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Synergies Mexique

REVUE DU GERFLINT2015

GERFLINT

Le français au cœurdes pratiques professionnelles :

réflexions et expériences de spécialistes

Coordonné par Stéphanie Voisin

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Synergies Mexique n° 5 - 2015

POLITIQUE EDITORIALESynergies Mexique est une revue francophone de recherche en sciences humaines, particulièrement ouverte à l’interdiscipli-

narité, au champ de la didactique des langues et des cultures. Sa vocation est de mettre en œuvre, au Mexique, le Programme Mondial de Diffusion Scientifique Francophone en Réseau du

GERFLINT, Groupe d’Etudes et de Recherches pour le Français Langue Internationale. C’est pourquoi elle publie essentiellement des articles dans cette langue mais sans exclusive et accueille, de façon majoritaire, les travaux issus de la pensée scientifique des chercheurs francophones de son espace géographique dont le français n’est pas la langue première. Comme toutes les revues du GERFLINT, elle poursuit les objectifs suivants: défense de la recherche scientifique francophone dans l’ensemble des sciences humaines, promotion du dialogue entre les disciplines, les langues et les cultures, ouverture sur l’ensemble de la communauté scientifique, aide aux jeunes chercheurs, adoption d’une large couverture disciplinaire, veille sur la qualité scientifique des travaux.

Libre Accès et Copyright : © Synergies Mexique est une revue coéditée par le GERFLINT et l’UNAM qui se situe dans le cadre du libre accès à l’information scientifique et technique. Sa commercialisation est interdite. Sa politique éditoriale et ses articles peuvent être directement consultés et étudiés dans leur intégralité en ligne. Le mode de citation doit être conforme au Code français de la Propriété Intellectuelle. La reproduction totale ou partielle, l’archivage, l’auto-archivage, le logement de ses articles dans des sites qui n’appartiennent pas au GERFLINT sont interdits sauf autorisation ou demande explicite du Directeur de publication. La Rédaction de Synergies Mexique, partenaire de coopération scientifique du GERFLINT, travaille selon les dispositions de la Charte éthique, éditoriale et de confidentialité du Groupe et de ses normes les plus strictes. Les propos tenus dans ses articles sont conformes au débat scientifique et n’engagent que la responsabilité de l’auteur. Toute procédure irrégulière entraîne refus systématique du texte et annulation de la collaboration.

Périodicité : annuelleISSN 2007-4654 / ISSN en ligne 2260-8109

Directeur de publication Jacques Cortès, Professeur émérite, Université de Rouen, France

PrésidenteMaría Eugenia Herrera Lima, Coordinatrice Générale des Langues, Universidad Nacional Autónoma de México

Rédactrice en chef

Béatrice Blin, Universidad Nacional Autónoma de México

Rédactrice en chef adjointe Silvia López del Hierro, Universidad Nacional Autónoma de México

Secrétaire de publication

Francisco Javier Cerón Luna, Universidad Nacional Autónoma de México

Siège en FranceGERFLINT 17, rue de la Ronde mareLe Buisson Chevalier27240 Sylvains les Moulins - [email protected]

Siège de la rédaction au Mexique Centro de Enseñanza de Lenguas ExtranjerasUniversidad Nacional Autónoma de MéxicoCircuito interior s/n - Ciudad UniversitariaDelegación Coyoacán - C.P. 04510 - México D.F.- http://www.cele.unam.mx/Contact : [email protected]

Comité scientifique

Sonia Bufi Zanon (Universidad Nacional Autónoma de México), Patrick Dahlet (Université des Antilles et de la Guyane), Noëlle Groult Bois (Universidad Nacional Autónoma de México), Laura López Morales (Universidad Nacional Autónoma de México), Claudia Ruiz García (Universidad Nacional Autónoma de México), Alina Signoret Dorcasberro (Universidad Nacional Autónoma de México), Haydée Silva Ochoa (Universidad Nacional Autónoma de México), Adelina Velázquez Herrera (Universidad Autónoma de Querétaro).

Comité de lecture permanent

Yvonne Cansigno Gutiérrez (Universidad Autónoma Metropolitana), Monique Landais (Universidad Nacional Autónoma de México), Elsa López del Hierro (Universidad Nacional Autónoma de México), Patrick Riba (Université de Antilles et de la Guyane), Mónica Rizo Maréchal (Universidad Nacional Autónoma de México), Stéphanie Voisin (Benemérita Universidad Autónoma de Puebla), Lucía Tomasini Bassols (Universidad Autónoma Metropolitana).

Coordinatrice invitée pour ce numéro

Stéphanie Voisin (Benemérita Universidad Autónoma de Puebla, Mexique).

Révision des résumés en anglais

Marsha Jane Way Souder (Benemérita Universidad Autónoma de Puebla, Mexique).

Patronages

Universidad Nacional Autónoma de México (UNAM), Fondation Maison des Sciences de l’Homme de Paris, Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (DREIC).

Numéro financé par le GERFLINT et l'UNAM.

© Archives GERFLINT- 2015 - Pôle éditorial - Tous droits réservés -

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© Archives GERFLINT- 2015 - Pôle éditorial - Tous droits réservés -

Synergies Mexique nº 5 / 2015http://gerflint.fr/synergies-mexique

Disciplines couvertes par la revue• Ensemble des Sciences Humaines et Sociales• Culture et communication internationales• Sciences du langage, littératures francophones et didactique des langues-cultures• Éthique et théorie de la complexité

Programme mondial de diffusionscientifique francoPhone en réseau

Synergies Mexique, comme toutes les Revues Synergies du GERFLINT, est indexée par la Fondation Maison des Sciences de l’Homme de Paris (Pôle de soutien à la re-cherche) et répertoriée par l’ABES (Agence Bibliographique de l’Enseignement Supérieur, Catalogue SUDOC).

Indexations et référencementsDOAJEBSCOhostEnt’revuesERIH PLUSHéloïseLatindex (Répertoire)

MIARMir@belMLAROADSHERPA/RoMEO

Synergies Mexique, Año 2015, No 5, (diciembre 2015-diciembre 2016) es una publicación anual editada por el GERFLINT y la Universidad Nacional Autónoma de México a través del Centro de En-señanza de Lenguas Extranjeras, Circuito interior s/n Ciudad Universitaria Del. Coyoacán C.P. 04510 México D.F, teléfono 56-22-06-50 y 56 22 06 78, correo electrónico [email protected], Director de la pu-blicación : Jacques Cortès, Redactora Jefe : Béatrice Florence Blin, Reserva de Derechos al Uso Exclusivo del Título No 04 – 2011 – 100709472100 – 102, ISSN 2007-4654, Certificado de Licitud del Título y Contenidos No: 15395 otorgado por la Comisión Calificadora de Publicaciones y Revistas Ilustradas de la Secretaría de Gobernación, Impresa por Formación Gráfica S.A de C.V., Domicilio Matamoros No 112, Col Raúl Romero, C.P. 57630, Cd. Nezahualcóyotl Edo. de Méx. Este número se terminó de imprimir el día 28 de diciembre de 2015, con un tiraje de 500 ejemplares, impresión tipo offset, con papel bond blanco de 120 grms y cartulina couché 250 grms para forros.El contenido de los artículos es responsabilidad de los autores y no refleja necesariamente el punto de vista de los árbitros de los editores. Queda estrictamente prohibida la reproducción total o parcial de los contenidos e imágenes de la publicación sin previa autorización del GERFLINT y del Director de la publicación.© Gerflint - Sylvains les Moulins - FranceDépôt légal Bibliothèque Nationale du Mexique 2015Distribuida en México por el Centro de Enseñanza de Lenguas Extranjeras (CELE), Circuito interior s/n Ciudad Universitaria Del. Coyoacán C.P. 04510 México D.F, [email protected] teléfono 56-22-06-50.

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Le français au cœur des pratiques professionnelles :

réflexions et expériences de spécialistes

Numéro 5 / Année 2015

Sommaire ❧❧

Stéphanie Voisin .................................................................................................... Préambule

Réflexions sur l'objet

Alfredo Lèal ............................................................................................................ Retexturación de Bartlebooth. La traducción (a)plazada

Isabelle Bernard Rabadi ....................................................................................... Le Mexique de Patrick Deville. Imaginaire et récit de voyage dans Viva (2014)

Chantal Schnoller .................................................................................................. Quelle langue parlons-nous, quelle langue enseignons-nous ?

Clotilde Barbier Muller ......................................................................................... Francophonie : « Le français est une chance »

Francisco Javier Cerón Luna, Víctor Martínez de Badereau ............................. Contextualisation et grammaire au Mexique : résultats d’une enquête

préliminaire

Georgia M. K. Grondin .......................................................................................... Acercamiento a una conceptualización del shift identitario

a partir del discurso de migrantes de privilegio en México

Pratiques d’enseignement-apprentissage

Xóchitl Espinosa Vasseur ..................................................................................... Communiquer autrement à travers la visioconférence :

outil miracle ou frein pour apprendre une langue ?

Philippe Stoesslé ................................................................................................... Lesdéfisinterculturelsdanslesformationsdefrançaisdelamédecine

Christelle Annick Ferraris, Clara Cecilia Uribe Hernández ............................... Écrire un article de recherche dans un contexte de licence en FLE

Coordonné par Stéphanie Voisin

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Notes de lecture

Noemí Cruz Cortés .............................................................................................. Del puerto de Marsella a las casas de Campeche.

El comercio de las tejas de barro, 1852-1932, Pascale Villegas

Mónica Rizo Maréchal ....................................................................................... Apprendre à utiliser le dictionnaire.

Manual de ejercicios para usar el diccionario bilingüe (francés-español/español-francés) y monolingüe (francés), Elsa López del Hierro, Silvia López del Hierr, Jésus Valdez (éd.).

AnnexesProfilsdesauteursdecenuméro ..........................................................................

Consignes aux auteurs de la revue Synergies Mexique ........................................

Le GERFLINT et ses publications ........................................................................ .

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© Revue du Gerflint. Éléments sous droits d'auteur.

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Préambule

Synergies Mexique n° 5 - 2015 p. 7-11

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Ce cinquième numéro de la revue Synergies Mexique témoigne de la vitalité de la

recherche au Mexique concernant, principalement, le domaine de la didactique des

langues et des cultures du monde francophone, mais aussi les domaines connexes de la

traduction, de la littérature ou de la linguistique. Ce dynamisme est enrichi du regard

introspectif qui caractérise l’ensemble des chercheurs ayant participé à ce numéro.

En effet, la grande majorité des articles constituant ce numéro rendent compte de

discours d’experts engagés dans une réflexion de fond sur leur activité professionnelle

quotidienne, son objet, ses caractéristiques et son environnement. De plus, un article

venant de Jordanie nous rappelle que la littérature-monde en langue française rend les

frontières poreuses pour qui le souhaite.

La grande diversité thématique de ce numéro et la richesse de ses articles nous a

amenée à regrouper les contributions de la manière suivante :

1. Réflexions sur l’objet

2. Pratiques d’enseignement-apprentissage

3. Notes de lecture

Le premier axe, constitué de six articles, est consacré à des réflexions portant sur

l’objet, que ce soit l’objet d’enseignement-apprentissage, l’objet traduction, l’objet

texte littéraire ou l’objet du chercheur en sciences du langage et de la communication.

Le choix qui a présidé au regroupement de ces articles n’a pas été fortuit sinon, au

contraire, motivé par l’évidence que, de ces textes foisonnants d’expériences vécues,

se détache la figure de l’expert partageant avec nous ses pratiques quotidiennes et ses

réflexions profondes sur l’objet de son expérience professionnelle.

C’est ainsi que dans un article en espagnol intitulé “Retexturación de Bartlebooth.

La traducción aplazada”, Alfredo Lèal nous entraine dans l’univers de l’activité tradui-

sante conçue comme produit, fondant ses propos sur Bartlebooth, personnage central

du roman de Georges Perec La vie mode d’emploi, revisité par Derrida. Ce personnage,

hanté par l’idée de la perfection, peut fonctionner comme analogie de la traduction

considérée comme produit et non comme processus, dans la mesure où les puzzles qu’il

reconstitue symbolisent la perfection circulaire aboutissant à la négation du processus

Stéphanie VoisinBenemérita Universidad Autónoma de Puebla, Mexique

GERFLINT

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de construction/traduction. Comme le dit l’auteur de l’article, “la traduction parfaite -telle qu’elle est conçue par l’Institution Littéraire néolibérale- doit forcément effacer les traces de l’original de telle manière qu’on puisse parler d’un “nouvel original”. Dans cette perspective, la traduction (a)journée dont il est ici question s’éloigne, dans le temps et l’espace, du processus qui l’a vue naître.

L’article intitulé “Le Mexique de Patrick Deville. Imaginaire et récit de voyage dans Viva (2014)”, est une analyse en profondeur de ce roman qui met en scène le Mexique comme toile de fond des destins tragiques de Trotsky et de Malcolm Lowry. De ce récit de voyage redéfini par Deville, ce “nouvel art de fictionnaliser l’espace”, Isabelle Bernard aborde l’imaginaire devillien et le récit de voyages mexicains puis la mise en fiction des lieux mexicains en plaçant au cœur de son analyse le Mexique comme instrument du destin, “lieu pouvant donner du sens aux destins de ces hommes”, lieu polymorphique s’il en est. Mettant en exergue l’intrication de la fiction et de la réalité dans cette œuvre foisonnante, elle la revisite en mettant en regard le Deville exubérant, érudit, voyageur et déchiffreur de symboles et le Deville mélancolique et désenchanté, observateur de l’intimité du quotidien. Sans nul doute, cet article nous invite à lire ou relire cette œuvre de Deville qui nous touche de si près.

Dans “Quelle langue parlons-nous, quelle langue enseignons-nous?” Chantal Schnoller nous livre ses idées sur la langue française que nous enseignons dans un contexte où le fossé qui se creuse entre la langue écrite et la langue parlée engendre certaines difficultés lors du processus d’enseignement-apprentissage du FLE, difficultés aggravées par la prédominance de l’anglais comme langue de communication largement médiatisée. L’auteur propose un panorama diachronique des dimensions politiques de l’enseignement du français et met l’accent sur les initiatives politiques œuvrant pour la promotion de cette langue. Il ressort de son analyse que les politiques linguistiques et les discours officiels des organes de la francophonie sont éloignés de la réalité vécue par les enseignants et didacticiens du FLE. En effet, si l’idée de diversité linguistique et culturelle devrait trouver sa place dans l’enseignement-apprentissage du français langue seconde ou étrangère, les exemples tirés de méthodes de FLE illustrent bien la forte présence de l’anglais dans les médias auxquels sont exposés les apprenants. La conclusion de cet article nous rappelle à juste titre qu’à l’ère de la mondialisation, toute sujétion à une langue et une pensée particulière est virtuellement porteuse d’aliénation.

Notre quatrième article, “Francophonie : Le français est une chance” aborde également la question des politiques linguistiques, sous l’angle de la variation linguis-tique et culturelle comme élément fédérateur de la francophonie et représentant un enrichissement pour l’enseignement-apprentissage du FLE. Ayant défini la diversité linguistique, Clotilde Barbier Muller fait une incursion dans le domaine de la norme

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Préambule

et rappelle que l’objectif de son usage réside en premier lieu dans l’optimisation des échanges interculturels. Cependant, le français est une langue plurielle et les ensei-gnants se doivent de prendre en compte une double réalité de leur fonction ensei-gnante : ils doivent enseigner une langue normée pour favoriser l’intercompréhension universelle, tout en incluant les variations reflétant sa richesse pluriculturelle. Un extrait d’une œuvre de Kourouma illustre le tiraillement des enseignants pris entre l’enseignement d’une langue normée et statique mais institutionnellement reconnue et l’enseignement d’une langue authentique reflétant les pratiques réelles. Par ailleurs, l’auteur insiste sur l’idée que la survie du français passe par l’usage qu’en font ses locuteurs répartis sur les cinq continents.

Dans l’article intitulé “Contextualisation et grammaire au Mexique : résultats d’une enquête préliminaire”, c’est encore une fois l’objet d’enseignement qui est pris en compte. Sous les auspices du Groupe de Recherche Grammaire et Contextualisation (GRAC) du Mexique, les enseignants-chercheurs Francisco Javier Cerón Luna et Víctor Martínez de Badereau nous font part des résultats d’une enquête en ligne visant à mettre au jour les grammaires utilisées par les enseignants de FLE au Mexique. Les résultats préliminaires obtenus de 163 questionnaires montrent la place importante accordée à l’activité grammaticale dans les cours de langue ainsi que l’abondance des matériels utilisés à cette fin. En revanche, on peut déplorer que les ouvrages de grammaire soient décontextualisés, alors même que nombre d’enseignants disent fabriquer leur matériel didactique.

Par la spécificité de sa thématique et l’approche adoptée, l’article écrit en espagnol par Georgia Grondin, « Acercamiento a una conceptualización del shift identitario a partir del discurso de migrantes de privilegio en México » nous introduit au cœur du processus identitaire par lequel passe le migrant au cours de son adaptation au pays d’accueil, à partir de l’analyse du discours de migrants de privilège. L’auteur, à l’instar de tous les contributeurs de ce numéro, nous livre un bel exemple de maîtrise de l’objet de sa recherche : après une approche conceptuelle du shift identitaire, il s’attache à mettre en évidence les étapes linguistiques et cognitives par lesquelles passe le migrant au cours de ce processus d’adaptation sociale à la nouvelle culture et à la langue qui lui est attachée. S’appuyant sur des références bibliographiques riches et variées, princi-palement sur les travaux de Talmy, il décrit les ajustements effectués par le migrant lors de cette redéfinition identitaire qui met en jeu des phénomènes personnels aussi bien que sociaux gravitant autour du conflit cognitif généré par le contact interculturel.

Notre deuxième volet est constitué de trois articles rapportant des pratiques d’ensei-gnement-apprentissage réellement mises en œuvre ou potentiellement efficaces. Dans les activités ou les matériels didactiques proposés, le contexte allophone se voit trans-formé et enrichi par une approche interculturelle des situations de communication. Les

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approches présentées ensuite correspondent à une vision plus authentique de l’usage du FLE par un public mexicain, qu’il soit constitué de “simples” apprenants, de futurs enseignants et/ou de chercheurs en devenir.

Dans l’article “Un échange authentique entre étudiants mexicains et apprenants français via visioconférence”, Xochitl Espinosa Vasseur expose présente les résultats d’une expérience d’échange interculturel par le biais de la visioconférence entre des étudiants de français du CELE-UNAM et des lycéens français apprenant l’espagnol. L’auteur mène une analyse des interactions authentiques et, en partie, spontanées en mettant en exergue l’intérêt de cet outil autant pour instaurer des relations inter-culturelles que pour renforcer la maîtrise des compétences interactionnelles en langue étrangère. Il ressort de cette expérience que, loin des échanges canoniques in situ, le processus dialogique décrit favorise la prise de parole des apprenants en mobilisant leurs ressources linguistiques, culturelles et cognitives afin que les stratégies mises en œuvre facilitent la résolution d’éventuels problèmes de compréhension du discours de l’Autre et d’interaction avec cet Autre.

Cette préoccupation pour une dynamique interactionnelle de qualité se retrouve dans l’article de Philippe Stoesslé portant sur “Les défis interculturels dans les formations de français de la médecine”. Il est ici question d’une recherche-action focalisée sur les enjeux interculturels du français de la médecine et prônant la nécessité de développer chez l’apprenant, futur usager de cette langue dans un contexte médical allophone, une compétence interculturelle principalement fondée sur des savoirs-être. L’auteur ponctue sa réflexion d’arguments illustrant cette nécessité pour le praticien d’adapter ses comportements tant linguistiques que culturels à un environnement de collègues et de patients qui ne partagent pas ses codes culturels. Une formation de français de la médecine doit donc intégrer une analyse des besoins interculturels pour garantir la réussite d’une communication interculturelle aussi indispensable que délicate.

Le dernier article de cette section, « Écrire un article de recherche dans un contexte de licence en FLE », écrit par Christelle Ferraris et Clara Uribe porte sur le domaine de l’écriture de textes académiques. S’appuyant sur des références bibliographiques faisant la lumière sur l’importance et les difficultés de l’écriture d’un article de recherche en contexte universitaire, les auteurs mettent au premier plan l’insuffisance du travail sur la littéracie dans les contextes universitaires en général et latino-américains en particulier. Dans le cadre de l’écriture d’un article de recherche en tant qu’option pour obtenir la Licence en Langues, il nous est fait part de l’expérience didactique d’enseignement de ce type d’écrit durant un cours de FLE de niveau C1 du DALF. Par ailleurs, les auteurs préconisent les étapes et les principes à adopter pour optimiser les interventions pédagogiques sur ce thème.

Après ce rapide tour d’horizon qui, nous l’espérons, aura donné au lecteur l’envie de se plonger dans la lecture de ces articles caractérisés par la variété des thématiques et

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Préambule

des approches proposées ainsi que par les enjeux dont ils sont porteurs, nous concluons cette présentation par le volet des notes de lecture.

La première note de lecture nous entraine dans un voyage commercial de la France au Mexique. Noemí Cruz Cortés aiguise notre curiosité concernant le passager, plus précisément le produit transporté, qui a été à l’origine d’une particularité architec-turale de Campeche. Del puerto de Marsella a las casas de Campeche. El comercio de las tejas de barro, 1852-1932, écrit par Pascale Villegas, raconte en effet les tenants et aboutissants d’un accord commercial entre les deux pays unis par les tuiles de Marseille destinées à recouvrir les toits de Campeche. Ce matériel, tant pour ses qualités que pour l’amélioration du statut social qu’il promettait à son propriétaire, est au cœur de cet ouvrage richement documenté qui, entre passé et présent, nous livre un épisode de l’histoire sociale et culturelle du quotidien de deux pays unis depuis des siècles. Noemí Cruz Cortés nous incite vivement à lire cet ouvrage.

La note de lecture suivante, écrite par Mónica Rizo Maréchal, s’intéresse à l’ouvrage Apprendre à utiliser le dictionnaire. Manual de ejercicios para usar el diccionario bilingüe (francés-español/español-francés) y monolingüe (francés), écrit en collabo-ration par Elsa López de Hierro et Silvia López de Hierro ainsi que Jesús Valdez. Destiné aux étudiants et aux enseignants de FLE, ce manuel a été conçu pour amener l’apprenant à savoir faire usage des différents types de dictionnaires. Riche d’activités variées et adéquates à la progression linguistique des apprenants, ce manuel favorise l’autonomie de l’usager apprenant en le mettant en situation de réfléchir sur les stratégies métaco-gnitives et cognitives susceptibles de favoriser et d’optimiser son apprentissage.

Les neuf articles qui composent ce numéro nous ont apporté, chacun à sa manière, un enrichissement, que ce soit par la portée et la profondeur des réflexions menées ou par le dynamisme, la créativité et la connaissance du contexte professionnel démontrés par les propositions didactiques. Le moment est venu de mettre le point final au préambule de ce cinquième numéro de la revue Synergies Mexique. Nous tenons tout d’abord à exprimer nos plus vifs remerciements à toute l’équipe qui, depuis 2011, fait un formidable travail de conception, publication et diffusion de la revue Synergies Mexique, contribuant ainsi à dynamiser et enrichir la recherche dans le domaine du FLE au Mexique. Il est sans dire que cette revue joue un rôle prépondérant dans la promotion de la francophonie et du dialogue interculturel et c’est un grand privilège que d’avoir pu coordonner ce numéro et collaborer avec son équipe. Je souhaite également remercier les auteurs des différentes contributions en soulignant leur professionnalisme et la passion qu’ils mettent dans l’exercice quotidien de cette profession dont ils nous ont livré le témoignage tant par leur réflexion que par leurs démarches didactiques.

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© Revue du Gerflint. Éléments sous droits d'auteur.

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❧ Réflexions sur l'objet ❧

Synergies Mexique n° 5 / 2015

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Retexturación de Bartlebooth.La traducción (a)plazada

Synergies Mexique n° 5 - 2015 p. 15-27

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Reçu le 22-02-2015 / Évalué le 12-05-2015 / Accepté le 13-08-2015

Retexturisation de Bartlebooth. La traduction (a)journée

Résumé

Cet article présente les problématiques d’une possible « historiographie de la traduction » considérée comme produit et non comme processus. L’analyse de la traduction comme processus se fait à partir d’une brève révision de certaines des princi-pales théories de la traduction. Contrairement à cette conception processuelle de la traduction, la traduction comme produit surgit d’une herméneutique derridienne d’un passage du roman de Georges Perec La vie mode d’emploi, dont le personnage principal, Bartlebooth, ordonne une série de produits destinés à disparaître. La traduction (a)journée se propose comme celle qui, tout en étant un produit, se déplace spatialement et temporellement de sa finalité communicative.

Mots-clés : traduction, processus, produit, Derrida, Perec, (a)journement

Resumen

El presente artículo presenta las problemáticas de una posible “historiografía de la traducción” considerándola como producto y no como proceso. El análisis de la traducción como proceso se lleva a cabo a partir de una revisión sucinta de algunas de las principales teorías de la traducción. A diferencia de esta concepción procesual de la traducción, la traducción como producto surge de una hermenéutica derridiana de un pasaje central de la novela de Georges Perec La vie mode d’emploi, cuyo personaje central, Bartlebooth, organiza una serie de productos destinados a desaparecer. La traducción (a)plazada se propone como aquella que, siendo producto, se desplaza espacial y temporalmente de su finalidad comunicativa.

Palabras clave: traducción, proceso, producto, Derrida, Perec, (a)plazamiento

Re-texturation of Bartlebooth. Deferred translation

Abstract

This paper presents the problems of a possible “historiography of translation”, consi-dered as product, not as a process. The analysis of the translation as a process is carried out through a brief review of some of the main translation theories. In contrast to this

Alfredo LèalUniversidad Nacional Autónoma de México, Mexique

[email protected]

GERFLINT

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Synergies Mexique n° 5 - 2015 p. 15-27

processional conception of translation, the idea of translation as a process arises from a Derridian hermeneutic of a central passage from Georges Perec’s novel La vie mode d’emploi, where the main character, Bartlebooth, organizes a series of products meant to disappear. The deferred translation is proposed as that which, being a product, moves itself spatially and temporally from its communicative aim.

Keywords: translation, process, product, Derrida, Perec, deference

Pour exprimer l’essence d’un même objet, deux mots sont possibles.RAHARIMANANA

La posibilidad de una “historiografía de la traducción”: la traducción como proceso

Si fuera posible -incluso altamente probable- hablar de una “historiografía de la traducción”, entonces deberíamos, en primer lugar, aceptar que todos los textos que la conforman, a saber, todos aquellos textos que versan de una u otra forma sobre la traducción, han seguido, de manera consciente o inconsciente, una serie de directrices que son precisamente los puntos mediante los cuales sería posible determinar los cortes -la segmentaridad dura, en palabras de Deleuze et Parnet1- de esta historiografía. En segundo lugar, entonces, sería necesario decir que estos cortes segmentarios no son solamente los que dan forma a la reflexión sobre la traducción sino, y sobre todo, los que la colocan como una problemática “real”, ora para la filosofía, ora para la lingüística, ora para la teoría literaria -o bien, en el mejor de los casos, para pensadores que se encuentren justamente en el entrecruce de estas tres disciplinas-: todos, o casi todos los textos de esta hipotética “historiografía de la traducción” se caracterizarían por ser altamente pragmáticos, en el sentido amplio de la palabra, sí, pero también en el sentido más rígido, aquel que le otorga Pierce: las teorías de la traducción se concentrarían, se concretarían en proponer un cierto “modelo” (por ejemplo, el de la “traducción literaria”) para enseguida problematizarlo no exactamente desde la praxis sino desde una determinada forma de ésta (Pierce, 2002), con el fin de proponer soluciones teóricas que devienen pragmáticas en tanto reúnan teoría y práctica en un solo momento2.

No es mi intención -pues, de hecho, sería imposible- evaluar esta, en apariencia al menos, hipotética “historiografía de la traducción”. Sin embargo, sí creo que es menester reconocer no sólo la importancia que ha tenido justamente a nivel pragmático sino, asimismo, que aquello que la mantiene vigente hasta nuestros días es la única constante de todos los diferentes momentos que la conforman -si es que, insisto, en efecto, existe-: la de haber considerado la traducción siempre como un proceso, sea cual sea la perspectiva desde la cual se la piense. Este enfoque teórico —este

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Retexturación de Bartlebooth. La traducción (a)plazada

posicionamiento pragmático, mejor dicho, pues comienza en la teoría y alude inevi-

tablemente a la práctica— se inaugura, como es, supongo, por todos sabido, con la

traducción hermenéutica propuesta por Schleiermacher en su célebre texto Ueber die

verschieden Methoden des Übersetzens de 1813 (Steiner, 2011), y llega, casi intacto,

hasta tocar algunas propuestas, ciertamente hiperespecializadas por cierto, de la teoría

de la traducción poscolonial, como aquélla de Myriam Suchet (2009). No obstante,

a doscientos años de haber comenzado a reflexionar sobre la traducción como una

problemática “real” para la filosofía, la lingüística y la teoría literaria -historiográfica-

mente, en ese orden jerárquico-, el método ha sido siempre apriorístico: la traducción,

para todo el catálogo de pensadores que le han dedicado desde algunas cuantas páginas

hasta tratados enteros, es siempre vista y, por lo consiguiente, siempre estudiada y

entendida como un proceso en cuyos momentos es (hipotéticamente) posible encontrar

la solución a la problemática que la traducción plantea para las distintas disciplinas en

las que se quiera aplicar y entender. Jean Delisle llega al grado de ver este proceso

como el resultado de otro proceso paralelo -siguiendo las teorías lingüísticas, desde

Jakobson hasta Nida-: “la ‘traducción’ (resultado) y ‘la actividad traductiva’ (serie

de operaciones intelectuales) presentan una distinción análoga a aquella que Piaget

establece entre la ‘percepción’ y la ‘actividad perceptiva’” (Deslisle, 1980: 61)3.

A pesar de esta aparente escisión, el método funcionalista de Deslisle no abandona la

constante de nuestra aún hipotética “historiografía de la traducción”, es decir, continúa

reflexionando sobre la traducción como un proceso, que, a priori, es susceptible de

descomposición. De hecho, me atrevo a afirmar que, si fuera menester sintetizar la

visión general(izada) de la “historiografía de la traducción” -todas las diferencias de

perspectiva relativas a cada escuela o momento, a cada segmento de esta historiografía

puestas, provisionalmente, en segundo plano-, podríamos decir que la traducción, en

el marco de esta historiografía, es un proceso susceptible de descomposición mediante

cuyo estudio se pretende encontrar una solución -con todo lo que, es menester decirlo,

esta palabra carga de peso significante desde Auschwitz. El problema comienza -como

sucede, por ejemplo, con el skopos de Vermeer y Reiss (1996)- desde el momento en el

que no se sabe muy bien a qué exactamente corresponde esta pretendida “solución”,

pues no se sabe bien a bien cuál es la problemática que plantea la traducción para cada

caso; o bien, para decirlo más claramente, la traducción es la que, en sí misma, pasa a

segundo plano, sometida a consideraciones que van desde la fundamentación metafísi-

co-ontológica del carácter nacional -y también, por cierto, nacionalista- de una deter-

minada literatura (Scheliermacher) hasta la lingüística como ciencia y sistema cerrado

(Nida) que debe dar una respuesta a todo lo relativo al lenguaje (Jakobson, Mounin e

incluso el propio Deslisle), pasando por la literatura como sitio donde la traducción, en

efecto, “existe” (como la han considerado Paz y Steiner).

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En pocas palabras, si existe una “historiografía de la traducción”, ésta no puede

tender sino hacia el totalitarismo: una solución (clara) para un problema (en ocasiones

no muy claro o no lo suficientemente transparente). Dicho de otro modo, afirmar la

existencia de una “historiografía de la traducción” sería pretender, a priori, que la

traducción posee una esencia determinada y determinable, una condición intrínseca

que es posible extraer a partir de la reflexión sobre la traducción como proceso suscep-

tible de descomposición. En este sentido, este texto no es un texto sobre la traducción;

quizá ni siquiera sobre el lenguaje.

Retexturación de Bartlebooth: la traducción como producto

Me gustaría, en cambio, hablar de un producto -y, consiguientemente, de un modo

de producción, del modo de producción que concierne al momento sociohistórico en

el que escribo: el neoliberalismo-, a saber, me gustaría hablar de la traducción como

producto y no como proceso. Para ello, empero, es necesario dar algunos pasos hacia

atrás y detenernos en dos momentos de ruptura de la (hipotética) “historiografía

de la traducción”, concretamente en 1923 con el texto de Benjamin, “Die Aufgabe

des Übersetzers” y en 1985, con el texto de Derrida, “Des tours de Babel”. Se trata,

en realidad, es menester reconocerlo, de un solo momento, pues Derrida, en sus

propias palabras, intenta “traducir a [su] manera la traducción de otro texto sobre la

traducción” (1985: 219)4, precisamente aquel de Benjamin -y, por cierto, hasta ahora

que escribo estas líneas caigo en la cuenta de que, incluso en la revisión a la segunda

edición de After Babel, realizada en 1991, Steiner no incluye el texto de Derrida, ignoro

si “clásico” y mucho menos “canónico”, pero sin duda fundamental para pensar la

traducción no como proceso sino como producto. ¿Será que Steiner, como muchos otros

pensadores de la traducción, ve el texto de Derrida como un obstáculo epistemológico

para comprender la traducción como proceso? Dicho de otro modo, ¿será que en el texto

de Derrida (hermético, como lo son todos los textos de dicho autor) se encuentra algo

como un indicio de la traducción como proceso?

Sin embargo, antes que responder a estas preguntas y antes incluso de llegar a

Derrida me gustaría exponer un ejemplo, a mi juicio paradigmático, de la relación

que se establece entre producto y modo de producción. George Perec, en La vie mode

d’emploi, presenta, entre los ciento setenta y siete personajes que dan forma a las

ciento setenta novelas, que, a su vez, con-forman La vie mode d’emploi, la historia

de Bartlebooth (junto con Gaspard Winckler y Serge Valène, los tres personajes que

“ordenan” La vie mode d’emploi), el estereotipo o, mejor dicho, el “ideal”, forzosa-

mente entrecomillado, del burgués europeo: heredero de una fortuna que le permite

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Retexturación de Bartlebooth. La traducción (a)plazada

permanecer no sólo indiferente al “mundo” sino hostil ante éste, empeñado en realizar

una empresa im-posible que él mismo se ha impuesto, Bartlebooth es al mismo tiempo

el epítome del “artista” de vanguardia que pretende reunir, en un solo momento -inevi-

tablemente, ético y estético-, no la totalidad del “mundo” sino un fragmento de éste,

a la manera de un universal concreto hegeliano, que, como propone Žižek (2006), se

encuentra al centro del materialismo dialéctico.

Bartlebooth, en otros términos, decidió un día que su vida entera estaría organizada

en torno a un proyecto único cuya necesidad arbitraria no tendría otro fin que ella

misma.

Esta idea le vino cuando tenía veinte años. Fue, al principio, una idea vaga, una

pregunta que se hacía — ¿qué hacer?—, una respuesta que se esbozaba: nada. El

dinero, el poder, las mujeres, no le interesaban a Bartlebooth. Ni la ciencia, ni

siquiera el juego. A lo mucho, las corbatas y los caballos o, si se prefiere, imprecisa

y palpitante bajo esas ilustraciones fútiles (ya que miles de personas ordenan eficaz-

mente su vida en torno a sus corbatas y un número mucho más grande en torno a sus

caballos de domingo), una cierta idea de la perfección. (Perec, 1978: 152)5

El centro en torno al cual habrá de organizarse la vida de Bartlebooth es, ni más ni

menos, esta “idea de la perfección”, la cual se articula, a su vez, con el paso de los

años, en torno a tres principios ordenadores: el primero, de orden moral, es la negación

de toda espectacularidad o heroísmo en su empresa, negación que define el proyecto

como difícil pero no irrealizable: “dominado de un extremo al otro y que, a cambio,

gobernaría, en todos los detalles, la vida de aquél que se consagraría a él” (Perec,

1978: 152)6; el segundo, de orden lógico, pone en funcionamiento el tiempo y el espacio

“como coordenadas abstractas donde vendrían a inscribirse, con una recurrencia ineluc-

table, acontecimientos idénticos produciéndose inexorablemente en su lugar, en su

fecha” (Perec, 1978: 153)7; el tercero, al fin, de orden estético, es la inutilidad misma

del proyecto, el cual “se destruiría en la medida en la que concluyera”8 (Perec, 1978:

153), propiciando -o bien, potencializando- una perfección circular, “una sucesión de

acontecimientos que, encadenándose, se anularían: partiendo de nada, Bartlebooth

regresaría a la nada, a través de transformaciones precisas de objetos finitos” (Perec,

1978: 153).9 En los tres principios ordenadores de la “idea de perfección” de Bartlebooth

se encuentra ya la relación del producto no sólo con el modo de producción en el que

se inscribe sino también -y, quizá, sobre todo- con el productor: el producto se puede

gobernar pero, a su vez, gobierna la vida de quien lo produce; implica, asimismo, una

recurrencia ineluctable de acontecimientos que se producen, a su vez, en un tiempo y

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lugar determinados, es decir, que, a su manera, el producto también gobierna el tiempo

y el espacio; y, finalmente, a través de objetos finitos -más exactamente, finidos-, el

modo de producción, que comienza en la nada, vuelve inevitablemente a la nada.

De este modo organizó concretamente un programa que se puede enunciar, sucin-

tamente, así:

Durante diez años, de 1925 a 1935, Bartlebooth se iniciaría en el arte de la acuarela.

Durante veinte años, de 1935 a 1955, recorrería el mundo, pintando, en razón de una

acuarela cada quince días, cinco marinas del mismo formato (65 × 50, u oval) que

representaran puertos de mar. Cada vez que una de esas marinas estuviera acabada,

sería enviada a un artesano especializado (Gaspard Winckler) que la pegaría sobre

una delgada placa de madera y la cortaría en un puzle de setecientas cincuenta

piezas.

Durante veinte años de 1955 a 1975, Bartlebooth, de vuelta en Francia, recons-

truiría, en orden, los puzles preparados de este modo, en razón de uno cada quince

días. A manera que los puzles fueran armados, las marinas serían “retexturadas”

de manera que se les pudiera separar de su soporte, transportadas al lugar mismo

donde —veinte años antes— habrían sido pintadas, y sumergidas en una solución

detergente de donde no resurgiría sino una hoja de papel Whatman, intacta y virgen.

No quedaría, de este modo, traza alguna de esta operación que habría, durante

cincuenta años, movilizado a su autor. (Perec, 1978: 153-154)10

El proyecto de Bartlebooth me interesa por tres razones, en apariencia sencillas: en

primer lugar, se trata de la organización de la vida como fuerza productora, mejor dicho,

como fuerza encausada a una sola producción -o bien, en este caso, re-producción-,

que, en sí misma, se pretende reflejo de una parte de la totalidad del “mundo”; en

segundo lugar, se trata de -y se reconoce como- un proyecto inútil, que parte de la nada

y que regresa a la nada: las acuarelas son, desde su concepción, un devenir “hoja de

papel Whatman, intacta y virgen”; en tercer lugar, pues, el proyecto de Bartlebooth

pretende no dejar traza alguna, ni siquiera de sí mismo. Este tercer aspecto incluye

en cierto modo los dos primeros: se trata, en suma, como lo afirma el narrador de La

vie mode d’emploi (¿el propio Valène, lo que equivaldría a un punto de enlace entre

Bartlebooth (productor) y Winckler (re-productor), es decir, a un modo de producción

individuado?) de una “retexturación”, es decir, de un devenir-texto (en realidad, un

re-devenir-texto), un devenir-tejido, una organización que se somete a las condiciones

de la vida misma en su manifestación ordenada, programada, organizada y que, al

mismo tiempo, somete la vida a esta misma organización hasta que no queden de ella ni

siquiera las trazas. Los puzles de Bartlebooth son, entonces, una negación/afirmación/

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negación del proceso que los produce: no podrían ser considerados como “resultado”

puesto que, en el caso de que así fuera, este resultado sería definitivo, permanecería;

son, en cambio, producto, enteramente relacionado con su propio modo de producción

(arbitrariamente determinado, es cierto, pero, a fin de cuentas, coherente, cohesivo)

que concentra, en uno solo, el movimiento total del entramado.

El ejemplo del texto de Perec puede funcionar como analogía de la traducción si

a ésta se la considera como producto y no como proceso, pues, si los puzles fueran

solamente proceso no habría un regreso, una perfección circular: el producto, íntima-

mente relacionado con su modo de producción, se re-produce como un devenir-nada,

como una nada en potencia. La traducción como producto es posible siempre y cuando

se la considere, en una primera instancia al menos, como la re-producción de un modo

de producción determinado con el único fin de la inutilidad. En este sentido es en el

que es posible hablar de la traducción en el contexto del neoliberalismo, que gobierna,

como lo recuerda Foucault a través de su concepto de biopolítica (2007), todos los

aspectos de la vida, que la organiza y, al mismo tiempo, la convierte en una constante

inutilidad, sometida al modo de producción en sí mismo aunque, en ocasiones, parezca

que puede someter éste a sus propias condiciones.

De este modo, la traducción, en el marco del neoliberalismo, obedece a ciertas condi-

cionantes y ordenes que vienen de un exterior a la obra misma pero que están, al mismo

tiempo, presentes en ella, al menos como traza: un autor, digamos, de Madagascar,

produce una obra que debe absolutamente ser traducida a varias lenguas; la labor de la

institución literaria -tripartita, como recuerda Christiane Albert: editoriales, universi-

dades y medios de comunicación (2005)- es la de producir una traducción de ese texto

“original” que le proporcionará ganancias económicas que ya no tocan al productor

primero (autor) sino a un productor segundo (traductor) pero que, en cierto modo,

regresan al productor primero (autor) en el sentido en el que la traducción (producto)

pueda devenir “intacta y virgen”, como los puzles de Bartlebooth: la traducción perfecta

(tal como es concebida por la institución literaria neoliberal) tiene forzosamente que

borrar las trazas del original de manera tal que se pueda hablar de un “nuevo original”;

tiende, entonces, a la unificación de criterios no sólo de traducción sino de producción:

un autor -por ejemplo, Nina Bouraoui o Marie Darrieussecq, cuyas primeras novelas

aparecieron el mismo año, 1996- deberá escribir con la suficiente “sencillez” como para

ser “fácilmente” traducido y, por lo consiguiente, re-conocido en el “mundo” -cuyas

comillas me permito justificar a través de una referencia a Susan Sontag.

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La traducción (a)plazada

Podemos, así, regresar al momento de ruptura que hemos determinado en la (posible) “historiografía de la traducción”: el texto de Benjamin y el de Derrida, o bien, para ser más precisos, la traducción del texto de Benjamin realizada por Derrida. Por un lado, es posible entender la traducción como producto solamente una vez que, como afirma Derrida, la tarea del traductor -propuesta por Derrida, en su “traducción” de Benjamin, como un contrato y una deuda- elida cualquier forma de entronización del autor a partir de tres condiciones: en primer lugar, la “tarea” del traductor no se limita a la recepción; en segundo lugar, ésta no tiene por cometido comunicar; y, finalmente, si existe algo como una relación entre “texto original” y “versión”, esta relación no podría ser representativa o reproductiva (Derrida, 1985: 223-224). Se trata, en suma, de negar esta relación entre “original” y “versión” -corrupta en el marco de la traducción neoliberal-, del mismo modo que los puzles de Bartlebooth niegan el propio proceso en el que se inscriben. La traducción como producto es, entonces, un (a)plazamiento11: del mismo modo que los puzles de Bartlebooth, la traducción es producto de su propio modo de producción, es decir, es re-producción de éste en la medida en la que un texto “existe” en su condición de “original” solamente porque se ha alejado de las tres características que Derrida, traduciendo a Benjamin, determina como tarea del traductor: ni determinación receptiva, ni imperativo comunicativo, ni representación, en la medida en la que representa un momento de desacuerdo y de constante postergar su determinación espacio-temporal y significante, por ejemplo, en el caso de la insti-tución literaria neoliberal, el de la remuneración económico-simbólica de los autores “ampliamente traducidos”. En este sentido, es menester destacar que una de las carac-terísticas de las fichas bibliográficas que aparecen comúnmente en la primera o cuarta de forros sea la de decir el número de lenguas a las cuales se ha traducido un texto. Podemos decir que la traducción, considerada como producto, parte de la nada para volver a la nada, esa nada en la que, como Bartlebooth, el “autor” trata de organizar la totalidad del mundo en el que está inscrito, en el que permanece. En ese sentido, al menos, la “tarea del traductor” no es un momento posterior al texto como organización de la vida y reflejo de la totalidad del “mundo” sino, antes bien, un desacuerdo con ésta, una in-determinación. La “tarea del traductor” no es otra cosa que un devenir de la “tarea del autor”. Con este devenir llegamos al fin de la era en la que prevalecía la frase traduttore, traditore.

No obstante, ¿se trata, en verdad, de un autor? Derrida propone una solución a este problema precisamente por medio de lo que entiendo como (a)plazamiento, al proponer el producto (traducción) como (a)plazado de su productor (traductor/autor):

Como el traductor se encuentra, en cuando a la supervivencia del texto, en la misma situación que su productor finito y mortal (su “autor”), no es él, él mismo en tanto que

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Retexturación de Bartlebooth. La traducción (a)plazada

finito y mortal que se compromete con ella. ¿Quién, entonces? Ciertamente es él, pero

¿en nombre de quién o de qué? La cuestión de los nombres propios es aquí esencial. Allí

donde el acto del viviente mortal parece contar menos que la supervivencia del texto

en traducción —traducido y traduciente—, es necesario que la firma del nombre propio

se distinga y no se borre tan fácilmente del contrato o de la deuda. No olvidemos que

Babel nombra una lucha por la supervivencia del nombre, de la lengua o de los labios.

(Derrida, 1985: 227)12

La supervivencia del texto traducido no es otra que su propia condición de in-de-terminación, de desacuerdo, de (a)plazamiento: el texto traducido -la traducción, provisionalmente entendida como resultado- se (a)plaza respecto del original sin llegar a ser un nuevo original pero sin ser del todo una versión de éste. Existe, pues, en esta “idea de la perfección” que he tratado de exponer para el caso concreto de la traducción considerada como producto, una verdadera escisión entre producto y modo de producción, escisión que viene precisamente de la negación del modo de producción. Esta característica es específica del contexto de la traducción neoliberal. Este contexto presupone la libertad de trasladar un texto a otro contexto por medio de la traducción como si no hubiera nada entre ambos, es decir, como si la traducción -precisamente considerada como un proceso- fuera una solución al problema de las lenguas. Lo que llega a una lengua dominante tiene, empero, que con-centrarse en las posibilidades de ser traducido, en su traductibilidad neoliberal. Esa es la libertad de la que gozan los autores hoy en día, pero, como recuerda Leonardo Boff (1980), no toda libertad implica liberación. (No tengo la menor duda: en nuestro contexto, que no puede definirse de otro modo que editorialitarista13, el traductor se supone “puente” entre culturas, lo que implica una constante sumisión por parte del autor a una condicionante de la creación misma del texto literario. En suma, si Proust hubiera escrito en nuestro tiempo no habría sido publicado ni, mucho menos, traducido -y quizá, entonces, la primera negativa de publicación por parte de André Gide es ya un indicio de la institución literaria neoliberal.) Es entonces cuando editores y críticos -y, en ocasiones, también ciertos autores- pueden hablar de “literatura mundo”, una literatura que presupone no la diferencia ni el desacuerdo sino la asimilación (Apter, 2013), la aceptación del modo de producción y, por consiguiente, su re-producción ad infinitum.

Ahora bien, si la traducción, como la propone Benjamin y Derrida (ni comunicativa, ni receptiva, ni reproductiva) puede ser corrompida de tal manera, esto se debe a que existe una escisión en otro nivel, es decir, el del agente y la acción (escisión negativa-mente positivada, es decir, positivada sólo con fines de una re-producción del modo de producción neoliberal). Nos encontramos, entonces, con la problemática de la ética de la traducción. A este respecto, una posible lectura del texto de Derrida es precisamente la lectura fenomenológica, una especie de diálogo indirecto con Paul Ricœur, a quien,

en otro contexto, Derrida habrá de dedicar:

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Una última metáfora “viva”, en el momento de firmar este testimonio de admiración

y de fidelidad. Me parece que nosotros compartimos siempre una creencia, un acto

de fe, los dos, cada uno a su manera y desde su propio lugar, su lugar de nacimiento,

su “perspectiva” (sí, eso) y la única “puerta de la muerte”. Esta creencia nos

compromete, como una palabra otorgada. Ella nos otorga, nos llama a saber una cosa

simple e increíble que imagino así: por encima o a través de un abismo infranqueable

que nosotros no supimos nombrar, pudimos, sin embargo, hablarnos y escucharnos. E incluso, otro don que recibo de él, darnos un nombre. (Derrida, 2004: 24)14

En este diálogo indirecto con Ricœur, Derrida está traduciendo, por medio de un (a)plazamiento, el nombre, su nombre y el de Ricœur, en una metáfora viva. ¿Qué más se le puede pedir a un traductor sino este gesto de amistad, de reconocimiento del otro? Re-producción de (a)plazamientos entre textos pero también, y sobre todo, entre el texto en sí mismo, en su “esencia” de tejido, en su forma “original”, en su ser-texto, en ese núcleo “intocable” que Benjamin menciona y que Derrida deconstruye pero también en la traducción como “obra”, como “original”. En su (a)plazarse, entonces, la traducción no sólo vive (y sobrevive) sino que se re-produce a sí misma como posibilidad de la posibilidad, como reconciliación de ambivalencias. En este sentido, me gustaría cerrar esta reflexión, en homenaje a Derrida, con un ejemplo bíblico, con el Espíritu que desciende sobre los Apóstoles, dándoles don de lenguas.

Al llegar el día de Pentecostés, estaban todos reunidos con un mismo objetivo. De repente vino del cielo un ruido como una impetuosa ráfaga de viento, que llenó toda la casa en la que se encontraban. Se les aparecieron unas como lenguas de fuego que se repartieron y se posaron sobre cada uno de ellos; se llenaron todos del Espíritu Santo y se pusieron a hablar en diversas lenguas, según el Espíritu les concedía expresarse. (Hch., 2, 1-4)

Son sólo pocos los tocados por el Espíritu pero son precisamente los encargados de difundir la Palabra. Esa es, a mi modo de ver, la posibilidad de la traducción como producto que se (a)plaza de su modo de producción; esa es su tarea, su obra, innega-

blemente reconciliadora; como el amor.

Bibliografía

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Retexturación de Bartlebooth. La traducción (a)plazada

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Notas

1. “Individus ou groupes, nous sommes faits de lignes, et ces lignes sont de nature très diverse. La première sorte de ligne qui nous compose est segmentaire, à segmentarité dure (ou plutôt il y a déjà beaucoup de lignes de cette sorte); la famille-la profession; le travail-les vacances; la famille-et puis l’école puis l’armée-et puis l’usine-et puis la retraite. […] Bref, toutes sortes de segments bien déterminés, dans toutes sortes de directions, qui nous découpent en tous sens, des paquets de lignes segmentarisées” (Deleuze et Parnet, 1996 : 151).2. No toda práctica es praxis. De acuerdo con Kosik, “la problemática de la praxis no puede abordarse partiendo de la relación teoría-práctica, o contemplación y actividad, tanto si se proclama el primado de la teoría o contemplación (Aristóteles y la teología medieval) o, a la inversa, si se afirma el primado de la práctica y la actividad (Bacon, Descartes y la ciencia natural moderna). La proclamación del primado de la práctica frente a la teoría va acompañada del desconocimiento del significado de la teoría, la cual con respecto a la práctica se reduce a mera teoría y a factor auxiliar de la práctica, mientras que el sentido y el contenido de la práctica en esa inversión se comprenden tan poco como en la antigua reivindicación del primado de la teoría” (1963: 237). 3. “la « traduction » (résultat) et « l’activité traduisante » (série d’opérations intellectuelles) présentent une distinction analogue à celle que Piaget établit entre la « perception » et « l’activité perceptive »”.4. “traduire à [sa] manière la traduction d’un autre texte sur la traduction”.5. “Bartlebooth, en d’autres termes, décida un jour que sa vie toute entière serait organisée autour d’un projet unique dont la nécessité arbitraire n’aurait d’autre fin qu’elle-même. […] Cette idée lui vint alors qu’il avait vingt ans. Ce fut d’abord une idée vague, une question qui se posait — que faire? —, une réponse qui s’esquissait: rien. L’argent, le pouvoir, les femmes, n’intéressaient pas Bartlebooth. Ni la science ni même le jeu. Tout au plus les cravates et les chevaux ou, si l’on préfère, imprécise et palpitante sous ces illustrations futiles (encore que des milliers de personnes ordonnent efficacement leur vie autour de leurs cravates et un nombre bien plus grand encore autour de leurs chevaux du dimanche), une certaine idée de la perfection”.6. “maîtrisé d’un bout à l’autre et qui, en retour, gouvernerait, dans tous les détails, la vie de celui qui s’y consacrerait”.

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7. “comme coordonnées abstraites où viendraient s’inscrire avec une récurrence inéluctable des événements identiques se produisant inexorablement dans leur lieu, à leur date”.8. “se détruirait au fur et à mesure qu’il s’accomplirait”.9. “une succession d’événements qui, en s’enchaînant, s’annuleraient : parti de rien, Bartlebooth reviendrait au rien, à travers des transformations précises d’objets finis”.10. “Ainsi s’organisa concrètement un programme que l’on peut énoncer succinctement ainsi : […] Pendant dix ans, de 1925 à 1935, Bartlebooth s’initierait à l’art de l’aquarelle. […] Pendant vingt ans, de 1935 à 1955, il parcourrait le monde, peignant, à raison d’une aquarelle tous les quinze jours, cinq marines de même format (65 × 50, ou raisin) représentant des ports de mer. Chaque fois qu’une de ces marines serait achevée, elle serait envoyée à un artisan spécialisé (Gaspard Winckler) qui la collerait sur une mince plaque de bois et la découperait en un puzzle de sept cent cinquante pièces. […] Pendant vingt ans, de 1955 à 1975, Bartlebooth, revenu en France, reconstituerait, dans l’ordre, les puzzles ainsi préparés, à raison, de nouveau, d’un puzzle tous les quinze jours. À mesure que les puzzles seraient réassemblés, les marines seraient « retex-turées » de manière à ce qu’on puisse les décoller de leur support, transportées à l’endroit même où —vingt ans auparavant— elles avaient été peintes, et plongées dans une solution détersive d’où ne ressortirait qu’une feuille de papier Whatman, intacte et vierge. […] Aucune trace, ainsi, ne resterait de cette opération qui aurait, pendent cinquante ans, entièrement mobilisé son auteur”.11. He definido, en otro texto y junto con Mariano Villegas, el concepto de (a)plazamiento. Transcribo ahora los resultados de nuestras reflexiones: “en “aplazar” se encuentra la huella de dos verbos, los cuales tomamos como punto de partida para el concepto de (a)plazamiento: 1) “emplazar”, es decir, “dar a alguien un tiempo determinado para la ejecución de algo” o bien “citar a alguien en determinado tiempo y lugar, especialmente para que dé razón de algo”; estas dos definiciones nos llevan al primer punto que nos interesa rescatar del verbo “aplazar”: la relación espacio temporal con respecto a una acción determinada; “emplazar”, no obstante, por su carácter mismo de determinado, es el primer verbo que nos interesa desestabilizar mediante el sesgo propuesto por la letra “a”, suspendida de un momento de-terminado de significación por medio de los paréntesis, “(a)”, la cual funciona como prefijo (del griego ἀ), denotando “privación” o “negación”; así, por (a)plazmiento entendemos, por un lado, “sin un espacio-tiempo deter-minado”, en breve, “sin un lugar”; por otra parte, 2) “diferir” (del latín differre), a saber, “aplazar la ejecución de un acto”, “dicho de una persona o un acto: distinguirse de otra” o bien “disentir, no estar de acuerdo”; diferir, presente como huella en la différance derridiana, refiere, entonces, a una diferencia y a un aplazamiento, un dejar para después que, no obstante, aparece al mismo tiempo en que se ejecuta el diferir como “postergar” pero también como “diferenciar-se”; es, empero, la última acepción (“disentir, no estar de acuerdo” —el I would prefer not to, de Bartleby) la que nos interesa rescatar en el concepto de (a)plazamiento: se trata de lo que no entra en el acuerdo, lo que no pertenece a lo de-terminado, lo que va, en cierto modo, en contra de ello. De este modo, proponemos (a)plazamiento como un constante postergar la determinación espacio-temporal y significante por medio del desacuerdo y la diferencia de lo marginal” (Villegas, Lèal, 2015: 163-164).12. “Comme le traducteur se trouve, quant à la survie du texte, dans la même situation que son producteur fini et mortel (son « auteur »), ce n’est pas lui, pas lui-même en tant que fini et mortel qui s’engage. Alors qui ? C’est certes lui mais au nom de qui et de quoi ? La question des noms propres est ici essentielle. Là où l’acte du vivant mortel paraît moins compter que la survie du texte en traduction — traduit et traduisant —, il faut bien que la signature du nom propre s’en distingue et ne s’efface pas si facilement du contrat ou de la dette. N’oublions pas que Babel nomme une lutte pour la survie du nom, de la langue ou des lèvres”.13. Entiendo el editorialitarismo como el momento en el que el editor tiene plenos poderes sobre una obra, un autor, una vanguardia completa incluso; ese momento en el que el Editor adquiere una mayúscula y se transforma en líder al que hay que temer, reverenciar, amar. Se trata de una forma de totalitarismo, la última del XX, es cierto, y consiste, en primer lugar, en el estableci-miento ideológico de los parámetros de la “buena literatura” con base en las consideraciones económicas de los modos de producción —el canon de Bloom no es otra cosa que el epítome de esta ideología.14. “Une dernière métaphore « vive », au moment de signer ce témoignage d’admiration et de fidélité. Il me semble que nous avons toujours partagé une croyance, un acte de foi, tous les deux,

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Retexturación de Bartlebooth. La traducción (a)plazada

chacun à sa manière et depuis son lieu propre, son lieu de naissance, sa « perspective » (eh oui) et l’unique « porte de la mort ». Cette croyance nous engage, comme une parole donnée. Elle nous donne, elle nous appelle à savoir une chose simple et incroyable que je figurerais ainsi : par-dessus ou à travers un abîme infranchissable que nous n’avons pas su nommer, nous pouvons néanmoins nous parler et nous entendre. Et même, autre don que je reçois de lui, nous prénommer”.

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© Revue du Gerflint. Éléments sous droits d'auteur.

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Le Mexique de Patrick Deville.Imaginaire et récit de voyage dans Viva (2014)

Synergies Mexique n° 5 - 2015 p. 29-40

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Reçu le 01-03-2015/ Évalué le 19-05-2015/ Accepté le 13-08- 2015

Résumé

L’article présente le dernier roman en date de Patrick Deville. Paru en 2014, Viva a pour cadre principal le Mexique. À travers les destins chaotiques de Trotsky et de Malcolm Lowry, qui tous deux firent une étape essentielle à leur existence à Mexico ou dans d’autres villes emblématiques : Oaxaca, Cuernavaca ou Acapulco, l’écrivain français redéfinit les limites d’un genre : le récit de voyages. Symétriquement, il donne à lire sa vision singulière, intertextuelle et transartistique, des territoires mexicains. C’est ce nouvel art de fictionnaliser l’espace qui est explicité ici, notamment à l’aide des théories géocritiques.

Mots-clés : roman français contemporain, récits de voyage, géocritique, Mexique

El México de Patrick Deville. Imaginario y relato de viaje en Viva (2014)

Resumen

El artículo presenta la última novela de Patrick Deville: Viva (2014) cuya historia se desarrolla principalmente en México. A través de los destinos caóticos de Trotsky y Malcom Lowry (quienes compartieron momentos claves en la Ciudad de México, y en otras ciudades emblemáticas de dicho país: Oaxaca, Cuernavaca y Acapulco), el escritor francés define los límites de un género literario: el relato de viajes. Al mismo tiempo, Deville propone una visión singular, intertextual y transartística de esos territorios mexicanos. Así, en este artículo se analiza ese nuevo arte de ficcionalizar el espacio, sobretodo con la ayuda de las teorías geocríticas.

Palabras clave: novela francesa contemporánea, relatos de viaje, geocrítica, México

Patrick Deville’s Mexico. Imagination and travel stories in Viva (2014)

Abstract

This article presents the latest novel by Patrick Deville, Viva (2014), which is mainly set in Mexico. Through the chaotic destinations of Trotsky and Malcolm Lowry (who also shared key moments in Mexico City, as well as other iconic cities of Mexico, such as Oaxaca, Cuernavaca, and Acapulco), the French author defines the boundaries of a literary genre: travel stories. Deville also proposes a singular, intertextual and

Isabelle Bernard RabadiUniversité de Jordanie, Jordanie

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GERFLINT

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Synergies Mexique n° 5 - 2015 p. 29-40

transartistic view of these Mexican landscapes. Therefore, in this article, this new art of fictionalizing space, above all with the help of geocritical theories, is analyzed.

Keywords: French contemporary Novel, travel books, geocriticism, Mexico

Patrick Deville est un auteur singulier ayant appartenu à la nouvelle génération de

Minuit1, ce groupe éclaté qui, au cours des années 1980-1990, a vu naître les plumes

aujourd’hui classiques de Gailly, Echenoz, Toussaint, Oster… Avec la publication de

Pura Vida : Vie & mort de William Walker et son entrée aux éditions du Seuil en 2004,

le romancier a amorcé un tournant dans son grand-œuvre en creusant une veine géopo-

litique et historique inédite. Suivant cette inclination plus dense et plus sensible à la

géographie, il a publié cinq romans qui lui ont permis de laisser s’épanouir sa passion

pour le voyage : La Tentation des Armes à feu (2006), Équatoria (2009), Kampuchéa

(2011), Peste & Choléra (2012) et Viva (2014). Son écriture nouvelle met en lumière

une voie narrative tonique et insolite qui, loin des postures impassibles et minimalistes

minuitardes, progresse en vastes mouvements sinueux d’un continent à l’autre et d’un

siècle à l’autre. Rimbaldien dans l’âme, Deville relie des bribes d’événements et des

lignes de vie, destins sublimes ou cruels, d’anonymes et de personnalités inoubliables :

artistes, hommes politiques, aventuriers... dont le rêve est de changer le monde.

Avec Viva, c’est le Mexique tout entier qui s’offre au lecteur dans un éblouissant

feuilleté d’images et de paysages. Et étonnamment, dans ce roman mexicain, les prota-

gonistes sont Trotsky et Malcolm Lowry. Nous proposons de scruter plus avant l’imagi-

naire et la pratique scripturale de cet écrivain-voyageur : en suivant un plan triaxial,

nous mettrons en valeur son appréhension originale du récit de voyage, nous explo-

rerons la mise en fiction, autant intertextuelle que transartistique, de lieux mexicains

emblématiques (Mexico, Tampico, Cuernavaca, Oaxaca, Guadalajara, Acapulco…) et

nous verrons en quoi l’approche géocritique se révèle éclairante dans l’explicitation

d’une telle esthétique romanesque.

1. Imaginaire devillien et récit de voyages mexicains

Bâtie à partir de matériaux autobiographiques et littéraires, la poétique du dépla-

cement qui dans Viva apparaît tel un modus scribendi fort abouti s’est peu à peu

constituée chez Patrick Deville. Né en 1957 à Saint-Brévin, le romancier a passé son

enfance face à l’Atlantique dans l’estuaire de la Loire où il a été très vite gagné par le

goût de l’aventure et de l’ailleurs. Sa profession d’enseignant (en lettres et philosophie)

puis de Chargé de mission culturelle l’ont plus tard amené à résider dans le Sultanat

d’Oman, au Nigeria, en Algérie, au Maroc. Polyglotte, Deville est également traducteur

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Le Mexique de Patrick Deville. Imaginaire et récit de voyage dans Viva (2014)

et, depuis qu’en 2001, il a pris ses fonctions de Directeur littéraire de la Maison des

Écrivains Étrangers et des Traducteurs2, il va de par le monde à la rencontre d’auteurs

et de traducteurs épris comme lui de littérature voyageuse. « Tout récit est un récit

de voyage – une pratique de l’espace » (De Certeau, 1990 : 171). Depuis 1987, date de

parution de son premier roman, la liste est longue de ses destinations transformées en

ports d’attache afin de mettre au point puis parfaire une écriture romanesque hydride,

à la fois fantasmatique et tourmentée, poétique et contemplative : l’Amérique centrale

(Nicaragua, Honduras) pour Pura Vida, l’Afrique équatoriale pour Équatoria et l’Asie du

sud-est (Cambodge et Viêt-Nam) pour Kampuchéa et Peste & Choléra. Cette écriture

d’une infinie modernité qui fait aujourd’hui le succès de Deville dans la sphère litté-

raire académique comme auprès du public3 se nourrit d’horizons lointains : ainsi Viva

solde-t-il une décennie mexicaine qui l’a rendu intarissable sur la patrie d’Octavio Paz,

« ce pays qui ne ressemble toujours à aucun autre » (Deville, 2014 : 20).

L’historique de la Maison des Écrivains Étrangers et des Traducteurs dévoile toutefois

un attrait ancien de Deville pour le Mexique. À titre d’exemples, citons ces deux publi-

cations qu’il a dirigées : le numéro spécial et collectif dédié à l’écrivain Juan Rulfo,

intitulé « Pour Rulfo » (Saint-Nazaire, Meet, 2013) et la revue Meet n°10 qui en 2006

rassemble dans une édition bilingue un panorama de deux littératures étrangères en

citant les œuvres d’artistes du Mexique et de Serbie sous le titre « Mexico-Sarajevo ».

Dernières les boutades essaimées dans Viva pointe une vraie connaissance : « Le Mexique

est un pays auquel un étranger ne peut pas comprendre grand-chose. La plupart des

Mexicains n’y entendent rien non plus » (Deville, 2014 : 204). Féru de littérature améri-

caine et grand admirateur d’Under the Volcano, Deville a également dirigé un numéro

spécial « Pour Lowry » (Saint-Nazaire, Meet, 2010).

Si Deville consent peu à peu à expliciter son projet romanesque et son modus operanti,

il récuse toujours l’appellation d’écrivain-voyageur, même s’il concède volontiers qu’il

parcourt les continents à dessein d’écrire : « Je n’écris pas pour voyager, je voyage pour

écrire » (Deville, 2012 : 54). Cependant l’exil volontaire et le dépaysement demeurent

insuffisants et une large partie du travail préparatoire provient de l’étude elle-même :

lectures transdisciplinaires à dominantes littéraires et artistiques, traductions, appren-

tissages des langues, rencontres et entretiens…

Pour écrire mes livres, comme mes sujets sont la plupart du temps lointains, j’ai

besoin de me rendre sur place et de faire des allers-retours entre la bibliothèque

et les lieux que j’explore […] La bibliothèque ne suffirait pas. Le déplacement non

plus ne suffirait pas. C’est une combinaison […] Le déplacement est absolument

indispensable à l’écriture. (Deville, 2012 : 54)

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Les trajets à travers le pays et les séjours d’imprégnation dans les villes-étapes d’un long itinéraire se mêlent ainsi aux connaissances diverses acquises au sein des musées, des bibliothèques et des salles d’archives. Le profond décloisonnement générique, historique et catégoriel s’opère ici-même et confère sa structure, sa teneur autant que sa saveur à l’écriture polyphonique. Deville, lui, se contentera de déclarer qu’il s’agit pour lui en tant qu’artiste de créer un roman d’aventures sans fiction. Dans ses Remerciements, il déclare modestement :

Quant aux autres livres qui m’entourent ce soir et dans lesquels j’ai pioché ici ou là quelques phrases ou quelques remarques, quelques idées, comme si Viva était une manière d’introduction à leur lecture, j’en relève les titres au moment de plier bagages, et de les ranger dans les cartons avec les carnets et les coupures de journaux. (Deville, 2014 : 214)

Le romancier fait revivre les bouillonnements de l’Histoire mondiale de la Russie de 1917 au Mexique des années 1940 dans une prose émiettée en maints allers et retours dans le temps et l’espace. L’Histoire devient bientôt histoires, enchevêtrements de destinées. Si l’intrigue dans son déroulement en spirale met bien en scène les dernières années de Trotsky et de Lowry, elle ne peut s’amender de rappels indispensables sur le contexte historique de l’époque; elle repose sur un écheveau autour duquel se nouent et dénouent maints fils narratifs impossibles à résumer. En quête de connexions possibles entre les récits historiques, les bribes d’existences minuscules ou illustres, les moments politiques majeurs, ceux où les “Viva” fusent et s’affichent sur les étendards, les extraits de films et les morceaux de sa propre existence, le narrateur entre scepti-cisme et enthousiasme explicite ainsi ce qui a littéralement fait le XXe siècle. De fait, mini-romans, mini-mémoires, fantasmes littéraires et événements vécus s’entremêlent dans des instantanés qui, d’un chapitre à l’autre, relèvent de la pratique du photo-montage. C’est donc avec une égale curiosité qu’il fait entrer dans Viva des dizaines de titres et de citations d’œuvres et d’ouvrages en français ou en espagnol. Si le roman est un bel hommage à Malcolm Lowry, abondamment cité, la génération d’écrivains français de l’entre-deux guerres qui séjourna au Mexique est bien présente (Artaud, Breton, Perret), de même que le troublant Traven, auteur du Trésor de la Sierra Madre, suivi 4 à la trace au fil de ses aventures artistiques et de ses identités (Deville, 2014 : 22-25).

Aux côtés des Belles-Lettres mexicaines (Juan Rulfo, Octavio Paz, Álvaro Mutis, Carlos Fuentes, Martin Luis Guzmán, Augusto Cruz García-Mora, José Gorostiza…), s’accumulent des extraits de correspondances personnelles et des entrefilets glanés dans les journaux quotidiens que Deville dépouille avec la ferveur d’un archéologue sur un chantier de fouilles. Il y tisse des poèmes qu’il connaît par cœur, tels ceux de Mac Orlan qui a consacré sa Chanson de Margaret à Tampico (Deville, 2014 : 200 : 202),

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Le Mexique de Patrick Deville. Imaginaire et récit de voyage dans Viva (2014)

Rimbaud, Neruda ou de la poétesse argentine Alfonsina Storni (Deville, 2014 : 106-109),

des clins d’œil et des coups de chapeau à des figures récurrentes (Plutarque, Verne,

Cendrars, London, Tolstoï, Artaud, Huxley, Loti, Guevara, Sandino parmi bien d’autres

encore). Deville y adjoint des récits d’échanges et de rencontres (ici, un déjeuner

avec « l’impeccable ami » (Deville, 2014 : 231) Philippe Ollé-Laprune5, spécialiste du

Mexique (Deville, 2014 : 201) ; là, un entretien avec l’éditeur Maurice Nadeau (Deville,

2014 : 57-59), autre grand amoureux du Mexique). De larges passages sont consacrés à

la « petite bande de Mexico « Rivera, Tina Modotti, Weston, Orozco, Siqueiros, Traven,

Sandino, Maïakovsky, Dos Passos, Kahlo, Mella, Guerrero, Vidali » (Deville, 2014 :

87-109). À l’instar de toute une génération de penseurs (Foucault, Derrida, Ricœur,

de Certeau, Nora…), d’écrivains (tels Perec et Modiano) et d’artistes (Boltanski, Calle

ou Bourgeois) du second demi-siècle, Deville travaille cette fascination pour l’archive ;

il l’explore au croisement de différentes formes de mémoire (personnelle, historique,

culturelle…) qu’il met en question. Il est évident que d’un abord générique, épistémo-

logique, anthropologique et géocritique, seul le protéiforme récit de voyage pouvait

accueillir le vaste projet devillien à chaque ligne débordé autant par l’érudition que par

l’émotion. C’est donc dans une exubérante intrication du factuel et du fictionnel que

l’espace mexicain surgit en tant que lieu, constructo, c’est-à-dire en tant qu’espace

façonné, habité, investi symboliquement.

2. Mise en fiction des lieux mexicains

À la manière de Plutarque et de ses Vies parallèles des Hommes illustres, Deville

met à jour une relation particulière qui s’est cristallisée au Mexique à partir de 1937

entre deux personnalités majeures du XXe siècle : l’idéologue russe, Chef de l’Armée

rouge, Trotsky et le britannique Malcolm Lowry, auteur du vertigineux Au-dessous du

Volcan... Il a suivi tel une Parque les fils emmêlés de leurs destinées respectives et

a pu constater combien elles avaient été liées : non pas par des contacts amicaux ou

professionnels ou encore par des rencontres interpersonnelles, mais bien plutôt par un

savant réseau de relations et de coïncidences qu’il s’astreint à mettre à jour. « Après

avoir chacun de son côté parcouru la planète, l’écrivain russe et l’écrivain anglais sont

au Mexique […] voilà Lowry et Trotsky en la misma ciudad » (Deville, 2014 : 53-54). Son

dessein avec Viva est de montrer comment le Mexique de la fin des années trente est

devenu le lieu pouvant donner du sens aux destins de ces hommes, « celui qui agit dans

l’Histoire et celui qui n’agit pas » (Deville, 2014 : 65). Il faut dire que Trotsky (1879-

1940) et Lowry (1909-1957) sont très intimement liés au Mexique et par le Mexique.

Trotsky y achèvera péniblement deux décennies d’exil puisqu’il sera assassiné à coup

de piolet en 1940 dans sa villa de Coyoacán (Deville, 2014 : 190-193) où il œuvrait à la

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Quatrième Internationale. Sous la plume de Deville, c’est un homme en sursis, traqué

avec acharnement par le régime stalinien. Il vit reclus dans le sud de Mexico chez

Frida Kahlo, avec laquelle il connut une brève passion immortalisée dans la dédicace

d’un tableau de la ténébreuse artiste au dos brisé intitulé Derrière les rideaux (1937).

Depuis le petit jardin attenant à la maison, l’homme déchu apprend « que son nom

est effacé des livres d’histoire, son image découpée dans les photographies, que ses

amis comme sa famille sont exterminés » (Deville, 2014 : 45). Seul et impuissant au

« milieu de ce monde de poudre et de mort », il se souvient de son passé et de sa gloire

et pose, Raskolnikov dans l’âme, face aux « espoirs fracassés des révolutions russe et

espagnole » (Deville, 2014 : 47).

Lowry séjourna à plusieurs reprises au Mexique (il passa des congés à Cuernavaca

avec son épouse en 1945-1946 puis résida à Oaxaca en 1936-1937) et il avait surtout

élu ce territoire emblématique comme cadre spatial à son roman Under the Volcan

(Au-dessous du volcan). C’est au cœur des rues mexicaines et des « cantinas » que Lowry

fait en effet évoluer son alter ego, l’ancien Consul Geoffrey Firmin, aux prises avec ses

démons. Pendant dix laborieuses années, Lowry ironiquement surnommé « Malcohol »

(Deville, 2014 : 176) puisqu’il souffrait lui-même d’une sévère addiction à l’alcool

(et non exclusivement au mezcal), décrit les « borracheras » de son double mystique

telle une lente descente aux enfers qui s’étiole par son agonie, lente et douloureuse.

Lorsqu’en 1947, Lowry achèvera son chef d’œuvre, il aura convoqué « tout le grand

charroi de l’Histoire, et les fresques des peintres muralistes mexicains Diego Rivera

et José Clemente Orozco, et la guerre d’Espagne, et le grand nom de Trotsky, lequel

sonnera deux fois comme l’angélus, dans la premier chapitre du Volcan et dans le

dernier, le douzième, à la fin du tour de cadran de cette seule journée de cinq cents

pages » (Deville, 2014 : 30).

L’univers très romanesque, quasi-tragique, des deux écrivains a fortement influencé

Deville : lancé sur leurs traces et tout à son désir d’élucider le passé à travers la

géographie, il déambule inlassablement autour de la villa du premier dans le quartier

de Coyoacán, « pas très loin de chez Frida […] où vivaient alors beaucoup d’écrivains,

même si les trois cadors, Gabriel García Márquez, Álvaro Mutis et Carlos Fuentes

s’étaient retirés plus loin, vers San Jeronimo » (Deville, 2014 : 76). Dans sa peinture

du réel, le poète rivalise consciemment avec le peintre et il n’est pas rare qu’un arrêt

descriptif devienne aussitôt ekphrasis. Il peut s’agir d’une œuvre d’art ou d’une photo-

graphie d’époque (Deville, 2014 : 64), d’un portrait – et ceux de Frida Kahlo, chez elle,

sont particulièrement soignés et poignants, à l’instar de celui qui la saisit entre rage

et tristesse, lors d’un chagrin d’amour, « jouant avec ses poupées, ses bijoux et ses

vêtements zapotèques, olmèques, toltèques, mayas, aztèques » (Deville, 2014 : 101)

ou à quelques mois de son décès « au milieu des bidons de Demerol et des volutes de

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Le Mexique de Patrick Deville. Imaginaire et récit de voyage dans Viva (2014)

marijuana », lorsque, récemment amputée d’une jambe, le dos atrocement douloureux,

elle écrit “Des pieds, est-ce que j’en voudrais si j’ai des ailes pour voler ?” » (Deville,

2014 : 207) – ou encore d’un paysage du temps perdu remémoré : intact.

Trotsky est assis dans un fauteuil en rotin au fond du jardin, voit les sculptures

indiennes dispersées sous les arbustes, les fleurs tropicales dont il ignore le nom,

des fougères, des fontaines, des oiseaux, des cactus dans des poteries rouges […]

Diego lui montre les murs du jardin faits de blocs de pierre volcanique où ressortent

les ocres et les rouges de la lave crépusculaire, et teintent l’atelier de Frida comme

une cheminée de volcan, une descente au centre de la terre. (Deville, 2014 : 33)

La passion narrative de cet auteur cosmopolite épuise toutefois sa propre dynamique :

sans opter pour un quadrillage exhaustif de la réalité, l’écrivain livre énormément de

dates - depuis les références à la colonisation espagnole avec l’arrivée du bateau de

Cortés en 1519 jusqu’à son séjour sur place en 2012 - de lieux (mexicains, russes et

français) et d’événements - du plus infime au plus tragique, tel l’assassinat de Trotsky

dans le quartier de Coyoacán dans le sud de Mexico. Dans un roman en expansion

englobante, les éléments pertinemment sélectionnés dans la biographie de toutes les

personnes citées sont ainsi méticuleusement replacés dans le réseau contextuel, histo-

rique et géographique : ils doivent de préférence avoir un lien, même distendu, avec

le Mexique. Par contrepoint, l’entremêlement de données et de notices biographiques

extraites du microcosme d’artistes, de militants, d’hommes politiques, de compa-

gnons ou d’ennemis, d’historiens, de spécialistes du Mexique, font généralement état

d’un lien avec la patrie d’adoption du héros de Lowry. De là naît l’impression que les

éléments factuels et fictionnels foisonnent jusqu’à se confondre. Lors de ses pérégri-

nations, l’écrivain accumule notes et anecdotes, fouille rives et archives en quête de

toujours plus d’explications et de précisions qu’il agence à mesure qu’il avance dans

son enquête – car le récit de voyages est pour lui un récit d’enquête. Les paysages qu’il

parcourt bientôt se confondent avec ceux des romans de Paz ou de Rulfo (Deville, 2014 :

71) comme avec ceux des grandes réalisations de John Huston, également mexicain de

cœur6. De fait, la première image de la dynamique Tampico provient du Le Trésor de

la Sierra Madre, adapté en 1948 du roman de Traven. « Le paysage portuaire est celui

d’un film de John Huston, Le Trésor de la Sierra Madre, grues et barges, mâts de charge

et derricks, palmiers et crocodiles. Odeurs de pétrole et de cambouis, de coaltar et

de goudron » (Deville, 2014 : 9). Plus loin, au cœur de la cité sise à l’embouchure du

Río Pánuco et célèbre tant pour ses raffineries de pétrole que pour son architecture

hétéroclite, l’on aperçoit l’acteur Humphrey Bogart dans un semblable télescopage

transartistique spatio-temporel. L’écriture filmique du réalisateur américain qui en

1984 adaptera Au-dessous du Volcan sied encore à Deville pour décrire l’arrivée de

Lowry et de son épouse à Acapulco en 1936 (Deville, 2014). Si l’esthétique hustonienne

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entre parfaitement en résonnance avec le parti-pris de l’écrivain, c’est que les artistes

sont tous deux conscients que la beauté de l’aventure humaine prime sur sa finalité,

dont ils subsument l’échec irrémédiable. Il y a dans les films de Huston un trait commun

à ses héros qui conduit leurs rêves de gloire et de conquêtes à l’échec. Cette faille

ne peut laisser insensible un auteur, philosophe nostalgique. « Pourquoi cette belle

et terrible solitude et le don de soi qui leur font abandonner la vie qu’ils aimeraient

mener, les êtres qu’ils aiment, pour aller chercher toujours plus loin l’échec qui viendra

couronner leurs efforts » (Deville, 2014 : 129).

Plus généralement, le besoin inéluctable de fiction, cet espace de ressourcement où

s’élabore une vision du monde, est flagrant et assumé chez Deville qui tout au long de

Viva joue avec la plasticité des structures représentationnelles :

Avec Philippe Ollé-Laprune, l’auteur de Cent ans de littérature mexicaine, nous

commandons des tortillas de crabe sur le conseil d’Augusto Cruz García-Mora qui

vit ici, et vient de publier son premier roman, Londres después de medianoche, et

intégrera peut-être le prochain volume, Deux cents ans de littérature mexicaine.

Dans le Trésor de la Sierra Madre, Traven décrit avec précision comme on pêche

dans les lagunes de Tampico les crabes de vase en les appâtant à la viande. (Deville,

2014 : 201)

En outre, dans le déroulement des nombreux événements du roman, les gros plans

pourraient paraître d’une grande banalité, tels les plaisirs minuscules d’un esthète

fatigué, s’ils ne cernaient avec une grande exactitude le temps qui passe. « Les taxis de

la capitale étaient encore il y a dix ans des coccinelles Volkswagen vertes et blanches.

Aujourd’hui, pour la plupart, des berlines or et pourpre. Ainsi le monde bouge » (Deville,

2014 : 20). Filigrané de mélancolie, ce regard en profondeur porté sur les faits majeurs

de l’actualité comme sur le quotidien minuscule est celui d’un homme conscient de la

finitude et de la vanité des actes humains. Influencée par la poésie du temps, presque

métaphysique d’Octavio Paz, la magnifique clausule qui résonne également tel un écho

contemporain aux révélations d’outre-tombe de Chateaubriand est édifiante : « Ainsi

font font font et tournent les vies des hommes et des femmes. Trois petits tours de

roue Ferris et puis s’en vont. Ceux qui sont en haut croient apercevoir à l’horizon les

aubes radieuses des révolutions politiques et poétiques, déjà redescendent dans l’obs-

curité » (Deville, 2014 : 211). Le rendu prosodique est teinté d’une sourde langueur,

d’autant que Deville, amateur de la rubrique des faits divers des quotidiens, énumère

motifs et circonstances exacts des décès de ses personnages, principaux et secon-

daires : assassinats, suicides, noyades, accidents et morts naturelles s’égrènent pour

dire encore « les fureurs de l’Histoire » (Deville, 2014 : 13).

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Le Mexique de Patrick Deville. Imaginaire et récit de voyage dans Viva (2014)

Viva est donc une fiction-monde, apte à absorber l’extraordinaire effervescence

politique et artistique de Mexico pendant l’entre-deux guerres dans une trame parado-

xalement intimiste et resserrée sur la déchéance de deux individus. C’est ainsi que le

lecteur se retrouve au cœur d’un Mexique kaléidoscopique : transhistorique, à la fois

réel et fantasmé, littéraire et cinématographique.

3. Vers un romanesque géopoétique

« Tout commence et tout finit toujours à Tampico » (Deville, 2014 : 201), assène

Deville. À la lecture de Viva, il faut d’emblée réitérer le constat selon lequel « L’espace

semble ainsi profiter de la crise du récit et de la psychologie traditionnelle pour

prendre une part croissante dans la fiction contemporaine » (Collot, 2011). La table

des matières suffit à le confirmer puisque sur les trente brefs chapitres, dix portent le

nom d’une région, d’une ville ou d’un quartier mexicains : « Tampico, de Tampico à

Mexico, à Mexico, l’ennemi de classe débarque à Acapulco, à Hipódromo, à Coyoacán, à

Cuernavaca, vers chez les Tarahumaras, à Guadalajara ». Les autres chapitres renvoient

à des patronymes : « Lowry & Trotsky », par exemple. Deux sont moins explicites :

« la maison bleue », qui désigne le domicile de Frida Kahlo à Mexico devenu musée,

et « la cité de la terrible nuit » qui fait référence à Oaxaca, où l’ex-consul agonisera :

« Oaxaca ! Le mot résonne comme un cœur qui se brise, comme une brusque volée de

cloches engloutie par l’ouragan, comme les syllabes ultimes prononcées par des lèvres

mourant de soif dans le désert » (Malcolm Lowry cité par Deville, 2014 : 130). Amateur

de paysages, Deville se révèle également le peintre des atmosphères mexicaines.

Dans un autre secteur de la ville immense du Distrito Federal, loin de Coyoacán,

dans la Condesa, colonia Hipódromo, La Selva est une petite terrasse encombrée de

pots de fleurs et d’un cactus dans un bidon que la rouille embellit, envahie de piafs

noirs et minuscules, où volette un papillon jaune (Deville, 2014 : 20).

Paysagiste, il admire la nature et dévoile à travers ses couleurs, ses odeurs et ses

sonorités par petites touches ici et là apposées dans son roman l’incroyable beauté.

« Le rythme de la pluie sur la terre se fait incantatoire. Les averses à Mexico prennent

des violences de mousson puis cessent et le soleil paraît. Des petits lézards fuient les

fougères mouillées et grimpent aux troncs » (Deville, 2014 : 62). Toutefois, les pages

de son carnet de voyage ne recèlent pas uniquement de mentions de ses excursions sur

les plateaux arides autour de Guadalajara qu’aimait Juan Rulfo (Deville, 2014 : 70), de

ses promenades à Mexico « entre la place du volcan Iztaccihualt à la place du volcan

Popocatépetl » (Deville, 2014 : 65) et dans « les parcs ombreux et proustiens » (Deville,

2014 : 115), ou encore de ses pauses dans les « cantinas » de Cuernavaca avec leurs

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petits autels dédiés à la « Madone auréolée de veilleuses électriques en guirlandes et

de fleurs en plastiques » (Deville, 2014 : 131-132). Deville a aussi trouvé au Mexique

une diversité du bâti (les traditions espagnole, française et locale s’y côtoient) fort

inspirante dont il travaille avec soin le cadrage et la focale : en atteste sa préférence

pour l’hypotypose, ce raccourci riche et précis qui met sous les yeux le lieu décrit,

non sans une ombre d’irréalité irradiante. « La dernière adresse du proscrit est une

meringue rouille7 et ocre, délavée, étroite, à colonnades et chapiteaux, quelque chose

de l’épave d’un petit cargo échouée de guingois au bord du río Churubusco depuis

longtemps busé » (Deville, 2014 : 76).

Selon les approches de Michel Collot ou de Bertrand Westphal, la géographie relève

effectivement d’une herméneutique spirituelle et non d’une observation immédiate.

Elle fait du récit de voyage de type devillien une visite de traces destinée à déchiffrer

l’amas de signes que constituent les espaces architecturés, les constructions de styles

et d’époques différents, souvenirs vivaces de la vie des hommes. De fait, les terres

mexicaines pour leurs qualités esthétiques et mythiques se lisent comme une somme

de lieux à identifier, à qualifier, à décrire : une aventure herméneutique. « Les dépla-

cements dans l’espace ne sont rien. Seuls les allers-retours dans le temps sont verti-

gineux, qui nous procurent le sentiment de sa douce et redoutable relativité » (Deville,

2006 : 29). La « stratigraphie » qui se donne pour point cardinal de la géocritique

(Westphal, 2007 : 200) est fondatrice d’un tel romanesque puisqu’elle permet toutes les

contaminations spatiales et temporelles (Deville, 2014 : 119, par exemple), à l’instar de

celle qui rapproche la Malinche, incernable maîtresse indienne du conquistador Cortés,

et Frida Kahlo, icône moderne de la mexicanité (Deville, 2014 : 101). Soumis à un

désir d’exhaustivité, le projet de révéler le monde ne peut pourtant s’épanouir. La

visée réaliste demeure éphémère et Deville, en quête d’un temps et d’un espace à

jamais perdus, clôt irrémissiblement sa description bien avant de l’atteindre, attestant

par-là, l’« écart entre topographie objective et topologie littéraire » (Collot, 2011).

Parallèlement, en visitant les lieux de vie et d’errance de Lowry, à Cuernavaca

notamment, il progresse dans son décryptage d’Au-dessous du volcan et finit par

montrer que le référent spatial de l’œuvre est en partie imaginaire, qu’il ne peut être

qu’une « egogéographie », selon l’expression de Jacques Lévy (Collot, 2011), ainsi que

l’explicite ce paragraphe dans lequel son art de voir se fond à l’art d’écrire de Lowry.

L’espace y reste en expansion et en dépli infini.

Lowry arpente toutes les rues pentues de Cuernavaca et invente les lieux de son

roman. Il les modifiera après avoir découvert Oaxaca, importera depuis le sud l’église

Nuestra Señora de la Soledad et le Farolito, bâtira la ville fictive au nom préhispa-

nique : “Dix-huit églises et cinquante-sept cantinas sont la gloire de Quanhnahuac”.

Jacques Laruelle, qui fut l’ami du Consul et l’amant de sa femme Yvonne, habite en

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Le Mexique de Patrick Deville. Imaginaire et récit de voyage dans Viva (2014)

haut de la rue Nicaragua une curieuse maison équipée d’une manière de tourelle,

emplie de tableaux de José Clemente Orozco et de Diego Rivera. Sur la façade est

gravée une phrase de Fray Luis de León : No se puede vivir sin amar » (Deville, 2014 :

118).

Aussi Viva devient-il ce roman de voyage sans fiction qui permet de penser avec

pertinence l’articulation des rapports entre anthropologie et littérature : il soumet

à notre univers mondialisé et uniformisé, postmoderne, un renoncement, une sorte

d’adieu au voyage.

Pour conclure, notons qu’après Jean-Marie Gustave Le Clézio qui, le Mexique chevillé

au cœur, a publié tout au long de sa carrière littéraire une somme d’œuvres et d’essais8

consacrés à la culture, à la pensée, aux paysages, aux tribus indigènes de même qu’à

certaines des figures phares de la modernité mexicaine, il était difficile pour un artiste

contemporain9 d’écrire au Mexique tout autant que d’écrire le Mexique. Comment, par

exemple, évoquer encore les relations volcaniques du couple mythique Kahlo-Rivera,

après la publication de Diego et Frida ? Avec Viva, qui déchiffre autant qu’il défriche la

civilisation mexicaine d’hier à aujourd’hui, Patrick Deville y parvient néanmoins.

Il faut dire que, entré depuis dix dans le catalogue de la bien-nommée collection

« Fiction & Cie » des éditions du Seuil, l’écrivain œuvre à la composition d’une

géographie personnelle. Grâce à sa langue travaillée et à son style à la fois fluide et

syncopé, il réussit la performance d’entrecroiser époques, paysages et destins dans

un roman de voyage sans fiction qui adopte comme modus scribendi une réflexion

poétique, à la fois fantasmatique et tourmentée. En ancrant sa prose foisonnante au

Mexique, terre de refuge de ses protagonistes autant que creuset révolutionnaire dans

les domaines politiques et artistiques, le romancier met en place une nouvelle manière

de fictionnaliser les villes et les territoires. En proposant un romanesque érudit, à la

fois historique et géographique, d’une infinie mélancolie, il dessine une géopoétique

inédite. Il y a incontestablement dans les élans ethnographiques qui transcendent Viva

un regard original sur l’autre et sur l’ailleurs, précisément apte à mobiliser et modifier

en profondeur la sensibilité et la pratique artistiques de notre contemporanéité.

Bibliographie

Collot, M. 2011. « Pour une géographie littéraire »,Fabula-LhT, n°8. http://www.fabula.org/lht/8/collot.html [consulté le 2 décembre 2014].

De Certeau, M. 1990. L’Invention du quotidien. 1. Arts de faire. Paris : Gallimard.

Deville, P. 2006. La Tentation des armes à feu. Paris : Seuil.

Deville, P. 2012. « “Je suis un écrivain qui voyage”. Entretien avec Sophie Patois », Le Français dans le monde, n°384, p. 54.

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Deville, P. 2014. Viva. Paris : Seuil. Le Clézio, J.-M. G. 1993. Diego et Frida. Paris : Stock.Westphal, B. 2007. La géocritique. Réel, fiction, espace. Paris : Minuit.

Notes

1. Aux éditions de Minuit, Deville a fait paraître cinq romans : Cordon bleu (1987), Longue vue (1988), Le Feu d’artifice (1992), La Femme parfaite (1995) et Ces deux-là (2000).2. Depuis 1987, la MEET, Maison des Écrivains Étrangers et des Traducteurs, installée à Saint-Nazaire, accueille des artistes et des traducteurs en résidence, organise des colloques et des rencontres, édite une revue annuelle ainsi que des œuvres bilingues. (www.maisondesecrivain-setrangers.com). Deville a fondé le Prix MEET de la jeune littérature latino-américaine en 1996.3. La reconnaissance du public se fait constante : Équatoria a reçu le Prix du livre Inter 2009, Kampuchéa le Prix Nomad’s 2011 et Peste & Choléra le Prix Médicis 2012 et le Prix Fnac 2012.4. L’existence mystérieuse de Traven a inspiré un autre contemporain, Éric Faye, pour son roman L’Homme sans empreintes (2008).5. Philippe Ollé-Laprune a notamment publié une anthologie intitulée Cent ans de littérature mexicaine (2007). 6. John Huston est connu pour avoir eu trois patries, les États-Unis, le Mexique et, à la fin de sa vie, l’Écosse.7. L’architecture mangée est un topos de la description devillienne.8. À cet égard, on relira notamment son essai intitulé Le rêve mexicain ou la pensée inter-rompue, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 1988. Profondément bouleversé par le Mexique depuis son tout premier séjour dans le Yucatán en 1967-1968, le Prix Nobel de Littérature de 2009 a, en outre, soutenu une thèse consacrée à l’histoire de la région du Michoacán à l’Institut d’études mexicaines de Perpignan en 1983. Il a reçu l’Ordre de l’Aigle Aztèque en 2010.9. Le Clézio est né en 1940 et Deville en 1957.

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Quelle langue parlons-nous,quelle langue enseignons-nous ?

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Reçu le 12-03-2015/ Évalué le 25-04-2015/ Accepté le 13-08- 2015

Résumé

Depuis bien longtemps les enseignants de français langue étrangère se heurtent à une difficulté inhérente à l’apprentissage de cette langue, à savoir le fossé qui se creuse entre le français écrit et le français parlé. À cette difficulté vient s’ajouter la tendance de plus en plus agressive des médias à offrir des services ou de la publicité en anglais. La polémique à propos du « franglais » n’est pas nouvelle, mais elle s’enflamme périodiquement et polarise les positions académiques des linguistes et spécialistes de langues. L’idée de ce travail est d’insister sur le fait que les didacticiens de français langue étrangère se trouvent coincés entre les déclarations officielles des organes de la francophonie, les politiques linguistiques, les débats des académiciens et leur pratique quotidienne qui pousse leurs élèves à chercher de « l’authenticité » sur la toile, devant eux-mêmes se recycler quant à « l’authentique ».

Mots-clés : didactique du français langue étrangère, mondialisation, franglais

¿Qué lengua hablamos? ¿Qué lengua enseñamos?

Resumen

Desde hace mucho tiempo los docentes de francés lengua extranjera se enfrentan a dificultades propias del aprendizaje de esta lengua, en especial la brecha que se ensancha entre el francés escrito y el francés hablado. Paralelamente a este fenómeno observamos la tendencia creciente de los medios de comunicación a difundir servicios y publicidad en inglés. La polémica que se genera en torno a la invasión de anglicismos no es nueva, pero se reaviva periódicamente acarreando polémicas enardecidas entre los lingüistas y especialistas de las lenguas en general. La idea de este trabajo es la de insistir en el hecho de que los profesores de francés lengua extranjera se encuentran atrapados entre el discurso oficial de los promotores de la lengua, las políticas lingüís-ticas, los distintos puntos de vista de la academia y su práctica diaria que motiva a los alumnos a buscar textos « auténticos » en Internet, cuando ellos mismos necesitan reciclar sus saberes.

Palabras clave: didáctica del francés lengua extranjera, globalización, franglais

Chantal SchnollerUniversité Autonome de Basse Californie du Sud, Mexique

[email protected]

GERFLINT

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What language do we speak? What language do we teach?

Abstract

From long ago, French as a foreign language teachers have faced difficulties in learning this language, especially due to the gap between written French and spoken French. Similarly, we can see the growing trend of the mass media to disseminate services and advertising in English. The controversy generated around the invasion of Frenglish is not new, but it is periodically revived, bringing with it passionate discussion among linguists and specialists in languages in general. The idea of this paper is to insist in the fact that the French as a foreign language professors are trapped between official discourse of language promoters, linguistic policies, the different points of view of the academy and their daily practice that motivates the students to look for “authentic” texts on Internet, when they themselves need to recycle their knowledge.

Keywords: teaching French as a foreign language, globalization, Frenglish

Introduction

Le FLE est devenu un concept dont la signification est connue de tous les professeurs

de français et, pourtant, il est loin d’être univoque. Les différents courants didactiques

et méthodologiques ont toujours été au cœur de l’enseignement du français langue

étrangère mais la question classique : quel français enseigner ?, est devenue encore

plus complexe avec l’approche communicative qui devait favoriser l’oral au détriment

de l’écrit, introduisait la notion de registre de langue et considérait l’importance des

contenus culturels. Cela posait un vrai problème aux enseignants : fallait-il dire en

classe chai pas ou je ne sais pas ? Le travail devenait titanesque entre la norme et la

correction de l’écrit, les registres de langues à l’oral et les documents authentiques des

manuels, choisis par des français de France et souvent stéréotypés et peu motivants pour

les élèves. Avec l’avènement des réseaux de communication, la difficulté semblait en

voie d’être surmontée puisque la toile offrait de plus en plus l’accès, en français, à tous

les médias audiovisuels, les étudiants ayant alors la possibilité d’accéder à toutes les

fréquences radiophoniques, à certaines chaînes de télévision qui présentent des infor-

mations en continu, aux réseaux sociaux, ainsi qu’à de nombreuses vidéos. Cependant,

il est nécessaire de constater une tendance générale à raccourcir les distances entre les

interlocuteurs et à transformer les langues de culture en langues de service1 fortement

influencées par une autre langue de service simplifiée, l’anglais des médias.

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Quelle langue parlons-nous, quelle langue enseignons-nous ?

Le français dans sa dimension politique

Les langues sont depuis longtemps le symbole dans lequel chaque nation reconnaît

et affirme son identité. Dans le cas du français, la naissance de la langue coïncide

avec celle de la France-nation. Bien des spécialistes estiment que le français est une

affaire politique. En effet le dialecte de l’Île de France s’était vu élevé au statut

de langue officielle à partir du XIVème siècle grâce à certaines conditions historiques

dont l’instauration de l’État monarchique, mais c’est à partir de la révolution française

qu’il acquiert son statut de langue nationale, c’est-à-dire de langue officielle de

l’état-nation. Il devient ainsi la pierre angulaire du monopole du pouvoir politique

des classes supérieures qui justifient la supériorité du français à partir des thèses de

Condillac : « la langue française grâce à sa pureté avait le pouvoir de purifier la pensée

de l’Homme nouveau » (Bourdieu, 2001 : 14). Mais l’ère de la formation des nations

est révolue et le concept « national » est désormais tabou et connoté. Plus de deux

siècles après la déclaration des droits de l’homme et celle du français comme symbole

républicain, des polémiques s’installent dans différentes sphères de la société donnant

lieu à l’opposition de deux courants interprétatifs, l’un appelé romantique et l’autre

dénotatif (Judet de la Combe, 2006). La première conception place la langue au cœur

des identités culturelles collectives ; la défense de la langue étant le fait d’un groupe

d’hommes qui adhèrent à une série de traditions transmises à partir d’une histoire

commune. La deuxième interprétation considèrerait les langues comme « utilitaires »,

communes à une société ou nation et qui ont comme raisons d’être de communiquer,

transmettre des informations, exprimer des idées ou des préférences.

Si c’est au cours des années quatre-vingt-dix qu’on assiste à une intégration sans

précédent des économies à l’échelle mondiale, le souci des académiciens pour la langue

française est présent dès les années soixante. En 1963, le professeur Étiemble écrivait

dans Les Cahiers de la publicité un article intitulé « La publicité pourrit la langue

française », dans lequel il dénonçait d’une part la reconquête de l’Angleterre par son

ancienne colonie (les États-Unis d’Amérique) et d’autre part l’invasion de tournures et

de mots anglais dans le domaine de la publicité. C’est lui-même d’ailleurs qui a repris le

terme « franglais » et l’a popularisé, grâce à son ouvrage « Parlez-vous franglais ? », mot

qui aurait été inventé par le grammairien Max Rat et utilisé pour la première fois dans

un article de France-Soir paru en 1959. L’inquiétude des hommes politiques du gouver-

nement du général de Gaulle face à l’expansion économique américaine avec comme

support un anglais appauvri, les conduit, en 1966, à la 1ère réunion du « Haut comité

pour la défense et l’expansion de la langue française » qui était chargé, comme son nom

l’indique, de prendre des mesures pour assurer la défense et la diffusion de la langue

française face à l’expansion possible d’un monolinguisme. Suivant l’axe tracé par M.

Étiemble, Philippe Gobert aborde en 1975 la question névralgique de l’introduction de

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mots anglo-américains dans le français, surtout dans le domaine commercial. Ainsi, le marketing obligeant, dans un hyper nous remplissons un caddy de packs…quel job! La libéralisation des échanges économiques ainsi que la multiplication du langage juridique servant à les défendre, entraîne l’essor des nouvelles technologies de l’information et de la communication, notamment les programmes de traduction automatique. L’ampleur de la révolution informatique va accélérer l’usage quotidien de termes anglais grâce aux phénomènes de répétition, redondance et prolifération (Morin, 2011). C’est dans ce contexte de mondialisation des échanges que voit le jour l’Organisation internationale de la francophonie créée par la Convention de Niamey du 20 mars 1970 sous l’appellation d’Agence de coopération culturelle et technique. La francophonie abandonne l’idée de la langue rayonnement de la France et se dit garante du soutien d’un espace francophone où l’on favorise le partage du français :

La francophonie, ce sont tout d’abord des femmes et des hommes qui partagent une langue commune, le français. Le dernier rapport en date de l’Observatoire de la langue française, publié en 2010, estime leur nombre à 220 millions de locuteurs répartis sur les cinq continents.

Les organisations pour la défense de la langue française pourraient être la riposte à Hume, ce philosophe anglais effronté qui osait écrire en 1767 : « Laissez les Français tirer vanité de l’expansion actuelle de leur langue. Nos établissements d’Amérique, solides et en pleine croissance, promettent à la langue anglaise une stabilité et une durée supérieures » (Hagège, 1996 : 103). Ces mots qui octroient à Bourdieu sa lucidité quand il écrit (2001 : 66): « On ne devrait jamais oublier que la langue, […], est sans doute le support par excellence du rêve de pouvoir absolu »; ce rêve qui inspirait probablement le successeur de G. Washington, J Adams, quand il écrivait, en 1780 : « L’anglais est destiné à être au siècle prochain et aux siècles qui suivront la langue du monde, et cela plus largement que le latin ne l’a été autrefois et que le français ne l’est à l’époque présente ». (Hagège, 2012 : 42.)

Le deuxième Sommet des Chefs d’États semble l’avoir compris quand il manifeste que la préparation à la citoyenneté démocratique doit être un objectif éducatif priori-taire, afin « de promouvoir des méthodes d’enseignement des langues vivantes qui renforcent l’indépendance de la pensée, du jugement et de l’action combinée à la responsabilité et aux savoir-faire sociaux » (CECR, 2001 : 9-10). Le 12 avril 1994 le statut de la langue française est à nouveau réaffirmé grâce à une circulaire du premier ministre Édouard Balladur relative à l’emploi de la langue française par les agents publics pour réitérer que « l’article 3 de la Constitution a été complété pour qu’y soit précisé que la langue de la République est le français ». Elle est par conséquent un élément constitutif de l›identité, de l›histoire et des cultures nationales. Quelques mois plus tard, Jacques Toubon, ministre de la culture et de la francophonie, soumet un

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Quelle langue parlons-nous, quelle langue enseignons-nous ?

projet de loi2 à l’Assemblée Nationale, reprenant la loi dite Bas-Lauriol du 31 décembre

1975, relative à l’emploi du français. L’article premier de la Loi Toubon considérait le

français comme :

« Langue de la République en vertu de la Constitution, la langue française est un

élément fondamental de la personnalité et du patrimoine de la France. Elle est la

langue de l’enseignement, du travail, des échanges et des services publics. Elle est

le lien privilégié des États constituant la communauté de la francophonie ».

Cette déclaration rendait l’usage du français obligatoire dans l’affichage public et la

publicité commerciale et interdisait l’utilisation de tout terme ou expression étrangère

afin « de sortir du modèle unique anglo-marchand qui était en train de se répandre

dans un certain nombre de pays » et « d’assurer la primauté de l’usage de termes

francophones traditionnels face aux anglicismes ». Cependant, par suite des nombreuses

critiques qu’il suscite, ce projet de loi est allégé par le Conseil constitutionnel en

vertu de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme qui consacre la liberté

d’expression. On ne peut interdire pour autant l’usage de mots étrangers car le français

est une langue vivante non figée et le fait de produire des textes comme « des fans de

foot aux adeptes du camping », ou simplement,« ceux qui partent en weekend avec

un bon bestseller à dévorer », ne lui font pas perdre son statut et ne devraient pas

inquiéter les puristes puisqu’il ne s’agit que d’emprunts lexicaux souvent francisés ; or

une des missions primordiales de l’Académie française est de « veiller à ce que ne soit

touchés ni le système phonologique, ni la morphologie, ni la syntaxe ».

Mais en 2013 la loi Fioraso semble raviver la flamme de cette polémique à partir

du moment où la Loi Toubon, qui était destinée à protéger le patrimoine linguis-

tique français, est modifiée3. Il s’agit en effet, de « rendre la France plus attractive

aux yeux des étudiants étrangers » et dispenser une partie des enseignements

universitaires en anglais. La poudre s’enflamme, les uns affirmant qu’il n’y a pas de quoi

s’effaroucher puisque dans les formations disponibles on compte actuellement plus de

800 cours dispensés en anglais soit 496 formations (Hagège, 2012) ; tandis que les autres

estiment que cette loi est une menace importante pour la situation du français dans

l’enseignement supérieur et favorise sa marginalisation. Le fait que l’article deuxième

de cette loi déclare que « la maîtrise de la langue française et la connaissance de

deux autres langues font partie des objectifs fondamentaux de l’enseignement » - alors

qu’en Grande Bretagne l’apprentissage d’une langue étrangère n’est plus obligatoire

depuis 2001- et que des exceptions peuvent être justifiées, même si « la langue de

l’enseignement, des examens et concours, ainsi que des thèses et mémoires dans les

établissements publics et privés d’enseignement est le français », est la preuve d’un

glissement de terrain quant à l’emprise de l’état sur la langue nationale :

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La place que le système d’enseignement accorde aux différentes langues (ou aux différents contenus culturels) n’est un enjeu si important que parce que cette insti-tution a le monopole de la production massive des producteurs-consommateurs, donc de la reproduction du marché dont dépend la valeur sociale de la compétence linguistique, sa capacité de fonctionner comme capital linguistique. (Bourdieu, 2001: 87)

Les autorités françaises actuelles de l’éducation et de la recherche insistent dans leurs discours sur « l’université pour l’emploi », « l’insertion professionnelle », « l’alternance » et pensent remédier au chômage de 25% des jeunes en encourageant les universités à élargir les sentiers de l’anglais. En 2007-2008, 47% des directeurs de recherche ont dispensé des cours en anglais et 77% des directeurs de laboratoire de recherche estiment que l’anglais est devenu incontournable. L’enseignement supérieur devient pour beaucoup de dirigeants d’écoles une marchandise comme une autre et la motivation des étudiants est purement commerciale si on en juge les disciplines qui attirent le plus grand nombre d’étudiants, à savoir manager d’entreprise commer-ciale, ingénieur, urbaniste, soit des professions qui répondent aux besoins réels des sociétés modernes. Au plan scientifique, les découvertes de chercheurs qui ne publient pas en anglais sont occultées (Hagège, 2012 : 112). Les défenseurs de la langue du roi haussent le ton car il ne s’agit plus d’emprunts ni d’anglicismes sinon d’un véritable « façonnement des esprits » par l’anglo-américain. En 1978, le président des États-Unis d’Amérique rappelait que c’était une erreur de sous-estimer le pouvoir des mots et des idées qu’incarnent les mots :

[…] les cultures qui façonneront le monde de demain seront celles qui pourront projeter leur image, exercer une influence prédominante et un contrôle à longue portée […] l’Amérique devra imposer les méthodes de ses entreprises, ses techniques bancaires et commerciales, et aussi ses systèmes et ses concepts juridiques, sa philo-sophie politique, sa façon de communiquer, ses idées sur la mobilité, et même dans le domaine de l’art. (Hagège, 2012: 60)

Grâce à l’immense marché mondialisé, l’expansion économique et politique des États-Unis impose l’anglais comme langue commerciale internationale des échanges capitalistes et vassalise la France à l’empire économique américain. Les institutions suivent et prétendent généraliser l’anglais à l’école primaire, sans se soucier si le français a été correctement acquis préalablement (Hagège, 2012). L’enseignement de l’anglais est accompagné de l’essor des industries culturelles américaines, notamment le cinéma qui enveloppe les esprits de l’American way of thinking, avec comme idéologie la conquête de l’esprit des hommes. Le pouvoir du nouvel ordre mondial est ce que les américains appellent le « soft power », pouvoir fondé sur les contenus et non plus sur les armes.

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Quelle langue parlons-nous, quelle langue enseignons-nous ?

En contrepartie la Délégation générale à la langue française et aux langues de

France qui se proclame « Organe de réflexion, d’évaluation et d’action qui anime et

coordonne l’action des pouvoirs publics pour la promotion et l’emploi du français, veille

à favoriser son utilisation comme langue de communication internationale et s’efforce

de valoriser les langues de France et de développer le plurilinguisme », fonde ses

valeurs sur le fait que :

« De tous les liens que nouent les hommes dans la cité, le lien de la langue est le plus

fort, parce qu’il fonde le sentiment d’appartenance à une communauté. Parce que la

mondialisation des échanges et les progrès de la construction européenne ne cessent

de le faire évoluer, les pouvoirs publics sont appelés à réaffirmer une politique de

la langue qui, tout en veillant à garantir la primauté du français sur le territoire

national, participe à l’effort de cohésion sociale et contribue à la promotion de

la diversité culturelle en Europe et dans le monde ».

L’enseignement du français comme langue seconde ou étrangère

Le Conseil de la Coopération culturelle du conseil de l’Europe, dans son préambule

de la Recommandation R (82) 18 du Comité des ministres du conseil de l’Europe, insiste

sur le fait que :

Le riche patrimoine que représente la diversité linguistique et culturelle en Europe

constitue une ressource commune précieuse qu’il convient de sauvegarder et de

développer et que des efforts considérables s’imposent dans le domaine de l’édu-

cation afin que cette diversité, au lieu d’être un obstacle à la communication,

devienne une source d’enrichissement et de compréhension réciproque. (CECR,

2001 : 9-10)

Le Cadre européen commun de référence pour les langues serait l’aboutissement

d’une volonté des chefs d’états de l’Europe unie de « parvenir à une plus grande

unité parmi ses membres […] par l’adoption d’une démarche commune dans le domaine

culturel » (CECR, 2001 : 9). Sa mission serait avant tout de « promouvoir des méthodes

d’enseignement des langues vivantes qui renforcent l’indépendance de la pensée,

du jugement et de l’action combinée à la responsabilité et aux savoir-faire sociaux »

(CECR, 2000 :11). Il se définit lui-même comme une base commune pour l’élabo-

ration de programmes de langues vivantes, de référentiels, d’examens, de manuels.

Ce document prescriptif élaboré par des spécialistes et destiné aux concepteurs de

manuels, formateurs et professeurs de langue est le second en son genre après le

« français fondamental » qui avait contribué à faire éclater les modèles vernaculaires

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de l’enseignement des langues. Il semble cependant qu’il y ait en son sein une déchirure

au moment de définir ses objectifs puisqu’il ne s’agit plus d’apprendre une langue

pour elle-même, dans toute sa dimension historique, sinon d’acquérir des compétences

langagières qui incluent des compétences linguistiques, sociolinguistiques et pragma-

tiques. Connaître la langue signifie, dans cette optique contemporaine, transmettre

des informations, exprimer des idées ou des préférences, argumenter son point de

vue dans les négociations d’entreprises et la vie publique (Judet de la Combe, 2006).

Mais vouloir découper l’apprentissage d’une langue en compétences pourrait plaider

contre la défense avouée d’une « langue de culture » ; l’enseignement du français

impliquerait, comme le rappelle le CECR, une prise de conscience interculturelle avec

« la connaissance, la conscience et la compréhension des relations entre le monde d’où

l’on vient » et « le monde de la communauté cible » et de leur diversité régionale et

sociale. Une telle conception de l’enseignement apprentissage devrait s’opposer à une

« langue utilitariste, rationaliste, en tant que moyen de communication généralisée et

efficace entre les individus » (Judet de la Combe, 2006 : 3). C’est ce tiraillement entre

discours officiels et pratique didactique qui me dicte ce qui suit.

Les méthodes de FLE sont devenues des sources inépuisables de savoirs et savoir-

faire ; elles proposent de nombreuses activités dans une approche interactionnelle à

mille atouts, propices à la motivation des étudiants et si denses qu’on doit en faire le

tri. Cependant, si on veut bien contextualiser les pratiques des didacticiens en situation

exo lingue, il devient difficile parfois de suivre les intentions des auteurs et force est de

constater que la pratique langagière subit l’influence incontrôlable et donc incontour-

nable de « l’anglo-américain ».

Corpus de « l’Inconnu »

Dans la méthode Alter ego A1 + (Berthet, 2012 : 105, 109), à plusieurs reprises on

demande aux étudiants de réaliser un reportage sur un flash mob. Inutile de dire que

le choc culturel est absolu pour une enseignante native vivant hors de France depuis

bien longtemps. Qu’est-ce qu’un flash mob ? Suite à une recherche sur Wikipedia

(!), j’ai appris que c’était un terme anglais, traduit en français par « foule éclair

ou mobilisation éclair ». Cette expression se réfère au rassemblement d’un groupe

de personnes dans un lieu public pour y effectuer des actions convenues d’avance,

avant de se disperser rapidement. Ce rassemblement est généralement organisé au

moyen d’internet et les participants ne se connaissent pas pour la plupart. Dans Alter

ego B1 (Dollez, Pons, 2006 : 14, 15), les auteurs proposent un dossier sur le conseil

en image intitulé « Coache toujours, tu m’intéresses ! ». Le concept d’ « image » à

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Quelle langue parlons-nous, quelle langue enseignons-nous ?

l’heure actuelle a peu en commun avec les images des manuels de l’école primaire de mon enfance, seul support de la leçon de choses. Coacher, relookage ou relooking me mènent à considérer qu’il s’agit bien d’une révolution des mœurs à laquelle je n’ai jamais participé. Heureusement la toile est conseillère : « Pour Votre Réussite : le coaching c’est l’art d’accompagner une personne à la réalisation de ses objectifs. Vous pouvez avoir recours au Coaching spécial créateur d’entreprise ou même au Coaching spécial retraite. Un coach c’est un entraîneur, un professeur, un facilitateur, un coach quoi, mais cela peut signifier aussi wagon ou voiture »4. Et coacher ? La pensée en français est nettement plus compliquée ; elle retient que « to coach » veut dire aider quelqu’un à faire quelque chose, enseigner, montrer à quelqu’un comment faire quelque chose. Quant au relooking, « mon-relooking.fr » est le spécialiste de votre beauté : salon de coiffure, bien-être, analyse de la peau, soins du visage, soins du corps, beauté des pieds/mains, pose d’ongles mains et pieds, épilation, maquillage, maquillage permanent ; ou encore :

« Le relooking accessible à tous, avec un vrai coach en image ; « look ’in relooking vous aide à mettre toutes les chances de votre côté pour un look tendance et original adapté à votre personnalité et votre morphologie en exploitant tous vos atouts et en dissimulant vos éventuels petits défauts ».

Dans Édito B1 (Heu, 2012 : 92, 112), le couchsurfing ne signifie pas « surfer » sur la toile couché. Non, le couchsurfing permet de se loger gratuitement dans le monde entier et, surtout, offre la possibilité de rencontrer les habitants des pays visités5. « Le site internet couchsurfing.com comptant près de 900 000 membres permet aux voyageurs d’entrer en contact avec des particuliers des quatre coins de la planète qui leur prêtent leur canapé ». Déprimé ? Pas de soucis ! Métamorphosez-vous en géoca-cheur ! Le geocaching est « une activité de plein air consistant à retrouver dans la nature, à l’aide d’un GPS ou d’un smartphone, des boîtes cachées par d’autres personnes »6. De découverte en découverte, en feuilletant Édito B2 (Brillant, 2010 : 27, 30), nous apprenons que les étudiants devront organiser un bookcrossing, c'est-à-dire « remettre des livres en liberté ». « Il s’agit de faire circuler des livres en les « relâchant » dans la nature. Des ouvrages, qui ont préalablement été indexés sur Internet, sont «déposés» dans un parc, un jardin, un restaurant […] »7. Je suis épuisée, et pourtant il y a encore un quart d’heure mon look était hyper-tendance et vous venez me demander : dans Paris chic and trendy : jactez-vous « hype » ou « branché ». Heureusement les auteurs nous préviennent : « le lexique de la mode et des tendances comportant un grand nombre de termes anglais, on ne s’étonnera pas du foisonnement des anglicismes dans cette unité ». Mais s’agit-il uniquement de lexique?

L’approche interactionnelle/interculturelle oriente sans cesse nos étudiants vers une immersion sur la toile web, les réseaux sociaux et les médias consacrés comme tv5, RFI,

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ou par le biais de la publicité. Un bain francophone ne peut être que profitable à nos

étudiants. Or, on commence à se poser des questions quand Madame la ministre de la

culture et de la recherche nous dit : « j’ai travaillé dans une startup » ou quand Yahoo.

fr8 déploie :

« La ville d’Issy-les-Moulineaux défend sa «geek» attitude ».

« Au programme à la télé : Princesses, Pop Stars & Girl Power «Girls, girls, girls !» »,

ou « Comment, à coups de romans sentimentaux, de séries télé, de codes vestimen-

taires, les petites princesses d’hier sont devenues des bad girls ».

« «Chandelier» : le nouveau buzz prodigieux de Sia dans «Danse avec les stars» US.

« Beauté : Les carrés qui vont buzzer ! »

« Pris en flag ! Le prince Harry surpris en train d›embrasser une mystérieuse

blonde ! »

« Au Royaume-Uni, le vinyle is not dead »9.

Et que disent les petites annonces ?

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Il y a quelques années, la publicité était le rêve des professeurs de langue, le

document authentique par excellence; il est bien difficile aujourd’hui de l’utiliser pour

illustrer la morphosyntaxe du français car la plupart des spots publicitaires présents

sur la toile sont partiellement ou totalement en anglais. C’est donc le moment de

réfléchir sur ce qui est en train d’être bouleversé à l’échelle planétaire. Personne ne

peut contester actuellement l’hégémonie de l’anglais, mais la discorde apparaît au

moment des discours officiels de défense de la « langue française » dans le cadre de

grandes organisations. Certains académiciens considèrent qu’elles sont le reflet d’un

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Quelle langue parlons-nous, quelle langue enseignons-nous ?

passé révolu où la France « rayonnait » tant par sa culture que par sa langue tout en

promouvant son expansion territoriale et économique. Paul Bogaards refuse de s’aligner

sur les discours défenseurs de la langue française. Il considère que malgré les 10% du

lexique emprunté de l’anglais présents dans le « Petit Robert » on ne parle pas franglais.

Les emprunts, dit-il, ne risquent pas de former une langue à part entière ; ils ne font

que confirmer que nous vivons dans un village planétaire dans lequel la lingua franca est

l’anglais tout comme l’a été le latin sous la domination de Rome et le français jusqu’au

siècle dernier (Bogaards, 2008 : 188,189). Louis-Jean Calvet, pour sa part, considère que

la défense de la diversité linguistique cache « l’opposition à la domination de l’anglais

de la part des locuteurs de langues super centrales ». Son « modèle gravitationnel »

actualise la communication en cercles concentriques dans lesquels elle aurait lieu selon différents registres d’une même langue ou d’autres langues : la langue parlée dans le cercle familial se distinguerait ainsi de celle du quartier, de l’école et du travail ou de la langue administrative officielle (Calvet, 2004 : 3-4). Dans cette optique, une lingua franca devrait être considérée nécessaire dans un monde de plus en plus interactif. Cependant certains académiciens qui soutiennent la mondialisation comme chemin historique, soupçonnent malgré tout un danger inhérent au concept de lingua franca. « Les langues, écrit Pierre Frath, véhiculent des conceptions du monde, et celles qui s’imposent sont le plus souvent celles des classes sociales dominantes des peuples qui les parlent. Il n’est pas sûr que l’idéologie véhiculée par l’anglais soit très bénéfique » (2001 : 31).

Les emprunts lexicaux, en grande majorité anglicismes, ont souvent été la consé-quence, d’une part, des « modes » ou des marques de distinction et, d’autre part, d’un enrichissement des langues, mais aujourd’hui l’ampleur et le caractère trans-versal du phénomène intercontinental méritent notre attention. Romantiques ou utili-taristes, nombreux sont ceux qui tirent la sonnette d’alarme car « chaque langue est le miroir d’un peuple et de ses représentations » et il semble de plus en plus évident que les « emprunts de l’anglo-américain, langue de service utilitariste, conduisent à un phénomène de « formatage des esprits » qui ne peut que nous précipiter dans le gouffre de la « pensée unique » (Hagège, 2012 : 59). Dans cette perspective, Frath affirme que « les vrais dangers ne proviennent pas des emprunts à la langue anglaise ni de son usage, mais bien plutôt de notre soumission à certaines conceptions qu’elle véhicule » (2001 : 34), et Hagège stipule :

[…] la légitimation […] de l’action internationale des États-Unis est souvent soutenue par la conviction d’accomplir une mission à l’égard du monde […]. C’est là ce qu’il faut comprendre quand l’American Assembly, organe de réflexion et de conseil chargé d’assister les plus hauts responsables politiques, souligne l’altruisme foncier de l’action américaine, orientée vers l’ « éducation internationale » comme « partie intégrante du rêve américain », fondé sur des valeurs que l’Amérique entend faire

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partager au monde entier. (2012 : 45).

Nous sommes en présence « d’une crise profonde de la langue […] qui s’appauvrit au

plan lexical et syntaxique et se dégrammaticalise » (Hagège, 2012 : 51). Parallèlement,

les prescriptions du Ministère de l’Éducation vont dans le sens d’une éducation bilingue

avec l’acquisition précoce de l’anglais international qui ne doit plus être considéré

comme « langue étrangère » ; la connaissance de ces deux langues serait la garantie du

« succès » des élèves et de leurs performances dans le monde contemporain (Judet de

la Combe, 2006).

Pour conclure

Ce qui est perçu comme une contradiction, en voulant applaudir d’une part la mondia-

lisation des échanges entre les hommes qui ont finalement la possibilité d’adhérer à des

solidarités internationales et d’autre part avertir du danger flagrant que cela implique

au plan culturel est, d’après ma propre expérience, la réponse peut-être affective mais

réelle de beaucoup de francophones qui d’une manière ou d’une autre ont été sevrés

trop tôt de leur culture ou langue maternelle ou sociale et se sont retrouvés à court

d’identité. La défense des langues va bien au-delà d’une attitude réactionnaire qui

voudrait conserver les normes académiques dans des bibliothèques bien aseptisées. La

défense des langues c’est aussi la défense de la diversité culturelle, avec son corol-

laire, l’appartenance, dont une composante très importante est la langue. La mondia-

lisation ressemble plus à une recolonisation du monde, dans tous les domaines, avec

l’appui des moyens de communication de masse et l’exportation des industries cultu-

relles américaines. Ce softpower garantit son succès parmi les sociétés urbaines parce

qu’il s’adresse aux jeunes qui vivent de plus en plus dans l’immédiat d’une société

hédoniste et ne s’identifient pas à l’idéologie parentale (si la famille existe encore) et

trouvent dans l’« american way of life » et l’« american way of thinking» un confort

homogénéisant qui a cependant la vertu de les convaincre de leur « originalité ». Et

pour éviter mon burnout10, je termine ce texte avec une citation d’Hervé Juvin :

Est-il venu le temps de l’homme de nulle part ? La question est actuelle. Elle est

posée par les nouvelles règles de l’établissement humain qui promettent l’heureux

avènement de l’individu. Car ils sont nombreux, ceux qui ne disent plus d’où ils sont,

qui ne veulent plus ou qui ne peuvent plus le dire. […], des hommes comme nous, qui

ne savons plus très bien qui nous sommes (2013 :15).

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Quelle langue parlons-nous, quelle langue enseignons-nous ?

Bibliographie Berthet, A. et al. 2012. Alter ego +A1. Méthode de français. Paris : Hachette.Bogaards, P. 2008. On ne parle pas franglais. La langue française face à l’anglais. Bruxelles : De Boeck-Duculot.Bourdieu, P. 2001. Langage et pouvoir symbolique. Paris : Fayard.Brillant, C. et al. 2010. Le nouvel édito. Niveau B2. Paris : Didier.Calvet, L. J. 2004. « Les effets linguistiques de la mondialisation ». Cafés géographiques. http://cafe-geo.net/article.php3?id_article=488 [consulté le 8 décembre 2014] CECR, 2001. Cadre européen commun de référence pour les langues. Paris : Didier.Dollez, C., Pons, C. 2006. Alter ego. Méthode de français. Paris : Hachette.Étiemble, R. 1991. Parlez-vous franglais ? Paris : Folio. Frath, P. 2001. « Hégémonie de l’anglais: fantasmes et dangers ». Les Langues modernes, no3, p. 31-38.Gobert, P. 1975. « Pour ou contre le franglais ». Communication et langages, n°26. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/colan_0336-1500_1975_num_26_1_4198.[consulté le 24 septembre 2014].Hagège, C. 1996. Le français, histoire d’un combat. Paris : Le livre de poche. Hagège, C. 2012. Contre la pensée unique. Paris : Odile Jacob.Heu, E. et al. 2012. Le nouvel édito. Niveau B1. Paris : Didier.Judet de la Combe, P. 2006. « Pourquoi s’intéresser à la langue ? Réflexions pour un projet d’édu-cation européenne ». Texto, no1. http://www.revue-texto.net/Inedits/ Delacombe_Langue.html [consulté le 10 janvier 2015].Judet de la Combe, P., Wismann, H. 2004. « De l’avenir des langues », Labyrinthe, no19. http://labyrinthe.revues.org/233 [consulté le 15 mai 2015].Juvin, H. 2013. La grande séparation. Pour une écologie des civilisations. Paris : Gallimard.Morin, O. 2011. Comment les traditions naissent et meurent. La transmission culturelle. Paris : Odile Jacob.Rollot, J. « Pascal Chabot, Global Burn-out ». Lectures. http://lectures.revues.org /11524Chabot [consulté le 30 mai 2015].

Notes

1. Ces deux concepts sont introduits par Pierre Judet de la Combe et Heinz Wismann dans leur ouvrage L’avenir des langues. Repenser les humanités.2. Loi nº 94-665 du 4 août relative à l’emploi de la langue française.3. Article 11 abrogé par Ordonnance 2000-549 2000-06-15, art. 7 JORF, 22 juin 2000 : I. La langue de l’enseignement, des examens et concours, ainsi que des thèses et mémoires dans les établissements publics et privés d’enseignement est le français, sauf exceptions justifiées par les nécessités de l’enseignement des langues et cultures régionales ou étrangères ou lorsque les enseignants sont des professeurs associés ou invités étrangers. Les écoles étrangères ou spécia-lement ouvertes pour accueillir des élèves de nationalité étrangère, ainsi que les établissements dispensant un enseignement à caractère international, ne sont pas soumis à cette obligation.4. http://www.wordreference.com/enfr/coach (consulté le 20 mai 2015).5. http://www.routard.com/guide_dossier/id_dp/81/num_page/2.htmk (consulté le 20 mai 2015).6. http://france-geocaching.fr/ (consulté le 18 mai 2015).7. http://www.consoglobe.com/bookcrossing-cg (consulté le 20 mai 2015).8. Yahoo.fr et Yahoo finances du 15 octobre 2014.

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9. http://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/0203869145255-au-royaume-uni-le-vinyle-is-not-dead- (consulté le 17 octobre 2014).10. Le burn-out est le nouveau mal du siècle, comme le reconnait Pascal Chabot : « à l’image de nos cinq témoins, il frappe ceux que leur angoisse perfectionniste ou un management pervers dévore. Mais il marque aussi le signal d’une nécessaire transformation de notre rapport au travail » (cité par Rollot, 2013).

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© Revue du Gerflint. Éléments sous droits d'auteur.

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Francophonie : « Le français est une chance »

Synergies Mexique n° 5 - 2015 p. 55-69

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Reçu le 09-04-2015/ Évalué le 19-05-2015/ Accepté le 14-08-2015.

Résumé

Dans cet article nous essaierons de montrer en quoi la francophonie, phénomène linguis-tique et culturel présent sur les cinq continents, peut représenter un plus dans l’ensei-gnement /apprentissage du FLE. Après une brève description des concepts de norme et de variation, nous proposerons un exemple de variation linguistique et culturelle, extrait de la littérature-monde, (ou littérature d’expression française) pour montrer la complexité et les richesses de l’expression dite francophone et l’importance d’initier les apprenants à sa découverte, tout en sachant cependant que l’enseignement de la norme reste encore le moyen le plus usuel de promouvoir l’intercompréhension entre tous les francophones, natifs ou apprenants.

Mots-clés : francophonie, diversité, norme, variation

Francofonía: « la cultura es una oportunidad »

Resumen

En ese artículo, intentaremos mostrar en qué la francofonía, fenómeno lingüístico y cultural presente en los cinco continentes, puede representar un plus en la enseñanza/aprendizaje del FLE. Después de una breve descripción de los conceptos de norma y de variación, propondremos un ejemplo de variación lingüística y cultural, extraído de la littérature-monde, (o literatura de expresión francesa) para mostrar la comple-jidad y las riquezas de la expresión llamada francófona y la importancia de iniciar a los aprendientes a su descubrimiento, sabiendo sin embargo que la enseñanza de la norma sigue siendo el medio más usual de promover la intercomprensión entre todos los francófonos, nativos o aprendientes

Palabras clave francofonía, diversidad, norma, variación

Speaking French: French is an opportunity

Abstract

In this article, we will try to show how French speaking countries, linguistic and cultural phenomena present in the five continents, can represent plus in the FFL teaching/learning process. After a brief description of the concepts of standard and variation, we

Clotilde Barbier MullerUniversidad de Sonora, Mexique

[email protected]

GERFLINT

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Synergies Mexique n° 5 - 2015 p. 55-69

propose an example of linguistic and cultural variation, taken from world literature, (or French literature) to show the complexity and richness of the so called French-speaking expression and the importance of initiating the learners in its discovery, knowing never-theless that teaching the standard is still the most usual way to promote understanding among all French-speakers, be they natives or learners.

Keywords: French speaking countries, diversity, standard, variation

Le français est une chance… Une chance qu’on s’a

1. Le français, langue plurielle

Ces affirmations généreuses, dynamiques, véritables invitations à un partage de

valeurs positives fleurissent depuis quelque temps comme slogans de divers organismes

francophones (Organisation Internationale de la Francophonie, Centre de la Francophonie

des Amériques) et il nous parait intéressant de nous arrêter sur ce mot « chance » et sur

les raisons de l’associer à la langue qu’on enseigne.

Nous remarquons depuis plusieurs années que toutes les méthodes d’enseignement

de FLE incluent à présent de nombreuses références, activités, informations relatives à

la francophonie dans le parcours d’apprentissage comme si on ne pouvait plus désormais

limiter l’enseignement du français à ses seules caractéristiques franco-françaises.

Dans notre domaine de la Didactique des Langues et des Cultures (DDLC), la première

réponse que nous pouvons apporter à la question : Pourquoi une chance ?, est que

la francophonie représente par excellence la diversité autant linguistique que cultu-

relle puisque le français est une langue parlée sur les cinq continents et qui vit au sein

de centaines de cultures différentes. Nous, professeurs de langue française, sommes

donc confrontés au défi d’enseigner une norme d’intercompréhension nécessaire à tout

apprentissage d’une langue dite universelle mais également de tenir compte de ses

variations et de les inclure dans l’enseignement afin de donner sa dimension pluricul-

turelle au français.

Sans prétendre couvrir tous les aspects des deux concepts linguistiques de norme et

de variation linguistique, nous les présenterons brièvement afin de mesurer leur place

dans la francophonie et enfin leur place dans l’enseignement du FLE. Bien que le sujet

de cet article ne permette pas de développer plus amplement cet aspect, nous pouvons

d’ores et déjà affirmer que tel qu’il est encore conçu actuellement, l’enseignement du

français aux apprenants de FLE, ne promeut pas l’appropriation ni de la variation socio-

linguistique, ni de la variation sociogéographique de cette langue car le français des

enseignants et des auteurs de manuels offrent aux apprenants un modèle linguistique

fortement standardisé, comme cela a été démontré dans l’examen de certains manuels

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Francophonie : « Le français est une chance »

de français utilisés dans les programmes d’enseignement du FLE au Mexique (Barbier,

2013) et qui a révélé essentiellement deux choses : d’une part ces manuels, par souci

d’(excessive) homogénéisation, véhiculent une variété de français qui est encore plus

standardisée que celle des enseignants et d’autre part, lorsque les manuels font parfois

place à certains usages variationnels, ils n’en font aucune exploitation pédagogique,

mais en accentuent plutôt l’étrangeté, les rendant ainsi encore plus complexes et

sources de difficultés supplémentaires pour l’apprenant. Il incombera alors aux respon-

sables de programmes d’enseignement de FLE, aux enseignants eux-mêmes soucieux de

ne pas enfermer la langue dans un carcan normatif trop souvent réducteur, d’inclure

progressivement la mosaïque de l’espace francophone dans la transmission des savoirs

linguistiques et culturels afin de prouver que le français est une langue vivante et

ouverte au monde, qui lui donne son statut de langue internationale.

1.1. La diversité linguistique 1.1.1. Le modèle gravitationnel

Avant d’aborder les concepts de variation et de norme d’une langue, il semble

pertinent d’une part, de rappeler le « modèle gravitationnel » de Calvet (1999) qui nous

décrit le système des langues en général, de leurs relations, de leur fonctionnement, de

leur hiérarchie et qui se pose comme une base à l’étude de la variation, dans la mesure

où toute cette diversité des langues crée de nombreuses interdépendances entre elles,

dans certains cas de partage de territoires et explique en partie le phénomène de la

variation à l’intérieur de chacune d’entre elles.

Il existe aujourd’hui à la surface du globe entre 6500 et 7000 langues dont les unes

sont parlées par plus de cent millions de personnes (le chinois, l’anglais, le malais,

l’espagnol, le portugais, l’arabe, le français, le hindi) et les autres par une poignée

de locuteurs (…). On imagine aisément que ces dernières ont un avenir sombre,

condamnées à disparaître dans un proche avenir. Celles qui occupent le haut du

tableau, comme toutes les langues qui se sont répandues sur un vaste territoire,

sont de leur côté confrontées à la possibilité d’éclatement : face au français ou à

l’anglais standards on voit apparaître en Inde, au Sénégal, au Congo ou au Nigeria

des formes locales qui pourraient se transformer en langues nouvelles, comme le

latin s’est transformé en diverses langues ou comme l’arabe classique a donné les

formes dialectales actuelles. (Calvet, 2004 : 287)

1.1.2. Diversité horizontale vs diversité verticale

D’autre part, quand Dahlet (2007) propose un modèle plus respectueux de la diversité

linguistique que la globalisation anglophone, il mentionne alors la collaboration de

trois langues « super centrales » (le français, l’espagnol, le portugais) et lorsque la

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Synergies Mexique n° 5 - 2015 p. 55-69

Francophonie, l’Hispanophonie et la Lusophonie font alliance dans le cadre des Trois

Espaces Linguistiques (TEL) - opération commune menée depuis trois ans par l’Agence

Intergouvernementale de la Francophonie, l’Organisation des Etats Ibéro-Américains,

l’Union Latine et la Confédération des Pays de Langue Portugaise - elles défendent un

modèle de « diversité horizontale » limitée à trois langues, bien que dans chacun de ces

trois espaces linguistiques existent d’autres langues, le plus souvent dominées.

C’est ce que Calvet (2004 : 291) appelle « la diversité verticale » qui décrit « les

rapports entre ces langues et celles qui gravitent autour d’elles (les langues « centrales »

ou « périphériques »). On trouve alors en haut de la hiérarchie « l’hyper langue »,

l’anglais suivie par les « langues super centrales » telles que l’espagnol, le français, le

portugais, le mandarin, l’hindi, l’arabe, suivies par les « langues centrales » telles que

le breton, les créoles, le bambara, le wolof, etc… pour trouver en fin de hiérarchie,

les langues périphériques telles que les créoles de Guyane, le peul, et toutes les autres

langues parlées par des minorités.

La Francophonie a fait en ce sens, le choix de « promouvoir la diversité culturelle

et linguistique et d’articuler l’enseignement du français avec les langues partenaires

locales », mais assume-t-elle aussi que s’il y a diversité des langues il y a aussi diversité

des formes d’une même langue? Il y a donc deux fronts dans la défense de la diversité :

celui de la diversité des langues du monde, mais celui aussi de la diversité interne à

chacune de ces langues et en ce qui concerne les langues « super centrales » de grande

diffusion, les variantes qui se créent à partir des contacts qu’elles vivent avec toutes

les langues qui cohabitent sur les mêmes territoires.

1.1.3. Ecolinguistique

Dans un phénomène d’acclimatation quasi écologique, Calvet (1999) démontre que

les langues « super centrales » au contact des « langues périphériques » avec lesquelles

elles sont constamment en contact, subissent des changements et il le décrit comme

un phénomène « d’écolinguistique » où les langues prennent des formes différentes

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Anglais

Espagnol Français Portugais

Guarani Quichua Créoles Langues de Cajun Tupi, lengua geral, etc. Guyane

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Francophonie : « Le français est une chance »

selon les espaces où elles sont parlées. Le français dans la francophonie s’acclimate

aux espaces américains, européens, africains selon les histoires, les géographies, les

peuples, les us et coutumes et nous voyons aujourd’hui se manifester des formes locales

caractéristiques et reconnaissables telles que celles de la phonétique du français

québécois ou de la créolisation du français dans les Antilles ou encore de la pidgini-

sation du français dans certains pays africains. Calvet remarque alors :

[…] Si ces pays francophones conservent le français comme langue officielle, alors le

français deviendra un français local, de pays en pays. Et ceci nous mène à d’autres

questions de politique linguistique, en particulier au problème de la norme. Il existe

dans le monde hispanophone des académies de la langue, pays par pays, et la Real

Academia se vante d’intégrer à son dictionnaire des formes non ibériques. Rien de

semblable pour le français : il n’existe pas d’académie congolaise ou sénégalaise, et

si les dictionnaires français intègrent parfois des formes sénégalaises par exemple,

c’est parce que des Français en décident ainsi.

On continue dans le même temps à enseigner au Sénégal le français standard

hexagonal. À l’heure où la Francophonie met au centre de ses préoccupations la

diversité, il ne faut pas oublier que le respect de cette diversité impliquerait préci-

sément la prise en compte de ces formes locales. (Calvet, 2004 : 292)

On constate donc que malgré tant de diversité interne, il semble difficile d’accepter

la diversité jusqu’au bout et on continue à tendre vers l’unification et vers une norme

centralisatrice qui naît elle-même de différentes variétés. En effet, le choix d’une

norme dépend des rapports de forces qui existent dans les lieux où il en est question

et nous allons voir que de toutes les variétés présentes, une seule sera choisie pour

représenter tous les locuteurs de la communauté linguistique.

1.1.4. Les variétés linguistiques

Les sociolinguistes recensent différents types de variétés de langue :

• L’idiolecte : lorsque la variété est propre à une seule personne (le timbre de

voix, le rythme, l’histoire personnelle ou familiale).

• Le dialecte : lorsque la variété est propre à une région géographique, on parle

de variété dialectale, de régionalisme. Le noyau de cette variété est proche

du français standard mais elle s’en éloigne par des écarts phonologiques et

lexicaux. 95% des régionalismes sont d’ordre lexical et 5% seulement sont d’ordre

grammatical, selon le dialectologue Tuaillon cité par Girard et Lyche (2004).

On distinguera régionalisme de dialecte, plus éloigné du français standard sur

les plans morphologique et syntaxique et plus difficile à comprendre pour un

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Synergies Mexique n° 5 - 2015 p. 55-69

locuteur d’une autre région qu’un français régional.

• Le sociolecte : lorsque la variété est liée à un groupe social tel que la classe

sociale, l’âge, le sexe, l’appartenance d’origine, la religion, le niveau d’édu-

cation, l’habitat.

Des variations stylistiques superposées à celles-ci en dériveront telles que :

• Le français soutenu, calqué plus ou moins sur l’écrit et caractérisé par le choix

lexical, une élocution lente, une recherche de complexité syntaxique et une

certaine rigueur phonétique.

• Le français ordinaire/familier que Gadet définit ainsi :

Ce n’est bien sûr pas le français soutenu, ni recherché, ni littéraire, ni puriste.

Mais ce n’est pas non plus (pas seulement) le français oral ou parlé puisqu’il peut

s’écrire. Pas davantage le français populaire, ramené à un ensemble social. C’est

davantage le français familier, celui dont chacun est porteur dans son fonction-

nement quotidien, dans le minimum de surveillance sociale : la langue de tous les

jours. (1989 : 3)

• Le français populaire analysé par Bourdieu qui y souligne la valorisation de la

virilité et que Gadet (1989) définit comme le français parlé par des locuteurs

ayant les caractéristiques sociales suivantes : « profession ouvrière ou assimilée,

niveau d’études réduit, habitat urbain, salaire peu élevé, niveau de responsa-

bilités limité », le définissant ainsi comme « un usage non standard stigmatisé

caractérisé par une grande variation » (Gadet, 1989 : 3).

• La francophonie : où l’on va retrouver toutes les variétés précédentes et qui va

multiplier ces variétés géographiques et sociales par le nombre de ses membres.

1.2. Normes francophones

Dans l’exemple de variation stylistique francophone qui sera présenté ultérieu-

rement, nous découvrirons Birahima, héros d’un roman de Kourouma en proie à une

véritable crise existentielle dans ses rapports avec la langue qu’on pourrait même

qualifier de « schizophrénie », -schizoglossie-, dirons-nous à présent comme le recom-

mande Calvet-. Cette crise symbolique pourrait être celle de tous les linguistes ou

socio linguistes de la francophonie qui, depuis plusieurs décennies, sont confrontés

aux problèmes d’hétérogénéité de la francophonie. Il semble en effet que, jusque

maintenant on n’ait pas encore réellement surmonté l’aspect descriptif centraliste de

la langue qui se trouve dans les ouvrages de référence. Il y a toujours un déchirement

entre d’une part, le besoin de reconnaitre la diversité linguistique, incontournable à

présent depuis les travaux de Labov, et d’autre part le besoin d’un modèle normatif qui

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Francophonie : « Le français est une chance »

mette fin au « désordre » de tant de systèmes linguistiques différents.

1.2.1. De la variation à la norme

S’il existe autant de variétés dans une langue, on peut donc se poser la question :

quand et comment un ensemble de variétés forme-t-il une langue compréhensible et

exprimable par le plus de locuteurs possibles, une langue cohérente, structurée avec

suffisamment de rigueur pour être enseignée et diffusée parmi le plus grand nombre

d’apprenants?

On ne peut répondre à cette question qu’en associant les concepts de variations

présentés ci-dessus, issus d’un même bloc sur lequel chacune s’appuie dans l’essentiel

(grammaire, vocabulaire, règles de fonctionnement) à une norme qui va se placer

au-dessus de ces particularismes, en éliminera le plus possible les traces pour obtenir

une langue dite neutre. Gendreau-Massaloux, Rectrice de l’AUF, lors du IXème sommet

de la francophonie à Beyrouth en 2001 consacré à la diversité linguistique et par là

même aux normes du français à définir dans les politiques linguistiques, soulignait

l’importance de la norme que l’on retrouve dans beaucoup d’autres domaines : normes

dans l’industrie, dans l’agriculture, dans la technologie qui incarnent l’unité, la sécurité

d’une qualité, d’une utilisation d’un produit. La langue est donc elle aussi un produit

à formater pour pouvoir l’exporter, échanger et utiliser en toute sécurité et en toute

efficacité. Ainsi préconise-t-elle le choix d’une norme : « […] Sans vouloir contrevenir

au mouvement normatif, ni même le retarder, car il est nécessaire et indispensable

- grâce à lui on élève le niveau de qualité d’un produit ou d’une espèce, comme le

disaient les premiers naturalistes, grâce à lui est maintenue l’intégrité de l’être et du

corps de la langue […] » (2001 : 10)

On aboutit ainsi à une « norme d’usage » que l’on peut caractériser de politique, voire

même idéologique et qui nous rappelle que cette domination d’un dialecte standard

est créée en fonction de celui de la classe dominante qui contrôle les instruments de sa

légitimation (institutions qui la diffusent telles que l’école, l’édition, l’administration).

Les sociolinguistes ajoutent qu’il y a une norme explicite (ce qu’on dit être la bonne

façon de parler, la forme standard) et une norme implicite (ce qu’on croit être la bonne

façon de parler).

De fait, lorsqu’elle parle du rapport des sujets à la langue et à ses usages, Houdebine

(1988 : 1-11) parle de la norme comme d’une « idéalisation prescriptive » faisant partie

de « l’imaginaire linguistique » :

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Car il n’existe pas un français, une langue fixée, homogène, la même pour tous,

qui serait le français, le bon, le beau français, même si nombreux sont ceux qui

tiennent à cette vision. Les études linguistiques descriptives, objectives, nous

montrent qu’elle n’est qu’une fiction qui a son importance, sa fonction. […] Cette

idéalisation prescriptive, cette fiction, a un rôle important : elle permet de cerner

ce qu’est la langue, qui ne se délimite qu’à ses défaillances, en quelque sorte (ou

qu’à ses différences plus linguistiquement dit).

Cependant, à contre-courant de la norme qu’elle considère trop restrictive, elle

ajoute « qu’une langue ne peut tout dire et qu’il faut parfois prendre quelque risque

pour tenter de dire ce qui ne s’y dit pas encore ». Elle préconise alors « d’enrichir la

parlure hexagonale qui a du mal à intégrer les termes lui venant d’autres contrées

francophones » en permettant « dérivation, composition voire emprunt aux autres

visions du monde que proposent d’autres systèmes linguistiques ».

Ne pourrions-nous donc pas, nous autres (nous « aut » pour utiliser un québécisme)

enrichir (comme l’on dit) notre langue à partir de la leur et de bien d’autres français

de la francophonie ou bien devons-nous rester ces maîtres-directeurs, garant de la

«qualité du français», dans ses façons de dire ou de tenter de dire (d’où la nécessité

d’accepter des innovations et des nominations spécifiques selon les usages, les domaines

de technicité ou les régions voire les contrées. (Houdebine, 1988 : 1-11)

Toutefois, la réalité de l’enseignement du FLE souligne que la norme est celle qui

maintient dans son intégrité la langue véhiculaire qui sert à la communication entre

plusieurs communautés : elle s’oppose en cela à la langue vernaculaire qui est propre

à une seule communauté, assure la communication interne au groupe et promeut

l’identité linguistique des membres de cette communauté. Nous avons vu que la société

francophone a choisi comme langue véhiculaire un noyau représentatif de la langue

qui, idéalement, est parvenu à éliminer toute trace de spécificités devenant ainsi une

langue standard. La description de ce noyau représente la description linguistique que

l’on retrouve dans les manuels d’enseignement de FLM, FLS ou FLE.

Pour conclure cette réflexion sur nos pratiques d’enseignement d’un français normé

ou respectueux de ses variations francophones, nous nous arrêterons sur un schéma

proposé par Le Page R.B et Tabouret-Keller (1985 : 202) :

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Francophonie : « Le français est une chance »

On peut observer que dans cette figure sont organisées les pratiques de langue d’une

part et les descriptions de langue d’autre part, selon un axe et subissant une tension

entre dispersion d’un côté et focalisation de l’autre; ce qui en fait constitue l’essentiel

des réalisations en sociolinguistique : création spontanée, individuelle, dispersée de

l’expression identitaire à gauche, qui tend à se focaliser sur la non variation, sur une

langue stable, dénuée de spécificités identitaires à droite. Le phénomène compor-

temental se superpose au phénomène de description linguistique : actes de paroles

identitaires à gauche qui, en fonction des rapports des individus en société vont se

focaliser sur une langue grammaticalisée, normée, moins identitaire. L’usage ou la

norme implicite se trouve au centre des opérations linguistiques.

Ce schéma nous aide à mieux concevoir que pour enseigner une langue étrangère,

il vaut mieux commencer par le focalisé qui est plus stable et plus structuré pour aller

progressivement vers une langue plus dispersée, plus identitaire donc plus complexe

parce que plus variée. L’étudiant apprenant consciemment la langue est un praticien

plus conscient que le natif, il a donc besoin d’une description de la langue plus explicite

donc plus focalisée. De façon idéale, au fur et à mesure des progrès de son appren-

tissage, l’apprenant passera progressivement à une pratique plus « dispersée » de la

langue et cela sur un mode plus intuitif.

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Synergies Mexique n° 5 - 2015 p. 55-69

2. Exemple de variété stylistique francophone

2.1. « Nativisation du français »

La francophonie étant l’exemple de variation linguistique qui concerne cet article,

nous apporterons un exemple représentatif d’une de ces variations qui pourrait trouver

sa place dans un manuel de FLE, au même titre que celle qu’occupe le français soutenu. Avant de citer l’auteur ivoirien de notre choix, Ahmadou Kourouma, nous mentionnerons ici les auteurs d’expression française qui ont signé « le Manifeste des 44 » en revendi-quant, une « littérature-monde », épurée des fantômes du colonialisme, plutôt qu’une « littérature francophone » trop souvent empreinte de condescendance envers son exotisme. Cependant, malgré le malaise persistant de l’ambigüité à savoir si la franco-phonie est une bonne ou une mauvaise initiative de ses pères fondateurs contemporains, dans la mesure où cet héritage porte encore au fer rouge l’empreinte du colonialisme, l’usage de la langue française par ses auteurs d’autres territoires lui donne, qu’ils le souhaitent ou non, ses lettres d’or et sa raison d’être d’aujourd’hui. Nous rappellerons également que la francophonie en tant que telle, comme phénomène sociolinguistique, n’existait pas pendant la période coloniale et qu’elle est née justement des ruines du colonialisme. L’appropriation de la langue dans le contexte actuel par des auteurs dits francophones, fait d’ailleurs dire à Raphael Confiant, écrivain martiniquais :

La première leçon que nous enseigne l’expérience antillaise est que le français doit être acclimaté aux nouvelles régions où il s’est installé, il doit s’adapter à de nouvelles cultures, à de nouveaux imaginaires. Il doit surtout ne pas résister à un certain métissage avec les langues déjà installées qu’il est journellement amené à côtoyer. Les linguistes qualifient ce phénomène de « nativisation du français » et la racine de ce mot, « naître », renvoie à celle du mot « créole » qui est « créer ». Un nouveau français doit naître, doit se créer partout où la langue de Molière a trouvé à s’installer. Non pas une langue entièrement différente mais une variété de français qui a sa propre couleur, sa propre odeur, ses propres élans et qui, par ricochet, à vocation à enrichir la langue de l’ancienne métropole. (Confiant, 1989 : s. n. p.)

En conclusion de son article, Confiant déclare:

[…] le français de l’Hexagone est en train de changer. Il est en proie à un boulever-sement extraordinaire au sein de ces multiples banlieues où parfois vingt ou trente nationalités différentes sont sommées de vivre ensemble. Ce français-Djamel (pour reprendre le nom du célèbre humoriste de Canal+) est en passe de supplanter le

français populaire-gaulois car il déborde les cités pour s’emparer des bouches et des

esprits de toute la jeunesse française.

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Francophonie : « Le français est une chance »

Il fait bouger le français, il décrispe la norme, il retrouve la créativité, l’inven-

tivité insolente du français pré-malherbien, celui de François Villon et des poètes

de sac et de cordes de la fin du Moyen-Age, celui de François Rabelais et de sa

boulimie lexicale. Les décideurs actuels de la Francophonie doivent tenir compte

de ce paramètre incontournable […] s’ils veulent que dans le nouveau siècle qui

s’annonce, la langue française ne devienne pas une langue marginale, s’ils veulent

qu’elle continue à rayonner sur les cinq continents. (Confiant, 1989, s. n. p.)

Lorsque Confiant déclare que « les décideurs actuels de la Francophonie doivent

tenir compte de ce paramètre incontournable », en la nommant avec le F majuscule, on

sous-entend là, le poids politique de cette institution qui s’inquiète plus de ses chiffres

que de ses expressions linguistiques et culturelles qui pourtant décideront, elles, du

destin de la langue française dans sa pérennité internationale.

2.2. « Allah n’est pas obligé »

Pour illustrer la « créativité » et « l’inventivité insolente du français » et de son

rayonnement francophone, nous avons choisi de présenter brièvement un extrait du

roman « Allah n’est pas obligé » de l’auteur ivoirien Ahmadou Kourouma qui justi-

fierait l’introduction de la variation linguistique du français dans la salle de classe,

afin de montrer son extraordinaire capacité d’adaptation aux multiples cultures qu’elle

exprime.

Kourouma entraine le petit soldat Birahimadans dans son aventure guerrière en

le bardant de quatre dictionnaires. Ce faisant, il témoigne de ces variations et de la

schizophrénie que la norme peut entrainer chez les locuteurs (2000 : 1) :

Et d’abord…et un…M’appelle Birahima. Suis p’tit nègre. Pas parce que suis black et

gosse. Non ! Mais suis p’tit nègre parce que je parle mal le français. C’é comme ça.

Même si on est grand, même vieux, même arabe, chinois, blanc, russe, américain; si

on parle mal le français, on dit on parle p’tit nègre, on est p’tit nègre quand même.

Ça c’est la loi du français de tous les jours qui veut ca.

Lorsqu’il raconte ensuite:

[sa] vie de merde, de bordel de vie dans un parler approximatif, un français passable,

pour ne pas mélanger les pédales dans les gros mots. Je possède quatre diction-

naires. Primo, le dictionnaire Larousse et le Petit Robert, secundo, l’Inventaire des

particularités lexicales du français d’Afrique et tertio le dictionnaire Harrap’s. Ces

dictionnaires me servent à chercher les gros mots et surtout à les expliquer. Il

faut expliquer parce que mon blablabla est à lire par toute sorte de gens : des

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Synergies Mexique n° 5 - 2015 p. 55-69

toubabs (toubab signifie blanc) colons, des noirs indigènes sauvages d’Afrique et des

francophones de tout gabarit (gabarit signifie genre). Le Larousse et le Petit Robert

me permettent de chercher, de vérifier, et d’expliquer les gros mots du français

de France aux noirs nègres indigènes d’Afrique, l’Inventaire des particularités

lexicales du français d’Afrique explique les gros mots africains aux toubabs français

de France. Le dictionnaire Harrap’s explique les gros mots pidgin à tout francophone

qui ne comprend rien au pidgin. […](Kourouma, 2001 : 1).

On voit donc très clairement les liens qui se sont tissés entre les langues en place et

la difficulté de gérer les relations entre une norme standard acquise à travers l’ensei-

gnement d’un français très éloigné de la réalité locale et les variations inhérentes à

la pratique des locuteurs, à travers leurs langues nationales ou régionales, selon les

cas. La recherche désespérée d’une norme à trouver absolument dans des ouvrages de

référence, comme tous les dictionnaires brandis par Ibrahima, est tout aussi décon-

certante que la propre « insolence » de l’auteur dans sa démonstration ironique de

la dictature de la norme. En effet, l’écriture de Kourouma, sans jamais perdre de sa

qualité ni de sa rigueur littéraire, est en rupture permanente elle-même avec la norme

: écriture « orale », omission du pronom personnel « je », élision du « e », utilisation

d’africanismes, utilisation d’une ponctuation surabondante pour mieux l’ « oraliser »

ou l’éclaircir. Alors comment expliquer tous les dictionnaires dont s’encombre

constamment Birahima si ce n’est comme une sorte de recours fébrile à la norme? La

fameuse norme imposée par les « toubabs » mais qui, malgré sa légitimité officielle,

n’a pas sa place là, ni les mots pour décrire le monde dans lequel il vit. La norme qui

accorde la légitimité dont rêve Birahima, mais qui devient un vêtement trop étriqué

pour témoigner de ce qui se passe dans toute la francophonie. La norme qui ne suffit

plus, ni aux français qui vont lire la francophonie d’ailleurs (d’où l’Inventaire), ni aux

francophones d’ailleurs qui sont si éloignés de la Langue-Nation qu’avoir recours à elle

devient dérisoire pour beaucoup d’entre eux (Larousse, Petit Robert), ni aux franco-

phones d’un ailleurs mondialisé (Harrap’s).

Français d’Afrique, français de France, français d’ailleurs, français parlé,

français écrit, Larousse, Inventaire ? De quelle(s) variété(s) ou de quelle(s) norme(s)

parlons-nous ? Quelle(s) variété(s) ou quelle(s) norme(s) allons-nous enseigner ou

sacrifier ?

2.3. La francophonie, nouvelles conditions d’acceptabilité de la langue française

Bourdieu (2001 : 113) nous rappelle que : « Nous n’apprenons jamais le langage

sans apprendre en même temps les conditions d’acceptabilité de ce langage ». Cette

phrase de Bourdieu s’adapte bien sûr à la norme présentée brièvement ci-dessus et qui

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Francophonie : « Le français est une chance »

est la contrainte sociale obligatoire pour que le discours soit efficace et soit accepté. L’acceptabilité de la langue que nous enseignons est déterminée par les institutions qui organisent son enseignement (politiques linguistiques, manuels) et en enseignement du FLE plus encore, leur poids se fait sentir dans la mesure où le souci d’homogé-néité est accentué par l’hétérogénéité des situations internationales d’enseignement. Cependant, la francophonie est un vaste espace où les conditions d’acceptabilité sont tout aussi vastes et si l’enseignant veut entreprendre de présenter d’autres conditions d’acceptabilité de la langue qu’il enseigne, il prend le risque de se marginaliser certes, car comme l’affirme Bourdieu (1980 : 105) :

Le professeur, qu’il le veuille ou non, qu’il le sache ou non, et tout spécialement lorsqu’il se croit en rupture de ban, reste un mandataire, un délégué qui ne peut pas redéfinir sa tâche sans entrer dans des contradictions ni mettre ses récepteurs dans des contradictions aussi longtemps que ne sont pas transformées les lois du marché par rapport auxquelles il définit négativement ou positivement les lois relativement autonomes du petit marché qu’il instaure dans sa classe.

Mais s’il le fait malgré tout, il aide aussi à promouvoir et à penser un projet d’ensei-gnement plus large, tel que pourrait l’être un nouveau projet francophone qui resituerait la langue française dans ses contextes écrits/oraux à l’époque de la mondialisation. Parler de francophonie implique parler d’une langue mouvante et écologiquement adaptable et l’exemple de variation stylistique que nous avons présenté ci-dessus est une façon de mesurer l’importance de la dimension linguistique et identitaire de la francophonie trop souvent négligée au profit de la francophonie institutionnelle. Quand Tétu affirme : « Africains, Maghrébins ou Québécois, chacun veut s’exprimer dans son lexique : il lui faut décrire ou faire sentir les réalités de son pays et pour cela il ne veut pas se sentir à l’étroit dans la langue de l’Hexagone. Il veut adapter la langue à ses besoins ou alors changer de langue » (1997 : 51). Il ne limite pas le pouvoir de la franco-phonie à son seul pouvoir politique ou institutionnel et il insiste ainsi sur sa richesse lexicale incontournable. Si la francophonie se veut une alternative à la mondialisation anglophone, cela passe obligatoirement par une alternative linguistique, et malheu-reusement, il semble plus difficile de défendre cette dimension que les autres, si l’on en croit Wolton (2006 : 91) lorsqu’il reproche : « Comment parler de diversité cultu-relle dans la francophonie, si celle-ci est incapable de reconnaître sa propre diversité linguistique ? Les écrivains de langue française ne sont-ils pas partout dans le monde les premiers créateurs d’une langue en perpétuelle invention ? ».

En francophonie chaque locuteur est empreint de sa langue/culture première (lorsque celle-ci est différente du français), et va donc traduire sa pensée, sa vision du monde d’une certaine façon. Les populations de l’Afrique francophone, aussi diverses les unes que les autres créent (comme nous venons de le voir avec Kourouma) de nombreux

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Synergies Mexique n° 5 - 2015 p. 55-69

néologismes ancrés directement dans leur mode de vie ou leur langue nationale et

on officialise de plus en plus volontiers ces néologismes si l’on en croit l’édition d’un

« Inventaire des particularités lexicales du français en Afrique Noire » (Racelle-Latin,

1979). Précisons tout de même que cette publication, n’étant pas un dictionnaire en

soi mais une liste d’africanismes relevés par les linguistes, ne leur accorde donc pas un

pouvoir de légitimation.

On le sait de toutes les langues, elles ne sont jamais immuables, et elles subissent

toutes, les mouvements de l’histoire des pays où elles sont utilisées. La langue française,

en l’occurrence est le résultat de plusieurs transformations successives, elle vit sur les

cinq continents et elle continue de se transformer, grâce à la diversité des pays franco-

phones. Le phénomène de la francophonie nous fait prendre conscience aujourd’hui du

dynamisme des langues et du changement qu’il entraîne, on peut prendre en compte et

utiliser la diversité culturelle de chacun, dans un but éducatif vers l’interculturel ; la

culture de l’autre n’est plus un obstacle mais bien un enrichissement commun à tous,

dans le chemin de l’interculturel.

Conclusion

La dimension francophone donne aujourd’hui aux discours sur la norme et sur la

variation plus d’ampleur et génère de nouveaux débats. Nous avons vu que la norme

académique est nécessaire d’une certaine façon, car elle permet de préserver une

unité de langue qui assure la cohérence et l’intercompréhension dans le monde franco-

phone, mais les écarts et les normes d’usage variables sont tout aussi nécessaires car

ils permettent, en adaptant le français à différents contextes socioculturels, tout en

s’appuyant sur le fonctionnement même de la langue - qu’il s’agisse de morphologie de

surface ou de principes linguistiques sous-jacents -, de maintenir le français comme une

langue vivante dans le monde francophone.

La diversité, non seulement ne fait plus peur mais est mise en exergue en DDLC, la

pluralité des pratiques langagières écrites et orales est entrée dans la littérature et

dans le cinéma. Il est évident qu’on n’abandonnera pas encore la norme prescriptive

institutionnelle du français qui, jusque maintenant, a une meilleure valeur marchande

pour l’apprenant sur le marché des biens symboliques et qui lui donnera les outils

essentiels de la communication sur n’importe quel territoire francophone, mais on lui

donnera d’autres outils qui lui permettront d’évoluer dans d’autres milieux avec plus

de sécurité et plus de respect envers cette diversité.

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Francophonie : « Le français est une chance »

Bibliographie

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© Revue du Gerflint. Éléments sous droits d'auteur.

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Contextualisation et grammaire au Mexique : résultats d’une enquête préliminaire

Synergies Mexique n° 5 - 2015 p. 71-83

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Reçu le 09-09-2015/ Évalué le 30-09-2015/ Accepté le 13-10-2015

Résumé

Dans cet article, nous exposerons les résultats d’une enquête réalisée dans le cadre d’une recherche menée par le groupe GRAC Mexique et dont l’objectif était de réper-torier les grammaires utilisées par les enseignants de français au Mexique. Pour cela, d’abord, nous présentons le groupe de recherche GRAC et nous définirons 3 concepts clé : grammaire, contexte et contextualisation. Par la suite, nous partagerons les résultats qui permettent de mieux cerner les pratiques professionnelles des professeurs en matière d’enseignement grammatical.

Mots-clés : grammaire, contexte, enseignement, contextualisation

Contextualización y gramática en México: resultados de una encuesta preliminar

Resumen

En este artículo, se exponen los resultados de una encuesta realizada en el contexto de una investigación realizada por el GRAC Mexique y cuyo objetivo fue enlistar las gramáticas utilizadas por los profesores de francés en México. Para ello, se presentará primeramente el grupo de investigación GRAC y se definirán tres conceptos claves: gramática, contexto y contextualización. Enseguida, se compartirán los resultados que permiten identificar mejor las prácticas profesionales de los profesores en cuanto a la enseñanza de la gramática.

Palabras clave: gramática, contexto, enseñanza, contextualización

Contextualization and Grammar in Mexico: Results of a preliminary survey

Abstract

In this paper, the results of a survey carried out in the context of a research done by GRAC Mexique are presented; its objective was to list the grammar used by French professors in Mexico. For this, the GRAC research group is first presented and three key

Francisco Javier Cerón LunaUniversidad Nacional Autónoma de México, Mexique

[email protected]íctor Martínez de Badereau

Universidad Nacional Autónoma de México, [email protected]

GERFLINT

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concepts are defined, which are grammar, context and contextualization. Then the results which allow us to better identify the professional practices of the professors regarding teaching grammar will be shared.

Keywords: grammar, context, teaching, contextualization

Introduction

Malgré la priorité accordée au sens par l’approche communicative, méthodologie

dominante depuis une trentaine d’années, et après une période de « dégrammatica-

lisation » de l’enseignement du français langue étrangère (FLE), la grammaire et son

enseignement semblent revenir sur le devant de la scène. Ainsi, depuis une quinzaine

d’années, divers didacticiens (Beacco, Cuq, Vigner pour ne citer qu’eux) se penchent

sur les questions relatives à la didactique de la grammaire avec un regard neuf. Cette

réflexion a permis de mettre en exergue un concept didactique de première impor-

tance : la contextualisation.

L’objectif de cet article est, d’une part, de présenter le groupe de recherche

Grammaire et Contextualisation (GRAC), et d’autre part, de partager les résultats d’une

enquête préliminaire visant à cerner les pratiques d’enseignement de la grammaire

des professeurs de FLE au Mexique. Pour ce faire, dans un premier temps, nous

définirons trois concepts qui nous semblent importants pour encadrer notre recherche :

grammaire, contexte et contextualisation. Ensuite, nous présenterons le programme du

GRAC et, plus particulièrement, la recherche menée par le GRAC Mexique. Finalement,

nous analyserons et discuterons les résultats de l’enquête.

1. Grammaire et contextualisation : quelques repères conceptuels

Dans le cadre de notre recherche, un de nos objectifs était d’identifier les pratiques

professionnelles des enseignants de FLE en termes d’usage de matériels destinés à

l’enseignement de la grammaire du FLE. Nous entendons donc par grammaire tout

« ouvrage de référence décrivant le français, non articulé ou inclus à/dans une méthode

de langue ou dans un matériel d’enseignement » (DILTEC, 2011 : 3).

Un autre concept à définir est celui de contexte. Celui-ci peut être entendu comme

l’ensemble des « caractéristiques des situations d’enseignement-apprentissage pouvant

conduire à (et rendre compte de) « l’adaptation » de la description du français »

(DILTEC, 2011 : 3). Le contexte dépend donc en partie de facteurs sociolinguistiques

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Contextualisation et grammaire au Mexique : résultats d’une enquête préliminaire

tels que les formes de multilinguisme au niveau sociétal et les formes de plurilinguisme

au niveau individuel, mais aussi de la culture métalinguistique des apprenants, c’est-

à-dire, de leurs représentations sociales du langage.

La contextualisation, quant à elle, fait référence aux variations, aux écarts ou aux

modifications que les discours grammaticaux savant académiques1 subissent dans un

contexte donné. De ce fait, nous pouvons affirmer que la contextualisation est une

« autre » manière d’aborder les discours grammaticaux proposés par la doxa et, dans

ce sens, il peut s’agir de descriptions inédites (non présentes dans les grammaires de

référence du français), de « surdescriptions » (descriptions plus fines que celles qui

apparaissent dans les grammaires de référence) ou de descriptions conjointes (mise en

relation de catégories grammaticales différentes) qui vont permettre aux utilisateurs

sur place de mieux appréhender les phénomènes grammaticaux. Ces trois concepts sont

au cœur des préoccupations du groupe de recherche GRAC.

2. Équipe de recherche GRAC Mexique

2.1 Le GRAC

Le GRAC est un groupe de recherche fondé en 2010. Celui-ci est rattaché au DILTEC (département de Didactique des langues, des textes et des cultures) de l’Université de la Sorbonne Nouvelle, Paris 32 dont la responsable est Mme. Corinne Weber. Ce groupe est constitué par un réseau international présent dans différents pays à travers le monde : le Cameroun, la République Démocratique du Congo, la Tunisie, l’Allemagne, le Brésil et le Portugal, Chypre, la Croatie, l’Espagne, la France, le Japon, le Mexique, la République Tchèque, la Slovaquie et la Pologne.

Les recherches du GRAC portent sur les formes observables de la contextualisation de la description du français dans les grammaires produites « à l’étranger » (dans des ouvrages de grammaire française produits hors de France), mais il s’intéresse aussi à l’exploration des discours grammaticaux que les enseignants de FLE élaborent dans l’interaction didactique et aux signes de contextualisation qu’ils contiennent. Dans ce cadre, la notion de discours grammatical fait référence à l’ensemble « des énoncés (écrits ou oraux, isolés ou présentés de manière systématique) portant sur la morpho-syntaxe, qui circulent dans les manuels d’enseignement ou qui sont énoncés par l’ensei-gnant à destination des apprenants » (Beacco, 2010 : 16).

Dans ce processus de contextualisation, brièvement défini antérieurement, inter-viennent certains facteurs essentiels que nous croyons pertinent de mentionner ici : la culture métalinguistique dans la langue première, la réflexivité des apprenants et

l’expertise professionnelle des enseignants.

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Synergies Mexique n° 5 - 2015 p. 71-83

Les catégories grammaticales de la première langue de socialisation (L1) servent de

filtres dans l’appropriation d’une deuxième langue (L2), ainsi, celles-ci modifient le

discours descriptif de la langue étrangère étudiée. À titre d’exemple, les apprenants

de FLE au Mexique font souvent appel à différentes catégories issues de la grammaire

espagnole pour comprendre l’emploi des articles partitifs, phénomène qui présente des

écarts avec le système linguistique de l’espagnol.

Le rôle de la réflexivité dans le processus d’acquisition est un facteur capital puisque

il s’agit de la manière dont les apprenants verbalisent intuitivement les phénomènes

grammaticaux, c’est-à-dire, les discours que les apprenants construisent afin de rendre

plus intelligible le fonctionnement du système linguistique. Si nous prenons l’exemple

antérieur, il sera intéressant d’observer et d’analyser les discours que les étudiants

de FLE élaborent pour s’expliquer la règle et l’emploi des articles partitifs à partir de

leur bagage grammatical. L’expertise professionnelle des enseignants fait référence

au savoir acquis au fil des années à partir de la pratique pédagogique. Ce savoir porte

notamment sur les questions linguistiques particulières que se posent les apprenants

et aux difficultés que ces derniers rencontrent. L’expertise aide ainsi les enseignants à

élaborer une série de réponses et des schémas explicatifs adaptés à leur milieu et qui

contribue au phénomène de contextualisation des discours grammaticaux.

2.2 GRAC Mexique

Constitué fin 2014, le Groupe Grammaire et Contextualisation Mexique (GGRAC

Mexique) est rattaché à la ligne de recherche Aportes teóricos y reflexiones sobre la

didáctica de lenguas au sein du Département de Linguistique Appliquée (DLA) du Centro

de Enseñanza de Lenguas Extranjeras de l’Universidad Nacional Autónoma de México3

(CELE-UNAM). Notre objectif de recherche est de décrire les différentes manifestations

de contextualisation du discours grammatical du français langue étrangère au Mexique,

à savoir :

• Connaitre les pratiques d’enseignement et d’apprentissage de la grammaire du

FLE au Mexique et, par la suite, identifier et classifier les contextualisations

dans les grammaires et dans les supports pédagogiques.

• Recueillir les descriptions grammaticales proposées et le métalangage utilisé par

les enseignants et les apprenants.

• Proposer des outils d’enseignement et d’apprentissage contextualisés4.

Pour ce faire, nous avons souhaité répertorier les grammaires utilisées par les

enseignants au Mexique. Pour cela nous avons conçu et appliqué une enquête auprès

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Contextualisation et grammaire au Mexique : résultats d’une enquête préliminaire

de la communauté des enseignants du français sur tout le territoire national. Nous

présentons, ensuite, les résultats préliminaires de cette enquête.

2.3 L’enquête : présentation générale

2.3.1 Brève description de l’enquête

Début 2015, notre groupe de recherche a décidé de mettre en place une enquête qui

avait comme objectif de savoir quelles grammaires étaient utilisées par les enseignants

pour concevoir leurs cours et pour choisir les activités et les exercices proposés aux

apprenants. Nous avons décidé d’employer comme technique de collecte de données

le sondage par questionnaire en ligne, envoyé via courriel aux enseignants de français

exerçant au Mexique. Cette mise en ligne du questionnaire nous a permis d’accéder

à une gamme plus ample et diverse de participants. Le questionnaire comportait

plusieurs types de questions : questions à choix multiple, questions à choix unique,

questions ouvertes et échelles de Likert, ces dernières permettant d’obtenir une prise

de position plus précise de la part des répondants tout en donnant une place minimale

aux indécisions.

Dans sa version finale, notre questionnaire comportait 24 questions qui concernaient

l’expérience professionnelle (années d’expérience, lieu et niveau d’enseignement)

et le parcours académique des répondants, le type de matériel utilisé pour donner

leurs cours (manuels, livres, sites internet, documents authentiques divers, littérature,

etc.), la place occupée par la grammaire dans leur pratique professionnelle et le degré

de satisfaction des matériaux utilisés. Par ailleurs, nous avons aussi voulu savoir si les

professeurs fabriquaient eux-mêmes leur matériel pour enseigner la grammaire et si ce

matériel était objet de publication. Enfin, comme l’objectif de notre enquête était de

répertorier les grammaires utilisées par les enseignants de français au Mexique, nous

avons classé ces grammaires en quatre catégories : 1) grammaires d’enseignement et

d’apprentissage, 2) cahiers d’exercices, 3) grammaires de référence et 4) ouvrages de

référence sur la conjugaison française.

Le sondage a été disponible du 16 février au 2 mars 2015. Le questionnaire a été

envoyé a plus de 400 enseignants repartis dans tout le Mexique. Au final, 163 question-

naires ont été complétés et 52 questionnaires ont été rendus incomplets. C’est à partir

de ce corpus (163 questionnaires complétés) que nous avons effectué le traitement et

l’analyse des données à l’aide du logiciel pour le traitement statistique de données

quantitatives SPSS5.

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Synergies Mexique n° 5 - 2015 p. 71-83

2.3.2 Profil des répondants

L’enquête nous a permis d’établir le profil des répondants (tous professeurs de

français exerçant au Mexique). Comme nous pouvons observer dans le tableau 1,

67% des répondants sont des femmes et 33% des hommes. En ce qui concerne l’âge

des enseignants, 60% a entre 20 et 40 ans, une population somme toute assez jeune,

tandis que 40% des répondants a plus de 40 ans. Pour ce qui est de la langue première

(L1) des enseignants, 64% de répondants ont l’espagnol comme L1 et 36% le français.

Concernant l’expérience professionnelle, et comme résultat logique de l’âge moyen

des enseignants, nous pouvons constater que la majorité des professeurs a entre 0 et

10 ans d’expérience, soit 54,3%, mais parallèlement à cela, 20,1% compte avec plus de

20 ans d’expérience.

En ce qui concerne le type d’établissement d’enseignement où exercent les répon-

dants, nous observons qu’une grande majorité travaille dans des institutions d’éducation

supérieure (67%). Notons cependant qu’une part considérable d’enseignants exerce

aussi dans l’enseignement primaire et secondaire (48,5%), dans les écoles de langues

(46%) et donne des cours particuliers (39,8%). Ces chiffres peuvent s’expliquer si nous

prenons en compte les dynamiques du monde de travail au Mexique : beaucoup de

professeurs, pour des raisons économiques, doivent exercer leur métier dans différents

établissements en même temps. Finalement, nous remarquons aussi que les répondants

enseignent surtout aux nivaux A1 (88,3%), A2 (84%) et B1 (71,8%), élément qui peut

donner certaines explications aux choix des ouvrages grammaticaux, que nous présen-

terons par la suite.

Tableau 1

Profil des répondants

Catégories Distributions Pourcentage

Sexe : femmeshommes

67 %33 %

Âge : entre 20 et 40 ansentre 40 et 60 ans

60 %34,9 %

Langue 1 : espagnolfrançais

64 %36 %

Expérience professionnelle :

moins de 5 ansentre 5 et 10 ansentre 11 et 20 ans

plus de 20 ans

27,5 %26,8 %25,6 %20,1 %

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Contextualisation et grammaire au Mexique : résultats d’une enquête préliminaire

Catégories Distributions Pourcentage

Établissement d’enseignement :

université niveau élémentaires

(jusqu’au lycée)école de langue

en cours particuliers

67,7 %48,5 %

46 %39,8 %

Niveau enseigné :

A1A2 B1 B2C1C2

88,3 %84 %

71,8 %50, 3 %16 %2,5 %

3. Les résultats de l’enquête

3.1 Le matériel utilisé et la place accordée à la grammaire

Une fois le profil des répondants établi, nous souhaitions savoir quel était le matériel

utilisé par les enseignants pour préparer et donner leur cours. Le tableau ci-dessous

montre les résultats obtenus.

Tableau 2

Matériel utilisé pour préparer et donner les cours

Fréquence PourcentageManuel pour l’enseignement du FLE 150 92,0%Livre de phonétique 43 24,4%Livre de vocabulaire 57 35,0%Livre de grammaire 111 68,1%Site internet spécialisé dans l’enseignement du FLE 121 74,2%Document authentique écrit 126 77,3%Document authentique audio 117 71.8%Document authentique audiovisuel 117 71.8%Littérature (Roman, BD, poésie, etc.) 85 52,1%Presse écrite 99 60,7%Émission de radio 67 41,1%Émission de télévision 69 42,3%Autre 17 10,4%

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Synergies Mexique n° 5 - 2015 p. 71-83

Nous avons constaté que les enseignants de FLE utilisaient une grande diversité de

matériels : manuels de FLE, utilisés par 92% des répondants, mais aussi des livres pour

développer certaines des compétences linguistiques (compétence lexicale, gramma-

ticale et phonétique). Les documents authentiques, qu’ils soient écrits, audio ou audio-

visuels, ont été aussi mentionnés par plus de 70% des enseignants.

Dans le cadre de notre problématique de recherche, nous avons également constaté

qu’une part considérable des répondants (68%) mentionnait l’usage de livres de

grammaire dans leur pratique professionnelle. Cette utilisation par un grand nombre de

professeurs de ce type de matériel d’enseignement peut être aisément mis en relation

avec l’importance qu’accordent les répondants à la grammaire dans leur pratique

professionnelle. Ainsi, à l’affirmation « Dans votre pratique professionnelle, une place

importante est accordée à la grammaire », mesurée sous l’échelle de Lickert, nous

avons obtenu des résultats très marqués comme le montre le tableau 3.

Tableau 3

Dans votre pratique professionnelle, une place importante est accordée à la

grammaire ?

Fréquence PourcentagePas du tout d’accord 1 0,6 %Pas d’accord 9 5,5 %Plus ou moins d’accord 31 19 %D’accord 75 46 %Tout à fait d’accord 47 28,9 %Total 163 100%

Une grande majorité d’enseignants, 74,9%, a mentionné être D’accord ou Tout à fait

d’accord avec cette affirmation alors que seulement 6,1 % des répondants a signalé être

Pas du tout d’accord ou Pas d’accord. On le voit, aux yeux des répondants, la grammaire

reste un élément important dans l’enseignement du français langue étrangère.

3.2 Ouvrages de grammaire utilisés

Nous souhaitions, par ailleurs, savoir quels étaient les ouvrages utilisés en classe par

les enseignants. L’enquête nous a donc permis de savoir quelles étaient les grammaires

d’enseignement et d’apprentissage, les cahiers d’exercices, les grammaires de

référence et les précis de conjugaison utilisés dans leur pratique professionnelle.

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Contextualisation et grammaire au Mexique : résultats d’une enquête préliminaire

3.2.1 Les grammaires d’enseignement et d’apprentissage

Nous avons proposé aux répondants 35 ouvrages provenant de huit maisons d’édition

différentes (Didier, Didier/Hatier, Maison des langues, Clé International, Hachette,

Belin, Ellipses et Presse Universitaire de Grenoble). Cette palette d’ouvrages nous

a paru représentative du matériel que les enseignants de FLE étaient en mesure

d’acquérir par le biais de distributeurs locaux et de librairies. L’enquête a révélé que

68,2% des répondants utilisaient la « Grammaire progressive du français, niveau inter-

médiaire » et 61,1% la « Grammaire progressive du français, niveau débutant », toutes

deux de la maison d’édition Clé International. Les ouvrages « Grammaire en dialogues

pour débutants » et « Grammaire expliquée du français pour débutants », également

de Clé International, ont, quant à eux, été cités par 32,5% et 26,8% des répondants

respectivement.

Comme nous pouvons le constater, les grammaires sélectionnées par les répondants

sont toutes de niveau débutant-intermédiaire. Ceci s’explique par le fait, comme nous

l’avons mentionné antérieurement, que plus de 80% des professeurs ayant répondu à

l’enquête donnent cours à des niveaux A1 et A2.

3.2.2 Les cahiers d’exercices

Pour ce qui est des cahiers d’exercices, nous avons proposé 27 ouvrages édités par

trois maisons d’édition différentes (Hachette, Didier et Clé International). Les résultats

obtenus montrent une tendance moins marquée par rapport à la question précédente.

Le livre « Exercices communicatifs de la Grammaire Progressive du français » (Clé

International) arrive en tête avec 40% d’utilisateurs, suivi de près par « Exercices de

grammaire en contexte pour débutants » (Hachette) mentionné par 34,2% des ensei-

gnants. Viennent ensuite les « 500 exercices de grammaire pour A1 » (Hachette) avec

25,8% et les « Exercices de grammaire en contexte, niveau intermédiaire » (Hachette)

avec 25,2% d’utilisateurs. On peut remarquer que les cahiers d’exercices sont nettement

moins utilisés que les grammaires d’enseignement et d’apprentissage. Il nous paraît

intéressant de mentionner que 18,1% des répondants ont signalé ne pas utiliser de

cahier d’exercice pour la grammaire.

3.2.3 Les grammaires de référence

Nous avons ensuite voulu savoir quelles étaient les grammaires de référence utilisées

par les répondants afin de préparer leurs cours de FLE. Les trois grammaires les plus

mentionnées ont été « Le bon usage » (18,4%), « Nouvelle grammaire du français

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– Cours de civilisation française de la Sorbonne » (16.3%) et « Grammaire du français

contemporain » (11,6%). Notons ici qu’une part considérable d’enseignants, soit 43,5%

d’entre eux, ont signalé ne pas utiliser de grammaire de référence. Nous pouvons donc

supposer que ces professeurs utilisent les explications proposées par les grammaires

d’enseignement et d’apprentissage pour préparer les activités grammaticales en salle

de classe.

3.2.4 Les précis de conjugaison

Par rapport aux ouvrages centrés sur la conjugaison, l’enquête a mis en évidence le

quasi-monopole du « Bescherelle, la conjugaison pour tous », mentionné par 73,2% des

répondants, l’ouvrage « Larousse Conjugaison » étant le deuxième livre le plus indiqué

avec 28% de mentions. À noter que 19,1% des répondants ont signalé ne pas utiliser de

précis de conjugaison.

3.2.5 Manuels de FLE et ressources en ligne

Parallèlement aux données relatives à l’utilisation du matériel exclusivement centré

sur la grammaire, l’enquête nous a également permis d’identifier deux autres ressources

utilisées par les enseignants pour l’enseignement de cette compétence : les manuels

de FLE et les sites d’Internet spécialisés dans l’enseignement du français. Ainsi, 87,1%

des répondants utilisent les activités et les exercices proposés par les manuels de FLE

pour enseigner la grammaire et 79,1% ont recours à des sites Internet spécifiques pour

préparer et donner des cours portant sur des aspects grammaticaux. Les sites les plus

mentionnés ont été : « Le Point du FLE » (41,1% de mentions), « Bonjour de France »

(16,6% de mentions), « TV5 Monde » (11% de mentions) et « Français Facile » (9,8% de

mentions).

Au vu de ces résultats, il nous paraît pertinent de signaler que tous les ouvrages cités

ont été publiés en France par des maisons d’édition françaises (à l’exception de « Le

bon usage » édité par le groupe belge De Boeck). Ces ouvrages sont destinés à un public

international et, par conséquent, ne prennent pas en compte « les caractéristiques

des situations d’enseignement-apprentissage pouvant conduire à (et rendre compte de)

« l’adaptation » de la description du français », notamment la culture métalinguistique

des apprenants (DILTEC, 2011). La contextualisation des descriptions, dont l’étude

intéresse notre groupe de recherche, y est donc absente.

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Contextualisation et grammaire au Mexique : résultats d’une enquête préliminaire

3.3 Degré de satisfaction

Une de nos finalités était également de connaitre le degré de satisfaction des

enseignants par rapport aux ouvrages mentionnés. L’enquête a révélé qu’une grande

majorité des enseignants avaient une perception très positive du matériel utilisé. Le

tableau ci-dessous montre les réponses sur une échelle de Lickert à la question portant

sur la satisfaction.

Tableau 4

Dans l’ensemble, êtes-vous satisfait(e) de ces ouvrages ?

Fréquence Pourcentage

Pas du tout d’accord 2 1,2 %

Pas d’accord 9 5,5 %

Plus ou moins d’accord 24 14,7 %

D’accord 78 47,9 %

Tout à fait d’accord 50 30,7 %

Total 163 100%

Ainsi, 78,6% de répondants sont dit Satisfaits ou Tout à fait satisfaits tandis que seuls

6,7% ont déclaré être Pas satisfaits ou Pas du tout satisfaits. On le voit, les enseignants

ont une opinion très favorable des ouvrages qu’ils utilisent, en grand nombre rappe-

lons-le, pour donner et préparer leurs cours.

3.4 Fabrication de matériel

Un autre aspect que nous avons pu mieux cerner se réfère à la fabrication de

matériel didactique : d’une part, nous voulions savoir si les enseignants fabriquaient du

matériel pour travailler la grammaire en classe et, d’autre part, nous voulions savoir

si ce matériel était publié (cahiers d’exercices, fiches pédagogiques, blogs personnels,

etc.). Le tableau ci-dessous nous permet de visualiser les réponses apportées par les

enseignants.

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Synergies Mexique n° 5 - 2015 p. 71-83

Tableau 5

Fabrication et publication de matériel

Fréquence PourcentageFabriquez-vous votre propre matériel pour enseigner la grammaire ou pour proposer des activités grammaticales à vos étudiants ?

128 78,5 %

Ce matériel est-il publié ? 10 7,8 %

On remarque qu’un nombre tout à fait considérable d’enseignants, plus des trois

quarts d’entre eux (78,5%), fabrique du matériel pour enseigner la grammaire mais,

parallèlement à cela, très peu de ce matériel est publié. L’élaboration de ce type de

matériel, forcément contextualisé car fruit de l’expertise professionnelle des ensei-

gnants, représente sans doute une quantité de travail conséquente. Il est vraiment

dommage que celui-ci ne soit pas publié et mutualisé et ne jouisse pas d’une plus

grande visibilité. Cette question est d’ailleurs une de nos préoccupations en tant que

groupe de recherche.

4. Conclusions

Pour conclure, nous pouvons signaler que cette enquête nous a permis de mieux

appréhender les pratiques des enseignants de FLE au Mexique concernant l’utilisation

de matériels pour enseigner la grammaire. Nous pouvons ainsi affirmer que ces ensei-

gnants accordent une place importante à l’enseignement de la grammaire en classe de

FLE. On constate alors que, même en se situant dans une approche mettant l’accent

sur la compétence communicative (que ce soit l’approche communicative ou l’approche

actionnelle), « l’attitude générale, dans l’enseignement, est d’attacher une importance

majeure à la grammaire, considérée par beaucoup, enseignants et apprenants, comme

la base de la connaissance d’une langue » (Courtillon, 2003 : 117).

D’autre part, nous avons pu constater que les ouvrages de grammaire – décon-

textualisés comme nous l’avons vu – sont largement utilisés pour l’enseignement de

la grammaire du français langue étrangère au Mexique, notamment les grammaires

d’enseignement et d’apprentissage. Cette pratique peut aisément s’expliquer si l’on

considère qu’il n’a pas, ou peu, de matériel élaboré au Mexique. Finalement, malgré le

fort taux de satisfaction affiché par rapport à ces ouvrages, une majorité d’enseignants

fabrique son propre matériel pour enseigner la grammaire. Cette apparente contra-

diction pourrait indiquer le besoin d’avoir recours à du matériel contextualisé pour

l’enseignement de la grammaire. On est, en tout cas, en droit de se poser la question.

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Contextualisation et grammaire au Mexique : résultats d’une enquête préliminaire

Bibliographie

Beacco, J.-C. 2010. La didactique de la grammaire dans l’enseignement du français et des langues. Paris : Didier.Beacco, J.-C. 2011. Contextualiser les savoirs en didactiques des langues et des cultures. In : Guide pour la recherche en didactique des langues et des cultures. Paris : Éditions des archives contemporaines/AUF.Beacco, J.-C. et al. 2014. « Les contextualisations de la description du français dans les grammaires étrangères : présentation ». Langues française, no181, pp. 3-17. http://www.cairn.info/revue-langue-francaise-2014-1-page-3.htm [Consulté le 10 août 2015]Berthier, N. 2004. Les techniques d’enquête. Méthode et exercices corrigés. Paris : Armand Colin.Blanchet, P. et al. 2008. Perspectives pour une didactique des langues contextualisée. Paris : Éditions des archives contemporaines/AUF.Blin, B., Olmedo, R. 2015. « Grammaire et contextualisation au Mexique : première étape d’une recherche ». Chemins Actuels, no76. http://amifram.com/chemins/0076/artisPDF/00.pdf [consulté le 12 octobre 2015].Courtillon, J. 2003. Élaborer un cours de FLE. Paris : Hachette. Cuq, J.-P. 1996. Une introduction à la didactique de la grammaire en français langue étrangère. Paris : Didier/Hatier.DILTEC, 2011. Grammaire et contextualisation dans l’enseignement du français langue étrangère ou seconde. Programme de recherche. Paris : Université Sorbonne Nouvelle, Paris 3. http://www.univ-paris3.fr/grac-grammaires-et-contextualisation--155234.kjsp [consulté le 28 juillet 2015]

Notes

1. Cfr. la typologie que J.-C. Beacco (2010 et 2014) propose sur les savoirs grammaticaux qui circulent autour de la construction des discours de l’enseignement de la grammaire en cours de FLE. 2. Pour les détails du travail du GRAC, consultez son site d’Internet : http://www.univ-paris3.fr/grac-grammaires-et-contextualisation--155234.kjsp3. Pour plus de renseignements sur cette ligne de recherche : http://dla.cele.unam.mx/aportes/indice.html4. Pour plus de renseignements sur le protocole du GRAC Mexique: http://www.univ-paris3.fr/jsp/saisie/liste_fichiergw.jsp?OBJET=DOCUMENT&CODE=1421247900123&LANGUE=05. SPSS (Statistical Package for the Social Sciences) est un outil informatique d’analyse statis-tique et de gestion d’information qui permet la génération de tableaux et de graphiques de distribution, à partir de données en différents formats.

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© Revue du Gerflint. Éléments sous droits d'auteur.

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Acercamiento a una conceptualización del shift identitario a partir del discurso de migrantes de

privilegio en México

Synergies Mexique n° 5 - 2015 p. 85-98

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Reçu le 09-04-2015/ Évalué le 19-05-2015/ Accepté le 30-08-2015

Approche de conceptualisation du shift identitaire à partir de discours de migrants de privilège au Mexique

Résumé

L’article constitue une approche de conceptualisation du shift identitaire, un phénomène appartenant originellement à la psychologie sociale et qui manque d’une définition canonique. Comme le concept comporte des versants linguistiques et conceptuels, présents dans le discours de migrants privilégiés installés dans le centre du Mexique, cette tentative de conceptualisation s’attache donc dans un premier temps à expliquer l’importance du choix du terme de shift identitaire dans le domaine du contact des langues et cultures et décrit dans un deuxième temps, le concept de shift identitaire dans ses différentes polarisations. Celles-ci délimitent une zone de shift identitaire comme un espace où le migrant adulte dispose de deux cadres culturels et de deux langues respectivement élaborés et dominées de manière différente ainsi qu’à des moments différents. L’article conclut que cette zone non seulement met à jour des phénomènes linguistiques et conceptuels mais elle laisse également supposer l’exis-tence de stratégies interdiscursives et intertextuelles indépendantes des modèles de référence d’origine ou d’adoption, c’est-à-dire propres à cette catégorie de migrants.

Mots-clés : shift identitaire, cadre culturel, migrants de privilège, processus cognitifs et linguistiques, interactions

Resumen

Este artículo constituye un acercamiento a la conceptualización del shift identitario, un fenómeno que pertenece originalmente a la psicología social y que carece de una definición canónica. El concepto, de corte lingüístico y conceptual, se presenta en el discurso de migrantes de privilegios instalados en México por lo que esta tentativa de conceptualización se preocupa por explicar en un primer tiempo la importancia de elegir el término shift de identidad en el área de contacto de lenguas y culturas. En un segundo tiempo, describe el término en sus diferentes polarizaciones. Éstas delimitan una zona de shift de identidad como un espacio donde el migrante adulto dispone de dos patrones culturales y dos lenguas respectivamente elaborados y dominadas de manera

Georgia M. K. GrondinUniversidad Autónoma del Estado de México, Mexique.

[email protected]

GERFLINT

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Synergies Mexique n° 5 - 2015 p. 85-98

y en momentos diferentes. El artículo concluye que esta zona permite no solo identi-ficar fenómenos lingüísticos y conceptuales pero también permite suponer la existencia de estrategias interdiscursivas e intertextuales independientes de los modelos de referencia de origen o de adopción, es decir propios de este tipo de migrantes.

Palabras clave: shift de identidad, patrón cultural, migrantes de privilegio, procesos cognitivo-lingüísticos, interacciones

Approach of an identity shift conceptualization from the discourse of immigrants of privilege in México

Abstract

This article constitutes a closer look at the concept of the identity shift, a phenomenon originally belonging to the field of Social Psychology lacking a canonical definition. The concept, linguistic and conceptual in nature, is present in the discourse of privileged immigrants settled in Mexico; therefore, this tentative concept is concerned with explaining first the importance of choosing the term ‘identity shift’ in the area of contact with languages and cultures. Second, it describes the term in its various polari-zations. They create an identity shift zone as a space where the adult immigrant uses two culture patterns and two languages respectively created and dominated in different ways and times. The article concludes that this zone allows us not only to identify linguistic and conceptual phenomena, but also it allows us to assume the existence of independent interdiscursive and intertextual strategies of the source and adoption reference models; this is, models specific of this type of immigrant.

Keywords: identity shift, cultural pattern, privileged immigrants, cognitive and linguistic process, interactions

Introducción1

El fenómeno de la migración es parte integrante de la condición del ser humano.

En todos tiempos, el fenómeno ha acompañado el desarrollo humano. La literatura de investigación solía documentar la migración según un eje sur-norte, pero la construcción económica y social de Europa ha atraído la atención de investigadores sobre los fenómenos de migración que ocupan un eje norte-norte, esto es de un país europeo a otro. La globalización ha definitivamente atomizado el concepto de migración de momento que incorpora dimensiones virtuales con el uso de medios de comunicación que permiten a las personas trasladarse en realidades definidas por límites observables o en espacios digitales. No obstante común el tema de la migración de personas, el estudio del tránsito e instalación de migrantes de privilegios2 (Croucher, 2009) en países emergentes como México es relativamente discreto, aunque estos movimientos se dan

por doquier, en todos los grupos sociales y por motivos muy variados.

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Acercamiento a una conceptualización del shift identitario

Menos aún son los estudios que se enfocan en los procesos cognitivo-lingüísticos

resultantes en individuos que participan de estos movimientos geográficos. Pareciera

que los fenómenos de transferencias inter e intralingüísticos, por otro lado ampliamente

documentados, hubieran cernido la totalidad de la cuestión de las estrategias pragmáti-

co-discursivas que el individuo despliega cuando se encuentra fuera de su círculo habitual

y está interesado en interactuar con sus pares. Ahora bien, la (de)territorialización de

individuos y la (re)territorialización (Ouamara, Chaouitte, 2007), parte integrante del

género humano y ejercicio común en ciudadanos del siglo XXI, se acompañan a menudo

de fluctuaciones en el discurso humano. Las variaciones discursivas se vuelven entonces

verdaderos (de)marcadores identitarios que ejemplifican fenómenos sociales complejos

(búsqueda de aceptación, negociación, proyección social, etc.) que el individuo atiende

ya como una actividad rutinaria.

El objetivo de este artículo consiste en definir el proceso mencionado, vivido por

muchos migrantes3, poniendo de relieve las fases lingüísticas y cognitivas por las cuales

transita. Para ello, partimos de una revisión de los términos disponibles en la bibliografía

sobre el tema para designar el proceso y asentarlo en el campo del estudio de lenguas

en contacto. Luego abordamos la disonancia cognitiva como uno de los componentes

detonadores del fenómeno. Para describir los diferentes aspectos del shift de identidad

en el discurso, se visualiza a los migrantes de privilegio entre dos categorías de personas

distribuidas en el orbe en función de dos extremos idealizados: el monocultural y el

bicultural. Cada etapa determina un espacio caracterizado por una visualización propia,

y un esquema propio de representación.

1. Orígenes del shift de identidad

Algunos investigadores que han reflexionado sobre los fenómenos lingüísticos y cultu-

rales que experimentan los migrantes, han acuñado una serie de términos tales como

shift, (Berry, 1997, Talmy, 2003), cambio, recomposiciones (Thamin, 2009), mutaciones,

movilidad (De Fina, 2006) para reflejar movimientos individuales donde la(s) lengua(s)

en uso sirve(n) para visibilizar estrategias de adaptación social. Sus investigaciones

articulan lo lingüístico del acontecer migratorio con procesos individuales a nivel social

y/o laboral, sentimientos de inclusión o de exclusión; es decir que se enfocan en el

encuentro entre lenguas y culturas mientras se desarrollan y una vez instanciados4, a

la luz de los efectos provocados. Si bien sus reflexiones toman en cuenta los aspectos

culturales e identitarios, el eje de la cognición así como su relación con la lengua en uso

y los subsecuentes efectos sobre la identidad personal y social del migrante constituyen

una vertiente que atender. Por esta razón, considerar el contacto de lenguas y culturas

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Synergies Mexique n° 5 - 2015 p. 85-98

(como procesos individuales de adptación social ante las necesidades comunicativas) puede arrojar luz sobre las reflexiones interculturales.

Se puede considerar que el término shift de identidad ronda entre psicólogos sociales y lingüístas desde inicios de los años 2000 sin que se haya percibido la necesidad de una definición canónica, ni que se le pueda atribuir en sí una paternidad. En psicología social, la expresión suele designar movimientos no patológicos en la construcción de la identidad personal o remite al carácter fluido de la conceptualización del ser. En fechas más recientes, denomina la dinámica que el uso de nuevas tecnologías ha podido establecer en la convivencia de identidades virtuales con identidades tradicionales (Gonzales, Hancock, 2008). En semejantes circunstancias, parece más importante aún delimitar lo que significa el shift identitario cuando surge en un contexto de contacto de lenguas; además cabe precisar que la propuesta que se somete concierne específica-mente la ejemplificación de la noción en el discurso.

Los fenómenos del shift identitario a nivel lingüístico y cognitivo no pueden asimi-larse a mutaciones o movilidades, vocablos que describen con inexactitud e inade-cuadamente lo que sucede en la cognición del individuo. Las instanciaciones inter-culturales, es decir los intercambios verbales entre personas de culturas diferentes, que se externan en una lengua u otra, o en la mezcla de códigos, no refiere a una generación molecular proveniente de culturas A y B que afecte los procesos cognitivos del individuo. Tampoco se limitan a determinados movimientos entre lengua-cultura A y lengua-cultura B que pudieran rendir cuenta de una proporción a la flexibilidad en algunos migrantes. Asimismo, se distinguen de las recomposiciones identitarias (Thamin, 2009), aun y cuando éstas se manifiestan mediante un repertorio verbal revisitado porque pueden ser acomodos superficiales. Berry (1997) habla de behavioral shift para referirse a la persona que vive en un país desconocido y realiza una serie de ajustes actitudinales para poder funcionar en la nueva sociedad. Sin embargo, la superficia-lidad que pueden adoptar los cambios actitudinales no resulta necesariamente de una correspondiente transformación en la cognición del individuo. Las adaptaciones que el migrante incorpora, rastreables en su discurso pero también en sus actitudes, patrones de interpretación y de razonamiento, alteran su personalidad en la continuidad del ser, porque son influenciadas por dinámicas impuestas por nuevos contextos y parámetros interaccionales. Por ello, la descripción de los originales procesos cognitivos que se generan en personas que viven en el extranjero a través de su discurso nos interesa aquí más que el conteo de las transformaciones en su repertorio verbal.

El pertenecer a varios grupos que sirven de referencia identitaria en el desarrollo de un individuo, así como la disponibilidad de varias lenguas para que un sujeto exprese sus patrones culturales, pone de relieve valores transmitidos y compartidos por culturas diferentes en toda la urbe mundial. Asimismo, hace obligatoria la presencia de conflictos

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Acercamiento a una conceptualización del shift identitario

cognitivos que tienen que resolverse. Lo interesante es ver cómo la interacción apoyada

de la facilidad compartida, presenta informaciones y valores, comparte datos en dos

culturas y teje el entendimiento. Es igualmente relevante observar cómo se organizan

diversos referentes cuando los patrones son incompatibles, es decir, cuando surge

algún tipo de disonancia cognitiva (Vaidis, 2011, Fointiat, 2013) al interior del mismo

referente, sea en el ámbito cultural, lingüístico o identitario.

La cognición que la psicología cognitiva presenta como el conjunto de modelos que

tratan informaciones, describen y explican procesos mentales por los cuales los individuos

perciben y se representan el mundo, interactúan, comunican y resuelven problemas,

se encuentra al centro de la articulación del shift. Vaidis compara el constructo de las

cogniciones a una bolsa donde están “las respuestas cognitivas, afectivas y comporta-

mentales”, subrayando que “las cogniciones reenvían a la representación de la realidad

de un individuo. El ser humano dispondría de una multitud de cognición para construir

su realidad” (2011: 13)5. Por su parte, Voisin habla de varias pequeñas modificaciones

cognitivas y ponen de relieve la intricación de cogniciones entre sí al remarcar que

“cuando los individuos cambian de actitud, la nueva actitud puede crear un nuevo

desequilibrio. Transformar una cognición puede crear una inconsistencia con una o más

cogniciones, lo que provoca una nueva disonancia cognitiva” (2013: 90)6. El concepto

de disonancia cognitiva, esta inconsistencia entre comportamientos y valores, creencias

y actuaciones que amenaza el anhelo existencial de equilibrio del Hombre, ha tenido

reformulaciones de diverso índole desde su conceptualización festingeriana al final de

los cincuenta. En la actualidad, sería más adecuado hablar de las teorías de la disonancia

o de las disonancias cognitivas. La noción resulta indispensable a la construcción del

concepto de shift identitario en el discurso.

Las disonancias cognitivas que provoca la migración provienen del encuentro de

dos patrones culturales – dos bolsas socioculturalmente construidas con las informa-

ciones cognitivas, afectivas y comportamentales de las culturas A y B respectivamente

- que enmarcan los comportamientos y actitudes individuales, y de dos lenguas que

interactúan para instanciarse en realizaciones lingüísticas inéditas, algunas veces

dictado por un patrón cultural, otras veces dictado por la percepción de otro patrón

cultural. Desafortunadamente, para quien no haya tenido enculturación7 en dos culturas

diferentes desde una edad temprana, los mecanismos y marcos de referencia en uso en

la(s) segunda(s) cultura(s) pueden ser percibidos, pero no necesariamente dominados,

y menos aún a la manera de un nativo (Grondin, 2015). El migrante que se encuentra

en esta situación advierte esquemas cognitivos que difieren de los que heredó de su

enculturación y suele usar para interactuar, puede reconocer, aislar y en cierta medida

reproducir patrones textuales y/o discursivos percibidos pero falta todavía comprobar

que estas producciones se asemejen en formato y fondo a una producción nativa.

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La noción de shift en Talmy (2003) sintetiza en gran parte las consideraciones antes

expuestas. Remite a toda convivencia compartimentada de dos o más referentes cultu-

rales que le permiten al individuo ir de uno al otro en función de la situación, de los

interlocutores, de los contextos. Describe el shift, como ajustes con los cuales personas

con diferentes sistemas cognitivo-culturales interactúan con su entorno, y establece

que el éxito de sus interacciones se basa sobre su capacidad en operar varios referentes

desarrollando estrategias que apuntan todas en resolver conflictos culturales, y

armonizar valores culturales similares. En estas circunstancias, el individuo puede:

1) escoger un patrón cognitivo-comportamental correspondiente a un grupo, sobre

otros patrones8;

2) compartir los patrones cognitivo-comportamentales habiéndolos asimilado en su

casi integridad y desarrollándolos principalmente en sus grupos fuentes. Dependiendo

de los contextos, hace vaivenes entre un patrón y otro, esto es, desarrolla patrones

cognitivo-comportamentales alternativos;

3) armonizar varios aspectos de los patrones inicialmente incompatibles para crear

nuevos patrones cognitivo-comportamentales que le permitan seguir estableciendo

interacciones exitosas en las culturas donde se desenvuelve.

Lo anterior implica considerar la cultura que enmarca nuestra identidad como un

producto social (Morin, 2001) en forma de continuum que se puede representar de modo

lineal, pero sobretodo en constante ajuste, fluido y dinámico, esto es en término de

culturalidad. Desde esta perspectiva, el sujeto que migra evoluciona entre las opciones

2 y 3 de Talmy (2003), en una zona de shift de identidad caracterizada por referencias a

varios patrones culturales: algunas veces, el migrante tiende a regresar hacia modelos

de su cultura de origen, en otras ocasiones tiende a adoptar modelos nuevos, aunque

imperfectamente asimilados éstos últimos, que le proporcionan sin embargo suficientes

bases para que pueda seguir estableciendo interacciones exitosas que le confieren una

imagen social y personal satisfactorias, ya que finalmente esta satisfacción constituye

la meta de toda búsqueda humana.

Los migrantes en zona de shift de identidad se desplazan en un continuum que parte

de una identidad monocultural hacia una identidad bicultural9 que podríamos repre-

sentar de la manera siguiente:

Identidad monocultural ----x----x----x----x----x----x----x---- Identidad bicultural

A continuación explicamos las características que abarcan cada uno de los extremos

que delimitan el continuum cultural de la identidad (representado por los guiones

cortos) con tal de establecer los principios del shift identitario en el discurso.

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Acercamiento a una conceptualización del shift identitario

1.1 El polo monocultural de la identidad

Las propiedades del shift de identidad se desarrollan para un individuo que deja un

espacio “x” para desenvolverse en un espacio Y. Cada uno de los espacios se caracteriza

por tener patrones culturales que moldean a sus sujetos, les indica cómo interpretar,

entender y reaccionar frente al mundo y delimitan sus interacciones. Asimismo, cada

uno de los espacios se caracteriza por tener una realización lingüística que usa para

denominar su entorno y comunicar sus pensamientos, conocimientos y emociones. Si

visualizamos el continuum de modo lineal y acordamos que cada uno de estos espacios

corresponde a un polo del continuum cultural de identidad antes mencionado, tenemos

una línea con dos polos extremos, ambos monoculturales y monolingües, identidad A y

B, respectivamente:

Identidad A (monocultural) --------------------------- Identidad B (monocultural)

Teniendo este continuum de fondo, se propone el siguiente esquema que relaciona

los aspectos cognitivos y lingüísticos de dos individuos en situación monocultural

y monolingüe, uno tomando como base el patrón cultural que corresponde al de la

identidad A (PcA) y otro basándose sobre el patrón cultural de la identidad B (PcB):

A cada patrón cultural corresponde una realización lingüística (ReallingA), la reali-

zación lingüística en lengua de origen, por ejemplo aquí en francés, y (ReallingB), la

realización lingüística en lengua meta, aquí en español. Reformulamos entonces el

continuum inicial y definimos que cada individuo monocultural responde a la ecuación:

PcA-ReallingA ----------------------------------- PcB-ReallingB

Para muchos migrantes, el cambio de espacio y la necesidad de establecer contactos

a su alrededor generan instantáneamente presiones que obligan al individuo a pasar por

procesos de adaptación tanto culturales como lingüísticos.

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PcAPatrones culturales de origen

ReallingARealización lingísticaen lenga de origen

PcBPatrones culturales meta

ReallingBRealización lingística

en lenga

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Synergies Mexique n° 5 - 2015 p. 85-98

El establecimiento de contactos y la diversificación de situaciones de comunicación

provocan otro tipo de presiones (laborales, académicas, entre otras) que pueden llevar

al migrante a privilegiar un patrón cultural sobre otro. Mantener sus referentes cultu-

rales de origen o, al contrario, abandonarlos para adoptar los referentes culturales del

país de recepción, lo que afecta directamente la enculturación individual. La desinte-

gración de la cultura de origen y sus subsecuentes consecuencias sobre la identidad

de la persona son recurrentes en casos de conversión lingüístico-cultural10. Algunos

estudios de migrantes adultos en países ricos muestran que a menudo dicha conversión

va ligada con las dificultades inherentes a la adaptación cultural en el nuevo país. La

explicación que ofrece la psicología social para la construcción de la identidad en el

individuo puede arrojar alguna luz sobre el mecanismo de posibles conversiones experi-

mentadas en migrantes de privilegios en países emergentes como México por ejemplo.

Aunque extremo y pesimista, podría observarse en adultos que hayan vivido traumas

fuertes relacionados con su identidad en la cultura de origen y que, insatisfechos de

los supuestos ligados a su identidad y de la subsecuente imagen de sí mismos, buscan

renovar dicha imagen (Köpke, Schmid, 2011). El marco cultural del país de recepción

ofrece entonces una alternativa para redimir una cognición afectiva en crisis y una

identidad en exilio.

Ahora, es cierto que el individuo tiene constantemente que tomar decisiones respecto

a la preminencia de un patrón cultural sobre otro. Si bien su desarrollo en un país donde

no se formó inicial y socialmente puede ofrecer puntos de encuentro que proporcionan

un aparente entendimiento y un terreno de expresión fértil para sus actitudes y sus

patrones comportamentales, lo cierto es que también propicia disonancias cognitivas

fuertes que tiene que atender. Aquí es donde el carácter fluido y adaptable de la

culturalidad (Morin, 2001) puede intervenir y ofrecer una extensión positiva, optimista

y maleable del patrón cultural base, por lo menos en los primeros conflictos cognitivos

que experimente al estar en contacto con otra cultura. No se puede hablar todavía de

shift identitario pero sí observar una disposición a posturas innovadoras que ayudarían

a superar conflictos cognitivos de carácter bicultural.

1.2 El polo bicultural de la identidad

En el continuum identitario, si el monocultural representa un extremo idealizado, el

bicultural ocupa el extremo opuesto.

Identidad monocultural A ---------------------------- Identidad bicultural A/B

Se considera a la biculturalidad como la potencialidad del individuo doblemente

enculturado y por ende, capaz de usar dos patrones culturales de manera indistinta11.

Las realizaciones lingüísticas de tal individuo, al mismo tiempo que reflejan el dominio

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Acercamiento a una conceptualización del shift identitario

de patrones culturales potencializados por su coexistencia mutua, atestiguan su óptimo

dominio de dos códigos. No sólo el individuo tiene la habilidad de manejar dos códigos

con la misma soltura, por ejemplo hablando en francés con un interlocutor que le hace

frente, mientras envía mensajes de texto simultáneamente a otro interlocutor en

español, pero también tiene la opción de elegir desde cual patrón cultural interpretar

su entorno y en cuales combinaciones de patrones y códigos lingüísticos establecer un

intercambio.

El esquema 2 refleja la situación del bicultural. Tenemos nuevamente dos patrones

culturales con sus respectivas realizaciones lingüísticas. Pero como indican las flechas,

el bicultural posee ambos patrones culturales y sus instanciaciones lingüísticas y, por

tanto puede transitar entre ellos (flechas cruzadas).

El individuo bicultural responde entonces a las ecuaciones:

PcA-ReallingA y PcB-ReallingB -------------------- PcA-ReallingB y PcB-ReallingA

Ciertamente diferentes grados de contacto y participación social, diversas fuerzas

sociales y dinámicas de interacción (Berry, 1997) llevan al migrante a construir un

conocimiento común indirecto (CCI en adelante) en su nuevo entorno (Terborg, Acosta,

2013). A medida que domina la lengua B advierte la existencia de un patrón cultural B

vigente. Lo interpretamos como un elemento positivo y creativo de la interacción. Pero

la apertura a nuevas cogniciones advertidas tardíamente ofrece interpretaciones que

falta cotejar con las de los nativo-hablantes de una lengua- cultura dada. No hay que

olvidar considerar que como la migración no es un tema de excepción, es concebible

que el migrante entre en contacto tarde o temprano con una comunidad formada por

connacionales. Esta comunidad de lengua A en territorio B se distingue de la comunidad

A base cuyo espacio de referencia es únicamente el país A, por el acceso a un nuevo

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Synergies Mexique n° 5 - 2015 p. 85-98

CCI. En sus intercambios diarios, la referencia y la expresión de una serie de aspectos

cognitivos pertenecientes al país A y al país B que traducen sus shifts identitarios,

se materializan en realizaciones lingüísticas originales disponibles a todo locutor de

ambos códigos. El objeto de la sección siguiente es precisamente hacer luz sobre los

componentes y el funcionamiento del shift identitario.

2. Descripción del shift identitario entre los polos monocultural y bicultural de la identidad

Eventualmente, por el juego combinado de disonancias cognitivas y la presión que

representa establecer contactos en un nuevo entorno, el migrante se ve obligado a

moverse de su polo identitario monocultural sobre una trayectoria hacia un polo bicul-

tural. Lo representamos en el continuum de la siguiente manera:

PcA-ReallingA y PcB-ReallingB PcA-ReallingB y PcB-ReallingA

Trayectoria del shift identitario en el discurso

El shift identitario en el discurso se entiende como un movimiento de la identidad

sobre una trayectoria lingüística-conceptual desde un polo monocultural idealizado

hacia un polo bicultural también idealizado. En esta trayectoria, el individuo tiene

la posibilidad de acudir a dos patrones culturales, PcA y PcB, pero no como si hubiera

estado enculturado en las dos culturas, y en esto se diferencia del individuo bicultural.

Si las referencias cognitivas remiten indistintamente a un patrón cultural u otro, se

instancian en el discurso migrante desde un PcA conocido pero un PcB percibido. El

encuentro tardío con la cultura B sólo permite interpretar sus componentes a la luz de

un patrón cultural que codificó previamente al individuo al nivel cultural. Talmy define

la tarea de acomodar los rasgos incompatibles de ambas culturas para que le permita al

individuo funcionar tanto en un contexto A como en un contexto B como “el desarrollo

o la construcción en el individuo de una mezcla distintiva e híbrida de componentes

que provienen de dos o más patrones culturales en conflicto, o de hecho la creación de

alguna nueva fusión” (2003: 381)12. Insiste en que es un patrón único que funciona de

forma híbrida en ambos contextos.

De concordar con la hibridez sugerida por Talmy, parecería que el producto obtenido

en el encuentro de los dos patrones es nuevo y gozando de una existencia independiente

de cada sistema. Pero no es así. En realidad, un sistema predomina y no es necesa-

riamente el original: es el sistema con el cual para una cognición dada el migrante se

identifica. Si bien el migrante que se instala en el país B puede desarrollar un muy alto

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Acercamiento a una conceptualización del shift identitario

grado de adaptación a su entorno, el resultado de su instalación en términos cognitivos

y actitudinales consiste en seleccionar en la marca indeleble que dejó su socialización

primaria los rasgos culturales que mejor convergen con rasgos de la cultura B en un

intento continuo por armonizar aspectos disonantes de ambas culturas. Mantiene los

rasgos del patrón cultural A al mismo tiempo que construye un espacio al patrón B a

partir de lo que percibe de nuevas premisas de interacción. Dicha construcción es viable

mientras el patrón cultural A tenga la capacidad de extender y amoldarse.

El registro de los fenómenos que se generan en la armonización de patrones cultu-

rales traduce transferencias de elementos cognitivos y discursivos llamado shift identi-

tario. Se expresan a nivel lingüístico por una serie de interferencias entre lengua A y

lengua B donde permean con menor o mayor grado patrones culturales A y/o B. Las

manifestaciones lingüísticas del shift identitario, como sus ecuaciones, son múltiples

y sutiles (véase nota 1 para mayores detalles). Pero el shift identitario se define sobre

todo como un movimiento conceptual entre un paquete conceptual perteneciente a la

cultura A y otro paquete perteneciente a la cultura B que el individuo moviliza para dar

sentido y significado a un entorno cultural cambiante. Este shift identitario se activa a

nivel cognitivo por disonancias cognitivas (Vaidis, 2011, Voisin, 2013), pero también se

apoya con frecuencia sobre la facilidad compartida (Terborg, Acosta, 2013). Pone de

igual modo a flote la existencia de esquemas cognitivos (Nishida, 1999) que pertenecen

a las culturas A y/o B. Por ello, las disonancias cognitivas, facilidades compartidas y

esquemas cognitivos se manifiestan lingüísticamente en lengua A y/o lengua B. También

aquí, las ecuaciones son complejas y reflejan sutiles intrincaciones.

Conclusión

Los fenómenos de shift identitario en el discurso buscan poner de relieve vertientes

lingüísticas y cognitivas en el migrante de privilegio en el centro de México. La aclaración

es importante porque el tema de la migración está usualmente documentado desde

una dialéctica norte-sur que supedita muchas veces las lenguas en presencia y que

consideramos caduca e inoperante en una globalidad donde los intereses económicos

de naciones compiten con los intereses personales y sociales de individuos. Es decir que

generalmente se espera que un artículo que trata de migración se enfoque en grupos de

países emergentes o en desarrollo hacia un espacio economicamente favorable para el

migrante. Generalmente también los estudios llevados a cabo sobre estos grupos a nivel

lingüístico se enfocan en las dificultades que tienen para aprender y aprehender una

lengua de prestigio, el prestigio de su lengua nativa no es tema de interés. Sin embargo,

una lengua, como vector de socialización y aparato de difusión cultural estructura a

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Synergies Mexique n° 5 - 2015 p. 85-98

una persona desde sus primeros intercambios para que pueda interactuar con el mundo

alrededor suyo. Cuando un individuo cambia de país no sólo se tiene que adaptar a un

nuevo entorno, lingüísticamente y cognitivamente transita por una serie de etapas que

hemos querido poner de relieve.

En términos cognitivo-lingüísticos pasa de poseer y dominar una lengua que rige una

serie de patrones culturales a advertir la existencia de otra lengua con su respectivo

paquete cultural. La descripción de una zona de shift de identidad nos obliga a distinguir

el monocultural y monolingüe del bicultural y bilingüe en sus dimensiones ideales. Estas

dos figuras delimitan el espacio del shift identitario que debe verse como un continuum

que el migrante recorre en ritmos diferentes en función de cómo (calidad y cantidad)

interactúa en su sociedad de adopción. El shift identitario tiene dos vertientes: una

lingüística donde reinan interferencias sencillas y complejas, otra cognitiva donde

el migrante tiene que armonizar aspectos culturales incompatibles. En esta segunda

vertiente, el individuo hace uso de estrategias como la facilidad compartida y edita

esquemas cognitivos, indispensables para su comprensión e interacción en inter-

culturalidad. Los fenómenos cognitivos se instancian en una lengua y otra porque la

convivencia de patrones culturales adquiridos en momentos y en grados diferentes

vuelve exponencial la distribución y las intrincaciones patrón cultural-lengua.

En fechas recientes, una observación del comportamiento de diversos fenómenos

lingüísticos y cognitivos del shift identitario en el discurso de migrantes (por ejemplo:

el estancamiento léxico-conceptual de su lengua de origen por una parte y por otra

parte la constitución de sus estrategias discursivas en la lengua meta) nos ha hecho

preguntar si los modelos de comunicación que el migrante reproduce no eran creaciones

individuales de cómo percibe e interpreta su entorno13. Quizá esta representación del

shift identitario en el discurso debería tomar en cuenta la posibilidad que el migrante

exiliado de su cultura de referencia y ocupado en tratar de penetrar otra cultura de

referencia desarrolle estrategias discursivas y cognitivas al margen de ambas culturas,

construyendo patrones de referencia en realidad independientes de ambas culturas. En

estos contextos nos hemos acostumbrado a estudiar los efectos de la migración a nivel

lingüístico, dejando de lado los procesos cognitivos. Y ¿si las consideraciones anteriores

muestran las limitaciones actuales de nuestros marcos de interpretación respeto de la

migración? ¿Será posible que nuestras mentes desconozcan nuevos enfoques de inter-

pretaciones del acontecer lingüístico en el contexto de la migración? Los migrantes de

privilegios invitan a considerar con mayor detenimiento la parte de la cognición en los

intercambios interculturales.

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Acercamiento a una conceptualización del shift identitario

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Notas

1. El artículo presenta una parte del marco teórico de la investigación doctoral de la autora que trabaja sobre shifts identitarios en el discurso de dos francesas instaladas en Toluca, Estado de México, México. Se visualiza como el primero de una serie que ilustrará fenómenos lingüísticos y conceptuales en el discurso de extranjeros. Artículos posteriores están destinados a dar y discutir ejemplos detallados de estos fenómenos. 2. El término “migrantes de privilegio” designa inicialmente a emigrantes estadounidenses insta-lados en México y que gozan de las prerrogativas del ciudadano americano en su país. Lo enten-demos aquí de modo amplio como una categorización de migrantes procedentes de países ricos y migrando hacia países emergentes o en vía de desarrollo, al margen de motivaciones económicas. Desde esta perspectiva, se puede aplicar a canadienses, estadounidenses y europeos (en el más amplio sentido del término) que hayan decidido emigrar a México por razones no económicas. Una vez en el país, establecen contacto es decir que buscan trabajo y tejen una red relacional sin que esto signifique una ruptura con los círculos sociales de origen. Es importante remarcar que toda mención a migrantes en el presente artículo considera en prioridad a la categoría de personas descritas aquí. De igual modo, se entiende la migración de este peculiar público como la resultante de innumerables inconformidades sociales y personales que obligan al individuo a explorar otros territorios y tejer nuevas interacciones en el intento para reconciliarse con una imagen social y/o personal insatisfactoria así como expectativas inconclusas.

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3. El propósito no consiste en determinar si todos los migrantes experimentan cambios identi-tarios sino enfocarnos en quienes sí lo viven. 4. Se entiende la instanciación como la expresión lingüística espontánea que ejemplifica nociones, emociones, opiniones determinadas siguiendo patrones discursivos en vigor en una comunidad lingüística dada.5. “[Le terme de cognition] correspond en somme à un « sac » pouvant contenir à la fois les réponses cognitives, affectives et comportementales” ; “les cognitions renvoient à la représen-tation de la réalité d’un individu humain. L’être humain disposerait d’une multitude de cogni-tions pour construire sa réalité”. 6. “Quand les individus changent d’attitude, la nouvelle attitude peut créer un nouveau déséquilibre. Transformer une cognition peut créer une inconsistance avec une ou plusieurs autres cognitions, entraînant une nouvelle dissonance cognitive”.7. La enculturación o endoculturación remite al proceso según el cual la generación de más edad pasa sus valores y creencias a la generación más joven. Esta la asimila y aprende a interactuar en el mundo según los principios edictados por sus ancestros pero la inversión simbólica que le imprime cada generación puede variar de una generación a otra. 8. Personas que adopten esta opción no atestiguarían fenómenos de shift identitario pero consi-deramos que tampoco estarían desarrollando una comunicación intercultural exitosa. 9. El continuum cultural de la identidad está delimitado por polos en cada uno de sus extremos. A cada polo corresponde un patrón cultural marcado como Pc en esquemas siguientes y que se alterna con el término identidad a modo de metonimia. En cada representación esquemática, las cruces que interrumpen los guiones cortos representan los fenómenos de shift de identidad.10. Estos estudios presentan la desventaja de situarse algo lejos de nosotros en el tiempo. Además, se suelen referir al contacto entre una lengua-cultura minoritaria y una lengua-cultura mayoritaria. No hemos encontrado estudios que mencionan efectos ocurridos en el contacto de lenguas desarrolladas en un mismo nivel (código escritos y oral, literatura, etc.) o gozando de un prestigio equiparable.11. Talmy (2003) lo describe en término de dos Sistemas Cognitivo-Culturales (SCC). También presenta la compartimentalización como el ejercicio de un individuo capaz de identificar patrones incompatibles de manera a tenerlos separados en función del contexto y de los interlocutores. Porque puede pasar de un patrón a otro dependiendo de la situación, es capaz de dividir y distinguir patrones alternativos en una misma situación con tal de resolver algún conflicto.12. “the development or construction in the individual of a distinctive hybrid mixture of compo-nents from two or more of the conflicting cultural patterns, or indeed the creation of some novel fusions”. 13. En el momento de cierre de este artículo, un proyecto de investigación se encarga de constituir un marco de referencia del español mexicano hablado para poder establecer la relativa cercanía o lejanía de rasgos discursivos entre un público extranjero y otro mexicano. Se enfoca en particular en la manera cómo por ejemplo ambos públicos van utilizando interjecciones y formulas coloquiales así como marcos cognitivos como patrones retóricos y guiones discursivos.

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❧Pratiques

d'enseignement- apprentissage

Synergies Mexique n° 5 / 2015

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Communiquer autrement à travers la visioconférence : outil miracle ou frein pour

apprendre une langue ?

Synergies Mexique n° 5 - 2015 p. 101-113

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Reçu le 08-04-2015 / Évalué le 06-07-2015 / Accepté le 30-09-2015

Résumé

L’article présente une recherche qui porte sur l’étude des interactions par vidéoconfé-rences entre étudiants français du Lycée Aristide Briand (Évreux) et étudiants mexicains du Centre d’Enseignement de Langues Étrangères (CELE) de l’Université Nationale Autonome du Mexique (UNAM). Il s’agit de décrire et d’analyser ces interactions en se penchant de manière plus spécifique sur les séquences qui mettent en évidence des problèmes d’incompréhension.

Mots-clés : visioconférence, communication, interaction et interactivité, échange

Comunicar de manera diferente a través de la videoconferencia: ¿herramienta milagrosa o freno para aprender un idioma?

Resumen

El siguiente artículo presenta una investigación sobre el estudio de las interacciones por medio de videoconferencias entre estudiantes franceses del liceo Aristide Briand (Évreux) y estudiantes mexicanos del Centro de Estudios de Lenguas Extranjeras (CELE) de la Universidad Nacional Autónoma de México (UNAM). Este trabajo persigue describir y analizar dichas interacciones poniendo especial énfasis en aquellas secuencias que evidencian problemas de incomprensión.

Palabras clave: videoconferencia, comunicación, interacción, interactividad, intercambio

Communicating differently through videoconference: A miraculous tool or a halting brake for language learning?

Abstract

This article presents research on the study of interaction through videoconferences between French students from the school Aristide Briand (Évreux) and Mexican students from the Center for Foreign Language Studies (CELE) of the Universidad Nacional Autonoma de Mexico (UNAM). This work seeks to describe and analyze such interactions, placing special emphasis on the sequence that show comprehension problems.

Keywords: videoconference, communication, interaction, interactivity, exchange

Xóchitl Espinosa VasseurUniversidad Nacional Autónoma de México, Mexique

[email protected]

GERFLINT

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Introduction

Quand on parle de visioconférence, on fait référence à un moyen de communication

virtuelle et d’échanges synchrones entre plusieurs personnes ou groupes de personnes.

Ce dispositif mobilise de nouvelles formes d’interaction, non seulement grâce à l’ordi-

nateur, mais aussi grâce aux configurations interactionnelles originales.

La présente expérience fait référence aux interactions synchrones entre des étudiants

mexicains apprenant le français au CELE-UNAM et des élèves français du Lycée Aristide

Briand (Evreux) apprenant l’espagnol comme langue étrangère. Lors de la mise en place

de ce dispositif, notre but était donc de faire communiquer nos étudiants avec des

locuteurs francophones, et ainsi d’établir des échanges culturels entre apprenants, en

même temps que de renforcer les compétences communicatives dans la langue cible.

C’est dans ce contexte que des questions se sont posées ; elles tiennent compte de

deux points essentiels. En ce qui concerne l’interaction en face à face telle que nous

la pratiquons en cours : Quelles caractéristiques d’interaction possèdent les séances

de visioconférences ? Comment à travers une rencontre interculturelle, via visioconfé-

rence, des étudiants de FLE développent-ils leurs compétences communicatives et

interactionnelles ?

Dans un premier temps, nous décrirons les spécificités des situations de communi-

cation en cours de langue et lors de visioconférences afin de mieux cerner la complexité

des interactions. Dans un deuxième temps, nous exposerons le scénario mis en place.

Enfin, nous présenterons la démarche méthodologique employée pour analyser les

interactions des étudiants mexicains.

1. Qu’est-ce que communiquer ?

1.1 Une typologie de la communication.

Traditionnellement, « communication » se rapproche de « communier » avant que

le mot ne désigne au XXème siècle une « action de communiquer quelque chose à

quelqu’un » (Winkin, 1981 : 14). Le concept de communication implique donc un

émetteur, un canal, un message et un récepteur (modèle de Shannon). Cette dernière

serait alors linéaire et transmitive, constituant un simple échange de signaux. Ce

processus de communication est considéré comme une ligne droite avec un point de

départ et un point d’arrivée. Cependant, ce concept du point de vue relationnel met à

jour un autre paradoxe, celui de l’interaction. Quel degré d’interaction s’opère entre

l’émission et la réception ? L’interaction est un processus dialogique de rencontre

qui englobe des caractéristiques : le face à face, et des règles avec des contraintes

s’appuyant sur une relation cognitive des participants (Tabensky, 1997). Traverso

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Communiquer autrement à travers la visioconférence

ajoutera l’idée d’engagement « Le maintien de l’interaction oblige les participants

à signaler continuellement qu’ils sont parties prenantes de ce qui se passe : (…) Etre

engagé dans une interaction signifie que l’on y maintient une certaine attention intel-

lectuelle et affective » (1999 : 16). On remarque ici une dépendance certaine entre les

deux locuteurs dans leurs réponses car chacun dépend de l’autre pour interagir et ils

ont aussi un intérêt commun.

C’est à partir de là qu’on pourra s’interroger plus particulièrement sur le prototype

communicationnel. Que se passe-t-il quand deux personnes interagissent ?

1.2 La construction de l’interaction

Pour qu’il y ait interaction, il faut que le partage de la parole s’accompagne non

seulement dans un premier temps d’une coopération entre plusieurs locuteurs, mais

aussi d’une série de normes qui, selon Cicurel (2011), se déclinent en plusieurs règles :

• une règle de qualité : elle mène les locuteurs à s’exprimer sincèrement.

• une règle de quantité : chaque locuteur doit essayer d’équilibrer son discours et

ne pas en dire trop.

• une règle de relations qui incite le locuteur à savoir répondre et se comporter

face à l’autre.

• une règle de modalité qui amène les locuteurs à donner des explications sur

leurs discours.

Selon C. Kerbrat-Orecchioni (cité par Louis, 2011), d’autres éléments sont indispen-

sables dans une classe de langue pour interagir: une situation, des participants et un

cadre spatio-temporel.

Les étudiants qui interagissent en cours le font selon leur propre caractère; d’autre

part, les relations amicales qui les rapprochent de leurs camarades de classe sont un

atout supplémentaire qui les pousse à la coopération lors des interactions. C’est dans

ce cadre spatio-temporel, qui a une fonction sociale, que les étudiants endossent le

rôle d’acteurs sociaux qui conversent et débattent dans un but précis. Le même auteur

insiste sur la notion de « synchronisation interactionnelle ». L’étudiant A sera capable

en effet de voir à quel moment il pourra prendre la parole ou la laisser (au moment

des pauses par exemple) ; sans qu’il en soit vraiment conscient, il sera aussi amené à

imiter son partenaire, non seulement au niveau du paraverbal (ton, volume, rythme de

la voix), mais aussi au niveau de l’attitude.

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1.3 L’interaction en visioconférence

1.3.1 La composante du genre discursif

L’interaction dans une visioconférence se caractérise par un effet d’asymétrie.

Velkavska et Zouinar (2007) parlent tout d’abord « d’asymétrie de la relation » dans

le sens où l’interaction se déroule entre « natifs » et « non natifs ». Les apprenants

doivent être capables de réagir à ce que disent les autres étudiants et de leur répondre

en adaptant leurs comportements communicatifs de manière à être compris. Précisons

ici qu’au-delà de cette opportunité originale pour « sortir de la classe », s’instaure un

décalage relationnel dû à la différence existant entre leur culture d’origine et la culture

découverte.

Par « asymétrie interactionnelle », les auteurs désignent ensuite un écart au niveau

de la prise de parole et du contrôle de l’interaction. En effet, comment l’apprenant

mexicain conversera-t-il avec le francophone ?

Develotte et Drissi (2013) parlent de « face à face distanciel » dans lequel l’espace

multimodale est flexible et non stabilisé. Dans notre cas, l’interaction orale sera flexible

car l’étudiant aura accès non seulement à l’écran de l’ordinateur, mais aussi au grand

écran de la salle pour pouvoir interagir avec les francophones.

Ensuite, les deux premiers auteurs évoquent « une asymétrie contextuelle » qui

s’intéresse aux éléments pertinents de l’environnement pour que l’interaction soit un

succès. En effet, l’organisation d’une interaction en visioconférence passe par l’appli-

cation de quelques principes : il est impossible qu’un étudiant A qui est face à l’écran

ait accès en main propre aux objets présentés par l’étudiant B qui est face à lui ; ce

même étudiant A ou B ne peut pas non plus percevoir des signes d’incompréhension de

l’autre étudiant quand l’action se fait hors champs. Ensuite, chaque locuteur face à

la webcam aura la possibilité d’ajuster sa position car on ne verra que le haut de leur

corps et qu’il sera difficile pour chacun de saisir, du moins au début, les réactions de

l’autre. Enfin, avant la visioconférence les deux étudiants face à face pourront apporter

plus de soin à leur propre présentation pour donner une image positive d’eux-mêmes (ils

pourront se coiffer, se maquiller pour les filles).

1.3.2 La composante interculturelle

Comme le souligne Jean-Claude Beacco, il faudra tenir compte alors de quatre

dimensions.

• Les dimensions actionnelles : Elles permettent de décrire un « savoir agir »

minimum dans une société peu connue, de manière à pouvoir y gérer sa vie

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Communiquer autrement à travers la visioconférence

matérielle et relationnelle, qu’il s’agisse d’un séjour provisoire comme touriste,

ou d’un séjour de plus longue durée (expatriation). Cette « matière culturelle »

donne lieu, potentiellement, à observations et à interprétations des sociétés

et groupes autres. Elle constitue les premiers malentendus ou surprises cultu-

relles, et implique, surtout lors des contacts initiaux, une prise de distance et

une position à la découverte. (Beacco, 2004 : 330)

Il ne s’agira donc pas de vivre dans le pays cible pour intérioriser des habitudes

conscientes ou inconscientes, mais plutôt de voir dans le cas des visioconférences la

façon dont les apprenants parlent et agissent pour se faire comprendre.

• Les dimensions ethnolinguistiques : « Elles permettent de caractériser le « vivre

ensemble verbal » ce qui a des effets directs sur la réussite de la communication »

(Beacco, 2004 : 330). Nous fixerons notre attention sur la capacité qu’ont les

apprenants mexicains de chercher à remédier aux dysfonctionnements qu’il

pourrait y avoir pendant l’interaction avec les Français (comment l’étudiant

va-t-il demander de répéter une idée qu’il a mal entendue ou qu’il n’est pas sûr

d’avoir comprise ?)

• Les dimensions relationnelles : « Elles cernent les attitudes et les compétences

verbales nécessaires à une gestion linguistique appropriée d’interactions portant

sur la matière culturelle elle-même » (Beacco, 2004 : 331). Autrement dit, nous

chercherons à voir comment les apprenants mexicains feront pour que cette

rencontre entre nations soit une rencontre de partage et comment ils affron-

teront la diversité des regards lors de la présentation de points de vue différents

sur plusieurs modes de vies.

• Les dimensions interprétatives : « Elles traitent les formes sous lesquelles

celles-ci peuvent se donner à voir : dans les contacts directs (observation,

interaction verbale) » (Beacco, 2004 : 332). On relèvera ici comment les appre-

nants mexicains vont interpréter des faits sociaux français, ce qui aboutira à une

réflexion personnelle.

2. Présentation du projet

2.1 Le public

Les apprenants de niveau B2 avec lesquels nous avons pu travailler étaient tous

des élèves apprenant le français au CELE de l’UNAM ; ils étaient approximativement

au nombre de 20. Tous les apprenants étaient de nationalité mexicaine et avaient

déjà suivi 550 heures de cours de français. Les francophones (Français, Sénégalais,

Marocains), quant à eux, étaient des étudiants de CPGE au nombre de 15 et avaient

plus ou moins derrière eux le même nombre d’heures d’enseignement de l’espagnol.

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Par contre, du fait que ces étudiants devaient affronter en fin d’année une évaluation

de type grammatical, leurs cours privilégiaient l’écrit.

2.2 Le matériel

Le bon déroulement d’une visioconférence dépend de l’obtention et de l’utilisation adéquate d’un certain nombre d’outils (1 webcam statique, 1 ordinateur portable avec Skype, 1 microphone, des hauts parleurs, deux écrans latéraux qui affichent l’image des francophones et une connexion internet).

La visioconférence n’exclut pas dans le même temps le recours à du matériel supplémentaire qui facilite la communication (diapositives, textes, dessins, images). L’utilisation du courrier électronique et le clavardage peuvent aussi intervenir lors de la visioconférence.

2.3 Les phases du projet

La réalisation du projet a débuté en septembre 2012 ; des séances d’une heure de visioconférence ont été organisées deux fois par semestre, avec une participation de la moitié de la classe pour la première visioconférence et de l’autre moitié de la classe pour la deuxième visioconférence, afin que tous puissent participer au cours du même semestre. Lors de ces séances, des groupes de cinq à six étudiants exposaient un sujet culturel qu’ils avaient choisi eux-mêmes devant le groupe d’élèves français et inversement.

En février 2015, les enseignants ont décidé de faire un débat et les étudiants sont intervenus sur un thème précis qui avait été choisi par les deux professeurs. Ils avaient déjà eu l’occasion d’en faire un en classe, mais affronter les idées d’un groupe appartenant à une autre culture a été accueilli comme un vrai défi. L’objectif était de dynamiser l’échange et aussi de permettre aux étudiants de s’exprimer de manière plus fluide. En outre, cet exercice de jeu de ping-pong entre deux intervenants a rendu l’activité plus intéressante du fait que l’étudiant mexicain devait se concentrer sur ce qu’il disait et aussi sur ce qu’il entendait pour pouvoir au besoin riposter. Les séances ne privilégiaient pas le réinvestissement de connaissances ayant déjà été acquises en classe. Il s’agissait plutôt de mettre en situation de communication les apprenants devant des locuteurs francophones et de voir s’ils pouvaient palier à des difficultés de compréhension et d’interaction.

2.4 Processus didactique de notre recherche 2.4.1 La phase préparatoire

Préparer une séance de visioconférence impose une préparation rigoureuse, non seulement sur le plan technique, mais aussi sur le plan pédagogique afin de prévoir les éventuelles difficultés.

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Communiquer autrement à travers la visioconférence

La préparation technique

La première chose à faire, bien sûr, est de vérifier le fonctionnement du matériel (audio et cadrage), de voir si les deux institutions ont le bon équipement pour lancer les visioconférences (compatibilité de connexion et, si ce n’est pas le cas, essayer d’autres moyens comme Skype, par exemple).

Cependant, de nombreux problèmes de dernière minute peuvent survenir : problèmes de connexion, problèmes de son, problèmes qui font annuler la séance à cause de la participation imprévue des étudiants à une journée «Portes ouvertes».

La préparation pédagogique

La phase de préparation pédagogique est également importante. En effet, à ce moment-là, nous avons demandé aux étudiants de faire des recherches sur internet. Cette préparation a ainsi permis aux apprenants de savoir cibler leurs recherches et également de répertorier les sites internet en rapport avec le sujet. L’enseignant était chargé de vérifier la cohérence des notes prises. Enfin, en classe, quelques jours avant la séance de la visioconférence, les étudiants se sont exercés à l’oral en présentant à leurs camarades les idées et arguments qu’ils avaient retenus, tout en anticipant ce que le groupe outre-Atlantique pouvait leur demander.

2.4.2 Les échanges en ligne

Notre objectif principal était de démontrer que, loin de causer un blocage chez les apprenants qui s’efforcent de pratiquer l’oral, la visioconférence est un outil qui les incite à prendre la parole plus spontanément en leur laissant la liberté de sonder une idée émise par l’élève francophone, de l’enrichir ou de la contredire.

L’objectif de la séance pour les étudiants était d’échanger leurs points de vue sur le thème « Est-ce qu’on peut rire de tout ? » (de la famille, de la religion, de l’apparence extérieure, du gouvernement). Pendant la visioconférence, les étudiants ont formulé des questions en français pour que leurs interlocuteurs répondent en espagnol. Les deux groupes d’apprenants ont conclu sur la grande problématique de la liberté d’expression à propos des évènements récents évoquant les représailles dont fut victime le journal français Charlie Hebdo, « qui rit de tout ».

La lecture du profil général des étudiants de niveau B2 du CECR (2000 : 27) fait

apparaître dans la rubrique « Interaction orale » les descripteurs suivants : Prendre

part à une conversation : l’apprenant peut communiquer avec un degré de spontanéité

et d’aisance qui rende possible une interaction normale avec un locuteur natif et peut

participer activement à une conversation dans des situations familières, présenter et

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défendre ses opinions. Le débat dans ce cas-là est l’un des exercices préconisés pour

les apprenants souhaitant atteindre le niveau B2.

Remarquons que l’activité débat permet de favoriser les échanges spontanés pendant

la visioconférence. En effet, selon Traverso (1999) l’intervention du premier locuteur

impose des contraintes sur l’intervention réactive que doit produire le second locuteur.

Il existe dans ce cas-là une interdépendance entre les deux interactants et aussi une

symétrie langagière qui est produite de façon ordonnée. Pour les enseignants, il s’agira

donc de mettre en place des activités qui corroborent l’affirmation de Méndez « La

vidéoconférence admet non seulement un dialogue authentique mais elle permet aussi

de partager des connaissances, des expériences et des recours » (2008 : s. n. p.)1. Ici,

l’auteur souligne l’interaction simultanée et réciproque qui doit permettre d’échanger

avec les autres des points de vue différents.

3. La démarche méthodologique

La méthodologie adoptée relève de l’observation participative depuis une

perspective qualitative et vise la description des procédés interactionnels pendant une

visioconférence. Il s’agit donc d’exposer et d’expliquer les compétences communica-

tives auxquelles a recours l’étudiant et d’étudier leur fonctionnement.

Ce que nous avons cherché au moyen de cette démarche, c’est à capter comment

l’interaction entre les deux groupes-nations s’organise pour créer un produit fini grâce à

un échange interculturel, à voir comment une activité via visioconférence faite à partir

de ce que savent les étudiants aboutit à une tâche finale riche en culture partagée.

3.1 La collecte de données

Notre démarche s’appuie sur des enregistrements audio et vidéo avec leurs trans-

criptions correspondantes. Lors de la séance, un technicien était présent avec une

caméra sur pied placée sur le côté de l’ordinateur. Cette collecte de données peut être

ainsi divisée :

La vidéo : nous avons enregistré la séance au cours de laquelle nous avons tenté

de dégager un inventaire de données verbales des étudiants mexicains et français, en

essayant en même temps d’avoir une vue générale sur le groupe et d’observer l’attitude

de ceux qui écoutaient leurs camarades.

Le questionnaire : à la fin du semestre, les étudiants ont répondu à un questionnaire

pour connaître leur point de vue sur la visioconférence. Il contenait trois séries de

questions qui nous permettaient dans un premier temps de mesurer leur intérêt pour le

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Communiquer autrement à travers la visioconférence

contact avec la culture française, puis la pratique de la langue et de dégager leur bilan

personnel.

3.2 La construction du corpus

Il ne s’agissait pas d’analyser l’ensemble des informations données par les deux

groupes, car la tâche aurait été trop lourde. C’est pourquoi, nous nous sommes limités

à l’analyse des interactions verbales (analyse de conversations et de discours) du côté

mexicain.

3.2.1 La participation des étudiants

Le taux de participation des interactants a été un premier indicateur d’analyse. Dans

le tableau suivant, nous présentons des données qui recoupent à la fois le temps de

participation des étudiants mexicains en minutes et le nombre de leurs prises de parole

respectives. Sur les 13 élèves, 11 ont pris la parole. Deux étudiants ont pris la parole

quatre fois, un trois fois, deux étudiants deux fois et six une fois.

Participation des étudiants

Participants mexicains Temps de participation en minutes

Nombre de tours de parole

E1 2.16 1E2 2.51 4E3 2.14 1E4 1.30 2E5 0.42 3E6 1.31 2E7 1.50 1E8 1.01 1E9 2.25 1E10 5.16 4E11 1.35 1

Le tableau ci-dessus montre une importante monopolisation de la parole par E2

(étudiant 2) et par E10 (étudiant 10). Il existe un écart certain entre ces deux élèves

et le reste du groupe. Cela peut s’expliquer d’une part par le niveau linguistique de

ces deux étudiants qui est plus élevé que celui de leurs camarades ; en outre, ils sont

actifs en cours et leur participation est régulière. Les étudiants plutôt timides en classe

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Synergies Mexique n° 5 - 2015 p. 101-113

ont peu pris la parole. Au niveau du temps de participation, nous constatons un seul

écart au sein du groupe : E10 parle plus que ses camarades, conforté par son niveau

linguistique plus élevé, sa capacité de savoir s’exprimer davantage et de construire des

phrases plus longues.

Extrait du début de la visioconférence

110

Interactions Fonction de l’acte de langageE1 : E1 se rapproche timidement de la caméra. Bonjour, on ne te comprend pas. Tu peux répéter !E5 : Parlez plus fort SVP !E1  :  On  a  préparé  quelques  thèmes…  par  exemple  que  les Mexicains se moquent de soi-même mais il y a des avantages. Qu’est-ce que vous pensez ?FRS1: Hola, voy a sacar fotos por los amigos para reír (rire) de ellos.PM: Vous entendez ?PF : Non, on entend mal !E5 : Il prête l’oreille avec un autre élève. ¿ Qué ? C’est la France ?

Coupure.

E2 : Bonjour est-ce que vous m’écoutez bien ? Je vais parler de la proposition qu’il est possible de rire de la famille (…) Je voudrais savoir quelle est votre position ?FRS2: Si en Francia, es posible de reír de la familia porque no hay problemas. Euh. (…) es un medio de mejorar la familia actual.E2 : Euh d’accord.E3 : Heummm. Bonjour, Je pense que rire de la famille

Coupure

PM: Attends, elle écrit, continue.E3 : (…) Comment est le modèle de la famille en France, vous pouvez commenter ?(…)FRS3:  (…) Pienso que es euh es la diferencia en Francia como en México. Euh, tenemos una igualdad Hombre/mujer. Pienso que en Francia no hay las típicas mujeres en casa, el hombre en el trabajo.E2 : Bonjour, je ne sais pas si en France on peut se moquer de ça parce qu’ici au Mexique il y a beaucoup de choses de faire ce type de…. (tous ensemble) « blague » parce qu’au Mexique on peut se moquer de beaucoup beaucoup de l’armée, on croit qu’ici au Mexique notre imagination est plus grande. Et en France qu’est-ce que vous pensez ?, il y a des choses pareilles ?

E1 et E5 : Sollicitation.

E1 : Sollicitation.

FRS1 : Réponse.PM : Elle vérifie l’audio.PFRS : Réponse.

E5 : Il écoute et est étonné.

E2  :  Il  vérifie  que  les  français l’écoutent, introduit son exposé + Sollicitation.

FRS2 : Réponse.

E2 : Acceptation de la réponse sans conviction.E3 : Donne son opinion.

PM : Elle relance l’échange.

E3 : Sollicitation.FRS3 : Réponse.

E2 : Donne son opinion, expose +Sollicitation

E 2 : étudiant 2. PM : professeur mexicain. PF : professeur français. FRS1 : Apprenant français 1

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Communiquer autrement à travers la visioconférence

L’extrait ci-dessus révèle que, lors d’un échange interculturel, l’application de

certaines règles conversationnelles et aussi de certains moyens communicatifs peut être

à l’origine de malentendus ou d’une mauvaise compréhension.

3.2.2 Contrôles techniques

Le passage commence par un problème de compréhension. E1, tout comme E5,

demande à l’élève francophone de répéter ce qu’il vient de dire : E1 le dit de manière

courtoise et par conséquent pourra s’adapter au niveau d’expression de l’entretien ; E5,

quant à lui, le dit de manière un peu brutale. On comprend dans ce cas que ce dernier

cherche à attirer d’emblée l’attention des Français, ce qui est possible sans entraîner

de tension ni d’un côté ni de l’autre. Ensuite, E5 en se concentrant et en prêtant

l’oreille vers l’ordinateur pourra saisir, avec un certain effort, une grande partie de ce

qui se dit. Au moment de dire

« ¿Qué ?», l’étudiant montre sa surprise en même temps qu’il manifeste une possible

incompréhension. En ce qui concerne E2, on comprend vite que celui-ci veut vérifier si

les francophones entendent de manière satisfaisante pour commencer à parler.

3.2.3 Les sollicitations

Nous pouvons dégager quatre sollicitations qui obligent les francophones à donner

une opinion. Les demandes sont explicites « Qu’est-ce que vous pensez ? » « Je voudrais

savoir votre position » « vous pouvez commenter ?(…) » « qu’est-ce que vous pensez

?, il y a des choses pareilles ? ». Les francophones vont être amenés à argumenter

sur un problème commun. Toutes les questions montreront que les étudiants peuvent

communiquer avec spontanéité, montrant d’emblée de l’aisance pour s’exprimer. Ces

questions débouchent surtout sur une demande de partage d’expériences. Autre fait

important, c’est la construction de la relation interpersonnelle qui se bâtit dans les

messages : cette relation établit un contact entre les interactants qui peut être proche

(tu) ou distant (vous) et qui fait partie du système de politesse : E1 et E5 s’adressent au

groupe français et non pas à un individu, E5 emploiera de plus un discours plutôt formel

« Je vais parler de la proposition qu’il est possible de rire de la famille (…) Je voudrais

savoir quelle est votre position ? »). Néanmoins, il faut noter que la proximité entre les

étudiants de chaque nation existe bien : les participants ont un objectif commun qui

est celui de faire débat ; chacun devra prendre en compte autrui pour avancer dans son

argumentation.

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3.2.4 La recherche de formulation et de lexique

Dans ce jeu d’interactions, il était fréquent que les interactants accompagnent leur

discours d’hésitations, de pauses et de reformulations. Plusieurs fois dans l’extrait,

apparaîtront des expressions courtes et toutes faites : « Euh d’accord » ou « Hum ».

L’étudiant les utilisera ici pour gagner du temps et garder la parole en réfléchissant

à ce qu’il va dire ; en outre, il montre qu’il s’adapte à la suggestion formulée. Enfin,

à la fin de l’échange, l’apprenant va chercher ses mots : « il y a beaucoup de choses

de faire ce type de … », puis le groupe proposera une réponse : « une blague ». De

manière implicite ici, l’étudiant a cherché l’aide de ses camarades en marquant un

temps d’hésitation. Ce phénomène implique donc des stratégies de coopération et la

réponse du groupe manifeste alors une certaine solidarité. Le doute est alors résolu.

Conclusion

A travers cette recherche, nous avons pu observer comment la visioconférence

pouvait avoir un impact certain sur des étudiants de deux pays différents. Nous avons

décrit les principaux obstacles qui se présentaient aux apprenants pour formuler leurs

discours (les contrôles qui traitent de la fiabilité des outils et des problèmes de compré-

hension, les sollicitations et la recherche lexicale).

Cette étude nous montre ainsi que les étudiants ont employé non seulement des

moyens de communication qui font référence à la communication non linéaire (à travers

la voix ou pas), mais aussi à la relation interpersonnelle entre étudiants qui est distincte

de celle que l’on repère en classe. De plus, l’effort nécessaire pour bien prononcer et

se faire comprendre par un public d’une autre nationalité étaient nécessaire car, dans

le groupe-classe, on s’habitue à certaines imperfections de prononciation des autres.

Du point de vue pédagogique, l’idée du débat a été accueillie de manière positive.

Les étudiants ont pu non seulement donner leur opinion et argumenter, mais aussi

apprendre à exprimer des idées devant un public « étranger ». Le débat a alors établi

un principe « d’interaction active ».

Les étudiants ont pu ainsi expérimenter des moments d’échanges parfois décevants,

mais le plus souvent riches. La plupart d’entre eux ont trouvé cette expérience positive

et souhaitent voir ces séances de visioconférence se poursuivre régulièrement tout

au long des semestres. De manière plus détaillée, les étudiants ont apprécié être en

contact avec des francophones et connaître des aspects de la culture française. De

plus, ils ont aimé cette opportunité particulière de parler en français et ont senti qu’ils

avaient amélioré leur expression orale.

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Communiquer autrement à travers la visioconférence

Bibliographie

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Note

1. “La video conferencia admite no sólo un diálogo auténtico sino que también permite compartir conocimientos, experiencias y recursos”.

113

© Revue du Gerflint. Éléments sous droits d'auteur.

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Les défis interculturels dans les formations de français de la médecine

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Reçu le 25-03-2015/ Évalué le 19-05-2015/ Accepté le 13-08- 2015

Résumé

Cet article, basé sur une recherche-action, rend compte des grands enjeux inter-culturels du français de la médecine. En effet, la composante interculturelle de ce type de formation constitue un des principaux défis auxquels le formateur doit faire face, car il n’est habituellement ni un expert en médecine, ni un fin connaisseur du système de santé de la culture cible. En raison de la dimension nécessairement collective du travail de soin, les interactions communicatives en milieu médical sont multiples et complexes, et l’apprenant doit développer une série de valeurs et de savoir-être pour apprendre à communiquer justement avec cet Autre que représentent les collègues et le patient. Ainsi, la constante adaptation par le médecin de sa communication en fonction de l’interlocuteur et du contexte interculturel constitue un véritable « échange d’identités ».

Mots-clés : français de la médecine, compétence interculturelle, dimension collective du travail

Los retos interculturales en las formaciones de francés de la medicina

Resumen

Este artículo, basado en una investigación-acción, refleja los principales desafíos interculturales del francés en los estudios en medicina. Efectivamente, el componente intercultural de dichas formaciones, constituye uno de los retos principales al cual se enfrenta el formador, ya que por lo general no es ni un experto en medicina, ni un conocedor riguroso del sistema de salud de la cultura meta. Dada la necesaria dimensión colectiva en el área de cuidados, las interacciones comunicativas en un entorno médico son múltiples y complejas, por lo tanto, el alumno debe desarrollar un conjunto de valores y de comportamientos para aprender a comunicarse adecuadamente con los colegas y los pacientes. Así, la adaptación constante del discurso del médico, que está en función del interlocutor y del contexto intercultural, constituye un verdadero « intercambio de identidades ».

Palabras clave: francés de la medicina, competencia intercultural, dimensión colectiva del trabajo.

Philippe StoessléUniversidad de Monterrey, Mexique

[email protected]

GERFLINT

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The intercultural challenges in medical French training

Abstract

This article, based on an action-research, reflects the key intercultural issues of medical French. Indeed, the intercultural component of the medical French training is one of the main challenges that a trainer usually faces since he or she is neither a medical expert, nor knowledgeable about the target culture health system. Due to the necessarily collective aspect of care work, communicative interactions in a medical environment are many and complex, and the student must develop a set of values and his/her existential competence to learn how to communicate assertively among colleagues and patients. Thus, the constant adaptation by the physician of his or her communication according to the interlocutor and the intercultural context constitutes a true “exchange of identities”.

Keywords: medical French, intercultural competence, collective aspect of work

1. Introduction

Contrairement aux formations de « français général », où prédominent encore

souvent les didactiques traditionnelles et obsolètes d’enseignement de compétences

grammaticales combinées à des connaissances lexicales, les formations dites « de

français professionnel » ou « sur objectifs spécifiques » se doivent d’être à la pointe

des innovations didactiques contemporaines pour atteindre leurs objectifs. En effet,

une approche uniquement linguistique dans une formation de français professionnel

manquerait immanquablement ses objectifs, en laissant de côté, entre autres, la

dimension interculturelle qui donne un sens réel à l’utilisation sociale et culturelle de

la langue dans un milieu professionnel donné. La notion d’interculturel est ici comprise

en relation avec la « culture sur le lieu de travail » telle que décrite dans le projet

Odysseus, où elle fait référence à: « La manière dont il convient de faire les choses

dans un lieu de travail donné, à la vision et aux convictions qui déterminent la manière

de penser et d’agir sur ce lieu de travail. Tous les aspects de cette culture ne sont pas

toujours présentés explicitement, mais on les découvre lorsqu’on est impliqué dans

l’organisation » (Grünhage-Monetti, 2004 : 86).

Ainsi, dans le cas du français de la médecine, l’impérieuse nécessité d’avoir recours

à la « prise de conscience de la dimension interculturelle », aux « aptitudes inter-

culturelles » et aux « savoir-être » recommandés par le Cadre Européen Commun de

Références pour les langues prend tout son sens. En effet, un médecin allophone ne

pourra pas exercer la médecine dans un environnement francophone sans dominer cette

« compétence interculturelle », qui lui fera à la fois prendre conscience de sa propre

identité et de celles de ses futurs collègues du contexte-cible.

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Les défis interculturels dans les formations de français de la médecine

Communiquer entre médecins ne signifie pas uniquement échanger des informa-

tions médicales, mais aussi et surtout établir un contact interpersonnel avec d’autres

personnes parlant une langue différente et vivant une culture associée distincte de

la culture d’origine. Pour cette raison, aborder et traiter cette compétence lors des

formations de français de la médecine est un élément-clé du succès de ces dernières.

En effet, le médecin, de par sa fonction spécifique de détenteur d’une ressource

peu accessible à la majorité (la connaissance médicale), doit tout particulièrement

surveiller la manière dont il s’exprime. Ainsi, comme les patients qui consultent un

médecin ont par définition une certaine vulnérabilité (comprise comme une exposition

à un risque de santé qu’ils ne peuvent pas affronter seuls), le médecin allophone ne

doit pas seulement apprendre à dire ce qu’il a à dire, mais il doit surtout apprendre la

manière culturellement adéquate de le dire, afin de se préparer à des relations avec

des patients issus d’autres cultures et ne partageant pas nécessairement les opinions,

valeurs et comportements de santé auxquels ils sont habitués.

Dans ce contexte, une interculturalité bien pensée (c’est-à-dire pensée pour être

efficace et délivrer aux apprenants les clés d’une intégration réussie dans leur futur

milieu médical) se doit d’être présente lors de toutes les étapes de formation définies

par Ardouin (analyse, conception, réalisation et évaluation) et pas seulement en toile

de fond ou comme simple saupoudrage (Ardouin, 2010 : 37). Tout d’abord, procéder

à une analyse des besoins professionnels permet de définir précisément la demande

formulée par les apprenants et d’identifier les besoins interculturels correspondant à

l’exercice d’une profession de santé. A ce stade, il est utile d’interviewer les différents

acteurs du système de santé de la culture-cible - puisque la compétence interculturelle

peut tout à fait être considérée comme une compétence professionnelle à part entière

- et d’utiliser des documents authentiques (par exemple, le Code de déontologie des

médecins du Collège des médecins du Québec), ainsi que les référentiels de compétences

des diverses branches professionnelles de la médecine (Fiches métiers du Répertoire

Opérationnel des Métiers et des Emplois ; Répertoire de compétences des médecins

du Conseil médical du Canada). Seul ce scrupuleux examen permet de concevoir les

contenus du curriculum de formation, les objectifs à atteindre et les compétences à

développer. Les conditions sont alors réunies pour passer à la conception d’activités

d’apprentissage interculturel, qui seront postérieurement réalisées et évaluées.

Ce processus ne se fait pas sans obstacles sérieux pour le formateur ; en effet, où

situer la compétence interculturelle dans une formation de français médical ? Comment

appliquer les aspects théoriques et conceptuels de l’interculturalité à une formation de

français médical ? Quels sont les « contenus interculturels » nécessaires pour ce type

de formation (connaissances, attitudes, comportements) ? De même, comment peut-on

évaluer le développement de la compétence interculturelle en milieu professionnel,

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Synergies Mexique n° 5 - 2015 p. 115-125

étant donné que la compétence ne s’actualise qu’en contexte authentique ? Ces inter-

rogations sont d’une pertinence particulière car, jusqu’à présent, il existe très peu de

publications sur l’interculturalité dans le français de la médecine.

Cette étude est issue d’une démarche méthodologique de « recherche-action » et elle

vise à rendre compte des interrogations, obstacles, processus et réflexions théoriques

sur l’intégration de l’interculturalité dans les formations de français de la médecine, en

se basant sur une mise à distance critique et réflexive des expériences de l’auteur en

la matière. Pour cette raison, il est nécessaire de souligner que ce qui est ici présenté

se base sur des formations destinées à des médecins et non à d’autres professions de

santé. C’est pourquoi il ne sera fait référence qu’à cette profession précise, bien que

beaucoup d’aspects ici traités soient tout à fait valides pour la formation en français

professionnel d’autres métiers de la santé.

Cet article s’articule autour d’une réflexion sur la compétence interculturelle, en

considérant tout d’abord les objectifs généraux d’interculturalité dans une formation

de français de la médecine et leurs implications sur les valeurs et savoir-être, pour

finalement analyser deux aspects fondamentaux de l’exercice de la médecine : sa

dimension collective et la relation médecin-patient.

2. La définition des objectifs interculturels du français de la médecine

Les objectifs de formation doivent absolument correspondre au contexte dans

lequel les médecins-apprenants comptent exercer la médecine, car comme le rappelle

Samuelson :

La compétence est décrite dans son environnement. La mission du médecin généra-

liste s’exerce dans un environnement, qui interagit avec lui. L’environnement est

fait d’acteurs et d’institutions formant système, qui ont des attentes, des exigences,

et qui appliquent à l’activité du médecin généraliste des critères d’efficience et

de qualité. Les demandes des patients et leurs attentes sont situées et traitées à

l’intérieur du système de santé, avec ses exigences politiques, économiques, régle-

mentaires, et aussi ses zones d’incertitude et de désordre (1997 : 17).

De plus, les situations langagières au travail sont imbriquées dans les actes. La langue

de travail est totalement insérée dans un contexte professionnel d’action qui donne du

sens au langage et réciproquement:

D’une part les interactions soignants-soignés, correspondant à des situations telles

que la consultation, la visite, l’accouchement, etc. Ce sont là des relations duales,

complémentaires, coopératives et parfois conflictuelles. Ces situations peuvent

s’élargir à plusieurs participants, inclure l’utilisation d’équipements sophistiqués,

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Les défis interculturels dans les formations de français de la médecine

elles n’en restent pas moins bien délimitées. D’autre part la coopération du personnel

soignant dans le travail – qui, elle aussi, passe par des médiations techniques ou

symboliques, entre autres celle du langage. Au lieu de situations bien délimitées

dans l’espace et le temps, ce sont des cours d’action coordonnés ou entremêlés qui

nourrissent ici les actions collectives (Lacoste, 1992 : 4-5).

Ces situations langagières en milieu médical comprennent donc toujours au moins

une interaction avec les acteurs du système de soins (patients, collègues médecins,

paramédicaux, familles, pouvoirs publics, etc.).

A partir des écrits de Byram & Zarate, il apparaît évident que toute formation de

français de la médecine se doit de développer une « compétence interculturelle »

qui se composera de l’interaction entre la dimension communicative de l’exercice

de la médecine (communication verbale et non verbale ; langue médicale et gestes

ou mimiques du médecin) et sa dimension comportementale (tout ce qui a trait au

savoir-être du médecin ; son attitude de respect et d’écoute du patient par exemple)

(Byram & Zarate, 1998; Byram, 1997). A cela, se rattache une dimension cognitive (tout

ce qui concerne la connaissance de la culture de l’Autre et les habilités à comprendre

les manières d’acquérir de nouvelles connaissances dans la culture de réception) et

une indéniable dimension affective (spécialement en rapport à la sensibilité néces-

saire pour interagir avec des patients en souffrance). En somme, le médecin allophone

doit comprendre les distinctions entre son milieu d’origine et celui de destination,

de sorte qu’il puisse établir des relations professionnelles adaptées aux exigences

culturelles du pays de réception ; ce qui implique aussi d’apprendre à relativiser son

propre système de valeur et à « se décentrer », comme dirait Louis Porcher (Porcher,

1986 : 122). Le médecin-apprenant ne devient alors pas seulement bilingue, mais il

développe également une personnalité sensible à la richesse culturelle – de la culture

anthropologique comme de la culture médicale – inhérente à l’apprentissage d’une

langue professionnelle.

3. Valeurs et savoir-être

« Apprendre à apprendre » dans le domaine interculturel passe par l’apprentissage

de valeurs et savoir-être qui fournissent à l’apprenant-médecin une capacité à établir

ses propres stratégies interculturelles pour exercer dans n’importe quel contexte du

monde de la santé. La « compétence interculturelle » n’est ainsi jamais totalement

atteinte ni achevée. L’approche interculturelle d’une formation de français de la

médecine doit donc se constituer d’un double mouvement permanent entre la décou-

verte de l’« Autre » et la découverte de soi par rapport à cet Autre. Ceci passe par

l’identification des singularités de la culture-cible et par le déchiffrage interculturel de

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la culture de l’Autre, qui implique une certaine prise de distance critique, ou « décen-

tration » envers l’« habitus culturel » d’origine.

Les activités d’apprentissage d’une formation de français médical doivent donc

permettre d’interpréter et de comprendre ces éléments, afin de favoriser la justesse

culturelle de l’action professionnelle de l’apprenant, en évitant par là même les

stéréotypes. Cependant, il n’existe aucun corpus fini de « connaissances intercultu-

relles » qui correspondrait à la compétence interculturelle et qui serait à transmettre

avant l’émigration des apprenants vers la culture-cible, ni de modèle parfait à suivre

que le formateur pourrait inoculer. Les objectifs préalablement identifiés ne servent

donc en aucun cas à apprendre à « imiter » un médecin né au sein d’une culture-cible

monolithique, comportement que seraient d’ailleurs bien en peine de (re)produire la

majorité des formateurs, n’étant pas eux-mêmes professionnels de la santé.

Au contraire, une pédagogie de l’interculturel efficace permet de dépoussiérer les

préconceptions et représentations erronées, ainsi que les simplifications sur les supposés

« dialogues entre cultures ». En effet, un médecin allophone en contexte francophone

ne s’intégrera pas efficacement à une organisation professionnelle de santé par simple

côtoiement de ses collègues. Il doit, à l’inverse, être capable d’intervenir dans des

contextes culturels évolutifs par définition, puisque les identités sociales des individus

se modifient constamment. Derrière les patients, se cachent des personnes qui adoptent

et adaptent de nouvelles opinions, croyances et valeurs au fil de leurs expériences de

vie, de manière totalement naturelle, et que le médecin-apprenant devra être capable

de comprendre et d’accepter.

4. Soigner, un travail d’équipe

Rappelons brièvement l’importance des langues dans le monde professionnel, et

spécialement pour les travailleurs-migrants, les médecins ne faisant pas exception

à la règle. Comme l’écrivent Grünhage-Monetti, Halewijn et Holland à propos du

projet Odysseus relatif à l’utilisation d’une deuxième langue sur le lieu de travail :

L‘offre en cours de langues à vocation professionnelle et sur le lieu de travail

joue un rôle clé dans l’intégration sociale et économique et la participation des

travailleurs migrants ou ethniques. (…) En tant que praticiens et chercheurs dans le

domaine de la deuxième langue, nous sommes convaincus du rôle essentiel de l’offre

en cours de langues à des fins professionnelles et sur le lieu de travail pour l’inté-

gration et la participation sociales et économiques des locuteurs d’autres langues.

(…) Les compétences communicatives sont devenues des pivots de la performance

professionnelle à tous les niveaux hiérarchiques pour tous les employés (de langue

maternelle ou locuteurs d’autres langues) (2004 : 12).

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Les défis interculturels dans les formations de français de la médecine

En effet, comme l’explique Talavera-Goy :

Le français de la médecine » est bien plus que « la terminologie médicale » des « mots

savants », puisque « cette dénomination tend à recouvrir à présent l’ensemble des

connaissances et compétences en français nécessaires au travail médical ». Le français

médical touche donc autant à d’autres disciplines qu’à la didactique des langues. En

résumé, il est possible d’affirmer que le français de la médecine, caractérisé par la

pluridisciplinarité, répond aux besoins de formation en français et dans le domaine

professionnel (2008 : 76).

C’est cette approche combinant apprentissage des langues et logique profession-

nelle des métiers, proposée par Florence Mourlhon-Dalliès, qui permet de préparer

efficacement le médecin allophone à l’exercice de la médecine en milieu francophone

(Mourlhon-Dalliès, 2008). L’interculturel est donc central dans les formations de

français médical, car il existe d’importantes différences entre les systèmes sanitaires,

la structure des soins médicaux et les études médicales (Kautenburger, 2006).

De plus, la pratique médicale quotidienne est par essence une pratique collective

et le formateur doit intégrer cette dimension collective à la formation. Le personnel

hospitalier représente une véritable équipe, et même si parfois les relations sont extrê-

mement tendues – entre infirmières expérimentées et jeunes médecins par exemple –

aucun ne peut effectuer son travail efficacement (c’est-à-dire dans l’intérêt de la santé

du patient) sans coopérer. Spécifiquement, les prises de décisions sont collectives. Les

médecins en appellent régulièrement à leurs collègues afin de confirmer un diagnostic

et de décider d’un traitement. La pratique du partage de décision, ou tout du moins du

deuxième avis, est très répandue. Sur un plan plus général, le médecin généraliste en

hôpital doit communiquer et coopérer avec les cadres administratifs de l’hôpital, avec

les médecins spécialistes, avec les techniciens (qui s’occupent par exemple des radio-

graphies ou des analyses de sang), avec les infirmières, ou encore avec les personnels

de nettoyage.

5. La relation médecin-patient

Comme toute relation, celle-ci implique une communication entre plusieurs

personnes, dans ce cas deux : le patient et le médecin. Cette relation a pour enjeu

un « service médical » dans lequel les deux acteurs occupent des fonctions prédéter-

minées et la communication entre eux est régie par les normes et contraintes du genre

« consultation médicale ». L’interaction médecin-patient est polymorphe et dépend

forcément du contexte (consultation sur rendez-vous, arrivée aux Urgences ou consul-

tation à domicile), de la gravité du mal dont souffre – ou pense souffrir – le patient, de

l’âge et du sexe des interlocuteurs, et de leur personnalité. De plus, chaque personne

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Synergies Mexique n° 5 - 2015 p. 115-125

possède plusieurs faces1, qui apparaissent alternativement ou au même moment selon

les situations de communications dans lesquelles un sujet se trouve. Un patient peut

par exemple en arriver à parler de sa vie privée, car cela peut avoir une incidence

sur le diagnostic, ce qui est presque interdit pour le médecin, qui doit se contenter

de sa face de personne soignante. Cette face du médecin doit faire preuve de valeurs

comme la pudeur, la confiance et le respect, de même que d’attitudes bienveillantes,

empathiques et confidentielles pour que le patient, qui est le « demandeur de service »

et qui souffre a priori d’un mal, soit satisfait du médecin.

Cette « souffrance » est une notion-clé de la relation et elle est présente en filigrane

lors de toute la consultation. Toutefois, les seuils et modes d’expression diffèrent

selon les cultures et les individus. Par exemple, le machisme plus ou moins latent des

pays latins pourrait empêcher un homme d’exprimer une souffrance, alors que cela

ne poserait pas de problème à une femme de la même culture. Le médecin qui part

exercer dans une autre culture doit donc être extrêmement attentif à la souffrance,

physique ou psychique, car elle est facilement cachée, voire niée.

Aussi, une relation inégale s’exprime souvent lors de la consultation, « ce que l›on

nomme souvent la «dominance» - ou encore l’“asymétrie”, l’“inégalité” - dans cette

relation, où le médecin parle plus que le malade et a des droits de communication

supérieurs » (Lacoste, 1992 : 6). Or, cela dénote un évident dysfonctionnement,

« puisque le professionnel doit collecter l›information nécessaire à son diagnostic »

(Lacoste, 1992 : 7) et donc en théorie interroger et écouter son patient. En plus de cette

asymétrie, Lacoste – reprenant Bourdieu – identifie aussi une relation de « domination

symbolique ». Elle donne en effet l’exemple du « malade [qui] pose une question, il

arrive qu›il ne lui soit pas du tout répondu, et l›on est fondé à y voir une marque de

violence symbolique caractérisée » (Lacoste, 1992 : 7).

En somme, la consultation médicale constitue l’essence du rôle du médecin. Selon

les témoignages des professionnels de la santé, le diagnostic et le traitement d’un

patient se fondent en majorité sur l’entretien avec le patient. L’examen physique qui

lui succède ne fait en général que fournir des renseignements complémentaires et

confirmer l’hypothèse émise par le médecin lors de l’entretien. La consultation est

généralement composée des étapes suivantes, auxquelles correspond toute une série

d’actes de langage:

• Application de techniques d’entretiens et de méthodes qui permettent de bien

comprendre le contexte social et culturel du patient et les antécédents de

l’objet de la consultation.

• Interrogation sur les symptômes physiques et psychiques, ainsi que sur les

croyances, préoccupations, attentes et le vécu de la maladie.

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Les défis interculturels dans les formations de français de la médecine

• Interprétation de l’expression du savoir du malade (expressions familières et

idiomatiques) et des signes et non-dits.

• Repérage du malaise ou de la gêne chez le patient (paralangage : intensité de la

voix, intonation, vitesse d’élocution – langage non-verbal / kinésique : jeux de

regards, gestuelle).

• Examen physique du patient : la relation sur le plan du corps (pudeur, réticences,

contact physique, nudité), élection de la proxémie2 et des distances interper-

sonnelles adéquates selon les caractéristiques sociodémographiques du patient

(sexe, âge, degré d’handicap, type de maladie, situation socioéconomique,

etc.).

• Explication spécialisée, déclarative et experte du diagnostic, en utilisant une

terminologie non technique adaptée à l’âge, au sexe et à la culture du patient.

Énoncer un diagnostic est indissociable de nouvelles difficiles à annoncer aux patients

et à leurs familles. On pense évidemment aux maladies graves et à la mort, mais il en

existe d’autres, comme les coûts élevés de la santé, des examens et des traitements.

Cela donne parfois lieu à des situations ubuesques mais réelles – auxquelles doivent

donc être préparés les médecins – comme le fait de devoir refuser de soigner un patient

si les premiers soins qui lui ont été appliqués ne sont pas payés. Pour prendre le cas

extrême et probablement le plus difficile, celui de la mort d’une personne, il faut

apprendre à traiter cette situation avec la famille du défunt, mais aussi avec le malade

lorsqu’il se trouve dans l’ultime étape de sa vie.

6. Conclusion : la culture de l’Autre et l’apprentissage du français de la médecine

Ainsi, un médecin intégré à une équipe de santé ne fait pas qu’échanger des paroles

visant à informer ses collègues et patients, il échange avec un représentant d’un groupe

social spécifique. Il doit donc être capable d’adapter son discours, sa manière de le

tenir et ses réponses lors de cet « échange d’identités » que constitue la communication

en contexte d’interaction professionnelle. Cette capacité de communication intercultu-

relle doit permettre au médecin de déconstruire les stéréotypes. Réussir cette approche

de la perception de l’Autre comme acteur social unique et différent – et par conséquent

à découvrir – implique que l’apprenant ait intégré la dimension interculturelle en plus

de la nécessaire compétence sociolinguistique du français de la médecine.

Dans ce contexte, le rôle de l’enseignant-formateur consiste à développer chez les

apprenants les capacités de relation avec « l’Autre », celui qui a des attitudes, des

valeurs et des comportements différents. L’ingénierie d’une formation de français de la

médecine doit donc considérer les stratégies nécessaires pour que l’apprenant confronte

sa culture à la culture-cible. Le principal obstacle pour le formateur est de lui-même

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Synergies Mexique n° 5 - 2015 p. 115-125

parvenir à surmonter la confusion entre connaissance interculturelle et compétence

interculturelle. En effet, accumuler des connaissances sur le système médical, les

pratiques et les attitudes des médecins dans le système de santé de réception n’est

qu’un pas obligatoire mais totalement insuffisant pour développer une compétence.

Ceci peut laisser place à des situations particulièrement sensibles sur le plan des

valeurs personnelles des apprenants, surtout lors d’apprentissages interculturels liés à

des thèmes polémiques de déontologie médicale et de bioéthique. Comme il ne s’agit

pas de chercher à modifier les opinions et valeurs des apprenants, mais plutôt de leur

offrir les instruments nécessaires pour qu’ils puissent comprendre et respecter celles

de leurs futurs patients et collègues, la solution de compromis doit tourner autour

des valeurs universelles de tous les systèmes de santé publique. Ainsi, le respect de la

dignité humaine, la préoccupation pour le bien-être du patient avant tout autre intérêt

et l’égalité des personnes dans l’accès aux soins constituent des valeurs centrales qui

doivent théoriquement dominer toute considération éthique personnelle des médecins.

Enfin, il est utile de rappeler que les conclusions et réflexions ici formulées ne

sauraient être appliquées sans analyse préalable du contexte précis d’intervention

de la formation de français médical. En effet, une formation d’« interculturalité

médicale » se doit d’être mise en contexte car il existe autant de cultures médicales

spécifiques que de communautés médicales, de spécialisations ou de lieux d’exercice

(chaque hôpital possède ainsi ses propres protocoles de soins en rapport avec sa culture

locale et institutionnelle, et qui le distingue des autres centres de santé). Par exemple,

on pourrait penser que le « rituel » de la consultation médicale répond à une même

approche holistique de la santé dans toute l’Amérique du Nord, où le praticien s’inté-

resse à toutes les caractéristiques des patients, à leur histoire personnelle et familiale,

au contexte de leur vie, à leurs habitudes, leurs émotions et leurs activités. Toutefois,

les expériences et témoignages recueillis indiquent que cela est probablement plus

véridique au Mexique ou au Québec que dans le sud des Etats-Unis où le médecin

accorde une importance primordiale aux symptômes, de manière plus décontextualisée

du « tout » qu’est le patient. De même, sur le plan linguistique, il est possible de

dégager une « langue médicale transversale » à tous les micro-contextes d’usage et

bien évidemment liée à la langue française générale, mais il existe tout un paralangage

propre aux différents centres de santé.

Bibliographie

Ardouin, T. 2010. Ingénierie de formation pour l’entreprise : Analyser, Concevoir, Réaliser, Evaluer. Paris : Dunod. Byram, M. 1997. Teaching and assessing intercultural communicative competence. Clevedon: Multilingual Matters.

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Les défis interculturels dans les formations de français de la médecine

Byram, M., Zarate, G. 1998. « Définitions, objectifs et évaluation de la compétence sociocultu-relle ». Le Français dans le Monde. Recherches et application : Apprentissage et usage des langues dans le cadre européen, no40, p. 70-96.Conseil de l’Europe. 2001. Un Cadre européen commun de référence pour les langues : apprendre, enseigner, évaluer. Strasbourg : Didier.Goffman, E. 1973. La mise en scène de la vie quotidienne. Les relations en public. Paris : Minuit.Grünhage-Monetti, M. et al. 2004. Odysseus la deuxième langue sur le lieu de travail. Les besoins linguistiques pour les travailleurs migrants : l’organisation de l’apprentissage des langues à des fins professionnelles. Strasbourg : Conseil de l’Europe.Hall, E.T. 1966. The Hidden Dimension. New York: Anchor Books Edition. Kautenburger, M. 2006. « Pratique et théorie pour un cours de français médical réussi », Le Français dans le Monde, nº346, p. 32-34.Lacoste, M. 1992. De la consultation médicale à l’analyse des activités hospitalières. In : Langage, activités médicales et hospitalières : dimensions négligées. Paris : Université Paris-Nord.Mourlhon-Dalliès, F. 2008. Enseigner une langue à des fins professionnelles. Paris : Didier.Porcher, L. 1986. Interrogations finales. In : La Civilisation. Paris : Clé International.Samuelson, M. et al. 1997. Pour un Référentiel Métier du Médecin Généraliste. Rénover l’Enseignement de la Médecine Générale. Caen : Collège de Basse Normandie des Généralistes Enseignants. Talavera-Goy, S. 2008. « FOS & multimédia : Utilisation de la plateforme pédagogique SPIRAL pour l’apprentissage du français médical ». Synergies Chine, nº3, p. 75-80.

Notes

1. Goffman (1973) introduit la notion de face, pour désigner « la valeur sociale positive qu’une personne revendique effectivement à travers une ligne d’action que les autres supposent qu’elle a adoptée au cours d’un contact particulier ». Pour qu’une interaction fonctionne - comme par exemple la consultation médicale - il faut que les parties prenantes (le médecin et le patient) ménagent la face de leur interlocuteur, qu’elles s’engagent dans ce que Goffman appelle « la figuration », ce qui entraîne certaines contraintes dans l’interaction. 2. La proxémie est un concept inventé par Hall (1966), qui fait référence à « l’ensemble des observations et théories que l’homme fait de l’espace en tant que produit culturel spécifique », et principalement la distance physique qui sépare une personne d’une autre lors d’une interaction.

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© Revue du Gerflint. Éléments sous droits d'auteur.

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Écrire un article de recherche dans un contextede licence en FLE

Synergies Mexique n° 5 - 2015 p. 127-138

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Reçu le 13-03-2015/ Évalué le 25-04-2015/ Accepté le 13-08- 2015

Résumé

Afin de commencer à conscientiser nos étudiants de licence à l’importance des écrits académiques, nous avons réalisé une recherche avec des apprenantes en dernier semestre de la Licence en Langues, option FLE, dans un cours de français de niveau C1 du DALF ; il s’agissait d’écrire le premier jet d’un article de recherche sur le thème de leur mémoire de fin d’études, publiable dans une revue spécialisée. Nous donnons d’abord le panorama général de l’écriture académique au sein de notre faculté puis les principes pédagogiques de la lecture/écriture de l’article de recherche en contexte universitaire et plus particulièrement en FLE. Nous rapportons ensuite le mode d’intervention suivi dans la classe et nous exposons les réactions des étudiantes sur l’expérience vécue et sur les difficultés rencontrées lors du processus d’écriture. Nous apportons finalement des réflexions qui pourront améliorer de futures interventions pédagogiques sur le sujet.

Mots-clés : article de recherche, littéracie, production écrite, français langue étrangère, université

Escribir un artículo de investigación en un contexto de licenciatura en Francés como Lengua Extranjera

Resumen

Con el fin de empezar a concientizar a nuestros alumnos sobre la importancia de los escritos académicos, se realizó un estudio con unas alumnas que cursaban el último semestre de la Licenciatura en Lenguas, con énfasis en francés, en un curso de nivel C1 del Marco Común Europeo de Referencia. Se les asignó la producción, en su primera versión, de un artículo de investigación con el tema de su tesis para que sea publicable en una revista especializada. Después de dar un panorama general sobre la escritura académica en nuestra facultad, desglosamos el modo de intervención en el salón sobre la redacción de un artículo de investigación, teniendo en cuenta el proceso de escritura en una lengua extranjera en la universidad, y se discuten las reacciones de las estudiantes de acuerdo con el estudio y con las dificultades encontradas en el proceso de escritura. Finalmente, aportamos reflexiones propicias a mejorar futuras interven-ciones pedagógicas.

Christelle Annick FerrarisUniversidad Autónoma del Estado de México, Mexique

[email protected] Cecilia Uribe Hernández

Universidad Autónoma del Estado de México, [email protected]

GERFLINT

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Palabras clave: artículo de investigación, alfabetización académica, producción escrita, francés como lengua extranjera, universidad

Writing a research paper in a BA in French as a foreign language

Abstract

In order to raise student awareness on the importance of academic writing, we worked with undergraduate students who were studying the final semester of the BA during a C1 European framework French class. The task assigned was to write up the first draft of a publishable article on the same topic as their dissertation, for publication in a journal of language teaching and learning. The paper reports on the intervention mode in the classroom, following pedagogical principles of a research paper writing process in the mother tongue and a foreign language. We also discuss the students’ reactions to the intervention and the difficulties encountered when writing the article, and in academic writing in general; all this in order to improve the efficiency of future pedagogical interventions.

Keywords: research paper, literacy, writing, French as a foreign language, university

Si l’on n’écrit pas régulièrement, on s’améliore à ne pas écrire

Panorama général de l’écriture académique à la Faculté de Langues de l’Universidad Autónoma del Estado de México.

À l’heure actuelle, écrire des articles de recherche est devenu une exigence pour

les professeurs universitaires à plein temps. Au Mexique, des programmes tels que le

Programme pour le Développement Professionnel du Professeur (PRODEP pour le sigle

en espagnol) présupposent que la plupart des professeurs publient régulièrement

les résultats de leurs recherches dans des revues de référence soumises aux règles

de la double évaluation anonyme. Cependant, une étude réalisée auprès de 40 000

professeurs universitaires américains (Lindholm, 2005) a révélé des résultats pour le

moins surprenants : 26% d’entre eux n’écrivent jamais (0 heure par semaine), 27% n’ont

jamais publié d’article dans une revue de notoriété, 62% n’ont jamais publié de livre ou

de chapitre de livre, 43% n’avaient pas publié au cours des deux années précédant le

sondage. Par ailleurs, il y a une quinzaine d’années, Moxley et Taylor (1997) et Simonton

(1988) (cités par Belcher, 2010) estimaient que les écrivains académiques productifs

ne représentaient que 15% du corps académique des universités. Si les professeurs

eux-mêmes ne publient pas ou peu, que doit-on attendre des étudiants ? Au sein de

notre faculté de 2001 à 2012, une option pour obtenir le diplôme de Licence en Langues

était de publier un article dans une revue soumise aux règles de la double évaluation

anonyme. La publication de l’article décernait automatiquement le diplôme sans passer

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Écrire un article de recherche dans un contexte de licence en FLE

par l’épreuve de la soutenance face à un jury. En 2012, étant donné qu’aucun étudiant

n’avait encore obtenu sa licence grâce à cette modalité, les règles ont changé : il n’est

plus obligatoire que l’article soit déjà publié dans la revue pour obtenir le diplôme,

mais le candidat doit désormais présenter une lettre du comité scientifique de la revue

attestant que l’article sera soumis aux règles de la double évaluation anonyme et doit

présenter sa soutenance en face d’un jury composé de trois professeurs. Depuis ce

changement, un seul étudiant a obtenu son diplôme grâce à un article spécialisé et son

article n’a finalement pas été publié par la revue souhaitée.

Comment en arrive-t-on à de si maigres résultats ? En 2014, la situation au Mexique

semble être la même que celle estimée par M. Dabène et Y. Reuter en France en 1998

quand ils observaient, dans l’introduction du numéro de LIDIL consacré à l’écrit dans

le supérieur, que l’écrit n’est déjà que peu enseigné dans le secondaire, quasiment

pas à l’université, celle-ci étant vue surtout comme un lieu de transmission des savoirs

(cité par Donahue, 2008 : 82). Pourtant, selon de récentes études (comme celles de

Gutiérrez-Rodríguez et Flórez-Romero, 2011 ou celle réalisée par García Ramírez, 2014,

au sein même de notre faculté), tout le professorat semble être d’accord sur l’impor-

tance d’améliorer la littéracie, la culture de l’écrit à l’université « au-delà des savoir-

faire rédactionnels et culturels, qui permet à qui la possède de maîtriser le temps,

l’espace, le monde d’une manière spécifique » (Bouchard, Kadi, 2012: 11). On observe

malheureusement peu d’efforts dans ce domaine et la culture latino-américaine de

l’écrit universitaire reste largement sous-estimée dans les plans d’étude en général

(Gutiérrez-Rodríguez , Flórez-Romero, 2011).

Carlino (2010), experte en littéracie dans le contexte latino-américain, insiste sur le

fait que les pratiques d’écriture à l’université sont nouvelles et diffèrent radicalement

des modes de lecture et d’écriture au lycée; de plus, les professeurs des disciplines

n’expliquent guère ce qu’ils attendent de leurs étudiants, ne les guident pas et ne

donnent pas assez de commentaires. Dans notre faculté, les résultats obtenus par

García-Ramírez (2014) concordent dans la mesure où ils révèlent que seulement 51%

des professeurs interrogés prévoient des activités didactiques pour favoriser la lecture/

écriture académique, 47% travaillent les textes académiques au sein de leurs cours et

37% suivent les recommandations des nouvelles théories sur la didactique de l’écrit ;

les règles de l’écrit académique ne sont présentées qu’au premier ou au deuxième

semestre, lors du cours de « Méthodologie de la recherche » et ne sont appliquées par

les étudiants que plusieurs semestres plus tard, quand ils commencent à rédiger leur

mémoire dans les matières de Seminario 1, 2 et 3. Ces constats ne sont pourtant pas très

étonnants puisque l’écrit a toujours été considéré comme la bête noire des étudiants

et des professeurs (Vigner, 2012 : 16). Sans compter qu’à l’université, en France et

aux Etats-Unis (cf. Donahue, 2008) tout comme en Amérique latine (cf. Uribe-Álvarez

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et Camargo-Martínez, 2011), l’écrit semble basé sur la logique qu’après tant d’années d’étude au primaire, au collège et au lycée, les étudiants « savent déjà écrire ». La réalité mexicaine est tout autre et le processus d’écriture doit être travaillé assidûment en contexte universitaire.

Ainsi avons-nous entrepris de commencer à familiariser nos étudiants de licence avec les écrits académiques pour qu’ils terminent leurs études en ayant mis toutes les chances de leur côté afin de devenir, en master ou en doctorat, des écrivains universitaires productifs. Dans un cours non obligatoire de français de niveau C1 du DALF du dernier semestre de la Licence en français, nous avons travaillé avec les deux étudiantes qui le suivaient sur la production de la première version d’un article de recherche publiable dans une revue spécialisée. Nous rendons compte dans cet article du mode d’intervention que nous avons suivi durant ce cours, qui reprenait divers principes pédagogiques de la rédaction d’un article de recherche en langue maternelle et du processus d’écriture en langue étrangère à l’université. Nous parlons également des impressions des étudiantes ayant participé à l’expérience : leurs impressions sur le mode d’intervention, sur les difficultés rencontrées lors de la rédaction, sur leurs textes obtenus à la fin du semestre et leurs opinions sur l’écriture d’un article de recherche au sein de la licence.

Lecture/écriture de l’article de recherche en contexte universitaire en langue maternelle et en langue étrangère

Les bons écrivains sont souvent d’avides lecteurs qui arrivent à absorber les principes de rédaction dans leur domaine. Si nous voulons que nos étudiants commencent à écrire des articles académiques, il est primordial qu’ils en lisent régulièrement pendant leurs études afin de comprendre et de repérer les choix rhétoriques enracinés dans ces articles. Johns (2011) met en évidence la complexité et le chaos qui entrent en jeu dans la production d’un texte et, de ce fait, recommande que les étudiants commencent à considérer sa structure interne, son intertextualité, les lieux où il peut apparaitre, les processus d’écriture utilisés, les autres éléments contextuels (comme le rôle de l’écrivain, ses lecteurs, l’influence des autres textes, etc.) essentiels pour comprendre la nature des genres de textes. Moore (sous presse) et Belcher (2010) recommandent de recourir à une approche explicite de l’article de recherche, guidée en classe par le professeur, ce qui rendrait les exigences d’apprentissage plus claires et donnerait l’accès aux modèles et aux possibilités de variation dans les textes. De meilleurs résultats seraient notamment obtenus avec les étudiants dont la compétence en L2 est faible et qui sont encore souvent incapables d’identifier par eux-mêmes les structures sous-jacentes du texte. Il s’agit d’apprendre « par le biais d’une conscience des stratégies de construction textuelle développée en analysant les textes des autres » (Donahue, 2008: 64). Vigner (2012) parle quant à lui d’une « pédagogie de l’imprégnation ».

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Écrire un article de recherche dans un contexte de licence en FLE

Pour écrire de façon efficace un article de recherche publiable, Belcher (2010)

recommande de suivre une série d’étapes : chercher en ligne ou à la bibliothèque des

articles écrits récemment dans le domaine de l’article à écrire ; chercher de préférence

des articles de moins de deux ans, publiés dans la revue que l’on a en vue pour la

publication ; choisir un article dont la présentation pourra servir de modèle, procurant

une structure solide et des solutions à des dilemmes de rédaction ; imprimer les articles

et toujours les avoir à portée de main ; étudier le modèle partie par partie en observant

par exemple comment est présentée l’information dans les premiers paragraphes, faire

un exercice de réflexion sur la façon dont les auteurs présentent les articles par rapport

à leur public lecteur ; examiner d’autres sections comme la partie méthodologique,

la rédaction des résultats et de la discussion, les informations qui se trouvent dans les

tableaux, le résumé, l’introduction, entre autres.

Dans la classe de FLE, les besoins en matière d’écrit n’occupent qu’une place limitée

aux niveaux A1 ou A2 mais se font ressentir dans les niveaux plus avancés, de B2 à C2

du CECR (2001). Paradoxalement, il est très rare que les professeurs, de FLE ou même

de matières en langue maternelle, demandent plus d’un écrit par semestre de plus

de 1000 caractères au sein de notre licence (García Ramírez, 2014). Il est pourtant

indispensable que les étudiants universitaires soient appelés à rédiger des textes plus

longs et ambitieux, des textes complexes tels que la dissertation et l’essai, comme

le souligne Haydée Silva (2010), et « qu’il serait opportun de dresser des passerelles

entre la production en langue maternelle et en langue étrangère […] pour instaurer une

didactique de l’écrit qui dépasse le stade de la phrase ou du paragraphe. » (Cuq, Gruca,

2002 : 178, cités par Silva, 2010 :140). La pédagogie de l’écriture en FLE ne doit pas

se limiter à la production de phrases correctes ni au transfert pur et simple des modes

d’expression ou d’organisation de textes de la langue d’origine vers le français.

Si l’écrit académique nécessite une préparation spécifique et un entrainement continu

en langue maternelle, le défi est encore plus grand en langue étrangère étant donné

que les « processus de production sont plus lents, la rédaction est plus laborieuse, la

surcharge de la mémoire de travail se traduit le plus souvent par une fragmentation de

la tâche avec en bout de processus la production d’un texte plus court qui ne traduit que

partiellement ce que pourraient être les visées de communication du scripteur » (Vigner,

2012: 20). De plus, entrer dans l’écrit de la LE peut aussi bien signifier « développer

une expérience littéraciée déjà existante en L1, qu’entrer dans une nouvelle culture

qui demande d’accepter de restructurer sa conception du monde » (Bouchard et Kadi,

2012 :11). Comme nos étudiantes ne savent pas encore écrire un article académique

en langue maternelle, elles entrent donc directement dans la culture de l’écrit de

recherche en français ; l’écriture de cet article constituera certainement une grande

difficulté pour elles étant donné que les automatismes langagiers en français ne sont

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pas encore bien acquis et que leurs compétences dans leur langue d’origine ne sont pas

encore pleinement stabilisées (Vigner, 2012).

Première approche dans notre classe de FLE

Nous avons travaillé avec les deux étudiantes d’une vingtaine d’années qui suivaient

un cours de FLE facultatif de niveau C1 du DALF au sein de la licence. Pour l’habileté de

production écrite, c’est à partir de ce niveau qu’est mentionnée la relation au destina-

taire comme facteur d’organisation de l’écrit. Selon le CECR (2001 : 51-52), l’écrit en

FLE prend place dans trois grandes familles de pratiques : l’écrit d’accompagnement des

apprentissages, l’écrit d’interaction et l’écrit de production. C’est l’écrit de production

qui nous a intéressé ici : un écrit dans lequel la dimension interactive existe toujours

(on s’adresse toujours à un lecteur, même virtuel) mais qui requiert la connaissance des

genres discursifs, la maîtrise des éléments de la textualité, d’anticiper sur les capacités

de réception et d’interprétation du lecteur, et la connaissance des normes propres à

la communication écrite (Vigner, 2012 : 25). La consigne pour elles était d’écrire le

premier jet d’un article publiable dans une revue spécialisée. L’article en question

devait porter sur le sujet de leur mémoire. Elles avaient déjà travaillé sur le recueil

d’informations relatives au thème dans des matières précédentes, et il ne s’agissait

donc plus que de présenter ce thème et les informations qu’elles possédaient déjà sous

la forme d’un article académique, publiable dans une revue spécialisée en français.

Écrire cette première version avait pour but d’entraîner nos étudiantes à trouver la

capacité de se faire entendre dans le monde universitaire en connaissant les conventions

et les structures génériques acceptables en langue française ; ceci entrainant l’enjeu

d’une « autorité discursive » (Donahue, 2008 : 158) que l’étudiant ne détient pas

forcément car le fait d’écrire en s’appuyant sur des exemples précis de connaissances

académiques l’entraine non seulement à apprendre la langue et son usage linguistique

mais aussi à prendre « une posture de construction d’un je sujet-apprenant, distinct du

moi de l’expérience quotidienne […] » (Bautier et Rochex, cités par Donahue, 2008 :

159). Il fallait également veiller à ce que leurs écrits ne deviennent pas un « pastiche

d’extraits copiés-collés de l’Internet » contre lequel nous met en garde Hayasaki (2003,

cité par Donahue, 2008) pour la rédaction de la version traditionnelle du research paper.

Pendant un semestre, nous avons ainsi travaillé l’article en classe deux heures par

semaine (32 heures en tout) en suivant les recommandations d’auteurs tels que Johns

(2011), Belcher (2010) et Donahue (2008). En outre, afin de surmonter les difficultés

liées à la rédaction d’un écrit académique long en langue étrangère, nous avons repris et

sélectionné quelques principes d’enseignement/apprentissage de l’écrit à l’université,

proposés par Vigner (2012 : 27-31) et Silva (2010 : 136-144):

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Écrire un article de recherche dans un contexte de licence en FLE

• Respecter le fait d’écrire dans un environnement donné d’apprentissage : il s’agit de réduire l’écart avec les pratiques d’écriture authentiques, c’est-à-dire ne plus isoler la langue et le langage des pratiques sociales qui leur donnent sens. Dans notre cas, la première version d’un article de recherche, correspondant à un écrit de production de niveau C1 du DALF, sera lue par des lecteurs réels pour une communication authentique où l’apprenant pourra s’exprimer en son nom.

• Écrire sur des thèmes familiers et disposer du vocabulaire nécessaire : leur article portait ainsi sur le sujet de leur mémoire, travaillé antérieurement dans d’autres matières, pour qu’elles disposent du lexique spécifique au domaine référentiel traité. Pour trouver les équivalents du vocabulaire spécialisé qu’elles détenaient en espagnol, elles devaient lire des articles sur leurs thèmes pour repérer les termes en français qui les intéressaient et consulter des traducteurs en ligne ou des sites spécialisés dans le domaine.

• Écrire en imitant : écrire c’est réécrire et s’imprégner des manières de faire. Il ne s’agit pas de donner aux étudiants une série de moules à gâteaux, mais plutôt de les inciter à utiliser des matrices, notion intimement liée à celle de modèle. L’apprenant de FLE commencera alors par découvrir des modèles textuels issus de la culture étrangère avant d’être amené à les produire. Nous leur avons demandé de chercher au moins cinq articles académiques portant sur leur sujet, dans différentes revues spécialisées, pour y faire le travail préalable de lecture indispensable au travail d’écriture.

• Envisager le texte dans sa totalité : on portera plus d’attention aux processus de haut niveau tels que l’organisation du texte ou l’adéquation à la situation de communication pour que les étudiants ne se focalisent plus exclusivement sur les unités d’ordre minimal, comme ils ont trop souvent tendance à le faire. On fera également en sorte de travailler les différentes parties de l’article de façon ponctuelle pour les aider à soulager leur mémoire de travail. Travailler le résumé, l’introduction, le cadre théorique, la méthodologie, les résultats, la conclusion séparément d’abord, et favoriser ensuite des activités globalisantes pour former le texte dans son ensemble.

• Classer les activités selon trois grands principes métacognitifs : la planifi-cation, l’exécution puis, regroupés sous la notion de révision, le contrôle et la remédiation.

• Répondre à l’exigence fondamentale de l’intelligibilité/lisibilité : il est amplement recommandé que la rédaction soit assistée par un locuteur natif. En tant que professeur de la matière, nous faisions attention à ce que le contenu soit tout à fait compréhensible et que le style soit adapté à l’article de recherche en français, qu’il n’y ait ni impropriétés lexicales, ni erreurs orthographiques, ni erreurs grammaticales, afin qu’elles se concentrent davantage sur le message à

transmettre que sur des questions de langue.

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Finalement, Donahue (2008 : 84) propose que l’accompagnement des étudiants à

l’écrit se fasse d’abord de manière collective, à travers une initiation aux contraintes

pesant sur les écrits de recherche en matière d’insertion des discours d’autrui (Comment

citer ou reformuler d’autres auteurs ? Comment intégrer ces discours autres dans son

propre texte ? Comment faire entendre sa voix dans cette polyphonie ?) et de passer

ensuite à un accompagnement plus individuel, pour la phase de réécriture, au cours de

laquelle l’étudiant écrira plusieurs jets successifs de son travail.

A la fin du semestre, nous n’avons pas évalué les textes obtenus en soi, qui le

seront par leurs directeurs de recherche respectifs et par les lecteurs/évaluateurs de

l’article pour la revue sélectionnée. Nous voulions surtout connaitre les impressions

des étudiantes sur cette première approche de l’écriture académique dans un cours de

licence pour modifier, si nécessaire, le mode d’intervention et adopter de nouvelles

stratégies pédagogiques pour l’écriture d’un article de recherche dans un contexte

universitaire.

Les données

Les deux étudiantes ont qualifié d’enrichissante cette expérience dans la classe de

français, avant laquelle elles n’avaient pas eu l’opportunité de se rendre compte de

l’importance des travaux de recherche réalisés sur les sujets qui les intéressent. En

2008, Donahue nous rappelait déjà qu’il existe malheureusement un décalage entre le

monde académique-théorique des recherches concernant l’écrit, et le monde pédago-

gique : « Les théories pédagogiques telles qu’elles sont développées et présentées dans

les revues et les publications de recherche ne sont que peu diffusées aux enseignants –

et encore moins les théories pertinentes développées en dehors du strict cadre pédago-

gique » (2008 : 86) Si les enseignants eux-mêmes ne lisent pas ou peu ces articles, il

est assez improbable qu’ils les fassent découvrir aux étudiants ou qu’ils demandent

aux étudiants d’en lire. Elles ont donc reporté avoir aimé chercher et lire des études

récentes sur leurs thèmes dans des articles spécialisés en français. Par ailleurs, chercher

une revue dans leur domaine et connaitre la revue dans laquelle elles avaient l’intention

de publier a également participé à faciliter le processus d’écriture ; elles pouvaient

donner forme à leur article en observant les trois grands niveaux de cohérence -macro,

méso et micro- des articles publiés (cf. Donahue, 2008 : 165-166). Elles ont également

exprimé une opinion positive quant à la consigne d’écrire sur le sujet de leur mémoire

car elles savaient sur quoi écrire ; le travail était déjà commencé en espagnol, elles

devaient l’adapter au genre de l’article, le passer en langue française et y intégrer les

nouvelles informations trouvées dans les articles lus sur le sujet. Elles ont aussi aimé

l’idée de rédiger un article de recherche au lieu d’un mémoire pour transmettre à

un public plus large leurs réflexions sur leurs sujets. Enfin, être guidées et relues par

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Écrire un article de recherche dans un contexte de licence en FLE

l’enseignante les a à la fois motivées et intimidées dans la mesure où elles ont avoué se

sentir néophytes dans le domaine et ont été obligées de terminer la première version

pour la fin du cours.

Malgré ces points positifs, plusieurs problèmes sont apparus lors du processus

d’écriture. Le résumé, l’introduction et la conclusion ont été perçus comme les

parties les plus problématiques à rédiger au niveau du contenu : elles ont eu du mal à

sélectionner et organiser les informations adéquates pour ces parties. Ceci concorde

partiellement avec ce qu’observait Donahue chez ses étudiants universitaires : « les

problèmes rencontrés, les difficultés des étudiants dans les écrits théoriques ont été

repérés dans les introductions, le développement d’une problématique, la reformu-

lation des textes théoriques lus par les étudiants, les citations, la position du sujet qui

écrit, la restitution d’un cadre théorique et les abstracts, entres autres » (2008 : 91-92).

Une difficulté d’un autre ressort a été mentionnée par une étudiante qui écrivait sur le

processus d’équivalence en traduction : celle de trouver les termes exacts en français

correspondant aux termes utilisés en espagnol dans son mémoire. Enfin, même si

nos étudiantes savaient que nous nous occupions de l’intelligibilité/lisibilité de leurs

articles, la rédaction en français fut la principale difficulté rencontrée. Ceci n’étant pas

vraiment étonnant puisque c’était la première fois, après cinq années d’étude, qu’elles

étaient confrontées à l’écriture d’un texte long destiné à un public francophone réel.

Quant à leurs impressions sur les textes obtenus à la fin du semestre, une étudiante

a exprimé être satisfaite de sa première version publiable au niveau de la macro-co-

hérence (tout ce qui relève de la structure globale du texte, des cadres d’introduction

et de conclusion, des questions de la mise en page et de la longueur, et des choix des

paragraphes) et de la méso-cohérence (tout ce qui concerne la construction cohérente

des parties du texte en relation à d’autres textes : l’intertextualité sous forme de

citations, de paraphrase, de résumé ; les exemples, les définitions; les parenthèses, les

lieux communs, les auto-reformulations) (cf. Donahue, 2008 : 165-166). Elle essaiera

d’obtenir son diplôme en envoyant son écrit à une revue spécialisée et en présentant la

soutenance de l’article devant un jury de la faculté. La deuxième étudiante a reporté

n’être satisfaite de son premier jet qu’au niveau de la macro-cohérence et, par consé-

quent, n’utilisera pas ce travail pour obtenir son diplôme ; par ailleurs, elle ne savait

pas encore si elle tenterait de publier son travail plus tard dans la revue choisie au

début du semestre. Aucune des deux étudiantes n’a mentionné être satisfaite de la

micro-cohérence, c’est-à-dire du style, des déictiques et connecteurs. En tant que

professeur natif de la matière, nous avons surtout corrigé le style et la langue des

écrits mais nous nous sommes également penchées sur les problèmes auxquels sont

souvent confrontés les étudiants, mentionnés par Reuter (2004 : 21-25). Nous avons par

exemple repéré, dans un des textes, des problèmes dans le résumé (qui ressemblait

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Synergies Mexique n° 5 - 2015 p. 127-138

plus à une introduction), dans l’introduction (avec annonce du plan trop scolaire), dans une méthodologie trop succincte (pas d’explications de ce qui a été observé, ni de quelle façon, ni du but), dans un cadre théorique faible (avec peu d’auteurs cités, des passages peu clairs), dans les résultats (peu explicités, peu exemplifiés, avec des affirmations vagues et non prouvées et sans se référer au cadre théorique), dans les références (souvent trop vieilles ou incomplètes; l’une d’entre elles avait notamment omis de citer les articles académiques lus sur le thème).

Finalement, elles ont exprimé qu’elles préfèreraient écrire des articles dans leur langue maternelle qui leur pose moins de problèmes pour rédiger. Elles regrettaient également leur manque de préparation et de lectures et voyaient l’écriture d’un article comme une tâche nécessitant énormément de préparation, de temps à consacrer à la lecture et à l’écriture et ne s’y sentaient pas encore prêtes en licence. Elles ont pourtant recommandé de continuer à travailler ce processus d’écriture académique à ce niveau pour y être mieux préparées à l’entrée en master. Enfin, elles considéraient que les étudiants de licence devraient d’abord prendre plus au sérieux les devoirs exigés par les professeurs en langue maternelle afin de leur rendre des travaux de qualité.

Recommandations pédagogiques

Après ces observations, nous signalerons maintenant quelques points de départ qui pourront contribuer à rendre plus efficaces de futures interventions pédagogiques en licence :

• Former les étudiants, mais aussi les enseignants, à la lecture de ces articles pour leurs cours. Nous recommandons ici d’organiser, sous forme de cours extra-curriculaires, des ateliers d’écrits académiques destinés aux professeurs et aux étudiants, qui reprendront les points fondamentaux de la lecture et l’écriture des articles de recherche.

• Introduire la lecture des articles de revues spécialisés dans toutes les matières étudiées dans le cursus de la licence ; les lire pour leur contenu mais aussi pour observer la façon dont ils sont écrits. Il est nécessaire d’intégrer ce point dans la plupart des matières du plan d’étude. Ceci serait d’utilité aussi bien pour les professeurs que pour les étudiants afin qu’ils se tiennent à jour des publications les plus récentes sur le sujet.

• Demander l’écriture d’au moins un article de recherche pendant leurs cinq années d’étude, soit dans une matière de français avancé pour la langue étrangère, soit dans une matière d’un semestre moins avancé en langue maternelle.

• Travailler les articles au sein même des cours, de façon ponctuelle, au moins une heure par semaine, en tenant compte des recommandations pédagogiques les plus récentes en matière de pédagogie de l’écrit.

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Écrire un article de recherche dans un contexte de licence en FLE

• Accompagner à long terme les étudiants à la rédaction de ces écrits. L’idéal serait l’installation d’un système de tuteurs, en langue maternelle et en langue étrangère, spécialisés dans l’écriture de l’article de recherche et disponibles en dehors des cours.

Conclusion

Le jour où nous réussirons à appliquer les recommandations ci-dessus nous pourrons

espérer que nos étudiants acquièrent de bonnes bases pour l’écriture des écrits

académiques en licence, habileté qui devra être renforcée en master puis en doctorat

pour ainsi devenir compétitifs au niveau du marché du travail global et avoir l’oppor-

tunité de se faire reconnaitre au sein de la communauté universitaire nationale voire

internationale. D’ici là, la production d’écrits académiques, en langue maternelle

comme en langue étrangère, doit devenir l’affaire de toutes les matières et c’est à

nous, enseignants-chercheurs et formateurs en pédagogie, de lire, d’interpréter et de

diffuser les théories qui pourraient influencer l’enseignement de l’écrit. Comme le

rappellent Dérive et Fintz (1998), il est impossible de penser à l’acquisition des savoirs

disciplinaires sans l’écrit, et aberrant de prétendre n’évaluer que le second (cités par

Donahue, 2008). Il est temps d’arrêter de commenter les lacunes des étudiants sans agir,

d’évaluer les connaissances par de simples QCM, et il est de notre devoir de professeurs

universitaires d’encourager nos étudiants à rendre les travaux finaux sous la forme de

dossiers, d’essais, de dissertations. Considérons les écrits académiques du double point

de vue des contenus notionnels et de leurs caractéristiques syntaxiques et lexicales,

en langue maternelle (Garcia-Debanc, 2012 : 121) mais aussi en langue étrangère. Il

serait maintenant opportun de revoir de fond en comble les programmes d’étude de

toutes les matières du cursus de la licence en langues afin d’y intégrer, dès les premiers

semestres, des activités d’écriture réelles pour que les textes obtenus soient envoyés à

des congrès et publiés dans la revue locale de la faculté, pour ensuite aborder, en fin

de cursus, les articles académiques publiables dans des revues nationales ou interna-

tionales. Des études longitudinales permettant de constater les effets de ces pratiques

d’enseignement sur l’écriture académique au niveau universitaire devraient voir le jour

dans des projets de recherche à venir.

Bibliographie

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Synergies Mexique n° 5 - 2015 p. 127-138

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© Revue du Gerflint. Éléments sous droits d'auteur.

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❧ Notes de lecture ❧

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GERFLINT

Villegas, Pascale. Del puerto de Marsella a las casas de Campeche. El comercio de las tejas de barro, 1852-1932. 2014.Campeche, Universidad Autónoma de Campeche, Fomix, Gobierno del Estado de Campeche, Secretaría de Cultura-Campeche. 131 pages. ISBN : 978-607-7887-66-9

Dès son indépendance au début du XIXe siècle, le Mexique commence à établir des relations diplomatiques et commerciales avec d’autres nations, parmi lesquelles la France, tissant ainsi une série de liens entre les deux pays. L’histoire entre la France et le Mexique va au-delà de l’Invasion française et de surcroit de l’instauration de l’Empire de Maximilien d’Habsbourg, c’est l’histoire de relations entre les hommes et les femmes de chacune des deux nations qui, dans leurs labeurs quotidiennes, marquent l’histoire sociale et culturelle, loin de l’histoire politique et des intérêts économiques. Dans ce sens, Pascale Villegas a réussi avec succès, à recréer un pont historique construit entre chacun des deux pays : les tuiles de Marseille et les maisons de Campeche. Basée sur une recherche dans des fonds d’archives français et mexicains, l’auteur débute sur les premiers accords commerciaux entre les deux pays et les produits qu’ils échan-geaient à travers deux ports du Golfe du Mexique : El Carmen-La Laguna et Campeche et celui de Marseille. A travers un commerce assidu de vaisseaux, briks et goélettes, les français exportaient des produits manufacturés très raffinés comme la verrerie, les soies et cotonnades, les vins, les robes et toute la panoplie d’accessoires à la mode et importaient du bois de teinture, du cèdre et de l’acajou des deux ports situés sur la côte occidentale du Yucatan. Dans les cales des bateaux, la terre, le gravas et l’eau commencent à être progressivement remplacés par les tuiles dites mécaniques fabriquées dans le nord de Marseille et vendues une bouchée de pain dans les ports d’arrivée. Pourquoi les tuiles de Marseille ? C’est précisément cette question qui a servi de fer de lance et pour y répondre, l’auteur débute le livre en expliquant le contexte social et économique des tuileries françaises durant la seconde moitié du XIXe et le début du XXe siècle, en particuliers celles installées à L’Estaque, Saint Henri et Saint André. D’une simple entreprise familiale, les tuileries et briqueteries prennent des proportions industrielles et changent pour toujours le destin des agriculteurs et des

Noemí Cruz CortésUniversidad Nacional Autónoma de México, Mexique

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pécheurs pour en faire des ouvriers à temps complet, dans ces nouvelles villes dortoirs où l’on côtoie les nouveaux immigrés et les artistes peintres comme Cézanne, attirés par le spectacle des hautes cheminées au milieu des collines de pins. Puis l’auteur fait connaitre les circonstances qui ont permis à Campeche d’être une des principales destinations des tuiles françaises, qui ont remplacé progressivement la chaume des maisons non seulement des deux principaux ports de la région mais aussi des villages et haciendas alentours, changeant à tout jamais le paysage architectural. Elle décrit la traversée à travers les mers, l’arrivée des bateaux, les formalités douanières, les registres de débarquement, la quantité exacte de tuiles importées, leur prix de vente ainsi que les différentes marques de tuiles signalées par un coq, une ancre, une étoile ou bien un cœur. Elle explique comment, au moment du débarquement, les tuiles sont transportées par voie fluviale à travers la forêt tropicale et atteignent les villages loin de la côte. Que signifiait à l’époque avoir un toit couvert de ce matériel importé ? Au-delà d’une maison plus fraiche et moins propice aux incendies, les tuiles permettent, dans certains cas, d’élever le statut social du propriétaire, ou du moins, c’est ainsi qu’elles étaient perçues par les habitants de Campeche. Même si 1932 marque la fin de ce commerce selon les documents consultés, l’auteur fait un saut dans le présent et analyse la situation de ces maisons aujourd’hui classées patrimoines historiques. Face aux coûts économiques qu’impliquent maintenir un toit couvert de tuiles de Marseille, certaines familles préfèrent les vendre sur le marché noir aux plus offrants perdant à tout jamais cette richesse architecturale. Ainsi, les maisons de Campeche recou-vertes de tuiles françaises tendent aujourd’hui à disparaitre, elles sont confrontées au même destin que les centaines de tuileries marseillaises qui leur ont donné vie il y a plus d’un siècle. Le livre est d’autant plus intéressant qu’il permet de donner vie à un matériel quelque peu banal mais qui a transformé la vie quotidienne de villes et villages si lointains et si différents. Il faut saluer cette recherche d’une grande rigueur historique et d’une excellente analyse, sans doute, Del puerto de Marseille a las casas de Campeche, restera comme un vestige d’une longue traversée dans le temps et dans l’espace.

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© Revue du Gerflint. Éléments sous droits d'auteur.

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Mónica Rizo MaréchalCentro de Enseñanza de Lenguas Extranjeras

Universidad Nacional Autónoma de México, Mexique

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GERFLINT

López del Hierro, Elsa, López del Hierro, Silvia, Valdez, Jesús (éd.).

Apprendre à utiliser le dictionnaire. Manual de ejercicios para usar el diccionario

bilingüe (francés – español / español – francés) y monolingüe (francés)

2014. México, CELE, UNAM. 128 pages. ISBN : 978-607-02-6259-3

«Un dictionnaire, c'est tout l'univers par ordre alphabétique », disait Anatole France.

Et il semble que, de ce fait, l’étudiant de langue étrangère est censé savoir l’utiliser :

l’alphabet, quoi de plus facile à suivre ? Mais l’apprenant éprouve des difficultés

sérieuses : les dictionnaires deviennent facilement des labyrinthes inextricables, où les

mots restent incompréhensibles même dans des contextes précis. En fait, rien de plus

facile que de retrouver de faux sens et des contresens dans les écrits de l’apprenant qui

jure d’avoir consulté un dictionnaire.

Ce manuel est destiné aux étudiants et aux enseignants de Français langue étrangère.

Dès l’introduction, les auteurs présentent leur approche didactique : l’intérêt premier est

de former l’apprenant à l’utilisation efficace des dictionnaires bilingue et monolingue,

au moyen d’activités favorisant le travail autonome.

L’ouvrage est construit en deux sections. La première est consacrée au niveau

débutant et au dictionnaire bilingue. Après quelques activités d’exploration comme

l’observation de l’organisation du dictionnaire ou l’analyse d’un article de dictionnaire,

les auteurs proposent des exercices linguistiques sur les homophones, les faux sens ou

les synonymes, par exemple, avec un vocabulaire appartenant aux niveaux A1/A2, et

dont les consignes sont en espagnol.

La deuxième section est adressée aux niveaux avancés. Là aussi, la progression

didactique va du simple au complexe : les auteurs abordent le dictionnaire monolingue

à partir de l’origine et les familles des mots, la préfixation, la suffixation et les expres-

sions imagées, pour aller ensuite vers le registre de langue, le verlan ou le langage de

l’informatique, parmi d’autres sujets qui intéressent ces niveaux-là.

Par ailleurs, non seulement l’ensemble d’exercices est varié (choix multiple,

vrai-faux, lacunaire), mais aussi ludique : des soupes de lettres ou des mots croisés,

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Synergies Mexique n° 5 - 2015 p. 143-144

des tableaux et des schémas hiérarchiques ou chronologiques, par exemple, qui aident l’apprenant à organiser une réflexion systématique. Il y a aussi une rubrique d’autoéva-luation à la fin de chaque section ainsi que les corrigés à la fin du livre.

En outre, le manuel encourage la réflexion sur le processus personnel d’appren-tissage. Ici et là, les auteurs posent des questions telles que : « Comment est-ce que ce phénomène linguistique (…) peut-il influencer votre apprentissage du français ? » (p. 31, ma traduction) ; ou bien, « Pour faire l’exercice précédent, quel est le mot de chaque phrase que vous avez cherché dans le dictionnaire ? » (p. 79). Ce genre de questions permet de réfléchir aux stratégies métacognitives et cognitives d’apprentissage. Et il est déjà bien connu que l’explicitation des stratégies utilisées favorise l’apprentissage d’une langue étrangère et le développement de l’autonomie chez l’apprenant.

Bref, l’apprenant partage son expérience, discute de son processus de travail et en tire des conclusions non seulement linguistiques, mais aussi sur ses stratégies d’appren-tissage avec les dictionnaires.

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❧ Annexes ❧

Synergies Mexique n° 5 / 2015

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Profils des auteurs de ce numéro

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GERFLINT

Alfredo Lèal est diplômé en Lettres Françaises (UNAM). Il est écrivain, chercheur,

traducteur et professeur à la Faculté de Philosophie et Lettres (UNAM). Il a été boursier

de la Fondation pour les Lettres Mexicaines (2005-2006), du Fond Nationale pour la

Culture et les Arts (2011-2012) et de l’Institut Français d’Amérique Latine (2013). Il est

l’auteur des recueils de nouvelles Ohio (2007) et La especie que nos une (2010), des

romans Circo y otros actos mayores de soledad (2010) et Carta a Isobel (2013), et du

recueil d’essais Espectros de Macedonio (2015).

Isabelle Bernard est docteur en Littérature (Paris III-Sorbonne Nouvelle). Elle est

professeur au Département de Français à l’Université de Jordanie (University of Jordan)

à Amman. Elle a publié une quarantaine d’articles sur le roman français contemporain

et sur la didactique de la littérature. Ses domaines de recherche sont la littérature

française et francophone et la culture et la pensée française contemporaine.

Chantal Schnoller a un diplôme en Anthropologie Sociale (École Nationale d’Anthro-

pologie et Histoire), un master en didactique du FLE (Université de Veracruz) et un

doctorat en anthropologie (UNAM). Elle est professeur à l’Université Autonome de Basse

Californie Sud, Mexique.

Clotilde Barbier a une licence en Anglais-Lettres Nord-Américaines et une maîtrise

en Didactique du FLE (Université de Nancy 2), elle a aussi un doctorat en Sciences

Humaines (Université de Sonora). Elle est enseignante de FLE au Département de

Langues Étrangères (Université du Sonora). Ses lignes de recherche se centrent sur la

diversité linguistique et culturelle de la francophonie et sur l’usage de la littérature

dans l’enseignement du FLE.

Francisco Javier Cerón Luna est diplômé en Lettres Françaises et en Sciences

Politiques (UNAM). Il est professeur à la Faculté de Philosophie et Lettres (UNAM) et

au Centre d’Enseignement des Langues Étrangères (UNAM). Il fait partie du groupe de

recherche GRAC Mexique et de la ligne de recherche « Aportes teóricos y reflexiones

sobre la didáctica de las lenguas » du Département de Linguistique Appliquée (CELE-

UNAM). Il est aussi intéressé par la critique de la littérature française contemporaine et

par les liens entre la théorie littéraire contemporaine, la pensée politique et le discours

psychanalytique.

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Víctor Martínez de Badereau est titulaire d’une licence en Enseignement du FLE (Faculté d’Etudes Supérieures Acatlán, UNAM) et d’un master 1 FLE (Université des Antilles et de la Guyane). Il est chef du Département de français, catalan et roumain du Centre d’Enseignement des Langues Étrangères (UNAM). Il participe à la ligne de recherche « Aportes teóricos y reflexiones sobre la didáctica de las lenguas » au sein du Département de Linguistique Appliquée du CELE-UNAM et est membre du groupe de recherche GRAC Mexique. Il s’intéresse à la contextualisation des descriptions gramma-ticales ainsi qu’au développement curriculaire.

Georgia M. K. Grondin est titulaire d’un diplôme en Maitrise FLE (Université d’Aix Marseille 1) et du Master en Didactique du FLE (Université de Veracruz). Professeur-chercheur à la Faculté de Langues de l’Université Autonome de l’État de Mexique. Elle dirige le groupe de recherche « Etudes en linguistique et enseignement ». Ses recherches explorent l’interculturel et se centrent sur les relations entre langues, cultures et identités.

Xóchitl Espinosa Vasseur a une licence en Sciences du Langage, option FLE et un master en Didactique de FLE (Université de Rouen). Elle est professeur de français au Centre d’Enseignement des Langues Étrangères (UNAM). Ses axes de recherche sont la littérature contemporaine et l’interaction orale dans les nouvelles technologies.

Philippe Stoesslé est professeur-chercheur du Département de Sciences Sociales de l’Université de Monterrey (Mexique). Ses intérêts scientifiques portent sur divers thèmes multidisciplinaires en relation au monde de la santé dans la zone frontalière Mexique-États-Unis : les interactions des patients avec le système de santé et ses acteurs, les déterminants sociaux et les obstacles qu’affrontent les populations vulnérables dans leur accès à la santé.

Christelle Annick Ferraris a un diplôme de maîtrise FLE et une licence en Sciences du Langage option FLE (Université de Franche-Comté), elle est aussi titulaire d’une maîtrise en Didactique du Français (Université de Veracruz). Elle est enseignant-cher-cheur de la Faculté de Langues (Université Autonome de l’État de Mexique). Participante au corps de recherche « Études en linguistique et enseignement » depuis 2008 qui porte sur l’acquisition du vocabulaire et sur la littératie en contexte universitaire dans l’enseignement/apprentissage d’une langue étrangère.

Clara Cecilia Uribe Hernández est docteur en Linguistique (UNAM), elle a un diplôme de maîtrise en Linguistique Appliquée (UNAM) et une licence en Psychologie (Université Autonome de l’État de Mexique). Elle est enseignant-chercheur de la Faculté de Langues (Université Autonome de l’État de Mexique). Participante au corps de recherche « Études en linguistique et enseignement » depuis 2008. Ses axes de recherche se penchent principalement sur l’enseignement et l’apprentissage d’une langue étrangère.

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Consignes aux auteurs

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GERFLINT

Revue Synergies MexiqueRevue du GERFLINT

ISSN 2007-8595 / ISSN en ligne 2257-8595

1 L’auteur aura pris connaissance de la politique éditoriale générale de l’éditeur (le Gerflint) et des normes éditoriales et éthiques figurant sur le site du Gerflint et de la revue. Les propositions d’articles seront envoyées pour évaluation à [email protected] avec un court CV résumant son cursus et ses axes de recherche par voie électronique et en pièces jointes. L’auteur recevra une notification. Les articles complets seront ensuite adressés au Comité de rédaction de la revue selon les consignes énoncés dans ce document. Tout texte ne s’y conformant pas sera retourné. Aucune participation financière ne sera demandée à l’auteur pour la soumission de son article. Il en sera de même pour toutes les expertises des textes (articles, comptes rendus, résumés) qui parviendront à la Rédaction.

2 L’article sera inédit et n’aura pas été envoyé à d’autres lieux de publication. Il n’aura pas non plus été proposé simultanément à plusieurs revues du Gerflint. L’auteur signera une « déclaration d’originalité et de cession de droits de reproduction à titre gracieux ». Un article ne pourra pas avoir plus de deux auteurs.

3 Proposition et article seront en langue française. Les articles (entrant dans la thématique ou épars) sont acceptés, toujours dans la limite de l’espace éditorial disponible. Ce dernier sera réservé prioritairement aux chercheurs francophones (doctorants ou post-doctorants ayant le français comme langue d’expression scientifique) locuteurs natifs de la zone géolinguistique que couvre la revue. Les articles rédigés dans une autre langue que le français seront acceptés dans la limite de 3 articles non francophones par numéro, sous réserve d’approbation technique et graphique. Dans les titres, le corps de l’article, les notes et la bibliographie, la variété éventuelle des langues utilisées pour exemplification, citations et références est soumise aux mêmes limita-tions techniques.

4 Les articles présélectionnés suivront un processus de double évaluation anonyme par des pairs membres du comité scientifique, du comité de lecture et/ou par des évaluateurs extérieurs. L’auteur recevra la décision du comité.

5 Si l’article reçoit un avis favorable de principe, son auteur sera invité à procéder, dans les plus brefs délais, aux corrections éventuelles demandées par les évaluateurs et le comité de rédaction. Les articles, à condition de respecter les correctifs demandés, seront alors soumis à une nouvelle évaluation du Comité de lecture, la décision finale d’acceptation des contributions étant toujours sous réserve de la décision des experts du Conseil scientifique et technique du Gerflint et du Directeur des publications.

6 Le titre de l’article, centré, taille 10, en gras, n’aura pas de sigle et ne sera pas trop long. Le prénom, le nom de l’auteur (en gras, sans indication ni abréviation de titre ou grade), de son institution, de son pays et son adresse électronique (professionnelle de préférence et à la discrétion de l’auteur) seront également centrés et en petits caractères. Le tout sans couleur, sans soulignement et sans hyperlien.

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Synergies Mexique n° 5 - 2015 p. 149-151

7 L’auteur fera précéder son article d’un résumé condensé ou synopsis de 6-8 lignes maximum suivi de 3 ou 5 mots-clés en petits caractères, sans majuscules initiales, taille 9. Ce résumé ne doit, en aucun cas, être reproduit dans l’article.

8 L’ensemble (titre, résumé, mots-clés) en français sera suivi de sa traduction en espagnol puis en anglais. En cas d’article non francophone, l’ordre des résumés est inchangé.

9 La police de caractère est Times New Roman, taille 10, interligne 1. Le texte justifié, sur fichier Word, format doc, doit être saisi au kilomètre (retour à la ligne automatique), sans tabulation ni pagination ni couleur. La revue a son propre standard de mise en forme.

10 L’article doit comprendre entre 15 000 et 30000 signes, soit 6-10 pages Word, éléments visuels, bibliographie, notes et espaces compris. Sauf commande spéciale de l’éditeur, les articles s’éloignant de ces limites ne seront pas acceptés. La longueur des comptes rendus de lecture ne dépassera pas 2500 signes, soit 1 page.

11 Tous les paragraphes (sous-titres en gras sans sigle, petits caractères) seront distincts avec un seul espace. La division de l’article en 1, 2 voire 3 niveaux de titre est suffisante.

12 Les mots ou expressions que l’auteur souhaite mettre en relief seront entre guillemets ou en italiques. Le soulignement, les caractères gras et les majuscules ne seront en aucun cas utilisés, même pour les noms propres dans les références bibliographiques, sauf la majuscule initiale.

13 Les notes, brèves de préférence, en nombre limité, figureront en fin d’article (taille 8) avec appel de note automatique continu (1,2,...5 et non i,ii…iv). L’auteur veillera à ce que l’espace pris par les notes soit réduit par rapport au corps du texte.

14 Dans le corps du texte, les renvois à la bibliographie se présenteront comme suit: (Dupont, 1999 : 55).

15 Les citations, toujours conformes au respect des droits d’auteurs, seront en italiques, taille 10, séparées du corps du texte par une ligne et sans alinéa. Les citations courtes resteront dans le corps du texte. Les citations dans une langue autre que celle de l’article seront traduites dans le corps de l’article avec version originale en note.

16 La bibliographie en fin d’article précèdera les notes (sans alinéa dans les références, ni majuscules pour les noms propres sauf à l’initiale). Elle s’en tiendra principalement aux ouvrages cités dans l’article et s’établira par classement chrono-alphabétique des noms propres. Les biblio-graphies longues, plus de 15 références, devront être justifiées par la nature de la recherche présentée. Les articles dont la bibliographie ne suivra pas exactement les consignes 14, 17, 18, 19 et 20 seront retournés à l’auteur. Le tout sans couleur ni soulignement ni lien hypertexte.

17 Pour un ouvrage Baume, E. 1985. La lecture – préalables à sa Pédagogie. Paris : Association Française pour la lecture. Fayol, M. et al. 1992. Psychologie cognitive de la lecture. Paris: PUF.Gaonac’h, D., Golder, C. 1995. Manuel de psychologie pour l’enseignement. Paris : Hachette.

18 Pour un ouvrage collectifMorais, J. 1996. La lecture et l’apprentissage de la lecture : questions pour la science. In : Regards sur la lecture et ses apprentissages. Paris : Observatoire National de la lecture.

19 Pour un article de périodique Kern, R.G. 1994. « The Role of Mental Translation in Second Language Reading ». Studies in Second Language Acquisition, nº16, p. 41-61.

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Consignes aux auteurs

20 Pour les références électroniques (jamais placées dans le corps du texte mais toujours dans la bibliographie), les auteurs veilleront à adopter les normes indiquées par les éditeurs pour citer ouvrages et articles en ligne. Ils supprimeront hyperlien, couleur et soulignement automatique et indiqueront la date de consultation la plus récente [consulté le ….], après vérification de leur fiabilité et du respect du Copyright.

21 Les textes seront conformes à la typographie française. En cas de recours à l’Alphabet Phonétique International, l’auteur pourra utiliser gratuitement les symboles phonétiques sur le site : http://www.sil.org/computing/fonts/encore-ipa.html

22 Graphiques, schémas, figures, photos éventuels seront envoyés à part au format PDF ou JPEG, en noir et blanc uniquement, avec obligation de références selon le copyright sans être copiés/collés mais scannés à plus de 300 pixels. Les articles contenant un nombre élevé de figures et de tableaux et/ou de mauvaise qualité scientifique et technique ne seront pas acceptés. L’éditeur se réserve le droit de refuser les tableaux (toujours coûteux) en redondance avec les données écrites qui suffisent bien souvent à la claire compréhension du sujet traité.

23 Les captures d’écrans sur l’internet et extraits de films ou d’images publicitaires seront refusés. Toute partie de texte soumise à la propriété intellectuelle doit être réécrite en Word avec indication des références, de la source du texte et d’une éventuelle autorisation.

NB : Toute reproduction éventuelle (toujours en noir et blanc) d’une image, d’une photo, d’une création originale et de toute œuvre d’esprit exige l’autorisation écrite de son créateur ou des ayants droit et la mention de paternité de l’œuvre selon les dispositions en vigueur du Code français de la propriété intellectuelle protégeant les droits d’auteurs. L’auteur présentera les justificatifs d’autorisation et des droits payés par lui au propriétaire de l’œuvre. Si les documents sont établis dans un autre pays que la France, les pièces précitées seront traduites et légalisées par des traducteurs assermentés ou par des services consulaires de l’Ambassade de France. Les éléments protégés seront publiés avec mention obligatoire des sources et de l’autorisation, dans le respect des conditions d’utilisation délivrées par le détenteur des droits d’auteur.

24 Seuls les articles conformes à la politique éditoriale et aux consignes rédactionnelles, seront édités, publiés, mis en ligne sur le site web de l’éditeur et diffusés en libre accès par lui dans leur intégralité. La date de parution dépendra de la coordination générale de l’ouvrage par la rédactrice en chef. L’éditeur d’une revue scientifique respectant les standards des agences inter-nationales procède à l’évaluation de la qualité des projets à plusieurs niveaux. L’éditeur, ses experts ou ses relecteurs (évaluation par les pairs) se réservent le droit d’apprécier si l’œuvre convient, d’une part, à la finalité et aux objectifs de publication, et d’autre part, à la qualité formelle de cette dernière. L’éditeur dispose d’un droit de préférence.

25 Une fois numérisé, tout article pourra être déposé en post-publication (archivage institu-tionnel exclusivement) à condition que le Directeur de publication (assisté du Pôle éditorial) en donne l’autorisation. Les demandes sont à envoyer à l’adresse suivante : [email protected]. Tout signalement ou référencement doit respecter les normes internationales et le mode de citation de l’article spécifié dans la politique éditoriale de la revue. Le Gerflint (Siège en France) ne peut honorer des commandes de numéros imprimés.

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Synergies Mexique, nº 5 / 2015Revue du GERFLINT

Groupe d’Études et de Recherches pour le Français Langue Internationale

En partenariat avec la Fondation Maison des Sciences de L’Homme de Paris

Président d’Honneur: Edgar MorinFondateur et Président : Jacques CortèsConseillers et Vice-Présidents : Ibrahim Al Balawi, Serge Borg et Nelson Vallejo-Gomez

Publications du GERFLINTIdentifiant International : ISNI 0000 0001 1956 5800

Le réseau des Revues Synergies du GERFLINT

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Essais francophones : Collection scientifique du GERFLINT

Direction du Pôle éditorial : Sophie AubinWebmestre : Thierry LebeaupinSite: http://www.gerflint.frContact: [email protected]

Synergies Mexique, nº 5/2015Couverture, conception graphique et mise en page : Emilie Hiesse (Créactiv´) - France

© GERFLINT - Sylvains les Moulins – France – Copyright nº 24XM1F2Dépôt légal Bibliothèque Nationale du Mexique 2015

Achevé d’imprimer en décembre 2015

GERFLINT

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