rudoph stallmann alias baron von konig alias lemoine alias rex

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Éric Maillard Rudolph Stallmann alias baron von König Rodolfe Lemoine alias Rex Tentative de biographie L’odeur du silence est si vieille…

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Tentative de biegraphie d'un homme qui a largement contribué dès 1935 à la découverte des codes de Enigma.

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  • r i c M a i l l a r d

    R u d o l p h S t a l l m a n n

    a l i a s b a r o n v o n K n i g

    R o d o l f e L e m o i n e

    a l i a s R e x

    T e n t a t i v e d e b i o g r a p h i e

    Lodeur du silence est si vieille

  • Tous les faits ici relats et tous les dtails y affrent, proviennent :

    des Archives nationales (Paris), cotes F/7/160062, F/7/12594, F/7/151471 ; le dossier denaturalisation 6909X20 nest pas disponible, gar ?

    des Archives nationales (Fontainebleau), fonds Moscou, cotes 20010216/265, 19940503art. 1, 19940508, 19940476 art 3, dossier 231, et 19990306 art 7 ;

    du Service Historique de la Dfense (SHD Vincennes), Fonds Moscou, cotes 7/N2/3287et 7/N2/2275 ; Archives des Victimes des Conflits contemporains (Caen), cote AC 21 P475901 ;

    des Archives du Ministre des Affaires trangres, fonds Colmar cotes PDR4/89 110 ;Correspondance politique et commerciale 1914 1918, Espagne, n 21, 41, 42, 62, 63 et A-Guerre 14-18 n 469 488 ;

    de lAssociation des Anciens des Services Spciaux de la Dfense Nationale (ASSDN),fonds priv du Colonel Paillole (au SHD), cote 1K 545, n 947 1035 ; photos n 1292.

    de la Bibliothque nationale de France pour les Journaux officiels et priodiques. des Archives de la ville de Paris : Crdit Municipal, cote 1 ETP ; Tribunal de Commerce,

    cotes D32U3 188, D33U3 1125 et 1154 ; du Centre dtudes Catalanes Paris ; des archives municipales de la ville de Bad Wildbad (RFA) ; des quelques archives familiales restantes ; de pages consultes sur Internet en 2010. Toutefois il reste dimportantes lacunes. Des recherches menes auprs des archives de la

    Prfecture de Police de Paris, de ltablissement de Communication et de Productionaudiovisuelle de la Dfense (ECPAD au fort dIvry), des Archives nationales dOutre-Mer(ANOM), des Archives dpartementales de Guyane, des archives de lAmerican Jewish JointDistribution Committee (JDC) Paris ces recherches nont pas permis de trouver dautres1 - Cette cote porte la dnomination : Dossiers sur les agents franais en Allemagne trahis par le commissaire

    Louit sy trouve un ensemble de dossiers contenant des documents, certains signs de Christian Louit,pratiquement tous en allemand, manant de la Staatspolizei Paris, adresss Berlin ou reus de Berlin, relatifs des surveillances, entre 1940 et 1944 certains datent de 1934, 1938, 1939, dindividus suspects le plussouvent despionnage ou dactivits anti-allemandes, et de longs rapports sur lactivit de certaines personnes ; lenom de Lemoine sy trouve plusieurs fois, associ celui de Matthes, de Anna Wittkopp, et dautres. Cesdossiers ont, de toute vidence, t retir du feu, ou bien le feu sy est touff de lui-mme, car les papiers ensont tous fortement marqus ; il faut aussi remarquer que, vu leur fragilit et leur bon tat de conservation, cettecote na t que rarement consulte, si elle la t. Christian Louit tait Commissaire principal la Prfecture dePolice en charge de la surveillance des trangers, On le retrouve en 1945 Berlin travaillant pour la policemilitaire franaise et provoquant larrestation de Lemoine quil connaissait davant la guerre et que la Prfectureconsidrait depuis longtemps comme un malfaiteur. Voir aussi un opuscule publi en 2010 sur Internet par la PP(http://www.prefecturedepolice.interieur.gouv.fr/Mediatheque/Publications/Plaquettes/Dossiers-speciaux), Aucur de la Prfecture de Police : de la rsistance la libration, 2e Partie La prfecture de Police : unersistance oublie 1940-1944, qui prsente une biographie flatteuse de Christian Louit page 14 et suivantes. Jenai pu exploit ce dossier des AN car hors du sujet principal, et je manipule difficilement la langue allemande.Cette cote mrite plus ample exploitation.

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  • informations concernant Rudolf Stallmann-von Knig-Lemoine et les personnages qui lontentour ou quil a connu. Les archives de la Gendarmerie sont inventories de faonadministrative par dates et lieux, ne permettant pas deffectuer des recherches par sujet. Parailleurs nous renvoyons au livre que le Colonel Paillole2 a consacr laffaire Enigma. Il yraconte au mieux cette aventure qui sest droule de 1930 1943 dans laquelle RodolfLemoine a tenu une place importante ; son arrestation Saillagousse en 1943, lesinterrogatoires par les Allemands et puis par les Services secrets franais Wildbad. Pour lapriode Espagnole-Barcelonaise 1914-1920, un dossier Madrid, ambassade, 396PO/B/467-552 existe au Centre des Archives diplomatiques Nantes : pas encore consult ; peut-trecontient-il des renseignements concernant sa naturalisation espagnole en 1915.

    Lorthographe des noms cits ici, notamment celui de Rudolf Stallmann alias von Knig,varie selon les sources dinformations ; les graphies choisies sont celles qui auraient t leplus probablement fixes aujourdhui, et qui seront donc utilises dune faon uniforme.

    oxoxoxoxoxo

    Louis Guillaume Rudolf Stallmann est n le 14 avril 1871 Berlin de nationalitallemande. Son pre, Louis, prospre bijoutier au n 98 de la Orianenstrasse, mourut en 1888.Sa mre Friederike Anne Marie Hulda Paech dcdera en 1910. Rudolf est fils unique ; en1902 une note de la police des jeux mentionne une femme comme tant sa sur : LinaHollfetter sans doute une erreur dapprciation du policier rdacteur.

    En 1905, allant en Argentine, Rudolf Stallmann alias von Knig rencontre sur le bateauMarie Rene Lemoine3 qui retourne avec sa mre4 auprs de ses grands-parents maternels5,aprs le dcs de son pre6 en 1904. Le mariage sera clbr Buenos-Aires le 1er novembre1905. Un archevque familial serait venu bnir cette union.

    De cette union natront trois enfants : Randal Franois Ren, n le 30 juillet 1913, baptisle 2 septembre 1915 Fontarabie, dcd le 9 mars 2003 ; un second garon Guy Raoul Rolf,n le 19 juillet 1914 Paris 16e ; et une fille, Rhoda, ne le 22 aot 1915 Fontarabie. Lestrois enfants, ns von Knig, optrent pour la nationalit franaise en 19237. Aucun desenfants nassura sa descendance.

    Rudolf Stallmann fut naturalis franais et son pouse rintgre dans la nationalitfranaise en 19268, nationalit quelle avait perdue en se mariant. Il prit le nom de sa femme

    2 - Paul Paillole, Notre espion chez Hitler, Robert Laffont, Col. Vcu, 1985 ; que lon peut trouver sur les sites

    internet de livres doccasion. Rdition juin 2011 par Nouveau Monde ; ISBN 978 2847365689. 3 - Ne le 14 septembre 1885 Paris.

    4 - Maria Lastenia Escalada Pujol, ne le 18 dc. 1861 Buenos-Aires ( ?), le 14 sept. 1926 Paris.

    5 - Marcelino Escalada Baldez, 22 juillet 1838, Soriano, Uruguay, le 18 mai 1918, Buenos-Aires ; Lastenia

    Pujol Gonzalez, 21 mai 1845, Uruguay, le 26 fvrier 1916, Buenos-Aires. 6 - mile Jules Agla Lemoine, n le 2 avril 1837 Rigny le Ferron (Aube) mdecin-chef lAssistance publique

    de Paris ; le 7 juillet 1904 Paris. 7 - Dclaration des parents devant le Juge de Paix du 1er arrondissement de Paris, enregistre au Ministre de la

    Justice le 7 fvrier 1923 n 9956 et 9957 x 22. 8 - 17 juillet 1926 dcrets de naturalisation franaise. (JO du 27/07/26, p. 8436 pour Rudolf, et p. 8441 pour la

    rintgration de Marie Rene).

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  • Lemoine en 19279. Le dcret autorise le changement de nom de Stallmann et non de vonKnig ; toutefois le changement stend aux enfants. Marie Rene et Rudolf vcurentensemble tout au long de leur vie.

    Rudolf Lemoine est dcd le 3 octobre 1946 lhpital de Bad Wildbad (Allemagne) lasuite dun dme aigu du poumon. Une note des Services de renseignements prcise : Lemoine a t inhum au cimetire de Wildbad le 4 octobre 1946 16 heures dans le carrfranais en prsence dofficiers qui le connaissaient. En 2011 un Conseiller municipal de laville ma confirm que son corps a t transfr en France le 11 mai 1949 (corps non rclampar la famille10), pour tre mis en terre la Ncropole nationale sise Mulhouse (Haut-Rhin)Les Vallons-Tiefengraben, rue Paul Winter, carr E, tombe 75 ; son pouse en a t avertiepar lettre du Ministre des Anciens Combattants et Victimes de Guerre en date du 21 juillet195011.

    Marie Rene est dcde en 1983 ? Ibiza.

    oxoxoxoxoxoxoxo

    9 Dcret du 2 septembre 1927.

    10 - AMAE Colmar RDT4/106 et 108.

    11 - Caen, cote AC 21 P 475901.

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  • Rudolf Stallmann commena ses tudes Berlin au Louisenstdtisches Real-Gymnasium,puis obtint un diplme de fin danne en 1887 dans la plus ancienne cole luthriennedAllemagne, fonde au 16e sicle, le Gymnasium de labbaye Grey. Il y fit ses humanits fortement teintes de religion. En 1887, lge de 16 ans, Stallmann obtient un diplme de findanne qui nest probablement pas lAbitur , lquivalent du baccalaurat franais, lecycle dtudes de labbaye Grey tant de 8 annes, lon y entrait lge de 11 ans.

    la sortie de lcole il travaille dans une entreprise commissionnaire en gros limport-export. Il y effectue un travail administratif qui ne lui convient pas et reprend des tudes delangues trangres. Des besoins dargent le mnent dj commettre des actes dlictueux : en1889 il est condamn Berlin une semaine de prison pour violation de domicile etdommages aux biens.

    Envoy en 1890 au Chili dans une maison de commerce de Valdivia il revient sa majorittoucher sa part dhritage dans la succession de son pre dcd en 1888 entre 150 000 et170 000 marks. Il dcide de faire fructifier cette fortune et russit dans ses oprations, tout envoyageant beaucoup ltranger.

    Rudolf Stallmann arrive Paris le 22 septembre 1895. Angle Demay, la matresse dun deses amis du nom de Mansmann, le met en contact avec une dame Junca qui lui sous-loue unappartement meubl au 45 de la rue de Prony, non loin du parc Monceau. Il est accompagndune femme et dun petit garon de 5 6 ans ; il semble navoir aucune occupationprofessionnelle. Son train de vie est lev et il reoit frquemment des trangers, hommes etfemmes. Angle Demay lavait rencontr pour la premire fois peu de temps avant Dinanten Belgique o Stallmann aurait remis plusieurs reprises des sommes dargent Mansmann ; elle les croit espions la solde de lAllemagne. Quinze jours aprs avoiremmnag, au prtexte dune dpche de famille, Stallmann quitte son appartement en toutehte. Le voisinage le souponne dtre la solde de lAllemagne car son dpart concide aveclarrestation dun espion dnomm Schwartz. Stallmann et Mansmann sont considrs, cettedate, comme individus suspects par les services de police franais.

    De Paris il part pour Spa o il fait la connaissance dune demoiselle Gaum. Il continueavec elle jusqu Munich. L, il ne peut payer son compte dhtel et renvoie lhtelier sesvalises et tre pay plus tard, moyennant quoi il est condamn un mois de prison pourgrivlerie ; et une nouvelle fois 3 jours de prison pour usage de faux nom.

    Au dbut de lanne 1896 il est impliqu avec un certain Rieger dans une histoire de fauxdocuments et dabus de confiance. Rieger est condamn mais lui chappe unecondamnation, les faits quon lui reproche bnficiant du dlai de prescription.

    En 1896 et 1897, il voyage en Amrique du Sud. Parti dArgentine il remonte cheval,jusquau Venezuela o il dira avoir particip la rvolution de Queipa12 dans un corps de12

    - Rvolution de Queipa, du nom de la ville o les premires fraudes lectorales furent commises, justifiant la rbellion de Jose Manuel Hernandez. Celui-ci fut militairement battu le 16 avril 1898 et arrt 3 mois aprs.

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  • volontaires. Cette rvolution avait pour motif des fraudes lectorales commises lors deslections prsidentielles du 1er septembre 1897. Le chef du Parti Libral National, donnvainqueur du scrutin, avait t empch de voter, ainsi que ses partisans, dans la dite ville deQueipa. La contestation fut crase lors dun combat en avril 1898.

    Sil est possible que Stallmann se soit trouv sur place au dbut de la rvolte il est peuprobable quil y ait rellement particip bien quil laffirmera lors de son procs en 1913. Entout cas il est de retour Nice en janvier 1898 aprs tre pass par New York pour y toucherde largent qui lattendait la Lgation allemande. Ce qui lui laisse peu de temps pour jouerau rvolutionnaire.

    En janvier 1898, Nice, il attire lattention de la Police qui, le mois suivant, le souponnede vol. Le 4 fvrier, Mathias Bershow, anglais originaire de Londres, en villgiature lhteldAngleterre o il occupe la chambre 49, dcouvre avec effroi que durant la nuit un monte-en-lair stait introduit chez lui et lavait compltement dvalis. Stallmann suspect, disparutsubrepticement de lhtel.

    la mme poque il a pour matresse une jeune femme de nationalit allemande, Elsa vonSelten, 23 ans, artiste, ne Cologne et demeurant en Angleterre. Nice, elle loge 7, rue delHtel des Postes. Elle semble se livrer la prostitution et partager ses gains avec Stallmannquelle prsente comme tant son mari. Elle disparut de Nice en mme temps que Stallmann,pour chapper la surveillance du services des murs, dit la police.

    Stallmann ne rapparatra Nice qu la mi dcembre, cette fois en compagnie dun rentierde Fontainebleau, W. B. Beaune. Ils s'installent au Grand Htel, o ils occupent les chambres120 et 121. Stallmann obtient une carte dadmission dans les salons du casino de Monte Carlovalable du 15 dcembre au 15 janvier. Un mois aprs ils rsident au Riviera Palace, chambres182 et 183 do ils vont tre congdis le 3 fvier sur dnonciation pour escroquerie par unelettre anonyme poste Nice. Peu de temps avant, Stallmann avait adress des lettresdinvitation un certain nombre de personnes pour un bal costum au Riviera Palace pour le 4fvrier. Laccs au bal lui fut refus ainsi qu la seule personne qui se prsenta, un major deGana ( ?) alors install modestement 21, quai du Midi. En quittant Nice, Stallmann et Beaunedisent partir pour lhtel Mtropole Monte-Carlo ; mais les recherches de la policedemeurrent vaines : ils sont partis pour une destination inconnue.

    Les relations que Knig et Beaune entretenaient pendant leur sjour Nice sont plusququivoques. En voici quelques unes :

    Il y a le baron Ludwig ou/et Otto von Steinitz la rputation bien tablie dhabile escroc,arriv Nice en mme temps que Knig. Joueur professionnel il gagne sa vie dans les cafs ettire aussi des ressources de la prostitution dune nomme Elisa quil prsente comme salgitime pouse. Selon les circonstances Steinitz se prsente sous diffrentes identits : comteDouglas, baron Spactgen-Schiffer, comte Nikly, baron Hemper, baron Benazelle, baronKnigge, et baron de Scheliha, du nom de sa matresse. Avec le nom de Spactgen il sest faitpasser pour un capitaine de larme allemande. En 1893, sous le nom de baron de Knigge, ildescend lhtel Saint James Monte-Carlo. Il dut en partir le lendemain : lune de ses dupeslavait reconnue et provoque une scne publique. Parmi ses victimes lon trouve un

    http://fr.encydia.com/es/Jos%C3%A9_Manuel_Hern%C3%A1ndez. Consult en 2010.

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  • dnomm Banest Betteloni, propritaire Nice du New Garden Bar, qui il a russi escroquer 1 200 francs en se prsentant comme attach militaire la cour de lEmpereurdAllemagne. Il aurait commis des escroqueries analogues Breslau et Berlin.

    On trouve ensuite Jacob Michel, originaire de Hambourg, vivant Nice sous diffrentsnoms: Georges, Michael, Bernard, et dont la matresse se livre elle aussi la prostitution. Elleest marie un riche anglais rsidant Londres qui continuerait envoyer de largent sonancien protecteur . Le bruit court que, en 1896, Ostende, Knig et Jacob Michel, assistsde deux autres individus auraient commis en plein jour, dans une villa, au prjudice dunefemme galante attire en ville par des complices, un vol de bijoux estim 25 000 francs. Onraconte aussi que Michel, joueur effrn, sadonne la pdrastie, mais de faon passive.

    1899 est une anne pour le moins active sinon agite. Stallmann dcide de se faire appeler von Knig . Il emprunte de largent ; joue Monte-Carlo ; vend des terrains en Argentine,travaille en Angleterre avec une maison de placements financiers, notamment dune socitptrolire en Roumanie ; et cre des clubs de jeux en Belgique avec un dnomm Marquetquil retrouvera en Espagne dans les annes 1915/1920. Il est arrt en avril Nice lademande du Ministre de la Justice en raison dun vol de valeurs commis la poste deMunster (Allemagne) dans la nuit du 7 au 8 septembre 1898. Interrogatoires sans rsultatsmais difiants sur la moralit des individus : escrocs ne vivant que du jeu13 . Premiremention par les services de police franais du nom de Knig .

    1900. Le 11 septembre il reoit une carte de membre temporaire du casino de Biarritz. Du1er au 8 octobre il habite Paris un garni, 10 rue du faubourg Poissonnire, annexe du GrandHtel du Pavillon sis 36 rue de lchiquier, puis du 3 novembre au 15 dcembre dans un htelmeubl 10 rue des Arquebusiers. Il y fait la connaissance dun dnomm Victor Bouchet quise fait souvent appeler du nom de sa mre, Bannery ou Bennery. Le dit Bouchet a exploit aun 49 du port de Bercy un commerce de vin en gros. Dclar en faillite le 10 Aot 1868, ilrussit obtenir le 6 Aot 1870 un concordat de ses cranciers. Par la suite il ne sest plusoccup que daffaires vreuses, frquentant par intervalles les casinos et les maisons de jeux,o sans doute il aura rencontr Stallmann. Cest par son intermdiaire que Stallmann fit laconnaissance des poux Corbire demeurant 33 rue Vilin, qui acceptent de recevoir sacorrespondance ainsi que celle de Ludwig Steinitz. Charles Jules Corbire14 et Rose, sonpouse sont tous deux sont trs malades, elle est frappe de paralysie plus ou moins grave.Dans lindigence ils vivent des secours de lAssistance publique et noccupent leur logementque grce la compassion du propritaire de limmeuble. Il ny a pas cette poque demauvais renseignements sur leur compte bien que Charles Jules ait t condamn en 1863 un an de prison pour coups et blessures. Bouchet connat les poux Corbire depuis plus dequarante ans. Mais, la suite dune dispute propos des soupons despionnage qui psentsur les deux allemands, et du refus de Corbire de continuer recevoir leur courrier, il dcidede rompre avec eux. De quel ordre tait les relations de Bouchet avec Stallmann ?

    13 - Archives nationales F-16006. Rapport la Sret gnrale par le prfet des Alpes Maritime du 25 mars 1901,

    rpondant une demande dobservation discrte dun certain nombre dindividus. 14

    - Charles Jules Corbire nat Longjumeau (S & O) le 11 mars 1828, son pouse, Rose Petit est ne Saint-Michel-des-Andaines le 18 Juin 1833.

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  • 1901. Le 13 mars, en sinterrogeant sur lidentit de Stallmann, la Sret Gnrale met unsignalement aux fins dobservation discrte et trs troite lgard de Victor Bouchet donton ignore les moyens dexistence de Ludvig Steinitz et de von Knig, qui sont souponnsdespionnage. Lidentit de Knig/Stallmann sera confirme dans une note de la Sret du 6juillet. Ce signalement est adress aux Prfectures et aux commissariats spciaux de 26dpartements, il prcise que selon certains renseignements lon se trouve en prsence duneassociation interlope de joueurs internationaux vivant du jeu, engageant au Mont de Pit deParis des objets provenant du vol, et sempressant de vendre les reconnaissances de dette etque von Knig parat plus particulirement capable de tout pour se procurer le bien-tre dontil est avide. Signalement : von Knig, alias Stallmann Rudolf, 27 ans, originaire de Hanovre,trs grand, blond, longues moustaches blondes ; porte binocle ; silhouette dofficier allemand.Ludwig Steinitz, 36 ans, taille un peu en dessous de la moyenne, corpulence assez forte ;blond ; petites moustaches blondes releves.

    Ce signalement fut tabli la suite de plusieurs notes adresses la Sret gnrale en1900 et 1901. Lune delles, adresse au Ministre de la guerre et transmise la Sret,manant dun indicateur londonien, signale ce qui suit (sic) :

    Je suis ici toujours observ par des agents allemands et maintenant je vous annonce quelun deux est parti et reste Paris, ou enfin en France. Le nom de cet agent est RudolfStallmann mais il voyage sous le nom de Rudolf von Knig de Hanovre. Vous pourrezfacilement le trouver parce quil reoit ses lettres sous ladresse suivante : Rudolf von Knig,rue Vilin, 33, Paris. Cet agent a beaucoup de relations avec des officiers allemands de ltat-major, vous trouverez sur lui les preuves. .

    Une note de la Prfecture de Police du 6 juillet pose la question : Stallmann, Steinitz,Bouchet, forment-ils une association ? Elle ne sait rpondre de faon prcise. Tous troissemblent tirer du jeu une partie de leurs ressources, habitus des tablissements de jeux deprovince ou de ltranger ; mais ne paraissent pas se livrer au trafic de reconnaissances dedettes du Mont-de-Pit. Le seul point acquis, cest que ces personnages sont des gens sansmoralit et des plus aptes se prter nimporte quelle besogne pouvant leur assurer desbnfices.

    Maintenant la surveillance demande par la Sret gnrale le 13 mars 1901 se renforceautour de Knig. Une note du 7 aot indique quil dtient le compte courant n 20603 auComptoir National dEscompte de Paris (CNEP), crditeur de 3 289, 45 francs. Il fera lobjetde nombreuses notes des Commissariats spciaux de la Police des Chemins de fer, adresses la Direction de la Sret gnrale, et ce jusquen 1903. Ainsi on peut le suivre dans sesdplacements :

    Juillet 1901, il est signal au Grand Htel des Alpes Mussen ; du 5 au 7 aot, il sjourne lhtel Bristol dAix les Bains, 50 m du casino dont il

    dtient un carte du Cercle de jeux ; le 11 aot, se trouve Hanz (Suisse) ; le 12 aot au matin, il quitte Aix les Bains pour Interlaken o il fait suivre son courrier ; un arrt dexpulsion de France est pris le 20 aot. Il ne sera notifi que le 18 fvrier

    1902 lhtel Bristol Nice ; le 26 aot, Knig se trouve en Suisse, Berne ;

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  • le 5 septembre, il est de retour lhtel Bristol dAix les Bains, et en repart le 7 pourParis ;

    le 8 septembre, il descend lhtel Continental Paris, quil quitte 13 pour unedestination inconnue ;

    le 11 septembre on note sa prsence lhtel Victoria Interlaken dans les Alpessuisses ;

    le 14 septembre, Knig rapparat Paris lhtel Continental. Il y fait suivre sacorrespondance chez Harper, 78, Newgate Street, Londres (adresse de Steinitz) ;

    le 19 septembre, la police signale quil est parti le 13 pour une destination inconnue. Fin septembre. Knig passe deux jours Genve. Il a t vu au Caf du Nord en

    compagnie dindividus frquentant le casino municipal, le Kursaal, et les maisons de jeuxclandestines. Il est souponn de se livrer lespionnage. Deux jours aprs il repart pourLondres o il se fait adresser sa correspondance 69, Gloucester Street, Warwick Square.

    En novembre, Knig sjourne Maritzbourg (Natal, South-Africa), sa correspondancesera retourne la poste restante de Naples, jusquau 16 dcembre.

    1902. La surveillance se resserre en vue de son extradition. Le 7 janvier la Prfecture deParis signale que le compte en banque quil dtient au CNEP est crditeur de 6 000 francs. Et,pratiquement tous les jours, du 26 janvier au 14 fvrier la Police des Chemins de fer adresseraune note la Sret gnrale pour signaler les dplacements de Knig.

    Une note du Service des jeux le dcrit ainsi : Stallmann Rudolf dit von Knig,Allemand ; taille 1,75 m, cheveux blonds, front haut, yeux bleus, longues moustachesblondes, releves ; visage rond, teint clair, commencement de calvitie ; beaux garon ; trsdistingu ; lorgnon en or. Il a 31 ans.

    Le 16 janvier le baron Rudolf von Knig arrive Beaulieu disant venir de Marseille. Ildescend lhtel Bristol o il occupe successivement les chambres 410, 414 et 426. Lelendemain, le casino de Monte-Carlo lui dlivre une carte dadmission valable pour un mois.

    compter du 6 fvrier une dame Hilda Stallmann est signale comme sjournant lhtelde Russie Monte-Carlo. Elle se dit rentire, originaire de Berlin et se dclare femme dedirecteur . Elle est accompagne dune femme plus jeune, 30 ans environ, inscrite sous lenom de Lina Hollfetter, quelle dit tre sa fille et soeur de Knig. Hilda Stallmann parat lacinquantaine, grande et forte les cheveux chtains rassembls en un gros chignon tombant parderrire, elle porte des lunettes. Lina Hollfetter est de corpulence moyenne, cheveux blonds,des tches de rousseur sur le visage, un nez fort. Elle est bien mise mais nest pas jolie. Ellene ressemble en rien son prtendu frre. Ces dames reurent deux ou trois fois la visite devon Knig quelles disent tre leur fils et frre. Le 11 fvrier ils firent ensemble unepromenade sur le littoral puis se sont rendus en voiture Nice. Knig prit cong dellesdevant la Poste o il entra pour y dposer une lettre. Ces dames rentrrent en voiture seules Monaco. Elles quittent lhtel de Russie le 13 fvrier et prennent le train de 10 h 50 pourlItalie dsirant se rendre en Allemagne. Le jour mme de leur dpart elles ont adress audirecteur de lhtel une carte postale pour le prier de leur faire parvenir Munich, posterestante, toute correspondance arrivant au nom de Madame Stallmann.

    Au 16 fvrier, von Knig nest all Monte-Carlo qu deux reprises. Il passe chaque foisson aprs-midi seul au casino puis retourne Beaulieu. Il quitte peu lhtel Bristol dont il

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  • semble avoir fait son quartier gnral. Il y reoit souvent la visite de trois individus habitantNice : Schwab et Owen, sujets britanniques, et un italien nomm Piacelli ou Pigliacelli. Setrouvent aussi lhtel deux amricains, Springer et Walsch, qui affectent ne pas connatrevon Knig, et qui rentrent rgulirement chaque matin entre 5 et 6 heures, venant tantt deMonte-Carlo, tantt de Nice. Walsch est rentr un matin avec la figure abme et en sang. Lesallures de ces deux individus sont juges trs louches et, dans lentourage, on les prend pourde hardis chevaliers dindustrie.

    Toujours trs lgamment vtu, Knig se trouve chaque jour dans le magnifique hall delhtel Bristol lheure du th. Il est vident quil cherche se lier avec les nombreux clientsprsents cette heure mondaine. Le fait quil parle couramment plusieurs langues, notammentle Franais, lAnglais, lEspagnol et lItalien lui facilite les rencontres.

    Dimanche 16 fvrier. Le Prfet informe la Sret que Knig na rien rvl de suspect aupoint de vue national c'est--dire pas dactivit despionnage. Il passe son temps dans lessalles de jeu de Monte-Carlo, lorsquil ny est pas cest quil joue dans sa chambre avecdautres voyageurs. Il a perdu dassez grosses sommes Monte-Carlo, il y a donc lieu decraindre quil ne quitte bientt la rgion. Cest pourquoi, dit le Prfet, il faut lui notifierlarrt dexpulsion sans plus tarder et procder une perquisition. Sauf contre-ordre, celasera fait mardi matin 18 fvrier.

    Nice, au Cercle de la Mditerrane et au Cercle Massna von Knig rencontrait SaliesSchwab, fils du gnral anglais, et Owen de nationalit anglaise. Ces deux derniers paraissenttre des jeunes gens bien cots dans les salons mondains et devant appartenir des familleshonorables. Tous les trois se sont retrouvs lhtel Bristol ce dimanche et sont partisdjeuner ensemble. Owen, tait inform dun bon coup tenter lhtel Bristol et venaitavertir ses complices et dresser avec eux un plan doprations. En effet, le fils du richissimeanglais fabricant du jus de viande Bovril tait arriv dans la journe lhtel. Le soir mme,lamricain Springer se met en relation avec le nouvel arriv. Schwab et Knig se joignentbientt eux. Ils entament une partie de billard au cours de laquelle plusieurs bouteilles dechampagne, offertes de part et dautres, sont vides. Owen et Knig cherchent alors attirer lefils Bovril dans un salon particulier quils avaient lou tout ct de leurs chambres. Mais lejeune anglais, avis ou fatigu, prfra aller se coucher.

    Lundi 17 fvrier, von Knig en compagnie de Piacelli, se rend Monte-Carlo. Ils passentla majeure partie de leur temps dans les salons du casino. Ils ne rencontrent personne etrentrent tous les deux Beaulieu dans la soire.

    Mardi 18 fvrier, htel Bristol, chambre 426. 9 heures du matin, sur instruction du Prfetdes Alpes-Maritimes larrt dexpulsion en date du 20 aot 1901 est notifi RudolfStallmann alias baron von Knig, par un Commissaire spcial accompagn de deuxgendarmes qui procdent son arrestation. Une perquisition en rgle permet de saisirdiffrents papiers et objets. Interrog sur ses antcdents et sa manire de vivre, Knigdclare :

    Je me nomme Rudolf von Knig et non Knig, g de 31 ans, n Hanovre le 14 avril1871 de Louis et de Ulda Paech, clibataire rentier. [] Le petit rpertoire que vous avezsaisi renferme les noms et adresses des amis que jai un peu partout. Ce sont, pour la plupart,des relations que je me suis cres dans toutes les parties du monde, autour des tables de jeux.

    10

  • Je voyage constamment et joue partout. Parmi mes connaissances je puis vous citer une dameHlne Stallmann que jai vue Monte-Carlo ces jours-ci avec une amie Mme Holffetter.Mme Stallmann habite ordinairement Mulhouse. Je connais aussi M. Springer et un sieurMansmann que jai vus pour la premire fois il y a 5 ou 6 ans au casino de Spa. Jai aussi desrelations avec un sieur Victor Bouchet propritaire Guercheville15. Je connais galement unsieur Steinitz, associ la maison Harper et C Londres, 78 Newgate Street prs de lacathdrale Saint Paul. Je connais aussi M. Payn, bourgmestre Maritzburg16 qui possde unefortune colossale dans le sud africain. Il se trouvait Londres il y a un mois environ, mais il ad repartir pour le Natal. Je suis intress dans quatre mines dor que je possde enassociation Macequece, colonie portugaise situe prs du Transvaal.

    Von Knig est incarcr Nice aux nouvelles prisons (construites en 1887). Une ficheanthropomtrique est tablie par le gardien-chef le 22 fvrier :

    Taille : 1,82 7 m Envergure : 1,78 m Buste : 0,94 5 m Tte : longueur : 19,6 cm Largeur : 15,4 cm Zygomatique : 14,5 cm Pied gauche : 27,6 cm Doigt gauche, mdius: 11,5 cm, auriculaire:8,8 cmCoude gauche : 46 cm Le gardien-chef relve des marques particulires quil a transcrites en abrviations non

    comprhensibles. La perquisition de sa chambre dhtel a permis la saisie de diffrents objets et papiers : des

    cartes jouer, un rpertoire, des cartes de visites, un carnet dadresses, quelquescorrespondances, notamment avec Payn, bourgmestre de Maritzburg ; et une photographie delui-mme, certainement celle prsente ici car des objets et des correspondances se retrouventdans le dossier des Archives nationales (mais pas les cartes ni les ds). La prsence de deuxcartouches de guerre lune anglaise et lautre allemande meut le commissaire et le Prfet ;elles ne seront pas envoyes Paris. Par une lettre date Londres du 25 mars von Knigdemande quon lui restitue les diffrents papiers saisis et quon les lui les envoie aux bonssoins de Harper et C ladresse du 78 Newgate Street ; notamment son rpertoire dadresses,des lettres prouvant quon lui doit de largent et une enveloppe contenant des timbres-posteneufs de diffrents pays dAfrique. Et il prcise Comme on na jamais voulu me dire lemotif de mon arrestation, ni avant, ni pendant, ni aprs mon arrestation, je suppose quon mapris pour une autre personne [].

    En raison des relations suspectes de Knig, le Prfet des Alpes-Maritimes demande le 20fvrier la Sret gnrale son accord pour le garder en dtention jusqu ce que sa situationait t examine de faon trs approfondie, notamment pour dterminer qui ont t sesvictimes. Le 25 fvrier, une note de la Sret gnrale au Prfet donne lordre de librer puisdexpulser Knig : il ny a pas intrt retenir plus longtemps cet individu et je vous priede donner les ordres ncessaires pour lexcution immdiate de larrt dexpulsion.

    Mercredi 26 fvrier, Knig est extrait des nouvelles prisons midi , il lui est accord 24heures pour quitter le territoire. Le commissaire Hiriart est charg de le suivre et de ne pas leperdre de vue une minute. Il se rend chez son avocat, Matre Cassin, pour rcuprer ses clefs

    15 - Seine-et-Marne, prs de Nemours.

    16 - Aujourdhui Pietermaritzburg en Afrique du Sud, pays Zoulou.

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  • quil lui avait remis, afin que lon aille prparer ses valises restes lhtel Bristol. En sortantil va directement au restaurant de la Rgence et se fait servir djeuner en compagnie ducommissaire. Au cours du repas son ami Wessel, qui cherchait savoir ce quil tait devenudepuis son arrestation, entra dans le caf accompagn dune jeune femme, Elsa May. Il paruttout heureux de le voir. Knig lui raconta son arrestation puis il fut convenu que la jeunefemme, que Knig appelait par son prnom, irait Beaulieu pour faire transporter ses malles la gare Riquier et lattendrait au passage du train 18 h 38. La conversation ayant repris avecle commissaire Hiriart, von Knig dclara quil ne comprenait pas pourquoi on lexpulsait, luiqui tait tout dispos rendre des services la France. Il fit rpter Wessel quils avaientforms ensemble le projet de fournir au Gouvernement franais des renseignements.

    Vers six heures, von Knig fut conduit en compagnie de son ami Wessel et du commissaireHiriart la gare Riquier pour y prendre le train de 18 h 26 allant Vintimille. Wessel le quittasur le quai, le laissant avec le commissaire et Elsa May. Dans le train il confie Hiriart quilsouhaite oprer seul pour plus de sret, si le Gouvernement franais venait lemployer. Ilprtend bien connatre un capitaine dartillerie allemand, et aussi un lieutenant quil sechargerait de corrompre. Il se dit intime dun gnral allemand chez qui il est reu comme lefils de la famille et quil serait mme de surprendre dans son bureau tout ce que lon voudra.Von Knig demande le secret Hiriart. Si lon consent se servir de lui, il faudra lui donnerune rponse Vintimille, htel Terminus o il rsidera jusqu samedi avant de repartir pourLondres. Il prcise quil y aura lieu de correspondre sous des noms demprunt et quilretournera en Allemagne sur ses ressources personnelles, ne dsirant pour rtribution que cequon voudra bien lui donner, ainsi que le retrait de larrt dexpulsion17. Tout ceci fut dit enlabsence de la jeune femme et von Knig recommanda au commissaire de ne jamais lui fairepart de cette conversation. Knig croit avoir t lobjet dune dnonciation calomnieuse, ilsemble ne pas stre rendu compte de la surveillance dont il tait lobjet. Il affirme avoirtoujours jou loyalement et de ne stre jamais ml daffaires louches. Il reconnat dpenserbeaucoup, mais prtend en avoir les moyens avec les revenus de ses quatre parts dans unemines dor au Natal. Sans s'engager sur un rsultat, Hiriart promit de rendre compte de cetentretien et laissa entendre von Knig que cet arrt dexpulsion ntait pas dfinitif, et quilpourrait facilement revenir en France s'il fournissait des renseignements dordre militaire surltranger. Knig promit de rflchir cette question. Lun des gardes du corps lui remit alorsladresse dun bijoutier de Nice, en lui disant que sil avait un jour un renseignementimportant communiquer, il pouvait crire cette adresse en demandant un rendez-vous enFrance. Le commissaire le laissa lhtel Terminus en compagnie dElsa May qui devaitrentrer Nice puis le rejoindre Londres peu aprs.

    La surveillance de la Sret gnrale ne cessa pas pour autant. le 11 juin 1902, il est signal Amsterdam ; le 22 aot, il se trouve Londres ; le 20 septembre il part pour lAmrique pour y rester 7 semaines, sans que lon connaisse

    la raison de ce voyage ; le 16 novembre, il est de retour Londres, 8, Ebury Street ;

    17 - Larrt dexpulsion ne fut rapport que le 9 juillet 1920.

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  • le 5 dcembre, il est signal Vienne. le 16 dcembre, une note de la Prfecture de Police de Paris signale aux services de la

    Sret gnrale qu Rudolf Stallmann dit von Knig se trouve probablement Paris etdemande si on peut procder sans inconvnient son arrestation . Rponse : [] au caso sa prsence serait constate, faire procder arrestation pour infraction larrtdexpulsion [].

    le 16 janvier 1903 une note du signale quil a quitt Londres pour le Palace Htel SaintMoritz en Suisse.

    Les annes 1903-1904 sont pauvres en informations. Il semble toutefois qu'il se soitoccup de commerce de ptrole en Roumanie et de mines dor en Afrique du Sud pendant laguerre de Boers, agissant pour le compte dune socit financire anglaise. En dcembre 1903il est signal Gnes.

    En 1905 il repart pour lArgentine, sans doute pour spculer nouveau sur la vente deterrains. Sur le bateau il rencontre Marie Rene Lemoine et sa mre, qui retournent Buenos-Aires. Le mariage sera reu par un archevque oncle de la marie. Ensemble ils franchissent dos de mulet la cordillre des Andes et se trouvent Valparaiso le jeudi 16 aot 1906, jour dutremblement de terre qui a pratiquement dtruit toute la ville faisant plus de trois mille morts.

    1907 et 1908 sont deux annes qui feront charnire dans la vie de Stallmann/Knig : il veutse rapprocher des services secrets franais et il russira. Le Commissaire spcial de Nice,Hiriart, adresse le 22 mai 1907 au Directeur de la Sret gnrale une note linformant quil areu une proposition du baron von Knig de faire parvenir une adresse discrte desrenseignements et documents concernant la dfense de lAllemagne. Stallmann avait connu ceCommissaire lors de son expulsion en 1902. Il invoque son mariage avec une franaise, quilserait heureux de rentrer en France mme provisoirement ; quil na jamais t espion et quildsire par amour pour sa femme tre utile la France. Il faut lui rpondre par sonintermdiaire, elle se trouve actuellement au Grand Htel Lugano.

    Le 30 mai Hiriart reoit la rponse de la Sret : Aprs entretien avec le Ministre de laGuerre, vous navez pas accepter les propositions quun tranger vous a adresses. Maisvous pouvez lui rpondre quil na qu crire ladresse suivante : HK. 1918, poste restante,bureau 31, Paris, en indiquant la nature des renseignements et documents quil se dit enmesure de procurer. Mais Knig nattend pas la rponse, et adresse ces documents, par uncourrier post Ouchy-Lausanne, au commissaire qui les fait suivre Paris le 3 juin. Il sagitde trois plans dun appareil destin remplacer la tlgraphie optique par des drapeaux .Le commissaire doute de limportance de ces documents bien que Knig laffirme. La Sretles transmet la Section Renseignement du Ministre de la Guerre qui les lui retourne le 11juin avec la mention : sans valeur .

    En 1906/1907 Clmenceau, Prsident du Conseil et Ministre de lIntrieur, rorganise lapolice en crant une structure centrale de police judiciaire comptence nationale et de18

    - Une note spare, manuscrite, anonyme prcise : HK 19 adresse donne par le Colonel Briss le 28 mai, il ny a aucun danger lenvoyer von Knig, car elle est brle. Si sa proposition paraissait srieuse, on lui enverra une autre adresse.

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  • brigades rgionales mobiles qualifies plus tard de Brigades du Tigre . Ces brigades sontcoordonnes par un service de Contrle gnral dirig par Jules Sbille, et ne tardent pas sopposer aux inspecteurs de la Prfecture19.Les missions de contre-espionnage leur sontconfies conjointement avec le ministre de la Guerre qui, lui, a en charge lespionnage. Durant la premire guerre mondiale le contre-espionnage militaire fut logiquementreconstitu. Ds la dclaration de guerre, le SR [], dpendant du deuxime bureau du Grandtat-major, stait vu adjoindre des policiers de la Sret dirige par le commissaire Sbille[] qui fut attribu le titre de conseiller technique pour le maintien de lordre auxArmes et qui avait le rang dadjoint du chef du SR20. Il obtiendra d'importants rsultatsdans le dmantlement des rseaux d'espionnage allemands. Sbille enverra Stallmann enmission en Espagne, il y restera de 1914 1920.

    Dans un texte en forme de curriculum vitae dat Berlin du 22 aot 194521, Lemoine(Stallmann/von Knig porte ce nom depuis 1927) raconte ses dbuts la Sret gnrale : Au cours de lanne 1908, je suis rentr en contact avec Monsieur Jules Sbille ( cettepoque Contrleur gnral de la Sret par la suite Directeur de la Police dAlsace Lorraine).Il me chargea dune affaire relative un certain agent allemand, depuis longtemps souponn,mais contre lequel on ne parvenait runir aucune preuve. Jai men lenqute bien. Lagentqui se nommait, je crois, Wehrpfennig, a par la suite t condamn. partir de ce moment jaitrait pour Monsieur Sbille diffrentes affaires, mais aucune de grande envergure. La plusintressante fut celle dun officier allemand qui nous fournissait des renseignements sur lesquestions relatives la T.S.F. de Spandau22. Je me suis toujours refus moccuper daffairespolicires nayant pas trait la politique. Je nacceptai quune fois, Monsieur Sbille menayant personnellement pri. Il sagissait de rechercher Londres une collection de monnaiesdor anciennes, vole au Muse dAmiens. Je rejoignis Londres o se trouvait dj lecommissaire Picard et o je connaissais un certain Maringer (le mme qui a t excut en1943 Berlin dans laffaire Cartun), qui frquentait tout un genre de monde. Je lui donnai lesindications que javais reues de Sbille et, trois jours aprs, il me donnait les informationsncessaires en me demandant de nappeler le commissaire Picard quen dernire extrmit.Moi aussi je prfrai un arrangement amiable. Je donnai Maringer 5000 francs (or en cetemps) et lui dis : Dites-leur : ou arrestation ou vente. Maringer revint avec la collection,environ cent pices dor du temps des Romains jusquau moyen-ge. Je les remis MonsieurSbille qui voulut savoir qui taient les voleurs. Je lui rpondis que je ntais pas unindicateur de police. Le muse dAmiens ne connat pas le nom de la personne qui a retrouvla collection.

    Feuille de journal, Marie Rene von Knig crit le jeudi 6 aot 1908 :

    19 - http://philippepoisson-hotmail.com.over-blog.com/article-35592724.html. Consult en 2010.

    Voir aussi : Jean-Marc Berlire, in Vingtime Sicle, revue dhistoire, 1993, n 39, pp. 23-37. 20

    - Bertrand Warufsel in http://www.droit.univ-paris5.fr/warusfel/articles/HistoireCE_warusfel96.pdf. Consult en 2010. 21

    - Les Russes sont entrs dans Berlin en avril 1945 ; les Franais sont prsents dans Berlin depuis la mi-juillet. 22

    - Ville banlieue de Berlin.

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  • Dpart de Franzesbad23. Djeuner au restaurant de la gare Eyer, station peu prssemblable toutes et, comme chaque gare, construite en longueur, passablement enfume etsale. Sjour sans particulier attrait. La proximit des stations thermales apporte un passagedtrangers de toute s classes. Les meilleurs sont Anglais, Allemands, Amricains. Lesprovinces de lEmpire fournissent la basse plbe : Hongrois, Tchques, Bohmes, Polonais,beaucoup de Juifs et de Russes. Tout cela passe et repasse dans la bousculade des waiters(garons dhtel) graisseux.

    Je suis pass dj par cette ville un soir de la fin dhiver. Jy venais attendre lexpressdItalie. Je me souviens de ma promenade mlancolique le long des vieilles rues pierreuses etdun clair de lune adorable sur une place ronde entoure darcades romantiques. Lglise taitclaire pour un office du soir, peut-tre celui du dimanche. La rosace flamboyait, envoyaitdans la nuit tranquilles des reflets rougetres de prunelle cyclopenne aux contreforts depierres bleuies par la pnombre nocturne.

    Ici, quelques poitrinaires pauvres viennent lhiver, dans les montagnes Arrive le soir Frankfurt o mattend mon mari ; et aprs, une demi heure de train

    jusqu Darmstadt. Nuit. Rveil. Voyage. Jugenheim. Retour. Nous avons visit lexposition de Darmstadt, ou plutt quelques pavillons. Cest

    principalement une exposition darchitecture et de mobilier, les quelques maisons devant sevendre ou se louer des particuliers une fois lexposition termine. Ordre admirable, propretet parfaite organisation ; peu de monde. Impression de trs moderne Allemagne qui on nepeut rien reprocher si ce nest le manque dun peu de charme qui ny est pas. Les dcorationssont entirement art moderne et, comme tout art est moderne respectable elles sont batardesde moyen-ge. Une chemine de cuivre martel, intressante ; une salle de bains marchesdescendantes, etc. Je mattriste aux chambres coucher : cest beau lhygine, la simplicit,mais peut-tre un peu plus de souplesse dans les lignes, hein ? serait plus satisfaisant ?

    Retour Frankfurt. Promenade. Dpart pour Breslau. Solitude. Samedi 22 aot. Marienbad depuis quinze jours et commenant ressentir les

    premires vellits de dpart. Les averses intermittentes diluviennes coupent court toutes lespromenades, enrhument tout le monde et rveillent les rhumatismes. Elles ont provoqu unemauvaise humeur gnrale.

    Au dbut de notre sjour la bousculade tait telle quil fallait envoyer un domestiquefaire la queue devant la source pour obtenir un verre deau. On sarrachait les tables de caf.Aujourdhui le mauvais temps a clairci les rangs. Ma vie scoule en babillages, massages etpromenades.

    Octobre 1908, Monsieur et Madame von Knig voyagent en Amrique du Sud ; puis serendent au Japon24, peut-tre depuis San Francisco25 ; puis en Chine Changha et Canton endcembre. Arrivs fin dcembre 1909/dbut janvier Batavia sur le Rembrandt ; ils enpartiront le samedi 10 avril pour rentrer en Europe via Ceylan, Port-Sad et Gnes. Et ils23

    - Station thermale voisine de Marienbad ; aujourdhui en Rpublique Tchque, louest de Prague, proche de la frontire allemande. 24

    - Sans doute sur le S.S. Mongolia de la Pacific Mail qui desservait les ports du Pacific partir des USA. 25

    - Comment dAmrique du Sud ont-ils rejoint San Francisco ? Sans doute par le train, bord du Overland Limited, train utilis par les compagnies Union Pacific et Southern Pacific. Voir, consult en 2011, http://en.wikipedia.org/wiki/Overland_Route_(Union_Pacific_Railroad)

    15

  • continuent par lAllemagne jusquen Hollande, pour, finalement, aprs tre passs parLondres et Paris, sembarquer Cherbourg le 21 juillet sur le Kronprinz Wilhelm destination de New York o ils arrivent le 26 juillet. Le voyage nest pas fini : ils passent auCanada Montral/Ottawa pour se retrouver Vancouver le 14 aot. L on perd leur traceexacte jusquau 27 octobre, date laquelle la Sret accorde von Knig une autorisation desjour Paris.

    La situation financire ne parat pas trs bonne. Marie Rene crit sa mre de Batavia le14 fvrier 1909 : Pour tes chques jespre que tout sest arrang. Si ton 2e chque de fvrierna pas t pay la premire prsentation tu peux le reprsenter maintenant, il est bon prsent. et, en avril, de Bandung : Ci-joint un chque de 20 livres sur la Bankeverein deLondres pour ton mois de mai. Le second chque sur le Crdit Lyonnais est seulement unduplicata du chque de 500 francs que tu as dj reu pour ton mois davril. Si tu las djtouch, tu dtruis ce chque duplicata. Cest seulement par sret que nous te lenvoyonsdeux fois.

    Lettre de Marie Rene sa Mre, en date de lHtel des Indes Batavia du 23 janvier1909 :

    Mother Dear Jai ta petite lettre crite de Gnes dabord puis finie Paris et que jaitrouv ce matin la poste restante de Batavia. [] Nous esprons beaucoup en ce pays-ci : sitout se passe selon notre dsir nous partirons vers le 15 fvrier pour lgypte et alors nousserons tout prt lune de lautre. [] Ma sant est trs bonne jusquici, je mange peu causede la chaleur et aussi pour ne pas engraisser. Je suis peu prs dan le mme tat quFranzesbad, jespre un peu plus mince en tout cas pas enlaidie quoique trs noircie. Il esttout fait intolrable de porter des gants par cette chaleur et lardeur de latmosphre, mmesans rayon directe de soleil, suffit vous rtir le teint. Quel dluge deau de roses et demassages Lidal fracheur ! Les poils sont particulirement exubrants et il faut seplumer chaque matin ; je crois que ma pincette est lobjet le plus utile de tout mon bagage. Sije la perd, jen mourrai.

    Batavia est quelque chose de si parfaitement beau que je trouve plus vite fait de ne riendire. Il faudrait un livre. Tout ce que nous avons vu avant les Indes (hollandaises) ntait quede la roustampe comme dit Rudolf. On ne sait o regarder. Il y a des hommes nus avec degrands chignons, des noirs draps de pagnes de soie roses, coiffs de turbans verts etpantalonns dorange ; des arabes tatous, peints avec des anneaux de toutes les couleurs detous les cts ; des femmes avec des boucles doreilles grands comme un tranche de melon,des cornes dores sur la tte, des sonnettes au cou et des fruits violets, des fruits vertsperruche, des jaunes, des bleus paon, des noirs velouts et des parfums ! et des chapeauxtonkinois ! et des bufs bossus ! et des palanquins ! et des femmes nues qui dansent dans larue ! et un soleil, et un soleil !! Bises gros fort de ta Rene.

    16

  • Lettre de Marie Rene sa Mre, en date de lHtel des Indes Batavia du 14 fvrier(1909) :

    Mre chrie en cinq mois, deux lettres de ma Mre ! et impossible de faire autrement,nous sommes trop loin pour communiquer avec le monde rgulirement aprs tous les zigzagsque nous avons excuts sur la mappemonde. Maintenant notre sjour ici parat se prolonger.Rudolf pense rester plus longtemps que au dbut, nous ne sjournerons pas en gypte. Cestle projet courant, modifiable au cours des vnements. cris chez Krolik26 [].

    Jai par les journaux quelques nouvelles gnrales et politiques sur la France. Nousconnaissons toute la ville ; tout le corps diplomatique dne chez nous chaque instant. Noussommes de tous les concerts, de toutes les ftes de bienfaisance. On nous promne en auto, onme couvre de corbeilles dorchides, de jasmins, dhortensias. Notre impression dfinitive surce beau pays nest pas encore fixe. Mais quelle splendeur de vgtation ! Cest lextrmetropique dans son absolu dveloppement : le climat est irrsistible, en trois jours il nous a pliaux habitudes du pays. Chaque matin 6 heures nous sortons en voiture jusqu 9. De 9 midi cest un dfil de visites dans notre petite vranda ; on soffre du th glac, des fruits detoutes sortes, bizarres indits, des fruits poilus ou hrisss, rudes et cabosss, brillants commede lmail ou duveteux comme des araignes, qui sentent la violette, le musc et le tanin. Aprsle djeuner nous nous couchons, non sans avoir barbot dans leau froide et nous dormonsjusqu cinq heures, heure o la vie reprend ici. [].

    Lettre de Marie Rene sa Mre, Bandoeng, avril (1909) : [Informations dj cites sur des chques adresss sa Mre] Nous sommes toujours

    dans lle de Java, comme tu le vois. Le pays nous plait, nous enchante mme ; nous resteronsici jusquau 25 Avril, environ. Ensuite nous repartirons pour ? Voil, pour o nest pas fix,peut-tre directement pour lEurope, pour Londres o nous arriverions au mois de Mai. Peut-tre rentrerons-nous par la mme route que nous sommes venus, Chine et Japon. Nous serions Yokohama juste pour la saison chic des trangers : le Printemps. Et nous rentrerions alorspar lAmrique du Nord, Londres au mois de Juillet. Alors, si les choses se passent commenous lesprons nous pourrons nous offrir un vrai repos dans une confortable paix l o anous chantera, sans autre proccupation. Nous avons quitt Batavia hier aprs un sjour decinq semaines tout sem de triomphes et de plaisirs. On nous a couvert de fleurs la gare etnous devons revenir pour quelques jours avant notre dpart dfinitif des Indes Hollandaises.Pour le moment nous visitons les petites villes de lintrieur de lle, les temples clbres.Nous ascensionnerons les grands volcans. tout est fleuri, verdoyant, touffu, branchu, color,peinturlur, bigarr, cornu, nu et magnifique. Il y a des insectes fleurs, des insectes feuilles,des insectes branches ; il y a des orchides grandes comme des soleils et des orchides commedes mouches ; il y a des cureuils volants, des serpents de toutes les formes ; il y a des fleursqui mangent les insectes ; il y a de grands singes qui ressemblent des hommes et beaucoupdhomme qui sont des singes*. Mille bcots. Ta Rene.

    * Cest en pensant moi que Rene dit cela. Mille baisers. Rudolf.

    26 - Aucune indication de trouve sur ce personnage dont cest ici le seule mention.

    17

  • Malheureusement dans ces trois lettres Marie Rene ne donnent aucune indication sur lesoccupations de son mari. Comment se procure-t-il ses revenus ?

    Le 18 juillet 1909, Rudolf Stallmann adresse une lettre au Ministre de lIntrieur27 sollicitant de la haute bienveillance de votre Excellence la suppression de linterdiction desjour en France qui pse sur moi depuis six annes. Il argue des qualits de son beau-predcd, de sa famille franaise, de ses revenus et de ceux de sa femme et des services quil adj rendu Sret gnrale. Lavis du Prfet de Police est sollicit le 23 juillet ; il rpond le11 aot quil estime que en raison des antcdents du nomm Stallmann [] il ny a paslieu daccueillir favorablement la demande28 [] . Le 27 octobre la Sret avise le Prfetquelle accorde Stallmann lautorisation de sjourner Paris pendant un mois. Cetteautorisation sera proroge de deux mois le 27 novembre et de trois mois le 25 janvier 1910, lePrfet en tant avis

    Doctobre 1909 dcembre 1909 les poux Stallmann demeure dans un appartementmeubl 35 rue de Berri 35 ; lou au nom de Madame Lastnia Lemoine, la mre de MarieRene, au loyer de 1000 francs par mois. Ils tentent de lancer un journal sportif intitul LeTurf . Puis ils dmnagent au 47 rue de Courcelles dans un appartement encore lou au nomde Madame L. Lemoine et richement garni de meubles anciens achets crdit chez diversantiquaires. Une voiture avec chauffeur gyptien assure le service. Ils reoivent beaucoup devisites qui intriguent la Prfecture. Puis ils quittent Paris pour la Cte dAzur o Stallmannsera arrt et relch. Le 6 fvrier le Commissaire spcial de Nice adresse la Sret : Jemempresse de vous informer que le Commissaire de Police de Menton a arrt hier et dfrau Parquet le nomm Stallmann Rudolf dit baron von Knig pour infraction un arrtdexpulsion, mais que vous aviez autoris rsider provisoirement en France. Mis au courantde ce fait, jai fait immdiatement mettre en libert Knig. Par un rapport qui suit, je vous faitconnatre les circonstances dans lesquelles cette arrestation a t opre et maintenue par lecommissaire de Menton malgr le tlgramme que javais envoy en temps opportun.

    Depuis octobre 1909, la Sret Gnrale franaise ne cesse de proroger une autorisation desjour Paris au grand dam de la Prfecture de Police qui ne voit en lui quun aventurier et unescroc. Cest quil rend des services au Contrleur gnral de la Sret, un dnomm JulesSbille qui lui impose toutefois une obligation : sabstenir de paratre dans les lieux o lonjoue.

    Au printemps 1910 Knig est signal Rome, o il aurait escroqu un espagnol au jeu debaccara ; le consul dAllemagne Davos y signale sa prsence. Mais le 9 mars 1910 ildbarque au port de Wellington (Nouvelle-Zlande) du vapeur Ulimaroa en provenance deSydney29. (Pas dautres informations). 27

    - Cette lettre manuscrite est envoye de Londres, 93 Edmond Road, Bedford Park. (AN F/7/16006). Georges Clmenceau, Prsident du Conseil et Ministre de lIntrieur depuis octobre 1906, est renvers le 24 juillet 1909 ; il est remplac par Aristide Briand. 28

    - Cest cette poque que dbute une dispute Police/Sret relative Stallmann/Knig/plus tard Lemoine, la police ne voyant en lui quun malfrat et la Sret puis le contre-espionnage, un collaborateur extrmement efficace. Cette dispute durera jusqu la seconde guerre mondiale. Cest un commissaire de la Prfecture de Police de Paris, Christian Louit qui larrtera Berlin en aot 1945.29

    - Voir in Evening Post, priodique de Nouvelle-Zlande, 10 mars 1910, p. 6. Commandant Wyllie.

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  • Le 10 juin une autorisation de sjour lui est accorde par la Sret pour trois mois lacondition expresse [ quil ] sabstiendra de paratre dans les lieux o lon joue. Le 9 juin lissue du dlai le Prfet de Police de Paris signale Stallmann comme tant revenu Parisavec son pouse et sa belle-mre. Les nouveaux renseignements recueillis sur le compte decet tranger confirment en tous points ceux que je vous ai prcdemment transmis et lui sontdes plus dfavorables. Il demande la Sret de lui faire parvenir de nouvelles instructions.

    Le 10 novembre la justice britannique lance un mandat darrt avec demande dextradition, lencontre de Knig sur une plainte dpose Londres par Fritz Beckhaus et une autre parRudolph Kiepert que lon retrouvera lors du procs pour escroquerie au jeu, lencontrede von Knig et de deux complices, le Comte Wolff-Metternich et Nol Newton.

    En dcembre 1910 le Ministre de la Justice avise la Sret gnrale que lambassadedAllemagne demande larrestation provisoire en vue de son extradition de Rudolf Stallmann,et la saisie de largent et des objets de valeur en possession de linculp. Le ministre transmetune copie de deux mandats darrt du juge dinstruction de Berlin. Les deux mandats en datedu 17 et du 20 dcembre, sont mis aux chefs dinculpation descroquerie et faux en critures lgard de Georges von Dippe et de Fritz Beckhaus. La Sret en informe le Prfet de Policede Paris.

    Et puis le Ministre des Affaires trangres prvient que selon la police de Berlin,linculp serait depuis 8 jours au 47 de la rue de Courcelles ; et le Ministre de la Justiceinforme que, selon les indications allemandes, Stallmann sjournerait Villeneuve SaintGeorges. Ce nest que fin dcembre que le Prfet de Police transmet la Sret gnrale unrapport indiquant que le soi-disant baron von Knig serait Turin avec sa femme et sa belle-mre ; et quil serait affili une bande descrocs cosmopolites oprant surtout dans lesvilles deau, sur les paquebots et dans les trains de luxe.

    Le mandat dextradition britannique atteignit Stallmann le 26 avril 1911 en Inde. Il futarrt sur le vapeur Caspian qui remontait la rivire Hooghly pour rejoindre le port deCalcutta, et fut aussitt plac en prison. Les argument de ses avocats amenrent la Haute Courde Calcutta considrer que larrestation ntait pas conforme lIndian Extradition Act,notamment parce que le fait de lavoir emprisonn impliquait quil avait t jug coupable, orlaccus navait pas eu la possibilit de prsenter sa dfense devant un tribunal. Un jugementdu 21 aot 1911 le remit en libert.

    Stallmann, sous le nom de Korff-Knig et le comte Wolf-Metternich sont appels comparatre le 3 octobre 1911 pour avoir tromp des officiers au jeu. Stallmann necomparatra pas, il est en Inde et la Cour de Justice de Calcutta a refus son extradition. Enraison de sa faiblesse desprit le comte ncopera que de 3 mois de prison.

    Un journal de Berlin publia un article au titre L'Inde livre le baron Korff-Knig Leroi des joueurs rentre . Linformation de sa libration ntait pas encore parvenue.

    Berlin, 19. Aot 1911 Rudolph Stallmann alias baron Korff-Knig Roi des Joueurs,recherch pour cause de tromperie, est sur le chemin du retour des Indes Berlin.Il a t remisaux services de police allemands aprs de longues pripties. Stallmann est issu d'une famillede commerants berlinois. Ici lattendent beaucoup de dsagrments, mais aussi le plaisir derecevoir un hritage consquent de sa mre.

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  • Il na pas t facile dexcuter le mandat darrt du juge dinstruction de Berlin lencontre de Stallmann. Au dbut de lanne le Consul gnral dItalie avait tabli queStallmann rsidait dans un htel luxueux de Gardosa dans les Alpes. Il occupait une suite sousle nom de Monsieur Kerner avec des domestiques. Stallmann frquentait assidment desofficiels portugais avec qui il jouait de grosses sommes. Un jour il disparut ; un vapeur lavaitemport lui et son valet de chambre sans que son nom figure sur la liste des passagers, si bienque sa trace avait disparu. Stallmann-Korff-Knig possde un htel particulier Paris et doitdisposer de ressources financires considrables. Lon sait quil a pris contact,tlgraphiquement des Indes, avec ses avocats berlinois, J Meyer et D. Werthauser ainsiquavec Berstein, conseiller la Cour Munich. Lextradition a t demande auprs dugouvernement Indien sous la seule accusation de tromperie, une condamnation ne pourra treprononce que si des actes frauduleux sont prouvs.

    Il sera finalement arrt Londres le 29 mars 1912 la demande de lAllemagne, sousdeux chefs dinculpation : dune part, escroquerie envers von Dippe et dautre part, pour avoirgagn 25 000 livres en 1909 un fermier quil avait enivr. Il comparat le 5 mai devant letribunal de Bow Street, ainsi que le relate un journal anglais. Remis en libert, il est arrt nouveau un soir du mois daot au sortir dun club de jeux et extrad vers lAllemagne manumilitari. Dbarqu Hambourg le 17 aot, il est remis la police qui le transfert Berlin.

    Le 6 septembre 1912, le Ministre de la Justice franais informe alors le ministre delIntrieur que Les autorits impriales se dsistent de leur requte lgard de RudolfStallmann, cet individu ayant t arrt Londres et extrad par le Gouvernementbritannique. Il faut dire que la Sret Gnrale navait pas mis beaucoup dardeur pour leretrouver.

    Les audiences du procs se tiendront Berlin du 26 mars au 10 avril 1913. Ils auront unerpercussion mdiatique importante, jusquen Australie. Stallmann/Knig avec dautresinculps pour les mmes motifs et complicit, comparat devant le tribunal de Berlin durantdeux semaines. Le 10 avril Stallmann est condamn neuf mois de prison.

    Quelle a t sa situation Berlin pendant les neuf mois que dura linstruction du procs,c'est--dire entre le 17 aot 1912 et le 10 avril 1913 ? Randal, son fils an nat le 30 juillet, cequi permet de dterminer un poque de conception : le mois de novembre durant lequel il taitsous le coup de la prison prventive. Rien ne permet de croire quil sest vad ;conception en prison, ce qui parat peu probable, ou remise en libert sous caution ? Dans leprocs verbal des audiences devant le tribunal, il nest fait, quant Stallmann, aucune allusion sa prsence en prison, ce qui conforte cette dernire hypothse. Se pose alors la question dela provenance de largent de la caution. Provient-il dun compte bancaire ou despcesdtenues en Allemagne, ou dAngleterre o il a t arrt ? Son pouse qui, nen pas douter,est Berlin, lui a-t-elle apport le ncessaire de Paris, la-t-elle t cherch Londres ? Pas derponse. ?

    Comparaissant libre devant le tribunal, la condamnation, prononce le 10 avril 1913, unan de prison compte tenu des neuf mois de dtention prventive, a-t-elle t effectue pour lestrois mois restant ? Il semble que non, car en juillet ou avant il est en France et demande la Sret gnrale une autorisation de sjour qui lui est accorde le 19. Sa femme est Paris

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  • depuis le mois de mars, son fils natra Paris, le 30 juillet 6 heures du matin au n 30 de larue de la Faisanderie.

    Peut-tre que, ayant compris quil avait t recherch en Grande-Bretagne, en Allemagneet en France, il lui valait mieux en terminer avec cette activit de joueur. Lautorisation desjour accorde le 19 juillet la condition expresse [quil] sabstiendra de paratre dans leslieux o lon joue. est renouvele en novembre. Cest partir de cette poque que lesrelations de von Knig se resserrent avec la Sret Gnrale franaise pour laquelle il avaitdj effectu plusieurs missions, et ensuite avec les services de contre-espionnage qui en sontissus. Il sassura ainsi leur protection jusqu la fin de la deuxime guerre mondiale pour sesaffaires qui ne porteront plus sur le jeu.

    Berlin 1913, le procs

    En ce 1er juin 1910 le lieutenant Georges von Dippe du 10e rgiment de Hussards, jeunehomme de vingt ans de bonne et riche famille, arrivait la gare Lehrter de Berlin, enpermission de Stendal o son rgiment est cantonn. Dans le train une vague connaissancestait prsente, von Hennrichs, quil avait dj rencontr lors dun derby au champ decourse de Magdebourg ; grand et mince, proche de la quarantaine, Hennrichs portait lairmoderne des lgants viveurs des grands cafs. Loisivet du trajet facilita la conversation, lesquelques cent kilomtres en parurent plus courts. larrive, il invita le lieutenant descendre au mme htel que lui, le nouveau Frstenhof, place de Leipzig. Lancien btimentdevenu trop exigu avait t remplac en 1905 par une imposante construction limage delAllemagne florissante de ce dbut de XXe sicle. Les vastes salles brillaient de vieils ors, lesgarons de service, attentifs, sempressaient vers les clients. Dans le hall ils rencontrrent lebaron von Knig qui se joignit eux pour le djeuner. Ils mangrent et burent largement,levant leur verre de champagne toutes leurs gloires. la fin du repas, un dnomm Niemelales ayant retrouv, von Knig invita tout le monde prendre le caf dans sa suite. Le caf buton passa aux alcools. La conversation allait bon train. On en vint parler du jeu de bridge et,comme von Dippe ne le connaissait pas, von Knig se proposa pour le lui faire dcouvrir. Ilsonna le garon dtage et lui demanda dapporter deux jeux de 52 cartes. Aprs lui avoirexpliqu les rgles et montr le mcanisme du jeu, Knig laissa le jeune von Dippe rflchir une donne quil avait constitue et entama avec Hennrichs, une partie de Rouge et Noir,pariant 100 marks quil gagnerait. De son ct Niemela, bien cal dans un fauteuil, somnolaittranquillement.

    Le but du jeu Rouge et Noir est de ramasser le plus grand nombre de cartes de la couleurdtermine. Lon dispose trois paquets de 17 cartes sur la table devant deux joueurs, chacunchoisit son paquet, le troisime est mis lcart. La dernire carte dtermine la couleur, rougeou noire, rechercher. Chacun des deux joueurs retourne une carte de son tas et loppose lautre carte. Celui qui sort la carte de la couleur dsigne lemporte et ramasse le pli ; si les

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  • deux cartes sont de la mme couleur, la carte la plus leve lemporte. lpuisement desdeux tas on compte les points : les cartes de las au 9 valent 5 points, et celles du 10 au roi envalent 10. Dapparence anodine ce jeu est en fait un jeu trs couru des joueurs professionnelset des tricheurs. Le mcanisme de l'escroquerie est simple, l'aigrefin qui aura manipul, voiremarqu les cartes, propose de parier sur chaque carte retourne. Sr de gagner il s'arrangealors pour perdre les petits paris et gagner les plus grosses mises.

    Le baron von Knig et von Hennrichs taient complices voici comment ils s'y prirent.Quelque temps aprs avoir entam la partie, von Knig invita von Dippe venir le conseillersur le montant miser. Encourag par ses nouveaux amis il prend part au jeu valuant avecKnig les chances de gagner le pli suivant. Les mises devinrent leves, quelques unesmontrent 5000 marks et dautres atteignirent jusqu 30 000 marks. Hennrichs perdait pourles petites sommes, mais gagnait constamment pour les fortes sommes. Le jeu ne dura paslongtemps, un quart dheure. Puis on constata quil tait inscrit au compte de la banque quevon Knig et von Dippe taient redevables de 160 000 marks. L-dessus Knig feignit desinsurger, cria que le montant de la perte tait trop lev pour lui et, de rage, dchira lescartes en petits morceaux. Hennrichs prit Niemela tmoin, Knig et von Dippe ayant perdus,ils devaient payer. Von Dippe eut beau objecter quil navait fait quaider von Knig et quonne jouait pas rellement, on lui rpondit quil avait pris part au jeu et quil devait doncsupporter la moiti de la perte. On discuta alors de la manire de rgler laffaire. Hennrichstira opportunment de sa poche des formules de lettre de change. Knig accepta une traite de80 000 marks, il sait quil ne la paiera pas. Ne pouvant sesquiver von Dippe se vit danslobligation den faire autant ; il signa la traite : Accept quatre vingt mille marks. V.Dippe. Dans son dsarroi il crivit deux fois 80 000 marks .

    L'escroquerie bien rde s'est parfaitement droule : les trois complices ont amen endouceur von Dippe, jeune homme fortun, perdre une coquette somme grce un jeu decartes falsifi qui, en fin de partie, a t soigneusement dtruit, toute preuve de tricherie setrouvant ainsi supprime. Il a ensuite suffi au gagnant, ici Hennrichs, d'tablir une traite sonnom et de la faire "accepter" par von Knig, le complice perdant, pour conduire leur victime,le pauvre von Dippe, accepter la sienne.

    Pour donner lescroquerie un minimum de vraisemblance, il est ncessaire que la traiteaccepte par von Dippe change plusieurs fois de mains. Hennrichs endossa la traite au profitde Knig, qui lendossa un troisime complice, Nol Newton. Ces deux endos doivent faireaccroire que la traite reprsente de relles transactions, pour cela Knig certifie en avoir payle montant en espce Newton, ce qui garantit qu'elle n'est pas fictive et permet ce dernierd'en rclamer le paiement au jeune grug.

    Par ailleurs, sachant que les jeux de hasard sont interdits aux officiers, les tricheursinternationaux et les joueurs professionnels cherchent et reconnaissent dans les cafs et lesrestaurants dhtels des grandes mtropoles et des stations thermales, lofficier allemand misen civil, assurs alors de sa discrtion. Si besoin est, lacceptation dune traite permet,dexercer une pression sur lofficier par la menace dune plainte auprs du Colonel durgiment. Ainsi, en juillet, von Hennrichs informe par lettre le lieutenant quil avait endoss latraite au profit de von Knig, lequel, au mois daot, linvita par courrier sacquitter. Peuaprs von Knig endossait cette traite en faveur de Nol Newton, affirmant en avoir reu le

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  • montant en espces et ajoutait de sa main Payable Deutsche Bank, Banque principaleBerlin. , mention qui ne figurait pas sur la traite la signature de von Dippe. Knig seracondamn pour ce faux.

    En septembre le lieutenant von Dippe se trouvait en manuvre Rosslau (sur lElbe, ausud ouest de Berlin), il vit sapprocher une automobile sur le champ de manuvres, deuxmessieurs en sortirent. Lun, se prsentant comme tant Nol Newton, demanda le paiementde la traite en sa possession. Von Dippe lui rpondit quil allait se rendre la Deutsche Bank Berlin et quil linformerait de la date laquelle il pourrait y toucher le montant. Von Dippeprvient alors son avou qui, avec laide de la police, russit se faire remettre la traite.Newton, interpell par la police, dclara alors avoir vers von Knig 40 000 marks pour latraite. Von Dippe porta plainte, mais omit de citer la prsence dun troisime complice,Niemela ; on verra durant le procs pour quelle raison.

    cette date von Knig est connu dans toute lEurope comme escroc international, demme que Newton ; quant Hennrichs, la police lidentifia sous le nom dun ressortissantroumain nomm Bujes.

    Le procs se droula Berlin du 26 mars au 10 avril 191330. Le procs eut un certainretentissement mdiatique, des rieurs dans la salle, la prsence dun dessinateur, conduit ilest vrai, la participation du Prsident une dmonstration de Rouge et Noir, et son refus queles audiences soient filmes. Des informations de Presse circulrent en Angleterre, enHollande, Singapour et jusquen Australie. Stallmann comparut en compagnie dautresjoueurs et quelques fois complices entre eux : Niemela et Kramer, Bujes alias Hennrichs qui,condamn en mars 1912 un an de prison pour tricherie au jeu, fut appel comme tmoin. Letribunal tait prsid par un vieux monsieur dallure aimable, qui avait perdu le bras gauche le18 aot 1870 non loin de Metz, la bataille de Gravelotte.

    Rudolf Stallmann, de taille moyenne, trs distingu, lallure dun cavalier de classeinternational ; son regard prcis se devinait derrire des binocles en or, lui donnait lairsuprieurement intelligent. N le 14 avril 1871, fils du bijoutier Louis Stallmann et de HuldaPaech, de confession protestante.

    Benno Kramer, autre prvenu, tait plutt grand avec des paules larges, la figuremalicieuse. N en 1855 Nordhausen. Il avait dj effectu Londres en 1912 quatresemaines de dtention comme directeur dune maison de jeux.

    Edmund Niemela tait un petit monsieur paraissant trs jeune, soigneusement habill, lescheveux blonds coiffs avec une raie, la moustache blonde bien soigne. Militaire au grade delieutenant, il avait obtenu sa licence de pilote davion le 27 mars 191131. Un beau visage si centait la pointe du nez sectionne lors dun accident davion. Fils de vtrinaire, il tait n en1884 Ratibor en Silsie.

    Comme tous les prvenus doivent se dfendre, parfois les dclarations et affirmationsaffirmes la barre du tribunal sloignent de lexactitude des faits. Libert oblige.

    30 - Le procs-verbal des audiences a t repris dans : Interessante Kriminal-Prozesse von Kulturhistorischer

    Bedeutung, Volume 10. Auteur Hugo Friedlaender Nabu Press 2010 ISBN 1142769054, 9781142769055,314 pages do nous tirons ces extraits ; dition originale 1922. 31

    - Licence n 78, http://www.autoveteranen.de/flugzeug/piloten.html (Consult en 2010).

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  • Le Prsident commence par interroger Stallmann. LE PRSIDENT : Accus Stallmann je dois tout dabord examiner votre situation personnelle.

    Votre pre tait propritaire dans Orianenstrasse au n 98. Qui tait en ralit votre pre ? STALLMANN : Mon pre tait fabricant-bijoutier et alors rentier. LE PRSIDENT : Racontez-nous donc quelque chose de votre pass. STALLMANN : Jai fait mes tudes Berlin au lyce Louisenstdtische. Aprs avoir quitt

    lcole jai pris des cours de langues trangres chez un professeur priv. LE PRSIDENT : Navez-vous pas entamer alors une autre activit ? STALLMANN : Bien sr, je travaillais dans une entreprise dimport-export, commissionnaire

    en gros. Le travail administratif de bureau recopier des papiers ne me convenait pas. Alors,une fois termines mes tudes linguistiques, je suis parti pour lAmrique du Sud. En 1897jtais stagiaire au Chili Valdivia dans une autre entreprise dimport-export que jai quittpour rejoindre le Venezuela cheval. L jai particip la rvolution dans un corps devolontaires.

    LE PRSIDENT : Quels moyens de subsistance aviez-vous ? STALLMANN : Je recevais rgulirement les intrts dun capital de 20 000 marks et ma

    mre me faisait parvenir 3 500 marks supplmentaires. Je suis rest un an et demi enAmrique du Sud et suis rentr Berlin.

    LE PRSIDENT : Et vous aviez encore de largent ? STALLMANN : New York je trouvais de largent la lgation allemande. Mais je nen

    avais plus en arrivant Berlin. LE PRSIDENT : Que faisiez-vous donc ici Berlin ? STALLMANN : cette poque mon beau-frre tait ngociant en vin, socit Witkop Unter

    den Linden. Il avait fait construire un nouvel entrept sur la Postdamstrasse. Je lai aid transfrer son stock de vin, ce qui a permis de me faire qualifier de commis . Cela a biendur deux mois. Cest alors que jai eu lide daller Monte-Carlo pour y jouer.

    LE PRSIDENT : Vous aviez largent pour faire cela ? STALLMANN : Bien sr, environ 20 000 marks ! LE PRSIDENT : Do aviez-vous cet argent ? STALLMANN : De Richard Meier et Pariser, deux prteurs dargent. Je suis rest environ

    deux mois Monte-Carlo. LE PRSIDENT : Et l, avez-vous gagn de largent ? STALLMANN : Non, pas un pfennig. Alors je suis all Paris et Spa. LE PRSIDENT : Et cest l que vous avez fait connaissance de mademoiselle Gaum et que

    vous vous tes fait appel Knig ? STALLMANN : Effectivement. LE PRSIDENT : Comment tes-vous venus vous faire appeler de ce nom ? STALLMANN : Je ne sais pas moi-mme. LE PRSIDENT : Vous utilisiez donc un faux nom ? STALLMANN : Toutes les maisons de jeux tablissent une liste des noms de leur membres,

    elle est envoye tous les clubs dEurope concerns. Pour moi il tait dsagrable que le nomde Rudolf Stallmann apparaisse.

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  • LE PRSIDENT : Ainsi, daprs vous la profession de joueur doit tre quelque peu malfame ?

    STALLMANN : Bien sr. En un certain sens, je peux pas contester cela. LE PRSIDENT : Vous tes vous-mme joueur. STALLMANN : Oui. Je joue volontiers avec passion. Cependant jai perdu non seulement

    mon argent, mais encore largent de mon pre et de mon oncle ; ce qui ne peut tre le fait dunprofessionnel.

    Sur une remarque du Prsident, Stallmann explique que de Spa il est all en dautres villeset puis Munich avec sa matresse Anna Gaum. Celle-ci avait dclar linstruction quelleavait soutenu Stallmann par la vente de ses charmes. Stallmann rejeta tout fait cetteallgation. Munich, ne pouvant pas payer son compte dhtel, il renvoya lhtelier sesvalises et tre pay plus tard son heure. Moyennant quoi il a t condamn pour grivlerie un mois de prison. Un signalement a t rdig par la police son encontre. LePrsident voqua dautres affaires de contrefaon de documents et dabus de confiance pourlesquelles le dlai de prescription lui tait favorable. Pour sa dfense Stallmann invoqua lafausset des accusations, le manque de preuve, linjustice. Toutefois il reconnat que largentlui file entre les doigts.

    LE PRSIDENT : Par la suite, vous avez dispos de fortes sommes dargent. Do provenait-il ?

    STALLMANN : Comme je lai dj dit, jai fait commerce de terrains en Amrique du Sud. Ilntait pas ncessaire davoir beaucoup de capitaux car, vrai dire, le terrain l-bas ne coteque le prix du tampon des autorits. Jai peu peu investi 5000 livres sterling et en ai retirenviron 400 000 marks. Ensuite jai travaill pendant dix ans avec une grande maison anglaisede placements financiers, notamment dans le commerce de ptrole en Roumanie. Jai gagn,et aussi perdu beaucoup dans certaines affaires.

    LE PRSIDENT : De Munich, vous alliez en Belgique et en Angleterre.STALLMANN : Bien sr. cette poque un ancien matre dhtel belge du nom de Marquet

    avait reu la permission de fonder des clubs de jeux, mais sous la condition que le Prsident etles membres du comit soient Belges. Parmi mes relations il ma t facile de trouver de telspersonnes. Jai pu crer neufs clubs. Ce qui ma permis de constituer un capital denviron100 000 francs pour aller Londres. L je me suis occup de commerce de mines dor etjallais en Afrique ; ctait pendant la guerre des Brs.

    LE PRSIDENT : Quand vous tes-vous mari ?STALLMANN : En 1905. LE PRSIDENT : Pour quelle raison utilisez-vous un titre de noblesse ? STALLMANN : Parce quaujourdhui cela prsente beaucoup davantages ; par exemple une

    meilleure chance de garantie dtre bien reu dans les htels. Pour les mmes raisons, enAllemagne, certains officiers qui nont que la particule von prennent le titre de Baron. Cesmessieurs gravissent une marche. Jai fait comme eux.

    LE PRSIDENT : Prenaient-on garde continuellement votre tat de noblesse ?

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  • STALLMANN : Dans de nombreux cercles jtais connu comme von Knig et jai fait toutmon possible pour porter noblement ce nom.

    LE PRSIDENT : Comment tes-vous all en Argentine ? STALLMANN : Monsieur le Prsident, jai fait neuf fois le tour du monde, jai pu aussi aller

    en Argentine ! LE PRSIDENT : Vous y tes all en 1905. STALLMANN : Jai fait la connaissance de ma femme, une demoiselle Lemoine, sur le bateau

    pendant la traverse vers ce pays. Ma femme et sa mre retournaient en Argentine car le maride ma belle-mre tait dcd lanne prcdente, et le grand-pre de ma femme avaitsouhait que ces dames reviennent.

    LE PRSIDENT : Votre femme est la fille dun mdecin catholique et vous, vous tes issudune famille protestante.

    STALLMANN : Pour que le mariage lglise ft possible, jai sign une lettre rversale, parlaquelle je mengageais faire duquer mes futurs enfants dans la religion catholique. Unoncle de ma belle-mre tait archevque, il a entrepris un voyage de 48 heures Buenos-Airespour nous marier.

    Sur une remarque du Prsident concernant ses revenus, laccus prcisa que son beau-predfunt, mdecin-chef lAssistance publique de Paris, navait aucune fortune personnelle,mais que le grand-pre de sa femme, Marcelino Escalada Baldez, avait russi se constituerune fortune de 25 millions.

    STALLMANN : Il avait vendu un terrain pour 8 millions de pesos neuf mois avant notrearrive. Il verse annuellement ma femme et sa mre une rente de plus de 40 000 marks, quisont aussi ma disposition. Cependant je nai jamais exig un seul pfennig de ma femme, carje ne suis pas assez minable pour me faire nourrir par mon pouse.

    LE PRSIDENT : Est-ce que vous vivez ensemble avec votre femme ? STALLMANN : Je ne me suis encore jamais spar de ma femme. Elle ne mabandonnerait

    jamais. Lorsque javais besoin dargent pour mes affaires, je lui demandais Aurais-tu 5000marks ? Elle me les donnait et je remboursais promptement. Notre mariage na pas t unmariage dargent.

    LE PROCUREUR WEISMANN : Il est certain que laccus nest pas sans fortune, au contraire ilpossde plus dargent que nous le croyions. Je voudrais bien savoir comment il a acquis cetargent.

    STALLMANN : En faisant du commerce pendant 10 ans Londres ! Le renseignement duConsul gnral sur la manire dont jai gagn de largent est compltement faux !

    LE PRSIDENT : Vous avez t expuls de France en 1901 en raison dun soupondespionnage. Cependant, daprs les renseignements officiels de Paris, vous navez jamaist arrt ou poursuivi pour tricherie au jeu. Mais en fvrier 1910, un Espagnol du nom deComa de Mora vous a accus de lui avoir subtilis Rome un grosse somme dargent au jeude baccara.

    STALLMANN : Il sagissait dune tentative de chantage de la part de Mora ; tentative qui napas russi.

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  • LE PRSIDENT : Alors comment se fait-il que vous soyez qualifi de tricheur par la policedun certain nombre de pays ?

    STALLMANN : Je me lexplique de deux manires. Tout dabord, cette opinion a tsuggre au Gouvernement franais par la rumeur publique colporte par la presse. Je suisencore membre de tous les clubs de jeux de Paris. Ensuite, jai la conviction ferme que le nomde von Knig est celui dun tricheur qui a gagn Davos et Chiavenna, de grosses sommesdargent. Je suis devenu lobjet de toutes sortes de chantage, tel point que cela est devenuintenable. ma demande jai t confront aux personnes concernes, et celles-ci ontimmdiatement dclar : Attention ! ce nest pas le mme homme. Le von Knig que nousavons vu avait un nez en bec daigle ! Jespre pouvoir apporter la preuve au cours de cetteaudience de lendroit o se trouve ce von Knig. Cette accusation doit tre le fait de lacomtesse Rudolf von Arnim que ce von Knig a escroqu de 600 ou 800 marks.

    LE PRSIDENT : La police centrale de Paris vous qualifie de chef de bande organise qui vitde vols dans des trains de luxe, de tromperies et de faux jeux.

    STALLMANN : Cest absolument faux ! LE PRSIDENT : En outre il est affirm que vous avez particip au vol dun sac de poste

    rempli de bijoux en septembre 1908 Mnster. STALLMANN : Srement l, la police a t victime dune mauvaise plaisanterie. Je ne suis

    jamais all Mnster. Mais tout ce que lon peut dire sur moi est possible. Si on affirmeaujourdhui que jtais avec Trenkler, cet abominable assassin qui tuait durant lescambriolages de commerces, je suis impuissant prouver le contraire.

    Comparution de Niemela LE PRSIDENT : Maintenant, jen viens linterrogatoire de Niemela. Accus Niemela

    approchez ! Pourriez-vous nous prciser si vous avez quitt larme en raison de ce que vousavez endur comme aviateur ?

    NIEMELA : Non Monsieur le Prsident. Je me suis retir de larme en raison de problmesmusculaires et nerveux. Je reois actuellement une pension mensuelle de 83 marks.

    LE PRSIDENT : Vous avez fait vos tudes au lyce de Ratibor, et puis lcole Fischer, rueZieten Berlin ; vous avez t reu lexamen daspirant officier. Ensuite vous avez tform comme aviateur au 124e rgiment dinfanterie.

    NIEMELA : Cest tout juste, Monsieur le Prsident . LE PRSIDENT : Quel tait ltat de votre fortune cette poque ? NIEMELA : Je recevais une solde de 150 marks en moyenne. Cela suffisait mes besoins,

    dans une petite garnison on ne dpense pas beaucoup. Un petit logement cote 20 marks etlon peut manger le midi pour 90 pfennigs.

    LE PRSIDENT : Du vivant de votre pre vous receviez une pension de sa part ? NIEMELA : Bien sr. Il menvoyait des sommes importantes pour que je puisse entreprendre

    des voyages. LE PROCUREUR : Quand vous navez plus reu cette pension, vous ne pouviez plus

    entreprendre de tels voyages, et pourtant vous le faisiez.

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  • NIEMELA : Jai parl de cela avec mon avocat le Docteur Schwindt qui demandera mesparents dapporter la preuve que javais les moyens ncessaires. Jai reu de mon beau-frreenviron 50 000 marks.

    LE PRSIDENT : Pourquoi avez-vous refus de parler de cela durant linstructionprliminaire ?

    NIEMELA : lpoque jtais si malade et compltement abattu que je naurais pu donneraucun renseignement exact ce sujet.

    LE PRSIDENT : Vous auriez pourtant pu dire que vous ne pouviez donner aucunrenseignement et non pas Je refuse den donner.

    NIEMELA : En tout cas je peux montrer que je disposais tout moment de moyenssuffisants.

    LE PROCUREUR : Des moyens suffisants pour voyager en automobile dans tout lEurope ? NIEMELA : Je voyageais comme lieutenant aprs avoir hrit. Javais t invit par mon

    beau-frre voyager en Italie et sur les bords de la Mer Noire, mais jai refus car mon pretait mourant. Cest alors que jai touch ma part dhritage.

    LE PRSIDENT : Qui tait de combien ? NIEMELA : Ctait beaucoup subitement. Cependant jai emprunt de largent mon beau-

    frre et dautres en hypothquant un terrain Ratibor. LE PROCUREUR : Pourtant votre pre ne payait dimpt que sur 6000 marks de revenu. En

    outre, le terrain a t valu seulement 30 000 marks et supportait dj une hypothque de18 000 marks.

    NIEMELA : Ce nest pas juste ! Le terrain a t valu 136 000 marks. LE PRSIDENT : Vous avez reu plus tard votre brevet daviateur ? NIEMELA : Exact. Comme officier aviateur javais droit des congs, jen ai profit pour

    aller souvent en France. Jai vol Pau, Chlon sur Marne et dautres arodromes.Finalement jai eu un contrat avec lentreprise franaise Nieuport-Delage. Je devais participercomme unique aviateur allemand la course Paris-Rome, et, pour prciser, avec lappareil quiavait concouru la coupe Gordon Bennett. Les pilotes trangers taient interdits par leGouvernement franais, mais il leva linterdiction pour moi la condition que je ne survolepas diffrentes fortifications, par exemple celles de Dijon. Jai donc reu une offre de lacompagnie Nieuport-Delage. Plus tard, je devais diriger une course automobile dArgentine New York que George Alexander Borwin, duc de Mecklenburg, voulait organiser avec labanquier amricain Drex. Le capitaine de Le Roi devait venir Paris pour mengager quand lemandat darrt a t mis contre moi. Et puis je me suis rendu Londres pour me faireengager dans larme turque afin de participer la campagne de Tripoli comme aviateur32.

    LE PRSIDENT : Vous avez refus de donner la raison pour laquelle vous avez dmissionnde larme. Voulez-vous aujourdhui nous dire pourquoi ?

    SCHWINDT avocat de Niemela : Bujes dtient une lettre qui a son importance ici. Le nomdune noble dame est mentionn, avec qui Niemela tait fianc au Wurtemberg. Bujes devraittre appel comme tmoin.

    LE PROCUREUR : Ne serait-ce pas plutt une dette de jeu qui serait venue la connaissancede votre commandant ?

    32 Dclaration de guerre la Turquie par lItalie le 29 septembre 1911.

    28

  • NIEMELA : La dette dont il sagit tait seulement de 1500 marks. Je lai paye. Au rgimenton ne maurait fait aucune difficult pour une dette aussi faible.

    La situation financire du pre de Niemela est alors longuement examine. Le procureurstonna de ce quun simple vtrinaire laisse autant dargent ou un tel capital dans Ratibor,qui puisse permettre laccus davoir un train de vie aussi luxueux. Le dfenseur de Niemelafit part dun document officiel de ladministration de Ratibor daprs leque