souvenirs sur joachim wach

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EHESS Souvenirs sur Joachim Wach Author(s): Friedrich Heiler Source: Archives de sociologie des religions, 1ère Année, No. 1 (Jan. - Jun., 1956), pp. 21-24 Published by: EHESS Stable URL: http://www.jstor.org/stable/30119713 . Accessed: 12/06/2014 17:03 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . EHESS is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Archives de sociologie des religions. http://www.jstor.org This content downloaded from 195.34.79.208 on Thu, 12 Jun 2014 17:03:28 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

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Souvenirs sur Joachim WachAuthor(s): Friedrich HeilerSource: Archives de sociologie des religions, 1ère Année, No. 1 (Jan. - Jun., 1956), pp. 21-24Published by: EHESSStable URL: http://www.jstor.org/stable/30119713 .

Accessed: 12/06/2014 17:03

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SOUVENIRS SUR JOACHIM WACH *

Lorsqu'& la fin de la premiere guerre mondiale, je commenqai ma carriire universitaire B 28 ans, comme maitre de conferences & l'Universitd de Munich, un itudiant de six ans plus jeune que moi et fraichement revenu de I'armie devint mon disciple: c'dtait Joachim Wach de Leipzig. Comme il avait l'intention d'dtudier l'histoire et la philosophie religieuses, je lui donnai le conseil de se rendre accessibles les grandes religions de l'Inde en 4tudiant le langage sacrd du sanscrit. Il tomba d'accord et c'est ainsi que je lui donnai des legons spdciales en cette matibre. Ces legons, dans la plus petite salle de classe de l'Universitd de Munich, sont parmi mes plus pricieux souvenirs du temps oii j'enseignais dans ma ville natale. Elles nouerent mon amitid avec Joachim Wach. Outre notre intir~t commun pour les religions comparies nous 4tions unis par un lien spdcial : tous deux en effet itions lids avec l'archev~que luthdrien d'Uppsala, Nathan Soderblom, qui antirieurement avait occupi la chaire d'histoire des religions A l'Universitd de Leipzig et que l'un et l'autre nous admirions comme un spdcialiste de gdnie.

Aussit6t aprbs j'allais en Subde, puis B l'Universitd de Marbourg, tandis que Wach allait A l'Universitd de Berlin, oi, & ce moment, 6taient en activiti d'excellents thdologiens et philosophes (Adolf von Harnack et Ernst Troeltsch). Puis il allait & Leipzig oi son maitre spdcial devint Hans Haas (un ancien missionnaire au Japon qui comme successeur de Soderblom occupait la chaire d'histoire des religions - universitaire d'esprit trbs libiral qui & partir de son activit6 missionnaire avait atteint une profonde comprdhension des religions orientales). Trois anndes plus tard, en 1922, le jeune 4tudiant avait ddjd pris son grade de docteur en philosophie et publid son premier travail, Der Erlosungsgedanke und seine Deutung (L'idde de ridemption et sa signification).

(*) L'allocution publide ici en version frangaise fut prononche pour un service funlbre & Chicago le 5 oct. 1955 par le Professeur F. IEILER, alors en visite d la Federated Theological Faculty de cette ville. Le texte en version anglaise en a 6t6 publi6 in < The Divinity School News o, xxii, 4, nov. 1955, p. 28-32. - 11 est traduit et publid ici avec l'aimable autorisation des Cdi- teurs et de l'auteur (N.D.L.R.).

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ARCHIVES DE SOCIOLOGIE DES RELIGIONS

Dijd dans cet important travail apparait le caractere distinctif de sa mdthode de recherche. I1 mnanifestait une connaissance remarquable des diverses religions non-chritiennes aussi bien que chritiennes et une vue philosophique pindtrante du ph~nomhne religieux. Son habiletd 6tonnante a discuter les problkmes mithodologiques de sa discipline fut rivilde en 1924 par un second ouvrage, Religionswissenschaft : Prolegomena zu ihrer wissenschaftstheoretischen Grundlegung (Science des Religions: Pro- 16gomenes a ses fondements 6pistimologiques). Encore davantage que dans ses premiers livres Wach s'y montre un penseur sagace et un esprit systimatique qui sous l'influence de Wilhelm Dilthey et Ernst Troeltsch, prolongeait la riche tradition philosophique allemande. En 1925, il publia un remarquable expose, abrigi des iddes fondamentales du bouddhisme Mahayana.

Une annie plus tard, il publia le premier volume de son aeuvre philosophique classique intitulde: Das Verstehen : Griindzuge einer Geschichte der hermeneutischen Theorie im 19. Jahrhundert. I1 est quelque peu difficile de traduire ce Verstehen, terme allemand complexe qui signifie (( perception n, < comprehension n, c interpretation du veritable sens des mots et des idles des autres hommes. Le sous-titre est (( Esquisse d'une histoire de la thdorie hermineutique au 19e sidcle >. Dans le premier volume, intitulh Les grands Systtmes, Wach commente d'une manibre rdellement topique les doctrines hermineutiques gindrales de plusieurs grands penseurs du commencement du XIXe sikcle. Dans le second volume publid en 1929, Wach, avec une connaissance stupifiante de cette abondante littirature, examine les diffdrents penseurs de l'hermineutique thiolo- gique, c'est-8-dire la m6thodologie de l'interpritation des Saintes Ecritures, depuis Schleiermacher au thdologien conservateur d'Erlangen, Hofmann. Non moins intiressant est le troisieme volume intituld La comprdhension de la Recherche historique depuis Ranke jusqu'au positivisme, volume publid en 1933. Le sommet de ce volume est l'exposition de la mithode du plus grand maitre allemand en science historique, Ranke, que Wach caractdrise comme 4tant l'incarnation du sens historique. A travers ce gigantesque travail, Wach entrait dans la ligne des grands penseurs philosophiques de l'Allemagne. Toutefois, dans les annies suivantes, il mettait en veilleuse son travail philosophique dans la mes'ure of il com- menqait g concentrer sa recherche sur les religions comparies. Inciti par Max Weber, 4minent iconomiste et le premier spdcialiste allemand qui publia un grand ouvrage sur la sociologie de la religion, Wach se mit lui-m~me au travail en ce domaine.

En 1924, il avait publi6 deux beaux essais intitulds Meister und Jiinger (Maitre et disciples), essais bases sur la connaissance des religions chrdtiennes et non chrdtiennes et exposant la relation sociologique du maitre religieux avec ses disciples. En 1931, il publia une introduction a la sociologie de la religion, Einfilhrung in die Religionssoziologie, qui posa les fondations de son second ouvrage classique, d'abord publi6 en 1944 a Chicago, puis en 1951 dans une traduction allemande, sa Sociologie de la Religion. Dans ce travail, il dicrivait les groupes religieux naturels

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MIMORIAL JOACHIM WACH

aussi bien que les organismes spdcifiquement religieux, la relation de la religion avec la socidtd et l'Etat et les types d'autorit6 religieuse. Ce travail, dans lequel il rivble B nouveau son 4tonnante connaissance des recherches anglaises, allemandes et frangaises, et en m~me temps son intuition psychologique, sa sagacit~ philosophique et son universalisme religieux, est unique dans la littirature des sciences religieuses. Sa contri- bution est probablement aussi importante pour la phinominologie des religions que pour la sociologie gindrale.

Mais Wach n'est pas seulement l'auteur de monographies et de travaux marquants; il est aussi un splendide auteur d'essais, genre littdraire dans lequel il continue la tradition des grands essais thdologiques, d'Adolf von Harnack ~ Ernst Troeltsch. Pour autant, nous pouvons Stre reconnaissants pour la publication d'un recueil de ces essais tel que celui intitul6 Types of Religious Experience. Ici Wach ivoque avec la m6me maitrise le mystique musulman, al-Hujwiri, ce grand esprit chr&- tien du siicle de la Riforme que fut Caspar Schwenckfeld; et le pindtrant interprkte de l'expirience religieuse, Rudolph Otto, auteur de L'idde'e du Sacrd. C'est au moment ofi Wach 6tait en train d'dlaborer un nouvel ouvrage sur l'6tude comparde des religions que la mort fit tomber la plume de sa main.

Wach commenga sa carriere universitaire dans une facult6 philoso- phique, il la termina dans une facultd thdologique. L'enrichissement qu'il apporta & ces deux disciplines fut incommensurable. Dans la thdologie allemande d'aujourd'hui dont la tendance est d'abandonner ses grandes traditions libdrales et critiques pour retomber dans une nouvelle ortho- doxie, I'importance de Wach riside dans le prolongement donni par lui & la thdologie de Friedrich Schleiermacher. Wach ne cesse de le nommer ( le grand Schleiermacher n et le ddfend contre ses accusateurs modernes, par exemple Emil Brunner.

La facultd thdologique de Marburg, qui conserve cette tradition d'une thdologie libirale et critique, offrit & Wach la chaire de thdologie syst&- matique. Apris en avoir ddlibird longuement, celui-ci refusa quelques jours avant sa mort, mi par un sentiment de reconnaissance envers le pays qui l'avait accueilli aprbs son expulsion d'Allemagne. Notre facultd de Marburg, qui, au ddbut de la tyrannie nazie, avait protesti contre l'introduction dans l'Eglise de la frindsie raciale, et pour ce fait fut punie par l'expulsion de deux de ses membres, avait l'intention avant tout de rdparer par cette proposition la grande injustice que le gouvernement nazi avait commise A l'6gard de cet extraordinaire reprisentant de la science allemande et de beaucoup d'autres qui avaient dfi quitter leur pays natal mais qui avaient portd & d'autres nations leur maitrise scientifique. Le doyen de notre faculti thiologique de Marburg m'a demandi d'exprimer ses pro- fondes condoliances & la facult6 sceur de Chicago.

J. Wach fut ce type de savant allemand avec sa (( Griindlichkeit 0, soliditi et exactitude, mais il fut davantage qu'un philosophe critique et un tbhologien. II fut un homme profond~ment religieux. Il y a quelques jours, un vieux et vindrable ecclsiastique 6piscopalien me racontait la

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ARCHIVES DE SOCIOLOGIB DES RELIGIONS

ferveur avec laquelle Wach avait l'habitude d'assister A la messe. Wach 4tait profondiment impressionnd par la vie cultuelle de l'Eglise protes- tante Cpiscopalienne. II donna & ce sujet une impressionante confdrence g notre universit6 de Marburg, il y a six ans, quand il s'y trouva en qualit6 de professeur invitd. Je comprends trbs bien cet enthousiasme car j'eus moi-meme des impressions analogues quand j'dtudiai la vie des 4glises anglicanes, il y a plus de trente ans et que j'essayai de travailler A un mouvement d'Oxford dans le Luthdranisme allemand.

Enfin, ce grand sp6cialiste fut un homme fin, modeste et aimable. Tous mes amis allemands qui l'ont rencontrd n'ont cess6 de me redire le charme de sa personnalitd.

Au mois d'avril (1955), nous prenions part tous deux au Congrbs International d'Histoire des Religions, A Rome. Nous nous assimes ensemble dans l'autobus lorsque le Congrbs proposa une excursion aux Catacombes. La discussion roula sur mon travail dans cette universit&. Nous espirions nous rencontrer de nouveau & Chicago, mais la mort nous a sdpards. Etant son premier maitre, je me sens comme un pere qui aurait perdu son fils. Mon disciple 4tait devenu un grand maitre auprbs de qui j'aurais pu m'instruire moi-m6me comme disciple.

La mort vint subitement, inattendue de tous, de lui-meme, de sa famille, de son docteur. Mais il ne la rencontrait pas absolument sans prdparation. En 1934, il avait publid un de ses maitres essais intituld : Das Problem des Todes in der Philosophie unserer Zeit (Le problime de la mort dans la philosophie de notre temps). Ii y passait en revue les diffdrentes conceptions de la mort telles qu'elles se trouvent chez quatre grands philosophes allemands: Arthur Schopenhauer, Ludwig Feuerbach, Georg Simmel, et Martin Heidegger. Cet essai montre qu'il avait inten- sdment riflichi sur la mort. II dtait spdcialement impressionn6 par les mots de Feuerbach: ( Die Liebe allein lost dir das Ratsel der Unster- blichkeit n

(( L'amour seul te dinoue l'inigme de l'immortalit ))). ( Dieu est amour et celui qui habite dans I'amour habite en Dieu et Dieu en lui,n dit saint Jean (I Jean, 4: 16). Le dialogue de l'homme qui aime et du Dieu qui aime est priere.

* Priez pour lui n m'avertissait ce vieux pr~tre dont j'ai parld. Ainsi je prie pour lui avec les mots de l'ancienne Eglise occidentale: (( Requiem aeternam dona ei, Domine, et lux perpetua luceat ei, requiescat in pace ).

Amen.

Pr Friedrich HEmmR. Universitd de Marburg.

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