synthèses des rapports

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1 Direction de la protection judiciaire de la jeunesse Délégation interministérielle à la Ville et au développement social urbain PROGRAMME INTERMINISTÉRIEL DE RECHERCHES SUR LES PROCESSUS DE DÉSCOLARISATION Quelques acquis d'un programme de recherches sur la déscolarisation, Dominique GLASMAN .............................................................................................................................. 2 Synthèses des rapports 1. L'espace social de la déscolarisation- trajectoires invisibles et méconnaissances institutionnelles, Bertand GEAY, Françoise ROPÉ ........................................................... 7 2. La déscolarisation en Haute-Garonne - Rapport à l’école et dispositifs de scolarisation, François SICOT [Dir.] ...................................................................................................... 16 3. Décrochage scolaire : genèse et logique des parcours, Elisabeth BAUTIER, Jean-Pierre TERRAIL ......................................................................................................................... 22 4. Etude des processus de déscolarisation et évaluation de son ampleur dans les collèges de trois ville du Mantois. Hugues LAGRANGE .................................................................... 30 5. Déscolarisation totale ou partielle chez les 13-15 ans, analyse rétrospective à partir des points de vue des enseignants, des intervenants sociaux, des parents et des jeunes eux-mêmes, Pierre COSLIN................................................................................................................. 41 6. ‘Mixités scolaires, mixités familiales et attitudes face à la déscolarisation d’enfants gitans et maghrébins, Hasnia MISSAOUI, Lamia MISSAOUI et Alain TARRIUS.......................... 45 7. Le détachement scolaire : des parcours chaotiques de scolarisation entre les collèges et ailleurs, Daniel FRANDJI (article dans VEI-Enjeux n°132, avril 203) .............................. 50 8. Construction sociale des absentéismes et des décrochages scolaires en France et en Angleterre, Catherine BLAYA ......................................................................................... 56 9. « Déscolarisation » des collégiens de milieux populaires : parcours et configuration, Daniel THIN ................................................................................................................................ 59 10. Déscolarisation : au risque d’une identité déviante à l’adolescence ? Maryse HEDIBEL- HEDERLÉ........................................................................................................................ 69 11. Non scolarisation, déscolarisation et scolarisation partielle des migrants. Les obstacles institutionnels à l'accès des enfants et des adolescents nouvellement arrivés en France à une scolarié ordinaire. Claire SCHIFF .................................................................................... 78 12. Malaise dans la scolarité Recherche sur le décrochage scolaire à Corbeil et à Grigny dans l’Essonne Jacqueline COSTA-LASCOUX dir. ................................................................. 89 Direction de l’évaluation et de la prospective Direction de l’enseignement scolaire Fonds d’action et de soutien pour l'intégration et la lutte contre les discriminations

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Direction de la protectionjudiciaire de la jeunesse

Délégation interministérielle àla Ville et au développement

social urbain

PROGRAMME INTERMINISTÉRIEL DE RECHERCHES SUR

LES PROCESSUS DE DÉSCOLARISATION

Quelques acquis d'un programme de recherches sur la déscolarisation, DominiqueGLASMAN .............................................................................................................................. 2

Synthèses des rapports

1. L'espace social de la déscolarisation- trajectoires invisibles et méconnaissancesinstitutionnelles, Bertand GEAY, Françoise ROPÉ ........................................................... 7

2. La déscolarisation en Haute-Garonne - Rapport à l’école et dispositifs de scolarisation,François SICOT [Dir.] ...................................................................................................... 16

3. Décrochage scolaire : genèse et logique des parcours, Elisabeth BAUTIER, Jean-PierreTERRAIL ......................................................................................................................... 22

4. Etude des processus de déscolarisation et évaluation de son ampleur dans les collèges detrois ville du Mantois. Hugues LAGRANGE .................................................................... 30

5. Déscolarisation totale ou partielle chez les 13-15 ans, analyse rétrospective à partir des pointsde vue des enseignants, des intervenants sociaux, des parents et des jeunes eux-mêmes,Pierre COSLIN................................................................................................................. 41

6. ‘Mixités scolaires, mixités familiales et attitudes face à la déscolarisation d’enfants gitans etmaghrébins, Hasnia MISSAOUI, Lamia MISSAOUI et Alain TARRIUS.......................... 45

7. Le détachement scolaire : des parcours chaotiques de scolarisation entre les collèges etailleurs, Daniel FRANDJI (article dans VEI-Enjeux n°132, avril 203).............................. 50

8. Construction sociale des absentéismes et des décrochages scolaires en France et enAngleterre, Catherine BLAYA ......................................................................................... 56

9. « Déscolarisation » des collégiens de milieux populaires : parcours et configuration, DanielTHIN ................................................................................................................................ 59

10. Déscolarisation : au risque d’une identité déviante à l’adolescence ? Maryse HEDIBEL-HEDERLÉ........................................................................................................................ 69

11. Non scolarisation, déscolarisation et scolarisation partielle des migrants. Les obstaclesinstitutionnels à l'accès des enfants et des adolescents nouvellement arrivés en France à unescolarié ordinaire. Claire SCHIFF .................................................................................... 78

12. Malaise dans la scolarité Recherche sur le décrochage scolaire à Corbeil et à Grigny dansl’Essonne Jacqueline COSTA-LASCOUX dir.................................................................. 89

Direction de l’évaluation etde la prospective

Direction del’enseignement scolaire

Fonds d’action et de soutienpour l'intégration et la luttecontre les discriminations

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Quelques acquis d'un programme de recherches sur la déscolarisation,Dominique GLASMAN

Dominique GLASMAN professeur de sociologie, Université de Savoie, président du Comité scientifique duprogramme(article paru dans VEI-Enjeux N° 132 - avril 2003, « Ruptures scolaires », http://www.cndp.fr/vei)

Comme chacun s'en doute, les sorties sans diplôme, mais aussi l'arrêt des études avant même la fin dela scolarité obligatoire, ne sont pas des phénomènes récents. Mais ce n'est qu'à partir de la seconde moitiédes années 1990 que monte une préoccupation institutionnelle concernant les élèves qui sont dits, depuis1999, "déscolarisés". Au moins trois éléments concourent à l'émergence de cette question. Le premier est lesouci d'ordre public et les menaces que sont censés faire peser sur lui des élèves en errance. Le second estle problème lancinant de l'insertion sociale et professionnelle des jeunes non qualifiés, qui représentent le"noyau dur" du chômage juvénile difficilement compressible même dans les périodes d'embellie économique; les dispositifs qui les accueillent pour les qualifier sont coûteux et leur efficience incertaine, que ce soit entermes de réinscription dans une dynamique d'apprentissage, de restauration de l'image de soi, de rapportaux institutions, ou… d'insertion professionnelle ; et s'il convenait, pour la plupart de ces jeunes, de prendrele problème en amont, c'est-à-dire avant qu'ils n'aient rompu avec l'école ? Le troisième élément, ce sont lesexigences et les problèmes auxquels l'école se trouve, confrontée : d'une part, de par la loi, "nul ne doit sortirde l'école sans qualification" ; d'autre part, les conditions dans lesquelles se sont opérées la "massification"et la suppression des paliers d'orientation n'ont pas facilité la prise en charge des élèves en difficulté, dontles parcours scolaires (et les passages en classe supérieure) ont été davantage déterminés par des soucisde gestion des flux (restreindre les redoublements) que par la vérification des niveaux de connaissanceatteints ou par l'intérêt pour les apprentissages scolaires. Enfin, à un moment où la moitié d'une classe d'âgeest à l'école jusqu'à 20 ans, et où il est devenu "normal" pour un jeune de 18 ou 19 ans d'être encore dansune structure d'éducation ou de formation, ceux qui sortent avant cet âge, et de surcroît sans diplôme, sonthors de la norme ; il a bien fallu, non sans douleur institutionnelle, accepter de constater que, dans leursrangs, figuraient des élèves encore soumis à la scolarité obligatoire ; l'institution ayant pu, que ce soit auniveau d'un établissement ou au niveau académique, vouloir croire un certain temps que cela n'existait pasparce que c'était interdit.

Au cours de ces années, l'Education Nationale, dans la logique de la mission d'insertionprofessionnelle qui est devenue la sienne, a créé divers dispositifs de "récupération" des élèves en risqued'abandon scolaire (classes relais) ou de non-qualification (NouvelleS ChanceS). Les chefs d'établissementssont invités à redoubler de vigilance sur la question de l'absentéisme (circulaire du 25 Octobre 1996),d'autant que celui-ci est (circulaire du 12 Juin 1998, relative aux classes-relais) associé à la déscolarisationet à la délinquance.

Cette préoccupation a débouché en 1999 sur un appel d'offres de recherches. Le Ministère del'Education Nationale, le Ministère de la Justice, le Fonds d'Action Sociale pour l'Intégration et la Lutte contreles Discriminations, et la Délégation Interministérielle à la Ville se sont réunis pour lancer l'appel d'offres,préciser son cahier des charges, financer les recherches, constituer les instances techniques et scientifiquesde suivi1. Le but visé par les commanditaires à travers ces recherches était double : d'un côté, tenter desaisir l'ampleur et les variations du phénomène de "déscolarisation" ; d'un autre côté, repérer les processusde déscolarisation ; il n'entrait pas dans le champ des recherches de s'intéresser aux dispositifs mis en placepour "raccrocher" les élèves. Les recherches sont aujourd'hui terminées. De manière très succincte, en voiciquelques points saillants, que l'on regroupera sous deux rubriques : la première concerne tout le travailréalisé pour interroger la catégorie de "déscolarisation" ; la seconde concerne les processus dedéscolarisation eux-mêmes.

Définir et compter

Rapidement "naturalisée" dans les discours des institutions et des "acteurs", la "déscolarisation" estréinterrogée par les recherches. On voit dans quel contexte – rappelé plus haut - cette notion a étéconstruite par des professionnels appartenant à différentes institutions : Ecole, Justice., Santé, … Aupassage est soulignée la part que le "partenariat" prend dans le repérage d'un "problème social", et dans lamanière dont il est désigné. Celle-ci est tributaire des grilles d'analyse du monde social que chacun des"partenaires" met en œuvre, à partir des normes de son institution et de son identité professionnelle. Ladéfinition du terme de "déscolarisation" est donc diverse, même si demeure un fonds commun visant les

1 - Voir Dray D. et Oeuvrard F., "Un programme ministériel de recherche sur les processus de déscolarisation", RevueV.E.I. N° 122, Septembre 2000

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élèves qui sont en dehors de l'école de façon durable, qui ne la fréquentent plus. Mais doit-on adopter unterme identique quand on parle d'élèves encore soumis à l'obligation scolaire et d'élèves qui ne le sont plus? Est-il vraiment légitime de ne s'intéresser qu'à ceux qui sont hors des murs de l'école alors qu'en son seincertains sont déjà amplement démobilisés, démobilisation qui promet pour certains de se transformer endéscolarisation ?

Et puis, comment saisir l'ampleur de la déscolarisation ? Par définition, les "déscolarisés" ne sont pas,ou si peu, dans l'école. S'il est possible d'en rencontrer et, comme le font les différentes recherches, d'eninterviewer un certain nombre, l'établissement d'un chiffre mesurant la déscolarisation ne peut se faire quepar un canal, l'école, en s'appuyant sur un indicateur scolaire, l'absentéisme. C'est donc ce que fontplusieurs recherches, non sans prendre la précaution de distinguer absentéisme et déscolarisation. Sauf, eneffet, à définir la déscolarisation par un certain niveau d'absentéisme (variable selon les recherches), on peutnoter que tous les élèves absentéistes ne sont pas pour autant déscolarisés ; à l'inverse, des élèves nonabsentéistes, ou dont les absences ont été justifiées, sont de fait, ou considérés dans les discours decertains acteurs, comme "déscolarisés" : que dire des élèves des classes-relais, ou de ceux qui sontorientés vers les Instituts Médico-Educatifs ou les Maison d'Enfants à Caractère Social, comment considérerles élèves inscrits au CNED et respectant donc l'obligation d'instruction, sans oublier les élèves que l'école aexclus temporairement, ou encore les élèves dont les absences, certes justifiées, ne le sont qu'à la faveurd'un rapport de forces avec leurs parents ?

Le seul indicateur quantitatif disponible (ou que l'on peut élaborer à partir des données disponibles)dans les établissements scolaires est le nombre de demi-journées d'absences injustifiées (quand il y enquatre dans le mois, l'élève est en principe signalé à l'Inspection Académique). Mais cet indicateur,apparemment fiable de prime abord, est construit au cours d'un processus dont l'analyse relève tant de lasociologie administrative (comment enregistre-t-on ou non les absences, par qui et comment est appréciéela validité de la justification avancée 2, à quel moment et pour quels élèves le chef d'établissement sedécide-t-il, ou se résigne-t-il, à signaler de l'absentéisme…) que de la sociologie des relationsprofessionnelles, ou des relations parents-école (négociation, pressions…). Il existe toute une chaîne de laconstruction statistique, depuis le relevé des absents par les enseignants ou les personnels de vie scolaire,l'enregistrement, l'interprétation du motif d'absence ou la vérification auprès des parents, l'inscription dans lelogiciel GEP (Gestion des Elèves et des personnels), l'envoi à l'IA et le déclenchement de la "sonnetted'alarme", le signalement éventuel à la Caisse d'Allocations Familiales3. Le chiffre de l'absentéisme, et sesvariations, sont donc, comme par exemple celui de la délinquance, tributaires non seulement des pratiquesdes élèves mais aussi de la mobilisation du personnel sur le problème.

Sur la base de ce travail réalisé par l'administration, les chercheurs retiennent un chiffre, en faisant aubesoin intervenir leurs propres critères, par exemple en ne considérant comme absences justifiées quecelles qui le sont par un certificat médical ou une convocation officielle ; d'autres instaurent une catégorie de"grands absents".

Tout ceci permet de comprendre qu'à la question récurrente "combien y a-t-il de déscolarisés", nonseulement il est malaisé de répondre mais encore les réponses diffèrent fortement d'un rapport de rechercheà un autre, soumises qu'elles sont non seulement à ce que font les élèves mais aussi aux contextes locauxde production des données et à l'usage qu'en ont fait les chercheurs. Toutefois quelques résultats peuventêtre engrangés. Un : même si elle est moins massive que la rumeur ne le voudrait parfois, la déscolarisationn'est pas un phénomène exceptionnel et la préoccupation des pouvoirs publics s'en trouve accréditée. Deux: c'est à partir de 14-15 ans, et de façon croissante jusqu'à 16 ans, que la déscolarisation proprement dites'opère. Trois : sans surprise, on note une surreprésentation parmi les "déscolarisés" des élèves issus desmilieux populaires et/ou d'origine étrangère ; mais le résultat doit être assorti de la précision suivante, qui neva pas nécessairement l'invalider : les enquêtes ont porté essentiellement dans des établissements ou deszones où ces catégories sociales sont majoritaires. Quatre : plus inattendu est le constat que les filles sontpresque aussi concernées par la déscolarisation que les garçons, même si les modalités du processus et lesexplications qu'elles en donnent sont assez distinctes de celles des garçons.

Comprendre les processus de déscolarisationLes recherches confirment, au-delà de ce que l'on imaginait au départ, la diversité des processus de

déscolarisation. Aucun "décrocheur" ne ressemble vraiment à un autre si l'on considère son parcoursscolaire, la manière dont s'est tramée sa séparation de corps d'avec l'école, les raisons qui l'y ont conduit.En cela, les chercheurs retrouvent ce que les responsables de dispositifs de "raccrochage" constatent : ilsn'ont à faire qu'à des parcours singuliers. Il s'agit bien d'aventures individuelles, qui n'ont en commun qued'être vécues dans des contextes sociaux dégradés ou au moins exposés à la précarité sociale (compte- 2 - Une circulaire de 1991 stipule qu'il n'est plus possible pour l'établissement scolaire d'exiger un certificat médical, pour justifier uneabsence pour cause de santé.3 - L'éventualité a été envisagée récemment de faire payer aux parents des élèves absentéistes une amende substantielle. Mais lestextes prévoient depuis longtemps la suppression des allocations familiales en cas d'absentéisme avéré. L'enseignement secondaire aété rendu gratuit au début des années 1930 ; c'est l'enseignement secondaire qui pouvait maintenir les élèves dans l'école bien au delàl'âge de 13 ans, limite de la scolarité obligatoire en 1934, c'est-à-dire au moment où les allocations familiales ont été créées. Même sileur création ne s'explique pas seulement par cette raison, celles-ci étaient susceptibles de compenser pour les familles le manque àgagner en termes de salaire ou de travail familial des enfants au cas où ceux-ci continuaient leurs études.

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tenu du choix des terrains et populations d'enquête, évoqué plus haut). Une si grande diversité est de natureparfois à décourager, ou à rendre artificielle, toute tentative d'esquisser des "types" de parcours. Pourautant, les recherches permettent d'échapper à l'accumulation de biographies, à la juxtaposition de récits devie scolaire et extra-scolaire qui désespère la compréhension. De quelle façon ? En mettant le doigt, enportant l'attention, sur des moments, des dispositifs, des logiques, qui font office de "nœuds" dans ceprocessus. Selon leurs choix méthodologiques et théoriques, selon les postures adoptées, les recherchesont exploré tel ou tel de ces "nœuds", que l'on peut tenter de synthétiser ici.

Ce qui s'est construit ou non dans l'école

Il convient de déconnecter "échec scolaire" et déscolarisation. Tous les élèves en échec ne "décrochent"pas, et tous les déscolarisés ne sont pas en échec. Il reste que l'on rencontre plus facilement, dans lesrecherches, des élèves qui ont été en difficulté scolaire, et pour lesquels les savoirs scolaires ne faisaientpas sens. La déscolarisation serait donc, pour une part des élèves, un processus amorcé de longue date,mais à bas bruit. Est pointée la "défaillance langagière" d'élèves chez lesquels "la règle syntaxique n'est pasassimilée pour ce qu'elle est, c'est-à-dire une loi arbitraire nécessaire". Les formes de travail en classepeuvent contribuer à ne pas améliorer les choses. Par exemple : faire repérer par les élèves desinformations dans un texte, ce n'est pas ipso facto leur permettre de comprendre ce texte dans son propos,dans son intentionnalité ; ou encore, le souci de mettre en œuvre une "pédagogie du concret" pour favoriserchez les élèves (en difficulté réelle ou potentielle) l'accès aux notions abstraites (les notions d'unité, dedizaine, de centaine "représentées" par des sucres, des boites d'allumettes et des boîtes de chaussures),peut en fait construire un obstacle décisif à leur compréhension. Des élèves sont, très tôt, dans un"décrochage cognitif" silencieux, ne se manifestant par aucun signe d'indiscipline, de violence,d'absentéisme. Au contraire, à l'école primaire, ils peuvent, s'appuyant sur la volonté d'un enseignant de nepas les décourager et son souci de valoriser ce qu'ils font de bien, s'illusionner sur leur capacité réelle, envivant l'école sur un registre de relations affectives plus que sur un registre d'exigences cognitives. Mais cequi, dans le primaire, rend l'école agréable ou acceptable aux élèves, ce qui les y "accroche", "contribuejustement à la création et/ou à l'amplification de malentendus sur le sens des activités scolaires etd'ambiguïtés sur les relations pédagogiques et sur la place que chacun occupe dans l'institution". A l'entrée au collège, l'étayage de l'élève ne se suffit plus d'une relation personnelle avec le maître, l'attentede maîtrise des savoirs met l'élève à nu, devant lui-même et devant la classe. Tous ne vont pas cependantentrer dans un processus de déscolarisation : certains vont "se contenter" de "décrocher sur place", d'autresparviendront à reproduire dans le collège le même type de fonctionnement qu'en primaire, et à faire"perdurer les malentendus" pendant un certain temps, d'autres vont entrer dans une logique de refus, derévolte, d'exclusion, d'autant plus vraisemblablement qu'ils ne disposent pas, dans leur environnementproche (familial en particulier) des appuis nécessaires pour des progrès ou seulement la survie scolaire.

Les dispositifs scolaires et leurs effets

L'institution scolaire elle-même, à son insu et parfois avec les meilleures intentions du monde, prépare lavoie à la déscolarisation quand elle ne l'orchestre pas carrément. Et ceci de multiples façons.

Les dispositifs spécifiques de scolarisation organisés sur ou à proximité des terrains de stationnementdes tziganes, où ne se retrouvent que des enfants tziganes, sont aussi fatals à l'affiliation scolaire desenfants que l'entre-soi résidentiel l'est à l'intégration sociale des parents ; quand des enfants tziganes sont,dans des quartiers culturellement plus mixtes, mélangés à d'autres enfants sur les bancs de l'école, ils s'yacclimatent mieux et tirent profit d'éventuelles structures d'appui pour avancer dans leur scolarité.

L'orientation imposée, non désirée, refusée par l'élève ou par ses parents, contribue à alimenter leprocessus de déscolarisation. Une des recherches montre, par exemple, comment l'orientation en SEGPApeut, par les réticences qu'elle engendre tant chez les élèves que chez leurs parents, conduire à undélaissement progressif de l'école, qui ne présente plus d'enjeu ni pour les premiers ni pour les seconds. Desurcroît, les mesures de réorientation, les délais parfois longs pour changer un enfant de structure (d'uneSEGPA vers un IME ou une MECS, par exemple), ajoutent à leur tour leurs poids de risques.

Cette question des délais dans la prise en charge est singulièrement décisive quand il s'agit des "primo-arrivants". Pour eux, c'est moins de déscolarisation qu'il s'agit, que de scolarisation (en France) et derescolarisation (ils ont très souvent été scolarisés dans leur pays d'origine). Il faut parfois de longs mois àl'administration scolaire pour affecter à un établissement un enfant ou un jeune, et l'approche des 16 ansn'accélère pas, paradoxalement (?), leur prise en charge. D'autre part, le fait que les élèves – ou ceux quivoudraient bien le devenir et être considérés comme tels – aient déjà un certain niveau de connaissances etn'aient besoin que d'apprendre la langue française conduit à regrouper des élèves aux compétencesscolaires très hétérogènes ; ce regroupement n'est pas de nature à maintenir tous ces élèves dans lastructure scolaire.

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Enfin, en faisant face aux désordres scolaires ou à la non soumission aux exigences de l'école parl'expulsion, l'institution scolaire contribue au processus de déscolarisation. En d'autres termes, une partie deces élèves, dont l'enquête montre qu'il est parfois tellement soulageant pour les enseignants de constaterd'abord l'absence puis l'exclusion, sont des élèves qui risquent de revenir de moins en moins régulièrementen classe.

Ce qui, au fil des années, advient à l'élève dans l'école, en termes d'apprentissage, en termes dedécision que l'institution prend à son endroit, n'est à l'évidence pas systématiquement producteur dedéscolarisation. Tous les élèves exclus ou orientés contre leur gré ne décrochent pas, même s'il s'agit là dedécisions favorisantes, et à l'inverse être bien intégré dans l'école ou y être orienté selon ses vœuxn'épargne pas entièrement de ce risque. C'est parce qu'ils sont tissés avec des processus familiaux que lesévénements de la vie scolaire débouchent, à un moment, sur la déscolarisation.

Les logiques sociales dans lesquelles sont prises les familles

Les postures des chercheurs, et leurs angles d'attaque, ne les ont pas tous conduits à repérer dansl'école des racines de la déscolarisation. Pour certains, c'est en effet essentiellement dans l'espace familial,et dans les logiques qui animent les familles, qu'il faut les chercher. Même s'ils n'excluent pas que lesadversités de l'expérience scolaire des enfants ou des adolescents aient pu venir les renforcer.

Les recherches pointent un des nœuds du processus de déscolarisation d'abord du côté de la pauvretéet de la dégradation sociale des familles. Défaites par la situation économique qui est la leur, ou parl'instabilité de vie des parents ou du parent, certaines ne peuvent plus contrôler la scolarité des enfants etdes adolescents, voire trouvent dans l'activité parallèle de ces derniers, leur recherche de ressources partous les moyens (licites ou non) au lieu de l'école, un moyen de survie. Dans d'autres familles, peu dotéeséconomiquement et culturellement, pour lesquelles la scolarisation représentait un espoir, la seule solutionenvisageable pour garder le contrôle sur leurs enfants, en cas de non travail, d'absence de résultatssatisfaisants, est la "mise au boulot"; et voilà les enfants retirés de l'école pour aller accompagner leur pèreou leur mère dans leur activité professionnelle, "donner la main" plutôt que fainéanter dans l'école. Aupassage, on le remarque, il s'agit de tout sauf de démission parentale.

Une des recherches s'est intéressée aux logiques de familles tziganes dans lesquelles la transmissiondes savoir-faire professionnels s'opère du père au fils, des mères aux filles, sans avoir d'autre besoin del'école que d'y apprendre les savoirs de base. La socialisation des enfants et des adolescents se fait doncdans le cadre familial, au sein du "clan". Toutefois, des mères tziganes, qui se sont émancipées du clan,sont parties habiter ailleurs, pour entre autres scolariser leurs enfants avec des enfants non issus de lacommunauté tzigane, parviennent à les maintenir dans un parcours scolaire "normal". Avec les descendantsdes "tios", c'est à ces enfants que les logiques familiales tziganes préservent la survie scolaire la plus longueet la plus productive. On peut entendre là l'écho des observations faites plus haut concernant la scolarisationdes enfants du voyage.

C'est dans une même logique d'inscription dans l'économie familiale que certains adolescents marocains,des garçons plus que des filles, quittent précocement l'école. Ils s'en vont accompagner leur père etapprendre à ses côtés le métier de commerçant international, transfrontalier. Pour la famille la stratégie dereproduction ne passe nullement par l'acquisition de savoirs scolaires, sinon les savoirs de base transmispar l'école primaire, et ce n'est pas en raison d'un échec que les garçons sont retirés de l'école.

La concurrence entre l'école et la sociabilité de quartier

Dans les récits recueillis par différents chercheurs auprès d'élèves déscolarisés, on peut noterl'importance de la vie hors école de ces élèves, de leur réseau de sociabilité. Une des recherches voitexplicitement le processus de déscolarisation se nouer dans cet environnement de l'élève, comme dans sonenvironnement familial, et non dans l'école. Le jeune se trouve pris dans un réseau de sociabilité de quartier,qui, comme le soulignent d'autres recherches, devient d'autant plus concurrent de l'école que l'élève s'ytrouve de moins en moins à sa place au fur et à mesure que les années passent et que son expériencescolaire se résume de plus en plus à ressentir le poids de son indignité. Le processus de déscolarisations'enclenche alors d'autant plus facilement que l'adolescent est pris dans des réseaux de sociabilité dejeunes eux-mêmes en délicatesse avec l'institution scolaire ; l'entrée dans une carrière délinquante peut enoutre préparer, de fait, une déscolarisation prochaine.

Puisqu'il n'était pas question de reprendre à son tour ici des histoires individuelles de "déscolarisés", on atenté de saisir des "nœuds" de ce qui constitue, de manière unique pour chacun des jeunes concernés; unprocessus de déscolarisation. Il ne s'agit pas, à l'évidence, de passages obligés. Mais, parmi les populationsenquêtées dans ces recherches, ils sont souvent, dans un ordre ou dans un autre, présents.

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Ce résumé trop rapide ne donne qu'une vision réduite de la richesse et de la diversité des rapports derecherche. Ceux-ci ne constituent pas, d'ailleurs, un ensemble homogène, sinon par leur thématiquegénérale : les populations visées, les méthodes d'investigation, les hypothèses de recherche et lessoubassements théoriques sont divers, et trop variés pour qu'on puisse en rendre compte ici. Certains destextes rassemblés dans cette livraison de VEI, extraits de ces travaux de recherche, en donneront une idéeplus précise.

Cet ensemble de travaux apporte des connaissances nouvelles sur les processus de déscolarisation, eten ce sens l'appel d'offres a atteint ses objectifs. Parfois, il s'agit de vérification de ce dont on se doutait (etl'on ne saurait sous-estimer l'importance de pouvoir ainsi assurer le propos), parfois d'infirmation d'une idéereçue (on l'a vu par exemple concernant les filles), parfois de mise à jour de processus largement ignorés ouinsoupçonnés ; ils apportent aussi des matériaux utiles à la compréhension des processus de catégorisationpar les "acteurs" institutionnels, par les professionnels.

Pour autant, le sujet n'est pas épuisé. Il resterait, par exemple, à s'intéresser aux processus dedéscolarisation dans lesquels sont engagés d'autres publics, et en particulier des jeunes issus de milieuxmoins défavorisés que ceux qui ont, dans l'ensemble, été ciblés dans ces recherches. Il se pourrait bien, eneffet, que ces processus, ainsi que l'éventuel "raccrochage", s'opèrent de manière différente encore, selondes temporalités, des modalités, des "facteurs déclenchants" non rencontrés dans ces travaux. On pourraitaussi tenter de comprendre pourquoi certains élèves, terriblement proches - dans tous les sens du terme -des élèves interviewés dans ces recherches, ne "décrochent" pas alors que toutes les "conditions" semblentremplies pour les voir s'engager dans un tel processus.

Enfin, puisque ces recherches ont été commanditées par des institutions soucieuses de faire face à un"problème social" (qu'elles ont, on l'a vu, contribué à construire), il leur reste à s'emparer de leurs résultats età déterminer comment elles peuvent se les approprier pour organiser l'action publique ; la base de savoirspositifs qui leur est ainsi offerte sera-t-elle utilisée pour la fonder à plus grande distance des représentationset des discours idéologiques et avec un souci de prendre en compte sans simplisme la diversité du social ?

Pour le Comité ScientifiqueDominique GLASMAN

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L'espace social de la déscolarisation- trajectoires invisibles etméconnaissances institutionnelles, Bertand GEAY, Françoise ROPÉ

SACO (Université de Poitiers),SASO (Université de Picardie) & ARES (Bondy)

Septembre 2002

AVERTISSEMENTCe rapport de recherche est le produit d’un travail collectif, confrontant différents terrains d’investigation et réunissant des

membres des trois structures co-signataires du contrat. Les différentes parties sont signées par leurs auteurs.

Françoise ROPÉ, responsable scientifique du projet, a joué tout à la fois un rôle de discutant, d’animateur et de conseiller.Présente tout au long du processus d’enquête, de mise en forme des analyses et de rédaction des conclusions, elle a joué un rôle

déterminant pour que soit mené à bien ce travail. Qu’elle en soit chaleureusement remerciée.

Synthèse par Bertrand GEAY et Laurence PROTEAU

Quelles sont les caractéristiques des jeunes “ déscolarisés ” et selon quels processus -dans quels espacessociaux et suivant quelles temporalités- se construisent les trajectoires marquées par des épisodes de“ déscolarisation ” ? Ces processus sont-ils justiciables d’une analyse spécifique ou doivent-ils être misétroitement en rapport avec les transformations qui affectent le système d’enseignement et la structure desrapports sociaux, plus largement ? La “ déscolarisation ” constitue-t-elle un phénomène nouveau, par sonvolume ou par la durabilité des abandons d’études, ou représente-t-elle surtout une préoccupation et unedénomination nouvelles, qu’il conviendrait aussi de comprendre, et qui devraient être saisies dans leursorigines et dans leurs effets ? Telles sont quelques-unes unes des questions auxquelles nous nous sommesefforcés de répondre tout au long de cette recherche.

Mais on ne peut les aborder sans rappeler d’entrée les problèmes que pose la définition d’une telle notion. Qu’est-ce au juste que la “ déscolarisation ” ? L'institution scolaire semble désigner par là les jeunes âgés de 6 à 16 ansqui ont interrompu leur scolarité pour diverses raisons, en infraction avec la législation sur l'obligation scolaire. Maison pourrait considérer que les enfants de 5 ans ou de 17 ans non scolarisés sont dans une situation socialeproche, surtout dans une période qui a vu se transformer profondément les pratiques de scolarisation, avecl’allongement de la durée moyenne des études.

Autre point problématique : la question de la légalité. Comment considérer les enfants qui ont obtenu unedérogation pour “ être instruits dans leur famille ”, qui sont inscrits au CNED ou qui sont hospitalisés, voire en pré-apprentissage ou en structures-relais ? S'agit-il de “ déscolarisation légale ” ? S'y ajoute la question de l'applicationde la loi. A partir de quel moment un absentéiste doit-il être considéré comme un “ déscolarisé ” ? La loi (du 21mars 1882 modifiée par la loi du 22 mai 1946) dispose qu'un signalement doit être opéré au-delà de quatre demi-journées d'absence non justifiées. Or, non seulement tous les éléments dont nous disposons -et dont il seralargement fait état dans ce rapport- montrent que les pratiques sont sur ce point très diversifiées, mais on peut sedemander si cette “ borne ” doit être considérée comme significative. Faut-il en ce cas distinguer absentéismeinjustifié, absentéisme chronique et déscolarisation ? Et sur quelles bases ?

Se pose encore la question des présupposés qui semblent devoir inévitablement contaminer une telle notion.L'usage du terme semble renvoyer à des phénomènes de rupture, d'abandon de l'institution, que l'on pourrait daterà un moment précis de la trajectoire du jeune. Or, il apparaît que dans bien des cas, on observe une détériorationprogressive du lien à la scolarisation, sans compter les formes de scolarisation immédiatement et durablementsporadiques, en particulier dans le cas de populations nomades.

On peut enfin s’interroger sur le critère de présence ou d’absence dans les locaux scolaires. Doit-on considérerqu’il existe une différence radicale entre l’élève physiquement présent, mais pratiquement dégagé des activitéscognitives qui constituent la raison d’être de la situation scolaire, et l’élève dans un rapport analogue aux savoirs età la scolarité mais occasionnellement absent des murs d’un établissement ? La différence qui existe entre euxinforme sans doute sur un rapport différent aux normes familiales et/ou aux normes scolaires, mais convient-il delui donner une importance centrale ?

Le parti adopté face au flou de cette notion a été de le prendre au sérieux. Non de se satisfaire d’un demi-concept,propre à parler de tout sans jamais rien en dire, mais de l’interroger à la fois pour en comprendre les origines et les

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enjeux institutionnels actuels, et pour regarder de plus près les caractéristiques de ceux qui peuvent être désignéscomme “ déscolarisés ”. On se dégagera en revanche de tout présupposé d’homogénéité interne des“ déscolarisés ” ou de discontinuité radicale avec des situations proches. Mais en confrontant les modalités de laconstruction sociale de la notion, les spécificités des populations ainsi étiquetées et les modes de gestion qui leursont appliquées, on tentera d’apporter un peu d’intelligibilité aux enjeux qui entourent cette question.

Une combinaison de méthodes

Cette orientation de recherche supposait une méthodologie adaptée. Ainsi, il ne pouvait être questionde s’en tenir à l’étude des populations que les administrations nous auraient désignées comme“ déscolarisées ”, sans pouvoir contextualiser les principes de cette désignation. Le fait même d’annoncerque la recherche portait sur un tel phénomène, ce qui était indispensable pour avoir accès aux informationssur l’absentéisme ou bien souvent pour accéder aux jeunes eux-mêmes, pouvait induire un biais dans lacollecte du matériel. Mais à l’inverse, il eut été incohérent de se désintéresser des institutions intervenantauprès des “ déscolarisés ”, ou pire, de privilégier un ou deux terrains monographiques, auxquels auraientété appliqués une lecture “ culturaliste ” présentant un double risque : une caractérisation ethnicisante despopulations étudiées, et l’imputation aux “ déscolarisés ” dans leur ensemble des caractéristiques partiellesde telle ou telle sous-population.

Le choix fut ainsi fait de combiner les méthodes et les terrains d’enquête. Plusieurs enquêtesethnographiques furent menées en parallèle : dans deux établissements scolaires différents ; au sein duréseau constitué autour d’un dispositif académique ; dans un quartier populaire d’une grande agglomérationde la région parisienne. Elles furent selon les cas débutées ou non en amont du démarrage de la présenterecherche ; la “ déscolarisation ” y fut ou non présentée comme objet d’enquête. Des séries d'entretiens avecdes professionnels, des parents ou des jeunes concernés furent réalisées, tant sur ces terrains d’enquête,qu’au-delà, dans différents sites de Picardie, de la région parisienne ou du Poitou-Charentes. Différents“ points d’entrée ” institutionnels furent chaque fois mobilisés afin de garantir la diversité des situations.Plusieurs corpus de dossiers administratifs furent également exploités, là aussi dans des régions différentes.En raison même de cette diversité, les spécificités méthodologiques de ces enquêtes ne sont pasprésentées ici, mais dans les différentes parties du rapport, en même temps que leurs résultats.

On peut en donner une estimation grossière, en indiquant qu’au total, en dehors des quatre terrainsd’enquête ethnographique où furent menés de nombreux entretiens formels ou informels ainsi que desobservations, 65 jeunes ont été interviewés, à une ou plusieurs reprises –deux enquêteurs privilégiant uneenquête de longue durée auprès de quelques jeunes seulement, et faisant intervenir les parents, les frères etsœurs, etc.-, ainsi que 105 professionnels de l’Education nationale –chefs d’établissement, CPE, COP,assistantes sociales, infirmières, enseignants, responsables administratifs, directeurs de CIO, personnels dela Mission Générale d’Insertion, etc.-, de la Justice –en particulier de la Protection Judiciaire de la Jeunesse-,et des secteurs de l’insertion, du travail social et de l’animation socioculturelle. S’y ajoutent 327 dossiers dejeunes absentéistes d’un service d’assistantes sociales scolaires et d’un substitut du Procureur.

Un échange scientifique régulier entre les membres des trois équipes réunies autour de ce projet(SASO, ARES, SACO) a permis de procéder aux recoupements d’informations et d’hypothèses quenécessitaient la problématique retenue et la méthodologie générale, à la fois ethnographique et comparative.Il fut aussi l’occasion de poursuivre en commun le travail sur les trajectoires des jeunes “ déscolarisés ”, qui

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permit de confirmer l’hypothèse de la grande hétérogénéité des situations pratiques regroupées sous leterme de “ déscolarisation ”, et de dégager quelques tendances fortes concernant les caractéristiquessociales des jeunes ainsi désignés.

La principale difficulté méthodologique rencontrée, au moins dans la phase de démarrage de la recherche, futl'accès aux jeunes “ déscolarisés ” eux-mêmes. L'entrée institutionnelle nous a certes permis de traiter de cettequestion avec les personnels des différentes institutions concernées (Education nationale, Protection Judiciaire dela Jeunesse, services sociaux…) mais nous avons souvent noté une réticence à fournir des informations quipermettaient aux chercheurs d'entrer en contact direct avec les jeunes. Tout se passait comme si les institutions sesentaient “ prises en faute ” de n'avoir pas élaboré de questionnements autonomes sur cette question. Ellesavançaient alors la nécessité, pour elles, de construire un dispositif de réflexion avant d'autoriser les chercheurs àengager leurs investigations auprès des jeunes.

Une autre attitude -qui bien que visant l'intégration des chercheurs- posa problème : les institutions étaientdemandeuses d'expertises et sollicitaient la participation du chercheur pour la mise en place de dispositifsd'intervention pratique. Dans ce cas, le temps d'accès aux jeunes “ déscolarisés ” était en quelque sortesubordonné à l'engagement du chercheur auprès de l'institution. Cette attitude démontrait certes l'existence d'unepréoccupation à l’égard de la question posée, mais il semblait également que c’était la demande du chercheur quila faisait émerger et qui lui donnait une existence formelle. Le simple fait d'enquêter sur la “ déscolarisation ”tendrait ainsi à lui donner le statut de “ problème ” auprès de certaines institutions qui s'en saisiraient pour tenterd'apporter des solutions et de trouver des explications à un certain nombre de difficultés des populations cibles. Al’inverse, lorsque certains membres de l'équipe enquêtaient auprès des différentes structures institutionnelles dequartier sans pour autant questionner directement les agents sur la déscolarisation, cette question n'émergeaitpas, preuve qu’il s’agit d’une question sensible, mais non d’une population véritablement identifiée.

Ces recherches exploratoires menées par l’intermédiaire ou au sein de différentes institutions tendaient aussi àmettre en évidence un double phénomène : à la fois de rapprochement des systèmes d’explication et des modesd’intervention auprès des jeunes “ en difficulté ”, et à la fois de constitution d’un espace concurrentiel de“ traitement ” des jeunes “ déscolarisés ” -le vocabulaire employé pouvant tout aussi bien être celui de la“ remédiation ”, de la “ resocialisation ” ou de l’“ insertion ”. Ces éléments ont, bien entendu, contribué à enrichir laproblématique initiale.

Présentation du rapport

La première partie de ce document, consacrée à “ la construction sociale de la déscolarisation ”, estconstruite à partir de l’hypothèse qu’on ne peut rendre compte du phénomène de “ déscolarisation ” sansintégrer à l’analyse les conditions dans lesquelles le “ problème ” est posé et les effets produits par la façondont les institutions le posent.

Dans l’introduction Jean-Paul Géhin retrace l’émergence de la notion récente – et de diffusion rapide -de “ déscolarisation ” dans des espaces sociaux pratiques et intellectuels différents : “ il s’agit de décrire etd’interroger le processus en cours de construction d’une notion et, plus encore, d’une catégorie socialenouvelle (“ les déscolarisés ”) ”.Une attention particulière est portée aux différents acteurs de cetteconstruction : personnels de l’Education nationale, de la justice, de la police, travailleurs sociaux, hommespolitiques, chercheurs…) et au contexte linguistique dans lequel apparaît la notion de “ déscolarisation ”, “ aucarrefour des champs de l’éducation (montée des notions de formation, de compétence, de référentiel maisaussi d’illettrisme), du travail (compétences, “ employabilité ”, professionnalisation) et de la sécurité publique(“ incivilité ”, “ sauvageon ”, “ violences urbaines ”…) ”. L’auteur contextualise l’émergence de cette notion etla lie directement, non seulement aux profonds bouleversements socio-économiques, mais également auxtransformations de l’Etat. La tendance forte à l’affaiblissement de l’“ Etat social ” implique d’autres formes degestion de la misère : “ plus globalement, la constitution progressive de la déscolarisation comme problèmesocial, en mettant l’accent sur les comportements individuels et des formes d’exclusions “ volontaires ”, nes’inscrit-elle pas dans une tentative visant à repenser certaines catégories (et à gérer autrement lespopulations concernées) telles que la pauvreté, la délinquance juvénile, la jeunesse dangereuse, laprécarité ? ”.

Le premier chapitre s’intéresse aux modalités institutionnelles de la construction comptable de la“ déscolarisation ” qui, selon Arlette Meunier, “ livre autant d’informations sur ceux qui la mettent en œuvre que surceux qu’elle prétend décrire ”. La perspective engagée est double.

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Dans un premier temps, Arlette Meunier a enquêté dans un collège (classé ZEP) de Picardie afin de saisir leslogiques fines du recueil, du classement et de la sélection des informations relatives aux questions d’absentéismeet de “ déscolarisation ” : “ Parce que la dénomination déscolarisation recouvre une série de phénomènes trèsdiversifiés et évolutifs dans le temps, nous avons tenté d’aborder le phénomène à travers un indicateur pensécomme prédictif du processus : l’absentéisme scolaire ”. Comment s’effectuent ces opérations sur lesquellesinterviennent un certain nombre d’intermédiaires (“ le travail d’enregistrement sur l’ensemble de la chaînestatistique de l’absentéisme mobilise pas moins de huit spécialistes différents ”) ? Quels sont les effets de cesétapes sur l’information transmise à l’Académie ? Qu’est-ce que saisissent réellement ces “ données ” et qu’est-cequ’elles construisent ? Quels peuvent être les enjeux politiques de l’enregistrement ou du non-enregistrement del’absentéisme de certains élèves : il y a un “ usage “ politique ” de la statistique entre corps professionnels quis’affrontent face à un type d’absentéisme largement occulté parce qu’il contrevient à la mission éducative de touteinstitution d’enseignement. Cet absentéisme peu divulgué au demeurant deviendrait d’ailleurs fonctionnel seloncertains qui dévoilent ce point de vue à bas bruit : "le fait que certaines classes soient peu chargées c’est qu’il y ade l’absentéisme et le collège tourne !" ”. Comme le montre l’auteur “ cet enregistrement obéit à une division dutravail complexe donnant matière à des pratiques sociales variées dont la cohérence reste à démontrer. Divisiondu travail qui ne relève pas d’une taylorisation visant la productivité mais résulte plus de la collaboration entreplusieurs corps professionnels et de la ligne hiérarchique imposée par l’institution éducative ”. Les multiplesdistorsions dans la chaîne de construction statistique ne sont pas de simples erreurs, elles sont à mettre enrelation avec les catégories spontanées de classement et de jugement des différents intervenants. Par conséquenton voit nettement se mettre en œuvre : “ des étiquetages renforçant la construction d’identité d’absentéiste pourcertains ” alors que d’autres bénéficient d’une plus grande “ tolérance ”. Il apparaît donc que les “ distorsions ne serépartissent pas de façon aléatoire ” et que l’exercice comptable de l’absentéisme est fortement inéquitablepuisque le même nombre de demi-journée d’absence ne donne pas lieu aux mêmes sanctions : “ On aurait biendeux sous-populations distinctes, l’une jouant sur les limites du système, l’autre celle des élèves signalés, plusdémunie, présenterait un rapport plus distancié à l’institution. La sous-population des déclarés à l’IA apparaît donccomme peu capable de se mettre en règle avec l’institution. Absence d’interactions qui devrait être mise en rapportavec la maîtrise de l’écrit du responsable de famille qu’exige toute tractation avec l’administration, avec laconnaissance des normes institutionnelles permettant le jeu de la légalisation a posteriori à condition de bien enconnaître tous les implicites avant d’en déduire quelques attributs de type moral ou psychologique ”. Le systèmed’enregistrement risque de stigmatiser, notamment lorsque les motifs d’absentéisme inscrits par les CPE indiquent,par exemple, “ convocation à la police ” ; “ convocation chez le juge ”, etc.

Dans un second temps, Jean-Paul Géhin présente les résultats de l’exploitation des dossiers issus d’un dispositifde signalement, dans le cadre d’une convention entre les autorités scolaires et judiciaires du département de laVienne : “ Cette convention s’inscrit dans un processus de pénalisation ou tout au moins de “ judiciarisation ” del’absentéisme scolaire ”. Ce nouveau dispositif d’information ne se contente pas de comptabiliser les demi-journées d’absences, il donne également des informations - d’ordre social et judiciaire - beaucoup plus pousséessur les jeunes signalés : “ S’inaugure ainsi (…) un travail inter-institutionnel, inspiré par une stratégie de la“ tolérance zéro ”, visant à donner une réponse “ proportionnée ” à tous les comportements déviants quis’expriment au sein de l’institution scolaire. ” Ces nouvelles modalités de comptabilisation et de tri des populationshors normes scolaires aboutissent à la multiplication des documents de type administratif qui constituent unmatériel intéressant à analyser dans la perspective retenue par l’auteur : les données ainsi produites “ sont d’abordle produit d’une activité cognitive et normative renvoyant à des conceptions de l’ordre social et scolaire et à devisions de l’ordre et de la morale ”. Ainsi à la fiche de signalement faite par les chefs d’établissement, s’ajoutentdes rapports succincts et parfois beaucoup plus détaillés des assistantes sociales scolaires et des dossiersjudiciaires. Sur la base d’une analyse à la fois quantitative et qualitative, l’auteur montre la grande hétérogénéitédans le comportement des établissements en matière de signalement de l’absentéisme. Ce qui a également retenul’attention de l’auteur, ce sont les systèmes récurrents d’interprétation de la “ déscolarisation ” dans les dossierscomposés par les assistantes sociales scolaires. La famille et ses “ troubles ” seraient, le plus souvent, à l’origine“ des perturbations psychologiques de l’enfant ” et de la “ déviance scolaire ” juvénile : “ l’accent est d’abord missur l’éclatement de la cellule familiale ” ; “ les rapports des ASS signale explicitement que le jeune est élevé parune mère isolée ” ; “ Enfants livrés à eux mêmes qui n’en font qu’à leur tête ” ; “ laxisme parental ”, etc… On voitbien que sont réactivées les explications les plus ordinairement acquises dans les univers du travail social et que la“ déscolarisation ” s’analyse, tout comme l’échec scolaire en son temps, à la lumière de la plus ou moins grandeconformité familiale : “ la place accordée aux données de cadrage sur la famille, le fait que ce sont les seulesinformations normalisées et disponibles dans la quasi totalité des cas montrent bien l’importance de l’a prioriimplicite, largement partagé dans le travail social, qui fait de la situation familiale une des clefs d’interprétation de lasituation scolaire et des problèmes d’absentéisme et de déscolarisation ”. La prégnance des interprétations enterme de “ déstabilisation familiale ”, de “ crise de l’autorité parentale ”, de “ problèmes de santé physique et/oupsychique du jeune ”, de “ problèmes de comportement du jeune dans et hors de l’école ”, s’accompagne d’uneinvisibilisation ou d’une méconnaissance du rôle de l’école dans l’échec, l’absentéisme et la déscolarisation.L’institution scolaire n’est évoquée qu’à propos des “ conflits entre l’école et la famille ”, conflits qui portent“ souvent sur des choix d’orientation imposés à la famille. C’est notamment le cas lors des orientations versl’enseignement spécialisé en Institut Médico Educatif (IME) ”.

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Dans le second chapitre, la construction sociale de la “déscolarisation” passe par l'analyse des – “ Espacesinstitutionnels conflictuels ” -, quant à lui, s’appuie à la fois sur un travail de mise en perspective des différentspoints de vue des professionnels de l’Education nationale qui interviennent à un titre ou à un autre à propos de la“ déscolarisation ” et sur deux monographies de configurations institutionnelles particulières. Comme le souligneBertrand Geay dans son introduction : “ on voit en définitive que si la notion est l’objet d’une sorte d’importation,support d’une ré-institutionnalisation de la gestion des publics “ difficiles ”, elle est aussi largement le produit desinteractions institutionnelles, qui s’en saisissent et lui donnent son véritable contenu opérationnel. ”.

La recherche que présente Bertrand Geay, menée en Poitou-Charentes, donne à voir l’espace despositions et des prises de position des différents personnels de l’Education nationale (Inspecteurs, chefsd'établissement, assistantes sociales scolaires, conseillers principaux d'éducation, coordinateurs de laMission générale d'insertion (MGI), instituteurs de classes relais ou exerçant dans des institutionsspécialisées....) directement concernés par la question de la rupture scolaire. Elle éclaire à la fois lesconvergences des discours et des pratiques et leurs antagonismes structurels ; des conflits émergent ou seredéfinissent à l’occasion de l’invention et de la diffusion d’une nouvelle catégorisation des publics scolaires.Les différentes prises de position peuvent ainsi être ramenées à quatre positions typiques dans l’institution,impliquant bien évidemment des trajectoires sociales professionnelles singulières : “ La position hiérarchiqueet la nature même du poste occupé, des compétences qui lui sont attachées et de leur légitimité,conditionnent, de façon logique, les schèmes de perception et d’appropriation de cette nouvelle questionscolaire ”. Du côté des personnels d'autorité, ce qui prime c’est la “ défense de l'institution ”. La“ déscolarisation ” -considérée comme marginale- est rapportée non pas comme précédemment auxcarences de l’école mais bien plutôt à celles des familles. Il s’agirait de renforcer les modalités de contrôle etd’améliorer la gestion technique des absentéistes. Du côté des personnels spécialisés (classes-relais,CEFISEM, assistantes sociales scolaires, CPE), l’accent est mis sur les processus scolaires et familiauxcomme cause de la “ déscolarisation ”. S’ils n’évacuent pas complètement la question des origines socialesdes élèves, ils restent cependant beaucoup plus proches d’une mise en cause à la fois des familles et del’école, celle-ci n’étant pas toujours capable de faire face aux “ crises ” familiales. En revanche, du côté despersonnels scolaires de l’insertion (MGI), la cause de la “ déscolarisation ” serait principalement à trouverdans les décalages entre la demande et l’offre de formation : les mauvaises orientations seraient au cœurdes logiques de l’exclusion scolaire et de la “ déscolarisation ”. Les enseignants en poste dans l’éducationspécialisée, contribuent également à produire une critique forte des structures scolaires.

L’enquête menée par Nathalie Oria auprès des professeurs de trois collèges de Trappes s’intéresse en quelquesorte aux absents de cette première approche : les enseignants, non “ spécialistes ” de la question, et pourtantdoublement concernés, par la confrontation à la gestion quotidienne des élèves absentéistes, et par lessollicitations dont ils sont l’objet, en termes d’adaptation de leurs pratiques, aussi bien par les autres catégories del’institution que par les “ acteurs ” qui lui sont extérieurs. Les professeurs de ZEP enquêtés apparaissent commeau centre d’injonctions contradictoires, ce qui conduit une partie d’entre eux à une forme paradoxale de justificationde la déscolarisation.

En partant de la genèse et de l’évolution d’un “ partenariat ” entre des dispositifs de prise en charge des jeunes endifficulté scolaire créés par une Inspection académique de la région parisienne, Laurence Proteau a voulu montrerles modalités ordinaires des accords et désaccords entre des professionnels aux habitus différents et parfois enopposition. Pourquoi les injonctions floues, produites par la hiérarchie, se heurtent-elles aux conflits entre desprofessionnels chargés de les mettre en œuvre sur le terrain ? Cette étude éclaire les impasses du “ partenariat ”décrété et les contradictions entre des univers professionnels différents : “ La notion de “ partenariat ” entre desdispositifs oublie que ces dispositifs existent essentiellement les uns par rapport aux autres et tentent d’occuperune position dominante en imposant le monopole de leurs pratiques et de leurs appréhensions des phénomènes ”.Ainsi sur la question nouvellement institutionnalisée de la “ déscolarisation ” qui pourrait sembler, si l’on s’en tient àune définition juridique, clairement posée, on voit comment, les différents professionnels s’en saisissent ets’affrontent pour imposer leur définition et leur modalité de traitement. L’enjeu étant de maintenir ou de conquérirdes positions dans un espace de prise en charge qui exige, de la part des différents professionnels, la productiond’expertise, surtout si semble émerger une “ nouvelle question scolaire ”. L’enquête a “ cherché à reconstituer, aumoins en partie, l’espace des positions au sein duquel les jeunes "hors école" sont pensés comme des"déscolarisés" et qui "organise" leur "prise en charge". Plus précisément [elle a voulu] rendre compte des liensentre la position occupée par les professionnels et leur point de vue sur la question considérée : les points de vueet les pratiques pouvant être, et étant souvent, contradictoires ou en conflits les uns avec les autres, lacatégorisation et la prise en charge ordinaire de la population "hors école" enregistrent ces divergences etapparaissent beaucoup moins organisées et rationnelles (au sens d’une cohérence imposée par le haut del’institution scolaire) que l’on pourrait le penser a priori ”. La “ déscolarisation ”, pour exister comme catégorie depensée et d’action institutionnelles, doit s’inscrire dans des dispositifs dont l’une des tâches est de produire unedéfinition du public cible en affirmant une “ spécialité ” et en revendiquant le monopole de “ l’expertise ”. Orl’imposition de ce monopole pose problème du fait de la pluralité des habitus professionnels en cause et de la

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divergence des intérêts et de l’opposition des autorités de tutelles. Cependant, malgré les luttes entre les différentsagents de ces dispositifs, l’accord se fait néanmoins sur un enjeu : faire reconnaître un espace de prise en charge,en imposant la mise en théorie des pratiques expérimentées sur le terrain. Se constituer en producteur d’un savoirspécialisé et de doctrines d’intervention renforcerait la position des agents concernés et autoriserait soninstitutionnalisation. Les analyses de situations de “ partenariat ” institutionnel (notamment dans le cas étudié ici,entre un chargé de mission d’une inspection académique, des conseillers d’orientation psychologues d’un CIO etdes enseignants et éducateurs PJJ d’une classe relais, des agents d’une MGI) montrent à la fois les tendances àl’homogénéisation des points de vue et des explications privilégiées, et les conflits et les luttes autour du pouvoird’expertise qui opposent et structurent l’espace des “ partenaires ” le plus souvent en quête de reconnaissance.

La deuxième partie, qui traite des “ trajectoires sociales, familiales et institutionnelles ” des jeunes “ déscolarisés ”,s’appuie sur la présentation de onze portraits de jeunes interviewés, sélection réalisée sur la base du matérielcollecté dans l’ensemble des sites d’enquête (en particulier par Louise Fromard, Bertrand Geay, Jean-Paul Géhin,Aude Girier, Bénédicte Kail, Nathalie Oria, Laurence Proteau et Laurence Tarrin).

Cette sélection, qui ne prétend à aucune représentativité statistique ou à quelque typification des“ profils ”, a pour objectif de rendre compte, aussi fidèlement que possible, de la diversité des situationsrencontrées. “ Au-delà des significations et des frontières induites par les usages institutionnels de la notion,pour précisément saisir ce que ceux-ci tendent à occulter ou à montrer d’une façon telle qu’on ne puisse lesvoir vraiment ”, il s’agit d’appréhender des expériences singulières et les conditions sociales qui les ontrendues possibles. “ En demeurant ainsi au plus près du sens donné par les jeunes et par leurs éducateurs àce qui est devenu leur histoire, on a aussi voulu se donner les moyens de restituer quelques élémentsobjectifs de contextualisation et surtout de traiter ces expériences marginales comme des figures quiinterrogent les processus de scolarisation d’une façon beaucoup plus générale. Car de même que ladéfinition sociale et les conditions faites au sans-emploi, au pauvre ou au vagabond en apprennentbeaucoup sur les processus d’intégration et d’organisation d’une société donnée, la figure du “ déscolarisé ”n’est pas sans rapport avec ce qui se joue à l’école, et entre l’école et les différentes classes sociales. ”. Lamise en parallèle de ces trajectoires offre la possibilité de saisir, dans leur contexte et selon leur organisationtemporelle, les successions d’interactions entre la scène familiale et la scène scolaire au travers desquellesse construisent les processus de “ déscolarisation ” , sans oublier le rôle joué par les groupes de pairs et parles diverses institutions du secteur social ou judiciaire.

Misère de condition et misère de position dans l’espace familial, difficultés scolaires précoces, effetsde double bind, désajustement entre les espérances et les possibilités offertes par le monde social,orientations stigmatisantes, mais aussi installation dans la délinquance, filiation problématique, stratégieséconomiques de la famille ou refus presque idéologique des contraintes scolaires et sociales, … à travers lesmots des premiers concernés, ce sont des modes d’engendrement de la marginalisation ou de la déviancescolaires que l’on passe en revue, avec les trajectoires d’Alexis, Mélissa, Thierry, Romane, Mourad,Vanessa, Charles, Souad, Maxime, Ali et Will. Exceptionnellement, il s’agit de jeunes issus des classesmoyennes ou supérieures et qui vivent leur adolescence sur le mode de la crise aiguë. Mais “ trèsmassivement, les “ déscolarisés ” sont originaires des classes populaires, et même des fractions les plusprécaires et les plus dominées des classes populaires. La configuration familiale joue indéniablement un rôletrès important dans un grand nombre de situations étudiées ”, mais là aussi, il faut aller au-delà de lacatégorie toute faite de la “ monoparentalité ”, pour comprendre les spécificités des situations rencontrées. Etce qui peut-être le plus frappant, c’est de “ relever dans ces histoires tous les effets contradictoires d’unepériode où les transformations économiques et sociales ont contribué à rendre plus décisives les rupturesintervenant dans les existences individuelles, à travers l’installation d’un chômage de masse et la montée dela précarité, en même temps que la norme de la scolarisation s’imposait comme jamais auparavant ”.

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La troisième partie, intitulée “ Enfants “errants“, “désinsérés“ ou “déscolarisés“ : la gestion desinclassables ”, analyse les usages sociaux de la “ déscolarisation ” comme nouvelle catégorie de l’actionpublique. L’hypothèse défendue est que cette catégorie et les effets qu’elle produit contribuent à l’émergencede nouveaux modes d’encadrement, par la mise en réseau “ territorialisé ” des dispositifs existants, ainsi qu’àde nouvelles modalités de mise en “ problème social ” des trajectoires de toute une série de jeunes “ endifficulté ”.

Dans un premier chapitre, c’est l’approche historique qui est mobilisée. Elle permet la prise dedistance la plus radicale à l’égard des problématiques traitées. L’analyse d’un corpus de documents politico-administratifs de la période 1895-1915 proposée par Guy Brucy permet des comparaisons richesd’enseignements. Et tout d’abord quelques rapprochements : dans une période de crise de l’économiecapitaliste, de succès des théories “ libérales ” et de déstructuration des formes traditionnelles de l’existenceouvrière, on voit une préoccupation s’installer : l’encadrement moral des jeunes “ entre école et régiment ”, lagestion des “ illettrés ” ou autres “ enfants errants ”. L’avantage de l’histoire est double : la comparaison a lemérite de souligner l’importance du contexte économique et politique, qui finirait par échapper au regard quenous portons sur notre époque ; elle met également en évidence des différences décisives, relatives à l’étatdu système d’enseignement ou du champ politique, et, ce qui n’est peut-être pas sans lien, au type de“ solutions ” envisagées. A l’époque, l’entreprise de moralisation s’associe continûment à celle del’instruction, prolongée au-delà de l’école, contre l’emprise de la rue et du travail.

Le deuxième chapitre retrace l’évolution récente des modes de prise en charge des publicsmarginalisés ou déviants dans le contexte des changements institutionnels intervenus depuis les annéesquatre-vingt. Avec les politiques “ d’insertion ” et de lutte contre l’absentéisme, avec la création des classes-relais, on voit se mettre en place une nouvelle gestion des jeunesses “ dangereuses ” ou potentiellement“ dangereuses ”, aux marges de l’institution scolaire, mais en relation étroite avec d’autres institutions. Partoute une série d’effets en retour, ce sont en fait de nouveaux principes d’appréciation des politiquesd’établissement et des carrières d’élèves qui se consolident peu à peu, en même temps que se réorganisentles relations entre groupes professionnels engagés dans le suivi des “ jeunes en difficulté ” : “ ce qui frappe àla comparaison des différents discours recueillis, d’une institution à l’autre, c’est la proximité des référentsprofessionnels. Cette proximité n'est pas exclusive de spécificités -les populations prises en charge et lesobjectifs poursuivis ne se recouvrant que partiellement- ni de relations de concurrence -ces référentsconstituant en quelque sorte le langage commun de ces relations. Mais le recours au bilan préalable et à lanotion de “ projet ”, le travail en “ partenariat ”, la fabrication d’itinéraires adaptés, le plus souvent sur desséquences courtes et en jouant sur toute la palette des dispositifs existants, l’objectif de “ l’employabilité ”, lamise à l’épreuve par et pour le travail, la mobilisation d’une vision critique de l’institution scolaire et de sesmodes dominants de transmission des connaissances, constituent la matrice des représentations et despratiques mises en œuvre tant dans le secteur de “ l’insertion ” que dans celui de la MGI, de l’information etde l’orientation scolaires, et dans une large mesure dans le secteur du travail social ”. Cette convergencedes “ idéologies ”, largement imposée par les nouvelles catégories de l’action publique, ne signifiecependant pas que les conflits entre les institutions s’effacent, ils y trouveraient plutôt de nouvelles matièresà discorde, malgré ou en raison des “ collaborations exigées ”. Il n’en reste pas moins qu’on assiste, avec lamultiplication de “ partenariats ” auparavant “ inconcevables ” pour la plupart des professionnels du secteuréducatif, comme par exemple entre l’institution scolaire et les institutions policière et judiciaire, à un nouveau“ maillage ” social qui étend ses capacités d’encadrement et d’information sur les populations cibles. Commele remarque Bertrand Geay “ La fonction normalisatrice de l’institution est à la fois réaffirmée et partiellementexternalisée, en même temps que sa fonction d’assistance sociale trouve plus difficilement à s’exercer. (…)les enjeux créés par cette nouvelle distribution des prérogatives tendent à faire passer au second planl’origine des comportements des élèves en rupture avec l’institution scolaire, qu’on la considère sous l’anglede leurs conditions d’existence ou sous celui de leur trajectoire scolaire ”.

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La recherche d’Arlette Meunier approfondit cette analyse dans un troisième chapitre, à partir d’une étudemonographique conduite dans un collège classé ZEP d’Amiens, et sous l’angle spécifique de la lutte contrel’absentéisme. Le contexte socio-économique, scolaire et politique local y est largement pris en compte : “ leContrat de développement Urbain et le Plan d’action municipal ont identifié l’école comme une ressource pourpallier l’anomie constatée dans les quartiers populaires. L’objectif étant de reconstituer la communication vers lesparents, de reconstituer les liens supposés manquants. (…). Ces exhortations politiques rencontrent lespréoccupations de l’école comme en atteste la mise en place de la Charte pour la prévention et protection del’enfance en danger laquelle intègre l’absentéisme scolaire comme symptôme de carences éducatives ”..Concernant la question du contrôle et de la gestion des populations absentéistes ou “ déscolarisées ”, lepartenariat est là aussi à l’ordre du jour. L’analyse de ces configurations “ révèle des positions plus ou moinsdominées des différents acteurs parce que le partenariat est forcément inégal entre des institutions pour lesquellesla clientèle est captive, même si elle tend à leur échapper, tandis que pour d’autres elle doit être constituée enclientèle pour qu’ils puissent intervenir ”. Ce sont surtout les conflits entre catégories professionnelles, consécutifsaux redéfinitions statutaires induites par les nouvelles pratiques de signalement, qui sont au centre de ladémonstration. Il y apparaît en particulier, que pour certaines catégories s’estimant les plus menacées - comme lesassistantes sociales scolaires, pourtant dépositaires d’une vision plus “ sociale ” de la scolarisation -, le recours àun surcroît de psychologisation et de pathologisation des destinées individuelles se présente comme le dernierrempart de la défense des prérogatives professionnelles. Elles se trouvent ainsi paradoxalement en relativeconformité avec le nouvel “ air du temps ” institutionnel, tout en étant devenues beaucoup plus critiques à l’égarddes injonctions au “ partenariat ”. L’auteur montre également les tendances de plus en plus fortes àl’individualisation des “ cas ”, à l’“ oubli ” des conditions socio-économiques des élèves, au renforcement desinterprétations psychologisantes et pathologisantes de l’absentéisme scolaire, ce qui tend à occulter “ l’ensembledes rapports conflictuels internes, oblitère les dérives institutionnelles et tend à réduire les enjeux de pouvoir et degestion des ressources humaines à une réflexion pédagogique et technique aseptisante ”.. Par conséquent, lescatégories “ absentéistes ” et “ déscolarisés ” sont aussi le produit d’un travail de divers professionnels œuvrant ausein d’une même institution et entrant en interaction. En conclusion on note “ la polarisation sur l’individu, l’intrusiondu psychomédical reléguant le juridique et le pénal à la lisière de l’école, constituant ainsi une clientèle pourd’autres instances qui viennent aujourd’hui dénoncer le monopole éducatif mais ce faisant induit uneréorganisation et restructuration interne qui met largement en cause le problème de l’égalité dans l’école ”.

Claude Thiaudière revient, dans le quatrième chapitre, sur les usages sociaux de la “ déscolarisation ” et sur lestransformations en cours des modes d’encadrement des jeunesses populaires, mais en se déplaçant dansl’espace du travail social, en observant ces transformations “ depuis le quartier ”, dans une ville de la régionparisienne : “ si la “déscolarisation” désigne une “nouvelle” articulation entre les stratégies d’agents du champscolaire et les stratégies d’agents appartenant à des institutions sociales, celle-ci constitue bien plus une extensiondes modalités d’encadrement et des critères définissant les “populations” (les “déscolarisés”), qu’un “nouveauproblème social” ”. Il montre ainsi que les “ déscolarisés ” n’y constituent pas une population spontanémentdésignée ni spécifiquement gérée ; mais, qu’au travers des interactions entre porteurs légitimes de la parole sur lequartier –élus, commerçants, travailleurs sociaux,…-, se construit un point de vue commun sur l’état du quartier,sur la présence anormale des jeunes dans l’espace urbain, sur la nécessité d’une continuité de la prise en chargeéducative pour conjurer le “ désordre ” potentiel. La question de la déscolarisation y apparaît ainsi à nouveau sousl’angle de ses conditions d’émergence, et comme une mise en forme des enjeux de gestion de l’ordre urbain : “ Nuldoute que la “déscolarisation” ou le “déscolarisé” s’inscrit dans ce processus d’extension de l’inadaptation et desdispositifs de prise en charge des inadaptés ”. Ce sont finalement des “ inclassables ” à qui il s’agit de trouver denouvelles affectations, par une prise en charge mieux coordonnée – ils ne peuvent rester en état “ d’errantsinstitutionnels ” -, et d’une certaine façon, par une surveillance étendue des “ familles à risques ”. On trouve ainside nouveaux éléments de compréhension de l’espèce de fuite en avant dans le “ partenariat ” inter-institutionnelque l’on observe d’année en année, dans le perfectionnement et l’intégration des modes d’encadrement desjeunesses populaires - inquiétantes parce que supposées inoccupées ou mal occupées -, hors de mise enquestion des conditions sociales et des conditions scolaires de possibilité des trajectoires de marginalisationsociale : “ Le partenariat apparaît de ce point de vue comme un ensemble de négociations et de redistributions de“populations”. Et il entraîne une série de tensions, de luttes entre institutions et de redéploiements des formes deprises en charge entre chaque institution ”.

La conclusion du rapport remet en perspective ses principaux résultats. Tout d’abord en les rapportant à laproblématique de la déviance. “ Au terme des observations réalisées, l’étiquetage en termes de“ déscolarisation ” apparaît peu utilisé. Mais la diffusion, auprès des institutions chargées de l’éducation etde l’encadrement des jeunes, de cette dénomination englobante pourrait rencontrer d’autant plus de succès,et devenir elle-même un nouveau mode de catégorisation, que la question de l’affiliation scolaire semble deplus en plus problématique pour certaines catégories d’élèves issus en grande majorité des catégoriespopulaires. Sa vertu pratique serait de ramasser en une seule “ catégorie nominale ” (Bourdieu, 1979), dessituations diverses et qui, a priori, ne relèvent pas d’un même ordre d’analyse ”. Ce sont aussi les effets dutravail de construction institutionnelle en cours qui sont à nouveau analysés. “ Ce travail semble en définitiveavoir comme effet d’invisibiliser la “ question sociale ”. Tout se passe comme si en désignant toute une série

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de jeunes issus de milieux populaires comme des multi-carencés “ en danger ” ou, et de plus en plussouvent, “ dangereux ” (manque d’éducation familiale, manque d’éducation scolaire…) qui s’auto-excluentplutôt qu’ils ne sont exclus, on voulait ramener la question des inégalités sociales grandissantes à unequestion d’inadaptation individuelle et collective de certains groupes sociaux ”. Sont enfin évoquées lesrécentes évolutions des politiques éducatives. “ La création des cellules de veille éducative, la multiplicationdes classes-relais ou la création de classes pour les enfants “ précocement illettrés ” apparaissent commeautant de symptômes d’une école “ massifiée ” qui, faute d’avoir pu offrir des conditions d’apprentissageadaptées, ne parvient à traiter ses propres “ dysfonctionnements ” et à répondre aux inégalités qui latraversent qu’en multipliant les dispositifs et les prises en charge spécifiques sous l’égide de catégoriesaussi floues que l’“ illettrisme ”4 ou la “ déscolarisation ”. ”

4 Cf. Lahire (B.), 1999.

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La déscolarisation en Haute-Garonne - Rapport à l’école et dispositifs descolarisation, François SICOT [Dir.]

Avec Sandra ImbertPatrick Saramon

- Université Toulouse le Mirail - 2002

Cette recherche sur la déscolarisation en Haute-garonne se fixait plusieurs objectifs qu’on peut rappeler ici :

Comptabiliser le(s) phénomène(s) au travers de catégories bien définies qui permettraient d’échapper auflou auquel on assiste par exemple dans la mesure de la violence à l’école.

Comprendre les processus en cause. Aucune véritable problématique n’était proposée pour ce faire dans laréponse à l’appel d’offres. Trois secteurs de scolarisation ont été étudiés parce qu’ils paraissaient particulièrement concernés enHaute-Garonne par la déscolarisation : les tsiganes ; les élèves orientés vers le secteur de l’EducationSpécialisée et les élèves de ZEP.

Les processus individuels ou les caractéristiques individuelles des familles ou des élèves concernés ont étémis entre parenthèse. La question était : les familles étant ce qu’elles sont, quels sont processus sociaux dela déscolarisation, dans quels contexte se produisent-ils ? Contexte idéologique dans certains cas maisd’abord contexte social de vie des élèves, ainsi qu’organisation de l’école.

Très rapidement, la notion de déscolarisation est apparue autre chose qu’indéterminée. Elle restreint laportée de processus particuliers, que nous avons mis au jour, et qui peuvent aboutir à différentes situationsde l’élève par rapport à l’école ; le retrait mais encore la souffrance, des comportements de révolte, deviolence. La déscolarisation n’est qu’une des conséquences de ces processus. S’en tenir à cela, c’estaccepter ce que nos appelons une conception sécuritaire des phénomènes. C’est-à-dire une conception qui,mettant l’accent sur la seule absence de l’élève hors l’école, néglige la souffrance qu’il peut par exempleressentir à y rester malgré ses échecs, ses expériences négatives.

Ière partie. Combien sont-ils ?

Il n’existe pas de définition unanime entre les professionnels de l’EN, de la PJJ, des différents servicessociaux, ni au sein de l’EN, de la déscolarisation. Il n’est donc pas possible de dénombrer les élèvesdéscolarisés en recoupant les informations des uns et des autres. On ne peut imposer une définition car cesdésaccords renvoient à des enjeux idéologiques, professionnels. Chaque institution aborde ainsi lascolarisation à partir de ses missions propres. Les différentes tentatives pour comptabiliser le phénomène seheurtent également à la volonté des professionnels de faire reconnaître la difficulté de leur travail, lacomplexité des situations des jeunes qu’ils ont à suivre, l’absence de partenariat… Un des arguments pourrefuser une définition de la déscolarisation imposée de l’extérieur était entre autres qu’elle restraignait laportée des problèmes en ignorant en particulier les conditions de la scolarité, l’investissement scolaire desélèves.

Les chiffres dont dispose l’Inspection Académique grâce à l’Enquête trimestrielle sur l’absentéisme et laviolence à l’école souffre des mêmes limites que la comptabilisation des violences réalisée par ce biais : neremonte à l’IA et donc au Ministère que ce que les chefs d’établissements veulent bien signaler.

Pour produire des chiffres, nous avons finalement eu recours au logiciel de Gestion des Elèves et desPersonnels (GEP) utilisé par tous les collèges publics et une partie des collèges privés. Il contient une baseélèves comprenant des informations administratives sur les élèves mais aussi des informations sociales(CSP des parents, bourses, nationalité…) et sur la scolarité : classe suivie, redoublement ou non, absences,exclusions, motifs des absences et des exclusions… Ce que nous avons comptabilisé, sur huit collèges, cesont donc des absences, notion qui ne pose pas tous les problèmes évoqués précédemment. Nous avonsconstitué une catégorie, celle des grands absents comprenant les élèves qui ont été absents quatre fois au

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moins au cours d’un même mois. Tout élève pour qui cela est arrivé au moins une fois dans l’année faitpartie de la sous-population. - Rapportées au nombre total d’élèves, les absences apparaissent d’après ces calculs comme unphénomène mineur et non pas massif. - Les écarts d’un collège à l’autre sont très importants. Ces écarts ne dépendant manifestement pas descaractéristiques (sociales ou redoublement) des élèves, on peut penser qu’ils renvoient soit à l’ambiancegénérale de l’établissement, soit au mode de contrôle des absences.- Le phénomène des grands absents n’est pas rare. Il touche, avec des écarts considérables entreétablissements, de 4 à 28 % des élèves. Il ne se restreint pas aux seuls établissements de ZEP comme lesens commun – qui amalgame déscolarisation, délinquance, quartier d’habitat social - aurait pu le laissercroire puisque ce sont deux collèges de centre ville qui ont la plus grande proportion de grands absents.- Il y a très peu d’écart entre filles et garçons, les filles représentent toujours plus d’un tiers des grandsabsents. Dans trois collèges, l’écart est très faible et dans trois cas sur huit les filles sont sur-représentées.- Les grands absents sont sur-représentés chez les enfants de chômeurs dans 7 cas sur 8. Ils sontégalement sur-représentés assez généralement dans la catégorie des ouvriers. Par contre, les CSPgénéralement sous-représentées sont les cadres et les employés. Ces deux catégories sont sous-représentées 7 fois sur 8.- C’est à 14 et à 15 ans qu’il y a le plus de grands absents. Ces classes d’âge représentent toujours près dela moitié des effectifs et dans cinq collèges plus des deux tiers. Le phénomène va croissant avec l’âge.- Pour les exclusions, les écarts entre établissements sont considérables et les exclusions apparaissentmoins liées aux caractéristiques du public qu’à la politique de l’établissement. C’est ainsi que les deuxcollèges qui excluent le plus sont des établissements de centre ville, ayant une bonne réputation. Lescollèges de ZEP se situant dans la moyenne. - Par contre, on obtient une représentation toute différente du phénomène si on s’intéresse au nombre dejours d’exclusions : dans quatre collèges du centre ville sur cinq, la quasi totalité des exclusions se font surune journée. A l’autre extrémité, dans deux collèges de ZEP sur trois, plus du tiers des exclusions durenttrois jours ou plus. Ces données confirment en partie le propos de représentations des associations qui, surles quartiers d’habitat social considèrent que ce sont les collèges qui déscolarisent les élèves par lesexclusions.

IIème partie. Déscolarisation et rapport à l’école des tsiganes

L’hypothèse générale de cette partie s’inscrit dans l’ensemble du rapport en reliant la scolarisation destsiganes à des phénomènes sociaux et non aux caractéristiques individuelles des élèves ou de leur famille.Ici ce sont les conditions de vie, d’accueil et le rapport à l’école produit par les dispositifs spécifiques descolarisation qui nous ont parus fondamentaux. Souvent, c’est plutôt la culture des tsiganes qui est avancéecomme élément explicatif de leur rapport à l’école. Culture conçue d’ailleurs comme une – seconde – naturetant elle semble indépendante des conditions de vie, de logement, du degré de sédentarisation et de toutesles différences qui peuvent se rencontrer au sein de ce groupe pourtant extrêmement hétérogène. Nousavons constaté que c’est dans les lieux les plus précarisés et quart-mondisés que le rapport à l’école desenfants tsiganes est compris sous l’angle de leur appartenance culturelle. Lorsque les difficultés scolairesdisparaissent et que l’enfant tsigane s’intègre bien dans le milieu scolaire, ses différences culturelles ne sontplus invoquées.

Cette partie du rapport s’organise en deux grands chapitres. Le premier a pour but de présenter lesdifférents contextes locaux, l’histoire de l’inscription des tsiganes sur les différents territoires, de montrer lesdifférences d’accueil, de conditions de vie. Dans le second chapitre, ce sont les conditions de scolarisationet les dispositifs scolaires qui sont présentés. Le rapport à l’école y est envisagé à la fois comme résultantdes conditions de vie et d’accueil, mais également comme une réponse, une adaptation des acteurs à leursituation.

Dans les espaces spécifiques tsiganes que nous avons appeler les “ ghettos ” - une partie des populationstsiganes a été relégué aux marges de la ville, sur des terrains insalubres - les enfants tsiganes sontscolarisés dans des dispositifs qui leur sont spécifiquement destinés. Ainsi la scolarité prolonge-t-elle“ l’entre-soi ” produit par la politique d’accueil. Nous avons pu relever tout au long de ce chapitre sur lesdispositifs spécifiques des éléments de fragilité :- Des projets qui reposent sur des personnes, des volontés individuelles et ont du mal à s’inscrire dans letemps ;- La méfiance, le rejet dont sont l’objet les tsiganes de la part d’une partie des personnels de l’EN dans lesétablissements ; - Des réponses expérimentales mises en place pour faire face à l’urgence, des bricolages censés rendrel’école non seulement obligatoire mais adaptée ;

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- Surtout, on ignore que les attitudes des familles et des élèves face à l’école sont en partie produites par lesdispositifs eux-mêmes. Là comme pour le reste de la population, les comportements sont en partie uneréponse à l’offre de scolarité, s’y adaptent. Comme le monte l’histoire de l’école, l’assiduité scolaire est le résultat d’une socialisation qui s’inscrit dans lelong terme, sur plusieurs générations et que contredisent totalement des dispositifs spécifiques qui sont,quasiment par essence, inscrits dans le très court terme.

Dans les lieux de vie plus intégrés au reste de la ville les enfants sont scolarisés dans les dispositifsscolaires de droit commun c’est-à-dire dans les groupes scolaires de quartier. Là, la scolarité poursuitl’ouverture au reste de la société proposée par la politique du logement. L’insertion résidentielle ne suffitpourtant pas à assurer l’assiduité scolaire. Il y a là une condition nécessaire mais pas suffisante. En effet, alorsque certains établissements mettent en place des aménagements - ce qui est tout autre chose qu’un dispositifspécifique – d’autres scolarisent par obligation légale. Les établissements étudiés peuvent en effet se classeren deux catégories : ceux où il existe un projet d’école basé sur l’intégration des enfants tsiganes et surl’adaptation des enseignements ; ceux où de tels projets d’établissement n’existent pas.

Les conditions de vie sont aussi des conditions de scolarisation. Censés être adaptés aux conditions de viedes tsiganes, les dispositifs spécifiques produisent un rapport à l’école spécifique. Mais d’autre part, lascolarisation des tsiganes est susceptible des mêmes analyses que celle d’autres populations distinguéesen sociologie de l’éducation. Le rapport à l’école des tsiganes, comme celui des élèves nés de parentsimmigrés, des familles populaires, des classes aisées… dépend de la distance culturelle à l’institution et desdifficultés de l’acculturation, d’espoirs placés dans la promotion sociale par l’école, de stratégies descolarisation, du niveau scolaire des parents…Dans les “ ghettos ”, plusieurs facteurs obèrent l’assiduité scolaire : repli identitaire, vécu de l’école commefacteur d’acculturation, absence de perspective d’emploi, faiblesse de la socialisation scolaire des familles,accumulation rapide de retards dans les apprentissages rendant toute poursuite de scolarité improbable.

IIIème partie. Déscolarisation et mal-scolarisation des élèves présentant des troubles ducomportement

Pour comprendre les processus de déscolarisation des élèves ayant des troubles du comportement ou unretard scolaire important, nous avons essayé d’étudier plusieurs des moments des procédures de repérageet de décision. On remarquera d’abord que dans ce département comme dans d’autres, on parle beaucoupdu manque de places en institutions spécialisées (IR, IME, SESSAD). Oubliant par là que la demande estsimplement supérieure à l’offre. Or la quasi-totalité des orientations dans ces institutions émane del’éducation nationale. Plutôt que d’évoquer un déficit de places, on pourrait donc se demander pourquoil’école exprime de tels besoins d’orientations.

L’analyse développée est la suivante : le système scolaire échoue à faire parvenir aux exigences qui sontles siennes, un certain nombre d’élèves qui ont pour caractéristiques sociales d’être de milieux populaireset/ou d’origine immigrée et/ou de familles dissociées ou conflictuelles. Du point de vue qui est le notre ici –l’analyse des processus de déscolarisation ou de ses avatars et non de la réussite de la politiqued’intégration – le dispositif se caractérise par :- Une très faible participation des parents aux décisions ;- Une absence de moyens ;- Son inexistence au collège.

Le phénomène de déscolarisation n’est pas, dans ce champ d’intervention, exceptionnel. Dans lesCommissions de Circonscription du Second Degré (CCSD), de deux à cinq situations se présentent àchaque fois.

Le dispositif est traversé par une difficulté structurelle : les familles émettent rarement une demanded’orientation. Il faut donc transformer la “ demande ” de l’école en une “ demande ” de la famille, obtenir sacollaboration. Une partie des déscolarisations résulte des désaccords entre les familles et les institutions etdonne lieu soit à des refus explicites soit, bien plus souvent, à une résistance passive des parents : ils nefont pas les démarches pour scolariser leur enfant, ils ne “ collaborent ” pas, ils refusent sous diversprétextes les places qui leur sont proposées. Les éléments de déscolarisation sont :- le conflit autour de la prise en charge- le rejet par le collège au prétexte de la notification d’orientation en établissement spécialisé- le temps nécessaire pour retrouver une place dans un contexte de saturation du dispositif.

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L’élément primordial qui va permettre la rescolarisation est la volonté parentale et son interpellation del’instance compétente. Autrement dit, des cas de déscolarisations se perpétuent à partir de telles baseslorsque ni l’établissement (scolaire ou spécialisé) ni la famille n’interpellent personne. Négligence,"démission" mais également intérêt partagé des deux parties. Un établissement qui ne souhaite pasreprendre ou garder un jeune qui lui pose des problèmes, une famille que la scolarisation ne préoccupepas : nous avons là deux des éléments d’une déscolarisation réussie, qui pourra rester inaperçue.

La déscolarisation peut également résulter de désaccords entre les professionnels : un jeune ne trouve pasde place, et donc de lieu de scolarité, parce que les évaluations de ses difficultés sont contradictoires.

Un troisième élément est important : le dispositif dans son ensemble est saturé. Un certain nombre deRASED ne sont pas complets. Il n’y pas suffisamment de places en AIS. Le nombre de dossiers en attented’affectation en IR ou en IME à la CDES reste à un niveau conséquent. Les CMPP, les CGI n’arrivent pas àfaire face à la demande et il faut parfois plusieurs mois d’attente avant d’obtenir un rendez-vous. Les pédo-psychiatres d’exercice privé se disent débordés par la demande. Une part importante des décisions ne peutdonc trouver de suite.

L’analyse du fonctionnement du dispositif d’aide de l’éducation nationale ou de celui du secteur médico-éducatif révèle d’autre phénomènes concomitants à la déscolarisation : - Le glissement dans les prises en charge des élèves difficiles c’est-à-dire des scolarités par défaut qui ontdes conséquences sur le plan individuel mais également collectif avec le risque de déstabilisation desclasses accueillant des élèves qui n’y ont pas leur place. - Si l’on part ici du principe que les propositions de prise en charge sont faites “pour le bien de l’enfant”, quele maintien en milieu ordinaire n’était plus possible pour l’élève, alors, par définition, les orientations qui nese réalisent pas et les prises en charge par défaut constituent des formes de mal-scolarisation. Ellespeuvent occasionner sur le plan individuel l’accumulation de retards et des souffrances liées au vécu del’échec, à la stigmatisation. Pour les élèves qui sont concernés par une problématique en AIS (Adaptation et Intégration Scolaire) ou enEducation Spécialisée (ES), pour qui les prises en charge ne se réalisent pas, les conséquences sont enréalité fort différentes selon qu’ils sont en premier cycle ou au collège. Pour le dire d’une formule, ceséchecs du dispositif se traduiraient essentiellement par des mal-scolarisations au primaire tandis que lesdéscolarisations surviendraient au collège.Le premier cycle, à l’opposé du collège, se caractérise par :A- une culture de l’intégration et de la prise en charge des élèves en difficulté ;B- l’existence d’un dispositif – le RASED – et d’un ensemble de possibilité d’aménagements desenseignements. C- des enseignants qui travaillent en équipe.D- l’existence d’un pouvoir hiérarchique qui contraint les professeurs d’école à mettre en place lesaménagements décidés en commission.E- des relations structurelles avec les dispositifs de soins.

Enfin dans cette troisième partie, nous constatons et analysons la sur-représentation des élèves d’origineimmigrée dans le dispositif AIS et ES. Plutôt que de chercher à comprendre cette présence en grandnombre de jeunes nés de parents immigrés dans le dispositif, on étudie les éléments qui permettent decomprendre les éléments spécifiques de déscolarisation pour cette population.

D’abord la notion mal fondée et ambiguë de “troubles du comportement” (TCC) est au cœur d’un grandnombre de propositions d’orientations pour cette population. Ensuite, plus que les autres, le dossierd’orientation d’un élève nés de parents immigrés donnent lieu à des désaccords. Ils reposent sur :- la pertinence du diagnostic et des outils d’évaluation. Les outils d’évaluation sont mal adaptés auxpopulations migrantes, les enfants de culture différente sont improprement évalués. Il existe d’autre part uneconfusion entre défauts de maîtrise de la langue et maîtrise du langage. - la nécessité des soins et le sens de leur refus. L’école et le secteur médico-éducatif semblent assezignorants des problématiques interculturelles, des débats autour de l’ethnopsychiatrie. Que l’appartenanceculturelle de la famille de l’enfant soit un pôle de structuration psychique important ne semble pas être unedonnée acquise par ces professionnels qui font comme si la nationalité française avait aboli cetteappartenance.Des raisons plus structurelles également, liées :- au fonctionnement de l’école française et au temps qu’elle accorde à l’élève pour apprendre et maîtriser lalangue française. Nombre d’enfants issus de l’immigration ne réussissent pas à s’intégrer à l’école aurythme imposé c’est-à-dire à en saisir les enjeux, ou à acquérir suffisamment vite les compétenceslinguistiques. La souplesse du premier cycle ne suffit pas toujours à modifier suffisamment ces paramètres.Dès lors, le recours aux soins, à l’AIS, à l’ES ne constituent-ils pas une médicalisation de leur différence

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culturelle ? Pour peu que ces prises en charge ne se mettent pas en place, faute d’accord des différentesparties, de place, la déscolarisation peut survenir.- aux difficultés de l’immigration. L’exil, même lorsqu’il ne s’accompagne pas de conflits familiaux ou deséparation, de difficultés financières est un traumatisme. En substance, ce que disent nombre d’acteurs dudispositif, c’est que les enfants ont des difficultés à résoudre avant de pouvoir s’investir dans la scolarité,qu’ils sont “mobilisés ailleurs”.

IVème partie. La déscolarisation des élèves de collèges de ZEP

L’angle d’approche de ce secteur de la déscolarisation est le même que dans l’ensemble du rapport etconsiste à mettre entre parenthèses les dimensions individuelles du processus, la “responsabilité desfamilles”, au profit :- d’une analyse des interactions entre les élèves et les dispositifs,- du contexte dans lequel intervient à la fois la déscolarisation et les discours, la représentation qu’on en a,qu’on en donne. Nous partons donc de l’idée que les dispositifs produisent un rapport à la scolarité.- d’une interrogation sur le sens de la scolarité pour les différents acteurs.

Le premier élément de contexte – à la fois de production du discours et du phénomène – qui est étudiéconcerne la faillite actuelle d’un certain nombre d’institutions à accueillir des jeunes, des élèves qu’on dit deplus en plus difficiles. L’école n’est qu’une de celles-là, mais lorsqu’un des partenaires échoue ou rejette unjeune, c’est l’ensemble qui se trouve atteint.

La question de la scolarisation des jeunes en difficulté doit être élargie au problème général de la prise encharge de ces jeunes. L’accueil des jeunes dits difficiles pose des problèmes non seulement à l’EN maisencore dans les institutions qui, traditionnellement ont en charge cette population. Le contexte dans lequelse développe le discours sur la déscolarisation est celui d’une difficulté croissante des structures en chargede ces jeunes en difficulté, avec un mandat de soins ou d’assistance éducative (AE), à répondre à lademande sociale, à accueillir des jeunes que l’on dit de plus en plus difficiles à gérer. Si le parcours scolairede quelques uns s’arrête définitivement à 14 ou à 15 ans, d’autres sont (dé)scolarisés par intermittence,dans le passage entre une institution à une autre. D’une MECS à une autre ou d’une MECS à un IR ou d’unIR à une SEGPA. D’une institution à l’autre, la scolarité n’est qu’un des aspects de leur vie institutionnellequi s’arrête. Car cessent également les soins, le suivi social et éducatif.

Les jeunes concernés en priorité se caractérisent peut-être moins par des comportements particuliers – onpense d’abord à la violence, à leur attitude de refus, d’opposition – que par l’indétermination de leurs ditesdifficultés. De quel dispositif relèvent-t-ils ? Protection, délinquance, déficience, soins, pédagogie adaptée ?La question que se pose à ces professionnels est : de quelle prise en charge relèvent-ils ?

Le collège de ZEP, l’image dévalorisée qu’il a auprès d’un certain nombre d’élèves, le quartier et sasociabilité juvénile sont les deux autres éléments favorables à la déscolarisation.

On peut dire déjà ici que ce qui permet l’assiduité ce sont essentiellement deux éléments :- la vie sociale de l’élève est dans le collège et non dans le quartier ; - les parents sont toujours des autruis significatifs par rapport à qui on doit conserver l’image d’un fils, d’unefille, conforme c’est-à-dire en particulier par l’adoption du rôle social d’élève. Ce qui ne signifie pas qu’il y aitun contrôle social parental (de l’assiduité) efficient.

C’est en ZEP que se pose d’abord le problème de la déscolarisation. C’est là que les retards scolaires et lesdifficultés y sont les plus nombreux. Nous avons vu dans la partie précédente que l’organisation du primaire,le travail effectué avec les élèves en difficulté leur permettait d’être maintenu dans le système. Dans lesecondaire, les élèves en difficulté ne bénéficient plus du même soutien et le retard va s’accumuler.

Confrontés à ces élèves, les enseignants considèrent qu’ils dérangent le bon déroulement de la classe.Parmi les cas de déscolarisation étudiés dans cette partie, un certain nombre correspond à des élèves quientrent en 6ème avec un retard scolaire important c’est-à-dire n’ayant pas les acquis pour reprendre laterminologie officielle. De manière exemplaire, la déscolarisation intervient lorsqu’il y a échec scolaire,accumulation de retards, que la socialisation scolaire est faible, que la vie de l’élève est dans le quartier où ilest parfaitement intégré, que l’école est vécue comme incapable de permettre un accès à l’emploi ou de seprocurer de l’argent.

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Le quartier de relégation offre un support social essentiel à la déscolarisation, à la fois parce qu’on y est passeul lorsqu’on est hors l’école et parce que l’élève en difficulté, ou qui échoue, ou qui rejette l’école n’estpas une exception et n’est donc pas perçu comme cela, montré du doigt. Troisième caractéristique duquartier : la suspension du jugement moral. Les jeunes qui se trouvent dehors au lieu de se soumettre àl’obligation scolaire n’ont pas à subir le jugement moral d’autrui. Enfin, le collège du quartier de relégationsouffre de déconsidération. Collège d’arabe, collège de ghetto, collège qui n’offre ni perspective de diplômeou d’emploi.

Le rejet parfois violent de l’école doit être relativisé, il est une manière de se défendre d’une souffrance,d’illusions perdues. Le discours cynique masque le désespoir. Ceux qui critiquent l’inutilité de l’écolepeuvent en exprimer la nostalgie, rôder autour du collège.

Le besoin d’argent si souvent cité par les jeunes n’est pas une motivation à faire des études car :- Les chances d’obtenir un diplôme sont négligeables (surtout par rapport à ce que demande d’efforts sonobtention pour un élève moyen ou faible)- Pour un arabe, il y a de toutes façons peu de chances d’obtenir un emploi, diplôme ou pas ; - Ou alors un emploi de “ trimard ” : emploi fatigant, salissant, dévalorisant, qui rapporte peu. Quoi qu’il en soit du rapport spécifique à l’argent des jeunes des quartiers de relégation, la déscolarisationfavorisée par les petits boulots et autres “ affaires ” touche évidemment en priorité les élèves issus de milieuxéconomiquement défavorisés, ceux qui ne peuvent compter sur leur parents pour assouvir leurs besoins deconsommation. Pour satisfaire ce besoin, les jeunes se livrent à des activités illégales ou à des petits boulots. Activités quipeuvent s’inscrire hors temps scolaire ou s’y substituer, progressivement ou brutalement, en fonction desopportunités et des expériences scolaires. Plus l’élève vivra d’humiliations à l’école, plus on lui “ prendra latête ” (contrôles, convocations, sanctions…), et préférable lui apparaîtra la vie dehors. En effet, les petitsboulots peuvent entrer en concurrence avec la scolarité selon les circonstances à la fois de la vie dehors etde la vie dedans. La pression sociale du quartier à avoir de l’argent, l’ensemble des moyens qui le permettent vont finalementconstituer un facteur supplémentaire de déscolarisation ; les jeunes s’autonomisent financièrement,matériellement de leurs parents.

L’analyse du contrôle parental sur l’assiduité scolaire n’a finalement d’intérêt que lorsqu’on réduit lephénomène de déscolarisation à sa dimension sécuritaire. En effet, nous avons amplement montré dans cerapport qu’à la déscolarisation entendue comme le simple fait d’être dehors, devait être substituées desanalyses en termes de rapport à l’école, d’effets des dispositifs, de sens de l’école à la fois pour les élèves etles professionnels. Autrement dit, le contrôle parental et le contrôle de l’institution sur l’assiduité neconcernent qu’une des dimensions du rapport à l’école.

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Décrochage scolaire : genèse et logique des parcours, ElisabethBAUTIER, Jean-Pierre TERRAIL

Synthèse par É. BAUTIER, Équipe Escol, Université de Paris 8

En décalage avec le point de vue le plus fréquent qui consiste à analyser le décrochage lui-même du seulpoint de vue de l'élève, les équipes5 engagées dans cette recherche ont travaillé à comprendre la genèse dudécrochage telle qu'elle peut se construire dans l'interaction entre les élèves et l'institution scolaire, sespolitiques comme les situations de classe, depuis leurs interactions avec l'enseignant jusqu'au cadre detravail qu'il propose

Des hypothèses confirmées

Partant du constat que les "décrocheurs" se recrutent essentiellement chez les élèves qui conjuguentvulnérabilité familiale et (grandes) difficultés scolaires, nous nous sommes proposés d'étudier l'amont de leurpossible décrochage. Nous avons voulu mettre au jour la dynamique des interactions entre plusieursregistres de "fabrication" du décrochage de l'intérieur : le registre des apprentissages et des rapports auxsavoirs scolaires, celui des pratiques institutionnelles et enseignantes dans leurs façon de traiter lesdifficultés proprement scolaires, celui des processus subjectifs et sociaux à l'œuvre chez les élèves telsqu'ils se manifestent dans le rapport à soi, aux autres, pairs et enseignants, celui du langage et de la langueen ce qu'ils interviennent dans les phénomènes de compréhension des textes, des tâches scolaires, maisaussi dans des phénomènes de stigmatisation quand l'écart entre les attentes des enseignants et lesproductions des élèves est grand. Pour nous, le décrochage étant l'aboutissement d'une accumulation de difficultés hétérogènes, il fallait porterau moins autant d'attention à l'histoire des apprentissages qu'aux manifestations comportementales destroubles scolaires. Il s'agissait de comprendre quels processus mènent d’une difficulté dans un domaine d'apprentissage à undécrochage de l’intérieur, et de là, selon les élèves, à une “ survie ” dans le système en tant que décrochésde l’intérieur, ou à une phase de décrochage vers l’extérieur et donc de déscolarisation. Ce moment de

décrochage vers l'extérieur pouvant se produire en 4ème

, alors même que le processus s'est formé dès ledébut du collège, et trouve son origine dans le primaire. Cependant, malgré l'accent mis ainsi sur l'amont dudécrochage, parmi les élèves suivis, choisis pour cette recherche sur la base de nos hypothèses sur ledécrochage cognitif et le décrochage de l'intérieur, nous avons rencontré plusieurs cas de renvoistemporaires et définitif, et d'absentéisme.Nous avons donc l'hypothèse, faisant suite non seulement à nos propres travaux mais aussi à ceux de S.Broccolichi, que la déscolarisation procède d'un décrochage cognitif (ou d'une absence d'accroche cognitive)qui peut lui être bien antérieur, et qui peut d'ailleurs s'opérer en silence, indépendamment de tout rejetostensible de l'institution (indiscipline, incivilités, absentéisme), ou si l'on préfère, que ceux qui abandonnentl'école avaient d'abord été des "décrochésª de l'intérieur. Les recherches de S. Broccolichi6, basées surl’étude des dossiers scolaires et sur des entretiens avec des jeunes décrocheurs suivis dans cette cohorte,ont fait retour sur ces corrélations. Il apparaît dans ces travaux que, d’une part, ces élèves n’avaient pas àleur sortie du primaire ce que nous appellerons les pré-requis pour réussir au collège, mais que d’autre part,jusqu’en CM2, les relations pédagogiques n’étant pas rompues, l’implication (au moins partielle) dans letravail scolaire était maintenue : “ Au niveau du collège, les exigences s’élèvent et la situation d’échecaggravé n’est souvent même plus pondérée par le maintien d’un lien personnalisé avec l’enseignant ”(Broccolichi & Ben-Ayed, 1999). Par ailleurs, des travaux précédents de l’équipe E.S.COL ont notamment montré que chez des enfants demilieux populaires, “ l’école élémentaire est l’objet de souvenirs généralement positifs ” (Charlot, Bautier,Rochex, 1992). C’est même en termes d’opposition entre le bon souvenir de l’école primaire et“ l’engrenage ” des problèmes à partir du collège que cette idée apparaît dans les entretiens que nous avons

5 Trois équipes ont travaillé à cette recherche, l'équipe ESCOL (université de Paris 8), rédacteurs ici, Élisabeth Bautier et StéphaneBonnéry, l'équipe Printemps (université de St Quentin), rédacteurs Amandine Bébi et Jean-Pierre Terrail, équipe SYLED-RES(université de Paris III), rédacteurs Sonia Branca et Bruno Lesort. Cette recherche, commanditée par la DPD en réponse à un appeld'offre interministériel en 2000, a fait l'objet d'un rapport.

6 Voir en bibliographie les différents travaux déjà cités.

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réalisés avec des élèves de classe-relais7 (Centre Alain Savary, 1999 ; Bonnéry, 1999 ; Martin, Bonnéry,2002). Alors qu’ils ont l’impression que leur scolarité primaire s’est déroulée sans problème majeur, cesélèves interprètent les situations scolaires du collège (où ils ont "décroché") sur le registre de conflitsintersubjectifs, de sentiments de rejet ou d’injustice, et cette "interprétation" a semble-t-il "grippé" encore plusles relations pédagogiques et les apprentissages. Ceci ne fait que confirmer l’un des résultats desrecherches sur les décrocheurs précoces dont il a été question précédemment : tout semble indiquerqu’après avoir été en difficultés d’apprentissage, les élèves se "réfugient" dans une indiscipline, qui empêcheà son tour les acquisitions de savoirs (Broccolichi).

Non seulement nous retrouvons dans cette recherche sur les décrocheurs les constats de S. Broccolichi,mais notre objectif a été de comprendre les ressorts des phénomènes mis au jour : si les pratiquesd'enseignants et celles des élèves dans le primaire permettent à ces derniers de "sauver la face" pour eux-mêmes comme pour l'institution scolaire élémentaire, la faiblesse des apprentissages effectués avant

l'entrée en 6ème ne leur permet ni de répondre aux attentes de ce niveau, ni d'échapper plus longtemps à la"réalité" de leurs difficultés ; la confrontation à ces difficultés peut les conduire à avoir des comportements defuite ou de compensation dans le bavardage, la provocation, les comportements irrecevables par l'institution.Cette recherche met en particulier en évidence ce qui échappe souvent aux enseignants et, plus largement,à l'institution : la plupart des élèves arrivent la première semaine au collège avec une forte envie d'y travailleret d'y réussir, mais que ce qui s'y produit de malentendus8, de "ratages" cognitifs et d'interactions, vaentraîner chez certains élèves, certes, dans un délai très bref (quelques jours), et c'est la raison pourlaquelle la première phase peut passer inaperçue, des comportements de rejet des enseignants et del'institution.

Un cadre d'interprétation reposant sur le contexte social et les évolutions socio-historiques

L'accent, l'intérêt portés aux apprentissages ne signifie en aucune façon d'isoler ces phénomènes d'acquis(ou de non acquis) scolaires de leurs causes et effets sociaux et subjectifs. Nous pensons au contraire,qu'on ne peut étudier les comportements d'apprentissage des élèves, leurs interprétations des échangesavec les enseignants, comme leurs confrontations avec les contenus et les formes scolaires, en particulierles "nouvelles" formes écrites et orales des différentes disciplines sans les référer au contexte social, auxévolutions socio-historiques à partir desquelles elles sont comprises, interprétées, par les élèves comme parles enseignants eux-mêmes. Ainsi, quand J.P. Terrail et Amandine Bébi étudient les pratiques desenseignants d'une école primaire, ces pratiques ne sont pas à comprendre comme une stigmatisation demanières de faire qui seraient individuelles ou mêmes locales, mais sont plus largement à référer auxdiscours et pratiques dominantes actuellement, en particulier comme pratiques d'adaptation aux élèves endifficultés, voire aux élèves de milieux populaires. C'est au titre de leur significativité que des analyses trèscontextualisées comme celles qui sont présentées ici, ont un sens. Elles ne sont peut-être pas exactementreprésentatives au sens statistique du terme, mais elles ne sont pas non plus strictement singulières etanecdotiques. De plus, ces analyses ont tenté de repérer les effets de cumul de phénomènes récurrents etemblématiques des évolutions des pratiques et conceptions scolaires qui avaient été pointés de façonéparses dans des recherches antérieures des différentes équipes de la recherche.

Ayant un point de vue critique sur les tendances actuellement dominantes, au sein du système scolaire enparticulier, et dans les classes y compris, à la "psychologisation" comme modalité explicative des difficultésdes élèves (voir parties II et III), nous avons considéré la confrontation des élèves à l'école, et inversement,comme relevant de logiques et d'évidences construites socialement (partie III). C'est en pensant à l'écartentre la culture des élèves, la culture de référence de l'école, entre les habitudes socio-langagières et socio-cognitives, les traits sociolinguistiques des uns et des autres, que nous avons analysé les productions,interprétations, comportements des élèves en réponse aux demandes des enseignants et de l'institution quine mesurent pas toujours cet écart (sauf pour déplorer les manques, au demeurant, souvent réels, desélèves) et ce faisant, ne construisent pas chez les élèves les apprentissages et les savoirs qui leurpermettraient de suivre, de s'acculturer avant d'être exclus et/ou de s'exclure.

7 Les classes (ou dispositifs)-relais accueillent des jeunes soumis à l’obligation de scolarité. Ceux-ci ont souvent connutrès tôt des difficultés importantes d’apprentissage, mais c’est au collège (plutôt en 4e ou 3e) qu’ils ont manifesté descomportements à partir desquels ils ont été considérés comme déscolarisés ou en voie de l’être (critères d’appréciationvariables : non-inscription ou dés-inscription scolaire du fait d’exclusions successives, absentéisme, violence,"perturbations" dans le collège d’origine, refus de travail). Il s’agit d’enfants de familles souvent précarisées. Ces classesne relèvent pas de l’enseignement spécialisé, les élèves accueillis ne souffrent pas de déficiences mentales, même sides enseignants spécialisés et des éducateurs y interviennent. 8 Au sens qui est donné à ce terme par É. Bautier et J.-Y. Rochex : "Apprendre : des malentendus qui font la différence", in Lascolarisation de la France, J.-P. Terrail, Paris, La Dispute, 1997.

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Remarques méthodologiques

Ces remarques complètent les précédentes concernant le caractère qualitatif et significatif de notre travaildans les classes et le choix d'indices de la constitution et du traitement de la difficulté scolaire. Dans lamesure où la recherche s'appuie, dans une volonté de cumul des résultats, sur les travaux ayant uneproblématique proche, nous avons opté pour une méthodologie permettant des analyses qualitatives finesdes processus en jeu et le recueil de données dans une temporalité qui est celle de leur élaboration. Deplus, ce ne sont pas ces seules analyses effectuées sur un corpus d'observation, d'entretiens, de travauxd'élèves, recueilli dans trois écoles et deux collèges qui nous permettent de poser nos résultats commepouvant être généralisés mais leur mise en relation avec les phénomènes mis au jour par nos précédentstravaux et ceux des autres chercheurs. De plus, l'objectif de cette recherche est de construire non pas la"réalité" des genèses et processus de décrochage, tels qu'ils s'incarneraient chez tous les décrocheurs, maisles processus qui nous apparaissent significatifs du phénomène de décrochage, qu'on le rencontreeffectivement dans sa réalisation" idéale" chez certains élèves, ou comme représentant des "potentialités"de décrochage qu'un événement de la vie scolaire ou personnelle de l'élève viendrait cristalliser ("précipiter",pour utiliser une métaphore chimique qui correspond assez bien à ce que nous avons construit). Enrevanche, nous avons choisi ces établissements et ces élèves afin de "regarder" de près, parce quepossiblement "concentrés" (même univers métaphorique) en ces lieux avec ces élèves, le cumul dephénomènes que, à la fin de cette recherche, nous pensons très largement partie prenante des processusde déscolarisation.

Ce cumul de phénomènes, ou plus précisément, l'interaction, dans une temporalité spécifique, d'élémentsqui, pour être de registres différents, registre social, cognitif, langagier, subjectif, n'en sont pas moins chezun élève en relation étroite, construit la dynamique du décrochage qui va conduire à la déscolarisationnécessitait donc pour être étudiées une recherche non seulement qualitative mais permettant uneobservation fine et "en tant réel" des phénomènes. Pour comprendre cette dynamique, nous avons analyséla mobilisation de ces différents registres dans l'école et la classe, et la façon dont les élèves, dansl'ignorance du processus lui-même passent du décrochage cognitif en CP-CE1, à un très faible niveau de

connaissances à l'entrée en 6ème. Le passage au collège accroît ce décrochage car vient alors s'ajouterl'opacité de son fonctionnement, de ses enjeux cognitifs, de ses "codes" relationnels", mais aussi desmodalités de travail et d'évaluation. Il ne s'agit pas pour nous de supposer que telle manière de faire d'unenseignant lors de l'énoncé d'une consigne, ou l'absence de correction d'énoncés fautifs d'élèves… a un rôledéterminant en soi, mais que réitérées et cumulées avec des modalités relationnelles, des contenusd'enseignement, des modes de faire de l'institution quand l'élève ne se comporte pas avec les adultes de lafaçon attendues…, ces manières de faire construisent chez l'élève qui mobilise alors des interprétationscognitives, sociales et subjectives de la situation, des comportements silencieux de retrait ou "trop" visiblesde décrochages.

Construction du rapport

Comme annoncé dans la réponse à l'appel d'offre, trois équipes ont travaillé, l'équipe ESCOL (université deParis 8), rédacteurs ici, Élisabeth Bautier et Stéphane Bonnéry, l'équipe Printemps (université de StQuentin), rédacteurs Amandine Bébi et Jean-Pierre Terrail, équipe SYLED-RES (université de Paris III),rédacteurs Sonia Branca et Bruno Lesort. Cependant, si nos hypothèses et orientations sont bien partagéespar les trois équipes et cela est clair dans les interprétations des données et les conclusions auxquellesnous parvenons, il ne nous a pas été possible de conduire la recherche collectivement au-delà des réunionsdes 5 premiers mois. En revanche, les équipes ESCOL et SYLES-RES ont travaillé ensemble sur le suivi

CM2-6ème et ce faisant sur un corpus en grande partie construit conjointement, partagé et puis exploité dedeux points de vue. Le rapport est donc constitué de 5 chapitres : les deux premiers produits des recherchesdu laboratoire printemps, le troisième principalement écrit par ESCOL, le quatrième par SYLD-RES, lecinquième est constitué par la présentation plus détaillée, à partir de "portraits" d'élèves, des processus etconclusions mises au jour.

Quelques conclusions

L'enquête quantitative qui porte sur l'histoire scolaire des décrocheurs (J.-P. Terrail, A. Bébi), a mis l'accentsur la recherche de profils de décrocheurs à partir des caractéristiques scolaires et familiales des élèves(ces caractéristiques n'ayant pas, en tant que telles, -ce n'était pas l'objet du travail prévu- fait l'objet de

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nouvelles constructions de la part des chercheurs qui ont ainsi repris les catégories "ordinaires" de famillemonoparentale, de problèmes relationnels ou de scolarité correcte). Cette enquête permet de mettre au jourdeux profils différents de décrocheurs : le profil "abandon" et le profil "exclusion". Si dans les deux cas, on nepeut ignorer les phénomènes massifs de décrochage cognitif et leurs traitements paradoxaux (voireaggravant) par l'école, le parcours des élèves "abandonneurs" est un peu moins catastrophique, interrompude façon moins précoce (jamais avant 16 ans) avec des résultats moins mauvais que les "exclus" (9% dereçus au BEPC contre 2% chez les "exclus") et beaucoup moins de difficultés relationnelles avec beaucoupmoins de passage en conseil de discipline et d'exclusions temporaires. Les "exclus" réagissent au contraireà leur décrochage cognitif par un rejet violent de l'école et la situation devenant insupportable, ilsdécrochent. La précarité familiale qui apparaît dans les deux populations va de pair avec l'absence d'aidescolaire apportée aux enfants. Au demeurant, l'école n'a pu apporter l'aide nécessaire et compenser laprécarité des familles dans ce domaine. Il y a là de quoi interroger la façon dont le système scolaire ne peutpermettre à tous de surmonter les difficultés inhérentes à la scolarité. La déscolarisation se présente icicomme prenant sa source dans le "ratage" de l'entrée dans les savoirs de l'école, comme devant, au-delà dutraitement scolaire de ce ratage, être mis en relation avec les modes de sociabilité de quartier des jeunes :les "exclus" compensant la précarité familiale par une forte insertion dans la sociabilité des pairs et la culturede rue.

Ces deux profils se retrouvent décrits dans leur genèse dans la recherche de l'équipe ESCOL sur le

passage CM2-6ème (voir ci-après), les élèves décrocheurs dès la 6ème étant ceux qui trouvent dans lesgroupes de pairs la compensation de leur échec à entrer dans des apprentissages réussis dès le début del'année scolaire.

L'école face aux premières difficultés d'apprentissage (Amandine Bebi et J-P. Terrail).La recherche analyse finement au niveau des pratiques pédagogiques et des apprentissages, desadaptations que font les enseignants dans le domaine pédagogique (pédagogie du concret, par exemple) àpartir des différents modes d'explication des difficultés des élèves (en particulier, un psychologismeenvahissant), des conceptions de l'enfant et des apprentissages. Elle met au jour comment l'école elle-même participe du décrochage cognitif des élèves en ne leur permettant pas d'entrer dans lesapprentissages tout en les laissant cheminer, accumuler ainsi les retards par rapport aux attendus ducollège, tout au long de la scolarité primaire.

De l'analyse du passage du CM2 à la 6ème, on retiendra les phénomènes suivants En début de collège, notre attention s’est également portée sur les difficultés d’acculturation au secondaire,sur la mise au jour de difficultés antérieures, sur le traitement de la difficulté en sixième.... Nous l'avons dit,nous avons ainsi voulu approcher les processus qui conduisent les élèves d’une difficulté dans un domaineparticulier à un décrochage de l’intérieur, et de là, selon les élèves, soit à une “ survie ” dans le système entant que décrochés de l’intérieur, soit à une phase de décrochage vers l’extérieur et donc de déscolarisation.

Des malentendus socio-cognitifs

On retrouve en CM2 pratiquement tous les phénomènes de "lâchage" cognitif et d'adaptation aux élèvesétudiés au début du primaire dans la recherche effectuée par A. Bébi et J.-P. Terrail. Au collège, lesmalentendus entretenus par les modes de travail scolaires et l'interprétation que les élèves font de lasituation scolaire sont plus lourds de conséquences. Nous présentons ici les conclusions des analyses deStéphane Bonnéry.Avant le collège, les formes de travail scolaire auxquelles se confrontent les élèves n'ont pas permis à ceuxqui ont été identifiés comme de “ potentiels décrocheurs ” dans la suite de leur scolarité de mettre en œuvreles activités intellectuelles requises et de s’approprier les savoirs attendus ; elles semblent même entreteniret/ou susciter des malentendus. Ce phénomène repose en grande partie sur des évidences socialementsituées : d’une part, pour les élèves, il est évident qu’il faut “ faire ce que l’enseignant dit de faire ”, au piedde la lettre ; leur focalisation sur les tâches et les bons résultats dans une logique d’obéissance et devalorisation de soi (et non de son travail, de ses acquisitions) occultant ainsi les enjeux d’apprentissage.D’autre part, les enseignants fonctionnent sur l’évidence de "pré-requis" aux apprentissages qui seraientpartagés par tous, ils ne font donc pas l’objet d’une construction dans leurs classes, et lorsqu’il s’avère queces “ pré-requis ” font défaut aux élèves, les contenus d'apprentissages font alors l’objet d’une “ adaptation ”de l’enseignement pensée au regard des caractéristiques supposées de la population à qui ils ont affaire.Ces adaptations doivent permettre aux élèves de ne pas se sentir impuissants devant un travail demandé,ils peuvent alors “ faire ”, sans avoir les moyens de se rendre compte qu’il y a un décalage entre ce qu’ils“ font ” et ce qui est attendu. Ces malentendus socio-cogntifs n’interrogent pas que les pratiquesprofessionnelles d’enseignants, mais également des formes de travail scolaire répandues, qui, par exemple,

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en voulant rompre avec le formalisme, la systématicité des formes scolaires anciennes, tendent à masquerce qui peut être nécessaire pour atténuer les malentendus entre l’école et les élèves et surtout pourpermettre les apprentissages.

Des relations interindividuelles

Au-delà des formes de travail elles-mêmes, et sur un registre plus subjectif, l’École semble entretenir et/oususciter des ambiguïtés sur les places que chacun occupe. L’individualisation de la pédagogie, comme laprise en compte des “ enfants ”, de leur vie privée, de leurs caractéristiques réelles ou supposées, le souci“ d’épanouissement ” de chaque enfant, le non-formalisme des relations pédagogiques, la multiplication desactivités “ non scolaires ” dans les établissements scolaires… semblent autant de facteurs qui contribuent àce que les jeunes que nous avons suivis (qui sont parmi ceux qui ont le plus de travail à accomplir pour seconstruire en tant qu’élève, pour acquérir des modes scolaires de pensée et de comportement) croient être àl’école “ uniquement ” en tant que personne vis-à-vis d’autres personnes, et non pour s’approprier dessavoirs structurés en discipline que des enseignants sont là pour transmettre. On retrouve ici les élémentsdéjà analysés par Bébi et Terrail au niveau du CP. Les adultes rencontrés dans l’école sont donc vuscomme “ gentils ” ou “ méchants ”, et délivrant arbitrairement, personnellement, des verdicts. Les formesscolaires “ d’adaptation ”, de “ valorisation ” des élèves se situent alors bien souvent dans une logique de“ réconfort ” sans rapport avec les activités d’apprentissage : les enseignants “ gentils ” ne sont pas ceux quipermettent d’apprendre et donc d’être fier de nouvelles acquisitions, mais ceux qui donnent des exercicesfaciles permettant d’avoir de bonnes notes, ou qui accordent une attention personnelle à l’élève, avec qui il ya alors des échanges facilités, comme ces jeunes le font dans leurs groupes de pairs et avec leurs aînéshors de l’école. De plus, dans le souci de ne pas “ démotiver ” les élèves et de ne pas les stigmatiser comme mauvais, lesdifficultés que ceux-ci rencontrent sont masquées, occultées : on félicite les attitudes de participation mêmequand l’intervention est hors sujet ou la réponse fausse, les dispositifs d’aide aux difficultés ne sont pasdonnés à voir comme tels, et les verdicts scolaires rencontrés sont compensés sciemment par d’autresnotes au besoin données pour l’occasion, ou par une surenchère dans la prise en compte de l’individu, savalorisation en dehors des apprentissages. À l’école primaire donc, dans les établissements scolaires qui ont constitué l’un de nos terrains derecherche, il semble que ce qui “ raccroche ” les élèves, ce qui leur rend l’école agréable, ou tout au moinsacceptable, contribue justement à la création et/ou à l’amplification de malentendus sur le sens des activitésscolaires et d’ambiguïtés sur les relations pédagogiques et la place que chacun occupe dans l’institution. Au collège, des pré-requis scolaires encore plus grands (évidence du travail quotidien à la maison, de lanécessité d’avoir compris un cours pour comprendre le suivant...), comme des changements d’exigenceamènent davantage les élèves à prendre conscience qu’ils ne savent pas faire ce qui est attendu. De plus,les verdicts scolaires y sont moins masqués, voire y sont “ théâtralisés ” (énoncé des notes à haute voix lorsdu rendu de devoirs, conseils de classe), et les relations privilégiées moins fréquentes atténuent d’autantmoins ces verdicts.

Cependant, tous les élèves ne s'engagent pas dès la 6ème dans un décrochage manifeste

Certains élèves, ceux qui cherchent à être de “ bons élèves ” à se conformer aux prescriptions enseignantesen pensant que “ tout travail mérite salaire ” sont ainsi “ pris au piège ”, car ils se confrontent aux mêmesmalentendus qu’à l’école primaire, mais ici ils prennent conscience que quelque chose ne va pas : ilscherchent à faire ce qu’ils croient attendu, de façon contextualisée, mais les notes ne s’améliorent, car sontimplicitement attendues des activités cognitives spécifiques, comme celles de décontextualisation /recontextualisation, ou celles d’usages scolaires de la langue, ou encore l’évidence de la compréhensiondes tâches scolaires dans leur finalité d'apprentissage . Finalement, plus ils font d’efforts, et moins ceux-cileur paraissent “ payants ” ; dès lors, dans la nécessaire explication qu’ils cherchent, apparaît un sentimentd’humiliation, d’injustice, le risque d’apparaître “ bête ” qui pousse à abandonner les efforts (il vaut mieuxêtre fainéant que bête) et/ou à renvoyer le problème à l’enseignant (c’est lui qui donne des exercicesirréalisables et cherche sciemment à mettre les élèves en difficultés), qui est d’autant plus perçu sur leregistre de l’altérité (“ eux ”, les “ blancs ”) qui opprime. Plusieurs de ces élèves ont “ décroché de l’intérieur ”

en fin de 6ème au sens où ils ont “ baissé les bras ” sur les apprentissages.D’autres élèves, qui manifestent des logiques similaires, peuvent trouver chez les adultes des interlocuteursprivilégiés, et reproduire ce qui les “ raccrochait ” au primaire, adapter leur scolarité de façon acceptable enfaisant perdurer les malentendus et les ambiguïtés. On peut faire l’hypothèse que ce même piège serefermera sur eux plus tard dans leur scolarité si les malentendus ne sont pas levés, mais aussi que plus letemps passe, plus ces malentendus et ambiguïtés risquent de s’accumuler et d’être difficiles à lever. Mais, d’autres encore, ceux qui étaient déjà lors de leur scolarité primaire dans une logique de participation,mais à moindre effort, aux tâches scolaires afin de n’être pas pénalisés et de ne pas dégrader les bonnes

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relations avec l’enseignant, quitte à se prendre au jeu de certaines activités scolaires ponctuelles, voient ceslogiques inefficientes au collège, et se réfugient alors dans le groupe de pairs. Ils abandonnent tout travailscolaire au cours de l'année. C'est dans ce dernier groupe que l'on a trouvé les élèves qui ont fait l'objetd'exclusions et qui manifestent de l'absentéisme réitéré, ce faisant qui ont commencé à concrétiser leurdécrochage.

L'analyse des pratiques langagières des élèves comme système de catégorisation et modalitésinterprétatives des situations scolaires d'apprentissage et des relations avec les autres (É. Bautier et S.Bonnéry et É Bautier) met en évidence une des modalités par lesquelles le langage intervient dans laconstructions des malentendus subjectifs et cognitifs chez les élèves les plus en difficultés : introduction descatégories non scolaires au sein de l'école, y compris dans la façon de se positionner dans des relationsintersubjectives, "ethnicisation" des catégories interprétatives (les blancs/ les noirs)...

Cette analyse est complétée par celle des cahiers d'évaluation de français de 6ème

(É. Bautier)9.

L'analyse des cahiers d'évaluation montre une très grande faiblesse générale (même chez les élèves lesmoins en difficultés) dans la mise en œuvre de la langue grammatisée, elle fait également apparaître, d'unepart, la très grande hétérogénéité des sources d'erreurs des élèves, d'autre part, l'hétérogénéité descompétences d'un même élève. Elles donnent également à voir en creux les lieux privilégiés del'enseignement actuel et ceux qui semblent ordinairement faire problème tant les performances sont faiblesquelles que soient les classes (ils correspondent de fait aux scores les plus faibles des résultats nationaux).Ainsi, si le repérage d'informations dans un texte ne pose guère de problèmes, cette compétence n'estjustement pas identifiable à la compréhension d'un texte, a fortiori à la compréhension entendue commel'identification d'une intentionnalité, c'est-à-dire celle qui suppose une interprétation et un calcul du sens àpartir des données hétérogènes mais qu'il faut nécessairement combiner : les données linguistiques (lesmarques évoquées précédemment, les substituts, les liens entre phrases), les présupposés deconnaissances culturelles et les contenus exprimés. Cette tâche de compréhension différencie les élèves endifficulté des autres ; elle leur est difficile pour plusieurs raisons sans doute, mais qui reviennent largement àminorer la prise en compte des indices linguistiques du texte au profit de ce qu'ils ont envie de lire et decroire. Les indices linguistiques ne peuvent être pris en considération, leur pertinence ne semble pas avoirété construite, à moins qu'elle apparaisse comme trop complexe pour être maîtrisée. On devine lesdifficultés scolaires qui en découlent. On retrouve des constats semblables sur les tâches effectuées enclasse. Mais, il ne s'agit pas chez les élèves qui nous intéressent de méconnaissance, de noncompréhension, non maîtrise d'une règle ou d'une forme…, il s'agit de quelque chose de beaucoup plus"grave" parce que lourd de conséquences certes scolaires, mais aussi cognitives et sociales : la langue n'estpas vécue comme possédant une cohérence réglée, n'est pas davantage vécue comme une ensemble derègles à respecter, à respecter parce que les règles appartiennent au bien commun, au savoir collectif etqu'il ne dépend pas de chacun de décider de l'orthographe d'un nom ou d'un verbe, à respecter parce ceque seul ce respect permet la compréhension partagée, la construction de la signification souhaitée et laparticipation à un collectif. Tout semble se passer comme si écrire un verbe ou un nom d'une manière oud'une autre n'avait guère d'importance, comme si les phénomènes formels étaient mineurs au regard de lacommunication des contenus. Sans doute, certaines formes actuelles d'évaluation de l'écrit dans le quotidiende la classe peuvent-elles conforter certains élèves dans cette idée. Lorsque l'accent est mis sur laproduction de textes dans leur structure, leur genre, leur cohérence, l'orthographe grammaticale ou lexicaleest souvent laissée de côté, y compris sans doute parce que de ce point de vue les productions des élèvessont si mauvaises que nombre d'enseignants voient dans le relevé des erreurs une très grandestigmatisation des élèves et risque de leur ôter ainsi tout goût pour l'écriture.On peut faire l'hypothèse que la complexité des éléments à maîtriser apparaît si grande que nombreux sontles élèves qui renoncent, se sentant impuissants. La confrontation réitérée avec les différentes sourcesd'incompréhension peut être à l'origine d'un rapport aux tâches scolaires d'où le travail de compréhensiondes consignes, c'est-à-dire d'attention aux mots du texte, semble absent, mais l'hypothèse inverse peut êtreavancée : c'est l'école qui n'a pas mis plus tôt l'accent sur les mots, les indices pertinents, même quand ilssont fins, "petits", des "détails" justement sans importance pour les élèves.

Les analyses de la langue des élèves qui ont été faites par S. Branca et B. Lesort vont dans le même sens que les recherches précédentes, une très grande faiblesse des élèves dans lemaniement de la langue grammatisée, et elles interrogent de même le travail fait avec les élèves dans lecadre scolaire tant au niveau de la syntaxe que du lexique (un exemple de "cours" de vocabulaire est ici

analysé). Ils ont travaillé à l’articulation du CM2 et de la 6ème en menant en parallèle plusieurs approches.– Tout d’abord “ une expertise ” des productions langagières recueillies dans le cadre relativement

formel de l’entretien semi-directif : les entretiens en tête-à-tête, menés dans le cadre contraignant de l’écoleont paru propres à favoriser un discours relativement surveillé. Par ailleurs, les questions d’un adulte attentif,

9 On trouvera cette partie plus développée dans le n°130 (sept 2002) de VEI : É. Bautier et S. Branca Rosoff, "Pratiques linguistiquesdes élèves en échec scolaire et enseignement".

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bienveillant, relançant ses interlocuteurs avaient pour but de les encourager à s’expliquer, et donc àemployer les formes linguistiques complexes, requises par les activités d’explicitation et d’argumentation.

– Ensuite un examen d’un échantillon de copies de français recueillies en 6ème.– Enfin l’analyse d’enregistrements effectués en cours de français.Ces analyses de la langue permettent de distinguer les formes "ordinaires" de la langue populaire

orale, des formes très marginales. Du point de vue des activités langagières, elles poussent à éviter lessuperpositions globalisantes entre la pratique d’un français très familier et des comportements intellectuelsdéficitaires.

Du point de vue de la langue, on peut dire que tous les enfants – migrants, ou non – font usage d’unoral de base. Pour tous, on peut dire également que des zones importantes de l’écrit ne sont pas maîtrisées(orthographe, métalangage grammatical…) même si, là encore les performances sont variables, enparticulier, en ce qui concerne la quantité d’écriture mobilisable. Ainsi, aborder les activités langagières des élèves, oblige et conduit à se débarrasser de l’idée quel’absence de maîtrise de la variété cultivée du français signifie une incapacité à raisonner, à négocier larelation instaurée avec un adulte. Les entretiens montrent cette compétence chez de nombreux élèves.En revanche, les analyses mettent aussi en évidence les grandes difficultés des élèves dans lacompréhension du lexique "intellectuel" de l'école et des mots de la métalangue, donc des tâches àeffectuer, et plus largement de grandes faiblesses dans le lexique utilisé dans l'école. Mais, plutôt que demettre en avant des explications très globales qui corrèlent directement le code linguistique utilisé par lesélèves avec des attitudes intellectuelles, et qui pousse à des catégorisations dichotomiques (illettrés/ceuxqui savent), le travail s'est centré sur une observation précise des formes linguistiques en décalage avec lefrançais standard. À l’oral, nous distinguons trois cas :

- La variété linguistique utilisée est une variété populaire et risque d’entraîner des problèmes destigmatisation sociale. Notons cependant qu’à l’oral, nous n’avons pas observé de la part des enseignants

reprises ou sanctions ni au CM2, ni en 6ème. Ces formes ont tout au plus un impact indirect, parce qu’ellesprédisposent les élèves à les employer à l’écrit où elles sont sanctionnées, et qu’elles ne les habituent pas àla reconnaissance de la syntaxe normée qu’ils rencontrent dans les textes écrits.

- Pour une petite minorité, des formes produites qui n’appartiennent pas au français populaire(courant). Si elles sont dues à l’origine des élèves, l’apprentissage du français standard devrait sepoursuivre explicitement en indiquant à l’enfant qu’il a la chance d’être bilingue et qu’il est normal qu’unbilingue travaille certaines zones complexes de la langue. Or, tout se passe comme si ce bilinguisme étaitinvisible, jamais commenté avec l’élève.

- A l’oral, c’est sans doute la faiblesse des acquis en vocabulaire qui constitue le handicap majeur àla poursuite des apprentissages. Les formes d’enseignement actuellement développées par l’école font peuappel à la répétition, à la systématisation. Elles ne s’appuient sans doute pas assez sur l’écrit qui permetune assimilation grâce à la copie et à l’exercice.ConclusionCertes, l’institution scolaire ne peut traiter à elle seule le problème que les administrations judiciaire etscolaire commencent à désigner comme le problème des “ élèves en voie de déscolarisation ”. Mais il est desa responsabilité de réfléchir sur ce qui facilite un rapport à l’écrit qui conjoint nécessairement l’acquisitionde termes et l’attitude métalinguistique soucieuse de la précision du sens des mots. Avant de décider queles élèves ne veulent pas se contraindre à apprendre une "langue" (des formes et des mots, au moins) qui,pour eux, les conduirait à trahir leur identité de “jeunes”, ou de “beurs”, ne faut-il pas s’assurer qu’on leur adonné les moyens de se l’approprier ? Ne peut-on faire l’hypothèse que l’identité du quartier, ou de la cité,est d’autant plus revendiquée qu’on ne s’est pas donné les moyens de diffuser systématiquement la languescolaire ? Depuis plusieurs décennies, l’accent a été mis soit sur l’expression individuelle et sur laspontanéité (par opposition à une approche systématique de la langue grammatisée), soit sur lesdimensions macro-textuels au détriment du travail sur la phrase et sur le mot propre. Il n’est pas sûr que lesélèves des classes populaires pour qui l’école est le seul lieu d’accès au français standard s’y retrouvent.

La diversité de l’échantillon suivi empêche en tout cas de parler de façon générale “ d’élèves en voiede déscolarisation ”. Plusieurs cas émergent. Certains enfants ont des résultats scolaires très médiocres,mais leur alphabétisation est bien avancée et leur oral est “éloquent” ; d’autres, migrants récents, présententdes difficultés, liées à un apprentissage du français encore en cours. D’autres sont en perdition à l’écrit.Sans même nous occuper des différences dans le rapport psychologique à l’école que ces difficultéspeuvent induire10 on ne peut que mettre en garde contre l’effet produit par des désignations comme enfantsdécrocheurs, élèves en voie de déscolarisation, etc. qui regroupent des cas disparates en catégoriesadministratives homogénéisantes.

Enfin, dans une dernière partie, S.Bonnéry et B. Lesort décrivent les processus significatifs résumés ci-dessus au travers de portraits d'élèves retenus pour leur caractère "idéal-typique". 10 Certains élèves entretiennent un rapport démobilisé à l’enseignement ; ils sont découragés, disent qu’ils n’investissent aucune activitéscolaire. D’autres affirment que la situation résulte du mauvais encadrement des professeurs, d’autres encore mettent en avant avecrage ce qu’ils perçoivent comme le racisme de l’institution scolaire.

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ESCOL - Paris VIII / PRINTEMPS - UVSQ / SYLED -RES - Paris III Rapport de recherche pour laDPD / MEN

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Etude des processus de déscolarisation et évaluation de son ampleur dans lescollèges de trois ville du Mantois. Hugues LAGRANGE

Synthèse par H Lagrange/ S Cagliero/ FMaillochon

La question de la déscolarisation a émergé dans un contexte où l’idée directrice était de mener les jeunes leplus loin possible, notamment avec l’objectif que 80% d’une classe d’âge obtienne le Bac. Une telle propositionsuggère immédiatement le caractère souhaitable de la scolarisation de la totalité ou presque d’une classe d’âge et,fournissant une norme uniforme, elle pointe corollairement le lien entre déscolarisation et échec scolaire. Or, lasortie de la scolarité sans diplôme a tendu à se réduire au cours des 20 dernières années, à mesure que lascolarité s’allonge, non seulement en pourcentage mais en nombres absolus. C’est lorsque la scolarisation desmineurs de 18 ans tend à concerner en pratique l’intégralité de la classe d’âge que l’on s’interroge sur l’existenced’une marge qui à la fois sort de l’école sans diplôme et, parfois, avant l’âge légal. Une telle question surgitprécisément parce que le processus de scolarisation est parvenu à sa limite asymptotique.

Les taux de scolarisation des 10-16 ans ont augmenté de 22% en 1950 à 75% en 1975, 98% en 1995. Lessorties du système scolaire sans diplôme ont évolué à la baisse depuis le début des années 1980. S’il y avait unlien, ce qui paraît probable, entre les abandons avant la fin de la scolarité obligatoire et les sorties sans diplôme, ondevrait plutôt s’attendre à voir ces abandons diminuer.

La possibilité d’établir une corrélation entre échec scolaire et déscolarisation présuppose une définitionprécise de la déscolarisation et une mesure, ce qui n’est pas aujourd’hui acquis. En partant du cœur vers lespériphéries, on peut envisager les situations suivantes.

A- Jeunes d’âge scolaire qui n’ont jamais été inscrits dans un établissement scolaire ni au CNED à unmoment donné t.

B- Jeunes qui ont été scolarisés mais qui, au moment t, ne sont inscrits dans aucune structure de formation.

C- Jeunes qui sont inscrits dans un établissement scolaire ou au CNED, mais qui sont absents de manièrecontinue depuis plus d’un mois au moment t (ne remettent pas les devoirs au CNED), sans certificat médical pourle justifier.

D- Jeunes qui au cours des douze mois précédant le moment t ont connu un épisode d’absence continuede plus de un mois, sans certificat médical pour le justifier.

E- Jeunes qui, au cours du trimestre précédent le début de l’enquête ont eu un total de demi-journéesd’absence (hors celles qui sont couvertes par un certificat médical) supérieur ou égal à x 11.

La déscolarisation comme non inscription dans un établissement ou au CNED

S’agissant de la dimension de non inscription dans les établissements scolaires : le recensement de 1999fourni des éléments sur les taux de scolarisation par âge des jeunes résidant dans les communes choisies. Il enressort les distributions suivantes.

Taux de scolarisation et nombre de jeunes non scolarisés d’après le recensementAges Vernouillet % Non

scolarisésLes Mureaux % Non

scolarisésMantes % Non

scolarisés12 99,6 1 99,5 3 99,3 213 100,0 0 98,8 8 100,0 014 99,4 1 99,7 2 99,7 115 98,6 2 99,3 4 99,7 116 98,4 3 99,7 2 99,7 217 96,9 6 97,8 14 97,5 7

Entre 12 et 16 ans, les taux de scolarisation enregistrés par le recensement, qui ne peuvent prendre encompte que l’inscription, sont de 99,3% aux Mureaux, 99,2% à Vernouillet et de 99,6% à Mantes. Ce n’est quedans la classe des 17 ans que la non-inscription dans un établissement dépasse 2%. La déscolarisation commenon-inscription, de l’ordre de 0,5% en moyenne, est un phénomène très marginal.

La déscolarisation comme rupture plus ou moins durable avec l’école, de jeunes qui y sont inscritsLes calculs ci-dessous portent sur l’échantillon constitué par les 920 élèves de troisième des collèges

recensés. Cinquante neuf jeunes ont été sélectionnés, 46 d’entre eux ont 4 demi journées d’absences nonjustifiées ou plus au premier trimestre (groupe absentéistes) et 13 ont moins de 4 demi-journées non justifiées. Les

11 Le critère E sert de point d’articulation entre l’absentéisme et la déscolarisation.

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46 « absentéistes » (critère E) se répartissent entre 6 déscolarisés au sens des critères C ou D et 40« absentéistes » ayant plus de 4 demi-journées d’absences au premier trimestre mais non déscolarisés (E et pas(C ou D)). Par nature il ne peut y avoir ni d’absentéistes ni de déscolarisés dans le «groupe de contrôle», et commele groupe des absentéistes pressentis, interviewés ou non, se voulait exhaustif, on peut estimer que le nombre dejeunes inscrits dans ces établissements qui sont déscolarisés au sens strict est de l’ordre de 5 pour mille (0,5%), laproportion d’absentéistes au sens du critère académique étant de 12% (4 demi journées d’absences non justifiéesou plus par mois). Au total, dans ces communes, la proportion des jeunes déscolarisés est de l’ordre de 1 %d’après nous.

Six collèges ont été l’objet de l’enquête dans trois villes présentant des situations socialesdifférentes des Yvelines : Mantes, les Mureaux, Vernouillet

I.1 Mantes

I.1.1 Les niveaux d’absentéisme varient beaucoup selon les collèges

Les quartiers de Mantes la Ville dont viennent les collégiens des Plaisances sont caractérisés par des tauxélevés de famille monoparentales (12% aux Brouets et 16% aux Merisiers-Plaisances –enquête sur l'occupationdu parc social 1998- c’est à dire plus qu’au Val Fourré et que dans les cités des Mureaux). En 2000-01, le tauxd’absentéisme en troisième, selon la formule retenue, était de 3,5%.

Plaisances : absentéisme des élèves de troisième au cours du premier trimestre 2000-01Proportions des élèves Interviewés

<4 demi-journées 68,1% 44-9 demi-journées 20,7%10-19 demi-journées 6,8%

4

20 et plus 4,4% 3Nombre d’élèves de 3ème (161)

Aux Plaisances, les jeunes non absentéistes –appartenant au groupe de contrôle - sont aussi de façongénérale des jeunes qui réussissent bien au collège. Ils sont plus souvent entourés de frères et sœurs aînés quiont fait un bon parcours dans l’enseignement secondaire ou, c’est plus rare, qui ont accédé à l’enseignementsupérieur. Mais le statut social de leurs parents n’est généralement pas plus élevé que celui des absentéistes. Ilstémoignent des conduites de la grande majorité des élèves.

I.1.2 La Vaucouleurs

Le collège de La Vaucouleurs, créé en 1975, recrute ses élèves dans divers quartiers de la ville et dans lesbourgades voisines. En 2000-01, le taux d’absentéisme est de 3,8%, six élèves ont eu 20 demi-journéesd’absence ou plus, quinze de 10 à 19 demi-journées d’absence au premier trimestre.

La Vaucouleurs : absentéisme des élèves de troisième au premier trimestre 2000-01Proportions des élèves Interviewés

<4 demi-journées 63,2%4-9 demi-journées 15,0%10-19 demi-journées 8,4%

2

220 et plus 3,4% 4 Nombre d’élèves de 3ème (178)

I.2 Les Mureaux

Deux des trois collèges des Mureaux où nous avons fait des entretiens, Jules Verne et Jean Vilar,présentent des similitudes de recrutement. Toutefois, les évolutions récentes de ces collèges diffèrent : J. Verne adéfrayé la chronique sociale des années 1990 et J. Vilar semblait nettement en retrait, ce qui paraît moins vrai autournant du siècle. Quant à Paul Verlaine, il est peut être moins abrité des difficultés que sa position géographique,près du centre ancien, et son recrutement, plus aisé, ne pourraient le laisser penser.

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I.2.1 Jean Vilar

Jean Vilar recrute pour partie des élèves qui habitent Grand Ouest, une zone de grands ensembles un peuplus «chics», des élèves qui habitent la Vigne-Blanche ou les Musiciens pour l’autre part. Il semble qu’il y ait eudepuis 1998 un brassage des recrutements entre J. Verne et J. Vilar, ce qui a reporté sur cet établissement uncertain nombre d’adolescents en difficulté plus souvent scolarisés à J. Verne auparavant. En 2000-01, le tauxd’absentéisme est de 6,5%, huit élèves ont eu 20 demi-journées d’absences ou plus et vingt de 10 à 19 demi-journées. Nous avons fait sept entretiens avec des collégiens dont trois non ou peu absentéistes et trois entretiensavec le CPE et des surveillants à propos d’élèves récemment déscolarisés

Jean Vilar : absentéisme des élèves de troisième au premier trimestre 2000-01Proportions des élèves Interviewés

<4 demi-journées 48,0%4-9 demi-journées 30,1%10-19 demi-journées 15,6%

3 1

20 et plus 6,3% 6Nombre d’élèves de 3ème (128)

Si l’absentéisme chronique et la déscolarisation sont étroitement corrélés à une conduite délinquante graveet persistante, ils sont également associés à des perturbations familiales et des souffrances. Des élèves detroisième de Jean Vilar qui sont des «mineurs en danger» sont des absentéistes lourds sans être déscolarisés ausens restreint adopté (catégorie C ou D). Pour eux, les difficultés familiales peuvent être considérées comme lasource majeure des dérapages scolaires.

I.2.2 Jules Verne

Le taux d’absentéisme est de 6,7% : tout à fait analogue à celui de J Vilar et sensiblement plus élevé quedans les collèges de Mantes.

Jules Verne : absentéisme des élèves de troisième au premier trimestre 2000-01Proportions des élèves Interviewés

<4 demi-journées 32,4%4-9 demi-journées 48,9%10-19 demi-journées 14,7%

2 3

20 et plus 4,0% 4Nombre d’élèves de 3ème (150)

Un peu comme aux Plaisances, nous retrouvons au collège Jules Verne une série de situationsd’absentéisme chronique qui sont associées à des déstructurations ou des conflits familiaux.

Nous avions mené en 1998-99 une série d’entretiens analogues sur l’absentéisme avec les élèves de J.Verne : alors nous avions été confrontés à plus de délinquants actifs et moins de situation de mineurs en dangerou de situations familiales qui, si elles n’ont pas été traitées comme telles par les services éducatifs judiciaires ouceux de la DASS, auraient pu l’être et peut-être dû l’être. Aux Mureaux, c’est à J. Vilar que les conduitesdélinquantes sont les plus nombreuses en 2000-01. Là aussi, il y a un étonnant parallélisme avec les évolutionsobservées dans les deux collèges de Mantes. Tout se passe comme s’il y avait des cycles : des moments où lesdifficultés se manifestent par des implosions et d’autres où s’affirment une dimension conflictuelle ou plusactivement délinquante. La clef de ces oscillations est difficile à trouver, il reste que les dynamiques locales desréseaux délinquants, leurs cycles d’action ont certainement un rôle important.

I.2.3 Paul Verlaine

Le taux d’absentéisme est de 4,7%. Les situations d’absentéisme avec 10 demi-journées ou plus sontmoins fréquentes à Paul Verlaine qu’à Jules Verne et Jean Vilar, toutefois les situations familiales conflictuelles ouprécaires que vivent une fraction des élèves ont des répercussions sur la vie scolaire.

Paul Verlaine : absentéisme des élèves de troisième au premier trimestre 2000-01Proportions des élèves Interviewés

<4 demi-journées 60,1%

4-9 demi-journées 26,7%

10-19 demi-journées 10,1%

2

2

20 et plus 3,1% 2

Nombre d’élèves de 3ème (189)

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A la différence des établissements comme J. Vilar ou J. Verne, P. Verlaine recrute beaucoup de ses élèvesparmi les familles franco-françaises qui habitent au centre ville des Mureaux. On a là des situations de délinquanceoccasionnelle, qui ont peu de probabilité de se transformer en carrière délinquante et qui, c’est peut-êtresymptomatique, sont rarement associées à de l’absentéisme chronique.

I.3 Emile Zola à Vernouillet

En ce qui concerne Emile Zola à Vernouillet, notre enquête a été plus superficielle car le fait est qu’il n’y a nidynamique délinquante, ni problèmes d’absentéisme lourd, ni de déscolarisation. Le taux d’absentéisme est le plusfaible que nous ayons enregistré : 2,8%. Nous avons pressenti 5 élèves et nous avons réalisé quatre entretiens enface à face.

Emile Zola : absentéisme des élèves de troisième au premier trimestre 2000-01Proportions des élèves Interviewés

<4 demi-journées 61,9%

4-9 demi-journées 31,3%

10-19 demi-journées 6,1%

2 1

20 et plus 1,7% 2

Nombre d’élèves de 3ème (115)

Il n’y a pas d’autonomie du phénomène de déscolarisation, au demeurant on va le voir extrêmement limité,par rapport à des dynamiques sociales et familiales.

L’absentéisme et la déscolarisation des jeunes des quartiers pauvres traduisent, semble-t-il, une ruptureprofonde avec l’école. A quoi cette rupture tient-elle ? Avant de s’interroger sur les raisons possibles de cesphénomènes, il paraît judicieux de commencer par mettre à jour les conduites associées à l’absentéisme et quiinterviennent dans la même chronologie. Les absentéistes sont-ils décrochés sur le plan de la scolarité ? Sont-ilsengagés dans des activités ou des préoccupations extrascolaires, ont-ils une vie personnelle ailleurs ? Quellessont les choses qui les mobilisent et les attirent ? Les entretiens révèlent qu’une vie affective et sexuelledéveloppée –cela concerne surtout les filles- constitue un puissant attracteur hors de la sphère scolaire. Pour lesgarçons, il y a moins d’enjeux affectifs vers 15 ans mais d’autres envies : jouer au foot sur des terrains de fortune,traîner dans la cité et faire du bizness, sortir dans des espaces anonymes et de ce fait participer parfois par desbagarres. Pour les deux sexes, faire des virées en ville pour faire du lèche vitrines ou se montrer.

L’absentéisme et la déscolarisation se trouvent en quelque sorte pris dans la gangue d’autres conduites desadolescents. Ils participent d’un comportement qui chevauche les exigences scolaires et extrascolaires, le licite etl’illicite. Les mauvais résultats scolaires, l’implication dans des activités sportives, l’errance dans la cité ne sont pasdes causes au sens de forces extérieures qui pousseraient un élève hors de l’école. Ce sont plutôt, suivant uneanalogie spatiale, des situations qui accompagnent des ruptures ou des décentrements, à travers lesquels lescollégiens déplacent leurs préoccupations hors de l’école. Il s’agit donc de saisir globalement les conduitesscolaires et extrascolaires, licites ou illicites à l’adolescence. L’absentéisme des interviewés est toujours inscritdans le contexte que constituent la trajectoire scolaire, bonne ou moins bonne, des frères et sœurs, etl’appartenance à une famille aidante ou au contraire déstabilisatrice. En effet, à la lecture des entretiens, il nous aparu qu’il y avait un lien très direct entre l’absentéisme chronique ou la déscolarisation et les altérations de la viefamiliale des collégiens. Pour les degrés ordinaires d’absentéisme, il en va autrement.

I.4 Absentéisme et délinquance : une dérive masculine liée aux appariements sélectifs

L’ensemble des situations de déscolarisation des Plaisances paraît surdéterminé par les altérationsfamiliales, il y a des souffrances et des malheurs intimes qui rejaillissent sur les trajectoires scolaires, un besoin dese reconstruire affectivement qui, chez les filles et les garçons qui ont souffert de ces brisures familiales, appellentune vie hors du collège plus consistante. Les situations familiales sont peut-être dans l’ensemble moinsproblématiques chez les absentéistes de la Vaucouleurs que parmi ceux des Plaisances, toutefois elles jouentaussi un rôle différentiateur des trajectoires scolaires.

A la différence des Plaisances où le poids des dissociations familiales et des situations de mineur en dangerdominent parmi les absentéistes, La Vaucouleurs témoigne d’une dynamique absentéiste et délinquante, portéepar les garçons, qui ne semble pas aussi directement induite par les tensions familiales. En outre, comparant avecles interviews des absentéistes que nous avons faites en 1998-99 dans ce collège, il semble que l’interaction

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absentéisme délinquance se soit renforcée en 2001 : nous avons rencontré moins de situations «d’absentéismemal-être» à La Vaucouleurs qu’aux Plaisances. Non que la dimension pathogène de la famille n’existe pas, maisl’absentéisme traduit là d’abord la conjonction d’une trajectoire personnelle avec des dérives propres aux cerclesde garçons vivant en cité.

L’implication dans des conduites illicites ou au contraire l’adhésion aux normes scolaires peut être interprétéen fonction du climat instauré par le comportement des pairs. S’il est clair que l’influence des pairs ne peut être vuecomme une cause externe pesant sur les conduites des collégiens –chacun participe à la sélection de cetentourage de copains- il reste que le réseau que l’on a formé au cours de l’enfance –en primaire- devient par saprésence durable, par son histoire, une micro société qui informe les conduites des adolescents. Cela estspécifique aux garçons des quartiers d’habitat social où le réseau est moins choisi que donné par le milieu de lacité.

sur la base des observations faites dans les collèges, les liens entre échec scolaire et absentéisme. Ils sedéclinent à plusieurs niveaux : celui du type de classe et celui des performances individuelles. Le lien entremauvaise filière scolaire et absentéisme n’est pas nouveau si l’on en croît les rapports des inspecteurs d’académie(Cf. Rapports IGEN , Paris, Hachette, 1999). Encore faudrait-il, pour assurer cette proposition, disposer d’étudeshomogènes dans le temps, or sur ce point, on l’a vu, rien n’est très sûr, la mesure de l’absentéisme est loin d’avoirfait l’objet de protocoles standards et cohérents.

L’ensemble des situations d’absentéisme et d’échec scolaire sont à l’évidence en interaction les unes avecles autres. L’absentéisme ou l’existence d’épisodes de déscolarisation est associé à diverses formes de contreperformance et de dévalorisation. La difficulté, on l’a dit, c’est que l’absentéisme et la déscolarisation, ne seprésentent pas comme des conduites en relief mais en creux –manque, échappement- qu’il faut reconstruire àpartir des sources d’intérêt, d’activités.

Selon une première perspective –individuelle en quelque sorte- l’absentéisme et la déscolarisation peuventêtre conçues comme conséquences d’un processus d’abandon de ceux qui se sentent en échec. Le sens de ceprocessus sera une forme d’exclusion progressive, ouvertement reconnue ou parfois niée. Pour apprécier ce rôlede l’échec scolaire dans la dynamique de l’absentéisme et de la déscolarisation nous aurions voulu distinguer, enpartant de la situation et des attentes des jeunes, deux dimensions : celle de l’aspiration scolaire - élevée ou faible-et celle de la réussite. Mais pour une part, l’aspiration scolaire est ajustée par les élèves sur leur réussite passée.Ceux qui ne réussissent pas révisent en baisse leurs aspirations de sorte qu’on observe assez rarement dessituations où se conjuguent des aspirations élevées et des échecs. Il y a un discours de justification qui est enmême temps un élément d’ajustement ou d’accommodation. Sans s’interdire d’analyser ce conflit entre lesaspirations subjectives des collégiens et leurs résultats, nous nous en sommes tenus dans les tableaux à noter lasituation observable des élèves.

I.5 Le type de «classes» suivies

On a divisé la population des troisièmes en trois groupes : les meilleures classes - allemand 1ère langue etoptions latin ou grec, les classes de niveau intermédiaire - anglais-espagnol, et les classes d’insertion - 3ème àoptions techniques et classes de préparation à l’apprentissage.

Dans les deux collèges de Mantes, les absentéistes chroniques sont rarement scolarisés dans les classesexigeantes –allemand 1ère langue ou latin- ils sont dans les classes ordinaires – anglais/espagnol et plus encoredans les troisièmes à orientation technique et les classes de préparation à l’apprentissage (CPA).

Dans deux des trois collèges des Mureaux -Paul Verlaine et Jean Vilar- on a aussi pu distinguer entre lesclasses de latinistes ou allemand première langue et les classes ordinaires anglais/espagnol, enfin les classes àoptions et les classes d’insertion où se trouvent les élèves les plus faibles dans les matières classiques. En ce quiconcerne Jules Verne, il n’y a pas de latinistes et les germanistes ne sont pas systématiquement regroupés desorte que nous n’avons pas de distinction entre les classes sur ce critère dans ce collège.

Bien que les taux d’absences dans les classes d’insertion soient en général plus élevés (surtout rapportés àdes temps scolaires plus courts en raison de l’alternance), nous avons, semble-t-il, un déficit d’interviews avec lesélèves de ces classes. Les situations des élèves de CPA ont sans doute été décrites moins précisément parce queles situations d’absentéisme chronique y sont moins remarquables ou moins biens prises en compte en raison del’alternance. Il ressort du croisement de l’absentéisme et du type de classe auxquels appartiennent les élèves que,dans l’ensemble, les élèves qui suivent une scolarité exigeante sont moins souvent absents que ceux qui suiventune scolarité ordinaire, eux-mêmes moins absents que les élèves en insertion. L’écart entre les meilleures classeset les classes d’insertion est significatif : on passe de 2,3 % à 7,2 % d’absentéistes chroniques.

Absentéisme et classe suivie par les élèves de 3ème à Mantes, aux Mureaux et à Vernouillet

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Type de classe

Absentéisme

Elèves des classesde germanistes ou delatinistes

Elèves des classesanglais/espagnol

Elèves des classesd’insertion ou àoptions techniques

< de 4 demi-journées non justifiées 66,3 55,9 44,64-9 demi-journées non justifiées 26,1 29,1 35,210-19 demi-journées non justifiées 5,3 11,8 13,020 demi-journées ou plus 2,3 3,2 7,2Base (261) (467) (193)

Chi2 significatif à 0,0001

Le tableau ci-dessus ne montre pas seulement qu’existe un lien, c’est classique, entre l’absentéisme etl’échec scolaire, il met en évidence une graduation précise entre les taux d’absentéisme et le type de classe suiviau sein des collèges. Dans les collèges du Mantois, les classes anglais/espagnol se distinguent notamment desclasses avec latin ou allemand 1ère langue par le pourcentage d’élèves moyennement absentéistes (11,8% ayantentre 10 et 19 demi-journées non justifiées contre 5,4%), tandis que les classes d’insertion diffèrent plutôt desclasses ordinaires anglais/espagnol par le pourcentage des absentéistes chroniques (7,2% ayant 20 demi-journées ou plus contre 3,2%). Ceux qui sont en voie de déscolarisation se rencontrent dans des proportionsnettement plus fréquentes parmi les filières de relégation du collège unique. Il reste qu’en nombres absolus 15absentéistes chroniques viennent de classes ordinaires et 14 des classes d’insertion.

On peut préciser les rôles des entourages sociables et celui des performances individuelles au sein del’échantillon beaucoup plus restreint des élèves avec lesquels nous avons eu des entretiens approfondis. Il y a desdifférences interpersonnelles significatives où s’affirme à nouveau la corrélation performances scolaires et faibleabsentéisme.

Absentéisme et performances scolaires des interviewés et pressentis Situation des interviewés et pressentis

Réussite scolaire

Peu d’absentéisme ou absentéismemoyen

(moins de 20 demi-journées d’absence)

Absentéisme lourd ou chronique

(20 demi-journées d’absences ou plus)Bonne 7 0Moyenne 11 3Echec ou faible 15 20Total 33 23

Les contre-performances scolaires, qui se manifestent sur le plan individuel comme celles dont témoigne letype de classe de manière agrégée, ne sont pas les simples corrélats de l’absentéisme, ils en sont les ressorts, lesingrédients nécessaires. Pourquoi certains élèves sont-ils absents ? Parce qu’ils ont de mauvaises notes etappartiennent à de mauvaises sections. En d’autres mots, parce qu’ils trouvent peu de gratifications venant de cequi fait le cœur de la machine scolaire : la distribution d’évaluations, les classements. Réponse simple mais quiprend un sens assez différent dans le collège de masse de ce qu’elle était avant la création du collège unique, àune époque où il y avait des voies hors du collège.

I.6 Réseaux sociables et familiaux et réussite scolaire

Si les contre-performances scolaires et l’appartenance à de mauvaises classes sont des facteursd’absentéisme, la nature de l’entourage sociable a aussi des effets sur l’absentéisme des élèves.

Pour le voir, nous allons maintenant intégrer la sociabilité familiale des adolescents et singulièrementl’expérience scolaire de leur fratrie. A priori, les groupes de pairs selon qu’ils sont des vecteurs d’activités centréessur le collège ou sur le «hors collège» peuvent renforcer la réussite scolaire de leurs membres ou au contraire êtredes facteurs de contre performances. Ils ne peuvent jouer un rôle positif, d’encouragement scolaire, que s’ils sontse caractérisent par un bon niveau scolaire. Quand ce bagage fait défaut, les affinités qui régissent la sociabilitéhors famille sont plutôt de nature à fournir un milieu d’euphémisation des échecs scolaires : les jeunes quis’associent dans des cliques vivent de manière moins dévalorisante que ceux qui sont plus individualistes leurmanque de réussite à l’école. Nous allons voir que les réseaux sociables stables, c’est à dire les plus porteursd’influences, sont soit des réseaux familiaux qui peuvent être bien ou mal dotés en capital culturel, soit des réseauxamicaux de médiocre niveau scolaire. L’entre-soi d’adolescents du même age est alors rarement le lieu où l’ons’encourage à réussir à l’école.

Comme nous le savons, les réseaux de sociabilité, hors famille des élèves sont très homogènes par l’âge :c’est à dire qu’il y a bien peu de copains et de copines ayant plus d’un an d’écart avec la moyenne des membresdu réseau. Les éléments d’hétérogénéité dans les réseaux sociables des collégiens sont liés aux frères, sœurs et

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cousins. Ce sont eux, nous l’avons montré dans une précédente étude12, qui sont les vecteurs d’une expérience dumonde plus large, eux qui rendent palpables les risques du chômage, fournissent des savoir-faire délinquants oudes encouragements et aides scolaires et parfois toutes ces choses simultanément.

Suivant l’hypothèse que la réussite scolaire des jeunes dépend du rapport aux valeurs de l’école de leurfratrie et de leurs parents, on a mis en relation le degré d’absentéisme des collégiens avec les situations desmembres de leur famille à l’égard de l’école. Les jeunes sont pris dans un réseau d’attractions et de répulsions quitient, au-delà des ressources et des handicaps personnels, à leur entourage. Le système d’attracteurs quis’adresse à chaque collégien se matérialise notamment par les sollicitations et les gratifications qui sont véhiculéespar sa famille, en particulier sa fratrie. Faute de connaître véritablement les aspirations scolaires des familles, ilnous a semblé que l’on pouvait interpréter la trajectoire scolaire de la fratrie - réussite des autres frères et sœurs- etle statut socioculturel des parents comme un attracteur vers l’école. Ceux-ci pourraient influer à la fois sur lamotivation et sur la réussite des collégiens interviewés. Cette dimension familiale exprime aussi les ressourcesdisponibles et/ou mises en œuvre par les membres de la famille pour favoriser la réussite scolaire des plus jeunes.Ce dernier aspect est d’autant plus important que nous avons affaire avec des familles larges (cf. Lagrange et col.,ibidem, 2000). La motivation ou l’encouragement qui vient des aînés ne se manifeste pas, en général, sous laforme d’exigences que leur rôle leur permet difficilement d’avoir à l’égard d’un cadet mais sous la double forme del’exemple qu’ils donnent et du soutient qu’ils prodiguent.

La classification des réseaux familiaux des élèves en termes de ressources culturelles permet d’apprécier lelien entre l’absentéisme des jeunes interviewés et le type d’environnement culturel qui est le leur soit, du fait deliens électifs avec d’autres jeunes hors du collège, soit du fait de l’avancement scolaire de leurs frères et sœurs oude la situation professionnelle de leurs parents. On a construit deux catégories du point de vue des ressourcesculturelles :

- les réseaux familiaux en déficit - où les frères et sœurs sont en échec ou dépourvus de qualification, lesparents peu aidant ou en difficulté - ont été rassemblés avec les réseaux faibles - dans lesquels les copainscollégiens sont dans les mêmes types de classe qu’ego, où les frères et sœurs sont plus jeunes et les parents nondiplômés,

- les réseaux possédant un bon bagage culturel sont ceux où la réussite relative des frères et sœurs, plusrarement à l’évolution de la situation professionnelle des parents ou une recomposition familiale favorables ontélevé le niveau des ressources.

Absentéisme dans le réseau hors famille et absentéisme des interviewés

Associée au développement des potentialités individuelles, la valorisation de l’éducation s’accordeaujourd’hui avec le désir des familles de toutes origines de transmettre un bagage culturel13. De ce fait, famille etécole ont la plupart du temps partie liée tandis que les groupes de pairs, on le verra, sont en tension avec l’école.Pour éclairer cet aspect, on va prendre encore ici deux perspectives sur l’absentéisme des collégiens et la naturede leurs réseaux de sociabilité, on ne s’intéresse pas à leur situation familiale mais à leur entourage de copains etd’amis. On envisage d’abord le lien entre absentéisme individuel et absentéisme dans le réseau sociable horssociabilité familiale, ensuite les liens entre l’absentéisme et l’ancienneté de cette sociabilité amicale.

Une explication de l’absentéisme des collégiens est proposée par la prise en compte de l’absentéisme dansleur propre réseau de sociabilité hors famille, c’est à dire formé de jeunes eux-mêmes scolarisés en principe dontnous connaissons le nombre des absences au cours du premier trimestre 2000-01. Nous utilisons ici le critère de10 demi-journées d’absences cumulées ou plus, ce qui déborde la sphère de ce que nous avons appelél’absentéisme chronique.

Absentéisme et absentéisme dans le réseau sociable hors famille des interviewés Réseau

Situation de l’interviewé

Un quart ou moins duréseau est absentéiste

Entre un quart et lamoitié du réseau

absentéiste

Plus de la moitié duréseau est absentéiste

Absentéisme élevé (10demi-journéesd’absences ou plus) 6 12 11

Peu d’absentéisme ouabsentéisme moyen(Moins de 10 demi-journées d’absences)

12 3 0

12 Cf. H. Lagrange De l’affrontement à l’esquive : violences délinquances et usages de drogues, Paris, Syros, 2001, ch.6.13 C’est au sein des couches cultivées de statut intermédiaire que se développent les valeurs existentialistes accordantde l’importance aux relations interpersonnelles. Les valeurs de la «vie bonne» sont portées par les gens qui se trouventau milieu de l’échelle, à égale distance des frustrations des laissés pour compte et de l’utilitarisme de ceux qui, en hautde l’échelle, s’épuisent dans les voies de la réussite mondaine.

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Effectifs 18 15 11Quelques réseaux trop petits ont été écartés

Processus classique de sélection mutuelle ou d’appariements sélectifs. Qu’est-ce qui a commencé ? Lesjeunes qui glissent vers l’absentéisme choisissent comme copains des absentéistes et sont à leur tour cooptés defaçon plus probable par des absentéistes. La similitude domine ici la complémentarité. Ce qui est frappant, c’estpeut-être le caractère asymétrique de la polarisation des réseaux : 80 % des réseaux des jeunes peu absentéistesle sont peu, en revanche les réseaux des jeunes qui sont absentéistes présentent des degrés d’absentéisme plusvariés.

Pour essayer de mieux comprendre les liens entre les formes de sociabilité des absentéistes et leurconduite nous allons prendre en compte les durées d’interconnaissance entre ego et ses copains -toujours horsdes relations familiales par nature anciennes et durables. Nous avons distingué les relations qui ont moins de troisans d’ancienneté de celle qui ont duré trois ans ou plus.

Absentéisme de interviewés et ancienneté de leurs copains Situation des interviewés

Ancienneté des liens hors relationsfamiliales

Peu absentéiste ouabsentéisme moyen(moins de 10 demi-journées d’absence)

Absentéisme élevé (10demi-journées

d’absences ou plus)

Réseau renouvelé (60% ou plus desmembres connaissent l’interviewé depuismoins de 3 ans)

10 6

Réseaux sociables anciens (plus de 40%des membres ont au moins 3 ansd’interconnaissance avec Ego)

9 19

Effectifs 19 25

La bonne moitié des réseaux des jeunes peu absentéistes sont des réseaux récents ou renouvelés, c’est àdire où les relations ayant moins de 3 ans représentent 60% ou plus des relations. En revanche, parmi les jeunestrès absentéistes, la proportion de réseaux récents (60% ou plus de relations ayant moins de trois ans) tombe à25% : les trois quarts des réseaux étant des réseaux «anciens».

Qu’est-ce que cela signifie ? Les réseaux récents sont aussi nous l’avons vérifié des réseaux plus centréssur le collège que les réseaux anciens. L’interprétation qu’on peut donner de la dynamique de renouvellement desréseaux est la suivante : chez les jeunes qui attachent le plus d’importance à la vie scolaire, la formation et lerenouvellement des liens d’amitiés ou plus souvent de camaraderie s’opère en suivant les fluctuations même quisont imprimées par la vie scolaire, les changements de classe. L’institution impose les cadres contingents auxquelsse subordonnent les affinités : la trajectoire scolaire surplombe en quelque sorte le copinage. Le groupe de pairssemble une réalité plastique dont la composition dépend des impératifs de la trajectoire scolaire du sujet.

A l’inverse, chez les absentéistes, le réseau de sociabilité est déterminant, c’est une niche, un milieuamniotique et non la résultante toujours changeante des liaisons et déliaisons produites par la composition desclasses et les aléas des changements d’établissements. D’ailleurs il faut remarquer que les jeunes absentéistes quiont un réseau sociable récent sont des filles. Or on sait que la sociabilité des filles se renouvelle au moment del’adolescence –vers 14-15 ans, plus que celle des garçons. Les amitiés des filles se recomposent vers la fin desannées du collège, les amies du primaire sont rares dans les réseaux des filles qui terminent le collège et deslycéennes. Les réseaux de sociabilité des filles portent plus nettement la trace de leurs nouvelles orientations :devenir une femme crée des attentes et des centres d’intérêts en solution de continuité avec ceux de l’enfance.Celles-ci vont fréquenter les garçons les plus mûrs du collège ou souvent des lycéens et des apprentis, donc desjeunes qui ont une expérience de la vie en dehors du collège. Certes, beaucoup de filles mettent de côté pour untemps ces exigences nouvelles, d’autres les ressentent de façon moins impérieuse et seront moins mal à l’aisedans le cadre du collège, mais la pression au renouvellement est forte. Cette opposition entre réseaux anciens etréseaux récents a une signification importante tant en ce qui concerne l’absentéisme que d’autres conduites etactivités délictueuses. Pour les garçons des cités, la sociabilité locale est institutrice. Le milieu de vie où le collègeest plongé n’est pas régi par des valeurs scolaires, c’est un milieu local défini par des échanges en face à face. Lecollège situé au cœur de la cité n’est pas seulement un cadre spatial qui sert de support à l’activité d’apprentissageet dans lequel les jeunes ne font que passer. Ce n’est pas non plus une communauté rassemblée autour d’unprojet éducatif comme c’est parfois le cas dans les pays anglo-saxons. C’est un milieu au sens que G. Friedmanndonne à la notion de milieu technique14. Ce milieu social soutient une écologie des conduites : la redondance desliens dans le réseau des copains qui ont vécu dans le même endroit, souvent depuis l’école primaire, leur donneune épaisseur affective. Les garçons de ces collèges ont souvent une histoire commune, ils ont fait des «bêtisesensemble», ont connu des exaltations collectives. Sans voir cela on ne comprend pas ce nouveau patriotisme de

14 Dans Où va le travail humain ? Paris, Gallimard, 1967

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clocher qui a pour base l’immobilité même des familles pauvres qui habitent ces cités et de leurs rejetonsmasculins.

La vocation d’entrepreneurs en «herbe», dans les deux sens de la locution, tire sans doute quelquesgarçons hors du collège, mais plus sûrement, l’enracinement local réduit la curiosité d’esprit, le goût d’apprendre et,«scotchant» les collégiens à leurs copains d’enfance, les prive de cette ouverture aux autres quel’accomplissement des exigences scolaires permettrait.

*

En somme, l’absentéisme chronique est étroitement associé à un déficit de ressources culturelles dansl’entourage des élèves : des copains en CPA ou en SEGPA, des frères et sœurs sortis du système scolaire sansdiplôme ou dans une situation professionnelle précaire, des parents qui n’ont connu aucune évolutionprofessionnelle ou sont au chômage, telles sont les situations qui dominent dans la sociabilité de ces élèves enabsence chronique. Ce lien est fort, toutefois il existe des cas qui contredisent la tendance générale. Il estintéressant de regarder ces cas de divergence où l’interviewé est absentéiste malgré un entourage plutôtfavorable. Dans trois cas qui correspondent à cette situation, on constate que le réseau des pairs est peuabsentéiste lui-même. L’interviewé se trouve si l’on peut dire isolé dans une situation de démotivation et dedifficulté. D’après ce que nous avons su, certaines se sont résorbées au cours de l’année scolaire, mais dans uncas, il y a clairement un problème d’orientation qui n’a pas été surmonté (William B). Parmi les divergencesrelatives on trouve aussi un absentéisme scolaire tendant vers la déscolarisation associée à des environnementssociables et familiaux comportant des faiblesses mais pas de véritables déficits. Ce sont souvent des filles quis’inscrivent dans un temps distendu, traversé d’aspirations qui ne parviennent pas à percer, de momentsd’abattements et de conduites compulsives, des adolescentes qui rêvent leur vie et vivent dans leurs rêves. Dansces cas là l’environnement simplement neutre ne parvient pas à inverser la tendance définie par les tropismes desadolescentes.

Distribution des interviewés suivant les ressources culturelles dans leurs réseaux et leur degré d’absentéisme Ressources culturelles et scolaires familiales ou amicales

Situation des interviewés

En déficit ou faibles Moyennes ou bonnes

Peu d’absentéiste ouabsentéisme moyen(Moins de 10 demi-journées d’absences)

2 14

Absentéisme élevé (10demi-journéesd’absences ou plus)

21 11

Total 23 25

I.7 Absentéisme et délinquance

On a procédé à des analyses sur l’échantillon constitué par les réseaux de sociabilité scolaire desinterviewés (N= 441). Eu égard à la délinquance, trois types de conduites ont été distingués : les comportementsnon délinquants ou impliquant seulement des fraudes ou un vol banal qui ne s’est pas répété (1), les conduites dedélinquance expressive - rodéos, conduites sans permis, bagarres, outrages à agents (2), enfin les conduites dedélinquance prédatrice ou instrumentale - recels, vols avec violences, violences sexuelles (3). Bien qu’il eut étésouhaitable de traiter l’absentéisme en quatre classes –moins de 4 demi-journées, 4 à 9, 10 à 19 et 20 et plus,nous avons dû faire des regroupements plus sommaires dans les tableaux croisés pour éviter d’avoir des cases àeffectifs théoriques trop faibles.

Absentéisme et délinquance parmi les interviewés et leurs copains (hors famille) Délinquance

Absentéisme au 1er trim. 2000-01

Pas de délits oufraudes

(1)

Délinquanceexpressive

(2)

Délinquanceprédatrice etinstrumentale

(3)Moins de 10 demi-journées 85,3% 89,1% 41,0%Dix à dix-neuf demi-journées 9,0% 4,4% 37,4%Vingt demi-journées ou plus 5,7% 6,5% 21,6%Effectifs (245) (62) (63)

Chi2 significatif à 0,001, l’effectif total est inférieur à 441 en raison des informations manquantes sur l’une ou l’autre variable.

On savait que l’absentéisme est en lien étroit avec la délinquance, ce qu’apporte ce tableau c’est uneprécision sur le type de délinquance. La délinquance expressive ne recrute pas ses acteurs parmi les absentéistes

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chroniques, en revanche c’est le cas de la délinquance prédatrice. La délinquance acquisitive a partie liée avecl’absentéisme chronique mais vraisemblablement autant parce qu’elle nourrit cet absentéisme que parce qu’elle enrésulte. On a fait la liste de la vingtaine de jeunes qui sont impliqués dans de la délinquance prédatrice et sont peuabsentéistes : on y trouve notamment des jeunes d’origine Turc dont l’installation est très récente, des délinquantsen voie de réinsertion comme Dimitri A, et un petit contingent d’auteurs de cambriolages discrets et méthodiques.De l’autre côté nous nous sommes intéressés à ceux qui sont très absentéistes et très sages : ce sont enproportions égales des filles et des garçons qui ont tous des difficultés à suivre et qui ne trouvent pas dans lecollège une scolarisation adéquate.

Aussi, faut-il penser que les situations d’absentéisme chronique ne sont pas des préalables à l’engagementdans de la délinquance prédatrice alors qu’elles en sont souvent les conséquences : il y a peu de jeunes impliquésdans de la délinquance acquisitive grave qui ne se détachent de l’école.

De cette situation de production de la déscolarisation par la délinquance et la violence nous trouvons uneautre expression dont on a pressenti la réalité à travers les entretiens : il y a une corrélation entre l’absentéismedes jeunes et le fait de vivre dans une famille conflictuelle et/ou dont les membres sont impliqués dans de ladélinquance. Nous avons considéré non pas les situations de divorce ou de séparation comme étantproblématiques mais seulement celles où la famille est considérée comme n’assumant par correctement sondevoir éducatif (un des enfants pris en charge au titre de l’assistance éducative) ou que l’un des parents ou desfrères et sœurs soit lui-même considéré comme délinquant (dont le dossier figure dans la Nouvelle Chaîne Pénale,au tribunal de Versailles) ou enfin que l’interview a révélé des violences physiques graves entre parents ou entreparents et enfants même s’il n’y a pas de dossier pénal ou d’assistance éducative.

Sur la base de ce critère, nous avons rencontré 20 situations familiales sur 52 gravement altérées dansl’ensemble composé 1) des interviewés, absentéistes ou non, à l’exclusion des déscolarisés et 2) des quelquesélèves non interviewés dont la situation familiale a été précisément décrite par les CPE. Ce qui est considérable.La distribution de l’absentéisme selon les situations familiales est précisément la suivante.

Situations familiales et absentéisme des interviewés

Absentéisme des interviewés

Famille problématique(membres délinquants ou

violents)

Famille cohérente(qu’elle soit mono-

parentale ou bi-parentale)

Moins de 10 demi-journées d’absence 3 16 De 10 à 20 demi-journées d’absence 8 5Vingt demi-journées d’absence ou plus 9 11Total 20 32

Le lien entre l’absentéisme et le fait de vivre dans une famille « délinquante » ou conflictuelle est un peumoins étroit que celui qui associe les familles problématiques à la délinquance des interviewés, car nous avonsdéfini comme problématiques des familles dans lesquelles un des membres est repéré comme délinquant ou aune conduite violente même inaperçue. On note qu’il y a un contingent non négligeable de jeunes qui viennent defamilles cohérentes et qui sont absentéistes. Nous avons regardé qui étaient ces jeunes, il ressort qu’il s’agit pourune part de filles qui sont impliquées dans une vie affective et sexuelle, mais il y a aussi des situationsd’absentéisme qui ne sont dues ni à de la délinquance ni à un décalage de maturité.

I.8 Conclusion

Le modèle de la réussite individuelle s’est infiltré partout, il s’affirme à mesure que décline l’influence de laculture ouvrière fondée sur les solidarités collectives, il implique une volonté d’accession au savoir et au diplôme dela part des jeunes issus des familles modestes et peu instruites. Or, si l’on voit mal comment les familles pauvrespourraient augmenter les transferts monétaires, s’agissant des déficits de ressources qui ne sont pas matérielles,les situations au sein même des familles pauvres sont très différenciées. De ce fait, le cadre familial retrouve pourl’insertion de la jeune génération un rôle plus important que du lendemain de la Seconde Guerre mondiale auxannées 1980 15. Glen Loury et, à sa suite, Pierre Bourdieu puis James Coleman ont appelé l’attention sur la notionde capital social, c’est-à-dire l’ensemble des ressources relationnelles qu’utilisent les membres d’un collectif pourfavoriser leurs projets et accomplissements. Cette notion est comprise différemment selon qu’on pense aux cadresdirigeants ou aux travailleurs du bas de l’échelle sociale. Le capital social que représente le «carnet d’adresses» 15 En milieu ouvrier, la réussite professionnelle et la promotion dans l’entreprise n’était pas une valeur centrale. Le travailétait une dure nécessité, le succès était plutôt lié à la vie de famille. Ce refus de la course au succès fut lié en Europe àla prégnance d’une conception de la société marquée par l’affrontement de classes. La tradition marxiste niait lapossibilité d’accomplissement de soi dans une société de classes, et considérait que les ouvriers perdent leur âme encherchant à se réaliser individuellement. Les questions ne se posent plus tout à fait en ces termes aujourd’hui, mêmechez les ouvriers.

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qu’un jeune adulte des familles modernes aisées est susceptible de solliciter dans une perspective individuellen’implique pas un retour des faveurs, du moins terme à terme. Les ressources dont disposent des individus jeunesappartenant à des communautés culturelles pauvres ont moins pour base les relations personnelles de tel ou telmembre que la capacité endogène des membres de la famille –singulièrement les frères et sœurs aînés- àencourager et à soutenir les cadets. Quand l’un d’entre eux accède aux sections de l’enseignement général deslycées, au Bac-professionnel ou, a fortiori, à l’enseignement supérieur, il est souvent amené à jouer le rôle de têtede pont pour ses plus jeunes frères et sœurs.

En règle générale, la force du lien entre déficit de ressources culturelles dans le réseau familialo-amical etabsentéisme est remarquable. Il y a peu d’indices aussi corrélés avec l’absentéisme chronique que cetenvironnement culturel amicalo-familial. Si l’on veut nuancer on observera toutefois que des deux composantes, ilsemble que les relations hors famille soient moins importantes que le bagage culturel et scolaire accumulé par lesfrères et sœurs. Les familles pauvres issues de l’immigration ne fonctionnent pas au «carnet d’adresses» mais à lasolidarité interne du « clan ». Le niveau de diplôme des parents importe moins que la cohérence de leur attitude etleur succès éducatif auprès des aînés. Telle devrait être le fondement d’une politique publique active pourencourager les réussite des jeunes issus des familles nombreuses pauvres.

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Déscolarisation totale ou partielle chez les 13-15 ans, analyse rétrospective àpartir des points de vue des enseignants, des intervenants sociaux, desparents et des jeunes eux-mêmes, Pierre COSLIN

Université René Descartes – Paris 5Institut de Psychologie

GERPA – Groupe d’Etudes et de Recherches en Psychologie de l’AdolescentJeune Equipe : JE 2196

71, avenue Edouard Vaillant - 92774 Boulogne Billancourt Cedex

Tél. : 01 55 20 58 71 - FAX : 01 55 20 57 42 - E-mail : [email protected]

Directeur : Pr. Pierre G. COSLIN

Khalid BOUDARSE, Annick CARTRON, Hélène CHAUCHAT,

Hélène FEERTCHAK, Ahmed MOHAMED, Brigitte TISON,

avec la participation de Philippe BONNET , Sandrine MICHEL et Yvane WIARTet la collaboration de

Elsa DEVANSARD, Laurianne GOBILLARD, Agnès LECLERC-DUPUY, Karine NAZIR, Alexandre PEYREsous la Direction de Pierre G. COSLIN

Etude pilotée et financée parAcadémie de Paris, représentée par Marc BABLET Inspecteur, Directeur du CEFISEM, puis par

Claudine RAULT, Proviseur vie scolaireDépartement de Paris, DASES, Direction de l’Action Sociale, de l’Enfance et de la Santé, représenté par

Robert POINSARD, Chef du Service des Etudes et par le Pr. Isabelle MOMASAvec le soutien de l’Université René Descartes - Paris 5

au titre du BQR – Bonus Qualité Recherche

Comment les élèves en arrivent-ils à se déscolariser ? Qui sont-ils ? Face à un niveau d'échecscolaire similaire, pourquoi certains enfants se maintiennent-ils dans la scolarité contrairement à d'autres ?

La réponse à la première question est d'une simplicité déconcertante: les élèves arrivent à (ou sontconduits vers) la déscolarisation par deux voies. La première consiste en l'exclusion des enfants par leconseil de discipline. La seconde a trait au renoncement à la scolarité par des élèves happés par desproblématiques familiales, une sorte d'auto-exclusion. Cette déconcertante simplicité n'est qu'illusion quis'explique par ceci : les voies de la déscolarisation que nous venons de nommer ne sont rien d'autre que ledernier maillon d'un système par lequel se ferme un processus complexe semé de souffrances et qui nepeut plus évoluer. Il y a une troisième voie « d'exclusion », l'exclusion tout en continuant à fréquenterl'établissement. Elle concerne des enfants en échec mais qui sont discrets, dociles, en retrait et inhibés ; desenfants qui ne posent pas de problèmes à la collectivité mais qui manifestent leur souffrance autrement quepar le passage à l'acte.

L'exclusion des élèves est le résultat d'interactions de multiples facteurs. Nous pouvons rendrecompte de certaines de ces interactions en plaçant l'enfant/élève au centre d'un circuit constitué par letriangle collège, famille et rue.

Le collège

Les élèves exclus par le conseil de discipline sont des élèves qui perturbent le collectif et portentatteinte aux règles internes du collège d'une manière qui pousse l'établissement à réagir par le renvoi.Pourtant, ce mécanisme n'obéit pas à une logique absolue. Autrement dit, toute atteinte importante auxrègles ne conduit pas nécessairement à l'exclusion. Une série d'actes, d'attitudes et d'interrelations

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interviennent et modifient d'une manière importante la vision que l'établissement a de l'élève et de soncomportement.

Pour expliciter cette idée, plusieurs éléments peuvent être retenus :

• plus les situations des élèves sont lisibles pour les professionnels, plus ils ont tendance à mieux lescontenir,

• plus les échanges entre professionnels sont importants, plus les situations difficiles perdent de leuropacité, et plus les élèves sont contenus,

• plus les échanges entre le collège et les autres structures de son environnement social sont souples,plus la situation de l'élève dans sa famille est mieux appréhendée par les professionnels et plus lesréponses données aux actes des élèves par ces derniers sont souples,

• plus les relations entre la famille et le collège sont dégradées, plus l'élève est exposé à l'exclusion,

• plus les professionnels ont des difficultés à donner sens aux problèmes des familles, voire audésordre dans lequel celles-ci peuvent évoluer, plus ils s'engagent dans des relations imprégnées deméfiances et de doutes. Parfois, la confusion entre structure et culture dans le fonctionnement desfamilles alimente les griefs que les uns se font aux autres ;

• la répétition des passages à l'acte par les élèves met en échec l'effort de contenance desprofessionnels et appelle leur agressivité ;

• la capacité de contenance de l'établissement est d'autant plus limitée que les problèmes de passage àl'acte qui adviennent dans son espace sont graves et massifs ;

• le sentiment de solitude que peuvent ressentir les professionnels face aux problèmes posés par lesélèves et leurs familles fragilise ces derniers et risque de les démobiliser, voire de les conduire à sedéfendre par l'exclusion des élèves ;

• l'évaluation des situations par les professionnels est d'abord d'ordre sociologique. Pour eux, laréponse aux problèmes des élèves qui risquent la déscolarisation réside dans le tissage de liens plusnombreux autour de ces derniers et dans la recherche de solutions intermédiaires (davantage depasserelles, des sas, etc.).

Les familles

Elles sont majoritairement monoparentales et d'origine étrangère. Elles occupent des logementsprécaires dans des quartiers pauvres. Elles ne sont pas suffisamment présentes dans les instancesreprésentatives des parents dans le collège. Leur énergie semble captée par la perte et/ou la mort d'un deleurs membres. Elles présentent aussi des difficultés d'expression dans la langue et redoutent plus ladélinquance que la déscolarisation. Elles ont souvent des difficultés de communication avec le collège et sesentent seules face aux problèmes des enfants. Par ailleurs, lorsque les familles pensent comprendrel'origine des problèmes, elles y répondent par des mesures qui leur semblent radicales, mais qui sontexcessives aux yeux des professionnels.

La rue

Quand la famille et le collège ne semblent pas offrir suffisamment d'espace d'expression pour lesélèves et quand, en plus, ces deux espaces sont en rupture ou en conflit, les enfants renforcent leurinvestissement dans le groupe des pairs évoluant dans la rue. Ils se fondent dans le groupe, s'approprient larue et parfois font intrusion dans le collège. La manière de s'investir dans un groupe et le lieu d'inscriptionterritoriale de celui-ci distinguent les sujets déscolarisés des autres élèves. Ils donnent l'impression d'êtreaspirés par le dehors par opposition aux dedans que constituent la famille et le collège.

Les déscolarisés et la rue. L'aspiration par « le dehors »

L'inscription unique dans un groupe évoluant dans la rue caractérise les enfants déscolarisés. Troiséléments au moins se conjuguent pour comprendre la signification de l'appartenance à un tel groupe :l'image social du groupe, comment celui-ci gère ses frontières avec la collectivité et comment l'enfant investitcet ensemble des pairs. Ce que l'on constate, aussi bien chez les parents que chez les professionnels, est lamauvaise image que reflète le groupe « de rue ». Les faits et événements survenant dans le groupe ou

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provoqués par lui (délinquance, agressions, une certaine errance, etc.) étayent cette image et la légitime auxyeux de la collectivité.

Les élèves déscolarisés adhèrent voire « collent » au groupe. Ils donnent l'impression de se sentirvivants à travers les pairs comme si la famille et la collectivité sociale ne pouvaient leur fournir suffisammentde stimulations. Leur investissement affectif dans le groupe est tellement massif qu'ils ne sont pas prêts ànaître du groupe, c'est-à-dire à s'individualiser pour se séparer du groupe. Les images généralementnégatives que leur renvoient la famille et les autres structures sociales renforcent les barrières du grouperestreint. De plus, la fréquence des actes de délinquance et l'inscription dans la marge signent la substitutiondes normes internes du groupe restreint aux normes sociales dominantes. C'est à ce prix que certainsadolescents se préservent contre l'attaque et la destruction de toute relation intersubjective et préserventune image suffisamment positive d'eux-mêmes. Rappelons que les résultats montrent que le groupe desdéscolarisés est le groupe qui a subi le plus souvent des ruptures et des discontinuités au niveau familial etau niveau social. Rappelons aussi que la position d'un adolescent dans ce type de groupe de pairs n'est pastenable dans la collectivité du collège et, que, par conséquent, il ne peut que se heurter aux règles quirégissent la vie scolaire. L'agressivité que manifestent ces enfants à l'intérieur du collège en est le symptômele plus éloquent.

Les élèves absentéistes entre « le dehors » et « le dedans »

Nous constatons que les élèves absentéistes appartiennent en partie à des groupes à l'intérieur ducollège et en partie à des groupes dans la rue. Dans les cas de conflits, le portail, la sortie, la frontièrespatiale entre le « dedans » et le « dehors » du collège se transforme en terrain de violences entre lesenfants qui sont encore « du dedans » mais que « le dehors » vient parfois chercher. Cette agressivité à lafrontière, comme celle manifestée au « dedans » fait basculer les absentéistes vers « le dehors ».

Les élèves assidus et « le dedans » nourricier

Les enfants assidus appartiennent principalement à un groupe inscrit dans le territoire du collège. Laqualité de l'investissement du groupe frappe par son opposition à celle des enfants déscolarisés. Elle estsuffisamment importante mais elle n'est pas exclusive. D'autres espaces groupaux sont investis par cessujets tels que la participation à des groupes de sports et/ou de loisirs encadrés par les adultes. Hormisl'acceptation du cadre garanti par les adultes - ce que l'on peut assimiler au cadre du collège -, ces enfantssemblent avoir une relation aux pairs qui autorise le détachement. En outre, ils sont investis par d'autrespersonnes que leurs pairs, tels que les professionnels du collège. Ces derniers les approchent d'autant plusfacilement qu'ils comprennent leurs difficultés. Nous avons vu comment la lisibilité des situations pour lesprofessionnels augmente leur tolérance vis à vis des élèves. Aussi, ils sont plus contenants. La fonction decontenance des professionnels offre un étayage affectif à certains élèves. Le nourrissage affectif qui en estle résultat offre un support non seulement au maintien de l'enfant dans la scolarité mais aussi à sesapprentissages. Cette nourriture affective est d'autant plus importante que les élèves sont éprouvés par desséparations encore vives et/ou quand un membre de leur famille est malade.

L’élève.

Nous avons décrit plus haut les caractéristiques de chaque groupe d'élèves. Ces caractéristiquesont été déclinées sous plusieurs traits psychologiques, relationnels, familiaux et sociaux. Il s’agit maintenantde répondre à une seule question : comment certains élèves déclenchent-ils le mécanisme du renvoi ducollège et comment d'autres enfants se font-ils maintenir dans la scolarité ?

Nous avons suffisamment souligné le poids du passage à l'acte et de l’atteinte aux règles du collège,pour ne pas y revenir une fois de plus. Nous voulons mettre en exergue cette association d'événements queprésentent les déscolarisés : les problèmes familiaux, l'échec scolaire et la frustration génèrent des tensions.Celles-ci trouvent leur mode de décharge dans l'agir. La faible capacité de verbalisation, entravant leséchanges de l'élève avec les professionnels, obstrue dans le même temps la capacité de ces derniers àcomprendre et à donner sens aux actes du premier. La répétition de l'agir avec la composante agressive quilui est inhérente renforce à chaque fois cette dynamique et se termine par la mobilisation de l'agressivité desprofessionnels. L'exclusion par renvoi soulage de la tension cumulée et libère élèves et professionnels.

Les élèves scolarisés souffrent de l'échec et des difficultés présentés plus haut. Leur maintien dansla scolarité procède de trois manières différentes:

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Le retrait

Les élèves se manifestent par leur inhibition et l'évitement du contact avec les professionnels. Cesont des enfants que « l'on tient au chaud » (sic). Ils sont en échec scolaire mais ne se manifestent pasassez par des troubles de conduites ni par une participation suffisante dans la vie de la classe et du collège.Ils sont généralement plus lents que les autres élèves dans la réalisation des tâches, ne sollicitent pas lesprofesseurs pour mieux comprendre, sont discrets et ne gênent pas le déroulement des cours. Ils sontrepérés par les professeurs. Ces derniers pensent que ces élèves ont besoin d'une attention particulière etd'un rythme d'apprentissage moins soutenu que ce qu'ils peuvent leur offrir. Ils sont contenus de cettemanière. Leur inhibition les maintient dans l'échec scolaire mais aussi dans la scolarité.

L'adaptation active

Elle concerne des élèves qui manifestent des atteintes aux règles de la collectivité dans l'espace ducollège (classe et autres espaces de l'établissement). Ils ne sont pas dans le passage à l'acte systématiqueet arrivent à rectifier leurs comportements. Ils sont perméables aux règles et leur relation aux adultes n'estpas saturée de conflits, encore moins d'oppositions. Pourtant, l'effraction constitue un risque de conduitepermanent. C'est comme s'ils avaient besoin de tester, de se prouver l'existence et la consistance desrègles. Il nous semble que c'est aussi une façon de maintenir la tension chez les adultes et donc leurattention. Le risque de basculement dans le passage à l'acte et donc le risque d'exclusion n'ont d'équivalentque la tension qu'ils génèrent chez les professionnels. L'expression plusieurs fois utilisée par ces dernierspour rendre compte de cette dynamique est « être sur le fil du rasoir ». Ces élèves sont mieux représentésdans le groupe des absentéistes.

La rencontre

Elle concerne essentiellement les filles. Les filles sont souriantes, tendres et vivent dans la relation.Elles n'ont pas de rapports conflictuels avec les autres. Elles sont perçues par les professionnels commedes filles courageuses et fragiles, des filles qui apportent le sourire, la joie et la vie au collège… « unelumière » (sic). Ces enfants fragiles et « heureuses de vivre » mobilisent chez les adultes disponibilité,attente et élan de maternage. La relation entre ces filles et les professionnels se conjugue en sensibilité. Lafrustration induite par l'échec scolaire chez les unes et chez les autres est compensée par la tendresse et lesimages positives que véhicule le regard des uns pour les autres.

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‘Mixités scolaires, mixités familiales et attitudes face à la déscolarisationd’enfants gitans et maghrébins, Hasnia MISSAOUI, Lamia MISSAOUI et Alain TARRIUS

ICRESS, Université de Perpignan, DIASPORAS, Université de Toulouse le Mirail

Hasnia MISSAOUILamia MISSAOUI et Alain TARRIUS

Introduction

Nous voulons retracer dans cette note de synthèse le cheminement exact de notre recherche sur leprocessus de déscolarisation. Notre travail s’est principalement centré sur l’expérience de mixité socialevécue des enfants Gitans sédentaires ou en migration et des enfants Marocains de familles ayantrécemment immigré. Notre proposition comprenait la déscolarisation comme un processus conduisant lesenfants de milieux défavorisés à une situation telle que l’école ne peut plus leur assurer la transmission descompétences culturelles et sociales requises dans notre société pour l’autonomie adulte, citoyenne. Ladéscolarisation ne se présente donc pas comme un “ état ” déterminé et figé, mais, sujette à variationsprocessuelles, elle est toujours relative, dans un milieu donné, à un “ modèle ”, un “ standard ”, un “ niveau ”,une conception de la scolarisation. De même sa genèse est moins à chercher dans l’une ou l’autre desinstitutions scolaire ou familiale, même si certains milieux sont plus concernés, que dans les interactionsentre l’une et l’autre.

En prenant à témoin des enfants originaires de milieux vivant une forte altérité par rapport auxpopulations qui les entourent, étrangers de “l’extérieurs ” pour les Maghrébins, en particulier les Marocainsde la dernière vague migratoire, “ étrangers de l’intérieurs ” pour les Gitans, surtout Catalans, nouscherchions alors à comprendre quelles interactions de milieux, scolaires et familiaux, ont favorisé ladéscolarisation à partir de l’affirmation de normes et valeurs communautaires peu favorables aux mixitéssociales. Nous avons porté un intérêt particulier aux enfants qui, membres de fratries de ces famillesdéfavorisées, présentaient des aptitudes à la scolarisation.

Par-là même, nous ne limitions pas l’ « expérience de la mixité sociale » au vécu des enfantsdans le seul contexte scolaire, mais plutôt dans les divers milieux d’appartenance, essentiellementdans les familles (nucléaires, étendues, claniques, dispersées ou non, …), mais aussi lors descôtoiements, des voisinages qui marquent les redéploiements actuels de ces populations. Diversesobservations, au cours de recherches précédentes, nous avaient en effet conduits à observer, aumilieu de la déscolarisation généralisée et notoire de ces jeunes, maintes fois constatée, quelquestrajectoires de réussite à l’école primaire et au collège : nous étions alors sensibilisés aux diversesformes de métissage qu’ils vivaient comme conséquences des grands trajets migratoires ou destransformations des modes de vie communautaires. Nous avons choisi des lieux et moments destrajectoires scolaires situés à l’articulation entre l’école primaire et le collège où se distinguait un effetde “ passage ” qui met en œuvre plus que l’organisation des enseignants, plus encore que l’entréedans l’adolescence mais représentant un moment où se renégocient les rôles globaux de l’institutionfamiliale, jusque là plutôt dominante, et scolaire, désormais source d’une autonomie nouvelle.

Cette expérience contemporaine d’une transformation des univers de normes, dans le sens d’uneintensification des brassages ou des parcours cosmopolites, ne pouvait toutefois suffire à asseoir notrehypothèse. En effet une dimension historique du rapport à l’apprentissage scolaire était suggérée par lesmêmes recherches : parmi les populations gitanes, les ‘sages’, les ‘tios’, généralement d’un âge avancé,présentent des capacités opératoires affirmées en matière de lecture, d’écriture, de calcul. Voilà qui posaitde nombreuses questions : l’école, le collège, étaient-ils mieux adaptés voici plusieurs décennies, parce queplus mixtes que les ‘écoles gitanes’ contemporaines ? Certaines familles préserveraient-elles de tellescompétences parmi leurs lignées ? Comment ? Pourquoi ? Existe-t-il, dans ces clans ou familles, descritères et des pratiques de désignation du ou des jeunes qui seraient ‘dignes’ d’apprentissages scolaires ?Inversement, les jeunes migrants marocains signalent unanimement l’illettrisme de leurs parents ou de leursgrands-parents. Nous abordions donc un phénomène complexe, multiforme et, surtout, qui nécessitaitd’associer à l’observation contemporaine des dispositions familiales favorables à la scolarisation, à ladescription de moments-clefs du rapport à l’école, l’analyse longitudinale, à l’échelle de trois ou quatresuccessions générationnelles. Ce souci de situer les enfants témoins de notre démarche dans destrajectoires institutionnelles implique donc de comprendre comment ces destins singuliers rejoignent une

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histoire collective : c’est donc sur une période de plusieurs années que nous avons étudié les changementsfavorables à la déscolarisation dans les écoles et collèges concernés, dans les populations approchées.

Choix des populations

De nombreux milieux pourraient être concernés par cette approche, et, si nous choisissonsdes populations particulièrement exposées à stigmatisation usuelle des étrangers16 pauvres, c’est quenous pensons que les périphéries sociales les plus défavorisées éclairent au mieux les failles, lesfaillites parfois, des dispositifs de centralité

Il est nécessaire de préciser le choix de nos populations, puisque leur désignation a précédéla mise au point du plan de recherche. Nous avons donc proposé deux sites permettant de saisirdiverses situations de mobilité ou de sédentarité :

-Perpignan d’une part, présente l’intérêt d’héberger des Gitans catalans sédentarisés en soncentre historique depuis les années 1940, des Gitans andalous, dits Espagnols, en transit migratoire17

dans les périphéries depuis six ou sept années, et des Marocains de la récente migration18, domiciliésde façon compacte en habitat social ces dix dernières années. Les populations envisagées étantparticulièrement mobiles, nous avons étendu nos investigations, lors d’enquêtes extensives, dePerpignan à Narbonne, Béziers, Montpellier et Nîmes.

-Toulouse héberge des migrants de diverses origines, primo-arrivants depuis les années198019, relevant de la classique et très dominante forme migratoire de la mobilisation internationale dela force de travail. Nous avons observé, dans des collèges périurbains, les difficultés rencontrées pardes jeunes collégiens primo-arrivants.

Une anthropologie de l’altérité

Notre démarche s’inscrit dans une anthropologie dynamique et complexe de l'altérité,anthropologie sociologique, fondée sur le renoncement aux pratiques et positions d'une ethnologieendogène à chaque population, et sur la dé-naturalisation des points de vue de l'institution scolaire.Pour le dire rapidement, les situations de « déscolarisation » revêtent, pour les populationsenvisagées, peu de sens et d’importance par rapport à celles, de plus en plus fréquentes, de« décommunautarisation » : la prise de distance par rapport à l’institution scolaire est même souventperçue comme protectrice des risques de désagrégation d’une part du lien coutumier pour les Gitans,et d’autre part de la force des appartenances originelles pour les Marocains primo-arrivants. Ensomme, l’intégration par l’école, la socialisation citoyenne, est synonyme de désagrégation socialeradicale pour les premiers, et soumise à négociations pour les seconds. La question devenait donc :comment des communautaires peuvent-ils, dans leur expérience des mixités sociales, faire place àd’autres populations, à d’autres processus de socialisation, et comment l’école participe-t-elle de cesaltérités relatives ?

Il ne s ‘agissait pas pour nous d’adopter un point de vue normatif en considérant par exempleque Gitans ou Marocains, récemment ou anciennement arrivés dans ces villes, se situeraient dansune quelconque étape d’un processus d’intégration les conduisant, après maintes épreuves, auxconformités institutionnelles citoyennes.

Nous avons noté de grandes capacités d’échanges quand il s’agit de commerces licites et illicites(marché, les psychotropes, rapport aux institutions de santé par exemple…). Les enfants qui sont dans cesdéplacement savent lire et écrire et de ce fait ces dispersions fonctionnent comme ressources économiqueset sociales.

Donc, ils ne sont pas dans des constructions locales d’intégration (surtout pour les Marocains) maisplutôt dans des formes migratoires nouvelles, plus nomades que diasporique c’est à dire dans une grandemobilité fréquente.

16 La notion d’ “ étranger ” s’entend ici dans le sens que G. SIMMEL lui a donné : celui qui, quelle que soit son origine,n’est pas situé dans les hiérarchies locales de la légitimité identitaire. 17 étapes de quelques mois à trois ou quatre années, à moins qu’intervienne, dans certaines fratries, des mariages avec desGitans catalans.18 nous distinguons les migrants marocains de la phase migratoire puissante amorcée au début des années 90 car ils suggèrentune forme migratoire nouvelle, caractérisée par des initiatives commerciales résolues et des capacités de dispersion familialetransfrontalière sans précédent en Europe, sinon parmi les populations d’origine turque. 19 relevant des classiques et massives formes migratoires liées à la mobilisation internationale de la force de travail.

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A partir de là, ils développent des compétences à « être ici et là-bas » caractérisées par un savoir –circuler internationalement (Marocain à l’échelle européenne et Gitans entre l’Espagne et la France)

On peut alors parler d’une nouvelle forme identitaire fondée sur les expériences d’interactionsmultiples due bien entendu à une grande mobilité.

Ce qui nous amène à différencier du parcours classique de l’intégration vers des identités socialesdominantes, le parcours original de ces populations qui par des capacités « d’entrée- sortie » (rapides etintenses, momentanées ou durables) traversent les sociétés en passant de milieux sociaux et culturelsdifférents. Ils « jonglent » en quelque sorte entres les différents univers de normes. Pour cela nous noussommes intéressés à l’altérité ; aux échanges, aux rencontres, aux sorties communautaires, qu’àl’intégration classique.

Notre projet de compréhension nous poussait à nous situer aux périphéries propices aux sorties desterritoires communautaires, aux lieux et moments des interactions généralisées laissant apparaître l’altéritédavantage que l’identité, aux interstices, à ce qui fait rencontre, conflictuelle ou non, croisement, métissage,mixité. Nos outils, nos techniques d’investigation excluaient dès lors le questionnaire, et les diverses autresdémarches extensives objectivantes, au profit de l’entretien libre, de l’observation directe, del’accompagnement, de rencontres fréquentes, de commentaires des photographies affichées ou rangées, dereconstitutions généalogiques, et de leurs descriptions en termes de trajectoires socio-spatiales et socio-professionnelles.

Les situations de mixités rencontrées

Nous identifions la mixité comme interaction mettant en scène des rapports d’altérité à même deproduire des échanges économiques, sociaux, culturels, originaux, d’instaurer des normativités nouvelles,pour l’un ou pour l’ensemble des protagonistes. C’est moins s’attacher à l’identification d’échangeshabituelles assurant les besoins élémentaires dans les contextes de coexistence urbaine, qu’à l’identificationdes rapports permettant une expérience de mixité sociale pouvant se révéler favorable à la scolarisation desjeunes enfants. Dans les quatre situations de mixité que nous proposons d’exposer, chaque fois le devenirdes enfants était mis en avant comme première justification du départ ; en quelque sorte, il s’agit d’un« sauve qui peut » de famille nucléaire assorti de la conviction que le couple qui prend cette initiativedisposera de ressources sociales et économiques suffisantes en milieu « païo » pour libérer ses enfantsd’une emprise communautaire jugée dangereuse.

- Couples Gitans ayant quitté les territoires communautaires pour résider dans les quartiers« païos ». L’enfant est alors « le moyen », la « raison » de cette rupture pour une meilleure scolarisation.Parmi les sept familles nucléaires identifiées, nous avons noté des départs sans conflit et des rupturesradicales. Si les enfants n’ont perçu aucun conflit justifiant le départ du territoire, ils développent alors des« résistances » refusant ainsi la scolarisation et inventant des occasion de retour auprès de leurcommunauté d’origine. Par contre en cas de rupture violente, les adolescents, et surtout les filles, adoptentdes positions de rupture avec le clan encore plus radicales que celles de leurs parents.

- Les unions mixtes : perçue favorables à la scolarisation des enfants surtout lorsqu’il s’agit d’unmariage entre une femme gitane et un « païo » où les stratégies familiales concernant la scolarisation desenfants vont dans le sens des attentes des institutions surtout scolaires (accompagnement, étude du soir,rencontre avec les enseignants…)

- Les femmes Gitanes seules qui quittent la communauté (pour cause de divorce, de décès deproches…) départ non sans conflit. Justement pour éviter ces conflits ont été notées des capacités chez cesfemmes d’entrée dans les milieux « païos » avec des formations pour les enfants. Dans un premier temps,nous avons pensé que ces transferts d’un milieu vers les autres ne relevaient pas de situations de mixité àproprement parler, tant les changements comportementaux nous semblaient radicaux. Puis, en cours derecherche nous avons constaté que ces femmes continuaient à rencontrer leurs proches dans des espacespublics de la ville, au cours de promenades rassemblant de nombreuses femmes gitanes d’âges et deconditions variées.

- Enfin, en ce qui concerne les « tios » (55 ans à 70 ans) : qui ont un niveau culturel très développé(lecture, connaissances historiques en matière de commerce, de restauration de meubles, de peinture d’art,de façonnage de cuit.. etc), qui ont été en réussite scolaire par le vécu de situation de mixité à l’écoleprimaire ou en collège. Rappelons cependant que ces « tios » souvent scolarisés dans des écolestransfrontalières ayant été formé à des métiers faisant partis d’une élite souvent commerçante. Aujourd’hui,le maintien de ces mobilités exige un apprentissage de savoirs élémentaires et spécialisés.

- L’expérience « Jeanne-Hachette » : Cette école maternelle perpignanaise, en bordure de territoirescommunautaires girans n’a pas connu, dans cette période, l’évolution vers une densification gitanecaractéristiqu des autres maternelles localisées de façon semblable. Elle représente une grande situation demixte puisqu’elle regroupe non seulement des garçons et des filles, mais aussi des Gitans, des Maghrébinset autres autochtones locaux et nationaux. Elle dénote par l’application de nouvelles méthodes de lecture etd’autres formes pédagogiques valorisant ainsi des échanges de mixité sociale.

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- Pour les Maghrébins post-fordistes (c’est à dire depuis les années 90 où une forte populationMarocaine entres autres présente de grandes initiatives commerciales transfrontalières : on peut dire quel’école est un lieu de connaissance de milieux sociaux « européens » plus qu’un lieu d’apprentissage dessavoirs. Situation des enfants en classe d’accueil entre autres où les parents témoignent d’une nécessitéd’un « savoir se débrouiller » dans la société plus que l’objectif de l’obtention d’un BAC, par exemple.

- L’école coranique et l’importance qu’elle accorde au suivi scolaire des enfants (renforcement desmotivations et des conduites scolaires des jeunes enfants c’est à dire discipline, attention, acquisition ).

Conclusion

Au travers de cette étude concernant la déscolarisation d'enfants Gitans et Maghrébins, nous avonscherché à visibiliser les facteurs de "réussite" ou de "débrouille" plus que l'échec scolaire lui même, ou pourle dire autrement nous avons cherché à saisir les parcours de formation des jeunes Gitans et des migrantsinternationaux primo-rarrivants qui ont résisté aux multiples difficultés rencontrées lors de leur scolarisationet quelles sont les réponses apportées par les diverses institutions, particulièrement l'école et la famille. D'oùun premier constat s'impose à nous : les formes de mixités citées précédemment favorisent la scolarisationd'enfants surtout ceux appartenant à une forte culture communautaire.

Au travers de l'étude menée à Perpignan auprès de l'école Jeanne-Hachette (école maternellevivant une forte mixité sociale) entre autres (mais aussi à Madame Rolland; école 100% gitane), nous vonsconstaté que le temps de la scolarité maternelle et élémentaire, est le lieu des opportunités pourl’intervention pédagogique : l’innovation basée sur diverses configurations des mixités sociales et culturellesy tient une place prépondérante. Plus précoce et plus variée sera la mixité, la mise en synergie desaltérités dans l’école –adultes, mères, classes cosmopolites,…-, plus les expériences de surmotivation dansles apprentissages -lecture, dessin, communication- seront productives et durables ; l’adoption collective decomportements sociaux favorables à la scolarisation (respect des horaires et des divers rythmes scolaires,implication des familles, .. ) sera tangible, dès lors que les enseignants inscriront leurs expériences dans unecontinuité pluri-annuelle . Dans cette séquence, la non-mixité (résidentielle, identitaire,…) des familles nenous est pas apparue comme restrictive, contraire aux objectifs pédagogiques. Il semble que, pour cescommunautaires, ce moment des premiers apprentissages soit celui du plus grand équilibre entre d’une partles finalités de l’institution scolaire et d’autre part les proximités parentales.

Un deuxième constat concernant plutôt l’entrée dans le collège des jeunes Gitans, comme lesadolescents migrants internationaux, et particulièrement ceux qui appartiennent aux plus récentes formesmigratoires et qui sont comme happés par leurs milieux qui substituent au lent parcours de formation, desprocédures rapides de prise en charge par acquisition de savoir-faire, de compétences professionnelles,constitutifs de cultures communautaires longues, dans le cas des Gitans, ou d’acquis récents mais trèsvalorisants, dans le cas des nouveaux migrants. L’institution scolaire et les capacités professionnelles desenseignants ne régressent pas : les dispositions récentes des enfants des familles engagées dans lesparcours migratoires contemporains connaissent une profonde mutation. L’école secondaire comme lieu desapprentissages simultanés des savoirs et des comportements sociaux collectifs, l’intégration, ne fait plusguère sens.

En effet, Les adolescents des familles des nouvelles formes migratoires désertent massivement lecollège et le lycée quelles que soient leur localisation résidentielle. Les filles sont moins affectées par cesdésertions, mais toutefois moins présentes dans les établissements que les filles des milieux de la migrationtraditionnelle. Comme leurs parents, ces jeunes, très proches de leurs villages ou villes d’origine, au Maroc,se mettent en position d’être peu concernés par les processus d’intégration que leur propose la scolarisationen France. Très tôt ils sont associés aux activités des parents, ou se déplacent le long des réseauxinternationaux formés par des étalements familiaux, qui fonctionnent dès lors comme ressources. L’auto-formation est généralisée dans ces familles, qui d’une part comprennent mal la longueur des formationsscolaires, et d’autre part sont très mobiles résidentiellement. Peut-on suggérer, avec une certaine brutalité,que là encore, comme pour les familles tsiganes, c’est moins l’appareil scolaire et ses finalités qui estquestionné dans son ensemble, que des aspects de son inadaptation à des populations elles-mêmesinadaptées au déploiement pédagogique actuel. Contrairement à ce que nous laissent espérer desexpériences en milieu gitan, il n’est pas certain que des initiatives mettant en avant l’usage positif desmixités scolaires et des aménagements pédagogiques soient à même de convaincre ces populations del’intérêt des parcours scolaires. Peut-être vaut-il mieux observer les possibilités internes. Pour notre partnous avons observé le fonctionnement des petites écoles coraniques qui, le mercredi surtout, rassemblentdes enfants de cette nouvelle forme migratoire. Les maîtres, tel ou tel hadj respecté dans le quartier,insistent généralement sur la nécessité d’obtenir de bons résultats à l’ « école française » tout en enseignantl’impossible renoncement à la citoyenneté marocaine. De telle sorte que, centrant les plus jeunes sur

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l’apprentissage scolaire, ils en éloignent (souvent sans conscience de cet effet) les adolescents plusconcernés par le rôle intégrateur du collège et du lycée.

Suite aux constats cités, une question émerge : Que peut donc suggérer , négocier, l’institutionscolaire, si elle ne reconnaît pas les logiques sociales affirmées par ces dispositions nouvelles ? Affirmer lalégitimité du maintien, par répétition, de l’injonction à intégration revient à sacrifier enfants et enseignants, àles instituer comme lieux de l’échec de finalités qui ne rejoignent plus l’effervescence du vécu. Pour lesadolescents Gitans, les dispositions à la prise en charge par leur communauté, l’auto-formationomniprésente dès douze ou treize ans, ne peuvent se confondre avec celles des nouveaux migrantsinternationaux. Dans ce cas en effet, deux processus singuliers signalent les limites de l’action publiqueactuelle : d’abord, des logiques internes de déploiement de clans favorables à quelques rares famillessupposent la désagrégation économique d’autres familles, plus nombreuses. Ensuite, l’appétit politique desélus locaux a, au moins de façon flagrante dans le cas perpignanais, dévoyé l’entrée de ces populationsdans le jeu démocratique des négociations entre milieux. La médiation, par les élus locaux, entre famillesgitanes et institutions, dont celle d’enseignement, est entièrement tributaire des situations de dépendanceinstaurées comme conséquence du dévoiement politique des Gitans. Le choix des interlocuteurs parl’institution scolaire, l’affirmation de ses finalités dans des négociations directes, appuyées, nous l’avons vu,sur des présences mixtes (hommes et femmes), incluant les transfuges des communautés, permettraitassurément d’aller plus avant dans les projets de redéploiement scolaire en milieu Gitan.

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Le détachement scolaire : des parcours chaotiques de scolarisation entre lescollèges et ailleurs, Daniel FRANDJI (article dans VEI-Enjeux n°132, avril 203)

Daniel Frandji, Pierrette VergèsLaboratoire Méditerranéen de Sociologie, (LAMES - CNRS- MMSH, Aix-en-Provence)

La recherche sur les processus de déscolarisation, menée dans la ville de Marseille, renvoie à unphénomène relationnel complexe aux formes diverses et hétérogènes. D'une part, l'investigation empiriqueréalisée ne nous a pas confrontés à des jeunes déscolarisés au sens convenu du terme, c'est-à-dire à dessituations d'enfants ou d'adolescents n'ayant jamais été scolarisés, ou alors ayant interrompu leur scolaritéavant 16 ans et demeurant depuis radicalement hors de tout le maillage scolaire et institutionnel existant 20.Ce qui apparaît massivement sur le terrain, ce sont des situations scolaires problématiques et des parcoursscolaires chaotiques marqués tout à la fois par des périodes d'évasion et de ruptures, mais aussi deballottages entre plusieurs établissements, d'attente de ré-affectation, et de prises en charge dans diversdispositifs institutionnels qui ne peuvent plus faire le travail de l'école. D'autre part, le résultat de cetteinvestigation enjoint à reconsidérer l'hypothèse de l'existence d'univers normatifs susceptibles de pouvoirconcurrencer la scolarisation. Les univers du travail et de l'économique, les situations familiales et lesgroupes de pairs ne sont pas de simples univers alternatifs concurrentiels à la scolarisation. Au mieux ilsparticipent au renforcement des tensions inhérentes à ce qu'est aujourd'hui le collège, entre nécessité àlaquelle on tient et dispositif que l'on ne peut pas totalement s'approprier car excluant et socialement sélectif.

Des parcours scolaires fragmentés et chaotiques

La réalité empirique apparaît ainsi bien plus complexe et hétérogène que celle sous-tendue par ledécoupage binaire constituant le problème social de la déscolarisation. Il y a certes ceux qui sont à l'école etceux qui n'y sont pas. Mais il y a surtout déjà ceux de ces enfants ou adolescents qui, tout en étant présentsà l'école, au collège en l'occurrence, n'y sont pas mobilisés et n'en parlent presque qu'en termes d'ennui etd'enfermement, "les corps présents " pour reprendre l'expression d'une enseignante . Sa fréquentationpeut alors tendre à se réduire à un lieu de rencontre et de sociabilité entre pairs ou se vivre sur le mode d'unface à face forcé avec les enseignants. Il y a aussi ceux qui sont à l'école, mais par intermittence, et s'enéchappent dès la sixième, "en douceur " comme le dit l'un d'entre eux, ou plus tard, et notamment en classede quatrième, d'autant plus qu'ils s'en font exclure ; ceux qui n'y sont plus d'un coup mais qui y reviennent, etqui peuvent d'ailleurs reprendre ou poursuivre leur scolarité sans forcément connaître d'autres gravesdifficultés, si, du moins - ce qui est loin d'être toujours le cas - cette reprise dans le circuit scolaire ordinaireest rendue institutionnellement possible. Car ce qui apparaît encore enfin, ce sont tous ces parcoursattestant aussi de la réalité du problème de la déscolarisation, non pas du fait que les jeunes ne sont pas «À » l'école, mais bien parce qu'ils sont « entre Des écoles », circulent, ou sont en attente, ou ne font quepasser, d'un établissement à un autre, à un troisième, mais aussi à un « dispositif », un « centre », une «unité » : circulation ou ballottage pouvant perdurer une grande partie, si ce n'est la totalité, du temps ducollège.

Malgré la limite d'une telle opération, tant est grand l'enchevêtrement des difficultés, décisions etinterventions qui caractérisent les situations et parcours rencontrés, plusieurs configurations peuvent êtredistinguées. Ce peut être déjà un événement (survenant dans le milieu familial) qui provoque la premièrerupture. Celle-ci se poursuit pourtant par l'impossibilité de reprendre une scolarisation ordinaire en rapportd'abord au « retard » ainsi accumulé, en fait à la rigidité temporelle de la scolarité. En rapport aussi à lasolution d'une prise en charge dans des unités pédagogiques de foyers qui, comme le rappellent leursresponsables eux-mêmes, ne peuvent plus vraiment faire le travail de l'école. C'est aussi le phénomène du ballottage qui concerne particulièrement les adolescents reconnus commeposant des problèmes de "comportement ". Ici la rupture du lien pédagogique peut s'instituer dès lespremières années du collège, de par les difficultés éprouvées par les établissements face à des

20 Cette étude était menée sous la direction de Michel Péraldi. Elle s'est entièrement déroulée dans la ville de Marseille, où nous avonsrecueilli 72 entretiens de jeunes dans les différentes situations de ruptures décrites ici. Nous avons effectués ces entretiens dans desétablissements scolaires, uniquement collèges, dans des classes relais ; dans des dispositifs hors collège (classe passerelle, École dela seconde chance), dans des associations de quartier (points relais jeunes, associations culturelles) ainsi que dans des MECS, desfoyers, unités et centre d'Action Éducative de la PJJ. Nous avons aussi procédé aux interviews des professionnels exerçant dans cesdifférents lieux d'enquête. Les résultats ici restitués sont évidemment strictement dépendants de ce protocole d'enquête. On trouveraune description détaillée de celui-ci dans le rapport de recherche remis au conseil régional PACA et dans le cadre du Programmeinterministériel de recherche sur les processus de déscolarisation : Le détachement scolaire. Étude sur les processus dedéscolarisation à Marseille.

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comportements perturbateurs ou des actes de violence, et les logiques disciplinaires de leurs traitements :les exclusions de cours, puis les exclusions temporaires et définitives de l'établissement rentrent en scène,de même que les temps de mise à l'écart dans les diverses formes de classes-relais existantes. Biensouvent ces temps en circuits disciplinaires et classes-relais doivent être cumulés aux temps d'absentéisme,et ce d'autant plus que la réponse disciplinaire, en l'occurrence celle de l'exclusion définitive, se décide aussiau nom de l'absentéisme 21.

Par ailleurs, ce qui confère leurs aspects chaotiques aux parcours, renvoie aussi à d'autres logiques deprises en charge dans les secteurs de l'institution judiciaire et aussi de l'éducation spécialisée ( coordonnéepar la CDES 22). Ces prises en charge peuvent alors être irréversibles, en rapport encore aux retards sur leplan scolaire accumulés, mais aussi l'effet de stigmatisation s'observant dans les refus de réinscription parles collèges et malgré les pressions de l'Inspection d'Académie (phénomènes observés même en l'absencede "gravité" des actes commis par les adolescents, ce qui enjoint de questionner certaines modalités du suivijudiciaire ou de ce qui s'énonce partenariat avec l'éducation nationale). Enfin, le ballottage qui caractériseles parcours renvoient aussi à l'existence de cette catégorie floue et polymorphe des «Troubles ducomportement ». C'est en ce sens que ces élèves sont aussi dits pouvoir "relever du " secteur géré par laCDES, possibilité certes d'abord revendiquée par elle-même, mais possibilité par ailleurs envisagée lorsquela logique disciplinaire ou les modes d'intervention expérimentés dans le secteur judiciaire ne semblent pasconcluants. Or la tendance au développement continu des enfants ainsi catégorisés freine leur prise encharge par la même CDES, et met cette institution en crise, d'autant qu'elle est aussi confrontée auxcritiques du milieu judiciaire. Et c'est tout le problème des « listes d'attentes» de l'éducation sépcialisée quise pose ici, problème important, mais problème coccnernant en fait principalement les Instituts deRéeducation.

Dans ces différentes configurations, ces jeunes ne sont pas de complets « perdus de vue ». Leurssituations ne sont pas inconnues des éducateurs de rue, de la police, de la justice, et des services mêmesde l'éducation nationale, qui connaissent très bien les décisions d'exclusion, les refus d'affectation, les listesd'attente. Ces observations peuvent alors être saisies de deux manières différentes : soit l'on considère quec'est cette réalité-là qui est la seule et principale réalité de la déscolarisation aujourd'hui ; les « perdus devue » n'étant rien d'autre que la catégorie comblant les creux ou « plis » de la segmentation etfragmentation institutionnelle actuelle. Soit on reste plus prudent, en rappelant que notre investigation,circonscrite dans l'espace, était limitée dans le temps et dans ses moyens, et qu'elle a pu ne pas s'accomplirdans les terrains où certains des enfants peuvent n'avoir jamais été scolarisés, ou se retrouver en dehors detout le réseau institutionnel existant. Mais même dans ce cas, il nous paraît impossible d'ignorer le caractèremassif de ces parcours scolaires discontinus, et de ces formes problématiques de scolarisation qui,justement, peuvent ne plus en être vraiment, en rapport aux enjeux du collège.

Des univers normatifs en concurrence ?

C'est donc le premier constat. Constat qui en appelle indissociablement un second relatif à la complexité dece qui constitue les phénomènes observés. L'analyse des récits des jeunes interviewés montre avant tout cepoint : c'est déjà dans le collège lui-même que la déscolarisation s'engage, si ce n'est s'enclenche, dans ladésagrégation du lien scolaire et quelquefois même sa non-construction depuis le primaire. Quel que soit lemoment des premières ruptures, ces jeunes n'ignorent pas qu'apprendre est la raison d'être de l'école, maisils en ont une expérience parcellaire ainsi qu'une représentation le plus souvent négative ou encombréed'obstacles. Apprendre est exprimé comme une envie, présente ou non, selon les circonstances. Celles-cipeuvent être tout à fait conjoncturelles et changeantes, selon ce qui est vécu hors l'école, mais ellesrenvoient aussi aux situations scolaires, aux relations en classe qui rendent l'atmosphère de travail favorableou non, à la personne du professeur, à l'échec ou à la réussite. Les savoirs ne sont pas non plusreprésentés comme un ensemble constitué de connaissances, objectivés dans leur contenu dont « l'accès à» peut accroître ses propres compétences. En parallèle du questionnement concernant la fragmentationinstitutionnelle où se cristallisent les parcours chaotiques rencontrés, les entretiens recueillis posent surtoutdes questions importantes aux modes de fonctionnement et pratiques pédagogiques des collèges.

Au cours de la recherche, c'est bien du coup l'hypothèse d'une éventuelle logique de concurrence entre lascolarisation et d'autres univers normatifs (familles, pairs, monde du travail et de l'économique) que nous 21 Soit ce que nous avons pu observer dans une étude menée grâce à l'Aide de l'Inspection d'Académie des Bouches du Rhône, sur lesdossiers de conseil de discipline survenus durant une année scolaire dans l'académie. L'absentéisme est rarement le seul motifjustifiant la procédure d'exclusion , mais il apparaît bien, associé à d'autres « comportements indisciplinés ». Il est à noter que lesprocédures d'exclusion sont en accroissement important depuis quelques années et, entre autres résultats, que cela concernemajoritairement des enfants de milieux socio-économiques précaires.22 Commission Départementale de L'Éducation Spécialisée.

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avons dû revisiter. Pour nous, cette hypothèse n'a toutefois jamais été tenue dans la logique d'unraisonnement relativiste, si ce n'est culturaliste, objectant alors des formes de socialisation, ou la présencede formes culturelles qui seraient en elles-mêmes incompatibles ou qui ne pourraient pas se partager, sediscuter, s'analyser et se réviser. Il est vrai que la lecture relativiste est là aussi pour contrebalancer l'autrefigure explicative classique, misérabiliste, répartissant les divers mondes sociaux dans lequel l'individu doitpourtant se construire, sur une échelle culturelle unique dont les échelons les plus bas, ceux du mondefamilial, des pairs, de la rue etc. ne sont que manque, vide et moindre être. Si une logique de concurrencedoit être rappelée, n'est-ce pas alors déjà d'ailleurs celle se jouant dans ces rituels interprétatifs relativistesou misérabilistes tels que déjà fortement mobilisés par les acteurs professionnels enseignants ouéducateurs, tendant de la sorte à s'approprier tout l'espace collectif et commun du procès d'apprentissage ?Cela s'entend par exemple ainsi : si les difficultés scolaires sont là, c'est de par l'obstacle du milieu familial,leur pauvreté culturelle, ou le trop fort éloignement à la culture scolaire (et d'ailleurs au plus l'on argumentedes obstacles familiaux au moins les difficultés se perçoivent comme relevant du champ de la compétenceenseignante, au plus se justifie l'intervention supplétive dont l'éducateur ou le dispositif spécialisé se veutporteur) ; si par contre cela fonctionne, si l'élève se remobilise, et se met à travailler, cela est uniquement dûau travail spécialisé mené avec lui (on l'a aidé à "s'en sortir "). Dans la logique de ces catégorisations, ladivision sociale du procès d'apprentissage et sa complémentarité disparaissent. Or dénier cettecomplémentarité, n'est-ce pas permettre que certains s'en désinvestissent, d'autres se l'approprient ?

Les récits des rapports à l'univers familial sont en tout cas clairs sur ce point : à aucun moment ces récitsnous renvoient à une simple logique de concurrence. Les parents sont à tel points porteurs de l'obligationscolaire que cela devient le centre des principales disputes qu'ils ont avec leurs enfants (lesquels s'attachantà classiquement dissimuler leurs absences). C'est ainsi que par delà les événements et situations socialesprécaires ou dramatiques qui font évidemment obstacle à la scolarisation, les parents des jeunes interviewésapparaissent comme tous les parents, dans leur diversité et hétérogénéité. Ils s'inquiètent, certains ont sansdoute d'autres urgences, mais, tout aussi souvent ils apparaissent en lutte, pour la réussite scolaire, contrele principe de ce qu'ils perçoivent comme une relégation (dans les dispositifs spécialisés, ce qu'on leurreproche en termes de démission), ou pour ne pas voir leurs enfants "traîner ". Et ils peuvent en venir à fairepreuve d'autoritarisme. Ils prennent des décisions, ou sont enjoints à prendre des décisions (par exemplepar un chef d'établissement) de médiations ou de sanctions dans la logique des ressources qui sont lesleurs, du type « retour au pays », au « bled », qui rend encore plus difficile un nouveau retour à l'école.

Parfois ainsi la question à poser à ces parents pourrait être celle de n'en faire pas plus, ou plutôt autrement,pour la réussite scolaire de leurs enfants. Entendons : non pas plus argumenter ou faire pression pour laprésence à l'école (ce qui est justement investi), mais aussi mettre en œuvre les stratégies de « parrainage» nécessaires à la réussite scolaire : interventions dans les écoles et le travail scolaire, si ce n'estenvahissement de l'espace-temps scolaire et extra-scolaire des enfants, cours particuliers et surtout choixdes filières, des options… Mais même là, on peut se demander : s'agit-il d'une non perception, d'une noncompréhension de cette exigence ? Peut-être, n'écartons pas cette hypothèse dans le cas de parents quin'ont que très peu d'expérience personnelle de la scolarité, et auxquels surtout l'institution actuelle nedistribue pas officiellement toutes les informations nécessaires. S'agit-il tout au contraire d'un refus :pourquoi de fait penser une fois de plus en termes de manque ce qui peut être l'objet du jeu de l'écolerépublicaine (saisie comme elle s'auto-présente, c'est-à-dire comme comportant en elle-même lesingrédients de la réussite), et du refus d'une stratégie utilitariste et consumériste 23 ? Refus ou mouvementde prudence en même temps vis-à-vis de ce qui peut aussi d'ailleurs parfois participer à la fragilisation dulien pédagogique : certaines ruptures le sont aussi dans le zapping entre le privé et le public, dans le choixanxieux de la « bonne école », bonne école que l'on ne trouve pas pour autant (parce que la bonne écolepeut être, quant à elle, en recherche du bon élève) ou dont on doit encore changer car on n'arrive plus à lapayer. C'est ainsi que dans le rappel incessant du "va à l'école ", ce mouvement de "pression" que lesjeunes ressentent et récitent, peut aussi se lire un rapport de confiance dans un service public, maisnéanmoins piégeant dans le contexte du système scolaire actuel : il suffirait que les jeunes aillent à l'écolepour réussir, et qu'ils "rentrent à la maison ", là où, on le sait, ceux qui réussissent aujourd'hui peuvent êtreceux dont la stratégie éclairée permet de faire les bons choix au bon moment, et qui disposent des armescontre la « pédagogie invisible » à laquelle l'école confronte.

Le travail comme vie rêvée et horizon par défaut

Le groupe familial fonctionne certes aussi sur des solidarités, au sens de relations d’aides mutuelles, aidessollicitées. Des sollicitations qui concernent différemment les enfants en rapport avec leur âge mais aussiselon une division sexuée traditionnelle des tâches : aides au travail domestique, auprès d'un parent malade 23 F. Dubet et D. Martucelli, 1996, "Les parents et l'école : classes populaires et classes moyennes", in Lien social et politique RIAC, 35.

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; le fils appelé à donner "un coup de main " au père dans un chantier, ou au frère dans son épicerie.Pourtant, ces sollicitations dans les données que nous avons recueillies restent ponctuelles. On ne peut direqu’elles soient des obstacles immédiats à l’assiduité scolaire. Dans un cas, le « coup de main » du fils dansles chantiers du père s'effectue aussi durant le temps scolaire, ce que dénonce d'ailleurs fortementl'éducatrice (PJJ) suivant le jeune. Pourtant, celui-ci (15 ans) est en grave situation de rupture, son parcoursscolaire est des plus chaotiques, (exclusions, refus de réinscription par un établissement, ballottage durantau moins un an et demie) et il s'expose au risque de la délinquance. N'est-ce pas alors avant tout ce risquequ'essaie de conjurer le père, l'aide à la scolarité ne pouvant pas être directe, le soutien passe par cettetentative d'enrôlement dans son travail. Le modèle d'un monde si ce n'est d'un système économique familialalternatif ou dérivatif vis-à-vis de la scolarité ne semble en fait renvoyer qu'à quelques situations trèsmarginales, si ce n'est relever d'une imagerie conventionnelle provenant des siècles passés.

C'est ainsi d'ailleurs que la question du travail, comme activité alternative, que ce soit en rapport à cessollicitations familiales, ou dans la logique du « petit boulot » et donc à l'initiative propre des jeunes, gagneaussi à être précisée. La visibilité de telles situations est limitée, et celles-ci peuvent aussi apparaître sanspour autant que les jeunes ainsi mobilisés (par une activité menée dans le secteur du commercenotamment), soient en rupture d'école 24. Parmi les jeunes interviewés, l'exercice d'un travail n'est jamaisavancé comme le motif d'un comportement de décrochage. Dans leurs discours par contre, l'horizon dutravail en termes d'apprentissage et d'orientation pré-professionnelle est l'horizon immédiat après la scolaritéobligatoire. On ne trouve guère de représentation d'études générales ou d'études professionnelles pluslongues (bac pro par exemple). Il est vrai que l'apprentissage, ou la mise à niveau pour une formationprofessionnelle courte est la seule perspective qui s'offre à ceux d'entre eux intégrés dans les unitéséducatives du circuit institutionnel mentionné.

Pour ces jeunes, l'univers du travail peut ainsi apparaître comme une alternative mobilisatrice mais le plussouvent opposé à l'activité scolaire comme un faire par rapport à un non-faire, une relative productivité parrapport à l'échec, un moyen d'indépendance dans une projection de vie d'adulte, une vie rêvée peut être.L'horizon professionnel se dit dans les termes de cette perspective ouverte, dynamique par rapport à unesituation scolaire en régression. Elle peut aussi être vécue comme une fatalité sociale et non comme unchoix de métier ou d'activité (le manuel opposé à l'intellectuel, le pratique opposé au théorique). Cesperspectives peuvent se dessiner dès la quatrième ce qui en soi est précoce eu égard aux objectifs assignésà la scolarité. Et elles se font à la fois sous la pression de l'orientation et de solutions à l'impasse de leurscolarité : double pression qui peut se vivre comme éviction, et pression sociale, ou peut encore se formulercomme un choix ou une préférence.

Quand des préférences se manifestent pour un métier en particulier, on observe que l'intérêt s'y est le plussouvent développé dans l'environnement familial, à proximité d'activités familiales : la coiffure parce qu'unetante avait un salon, boulanger parce qu'un beau frère a une boulangerie et qu'on a eu l'occasion detravailler avec lui pendant les vacances, agent de sécurité parce que les frères le sont, routiers parce qu'ilssont chauffeurs-livreurs, etc. Il ne s'agit pas vraiment de procédures de transmission de savoir-faire commeon peut le trouver dans des secteurs de l'artisanat notamment, mais plutôt de familiarisation et d'initiation àun secteur d'activité en particulier sur ses modalités d'apprentissage et l'opportunité de stages si ce n'estd'emploi. Ce constat questionne alors encore ainsi sur les rôles respectifs de l'école et des familles dans cesorientations : rôle alternatif, rôles complémentaires ? S'il ne s'agit pas de transmission de savoir-faire (ou depatrimoine) il s'agit sans doute bien de formes de continuités familiales. Peut-on penser que l'école aurait pufaire rupture ou mobilité ? Ce que l'on constate c'est que la famille donne accès à ce qu'elle connaît, là oùl'école n'a pas permis d'accéder à un mode de connaissance autre ou élargi. En même temps, pour d'autres,ce mode d'accès ne s'opère pas ou est moins explicite dans leurs propos. Ils tiennent alors ce discourscirculaire où ils estiment ne pas avoir d'autre issue que le travail et n'attendent que la fin de la scolaritéobligatoire pour travailler. Leur solution au collège, s'ils y sont encore, est de parvenir à se faire accepter entroisième d'insertion pour réduire le temps scolaire. L'impasse scolaire parvient à faire adopter et faire vivrepar les élèves comme solutions ces classes considérées comme classes de relégation. Faire adopter neveut d'ailleurs pas dire faire adhérer, car les ruptures apparaissent encore là, ou plus tard en cours de CAP :ruptures d'abord précoces, re-scolarisation, puis sortie « sans qualification » ?

Les pairs et la hiérarchisation des univers symboliques

24 Dans notre investigation, nous avons privilégié les circuits commerciaux, mais il est clair que l'on aurait pu aussi mener la recherchedans le secteur artisanal du BTP, dans celui de la restauration, ou dans des secteurs d'emplois saisonniers (de la production agricolepar exemple). La question des « petits boulots », pour les jeunes en âge du collège, n'a pas la même importance que celle observéepour les lycéens, ne serait-ce déjà qu'en rapport à la législation du travail des jeunes.

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En fait, si logiques de concurrence entre mondes sociaux normatifs il y a, celles-ci procèdent moins de leurconfrontation que de l'absence de cette forme particulière de confrontation qui s'appelle le travailpédagogique scolaire justement : l'absence d'institution d'un lieu commun. De ce lieu qu'est l'école en tantque dispositif restituant les univers normatifs pluriels constituant notre société comme univers symbolique,plutôt que «champ » ou « forme scolaire » continuant à les hiérarchiser, explicitement, par la dévalorisation,ou en les ignorant. Si la question du rapport entre l'univers familial et l'univers scolaire, toutes les oppositionsclassiques parsemant les débats sociaux et savants (culture savante / culture populaire ; culture orale/culture écrite, culture franco-française / cultures de l'immigration, différences culturelles) sont ici en question,c'est bien aussi dans les enjeux du rapport aux relations entre pairs que cela apparaît.

Car il est évident que les relations entre pairs se disent, elles, par les jeunes interviewés, comme univers deconcurrence, du moins déjà comme univers faisant obstacle au travail scolaire dans l'école, et commeunivers fournissant les motifs de l'évasion hors école. Les pairs, aux âges ici considérés (13 - 16 ans),forment bien un univers normé - même si cet univers est lui-même pluriel - et se donnent de multiplesobligations entre eux. Obligations, règles et formes de liens qui ne disparaissent pas comme ça à l'entrée enclasse, d'autant plus qu'elles se structurent sous cette forme dans les établissements, où les uns et lesautres se retrouvent le plus souvent co-présents (ce n'est pas que dans les "quartiers" que se constituentces relations entre pairs, celles-ci étant d'ailleurs déjà largement in-formées par les productions culturellesmédiatiques). Du moins une question serait là, encore à devoir être développée : le problème est-il le faitque les collèges ne parviennent pas à faire rupture avec des formes de relation construites en dehors de lui? Est-il le fait que les collèges, ne faisant pas cette rupture, et imposant qui plus est des logiques de « mettreensemble » décrites comme ségrégatives par la recherche actuelle (marché scolaire et constitution desclasses) 25, contribuent directement à la construction de ces formes de relations faisant obstacle à son travail? Quoi qu'il en soit, le problème est bien celui de la non-reconnaissance par ces jeunes, de lacomplémentarité des deux univers, et donc de la non-construction de cette complémentarité par le travailscolaire. Les univers normés informant les relations entre pairs, ne sont certes pas qu'ignorés, ils sont aussiconstamment hiérarchisés, que ce soit sous la figure de la futilité (par exemple les conflits pouvant survenirici entre les pairs étant minorés, considérés dans les discours enseignants sous la figure du "prétexte à ", endécoudre par exemple ), et quand ils sont mis en débat, le sont le plus souvent alors dans un rapport sequalifiant de "disciplinaire".

On pourrait d'ailleurs, de la même manière, insister sur ces récits de jeunes engagés Hip Hop "composant"en permanence des textes pour de la musique rap, et disant néanmoins "détester le français au collège"entre autres parce qu'ils "n'aiment pas écrire". Si ces jeunes retrouvent ainsi l'interprétation relativisteobscurcissant le sens du travail de l'école démocratique, on ne doit pas en conclure pour autant que l'écolese doit de restituer tels quels les univers culturels pluriels dans lesquels ils se construisent : remplacer lessavoirs de l'encyclopédie par « les savoirs chauds et proliférants » de la rue, le patrimoine littéraire par lestextes des jingle de la bande FM. Il s'agit de « s'ouvrir » à ces cultures, sans contribuer à les figer dans latradition exotique ou populiste, mais en apprenant à les connaître, comprendre leur arbitraire, leursconditions sociales et économiques d'existence, ce qu'elles ont de commun ou de différents avec d'autrescomme jeux de langages ou ensemble de conventions et systèmes de contraintes. On peut alors s'endétacher ou se les ré-approprier en y développant ses compétences cognitives et sociales.

Il est certain que ce qui fait ou renforce des liens entre pairs comme liens détournants oufaisant obstacle à la scolarisation, renvoie principalement à la non construction du sens de l'école. Ilest clair, hormis dans les cas rencontrés où l'événement est là qui rompt initialement le lienpédagogique, que le contexte de la déscolarisation est un contexte de non ou dé-mobilisation. Dumême coup c'est bien alors sur le concret du travail scolaire qu'il faudrait poursuivre l'analyse,notamment celui du collège, c'est-à-dire tout autant sur les pratiques pédagogiques que sur lescontenus et formes de construction des savoirs scolaires. On pourrait notamment sur ce pointrappeler l'impasse que constitue la très forte dévalorisation de la culture artistique, ainsi que de laculture technique. Cette dernière est toujours structurellement destinée à ceux qui sont en échec,sous le principe d'une sélection sociale se disant pourtant « orientation ». Si les ministères del'éducation successifs entendent remettre en question depuis… (on serait presque tenté de dire :depuis toujours), cette dévalorisation des savoirs et de la culture technique, alors celle-ci ne doit-ellepas avoir lieu pour tous, en jouant sur le nombre d'heures qui leur est concédé, ainsi que sur

25 Cf. notamment J-P Payet, 2000, "L'ethnicité et la citoyenneté dans l'espace scolaire", in A. Van Zanten (dir.), L'école , l'état dessavoirs, Ed La Découverte ; voir aussi sur cette question, A. Van Zanten, 2000, "Le quartier ou l'école ? Déviance et sociabilitéadolescente dans un collège de banlieue", in Déviance et société, Vol, 24, N ° 4.

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l'accroissement du poids de ces disciplines dans les classements et jugements de sélection, pourtous, dès la sixième ?

L'école occupe une place essentielle dans les dires des jeunes interviewés. Mais ce qui apparaît aussi c'estqu'ils ne vivent pas la place qu'ils occupent à l'école comme leur place ; pas plus qu'ils ne vivent l'écolecomme hospitalière c'est-à-dire leur faisant une place. Leurs évasions entre pairs, ou leur représentationd'un horizon professionnel à très courte échéance scolaire, se construit au creux de ce vide d'école plus qued'un refus d'école, d'une place à l'école qu'ils ne savent pas et ne peuvent occuper. Ils en viennent à s'endétacher et réduire ce temps de l'âge d'école. Penser intervenir en effectuant la même réduction et rajeunir ànouveau l'âge du choix du métier ou de l'orientation professionnelle serait une issue possible à cetteimpasse, éviterait de soulever la question du sens de l'école dans la société actuelle et de ceux auxquelselle est réservée ou refusée. Mais qu'en serait-il de la construction d'une culture commune, et de lasocialisation de ces jeunes sans leur ouverture intellectuelle à la diversité des savoirs nécessaires pour «habiter » notre société contemporaine devenue savante et mondiale ?

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Construction sociale des absentéismes et des décrochages scolaires enFrance et en Angleterre, Catherine BLAYA

Résumé du rapport réalisé par Catherine BlayaLARSEF – Observatoire Européen de la Violence Scolaire –Université Victor Segalen Bordeaux 2Avec la collaboration de Carol HaydenUniversité de Portsmouth

Fondements de la recherche:

Les processus de décrochage et de déscolarisation semblent avoir tendance à se construire dans unelongue durée qui d’une manière générale s’étend de la petite enfance à l’entrée dans l’âge adulte.Tout au long de ce parcours, des étapes importantes se dessinent (entrée en maternelle et ruptureavec le milieu familial ; entrée en 6ème ; passage à l’adolescence…). Les facteurs initiateurs dedéscolarisation peuvent s’inscrire dans tout ou partie de cette durée. Ainsi, certains individus semblentdès le début s’inscrire dans un destin qu’ils auront du mal à éviter – et l’on parlerait presque d’uncontinuum. Cependant, pour d’autres, des évènements surgissent en cours de route, le traumatismeressenti ayant alors pour conséquence de dévier la personne de sa trajectoire initiale. Ce traumatismeinattendu, qu’il s’inscrive ou non dans des fragilités personnelles qui lui préexistaient, est alorsl’initiateur ou le révélateur d’une histoire longue: cette discontinuité est le début ou la mise à jour d’unecontinuité. Il en est ainsi par exemple, des décrochages liés à la violence scolaire. Les facteursinitiateurs de déscolarisation peuvent s’inscrire dans tout ou partie de cette continuité d’où notre choixd’envisager la déscolarisation et de décrochage scolaire sous l’angle d’un processus, c’est à dired’une construction aboutissant parfois à une déscolarisation précoce ou une sortie du systèmeéducatif sans qualification. Nous avons donc choisi de nous intéresser aux différents facteurs etétapes qui pouvaient intervenir en amont de la déscolarisation (absentéisme, échec scolaire, milieufamilial….) mais aussi à la perception des jeunes concernés quant à leur expérience scolaire une foisqu’ils sont sortis du système scolaire, en aval de leur expérience, afin de connaître quelle en est leuranalyse, leur vécu et leurs réactions face à leur situation scolaire. Aussi, si nous avons interrogé enpriorité des adolescents en âge d’obligation scolaire, nous avons souhaité rencontrer également desjeunes de plus de seize ans, pour qu’ils témoignent de leur expérience passée, avec le reculsusceptible d’être acquis une fois leur scolarité interrompue.

Méthodologie :

Ce projet de recherche utilise une méthode qualitative de recueil de données (entretiens semi-directif,biographies). Pour « décentrer » notre vision française, une synthèse de la situation en Angleterre a étéréalisée par un des chercheurs associé à notre laboratoire, le Dr. Hayden de l’Université de Portsmouth, unedes grandes spécialistes anglaises des problèmes de l’exclusion scolaire. Nous ne pouvons ici résumercette synthèse, parvenue tardivement. Le problème des politiques publiques face à l’absentéisme etl’exclusion de l’école est cependant un débat crucial en Angleterre, comme le soulignera la conclusion quenous reproduisons.

Terrains de recherche :

Par nécessité épistémologique, loin des explications monocausales et réductrices, nous avons choisid’inscrire notre travail dans la complexité des situations et des explications.Dans cette optique, les terrains et les situations ont été variés : classes spécialisées (SEGPA, CIPPA,classe-relais), décrocheurs repérés en collège, public accueilli par les missions locales, élèvesintellectuellement précoces en situation de décrochage, tziganes et voyageurs sédentarisés ou nomades,adolescents ayant des problèmes de santé mentale (et entre autres accueillis dans un centre de soinsspécialisé), parents et familles dont les allocations familiales ont été suspendus suite à des problèmesd’absentéisme (avec partenariat avec la CAF). Au total, 220 entretiens ont été menés avec des élèves et des jeunes déscolarisés ou en décrochage et 129avec des responsables institutionnels ou des parents soit 349 entretiens individuels auxquels viennent

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s’ajouter des études de dossiers individuels et 3 journaux de bord qui alimentent ethnographiquement cetterecherche.

Résumé des principales conclusions des recherches (France)

En parlant des « Constructions Sociales des Absentéismes et Décrochages Scolaires en France et enAngleterre » nous avons voulu souligner que la continuité progressive d’une construction sociale inclusedans le terme « processus », ne doit masquer la pluralité de ces processus, et de leurs conséquences. Ilexiste des décrochages scolaires et ceux-ci ont des constructions sociales différentes, même s’ils croisentparfois les mêmes variables explicatives. La variété des processus pourrait dans un premier temps se résumer à la variété des facteurs de risque quisont, sur le plan statistique, autant de variables explicatives bien identifiés dans la littérature scientifiquemondiale. Mais cette probabilité statistique peut entraîner des effets de réel indésirables par stigmatisationde catégories entières de population, et masquer en même temps la catégorisation sociale des parcours, quiest bien plus diverse qu’il n’apparaît généralement. On n’oubliera pas que cette approche est probabiliste etnon fataliste – tant en ce qui concerne les facteurs de risque que les facteurs de protection, qui nefonctionnent pas « automatiquement », y compris dans des milieux pourtant favorisés et par principe en plusgrande affinité avec le milieu scolaire. Certes, la lourdeur des variables sociales justifie l’utilité d’uneapproche par la sociologie de l’exclusion à laquelle ne peut pourtant se réduire une approche scientifique dudécrochage scolaire. Il est bien vrai, en effet, que les phénomènes du décrochage scolaire et de l’absentéisme, posent le rapportde l’école aux classes « populaires ». Il dit et joue un rapport de domination déjà largement décrit. Ainsi, biendes observations que nous avons livrées vont dans le sens d’une construction du décrochage par un ennuilié aux décalages culturels, aux figures du mépris et de l’hypocrisie scolaire. Les violences symboliques dela domination se concrétisent et se pérennisent dans des institutions et des structures : démarchesd’orientation, relégations et stigmatisations diverses, microexclusions qui les préparent et les annoncent,curriculum caché ou non. Notre travail a ainsi largement vérifié cette première construction sociale dudécrochage scolaire qu’est le décrochage d’un certain nombre d’élèves issus de milieux peu favoriséséconomiquement et « culturellement ». Cependant, nous avons vu que l’on aurait tort d’en conclure que le problème ne concerne que des élèves declasses sociales défavorisées, voire des élèves « peu doués ». Nos rencontres avec des enfantsintellectuellement précoces nous ont permis un renversement de perspective. Les conclusions ici sontdifférentes : l’ennui à l’école et le décrochage scolaire ne procèdent pas du seul décalage entre la culturedes dominants et celle des dominés, même si ce peut être le cas. Ils peuvent être des expériencescommunes à des élèves de milieux sociaux très différents. Cela signifie bien que les facteurs de risque nesont pas seulement socioéconomiques, et que les facteurs de protection qui sont l’appartenance à desclasses plus favorisées en termes de capital économique et culturel ne sont pas totalement efficaces. Celaimplique aussi de ne pas centrer les programmes de prévention et d’action sur une seule catégorie d’élèves.Les histoires difficiles de certains élèves intellectuellement précoces inversent également le sens des effetsd’attente qui sont à la base des théories de l’étiquetage : il peut être aussi difficile d’être attendu dans uneréussite scolaire par croyance en des dons exceptionnels que d’être assigné dans un destin d’échec parcroyance en une sous capacité théorique procédant de la même idéologie des dons. L’absentéisme est souvent associé au décrochage scolaire, qu’il annonce et parfois qu’il conclue. Il estsurtout associé aux conduites à risques et en particulier à la délinquance juvénile. Cela n’est pas faux ensoi : les absentéistes sont plus souvent délinquants que les non absentéistes et les délinquants ont étémajoritairement absentéistes, de nombreuses recherches l’ont prouvé. Cependant, nous avons d’abordremarqué, utilisant les chiffres d’une enquête récente de délinquance autodéclarée, que même si un grandnombre de délinquants sont absentéistes, 60% des absentéistes n’ont jamais commis d’actes dedélinquance avérée ce qui implique qu’en majorité les absentéistes sont occupés à autre chose. Il convientd’éviter de croire que les absentéistes le sont essentiellement pour se livrer à l’action bien plus drôle de latransgression sociale et de la délinquance. Bien des absentéistes, d’abord, s’ennuient, et ils sont seuls,souvent devant un écran, s’enfonçant peu à peu dans une dépression et une perte d’estime de soi quiouvrent à des conduites à risques qui n’ont rien de rituels festifs. Délinquance et violence ont aussi à voir avec l’absentéisme et avec le décrochage d’une manièreinsoupçonnée: il existe un fort absentéisme liée à la peur de la violence scolaire, ce qui est une manièred’échapper à la « loi du plus fort » que notre équipe a abondamment décrite par ailleurs. Cette fuite est unedes entrées possibles dans ce qui forme une des catégories majeures de notre étude : la relation entre ledécrochage et la santé mentale.Là encore, nous avons nous semble-t-il, recueilli un matériau qui inverse les paradigmes. Au jeunedangereux s’oppose la figure du jeune en danger, non pas tant dans la naïveté commune de « l’excuse » del’agresseur-agressé, mais bien dans le réel problème du drame que représente le suicide et l’autoviolenceou plus communément la dépression. La peur d’être victime, la phobie scolaire, la dépréciation de soi-mêmeont été étudiés à travers les histoires difficiles de jeunes rencontrés grâce à un centre de soins spécialisé

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dans l’accueil de ces publics. Dans toutes ces histoires le décrochage et l’absentéisme sont présents,souvent comme symptômes, souvent aussi comme cause rétroactive de la dépression ; parfois ils sont eneux mêmes une autoviolence. Les difficultés des jeunes rencontrés ne sont pas toujours loin de là liées àdes facteurs économiques : chaque cas est singulier, fait de ruptures, de rencontres malheureuses. Le seuldénominateur commun semble bien être d’abord cette souffrance. Il ne s’agit pas bien entendu demédicaliser tout décrochage scolaire ou tout absentéisme, il n’empêche que ce soin est parfois nécessaire,même si dans les biographies recueillies, il vient souvent bien tard, trop tard parfois. Ce caractère tardif de l’intervention salutaire s’oppose point par point au caractère précoce de bien desconstructions sociales du refus de l’école. Les récits des familles sont clairs sur ce point et témoignent deleur solitude de longue durée, de leur dévalorisation et de leur demande d’aide, quand elles perçoiventsurtout de la condamnation. Condamnation dont nous avons montré à la fois les effets pervers etl’inefficacité. Ainsi la suspension des prestations familiales, outre qu’elle est parfois prononcée pour dessituations très mal identifiées, ne ramène guère les jeunes vers l’école.

Conclusions de l’étude anglaise :

Les données les plus récentes concernant l’exclusion dans les écoles anglaises (à la date de la rédaction decet article), montrent une hausse par rapport à l’année scolaire précédente. Le gouvernement a dorénavantabandonné ses objectifs en matière d’exclusion et semble accepter que le niveau actuel d’exclusion risquede se maintenir, au moins dans un proche avenir. La colère monte parmi les syndicats d’enseignants depuisl’introduction de la circulaire « Social Inclusion : Pupil Support » en septembre 1999. Le langage employépour décrire le comportement des élèves est devenu de plus en plus chargé d’émotions. L’emploi du mot« violence » se généralise et on assiste à un durcissement net des positions.La réduction des formes différentes d’absentéisme scolaire (enregistré comme étant avec ou sansautorisation) s’est avérée un objectif difficile. La réduction d’un tiers de l’absence scolaire fixée pourseptembre 2002 n’a pas été atteinte. Cependant, le gouvernement est loin d’avoir abandonné l’idéal de laréduction de l’exclusion sociale et de la promotion de l’inclusion sociale à travers l’éducation, et le débat faitrage autour des réponses appropriées à ces défis. En revanche, il y a une tendance perceptible vers uneattitude plus punitive vis-à-vis du comportement des jeunes (et de leurs parents) au cours de ces deuxdernières années. L’amende maximale infligée aux parents qui n’assurent pas la présence de leur enfant àl’école a été portée de 1.000 à 2.500 livres sterling ou une peine d’emprisonnement maximale de trois moispar un amendement de la Loi sur l’éducation de 1996, entré en vigueur en 2001. En mai 2002, un premierparent (mère célibataire de deux adolescentes) à été emprisonné pour 60 jours suite à ce durcissement dela Loi de 1996 entré en vigueur en 2001 (Passmore, 2002).Certains principes importants ont néanmoins été établis. On prévoit, à compter de septembre 2002, que toutélève exclu de l’école pour une période de plus de 15 jours reçoive une formation alternative à plein temps.Nous ne disposons pas encore de données nous permettant de savoir si tel est le cas. Les examens GCSEprofessionnels sont lancés à partir de septembre 2002, ce qui devrait fournir la possibilité d’un itinéraire plusadapté à certains jeunes. Un assouplissement du Programme national permettant davantage de cursusprofessionnels à certains jeunes au Stade 4 (14 à 16 ans) est maintenant acquis. Depuis 1997, il y a eu uneréduction globale du nombre d’exclusions définitives et une augmentation des heures de cours fournies auxjeunes en dehors de l’école. Nous disposons de quelques éléments concernant les moyens les plusefficaces de garder les enfants et les jeunes dans les établissements scolaires ou de faire en sorte qu’ilsentrent déjà à l’école au départ. Fournir des ressources complémentaires aux écoles pour le soutiend’enfants particuliers, inscription double (temps-partiel à l’école, temps partiel dans un centre éducatif ou uneUnité de rattachement) et des options orientées davantage vers le professionnel au Stade 4 constituentautant de moyens de garder les jeunes à l’école, au moins dans certains cas. On affirme que les écolesspécialisées enregistrent de grands succès dans l’amélioration de la motivation (des jeunes, comme desenseignants) et des résultats scolaires. Des programmes particuliers ont aussi obtenu des résultats positifsavec des jeunes en difficulté.En termes d’assiduité à l’école, tous les programmes ont enregistré des améliorations à la suite de projetsciblant précisément ce critère (inscription électronique, suivi de l’absence dès le premier jour et « rafles defugueurs » par les assistants sociaux des services de l’éducation ou la police). On a noté, en revanche, unimpact plus réduit sur les cas impliquant des schémas de non-présence bien établis et lorsque les enfantséchappent au contrôle des parents (Atkinson et al., 2001).Un enjeu clé que nous devons comprendre dès maintenant est la façon dont la gamme actuelle de projetspilotes localisés et à durée déterminée peuvent être étendus pour donner un système national cohérent deservice de soutien pédagogique. Le patchwork actuel d’approches soulève des interrogations quant à sonéquité, sa durabilité et la démultiplication de l’effort. De plus, de nombreux « projets spéciaux » ont unimpact sur les charges de travail des enseignants à un moment où l’on reconnaît qu’ils sont débordés et où ilexiste des problèmes de recrutement et de fidélisation.

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« Déscolarisation » des collégiens de milieux populaires : parcours etconfiguration, Daniel THIN

Daniel THIN, Groupe de recherche sur la socialisation, Lyon II

REMARQUES PROVISOIRES SUR LES « RUPTURES SCOLAIRES » DES COLLÉGIENS DE FAMILLESPOPULAIRES

L'objet de ce texte est de proposer, à partir d’une recherche en cours, quelques jalons susceptibles derendre sociologiquement intelligibles, les configurations et les parcours qui conduisent aux « rupturesscolaires » des collégiens de « milieux populaires ». Le choix d’étudier les collégiens de ces catégories tientau fait que ces derniers sont les plus touchés par les « scolarités avortées » qui sont « dix fois plusfréquentes pour les enfants d'ouvriers que pour les enfants de cadres »26. Il s’appuie sur la thèse selonlaquelle le fondement des « ruptures scolaires » de collégiens de milieux populaires réside dans lacontradiction entre les logiques sociales dans lesquelles les jeunes des familles populaires (etsingulièrement les plus dominées) sont socialisés, et les logiques scolaires. De ces orientations résultentl’hypothèse selon laquelle « ruptures scolaires » et « déscolarisation » ne peuvent être réduites à desdysfonctionnements familiaux ou scolaires mais doivent être envisagées comme un processus résultantd’une configuration de relations et de contraintes d'interdépendance contradictoires. L’étude simultanée del'histoire familiale, des parcours scolaires, des relations de quartier ou des relations de sociabilité juvéniledes collégiens et l’étude de leur articulation visent à comprendre comment, ces dimensions se conjuguentpour produire un rapport spécifique à l'école, aux apprentissages scolaires et à l'ordre scolaire. Tel estl’objectif central du travail27 dont ce texte voudrait présenter les premiers résultats.

Morphologie sociale et scolaire de la population

Des familles populaires parmi les fractions les plus démunies

Les renseignements dont nous disposons montrent que nous avons massivement affaire dans lesdispositifs relais à des collégiens issus de familles populaires, souvent des fractions les plus démuniesd’entre elles. Nombre de ces dernières connaissent des situations de forte précarité économique (emploisprécaires, chômage). Rares sont les emplois qui n’appartiennent pas aux Professions et Catégories Socio-Professionnelles « ouvriers » ou « personnels de service ». Parmi les professions renseignées dans lesdossiers des dispositifs relais et outre les nombreuses personnes sans emploi ou au chômage, on trouvecomme intitulés d’emploi : chauffeur-livreur, agent de service, gouvernante, mécanicien automobile, cariste,agent de propreté, soudeur, employée de maison, monteur-couvreur, maçon, femme de service, agent desécurité, routier...

Outre ces caractéristiques socio-professionnelles, le nombre d’enfants dans les familles est souventélevé (en comparaison à la moyenne nationale). Ainsi, au dispositif de Saint-Étienne, le nombre moyend’enfants par famille sur lesquels nous avons l’information dépasse 4 enfants, de nombreuses familles ayant3 enfants et plusieurs ayant 4, 5 ou 6 enfants, le nombre le plus élevé étant de 8. Si, pour partie, ce nombred’enfants est dû à une forte fécondité familiale, il est dû également à des recompositions familiales quiadditionnent les enfants de deux foyers antérieurs. Par ailleurs, les dossiers révèlent que dans 50% desfamilles un seul des parents est présent, le plus souvent la mère, que cela renvoie à des séparations, desdécès ou à des situations de « mères célibataires ». Pour autant, ces caractéristiques ne doivent pas êtrelues comme des explications, même partielles, des parcours de « ruptures scolaires ». Le nombre élevéd’enfants est une caractéristique des familles appartenant aux catégories les plus démunies et les plusdominées de la population. Il vaut davantage comme indice de cette position sociale que comme facteur de 26. S. Broccolichi, « Les interruptions précoces d'études », X.Y.ZEP, Bulletin du Centre Alain Savary, décembre 1998, p. 3.27 Ce texte s’appuie sur les résultats partiels d’une enquête auprès de collégiens en « ruptures scolaires » pris en charge par les dispositifs relaisde la région lyonnaise et stéphanoise (Dispositif R.E.L.A.I.S. de St-Etienne, et D.S.A. de Lyon). Il importe de noter le caractère empiriquementinédit du dispositif d’enquête, à la fois par l’ampleur du travail de terrain réalisé et par les exigences de validation empirique que suppose notresouci de mettre en relation un nombre d’entretiens et d’informations très diversifié pour saisir chaque parcours de collégiens. Les analyses quisuivent repose sur l’étude intensive d’une dizaine de cas de collégiens, sur la réalisation d’une soixantaine d’entretiens avec des collégiens, leursparents, des enseignants, des travailleurs sociaux, sur le relevé d’environ 70 dossiers de collégiens pris en charge par les dispositifs ainsi quel’ensemble des dossiers scolaires des collégiens enquêtés.

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« ruptures scolaires ». Quant à la structure familiale, de nombreux travaux montrent qu’elle n’est pasdéterminante en soi dans les parcours scolaires des élèves.

Deux profils de familles : production et reproduction du « déclassement »

Schématiquement, on peut distinguer deux groupes de familles sachant que certaines sont à la frontièreentre ces deux groupes. Un premier groupe renvoie à des familles qui connaissent une forte précaritééconomique caractérisée à la fois par la faiblesse, l’incertitude et l’inconstance des revenus. C’estparticulièrement le cas de mères seules qui n’ont pas d’emploi. Nous avons affaire ici à des familles auxconditions sociales d’existence difficiles, à l’avenir jamais assuré, contraintes pour une part à vivre au jour lejour, cumulant des difficultés sociales dans le cadre desquelles les parents courent le risque d’êtredisqualifiés aux yeux mêmes de leurs enfants par leur impossibilité à assurer de meilleures conditionsd’existence à la famille.Le deuxième groupe se compose de familles plus « installées » au plan économique, dont les revenus sontà la fois plus stables et plus élevés. Ce sont pour l’essentiel des ouvriers ou des employés peu qualifiés :monteurs, agents de sécurité, maçon non qualifié personnel de service. La stabilité de l’emploi fait parfoissuite à des périodes d’instabilité et de chômage. Ainsi, ce père, agent de sécurité, a connu une période dechômage d’environ dix ans avec quelques « petits boulots » au milieu, puis des contrats à duréeindéterminés avant de retrouver un emploi stable depuis seulement cinq ans. Quelques-uns ont pu acheterun logement avec parfois des difficultés pour faire face aux remboursements, quelquefois des difficultés pourrevendre le logement acheté lorsque le quartier a connu une sensible disqualification sociale. Si ces famillesse distinguent des premières par une plus grande aisance économique, celle-ci n’est pas très ancienne et nesemble pas complètement assurée pour l’avenir. En outre, cette aisance toute relative se paie par descontraintes professionnelles fortes sur la vie familiale. Plusieurs emplois sont des emplois qui empêchentune présence régulière des parents (ou de l’un d’entre eux) au domicile familial : travail en alternance dumatin et du soir, travail de nuit, déplacements nombreux, horaires étalés dans la journée.Les deux groupes de familles partagent des caractéristiques proches en matière scolaire. Les parents ont eudes scolarités courtes, ne dépassant pas le CAP que très peu d’entre eux détiennent. Ils ont donc peu deressources au plan scolaire et plusieurs évoquent leurs difficultés à aider leurs enfants (« à 12 ans j’ai pasété à l’école eh, j’ai pas été à l’école, j’ai oublié beaucoup, et maintenant quand il commence à taper dans leplus dur, moi j’arrive plus, parce que je sais pas, je peux pas l’aider. »). Tout se passe comme si, pour lesfamilles les moins démunies au plan économique, les ressources scolaires des parents étaient insuffisantespour soutenir la scolarité de tous les enfants, en particulier les ressources scolaires de la mère lorsque lepère est absent, soit du fait d’une dissociation conjugale, soit du fait d’horaires de travail qui l’éloignent dudomicile familial28. Si les enfants qui ne rencontrent pas de problèmes scolaires particuliers peuventpoursuivre leur scolarité sans trop d’anicroche, ceux qui rencontrent des difficultés se retrouvent rapidementà court de soutien familial. Les familles ne peuvent assurer à coup sûr la « promotion » de tous leursenfants, ni même leur maintien dans une position sociale équivalente à la position sociale familiale. Lesmoments de passage d’un cycle à l’autre (comme le passage de l’école primaire au collège) qui entraîne unchangement de nature et de niveau d’exigences sont particulièrement décisifs car aux difficultés nouvellespour le collégien se combine le « décrochage » des parents du point de vue de l’aide et de l’encadrementqu’ils peuvent apporter.

Des parcours déclassés dans des collèges de quartiers populaires.

Il est possible d’objectiver les parcours scolaires des collégiens pris en charge à travers une séried’indicateurs. Caractériser sociologiquement et scolairement les collèges où les collégiens sont entrés ensixième permet de rendre compte d’un contexte où s’enracinent les « ruptures scolaires » étudiées. Nousavons utilisé les statistiques académiques sur les collèges de la Loire pour qualifier les établissements. Sur44 dossiers étudiés et renseignés29, 34 collégiens (un peu plus de 75 %) sont entrés en sixième dans descollèges où le poids des catégories « ouvriers, chômeurs et inactifs » est supérieur à leur poids (49%) dansl’ensemble des collèges du département. Parmi ces collégiens, 19 (43% de l’ensemble) sont entrés dansdes collèges où le pourcentage représenté par ces catégories est supérieur à 70%. Ces collèges sont doncdes établissements dans lesquels les catégories populaires sont prédominantes. Le fait se confirme si on yajoute la catégorie des employés : alors que le poids cumulé des catégories ouvriers et employés est de60,49 % dans l’ensemble des collèges du département, 66 % des collégiens sont entrés en sixième dansdes collèges où le poids de ces catégories est supérieur à 70 %.Outre la composition socio-démographique des collèges, ces derniers se caractérisent par des taux deréussite au brevet des collèges inférieur à la moyenne du département. 33 collégiens sur 44 (75 %) ont 28. Du fait de la division sexuelle du travail dans les familles populaires, les mères sont souvent chargées des questions du suiviscolaire quotidien des enfants. Dans certaines familles populaires, les mères sont plus proches des logiques scolaires que les pères etpeuvent du coup encadrer la scolarisation de manière pas trop éloignée des exigences scolaires. Or, dans nombre de familles étudiées,les mères ne constitueraient pas un « rempart » contre les difficultés scolaires les plus importantes parce qu’elles ont elles-mêmes unfaible capital scolaire et parfois un rapport à l’école marqué par les souvenirs douloureux de leur propre scolarité.29. Ce sont les dossiers du dispositif RELAIS portant sur l’année scolaire 2000/2001.

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commencé leur scolarité dans des collèges où la réussite au brevet est au maximum de 74,7 % alors que lamoyenne du département est de 75,84 % en 2001, 22 sur 44 (50 %) viennent de collèges où la réussite aubrevet est inférieure à 67,8 % et 13 sur 44 (29,54 %) de collèges où la réussite est inférieure à 59,8 %. Nousavons donc affaire à des collèges d’origine dont les performances scolaires sont nettement inférieures auxperformances de l’ensemble des collèges de la Loire.Si les « ruptures scolaires » ne peuvent s’expliquer mécaniquement par le contexte que révèlent ceschiffres, elles y trouvent néanmoins leur terreau social. Les « ruptures scolaires » sont d’abord des« ruptures scolaires » de milieux populaires et elles sont une des modalités de ce qu’on appelle courammentl’« échec scolaire » dans les milieux populaires. Souligner cette dimension permet de ne pas oublier 1) queles parcours étudiés, pour être différents les uns des autres quand on les compare les uns aux autres, nesont pas singuliers au point de relever d’une « problématique » isolée de la question de la scolarisation desenfants des milieux populaires, 2) qu’il n’y a pas toujours de coupure franche entre les collégiens identifiésou catégorisés en « ruptures scolaires » et de nombreux autres collégiens issus de familles populaires.Une autre dimension des parcours des collégiens pris en charge par les dispositifs relais est l’anciennetédes « problèmes scolaires » révélés par les dossiers. D’après les dossiers des deux dispositifs relais, 55collégiens sur 66 (83,4 %) sont « en retard » par rapport au rythme de scolarité « normal ». Parmi eux, 27ont un retard supérieur ou égal à deux ans (40,9 % du total). Si nous n’avons pas les informations relativesaux redoublements à l’école primaire, on peut en revanche constater que 36 sur 66 (54,55 %) ont redoubléau moins une classe de collège, et tout laisse penser que nombre de ces collégiens sont arrivés au collègeen ayant déjà accumulé un retard par rapport au rythme de scolarité « normal ».Le parcours dans les collèges peut également être appréhendé par ses dimensions disciplinaires à traversles sanctions que les collégiens ont subies. Les dossiers évoquent de nombreuses exclusions temporaires,des signalements pour absences répétées. Au moins un tiers (22 sur 66) des collégiens ont été l’objet d’uneou plusieurs exclusions définitives par conseil de discipline. Ce chiffre sous-évalue les exclusions définitivescar, d’une part, les dossiers ne sont pas tous entièrement renseignés sur ce point et, d’autre part, il faudraitajouter les exclusions officieuses qui passent par des échanges entre collèges des collégiens les plusperturbateurs de l’ordre scolaire, de même que les changements de collèges opérés par les familles justeavant que l’exclusion ne soit prononcée. Parmi les conséquences de ces exclusions, il faut noter le nombreélevé de collèges fréquentés par les collégiens étudiés. On obtient une moyenne de 2,29 collèges parcollégiens sur l’ensemble des dossiers étudiés (144 collèges pour 42 collégiens soit 2,73 en moyenne àRELAIS et 33 collèges pour 22 collégiens soit 1,5 au DSA). Plusieurs collégiens ont fréquenté jusqu’à 5collèges en 3 ou 4 ans. Les changements de collèges ne sont pas tous dus à des exclusions. Desdéménagements de la famille peuvent en être la cause. Néanmoins, la fréquence des changements signeclairement des rapports difficiles avec les établissements scolaires et une accumulation de problèmes ou deconflits.

De quelques traits pertinents des configurations et des parcours de « ruptures scolaires »

Les formes de la régulation familiale

La dimension des formes de la régulation familiale apparaît comme une dimension centrale pourcomprendre les parcours des collégiens et leurs comportements. « D'une classe sociale à l'autre lasocialisation varie dans son intensité et sa continuité. Dans la définition des étapes et des âges desdifférents apprentissages et, aussi, en partie, des normes inculquées. En effet, contrairement aux analysesqui distinguent les classes populaires des classes moyennes par l'« esprit autoritaire » ou « libéral » desméthodes d'éducation, les différentes classes sociales se différencient d'abord par l'extension de larégulation. Plus on s'élève dans la hiérarchie sociale, plus le champ du contrôlable est étendu, plus grandest le nombre de domaines réglés (…) ; les classes favorisées se distinguent par la disposition à régler etcontrôler, serait-ce de façon diffuse et discrète, des domaines de la conduite qui, dans les classespopulaires sont concédés à la libre fantaisie et ainsi, ouverts à des influences extérieures, en particulier àl'influence des groupes de pairs »30. Les formes de la régulation dans les familles populaires (notamment lesplus dominées), et l’amplitude du contrôle exercé sur les comportements, doivent être associées au moded’exercice de l’autorité dans les familles populaires. En effet, celui-ci relève davantage d’un « contrôleextérieur » limitant l’effet de l’autorité aux actions directes des adultes sur les enfants31 que d’un moded’exercice d’autorité par autocontrainte pouvant exercer son influence au-delà de la surveillance directe desparents. Cette logique du contrôle extérieur, qui cohabite souvent avec une grande liberté des enfants dansdes espaces où le contrôle parental a du mal à s’exercer, concourt à la réduction de l’amplitude de l’actionrégulatrice des comportements juvéniles.

30. J.-C. Chamboredon, « La délinquance juvénile, essai de construction d’objet », Revue française de sociologie, XII-3, 1971, p. 179-180.31. D. Thin, Quartiers populaires. L’école et les familles, PUL, 1998, p. 104-120.

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Les situations spécifiques des familles et leurs conditions sociales d’existence concourent à réduirel’emprise parentale sur les comportements des enfants. Les conditions matérielles d’existence ne permettentpas toujours que s’établisse un contrôle effectif sur les pratiques des collégiens. Dans plusieurs familles, leshoraires de travail des parents les éloignent du domicile et réduisent leurs possibilités d’action à la foisparce qu’ils voient peu leurs enfants et parce qu’ils se sentent du même coup moins autorisés à intervenir,en particulier pour les réprimander. Les conditions de logement ont également des effets au sens où lesenfants, et surtout les adolescents, ne peuvent être maintenus au domicile familial. Dans une familleenquêtée, la cohabitation de plusieurs générations sous le même toit dans un espace réduit contraint lamère du collégien à le laisser sortir avec très peu de contrôle.

Au cours de l’entretien, la grand-mère est souvent présente, elle passe de pièce en pièce comme s’il n’yavait pas de lieu où s’extraire de notre présence. Le collégien, Rochdi, entre dans l’appartement, vientvoir ce que nous faisons, passe dans une autre pièce, met en marche la radio sur une station diffusant durap. Le son est très fort. Sa mère se lève pour couper la radio qui gêne l’entretien. Rochdi remet la radio,puis la grand-mère change de station pour écouter une émission en arabe. Finalement, Rochdi sort del’appartement sans en informer personne. Sa mère nous dira un peu plus tard qu’elle ne peut le garder àl’intérieur à bientôt 16 ans et parce qu’il dérange sa grand-mère.

L’étude des situations familiales fait apparaître des formes d’isolement social relatif dans plusieurs familles.On pourrait d’abord parler d’un isolement de position au sens où les familles étudiées, pour appartenir auxcatégories ouvriers ou personnel de service, n’en occupent pas moins soit des positions inférieures oumarginales à l’intérieur de ces catégories par le chômage et la précarité, soit des emplois qui ne les insèrentpas dans un groupe ouvrier stable et partageant des références communes32. La question de la positionfamiliale dans le groupe de référence était déjà envisagée par Chamboredon comme un élémentcaractéristique des jeunes délinquants de milieux populaires33. On trouve ainsi des familles déclassées àl’intérieur de leur groupe social et familial, comme cette famille marocaine issue par le père d’une famille decommerçants dans laquelle tous les fils ont dépassé le baccalauréat dans leur pays alors que le père estouvrier non qualifié et cumule les périodes de chômage.La situation d’isolement relatif est perceptible au travers des conditions d’existence et d’habitat. Al’enclavement spatial des lieux d’habitation s’ajoutent des formes d’isolement à l’égard du voisinage. Enfin,l’isolement relatif de familles est lié à l’histoire familiale faite de ruptures dans plusieurs familles. Les rupturessont bien sûr associées aux séparations des couples qui affaiblissent le réseau de sociabilité parce quedans les familles étudiées, elles s’accompagnent de coupures avec la famille de l’ex-conjoint. Elles passentaussi par des conflits à l’intérieur des familles comme dans le cas de cette famille où les ponts ont étécoupés avec les frères et sœurs de parents. Certaines familles cumulent les facteurs d’isolement :

Mme Ammari ne voit presque plus sa belle-famille depuis le décès de son mari. Elle a eu un autre enfantd’un père qui ne vit pas avec elle. Elle a peu de contacts avec ses voisins qui partagent une mêmeorigine nationale et une même expérience de la migration et se regroupent sur une base communautairedans laquelle elle n’a pas sa place. En outre, elle ne travaille pas et n’a donc aucune relation avec descollègues de travail. Ses interactions principales en dehors de celles qu’elle a avec son fils sont desinteractions avec les agents de l’institution scolaire ou du travail social pour traiter des problèmesscolaires du fils ou des aides sociales pour la famille.

La réduction du réseau de sociabilité familial et de voisinage tend à réduire du même coup l’étendue ducontrôle des comportements. Quand les relations avec le voisinage sont réduites et quand les voisins sontdans des situations similaires aux familles étudiées, celles-ci ne peuvent guère compter sur le contrôle duvoisinage qui s’exercerait sur leur enfant et ses pairs34. De même, l’absence ou la faiblesse des relationsavec les ascendants ou les collatéraux limite l’action de régulation aux seuls parents qui ne peuvent comptersur des ressources familiales pour faire face aux comportements contraires à la morale familiale ou auxexigences des institutions comme l’institution scolaire.De ce point de vue, les mères seules sont particulièrement vulnérables, leur réseau de sociabilité étantparfois réduit au point que l’on peut, à leur propos, parler de « mères insulaires ». Elles ne peuvent comptersur l’autorité traditionnelle des pères. Cette situation s’articule en outre avec la question des sphères decompétence ou de légitimité attribuées aux hommes et aux femmes dans les familles étudiées.Conformément à un modèle encore très présent dans les milieux populaires, les femmes sont davantageancrées du côté de l’intérieur du foyer, en particulier lorsqu’elles ne travaillent pas. A l’inverse, les hommessont davantage situés dans la sphère publique, hors du foyer (travail, quartier). Or, les adolescents, enparticulier les garçons, sont fortement inscrits dans l’espace public du quartier et leur réseau de sociabilitése constitue principalement dans cet espace35. Du coup, il semble bien difficile aux mères d’instaurer uncontrôle sur des pratiques qui se déroulent en dehors de leur sphère de compétence, dans un espace où

32.S. Beaud et M. Pialoux, Retour sur la condition ouvrière, Fayard, 1999.33. J.-C. Chamboredon, « La délinquance…, op. cit., p. 176.34. Nos recherches antérieures sur les familles montraient qu’une partie d’entre elles espèrent un contrôle réciproque des enfants parles voisins lorsque les enfants sont en bas de l’immeuble.35. S. Beaud, « Un temps élastique. Étudiants des "cités" et examens universitaires », Terrain, n° 29, septembre 1997, p. 43-58 ; D.Lepoutre, Cœur de banlieue, Odile Jacob, 1997.

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elles ne se sentent pas légitimes et ne sont sans doute pas reconnues comme légitimes par leurs propresenfants.Cette réduction du réseau de sociabilité est du même coup une réduction des solidarités et des ressourcespour faire face aux difficultés de la vie. Cette question des solidarités est d’autant plus importante que l’on aaffaire à des familles relativement désaffiliées au sens de Castel36, c’est-à-dire coupées des solidaritésinstitutionnalisées qui ne fonctionnent que pour autant que les individus restent inscrits, notamment par letravail, dans le système de ces solidarités. Lorsqu’elles sont défaillantes, les solidarités personnelles et deproximité semblent essentielles dans de nombreux secteurs de la vie. La rupture de liens de solidarité àl'intérieur de la famille nucléaire ou élargie, avec le voisinage, peut être alors un facteur d'aggravation del'existence des familles. Tout laisse penser qu’on assiste pour les familles étudiées à un affaiblissement desressources mobilisables pour faire face aux problèmes de l’éducation des enfants et notamment en matièrede régulation et de contrôle des comportements.

Sociabilité juvénile et enjeux scolaires

La question des relations avec les pairs est à la fois une dimension indispensable pour comprendre lesparcours de « ruptures scolaires » et une dimension difficile à saisir. Elle est indispensable parce qu’ellepeut être en tension avec les exigences scolaires, la sociabilité juvénile des collégiens de milieux populairesprenant des formes souvent contraires aux normes et aux exigences scolaires. Elle est difficile à saisir parcequ’il faudrait reconstruire le réseau de relations avec précision et connaître les détails des activités descollégiens avec leurs copains. Or, si l’entretien permet d’obtenir des informations sur les effets de cesrelations dans les parcours, il ne permet pas d’obtenir des détails précis que les collégiens protègent duregard des adultes.L’importance des pairs, c’est-à-dire pour les collégiens interrogés les jeunes qui leur ressemblent et quihabitent les mêmes quartiers, se manifeste d’abord, paradoxalement, lorsque les collégiens en sont coupés.Plusieurs collégiens interrogés soulignent leur malaise lorsqu’ils se retrouvent dans des quartiers ou desétablissements scolaires qui les coupent de leur réseau de copains. Ils manifestent leur attachement à leurancien quartier, en général celui où ils ont grandi et sont allés à l’école élémentaire. Souvent, ils y retournentdès qu’ils le peuvent, notamment si leur nouveau quartier ne permet pas de nouer de nouvelles relationsavec des jeunes dotés des mêmes caractéristiques, i.e. des jeunes de milieux populaires. Ainsi, Amina qui, obligée de déménager avec sa mère, s’est trouvée contrainte de quitter son collège, sonquartier, sa ville. Au moment de l’enquête, aucun des agents institutionnels ne semble savoir où Amina estscolarisée. Nous apprenons lors de l’entretien avec sa mère qu’Amina s’est réinscrite, à l’insu de celle-ci eten ayant elle-même pris l’initiative des démarches de changement d’établissement, dans un collège de saville d’origine où sont scolarisées ses copines. Durant l’entretien auquel elle assiste, Amina fait part de sonregret de ne plus habiter cet endroit où elle voudrait bien retourner, son départ ayant coïncidé avec undéracinement social et affectif.C’est encore plus patent lorsque les aléas de la vie familiale ou les sanctions de l’institution scolaireconduisent les collégiens dans des collèges où élèves issus de familles populaires ne sont pas dominants.L’extrait d’entretien qui suit est particulièrement révélateur du décalage exprimé par plusieurs collégiensinterrogés :

« Enquêté : Ben en fait y'en a qui font semblant d'être des p'tites bourges parce qu’ils se prêtent leurshabits entre eux, les filles elles se prêtent leurs habits entre elles, les garçons ils se prêtent les vestes ettout. (…) Et au bout d'un moment ils se prêtaient leurs habits et tout et c'est si elle est pas habilléecomme les autres déjà ça va pas après c'est s’il se comporte pas pareil que les autres ça va pas etmaintenant s'il a une manière différente de vivre qu'il fait des trucs que les autres ils n'ont pas et ben yvont pas le regarder.Enquêteur : Et leurs relations avec les professeurs étaient différentes de vos amis de la Tone ?Enquêté : Ils sont vraiment lèche botte ceux là. »

Plusieurs témoignages vont dans ce sens. Une mère nous décrit comment son fils, au cours de sascolarisation à l’école élémentaire, s’est senti rejeté par les élèves de sa nouvelle école parce qu’il était undes rares enfants issus d’une famille populaire, immigrée de surcroît. Que ce rejet soit réel ou non estsecondaire. Ce qui s’exprime ici, c’est le sentiment de décalage, l’impression de n’être pas à sa place etl’expérience directe de l’écart de positions sociales différentes ; c’est aussi l’expérience de ne pas avoir lesmêmes atouts pour faire face aux enjeux scolaires. Du coup, les collégiens qui se retrouvent dans descollèges où ils se sentent minoritaires dans leurs manières d’être comme dans leurs rapports auxapprentissages scolaires, décrivent une situation d’isolement qui leur est difficilement supportable. Cetisolement peut être un facteur de « ruptures scolaires » ou de « déscolarisation » comme dans ces cas decollégiens qui multiplient les absences du moment où ils sont scolairement éloignés de leurs pairs. Ainsi,l’exclusion d’un collège et le déplacement vers un collège éloigné du domicile, dont l’objectif est de remettrede l’ordre dans un établissement scolaire, ou de couper le collégien de ce qui serait des influences non

36. R. Castel, Les métamorphoses de la question sociale, Fayard, 1995.

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désirables afin qu’il se re-centre sur le travail scolaire peut avoir pour effet de précipiter la« déscolarisation ».Les pairs apparaissent comme un ensemble dans lequel les collégiens interrogés se valorisent. La plupartd’entre eux évoquent leurs copains sur un ton jubilatoire qui contraste fortement avec la gêne allant jusqu’aumutisme lorsque l’on aborde les résultats et performances scolaires. Beaucoup évoquent l’ambiance« sympathique » de leur classe lorsqu’ils y retrouvent des collégiens avec lesquels ils ont beaucoupd’affinités, y compris concernant les manières de perturber l’ordre scolaire ou de fuir l’espace scolaire. Sansdoute, l’importance des copains est-elle particulièrement grande pour les collégiens de milieux populairesqui construisent leur réseau de sociabilité d’abord au sein de leur quartier, organisant ainsi une sorte derésistance à la stigmatisation qui les frappe collectivement37. Cependant, la variation du rapport aux pairs etl’effet de la tension entre école et pairs ne peuvent se comprendre sans prendre en compte simultanémentla situation et l’expérience scolaires des collégiens, notamment le sentiment de valorisation ou au contraired’indignité généré par la scolarisation. Tout indique que la valorisation par les pairs augmente au fur et àmesure que les difficultés d’apprentissage augmentent, que les performances scolaires faiblissent et quel’élève se sent déprécié sur ce terrain-là. La tentation de suivre la pente de la sociabilité juvénile qui éloignedu domaine scolaire grandit en même temps que s’accumulent les tensions ou les conflits avec lesenseignants ou que l’intérêt à fournir des efforts scolaires diminue. Si « l’influence » des pairs peutcontribuer à éloigner les collégiens du travail scolaire comme on le dit ordinairement, la proposition peutégalement s’inverser, la dévalorisation de soi au plan scolaire pouvant renforcer l’importance symboliquedes pairs et notamment de ceux qui sont les moins disposé à jouer le jeu scolaire.

Parcours dans l’institution scolaire

L’étude des parcours scolaires des collégiens enquêtés montre des parcours scolairement hachés etchaotiques, qui multiplient les changements d’établissements, les sanctions et les exclusions provisoires oudéfinitives, les périodes d’attente et d’incertitude, les décisions institutionnelles non suivies d’effet… Lesconseils de discipline et les exclusions à répétition tout comme les déménagements par exemple liés à despériodes d’instabilité familiale, font que nombre de ces collégiens fréquentent plusieurs établissementsscolaires sur des périodes parfois très courtes. Les situations les plus marquées voient des collégiensfréquenter pas moins de cinq ou six établissements scolaires en moins d’un an et demi et finissent pardéboucher sur une « déscolarisation » partielle ou complète, provisoire ou durable. Les absences, lesproblèmes de comportement en classe, les conflits avec certains enseignants, etc., conduisent l’institution àinstruire puis à « charger » les casiers scolaires de ces collégiens, dans une sorte d’engrenage difficile àfreiner. Non seulement les établissements scolaires et les agents qui héritent des collégiens suite à deprécédents problèmes héritent de cas institutionnellement déjà instruits, mais ils veillent de ce fait avec unevigilance toute particulière aux faits et gestes scolaires des collégiens concernés dont la visibilité se trouverenforcée. Cette vigilance, bien que souvent bienveillante, augmente encore la probabilité que les écarts decomportement, même infimes, soient institutionnellement repérés et sanctionnés.La description de ces parcours serait incomplète si l’on omettait de dire ce que le processus doit au rapportdes collégiens à ces changements d’établissement répétés. Outre le fait que l’arrivée des collégiens dans unnouvel établissement est généralement la conséquence directe d’une sanction institutionnelle dont l’effetpeut être un sentiment de révolte des collégiens, elle peut également correspondre à un déracinementsocial, géographique et affectif lorsque le collège d’origine était le collège de quartier, univers connu etrassurant dans lequel se trouvaient scolarisés les copains. A ces ruptures, il faut parfois ajouter leschangements liés au niveau scolaire des différents établissements fréquentés qui peuvent marquer unesolution de continuité pour des collégiens ayant généralement déjà accumulé un retard scolaire nonnégligeable. Des collégiens doivent alors suivre les cours dans des classes plus avancées dans leprogramme, avec des enseignants et des camarades qu’ils ne connaissent pas alors qu’ils ont accumulé unretard scolaire important. Dans ces conditions, les classes des nouveaux établissements peuvent apparaîtrecomme des lieux hostiles et humiliants pour les collégiens, produit à la fois de leur perception et desconditions objectives d’une situation, propres à générer de la défiance et de l’anxiété. On peut enfin, àpropos de ces nombreux changements d’établissements, évoquer des effets de contexte38 sur les parcoursscolaires des collégiens. Lorsque le changement d’établissement s’accompagne d’un changement d’universsocial et que le passage d’un collège à un autre est aussi un passage d’un collège de quartier populaire à uncollège où les élèves sont plus proches des logiques scolaires, des comportements qui, dans le premiercollège, pouvaient passer presque inaperçus ou faire l’objet d’une certaine tolérance, acquièrent, dans lesecond, une visibilité plus importante risquant de les faire sanctionner.

« Moreno, c’était un quartier aussi, c’est chaud, ça craint, j’habitais là-bas et j’étais en primaire et là-basje faisais pas le con, parce que tout le monde faisait le con et ils étaient tous pire que moi alors que moicomparé à eux, j’étais une fille, alors ils m’ont changé, ils m’ont mis dans une école en ville ; en ville çaavait rien à voir… »

37. G. Mauger, « Des jeunes et des banlieues. Perceptions du quartier et visions du monde social », Critiques sociales, n° 5-6, janvier1994, p. 69-73 ou D. Lepoutre, Cœur de banlieue, op. cit.38 J.-C. Chamboredon, « La délinquance…, op. cit.

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Les parcours des collégiens étudiés montrent également l’existence très fréquente de conflits marqués etcristallisés avec leurs enseignants et avec d’autres membres adultes (surveillants, responsablesd’établissement, CPE) des collèges. Des collégiens, parfois assez tôt dans leur scolarité, en primaire ou lorsdu passage en 6ème, entrent en conflit de façon récurrente avec des enseignants qui leur reprochent leurscomportements en classe, leurs bavardages incessants, leur absence de travail, leurs écarts de langage,leur non-respect des règles. Les collégiens, pour leur part, reprochent à ces enseignants de ne pas prendreen considération leurs difficultés scolaires, de ne pas répondre à leurs questions lorsqu’ils ne comprennentpas quelque chose, de les rabaisser et de ne pas les respecter. La question des apprentissages apparaîtcentrale (bien que non-exclusive) et indispensable à l’interprétation des conflits.Ces collégiens apparaissent vite dépassés sur le plan des apprentissages scolaires et ne comprennentsouvent pas ce qu’on exige d’eux ou ce qu’on leur enseigne. Dans ces conditions, le travail scolaire ne peutêtre effectué de manière « autonome » et certains conflits avec les enseignants en résultent, soit parce quesuivre en classe n’est plus guère possible et conduit les collégiens « décrochés » à s’occuper autrement,soit parce que les sollicitations des collégiens à l’adresse de leurs enseignants, pour tenter de se faire aider,prennent une forme scolairement inadéquate et à force de répétition deviennent inacceptables pourl’enseignant (interaction spontanée, interruptions, mots jetés, etc.).

« Enquêté : C’était la façon, moi je leur parlais [aux enseignants], ben eux ils trouvaient pas ça bien, parexemple si je voulais poser une question, ben au lieu de lever le doigt, ben je posais directement laquestion à la prof, à voix haute, et elle, elle s’énervait et moi aussi j’énervais de mon côté, donc ça allaitpas […]. Elle disait (sur un ton méprisant) : « nan je te réponds pas » (…) et je disais : « je vous pose unequestion vous pouvez me répondre ?! ». Alors elle voulait pas, et plus j’insiste et plus elle s’énerve, elleme renvoie de cours, elle fait des rapports, etc., […] ça montait.Enquêteur : Et pourquoi est-ce que vous insistiez si en fait elle voulait… parce qu’à chaque fois ça sereproduisait ça ?Enquêté : Ouais parce que la plupart des exercices qu’elle donne, ben je les comprends pas, y a deschoses que j’ai oubliées, et voilà […] je savais pas ce qui fallait faire, voilà. »

Les enseignants peuvent être d’autant moins portés à l’indulgence que les collégiens rencontrés perturbentles cours, ne font pas leurs devoirs (scolaires) et viennent systématiquement en classe sans avoir fait leurtravail personnel, ce qui, du point de vue scolaire, est considéré comme un relâchement inexcusable etcoupable. Les refus de certains enseignants de répondre aux sollicitations des collégiens, le ton parfoisexaspéré face aux multiples occurrences par lesquels les collégiens perturbent l’ordre scolaire, fait quecertains collégiens s’occupent autrement faute de pouvoir suivre le cours ou résistent à l’enseignant pour nepas perdre complètement la face. Enseignants et collégiens concourent ainsi objectivement etréciproquement à faire dégénérer ou monter des conflits dans un rapport de force inégal qui aboutit à desavertissements à faire signer, des exclusions, des renvois. Les problèmes d’apprentissage s’accroissent àmesure que les élèves sont exclus de cours, ces exclusions étant autant d’occasions durant lesquelles lecours n’est pas suivi et l’élève se voit un peu plus « décroché ». Ces conflits montent généralement enpuissance rapidement dans une sorte de circularité. Les écarts de conduite de collégiens sont sanctionnésce qui suscite les « représailles » des collégiens à l’encontre des enseignants qui à nouveau sanctionnent...Ces « tactiques de réciprocité »39 placent ainsi les enseignants et les collégiens incriminés dans unprocessus d’enfermement réciproque et d’hostilité circulaire qui, une fois enclenché, est bien difficile àarrêter et peut hâter un processus de « ruptures scolaires » et de « déscolarisation ».

Comportements et apprentissages scolaires

Dans de nombreux entretiens avec les enseignants, tout se passe comme si la grille de lecture « parles comportements » venait occulter la question des apprentissages. L’idée généralement présente est queles « comportements » de ces élèves doivent être « réglés » avant tout travail d’apprentissage scolaire. Cescollégiens sont tenus pour « inenseignables », car n'étant pas dotés des « pré-requis » comportementauxexigés par l'organisation et le travail pédagogiques au collège. Sans nier les difficultés que posent lescomportements de ces collégiens vis-à-vis des normes scolaires, l’étude montre clairement que lesproblèmes d’apprentissages sont omniprésents et interviennent massivement dans les processus de« déscolarisation ». Les entretiens avec les collégiens dont les problèmes d’apprentissage sont apparusparfois très tôt laissent penser que des difficultés scolaires se renforcent avec le passage en 6ème. A plusd’un titre, l’entrée au collège s’accompagne d’une série de changements susceptibles de constituer, toutcomme le passage du secondaire à l’enseignement supérieur40, une rupture dans les habitudes scolairespour les élèves les moins familiers de l’univers scolaire, rupture dans les niveaux d’exigence et lesapprentissages et rupture du cadre spatial et temporel. La rupture concerne à la fois l’emploi du temps dontle volume augmente et le découpage se complexifie, l’organisation spatiale de l’établissement, les exigencesdu point de vue du travail personnel et des attentes des professeurs. L’entrée au collège peut, sur différentsplans à la fois, constituer une période déstabilisante pour ceux des collégiens qui s’avèrent les moins armés.

39 P. Woods, L’Ethnographie de l’école, Armand Colin, 1990.40 M. Millet, Les étudiants et le travail universitaire : étude sociologique, PUL, 2003 (à paraître)

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« Enquêté : Quand j’suis rentré au collège, j’étais un peu stressé et je comprenais rien pour les salles ettout et c’est à partir du…CM2 que j’ai commencé à faire le con et enfin CM c’était pas très grave […] çac’était l’école primaire en CM2, c’était rien du tout. Après, y’a eu la 6ème, ça a commencé, […], mais c’étaitun peu trop dur puisque j’avais des horaires beaucoup plus chargés, ça avait rien à voir, le samedijusqu’à midi et des fois je terminais à trois heures et demie. […] ouais c’était plus dur quand même, parceque y’a plusieurs matières, donc on avait plus de travail alors que par exemple je sais pas en primaire, onnous donnait qu’un truc à faire, par exemple mettre ça en 500, c’est tout, alors que, comment ças’appelle…Enquêteur : Y’avait pleins de matières ?Enquêté : Ouais y’avait plein de trucs, en plus ils nous disaient de nous avancer, moi pas, moi j’m’enfoutais, moi j’disais, j’le ferais juste avant d’aller en cours. Alors des fois j’arrivais, j’faisais pas mesdevoirs, […] et au bout d’un moment un professeur, il m’voulait plus dans son cours, et puis un autre, etpuis l’autre et puis l’autre et ils m’ont préparé un conseil de discipline. »

Certains collégiens racontent leur désarroi face à certaines exigences qu’ils ne comprennent pas, commentils « calent » devant leurs devoirs et finissent par ne plus savoir comment s’y prendre. Pour ces élèves,« l’univers scolaire est, à maints égards, invivable (au sens où il est trop étranger pour pouvoir être vécu“avec bonheur”) et s’impose comme une machine productrice d’incitations incompréhensibles. »41 Descollégiens racontent comment, s’ennuyant en cours, ils en arrivent à discuter ou plaisanter avec le voisin, sevoient rappeler à l’ordre puis exclure faute d’avoir obtempéré. François affirme même s’être fait exclure decours pour mettre un terme à un ennui insoutenable. Quand certains élèves sont « décrochés » du point desapprentissages, et que ce faisant ils ne trouvent pas l’aide qu’ils attendent, ils peuvent sombrer dans l’ennuiet cherchent alors à occuper le temps. Ils ont ainsi toutes les chances de se faire remarquer et de se fairesanctionner pour leur comportement. Les problèmes comportementaux masquent alors les difficultésd’apprentissage.Alors que le discours des enseignants consiste à dire que ces collégiens n’apprennent pas parce qu’ils ontun comportement inadéquat, on peut soutenir que leur comportement est pour une part non négligeable leproduit de leurs difficultés d’apprentissage42. Les difficultés face au travail personnel et aux apprentissagesse doublent souvent, dans les entretiens, de sentiments de révolte. Pas toujours prompts à parler de leursrésultats, ceux qui le font disent clairement les humiliations qu’ils ressentent, le sentiment à la longue d’êtredisqualifié, y compris parfois auprès du groupe de pairs. C’est ainsi que François nous explique combien lefait de redoubler le met en porte-à-faux vis-à-vis de ses copains qui le brocardent en lui rappelant qu’il n’estqu’en 5ème : « qu’est-ce que t’en sais toi t’es encore en 5ème ? ». Le sentiment de honte, de ne pascomprendre, le découragement de ne pas y arriver se muent en révolte lorsque les questions posées àl’enseignant pour se faire expliquer sont elles-mêmes disqualifiées parce que ne respectant ni les règles deprise de parole ni la forme langagière scolairement acceptable. Tenir tête à l’enseignant qui refuse derépondre, lui signifier publiquement qu’on attend une réponse, s’énerver pour ne pas se laisser faire estalors, pour ces collégiens, une façon de ne pas perdre la face devant les copains et de conserver la têtehaute, fusse au prix d’une sanction.Si la question des apprentissages semble entrer inégalement en jeu dans le parcours des différentscollégiens et y occuper une place explicative inégalement importante, il reste qu’elle n’est jamaiscomplètement absente. Il n’est pas, parmi les collégiens rencontrés, de collégiens qui soient d’excellentsélèves, et l’étude des bulletins scolaires ne laissent apparaître, au mieux, que des élèves au niveau scolairetrès « moyens ». On peut de manière provisoire faire le départ entre trois grandes catégories d’élèvesd’ailleurs non exclusives. Une première catégorie d’élèves est clairement décrite comme capable d’aucuneperformance scolaire. Pour certains collégiens, les enseignants ne savent tout simplement pas dire ce qu’ils« valent » scolairement, ces derniers n’étant pratiquement jamais en cours et présentant un telcomportement que l’occasion d’accomplir et de juger un travail scolaire ne se présente jamais. Cettedifficulté pour jauger scolairement ces collégiens est en elle-même révélatrice et ne laisse guère de doutesur le niveau des collégiens concernés. La question consistant à se demander si cette absence deperformance scolaire est à mettre au compte de leurs absences, de leurs manquements multiples, etc. ou sicelle-ci est plutôt à placer en position de cause, n’a sans doute pas grand sens sociologiquement.Une deuxième catégorie d’élèves (qui, d’une certaine façon, recoupe la catégorie précédente) concerne descollégiens dont les difficultés d’apprentissage et le retard scolaire ne font aucun doute. Les descriptionsdressent le portrait de collégiens incapables de performances de niveau collège, ne sachant pas toujourstravailler silencieusement et utilisant le commentaire oralisé comme marqueur pratique de l’activité,déchiffrant à voix haute ou à voix basse les textes qu’ils ont à lire, ne parvenant pas à s’emparer d’énoncésmathématiques simples, dont les temps de concentration sont extrêmement courts, dont les devoirs écrits necomportent pas toujours de mise en texte, qui écrivent comme ils parlent, usent de mots d’argot.Enfin, une troisième catégorie laisse entrevoir des collégiens dont les niveaux scolaires sont plus élevés, aupoint d’être décrits par les enseignants comme « ayant le niveau collège », « comme pouvant tout à fait s’en

41 B. Lahire, Culture écrite et inégalités scolaires, PUL, 1993, p.158.42. Ce qui n’exclut pas là encore une sorte de circularité, les comportements ainsi engendrés contribuant à une aggravation desperformances scolaires.

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sortir », comme étant « très intelligent ». Autrement dit, ces élèves présentent des retards et des lacunesscolaires évidentes, mais il faudrait imputer ces difficultés, selon les enseignants, à une absence totale detravail et d’effort, et à l’accumulation des absences. Une analyse un peu plus poussée laisse entrevoir queleur situation est peut-être plus complexe. Ces collégiens semblent pouvoir très bien « s’en sortir » dans lesexercices scolaires qui relèvent d’une sorte de mécanique (calcul, applications simples de règles…) et quipeuvent se satisfaire de comportements d’automatismes, mais être en difficulté lorsqu’ils sont confrontés àla mise en œuvre de procédures logiques ou de notions plus abstraites. Un collégien peut « s’en sortir »lorsqu’il s’agit d’appliquer mécaniquement un modèle à un problème mathématique, mais échouer lorsquel’énoncé suppose un raisonnement faisant intervenir la logique et la combinaison d’éléments différents pourparvenir au résultat43.Ces éléments confirment l’importance des questions d’apprentissage scolaire dans l’appréhension desdifficultés des collégiens et le fait que ces cas de collégiens en voie de « déscolarisation » ne sont pasdissociés de la question plus générale de l’« échec scolaire » en milieu populaire. Au-delà de l’importancepatente des difficultés rencontrées dans les apprentissages scolaires, il faut encore voir que les questionscognitives susceptibles d’entrer en jeu dans le parcours des collégiens ne sont pas entièrement réductibles àla dimension des apprentissages scolaires proprement dit. Les difficultés dans les apprentissages scolairessont souvent interprétées dans la perspective exclusive du rapport aux savoirs, entendu au sens de savoirsthéoriques, constitués. Mais le cognitif implique aussi d’autres dimensions comme le rapport au temps, aucorps, les méthodes et l’organisation dans les opérations du travail scolaire… A cet égard, bien desproblèmes posés par ces collégiens ne s’éclairent complètement que si l’on aperçoit derrière lamanifestation comportementale la disposition cognitive. Au-delà des comportements perturbateurs, commele fait de ne pas tenir en place sur une chaise, de ne pas savoir rester attentif et de se disperser, debavarder, de ne se mettre au travail que sous la contrainte physique immédiate de l’enseignant, de ne pasfaire son travail personnel, de ne pas lever le doigt avant de prendre la parole, etc. peuvent obéir à desprincipes d’ordre cognitif et corporel dont les logiques entrent en contradiction avec les règles et lesexigences scolaires. Rester concentrer, ne pas arriver en retard, penser à son matériel, travaillersilencieusement, etc. sont autant, de postures cognitivement structurées, c’est-à-dire de dispositionsindiscernablement cognitives et comportementales.Ce qui peut être perçu du point de vue d’un enseignant comme une absence totale de « volonté scolaire »doublée d’une intention perturbatrice comme le fait de se déplacer spontanément « sans raison »scolairement valable, ou de ne pas se mettre au travail sans contrainte extérieure, ou d’interagirspontanément avec l’enseignant sans prendre la précaution d’attendre son tour de parole, etc., implique aumoins autant un rapport au corps, au langage, et à la contrainte tout à fait spécifique. L’histoire de la formescolaire rappelle combien l’école suppose une discipline du corps, intériorisée, un corps dressé etdomestiqué, prompt à se plier à l’ordre impersonnel de la classe44. Ce corps auto-discipliné n’a absolumentrien d’évident sur le plan historique45 et reste inégalement partagé selon les individus et les groupes sociaux.Les descriptions de ces collégiens qui ne travaillent que si s’exerce sur eux, par la présence directe del’adulte, une contrainte physique immédiate (« il faut tout le temps être sur leur dos », « il faut que je soisderrière lui pour qu’il travaille »), indiquent clairement le lieu d’une contradiction entre un mode scolaire desocialisation qui suppose l’autocontrainte et l’autorégulation et des collégiens dont les formes d’obéissanceet de régulation suppose la contrainte extérieure immédiate. En outre, la difficulté à travailler de façonautonome et en silence montre que les collégiens ne sont pas parvenus à maîtriser les postures et lesmodalités de raisonnement qu’exigent les apprentissages scolaires. Si on suit en ce domaine les analysesde Vygotski46, l'autonomie dans un acte de connaissance particulier comme le fait de se débrouiller seul d’unénoncé, de savoir résoudre un problème en silence, de ne pas avoir besoin de précision du côté del’enseignant, etc., est le résultat de l'individualisation et de l'intériorisation d'un acte intersubjectif, c’est-à-dired’un acte appris dans la relation avec un autre. Or les collégiens étudiés (comme nombre de collégiens demilieux populaires), confrontés aux actes de connaissance liés à la culture savante et scolaire, semblentavoir sans cesse besoin de béquilles extérieures. On voit combien les questions cognitives ne sont pastoutes entières réductibles à la dimension des apprentissages scolaires, et comment égalementl’interprétation des comportements doit être doublée d’une lecture plus cognitive (versus uniquementcomportementale). Les comportements peuvent masquer ou signer des problèmes cognitifs, dans lesapprentissages de contenus scolaires proprement dit, mais plus généralement des écarts des dispositionscognitives aux normes scolaires.

43 B. Lahire, Culture écrite…, op. cit., p.162.44 G. Vincent, L’École primaire française, PUL, 1980.45 N. Elias, La Dynamique de l’Occident, Presses Pocket, 1990.46 Lev S. Vygotski, Pensée et langage, Éditions sociales, 1985.

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Conclusion : les « ruptures scolaires » comme résultante d’une intrication des différentesdimensions biographiques

Pour conclure ces remarques provisoires sur les parcours de « ruptures scolaires » des collégiens demilieux populaires, nous voudrions insister sur le fait qu'on ne peut comprendre ces parcours en isolant unedes dimensions qui le constituent. En étudiant simultanément l'histoire familiale, les parcours scolaires, lesrelations de quartier ou les relations de sociabilité juvénile des collégiens, il s’agit de dépasser la recherchede l'élément déterminant ou la construction de types explicatifs qui s’opposeraient (la famille vs le groupe depairs vs l’école). Loin d'envisager « ruptures scolaires » et « déscolarisation » comme le pur produit desconditions familiales d'existence ou de la socialisation familiale, comme la conséquence directe des relationsjuvéniles des collégiens, ou encore comme le simple résultat de la scolarisation, il importe de reconstruire laconfiguration des relations d’interdépendance sociales, matérielles, cognitives dans lesquelles sont pris les« collégiens en voie de déscolarisation ». Il faut pouvoir rappeler, à chaque moment de l’analyse et àl’occasion de l’évocation successive des différents traits pertinents des parcours, comment chaquedimension des parcours s’imbrique à d’autres qui les rendent possible voire les renforce, et sans lesquelselles n’auraient ni le même sens ni le même effet. En d’autres termes, chaque dimension pertinente duparcours (familiale, scolaire, amicale, cognitive, etc.) suppose les autres aspects comme conditions depossibilité. C’est là un argument fondamental de la recherche dont l’oubli ferait perdre l’essentiel del’interprétation des parcours.

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Déscolarisation : au risque d’une identité déviante à l’adolescence ? MaryseHEDIBEL-HEDERLÉ

* Sociologue, maîtresse de conférences à l'IUFM du Nord-Pas-de-Calais, chercheuse au Centre de recherches sociologiques sur lesdévances et les institutions pénales. Email : [email protected]

Nous présentons ici la synthèse des résultats d’une recherche sur les processus de déscolarisationsur la ville de Roubaix (Nord), financée par le FASILD Nord Pas de Calais, l’IUFM du Nord - Pas de Calais etsoutenue par le Cesdip/CNRS (janvier 2001 - mars 2003)

Parmi les thèmes qui traversent le milieu scolaire et investissent le débat public, celui del’absentéisme, voire de l’arrêt de scolarité avant 16 ans, prend de l’ampleur depuis quelques années. Les« absentéistes » ou « décrocheurs » remettent en cause la prise en charge de l’ensemble d’une classed’âge à travers l’école. La mobilisation autour d’eux (développement des dispositifs relais, appel d’offres derecherches de décembre 1999, circulaire sur la mise en place de la veille éducative en décembre 2001) estimportante depuis plusieurs années pour plusieurs raisons : en période de massification de l’enseignement,les jeunes déscolarisés peuvent apparaître comme illustrant des « failles » dans le système scolaire lui-même. Par ailleurs, une inquiétude existe quant à leurs activités hors école : sont ils en danger dedélinquance, exposés à des trafics divers, errant dans les rues sans protection ? Sans encadrement, quedeviennent les jeunes hors école ? Et que font leurs parents, seraient-ils complices et donc punissables del’inassiduité ou du retrait scolaire de leurs enfants ? Pour les acteurs scolaires, ces absences ou cesabandons de scolarité remettent en cause profondément la légitimité de leur mission : l’école est considéréecomme une chance pour les élèves et les études longues permettent d’ailleurs un meilleur accès à l’emploi.Y aurait-t-il des élèves considérés comme « inéducables » ou « inenseignables »? Par quelles interactionsen arrive-t-on à ces situations extrêmes, peu nombreuses mais illustrant paradoxes institutionnels etimpasses du système tel qu’il est organisé aujourd’hui ?

Il existe bien des populations juvéniles « particulières » qui ne fréquentent pas l’école ou pour quil’obligation scolaire n’est pas toujours respectée. (enfants porteurs de handicaps divers, enfants du voyage,mineurs étrangers isolés...). Des études spécifiques ont été menées relatives à ces groupes, entre autresdans le cadre de l’appel d’offres du Ministère de l’Education nationale, de la Justice, du FAS et de la DIV dedécembre 1999.

L’étude que nous avons menée sur la ville de Roubaix concerne des populations juvéniles« ordinaires », ne présentant pas, sauf exception, l’une ou l’autre de ces caractéristiques. Elle s'intéresseaux processus qui ont mené hors du système scolaire des jeunes de 13 à 15,5 ans, dont la situation estconnue des établissements scolaires et de plusieurs services sociaux. A ce titre ils ne sont pas « perdus devue » comme on peut les nommer quelquefois, mais bel et bien connus et facilement joignables, tout aumoins disposant d’une adresse connue. Nous avons pu étudier leur situation à partir des repérages faitsdans les établissements scolaires.

L’appel d’offres qui a servi de base à notre réflexion problématique et aux hypothèses de cetterecherche avait deux objectifs : mieux connaître les populations déscolarisées avant l’âge de 16 ans etcomprendre les processus de déscolarisation.

Le rapport abordera un état des lieux de la question de la déscolarisation, présentera les hypothèsesde travail de notre recherche, le détail de la méthodologie employée, les procédures de suivi de l’inassiduitéscolaire et les données quantitatives dont nous disposons sur la ville de Roubaix relatives à l’inassiduitéscolaire.

Seront abordées ensuite des données concernant les collèges objets de notre étude de terrain.Nous présenterons ici sept situations de jeunes dont la scolarité s’est arrêtée avant l’âge de 16 ans, et lesdonnées d’une situation concernant un jeune garçon qui n’a jamais été scolarisé.

Aujourd’hui l’Education nationale et les établissements privés scolarisent la quasi-totalité des jeunesavant l’âge de 16 ans.

Le terme de « décrocheur » est utilisé pour désigner les lycéens qui quittent petit à petit le systèmescolaire. Le décrochage s’oppose à la démission, possible pour les élèves de plus de 16 ans, à l’exclusionqui est le fait de l’institution et doit être suivie avant 16 ans d’une réintégration d’une autre propositionéducative ou d’enseignement.

Le terme de déscolarisation, plus large, permet de reprendre plusieurs cas de figure concernant lesprocessus qui amènent hors du système scolaire des jeunes de moins de 16 ans : celui de l’exclusion nonsuivie de reprise dans un autre établissement, celui du décrochage progressif signalé par un absentéismeimportant et grandissant, celui de la rupture biographique (accident de santé, placement en institutionspécialisée, errance liée à une modification de la configuration familiale etc), celui du départ annoncéclairement étant plus hasardeuse étant donnée l’obligation scolaire.

Il s’agit bien d’analyser les processus de désaffiliation scolaire définis par Sylvain Broccolicchi(1998), qui renvoient « au fonctionnement des institutions scolaires, aux traitements différenciés des élèves

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et à l’interaction des contextes scolaires, familiaux et locaux qui modulent les parcours et expériencespropres à chaque adolescent », en formulant l’hypothèse que les jeunes déscolarisés sont désignés commedéviants par l’institution scolaire. Nous nous situons donc dans une perspective interactionniste (Becker,1963).

Pour la clarté de l’étude, nous nous intéresserons aux jeunes dont le cursus scolaire s’est arrêté auniveau du collège ; il ne s’agira pas d’absentéistes comme certains auteurs l’ont défini (Janosz, Le Blanc,1997) mais bien d’élèves qui, régulièrement inscrits, ne sont plus du tout présents dans les établissementsscolaires, depuis une durée qui peut varier de trois mois à deux ans au moment de l’enquête. S’ils sont trèsminoritaires (environ 4 ou 5 pour un collège de 550 élèves environ), leur situation peut représenterl’aboutissement de processus qui pour d’autres, ont été enrayés. L’étude des situations s’est centrée sur 3collèges publics, tous en Réseau d’éducation prioritaire (ce qui est le cas de 6 collèges sur les sept collègespublics que compte la ville), entre janvier 2001 et janvier 2003, en croisant des données issues desentretiens avec les personnels scolaires, les jeunes et leurs familles, des travailleurs sociaux et desdocuments écrits concernant les élèves (dossiers scolaires principalement).

Nous avons rencontré à ce jour quatorze situations d’élèves déscolarisés sur les trois collèges. Nousavons choisi d’en présenter huit de la manière la plus complète possible, les six restantes présentant desressemblances en termes de processus qui risquaient de rendre leur examen redondant. Nous avonscependant intégré des données les concernant dans les analyses générales.

La diversité des situations étudiées est telle que nous avons renoncé à en faire une typologie desjeunes à partir de leur caractéristiques psycho-sociales par exemple, ou de leur positionnement par rapportà l’école. En effet, l'étude de chaque situation nous amène à l'analyse des multiples facteurs qui conduisentà l'arrêt de scolarité, qui s’entremêlent souvent : lacunes quelquefois accumulées à l'école élémentaire,problématique scolaire et familiale à l'entrée en 6e, modifications de la configuration familiale sinon "rupturebiographique" (placement par exemple) au début des "années collège", interactions négatives voire violentesavec des enseignants, impact des jugements scolaires négatifs, exclusions pour perturbations non suivie dereprise dans un autre établissement, premières activités délinquantes dans un groupe de pairs… Chaquesituation est singulière même si l'on retrouve des points communs entre les unes et les autres. Plusieursfacteurs se combinent dans l’étude des situations de chaque jeune et leur catégorisation en devientaléatoire. Nous avons cependant pu identifier des « moments-clés » dans les trajectoires scolaires, que l’onretrouve dans plusieurs situations : entrée en 6e, suite d’une exclusion définitive d’un collège, et descloisonnements entre institutions et par rapport aux familles.

La ville de Roubaix recensait en 1999 plus de 30 % de sa population active au chômage : la pertedes emplois ouvriers n’a pas été compensée par les emplois du tertiaire ou de services. La populationscolaire des trois collèges reflète ces situations de pauvreté ou de précarité en comptant entre plus de 88 %jusqu’à plus de 93 % de PCS « défavorisées » parmi elle, pourcentage représentant plus du double de lamoyenne nationale et environ 30 points de plus que celle de l’Académie de Lille. Le nombre de demi-journées d’absences non justifiées y est nettement plus élevé que la moyenne du département du Nord. Laplupart des parents des jeunes déscolarisés sont en situation de vulnérabilité sociétale (Walgrave, 1992),vivent du RMI et/ou des allocations familiales ou sont en emploi précaire et ne disposent pas de l’expérienceconcrète d’une scolarité réussie. Ceux d’ailleurs qui disposent de plus de ressources (emploi, niveaud’études, réseaux relationnels) ont pu trouver des issues aux difficultés de leurs enfants, en termesd’orientation, sans avoir recours aux travailleurs sociaux. C’est le cas pour deux familles dont les parentstravaillent à plein temps.

Il n’y a pas une forme de famille particulière parmi les treize familles des élèves déscolarisés: 5mères élèvent leurs enfants seules, 6 familles comptent les deux parents présents au domicile et dansl’éducation de leurs enfants, 2 couples parentaux sont séparés mais continuent à exercer une présenceéducative auprès de leurs enfants. Les origines régionales ou nationales sont également diverses : 6familles sont d’origine étrangère, (Sénégal, Portugal, Yougoslavie, Algérie), 5 sont originaire du Nord de laFrance, 2 sont de père étranger et de mère française. L’origine étrangère ne détermine pas les difficultésdes enfants et des parents, mais plutôt le niveau de langue (très problématique pour une mère), larégularisation de la situation (non effective pour une famille) et le niveau socio-économique.

Tous les collèges bénéficient de la présence à plein temps de deux assistants sociaux ; ils sontintervenus dans toutes les situations rencontrées, dont aucune n’a été ignorée institutionnellement, saufcelle où les parents sont en situation irrégulière. Dans neuf situations, des travailleurs sociaux extérieurssont intervenus, (éducateurs ou assistants sociaux), en liaison ou pas avec des signalements faits par lesassistants sociaux des collèges. La suspension ou suppression des allocations familiales ne correspond pasà l’absentéisme tel qu’il est sanctionné selon les critères légaux, ni à la réalité des absences effectives desjeunes. Lorsqu’elle intervient, elle n’a de toutes façons pas d’incidences sur la reprise d’assiduité scolaire.

Nous avons étudié les processus de déscolarisation de onze garçons et de trois filles. Ils ont connudes difficultés scolaires à l’école élémentaire pour sept d’entre eux, sans redressement dans les premièresannées du collège. Les autres ont eu des résultats moyens ou bons dans le premier degré, poursuivis pardes performances bonnes ou moyennes au début de la 6e.

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Nous dégagerons ici les points communs entre ces processus, du point de vue des interactionsjeunes/familles/écoles/travailleurs sociaux, en croisant le point de vue des acteurs scolaires, des jeunesconcernés, des familles et des travailleurs sociaux.

Cette recherche n’a pas de caractère représentatif, l’enquête se proposant d’illustrer les hypothèsesémises en fonction de l’état des lieux de la question, à partir des situations rencontrées. Si généralisation ilpeut y avoir, c’est plus sur des « processus » et des « relations » que sur « des individus » ou des« populations » (Beaud, Weber, 1998). Les arrêts de scolarité avant 16 ans sont en effet liés à de multiplesparamètres, mobilisant l’histoire scolaire, familiale, les caractéristiques socio-économiques de la famille et del’environnement, les relations aux pairs, le rapport à l’école, au travail, les interactions entre les différentsprotagonistes, jeunes ou adultes, de la situation. Nous formulerons l’hypothèse que dans certainessituations, l’un ou l’autre de ces paramètres a eu plus de poids que les autres, sans qu’il soit possible d’enéliminer aucun. Ce rapport apparaîtra sans doute très critique par rapport à certaines institutions, à desfamilles, à des travailleurs sociaux... N’oublions pas que nous traitons ici de situations d’échec, non pasnécessairement à long terme, mais dans le sens d’arrêt d’une scolarité stoppée avant son terme, qu’ils’agisse de l’âge légal ou d’une logique de formation ou de scolarité au delà de 16 ans. Cet arrêt n’a pas étésuivi dans la plupart des cas, d’une proposition de suite de formation. Il est donc logique que desfonctionnements dont on peut formuler l’hypothèse qu’ils ont été actifs dans le processus y soient pointés.

Les différents protagonistes des processus

Les personnels scolaires

Des données non utiliséesLa majorité des jeunes dont nous avons étudié les trajectoires se sont signalés par des perturbations

importantes de l'ordre scolaire, menant pour six d'entre eux à un conseil de discipline et une exclusiondéfinitive. Les élèves "perturbateurs" se sont montrés également absentéistes, alors que d’autres ontadopté une position de retrait sans perturber l'ordre scolaire. Dans plusieurs dossiers scolaires, lesappréciations portées par les enseignants du premier degré éclairent les difficultés vécues par l'élève aucollège; certaines sont clairement des sortes d'alertes à destination des enseignants du second degré. Maisdans l’ensemble, les dossiers des élèves sont rarement consultés par les enseignants des collèges, mêmeen cas de problème sérieux rencontré au début de la scolarité du second degré. Bien que certains aientabordé la 6e avec des difficultés et des lacunes repérées à la fin du cycle 3, la plupart des élèves n’ont pasété l’objet d’une prise en charge particulière à ce propos. Ils sont surtout sanctionnés pour des perturbationsscolaires importantes.

Certains enseignants ont en mains des données pouvant contribuer à comprendre la problématiquede l’élève : situation familiale amenant l’élève à s’absenter de l’école pour soutenir un parent malade oudéfaillant, sentiment d’échec massif et incompréhension du sens des études, ennui profond à l’école... maisces données ne sont pas travaillées collectivement dans le sens de la recherche d’une solution pédagogiqueadaptée à l’élève. Un élève perturbateur peut être un leader ou au contraire un jeune isolé de sescamarades, il peut avoir des résultats assez bons malgré une présence épisodique ou au contrairetémoigner de lacunes d'apprentissage importantes dès l'école élémentaire, il peut apprécier l'école tout aumoins au début de ses « années collège », ou s'en désintéresser dès les premiers mois de la 6e… Lesappréciations sur les bulletins scolaires et les mesures prises à son égard seront sensiblement les mêmes.Cette récurrence des mêmes réactions s'étend aux élèves non perturbateurs dès lors qu’une étape de plusest franchie dans leur « volonté d’opposition » , du point de vue des acteurs scolaires. Il est d’ailleursfrappant de constater le décalage entre certains discours sur les élèves lors des entretiens avec desenseignants et les écrits les concernant (bulletins scolaires, compte-rendus de conseils de discipline...) :autant les premiers peuvent témoigner de compréhensions nuancées des problématiques des élèves, autantles deuxièmes suivent les mêmes appréciations ritualisées et collectivement mises en écrits.

Des décisions d’orientation non suivies d’effet

Par ailleurs, des décisions d’orientation ne sont pas suivies d’effet ; un élève orienté en SEGPA(section d’enseignement général professionnel adapté) se retrouve en section générale, un autre orienté parun établissement vers une classe à projet spécifique (4e d’aide et de soutien), intègre une classe ordinaire àla suite d’un déménagement... manque de coordination entre établissements ou à l’intérieur d’un mêmeétablissement, réticences voire refus des parents, malentendus ou absence d’explication aux famillespeuvent contribuer à l’arrêt de scolarité.

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Les jeunes déscolarisés qui n’ont pas repris une forme de scolarité par la suite, n’ont pas reçu unsoutien particulier ou bénéficié d’un regard bienveillant des acteurs scolaires (enseignants) sur l’ensemblede leur vie scolaire. En ce sens, on peut dire qu’ils n’ont pas eu d’allié efficace, même si ça et là, tel ou telenseignant a pu se poser des questions sur les raisons de leur absentéisme ou tenter de leur venir en aidemalgré les incidents quelquefois spectaculaires dont certains adolescents étaient des protagonistes actifs.Ces interventions, de même que celles des travailleurs sociaux ou celles de leurs parents, n’ont pas suffi àleur permettre un redressement. Ils se sont vus très rarement proposer un dispositif relais, ou des actionsde soutien coordonnées avec l’enseignement général. En ce sens, ils illustrent les conclusions de SylvainBroccolicchi (2000) lorsqu’il conclue à la solitude des élèves déscolarisés comparés à ceux, autant endifficultés à l’entrée en 6e, qui ont continué leurs études.

Des passages fictifs en classe supérieure

Une conséquence de la suppression des orientations en fin de 5e liée à l’absence de dispositifs deremédiation pour les élèves en grande difficulté est le développement de l’« échec scolaire » de ces élèveset de l’idée que certains élèves seraient quasiment « inenseignables » (Thin, 1999). Les enseignants sontainsi amenés à faire un « tri » entre les élèves « récupérables » et les autres. Le critère de sélection ne sefait pas tant au niveau des résultats qu’à celui du comportement scolaire : les élèves « perturbateurs » ou« paresseux » sont ainsi particulièrement visés par les jugements négatifs et le redoublement se faitquasiment au mérite, dans tous les cas sur la base d’un pari d’évolution positive, et de l’évaluation de lapossibilité pour les enseignants de « supporter » l’élève une année de plus. A cela s’ajoute l’argument del’âge : si l’élève a déjà une année ou deux de retard, il passera plus facilement dans la classe supérieure.Celui qui redouble est donc gratifié d’une « chance » supplémentaire, dont est privé celui qui passe dans laclasse supérieure, avec quelquefois des résultats plus faibles et un comportement plus perturbateur ouabsentéiste. De ce fait le redoublement au collège n’est pas corrélé à l’interruption précoce d’étude (Broccolicchi, 1998).

Nous avons trouvé dans plusieurs dossiers scolaires la mention : « redoublement inutile » ou « nemérite pas le redoublement » accompagné d’un avis de passage dans la classe supérieure. Ces « fauxpassages » introduisent un leurre reconnu par de nombreux enseignants de collège : en l’absence de projetindividuel concernant un élève particulièrement en difficulté, ce dernier est « emmené » vers la fin de 3e, quicorrespond grosso modo à l’âge de 16 ans (d’autant plus que certains élèves ont une ou plusieurs annéesde retard) et confronté à une injonction contradictoire : rester dans l’établissement tout en sachant qu’il nepeut y espérer une progression de ses résultats. La situation devient encore plus paradoxale quand, en casd’absentéisme, se déclenche la procédure de signalement à l’Inspection académique, enjoignant les parentsà respecter la loi sur la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans.

Ces passages fictifs sont accompagnés souvent d’un double discours des enseignants en forme dejustifications : regrets mêlés d’impuissance de laisser ainsi à l’abandon des élèves sans leur apporter deréelles propositions éducatives et pédagogiques, critique du « collège unique » dont on sait par diversesenquêtes que nombre d’enseignants en refusent le principe, en particulier les enseignants les plus jeunes etceux des collèges (Le Monde, 19-11-2002). Ces regrets et justifications sont complétés par des exemples decas d’élèves menant au constat général que certains « n’ont pas leur place au collège » sans que l’on puissedans le même temps déterminer où ils pourraient trouver une « place » qui leur convienne... L’absence detemps et de lieux de concertation organisés pour les élèves en difficulté conduit au constat d’impuissance :la question « qu’est ce qu’on peut faire pour ces élèves là ? » formulée comme telle au chercheur, renvoie àautrui la réponse à cette interrogation dont ne se saisit pas le milieu enseignant dans son ensemble, commes’il existait un consensus pour « sacrifier quelques uns pour protéger la communauté scolaire », expressionsouvent entendue également.

On se trouve alors dans un système de non résolution des difficultés patentes de certains élèves, quisont ainsi menés vers l’arrêt de scolarité, par retrait du jeune d’une situation sans issue. Ce retrait peut êtresilencieux ou beaucoup plus spectaculaire, il s’accompagne alors fréquemment d’exclusions définitives lorsde conseils de discipline.

Le traitement des élèves déviants

L’incidence de l’échec scolaire et du sentiment d’injustice sur les comportements d’indiscipline estconnu par de nombreux travaux (Broccolicchi, Van Zanten, Dubet, Debarbieux...). Dans l’ensemble dessituations des élèves « perturbateurs », les acteurs scolaires focalisent leur attention sur les perturbationscausées par ces élèves beaucoup plus que sur leurs difficultés d’apprentissage, envisagées comme simplesconséquence de leur indiscipline, alors qu’elle existent dans plusieurs cas depuis l’école élémentaire, et semanifestent dès l’entrée en 6e. L’ « absence de travail » induisant les mauvais résultats apparaît alorscomme une forme d’indiscipline, dont les formes d’expression variées seraient la cause directe de cespiètres performances scolaires. Dans le même temps, ces difficultés constituent des obstacles à la reprised’études « normales » par les élèves : difficile de « se calmer » et de « se mettre au travail » avec une

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moyenne générale autour de 5 / 20, un retard considérable pris par rapport aux autres élèves et aucundispositif de remédiation...

Ceux qui ont été « simplement » absentéistes n’ont pas été sanctionnés pour ce seul motif, mis à partles avertissements sur les bulletins scolaires. Les appréciations sur les bulletins essaient de les convaincrede manière de plus en plus insistante, mais la déviance ne se constitue qu’au moment où les acteursscolaires perçoivent une intention de la part de l’élève, par exemple lorsque les absences cessent d’êtrejustifiées par le responsable de l’élève. Lorsque « la famille se manifeste », la situation de l’élève est priseen compte avec une relative bienveillance. Dans le cas contraire où « aucune collaboration n’est possible »,ou plus laconiquement, lorsque l’assistant social indique « famille muette » sur les dossiers de fréquentationscolaire, le ton se durcit par rapport à l’élève, suspecté alors de « mauvaise volonté », c’est-à-dire dudessein clair de s’opposer à l’institution scolaire. Le paradoxe est que cette absence de justification pourraitêtre la marque d’une situation de vulnérabilité accrue de l’élève et nécessiter un soutien plus importantencore.

Les punitions et sanctions de l’indiscipline et de « l’absence de travail » sont repérables à travers lesrapports d’incidents scolaires. Elles sont quelquefois très nombreuses (plusieurs dizaines de rapportsd’incidents en une année pour un même élève) et de plusieurs types : lignes à copier, copies de règlementintérieur du collège ou de règlement de classe en plusieurs exemplaires, copies de travaux scolairescorrespondant au contenu du cours perturbé, retenues (heures de colle), avertissements (travail et conduite)ou blâmes, exclusions de cours, exclusions de plusieurs jours, alors même que l’absentéisme est présentdans la problématique de l’élève . Ces exclusions ne sont cependant pas liées à l’absentéisme mais à desperturbations scolaires.

Ces sanctions sortent pour certaines du cadre de la légalité (BO du 13 juillet 2000) et sont souventinapplicables, peu explicitées aux élèves et peuvent générer un fort sentiment d’injustice (Debarbieux, 1999)

Dans aucune des situations étudiées, les sanctions énumérées ici n’ont permis de modifier lecomportement de l’élève dans le sens souhaité par les acteurs scolaires. Au contraire, on constate uneprogression d’incidents (altercations entre élèves, avec des enseignants ou des surveillants) vers descommissions de vie scolaire, avec exclusions de plusieurs jours toujours pour les même comportements,suivies quelques semaines ou quelques mois après d’un arrêt total de fréquentation scolaire du jeune ou deconseils de discipline menant à l’exclusion définitive. Après la réaffectation dans un autre collège, le mêmeprocessus se reproduit, menant rapidement cette fois-ci l’élève à la déscolarisation. De fait les élèves qui enont été les destinataires ainsi que leurs parents ne mentionneront à aucun moment un bénéfice en termesde compréhension ou d’éducation tiré de ces punitions scolaires, certains les considéreront plus comme desmarques d’une profonde incompréhension de leur situation.

Woods (1990) rappelle que la déviance implique nécessairement deux acteurs et que l’enseignant peutprovoquer ou atténuer la déviance par le style de sa relation avec les élèves. Il distingue « les« provocateurs de déviance », porteurs de jugements très négatifs et d’attitudes agressives envers lesélèves, des « isolateurs de déviance » porteurs de jugements et d’attitudes inverses. Les processus dedéscolarisation mettent en cause des pratiques issues de l’évolution du système scolaire lui-même, quidéterminent les acteurs et leur laissent peu de latitude pour réagir autrement. Mais on peut aussi repérer desattitudes enseignantes individuelles plus exceptionnelles, comme « la mise au coin » par exemple, « peineinfamante» selon Debarbieux (2000), proscrite d’ailleurs par la circulaire du 13 juillet 2000 .

Dans le cas du jeune concerné par cette punition, la mise au coin a été vécue comme humiliante, afonctionné comme une « provocation à la déviance », déclenché une réaction violente de l’élève, quiinterprétée comme un danger potentiel de violence physique à l’égard de tous les personnels, entraînerason exclusion définitive, suivie d’une réaffectation dans un collège éloigné de son domicile, non suivied’effet.

L’externalisation des solutions

Les élèves déscolarisés et pertubateurs sont marqués comme tels et comme « inéducables » depuis denombreux mois voire plusieurs années quand intervient l’arrêt de scolarité effectif. Des mots ou expressionscomme « individu », « faire l’imbécile », « imbécile » écrits sur des rapports d’incidents, « caspsychiatrique », « dangereux » sont fréquemment lus ou entendus les concernant, avec d’autant plus defréquence que le conflit s’aggrave entre l’élève et l’institution et que les adultes qui les prononcent ou lesécrivent sont impliqués directement dans les interactions. Ces manières de nommer ou de qualifier cesélèves soulignent des éléments d’une ambiance qui banalise des termes dévalorisants à l’encontre desélèves en très grandes difficultés d’apprentissage et perturbateurs de l’ordre scolaire. Ils deviennent alors cequ’ils montrent, les adultes ayant tendance à identifier l’élève déviant au vu des manifestations produites.Ces jugements s’accompagnent de prophéties auto-réalisatrices sur l’inéducabilité de l’élève etl’inéluctabilité de son destin scolaire et social. Les théories de l’étiquetage appliquées à l’école àfonctionnent alors à plein (Van Zanten, 2001).

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Les causes possibles de leur déviance (quartier, famille, l’élève lui-même) sont situées hors du champ dela relation pédagogique ainsi que les « solutions » éventuelles (sollicitation de travailleurs sociaux, desfamilles, injonction de changer faite à l’élève lui-même). Dans cette logique, les mesures proposéesrenvoient souvent à des structures ou des personnes périphériques ou extérieures aux situationsd’enseignement la recherche de changement du comportement de l’élève : contact avec des éducateurs,suivi par l’assistante sociale du collège, injonction à la famille de rescolariser le jeune avec assiduité...

Plusieurs dossiers comportent des appréciations non fondées sur des examens médicaux oupsychologiques, portant sur l’orientation nécessaire en structure spécialisée, « adaptée au comportement del’élève », ainsi que des injonctions aux parents d’accompagner leur enfant suivre une psychothérapie, au vudes incidents scolaires dont il est protagoniste. L’élève perturbateur est alors paradoxalement considérécomme actif et volontaire dans les désordres qu’il met en scène dans l’établissement scolaire, doncresponsable de ce qui lui arrive, et dans le même temps porteur de troubles sérieux du comportement ou dehandicaps relevant d’une commission spécialisée.

D’autres mesures conçues comme plus éducatives sont mises en place, comme les promesses oules engagements, les cahiers de suivi, les commissions ou conseils de vie scolaire, mais elles sontappliquées sur le même mode de l’injonction ou de la sanction, sans qu’aucune amélioration dans le senssouhaité par les acteurs scolaires n’ait pu être constatée. Le non respect de la procédure du cahier de suivis’est du reste rajouté aux charges qui pèsent contre l’un des élèves déscolarisés par la suite, au moment duconseil de discipline.

Le traitement appliqué aux élèves perturbateurs et déscolarisés ensuite rencontrés au cours denotre recherche est bien un traitement coercitif classique depuis le début de leur scolarité au collège(avertissements, exclusions, conseil de vie scolaire) visant à leur faire apprendre de gré ou de force leur« métier d’élève » : « se comporter comme un élève raisonnable », étant entendu qu’il ne tient qu’à l’élèvede prendre la décision de changer.

Dans cette logique de refus ou d’acceptation, la « mise au travail » suffirait à rétablir la situation. Laquestion des lacunes scolaires est ainsi évitée, comme est préservé le point central des compétencesenseignantes : les interactions pédagogiques dans la classe. L’élève en difficulté devient une personne« difficile ». Une logique de rapport de forces entre l’institution et l’élève s’établit ainsi, visant à « fairechanger l’élève d’avis ». Il est alors pris comme seul et unique responsable de sa situation et de sonévolution, quelquefois sommé de « trouver une solution » avec la mention « nous avons tout essayé ».L’absence de changement, marque évidente de mauvaise volonté, déclenche la colère des acteursscolaires. La réaction aux perturbations manifestées par l’élève renforce et cristallise l’identité déviante et lesrelations s’installent durablement dans le conflit. En cas de perturbations graves, ces élèves sont alorsconsidérés comme « dangereux pour la communauté scolaire », « n’ayant pas leur place au collège ». Laséparation devient inévitable, soit à la suite d’un conseil de discipline qui prononce l’exclusion définitive, soitpar retrait de l’élève, en particulier dans le cas de « passages fictifs » dans la classe supérieure. L’ensembledes acteurs scolaires s’entend pour traiter la situation en termes d’injonctions et de sanctions plutôt que derésolution dans le sens de la poursuite des études ou d’un parcours individuel adapté à la problématique del’élève. La gestion des « déviants scolaires » tend ainsi à être pensée et mise en actes en termes depréservation de l’ordre scolaire, sanctionnant les manquements aux règles, tant d’assiduité que decomportement, les mauvais résultats étant quasiment inclus dans le registre des transgressions.

Les travailleurs sociaux (dans et hors des collèges)

Les interventions des travailleurs sociaux n’ont pas permis à elles seules une rescolarisation des élèves.Les assistants sociaux scolaires jouent cependant un rôle-clé dans le suivi des jeunes en risque dedéscolarisation où dans l’intervention auprès d’eux quand l’arrêt de scolarité est effectif, car ils peuvent serendre au domicile de la famille et ne sont pas investis d’une mission pédagogique par rapport à l’élève. Ilsse situent dans un champ de relation plus « libre » et moins stigmatisant pour le jeune et sa famille, quipeuvent mettre en avant des éléments explicatifs ou justificatifs de l’arrêt de scolarité qui ne seraient pasentendus par les autres acteurs scolaires. Les familles sont par ailleurs pour la plupart habituées à recevoirou à côtoyer des travailleurs sociaux, assistants sociaux en particulier, et à en recevoir de l’aide.

Les relations des assistants sociaux et des enseignants sont marquées par un fort cloisonnement :lorsqu’ils assurent le suivi social des élèves dans les collèges, celui-ci se fait sans lien avec les interactionsdans les classes. La question du secret professionnel reste entière : des enseignants adressent des élèvesau service social et ont quelquefois peu de « retours » de ces interventions : ils méconnaissent desévènements graves arrivant aux élèves et regrettent ensuite d’être intervenus à contre-temps auprès d’euxdu fait de ces méconnaissances. Les personnels sociaux des établissements maintiennent de leur côté laconfidentialité de nombre de données par souci du respect de la vie privée des élèves et de leur famille etpar crainte d’utilisations intempestives de ces informations. Ces mêmes craintes existent d’ailleurs aussientre enseignants.

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De fait les intervenants sociaux ont plus de latitude pour intervenir auprès des familles et tenter demodifier la problématique familiale plutôt que les interactions qui se déroulent ou se sont déroulées aucollège. Leur formation les entraîne aussi sans doute plus du côté de la relation parents enfants que desacquisitions scolaires ou des relations avec les enseignants. Par ailleurs, les travailleurs sociaux insistentsur la mise en place de « projets » qui se heurtent à la précarité des conditions de vie faisant justementobstacle à la construction de ces projets. En outre, si les enfants deviennent plus qualifiés que leurs parents,ils peuvent vivre des conflits de loyauté qui remettraient en cause l’équilibre familial, d’où des attitudes derepli fréquemment observées et des « mises en échec » de projets construits autour de formationsproposées aux jeunes.

D’une manière générale, autour des situations de déscolarisation, on note une pluralité d’intervenantsqui se coordonnent peu, voire ne se connaissent pas, et œuvrent dans des optiques différentes : retour enclasse, travail autour de la famille, perspective d’un placement, stage pré-qualifiant... Les uns et les autresattribuant à des sources différentes les causes des difficultés rencontrées par le jeune ou causées par lui,sources considérées en général comme extérieures à leur propre action.

Les familles

Aux facteurs endogènes à l’école se combinent des situations familiales qui ne permettent pas desoutenir l’élève dans son effort scolaire et de contrebalancer l’image négative qui lui est renvoyée. Dans laplupart des situations rencontrées, si les familles se manifestent ou répondent aux demandes de rencontresdes collèges (les « convocations ») au sujet de leur enfant, ou tout au moins acceptent un échange avecl’assistant social qui se rend au domicile, on note le décalage entre le point de vue et l’histoire scolaire desfamilles, en particulier les parents, et les exigences de l’école, tant en termes d’assiduité que decomportement. Ils connaissent mal ou peu le système scolaire et ont peu de recours devant ladéscolarisation de leur enfant.

Certains parents disposent de trop peu de ressources pour se positionner en interlocuteurs crédibles del’école, méconnaissent le fonctionnement du système scolaire, tout en devant gérer une quotidienne trèsdifficile d’un point de vue économique. Dans une famille, une incompréhension linguistique majeureempêche tout travail de co-éducation effectif entre le collège et les parents. Dans plusieurs familles, lesstratégies familiales employées sont de l’ordre de la contention corporelle, sans effet sur une reprise de lascolarité : ainsi des parents accompagnent leur enfant au collège, le remettent dans les mains du CPE, quil’emmène en cours... jusqu’à la fin de l’heure, où le jeune disparaît à nouveau de l’établissement. Son refusdu système scolaire est tel que ni les parents ni les acteurs scolaires n’ont d’influence sur un éventuelretour. Des punitions corporelles répétées sont appliquées par certaines familles aux jeunes, visant à lesfaire « rentrer dans le droit chemin » (celui de l’école en l’occurrence, censée assurée une formation etprotéger contre les risques de délinquance) avec pour effet d’accentuer leur retrait de la familleparallèlement au retrait de l’école.

Eloignées du marché du travail et de celui de la consommation, les parents n’offrent pas d’imagecrédible en tant qu’éducateurs à leurs enfants (Mucchielli, 2000). Dans ces cas là, le contrôle parental et laqualité de la relation avec les enfants, déjà gravement affectés par la situation de précarité dans laquelle setrouvent les familles, sont rendus encore plus difficiles (Mucchielli, 2000). Des conflits très importants, avivésde surcroît par la situation critique du jeune au collège, bloquent aussi la communication à l’intérieur de cesfamilles.

Pour les familles marquées par la pauvreté, les aléas de la vie familiale prennent des proportionsexacerbées : séparations, divorces, disputes, recompositions ont lieu dans des espaces et des tempsrestreints : l’absence de travail confine les membres adultes de la famille au domicile, et ils ne disposentd’aucun réseau professionnel ou relationnel qui leur permettraient de se distraire de ces situations. Lessituations peuvent évoluer rapidement : départ d’un conjoint et arrivée d’un autre, hébergement de prochesen difficultés momentanées, départ ou arrivées des enfants les plus âgés avec quelquefois des bébés,installation momentanée ou à plus long terme au domicile du nouveau conjoint d’un des deux parents enprésence de l’autre... Les enfants doivent gérer ces situations familiales conflictuelles et leur scolarité enmême temps et le cas échéant assurer le soutien du parent le plus vulnérable, comme c’est le cas pour unedes jeunes filles dont la scolarité s’est arrêtée principalement pour ce motif.

Pour les familles en situation de pauvreté, les démarches diverses sont très difficiles à effectuer : lesdéplacements entre Roubaix et Lille par exemple sont vécus comme aléatoires et dangereux, alors quel’agglomération est desservie par des moyens de transports nombreux et fiables. Les propositionsd’orientation ou de placement qui peuvent être faites rencontrent un refus de se séparer : parents etenfants veulent rester ensemble, par crainte de la solitude (pour les uns et les autres), de l’inconnu, desjugements dévalorisants de l’entourage et des agents institutionnels autour de la séparation. De ce fait lespropositions alternatives sont très limitées car les centres spécialisés ou de formation se trouvent rarementdans le même quartier ou dans la même ville et en l’absence d’adhésion minimale du groupe familial à cespropositions, leur réalisation comporte un très fort risque d’échec. La valeur fondamentale qui apparaît ainsi

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pour ces familles est le fait de préserver l’unité du groupe, refuge, protection, lieu de souffrance mais aussid’exercice de la fonction parentale, qui doit être maintenue, fut-elle mise en péril par des interactionsviolentes ou pénibles avec les enfants.

L’isolement et le peu de gratifications rencontrées dans leur vie sociale, la multiplicité des événementsqui jalonnent la vie familiale favorisent sans doute l’entrée et l’installation de plusieurs mères dans la« dépression » qui devient partie prenante de l’identité maternelle présentée comme telle au chercheur. Lesdifficultés vécues avec les conjoints et les enfants sont des drames quotidiennement ressassés, et certainestrouvent dans ces rôles de mère et d’épouse dolorisées une forme d’identité acceptable pour elles-mêmes,les acteurts scolaires, les travailleurs sociaux... qui vont intervenir en tenant compte de la « maladie » de lamère. Les « problèmes de santé » sont partie prenantes de ces problématiques parentales et déclenchentla compassion ou l’agacement des interlocuteurs intéressés à la situation de l’enfant. Dans les casextrêmes, ils se retrouvent en situation de rassurer ou d’écouter les parents vulnérabilisés. Ceci étant, lesparents rencontrés ne se désintéressent pas de la situation de leurs enfants et les mères restent souventleurs seules « alliées inconditionnelles », tentant d’assurer leur « protection » dans les aléas de leursdémêlés avec l’école, les travailleurs sociaux, les juges des enfants parfois.

Dans plusieurs situations, la vie familiale s’accommode bon an mal an du retrait scolaire d’un ou deplusieurs des enfants ; la scolarité d’un ou de plusieurs aînés s’est arrêtée à l’âge de 16 ans et lesperspectives familiales en matière d’école sont plus portées vers des études courtes sanctionnées ou nonpar un diplôme professionnel que vers des études longues. Le savoir scolaire n’est pas valorisé en tant quetel et l’école est vécue comme un lieu de formation permettant d’accéder rapidement à un emploi. Lorsqueles résultats scolaires du jeune et les incidents au collège rendent cette perspective peu crédible, la familleenvisage alors un retrait de l’école dès l’âge de 16 ans, conseillant à l’enfant de « se tenir à carreaux » d’icilà afin de ne pas s’attirer les reproches et interventions nombreuses des acteurs scolaires. Une fois atteintl’âge de16 ans, on parle alors de « trouver un bon apprentissage » au jeune afin de lui permettre de travaillerrapidement. Cette perspective est d’autant plus affirmée qu’existent encore dans la famille des personnesqui travaillent ou qui ont travaillé dans un passé récent et peuvent encore être porteurs de cette idée deprocessus de formation. L’influence des travailleurs sociaux est par ailleurs notable à travers les discoursmentionnant un « projet professionnel » alternatif à l’école.

Seules deux familles dont les deux parents travaillent ont mis en place elle-mêmes une issue à ladéscolarisation de leur enfant, en obtenant une dérogation pour une entrée en apprentissage avant 16 ans,sans passer par l’intermédiaire de travailleurs sociaux.

Dans l’ensemble, dans aucune des situations étudiées on n’a pu observer des interactions efficacesentre les parents et l’établissement scolaire : les familles, globalement peu crédibles dans lesreprésentations des acteurs scolaires, sont encore plus dévalorisées quand elles sont en situation devulnérabilité ou de pauvreté. A leur tour elle vivent les acteurs scolaires comme désagréables et peuefficaces, porteurs d’injonctions irréalisables, à l’exception de certains (assistants sociaux principalement)qui sont considérés comme bienveillants et faisant tout leur possible pour faire revenir l’enfant au collège,sans que cela ne corresponde à une éventualité raisonnablement envisageable et réalisable par la famille.

Les élèves

Les jeunes déscolarisés s’expriment peu par rapport à leur situation : âgés de 14 à 16 ans au momentde la rencontre avec le chercheur, ils ont vécu un processus de déscolarisation plus qu’il ne l’ont construit.Un seul exprime un refus clair de l’école et de toutes les propositions qui lui seraient faites, en forme deconflit ouvert et non négociable, accompagné d’un désintérêt affirmé par rapport à son avenir. Un autre quin’a jamais été scolarisé, souhaiterait vivement « entrer à l’école ». D’autres expriment un fort sentiment dedévalorisation personnelle (c’est le cas de ceux qui se sont signalés par d’importantes perturbationsscolaires) et des espoirs déçus dans la scolarité. Les jeunes qui n’ont pas été perturbateurs et ont de ce faitété moins stigmatisés n’ont pas de ressentiment ou de crainte mais plutôt un désintérêt global par rapport àl‘école en général, tout en gardant un « bon souvenir » d’enseignants ou d’acteurs scolaires. Tous viventplutôt « au jour le jour », pris en charge matériellement dans leurs familles, avec lesquelles ils entretiennentdes relations diverses, qui vont de la bonne entente au conflit ouvert en forme de rapport de forces avec lesparents ou des frères et sœurs. Plusieurs disent vouloir travailler et attendre d’avoir 16 ans pour pouvoir lefaire.

Sur les 14 situations rencontrées, cinq jeunes ont commis des actes délinquants préalables ou parallèlesà leur entrée au collège ; à la suite de l’arrêt de scolarité, ces actes délinquants ont continué et se sontmême amplifiés mais on ne peut pas dire que l’arrêt de scolarité ait généré la délinquance. Onze ont étél’objet de signalements dont cinq pour faits de petite délinquance, huit pour absentéisme ou problèmefamilial (deux jeunes pour les deux motifs). Ces signalements ont donné lieu à des rencontres avec un jugedes enfants et des mesures éducatives avec maintien au domicile dans la majorité des cas (2 jeunes ont

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été placés sur des durées courtes). Les deux jeunes dont les parents ont trouvé une issue en termed’apprentissage anticipé n’ont fait l’objet d’aucun signalement, non plus que l’enfant en situation irrégulière.

La majorité des jeunes sont plutôt restés chez eux, intégrant « à plein temps » la vie familiale au rythmede leurs parents. Le temps est scandé par les horaires scolaires des plus jeunes enfants, que les jeunesfilles accompagnent ou vont chercher. Elles aident leur mère dans les travaux ménagers, regardent latélévision, voient quelques anciens camarades de collège ou quelques voisins... L’arrêt de scolarité impliqueune diminution des réseaux relationnels avec des pairs, un repli sur la sphère familiale, et une impressiond’ennui avec dans un cas des activités répétitives. Les relations intra-familiales se tendent d’autant plus queles intervenants extérieurs se manifestent par des avertissements ou des injonctions, et que les revenus dela famille sont en baisse par la suspension ou suppression des allocations familiales. Les jeunes qui avaientdes résultats scolaires satisfaisants à l’entrée en 6e peuvent espérer dans un avenir indéterminé reprendreune formation, mais pour les autres, les résultats scolaires en chute ou mauvais depuis plusieurs annéesrendent très aléatoire la perspective de projets professionnels ou d’avenir liés à la formation en général.

La présence d’un groupe de pairs sur le quartier peut jouer un rôle attractif ou compensatoire àl’inactivité liée à la déscolarisation. C’est le cas pour cinq des jeunes, qui ont commis des actes délinquantset s’attachent à des groupes de pairs en formes de bandes au fur et à mesure que s’accentue le processusde déscolarisation.

Nous avons analysé dans cette recherche des processus interactifs qui ont contribué à menercertains élèves à l’arrêt de leur scolarité, tant en milieu scolaire que dans les familles et l’environnement.D’autres démarches sont possibles et existent, comme des dispositifs de soutien internes aux collèges, desprojets impliquant plusieurs enseignants d’une même classe et/ou de plusieurs disciplines, des dispositifsrelais, ou d’accompagnement scolaire sur les quartiers proches des collèges, ou encore des actions derapprochement avec des parents d’élèves. Une prochaine étude permettra de faire l’état des lieux sur lamême ville de ces dispositifs relais et de ces démarches préventives et d’action sur des situations déjàexistantes, à l’interne ou à l’externe des établissements scolaires. Ces dispositifs et démarches n’ont pas étéactivés dans les situations que nous avons étudiées, et nous explorerons ainsi les différentes possibilitésexistantes pour prévenir et offrir des alternatives à la déscolarisation et à l’absentéisme récurrent.

Repères bibliographiques

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Non scolarisation, déscolarisation et scolarisation partielle des migrants.Les obstacles institutionnels à l'accès des enfants et des adolescentsnouvellement arrivés en France à une scolarié ordinaire. Claire SCHIFF

Responsable scientifique : Claire Schiff, Maître de conférence en sociologie, Université VictorSégalen, Bordeaux II, LAPSAC-CADISÉquipe de recherche : Claire Schiff, Marie Lazaridis (formatrice CEFISEM, professeur certifié), CaroleOctave, Evelyne Barthou, Barbara Chauprade (étudiantes à Bordeaux II), Annick Delorme (chercheurCADIS-EHESS)

La difficulté à isoler les facteurs socioculturels de déscolarisation

Dans le projet initial nous proposions d'analyser l'imbrication des phénomènes pouvant contribuer àfragiliser le processus de scolarisation en tenant compte du fonctionnement de l'institution scolaire, desréalités socio-économiques et culturelles des familles, et enfin des spécificités du contexte urbain dans lesquartiers difficiles où s'installe la majorité des nouveaux arrivants. En compartimentant ainsi les facteurs dedéscolarisation nous pensions pouvoir arriver à une conclusion d'ensemble quant au poids relatif desobstacles institutionnels d'une part et socioculturels de l'autre. Mais nos premières enquêtes nous ontamené à réaliser que les choses étaient à la fois plus simples et plus compliquées que prévues. Plus simple,car les carences de l'institution scolaire face aux migrants, qu'ils s'agisse d'obstacles lors de l'inscription, deproblèmes d'évaluation, d'orientation ou de suivi, étaient suffisantes pour expliquer la majorité des cas denon-scolarisation ou de déscolarisation rencontrés.

Plus compliqué parce qu'il n'est pas si aisé de faire la part des choses entre les déterminantsinstitutionnels et socioculturels. Prenons l'exemple d'une mère arrivée seule avec ses enfants d'une régionrurale de la Turquie où la scolarisation se limite le plus souvent à quelques années d'enseignement primaire.Suite à son installation en France, la mère s'adresse spontanément à l'école primaire proche de chez elle ets'entend dire que ça n'est pas là que doivent aller ses enfants âgés de treize et quinze ans. Ceux-ci restentdonc non scolarisés jusqu'à ce qu'une rencontre fortuite avec des représentants du milieu associatif l'amèneà prendre conscience de l'obligation scolaire et de l'existence d'un collège dans un quartier plus éloigné dechez elle. Citons encore cet autre exemple d'une famille africaine isolée, de trois enfants âgésrespectivement de deux, trois et huit ans et dont les deux parents travaillent à plein temps. L'aînée doitrester à la maison, car il n'y a personne d'autres pour s'occuper des petits. Il suffira de l'intervention d'uneéducatrice qui se chargera d'inscrire les petits à la maternelle pour que l'aînée puisse aller à l'école.Troisième exemple, celui d'une élève originaire du Bangladesh appartenant à une famille relativementcultivée, mais traditionaliste. La jeune fille arrivée vers treize ans est scolarisé dans un collège ou le maintiendes élèves en classe à majorité non francophone se prolonge pour beaucoup pendant trois ans. De ce faitl'intégration en classe ordinaire s'effectue presque toujours dans des classes adaptées, et alors que lesélèves ont accumulé plusieurs années de retard, ayant déjà souvent atteint leur seize ans. La jeune fille enquestion sera orientée à cet âge dans une cinquième à langue unique, puis rapidement retirée de l'école etmariée selon la tradition à un cousin vivant au Bangladesh.

Il est difficile d'imputer la "faute" dans ces différents cas à la situation socio-économique de la familleet à ses habitudes culturelles ou à l'absence de prise en charge adéquate de la part des représentants del'institution scolaire ou à une intégration bâclée en classe ordinaire.

Parmi les jeunes non scolarisés dont nous avons eu connaissance, très rares sont ceux dont lesparents s'opposent à l'obligation de scolariser leurs enfants en invoquant des impératifs culturels. Un travailde détective nous aurait peut-être permis de débusquer davantage de cas de ce genre. Mais face à lafréquence des situations inverses, notamment ceux d'adolescents nouvellement arrivés désireux d'aller àl'école mais n'y trouvant pas de place, ou seulement une place à temps partiel, nous avons préféréconcentrer nos efforts sur ce que nous avons choisi de nommer les "dysfonctionnements" de l'institutiondans la mesure où il s'agit de dérogations au principe affirmé d'égalité d'accès à l'école pour tous ou demodalités de scolarisation contraires aux directives énoncées dans les textes officiels.

La présentation de type "chronologique" de la diversité des obstacles susceptibles d'empêcher lesprimo-migrants de mener à bien leur scolarité en France, tels qu'ils apparaissent au cours des différentesétapes qui scandent leur parcours, nous a paru la mieux adaptée à la mise en lumière des processus dedéscolarisation. A chacune de ces étapes peuvent survenir des problèmes qui découragent l'entrée à l'écoleou la poursuite des études, qu'il s'agisse de difficultés rencontrées lors de la première prise de contact avecl'institution scolaire, de celles qui apparaissent suite à l'évaluation des compétences, puis au moment de

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l'entrée dans les établissements, au cours du passage par les classes d'accueil, ou enfin, après l'orientationqui lui succède. De fait, le processus de scolarisation des primo-arrivants apparaît dans ce rapport commeune "course d'obstacles", chaque obstacle étant potentiellement facteur de non scolarisation ou dedéscolarisation selon que l'on se place en aval ou en amont du moment de l'entrée à l'école. Bien entendu,tel ou tel obstacle n'aura pas pour effet automatique d'empêcher l'entrée à l'école ou d'en précipiter la sortie,et heureusement. Le désir d'école, la nécessité de gagner de l'argent, la rencontre fortuite avec unepersonne disposée à servir de relais avec l'institution scolaire, ou bien encore la capacité ou non des jeunesmigrants à résister à la pression d'une communauté juvénile prompte à les ériger en boucs émissaires, sontautant d'éléments qui s'articulent pour créer des situations qui sont toujours à terme des histoiressingulières. Mais nous nous intéressons en premier lieu à mettre en lumière les phénomènes institutionnelssusceptibles de produire de la déscolarisation chez les nouveaux arrivants. Dans ce sens ce rapport estdavantage le portrait de la manière dont l'école française se positionne vis-à-vis de cette populationparticulière que la présentation d'un ensemble de configurations individuelles sélectionnées en fonction deleur conformité à l'égard de la problématique pré définie dans l'appel d'offre.

Les observations effectuées sur tel ou tel terrain nous ont donc servi à dresser un tableau del'ensemble des facteurs qui fragilisent la scolarisation de cette population. Ainsi par exemple les donnéestirées du suivi de cohorte des élèves passées par les structures d'accueil des collèges de l'Académie deBordeaux, servent surtout à pointer le lien existant entre, par exemple, le redoublement de la classesd'accueil et le risque d'une sortie précoce du système scolaire, même si dans le détail elles informentégalement sur le fonctionnement de telle structure d'accueil ou de tel établissement.

La collecte des données dans l'Académie de Bordeaux a été effectuée par EvelyneBarthou et Carole Octave, qui ont travaillé plus particulièrement sur les expériences et les parcoursdes jeunes n'ayant pas eu accès à l'école en France ou y ayant passé peu de temps et sur le rôle desassociations et des organismes extra scolaires, ainsi que par Barbara Chauprade, qui a effectué lesuivi de cohorte et l'analyse du fonctionnement des différents services chargés de l'accueil et del'orientation des nouveaux arrivants, ainsi que celle de l'organisation de la scolarité des primo-arrivantsdans les collèges de l'agglomération bordelaise. Annick Delorme a mené le travail de terrain dans larégion du Nord-Pas-de-Calais et a rédigé les parties sur Sangatte et Cayeux-sur-Mer. Marie Lazaridisa fourni une partie importante des données quantitatives, concernant notamment les élèves en attenteet la scolarisation des élèves dans l'Académie de Créteil, ainsi que nombre d'informations sur lefonctionnement des établissements et des politiques d'accueil et de scolarisation en région parisienne.Claire Schiff a effectué l'enquête dans la commune de Montfermeil, a coordonné et dirigé lesrecherches sur Bordeaux et a rédigé le rapport final en s'appuyant sur les différents rapports fournispar les membres de l'équipe de recherche.

Pourquoi parler de "dysfonctionnements institutionnels"?

Bien plus qu'un inventaire de la diversité des situations de dérogation à l'obligation scolaire existantau sein de cette population, notre recherche apparaît comme une mise en perspective, à partir du problèmeparticulier de la non scolarisation ou de la déscolarisation des nouveaux arrivants, des difficultés quel'institution et que l'ensemble des personnels y travaillant éprouvent à faire entrer ce public dans le droitcommun. En effet, s'il existe un fil conducteur permettant de relier entre eux les différents élémentsprésentés comme des facteurs potentiels de non scolarisation ou de déscolarisation des migrants, il s'agit dela tension permanente au sein de l'institution entre deux tendances à la fois contradictoires etcomplémentaires.

D'une part, on observe un traitement différentialiste de ce public, perçu comme relevant uniquementdu savoir faire des "spécialistes" en la matière. Le fonctionnement en classe "fermée" de la majorité desstructures d'accueil, la multiplication des refus opposés à l'intégration des élèves en classe ordinaire ou danscertains établissements au moment du passage en collège ou en lycée, le fait qu'à partir du moment où ilexiste des dispositifs pour non francophones, ces élèves, même lorsqu'ils sont en France depuis plusieursannées, ne bénéficient pas des autres formes de soutien scolaire existant, sont autant de phénomènes quiattestent d'une tendance à la "ghettoïsation".

Parallèlement à ce réflexe de mise à l'écart des migrants, on constate chez les représentants del'institution une forme d'assimilationnisme rigide qui consiste à ignorer les besoins particuliers de ces élèveslorsqu'ils sortent des dispositifs spécifiques, et surtout à occulter les savoirs et les savoirs faire dont ils sont porteurs pour les aborder comme desindividus dont l'éducation ne commencerait véritablement qu'à partir du moment où ils entreraient sur notreterritoire et dans notre langue. Cela apparaît notamment au travers des difficultés qu'éprouvent lesintervenants à tenir compte des connaissances préalablement acquises, tant au moment de l'évaluation duniveau des élèves que suite à leur orientation en classes d'accueil puis en classe banale. D'où la

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permanence d'une forme d'ethnocentrisme qui consiste à confondre la maîtrise du français avec l'aptitude àla réussite scolaire et qui se traduit concrètement par la sur orientation des élèves non francophones dansles structures de l'éducation spécialisée et dans les filières de l'enseignement professionnel, ainsi que parl'absence de solutions pour la scolarisation des grands adolescents d'un bon niveau scolaire mais peu oupas francophones.

Le cas des enfants et des adolescents primo-migrants déscolarisés, s'ils ne constituent en termenumérique qu'une minorité de la minorité47, permettent ainsi de souligner une des faiblesses du systèmeéducatif français. Il s'agit de l'amalgame effectué entre l'altérité linguistique et la déficience intellectuelle,l'absence de potentiel de réussite scolaire ou l'inaptitude langagière. Comme pour les enfants souffrant dehandicaps psychomoteurs, auxquels les migrants sont parfois assimilés, les modalités d'accueil etd'intégration scolaire proposées à ces derniers dérogent souvent à l'objectif de mixité mis en avant dans lestextes et les directives. Louis-André Vallet et Jean-Paul Caille observaient déjà la tendance assez marquéeà l'orientation en section d'éducation spécialisée (SEGPA) des élèves arrivés en cours de scolarité dans leurenquête sur les parcours des élèves étrangers et issus de l'immigration. Ils attiraient l'attention sur "unesituation qui est la seule pour laquelle nos analyses ont pu prendre en défaut l'institution scolaire"48. D'unemanière générale, les différents acteurs qui se sont penchés sur le fonctionnement des structures d'accueilpour les élèves migrants non francophones depuis leur création dans les années soixante-dix, constatentque leur intégration au sein des établissements pose problème. Le Ministère de l'Éducation Nationale etcertains recteurs préconiseront à plusieurs reprises le désenclavement des classes d'accueil et l'intégrationprogressive et individuelle des primo-arrivants dans les classes ordinaires correspondant à leur âge.Cependant, les résistances sur le terrain sont importantes, tant l'organisation des emplois du temps de cesélèves par l'administration des établissements et la prise en compte de leurs besoins particuliers par lesenseignants ordinaires, sont loin d'être des priorités, surtout dans les banlieues sensibles où se trouvent lamajorité des élèves non francophones49. Mais il n'est pas dit non plus que ces élèves soient mieux accueillisdans les établissements plus privilégiés, comme en témoigne un article récemment paru dans le Monderelatant le transfert d'une classe d'accueil d'un collège du Raincy à un lycée professionnel de Bondy "sous lapression des enseignants et du maire Éric Raoult"50.

Comme pour les "décrocheurs" ayant passé toute leur scolarité en France ce sont les jeunesmigrants âges de 14 à 16 ans qui paraissent les plus vulnérables à la non scolarisation, la déscolarisation oula scolarisation partielle. Mais à la différence des adolescents natifs Français leur situation est plus souventle résultat d'une offre de scolarisation inadaptée ou inexistante que l'aboutissement d'un parcours scolairemarqué par l'échec et par une situation familiale difficile.

Une population aux origines et aux niveaux scolaires hétérogènes

La particularité principale de la population des élèves nouvellement arrivés est d'être à la foisextrêmement hétérogène, de par son niveau scolaire, mais aussi de par la grande diversité de ses originesgéographiques.

Dans l'académie de Créteil où le CEFISEM a récemment effectué une enquête visant à mieuxconnaître les caractéristiques de cette population, les nationalités les plus représentées dans les classesd’accueil de collège sont les suivantes : algérienne (14.2%), marocaine (14.7%), chinoise (8.3%),turque (7%), congolaise (5.5%), française (5.2%) et tunisienne (5.3%). La langue principale de scolarisationest pour 18.2% des élèves le français et pour près de 40% l’arabe. Une majorité de ces élèves est âgée,puisque 52% des élèves ont entre 15 et 17 ans et 42.2% ont entre 12 et 14 ans. Si les élèves non scolarisésantérieurement sont de plus en plus nombreux, ils représentent encore une toute petite minorité de cettepopulation (0.3%) qui se caractérise dans l'ensemble par un degré de scolarisation plutôt correcte, puisque53% ont connu entre six et neuf années de scolarité dans leur pays d’origine. Ceci dit un écart très importantapparaît entre le nombre d'années de scolarisation dans le pays d'origine et le niveau des nouveauxarrivants tel qu'il est estimé au moyen des tests d'évaluation avant leur affectation. Même si l'on supposeque les exigences du système scolaire français sont supérieures à celles de la plupart des pays dontproviennent les migrants, on ne peut que s'interroger sur la fiabilité des modalités d'évaluation au vu desrésultats ci-dessus. Les outils à la disposition des services chargés de cette tâche, bien que de plus en plusnombreux, reposent pour la plupart sur un modèle de test élaboré en fonction des normes du système

47D'après la récente enquête de la DPD, sur l'ensemble de l'année scolaire 2001-2002, environ 38.400 élèves nouveaux arrivants ontété scolarisés. Enquête : élèves non francophones nouvellement arrivés en France. Répartition académique. Observation de mai 2001.48L.-A. Vallet et J.-P. Caille, Les élèves étrangers ou issus de l'immigration dans l'école et le collège français, Les dossiers d'éducationet formation du MEN, n° 67, avril 1996, p. 112. 49L'enquête DPD signale que la moitié des structures d'accueil est implantée en ZEP ou en REP Enquête : élèves non francophonesnouvellement arrivés en France. Répartition académique. Observation de mai 2001.50Le Monde, 07.02.03.

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scolaire français. Ceux-ci n'ont jamais fait l'objet d'une analyse de contenu, ni de procédure de vérificationauprès d'un public d'élèves français.

Il s'agit en principe d'évaluer en deux temps le niveau de maîtrise en français d'une part et le niveaude connaissance scolaire de l'autre. Mais la confusion entre les deux est fréquente. Les tests demathématiques sont par exemple présentés sous la forme courante dans le système scolaire français, lesénoncés étant dans le meilleur des cas simplement traduit dans les langues étrangères ou plus souvent nontraduit. Les mauvais résultats des élèves peuvent ainsi tout aussi bien refléter un manque de compréhensionquant à la manière dont les problèmes sont posés qu'une véritable absence de connaissance dans cettematière. A l'inspection académique de Seine St Denis on remarque à ce sujet que les erreurs allant dans lesens d'une sous-évaluation des capacités sont beaucoup plus fréquente que l'inverse, et nécessitent parfoisdes réorientations par la suite.

Des structures d'accueil insuffisantes dans le secondaire et de nombreux jeunes enattente d'affectation

L'augmentation importante ces dernières années de nouveaux entrants en âge d'être scolarisés aamené certaines académies à ouvrir en urgence de nouvelles structures d'accueil, en particulier en collège.Dans le seul département de la Seine-Saint-Denis, le nombre de classes en collège est passé de 32 en1998-99 à 40 en 2000-2001 et à 51 en 2002. A Paris, pour la même période, le nombre de classes d'accueildans le second degré est passé de 39 à 56 pour l'année 2000-2001 et à 68 à la rentrée 2002, dont 16structures en lycées pour les plus de 16 ans. Même dans les académies et les villes moins touchées parl'immigration que la région parisienne, l'afflux de primo-migrants, en particulier en collège augmente et appelà la mise en place de nouvelles possibilités d'accueil. Au niveau national, en septembre 2002, on comptaitpour le second degré un total de 781 structures.

En dépit des efforts consentis, les Académies restent confrontées pour la majorité d'entre elles à laquestion des élèves en attente de scolarisation. L'insuffisance des classes notamment en collège installeune permanence du phénomène qui devient progressivement structurel. Selon l'enquête de la DPD, qui nereflète que la réalité dans les Académies qui connaissent et qui ont bien voulu déclarer les effectifs desélèves en attente, près de 700 élèves, dans leur majorité en collège, n'avaient pas été affectés à unétablissement en octobre 2002, pour 830 en octobre 2001.

Une scolarisation initiale retardée peut représenter une forme d'encouragement à une nonscolarisation définitive. Cela est le cas pour les jeunes approchant les 16 ans et qui, du fait de ce délaid'attente, atteignent la limite d'âge de l'obligation scolaire, ne pouvant par la suite trouver de structure prêteà les accueillir. En effet, lorsque les structures sont saturées, la priorité est parfois donnée aux plus jeunes,considérés comme ayant plus de chances de pouvoir poursuivre une scolarité ordinaire. Les serviceschargés de l'évaluation et de l'affectation des jeunes sont ainsi obligés d'effectuer une forme de tri ou dehiérarchisation des demandes. L'irrégularité du séjour peut à ce moment-là également apparaître comme uncritère de sélection. A l'Inspection Académique de la Seine Saint Denis, où les listes d'attente pour entrerdans les classes d'accueil en collège et en lycée sont particulièrement longues, outre la prise en compte del'ordre d'arrivée des demandes, la priorité d'affectation est donnée à ceux qui possèdent un dossier de l'OMI,aux jeunes entrées dans le cadre du regroupement familial, aux enfants de réfugiés statutaires et auxmineurs isolés placés dans les Foyers d'Aide Sociale à l'Enfance.

Le fonctionnement en classe fermée sans intégration des élèves primo-arrivants dans les classesordinaires avant la fin de l'année, et qui est pratiqué dans la plupart des établissements, rend difficile lascolarisation de ceux qui arrivent en cours d'année. Même lorsque les élèves sortent des structures d'accueilpour intégrer une classe ordinaire, cela ne libère pas immédiatement une place pour ceux qui sont sur listed'attente. En effet, les établissements, craignant de voir les classes d'accueil surchargées, ne signalent pastoujours à l'Inspection Académique les intégrations en classes banales en cours d'année qui permettraientl'affectation d'élèves en attente, ou encore n'informent pas immédiatement l'IA lorsque moins d'élèves queprévus se présentent dans l'établissement à la rentrée.

Les réticences des acteurs institutionnels face aux nouveaux arrivants

On observe souvent des résistances de la part des établissements à se voir attribuer une classed'accueil ou à recevoir plus d'élèves que le stricte minimum requis. Dans une académie l'on remarque parexemple que "l'augmentation du nombre d'élèves dans les classes d'accueil a déjà occasionné des réactionstrès vives dans certains établissements", et qu'"il est très difficile d'obtenir des votes positifs ou sans

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opposition des conseils d'administration" pour l'ouverture de nouvelles structures. Certaines justificationscontre l'ouverture de classes d'accueil s'appuient même sur des "argumentaires tendancieux sur laprétendue difficulté que représentent ces classes"51.

Nous avons également eu connaissance de formes de résistances à la mixité dans certainsétablissements dotés de classe d'accueil depuis de nombreuses années. Du fait de la forte présence d'untype de population migrante dans le secteur géographique de l'établissement, ces structures sont devenuesdes "spécialistes" de telle nationalité ou telle catégorie sociale. Lorsque des demandes de scolarisationproviennent de familles qui n'ont pas le "profil" de la classe, ou lorsque la composition de la populationmigrante dans le quartier se diversifie, plutôt que d'être affecté selon les règles de la carte scolaire, lesnouveaux arrivants sont orientées vers d'autres établissements, souvent fort éloignés de leur domicile.

Dans une commune de l'académie de Créteil, il existe par exemple une classe d'accueil en collègequi scolarise en grande majorité des enfants en provenance de la Roumanie, pour la plupart des Tsiganes,et qui est connue pour fonctionner en structure fermée "de longue durée". Cette classe étant considéréecomme "réservée aux Roumains", l'arrivée récente de migrants d'autres origines n'a pas suffit à remettre encause son fonctionnement, les services chargés de l'affectation préférant envoyer les nouveaux élèves dansdes établissements éloignés. Dans un autre établissement implanté dans une commune aisée de la Seine etMarne où habitent de nombreux cadres étrangers et leurs familles, la classe d'accueil, ouverte il y a unedizaine d'année pour recevoir ces enfants, fonctionne davantage comme une structure bilingue, semblable àceux des lycées internationaux, en dépit de son statut officiel de CLA. Récemment, une jeune turqueinstallée sur la commune s'est vu proposer un affectation dans une classe d'accueil située dans unecommune plus défavorisée. Souhaitant lui éviter de long trajets dans les transports en commun, la famille arefusé l'affectation qui était proposé à leur fille. De ce fait elle est restée déscolarisée. Ces cas étant trèsrares, l'Inspection Académique préfère se conformer à cet état de fait que de risquer de se prendre unevolée de bois vert de la part des enseignants.

D'une manière générale, quand il s'agit de primo-arrivants ou d'ex primo-arrivants, le personnelenseignant se sent plus libre de contester les décisions d'orientation si il estime que les élèves affectés àleur établissement n'ont pas le niveau requis, comme en témoigne la multiplication des refus opposés pardes collèges et lycées à l'intégration des sortants des classes d'accueil.

Depuis la rentrée 2001, l'Académie de Créteil a développé un système d'accueil, d'évaluation etd'orientation des élèves nouvellement arrivés par le moyen de "cellules d'accueil" départementales quipermettent une meilleure liaison entre les différents services concernés : CEFISEM, CIO, MGI (pour les plusde 16 ans), Inspection Académique. Ce système est destiné à améliorer la prise en charge des nouveauxentrants avant leur intégration dans les établissements. Une fois qu'ils deviennent élève, la prise en chargescolaire, et notamment l'orientation à la sortie des classes d'accueil, relève de la responsabilité desétablissements, comme pour les élèves ordinaires.

Or, en particulier pour les plus de 16 ans qui sont orientés en lycée à l'issue de la classe d'accueil encollège, il s'avère que les établissements s'opposent fréquemment à leur intégration en arguant de leurmauvaise maîtrise du français. Ainsi ils contestent les décisions des conseils de classe des collèges etrenvoient les élèves concernés vers la cellule d'accueil afin qu'elle leur propose une nouvelle orientation. En2001-2002 plus de 70 élèves orientés en lycée dans l'Académie de Créteil à l'issue de la CLA se sont ainsiprésentés à la cellule d'accueil à qui il était demandé de leur trouver une place dans un dispositif MGI pourles plus de 16 ans ou de nouveau dans une classe d'accueil en collège pour les plus jeunes52. Une vingtained'élèves dans ce cas se sont présentés à la cellule d’accueil du Val de Marne depuis la rentrée 2002, selonl'entretien effectué avec la coordinatrice départementale de la MGI en octobre 2002. C'est ainsi au momentdu passage des élèves du collège au lycée, mais aussi parfois du passage d'une CLIN en primaire à unesixième ordinaire en collège, que les résistances se font sentir. Il est difficile de savoir si l'existence de lacellule d'accueil permet de mettre en lumière un phénomène préexistant à sa mise en place, ou s'il s'agit làd'un effet pervers de celle-ci. Toujours est-il qu'un dispositif dont la vocation est d'améliorer l'évaluation etl'orientation initiales des nouveaux entrants est ainsi transformé en une cellule de "réorientation" par desétablissements qui se déchargent de leur responsabilité sur les "spécialistes" des primo-arrivants. Cettesituation, outre le fait qu'elle a tendance à encourager les redoublements en classe d'accueil, qui constitueun facteur de démotivation et d'abandon selon les résultats du suivi de cohorte que nous avons effectuédans l'Académie de Bordeaux, peut être en soi une cause de déscolarisation, notamment pour les plus deseize ans.

Les obstacles à la scolarisation des enfants "en transit" et des enfants étrangers : lescas de Sangatte et de Montfermeil

Entre 1999, année de l’ouverture du centre de Sangatte et sa fermeture fin 2002, aucun enfant ayanttransité par ce lieu n'a bénéficié d’une scolarisation dans les établissements de la région. Le nombre

51Note Académique interne, avril 2001. 52"État final des actions MGIEN 2001-2002", Rectorat de Créteil, septembre 2002.

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d'enfants présents dans le centre fluctue. Au moment de l'étude en avril 2002 il n’y en a avait qu’une dizaine,à d’autres périodes, il a atteint soixante-dix.

La question de la scolarisation ou du droit à l’éducation des enfants du centre ne se pose pas demanière prioritaire à la fois pour les gestionnaires du centre, les différents acteurs mobilisés, voire pour lesmigrants eux-mêmes. Elle a cependant fait l’objet de plusieurs démarches de la part d’un responsable localde la Ligue des Droits de l'Homme auprès d’interlocuteurs diversifiés, locaux et nationaux : la direction de laLDH de Genève, le préfet de région, le recteur, l’inspecteur académique du Pas-de-Calais ainsi que deuxministres successifs de l’éducation nationale – Claude Allègre et Jack Lang, sans réponse effective.

La Croix rouge, responsable de la gestion du centre, déclare ne pas être directement concernéepar cette question. Elle définit sa mission comme étant essentiellement humanitaire, et consistant à procurerdes conditions de vie sanitaires décentes aux réfugiés. Selon le Directeur du centre, scolariser les enfantsconduirait à officialiser une structure qui relève avant tout du provisoire, sans envisager la forme de lascolarisation en question.

La position du Maire de Sangatte, également inspecteur de l'Éducation Nationale, apparaît délicate,placée dans la tension permanente entre ces deux rôles. En tant qu’inspecteur, ses arguments consistent àsouligner la contradiction entre le caractère transitoire de la présence des migrants en France avec la notiond’intégration prônée dans la cadre de la scolarisation. En tant que maire, les arguments soutiennent l'objectifde fermeture du centre. Il précise que cette question n’a jamais été débattue au sein du conseil municipal, nine lui a été posée directement. Selon lui, si la scolarisation devait être envisagée, il serait préférable qu’ellesoit réalisée non pas à Sangatte, ni dans un établissement de Calais, mais à l’intérieur du centre. Ceciéviterait les risques de conflits entre ethnies, le sentiment "d’invasion" déjà ressenti par certains Sangattois.C’est également essentiellement en raison de cette hostilité pressentie de la part de la population locale, queles militants de la LDH proposaient la mise en place d’un enseignement de la part d’un enseignant spécialiséà l’intérieur du centre

Du côté des habitants du centre des demandes, en termes d’enseignement même ponctuelles, sontexprimées dans le cadre d’activités périscolaires. Un instituteur afghan avait formulé le projet avec unbénévole d’organiser des cours. Or compte tenu des enjeux soulevés par cette question, celle-ci n’a pasabouti. Lors de notre travail d’observation, certains réalisaient des exercices d’anglais à plusieurs, desmathématiques, une personne apprenait des rudiments de français, aidée par un migrant en possédant desbases. Certains expriment également des demandes très précises aux bénévoles, concernant par exemplel'apprentissage des mathématiques. D’autres désirent posséder des dictionnaires : farsi-anglais, des livrespour apprendre l’anglais… Une bénévole, professeur d’anglais à la retraite, a donné des “ cours ” d’anglais àdeux enfants qui en avaient exprimé la demande. Un enfant de nationalité russe avait demandé à aller àl’école à Sangatte. Il avait l’habitude de disputer des parties de football avec des enfants de la commune etdésirait être scolarisé. Malgré l’intervention du directeur du centre, le maire de la commune a refusé. Unefois placé par les services de la DDASS dans une famille à l’extérieur du centre, il s’agissait d’un mineurisolé qui parlait français, il a pu être scolarisé dans un établissement de Calais. Dans ce cas, le fait de vivredans le centre interdisait toute possibilité de fréquenter l’école locale.

Compte tenu de l’hétérogénéité de la population du centre qui accueille des migrants, maiségalement des sans domicile fixe, des déboutés du droit d’asile, des demandeurs d’asile en attente de placedans les CADA en raison de la saturation de ces dispositifs d’hébergement, des demandes se fontnécessairement jour et la scolarisation se justifie même de manière temporaire.

Ce serait la représentation que l'on a, ou que l'on souhaite donner ou conserver du centre commecentre de transit, qui interdit l'expression de cette demande. Ce ne serait donc, qu’une fois écartées lesreprésentations associées au centre (cet aspect étant paradoxalement peut-être plus important pour despersonnes extérieures - population locale, décideurs politiques - que les migrants eux-mêmes) que desprojets liés à l’installation et notamment à la scolarisation, pourraient être explicitement formulés etentendus.

***

Au cours des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix la presse s'est faite l'écho des condamnationsdont à été l'objet le maire de Montfermeil pour refus d'inscription dans les écoles maternelles d'enfantsétrangers nouvellement arrivés. Si les oppositions ouvertement affichées à l'inscription des enfants dans lesécoles de la part des services de la municipalité se sont peu à peu faites plus rares au cours des annéesquatre-vingt dix, les obstacles a l'entrée des enfants nouvellement arrivés dans les écoles primaires sont loind'avoir tous disparus. Nous avons été amené à nous pencher sur le cas de Montfermeil par l'intermédiairedes personnes impliquées dans un projet original intitulé "L'École sans murs" visant à traiter des situationsde déscolarisation existant dans les communes de Clichy-sous-Bois et de Montfermeil. Celui-ci a été mis enplace par la direction d'une école privée sous contrat, implantée dans une commune voisine. Le bilan établitau terme de la première année d'activité indique qu'une douzaine de cas d'enfants déscolarisés ou nonscolarisés, pour la plupart des primo-migrants en provenance du Mali et du Sénégal, ont été traités parl'École sans Murs. Les témoignages de l'éducatrice de rue travaillant dans le cadre de ce projet illustrent

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combien les résistances à la scolarisation de ces enfants de la part des services municipaux de Montfermeildemeurent vivaces. Voici un exemple qui en témoigne :

Le père de la famille T est en France depuis une vingtaine d'année et habitait jusqu'en octobre 2000dans une commune autre que Montfermeil. Le regroupement familiale de sa seconde femme et de ses troisenfants, dont deux en âge d'aller à l'école primaire et un en âge d'aller au collège, a eu lieu en 1998. Peu detemps après, sa première femme demeurée en Afrique décède et il effectue également les démarches deregroupement familial pour leur enfant de six ans et un grand fils que cette femme a eu avec un premiermari. Les quatre petits enfants sont rapidement scolarisés. Mais le père, âgé et diabétique, cherche à serapprocher de son emploi à Paris. Il trouve un appartement en sous-location dans la cité des Bosquet àMontfermeil. La mère analphabète doit entreprendre les démarches pour scolariser les enfants, car son marioccupe deux emplois à plein temps. Elle ne bénéficie pas du soutien des associations communautaires carson mari est vraisemblablement soupçonné de maraboutisme. "Le problème principal a été un problème à laMairie", nous expliquera l'éducatrice qui s'est chargée de l'affaire.

Il y a eu un blocage. J'y suis allée avec la mère pour demander ce qu'il faut faire. On m'a donné uneliste avec six ou sept papiers à fournir : le bail, la carte d'identité, l'enregistrement du bail auprès des impôts,car il fallait être en règle avec la taxe d'habitation, le livret de famille, les certificats de vaccination. Ensuitec'est marqué que pour les étrangers il fallait tout le dossier concernant l'OMI. On a réussi a trouvé tout saufle bail. Dans ce logement ils s'étaient fait avoir. Si on n'était pas intervenus ils se faisaient jeter à la rue, parune propriétaire qui n'était plus propriétaire. Qui sous-louait l'appartement alors qu'il était vendu à unesociété civile immobilière. Impossible d'obtenir les papiers. On a fait plusieurs démarches auprès de laMairie. C'était le refus total sans bail. D'abord il fallait les certificats de vaccinations. Ils étaient en règle pourle plus petit. C'était le premier écueil. Car il était difficile de trouver un centre ouvert dans le département. Ona du aller jusqu'à Villemonble. Ca a coincé jusqu'au bout pour le bail. On a levé ça en faisant intervenir uneagence immobilière qui a bien voulu faire pression auprès de la propriétaire pour qu'elle donne desquittances de loyer. On avait tout. C'est l'écueil de Montfermeil. A Clichy y'a pas de problème du tout. Unefois qu'on avait tout satisfait, c'était pas terminé. "Bon d'accord mais maintenant il faut que vous obteniez unrendez-vous de l'adjoint chargé de la scolarité" : et tout de suite on nous prévenait que ça ne serait pasfacile, d'autant plus que c'était une famille d'origine étrangère. Donc j'ai eu beau dire que c'était pas légal,qu'ils ne pouvaient pas refuser d'inscrire un enfant. La secrétaire a dit que ca ne dépendait pas d'elle maisqu'elle ne pouvait pas faire autrement. A ce moment là on a fait intervenir la Directrice de l'école (chargée duprojet École sans Murs), puisque celui qui était chargé des affaires scolaire avait ses enfants ici. LaDirectrice est intervenue auprès de l'adjoint au Maire, en tant que parent d'élève qui a fait pression pour qu'ilnous reçoive dans les meilleurs délais. Il nous a reçu juste le dernier jour avant les vacances de Noël. Sinonil n'aurait pas pu rentrer normalement à une rentrée. On avait mis au courant l'inspectrice qui téléphonaitrégulièrement pour savoir ou ça en était. A chaque fois on lui disait : "Mais le dossier n'est pas complet. Ilmanque ceci est cela." Y'a eu pour certains cas une pression du Préfet pour que le délais soit raccourci,mais ça a toujours été au moins deux mois. En même temps qu'on faisait les démarches j'ai contacté lesécoles pour savoir si elles seraient d'accord. On a même déterminé dans quelle école ils iraient. Tout étaitprêt. On était passé déjà par la CCPE pour discuter de la petite qu'on suivait deux heures par jour. C'est làqu'on a remarqué que la petite fille n'avait pas 5 ans mais 7. Elle avait vraiment envie d'apprendre. Et lesparents n'attendaient que ca. Même le grand de 17 ans aurait voulu. Le plus grand de 15 ans est le premierqui a été à l'école. Ca a été tout seul pour le collège puisque ça passait pas par la Marie. A la Toussaint ilétait à l'école. Les petits ont perdu un demi trimestre. Si on n'avait pas été là je pense qu'ils seraientretournés à Charleville. Ils disaient : "On est pas bien ici. Il n'y a pas de serrure à la porte. Il faut toujours qu'ily ai quelqu'un". La propriétaire leur demandait toujours de payer ceci et cela. Lui est tombé malade et a étéhospitalisé pendant un mois. Il devait être tellement fatigué...

L'École Sans Murs a également pris en charge des cas d'enfants non scolarisés habitant la citévoisine de la Forestière située dans la commune de Clichy-sous-Bois. Les procédures d'inscription se sontavérées beaucoup moins compliquées, en dépit du fait que les enfants se trouvaient parfois en situation plus"irrégulière", sans autorité parentale formelle ou sans certificat de naissance, par exemple.

Les refus d'inscription qui avaient soulevé à une époque l'attention de la justice et des médias sesont transformés depuis quelques années en délais d'inscription pour absence de justificatifs. Quelquesannées auparavant il existait à la mairie une "commission d'inscription des enfants étrangers". Ces derniersavaient donc affaire à un interlocuteur autre que le service chargé des affaires scolaires. Le secrétaire de laMarie recevait les familles et faisait pression sur les parents lors de l'entretien afin de les décourager àentreprendre les démarches pour scolariser leurs enfants. L'inspectrice de l'Éducation Nationale nousexpliquera comment un certain nombre de familles devaient ensuite être "repêchées" par les acteursinstitutionnels soucieux de faire respecter le droit à la scolarité pour tous. Le sous-préfet de l'époque,préoccupé par la situation établit ainsi un protocole informel afin de résoudre ces cas en désignant commemédiateur l'inspection académique. Tout un ensemble d'acteurs était ainsi mobilisé pour tenter de trouver lesmoyens de contourner les obstacles à l'inscription. Les directeurs d'école, connaissant les familles

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concernées, les orientaient vers l'Inspectrice de l'Éducation Nationale, qui devaient les convaincre d'aller voirle sous-préfet, qui pouvait ensuite user de son droit à faire valoir l'obligation de scolarisation auprès de laMairie à partir du moment ou les familles possédaient le minimum de documents nécessaires. Pour lesquelques cas où les deux parents étaient entrés en France dans l'illégalité, les familles étaient alorsenvoyées vers l'Association de Soutien aux Travailleurs Immigrés qui se chargeait de les aider à obtenir undocument permettant au Préfet de faire valoir l'obligation d'inscription auprès de la Mairie, par exemple enles convainquant de présenter un dossier de demande d'asile à l'OFFPRA afin d'obtenir un récépisséautorisant le séjour. L'arrivée d'un nouvel adjoint chargé aux affaires scolaire fera cesser ces mesuresd'intimidation puisque celui-ci exigera de s'occuper de toutes les inscriptions et non seulement de celles desenfants français.

Aujourd'hui l'inspectrice avoue ne pas pouvoir affirmer qu'aucun enfant ne leur échappe. Mais ellesouligne combien l'existence d'un important maillage associatif sur la cité des Bosquets facilite le repéragerapide des enfants qui ne vont pas à l'école. Elle évoquera à ce sujet le contre-exemple d'un enfant habitantle centre ville que la Mairie avait refusé d'inscrire et qui demeura non scolarisé pendant près d'un an jusqu'àce que le Secours Catholique en pris connaissance et aida la famille à entamer une procédure de demanded'asile. Au bout de huit mois de démarches l'enfant fut enfin scolarisé. Deux autres situations d'enfants defemmes turques qui avaient quitté leur pays après une rupture avec leur mari et qui n'avaient donc pasl'autorité parentale unique furent très longues à démêler, d'autant plus que les associations communautairesne souhaitaient pas soutenir ces femmes. Ce sont les femmes relais qui prirent ces affaires en main etpermirent que les enfants soient scolarisés.

On voit ainsi que sans les efforts au quotidien et la collaboration d'un grand nombre d'acteursassociatifs et institutionnels les situations de non scolarisation peuvent perdurer indéfiniment dans uncontexte que l'inspectrice qualifia de "hors normes". Il s'agit certes de cas exceptionnels de dérogationsrépétés au droit commun, mais dans la mesure où cela dure depuis presque vingt ans sous une forme plusou moins exacerbée, on est en mesure de se demander combien d'étrangers ou de migrants arrivés enfantsà Montfermeil ont été privés d'école à un moment ou un autre de leur parcours scolaire ?

Le suivi de cohorte : un moyen pour repérer les facteurs de déscolarisation

La cohorte que nous avons pu suivre sur l'Académie de Bordeaux est constituée de 173 individus :143 étaient en sixième ou cinquième d'accueil en 1998 (il n'y a dans l'Académie qu'une cinquième d'accueilqui est une CLA-NSA) et 30 en Unité Pédagogique d'Intégration. Notre étude met en évidence plusieursaspects de la scolarisation des primo arrivants :

- Cette population est assez mobile. Beaucoup déménagent pour une autre académie ou à l’étranger. Maisun nombre important de départs sont aussi des départs définitifs du système scolaire.

- Les orientations pratiquées par les structures provisoires sont plus systématiques que dans les classespermanentes. Cela semble logique compte tenu du fait que les classes provisoires sont organisées trèsrapidement dans un établissement qui n'en a pas l'habitude.

- Les redoublements des classes d’accueil sont assez fréquents. Il arrive que les élèves arrivés en coursd'année n'aient pas suffisamment de temps pour s'adapter. Pourtant certains restent jusqu'à quatre ans dansla classe. Compte tenu des départs définitifs à la sortie des CLA après redoublements, cela ne semble pasbénéfique pour les élèves. De plus, de par l'organisation des structures en "classes fermées", cela repoussed'autant plus une réelle intégration, et ne permet pas de libérer des places pour les nouveaux entrants.

- Les orientations sont massives en CAP ou en BEP quel que soit l'âge mais sont d'autant plus fréquentesl'âge avançant. Les élèves ayant plus de seize ans ont tendance à être orientés vers des sectionsprofessionnelles ou des cycles courts comme les CIPPA. Cependant les chiffres montrent que lesorientations en CAP sont souvent bénéfiques puisque c'est parmi ces élèves-là qu'il y a le moins de départsdéfinitifs et qu'une part importante d'entre eux continuent leur formation vers un BEP.

Si au niveau national on assiste à un resserrement des parcours entre élèves français et étrangers,notre étude des orientations à la sortie des classes d'accueil est loin de confirmer cela pour les nouveauxarrivants. En effet, les étrangers sont toujours plus orientés en proportion que les élèves français dans lesfilières technologiques et professionnelles. C’est également le cas des orientations en UPI, destinées auxélèves présentants des handicaps psychomoteurs et des troubles du comportements graves. La cohorte de1998 montrait que 20% des élèves primo arrivants sur l’académie de Bordeaux avaient été orientés en UPIentre 1998 et 2002, la plupart dès leur arrivée dans le système scolaire. Cette sur orientation des migrantsdans les structures destinées aux élèves handicapés, déjà mise en lumière par l'étude de Vallet et Caille

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pour ce qui est des SEGPA, témoigne d'un amalgame regrettable, mais aussi peut-être de pratiques quiconsisteraient à détourner ces structures de leurs objectifs premiers afin d'y placer des élèves nonfrancophones dont les établissements ne savent que faire en l'absence de classe d'accueil permanente.

D'une manière générale les primo-migrants sont également plus orientés vers des filièresspécialisées telles que les quatrièmes aide et soutien et les troisième d’insertion. Leurs parcours scolaires,de par ces orientations, sont en moyenne plus courts que pour les élèves français. Le retard d'âge estégalement plus important, même si les textes rappellent qu'"un retard d’un an voir de deux ans chez certainsélèves ne constitue pas un obstacle dans un cursus de scolarisation longue"53. Pourtant, dans la pratique,cela peut être un facteur de démobilisation et de sous estime de soi chez ces élèves qui rencontrent en plusdes difficultés d'ordre linguistiques et d'adaptation dans une nouvelle culture.

Scolarisation partielle dans les établissements et scolarité de substitution dans lesassociations

Hormis le cas des nouveaux arrivants ne pouvant accéder à l'école et celui des jeunes qui quittentl'institution à un âge précoce et/ou sans diplôme, un autre phénomène qui touche un nombre assezimportant de primo-arrivants, est ce que nous appelons la scolarisation partielle, à savoir le cas d'élèves quine suivent pas la totalité des matières ou des heures exigées par le cursus dans lequel ils sont inscrits, et/ouqui sont pris en charge par un personnel non qualifié par l'Éducation Nationale tel que des aides éducateursou des formateurs d'associations.

Les textes rappellent l'obligation faite aux établissements de proposer aux nouveaux arrivants, outrel’apprentissage du français, une intégration dans des cours tels que les arts plastiques, la musique ou lesport, ce qui est globalement respecté par les établissements du secondaires que nous avons observés. Lacirculaire de 2002 sur les élèves nouvellement arrivés rappelle également que : "Au total, l'horaire scolairedoit être identique à celui des autres élèves inscrits dans les mêmes niveaux" et que leur emplois du tempsdoit inclure "le plus souvent possible" des enseignements en "classe ordinaire" tels qu'en mathématiques ouen langues. Les emplois du temps des classes d'accueil en collège que nous avons pu obtenir varient de 22heures de cours par semaine à 28 heures, ce qui correspond à un emploi du temps complet de collégien. Laplupart des établissements organisent pour certains élèves quelques heures par semaine d'intégration en"classe de niveau". Mais cela ne concerne souvent que peu d'élèves par classe. Certaines matières, tellesque la deuxième langue vivante, l'histoire-géographie, les sciences naturelles et physiques sont le plussouvent absentes des emplois du temps des élèves des classes d'accueil. L'organisation fermée de lamajorité des classes d'accueil autour d'un enseignant de FLE aboutit à ce que l'apprentissage du françaissoit presque l'unique but de la classe.

Par ailleurs, les aides éducateurs sont largement associés au fonctionnement des classes, sousforme d’aide à la lecture et à l’écriture, de soutien en mathématiques, d’aide aux devoirs et dans certains casde prise en charge des élèves non scolarisés antérieurement ou d'une partie de la classe en cas dedédoublement par niveaux. Une enquête du CEFISEM de Créteil daté de janvier 2001 démontre qu'ils sontprésents dans 80 % des classes dans le Val de Marne, dans 50% en Seine St Denis et dans toutes lesclasses en Seine et Marne. Leur présence est la plus forte dans les départements où le fonctionnement desclasses est le plus partiel en termes d’horaires mais aussi de disciplines enseignées.

L'organisation des emplois du temps des élèves primo-arrivants se fait bien souvent en fonction dela disponibilité des enseignants. En effet, dans certaines académies les personnes affectées àl'enseignement des primo-migrants sont des volontaires et bien souvent des non-spécialistes de la matièreenseignée. Dans les établissements du Pas-de-Calais qui ne compte pas, en principe, de structure d'accueil,des heures de français langue étrangère sont dispensées aux élèves par des enseignants volontaires, nonspécialistes de la matière, qui effectuent ainsi des heures supplémentaires.

D’autres exemples comme celui des cours de soutien dispensés à des élèves nouveaux arrivantsintégrés directement en classe ordinaire à leur arrivée rejoignent ces cas de figure. Pour l'ensemble del'académie de Créteil, exception faite de la Seine-Saint-Denis, ces actions sont prises en charge par la MGI.Le recrutement des intervenants, leur formation, le contenu pédagogique des enseignements, ainsi que lesliens avec les équipes des classes ordinaires reste vague. L'étanchéité des relations qui existe bien souvententre ces actions et les classes ordinaires s’explique aussi en partie par le pilotage exclusif de ce dispositifpar la MGI. Les déperditions d'élèves sont parfois importantes en cours d’année. Des actions qui démarrentavec douze élèves se terminent en fin d’année à cinq ou six élèves. Cette situation est aussi la conséquencedu choix que font les établissements d'organiser les heures de soutien aux mêmes heures que certainscours de collège. Certains établissements refusent encore que les cours de soutien puissent avoir lieu le 53"Organisation de la scolarité des élèves nouvellement arrivés en France sans maîtrise suffisante de la langue française ou desapprentissages", circulaire 2002-100 du 25-4-2002, B.O. spécial, 2002, n. 10 du 25 avril.

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mercredi après-midi pour les collégiens. Cela oblige donc les élèves à choisir entre tel ou tel cours et créeune forme d'absentéisme scolaire qui ne favorise pas leur adaptation dans le cursus ordinaire.

L'absence de solutions institutionnelles pour une population de jeunes, certes restreinte, maisnéanmoins croissante depuis quelques années, appelle à la mise en oeuvre de mesures palliatives, qui sontle fait de différentes associations ou organismes parapublics. Depuis quelques années ceux-ci sontconfrontés de plus en plus fréquemment aux demandes des adolescents nouvellement arrivés. Nous avonsété frappés par l'implication des différentes structures associatives dans la recherche d'alternatives à lascolarisation des nouveaux venus, que ces structures soient destinées à un public de migrants ou à unepopulation plus large de jeunes en difficulté.

Beaucoup de jeunes arrivés à seize ans et plus sont envoyés par les divers services de l'ÉducationNationale vers des missions locales ou des associations. Le référent se charge alors d'élaborer avec lejeune des parcours qui sont souvent assez atypiques. Ils cumulent alors plusieurs formations tant chacuneest spécialisée : par exemple les GRETA ne font que de la formation en français et en mathématiques, pourune formation plus professionnalisante ils doivent alors trouver un autre organisme. C'est ainsi que certainsjeunes rencontrés en sont à trois ou quatre formations.

A Bordeaux, la plupart des jeunes migrants non scolarisés ou en voie de déscolarisation ont étérencontrés par l'intermédiaire d'associations ou de structures d'accueil tel qu'un foyer d'aide sociale àl'enfance ou un foyer de réfugiés. Ces organismes remplissent d'une part une fonction de formation enassurant des cours d'alphabétisation ou de français, et d'autre part une fonction de médiation en intervenantparfois auprès de l'Éducation Nationale au nom du jeune qui cherche à se faire scolariser.

Des organismes tel le GRETA ou Médecins du Monde reçoivent un certain nombre de jeunesmigrants déboutés de leurs demandes de scolarisation. Le problème principal est que les activités destinéesaux migrants sont conçues pour un public d'adultes. Par exemple les cours d'alphabétisation sont tournésvers des réalités simples afin de mieux appréhender la vie de tous les jours. Les jeunes qui y participent sontplus dans une logique d'acquisition de savoirs, de recherche d'un niveau général afin d'augmenter leurschances d'intégrer un cursus scolaire. Leurs demandes débordent ainsi les capacités des formateurs et lesattentes des autres participants. De plus, ces cours ne sont pas diplômants, ce qui accentue leur caractèreoccupationnel. Le plus souvent les jeunes ayant suivi des formations de ce type se tournent ensuite vers desstages professionnels, et abandonnent à terme le projet de retourner un jour à l'école.

Une autre alternative à l'école est celle proposée par des foyer d'Aide Sociale à l'Enfance en régionbordelaise, dont le public est constitué pour moitié de mineurs demandeurs d'asile isolés. A l'initiative dedeux directeurs d'établissements à caractère social, a été mis en place un Atelier Pédagogique animé parune aide éducatrice en emploi jeune. Elle accueille les jeunes en petits groupe ce qui permet un suiviindividualisé.

Les acteurs extra scolaires : associations communautaires, associations de soutien scolaire,personnels des foyers, portent un regard très critique sur la manière dont l'Éducation Nationale gère lascolarisation des primo-migrants, en particulier celle des plus âgés. La plupart de ceux-ci affirme le caractèrecroissant des cas observés de non scolarisation et de déscolarisation précoce des jeunes migrants.

Le décalage entre les possibilités d'intégration scolaire offertes au public des adolescents primo-arrivants et les ambitions de ces jeunes ne fait qu'aggraver la frustration de ceux qui en ont la charge. Eneffet tous soulignent la volonté d'apprendre, la détermination des nouveaux venus et le contraste entre ceux-ci et les jeunes natifs français en difficulté qu'ils sont également amenés à aider. "Les jeunes étrangersapprennent très vite. Ils sont très volontaires et curieux. C'est beaucoup plus facile avec eux qu'avec lesFrançais. Les étrangers sont comme neufs, alors que les Français sont abîmés, blasés. Les autresreprennent à zéro", dira la responsable de l'Atelier Pédagogique du foyer d'aide sociale à l'enfance. Demême, un éducateur d'Emmaüs Insertion avouera sa perplexité : "C'est regrettable de voir des jeunesmotivés être exclus du système scolaire alors qu'on fait chier les autres pour qu'ils raccrochent, alors quec'est déjà trop tard. Je ne comprendrais jamais le mode de fonctionnement de l'Éducation Nationale. ça metue".

La faible prise en compte de la question de l'intégration scolaire des primo arrivants est illustrée parle fonctionnement de certaines "plates-formes d'accueil". Chaque académie doit, depuis la convention cadredu 7 Mars 2001, doit participer aux plate forme d'accueil regroupant les principaux interlocuteurs : l’OMI, leSSAE, les DDASS et le FAS. Dans les académies de Bordeaux, mais aussi de Créteil, pourtant plusfortement mobilisée sur la question, aucun représentant de l’Éducation Nationale n’est présent au momentdes séances collectives de pré-accueil organisées par l’OMI. La question de la scolarisation se traite donc àla marge puisque les questions abordées concernent l'habitat, la santé, tout ce qui touche à l'acquisition dela nationalité, des visas ou des cartes de séjour, les demandes de regroupement familial. Les questions dela langue sont abordées, mais seulement dans la perspective d'une formation pour adultes. Les migrantspeuvent bénéficier de tests et être ensuite orientés vers des organismes d'alphabétisation ou de formationlinguistique. Mais ni le CEFISEM ni l'inspection académique ne sont présents sur la plate-forme pour traiterde la scolarisation des plus jeunes.

Ainsi la mobilisation de quelques représentants du monde associatif ou de certains représentants del'Éducation Nationale autour de cette question ne suffit pas à pallier aux carences des institutions, même sielle s'avère parfois décisive pour certains jeunes laissés pour compte. Les associatifs ont une connaissance

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plus individualisée et approfondie des aspirations et des situations des jeunes migrants de par le travail deformation et de soutien qu'elles effectuent auprès d'eux. Ayant à traiter à la fois des problèmes liés àl'obtention de titres de séjours et aux difficultés d'insertion professionnelles, elles sont particulièrementsensibles au fait que la non-scolarisation en France équivaut bien souvent à une insertion hypothéquée etau maintien dans une situation de précarité.

De l'espoir à la désillusion : les jeunes migrants face à l'école

Les discours que tiennent les jeunes migrants non scolarisés ou en voie de déscolarisation surl'école sont sensiblement différents selon qu'il s'agit d'individus arrivés récemment et n'ayant pas (encore...)pu intégrer un établissement, ou d'adolescents en France depuis plus longtemps et qui éprouvent desdifficultés scolaires.

Bien souvent avant leur départ les projets migratoires des jeunes et de leurs familles ont pourobjectif ultime la réussite scolaire. Par conséquent, dans un premier temps l'école est sur investie etconsidérée comme le principal vecteur de la réussite, Une fois arrivé en France, la perspective d'y fréquenterl'école représente l'avènement d'une nouvelle vie dont ils espèrent qu'elle sera meilleure que celle qu'ils ontquittée. Ils ont l'impression que leur futur s'étend sur un temps long et qu'ils n'entament que la premièreétape dans un processus qui ne peut être que continu et progressif et dont l'aboutissement reste incertain.Mais ceux pour qui l'intégration scolaire est impossible ou bâclée sont contraints de repenser entièrementles raisons et les motivations de leur départ et leur horizon s'en trouve alors considérablement réduit. Ledécalage entre les attentes des jeunes rencontrés et les réalités du système scolaire est ainsi largementcelui d'un décalage entre deux temporalités : celle du jeune migrant dont l'avenir reste à faire, et celle del'institution scolaire qui ne leur ménage qu'un temps d'adaptation très court, parfois inexistant.

Les parcours scolaires des nouveaux arrivants sont souvent compliqués, avec des redoublements,des réorientations, des emplois du temps bricolés, des périodes de déscolarisation suivies de formations enalternance dans des dispositifs pour jeunes adultes plus ou moins adaptés à leurs difficultés et à leursprojets. Ces parcours chaotiques sont d'autant plus fréquents qu'il s'agit d'une population très mobile et queles premières années en France sont souvent marquées par des déménagements successifs. Pour desjeunes qui connaissaient mal le système scolaire français à leur arrivée, le fait d'être ballotté d'une structureà l'autre, sans véritable continuité d'une année sur l'autre remet en cause la confiance qu'ils pouvaient avoiren l'école et rend difficile l'élaboration de projets professionnels à long terme.

Si ces jeunes ont initialement une attitude très respectueuse envers l'école, après des tentativesinfructueuses pour s'y faire accepter, ou après un passage dans les filières les plus dévalorisées, telles queles troisièmes d'insertion ou les classes CIPPA, ils perdent de leur idéalisme. Mais plutôt que de transformerleur ressentiment et leur déception en une critique de l'institution, ils intériorisent leur échec et finissent biensouvent par considérer qu'ils ne sont "pas faits pour l'école". Les jeunes primo-migrants qui ont été orientésdans les classes de relégation en collège et qui ne peuvent espérer poursuivre leur scolarité au lycée, maisqui ne parviennent cependant pas à trouver du travail, sont progressivement envahis par un sentiment defaillite personnelle qui les rend encore plus vulnérables et passifs face au mépris et aux brimades des autresélèves. La "rage" qu'éprouvent les jeunes Français issus de l'immigration en échec scolaire contre unesociété qu'ils jugent en grande partie responsable de leurs difficultés, si elle peut parfois aboutir à descomportements autodestructeurs, leur permet dans une certaine mesure de résister à l'effondrement de leurestime personnelle. A l'inverse, les primo-arrivants sont aisément victimes de ce phénomène d'autodévaluation dans la mesure où ils se considèrent plus souvent personnellement responsables de leur sort.Dans leur cas, si la communauté juvénile des quartiers défavorisés contribue à accélérer leur "décrochage",cela est plus souvent par l'effet de répulsion exercée par des jeunes en rébellion contre l'institution quiprennent les nouveaux arrivants pour cible, que par un effet d'attraction des migrants hors des établissementdu fait d'une intégration au groupe des pairs.

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Malaise dans la scolaritéRecherche sur le décrochage scolaire à Corbeil et à Grigny dans l’EssonneJacqueline COSTA-LASCOUX dir.

SYNTHESE ET PROPOSITIONS

Direction de la recherche : Jacqueline COSTA-LASCOUXCoordination du projet: Anne RABANYMax BUTLENOlivier HOIBIANJean LAMBERT

On a tardé, en France, à s'interroger sur l'absentéisme. Malgré un rapport de l’Inspectiongénérale attirant l’attention sur le caractère préoccupant du phénomène, le nombre des recherches surl’absentéisme et le décrochage scolaire est resté faible, jusqu'à l’appel d'offre interministériel ( ProtectionJudiciaire de la Jeunesse, Ministère de la Jeunesse, de l’Education et de la Recherche, DélégationInterministérielle à la Ville, FASILD). Les politiques de la Ville avaient, certes, contribué à mettre en lumièrele fait que certains mineurs déambulent dans les rues ou les centres commerciaux, se réunissent dans descafés, des locaux désaffectés ou des caves, alors qu'ils devraient être en classe, mais, dans les années1990, l’attention s'est d’abord portée sur les incivilités et les violences, manifestations plus visibles dumal être des jeunes et dont la responsabilité peut être imputée directement à leurs auteurs.

L’absentéisme scolaire et la « déscolarisation » renvoient, plus largement, à la responsabilitéde l’institution scolaire, qui a pour obligation de scolariser toute une classe d’âge (de 6 à 16 ans) et, pourmission, d’assurer le service public de l’éducation nationale - au delà de l’âge limite de 16 ans, la poursuited’une scolarité engagée par l’inscription dans un établissement scolaire doit être respectée pendant uneannée.

Le principe de l’obligation scolaire est parfois mal compris par les familles. Par ailleurs,l’application des textes sanctionnant les manquements à l’obligation et à l’assiduité scolaires seheurte à plusieurs dysfonctionnements :

- la « liste scolaire » tenue par les mairies (recensement des enfants de la commune soumis àl’obligation scolaire n’est pas contrôlée avec suffisamment de régularité (contrôle mensuel prévupar les textes) ;

- les motifs légitimes d’absence sont mal compris de nombreux parents et, souvent, indiqués avecinsuffisamment de précision ;

- la durée requise des quatre demi-journées d’absence par mois pour un signalement àl’académie est mal adaptée au dépistage des phénomènes d’absentéisme qui peuvent conduireà un « décrochage scolaire » ;

- les manquements à l’obligation scolaire et à l’assiduité sont sanctionnés de façon disparateselon les établissements.

L’absentéisme et le décrochage scolaires sont à la fois mal identifiés dans leur nature et dansleurs formes, et mal définis dans les relations qui les relient ou les distinguent. Phénomènes « àgéométrie variable », ils sont le plus souvent réduits à la preuve de la non-présence physique dans leslocaux scolaires, en nombre de demi-journées (quatre demi-journées sans justificatif pour l’absentéisme).Or, au delà de la question, certes importante, de la présence de l’élève et de son assiduité aux coursdispensés dans l’établissement, c’est le retrait des apprentissages scolaires qui est en cause, c’est le senset la mission de l’Ecole qui sont contestés ou ignorés. La déscolarisation est, fréquemment, le résultatd’une série d’absences, qui se répètent et se prolongent, sans que l’institution scolaire soit parvenueà y remédier.

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I – DEMARCHE ET METHODES :

1. Pour mieux cerner les mécanismes de la « démobilisation scolaire» des élèves, l’équipe derecherche a choisi de travailler :

- en diversifiant les sources (données sur la structure, le fonctionnement et la vie desétablissements ; statistiques de l’absentéisme ; signalements des incidents et desviolences dans les établissements ; fiches individuelles d’élèves absentéistes ; données sur lesrésultats scolaires, sur les taux d’orientation, sur les conseils de discipline, sur les relations desparents d’élèves à l’Ecole, eux-mêmes souvent absents aux élections et aux réunionsorganisées par l’établissement) ;

- en adoptant une approche pluridisciplinaire. L’équipe regroupait des chercheurs etenseignants de plusieurs disciplines (français, histoire-géographie, mathématique, sociologie,psychologie, sciences politiques, droit, anthropologie, linguistique) ;

- en privilégiant des terrains d’enquêtes déjà connus des membres de l’équipe : la majoritéest impliquée dans la formation, à l’IUFM de Versailles, centre d’Etiolles ; certains ont mené desrecherches dans l’académie ; quelques uns sont engagés dans la vie associative locale. Tousont une connaissance du terrain depuis plusieurs années.

2. L’équipe de recherche a travaillé à Grigny et à Corbeil, dans le département de l’Essonne, à la foissur les données statistiques et à partir d’enquêtes sur le terrain :

- le travail d’analyse statistique a porté sur les signalements d’absences non justifiées, ceux desétablissements étudiés et ceux de l’ensemble du département de l’Essonne (année 1999- 2000),mais aussi sur plusieurs données statistiques complémentaires ;- les entretiens auprès d’adultes en charge d’élèves, dont certains sont devenus absentéistes oudécrocheurs, ont permis de mettre en regard les témoignages de :

. personnels de l’Education nationale (chefs d’établissement, CPE, enseignants, infirmières,psychologues et assistantes sociales scolaires...). partenaires institutionnels travaillant avec les établissements scolaires. psychologues et travailleurs sociaux. missions locales. élus locaux et associations de quartiers suivant les jeunes en difficulté

- les entretiens avec des familles d’élèves absentéistes ou décrocheurs ont eu lieuprincipalement à Corbeil, dans les locaux du collège durant l’école ouverte

- les entretiens avec des élèves : - des absentéistes ou décrocheurs interrogés sur leurs lieuxhabituels de vie ; - des élèves de SEGPA et de classes-relais.

Autant les entretiens avec les institutionnels ont cherché à répondre à une grille de questionnementpermettant de comparer les situations, les modes de saisie et le traitement de l’absentéisme, autant lesenquêtes auprès des familles et des jeunes ont respecté une grande liberté d’expression. Les interviews enmilieu « sensible », notamment, doivent éviter la méfiance des enquêtés.

II – PRINCIPAUX RESULTATS DE LA RECHERCHE

La recherche a permis d’établir non pas des catégories d’absentéistes ou de décrocheurs,définis par des traits socio-culturels ou psychologiques caractéristiques, mais d’analyser les formes,les conditions et les étapes du processus de déscolarisation, pouvant mener à la sortie définitive dusystème scolaire. La typologie porte sur les situations, non sur des types d’élèves qui seraient appelés, plusque d’autres, à décrocher du système scolaire.

1 - C’est l’analyse des diverses modalités de la prise de distance vis-à-vis de l’école, qui apermis de préciser la signification de la non-présence au cours ou dans l’établissement scolaire,jusqu’à la rupture délibérée.

2- C’est l’analyse du processus de déscolarisation en terme de « désaffiliation » de l’Ecole qui apermis de mettre en lumière :

- l’enchaînement des situations à risque ;- le rôle de certains facteurs déclencheurs ; - les moments de basculement dans une logique ou un sentiment d’irréversibilité ; - la persistance, cependant, de certains liens avec l’Ecole et avec les camarades de classe.

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Le choix de l’équipe de recherche a été de privilégier l’analyse des mécanismes qui vont del’absentéisme au décrochage, de préférence à la catégorisation de « groupes cibles » d’absentéistes ou dedécrocheurs.

3- C’est l’analyse des modalités de l’absentéisme qui a montré que le processus dedéscolarisation ne s’inscrit pas dans un continuum inéluctable. Les conditions de sondéveloppement dépendent d’une série de facteurs :

- des facteurs psychologiques et familiaux, des conditions socio-économiques et culturelles,personnels à l’élève,

- des facteurs tenant aux modalités de la scolarité de l’élève (« scolarité à trous , « scolarité enpointillé »)

- des facteurs relevant de l’institution scolaire elle-même et du fonctionnement des établissements

A partir de l’interaction de ces facteurs personnels et institutionnels, une typologie desconditions de l’absentéisme et du processus de décrochage ont été rendues possibles.

Quelques tendances fortes apparaissent :

- Certaines touchent aux différentes causes et formes de démobilisation scolaire, du côté desélèves et, aussi parfois, du côté de l’institution ;

- d’autres ont trait plus directement au processus même de déscolarisation, à sa nature, sesconditions de développement et à ses principales étapes.

1 /- LA DEMOBILISATION SCOLAIRE

a)- La diversité des formes d’absentéisme :

Si l'on prend en compte toutes les formes d'absentéisme (la présence/absence, l’absentéisme perléou ciblé, l’absence répétée, l’absence prolongée…), qui peuvent conduire au décrochage scolaire, lephénomène est préoccupant, parce qu’il semble à la fois se diversifier et se développer, alors que leschiffres officiels restent faibles : moins de 1% de signalements à l’inspection académique de l’Essonnesur le nombre d’enfants scolarisés.

La recherche a montré la complexité des situations d’absentéisme, ce qui fait dire à un CPE que« s’il appliquait strictement la circulaire sur le signalement des absences, il ne ferait plus que cela, tant lenombre de dossiers l’accaparerait et la diversité des cas requerrait une attention particulière. »

b)- L’inadaptation des modes de signalement :

Le mode de comptage des absences non-justifiées de plus de deux jours ne rend pas compte detous les modes de désaffection et de désaffiliation de l’école et, surtout, des moments clés de rupture dansla relation à l’école.

Le département de l’Essonne utilise, très largemement, le logiciel G.E.P. de l’Educationnationale (et non un logiciel privé payant comme celui utilisé dans certaines académies) : sur plusieurspoints, le système pourrait être amélioré afin de saisir avec plus de fiabilité les absences et, surtout,pour en donner une image plus fidèle à l’échelon académique.

Au delà de l’amélioration du comptage et du traitement des absences, c’est peut-êtrel’ensemble des textes sur les manquements à l’obligation et à l’assiduité scolaires qui devraient êtrerevu.

Un travail sur la problématique du signalement, sur le suivi par les établissements,sur la disparité des pratiques entre les établissements, sur la remontée des informations àl’inspection d’académie, s’avère nécessaire.

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. c)- Les carences de la prise en charge des mineurs en difficulté

Les résultats de l’enquête permettent aussi d’observer "l’état de sinistrose" qui caractérise la priseen charge des problèmes familiaux, sociaux, psychologiques, de mineurs qui, sans être délinquants, « vontmal ». L'absentéisme est le symptôme d’« un malaise dans la scolarisation », qui traduit les carencesde l’accompagnement des jeunes en difficulté. Très souvent, les problèmes sont apparus dès le primairesans qu’il y ait de suivi. Le personnel social, psychologique et médical de l’Education nationale estinsuffisant au regard du nombre des jeunes « en souffrance » et, par ailleurs, les délais d’attente pour unrendez vous au CMPP se prolongent sur plusieurs mois.

A côté des absences 'non justifiées', qui sont comptabilisées par l’administration, parce qu'ellesposent notamment la question de la responsabilité juridique de l’établissement, il faudrait compter celles quisont couvertes par des "mots allusifs" des parents, du type "mon fils n'a pas pu aller à l'école pour desraisons familiales", ou par des "certificats de complaisance," qui traduisent parfois une volonté dedétournement de l’obligation scolaire, mais, plus souvent, une incapacité à identifier et à répondre aumalaise exprimé par le jeune.

S’ajoute à cela la technique éprouvée des élèves « présents/absents », présents physiquement aucollège ou au lycée, mais qui ont décroché des apprentissages et pour lesquels les difficultés restentoccultées pendant un certain temps.

Enfin, l’Ecole sait peu de chose sur « les perdus de vue », à propos desquels on a tendance àpenser que « la famille a dû aller ailleurs ». Ces adolescents échappent fréquemment à toute prise encharge. Ils sont, en revanche, aisément « récupérés » par des milieux délinquants ou par le marché del’économie parallèle.

d)- Le désarroi de l’institution :

L’Ecole semble désorientée par des situations de plus en plus délicates à qualifier et à repérer :les ruptures familiales à répétition, les déménagements successifs, les changements d'établissement(volontaire ou après exclusion), les problèmes de santé, le manque de présence des familles elles-mêmesou leur volonté de « couvrir » les agissements de leurs enfants, rendent particulièrement difficile le choix deréponses adaptées. Par ailleurs, les moments les plus critiques pour l’élève sont, précisément, les momentsde passage d’un degré d’enseignement à un autre avec changement d’équipe éducative et d’établissementscolaire.

Parmi les césures significatives, outre le souvenir durable (et parfois pénible) desapprentissages de la lecture et de l’écriture au CP, l’entrée au collège et le passage de la classe dequatrième à la troisième apparaissent déterminants : sur les 459 dossiers de signalement pourabsentéisme (année 199-2000), 60% des fiches concernent les classes de 4ème et de 3ème –. Remarquonsque les élèves de SEGPA sont sous-représentés parmi les absents récidivistes.

Il se produit une sorte de « phénomène d'évaporation », qui préfigure la sortie du systèmescolaire : « les institutions ferment parfois les yeux, faute d’éléments suffisants d’appréciation et de preuvede la situation et, aussi, parce que ces élèves une fois partis, ne font plus de bruit, ne perturbent plus lecollège. » De toute façon, lorsque ces jeunes sont à quelques mois de leurs 16 ans, ils arrivent souvent àleur majorité scolaire avant qu’une solution ait pu être mise en oeuvre. Certains, cependant, trouvent eux-mêmes une solution avec l’aide de la Mission locale.

e) - La fracture culturelle :

Au delà des problèmes de critères et de preuve de la justification de l’absence, l’absentéismesoulève la question du rapport à la culture scolaire.

Le sens même de l’obligation scolaire n’est pas toujours perçue ni par les parents, notammentquand ils n’ont pas été eux-mêmes scolarisés sur une longue période, ni par les enfants : le droit àl’éducation apparaît moins évident que la contrainte institutionnelle avec sa « contrepartie », le versementdes allocations familiales - dans l’Essonne, celles-ci restent de toute façon acquises aux parents endifficulté.

Les familles concernées ont été, fréquemment, elles-mêmes, déracinées. Elles tentent d’affirmerune autorité auprès de leurs enfants. Les relations internes ou avec le milieu d’origine sont distendus -familles monoparentales, « éclatées », immigrées, nomades. Elles sont désarmées pour contrôler laprésence de leur enfant à l’école et suivre leur scolarité. Parfois, elles réagissent par un retour à destraditions autoritaires, qui leur semblent devoir resserrer les liens familiaux.

Le postulat selon lequel la culture familiale et la motivation des parents viendraient naturellement en

appui à la culture scolaire s’avère, dans certains cas, erroné. Lorsque « Rester parmi les siens », « gagner

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de l’argent rapidement », « montrer qu’on est un homme » ou « se préparer au mariage,» est considérécomme plus important, l’émancipation personnelle par les apprentissages scolaires ne va pas de soi.Pour les enfants du voyage par exemple, la culture scolaire française reste éloignée des traditions familiales.De même, pour ceux pour qui la vie "c'est, par nécessité, la débrouille", la prolongation de la scolarité n’apas une légitimité évidente. Plus profondément, certains aspects de la culture scolaire apparaissent« étrangers », imposés par des gens qui « ne sont pas du même monde,» ou comme contraires auxcroyances religieuses et aux modèles culturels familiaux. Les savoirs et les valeurs enseignés à l’école sontalors ressenties comme une contrainte extérieure, une « violence symbolique ».

La culture scolaire est concurrencée par les cultures médiatiques. La connaissance desgroupes musicaux, des séries télévisées et des téléfilms, des manifestations et des performances sportives,du « star system », l’emporte sur les contenus de l’enseignement scolaire (certains décrocheurs peuventrester des jours ou des nuits entières devant la télévision ou devant un écran de jeux vidéo).

Enfin, faute d’imaginer les conditions dans lesquelles vivent certains jeunes, nombre de décisionsinstitutionnelles peuvent avoir des effets pervers que les autorités n’ont pas soupçonnés. Par exemple,lorsqu'un juge décide d’une garde alternée, alors que les parents habitent loin l'un de l'autre, les enfants sontdans l’incapacité matérielle d’être à l'école le lundi matin. Certains enfants dorment sur des matelas defortune ou dans une voiture le temps d’un week end. De même, on ne peut pas ignorer que des mineurstravaillent à la boutique d’un parent ou font vivre une partie de leur famille avec des « petits boulots ». Larecherche a montré que les institutions, scolaire ou judiciaire, ignore souvent la situation réelle desélèves, leurs détresses cachées.

f)- l’ennui et la désillusion

Les absentéistes expliquent fréquemment qu'ils s'ennuient à l'école « surtout quand leursprofesseurs ne semblent pas passionnés par ce qu'ils font et ne les écoutent pas » . Ces adolescents nevoient pas l'utilité de ce qu'ils apprennent, et, de toute façon, "ce n'est pas l'école qui va les aider à vivre",celle-ci ne jouant, à leurs yeux, ni son rôle de reconnaissance ni de promotion sociale. Pour décrocher,l’ennui ne suffit pas ; l’ennui doit s’accompagner d’une profonde désillusion.

Dès la fin de la classe de quatrième, certains élèves anticipent pour éviter l'orientation qui,selon eux, leur sera proposée. Ils préviennent la situation dans laquelle ils imaginent se retrouver, sevoyant, dès à présent, dans une impasse. Ils cessent de venir au collège, quelques mois avant leurs 16 ans,devançant ainsi la date butoir de l'obligation scolaire. Ce départ anticipé, déclare un professeur, « c'estsouvent la faillite de la conception rigide des apprentissages et des programmes, d’une accumulation desavoirs sans réel travail sur les motivations de l’élève ». Une expression, fréquemment employée par lesélèves, est significative : « Le prof peut toujours parler, çà n’imprime pas ».

« Le miracle, c'est que l'absentéisme ne soit pas plus important ». De fait, nombre d’élèves viennentencore au collège 'pour les copains', et parce que c'est le seul lieu qui constitue encore une communautéde vie, un point fixe, un ancrage affectif. Certains ajoutent qu’ils sont reconnaissants à l’égard desenseignants « qui se donnent du mal».

Les risques de voir l'absentéisme se développer sont évidents, mais ils ne touchent encore qu'unepetite minorité d'élèves. Cette minorité toutefois est concentrée dans certains établissements, danscertaines classes, et cela suffit à déstabiliser le système. "Les CPE [conseillers principaux d'éducation] sontsurchargés, les assistants sociaux et les psychologues sont en nombre insuffisant, et n'ont pas de contactrégulier avec leurs collègues de secteurs, qui se retranchent derrière le secret professionnel ; les infirmièresrépondent immédiatement à la demande, elles écoutent et donnent parfois des « cachets » pour apaiser lasouffrance, mais personne ne parvient, dans ces conditions, à avoir une vision d'ensemble de la situation dujeune.

Certains élèves n’ont aucune aide spécifique, d’autres voient défiler plusieurs intervenantsdifférents sans relations entre eux : « On sait comment il faut leur parler et ce qu’il faut dire à chacun, ditun élève de quatrième. C’est comme au poker menteur ! »

Le processus qui va de l’absentéisme au décrochage scolaire permet de mesurer autant lesdifficultés personnelles et familiales de certains élèves que de révéler les dysfonctionnement d’unsystème éducatif qui ne sait pas toujours reconnaître et accompagner des élèves marginalisés par laculture scolaire. Il y a «décrochage,» lorsque les règles et les savoirs enseignés ont perdu aux yeux desélèves de leur intérêt et de leur utilité.

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Si nombre d’absentéistes ont des difficultés scolaires et, notamment, ne possèdent pas lesfondamentaux du langage écrit et de l’expression orale, l’échec scolaire ne conduit pas, cependant, à luiseul, au décrochage : il en est un des facteurs potentiels. Les élèves de SEGPA, par exemple, très suivis etencadrés par leurs enseignants, sont rarement des « décrocheurs », malgré les difficultés qu’ils rencontrentdans les apprentissages scolaires.

2/ - LE PROCESSUS DE DESCOLARISATION

Le processus de déscolarisation ne pouvait pas être analysé comme un simple mouvement linéaire.Il a donc été étudié au regard de trois questions principales :

a)- la nature du processus b)- les conditions de son développement c)- les étapes clés du processus

a)- La nature du processus de déscolarisation :

La déscolarisation est la résultante d’une série cumulative de ruptures, qui introduisent une distanceprogressive à l’école. Ces ruptures sont à la fois personnelles et familiales (dans la filiation parentale etculturelle, notamment) et des ruptures qui interviennent dans la scolarité. C’est le cumul de ces ruptures quiconduit au processus de déscolarisation.

Les enfants « décrocheurs » ont souvent eu des absences injustifiées avant de connaître unedéscolarisation durable. Ils ont, en majorité, une histoire personnelle chaotique (scission dans la filiation,éloignement d’un parent, disparition d’un membre de la fratrie, famille éclatée, changement de résidence,période d’abandon …), auxquelles se surajoutent des moments difficiles dans la scolarité, avec desinterruptions dans les apprentissages scolaires (y compris du fait d’exclusions temporaires).

A un moment donné, le sentiment d’irréversibilité de la rupture du lien avec l’école pousse vers lasortie du système éducatif : l’élève entérine une situation devenue inextricable. Contrairement aux incivilitéset aux violences, l’absentéisme et le décrochage sont très souvent présentés par les élèves comme unesorte de fatalité, le résultat d’un constat : « L’Ecole n’était pas faite pour eux, c’est tout ! »

1 - Le processus prend des formes et des rythmes divers :

L’enchaînement de certaines situations et de certains comportements permet de décrire unprocessus qui peut aller :

- de la gradation des absences jusqu’au décrochage de longue durée,- des signes avant-coureurs de désintérêt de l’école, d’inappétence, jusqu’à une attitude de rejet

de l’école et d’opposition aux méthodes pédagogiques et à la didactique utilisée,- de l’attitude désinvolte jusqu’à l’indifférence et au retrait - « l’école, çà n’est plus mon affaire,

mon job, mon business ».

2 - L’absence revêt des significations différentes, qui ont été classées selon une typologie desrelations de l’élève à l’école et aux apprentissages scolaires :

- la présence/absence (présent dans l’établissement mais absent du cours)- les retards répétés (notamment à certaines heures) - les absences ciblées (certains cours et avant les contrôles)- les absences perlées (au gré des événements)- les absences/ refuges, (on fuit le collège par crainte de subir des représailles) - les vacances prolongées ou anticipées (au pays d’origine notamment)- les séjours temporaires au pays d’origine (pour une reprise en main familiale, l’aide à un parent, la

préparation au mariage...)- les absences excusées avec des justifications de complaisance (justifications « bidon »)

3 – L’absence est souvent précédée par des stratégies d’évitement des cours. Celles-ci sontinventives et, parfois, difficilement repérables, parce que les élèves utilisent les ressources de l’école etles logiques de son fonctionnement. Cela se traduit par des attitudes caractéristiques :

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- arriver en retard pour être envoyé en permanence- se dire malade pour aller à l’infirmerie- perdre ses affaires de classe et passer du temps à les rechercher- arguer d’un rendez-vous pour voir le conseiller d’éducation ou l’intendant (pour la cantine)…

Certains élèves arrivent « à faire sauter » un nombre non négligeable de cours, ce qui rendd'autant plus difficile la progression des apprentissages voire même l’acquisition des fondamentaux.Cette « scolarité à trous » n’est pas propice à la motivation au travail ni à la possibilité deraccrocher.

4 - la quantification du phénomène dépend de ce que l’on veut mesurer :

- soit on s’en tient à la mesure d’une présence physique ou non de l’élève dans l’établissementscolaire, en application du critère juridique de responsabilité pour les agissements commis par lemineur ou pour les accidents dont il serait victime à l’intérieur des locaux scolaires - la questionessentielle est alors celle de la preuve de la non-présence et des motifs de celle-ci ;

- soit on tente de mesurer le processus de déscolarisation, en tant que distance progressive àla scolarité, pouvant aboutir à un décrochage de longue durée. C’est le sens même del’obligation scolaire, en tant que droit fondamental de l’enfant à l’éducation, qui devient l’élémentcentral d’analyse de la situation. L’institution scolaire est alors obligée de s’interroger sur sapropre capacité à remplir sa mission éducative et à tenir ses engagements pédagogiques.

Autrement dit, une distinction essentielle semble devoir être faite entre :

- le simple contrôle de la présence physique et de l’assiduité, conformément aux textes envigueur sur l’absentéisme scolaire- et la mise en œuvre d’un véritable contrat éducatif passé avec l’institution scolaire.

La recherche a montré la nécessité d’opter pour la seconde définition si l’on veut mieuxcomprendre et prévenir le phénomène de déscolarisation

b) – Les modalités du processus de déscolarisation

1 - le processus de déscolarisation est un phénomène complexe aux causes multiples :

- problèmes de santé ( notamment les dyslexies, les difficultés visuelles ou auditives mal détectéeset non soignées), problèmes psychologiques ou psychiatriques

- séparations familiales, avec souvent une pluralité de lieux de vie - difficultés langagières et échecs scolaires répétés - travail du jeune dans l’économie parallèle, ou comme main d’œuvre familiale (« la double

journée »), empêchant le déroulement normal de la scolarité. L’élève finit par « vivre sa vie » endehors de l’école, parfois pour « gagner sa vie et celle de sa famille » hors du système scolaire.

Parmi, ces multiples causes, deux semblent revenir de façon récurrente : les scissionsdans le lien familial et les difficultés langagières. L’impossibilité d’avoir les mots pour communiquer,d’avoir la maîtrise de la langue orale et, surtout, écrite, tel que le requièrent les apprentissages scolaires,crée une distance, vécue douloureusement parfois, à la culture et aux exigences de l’Ecole. Elle donne àl’élève un sentiment d’abandon ou de rejet. Pour mieux comprendre ces difficultés d’expression dans lalangue enseignée à l’école, il convient aussi de préciser que l’élève a parfois un autre registre langagier,dans une « sous-culture de quartier » (ce que les Américains nomment l’ « Ebonics ») ou dansl’environnement familial (langues et cultures d’origine). Il se produit des situations de dyglossie, qui fontobstacle aux apprentissages scolaires. Signalons, enfin, que des dyslexies sont détectées tardivement voiremême, ne sont pas soignées.

2 – L’absentéisme et le décrochage s’inscrivent à la fois dans une trajectoire personnelle del’enfant et dans un parcours scolaire de l’élève, dans lesquels les prises en charge et les aidesn’ont pas eu lieu ou n’ont pas eu lieu au bon moment. Certains élèves absentéistes n’ont jamaisconnu de prise en charge spécifique, d’autres sont suivis par des intervenants sociaux ou psymultiples, qui n’ont pas communiqué entre eux sur le cas individuel du mineur (jusqu’à sept ou huitintervenants successifs pour des jeunes de l’enquête) ; des dossiers d’élèves absentéistes dans leprimaire ne sont pas connus du collège, le suivi entre le premier et le second degré n’étant pastoujours assuré.

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3 - La déscolarisation se concrétise souvent lorsque la rupture culturelle entre la famille etl’école est consommée. La culture scolaire peut être perçue par la famille comme inadaptée auxbesoins, aux attentes et à l’intérêt de leur enfant. Elle peut aussi leur apparaître « étrangère », « unautre univers » susceptible de heurter les traditions religieuses ou culturelles, « un monde qui n’estpas le leur », voire un milieu qui devient hostile, lorsque s’y exprime le racisme ou lorsqu’il exclue.« On se sent humiliés, parce qu’on ne comprend pas ce qui est demandé à nos enfants et ce quinous est demandé à nous parents.»

4 - Les parents sont fréquemment, eux-mêmes, dans une relation de distance à l’école, soitqu’ils n’ont pas été scolarisés ou ont peu fréquenté l’école soit qu’ils nourrissent à son égard uncertain ressentiment. Les premiers viennent rarement aux réunions organisées par le collège et lesprofesseurs. Les seconds viennent revendiquer, parfois, avec virulence. Pour ces derniers, lacritique la plus fréquemment exprimée est, précisément, celle de l’absentéisme des professeurs,qui « arrivent en retard et manquent des cours ou ne corrigent pas les copies » ; leur déception estalors avancée comme une justification du « décrochage » de l’enfant..

Une autre critique se développe, celle d’une Ecole qui ne protège pas suffisamment lesenfants et qui les met, parfois, en danger : les parents craignent que leur enfant soit victime de vol,de racket, de violences ou de brutalités sexuelles...

5 - Les apprentissages scolaires apparaissent trop abstraits, trop éloignés de « la vraie vie »,souvent détachés des contraintes économiques et des futurs apprentissages professionnels. C’est àla fois l’utilité des savoirs et des méthodes scolaires qui est contestée et le plaisir d’apprendre quis’émousse. Parallèlement, le manque de cohérence entre les disciplines est perçu comme unhandicap majeur à tout travail d’appropriation et de mémorisation. Les apprentissages apparaissentaussi fragmentés que le temps scolaire et l’organisation de l’espace du collège (l’entrée en sixièmeest, en cela, une cause de désorientation de certains élèves).

Par ailleurs, les apprentissages scolaires semblent à côté des préoccupations desadolescents, plus intéressés par des questions fondamentales relatives au sens de la vie et de lamort, aux relations entre les êtres humains, notamment entre hommes et femmes, à la religion, (ouau surnaturel), à la guerre, à la bioéthique .. Faute de trouver des réponses à leurs attentes,certains élèves en viennent à tourner les savoirs scolaires en dérision : « Ce qui compte, c’est deretenir juste le temps des contrôles. Alors, pourquoi se charger la tête ? »

Plus généralement, « le bon élève » a une mauvaise image, il a mauvaise presse auprèsde ses camarades: c’est « un bouffon » ou un « suceur de mots » ; il se désolidarise du groupe. Les« modèles à la mode » qui recueillent l’assentiment, ne sont pas « le fort en thème ou maths », lescout ou l’éclaireur, le militant politique, celui qui tient son journal intime, écrit de la poésie ouconsacre ses loisirs à faire de la musique classique … figures, qui ont pu jouer un rôle à d’autresépoques. Les modèles sociaux, les « patterns », en partie orchestrés par les médias, et lespublicitaires, sont ceux des « jeunes rappeurs de banlieue, plutôt rebelles et violents, auditeurs deradios comme Skyrock ou Fun Radio, grands consommateurs de marques commerciales et deséries télévisées américaines».

6 - Le sentiment de non-reconnaissance et d’injustice, le manque de respect, sontfréquemment avancés comme une justification du décrochage, par l’élève et par sa famille. Ladémobilisation scolaire se produit à travers un processus de victimisation. Cela apparaîtnotamment dans la relation à la règle et à la loi. C’est moins l’ignorance de la loi et du règlementintérieur, ni même leur nécessité, qui sont contestées, que leur application perçue commediscriminatoire.

Le vécu de la contrainte scolaire l’emporte sur la mission libératrice de l’Ecole : le « code del’honneur », interne au groupe d’appartenance ou au quartier, semble plus légitime que « la loi ducollège » avec ses Chartes et ses permis à points. De même, les modes d’évaluation du travail et ducomportement scolaires sont contestés : « On n’a pas tenu compte des efforts fournis ! »

Le sentiment d’être « victime du système », dont on tire argument pour justifier le rejet,montre que le système de repères, de valeurs, de références de l’Ecole ne parvient pas à inclurel’élève ni à lui donner le sentiment d’ appartenance à une collectivité dont il serait un membrereconnu, considéré. Nombre d’élèves se vivent moins comme des décrocheurs que comme desdécrochés, victimes d’une injustice : « On ne nous respecte pas ». Le décrochage se produit aprèsun épisode, anodin en apparence aux yeux des adultes, mais qui a joué comme « la goutte d’eau quia fait déborder le vase ».

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7 - l’absentéisme et le décrochage ne signifient pas, cependant, le désaveu global de l’Ecole.

En tant qu’institution assurant l’éducation, l’Ecole garde globalement une image positive,mais la distinction est faite entre « c’est bien pour les autres, mais pas pour moi ». Le collège, parexemple, reste en fait un lieu privilégié de rencontre avec les « copains » et on y garde de bonssouvenirs de certains professeurs, CPE ou aides éducateurs, qui « s’intéressent à nous ».

Les décrocheurs gardent presque toujours des liens avec leurs anciens camarades declasse et expriment un attachement à un ou plusieurs adultes de l’établissement dont ils sesouviennent avec plaisir et sympathie. Des liens affectifs subsistent, et ce sont ces liens quipermettront parfois de « raccrocher » ultérieurement. Ce n’est pas l’Ecole en tant que communautéde vie ni même « le lieu où on apprend des choses », qui semble fondamentalement en cause, maisles contenus d’enseignement et les méthodes d’apprentissage, les « chances qu’elle n’a pas sudonner », qui ont fini par décourager l’élève. Il y a chez nombre de déscolarisés, « décrocheurs oudécrochés» un véritable désamour.

c)- Les étapes du processus de déscolarisation

1 - le processus d’absences répétées et de décrochage est marqué par des étapes, desmoments clé, qui sont autant d’ « indicateurs de risque », qui n’ont pas suffisamment retenul’attention ou non pas été suivis. Les moments clé de rupture sont :- le passage au CP, qui laisse des souvenirs durables ; - le passage du CM2 à la 6ème, le passage au collège étant une étape capitale dans la

déstabilisation de certains élèves ; - la fin de la classe de 4ème et le passage en 3ème, l’élève anticipant la sortie du collège dont il

n’attend plus rien.

Ces moments clés font entrevoir les solutions qui auraient pu être prises pour prévenirl’irréversibilité du décrochage. Ils marquent clairement le manque de continuité dans le parcoursscolaire de l’élève.

2 - le processus de décrochage peut conduire à des attitudes très différentes :

- le repli sur soi (comme l’enfermement à la maison devant la télé) et l’absence de projetpersonnel s’accompagnant d’un fatalisme récurrent, d’une indifférence apparente ;

- l’apprentissage d’une nouvelle vie active, dans un monde parallèle à celui de l’école, où « lesdécrocheurs» acquièrent de nouvelles compétences et de nouvelles formes de socialisation,voire de leadership. Si certains élèves sont des « perdus de vue » pour l’école, ils ne le sont paspour les gens du quartier ou pour le milieu dans lequel ils évoluent quotidiennement. Certainspeuvent y acquérir un statut envié par leurs camarades et par l’entourage. En ce sens, lephénomène de la déscolarisation met en lumière l’existence de références sociales et culturellesconcurrentielles à l’Ecole, qui peuvent recueillir l’assentiment des familles et de l’environnementsocial. L’ « ethnicisation des quartiers » favorisent l’émergence de ces « cultures parallèles ».

3 - Le décrochage est le résultat de tentatives qui ont échoué : le « décrocheur » n’est pas, saufproblème psychiatrique ou familial grave, un élève qui quitte l’école brusquement pour ne plusjamais revenir. Il a presque toujours tenté d’attirer l’attention : soit en faisant des efforts et il reprocheamèrement à ses professeurs de ne pas en avoir tenu compte ; soit en se faisant remarquer par descomportements d’insolence ou de violence ; soit en cherchant à tricher pour améliorer ses résultats.

Le sentiment d’impuissance à changer le cours des choses finit par l’emporter ; l’élèveanticipe alors la sortie du système scolaire qui « de toute façon lui serait tomber dessus » et pensequ’il a « mieux à faire ailleurs ».

Sauf lorsqu’il y a repliement sur soi, les élèves décrocheurs ont fréquemment unereconnaissance sociale en dehors du collège ou du lycée. Ils acquièrent des compétences quirévèlent des capacités d’analyse et des efforts personnels (même temporaires), qui n’ont pas pus’exprimer dans le cadre scolaire : « J’ai essayé, çà n’a pas marché. Point barre ».

4 – La dernière étape du processus met en cause la légitimité ou l’utilité de la scolarité :l’école est jugée inadaptée à l’élève concerné. Le décrochage intervient quand ce jugement estpartagé par l’élève, par ses proches et, souvent, par l’école elle-même. La confiance sur laquellerepose le contrat éducatif, n’existe plus de part et d’autre.

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Cette perception négative de ce que peut apporter l’école est fréquemment liée à unemauvaise perception du sens de l’école et de la cohérence des apprentissages : « On ne voit pas oùles profs veulent en venir ».

La difficulté du passage en 6ème est symptomatique de l’incohérence ressentie par l’élève : ladiversité des enseignements, la pluralité des intervenants, le fractionnement horaire des cours, leschangements de salles de classe et de lieux d’activité… et, surtout, les différentes modalitésd’évaluation déstabilisent d’autant plus l’élève en difficulté qu’il se voit rappeler les échéances et laperspective d’une orientation comme des décisions qui pèseront sur sa vie.

Au regard de la majorité des absentéistes et décrocheurs interrogés, plus on accumuled’informations et de savoirs, plus ceux-ci semblent perdre de leur pertinence au regard du projetpersonnel de l’élève : il ne s’y retrouve pas. Et ce ne sont ni les conseils de synthèse ni les dossiersscolaires, qui sont à même de redessiner une cohérence opérationnelle. L’élève décrocheur finit parpenser que ce n’est qu’à l’extérieur qu’il trouvera la reconnaissance de ses compétences et de sonidentité.

L’analyse des phénomènes du processus de déscolarisation permet d’identifier des moyenssusceptibles d’en favoriser la prévention. Ces moyens doivent concourir à inscrire le droit à l’éducation dansle contrat éducatif et à reconnaître l’élève comme membre à part entière d’une communauté éducativeouverte sur des partenariats extérieurs.

III - LA PREVENTION DE LA DESCOLARISATION

Les propositions ici avancées concernent : le système éducatif ; la pédagogie ; les moyensspécifiques de prise en charge des mineurs en difficulté.

Leur énoncé doit être entendu moins comme un catalogue de mesures à prendre isolément quecomme un ensemble coordonné de dispositions favorisant une plus grande cohérence des apprentissagesdans une Ecole du respect de l’enfant. Il ne s’agit pas de préconiser une énième réforme de structure, maisd’envisager une amélioration de la connaissance du phénomène, des changements dans les méthodes detravail et des dispositifs pour une meilleure prise charge de mineurs en difficulté. Certaines mesures sontdéjà en cours d’application. D’autres méritent d’être développées dans le but spécifique de prévenirl’absentéisme et la démobilisation scolaire.

1 – La connaissance du phénomène

Si l’absentéisme est un des révélateurs de la démobilisation scolaire, celle-ci prend souvent desformes beaucoup plus discrètes. Pour essayer d’enrayer ce processus, il convient de sortir de la dichotomiedu pédagogique et de l’administratif, qui structure historiquement l’organisation du système éducatif, afin depouvoir appréhender chaque élève de manière globale et en respectant son identité singulière.

Les motifs d’absentéisme seront alors pris en compte bien avant le processus des quatre demi-journées non justifiées et rapportés à des signes d’alerte, signes avant coureur d’une inappétence ou d’unedémobilisation significative, d’un mal être ou d’un problème pour lequel une intervention serait possible. Laconnaissance du phénomène de décrochage en serait considérablement améliorée.

L’institution scolaire ne peut se contenter de contrôler uniquement la présence physique de l’enfanten classe ou dans l’établissement scolaire ; elle doit se préoccuper de son engagement effectif dans lesdifférents processus d’apprentissage. Cela implique de diversifier les registres de compétences valorisés àl’école en prenant en compte, dans l’évaluation de tous les élèves, un éventail plus ouvert d’aptitudes. Ilfaudrait introduire de manière significative dans la notation, par exemple, les travaux manuels et le bricolage(comme dans « La main à la pâte »), les aptitudes artistiques et les performances sportives, l’implicationdans la vie scolaire ; il faudrait, peut-être, réduire l’ambition quantitative des programmes et rendre unepartie des savoirs fondamentaux plus concrets, donner davantage d’occasion aux qualités morales etrelationnelles de s’exprimer. L’expérience des « classes nouvelles », dans les années 50, avait montré quecette diversité des compétences renforçait l’attrait des disciplines scolaires au lieu d’en détourner les élèves.

A partir de cette palette d’outils d’appréciation des aptitudes de l’élève, une analyse fine des risquesde « décrochage cognitif et intellectuel » et de baisse de la motivation pourrait être l’occasion, non pas d’unsimple contrôle, mais d’une meilleure connaissance de l’élève. Cela permettrait aussi de préciser ce quiressort directement de la responsabilité de l’Ecole et ce qui est du domaine de la vie personnelle ou familialede l’élève.

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Pour améliorer la connaissance du processus d’absentéisme pouvant aller jusqu’à unedéscolarisation, quatre propositions peuvent être faites :

1. Mettre à la disposition des établissements un outil informatique performant d’enregistrement des« absences ». Celui-ci devra répondre à un cahier des charges précis incluant la possibilitéd’extraire, sous forme de bilan individuel ou collectif (âge, sexe, niveau de scolarité, profil declasse, ensemble des élèves de l’établissement …) des tableaux synoptiques d’une grandefinesse. Contrairement au logiciel G.E.P., majoritairement utilisé dans les établissements del’Essonne, ce nouveau logiciel devrait permettre de distinguer les retards, les exclusionstemporaires de cours, les absences d’une ou deux heures, les demi-journées d’absence, lesjournées complètes, les exclusions temporaires ou définitives, etc..

2. Ces données devraient pouvoir être consultées ou collectées régulièrement de manière simpleet automatisée (grâce aux réseaux internet), par les autorités de tutelles, afin d’établir desstatistiques fondées aux différents échelons hiérarchiques (établissements, départements,académies, ministère)

3. Une harmonisation nationale de la configuration des motifs saisis par les équipes « viescolaire », fondée sur une définition claire et sans ambiguïté, paraît indispensable du point devue de la compatibilité des données et de la fiabilité des résultats qui sont loin d’êtresatisfaisants aujourd’hui.

4. Une réflexion approfondie doit être engagée sur le rôle, l’intérêt et les conditions de l’efficacité dusignalement académique afin de décider de sa pérennisation éventuelle et dans ce cas, del’ajustement des dispositions réglementaires de son application au fonctionnement quotidien desétablissements.

2 – Le fonctionnement de l’institution scolaire :

Les entretiens auprès des jeunes « décrocheurs » montrent clairement un « amour déçu » pourl’Ecole et le souhait qu’ils ont eu à un moment donné d’une Ecole plus accueillante et hospitalière,notamment à chaque passage important de leur vie scolaire, où ils se sentent appartenir à une communautééducative, où ils se sentent reconnu et respecté, où ils aient un droit à la parole et une « deuxième chance »après un premier échec.

La philosophie générale des propositions pourrait se développer dans trois directionscomplémentaires :

a)- Du point de vue du système éducatif, il s’agirait de mieux affirmer une Ecole:

- de l’accueil et de l’hospitalité- constituée en communauté éducative, avec des temps forts de vie scolaire- assurant un parcours et un suivi individualisés tout au long de la scolarité- une Ecole ouverte aux parents et aux partenaires

b) – Au plan pédagogique, il s’agirait de concevoir un enseignement moins dépendant de la didactique desdisciplines et qui tendrait à se structurer sur :

- les valeurs de la République, les principes et les pratiques de la démocratie, qui donnent sens auxapprentissages et aux savoirs- la maîtrise de l’expression orale et écrite (le traitement des dyslexies, des handicaps seraient aussi mieuxpris en charge)- une progression dans les contenus et les méthodes pédagogiques, qui favorise la construction de lapersonnalité à travers les savoirs et la vie scolaire- des moments de cohérence et de correspondance interdisciplinaires - des emplois du temps structurants- un travail sur la loi et le règlement intérieur, sur l’intérêt général et le bien commun- une diversification des outils pédagogiques et des modes d’évaluation - une évaluation qui prenne en compte les aptitudes et la validation des compétences

c)- Quant à la prise en charge du mal être des jeunes, il devrait prévoir :

- la possibilité d’une aide psychologique aussi bien en urgence que sur le long terme

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- une assistance médicale régulière dans les établissements scolaires- des dispositifs relais et des dispositifs de « deuxième chance » - la coordination des interventions sociales auprès des familles.

Ces principes d’action étant posés, quelques propositions issues des résultats de la recherchesoulignent quelques points plus spécifiques de prévention de la déscolarisation.

a) - une école de l’hospitalité- L’accueil des élèves, en organisant notamment la liaison grande section de maternelle/Cours

préparatoire ou CM2/classe de sixième, nécessiterait un temps long de préparation (dès la fin de l’annéescolaire précédente). L’entrée au collège devrait avoir une valeur forte pour chaque élève et une significationsociale pour chaque groupement d’élèves qui devient un groupe classe. Pour ce faire, la constitution desclasses est à repenser comme une dynamique collective « instituante », c’est-à-dire, celle qui reconnaît « lestatut d’élève » – le maire d’une ville de la Nièvre offre solennellement à chaque élève entrant en sixième laDéclaration de 1789, un dictionnaire et une adresse internet, pour signifier l’entrée dans trois domaines de laconnaissance.

- L’hospitalité, qui est une reconnaissance réciproque fondée sur le respect, requiert uneprésentation de chaque adulte, avec son identité, son rôle et sa fonction, l’organigramme des lieux et leursignification, le sens des apprentissages et des disciplines, les grandes lignes du règlement intérieur et duprojet d’établissement, les points forts de l’établissement, son histoire, son nom et son environnement social,son implantation dans la commune et le patrimoine local.

Le désarroi des élèves et des familles qui n’ont pas l’expérience des exigences et des contraintes del’école s’accentue au collège. Faire évoluer les modes d’accueil des élèves et des familles lors despassages d’un cycle à un autre et lors des réorientations permettrait d’atténuer ce désarroi. Des moments deprérentrée, des rencontres et des sorties, des réceptions et des fêtes, scandant la vie scolaire seraientautant d’occasions d’habituer les familles à venir dans l’établissement et à participer à sa vie collective. Demême, les mots de remerciement ou d’encouragement, et non pas seulement les convocations pourannoncer une sanction répressive, changeraient les relations Ecole-parents.

b)- une école qui se constitue en communauté éducativeLes décrocheurs sont souvent dans une relation ambivalente à l’Ecole : ils quittent un établissement

où ils pensent ne pas avoir leur place tout en s’efforçant de garder des relations avec leurs camarades. Lesentiment d’appartenance à la communauté scolaire est l’un des moyens d’empêcher le décrochage. Ilparticipe de l’apprentissage d’une vie collective ouverte sur la diversité sociale et culturelle, sur la mixité, enévitant la fermeture contraignante de certaines familles. Cela est particulièrement vrai pour les filles, mais lesgarçons y trouvent également l’occasion d’être confrontés à d’autres modes de vie et d’autres convictions.

Le décrochage n’est pas seulement le résultat d’un échec scolaire ; il est aussi un échec dans lasocialisation par l’Ecole.

A l’idée d’appartenance à la communauté éducative, se rattache celle du partage d’un patrimoineculturel. Tous les travaux permettant de rattacher l’élève à la découverte, par l’école, d’une histoirecollective, une mémoire familiale et une histoire locale, favorise l’inscription dans la chaîne du temps quisécurise, valorise et permet d’inscrire durablement les connaissances acquises parce qu’il s’agira, pourl’élève, de les transmettre à son tour.

c)- une école qui garantit un parcours individualisé de l’élèveL’un des obstacles majeurs à une scolarisation réussie est la fragmentation, la standardisation et la

courte durée des tâches. Certains élèves tentent d’échapper à ces contraintes en « baclant leur travail », ens’avouant incompétent ou en contestant en bloc ce qui lui est demandé. L’énergie est concentrée pour éviterles tâches les plus désagréables et retenir les plus sécurisantes. Ces comportements avoués par les« absentéistes » sont entretenus par le fonctionnement d’une Ecole qui sélectionne sur des critèresdisciplinaires.

Les pédagogies qui valorisent l’élève, son développement, son autonomie, requièrent des plages detemps de « respiration », la « reprise » sous d’autres formes des méthodes de travail, l’alternance demoments de rigueur et de moments d’improvisation, l’activité intellectuelle avec les activités physiques etcorporelles … Les absentéistes disent souvent qu’ils n’arrivent pas à mémoriser, qu’ils sont trop lents pourlire et ne savent pas comment apprendre leurs leçons : « Je suis dans le stress, j’hallucine devant monemploi du temps ! »

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Tous les dispositifs de soutien et, au delà, les dispositifs relais pour redonner confiance, motiver,aider à l’élaboration d’un projet personnel sont des recours qui peuvent prévenir le décrochage enréconciliant l’élève avec l’Ecole.

De fait, les élèves et les familles se trouvent devant un large éventail de voies de scolarisation maistous n’ont pas les mêmes ambitions, ni les mêmes accès à l’information. Ils se sentent souvent obligésd’être dans un rapport stratégique au réseau scolaire ; cela finit par induire un rapport utilitariste au savoir.Ce phénomène est aggravé par l’idée que les diplômes ne garantiront pas l’entrée sur le marché du travail,mais que « sans eux, on n’est rien ».

Il semble donc nécessaire de différencier orientation scolaire et professionnelle, d’élaborer avec lesélèves, dès la sixième, un programme permettant une connaissance progressive des métiers, de travailleravec les COP, les professeurs de technologie et les enseignants des SEGPA, avec des intervenantsextérieurs susceptibles de tracer des perspectives de valorisation compétences acquises. On oublie tropsouvent que le projet personnel comprend plusieurs volets : la connaissance de soi, la connaissance desautres, la connaissance de l’environnement et des métiers.

Pour encourager le parcours individuel de l’élève, deux expériences ont montré leur effet positif surle respect de la dignité de chaque jeune : celle du parrainage des 6ème par leurs aînés de classe de 3ème ;celle des « adultes référents », qui favorisent un autre rapport des adultes, avec leur rôle, leur fonction etleur compétence, aux adolescents considérés avec et au delà de leur statut d’élève. Il s’agit à la fois deredonner sens à l’Ecole, à ses exigences intellectuelles, et de valoriser la construction de la personnalité.

Ce suivi individuel suppose aussi la prise en compte de compétences exercées à l’extérieur del’école. Un carnet de compétences pourrait ainsi circuler entre les enseignants et les partenaires éducatifsqui seraient associés à l’évaluation. Leur contribution permettrait de renforcer l’idée que les connaissancesne servent pas uniquement « à et pour » l’école.

e)- une école ouverte aux parents et aux partenairesLes réunions institutionnelles fonctionnent. Les associations de parents font un travail d’information,

mais elles sont rarement représentatives des famille des décrocheurs et des absentéistes, fort peuprésentes et impliquées dans l’établissement scolaire. Il est vrai que les parents qui sont le plus souventconvoqués viennent au collège pour s’entendre dire que leur enfant est en difficulté et perturbe la vie de laclasse ou du collège.

L’enfant n’est pas indifférent à la représentation que les adultes ont de lui et de ses parents - « Lahaine de soi est fréquemment liée à la honte des parents ». Les moments de face à faceparents/enseignants sont des moments décisifs. Même s’il n’est pas associé à la rencontre, l’enfant saitparfaitement de quoi il s’agit. Il essaie parfois de brouiller les cartes, car il n’a pas toujours intérêt à ce quetout soit éclairci et il préserve son autonomie par le flou ou les contradictions ; il n’encouragera pas lescontacts et il censurera parfois l’information.

Il est nécessaire de multiplier les occasions de rencontre avec les parents, des moments plusneutres ou festifs, qui ne soient pas en permanence sur le ton du reproche et de la culpabilisation - Lesécoles dans lesquelles des cours mixtes adultes/adolescents ont été ouverts en fin de journée, où desréseaux d’échanges de savoir ont été créés, ont d’excellents résultats.

De même, aujourd’hui, il n’est plus possible d’ignorer les partenaires de l’Ecole qui participent auxcontrats locaux d’éducation ou aux contrats locaux de sécurité, aux REP et aux veilles éducatives. Ceux-cifavorisent l’échange d’informations, la diversité des éclairages et des moyens de prise en charge. Parailleurs, au delà des partenaires institutionnels, c’est le travail avec les associations, comme cela est prévudans les ateliers-relais, qui permet de renouer les fils avec l’Ecole. L’ensemble de ces dispositifs nécessiteune véritable évaluation, en fonction du sens attribué à l’obligation scolaire en tant que corollaire du droit àl’éducation.

Il s’agit donc bien d’instituer une pédagogie de la confiance fondée sur un contrat éducatif quiprévoie de :

- donner une chance et une deuxième chance à l’élève- aider à la construction de la personnalité à travers un parcours individuel- porter autant d’attention aux disciplines enseignées qu’à la vie scolaire- travailler sur la diversité culturelle et les malentendus culturels- signifier les valeurs et les règles- diversifier les méthodes et les évaluations