tonquédec, g. k. chesterton, ses idées et son caractère (1920)
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CHESTERTON
G. K.
CHESTERTON
DU MEME AUTEUR
La
Xolion de Vrit dans la " Philosophie nouvelle Beauchesne. 1 vol, in-8 couronne francola doctrine
". Paris.
:
2 2 50
Immanence. Essai critique surBlondel.
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M.
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Introduction l'tude du Merveilleux et du Miracle. librairie. 1 vol. in-8 cu
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L'uvre de Paulcouronne
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Une preuvelibrairie.
de l'Existence de Dieu^ Mme Brochure in-8 couronne francofacile:
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JOSEPH DE TONQUDEC
G. K.
CHESTERTONSES IDEESET
SON CARACTRE
uOtmvaPARISNOUVELLE LIBRAIRIE NATIONALE3,
PLACE DU PANTHON, 3
//
a t
lire
de cet ouvragefil
douze exemplaires sur Verg teint purdes Papeteries
Lafuma
numrots
ta
presse de 12
G. K.
CHESTERTON
Gilbert Keith Chesterton est aujourd'hui l'un descrivains les plus en vue de l'Angleterre. part quelques amateurs,
En France,
,
I
j
personne pour ainsi dire ne le connat. La rencontre de ses livres a t pour moi, je l'avoue, une rvlation, et j'estime que cette tude le sera pour beaucoup de mes lecteurs. Journaliste, pote, romancier, essayiste , philosophe et apologiste, on pourrait presque dire thologien,il
a produit
rable, qui s'accrot
une uvre chaque jour,
littraire considet s'accrotra
sans
i
doute longtemps encore, car l'crivain qui compte, si je ne me trompe, peine quarante-cinq ans d'ge, est dans la pleine fleur de son talent. Je confesse par que je n'ai pas lu cette uvre en entier, exemple je n'ai pas dpouill les treize annes du Daily News, o, de 1900 1913, Chesterton apporta et je ne mentionsa collaboration hebdomadaire, jierai pas tout ce que j'en ai lu. Force sera d'en laisser ici de ct bien des aspects. Ce que je voudrais dgager, ce sont les principes qui dominent cette intelligence, les tendances matresses de ce temprament, et leurs consquences dans les divers ^domaines. Car Chesterton a beau se montrer le plus fantaisiste, le plus ondoyant, le plus insaisissable, le plus nigmatique des crivains, ses zig-
.
5
G. K.
CHESTERTON
zags ont une orientation et ses soubresauts manifestent des instincts permanents. Et quand, aprs avoir copieusement critiqu, raill et bouscul tout le monde, il consent enfin nous dire ce qu'il pense pour son compte, une philosophie clt tout naturellement sous sa plume, dont, une fois averti, on peut suivre la circulation latente dans son uvre entire. Pour la discerner, nous explorerons surtout les ouvrages o elle se trouve expose de faonsi l'on peut employer un tel mot en parlant de Chesterton. Ce seront d'abord les deux volumes qui se font pendant Heretics et Orlhodoxy, dont le second retrace l'itinraire de
plus didactique,
:
l'crivain vers la foi, puis surtout
un roman tout^
^rempli d'ides
:
The Bail and Ihe Crossil
Quelle estC'est
la position religieuse
un
converti. Jadis
attaquait l'Eglise:
de Chesterton ? main;
deux romans assez 1. Ont t traduits dans notre langue dconcertants pour nous Franais le Napolon de Notline^:
Jeudi (The 1912, et le 1911, la Nouvelle Revue franaise policires: The Innocence of Falher
mil,
Nomm
Man who was;
Thursday),ce, titre:
un volume;
Brown, sous;
d'histoires la
Clairvoyance du Pre Brown, chez Perrin, 1919 VElude sur un ouvrage de poliDickens, la librairie Delagrave, 1909 tique les Crimes de l'Angleterre, chez Georges Grs, 1916 divers fragments, par exemple, un chapitre 'Orfhodoxy, par Paul Claudel, dans la Nouvelle Revue franaise, un autre dans la Revue universelle. Je crois savoir qu'une traduction d'Orfhodoxy paratra sans tarder et peut-tre ensuite une traduction (JIerelics. Andr Ghevrillon a publi une tude sur Ghesterton, sous le, titre Une apologie du chrislianisme, dans ses Nouvelles ludes anglaises. Hachette, 1918. Jean Blum (traducteur du Napolon de Nolling Ilill, sous le pseudonyme de Jean Florence) en a publi une autre, dans la Revue germanique, janvier 1910. Les ouvrages traduits en entier seront cits ici: ; :
d'aprs les traductions publies.
G. K.
CHESTERTONIl
tenant,
il
lui
rend hommage.
a travers le paga-
nisme, l'agnosticisme, le spiritisme, pour aboutir /_ce qu'il appelle l'orthodoxie . Mais quelle ortho-
rgne une certaine imprcision. Quand j'emploie ce mot, dit notre auteur, je parle de la thologie chrtienne centrale, suffisamment rsuyne dans le Symbole des Aptres . L'orthodoxie, c'est ce Symbole, tel qu'il a t entendu par quiconque s'intitulait chrtien jusqu' une poque toute rcente, et la conduite gnrale, telle que l'histoire nous la fait connatre, de ceux qui y adhraient . Quant au sige actuel de l'autorit dogmatique qui a charge de le promulguer , c'est une question que Chesterton laisse dans l'ombre \ On lui a object qu' ce compte et avec cette abstraction, on pouvait runir sous la mme rubrique quantit de gens qui s'excommunient entre eux catholiques romains, anglicans. Grecs et Russes,doxie ?Ici;
luthriens, calvinistes, et
mme chrtiens scientistes,:
etc. Mais pratiquement Chesterton veut dfendre des ides catholiques au sens propre il s'exprime la plupart du temps comme un fidle catholique, ou du moins comme un membre de la Haute Eglise
d'Angleterre.j'cris
Personnellement il n'a pas fait, au moment o % sa soumission l'Eglise de Rome. Son frre, Cecil Chesterton, est mort, durant la guerre,1. Orthodoxy, Londres, John Lane, 1915, paru en 1908.
p.
18.
Le livre a
2.
Fin 1919.
10
G.
K.
CHESTERTON
aprs y tre entr. Lui-mme est l'ami de plusieurs catholiques de marque, notamment d'Hilaire Belloc, avec lequel il forme devant le public un coupleinsparable:
Castor
et
Pollux ou,
comme
d'autres
disent, Ihe Cheslerbelloc.
CHAPITRE PREMIER
LA PHILOSOPHIE D'UN HUMORISTESous un premier aspect, Chesterton nous appacomme un homme aux ides trs arrtes et aux convictions intransigeantes. Les plus hauts objets de la philosophie et de la religion sont la matire de ses mditations, et il ne s'y applique point pour les scruter, comme tant d'autres, avec l'angoisse du doute ou la curiosit dsintresse de l'amateur, mais au contraire pour s'y attacher avec une pre foi, pour les sentir solides sous ses prises, pour se baigner avec une joie enivre dans leur splendeur, puis encore et surtout pour jouir de les affirmer avec force devant le monde et de mettre mal ceux qui les mconnaissent. Le plaisir de heurrat
ne parat pas le laisser insensible. En un sicle de libre pense, il fait claquer avec orgueil au-dessus de sa tte l'archaque pennon de l'orthodoxie il s'applique luimme une pithte que les lgants redouteraient comme une marque au fer rouge. Et il descend dans la lice, pareil un chevalier d'antan, arm de pied en cap, provocant, cherchant querelle, avide de croiser le fer. Il commence par coller sur la poitrine de ses adversaires les littrateurs lester
l'opinion
commune
;
12
G. K.
CHESTERTONses
contemporains l'criteau qui flamboyait jadis au feu des bchers de l'Inquisition et qui porte en grosses lettres le motplus laterrible;
mode parmi
Hrtiques.crit-il,
Ce qui m'intresse en M. Rudyard Kipling,n'est ni
ce;
son art si vivant, ni sa vigoureuse personnalit je m'occupe de lui comme d'un hrtique, c'est--dire comme d'un homme dont les vues sur les choses ont l'audace de diffrer des miennes. Je n'ai point affaire
M. Bernard Shaw commebrillants et des
l'un des esprits les pluS;
j'ai affaire lui
honntes de ce temps en tant qu'il est un hrtique, c'est-dire un homme dont la philosophie est parfaitement solide, parfaitement cohrente et parfaitement fausse \les plus
hommes
Donc
foin
du libralisme
doctrinal,
qui
n'est
jamais tout , fait sr d'avoir raison, qui ne profre son opinion qu'en l'entourant de rserves et en la retirant demi, qui prodigue des gards pareils toutes les croyances, les traitant comme des vrits gales en droits, ou comme les aspects, les moments divers d'une mme vrit en volution Chesterton se campe dans l'attitude perptuelle.
inverse.
Son intolrancele
n'ira
pas,
il
est
vrai,
jusqu' rclamermaisil
bcher pour
ses hrtiques ,
a quelque chose de plus absurde et de moins infiniment que de brler un homme pour sa pratique philosophie. C'est de dire que sa philosophie n'importe pas, et cela se fait universellement au vingtime si-
y
1.
Jleretics,
Londres, John Lane, 1910,
p.
22.
La premire
dition de l'ouvrage est de 1905.2. Ibid., p. 293.
LA PHILOSOPHIE d'uN HUMORISTEcle...
13
Les thories gnrales sont partout mprises... L'athisme |ui-mme est trop thologique pour les hommes d'aujourd'hui... Pas de gnralisation! M. Bernard Shaw a formul cela dans une pigramme parfaite la rgle d'or, dit -il, esi qu'il n'y a pas de rgle d'or. Ainsi nous discuterons dsormais de plus en plus sur tous les dtails de l'art, de la politique, de la littrature. L'opinion d'un homme sur les tramways importe son opinion sur Botticelli importe son opinion sur toute chose n'importe pas. Il lui est loisible de retourner en tous sens et d'explorer des milliers d'objets mais qu'il n'aille pas dcouvrir cet objet trange l'univers Car, s'il le faisait, il aurait une religion et serait perdu. Tout importe, except le tout \:
;
;
;
:
I
Le bon got,titionsles
la
dernire et la plus vile des supers
humaines, a russi
nous imposer silence [sur
questions religieuses]. Il }- a soixante ans, il tait de mauvais got de s'avouer athe... Maintenant il est d'un gal mauvais got de s'avouer chrtien. L'mancipation n'a rien fait qu'enfermer le saint et l'hrsiarque dans la mme tour silencieuse. Alors nous parlons de Lord Anglesey et du beau temps, et nous appelons cela la complte libert de tous les credo ^
Parce qu'il rompt en visire avec cette mode, Chesterton est le tmoin insigne d'une rvolution qui est en train de s'accomplir sous nos yeux. Le culte de la nuance imprcise, le souci de n'tre tout fait conquis par rien fait place en beaucoup d'esprits au besoin du catgorique et de l'absolu. Les chos de ce changement s'entre-rpondent des1.
Her elles,
p. 13.
2. Ibid., p. 15.
14
G. K.
CHESTERTON
deux
cts de la
Manche. Un jeune Franais, Ernest:
Pschari, trace ces lignes
Ah non, nous ne rions pas en Afrique. Je sais que nous n'y serons pas des sceptiques, que nous choisirons, que toujours nous voudrons choisir. Nous ne sommes pas de ceux qui veulent tout concilier, tout aimer. Que les dlicats s'en aillent donc !... Il faut ici un regard ferme sur la vie, un regard pur allant droit devant soi,un regard jeune, de toute franchise, de toute clart \.. Ce qui dcidment caractrise ce pays [l'Afrique], c'est du qu'il n'y a pas de nuances. A peine de la couleur noir, du blanc. C'est ainsi que je voudrais crire. Pas de couleur. Rien que la nuance , dit Verlaine. Mais:
Verlaine
ici
nous
fait
horreur ^
Presque dansl'Eglise d'avoir
les
mmes
termes, Chesterton loue
ner ni
les
maintenu intactes, sans les combifondre dans je ne sais quelle honnte
nisme
les nergies divergentes du christiapar exemple, le culte de la famille nombreuse et celui de la virginit.
moyenne,:
Elle les a gardes cte cte, comme deux fortes coule rouge et le blanc, pareilles au rouge et au blanc qui sont sur le bouclier de saint Georges. Elle a toujours eu une haine salubre du rose. Elle dteste cette combinaison de deux couleurs qui est le dbile expleurs,
dient des philosophes. Elle dteste cette volution du noir au blanc, qui produit l'quivalent du gris sale ^
Avec de1.
telles dispositions,
il
n'est pas
tonnant
Les Voix qui crienl dansIbid.y p. 674.
le
dsert in Correspondant,
25 novembre 1919, p. 654.2. 3.
Orthodoxy,
p. 177.
LA PHILOSOPHIE d'uN HUMORISTE
15
r que
notre auteur fasse un abondant carnage deet
maladives doctrines modernes, qui doutent de la vrit. Plein d'un entrain tincelant et d'un pre humour , il va sabrant sans merci cette foule prtentieuse ettoutes les fines, dlicates
dbile
:
Je tiens, d'accord avec les pragmatistes, que l'apparence de la vrit objective n'est pas tout, qu'un besoin imprieux existe de croire les choses ncessaires l'esprit humain. Mais je prtends qu'une de ces ncessits est '^prcisment la croyance une vrit objective. Le pragmatisme dit l'homme de penser ce qu'il est ncessaire de i>enser et de ne pas s'occuper de l'absolu. Mais prcisment l'une des choses qu'il est ncessaire de penser,c'est l'absolu'.
Les attitudes faussement modestes cisme sont bouscules d'un coup roide
du:
scepti-
Ce dont nous souffrons aujourd'hui, c'est d'un dplacement vicieux de l'humilit. La modestie a quitt l'organe de l'ambition. Elle s'est tablie dans l'organe de la conviction o elle n'aurait jamais d tre... A tous les coins de rue, on est expos rencontrer un homme qui Je puis
profre cette assertion frntique et blasphmatoire me tromper. Chaque jour vous croisez quelqu'un qui vous dit Evidemment, mon point de vue peut n'tre pas juste. Evidemment, au contraire, son point de vue doit tre juste, ou ce n'est pas son point:
:
j
de vue'.
*.
Les thories de l'volution indtermine1.
et
de
Orthodoxy,
p. 62.
2. Ibid., p. 53, 54.
16la vrit
G. K.
CHESTERTONla
changeante sont critiques avec:
mme
verdeur'
notion moderne du progrs intellectuel reprsenter toujours comme conditionn consiste le par le brisement des liens, l'effacement des limites, le rejet des dogmes. Pourtant, s'il existe quelque chose de tel qu'une croissance de l'esprit, ce doit tre une croissance de convictions de plus en plus dfinies, de dogmes de plus en plus nombreux. Le cerveau humain est une machine produire des conclusions s'il ne peut arriver IJi conclure, c'est qu'il est rouill. Quand on vient nous parler d'un homme trop intelligent pour croire, c'est presque une contradiction dans les termes. C'est comme si l'on nous parlait d'un clou trop bon pour fixer un tapis au parquet, d'un verrou trop bon pour maintenir une porte close. Il n'est gure exact de dfinir l'homme, avec Carlyle, un animal qui fabrique des instruments. Car les fourmis, les castors et beaucoup d'autres animaux en fabriquent... Mais on peut le dfinir un animal qui fabrique des dogmes. A mesure qu'il entasse doctrine sur doctrine et conclusion sur conclusion dans la btisse de quelque norme systme philosophique ou religieux, il devient, dans le seul sens lgitime de l'expression, de plus en plus humain. Au contraire, quand, par un scepticisme de plus en plus raffin, il laisse tomber les doctrines les unes aprs les autres, quand il refuse de s'attacher aucun systme, quand il prtend se placer au del des dfinitions..., il rtrograde lentement, en vertu de son procd mme, vers la vague mentalit des animaux errants et vers l'inconscience de l'herbe. Les arbres n'ont pas de dogmes. Les navets sont singulirement libraux \
Le vice de
la
:
:
Personne ne doit se mler d'employer1.
le
mot
progrs
Jlereiics, p. 285, 286.
LA PHILOSOPHIE d'uN HUMORISTE
17
moins d'avoir un credo dfini et un code moral coul en fer. Personne ne peut tre homme de progrs sans tre doctrinaire. Je pourrais presque dire personne ne peut tre homme de progrs sans tre infaillible, ou du moins sans croire quelque infaillibilit. Car le progrs, par son nom mme, indique une direction. Du moment que nous commenons douter le mx)ins du monde de la direction, nous commenons douter, dans la mme mesure, du progrs \:
pote aux visions coloChesterton, il a le got violent de l'abstrait. Il l'aime jusqu' dfendre un jour, contre H.-G. Wells, la thorie des ides platoniciennes -. Mais partout sa critique pointe droit sur lui, perantle
Chose trange chezqu'est
res
mtaphores matrielles , faisant tomber la bourre des mots qui comblent les vides de l'ide, dpeant le mannequin littraire jusqu' le rduireles
sa carcasse conceptuelle.Nietzsche n'est pas un penseur fort et hardi . Jamais ne pose sa pense devant lui, dans la nudit des termes abstraits, comme le font Aristote, Calvin et mme Karl Marx, ces hommes de pense intrpides. Nietzsche chappe toujours une question par une mtaphore physique, ainsi qu'un aimable pote de second ordre. Il dit au del du bien et du mal , parce qu'il n'a pas le courage de dire meilleur que le bien et le mal ou pire que le bien et le mal . S'il avait regard ainsi sa pense en face et sans mtaphores, il aurait vu qu'elle tait un non-sens ^il:
1.
HerelicSi p. 36.
2. Ibid., p. 83.3.
Orthodoxij, p. 190.
CHESTERTON
2
18
G. K.
CHESTERTON
Et Chesterton prend vivement partie les gens pratiques, les hommes d'affaires qui se targuent den'tre point des intellectuels r:
Les ides sont dangereuses, dit-il, mais surtout pour celui qui n'en a pas. L'homme sans ides prouvera que la premire venue lui montera la tte, comme un verrede vin monte Il
la tte
d'un abstinent \
sera la merci de tous les entranements de:
Contre ce danger, il n'y a qu'un remde se saturer d'ides. Connatre les thories diverses, les critiquer et choisir avec rflexion parmi elles,l'esprit.
voil la seule issue possible.C'est le vrai moyen de n'tre ni un bigot ni un fanatique, mais quelque chose de plus ferme qu'un bigot et
\
de plus terrible qu'un fanatique je veux dire un homme d'opinion dfinie ^ [Bref], il faut avoir une croyance abstraite..., des convictions extrmes ^... Les choses dont nous avons le plus besoin pour des buts immdiatement pratiques sont toutes des abstractions. Nous avons besoin d'une vue juste sur la destine humaine, d'une vue juste sur la socit humaine ''... Tout homme dans la rue doit embrasser une mtaphysique et s'y tenir fermement \:
Lapris.
littrature
mme
se trouvera bien
de ce parti
Car au fond, rien n'est intressant que la mtaphysique et les dogmes. Celui qui n'a rien nous dire sur les problmes vitaux dont nous1. Hre lie s, p. 297. 2. Ibid., p. 299. 3. Ibid., p. 294.
4. Ibid., p. 140. 5. Ibid., p. 301.
LA PHILOSOPHIE
dVn HUMORISTE
19
sommes
tous proccups, qu'il se taise. Tout
homme
qui compte a une doctrine abstraite, formule un enseignement dogmatique, relgue ses contradicteurs parmi ceux qui se trompent. Malgr leurs dngations verbales, les crivains affranchis, que Chesterton traite d'hrtiques, ne font pas exception. Ils enseignent, ils apportent leur message sur les questions suprmes, ils veulent tre pris au srieux et crus. Pas de grand art sans philosophie. L'art pour l'art est un parodoxe dcevant l'artiste qui s'y tient restera forcment superficiel et vain.:
assez sage pour devenir un grand assez pour dsirer tre philosophe. Personne n'est assez nergique pour russir dans l'art, sans l'tre assez pour dsirer dpasser l'art. Un artiste infrieur se contente de l'art. Un grand artiste ne se contente de rien, si ce n'est du tout... On peut exprimer cela, si l'on veut, en disant que, pour trouver de la doctrine, il faut s'adresser aux grands artistes. Mais la psychologie du sujet nous apprend que ce n'est pas ainsi qu'il faut poser la thse. La thse vraie, c'est que, pour trouver un art tant soit peu vivant et hardi, nous
Personne
n'est
artiste,
sans
l'tre
devons nous adresser aux doctrinaires \
si
Nous croyons connatre notre auteur. Des traits accuss nous laissent une impression bien dfi-
n'importe tournons la page, quelle page, car chacune d'elles reflte les mmes tendances, et nous allons le voir avec un visagenie...
Eh
bien
!
1.
Herelcs, p. 289, 290.
,
20"^tout diffrent.a
G. K.
CHESTERTON
Ce dogmatiste intransigeant qui nous
de l'abstraction, le respect des liens, des limites, de la fixit dans le domaine de l'esprit, se rvle maintenant comme un passionn de libert, de nouveauts et de romantisme. La libert est l'un des articles dominants de son credo^ l'un de ses dogmes favoris et c'est non seulement la libert humaine, sociale et politique, la dmocratie, les droits de l'homme (pour lesquels Chesterton garde le culte un peu naf de nos grands anctres), mais encore la libert dans la nature, l'absence dans l'univers de toute ncessit et de toute rgle fixe. Ne parlez point ce pote des lois de la nature il ne les voit pas. Ces choses lourdes, rigides, monotones, se sont vaporises sous ses yeux enchants leursi
prch
fort la ncessit
:
:
:
placefes,
il
n'y a que le bon plaisir ou le caprice.le
L'univers est
domaine des
lutins, le
pays des
fairyland, elfland, o tout peut arriver, o
[jrien n'est prvisible
coup sr. C'est surtout dans un chapitre d' Orthodoxi/ merveilleux de verve, d'esprit et de fracheur, intitul la morale au pays des lutins The Elhics que Chesterton expose cette philosoof Elfland, phie de l'univers. Nous ne nous ennuierons pas le feuilleter quelques instants. Les hommes de science, les dterministes lunettes confondent, dit-il, deux choses la connexion logique ou mathmatique et la simple succession des phnomnes physiques. Ils englobent
:
LA PHILOSOPHIE d'uN HUMORISTE
21
commun de ncesou de loi . Ils s'expriment comme si le fait que les arbres portent des fruits tait aussi ncessaire que 2 et 2 font 4 . La philosophie des contes de fes, beaucoup plus fine, spare, d'une distinction bien affile, les deux ordres de faits.l'une et l'autre sous le termesit ^
Elle les distingue
au moyen de son critre propre l'imagination. Nous ne pouvons pas nous imaginer 2 et 2 ne faisant pas 4. Mais nous pouvons facilement nous imaginer les arbres:
ne portant pas de fruits et devenant, par exemple, des chandeliers d'or ou des tigres pendus par la queue. Les personnes lunettes parlent beaucoup d'un homme appel Newton, qui fut heurt par une pomme et dcouvrit
une
loi.
MaisSi la
elles font l-dessus
un brouillaminivoil
d'ides
:
pomme
a heurt le nez de
Newton
a heurt la
pomme
:
Newton, le nez de une vraie ncessit,
parce que nous ne pouvons concevoir l'un sans l'autre. Mais nous pouvons trs bien concevoir la pomme ne tombant pas sur le nez de Newton nous pouvons nous la figurer volant avec imptuosit travers les airs, afin d'aller heurter un autre nez, pour lequel elle avait une antipathie plus marque ^;
L'homme de science dit coupez la tige, et la pomme tombera. Mais il le dit avec assurance, comme si une:
ide conduisait rellement l'autre. La sorcire du conte dit soufflez de la trompe et le chteau de l'ogre tombera. Mais elle ne le dit pas comme si c'tait l un effet qui sortit videmment de sa cause. Sans doute elle:
1. Orlhodoxy, p. 88. 2. Ibid. et p. 89.
22a a
G. K.
CHESTERTON
donn le mme conseil plusieurs champions et elle vu tomber bien des chteaux. Mais elle ne se dpart
point pour cela de son tonnement ni de sa raison. Elle ne se torture pas la cervelle pour arriver concevoir une connexion mentale entre un son de trompe et la chute d'une tour. Au contraire, les hommes de science se torturent la cervelle jusqu' ce qu'ils arrivent imaginer une connexion mentale ncessaire entre une pomme quittant la branche et une pomme tombant sur le sol. En vrit, ils parlent comme s'ils avaient dcouvert, non pas seulement une srie de faits merveilleux, mais une vrit qui les unit. Ils parlent comme si la connexion physique de deux faits tranges les reliait philosophiquement. Ils ont l'impression que si un vnement incomprhensible suit constamment un autre v-
nement non moins incomprhensible, les deux ensemble composent un vnement comprhensible. Deux nigmes obscures font une solution claire \
Aucurs
fond,
matrialiste , est
l'homme de science, le professeur un sentimental, men par d'obsd'impressionset
souvenirsles
subies
et
par des
associations dpourvues de logique.
vent
oiseaux voler
ides disparates par jeet de rve penser aux
Il a vu si soupondre qu'il unit ces deux ne sais quel lien d'motion
. Un pommier pommes:
le fait
invinciblement
Mais le froid rationaliste du royaume des fes ne voit pas pourquoi, dans l'abstrait, les pommiers ne porteraient pas des tulipes cramoisies. Cela arrive queldans son pays '\.. Comment un uf peut-il devenir un poulet ? Voil une question que nous nequefois1.
Orlhodoxij,
p. 89, 90.
2. Ibid., p. 93.
LA PHILOSOPHIE d'uN HUMORISTE
23
ours
pouvons pas plus rsoudre que celle-ci comment un a-t-il pu devenir un prince enchant ? Considrs:
comme
ides, l'uf et le poulet sont plus loigns l'un de l'autre que l'ours et le prince, car l'uf, de lui-mme, ne suggre pas l'ide du poulet, tandis qu'il y a des princes qui suggrent l'ide de l'ours '.
Concluonslieu,
:
Suppos donc que certaines transformations aient il est essentiel de les considrer au point de vue
philosophique, qui est celui des contes de fes, et non au point de vue anti-philosophique de la science et des lois de la nature . Quand on nous demande pourquoi les ufs deviennent des oiseaux ou pourquoi les fruits tombent en automne, nous devons rpondre exactement comme l'et fait la marraine-fe de Cendrillon, si celle-ci lui et demand pourquoi les souris taient devenues des chevaux ou pourquoi ses beaux habits devaient tomber de ses paules minuit. Nous devons rpondre
quel
c'est
magique ^termes scientifiques:
Tous
les
loi
,
ncessit ,
ordre , tendance , etc., ne sont rellement pas des termes intellectuels, parce qu'ils supposent une synthse
psychologique que nous ne possdons pas. Les seules expressions qui m'aient jamais paru satisfaisantes pour dpeindre la nature sont celles des contes de fes charme , ensorcellement , enchantement . Ils expriment l'aspect arbitraire et mystrieux de l'vnement. Un arbre porte des fruits, parce que c'est un arbre magique. L'eau coule le long des pentes, parce qu'elle est enchante. Le soleil brille, parce qu'il est enchant \:
Dans une1.
telle
conception, affirme notre auteur
Orlhodoxy,
p. 91.
2. Ibid.
3. Ibid., p. 92.
.
24
G. K.
CHESTERTON
avec une parfaite srnit, il n'y a pas la moindre fantaisie, pas le moindre mysticisme. Nous rencontrerons peut-tre le mysticisme plus tard. Mais ici nous parlons simplement le langage rationnel et
mmeLe
agnostique. Nous avouons notre ignoloi
H'ance.
fantaisiste, le visionnaire, c'est celui quiqu'il
vient nous parler d'une i
n'a jamais
vue
'
Arriv ce point et abasourdi, non sans cause, par des conclusions aussi impudemment naves, quelque tenant de la science ou simplement du gros bon sens, essayera peut-tre d'insister. La constance des effets, dira-t-il, n'est-elle pas le signe d'une loi immuable, la preuve que l'univers fonctionne comme une machine aveugle ? Pas du tout, rpond Chesterton. Les gens croient que si l'univers tait m par des motifs personnels, il varierait
tante des
Car l'uniformit, la rptition consactes ne sont pas les indices de la passivit ou de la mort, mais au contraire ceux d'un!...
que Sophisme;
si
le
soleil
tait
vivant,
il
danserait...
mmes
lan qui russit, d'une vie quiforte.
Par exemple,
d'agir, c'est qu'elleest lass.
demeure frache et l'homme change sa manire ne lui a pas russi ou qu'il ensi
Les enfants, dont l'organisme est plein d'une vitalit intense et dont l'esprit est neuf, ne se lassent pas de voir et de faire les mmes choses. Ils remuent indfiniment leurs jambes, d'un mme1.
Orthodoxy,
p. 92.
LA PHILOSOPHIE d'uN HUMORISTE
25
mouvement rythmique. Aprs une exprienceles a intresss, ils disent
qui!
toujours
:
Encore
:
Et
les
grandes personnes s'puisent les
les satisfaire
grandes personnes ne sont pas assez fortes dans la monotonie. [OrJ peut-tre le soleil se lve-t-il rgulirement parce qu'il n'est jamais fatigu de se lever... Peut-tre Dieu est-il assez fort pour se rjouir dans la monotonie. Il est possible que chaque matin Dieu dise au soleil Encore et chaque soir, la lune Encore [Si les pquerettes naissent toutes semblables], c'est peut-tre que Dieu fabrique part chacune d'elles, mais qu'il n'est jamais las d'en fabriquer. Peut-
Car pour
se rjouir
:
!
:
!
tre a-t-il ternellement les apptits de l'enfance
;
car
nous autres, nous avons pch et nous sommes devenus vieux mais notre pre est plus jeune que nous \;
devine quel intrt et quelle fracheur va prendre la vision du monde la lumire de pareilles
On
rides.
Pour
le
fatalisme scientifique, l'univers est
terne et us, toute vie et toute spontanit en estabsente. Les anneaux de fer de la chane
du
dter-
minisme/
se tiennent troitement et s'attirent infailfix,
liblement l'un l'autre. Tout estn'est
prmdit.
Tlien de vraiment nouveau n'arrive jamais. Rienvraiment arriv depuis l'origine des choses. Encore n'est-on pas bien sr que quelque chose soit arriv alors... La feuille de l'arbre est verte ^ parce qu'elle n'a jamais pu tre autrement. Nul lieu l'admiration ou l'tonnement. Mais pour l'esprit nourri de la saine philosophie des contes de fes, il n'en va pas ainsi:
1.
Orlhodoxy,
p. 105, 106.
26
G. K.
CHESTERTON
Il se rjouit de voir la feuille verte, prcisment parce qu'elle aurait pu tre carlate. Elle l'impressionne comme si elle tait devenue verte l'instant avant qu'il la regarde. II est charm que la neige soit blanche, pour ce motif strictement raisonnable qu'elle et pu tre noire. Chaque couleur a un caractre de hardiesse, comme si elle rsultait d'un choix. Le rouge des roses du jardin n'est pas seulement dcid, il est dramatique, comme un sang frachement vers. On a l'impression r qu'il y a eu quelque chose de fait \
Et l'on estime l'vnement son prix. N'ayant rien, le philosophe des contes de fes est prt l'admiration et l'extase. N'ayant pas tout devin et tout prdit avec assurance, il est port une humilit de bon aloi. Il est dispos aussi la docilit envers une Puissance suprieure, s'il en existe. Car le monde est si inattendu que la morale pourra bien tre arbitraire ce qui nous a t donn est si merveilleux qu'en change, la loi qui nous sera impose pourra tre rigoureuse. Il vaudrait la peine de jener quarante jours pour entendre chanter un merle. On passerait par le feu rien que pour voir une primevre '.
compt sur
;
Telles sont les attitudes contrastes de la pense chestertonienne, la fois trs arrte et trs libred'allures, trs1
lant sans cesse de la1.
dogmatique et trs fantaisiste, oscilmtaphysique la posie. Son
Orthodoxy,
p. 103, 104. Cf. /lerelics, p. 65.
2. Ibid., p. 102.
LA PHILOSOPHIE d'uN HUMORISTE
27
dogmatisme s'appuie, dans le domaine de l'abstrait, sur la croyance une vrit dtermine, sur depar l, il s'oppose au relativisme et au pragmatisme, au volontarisme radical, la doctrine du progrs pour le progrs ou de l'art pour l'art, tendances qui, n'tant pas spcifies par l'ide, ne peuvent tre qu'amorphes et inconsistantes. Dans le domaine des faits, ce dogmatisme s'appuie, non sur des lois invariables, mais sur des phnomnes contingents qui peuvent nanmoins tre constants et uniformes. Il difie l ce qu'on pourrait appeler une philosophie de l'arbitraire. Faut-il, avant d'aller plus loin, apprcier cette philosophie, si l'on peut donner ce nom lal'absolu logique et conceptuel;
I
riante vision qui prend le monde pour un domaine de ferie ? On ose peine infliger cette pense en fleur le dur contact des instruments de l'analyse critique. Mais il s'agit ici d'une donne premire laquelle se suspendent d'innombrables consquences, que nous verrons se drouler travers toute l'uvre de Chesterton. Et lui-mme se tiendrait offens de notre rserve. Il insiste pour tre trait en philosophe et nous avons vu qu'il nous invite, j'allais dire qu'il nous provoque, la discussion d'ides. Nous ne pouvons donc nous y drober
tout
fait.
Apas
tout prendre d'ailleurs, cette philosophie n'estsi
excentrique qu'elle
le parat.
En
dpit de son
allure originale et
hautement personnelle, de sa marche, disons mieux, de son vol, capricieux
28
G. K.
CHESTERTON
d'un papillon ivre de soleil et de fnectar, on sent qu'un sr instinct la guide et qu'elle est partie dans la bonne direction. Une ide solidecelui
comme
en occupelibre, c'est
le centre, lui
donne du poidsles
et
de l'qui-
qu'originairement
choses n'existent
et
ne sont spcifies qu'en vertu d'un acte de bon:
Lplaisir
conception qui appelle d'avance l'affirmation thologique laquelle aboutira son auteur, et
que saint Augustin exprime dans cette formule nerveuse Cum volunlas... Creator is, condit rei cujusque nalura sit\ Le fatalisme est faux. Dans:
le
monde
des
faits, la
ncessit ne peut jamais trequ'elle
une explication dernire, parce pourquoi ceci existe plutt que
pas cela, ni ce qui adit
ne
dcid entre diverses ralisations ou directions possibles. Le dterminisme est, par dfinition, chose conditionne sa place dans la ralit ne saurait:
,-
donc tre que secondaire et subordonne. Il n'est jamais qu'une apparence de ncessit, une ncessit hypothtique , car il doit dpendre, en dernire analyse, d'un arbitraire premier, disons mieux, d'un arbitraire perptuel. En effet, le monde des faits ne porte pas, comme les vidences mathmatiques ou logiques, le caractre de la ncessit. Si donc il s'offre nous, cet instant prcis, dans la varit de ses caractres, avec le vert des feuilles, l'incarnat des roses et la blancheur de la neige, c'est srement que quelqu'un le veut actuellement1.
Decol.
xn,
Civitale, Dei, Lib. xxi, cap. 8, n" 721.
2.
Migne, P. L.,
t.
LA PHILOSOPHIE d'uN HUMORISTE
29
ainsi,
qui pourrait vouloir autrement. Crealoris
volunlas, dit encore saint Augustin,tas esl\
reram
ncessi-
suspendu, chaque seconde, au Fiat divin. Et si tout continue et se rpte, c'est vraiment que Dieu dit l'univers Encore Malheureusement, il advient qu' force d'insister sur une ide et, pour ainsi dire, de l'tirer en desest:!
Tout
conclusions toujours plus dcides et plus paradoxales, notre pote finisse par en faire vanouir
substance solide c'est du verre fil, mais tellefil et dvid en tant de festons, qu'il se casse. Trs souvent, avec Chesterton, on part d'un point de vue juste et fort, pour se perdre en des fantaisies brillantes et fragiles on gote la valeur centrale de la pense, mais on voit bien que sur ses frangesla:
ment
:
d'oril
il
faudrait rogner quelque chose. Par exemple,
savant obtus, qui aperoit la nature comme ptrifie en des formes immuables, ainsi qu'une lave refroidie, qui identifie le cours (normal des choses avec la ncessit. La philosophie des contes de fes a raison de se vanter d'tre bien plus fine. Cependant cette coquetterie agressive l'empche peut-tre de l'tre assez. Si son regard tait plus pos, sans doute elle ne distinguerait pas seulement le fatal de l'arbitraire, mais elle aperceest sain
de
railler le
vrait entre,
eux un milieu, un intermdiaire, quiqu'il veut.
est le naturel.
Assurment, Dieu peut crer ce1.
Mais,
De Genesi adt.
lilleram, Lib. VI, cap. 15, n 26. Migne,
P. L.,
XXXIV,
col. 350.
30
G. K.
CHESTERTON
qu'il cre ceci et non cela, qu'il donne l'existence telle essence plutt qu' telle autre,
suppos
l'tre ralis,
par
le seul fait qu'il l'est, a
des carac-
tres, des aptitudes, des capacits propres. Une facult d'agir d'une certaine manire et des exi-
gences spciales dcoulent de sa constitution mme.
La
pierre, tant qu'elle reste pierre, n'est pas sus-
/
ou de sentir, tandis que l'animal en est capable. Mais de ces pierres Dieu peut susciter des enfants d'Abraham . La verge d'Aaron deviendra serpent, si Dieu en dcide ainsi mais, verge ou serpent, elle se comportera diffremment. Les pommiers ne sont pas disposs naturellement porter des tulipes. Et quoique le philosophe du pays des fes ne voie pas d'inconvnient ce que les oiseaux abandonnent la coutume de pondre, un oiseau qui ne serait plus ovipare ne serait plus un oiseau, mais quelque chose d'autre, une espce animale nouvelle. Des transformations profondesceptible de voir;
auraient eu lieu dans son organisme, en fonction desquelles tout s'y serait modifi.
Le savant;
dit
:
coupez:
la tige et la
pomme tom-
bera la sorcire dit soufflez de la trompe et la tour tombera. En dpit des allgres affirmations de Chesterton, il n'y a aucune parit entre les deux sries de faits. La section de la tige amne naturellement la chute de la pomme l'une est le moyen normal de l'autre, et l'on voit, au moins en partie,:
comment
ce
moyen
opre, car
il
te la
pommetrompe
son point d'appui. Tandis que
le
son de
la
LA PHILOSOPHIE d'uN HUMORISTE
31
aucune relation perceptible avec la chute de la tour, il peut en tre l'occasion mais nous ne voyons pas qu'il en soit le moyen. Les phnomnes qui s'entre-suivent dans l'univers sont autre chose que les grains dsenfils d'un chapelet de caprices divins. Il y a entre eux des liens. Trs souvent notre exprience constate une proportion entre l'antcdent et le consquent le premier possde dj la qualit que sa prsence va faire apparatren'a;;
1
chez le second tout s'claire autour d'un objet lumineux, le papier flambe au contact du feu. Ou bien le consquent prsente une rplique en sens inverse des caractres de l'antcdent sous une lame aiguise s'ouvre dans le bois une fente de mme taille la cire reproduit en bosse l'effigie que le cachet porte en creux. Pourquoi ces couples, ces sries de similitudes, si les premires ne commandent pas rellement celles qui suivent ? Ailleurs ces correspondances d'lments pareils ne se montrent pas ainsi nu, mais on constate un paralllisme exact entre la qualit, la masse, la dure, les variations de l'antcdent et celles du consquent. Et enfin, nulle part on ne rencontre dans l'univers de phnomnes absolument neutres, c'est--dire dont la prsence, l'absence ou le degr soient toujours indiffrents au milieu o ils se trouvent. Si le bon plaisir divin est seul en jeu, si la puissance suprme agit elle toute seule, dans un isolement complet, sans employer aucun instrument fini, d'o vient qu'elle attend toujours pour s'exercer la prsence: :
;
32
G. K.
CHESTERTON
d'lments proportionns avec plus ou moins de rigueur aux effets qu'elle peut produire ? Pourquoi ne voit-on pas dans le train journalier du monde,les
vnements
les
plus disparates s'entre-suivre,
courbe dessiner les arabesques les plus fantaisistes, se hacher en soubresauts pareils au diagramme d'une temprature de fivre ? Pourquoi n'importe quoi n'arrive-t-il pas aprs n'importe quoi ? Je ne parle pas encore ici de la rptition des phnomnes, mais de leur continuit entre eux. Considrs dans leur ensemble, ils ne paraissent se produire qu'aprs des prambules, des prfaces parfois fort longues et des prparations subtiles ils se prolongent et se fondent, pour ainsi dire, les uns dans les autres. Devant un tel spectacle, imposles sible de rsister la conclusion qui en jaillit lments prsents sont utiliss dans le rsultat, ils ne restent pas neutres, inertes, san influence et sans action, cdant toute la place l'omnipotence divine. Et quand nous les voyons ragir ainsi les uns sur les autres de faon constante et uniforme, comment nous dfendre de penser qu'ils enferment des forces constantes, stables, dtermines produire les mmes effets ? Que si, dans certains cas comme celui de la pesanteur, la force qui agit reste mystrieuse, nous sommes cependant fonds, par l'analogie gnrale, affirmer qu'elle existe. Cela est rationnel et non mystique. Ce n'est pas la science moderne laquelle Chesterton en qui conclut ainsi c'est au contraire veut si fortet leur;:
;
,
LA PHILOSOPHIE d'uN HUMORISTEle
'
33
bon sens vulgaire, le sens commun de l'humanit, que le mme Chesterton prise si haut. Ce n'est pas quelque ambitieuse mtaphysique allemande, c'est au contraire la vieille philosophie traditionnelle, humblement sense et audacieusement raliste, tout simplement celle del, virias dormiiiva... Tandis que la conception, soi-disant populaire, de l'auteur ^Orlhodoxy, concide avec une bizarre mtaphysique arabe, connue sous le nom barbare d' occasionalisme , pour laquelle saint Thomas d'Aquin, malgr son imperturbable srnit, a eu des mots durs: Haec posilio slulla est,- et conlrariatur diclis philosophorum et sanciorum. De mme, c'est un mrite philosophique apprciable d'avoir devin que la libert et la vie n'imnullement des variations perptuelles d'avoir entrevu que, sous leurs formes les plus hautes, elles s'talent au contraire en une plnitude immobile. Il est bien vrai aussi que la constance de l'ordre renforce, loin de l'attnuer, l'exigence d'une direction intelligente, et que ceux qui arguent de l'uniformit de la nature pour conclure qu'elle procde uniquement de causes aveugles, ne sont gure philosophes. Mais ici encore, de temps en temps, dans la griserie des passes d'armes blouissantes, l'pe du champion de l'orthodoxie glisse et dvie de la juste direction. Qui prouve trop ne prouve rien. Or parfois les arguments de Chesterton semblent vouloir amener cette conclusion humoristique, que c'est la nature elle-mme qui estpliquentCHESTERTON3
'
f
34
G. K.
CHESTERTON
(libre et qui choisit de se rpter. Posie, dira-t-on. fantaisie voltigeante qu'on gte en voulant l'trein-
dre par une critique rigoureuse. D'accord, mais Ipeut-tre est-ce l prcisment, sinon le dfaut invitable, du moins le danger perptuel du genre la philosophie littraire et choisi par Chesterton humoristique. Quoi qu'il en soit, il est certain qu'un constructeur intelligent et libre peut monter une machine aveugle, et que si la rptition invarie des mmes effets ne prouve rien contre son intelligence lui, elle peut tre une raison de refuser cette qualit la machine. La vie n'implique pas essentiellement le changement, soit. Mais si les circonstances changent, la:
vie consciente, qui le remarque, changera aussi,
pourelle
s'y
adapter.
Par
l'utilisationle
incessammentfait
varie des
moyens divers que
milieu lui fournit,tou-
poursuit son but personnel. Elle se
jours plus ou moins le centre du monde. L'lment inerte au contraire, submerg et roul dans l'ocan
des
mouvements cosmiques,
se laisse faire
:
il
subit
passivement ce qui se passe et y ragit fatalement,
uniformment, sans montrer jamais de prfrences individuelles. Et l'ordonnateur de l'ensemble, qui ne s'intresse pas lui de faon spciale, qui n'a pas construit le tout pour l'avantage priv de chaque pice, n'a point gard ces inconvnients particuliers. Or il y a dans le monde des parties mortes et des parties vives, des nergies clairvoyantes et des forces aveugles, et l'on peut dis-
LA PHILOSOPHIE d'uN HUMORISTE
35
t
-
I
unes des autres. La pomme qui tombe ne choisit pas sa route, mais la fourmi sait fort bien tourner un obstacle et organiser des moyens efficaces pour charroyer un grain. Que l'bullition dialectique ne nous empche pas d'apercevoir ces vidences banales L o jamais aucun signe de conscience ou de vie n'apparat, il n'j" a aucune raison de croire que la vie ou la conscience soient prsentes. Le bon sens conomise les explications il n'use pas de la plus haute quand la plus humble suffit... Mais aprs tout, libre Chesterton de dire, sinon de penser, que le soleil a un got personnel pour le lever matinal, ou mme, l'instar des vieilles mythologies, que c'est un gros animal vorace qui mange la lune tous les matins et la revomit tous les soirs. Je n'aurai pas l'intolrance et le mauvais got de le dranger dans ces amusements. Je me permettrai seulement de lui adressercernerles
;
une remarque d'ordre purement littraire, sur le mlange un peu heurt des genres, qui se remarque ici, et une autre, d'ordre plutt pratique, sur le dommage que subissent, dans l'esprit du lecteur, des arguments apologtiques, au milieu desquelsclatent de telles joyeusets.
Jusqu'ici nous nous trouvons dans cette tude enface
d'une antinomie. Nous avons constat chez et les notre auteur deux attitudes fort diverses deux fragments de sa philosophie que nous con;
36
G. K.
CHESTERTON
de se rejoindre. Il est temps de rechercher si quelque unit secrte ne rgne pas entre ces diversits, si les morceaux, disjoints en apparence, ne s'embotent point par quelquenaissons n'ont pasl'air
ct.
Commentl'ide,
concilier l'intellectualisme rigide avec
la fantaisie sans rgle ? le culte
de l'abstraction,:
de avec l'admission de donla raison,
de
nes arbitraires ? Tout d'abord, avouons-le sans ambages la conciliation parfaite et pousse jus^
;.
qu'au dtail est peut-tre impossible. Il se produit, entre les ides de Chesterton, des quilibres instables, des mariages d'occasion et des divorces, dont l'explication n'est pas chercher autre part que dans les sautes d'humeur de l'crjvain. L'ardeur de la dispute l'empche de dessiner, d'une main froide, les contours de ses thses le besoin;
de contredire triomphalement l'adversaire l'emporte au del des limites, et sa pense se fausse quelquefois par les extrmits. Sous le bnfice de cette remarque, il est permis de chercher encore une solution d'ensemble aux antinomies indiques. Ne nous y trompons pas. Le concept que vnre Chesterton est surtout celui qui enferme des lments inaccessibles la logique discursive mystres de la rvlation, donnes premires du sens commun. C'est cela d'abord qu'il veut dfendre dans ses joutes intellectuelles perdues. Il revendique les droits de la raison et mme de l'abstraction mais la raison pour lui c'est avant tout l'pa:
;
LA PHILOSOPHIE d'uN HUMORISTE
37
(
nouissement des instincts judicieux et des opinions traditionnelles de la vieille humanit, et l'abstraction, si elle veut faire autre chose que modeler des nuages, ne doit tre que la transcription scrupuleuse de l'intuition ou de la foi. Avec sa rondeur nous coutumire, il ne cherche aucunement avons pu en juger dissimuler l'antipathie que lui inspirent la science moderne, la philosophie
scientifique, la logique spculative , les explica-
tions positives, les discussions critiques.
Cela
qu'il
veut, c'est\foi,
du dogme:
forte
dose,
de
vrit
solide et autoritaire, des affirmations nettes, de la
de
la tradition
tel est le
pain substantiel dont
son intelligence
est affame.
A
travers toutes les
discussions d'ides de cet imptueux raisonneur,
on entend retentir en sourdine, comme un grognement continu, le mot de Pascal, cet autre imptueux raisonneursante;:
Humiliez-vous, raison impuis!
taisez-vous, nature imbcile
Cela se comprend. Devant une ralit qui se lgitime par sa simple existence de fait, devant un monde qui relve, en dernire analyse, d'un acte de bon plaisir, il n'y a qu' s'incliner. Le mystreest accepter sans objection,
puisqu'il
s'impose.
soumettons-nous, comme on de l'esprit qui ramne tout son tiage, qui a la prtention de tout comprendre et de faire tenir le rel norme dans les troits plateaux de ses balances, est une fatuit. Il ne faut pas faire les malins les crits de Chesterton
Soyons humbles,
et
dit, l'objet. L'attitude
:
38
G. K.
CHESTERTON
formeraient un abondant commentaire ce mot de f^Joseph Lotte. Et par l encore, l'auteur d'Orhodoxy est bien de son sicle, de ce sicle qui, au fond de son scepticisme, a retrouv le sens du mystre, et auquel Pascal agre si fort il s'entendrait avec nos pascalisants et ici, de nouveau, les chos s'entre-rpondent des deux cts de la Manche. Le besoin de convictions fermes aboutit, chez un;;
nombre
croissant de nos contemporains, la res-
tauration complte de l'intellectualisme. Mais chezplusieurs, le
mouvement
s'arrte, indcis, mi-cte,
dans une sorte de fidisme. J'ai cit plus haut quelques penses d'Ernest Psichari. En voici d'autres, d'un son diffrent, prises pourtant au mme niveau de dveloppement, dans cet esprit que la forte direction dominicaine devait pousser un jour plus loin Il faudra bien qu'on nous laisse la paix avec les preuves et les syllogismes, et les inductions et les dductions... O mon Dieu, je ne vous connaissais pas, parce que je voulais vous prouver '. Le cas de Chesterton est en partie analogue. Nous avons trouv notre paladin dress pour la lutte au devant des ralits spirituelles qui forment les assises de la pense et de l'action humaines la::
certitude, la vrit, lalibert,
raison,
l'ide,
et
aussi
la
la morale, la religion ^ La ralit de la matire n'est pas, ses yeux, moins essentielle.
1.
Les Voix qui crient dans
25 dcembre 1919, p. 1038 sqq. 2, Orthodoxy, chap. ii, m.
le J'ai
dserl in Correspondanly soulign un mot.
LA PHILOSOPHIE d'uN HUMORISTE
39
Elle fait partie du patrimoine traditionnel. Elle possde un caractre sacr, quasi mystique. Un des personnages de Chesterton dit quelque part ce mot profond Je n'ai pas assez de foi pour croire la matire '. Et il ajoute que les doutes du matrialiste sont une plaisanterie ct des doutes atroces, vertigineux du spiritualiste (lisez de l'idaliste *). La morne philosophie qui fait de ce beau monde diapr, multiforme, mouvant, une pure projection de la pense solitaire, produit sur notre crivain l'effet d'un obscne cauchemar. Elle blesse en lui le sens Commun, le sens artistique et mme le sens moral'. Mais ce qu'il importe de remarquer maintenant, rc'est que Chesterton attribue toutes les hrsies , auxquelles il oppose des rfutations populaires et :.pleines d'humour, l'abus de la logique spculative. Trs justement il note chez leurs tenants, comme chez certains alins, la coexistence d'une logique enrage et envahissante avec un sens commun rabougri. Il parle plus d'une fois des docteurs fous , qui sont des philosophes ou des savants dont le systme a fait chavirer la cervelle, et ceux-l ne sont pas tous enferms dans les asiles. Il y en a mme qui les dirigent au nom de la Science , et qui y font enfermer les autres Chesterton raille::*
'.
Jeudi, p. 249. Ibid. Cf. Orlhodoxi/, p. 43 sqq. 3. Orthodoxy, loc. cil. et p. 242 246.1.
Le Xomm
2.
4. Orthodoxy, p. 36 et The Bail and Ihe Cross, Londres, Wells Gardner, 1910, p. 283.
5.
The Bail,
p.
289 sqq.
40
G. K.
CHESTERTON
assez agrablement leurs ides fixes et ce que l'on
pourrait appeler, d'un terme mdicalfscientifique systmatis'.
:
leur dlire
'
va mme jusqu' soutenir cette opinion hardie, que la folie se manifeste toujours par une dbauche du raisonnement, jamais par une exaltation de l'imagination ou de la sensibilit. L'art et la posie, pense-t-il, ne rendent pas fou, comme les mathmatiques et les checs. LaIl
posie se laisse flotter sur l'ocan infini des chosesla
;
spculation essaye de le traverser-.
:
elle s'y
puise
pet s'y tuepourraitqu'il
A lire telles pages de notre auteur, on mme croire qu'il accorde aux doctrinesle
combat
bnfice de la logique, qu'il les tient
pour irrfutables sur le terrain du raisonnement, et qu'enfin un acte de foi ou de volont soit ncessaire pour s'vader de leur cercle fatal. Par exemple, rendu au terme du livre consacr aux Hrtiques et plein de cet attendrissement qui convient aux((
choses qui s'achvent , il s'excuse de ses durets l'gard des rationalistes, et en particulier, de leur avoir donn ce vilain nom:
\
Il n'y a pas, dit-il, de rationalistes. Nous croyons tous des contes de fes nous y vivons. Certains esprits, inclins une posie somptueuse, croient la femme revtue du soleil. D'autres, d'un instinct plus rustique, amis d'une mythologie infrieure, croient l'impossible;
1
soleil
lui-mme. Les uns admettent;
le
trable de l'existence de Dieu
les autres, le
dogme indmondogme non
1.
2.
The Bail, p. 289, Orlhodoxy, p. 25.
290, 373.
LA PHILOSOPHIE d'uN HUMORISTE
41
.ct
moins indmontrable de l'existence du Monsieur \
d'
La pure
raison tourne en rond sur elle-mme,la ralit:
sans aboutir jamais
celui qui s'embar-
que sur ce vhicule est pareil au voyageur d'un chemin de fer circulaire, qui refera ternellement le mme parcours sans arriver nulle part, moins qu'il n'accomplisse l'acte volontaire, vigoureux et mystique de descendre une station de son choix -.Chesterton se complat prsenter comme trange, irrationnel, illogique, indmontrable ce qui est vrai, sens, raisonnable au fond, sain, joyeux, efficace, rfcond. Nous avons trouv la vrit, dit le P. Brown (l'un de ses porte-parole), et la vrit est absurde K En effet, dans les histoires policires o cet inoffensif ecclsiastique joue le rle de dtective , c'est toujours l'une de ses hypothses bizarres, stupides, invraisemblables, contradictoires, qui se trouve tre l'expression des faits rels '. C'est une chose banale, dit Chesterton, et cependant tombe dans l'oubli, que la vrit est plus trange que la fiction. Cela s'explique, car c'est l'homme qui taille la fiction sa mesure et selon les routines de son esprit mais ce n'est pas lui qui fait la ralit \ En d'autres termes, le mystre est reconnatre au cur des choses, si l'on veut qu'elles deviennent'
;
1.
Jleretics, p. 304.
2. 3.
Orthodoxy,
p. 35.
La Clairvoyance du Pre Brown,Par exemple,
p. 170.
ibid.^ p. 64, 294, etc. 5. Ileretics, p. 60.4.
42intelligibles
G. K.
CHESTERTON qui explique:
;
c'est l'obscur
le clair et
l'invisible qui
rend raison du visible
L'homme peut tout comprendre l'aide de ce qu'il ne comprend pas. Le logicien morbide essaye de tout rendre clair et il ne russit qu' tout rendre mystrieux. Le mj^stique, au contraire, permet au mystre de subsister en un seul point, et par l tout s'claire \]
Contrairement l'opinion commune, ce quiplus rationnel est plus difficilement compris:
est
cela
ne prend point surpopulaire.
les esprits et
ne devient jamais
\
Mais ce qui est irrationnel, tout le monde le comprend. Et voil pourquoi la religion est ne de si bonne heure et s'est rpandue si largement dans le monde, tandis que la science est venue tard et ne s'est pas du tout rpandue. Par toutes ses voix, l'histoire atteste que le mysticisme seul a quelque chance d'tre compris par le peuple ^
Ladans
supriorit de l'irrationnel s'affirme dele
mme
domaine deil
la
vie et de l'action.
Il
est seul
viable et stimulant. Les ftes rationalistes sont factices, et
n'y a pas d'extase rationnelle.et
Dans
le
cycle
morne
raisonnable de l'anne
anglaise
moderne, seule la Christmas met un rayon '\ Les gens srieux ont des gards pour la philosophie d'Auguste Comte et raillent sa religion. Naturellement Chesterton prend la position exactement inverse. Pour rien au mond ne ilelirait d'un bout1.
Orihodoxij,
p. 47.
2.
Hcretics, p. 95.
3. IbicL, p. 98.
LA PHILOSOPHIE d'uN HUMORISTE l'autre les
43
uvres du philosophe positiviste, mais il sympathise avec la liturgie du Grand Prtre de l'Humanit, et il se voit trs bien allumant un feu de joie pour l'anniversaire de Darwin \ Les sourcesde la gaiet, de la vie florissante et exubrante, de la bonne sant morale sont dans le mysticisme. Un jeune homme peut se prserver du vice en pensant habituellement aux maladies qu'il occasionne. Il peut aussi se garder chaste en pensant constamment la Vierge Marie. La premire mthode est ngative et froide, ce n'est qu'un la seconde est positive, levante, frein, une bride excitante, parce qu'elle montre un idal de beaut spirituelle. On peut croire la premire plus raisonnable la seconde est certainement plus saine =. r Chesterton rsume tout ce parallle et tout ce contraste dans un symbole qu'il affectionne et qui reparat plus d'une fois dans ses crits celui de la Sphre et de la Croix. La Sphre, image de la science, est la figure parfaite, harmonieuse, acheve en ses lignes, mais ferme, incapable de dilatation ni de progrs. La Croix au contraire, bien qu'elle porte au cur le conflit et la contradiction, peut tendre Lndfiniment ses deux bras sans altrer sa forme *. Dans le dialogue qui s'engage en ballon, au-dessus du dme de Saint-Paul de Londres, surmont prcisment d'une sphre et d'une croix, entre le prodela joie,; ;:
1.
Herelics, p. 98.
2. Ibid., p. 26 ; cf. Orlhodoxy, p. 46. 3. Orlhodoxy, p. 48.
44
G. K.
CHESTERTON
fesseur Lucifer, personnification de la science athe,
moine Michel, personnification de la foi, le premier clbre la Sphre et bafoue la Croix il caresse de la main le globe, cet tre si dodu, si satisfait , si diffrent de l'individu dcharn qui tend [l haut] ses bras raides et las et le:
:
Le Globe est raisonnable la Croix est draisonnable. un quadrupde avec une jambe plus longue que les autres. Le Globe est in^'itable la Croix est arbitraire. Surtout le Globe est un en lui-mme, la Croix;
C'est
;
en contradiction avec elle-mme. Elle est le conflit de deux lignes hostiles, de direction inconciliable..., une collision, un heurt, une lutte dans la pierre... Arrire cet objet Sa forme mme est une contradiction dans les termes.est...!
A'
quoi
le
moine rpond tranquillement
:
Nous aimons la contradiction dans les termes. L'homme une contradiction dans les termes c'est un animal dont la supriorit sur les autres animaux consiste en ceci, qu'il est dchu. La Croix, dites-vous, est une collision ternelle je le suis aussi. La Croix est une lutte dans la pierre toute espce de vie est une lutte dans la chair. La forme de la Croix est irrationnelle, prcisment comme la forme de l'animal humain. Vous dites que la Croix est un quadrupde dont un membre dpasse les autres. Je dis que l'homme est un quadrupde qui se sert seulement de deux de ses jambesest:;
;
'.
.
Le1.
lecteur aura
pu remarquer, au cours desCros.s, p. 9 11.
The Bail and the
I
LA PHILOSOPHIE d'uN HUMORISTE
45
[
,
dveloppements qui prcdent, quelques-unes de ces pousses de fivre dialectique, par lesquelles l'crivain semble prendre tche de dmontrer sur lui-mme sa thse des abus de l'argumentation. Quoi qu'il en dise par exemple, l'existence de Dieu se prouve, et le Pouvoir mystique qu'il invoque, l'Eglise, ne prtend pas que nous saisissions cette suprme vrit de raison, en sortant de la raisoi, par un bond de la volont ou de la pure foi. Mais, sans nous attarder multiplier ici de trop faciles rserves de dtail, reconnaissons plutt dans l'ensemble, sous les saillies du paradoxe,* un riche fonds de vrit. Oui, la plupart des erreurs de la philosophie moderne viennent de sa rvolte orgueilleuse contre des donnes premires, qui sont accepter et non construire.
Que de
pas n'a-t-on
pas
fait
dans des voies sans issue en voulant dduire
l'htrogne de l'homogne, la qualit de la quan-
matire de l'esprit ou vice versa, en prtendant nous expliquer doctement la gense des lments irrductibles de l'exprience. La grande tentation de la pense philosophique, qui doit tre, par nature, une synthse, est la rduction force de ses matriaux l'unit, le besoin d'expliquertit, la
l'inexplicable.
Le
vieil
axiome
dit fort
sagement
:
Principia rerum sunl abscondila, les principes des choses sont cachs ; ce qui veut dire, non pas tant que l'esprit ne les discerne pas, mais qu'il ne saurait les matriser. La dduction part de points lumineux qui clairent tout, comme le soleil, sans
46tre
G. K.
CHESTERTON
eux-mmes
clairs par rien. L'esprit
humain
doit prendre conscience de sa sujtion l'gard de
son objet. Il n'est pas autonome, parce qu'il n'est pas crateur la ralit ne jaillit pas de lui, et il ne peut avoir la prtention de la connatre par le dedans, en la prenant par l'origine et les racines, comme Celui qui la voit sourdre et dcouler de;
Lui.
Untion;
acte
d'humilit,
plus
difficile
encore, est
ncessaire pour accepter les
mais cet acte,
comme
le
dogmes de la rvlaremarque fort bien
Chesterton, est rcompens avec munificence par les richesses de vrit et de vie, par les jouissances
de contemplation et d'action auxquelles il introduit l'homme. L'univers domin par le mystre de la Trinit et envelopp de l'atmosphre de la Rdemption, est plus harmonieux et s'explique mieux que l'univers rationaliste. Le climat en est plus doux l'homme peut y marcher d'un pas et plus salubre plus allgre, parce que les chemins de la destine /sont clairs devant lui. Une fois admise l'nigme;
du surnaturel, l'nigme humaine se trouvera rsolue. En cela, l'auteur ^Orlhodoxy ainsolubleraison.
'
Seulement il y a dans le mystre diverses zones qu'il confond un peu. Son regard n'apprcie pas exactement la distance o se trouve chacune d'elles. Le fairyland semble les englober toutes et les projeter sur un horizon sans perspectives. Le mot de mystique ou de mysticisme , l'un des plus
LA PHILOSOPHIE d'uN HUMORISTE
47
la mode, mais des plus vagues % est un des mots de prdilection de Chesterton on a remarqu qu'il en faisait un usage immodr et en brouillait les sens multiples. Par exemple, Pacte d'intuition naturelle, o l'esprit, la vrit, ne dmontre pas et n'explique pas, mais voit, n'est nullement assimilable l'acte de foi, o il croit sans voir. De mme, l'existence de Dieu, qui se prouve, est plus mystrieuse que l'existence du Monsieur d' ct, qui ne se prouve pas. Ces demi-teintes, ces dgradations de couleurs, qui mettent des nuances jusque dans:
les tnbres, n'apparaissent
pas assez sousforts.
le pin-
ceau violent d'un
artiste
ami des tons
faite
me soit permis de renvoyer l'analyse qui en a t dans le Bulletin des catholiques crivains, juillet 1919, et reproduite dans la Revue pratique d'apologtique, 1" aot 1919.1.
Qu'il
CHAPITRE
II
UNE MANIERE DE PRENDRE LA VIEChesterton porte partout sa philosophie avec lui. Les ides, les tendances matresses que nous avons dmles, reviennent sans cesse dans ses ouvrages. Elles en donnent la clef. En les exprimant, il nous a vraiment dcouvert les couches les plus profondes de son esprit, le terrain d'o lvent ses essais, ses pomes, ses articles de journal. Elles s'incorporent ses doctrines sociales et politiques, sa religion
son apologtique, mme sa technique littraire gots les plus particuliers. Elles lui inspirent une certaine faon de prendre la vie. Mettons en lumire quelques-uns de ces points. Une certaine faon de prendre la vie. C'est un mlange de mysticisme et d'instinct populaire,et
et ses
donnes extra-logiques, pour lesun culte. Assurment ce n'est pas une originalit mince que de descendre la fois de deux lignes spirituelles aussi divergentes que les mystiques et les dvots de la bonne nature. C'est pourtant le cas de notre auteur. Par un ct, il s'apparente aux grands naturistes il pense, qu'il ne faut pas tre comme Rabelais et Molire, plus sage que la nature il donne des verges auxces
appuy sur
quelles Chesterton a
;
;
UNE MANIRE DE PRENDRE LA VIEaffectations
49
de tout genre, l'orgueil scientifique
comme
la hautaine rserve de l'aristocrate et
aux
prtentions religieuses, telles que le culte individualiste de la lumire intrieure . Il fait la^
caricature des philosophes, des savants, des
mde-
cins, des juges, des vgtariens, des esthtes, des
gens du beau monde (smart sel), etc., qui tous, leur manire, lui paraissent s'carter de l'humanit normale et raffiner sur le sens commun ^ D'autre part, nous trouvons en lui un insatiable apptit de surnaturel, et sous sa plume, la satire des esprits forts, le pangyrique des contemplatifs, des saints aurols, de l'anachorte qui se roule sur les pierres dans une frnsie d'humilit . Bref, vivre dans le bon vieux monde du peuple, jouir en enfant des choses sensibles, tre simplement, navement, ouvertement, indcemment humain, confesser en plnitude toutes les pitis et toutes les peurs congnitales la race d'Adam , rire, pleurer et trembler sans vergogne, injurier copieusement ses ennemis, se battre, danser, chanter, boire de la bire, et cependant rvrer l'Eglise, croire au surnaturel et s'attendre au miracle voil, selon Chesterton, la forme saine de l'existence. Comme Pguy, et avec aussi peu de fondement que lui, il aime se dire peuple il est, prtend-il,^'
:
:
1.
Orlhodoxg,
p. 136.
2. 3.
Heretics, Orthodoxy, The Bail Heretics, p. 26.
and
Ihe Cross, passi'm.
4. Ibid., p. 209.
CHESTERTON
*
50
G. K.
CHESTERTON
personnellement, plutt
du type
rustre
^
.
Et un
jour il conduit deux hros de roman, en conflit perptuel sur les plus hautes questions mtaphysiques, devant un vieux paysan ivre qui chante lesoir sur la route, etil
leur
donne pour
arbitre ce:
reprsentant authentique de la simple humanit C'est lui qui, en dfinitive, doit nous juger tous -. En revanche, il assne aux aristocrates des injures dpourvues d'atticisme. Il prsente un duc en ces termes Dans l'tat prsent de la noblesse, il est ncessaire d'avertir que ce duc, bien qu'tant un ne, est un gentilhomme ^ Le peuple, dit-il, a cent fois plus d'esprit que les riches, et il ne parat pas qu' ses yeux, la culture de l'individu ou de la race doive entrer en ligne de compte \ Il poursuit:
mme
de ses invectives ce flegme distingu, cette pruderie victorienne , que nous croyions, nous autres, spcifiquement anglais, et qu'il attribue, lui, des influences cossaises, irlandaises (!), amricaines, prussiennes, juives et mme orientales (!) ^ La vulgarit ne l'eff'arouche point. Il l'admire parce que c'est encore une de ces pousses de nature qui'
{chappent aux contrles svres de la raison. Vive Rabelais Voil un grand homme Celui-l du moins sait rire et dire de parfaites btises (abso!!
1.
2. 3.4.
Orthodoxy, p. 98. The Bail, p. 137. Magic.Herelics, p. 204.
5. Ibid., p. 28.6. Ibid., p.
209 213.
UNE MANIRE DE PRENDRE LA VIE'
51
Iule nonsense).
Son
rire
norme
est
humain
et
heureux
;
sa gaiet abondante, violente, indcente,
mais sans malice , reprsente la franche nature, l'inverse de l'art concentr et de la fine amertume \de nos modernes humoristes '. Du reste, il y a unealliance intime entre la grosse gaiet populaire etla religion:
la
vulgarit estil
fille
de
la foi,
parce
que que l o il y a de la foi, l o il y a de la gaiet, il y a toujours quelque excs craindre . Si Mr. Me Cabe tait rellement y a dela gaiet, et^
religieux,
il il
serait
heureux,'
et
s'il
tait
rellementest lie
heureux,
danserait*.
.
La Christmas
pudding
symbole de Nice favorise la L'Eglise a sauv l'hritage des joies des saucisses paennes et assimil les lments sains du matriaet le
au vente
lisme antique \
Ce sontla
les sectes
rcentes qui ont
mis
la
pruderie
mode.
La
vritable religion
chose raliste, la chose brutale, la chose qui dit des injures. Les grands puritains du dix-septimeest la
profondment religieux, n'avaient aucun souci de la dcence... ils lanaient aux rois et aux reines des noms et des adjectifs qui sont prcisment ceux que les journaux de leurs descendants modernes refusent d'imprimer'. Mais laissons de ct la question religieuse quesicle, esprits1.
Herelics, p. 240.
2. Ibid., p. 101. 3- Ibid., p. 231. 4. Ibid., p. 98, 99.
5. 6.
Orthodoxy,
Hre tics,
p. 266, 267. p. 29.
OJ
G. K.
CHESTERTON
nous retrouverons plus loin. Regardons notre pote dans la nature. Il n'accepte pas l'interdit que la morose civilisation moderne et le sens anglais de la respectabilit jettent sur certains plaisirs nafs, de tradition dans l'humanit. Pourquoi les gens graves ne dansent-ils plus ? Pourquoi le privilge de danser des ballets est-il rserv maintenant des spcialistes en maillot rose ? Et avec unes'battre
obligeance bouffonne, Chesterton convie un austre moraliste, qui l'avait trouv trop gai, partager
de se tenir sur une habits, les couleurs voyantes, la pompe des crmonies, les splendeurs matrielles qui parlent aux sens. Il sait gr, au nom du peuple, Thomas Becket de passer dans les rues en robes d'carlate et d'or. Ainsi l'instinct naturel est satisfait, sans prjudice de l'asctisme, qui trouve son compte dans l'invisible cilice du saint archevque et dans la pauvret de ses repas rgime inverse du rgime moderne, o le millionnaire, vtu d'un costume hideux et sombre, garde son or invisible prs de son cur , et s'asseoit en son priv des repas succulents *. Dans un roman de Chesterton, trange comme ils le sont tous, nous assistons la rsurrection, dans le Londres moderne, des costumes clatants et des usages pittoresques du moyen ge, opre par deux
avec
lui'
l'excitantIl
plaisir
jambe
.
aime
les
beaux
:
1.
2.
Heretics, p. 231. Orthodoxy, p. 165 et 180.
UNE MAMRE DE PRENDRE LA VIEoriginaux,et l'on sent
53
que l'auteur s'est dlect en cette description \ Il vit avec ivressse dans les volontiers il dirait, couleurs et dans les formes comme Thophile Gautier Je suis un homme pour qui le monde extrieur existe. Mais il y a une manire de comprendre la nature et d'y revenir , qui la dforme et la mutile. C'est celle des disciples de Tolsto, des vgtariens, de l'cole de la vie simple , o l'on porte des sandales et o l'on mange des tomates crues ^ Affectation que tout cela, esprit de systme, simplicit calcule,;:
labore, tout extrieure, et bien diffrente desimplicit
la
du cur qui accepte avec reconnaissance ce qu'offre la nature et en jouit humblement. Surtout le pacifisme niais, les blements d'amour deces gens-l ont letirerait
don d'exasprer Chesterton. On
de ses ouvrages un florilge de Rflexions sur la violence^ fort savoureuses et qui composeraient, comme celles de G. Sorel, une apologie de cet nergique procd. Se battre est un vieux sport humain, noble, salubre et enivrant, fond d'ailleurs en justice et en raison, auquel s'adonnent avec passion les hros de Chesterton. L'pe transfigure, grandit et sanctifie tout ce qu'elle touche. L'pe donne de la beaut aux choses c'est l'pe qui a rendu tout l'univers romanesque '\ Il y a des causes pour lesquelles on doit tirer l'pe, des conflits qui;
1.
Le Napolon de NollingHerelics, p. 136, 137, 138.
Hill.
2.
3.
Le Napolon de Nolling
Hill, p. 245
;
cf. p.
108. 109.
54
G. K.
CHESTERTON
ne peuvent se rgler que par la violence. Dans The Bail and Ihe Cross^ un jeune Ecossais catholique, Evan Mac lan, veut pourfendre un athe qui insulte la Vierge Marie:
Si cet
homme,
dclare-t-il, l'ahurissement
du juge
de la qui l'interroge, avait dit de ma mre Mre de Dieu, il n'y aurait pas en Europe un club de gens propres pour me refuser le droit de le provoquer en duel. S'il avait dit cela de ma femme, vous-mmes, Anglais, me pardonneriez de l'avoir ross comme un chien sur la place publique \ce qu'il a dit
Un
disciple de Tolsto, qui veut sparer les
cham-
de l'amour, fournit l'crivain le motif d'une bonne caricature et l'occasion d'exprimer ses ides par la bouche de son hrospions au:
nom
L'homme, dit Mac lan, donnait ce mot amour (love) un son indescriptible, je ne sais quoi de pesant et de rude, comme s'il avait dit bottes (boois)... Quand il Laisse l la bataille, est arriv, mon me m'a parl ainsi et tu deviendras pareil cela. Abandonne les serments et les dogmes et toutes les choses fixes et tu pourras: :
devenir semblable cela. Tu pourras bien te pntrer aussi de ce brouillard de fausse philosophie. Tu pourras bien devenir pris de cette fange de morale rampante et couarde, arriver penser qu'un coup est mauvais parce qu'il blesse et non parce qu'il humilie. Tu pourras bien en venir croire que le meurtre est un crime parce que c'est une violence et non parce que c'est une injustice *.
Prendre ainsi1.
l'existence, c'est tre
romanlique.
The Bail,
p. 43.
2. Ibid., p. 97, 101.
UNE MANIRE DE PRENDRE LA VIE
55
Et Chesterton dclare, maintes reprises, qu'il l'est. Il Pest un peu la faon de Stendhal, qui fait Tdes professions de foi analogues. Le romantisme, pour lui, c'est le got de la vie, de l'aventure, de l'imprvu, du risque, le got des extrmes, la fuite dans des mondes et des vnements indits, loin du convenu, du rgl et du banal. Est romantique,d'aprslui,
ce qui n'est ni logique, ni rationnel, le
ct indisciplin et tumultueux de notre nature, la\fantaisie, la libert,
l'enthousiasme. Et dans l'ordreunivers, assimilable au
des choses,des fes;
c'est cet
royaume,
c'est la vie,
qui n'est pas une dduction
astreinte ne se poursuivre et ne s'achever
que
d'une seule faon, mais une histoire, une nouvelle , dont les pripties et le dnouement sont impossibles prvoir c'est la famille, fait arbitraire s'il en ft, puisque l'homme ne la choisit pas, mais s'y trouve plac par cette suprme aventure qui est la naissance c'est surtout le mystre,^
;
^
;
le
surnaturel, le miracle, qui dpassent toute raison
et
bouleversent toute attente.Voil pourquoi encore et en quel sens Chesterton
est
dmocrate.
On
s'attend bien ce qu'il ne le soit
et que sa faon de l'tre orthodoxes du parti. Que rplace-t-il sous cette tiquette en vogue ? Son amour
pas
comme
tout le
monde
scandalise parfois les
1.
Herelics, p. 193.Ibid., p. 191.
2.
56
G. K.
CHESTERTON
de la libert, de l'indpendance personnelle, sa haine des tyrans, de tous les tyrans depuis Nron jusqu'au roi Lopold (!) , son culte de l'homme comme tel, de l'homme ordinaire, moyen, expression de la bonne nature et des instincts non frelats tde la race. L'avis du premier venu est prcieux un jury vaut mieux qu'un juge la masse est plus claire sur les choses proprement humaines que^
-
;
;
l'individu qui s'en isole
'.
Ici
encore, c'est
l'intelli-
genceles
rflchie,
le travail
logique et ordonn,
la
spcialisation, ce prjug aristocratique, qui sont
ennemis. En bons dmocrates, nous devons secouer le joug des gens comptents, qui s'arrogent le droit d'instruire ou de commander l'humanit fruste. Science veut dire spcialisation, et spcialisation veut dire oligarchie ^ Si vous vous fiez des hommes spciaux quand il s^agit d'obtenir certains rsultats spciaux en physique et en astronomie, il n'est pas moins naturel que vous le fassiez quand il s'agit des tches galement spciales du gouvernement. Si vous admettez qu'un seul homme soit qualifi pour parler avec comptence d'un insecte qu'il a tudi uniquement, vous ne pouvez voir aucun inconvnient ce qu'un seul homme soit qualifi pour traiter de la politique laquelle1.
Orlhodoxy,
p. 256.
2. Ibid., p. 219, 220.
3. Heretics, p. 269, 272. Cf. les textes cits par Julius G. K. Chesierlon, p. 155 sqq.4.
West
:
Ib cL, p. 228.
UNE MANIRE DE PRENDRE LA VIEil
57
s'applique exclusivement... L'expert est plus
aristocrate
que
l'aristocrate, car celui-ci est seule;
ment un homme qui vit mieux que les autres celui-l est l'homme qui sait mieux que tous \
Deet
tout ceci rsultent des consquences imprvues
vraiment tourdissantes. C'est d'abord
qu'aprs une vritable rpublique, la chose du monde la plus dmocratique est le despotisme hrditaire. J'entends un despotisme o il n'y ait pas trace de ces ides stupides sur la capacit intellectuelle ou les aptitudes spciales pour un poste. Le despotisme rationnel, c'est-dire par slection, est toujours une calamit pour le genre humain... Mais le despotisme irrationnel est toujours dmocratique, parce qu'il asseoit sur le trne
l'homme quelconque ^L'aristocratie hrditaire est bien plus dangereuse,
car elle est expose au risque de contenir en elle une
malheur n'est pas fatal. Des circonstances favorables l'ont pargn l'Angleterre. Dans les discussions souleves au sujet de la Chambre des Lords, on a dpens beaucoup d'ingniosit tcher de prouver qu'elle tait compose d'hommes intelligents. Il n'y a qu'une bonne manire de la dfendre, c'est de dire qu'elle est compose d'hommes stupides. A ce titre, elle estaristocratie de talents. Pourtant ce1.
Heretics, p. 228.
Dans le Napolon de Nollng Hill, le systme apparat perfectionn. Pour tre encore plus sr d'tre gouvern par un homme quelconque, on choisit le roi d'Angle2. Ibid., p. 268, 269.
terre
comme
les jurs, sur
la liste
alphabtique des citoyens,
p. 39 41.
58
G. K.
CHESTERTON
plus dmocratique que lesfois,
Communes. Plus d'une
vieux messieurs entts et borns de la Chambre Haute reprsentrent mieux l'opinion moyenne de l'Angleterre que les habiles gens de l'autre assemble, lus pour leur valeur personeffet, les
en
nelle
\
1. Ilerelcs, p. 270, 271. Chesterton ne va pourtant pas jusqu' soutenir que cette opinion soit toujours juste.
CHAPITRE
III
L'ART
Au
point de vue littraire, on devine ce que sera
Chesterton. Sa foi intense au monde extrieur, son matrialisme mystique, sa fracheur d'admiration devant la ferie de l'univers
vont seil
donnerI
ici
large
carrire.
En
particulier,
se
grisera de couleurs.
Grand
coloriste, plus coloriste
nous prsentera des tableaux d'une opulence et d'une chaleur de tons merveil^leuses, analogues ces toiles impressionnistes, o la ligne se noie dans le grouillement des teintes en fusion, o chaque objet ne se distingue que comme un bouquet de couleurs. J'enchsserai ici, comme spcimen, l'un de ces maux blouissants. Les deux champions Turnbull et Mac lan viennent de pntrer par escalade dans un jardin. C'est le matin
que dessinateur,
il
:
Le brouillard, en s'claircissant, leur permit d'apercevoir la surface d'une pelouse bien tondue. Quoique lavapeur blanche ft encore un voile, c'tait comme le voile de gaze qui recouvre les scnes de transformation dans les pantomimes. Car travers elle flamboyaient des masses de couleur sans forme, que l'on aurait pu prendre pour les nuages d'un lever de soleil ou pour des mosaques d'or et d'carlate, ou encore pour des
60
G. K.
CHESTERTON
femmes drapes dans des toffes de rubis et d'meraude. Le voile s'amincissant davantage, ils virent que ce n'taitque des fleurs, mais des fleurs en telle masse et d'une si insolente magnificence que rarement on en trouve de pareilles hors des tropiques. Des rhododendrons pourpre et cramoisis se dressaient d'un air superbe, semblables ces animaux hraldiques que l'on voit ramper sur un fond brlant d'or jaune. Les roses taient d'un rouge incandescent et les clmatites, pour ainsi dire, d'un bleusimple blancheur du couleur la plus violente de seringa toutes. Or, m.esure que la lumire dore du soleil gagnait peu peu sur les brumes, le spectacle devenait d'une douceur si prenante que l'on croyait en vrit voir s'ouvrir lentement les portes du Paradis terrestre'.
de flamme. Et pourtantqui paraissait
c'tait la
la
Ce sont surtout
les ciels
cette veine de coloriste,soir, et puis les aurores.
don d'exciter en particulier les ciels duqui ontle
On
ne compterait pas
les
notations que Partiste en a prises et semes au cours
1
de ses romans. Par dessus les rues enfumes de Londres, son il cherche perptuellement ces fracheurs intactes pour s'y reposer et s'y baigner. Mais abordons quelque chose de plus caractristique, quoi nous introduisent les derniers mots du passage cit. Nous avons affaire, ai-je dit, un matrialiste mystique. Pour lui, en effet, les objets ont une signification sotrique et parlent un langage tout brod de symboles. Au cur de la matire, ainsi qu'une phosphorescence dans les tnbres, le mystre luit et fascine les regards du voyant:
1.
The Bail,
p. 258, 259.
l'art
61
coutez -moi, dit Syme, l'un des porte -parole de Chesterton, je vais vous dire le secret du monde... Nous voyons tout par derrire et tout nous parat brutal. Ceci n'est pas un arbre, mais le dos d'un arbre cela n'est pas un nuage, mais le dos d'un nuage Ne comprenezvous pas que tout nous tourne le dos et nous cache un visage ? Si seulement nous pouvions passer de l'autre ct et voir de face !; I ^
Voici encore, par exemple, un lever de soleil, mais travers lequel on aperoit aussi le surnaturel
qui se lve,
comme un
autre soleil plus lointain
:
L'aurore qui s'largissait au-dessus de la mer et du rivage tait l'une de ces rares et splendides aurores, dans lesquelles il semble n'y avoir ni brume ni doute, mais rien qu'un envahissement toujours plus complet de l'universalit des choses par la clart. Toutes les couleurs taient transparentes. Cela semblait tre comme la prophtie triomphale de quelque monde parfait, o toute chose, tant innocente, sera intelligible, d'un monde o notre corps mme pourrait tre fait comme de cristal flamboyant. Un tel monde est figur, de faon dficiente et pourtant nergique, par les vitres colores de l'architecture chrtienne ^
Parfois le mysticisme est plus trouble, et l'on se
souvient, lire certaines pages, que Fauteur
a
travers le spiritisme.esprits
L'atmosphre o
il
nous
introduit est pleine [d'impalpables fantmes, et des
semblent incarns dans les objets matriels. La nature grimace et fait d'tranges gestes, comme1.
Le NommThe Bail,
Jeudi,
p. 252.
2.
p. 190, 191.
2si elle tait
G. K.
CHESTERTON
possde. Les arbres ont des silhouetteset^
presque obscnes . Au moment d'une rvlation terrifiante, une branche recourbe vient se dessiner sur le disque brillant de la lune, comme la corne d'un dmon . La tempte chante travers l'antique fort, et son chant est plein de
moqueuses
^
cette nostalgie qui subsiste
au cur des choses paenet pu croire que les voix qui s'chappaient de dessous ces frondaisons impntrables, taient les cris des dieux perdus, de dieux qui s'taient gars dans ces forts insenses et qui ne pourront plus jamais retrouvernes.
On
le
chemin duIl
ciel
^.
gazon, l'inofensif gazon, qui Chesterton avoue qu'il lui a toujours paru aussi trange que la barbe verte d'un gant .n'est pas jusqu'au
ne prenne un
air suspect, et
^
Dans
ce
monde
ensorcel circulent des person-
nages qui, pareils aux mdiums, aux nvropathes dous d'une hyperesthsie morbide, sont sensibles ces obscures suggestions, ces signes furtifs, ces prsages incertains. Le P. Brown, l'un des hros de prdilection de Chesterton, est de ceux-l. Il flaire le crime, il entend les pas touffs du malheur qui s'approche, il saisit, non par raisonnement, mais par intuition, le sens des choses, la direction, la courbe des vnements. Sa tte n'tait jamais1.
La Clairvoyance du Pre Brown,Ibid., p. 166.
p. 324.
2. Ibid., p. 312.3.
4.
Orthodoxy^
p. 145.
l'art
63
plus prcieuse que lorsqu'il la perdait.ces instants
Il
savait en
millions
^
. ;
dclare-t-il
que deux et deux peuvent faire quatre Je ne puis prouver ce que je dis, je ne puis rien prouver, mais j'ai la
conviction ^..
Un phnomne
imperceptible, lale fait
coupe d'un papier qui parat tous banale, rver:
La forme de ce papier tait mauvaise... Il tait coup d'une manire bien bizarre, d'une manire qui rpugne mon got et mon imagination... De toutes ces choses tortueuses, la plus tortueuse de toutes est la forme de ce morceau de papier ^Voici
un autre individu de
la
mme
espce
:
Syme tait un de ces hommes qui sont sujets aux influences psychologiques les plus obscures, un degr qui ne va pas sans quelque danger pour la sant de l'esprit. Inaccessible la peur physique, il tait beaucoup trop sensible l'odeur du mal moral. Plusieurs fois dj, pendant cette nuit, des choses insignifiantes avaient pris ses yeux une importance capitale, lui donnant la sensation qu'il tait en route vers le quartiergnral de l'enfer ^
Chesterton aime ces personnages anormaux, dous de facults indfinissables, il les caresse du pinceau. Mais il aime plus encore les tres nigmatiques, impntrables l'analyse, qui apparaissent dans un halo de vision et devant lesquels l'esprit1.
La Clairvoyance du Pre Brown,
p. 81.
2. Ibid,, p. 203. 3* Ibid., p. 202 : Mauvaise 4. Jeudi, p. 79.
La
Forme.
Le Nomm
64
G. K.
CHESTERTON
reste en suspens. Qu'est par
au juste cette la
exemple et que pense Batrice Drake, au nom symbolique,
dame
trange, the slrange
Lady
,
dont
la
silhouette de sphinx passe au milieu des aventures
de Turnbull et de Mac lan ? Il est impossible de le deviner. Plus mystrieux encore sont le professeurLucifer, cette espce d'Antchrist, personnification
de
la
science impie, et Dimanche, chef la fois deset
anarchistes et des contre-rvolutionnaires, que l'on
compare Pan,turels,
qui s'exprime
comme
Jsus-
Christ \ Sont-ils des
hommes ou
des tres surna-
des archanges ou des dmons, Satan ou D