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RAPPORT 2018 PATRICK LEVY-WAITZ Avec l’appui du CGET représenté par Emmanuel Dupont et Rémy Seillier MISSION COWORKING TERRITOIRES TRAVAIL NUMÉRIQUE FAIRE ENSEMBLE POUR MIEUX VIVRE ENSEMBLE

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R A P P O R T

2018PATRICK LEVY-WAITZ

Avec lappui du CGET reprsent par

Emmanuel Dupont et Rmy Seillier

MISSION COWORKINGTERRITOIRES TRAVAIL NUMRIQUE

FAIRE ENSEMBLEPOUR MIEUX VIVRE ENSEMBLE

Mis

sion

Cow

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RAP

PORT

2018

Avec lappui du CGET reprsent par

Emmanuel Dupont et Rmy Seillier

Crdits photos : Erik Levilly Ville du Havre

71 Montreuil

8 Fablab Drme

Annonay Rhne Agglo Coworking

Clockwork

Comete Innovation

Coolworking

Cowork 4puissance3

Fondation Travailler autrement

HUBSTARTCENTER

ICI Montreuil

La Boite Bosse

La Centrif

La Corde Lamure

La Passerelle Coworking

Laboratoire Missioneo

Locoworking Cannes

Make ICI

MIX coworking Ouest Lyonnais

Mutinerie

ParthLab

Planet Coworking @ Cercle Conan Doyle

Plateau Fertile

Point Sud

SoWork

Stop & Work

Working Mios BizC

om -

RC

S N

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RUBRIQUESous rubrique

2 Mission Coworking : faire ensemble pour mieux vivre ensemble - Rapport 2018

TIERS LIEUX, UN DFI

POUR LES TERRITOIRES

Rapport 2018 - Mission Coworking : faire ensemble pour mieux vivre ensemble 3

COMPRENDRE, ACCOMPAGNER ET ACCLRER LES LIENS ENTRE INNOVATIONS ET TERRITOIRESNous estimions quil en existait 600 en France, ils se rvlent tre prs de 1800. Ils dessinent le futur de notre rapport au travail et renouvellent la sociabilit. Ils chrissent les angli-cismes, mais sont bien ancrs dans leurs territoires. On les appelle coworking Fablab , atelier partag , Living Lab , garage solidaire , social place , makerspace , ou encore friche culturelle : ils visent la cration, la for-mation, lapprentissage. Valorisent le partage, la solidarit, le faire . Ils sont en mouvement dans une socit, hy-bride dans un environnement en profonde mutation. Je veux parler des tiers lieux. Arriv au terme de six mois de Tour de France des tiers lieux, ralis la demande de Ju-lien Denormandie, Secrtaire dEtat auprs du ministre de la Cohsion des territoires et en collaboration troite avec le CGET, je souhaite tmoigner de la vitalit et du rle d-terminant jou par ces tiers lieux pour (re)dynamiser nos territoires, villes moyennes et rurales.Tentons une caractrisation tout dabord : dpassant lac-ception originelle formule par Ray Oldenburg la fin des annes 80, les tiers lieux se distinguent dsormais par trois lments conjugus. Dabord, leur dimension intrinsque-ment collaborative, voire communautaire. Ensuite, la pri-maut quils accordent au faire . Enfin, leur haut degr de mixit. En ce sens, les tiers lieux peuvent se dfinir comme des espaces physiques et numriques du faire ensemble.

PREAMBULE

Les tiers lieux, ou lapologie du faire ensemble faire ensemble : cette formulation volontairement mini-maliste prend acte en ralit de profonds bouleversements.

Dabord, elle indique une volution de lidal social pour un nombre grandissant de nos concitoyens. Alors que le vivre ensemble a cd devant les mcanismes das-signation gographiques et sociaux dcrits et dcris par les centaines de personnes rencontres durant ces mois dchanges, cest dsormais le faire ensemble qui re-crent des passerelles entre les individus sur tous les ter-ritoires.

Ensuite, ce faire ensemble synthtise trois transforma-tions luvre dans notre socit :

La rvolution du travail quillustrent lessor du statut ind-pendant, du tltravail qui concernerait plus dun salari sur cinq et qui se trouve plbiscit par celles et ceux qui ladoptent, ou encore les innombrables dmarches dinno-vation ouverte quelle soit conomique ou sociale. En ce sens, les tiers lieux sont des terreaux de linnovation socioprofessionnelle.

Lmergence de la socit apprenante , galement, se-lon la trs juste formulation de Franois Taddei : par le faire ensemble, les tiers lieux se rvlent tre des terrains privi-lgis de lapprentissage tout au long de la vie parce que les techniques voluent, les savoirs dvelopps se trans-mettent et lintrt gnral est porteur de sens.

La transition cologique enfin : le faire ensemble invite au partage, au prt, au remploi des biens, la d-mobilit, la frugalit nergtique. En ce sens, la culture du faire re-coupe souvent limpratif de sobrit. Plus encore, lenjeu cologique constitue pour bon nombre danimateurs de tiers lieux un pavillon commun, une valeur cardinale qui engage leurs manires dagir au quotidien. Cest notamment le cas de Darwin cosystme, Bordeaux, qui sest dot dune toi-ture photovoltaque pour rendre ses commerces autonomes en nergie. Ou encore de La Recyclerie, Paris. Implante au sein dune ancienne gare rhabilite, elle a pour ambi-tion de sensibiliser le public aux enjeux du dveloppement durable.

En bref, cette culture du faire se rvle tre la meilleure option pour voluer dans une socit en mouvement perp-tuel, liquide pour reprendre lexpression de Zigmunt Bau-man. Parce quils approfondissent le lien social, conjuguent

4 Mission Coworking : faire ensemble pour mieux vivre ensemble - Rapport 2018

PREAMBULE

les transitions en cours, hybrident conomie solidaire et mo-dle traditionnel, faonnent les mtiers et les services de de-main, les tiers lieux deviennent aiguillons de nos territoires. Est-ce un hasard ? Ces espaces sont souvent crs ou ani-ms par des personnes engages dans la vie locale qui re-crent des emplois, rhabilitent des btiments, utilisent des machines dsutes, animent un lieu de prsence sociale et solidaire, recrer de lactivit conomique : font socit .

Espaces dhybridation, permettant de faire merger des cooprations indites, les tiers lieux peuvent donc tre des catalyseurs dactivits lchelle des territoires. Ils sont des leviers de cohsion sociale, de partage et de rseau qui pourraient se faire moteurs la fois de la formation profes-sionnelle et de la transformation numrique. Pour concr-tiser ces potentialits, de nombreux dfis sont encore re-lever.

Trois dfis relever pour faire des tiers lieux des catalyseurs locauxLieux dautant plus prcieux quils sont parfois prcaires, il est de notre responsabilit de les comprendre, de les ac-compagner, de les aider se dvelopper. En ce sens, plu-sieurs dfis sont poss aux pouvoirs publics pour favoriser lessor des tiers lieux et en faire un atout territorial vritable.Le premier dfi est celui de lacculturation.

Cest la condition sine qua non pour comprendre ce phno-mne. Six mois de frquentations assidues danimateurs et danimatrices de tiers lieux mont convaincu de la ncessit de repenser en profondeur laction publique leur endroit. Celle-ci est en effet traditionnellement fonde sur une ap-proche organique et structurante : investissements, immo-bilisations, contrles. Or, limmobilier ne fait dfaut nulle part ou presque. La fausse bonne ide serait donc daborder ce sujet par son versant immobilier. Ou son avatar urbain : le coworking, souvent devenu synonyme de projet dinvestis-sement pour promoteurs. En ralit, le coworking nest que la partie merge de liceberg. Et le phnomne dont on parle le plus, car il semble parfaitement en phase avec la sociologie des journalistes et autres influenceurs. Mais le coworking nest certainement pas la forme adquate pour redynamiser tous nos territoires : ruralits, villes moyennes, espaces priurbains. Et il nest pas toujours le plus collabo-ratif, hybride.Cette acculturation se ralisera par la proximit renforce entre pouvoirs publics et tiers lieux. Il faut en effet faire confiance aux acteurs en place, poursuivre lexprimenta-tion, renouveler et multiplier les partenariats publics-privs, rechercher lhorizontalit, agir et laisser agir en subsidiarit. Quitte rater mieux quelquefois pour reprendre le bon

mot de Beckett. On mesure lcart entre une conception de laction publique scotche au principe de prcaution et une innovation conomique et sociale par dfinition vanes-cente et faite de ttonnements. Mais cet aggiornamento est dautant plus dcisif, que si les financements publics sont rgulirement esprs par un grand nombre de structures rencontres, limplication des pouvoirs publics dans la gou-vernance est immanquablement suspecte dtre source dinertie. Russie, la prsence de pouvoirs publics natio-naux et/ou locaux peut au contraire amener vivre ces lieux comme autant dopportunits de redploiement de services publics : missions locales, Ple Emploi, crches, bibliothques municipales, foyers ruraux, annexes dinstitu-tions, MSAP, etc. Les exemples de lAquitaine et de la Bour-gogneFranche-Comt, deux rgions ayant mis en place une politique rsolue de soutien au dveloppement des tiers lieux, montrent que laction rgionale est aussi lgitime que ncessaire.

Le second dfi est plus usuel. Cest celui de laccompa-gnement. Assumons-le sans dtour : les tiers lieux peinent souvent trouver leur modle conomique et atteindre une taille critique pour pouvoir impacter le territoire. Ils ren-contrent galement des enjeux de professionnalisation. Ces fragilits justifient une action publique adapte : il faut privi-lgier lexistant et soutenir son dveloppement. Il est aussi possible daider les tiers lieux tirer un revenu de leurs activits propres. Quelques pratiques observes ici et l nous semblent particulirement prometteuses : faire du tiers lieu un espace de formation et dapprentissage, dacti-vits rsidentielles temporaires, ou encore encourageant les entreprises locales y dlguer une partie de leurs effectifs. En outre, cela impose dencourager le tltravail et dinscrire les tiers lieux dans la dynamique dinclusion numrique. Un signal ? Une exonration de la taxe foncire pour les tiers lieux serait indolore pour les finances locales, mais trs at-tendue par des structures qui se vivent dans une mission dintrt gnral.Un autre pan de cet accompagnement repose sur la mise en vidence dimportantes disparits gographiques. La rpartition des tiers lieux demeure en France trs ingale, et lisolement frquent. Grce au remarquable travail des cartographes du ministre de la Cohsion des Territoires, il a t possible de retracer les mouvements pendulaires dac-tivits quotidiennes et de les croiser aux bassins demploi. Cela nous a permis didentifier plus de 300 zones cls sur lesquelles la cration ou la valorisation de lieux ressources simposent pour rompre la solitude des tiers lieux. Certaines paraissent videntes. Dautres ont t littralement rvles par lanalyse fine des dynamiques dmographiques. Ces catalyseurs, que je propose de labliser les Fabriques

Rapport 2018 - Mission Coworking : faire ensemble pour mieux vivre ensemble 5

des territoires, garantiront un accompagnement de proxi-mit. De grandes tailles, disposant dimportantes capacits danimation et de formation, ces nouvelles Fabriques des territoires assumeront leur caractre hybride public/priv. Elles marqueront galement la fin dun modle concentrique de laction publique au bnfice dune logique de rseaux, de grappes territoriales. La majorit de ces tiers lieux existe dj. Ils ne demandent qu tre dvelopps au service dune influence territoriale tendue.

Le dernier dfi relever par les pouvoirs publics est celui de la protection des tiers lieux et de celles et ceux qui les font vivre. Deux initiatives peuvent tre engages afin dy parve-nir. La premire est le soutien la constitution dun Mouve-ment National des Tiers Lieux. Cela permettrait dincarner cet cosystme dans un dispositif denvergure nationale. Le second est celui de la reconnaissance du rle danimateur ou de facilitateur de tiers lieux, que les plus rompus ce modle nomment souvent concierge . Cela passe notam-ment par le dveloppement dune offre de formation conti-nue et louverture la Validation des Acquis de lExprience.

Nouveaux lieux, nouveaux liens ?Nouveaux lieux, nouveaux liens : par la comprhension, laccompagnement et la protection, et lencouragement des tiers lieux qui tissent innovations sociales et territoires, il est possible de refonder les rapports entre parties prenantes. la cl ? La revitalisation du tissu local par un accompa-gnement de proximit impuls par les Fabriques des ter-ritoires, et la stimulation dun dialogue de performance sociale, vecteur de comptitivit retrouve. Un tmoignage recueilli pour terminer :

Les tiers lieux expriment la volont des citoyens de faire ou refaire socit ensemble .

Rien ne me semble plus vrai : davantage que le vivre en-semble, la gnration qui vient sera en effet celle du faire ensemble . Par une vritable politique publique des tiers lieux, il est possible dexplorer les modalits de cette nou-velle manire dtre au monde et de faire pousser les fers de lance de la Startup Nation dans les territoires.

Patrick Levy-WaitzPrsident de la Fondation Travailler Autrement

28 PROPOSITIONS POUR FAIRE DES TIERS LIEUX DES ACTEURS DE LA COHSION TERRITORIALE

Pour assurer un dveloppement dyna-mique et efficace des tiers lieux, la mission recommande de structurer la filire, de professionnaliser les tiers lieux, den-courager la dmarche dhybridation qui dcoule de la diversit des activits qui sy exercent, de simplifier et faciliter leur d-veloppement afin quils deviennent parte-naires de lacteur public dans les territoires. A cet effet, la mission a mis 28 proposi-tions dont 6 propositions principales qui constituent lossature du projet :

l Crer une structure nationale des tiers lieux, porteuse des actions de soutien ;

l Soutenir lmergence de 300 fabriques des territoires ;

l Adosser le mouvement un fonds damorage qui pourra tre abond par des fonds privs pour lancer le dispositif dac-clration ;

l Professionnaliser le mtier danimateur des tiers lieux ;

l Crer un fonds dinvestissement sociale-ment responsable (ISR) de 50 M pour aider la reconversion despaces en tiers lieux ;

l Favoriser la coordination public-priv en encourageant la mise disposition de lo-caux par les collectivits et en formant les agents publics aux tiers lieux.

RUBRIQUESous rubrique

TABLE DES

MATIRES

6 Mission Coworking : faire ensemble pour mieux vivre ensemble - Rapport 2018

Rapport 2018 - Mission Coworking : faire ensemble pour mieux vivre ensemble 7

IV. Tiers lieux hacktivateurs des territoires : quels impacts socio-conomiques ? ........... 78A. Impacts socio-conomiques ........................ 791) Le dveloppement de lactivit des utilisateurs ........ 802) Lincubation de nouvelles activits ..................... ..... 823) Laccompagnement au retour lemploi ................. 844) Les retombes conomiques pour le territoire ........ 855) La relocalisation de la production ............................ 87

B. Les tiers lieux, vecteurs de la transition cologique .............................................................. 881) Les tiers lieux et la mobilit ..................................... 892) Les tiers lieux fournissent des rponses lenjeu de durabilit des lieux ..................................................... 923) Les nouveaux usages dans les tiers lieux ............. 94

V. Quels modles conomiques dans les territoires ? .................................................. 98A. Des fragilits conomiques structurelles.................................................................................... 991) Le poids des dpenses lies limmobilier ............. 992) La difficult trouver des sources de revenus stables et suffisantes .............................................................. 993) Le cot de lanimation..............................................101

B. Des fragilits dont la forme et lintensit varient en fonction du type de tiers lieu ...... 1011) Le modle investisseur-exploitant .......................... 1022) Le modle exploitant non propritaire......................1043) Les tiers lieux publics ............................................. 106

C. Lenjeu de neutraliser le poids de limmobilier .......................................................... 1091) Limmobilier disponible ne manque pas ................. 1092) La mise disposition de locaux : un levier essentiel disposition des collectivits ........................................ 1093) Rduire le cot de limmobilier via des outils financiers ................................................................................... 110

D. Le tltravail, une source de revenus pour les tiers lieux ? .................................................... 1111) Encourager le tltravail en France ....................... 1122) Renforcer les liens entre tltravail et tiers lieux ... 1133) Tentative destimation du potentiel de tltravailleurs dans les territoires ..................................................... 115

INTRODUCTION ............................. 11I. Comprendre lge du faire ............................ 12A. Une modernit qui remodle nos territoires ... .................................................... 131) Travail et transformation du travail : les mutations sont nombreuses ................................................................. 142) Socit apprenante : je fais donc japprends .......... 223) Nouvelles aspirations socitales ............................ 24

B. ... qui invite changer de regard sur le d-veloppement conomique des territoires .... 261) Nouvelles manires de penser les ressources des territoires ..................................................................... 262) Favoriser lmergence de systmes dacteurs locaux pour rvler les ressources ......................................... 27

C. Les tiers lieux pivot du dveloppement territorial ? ............................................................... 28

II. Les tiers lieux, nouvelles fabriques du faire ensemble ..................................................... 30A. Diversit des appellations, convergence des aspirations ...................................................... 311) Les tiers lieux cest quoi ? Lexique .......................... 322) Trois exemples de typologies de tiers lieux ............ 36

B. Une rpartition gographique encore trs ingale ...................................................................... 381) Rpartition nationale des tiers lieux ......................... 382) Une zone demploi sur trois na pas de tiers lieu ! ... 42

C. Un cosystme encore dispers mais dont les rseaux rgionaux sont le centre de gra-vit ............................................................................. 491) Un cosystme qui se structure mais est encore dis-pers ............................................................................ 492) Une animation rgionale forte valeur ajoute mais encore peu soutenue ................................................... 56

III. Conditions de russite dun tiers lieu ........ 60A. Une communaut dynamique ....................... 611) Un lieu au service de la communaut ...................... 622) Une offre de services et doutils pour les membres de la communaut ............................................................ 63

B. Le rle essentiel des leaders ....................... 691) Le leader est dabord un entrepreneur ..................... 692) Les comptences pour faire vivre un tiers lieu ........ 69

C. Lancrage territorial .......................................... 711) Lancrage de proximit, le rle des petits tiers lieux ......................................................................................... 712) Des tiers lieux plus grands, animateurs du territoire .. 74

TABLE DES MATIRES

Professionnaliser les tiers lieux ........................ 172Recommandation n6 : Professionnaliser le mtier danima-teur de tiers lieux .................................................................. 172Recommandation n7 : Reconnaitre et valoriser la formation danimateur de tiers lieux ....................................................... 172Recommandation n8 : Encourager et acclrer la structura-tion de rseaux rgionaux de tiers lieux ............................... 172

Hybrider les activits ........................................ 173Recommandation n9 : Faire des tiers lieux la porte dentre de la numrisation des territoires .......................................... 173Recommandation n10 : Faire des tiers lieux un lieu de trans-mission et dapprentissage intergnrationnel ............ 173Recommandation n11 : Encourager la coordination entre les acteurs publics et les tiers lieux ................ 174Recommandation n12 : Soutenir les activits impact positif environnemental mises en uvre par les tiers lieux ........... 174

Simplifier et faciliter le dveloppement des tiers lieux dans les territoires ............................ 174Recommandation n13 : Mettre en place des outils qui faci-litent laccs limmobilier sur le long terme ........................ 174Recommandation n14 : Encourager la mise disposition de locaux par la collectivit ......................................................... 175Recommandation n15 : Encourager la location avec loyer progressif en fonction du chiffre daffaires ........................... 175Recommandation n16 : Allger les taxes sur les tiers lieux dutilit sociale ........................................................................ 175Recommandation n17 : Ddier des soutiens financiers au dveloppement et la consolidation des tiers lieux dans les territoires en difficult .............................................................. 176Recommandation n18 : Encourager la cration de fonds de dotation rgionaux ddis aux tiers lieux ............................. 176Recommandation n19 : Encourager laccs de certains pu-blics aux tiers lieux via des dispositifs dinclusion ................ 176

Oprer un changement culturel ......................... 176Recommandation n20 : Encourager la gouvernance parta-ge et les modles partenariaux .......................................... 176Recommandation n21 : Former les agents publics aux tiers lieux pour faciliter la coordination et encourager lentrepre-neuriat dans la fonction publique dtat et les collectivits ter-ritoriales pour crer des vocations danimateurs de tiers lieux.................................................................................................. 177Recommandation n22 : Mettre en place un systme de mentorat pour les projets de tiers lieux .................................. 177Recommandation n23 : Crer un rseau dlus ambassa-deurs sur les tiers lieux ........................................................... 177

Lever les freins au tltravail en tiers lieu ... 177Recommandation n24 : Dvelopper les incitations au tl-travail ....................................................................................... 177Recommandation n25 : Mettre en place des dispositifs de reconnaissance et de valorisation des tiers lieux pour rassurer les entreprises et les administrations (label, charte...) ........ 177Recommandation n26 : Envisager un rquilibrage de la fiscalit conomique au profit du territoire daccueil dutltravailleur ........................................................................... 178

8 Mission Coworking : faire ensemble pour mieux vivre ensemble - Rapport 2018

VI. Les enjeux pour russir le dveloppe-ment de tiers lieux crateurs de valeurs dans les territoires .................................................... 118A. Accompagner la professionnalisation .... 1191) Soutenir la cration dun mouvement national des tiers lieux ........................................................................... 1192) Crer une Acadmie des tiers lieux ........................ 1203) Elaborer des outils mutualiss ............................... 122

B. Favoriser lhybridation dactivits ............ 1251) Les tiers lieux, crateurs dactivits qui intressent les entreprises ................................................................. 1252) Souvrir des partenariats avec des services publics ........................................................................ 132

C. Adapter les formes juridiques une gouver-nance hybride et partage ............................. 1361) Les fragilits territoriales psent sur le modle cono-mique des tiers lieux et obligent une gouvernance par-tage ......................................................................... 1362) Quelles formes juridiques adaptes ? ................... 137

VII. Comment consolider et acclrer le dveloppement des tiers lieux ? ..............142A. Assurer lquit territoriale et lgalit rpublicaine... .................................................... 1431) Assurer lquit territoriale ..................................... 1442) Assurer lgalit rpublicaine ................................. 149

B. ...Par une mthode daction disruptive ... 1561) Accueillir avec bienveillance ces nouveaux acteurs ................................................................................... 1572) Privilgier une approche agile, dans la dure, fonde sur laccompagnement .............................................. 1603) Sappuyer sur lcosystme pour porter les actions nationales de soutien ................................................. 1614) Mobiliser des outils innovants ................................ 1625) Zoom sur les demandes dadaptation des normes ................................................................ 163

C. Faire autrement, un enjeu culturel pour notre pays ............................................................. 164

Recommandations de la mission ................. 168Structurer la filire ............................................ 169Recommandation n1 : Crer un mouvement national des tiers lieux porteur des actions de soutien ............................. 169Recommandation n2 : Soutenir lmergence de 300Fabriques des Territoires ....................................................... 169Recommandation n3 : Adosser le mouvement un fonds damorage pour lancer le dispositif dacclration .............. 171Recommandation n4 : Mettre en place un appel projets permanent pour accompagner dans la dure les porteurs de projets ...................................................................................... 171Recommandation n5 : Lancer un chantier de simplification des normes pour les tiers lieux ............................................. 171

Recommandation n27 : Dvelopper des outils dobservation des nouvelles formes de travail (travail distance, tltravail), de leurs impacts dans les territoires et des besoins qui en sont issus ......................................................................................... 178Recommandation n28 : Crer une instance dvaluation du dispositif ................................................................................... 178Conclusion : Faire des tiers lieux un partenaire de lacteur public dans les territoires ....................................................... 178

Annexes ................................................ 179Lettre de mission ............................................... 180

Remerciements .................................................. 182

Liste des acteurs rencontrs ........................ 184

Synthse de la consultation publique ......... 200

Dossier cartographique ................................... 212

Monographies ...................................................... 254

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Rapport 2018 - Mission Coworking : faire ensemble pour mieux vivre ensemble 11

RELEVER LE DFI DES TIERS LIEUX OU COMMENT METTRE FIN AU DOUBLE ABANDON DES TERRITOIRES

Cest travers le prisme du dveloppement de tous les ter-ritoires quil faut apprhender lenjeu des tiers lieux. Garder les yeux rivs sur les villes voire sur la mtropole pari-sienne serait sengouffrer plus loin encore dans limpasse de la fracture territoriale, dplore par tous, depuis des d-cennies. Pour autant, quelles solutions ont t rellement mises en place ?

Les territoires ont t laisss leur sort de dommages col-latraux de la mondialisation. Ils ont vu, impuissants, leurs industries se dlocaliser et leurs activits reculer. Quont-ils reu en contrepartie ? Des promesses, des espoirs. Depuis quinze ans, la digitalisation, les autoroutes de linformation, sont sur toutes les lvres. Pourtant, en 2017, le taux de raccordement la fibre optique est infrieur 25 % pour 80 % des dpartements franais. Il est mme infrieur 10 % pour la moiti dentre eux ! Et seule une personne sur deux a accs au trs haut dbit. carts des nouveaux modles conomiques, laisss pour compte de la Rpublique, qui na pas su tenir sa promesse dquit territoriale, les territoires se sont trouvs doublement abandonns.

Face ce constat, Julien Denormandie, Secrtaire dtat auprs du Ministre de la Cohsion des Territoires, entend passer dun schma de bonne volont une logique dengagements contraignants 1. Laccord historique pass dbut 2018 entre le gouvernement, lArcep 2 et les opra-teurs va dans ce sens. Il prvoit dici 2020 la gnralisation dune couverture mobile de qualit et doffrir le haut dbit tous (un dbit minimum de 8 mgabits par seconde). Le trs haut dbit (un dbit minimum de 30 mgabits par seconde) devra tre gnralis en 2022, conformment lengagement pris par le Plan France Trs Haut Dbit ds 2013. Pour rappel, ce plan avait t pens comme un pro-jet dcentralis, sinscrivant dans une stratgie nationale, et mobilisant lensemble des acteurs du secteur, privs et pu-blics, pour le dploiement des nouveaux rseaux trs haut dbit sur lensemble du territoire. Il mobilise un investisse-ment de 20 milliards deuros en dix ans, partag entre les collectivits territoriales, ltat et les oprateurs privs.

Aujourdhui, le phnomne des tiers lieux, conjugu cette volont de fournir lintgralit du territoire une couverture Trs Haut Dbit, nous donne lopportunit de rsorber la fracture numrique, de valoriser et de revitaliser nos terri-toires, en crant les conditions favorables une activit nouvelle et hybride. Il faut nanmoins que nous ayons la volont daccompagner cette impulsion. Dans une socit lvolution parfois trop fluide et trop rapide pour tre saisie, ne pas donner aux territoires les moyens de soutenir cette dynamique les condamnerait nouveau.

Fort de ces potentialits, les questions auxquelles ce rap-port tche de rpondre sont donc les suivantes : comment les tiers lieux peuvent-ils crer de lactivit sur les territoires ? Comment les y aider ? Quels sont les modles prennes ? Les conditions ncessaires laccompagnement dune im-pulsion de terrain ? Pour quels impacts conomiques et so-ciaux tangibles ? Et enfin, quel rle pour lacteur public dans un contexte et sur un objet indit ? Un soutien pens en fonction des spcificits des territoires est essentiel la russite de ces nouveaux lieux car ce qui est vident pour les mtropoles ne lest pas en dehors. Dans ces dernires, un vritable march immobilier sest construit autour des tiers lieux et des espaces de coworking. Dans les zones rurales et pri-urbaines ou encore dans les petites agglomrations, le march nest pas vident et la question nest pas celle de limmobilier. Avant de disposer dun lieu, il faut un projet et des gens pour le porter. Il y a donc nces-sit de crer un environnement favorable pour les entrepre-neurs, acteurs et crateurs de lieux et dactivits. Pour ltat, un accompagnement stratgique et efficace de ces nouveaux lieux sur les territoires constituerait une tape cl pour atteindre lobjectif dquit territoriale et dgalit r-publicaine. Aprs le vivre-ensemble , concept aujourdhui vid de sa substance pour la plupart de nos concitoyens, il est temps de btir la socit du faire-ensemble , en don-nant chacun et chacune le pouvoir de mener bien des projets. De produire. Dinventer. Dinnover. Cest ces en-jeux que ce rapport, fruit de plus de 500 rencontres avec des acteurs concerns, et dun tour de France de plusieurs mil-liers de kilomtres parcourus en six mois, tente de rpondre._______________________________________________________________ 1) Le gouvernement dtaille son plan pour acclrer la couverture en trs haut dbit. Le Monde 26/09/2017. 2) Autorit de rgulation des communications lectroniques et des postes.

INTRODUCTION

12 Mission Coworking : faire ensemble pour mieux vivre ensemble - Rapport 2018

I. COMPRENDRE LGE DU FAIRE

Rapport 2018 - Mission Coworking : faire ensemble pour mieux vivre ensemble 13

Nous sommes confronts du fait de la mutation numrique un changement de temps et despace qui rend caduque de nombreux repres ayant balis depuis des sicles la vie de notre socit, base sur la logique, a priori immuable, dunit de temps et de lieu. La gnralisation de la dmatrialisation, du Trs haut dbit, du cloud ou de linternet mobile ont boulevers le mouvement en cours, dclenchant une vritable acclration dans lacclration , laquelle collectivits et citoyens doivent rpondre. Nous entrons dans une nouvelle dimension, marque par un nomadisme croissant et lmergence dune vritable ubiquit numrique. Nous renouons avec un prcepte cher Aristote la richesse consiste bien plus dans lusage que dans la possession . Nous passons progressivement dune socit de la proprit une socit des usages, ce qui se vrifie galement dans le numrique avec le dveloppement du cloud, des applications SAS ou destines aux mobiles. 3_______________________________________________________________________________________________ 3) Propos recueillis dans le cadre de la contribution de lAssociation des Petites Villes de France (APVF) la mission.

A. UNE MODERNIT QUI REMODLE NOS TERRITOIRES

Comprendre les tiers lieux, agir avec les tiers lieux, en faire un outil puissant et indit de dveloppement des territoires, ncessite de sinterroger sur les transformations socitales en cours. Le temps pass raliser cette mission nous a confirms, sil en tait encore besoin, que derrire lengoue-ment que suscitent les tiers lieux, se joue une transformation majeure concernant notre rapport au travail, la sociabilit et au territoire. Les tiers lieux, dans leur diversit, portent, incarnent, insuf-flent une modernit pleine de promesses. Il est certaine-ment trop tt pour en apprhender toutes les facettes. De nombreuses tudes montrent dailleurs bien que la moiti des mtiers de demain ne sont pas encore connus. Mais nous avons la certitude quils sont appels devenir un dis-positif absolument stratgique pour repenser et relocaliser la cration dactivits dans nos territoires. Mlant capacits dinitiatives entrepreneuriales et utilit so-ciale, les tiers lieux possdent une aptitude hors norme transformer en projets collectifs les questions socitales les plus diverses. Au-del de cette capacit crer de lactivi-t et de la valeur, les tiers lieux portent une promesse de dmocratisation continue et pragmatique de la socit qui nous permettrait de rpondre aux problmatiques soule-ves par la fracture territoriale , thme approximatif mais ayant le mrite de soulever des enjeux cruciaux, notamment loccasion de chaque nouvelle lection.Lieux de confluences et de transformations des volutions socitales les plus importantes, dispositifs dactivation co-nomique sinscrivant dans une approche renouvele et plus raliste du dveloppement territorial, les tiers lieux pour-raient ainsi devenir la manifestation concrte dune nouvelle manire dapprhender le territoire et son amnagement . Ils offrent notamment aux acteurs publics une opportunit de repenser leur rle et daller vers une plus grande efficacit.

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1) Travail et transformation du travail : les mutations sont nombreuses

Jusqu rcemment, le monde professionnel obissait aux mmes principes que le thtre classique : unit de lieu, de temps et daction. Les technologies et les nouveaux usages quelles ont provoqus ont port un coup fatal cette rgle.

La numrisation, les technologies modernes de linfor-mation et de la communication et la digitalisation de lconomie ont rendu possible le travail distance. Do-cuments dmatrialiss, visioconfrences, cloud, outils col-laboratifs, plateformes dchange, missions via plateforme (de micro-tches tout comme de tches valeur ajoute), etc. Les solutions sont nombreuses pour permettre une pro-ductivit pleine et complte depuis un endroit distant et ce, notamment dans les mtiers o la production est immat-rielle (documents, dcision, runions, code informatique, etc.). Ces transformations ont galement acclr la diffu-sion de nouvelles formes de travail. Ces dernires se carac-trisent par leur mode collaboratif et pluriel. La russite dun projet rsulte plus de la capacit des acteurs se mobiliser et se coordonner de manire fluide et continue que du res-pect des relations hirarchiques et de la russite de contrats de sous-traitance ou de partenariat.

Cette configuration indite saccompagne dune lente dsinstitutionnalisation de lentreprise. Cette der-nire volue dsormais de plus en plus comme une com-munaut de projets, qui dporte la capacit productive de lentreprise sur lindividu, pour mieux devenir un en-semble actif organis en plateformes, sans cesse en re-composition. Jadis structure fixe, notamment dans son rapport la production, lentreprise se dploie comme un cosystme, immerg dans des rseaux dont elle tire de la puissance. Pour reprendre un aphorisme c-lbre : La valeur dun produit ne dpend plus de ce quil est, mais du nombre dadeptes quil fdre 4.

_______________________________________________________________ 4) cf. Lge de la multitude, entreprendre et gouverner aprs la rvolution numrique, Nicolas Colin, Henri Verdier, Armand Colin, 2015.

Rapport 2018 - Mission Coworking : faire ensemble pour mieux vivre ensemble 15

Cette dynamique saccompagne de formes trs avances de fragmentation et dexternalisation de la production de biens et de services, dont la manifestation la plus vidente est la dsalarisation . Le phnomne est complexe et il est au moins autant subi que choisi. Il semble nanmoins vident que les jeunes gnrations ne veulent plus du travail tel que leurs parents lont connu. Avec leurs as-pirations un vritable quilibre de vie, leur besoin de sens et de projets professionnels stimulants, leur capacit faire deux choses en mme temps tout en restant connects, les digital natives achvent de faire voler en clats un modle souvent dcrit comme bout de souffle. Fini le modle descendant, lautorit sans lgitimit, les batailles idologiques, les chapelles et lopacit des dcisions prises par un petit cercle dtenant tous les pouvoirs. Depuis son arrive sur les crans, le Web 2.0 sest immisc dans les mentalits et les comportements avec son modle de plate-forme et sa philosophie galitaire, collaborative, multicontri-butive, transversale, interactive. Le malentendu entre les jeunes et lentreprise est total , constate le sociologue Alain Mergier.5 En effet, quand on les sonde, 70 % des digital natives (18-30 ans) se verraient bien indpendants et seulement 7 % dentre eux se voient travailler dans des bureaux classiques 6. Sachant quils reprsenteront plus de la moiti des actifs dici 5 ans, la rvolution ne fait que com-mencer, mme si elle a dj t srieusement amorce par leurs ains. La numrisation de lconomie pousse une dcon-centration des activits (tltravail, tiers lieux, etc.) et donc un rquilibrage dmographique. Ces deux dernires annes, prs de 50 000 personnes ont quitt Paris et ce que lon dcouvre, cest que la taille dune ville naura plus forcment de rapport avec

_______________________________________________________________5) Le malentendu entre les jeunes et lentreprise est total : interview dAlain Mergier / Foulon, Sandrine in Liaisons sociales magazine, n108 (Dcembre 2009)6) Deloitte & Essec, dans Le coworking Paris et en Ile de France Portrait dun acteur qui monte Arthur Loyd (1er rseau national de conseil en immobilier dentreprise) juillet 2017

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quaux modalits de contractualisation. Il convient toutefois de nuancer ces points de vue par la ralit des chiffres.____________________________________________________________7) Propos recueillis dans le cadre de la mission 8) Ottmann & Felio, 20169) Emploi et questions sociales dans le monde: Des modalits demploi en pleine mutation. Organisation internationale du travail (OIT), 201510) En 2015, plus de 2,3 millions de travailleurs franais cumulent plusieurs activits professionnelles (Barbara, 2015). BARBARA E., 2015, Le droit du travail laune de la rvolution numrique , dans Socital 2016. #Numrique et Emploi : Lost in Transition ?, Bakhshi, p. 72 81.12) Malaise dans la dmocratie. JeanPierre Le Goff, Stock 2015.

les activits qui sy installent souligne Jean-Franois Cesarini, dput du Vaucluse 7.Ce sont donc plusieurs millions dactifs dont les condi-tions de travail vont changer dans les deux prochaines dcennies et quil va falloir accueillir autrement que dans des bureaux ou des usines. La question des futurs lieux de travail est dores et dj un casse-tte pour tous ceux qui rflchissent lvolution du travail en France. Elle ne soulve pas que des enjeux damnagement, au demeurant fondamentaux, mais aussi de localisation : dans un monde en rseau, fortement marqu par le nomadisme (gographique et professionnel), o faudra-t-il installer ces nouveaux lieux de travail ? Qui va dcider de leur implanta-tion ? A qui appartiendront-ils ?

volution du travail indpendantLa crise du march de lemploi ainsi que lavnement de lconomie du partage et de la digitalisation des sphres sociales et professionnelles contribuent lapparition, sinon la monte en puissance, de formes demploi alternatives 8. Ds 2015, un rapport de lOrganisation Internationale du Travail (OIT) souligne que le CDI temps plein, en tant que contrat classique absolu, fait rfrence une rali-t de plus en plus rare 9. En plus de leurs dj nombreux CDD et autres contrats intrimaires, les travailleurs indpen-dants, en freelance, consultants en portage salarial, jobbers et autres multiactifs 10, semblent de plus en plus prsents dans les secteurs dactivit. Pour Le Goff (2016) 12, cest un vritable ragencement souterrain du march de lemploi et cette recomposition laisse prsager une mutation majeure du rapport lactivit, aux relations professionnelles, ainsi

Emplois indpendants en France de 1989 2014

Rapport 2018 - Mission Coworking : faire ensemble pour mieux vivre ensemble 17

Lemploi indpendant reprsente actuellement environ 10 % de lemploi en France soit 2,6 millions de per-sonnes. Lvolution a t qualitative autant que quan-titative. La diminution du nombre dindpendants de 1989 2000 sexplique essentiellement par leffondrement du nombre dindpendants dans le secteur agricole (leur ef-fectif a t divis par deux), tandis que laugmentation des effectifs de 2001 2016 sest concentre dans le secteur tertiaire marchand en valeur absolue (+ 399 000 personnes, soit +39 %) et le secteur tertiaire non marchand en propor-tion (+ 221 000 personnes, soit +690 %). La lgre diminu-tion du nombre total dindpendants entre 1989 et 2016 camoufle donc en ralit deux priodes distinctes (une de dcroissance et une de croissance) ainsi quun changement significatif de la structure de la population 14. Cette tertia-risation constate nous intresse dautant plus quelle est bien plus mme dtre localise dans des tiers lieux ru-raux ou de petites villes, notamment grce aux possibilits offertes par la technologie._______________________________________________________________13) Source INSEE en milliers (n) : donnes provisoires14) Lvolution des formes demploi. Rapport du Conseil dorientation pour lemploi (COE), 2014

Dans le cas de la France, il convient dinsister sur la particu-larit du statut dautoentrepreneur parmi la diversit de sta-tuts existants. Laugmentation du nombre dindpendants partir de 2009, soit un an aprs la cration de ce statut, le dmontre. La flexibilit et la facilit qui y sont associes ont favoris un usage diversifi - tant linitiative des travailleurs que des employeurs 16. Toute rflexion sur le statut ou la catgorie dindpen-dants en France doit donc ncessairement prendre en compte (ou exclure explicitement, mais cela semble difficile) les particularits de lautoentrepreneuriat 17 Selon Charles Alexandre, prsident dAuto-entrepreneur.fr : 10 ans aprs sa cration, lauto-entrepreneuriat sest dsormais impos en France comme une des rponses crdibles aux diverses ralits que traversent lindividu dans ces moments de vie professionnelle : que lon soit tudiants, jeunes actifs, re-traits, en reconversion, ou crateurs souhaitant tester son projet...cest un vritable tremplin vers lentrepreneuriat pour tous ! _______________________________________________________________15) Source INSEE en milliers (n) : donnes provisoires16) Abdelnour, 201217) Cest ce que fait lINSEE en ne comptabilisant que ceux qui sont actifs conomiquement , rduisant ainsi leur nombre moins de 500 000, par rapport environ 911 000 immatriculs au total la fin 2013 (ACOSS, 2014).

Emploi non salari en France par secteur dactivit de 2011 2016 15

18 Mission Coworking : faire ensemble pour mieux vivre ensemble - Rapport 2018

Malgr ces incertitudes, la plupart des observateurs sac-cordent pour dire que la France connait une augmentation sensible du nombre de tltravailleurs. Le recours de plus en plus frquent au travail distance ou des formes de travail nomade opre une transformation profonde de lor-ganisation du travail dans les entreprises, notamment dans le secteur tertiaire, et plus particulirement le secteur des TIC (Technologies de lInformation et de la Communication) et celui des services. En termes de populations, ce sont les cadres qui le pratiquent le plus.

Au niveau de la loi, le tltravail fait son entre officielle dans le Code du travail en 2012 20. Dsormais droit opposable de-puis les rcentes ordonnances du 23 septembre 2017 21, il prfigure une rvolution managriale et culturelle venir. Si lon considre laugmentation du nombre dactifs concerns et de la dure hebdomadaire de travail dis-tance, ce sont potentiellement plusieurs millions de per-sonnes dont la prsence va tre renforce ou maintenue dans les territoires extra-mtropolitains. A terme, limpact territorial de ces volutions pourrait tre considrable.

_______________________________________________________________ 20) Article L. 12229 du Code du Travail : le tltravail dsigne toute forme dorganisation du travail dans laquelle un travail qui aurait galement pu tre excut dans les locaux de lemployeur est effectu par un salari hors de ces locaux de faon rgulire et volontaire en utilisant les technologies de linformation dans le cadre dun contrat de travail ou dun avenant celuici 21) Ord. n 20171387, art. 24, I du 23 septembre 201722) http://www.primante3d.com/inventeur/

Tltravail/travail nomadeLa ralit du tltravail en France est encore difficile ap-prhender. Le pourcentage de tltravailleurs varie norm-ment en fonction des sources (tudes statistiques, analyse des accords, enqutes menes auprs des bnficiaires), de lchantillon examin et de la dfinition donne au t-ltravail (travail distance, travail itinrant, travail nomade ou tltravail officiel , cadr par un accord dentreprise ou une charte). Pendant longtemps, le tltravail non offi-ciel (tltravail en labsence dun avenant au contrat de tra-vail, tltravail occasionnel) na pas t comptabilis dans les analyses, crant de gros carts entre les analyses : la proportion de tltravail encadr par un accord dentreprise varie selon les analyses de 2 % 6 % tan-dis que les enqutes incluant toutes les formes de t-ltravail annoncent des chiffres pouvant aller jusqu 17 % 19.

_______________________________________________________________ 18) Omalek et Rioux, 201519) OBERGO, observatoire des conditions de travail et du tltravail, affirmait en 2016 : Les entreprises restent toujours frileuses sur le tltravail qui se dveloppe malheureusement moins vite que ne le disent les chiffres officiels malgr la forte demande des salaris. Le taux moyen rel de tltravailleurs est bien infrieur aux chiffres officiels . Lenqute 2015/2016 dOBERGO permet destimer que le taux rel de tltravailleurs en France (ensemble des secteurs dactivits) est plus prs de 2 % que de 16 %. Bruno Mettling estimait lui en 2015, dans son rapport au gouvernement Transformation numrique et vie au travail quen prenant en compte toutes les formes de tltravail, cest 17 % des salaris franais qui seraient concerns par le tltravail. LEnqute nationale Tour de France du tltravail en 2013 ralise par LBMG Worklabs, Neo nomade, Openscop et Zevillage arrivait aux mmes chiffres. Une rcente tude mene en 2018 par Malakoff Mdric parle dune pratique dj largement rpandue, majoritairement de manire non contractualise . Le tltravail contractualis ne concernerait que 6 % des salaris, alors que 19 % des salaris travaillent distance de faon informelle et non contractualise.

volution du revenu moyen et des effectifs des indpendants entre

2006 et 2011 18

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Le besoin de nouveaux lieux pour accueillir des actifs indpendants ou nomadesLe bureau nest plus le rceptacle exclusif du travail au-jourdhui. Inspirs par lexemple des stars de la Silicon Valley et lesprit des startup, stimuls par les besoins des indpen-dants et des travailleurs nomades, les cabinets de conseils et les entreprises explorent de nouvelles manires de tra-vailler et adaptent leurs environnements de travail aux be-soins des organisations et aux aspirations des travailleurs. On voit apparaitre le Flex desk et se dvelopper des open spaces de plus en plus colors et sophistiqus, avec des bulles pour sisoler et des espaces de convivialit qui font rfrence la place du village et favorisent les changes informels et la circulation des ides. Le New way of Working est en marche tandis que les mots de la vie prive font leur entre dans le lexique professionnel : bien-tre, qualit de vie au travail, motion, psychologie, plaisir, bonheur

Un mouvement de relocalisation de la productionAu-del des aspects pratiques qui en rsultent et du carac-tre dispers de lancrage des entreprises aux territoires, une configuration tout fait indite se dveloppe : pour la premire fois dans lhistoire du capitalisme, une ds-accu-mulation du capital intervient puisquil est dsormais co-nomiquement possible de produire plus, ou mieux, cots faibles.

Laproductionflexibleetlejuste--tempsntantplusdesproductionsdemasse,maisdeplusenpluslade-mande et personnalises, elles peuvent tre dcentrali-ses et rapproches des consommateurs. Des alterna-tiveslindustriedemassesemettentenplaceaveclaproductionlademandeetlescapacitsdautoproduc-tion apportes par le numrique, comme dun nouvel artisanat avec les Fab Labs et les imprimantes 3D. On nenestquauxbalbutiements,maislaproductionrel-lement sur place de toutes sortes dobjets ou de pices dtaches est une voie de sortie de lindustrie qui a de lavenir. Cela va permettre de faciliter la cration dob-jets uniques ou en faible quantit (petite srie). Pour les objets de plus grande taille, il peut y avoir aussi des machines plus imposantes permettant de rapatrier une partiedelaproductionlademandeaucurmmedela ville. 22 Cela permet de construire des objets de natures varies comme des outils, des pices dtaches, mais aussi des vtements, des livres, des objets de dcoration, etc. Qui sait ce titre, que cest un franais, Alain le Mehaut, et deux de ses collgues, que nous devons le premier brevet dim-

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primante 3D ? La production de valeur commence se pen-ser et sorganiser comme un assemblage de comptences au-del du lieu de travail unique. Pour de nombreux obser-vateurs, on assisterait une vritable dcentralisation de la production et son retour dans les territoires. Les entreprises y dveloppent des rseaux de production et de rparation de proximit et empruntent diverses approches conomiques : conomie de la fonctionnalit, conomie circulaire, cono-mie collaborative, etc.Ce qui paraissait relever exclusivement dune sorte de capi-talisme cognitif (conomie de la connaissance, etc.) connait en ralit des traductions concrtes et matrielles. Un mouvement de localisation de la production est en train de samorcer, dont doivent bnficier les territoires en manque dactivits.

Un exemple : la fabrication additiveLa fabrication additive dsigne lensemble des procds permettant de fabriquer, par ajout de matire, un objet phy-sique partir dun objet numrique. Le potentiel des tech-nologies de fabrication additive, en termes de personnalisa-tion des objets et de rduction de limpact environnemental, est considrable. Sur le plan conomique, elle permet une rduction des cots et des dlais de ralisation de pro-totypes et de pices de petite srie ; la fabrication directe : suppression de la phase dassemblage ; une meilleure ges-tion des obsolescences et ruptures dapprovisionnement dans le SAV ; un allgement des structures : rduction de la consommation nergtique 24.La DGE et le CGET ont publi en 2016 un rapport pros-pectif sur la question. Pour ses auteurs, lintroduction de la fabrication additive dans le monde du commerce de d-tail et le grand public a provoqu une vritable remise en question de lapprovisionnement, la commercialisation des produits ou encore la valorisation de leur cration. Face un consommateur toujours plus exigeant et toujours plus pres-s, lenjeu de la fabrication additive dans les services et le commerce de dtail est double : tre capable de proposer rapidement des solutions personnalises et dmocrati-serlaccsauxmachinesetauxtechniquesdefabrica-tion,jusque-lrservauxprofessionnels25.______________________________________________________________24) Rapport de prospective Futur de la fabrication additive, 2016. Pilot par le CGET et DGE en collaboration avec lObservatoire de la plasturgie, le Syndicat franais de lindustrie cimentire, Aluminium France, lAlliance des minerais, minraux et mtaux, la Fdration forge fonderie.25) Ibid.

La fabrication additive a le potentiel de modifier les changes et les relations traditionnelles entre le producteur et le consommateur. Lutilisateur devient la fois producteur et consommateur lorsque les systmes de production se relocalisent dans les locaux du consommateur. On assiste ainsi une vritable redistribution de la valeur ajoute tout au long de la chane de production et de la chane logistique.Il en rsulte des opportunits en termes de relocalisation ou de dcentralisation de la production manufacturire ainsi que des mutations conomiques anticiper dsormais dans le cadre des stratgies de dveloppement conomique et dinnovation des collectivits territoriales.

Entre une offre technologique et la massification de son usage par les particuliers, le rapport pointe le besoin de disposer dintermdiaires, hommes et dispositifs, capables dutiliser les machines, disposant dun espace suffisant, dots de ncessaires briques technologiques complmen-taires. Lexigence dintermdiation repose aussi sur un besoin didentification des comptences et des moyens disponibles dans les diffrents territoires. Essentiels lta-blissement de cooprations renforces entre les acteurs, ils permettent de rduire le cot daccs ces technologies. Lmergence des technologies de fabrication additive favo-rise ainsi de nouvelles initiatives collaboratives qui appellent la cration despaces de rencontres et de partages (comme les Fab Labs) au plus proche des nouveaux usages et des besoins locaux. Ces lieux doivent permettre daccompagner lvolution des mthodologies de conception et des comp-tences et den assurer la diffusion au sein de lcosystme industriel. Et le rapport de conclure : Il devient aujourdhui ncessaire de coordonner lmergence et lorganisation de ces diffrentes initiatives et de compter les spcificits de chaque cosystme dans la gestion des politiques de sou-tien qui leur sont destines 26.

LADEME confirme cette approche dans une rcente tude publie en juin 2017 : les espaces de fabrication numrique comme les Fab labs pourraient trouver un modle daffaires dans limpression 3D pour la rpara-tion 27. Jusque-l davantage tourns vers la cration que vers la production et la rparation, ces espaces pourraient tirer profit dune activit de rparation. Certains espaces defabricationnumriquesontlarecherchedunmo-dle conomique et surtout de sources de revenus et cherchentdiminuerleurdpendanceauxsubventionspubliques. lheure actuelle, le dveloppement dune offresurlarparationparfabricationnumriquenestpas une priorit pour ces acteurs qui se focalisent sur la cration de biens ou artistique, mais pourrait deve-nir rentable si les pratiques se dveloppaient , explique lAdeme._______________________________________________________________ 26) Ibid. p. 149.27) Encourager la rparation via lutilisation de limpression 3D et des espaces de fabrication numrique, 2017. JAN O, CHATEAU D, PERNOT P, BEURET P, KUCH P, LOUBIERE M, MACCARIO F.

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UN AUTRE EXEMPLE DE RELOCALISATION : LES CIRCUITS COURTSLa dfinition officielle donne par le Ministre de lAlimentation, de lAgriculture et de la Pche, considre comme un circuit court un mode de commercialisation des produits agricoles qui sexerce soit par la vente directe du producteur au consommateur, soit par la vente indirecte, condition quil ny ait quun seul intermdiaire . En France, les achats faits en circuit court reprsentent en 2010, 6 7 % des achats alimentaires daprs lAdeme. Pour lAgence, ces circuits courts sont aujourdhui une opportunit conomique non ngligeable que ce soit pour le producteur (scurisation de son modle conomique), le consommateur (prix ajust au cot rel) ou un territoire (cration demplois locaux) 28 . Selon le Recen-sement agricole de 2010, 21 % des agriculteurs franais vendent tout ou partie de leur production en circuits courts. Si la vente directe se dveloppe, elle ne reprsente encore que 12 % de la valeur des ventes en France. En agriculture biologique, la vente directe est particulirement dveloppe : plus dun producteur bio sur deux vend en direct au consommateur au moins une partie de sa production. Mais la notion de circuit court investit dautres domaines dactivit : ainsi la fabrication et la distribution de matriaux (terre, chanvre, ardoise, chaux, carrires locales et.) En particulier pour la restauration du patrimoine bti. Les enjeux du dveloppement durable voqus notamment en France lors du Grenelle de lenvironnement ont raviv lintrt et lurgence de la problmatique des circuits courts dans la rvision ncessaire des modes de production et de consommation.

La grande distribution, symbole dune production industrielle de masse, est en train dvoluer et modifie sa politique des achats. Carrefour annonce quaujourdhui, en moyenne, chaque hypermarch travaille avec une centaine de producteurs locaux.______________________________________________________28) Les circuits courts alimentaires de proximit. Les avis de lADEME. ADEME , 2012.

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I. COMPRENDRE LGE DU FAIREA. Une modernit qui remodle nos territoires...

Dans une socit apprenante, chaque individu doit pouvoir, son niveau, construire et partager ses connaissances et ses dcouvertes avec les autres, documenter ses appren-tissages, disposer des ressources, des lieux et des accom-pagnements ncessaires pour progresser, mais aussi pour permettre dautres de sen inspirer et damliorer leurs pra-tiques. La possibilit dapprendre en tous lieux et tout mo-ment sur presque tous les sujets et la facilit actuelle pro-duire, collecter, partager et analyser des donnes en masse taient encore inimaginables il y a une gnration. La vague numrique est venue bouleverser un grand nombre de nos repres, particulirement dans le monde de lducation et de la formation.

l Valoriser le faire, apprendre en faisant : deux ap-proches qui bouleversent nos ides sur lapprentissage et donc sur lchec scolaire. Il y a l les ferments dune nouvelle galit des chances, pour des jeunes d-crocheurs notamment, que notre actuelle organisa-tion sociale a compltement dlaisss.

2) Socit apprenante : je fais donc japprends Dans un contexte dacclration des transformations tech-nologiques et conomiques (conomie de la connaissance, capitalisme cognitif), dvolution profonde de notre rapport lactivit (changement plus frquent, besoin de valoriser les comptences personnelles et les savoir-faire coopra-tifs) et daspiration sociale des formes de ralisation per-sonnelle, de partage et de renforcement de la citoyennet, notre rapport aux savoirs et la formation volue. Franois Taddei, auteur de plusieurs livres et rapports sur le sujet, parle de socit apprenante . Il qualifie ainsi le phnomne global de transformation de notre rapport aux savoirs et leurs transmissions. Ses travaux, bien des gards, font cho lmergence dune socit du faire et la cration de vritables communs sous limpulsion de com-munauts ouvertes et collaboratives.

Deux ides majeures en rsultent :l La notion dorganisation apprenante nous oblige penser lapprentissage comme un phnomne collec-tif, continu, adaptatif Au niveau de lindividu, elle fait cho aux notions se rapportant lapprentissage tout au long de la vie.

l La transformation des types de savoirs et des mo-des de transmission : aprs avoir longtemps privilgi les connaissances, lapprentissage met en valeur les savoirs rsultants de pratiques empiriques : le faire devient essentiel, comme source de savoir et comme mode dapprentissage (learning by doing).

Le tiers lieu, cest la rencontre du faire et de lintellect : ce nest pas seulement penser ensemble, cest faire des choses ensemble . Responsable dun tiers lieu rural

Il faut miser sur les nouvelles mthodes dapprentissage pour offrir aux dcrocheurs de nouvelles perspectives. Les tiers lieux doivent devenir des espaces pour ces nouvelles mthodes, cest l que se trouvent des gens capables de se les approprier dans tous les territoires, y compris ruraux . Responsable de tiers lieu rural

Rapport 2018 - Mission Coworking : faire ensemble pour mieux vivre ensemble 23

Franois Taddei propose ainsi de dployer des Tiers lieux numriques pour co-construire des questionnements, des problmatiques, des mthodes pdagogiques, des contenus, des publications, des outils numriques ou des recherches participatives, dans un esprit de partage et de productions collectives de communs (sous licence creative commons) 29. Ces tiers lieux numriques seraient des leviers pour permettre le dveloppement de la capacit de questionnement et de rflexivit chez tous les citoyens et dans toutes les organisations. Apprendre apprendre, interroger et interprter, plutt qu consommer nave-ment les informations disponibles. Dans cette perspec-tive, la fonction du matre, du formateur ou de lducateur passe du professeur ex cathedra, qui transmet un contenu fig de connaissances, celle dun guide ou dun mentor, qui oriente et accompagne, avec sollicitude et bienveillance, le cheminement de lapprenant et laide progresser. Ainsi, cest bien une culture de la confiance, de la libert et du mentorat bienveillant quil faut dvelopper. Lenjeu est donc autant culturel que matriel, mme sil implique que soient galement mis en place des cadres techniques, thiques et juridiques scurisants et facilitateurs. _______________________________________________________________ 29) Vers une socit apprenante , Franois Taddei ministre de lducation nationale. 2017.

Un changement majeur est en cours qui va bousculer nombre dhabitudes, dont la tradition dorganisation hi-rarchique quotidiennement observe dans ladministration et beaucoup dentreprises. Simposent les principes dune vision partage et dune logique de dveloppement profes-sionnel, daccompagnement du changement et de la convic-tion par lchange. Au lieu de relations verticales sinscrivant dans une pyramide de dcideurs, les rapports sont structu-rs en rseaux dont certains des acteurs ne sont pas des suprieurs mais des points nodaux. Ces Hubs inte-ragissent avec nombre dautres acteurs de la socit de la connaissance et ils contribuent partager les ides et les pratiques.

Au-del de ces changements, la socit apprenante en-gage un vritable mouvement de dconcentration des lieux de savoirs et dapprentissage sur lensemble du territoire. Bnficiant simultanment des possibilits de formation et dapprentissage distance et de la revalorisation de savoirs empiriques jusque-l moins bien considrs que les savoirs acadmiques, les territoires ont lopportunit de relocali-ser des services que les grandes villes avaient tendance concentrer. Et quand lon sait limportance du lien entre formation/apprentissage et lieu dhabitation et de travail, on peut imaginer, comme pour le travail distance ou le travail des indpendants, un mouvement de d-mtropolisation suffisamment significatif pour quil insuffle de lactivit dans les territoires.

Il y a bien dautres lieux et mthodes de formation que les mga fac ou les coles dans les grandes villes. On va redcouvrir la formation sur place, en proximit, par le Faire . Pour les gens qui souhaitent rester sur place ou qui dcrochent cest norme, car pour un dcrocheur, il ne suffit plus daller en ville pour trouver du boulot. On va sapercevoir quil ya plein de gens qui vont se remettre faire des choses . Animatrice fab lab

3) Nouvelles aspirations socitales

Les projections socio-conomiques voques ci-dessus nous semblent dautant plus significatives quelles font cho des aspirations socitales dbordant le strict cadre du tra-vail et de ses volutions. titre dillustration, citons-en trois ayant une forte dimension territoriale :

l Vivre la campagne : tre propritaire de sa maison, vivre en proximit avec la nature, ne pas perdre de temps dans les transports Laspiration un cadre de vie moins urbain et la rduction des dplacements est majoritai-rement confirme par toutes les enqutes ou sondages disponibles. Ce sont, chaque fois, prs des deux tiers des franais qui se disent attirs par ce mode de vie. Ce qui, jusque-l, restait plutt lettre morte est peut-tre en train de se concrtiser. La hausse de la population rurale depuis 1975 sest acclre aprs 2000 et cette croissance est maintenant suprieure celle des villes. Cette hausse nest

pas due quaux retraits qui sinstallent la campagne. Les donnes de lInsee (2016), tmoignent en effet que ce sont dans les zones les moins denses que la part dactifs rsi-dents augmente davantage en proportion que la moyenne : prs de 10 % daugmentation dans la part dactif par-mi les rsidents des zones peu denses contre 5,8 en moyenne.

l Rinvestir Le Do it Yourself . le Faire fait r-frence laspiration croissante la ralisation par soi-mme de produits ou de services. Elle nat dune critique de lactuelle organisation du travail 30 et de son sinistre cortge de souffrances et autres risques psy-cho-sociaux. De linfirmire au top manager, lexigence de reporting incessant supplante les mtiers. Avec ses nou-velles armes de cols gris occupes des bullshit jobs , la socit de la connaissance na-t-elle pas produit la plus grande illusion des socits occidentales ? Cela ne fait aucun doute pour Mathew Crawford 31, philosophe et universitaire amricain, auteur de lune des rflexions sur le travail les plus stimulantes de ces dernires annes. Aprs avoir vainement cherch sa place dintellectuel dans des nouveaux mdias et autres think tanks, il a fini par ouvrir un atelier de rparation de motos qui la rcon-cili avec le travail - et surtout avec lui-mme ! Sinscrivant dans une perspective de ralisation personnelle, Le Do it Yourself encourage la crativit, le bricolage, la r-paration, labolition des oppositions entre production

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Nous entrons dans lge du co. : cooprer, coconstruire, collaborer . lu rural Membre de lAssociation des Maires Ruraux de France

Si lon considre quaprs lre de la matire nous passons lre de lintelligence collective, les tiers lieux sont prendre comme des usines ouvertes dinnovation sociale dans les territoires. Movilab

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et consommation. Il participe dune logique dinnovation 32 mais aussi dun refus de lobsolescence programme, dune lutte pour la rduction de lempreinte carbone, etc. Cette vi-sion, particulirement engage , participe dune rflexion sur les transformations du travail et des relations sociales qui en dcoulent. dfaut dtre partage de manire una-nime, elle est souvent partage et claire souvent les rela-tions complexes que les tiers lieux peuvent entretenir avec lacteur public : les valeurs du faire visent une forme dau-tonomie qui tend soustraire ses promoteurs des liens de dpendances laction publique : de la mme manire quils ne sont pas seulement des consommateurs ils ne sont plus de simples usagers des services publics.

l Valoriser le partage et le collaboratif : la recherche de sens dans son travail pouse une aspiration plus large envisager le travail sur un mode collaboratif et sengager dans des collectifs. Ces derniers ont trs sou-vent une forte dimension territoriale, fonde sur la proximit, la dfense de son cadre de vie, le lien social, etc. Sur un registre conomique, lconomie collaborative en est une manifestation : elle est issue de mouvances citoyennes aux racines communes avec lconomie sociale et solidaire : AMAP (association pour le maintien dune agriculture pay-sanne), autopartage, recyclage et rparation, supermarchs collaboratifs, finance participative citoyenne, savoir partag, ou encore le troc qui existaient avant linvention dinternet. Lide consiste souvent sinscrire dans une dmarche de responsabilit environnementale (circuits courts, recy-clage) et dengagement social et citoyen. Ces valeurs nourrissent le dveloppement de lconomie collaborative. Pour le sociologue R. Botsman 33, lconomie collaborative est un modle conomique bas sur lchange, le partage, la location de biens et de service en privilgiant lusage sur la proprit. Il identifie 4 dimensions de lconomie de partage :

l La remise en circulation de biens l Lutilisation accrue de biens durablesl Lchange de servicesl Le partage dactifs productifs (outils, espaces, savoir-faire, etc)

La socit du faire porte des ambitions de subsidiarit fondamentales quand on aborde la question territoriale. Cest vouloir faire au plus prs, en autonomie. Cest smanciper des grandes politiques. Responsable de tiers lieu

Pour moi, la socit du faire cest la nouvelle galit des chances. On ne regarde pas le diplme ou le capital on regarde qui fait et lutilit de ce quil fait. Responsable de tiers lieu

Pour linstant, il ne sagit bien sr que de tendances (et ce nest pas lobjet ici de les dcrire) mais elles sont portes par des individus de plus en plus nombreux et influents. Ils composent ce que Elizabeth Currid-Halkett (2018) appelle la classe aspirationnelle 34. Trs schmatiquement, il sagit dune affirmation statutaire des classes suprieures qui passent maintenant moins par la consommation de biens visibles (logement design, voiture luxueuse, vte-ments griffs, est.) que par des signes plus discrets et struc-turs autour daspiration , notamment sur le plan colo-gique ou de dveloppement humain : nourriture biologique en circuits courts, produits recycls ou issus du commerce quitable, coles prives de pdagogie alternative, etc. Les classes suprieures seraient donc en train de passer dune logique de distinction par lostentation une distinction par les signifiants culturels. Le cadre de vie et la sociabilit qui en dcoulent, par exemple, linvestissement des familles pour dvelopper le capital culturel de leurs enfants, en sont quelques manifestations. Cette aspiration passe par la re-cherche dun travail panouissant et de consommation qui maximisent les potentialits intellectuelles et relationnelles. Elle participe activement de lessor du travail indpendant plutt que salari dans un cadre de subordination._______________________________________________________________ 30) Makers. M. Lallement, I. BerrebiHoffmann et M.C. Bureau, Seuil 2018.31) Matthew B. Crawford, loge du carburateur. Essai sur le sens et la valeur du travail, Paris, La Dcouverte, coll. Poche / Essais , 201632) Le modle de logique dinnovation centr sur lutilisateur, dcrit par Eric Von Hippel : les consommateurs sont lorigine dune innovation ascendante33) Botsman R. and Rogers R., 2011, Whats Mine is Yours. How Collaborative Consumption is Changing The Way We Live, London, Ed Collins.34) Elizabeth CurridHalkett, The Sum of Small Things. A Theory of the Aspirational Class, Oxford, Princeton University Press, 2017

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B. ... QUI INVITE CHANGER DE REGARD SUR LE DVELOPPEMENT CONOMIQUE DES TERRITOIRES

Les transformations socitales voques ci-dessus sont donc au cur des enjeux territoriaux. Elles sont trs probablement le futur de nos territoires. Elles portent de nouveaux rapports la cration dactivit et de valeur et orientent de nouvelles manires de penser lco-nomie des territoires. Elles imprgnent peu peu lco-nomie classique et dplacent les traditionnelles frontires entre acteurs dintrt priv, acteurs dutilit sociale, publics / privs et associatifs. Les notions dconomies territoriale, collaborative, fonctionnelle, circulaire, etc. sont autant de nouveaux champs exprimant la porosit de mondes jusque-l cloisonns.

Ces transformations mettent en avant le faire ensemble. Elles accrditent et acclrent une nouvelle approche du dveloppement des territoires, mettant en avant un capital immatriel absolument dterminant dans notre contexte conomique : la capacit cooprer, innover, partager. Ce capital immatriel qui est en fait un capital humain, que les organisations apprenantes et la socit du faire nous obligent rvaluer fondamentalement 35.

1) Nouvelles manires de penser les ressources des territoires

Ces transformations portent une vision dynamique des ressources du territoire, partant de ses acteurs et de ses potentialits. Un territoire dont les capacits sactivent et se dveloppent sur un mode bien diffrent des tradi-tionnelles politiques dattractivit. Tous les travaux dispo-nibles montrent en effet que la trajectoire de dveloppement des territoires nest pas homogne : le dveloppement ne dpend pas forcment de la dynamique mtropolitaine 36 ni des industries motrices de croissance telles que le secteur haute technologie. Les stratgies de croissance ou dattractivit exognes prsentent de nombreuses limites. La remise en cause des approches classiques de dvelop-pement territorial conduit penser un autre modle de dve-loppement qui prenne en compte des modalits suivantes :

l La diversit des ressources territoriales susceptibles de devenir motrices de dveloppement ;l Limportance de lexistence de systmes locaux dacteurs qui permettent de rvler et dactiver ces res-sources.

La prise en compte de la diversit des ressourcesLe dveloppement conomique ne dpend pas forc-ment de la prsence des secteurs dits comptitifs sur le territoire. Dautres ressources, telles lconomie sociale et solidaire, les produits locaux agricoles, les activits touristiques, sont galement motrices de la dynamique conomique des territoires. Mme la crois-sance des mtropoles ne relve pas seulement des sec-teurs conomiquement comptitifs mais galement des activits dconomie rsidentielle (Brunetto et al., 2017) 37.

Laurent Davezies et Christophe Terrier ont quant eux forg lexpression d conomie prsentielle 38. Ils dcrivent ainsi une conomie base sur la population rellement prsente sur un territoire qui la fois produit et consomme. Cette ap-proche se distingue de lanalyse conomique classique qui se fonde sur les lieux de production traditionnels (usines, services, etc.). Lconomie rsidentielle repose au contraire sur lide que la population qui rside sur un territoire g-nre une activit conomique en mme temps que des besoins de service. Alors que traditionnellement lconomie territoriale ne prend pour objet principal que la localisation des firmes sur le territoire (conomie productive), lcono-mie prsentielle est centre sur les populations qui habitent sur ce territoire (conomie rsidentielle). Cette approche a lavantage de faire ressortir des acteurs conomiques jusque-l ngligs. Cest aussi lide avance par B. Pecqueur 39 lorsquil prco-nise de passer des avantages concurrentiels aux avantages diffrenciatifs. Il veut ainsi inciter les territoires trouver et valoriser leurs ressources locales pour se diffrencier plutt que de miser exclusivement sur le dveloppement de res-sources conomiques trs comptitives comme lindustrie de pointe. Lenjeu pour les territoires nest plus de se spcialiser dans un schma comparatif, mais plutt dchapperauxloisdelaconcurrencelorsquellessontimpossiblessuivre,envisant laproductionpour la-quelle ils seraient (dans lidal) en situation de mono-pole . _______________________________________________________________ 35) En commenant par exemple, par ne plus rduire comme nous lavons trop longtemps fait le capital humain dun territoire aux seuls niveaux de diplme de ses habitants ou au nombre de brevets dposs.36) La rcente tude ralise par lquipe de recherche EconomiX (Brunetto et al., 2017) met en vidence lambivalence de cet effet dentrainement de la dynamique des mtropoles, en pointant la diffrence entre les mtropoles de la faon de rayonner sur leurs territoires avoisinants. Ces rsultats remettent en cause lefficacit, au regard dquilibre territorial, de la politique nationale en faveur de la concentration des investissements sur les mtropoles. 37) Brunetto, Y, Teo, STT, Shacklock, K, & FarrWharton, R 2012, Emotional intelligence, job satisfaction, wellbeing and engagement: explaining organisational commitment and turnover intentions in policing, Human Resource Management Journal38) Davezies Laurent, 2004, Temps de la production et temps de la consommation : les nouveaux amnageurs du territoire ? in Futuribles n 295, mars 2004Terrier Christophe, 2006, Lconomie prsentielle, un outil de gestion du territoirein Cahiers ESPACES, numro spcial Observation et Tourisme39) Pecqueur Bernard, Esquisse dune gographie conomique territoriale , LEspace gographique, 2014/3 (Tome 43), p. 198214.

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Lhypothse des avantages diffrenciatifs permet davancer deux ides que nous retrouvons au cur des projets de tiers lieux :l tous les territoires ont des potentiels de dveloppe-ment, mme ceux qui sont les plus loigns des es-paces urbains ;l le dveloppement dpend dabord de la capacit des acteurs identifier des ressources et mobiliser diff-rents moyens possibles pour en faire un facteur de d-veloppement territorial.

Ce dernier point met laccent sur limportance de la coor-dination des acteurs. La capacit individuelle dacteurs singuliers 40 et, plus encore, la capacit daction collective dacteurs locaux deviennent un enjeu majeur pour les terri-toires. La possibilit didentifier des intrts partags, de se faire confiance, de faire alliance, sont autant de ressources aussi essentielles que le financement. Cest en partant de ce constat que lon parle de systmes dacteurs , de gouvernance territoriale , ou encore dcosystmes .

l La proximit gographique na de force qu la condi-tion dtre organise (elle est sinon une juxtaposition dacteurs, ni anime ni porte).

2) Favoriser lmergence de systmes dacteurs locaux pour rvler les ressources

Dans ce contexte, les tiers lieux pourraient contri-buer lmergence de systmes productifs locaux et constituer des dispositifs majeurs dactivation des res-sources locales. Rvler et activer les ressources spcifiques du territoire requiert en effet un systme dacteurs adapts. Cela sup-pose la runion dun certain nombre de facteurs tels que la qualit des relations humaines des acteurs, linnovation institutionnelle et administrative, la mise en place de poli-tiques de soutien et daccompagnement mobilisatrices, le dveloppement dune culture locale de la coopration, etc. Ces lments doivent tre relis et coordonns pour quils puissent faire systme. Et cest l que les tiers lieux ont un rle crucial jouer.

Les travaux disponibles sur le sujet montrent tous que la qualit de coordination dpend le plus souvent des facteurs non marchands : des lments sociaux, poli-tiques, historiques, institutionnels du territoire en ques-tion 41. Tous ces facteurs territoriaux font, ensemble, les systmes locaux de production de richesse.Dans cette perspective, une gouvernance mixte entre ac-teurs publics et privs facilite lmergence ou la consolida-tion dun systme productif local 42, nous le verrons ultrieu-rement._______________________________________________________________ 40) ce sujet, certains parlent des leaders sociaux (= des personnes qui sont trs connectes dans diffrents rseaux, charismatiques et qui arrivent mobiliser de nombreuses personnes).41) Par exemple sur les districts industriels italiens (Becattini, 1979 ; 1992), les milieux innovateurs (Aydalot, 1986), sur ou les Systmes Productifs Locaux (Courlet et al., 1993)42) Leloup et al., 2005

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C. LES TIERS LIEUX PIVOTS DU DVELOPPEMENT TERRITORIAL ?

La socit du faire porte des aspirations tout fait disruptives pour penser le dveloppement conomique, social et dmo-cratique des territoires. Elle porte des acteurs locaux nou-veaux, mobiles, indpendants et entreprenants, en recherche de cooprations, voulant donner du sens leurs activits et sorganisant en communauts dans un lieu incarnant, par son amnagement et son fonctionnement, un projet collectif. Cest dans ce contexte que la question de la dynamisation des territoires ruraux et des petites ou moyennes villes doit tre pose. Quelles tendances socitales, des tiers lieux en territoires priphriques , ces derniers peuvent-ils initier, accompagner ou encourager, avec pour rsultat un dyna-misme accru au sein de ces territoires ?Phnomne initialement urbain et mtropolitain, les tiers lieux sont ns dans un contexte trs diffrent de ce-lui des territoires. Leur fonctionnement, leur finalit, leur modle conomique en dpendent toujours aujourdhui troitement. Lune de nos priorits a ds lors t de nous interroger sur la viabilit et les conditions de leur dploiement en dehors du cur mtropolitain, dans les territoires ruraux et les petites villes comme au sein des quartiers de la politique de la ville .

titre dillustration :l Dans 94 zones demploi, soit prs dune zone dem-ploi sur trois, il ny a pas de tiers lieu. Il sagit majori-tairement de territoires faiblement peupls (infrieurs 100 000 habitants) mme si labsence de tiers lieu concerne aussi des zones demplois plus denses, no-tamment dans la moiti nord de la France. Par ailleurs 75 zones demploi nont quun seul tiers lieu. La dyna-mique catalysatrice de cration de ces espaces doit donc tre effective si lon souhaite atteindre une densit minimale de tiers lieux dans la France rurale et celle des petites villes.

l Par ailleurs, lObservatoire National de la Politique de la Ville (ONPV) 43 identifie plus de 200 quartiers priori-taires, particulirement fragiliss. Ces quartiers, dont tous les indicateurs sont au rouge , exigent une ac-tion rapide et disruptive pour enrayer leur dysfonctionne-ment. Au regard de leurs caractristiques socio-cono-miques 44, des attentes et du potentiel de leur population (trs jeune, fortement imprgne par la culture num-rique), ces quartiers sont les territoires daccueil na-turels de dispositifs innovants de cration dactivits et dinclusion numrique. Jusque-l, le soutien lactivit conomique ny a occup quune place secondaire et sest principalement dploye sous les formes clas-siques de laide la cration dentreprise. Les tiers lieux offrent une alternative notre sens dcisive, permet-tant de coupler formation et insertion numrique dans un espace ddi au travail collaboratif (et de ce fait trs encadrant et stimulant). La mission confie Jean Louis Borloo nous semble avoir trs justement

mis en vidence ce besoin dans les quartiers popu-laires de vritable campus numrique 45, qui res-semblent bien des gards la logique du tiers lieu.

_______________________________________________________________ 43) Rapport 2017 de lObservatoire National de la Politique Ville.44) Dans les QPV, les communes ont plus de besoins mais moins de ressources : elles disposent de 30% de capacit financire en moins, bien que leur taux dimposition soit 2 fois plus lev et que leurs besoins soient de 30% suprieurs. Les quartiers sont plus jeunes (1/3 denfants en plus), plus pauvres, dorigines culturelles plus diverses. Les besoins daccompagnement scolaire, social, sportif ne cessent de crotre (+3.9% dans les collges des QPV pour 0.7% dans le pays). Les quipements et services publics sont massivement moins prsents quailleurs, avec des agents moins expriments. 2 fois moins de lycens en filire gnrale.3 fois moins dtudiants en classes prparatoires.3 fois moins de contrats dapprentissage. 1 jeune sur 6 dcrocheur. 3 fois plus de personnes discrimines. Un taux de chmage presque 3 fois suprieur. 50% des jeunes en attente. 2 fois plus de mnages sans voiture et moins de transports publics. 160 QPV sans aucune desserte de transports. Moins de bibliothques et mdiathques. 2/3 des QPV sans implantation de Ple emploi moins de 500 mtres. 20% des QPV sans bureau de poste moins de 500 mtres.45) Rapport de JeanLouis Borloo : Vivre ensemble, vivre en grand pour une rconciliation nationale, 2018.

Projeter mcaniquement dans les territoires des dispositifs dont le modle conomique est celui du cur des mtropoles est vou lchec. Responsable de rseau rgional

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Lopportunit faire, hors des grandes villes, des tiers lieux, des dispositifs crateurs dactivits dans les territoires, re-pose donc sur des conditions la fois conomiques et poli-tiques quil convient dexaminer attentivement.

Tout au long de cette mission, nous nous sommes donc donn comme objectif de dterminer les conditions qui permettraient aux tiers lieux de jouer pleinement ce rle de dveloppement territorial hors des mtropoles. Pour cela, deux points ont fait lobjet de toute notre attention :l la viabilit conomique des tiers lieux en terri-toires ruraux et dans les petites villes ;

l la capacit de lensemble des tiers lieux, sorga-niser pour faire systme et tre en mesure de porter la dynamique des tiers lieux lchelle nationale ;

Pour aborder ces problmatiques, trois intuitions fonda-mentales ont guid notre rflexion durant toute la mis-sion :l Les tiers lieux nauront dimpact qu la condition de sorganiser comme dispositif professionnalis et structurant lchelle du territoire et comme com-munaut national agissante ;

l Les tiers lieux nauront dimpact (social, environ-nemental, dmocratique) qu la condition de dispo-ser dun modle conomique viable et prenne ;

l Lacteur public, a fortiori ltat, doit agir en sap-pliquant le principe de subsidiarit et lorsque des enjeux dquit territoriale ou dgalit rpublicaine sont en jeu.

Elles ont conduit structurer notre exploration autour de trois questionnements : l Le phnomne tiers lieux est-il destin durer et devenir structurant ou bien sagit-il dun effet de mode ?

l Les tiers lieux ont-ils un avenir hors des mtropoles ?

l Si oui, quelles conditions ?

Il faut distinguer la situation des trs grandes villes et nos territoires : ce ne sont pas les mmes enjeux ni les mmes tiers lieux . Responsable de tiers lieu

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II. LES TIERS LIEUX, NOUVELLES

FABRIQUES DU FAIRE ENSEMBLE

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A. DIVERSIT DES APPELLATIONS, CONVERGENCE DES ASPIRATIONS

La notion de tiers lieu connait un succs grandissant. Lou-verture et la collaboration, lhybridation et linnovation, le m-lange dactivits et de loisirs, prennent une place essentielle dans les changements socitaux qui portent les tiers lieux. Ds lors, il nest pas tonnant de constater de multiples r-appropriations de la notion. Les projets affirmant ces valeurs et ces manires de faire se sont multiplis au cours des der-nires annes - contribuant ainsi ce qui peut apparaitre comme une vritable explosion des tiers lieux .

Derrire cette expression se cache une trs grande diver-sit de lieux, de projets, dacteurs Nul doute que le flou conceptuel important qui entoure la notion ne contribue regrouper des ralits multiples. La notion se dveloppe e