droit subjectif » [9].

Déjà en 2001, la Cour de cassation elle-même avaitsoulignait que le devoir d’information « trouve son fonde-ment dans l’exigence du respect du principe constitutionnelde sauvegarde de la dignité de la personne humaine » [22].

Certains auteurs soulignaient que le droit du patient d’êtreinformé de son état de santé, des traitements et des soins,avait été consacré par la loi du 04 mars 2002 comme un droitsubjectif basé sur deux autres droits, le droit au respect del’intégrité corporelle et le droit au respect de la dignitéhumaine [16].

Il est vrai que la Cour de cassation avait, à plusieursreprises, réaffirmé que le devoir d’information est une obli-gation importante du médecin, quelles que soient lesconséquences sur le plan indemnitaire [18]. Et, ne pasreconnaître de préjudice, alors que le manquement à cedevoir d’information avait été établi, pouvait en effet êtrecritiquable.

Cependant, il y avait plusieurs façons de qualifier cepréjudice moral né du défaut d’information. Le préjudiced’impréparation en était une. La Cour de cassation sembleavoir opté pour la seconde : la reconnaissance d’un préjudicespécifique résultant de l’atteinte à la dignité humaine.

Comme le souligne certains auteurs, la reconnaissance dudroit à l’information comme un droit subjectif permetd’échapper aux conditions classiques de la responsabilitécivile que sont la nécessité de prouver la faute et le dommage[20]. En effet, la faute et le dommage « moral » qui enrésultent sont constitués par la violation même de ce droitsubjectif. Et la violation d’un droit subjectif constitue tou-jours une faute délictuelle. Le patient n’a pas à prouver unequelconque imprudence ou malveillance. Et le non respect dece droit constitue par lui-même un dommage. C’est d’ailleursce dernier point qui dérangent certains auteurs qui auraientpréféré que le préjudice moral soit reconnu comme un nou-veau chef de préjudice et non un droit subjectif ; comme lesouligne le Pr Baccache « si l’on va jusqu’au bout du raison-nement, il faudrait admettre l’indemnisation du patient malinformé même lorsque le risque attaché à l’intervention nes’est pas réalisé » [2]. Pour reprendre l’expression d’autresauteurs [11—13], cette solution risque « d’ouvrir une boîte dePandore », un patient même bien traité et n’ayant souffertd’aucundommage pouvant prétendre à une indemnisation dèsque son médecin n’est pas en mesure de prouver qu’il l’ainformé sur les risques encourus.

Mais, la reconnaissance par la Cour de cassation de droit àl’information comme un droit subjectif s’inscrit probable-ment dans une évolution plus générale des bases de laresponsabilité médicale.

Vers une évolution des fondements de laresponsabilité médicale ?

Selon plusieurs auteurs, notamment le Pr Sargos [21], cesarrêts modifient non seulement la responsabilité liée audéfaut d’information mais également « les fondementsmême du droit de la responsabilité médicale générale ».

En effet, comme nous l’avons expliqué précédemment,les visas de cassation de l’arrêt du 03 juin 2010 se réfèrentaux articles 16 et 16-3 du code civil et 1382 du même code,article princeps de la responsabilité délictuelle. Déjà, le28 janvier 2010 (arrêt précité) la Cour de cassation avaitrendu sa décision au double visa des articles L 1142-1 ducode de santé publique et 16-3 du code civil. Et, celan’avait pas échappé à plusieurs auteurs, dans son arrêtfort décrié du 06 décembre 2007, la Cour de cassationavait fondé son raisonnement sur le double visa desarticles R 4127-36 du code de Santé Publique et 1382 ducode civil.

Ainsi, il semblerait que le nouveau fondement dela responsabilité médical repose désormais sur le seulcode de santé publique et que la responsabilité qui endécoule soit une responsabilité délictuelle fondée surl’article 1382 du même code et non une responsabilitécontractuelle fondée sur l’article 1147.

Plusieurs auteurs souhaitaient que les responsabilitésmédicales civile et administrative se fondent sur un mêmetexte, ce qui est actuellement possible avec l’avènement dela loi du 04 mars 2002 [8].

De plus, il est vrai que le cadre contractuel, qui était celuide la responsabilité médicale civile depuis 1936, était parfoisnon adapté. La jurisprudence, à la recherche d’une indem-nisation du patient, avait parfois déformé la notion contrac-tuelle, faisant entrer dans le contrat médical des principesdélictuels. Nous pouvons également souligner que, depuis lareconnaissance d’une responsabilité contractuelle du faitdes choses et l’uniformité du délai de prescription introduitpar la loi du 04 mars 2002, il n’y avait plus de différence entrela faute contractuelle et la faute délictuelle en matière deresponsabilité médicale civile.

Ce changement de nature de responsabilité aura t-il desconséquences pratiques ? Il convient de rappeler que la loi du04 mars 2002 n’a pas modifié foncièrement les règles de laresponsabilité médicale. Celles-ci avaient été posées, en1936, par l’arrêt mercier9 qui définissait l’obligation dumédecin comme étant « l’engagement, sinon bien évidem-ment de guérir le malade, ce qui n’a d’ailleurs jamais étéallégué, du moins de lui donner des soins non pas quelcon-ques mais consciencieux, attentifs et réserves faites descirconstances exceptionnelles, conformes aux donnéesacquises de la science ». La faute se définissait par l’erreurque n’aurait pas commise un médecin prudent et diligent. Lejuge administratif a, de son côté, toujours également retenucette définition de la faute médicale. La loi du04 mars 2002 n’a pas modifié cette approche.

Mais, pour certains auteurs [7], ces nouveaux fonde-ments modifient symboliquement les rapports médecin-patient : il ne s’agit plus d’une responsabilité découlantdes rapports spécifiques déterminés par le contrat maisd’une responsabilité pouvant trouver sa source dansl’atteinte à des droits fondamentaux de la personne.Certes, le juge civil et le juge administratif ont toujoursadmis que le non respect des droits des patients étaitfautif et pouvait être source de responsabilité, à conditionque ce manquement fautif ait entraîné un dommage clai-rement identifiable.

Un revirement jurisprudentiel important à propos du défaut d’information du patient 27

Ce dernier point peut susciter des inquiétudes et c’estd’ailleurs la problématique que soulevait Jousset et al. [11] :il serait préjudiciable d’engager la responsabilité d’un méde-cin pour non respect d’un droit fondamental du patient alorsqu’il a apporté à celui ci les soins que ce dernier attendait.Comme le soulignait le Pr Baccache, parlant du préjudicemoral induit de la violation du droit subjectif à l’information[2], « ce préjudice est trop incertain, trop hypothétique ». Etcet auteur de rappeler également que cette voie d’indem-nisation n’est pas plus sûre pour les patients, « la violationd’un droit subjectif ne faisant pas toujours présumer ledommage et ne dispensant pas toujours la victime. . . d’enrapporter la preuve ».

La relation médecin-patient a beaucoup évolué ces der-nières années avec une réelle prise de conscience des méde-cins de la place du patient dans la décision.

Il ne faudrait pas que les médecins voient leur responsa-bilité recherchée plus souvent pour non respect d’un droit dupatient que pour mauvaise exécution leur activité de soins.La question du respect de ces droits ne doit pas occulter lamission première du médecin qui est de soigner. Il convientcependant de souligner que les juridictions administrativesn’ont, pour l’instant, pas modifié leur jurisprudence et n’ontpas reconnu le préjudice moral résultant d’un défaut d’infor-mation. En effet, la Cour d’appel de lyon10 a récemmentrefusé d’indemniser un patient au motif que le défautd’information constaté n’avait pas eu d’incidence sur sonconsentement. Attendons l’avis du Conseil d’Etat. . .

Déclaration d’intérêts

Les auteurs déclarent sur l’honneur qu’il n’y a pas de conflitd’intérêt.

Références

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2010.[8] Dreifuss-Netter F. Feu la responsabilité contractuelle du

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1999;Juris:46—50.[15] Penneau J. Dalloz 2009;17:1302.[16] Pierre P. La responsabilité médicale à l’aune de « la loi

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