poly j.p. - l3 - cours histoire de la common law 2008-2009

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HPJ COMMON LAW - INTRODUCTION 1 UNIVERSITE PARIS OUEST-NANTERRE LICENCE ANNEE 2008/2009 COURS D’HISTOIRE DE LA COMMON LAW (J.P. POLY). AVERTISSEMENT : LE COURS DU PROFESSEUR J.P.POLY, MONJTE CETTE ANNEE, NA PAS ENCORE SA FORME ECRITE DEFINITIVE. LA VERSION ICI DONNEE DU COURS DHISTOIRE DE LA COMMON LAW EST CELLE DU PROFESSEUR CH. ARCHAN, AVEC QUELQUES CORRECTIONS MINIMES. ELLE EST PUBLIEE COMME OUTIL DE TRAVAIL AVEC SON AUTORISATION. ON SE REFERERA AUSSI AU PLAN DU COURS DU PROFESSEUR J.P. POLY (VOIR SUR CE SITE LA RUBRIQUE PLAN DE COURS, AVEC LINTRODUCTION) ET A LA BIBLIOGRAPHIE DONNEE DANS CE PLAN. INTRODUCTION Dans ce cours, nous étudierons la Common Law, en général assez peu connue des étudiants en droit français. Elle ne rentre pas dans les « cases » de notre droit, de notre culture juridique. Aussi l’étude de son histoire peut- elle faciliter sa compréhension. Elle embarasse souvent le juriste français et même continental, ainsi dès l’abord se pose dès le début le problème de sa traduction et de sa définition. Ecartons tout de suite les traductions par « droit commun » ou « loi commune ». « Droit commun » est trop riche de sens variés pour nous et ne correspond pas au sens anglais. « Loi commune » ne correspond à rien pour un juriste français. D’où le paradoxe de Picard (Dictionnaire de la Culture Juridique p. 244) : « le Common Law demeure donc indéfinissable, sauf à le décrire par ce trait même ». Pourtant d’autres auteurs ont tenté la définition. Ainsi, pour René David, « la common law, bâtie de décision en décision par la pratique des Cours, apparaît comme étant essentiellement une oeuvre de raison (reason), exprimant le sentiment de la justice et de l’opportunité politique du XIII e siècle, qui est le grand siècle de son élaboration » 1 . On le voit, l’auteur nous montre que la raison, chère à Descartes et à ses compatriotes, n’est pas absente de la Common Law, même si cette raison britannique est mal reconnue par la notre. Difficilement définissable de manière synthétique, la common law peut être expliquée, par une comparaison contrastée avec les autres grandes familles de droit européen ; contrairement à elles, elle forme une école de pensée bien distincte dans laquelle le droit romain n’a pas laissé de traces aussi profondes. Voyons dans cette introduction, une définition de la common law (I), ainsi que l’influence du droit romain en Occident (II). 1 René David, Cours polycopié de droit comparé 1961-1962, Paris p. 49 ; Legeais, p. 14.

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Page 1: Poly J.P. - L3 - Cours Histoire de La Common Law 2008-2009

HPJ COMMON LAW - INTRODUCTION

1

UNIVERSITE PARIS OUEST-NANTERRE

LICENCE ANNEE 2008/2009 COURS D’HISTOIRE DE LA COMMON LAW (J.P. POLY).

AVERTISSEMENT : LE COURS DU PROFESSEUR J.P.POLY , MONJTE CETTE ANNEE , N’A PAS ENCORE SA

FORME ECRITE DEFINITIVE . LA VERSION ICI DONNEE DU COURS D’HISTOIRE DE LA COMMON LAW EST CELLE

DU PROFESSEUR CH. ARCHAN , AVEC QUELQUES CORRECTIONS MINIMES . ELLE EST PUBLIEE COMME OUTIL DE

TRAVAIL AVEC SON AUTORISATION . ON SE REFERERA AUSSI AU PLAN DU COURS DU PROFESSEUR J.P. POLY

(VOIR SUR CE SITE LA RUBRIQUE PLAN DE COURS , AVEC L ’ INTRODUCTION ) ET A LA BIBLIOGRAPHIE DONNEE

DANS CE PLAN.

INTRODUCTION

Dans ce cours, nous étudierons la Common Law, en général assez peu connue des étudiants en droit français.

Elle ne rentre pas dans les « cases » de notre droit, de notre culture juridique. Aussi l’étude de son histoire peut-elle faciliter sa compréhension. Elle embarasse souvent le juriste français et même continental, ainsi dès l’abord se pose dès le début le problème de sa traduction et de sa définition.

Ecartons tout de suite les traductions par « droit commun » ou « loi commune ». « Droit commun » est

trop riche de sens variés pour nous et ne correspond pas au sens anglais. « Loi commune » ne correspond à rien pour un juriste français. D’où le paradoxe de Picard (Dictionnaire de la Culture Juridique p. 244) : « le Common Law demeure donc indéfinissable, sauf à le décrire par ce trait même ».

Pourtant d’autres auteurs ont tenté la définition. Ainsi, pour René David, « la common law, bâtie de décision en décision par la pratique des Cours, apparaît comme étant essentiellement une œuvre de raison (reason), exprimant le sentiment de la justice et de l’opportunité politique du XIIIe siècle, qui est le grand siècle de son élaboration »1. On le voit, l’auteur nous montre que la raison, chère à Descartes et à ses compatriotes, n’est pas absente de la Common Law, même si cette raison britannique est mal reconnue par la notre.

Difficilement définissable de manière synthétique, la common law peut être expliquée, par une comparaison contrastée avec les autres grandes familles de droit européen ; contrairement à elles, elle forme une école de pensée bien distincte dans laquelle le droit romain n’a pas laissé de traces aussi profondes.

Voyons dans cette introduction, une définition de la common law (I), ainsi que l’influence du droit romain en Occident (II).

1 René David, Cours polycopié de droit comparé 1961-1962, Paris p. 49 ; Legeais, p. 14.

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I. UNE DEFINITION DE LA COMMON LAW La common law constitue une famille de droit. Nous verrons ensuite ses principaux caractères.

A. Les familles Nous ne ferons pas ici de comparatisme avec toutes les famille de droit, mais seulement avec la nôtre. Nous

opposerons donc la famille romano-germanique à la famille de la common law. Commençons par celle que vous connaissez le mieux.

1. La famille romano-germanique (Legeais & David).

Cette famille groupe les pays dans lesquels la science du droit s’est formée sur la base du droit romain. Les

règles du droit sont conçues comme étant des règles de conduite, étroitement liées à des préoccupations de justice et de morale. La science du droit détermine quelles sont ces règles. Dans ce but, la doctrine s’intéresse assez peu à l’application du droit. L’application du droit est affaire des praticiens et de l’administration.

Cette famille comprend des systèmes de droit qui font techniquement dépendre les solution juridiques surtout de la loi écrite. Dans cette famille la justice est comprise comme la finalité directe du droit (Ce n’est pas comme dans les anciens systèmes socialistes où la finalité du droit est la construction d’une nouvelle société).

Dans cette famille les règles juridiques sont en générale codifiées, pour la plupart. L’œuvre de codification a tout d’abord débuté par le droit civil. Ce droit civil est demeuré pendant longtemps le siège de la science du droit. Le juge applique ces règles et au besoin les interprète. Il n’a cependant qu’un rôle complémentaire dans la définition du droit (tous les juristes ne lui accordent pas ce rôle).

Le droit tend vers la justice (il ne parvient pas toujours à la réaliser) et cette fin est fixée par l’Etat. Les juristes tentent de réaliser la justice entre l’Etat et les citoyens (droit public) et dans les rapports entre particuliers (droit privé).

La famille romano-germanique a son berceau dans l’Europe. Elle s’est formée par le travail des Universités européennes qui se sont développées – nous le verrons – à partir du XIIe siècle.

L’Allemagne et la France répondent par exemple à ces critères. 2. La famille de la Common Law. Les systèmes de « common law » s’opposent au groupe de systèmes juridiques précédent. Le groupe romano-

germanique est défini par les Britanniques par référence à la notion de « civil law ». La France, de leur point de vue, est ainsi un pays de « civil law ». Mais, naturellement, « civil law » ne veut pas dire ici « droit civil » au sens français : l'expression devrait plutôt se traduire par « système juridique inspiré par le droit romain », et donc codifié.

On considère qu’il y a pour cette famille, un droit source qui est le droit anglais. Dans ce groupe, on compte le droit anglais et les droits qui sont modelés sur le droit anglais. La finalité idéologique est la même que celle de la famille romano-germanique : la justice. Mais ce qui diffère ici, c’est la technique. Cette famille a une technique qui lui est propre : le droit dépend essentiellement du juge. Celui-ci se réfère sans doute aux textes du droit écrit, mais il trouve les notions fondamentales et beaucoup des solutions applicables dans les décisions antérieures des cours. La méthode qui est alors employée et qui s’impose au juge est celle des précédents. La règle de droit est moins abstraite que la règle de droit de la famille romano-germanique. C’est une règle qui vise à donner sa solution à un procès, non à formuler une règle générale de conduite pour l’avenir. Le but n’est pas ici d’établir les bases de la société, mais de rétablir l’ordre troublé. Donc, les règles concernant l’administration de la justice, la procédure, la preuve, l’exécution des décisions de justice, ont un intérêt égal, sinon supérieur aux règles concernant le fond du droit.

Enfin, la common law est par ses origines, liée au pouvoir royal (nous le verrons). Elle apparaît donc au départ comme un droit essentiellement public (les contestations entre particuliers étaient soumises aux cours de common law que dans la mesure où elle mettaient en jeu l’intérêt de la couronne ou du royaume). [Le droit civil issu de la science des romanistes n’a donc joué qu’un rôle très restreint]. Les concepts et le vocabulaire sont différents de ceux du droit romain et continental.

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Enfin, parmi les pays de common law, il en est comme les Etats Unis ou le Canada dans lesquels s’est formée une civilisation différente de la civilisation anglaise. Le droit de ces pays revendique une large autonomie au sein de la famille de la common law.

Conclusion

Une problématique comparatiste oppose les droits fondés sur la primauté de la loi et les droits fondés sur celle de la coutume. Opposition en partie illusoire aujourd’hui ? Côté anglais : importance du Statute Law. A l’inverse sur le continent, importance de la jurisprudence (mais pas de codification de Common Law / arrêts de règlement interdits par C.Civ.). D’un côté il y a la fiction du caractère immémorial de la coutume (Angleterre) contre la fiction de la primauté de la loi (continent).

La common law est parfois qualifiée de « case law », droit jurisprudentiel. Le juge était/est supposé « déclarer » la coutume immémoriale du peuple anglais : théorie déclaratoire a servi de définition à la common law. « Coutume immémoriale » : exemple, un jugement de 1926 citant la loi d’Ine roi de Wessex (688-694).

« Déclaration par le juge » ne pose pas moins de problème à un juriste français. En France, la Révolution entendait supprimer « l’arbitraire » du juge (C.pén. de 1791), qui devait s’effacer devant la primauté de la Loi, expression du peuple souverain D’un autre côté en Angleterre, le juge est supposé « dire le droit ».

B. Caractéristiques de la common law (Picard (DCJ) ;Legeais p. 14)

Du point de vue externe le plus général qui soit, la common law désigne l'ensemble du système juridique qui

est né en Angleterre il y aura bientôt mille ans, qui s’y applique toujours. Elle s’est depuis lors, répandue selon des modalités bien diverses, dans une grande partie du monde - celle qui correspond à l'ancien Empire britannique. L'expression « common law » caractérise donc l'ensemble du système juridique anglais. Mais ce système recouvre cependant diverses sortes de droits, dont seul l'un d'eux correspond à la notion de common law, comprise cette fois-ci en un autre sens, plus étroit et plus spécifique.

On peut tenter une définition de la common law (au sens étroit) en faisant – d’après Picard – une approche externe (en l’opposant à d’autres formes de droits), puis interne (en voyant ce qui la caractérise).

1. Approche externe

Nous définirons la common law négativement en montrant qu’elle contient des règles qui ne s’appliquent pas

toujours à tous : ce n’est pas un « droit commun » (a). D’autre part, elle s’oppose à une autre norme : l’equity (b) . Enfin elle s’oppose aussi à ce que l’on appelle le « statute law » (c).

a. La common law n’est pas un « droit commun »

On a coutume du dire en Angleterre que la common law remonte à des « temps immémoriaux » (on pense surtout aux Anglo-Saxons). En réalité elle remonte au mieux à la conquête normande (1066), en fait surtout à la seconde moitié du XIIe siècle. À cette époque on applique toujours, en Angleterre, diverses règles d’origine anglo-saxonne. Ce sont les justices seigneuriales ou féodales qui continuent à utiliser ces règles pendant un certain temps, chacune leur côté et de façon très différente.

Mais, peu après la fondation du royaume (anglo-normand), la justice royale, rendue par des juges itinérants, a réussi assez rapidement, à imposer à l'ensemble du territoire une loi commune, à partir du XIIe siècle. C’est ce que l’on appelait la « commune ley » qui deviendra donc en anglais common law. La common law s’est donc caractérisée, initialement, par sa capacité à synthétiser les règles locales ou particulières et plus encore à s’y substituer.

Même si la common law a été un instrument de la justice royale et le fruit même de la justice royale ou du pouvoir du roi (un pouvoir fort, centralisé), la common law admet une diversité des contenus. La common law (moyen et objet du pouvoir du roi, source de toute justice), a parfaitement pu admettre que des coutumes ou des règles particulières continuent de s'appliquer ici ou là. Elle admet même certaines juridictions particulières.

Ces règles particulières ont pu continuer à s'appliquer en vertu même de la common law. On ne peut pas opposer la common law à des règles ou coutumes particulières et précisément « non communes ». On peut donc très bien englober ces règles spécifiques voire dérogatoires à ce droit commun que forme la common law.

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La notion se complexifie puisqu’elle renvoie alors non plus à une uniformité de contenu, mais au fait que tous ces droits particuliers sont admis au sein du même système de common law applicable dans l'ensemble du Royaume.

Exemple : les droits qui s'appliquent en Écosse et en Irlande du Nord sont également des droits de common law. Pourtant, ils diffèrent en leur contenu de la common law applicable en Angleterre et au Pays de Galles (lequel est en principe identique pour ces deux pays).

De même (mais dans un autre ordre d’idée), il est encore vrai aujourd'hui que la common law peut comporter des règles très largement dérogatoires applicables à certaines entités. Par exemple, la prérogative royale (au sens anglais), qui rassemble un large faisceau de ce que nous appellerions en France des prérogatives de puissance publique, est admise en common law. En effet, selon les juges, cette prérogative est juridiquement valide. Elle est sanctionnée en droit positif sans avoir à être instituée par un acte formel du Parlement.

Dans ces conditions, la notion de common law n'a rien à voir avec celle d'un « droit commun » au sens français. Nous avons vu en effet que la common law comporte des règles nettement dérogatoires au profit de la couronne, qui seraient qualifiées en France de « règles exorbitantes du droit commun ». La diversité caractérise la common law.

b. La common law se définit par opposition à l’equity

La common law se comprend ensuite par opposition à la notion d' « equity » même si l’expression de

common law peut, selon le contexte, s'appliquer à l'ensemble du droit élaboré par le juge, lequel comprend donc aussi l’equity.

L’ equity est née, dès le Moyen Âge, à cause des imperfections et des rigidités de la common law de l'époque. Cette common law était déjà fondée sur le système strict du précédent (ou du « stare decisis », formule latine qui signifie que le juge doit s’en tenir à la solution déjà adoptée dans des cas identiques ou similaires – lit. « s'en tenir à ce qui a été décidé »).

Ainsi, lorsque les solutions de common law :

- paraissaient trop sévères, - ne comportaient pas de règles de fond ou de procédure pour sanctionner certaines sortes d'obligations - lorsqu'elles s'avéraient incapables de faire éclater la vérité ou ne paraissaient pas adaptées à certaines

situations particulières ou encore demeuraient sans effet, Il était alors possible de s'adresser directement au roi. Le roi, source de toute justice était donc capable

d'imposer la solution la plus satisfaisante. Débordé, le roi a confié l'examen de ces recours à son chancelier (généralement un clerc, qui pouvait être par ailleurs son confesseur et qui en tout cas en avait la confiance). Le chancelier examina bientôt ces recours au sein d'une cour spéciale : la « Court of Chancery ».

Mais si l’equity n'était pas du droit au sens propre de l'époque - le seul vrai droit étant la common law -, le chancelier ne pouvait nullement statuer arbitrairement. Il devait être inspiré par : la conscience, la bonne foi, la raison, la morale, la justice (la common law visait elle aussi la justice, mais il était reconnu qu’elle n'y parvenait pas toujours). Le recours à l’equity introduisait donc, dans le système d'administration du droit, un précieux élément de souplesse et de rectification.

Cependant, le chancelier devait adopter lui aussi des règles et respecter ses précédents. En cela, il pouvait être dit que l’ « equity follows the law », c'est-à-dire respecte le droit, dès lors que le droit naît de la répétition des précédents et de l'obligation de les respecter.

L’ equity est donc elle aussi un système de règles de droit, parallèle à la « common law » au sens étroit. Ce système a des méthodes très comparables sur ce plan. Les méthodes de l’équity consistent à appliquer des règles anciennes à des cas nouveaux. Ces règles vivent et sont adaptée progressivement à la nouveauté des situations et des exigences du juge d’equity.

L’ equity peut et doit comporter des règles qui, dans leur substance, lui sont propres et peuvent différer de la common law. C’est vrai naturellement dans les domaines déjà couverts par des règles de common law. Mais, par ailleurs, l’equity s’est constitué des domaines propres (comme le trust et le legs), qui ne sont donc pas, en principe, régis par la common law. La coexistence de ces deux branches du droit ne suscite donc pas nécessairement de réels conflits.

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Cependant, l’idée essentielle est que l’equity ne combat pas la common law, mais l'« assiste » lorsqu’elle apparaît défectueuse. (Ainsi, l’equity peut comporter des « remedies » (actions juridictionnelles) différentes de celles de la common law, comme l' « injunction » (injonction juridictionnelle) destinée à conférer une meilleure portée à des règles de « common law »).

Sur le plan institutionnel, les cours de common law et les cours d’equity ont été fondues au sein d’une nouvelle organisation judiciaire en 1873 qui permet aux juridictions d’appliquer l’un ou l’autre droit selon les cas. La dualité des droits demeure donc bien aujourd’hui et soulève la question récurrente de leurs relations exactes et de leur possible fusion, au moins ponctuelle, là où les solutions convergent ou doivent au contraire être harmonisées.

c. La common law s’oppose au statute law

La notion de common law s’oppose à cette autre grande notion du droit anglais et anglo-américain : le

« statute law ». En effet, le droit anglais comporte plusieurs grandes branches dont la formation retrace assez exactement l’évolution du pouvoir royal. Le pouvoir royal peut être considéré dans ses relations avec les juges, d'une part, et avec le Parlement, d’autre part.

Toute l’histoire des cours royales, sur ce plan, a été de s'affranchir de plus en plus du roi lui-même. Mais à la common law judiciaire originaire, assortie de l’equity, s’est ensuite surajouté un autre droit émanant cette fois d’abord du roi lui-même agissant en son Parlement. Il a ensuite émané du Parlement : la détention réelle de la souveraineté étant passée des mains du roi à celles du seul Parlement lui-même.

Le roi a ainsi perdu, successivement, le pouvoir de dire le droit par la voie de la justice et de le faire par la voie de la loi, ce qui a entraîné la formation d'autant de branches du droit.

Le Parlement étant donc aujourd'hui souverain, il peut poser des règles par ses « Acts », qui peuvent modifier ou écarter plus ou moins la common law. Ces « Acts » forment ainsi le statute law. Common law se comprend donc aussi par opposition à statute law.

Common law, equity et statute law forment les trois éléments du système de common law pris au sens large... La souveraineté du Parlement est entière et il peut donc complètement déroger aux règles de la common law.

Cependant, ce pouvoir de dérogation vient en réalité par l'effet même de la common law pris au sens strict. Les juges appliquent intégralement les règles du statute law posées par le Parlement (sous réserve de la primauté du droit européen sur ces dernières) en suivant la common law.

En effet, la souveraineté du Parlement, qui doit être tenue pour une règle constitutionnelle, est certainement une règle coutumière. Elle n'a jamais été posée par une constitution écrite. Cela ne l'empêche pas de se voir sanctionnée par les juges. En l'absence de loi suprême et générale, la souveraineté du Parlement peut donc, de ce point de vue, être tenue pour une règle de common law.

D'ailleurs les juges anglais peuvent aujourd'hui encore, par leur seule autorité et en common law, reconnaître à certains droits personnels la portée de « droits fondamentaux » ou « constitutionnels ».

Les deux droits entremêlent souvent leurs règles d'une façon ou d'une autre. Nombre de normes (chartes, de bills, de déclarations) proclamés autrefois par le Parlement se sont progressivement incorporés à la common law (spécialement dans le domaine des droits et des libertés des personnes). De même, nombre de droits fondamentaux ou de règles de droit admis en common law ont pu être repris par une norme de statute law.

On peut donc également admettre, de ce point de vue, que la common law, en tant que système, englobe le

statute law, qui peut pourtant souverainement déroger à certaines règles de la common law prise au sens étroit... Mais ces rapports entre common law et statute law ne valent que pour le Royaume-Uni. Ils n'ont pas

d'application dans d'autres pays - qui sont pourtant, eux aussi, des pays de common law – lorsqu’ils obéissent à une autre constitution, spécialement les États-Unis d'Amérique.

2. Approche interne

Les questions qui se poseront ici tendent essentiellement à déterminer la façon dont se forge la common law

quant à son contenu, et à établir ce qui explique son caractère obligatoire.

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Coutume ou jurisprudence ? Tout d’abord, soulignons que la common law s’est formée, en son principe, assez peu de temps après la

Conquête normande. Le principe d’un droit coutumier existait déjà à ce moment, et qu’il restait simplement à en imposer un nouveau contenu. Cela a d’ailleurs contribué à lui retirer son caractère coutumier pour en faire (au moins partiellement) un droit de souveraineté. Les juges ont en effet statué au nom du roi.

Dès cette époque, la common law a comporté des principes ou des règles, dont certains venaient du droit romain, qui se sont transmis de siècle en siècle tout en évoluant depuis lors.

Deux caractères : - La common law est en effet entièrement établie depuis des temps immémoriaux, mais qu’elle est néanmoins

restée stable en tant qu’elle correspond à un certain système de droit. Ce système n’a jamais été posé par une volonté formellement identifiable.

- Ce système comporte des normes qui évoluent progressivement au fil des siècles ou soudainement au gré des espèces. Les juges et leurs décisions jouent une part active dans la détermination de ces règles et probablement leur formation.

Il apparaît donc que, dans toute son histoire, la common law tout à la fois change (les normes évoluent) et ne

change pas le système reste stable. Surtout, la common law n'est même pas affectée, de l’extérieur, par les codifications possibles que peut

opérer le Parlement. En Angleterre les modifications faites par le Parlement sont toujours ponctuelles et ne cherchent pas à absorber tout le droit dans ce statute law (à la différence de la codification napoléonienne).

La common law survit à toutes modifications, en réalité assez fréquentes. On peut donc soutenir, avec des auteurs qui ont paru exprimer une sorte de consensus, au moins à leur époque, que la common law croît et se développe, mais n'est pas posée par une autorité identifiée.

La doctrine la mieux établie au XVIIIe siècle se plaisait à démontrer l'idée que le juge ne faisait pas la règle de droit, mais qu'il la déclarait simplement, car elle existait de toute éternité (thèse soutenue spécialement par Matthew Hale, dans son History of the Common Law of England (1713) ou encore par William Blackstone dans ses Commentaries on the Laws of England (1765)). Et ces auteurs imputaient la formation de ce droit à on ne sait trop quelle instance quasi transcendante, dont le juge constituait simplement l’oracle.

Mais d'autres auteurs comme Jeremy Bentham et John Austin, qui se sont gaussés de cette « fiction infantile », tiennent le juge pour l'auteur véritable de ce droit et le considèrent comme un vrai législateur ne voulant pas se reconnaître comme tel. Ces auteurs étaient très favorables à l'intervention du Parlement, moins conservateur et plus progressiste.

Les juges appliquent des principes ou des règles déjà formulés dans le passé et, ce faisant, ils déclarent bien

le droit. Mais, en l’appliquant à des cas nouveaux tout en en déduisant des conséquences jusqu'alors inédites (en ce qu'elles n'avaient pas encore reçu cette application, ou ne présentaient pas la même portée ou ne s'appliquaient pas dans le même champ...), ils contribuent bien, nécessairement, à forger le droit nouveau.

Lorsque la situation à juger est radicalement inédite, ce qui arrive assez rarement (car il est toujours possible,

selon la définition plus ou moins fine de la question juridique à trancher, de la rattacher à des cas plus anciens), le juge peut s'appuyer sur une pluralité de considérations, tirées, selon le cas :

- du droit romain, - des principes de droit naturel, - de la pratique des acteurs de la vie juridique concrète, - du droit comparé, spécialement le droit appliqué dans les autres pays de common law, - de l'opinion de la doctrine autorisée ; - il peut encore se fonder sur des considérations de pure opportunité ou de politique

jurisprudentielle ou plutôt de jurisprudence politique...

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Mais il ne se comporte jamais comme s'il était un législateur souverain, capable de poser une règle radicalement nouvelle. Ce serait complètement contraire aux exigences de la « Rule of Law ». Chaque juge, lorsqu’il tranche un cas, respecte des règles. La doctrine du « stare decisis » ou du précédent en est la manifestation essentielle. C’est bien cette doctrine (prise ici au sens de norme obligatoire) qui confère toute sa spécificité à la common law.

Comparaison avec la jurisprudence du continent (mais avec des réserves). En France : Dans un système dominé par le principe de la légalité, la jurisprudence consiste essentiellement à

déterminer et à interpréter la loi ou les règlements applicables. Un juge n’invoque jamais sa propre jurisprudence et déclare seulement d’appliquer la loi. Il n’en va différemment que lorsqu'il entend imposer des principes non écrits, comme les principes généraux du droit - qu'il prétend d'ailleurs découvrir et non forger.

Le juge français peut librement changer sa jurisprudence, sans avoir à s'en justifier autrement. Sous cette réserve, la stabilité de la jurisprudence est donc tributaire, en France, de la stabilité de la loi.

En « common law », les juges anglais se trouvent dans une tout autre situation : ils ont l'obligation d'appliquer la même solution que celle déjà donnée aux cas identiques ou similaires antérieurement jugés. Le seul fait, pour les juges, de respecter strictement le caractère obligatoire des précédents (depuis toujours), ne fait que renforcer la portée de cette règle. Les juges ont intégré cette règle comme une sorte d'autodiscipline. Et, pour tous les juristes britanniques, elle constitue un élément intrinsèque à leur culture.

Il est difficile de savoir exactement comment s’est imposée cette méthode. Les juges ont voulu éviter l’arbitraire. Ils ont donc été fidèles aux précédents ( Dès 1250, Henri Bracton consigne 2000 cases). « Si jamais des choses similaires se produisent, dit-il, elle doivent être jugées de la même manière : car il est bon d’agir (proceed) de précédent en précédent ». La règle de « stare decisis » va ensuite devenir une règle obligatoire (mais formalisée seulement au XIXe siècle par la Chambre des Lords). Cette règle est caractéristique du travail des juristes anglais.

Ainsi, dans chaque procès, toute la discussion judiciaire va porter sur le point de savoir s'il y a un précédent,

dans quel sens précis il a été tranché. Le juge lui-même, par son jugement, devra prendre position dans cette discussion. Cela explique la motivation très argumentée, en droit, en fait et en valeur, des décisions juridictionnelles.

Naturellement, le précédent n'est obligatoire que s'il a été jugé par une cour supérieure à celle qui est appelée à se prononcer. Mais la juridiction même qui aurait déjà jugé dans tel sens une affaire antérieure identique ou similaire, est en principe formellement obligée de s'en tenir à la même décision. C'est du moins ce que le droit a imposé pendant des siècles, et cela même à l'égard de la juridiction suprême du royaume (le Comité des appels (Appellate Committee) de la Chambre des lords).

Exception à la règle du précédent Des artifices ont permis de ne pas remettre en cause le principe sacro-saint, tandis que le droit a constamment

évolué. En réalité, un juge peut toujours réussir à échapper aux exigences formelles du principe en montrant que le cas à trancher ne s'était en réalité jamais présenté jusqu'alors, du moins tel quel. Cela est toujours vrai, car les faits varient toujours infiniment, même si c'est d'une façon infinitésimale.

Aujourd'hui et depuis 1966, la Chambre des lords a reconnu que si les précédents déjà jugés par elle s'imposaient toujours en principe, même à ses propres décisions, elle pourrait néanmoins s'en écarter le cas échéant, lorsque cela lui apparaîtrait juste de le faire. En 1992, la Court of Appeal a posé elle aussi la possibilité de s'écarter d'un précédent qu'elle aurait elle-même jugé, dans les affaires où serait en cause la liberté d'une personne et pour lesquelles l'application du précédent entraînerait une injustice (les Divisional courts l’ont aussi décidé pour elles-mêmes, en 1984).

Conclusion

Le droit anglais a été et demeure l’un des grands systèmes d’influence à travers le monde. Ceci pour des raison politiques et économiques, mais aussi à cause de sa valeur technique. Il existe des influences partielle innombrables. Certaines sont ponctuelle (le trust), d’autres moins (nouvelle procédure pénal en Italie). Dans certains cas, il y a même eu une véritable transposition dans des systèmes nationaux. Cela a permis de constituer une famille des systèmes de common law. Mais chaque système a pu préserver son identité. On

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distingue donc le droit anglais lui-même et les systèmes où il a été transposé ou qu’il a influencés. Ce « monde de la common law » a une certaine unité que ne connaît pas la famille des systèmes romano-germaniques (Legeais 91).

La Common Law se distingue de la famille de droit romano-germanique fortement influencée par le droit

romain. Un droit romain qui aurait pourtant pu s’implanter d’avantage dans les îles britanniques (invasion romaine, enseignement au XIIe siècle, présence de l’Eglise). Mais pourquoi cela n’a-t-il pas été le cas ? Voyons comment ce droit romain a pu se développer en occident. Cela nous donnera pour la suite, tout au long du semestre, des éléments pour comprendre sa faible pénétration dans le domaine du droit anglais. II. LE DROIT ROMAIN (IUS), SA MORT ET SA RESURECTION

(I. = Une Définition de la common law) Quand l’Empire romain d’Occident est tombé (476), son droit, le droit romain, a commencé à dépérir. Le

mouvement a été brutal en Angleterre (les troupes romaines quittent l’île au Ve siècle). Le mouvement est assez lent sur le continent, notamment en France près de la Méditerranée, en Espagne, et surtout en Italie où ne disparaît jamais vraiment.

En Italie, apparaît au XIIe siècle le mouvement dit de « renaissance du Droit romain ». Il influencera les

droits continentaux et atteindra même l’Angleterre. On peut se poser deux questions : qu’est-ce que ce droit romain et que fut sa renaissance ?

A. L’universalisme du droit romain à la fin de l’Empire

S’agit de nous borner ici aux caractères dominants. Le droit romain a un caractère universel, ou au moins

prétend l’être. Cela est dû au caractère absolu du pouvoir qui l’édicte et au règne de la « Loi » (constitutions).

1. La proclamation de l’universalité On peut considérer que l’universalité du droit romain est affirmée par L’édit de l’empereur Caracalla (212).

Rome devient la patrie commune (Roma communis patria) et le droit romain, le droit commun (ius commune). L’Edit de Caracalla entaîne généralisation de la citoyenneté romaine et donc du droit qui est fait à Rome.

L’Edit de Caracalla confère la citoyenneté à l’immense majorité des habitants (libres !) de l’empire. L’empereur proclame : « Je donne à tous les pérégrins qui son sur terre (= dans l’empire romain) la citoyenneté romaine » … « à l’exception des déditices ».

Dans l’empire romain, les pérégrins sont des hommes libres, ne disposant pas de la citoyenneté romaine (ni

du statut juridique des Latins). Les pérégrins habitent les provinces conquises par Rome. Ils ont un statut inférieur. Leur statut juridique (civil et pénal) est inférieur, ils payent plus d’impôts et n'ont aucun droit politique à Rome. Les pérégrins peuvent acquérir la citoyenneté romaine pour eux et leur famille en servant 25 ans l'armée romaine ou en achetant leurs titres. Ce statut disparaît donc en 212 apr. J.-C. quand l'édit de Caracalla donne à tous les hommes libres de l'empire la citoyenneté romaine.

Les déditices quant à eux, sont exclus – même après 212 – du bénéfice de la citoyenneté. On sait la grande

infériorité de leur condition. - Ce sont les peuplades rebelles ou ennemies, qui vaincues, faisaient dédition (s’en remettent à

Rome). Pour les déditices on applique le droit de l’administration militaire ; les coutumes - Ce sont aussi les affranchis (de la loi Aelia Sentia).

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Notons enfin que l’Edit ne concernait que les pérégrins qui se trouvaient sur le territoire soumis à Rome en 212, mais pas ceux qui s’y établirent par la suite.

Pourquoi un tel édit ? Le texte qui contient l’Edit (Papyrus de Giessen) invoque un désir de l’empereur de

plaire aux dieux, en leur donnant de nouveaux fidèles. C’est peu vraisemblable car la religion traditionnelle était déjà en déclin. On a surtout fait valoir un motif fiscal. Plus de citoyens signifiait plus d’impôts, notamment plus d’impôts sur les successions que Caracalla venait justement de doubler (il passe du 20e au 10e).

Conséquences : Accroissement considérable du nombre de citoyens (toute donnée chiffrée est cependant

impossible). Au niveau politique, il n’y a pas un grand intérêt à être citoyen car ceux-ci ne participent plus à la direction politique assemblées). Mais l’avantage essentiel de la citoyenneté réside dans la perspective d’une carrière administrative (parfois brillante et fructueuse). Elle permettait aussi à des citoyens d’origine ethnique différente de contracter des mariages reconnus par le droit romain et de se prévaloir du droit familial romain. Bref, le droit romain a désormais vocation à s’applique de façon quasi-universelle.

2. L’unification des sources : des lois votées aux lois du prince

Il y a bien sûr les lois de la période classique, mais il y a aussi et surtout les lois de l’empereur.

a. La loi Le mot lex désigne à Rome des actes juridiques de valeurs très diverses (on qualifie de lex des clauses

insérées par un particulier dans un contrat). Mais lex désigne également des actes émanant des autorités publiques qui formulent des règles obligatoires de caractère général. Ce sont les lex publicae. A l’époque classique, les juristes insistent sur l’importance de la loi dans la cité (pacte qui lie les citoyens et garantit l’ordre et la force de la cité).

Elaboration L’initiative de la loi appartient aux magistrats supérieurs (consuls, préteurs, tribuns). Ce sont souvent des

scribes spécialisés qui rédigent le projet. Le magistrat qui propose une loi lui donne son nom. Le projet est porté à la connaissance des citoyens par affichage avec indication du jour du vote. Les citoyens peuvent en discuter dans des réunions non officielle (contiones) et suggérer des modifications. Le magistrat peut alors modifier le texte.

Le jour du vote le magistrat lit son projet devant les citoyens réunis aux comices (assemblée) puis les invite à se prononcer sur le texte. Le texte ne peut plus être modifié. Le vote se fait par oui ou par non. Lorsque la majorité favorable est acquise, le magistrat promulgue sa loi par une déclaration solennelle. (Mais les magistrats pouvaient obliger les comices à suspendre leurs travaux, l’élaboration de la loi dépendait donc étroitement de la volonté du magistrat). Mais le droit que l’on retrouvera le plus dans l’Europe du Moyen Age, est celui qui a émané de l’Empereur et qui a été codifié pendant l’Antiquité tardive. Ce sont les constitutions impériales.

b. Les constitutions impériales (Empire : 27 avant J. C.)

Il faut tout d’abord souligner que l’instauration du régime impérial (-27) ne mit pas un terme immédiat à

l’activité législative de l’Assemblée. Dans un premier temps, elle vota des lois sur proposition de l’empereur. Dernière loi de l’Assemblée connue : loi agraire de l’époque de Nerva (96-98).

En 19 avant notre ère, Auguste reçoit un imperium consulaire viager, il se voit conférer le pouvoir de faire

des lois. Il refusa d’en user, mais dans les faits, il fit œuvre législative. L’assemblée des comices s’efface dès son règne, ce qui laisse la place au sénat pour intervenir activement dans le domaine législatif par les senatus-consultes.

Les empereur suivant vont présider le sénat et faire voter des senatus-consultes qui reprennent leurs vœux (exprimés dans leurs discours – oratio principis). Ces senatus consultes vont eux-même disparaître au profit de la législation de l’empereur, notamment par les édits.

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Les empereurs du Ier siècle légifèrent sans hésitation. L’empereur a reçu l’imperium (le pouvoir suprême) par la loi. Il y a eu transfert du pouvoir suprême du peuple à l’empereur par la lex de imperio qui justifie le pouvoir législatif de l’empereur, « l’autorité » du « prince ».

Lorsque l’empereur légifère il fait des constitutions impériales. Les « constitutions » valent « loi ». Quelles

sont elles ? : édits, rescrit, décrets, mandats. - L’édit. C’est la mesure générale la plus proche de la loi. L’édit s’applique à tous à travers tout l’empire.

Cependant il peut être limité à une catégorie de personnes ou à une région. - Le rescrit. Ce sont les réponses de l’empereur. L’empereur peut être saisi d’une question de droit par un

fonctionnaire ou par un citoyen. Il répond par un rescrit qui fixe le point de droit. Il laissa aux intéressés le soin d’en faire application. Il ne vaut en principe que pour l’affaire qui l’a suscité, mais en pratique il peut constituer un précédent (vue l’autorité dont il émane). Le rescrit devient règle de droit à l’image de l’édit.

- Le mandat. L’empereur s’adresse par mandats à ses fonctionnaires. Ces instructions sont créatrices de droit. Le plus souvent, il s’agit de règles concernant l’administration de l’Empire.

- Le décret. C’est un jugement rendu par l’empereur dans un procès qui est monté jusqu’à lui. Le jugement devient vite un précédent (par l’autorité de l’empereur).

Les constitutions vont gagner le monde du droit. Au IIe siècle, les lois de type républicain ont disparu. Les

constitutions impériales règnent presque sans partage (seule la coutume persiste). La primauté de la loi impériale triomphe avec l’absolutisme du Bas-Empire (284-565). Au IVe siècle on parle de loi (lex) pour désigner les constitutions impériales. L’activité des empereur est considérable. L’empereur est qualifié de « loi vivante ». Les compilation des Ve et VIe siècle en conserveront une partie.

c. Les compilations

Depuis 364, l’empire est administrativement divisé en deux : empire romain d’Occident et d’Orient. Chaque

partie a son empereur, mais l’unité de l’empire subsistait. En 438 l’empereur Théodose II (408-450) fait compiler un code : le Code Théodosien. Ce code est fait à

Constantinople (capitale orientale de l’Empire), mais il est aussi transmis à Rome pour son application en Occident (unité législative). C’est la première codification officielle.

Mais ce ne fut qu’avec Justinien qu’une œuvre de grande ampleur fut réalisée. Avec Justinien (527-565) deux

compilations furent réalisées. Elles permirent aux praticiens de disposer d’une « somme » d’un droit élaboré au cours des siècles et encore applicable.

Les juristes du Moyen Age ont appelé les Compilations « le Corps du droit civil » (Corpus juris civilis ), ce

qui illustrait mieux l'ampleur monumentale de l'entreprise. L’empereur Justinien (527-565) voulait restaurer la grandeur de Rome : - militairement (reconquête provisoire d'une partie de l'Italie, de l'Afrique du Nord et de l'Espagne tombée en

des mains barbares), - et intellectuellement, en élevant un monument au droit, c'est-à-dire à ce que les Romains ont toujours conçu

comme étant au cœur de leur civilisation. Il confia cette mission à une équipe de juristes (dirigée par Tribonien, un professeur de l'Ecole de Droit de Constantinople). Le résultat fut la publication de ces oeuvres majeures que sont le Code et le Digeste, et d’ouvrages de moindre importance, les Institutes et les Novelles.

α. Le Code de Justinien. Il est publié en 529 avec une seconde édition en 534. C’est une collection de constitutions impériales dont les plus anciennes datent d’Hadrien, au IIe siècle (117-138).

Comme le Code Théodosien, le Code de Justinien (divisé en XII livres pour rendre hommage aux XII Tables,

fondatrices du droit romain) est un recueil de constitutions impériales, mais la mission confiée à l'équipe de Tribonien était d’une plus grande ampleur.

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D’abord du fait de la longue période couverte : de Hadrien à Justinien (du IIe au VIe siècle). Il fallait en outre, après avoir divisé les matières en livres et en titres, composer les titres en sélectionnant des textes. Il fallait mettre en avant ce qui était important et retrancher ce qui était obsolète ou encore adapter les textes aux nécessités du VIe siècle. Le Code fut promulgué en 529, puis réédité, avec quelques adaptations et compléments en 534.

β. Le Digeste (533). C’est une immense compilation de fragments des œuvres des juristes classiques.

Le Digeste fut l’œuvre la plus extraordinaire. D’abord, parce qu’à la différence du Code elle n’avait pas de

précédent. Ensuite parce qu'il s'agissait de réunir toute l’œuvre doctrinale (la jurisprudence des Romains) depuis le IIe siècle av. J.-C. jusqu’au IIIe siècle. Puis, après avoir découpé, regroupé et aménagé les passages des multiples auteurs, construire un ouvrage qui, en 50 livres divisés en titres embrasserait toute la pensée juridique romaine pour l’adapter au besoins de l'époque.

On a donc codifié de la doctrine, ce qui fait que la doctrine utilisée, lorsque le Digeste fut promulgué en 533, devint ainsi de la législation étatique. Les juristes médiévaux ne s’y sont pas trompé : ils définirent comme étant des « lois » tous les fragments du Digeste. En étant codifiée, la doctrine devenait loi.

γ. Les autres oeuvres

- Les Institutes (533) Les Institutes furent un manuel, très synthétique, destiné à la formation des futurs juristes. Cette oeuvre doit

beaucoup aux Institutes de Gaius grand juriste romain (l'un des « princes de la jurisprudence », au milieu du IIe siècle).

La rédaction par l'empereur d'un manuel officiel peut surprendre, mais c'est cependant une démarche à rapprocher de celle de Napoléon prescrivant que les étudiants en droit fassent leur formation en étudiant ses codes.

- Les Novelles De 534 à 665, Justinien produisit encore une abondante législation. On l'a publiée dans le livre des Novelles,

c'est-à-dire des Nouvelles constitutions (Novellae constitutiones ). L'importance des textes est très inégale et on ne perçoit pas de réel effort de construction.

La compilation justinienne jouera un rôle primordial dans la renaissance juridique des XIIe-XIII e siècles.

Conclusion (du A.) En 476, lorsque l’empire romain d’occident disparaît c’est le fin de l’Empire et le début d’unités politico-

sociales plus petites. Il y a alors mise en place des royaumes dits « barbares » parce qu’ils portent le nom d’une « nation » barbare (Francs, Alamans, Angles) souvent à l’origine des nations ouest-européennes.

Sur le plan du droit, les lois « barbares » sont rédigées. Est-ce le triomphe de la coutume ? Mais qu’est-ce que

la coutume ? Est-ce la common law ? N’anticipons pas. L’empire romain laissait son droit en héritage. Il allait être redécouvert à partir du XIIe siècle en Occident.

B. La renaissance du ius (adversaire médiéval de la coutume)

Avant la renaissance il y a eu un déclin du droit romain. On le voit avec disparition de l’utilisation des codes.

Déjà à l’époque de sa promulgation, le Code de Justinien (529), accompagné du Digeste (533) est réimplantée seulement dans le Sud de l’Italie et à Rome (reconquête provisoire). Ailleurs en Occident, c’est le Code Théodosien (438) que l’on avait appliqué.

Après la chute de l’Empire romain d’Occident, en Gaule, dans les campagne les juges sont plutôt ignorants

du doit romain. Même dans les villes on utilise un résumé du Code Théodosien, plus commode. En 506 est

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promulgué le Bréviaire d’Alaric, pour le sud-ouest de la Gaule. Il contient notamment un résumé du code Théodosien et des Institutes de Gaius.

Au IXe siècle, le déclin continue, on utilise désormais des résumés du résumé, assez tronqués (Epitomés et decurtati).

Mais, au début du XIIe siècle, non loin, Bologne, on ouvre des cours où le Code de Justinien et le Digeste

sont commentés par des maîtres. Les élèves de ces maîtres italiens vont devenir des techniciens du droit, appréciés par les grands seigneurs et les rois. Ils deviennent conseillers, juges ou avocats.

C’est la Première Renaissance – pas des lettres, comme au XVe – mais du droit. La renaissance est double : renaissance manifeste – les « lois/leges » (1) – et une renaissance biaisée – les canons – (2).

1. La recréation des lois et la science du ius

Observerons comment ce droit a été redécouvert et selon quelle méthode (a), puis voyons comment il a été

diffusé en Europe, jusqu’en Angleterre (b).

a. Méthodes et caractère A la fin du XIe siècle à Bologne, en Italie, on connaît les premiers livres du Digeste. Au milieu du XIIe siècle,

les juristes bolonais disposent de l’ensemble du Digeste. Au XIIe siècle les œuvres seront copiées et vont se multiplier. Les lieux de composition sont multiples, mais il y a cependant une unité dans la méthode.

Une doctrine va progressivement naître par la glose explicative. Ce travail de construction doctrinal juridique s’inscrit dans un mouvement plus large de renouveau intellectuel. On redécouvrait par exemple Aristote, renouvelant la philosophie, et stimulant la théologie.

Deux écoles vont se succéder. L’école des Glossateurs. Elle connaît son apogée de mi-XIIe à mi-XIIIe siècle (1160-1268). Les glossateurs

prennent le droit de Rome comme un droit actuel. Ils suivent le texte pas à pas dans leur glose (annotations en marge ou entre les lignes qui vise à expliquer un mot ou un passage obscur).

Les premiers glossateurs devaient surmonter une difficulté linguistique et une difficulté conceptuelle :

- Une difficulté linguistique car le latin médiéval était une langue fort élémentaire en comparaison du latin utilisé dans les sources juridiques.

- Une difficulté conceptuelle : les concepts juridiques véhiculés par le droit romain (obligation, contrat, propriété, possession, etc.) sont a priori des notions complètement étrangères aux pratiques juridiques simplistes, rudimentaires et parfois barbares qui étaient à la base du droit tel qu’on le pratiquait au Moyen Age (ordalies : jugement de Dieu).

Il fallait alors comprendre les idées. Et comme la société qui avait produit ces textes avait disparu, la seule

solution était de retrouver le contexte en dépouillant les dizaines de milliers de fragments qui composaient les Compilations de Justinien. Or le Code et le Digeste étaient la source idéale pour cela. Les dizaines de milliers de fragments qui les composaient étaient des cas pratiques, des situations précises dont la lecture systématique permettait, au bout de quelques années, de comprendre le contexte dans lequel les textes avaient rédigés et, parallèlement, les concepts juridiques qu'ils véhiculaient.

Le lecteur médiéval de textes juridiques romains découvre donc les textes. Si personne n’a mis de glose avant

lui, ou s’il n'est pas d'accord avec l’analyse de son prédécesseur, il va écrire son élucidation en marge (glose marginale), et parfois, dans les premiers manuscrits, entre les lignes du texte romain (glose interlinéaire : il s’agit pratiquement toujours d’élucidations grammaticales).

Mais sa lecture va le conduire à rencontrer des notions qu'il ne comprend pas bien ou pas du tout. Il va alors

bénéficier du véritable tour de force que réalisa, au tournant du XIe et du XIIe siècle, la première génération de

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glossateurs : la mise en correspondance de milliers de textes produisant, en marge des premiers manuscrits glosés du Digeste, d'impressionnantes listes de références (et rien d'autre au début).

Parmi les glossateurs, citons Placentin (1135-1192). Il est italien (Piacenza). Il compose un traité sur les

diverses variétés d’actions en justice. Il vient à Montpellier vers 1165 et y enseigne dans les années 1180. Il va se consacrer aux Institutes et au Code.

Citons aussi Accurse qui fait la Somme du travail des Glossateurs avec la (Grande) Glose. Avec lui, l’école des Glossateurs va connaître son apogée et le terme (1227). Une nouvelle école va naître : celle des « Post-Glossateurs » ou encore des « Commentateurs ».

Les Commentateurs (XIVe s.) (moins dépendants des sources romaines). Ils sont soucieux des faits et des

réalités sociales. Ils ne suivent pas comme les Glossateurs le texte pas à pas. Les commentateurs délaissent les gloses pour s’engager dans la systématisation du droit. Ce sont des praticiens.

Au XIVe siècle, la « science du droit » règne au dessus de toutes les disciplines. Elle assure souvent prestige, pouvoir et richesse. Les consultations juridiques par écrit sont payées très cher et ont un poids important lors d’un procès surtout si leur auteur est renommé (on cite les honoraires d’un consultant de Bologne valant plus de deux fois le salaire annuel d’un professeur de philosophie !). Citons Bartole (1314-1357 ou Balde (1327-1400).

b. L’enseignement

Le droit romain va être enseigné dans des universités. On considère que deux grands centres universitaires

dominent la vie intellectuelle médiévale : Bologne, la capitale du droit et Paris, capitale de la théologie. A Bologne, l’Université est d’origine privée et séculière. Elle s’est greffée sur un école de notariat. La

papauté va manifester un intérêt pour Bologne et essayer d’y instaurer son contrôle. Les étudiants (« écoliers ») constituent une corporation puissante qui élit le recteur, qui représente l’Université.

Les examens sont passés en public devant tous les docteurs (doctorat obtenu après 7 ans d’études pour les légistes). Le succès de Bologne est considérable. Et le droit romain sera aussi enseigné dans d’autres universités européennes.

Entre le début du XIIIe siècle et la fin du XIVe siècle, 28 universités virent le jour en Europe occidentale (5

seulement avec une faculté de Théologie). Entre la fin du XIVe siècle (1379 : fin de la Captivité d’Avignon en 1378) et 1500, 31 universités (toutes sauf 3 ont une faculté de théologie).

Il y a tout de même une réserve à cette renaissance juridique. Cette réserve vient de l’Eglise. Elle est due à

ses relations avec l’Empereur germanique. L’empereur germanique se veut le successeur des empereurs de Rome. Or, les relations entre l’Eglise et les empereurs germaniques ne sont pas les meilleures depuis la querelle des investitures (fin XIe-1122). Ce que craignait l’Eglise, c’est que l’on interprète l’utilisation du droit romain comme un signe de reconnaissance d’une dépendance vis-à-vis de l’Empire d’Allemagne.

D’autre part, l’Eglise a aussi eu peur que l’étude du droit romain ne détourne de la théologie. Faire profession d’avocat (lucratif), c’était déserter les cloîtres et témoigner d’un appétit du gain (déshonneur).

Il fut donc décidé que le droit romain ne serait pas enseigné à Paris. Le droit romain était le concurrent

d’étude du droit canon, il incitait aussi à des gains abusifs. Cette interdiction est formulée en 1219 (décrétale Super Specula par le pape Honorius III) pour Paris et ses environs. Certains y ont vu par derrière, la volonté de Philippe-Auguste de ne pas voir enseigner un droit qui symbolisait la supériorité de l’Empereur (germanique) sur le roi (de France). Cette thèse est discutée (Carbasse).

A la suite de l’interdiction de l’enseignement public du droit romain à Paris en 1219, l’évêque d’Orléans

obtient du pape l’autorisation d’enseigner le droit romain. (Orléans n’est pas dans « les environs de Paris »). Les premiers enseignants viennent de Bologne. Orléans sera une Université réputée mi-XIIIe - début XIVe siècle. Citons aussi pour le Sud, l’Université de Montpellier…

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Bref, l’enseignement du droit romain va se répandre en Europe Occidentale (avec des variantes dans la réception et parfois de l’hostilité).

Que se passe t-il en Angleterre ? Les coutumes n’ont pas disparu avec la conquête normande. Mais le pouvoir

royal est un pouvoir fort et unificateur. Ces conditions pouvaient être propices à l’unification juridique. En 1070, Guillaume le Conquérant nomme Lanfranc (abbé du Bec en Normandie) archevêque de Canterbury.

Or, Lanfranc est passé dans l’école italienne de Pavie. Il s’occupe de la législation qu’édicte le roi. Le chemin vers l’Italie et le droit romain est donc tout tracé.

L’archevêque de Canterbury va faire venir des glossateurs. Il installe ces enseignants italiens à Oxford (vers 1140). Vacarius y fonde une école de droit. Il y compose une Somme des 9 premiers livres du Code (Justinien) pour former les jeunes romanistes.

Mais, très vite en 1151, le roi Etienne Ier (1135-1154) interdit l’enseignement à Vacarius. En 1234, Henri III étend à Londres l’interdiction d’enseigner le droit romain. L’enseignement va cependant persister à Oxford et Cambridge (civil law). Certains auteurs – dont nous reparlerons plus tard – comme Glanvill (1187) ou Bracton (v. 1260) utiliserons le droit romains dans leurs œuvres. Glanvill utilise le droit romain dans son traité Des lois et des coutumes du Royaume d’Angleterre (1187). Un siècle plus tard, vers 1260, dans un traité paru sous le même titre, Bracton (qui connaît bien le droit romain) le met en œuvre dans son essai de systématisation du droit anglais. A cette époque en Angleterre, les juridictions ecclésiastiques et quelques cours séculières appliquent le droit romain.

Mais les oppositions ont donc été nombreuses en Angleterre. Les théologiens ont craint de perdre leurs

élèves. La royauté était réticente vis-à-vis de l’Empire germanique et d’un « droit de l’Empire » (cf. Philippe-Auguste pour Paris en 1219). Les Grands ont eu peur que ce droit ne serve l’absolutisme royal.

Il en découle que dès le XIIIe siècle, les juristes royaux, organisés en « profession » se refusent à apprendre

le droit romain. Ils créent leurs propres écoles, notamment à Westminster. De la pratique de ces juriste naîtra la common law, en dehors du droit romain. La culture romaine sera cantonnée à la Chancellerie royale, peuplée d’ecclésiastiques.

Quoi qu’il en soit, ce droit romain a un caractère laïc. A côté de lui, un autre droit va se développer à ces

mêmes périodes. Il s’agit du droit canonique. Il s’appliquera en Angleterre.

2. La formation d’un droit romano-canonique Depuis ses débuts, l’Eglise a eu besoin de textes, de règles pour encadrer les croyants et organiser ses

institutions. Il y a bien sûr la Loi divine tout d’abord : l’Ancien Testament (loi de Moïse) et Nouveau Testament les Evangiles. Mais cela a été vite insuffisant sur le plan du droit (Dix commandements sont très généraux, Tu ne tueras point ; interdits d’inceste plus les mêmes). D’où le besoin d’un autre droit : le droit canonique.

a. Les canons

Le terme Canon : règle en grec (kanôn) : l’outil puis la règle de droit. Les sources : Depuis le début du VIe siècle on a composé des collections canoniques regroupant des textes

destinés à guider les fidèles : des canons des conciles, décrétales pontificales, textes des Pères de l’Eglise. Dans un premier temps toutes ses sources sont classées dans un ordre chronologique. Puis on va en faire un

classement thématique (plus pratique). Mais c’est au XIIe siècle qu’un effort particulier est réalisé pour rendre ce droit encore plus efficace.

Avec le Décret de Gratien (1140s) s’ouvre en effet le temps de la science canonique (Décret = surnom usuel).

Il reprend les collections antérieures. Mais il cherche à établir la concorde entre les canons discordants concernant l’organisation de l’Eglises et la vie sociale (d’où son titre : « Concordia discordantium canonum).

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Il s’agit donc d’un recueil qui fixe le droit et une œuvre de doctrine. Il ouvre la voie à la doctrine du droit canonique (ce qui est nouveau).

Les premiers commentaires vont suivre de très près la diffusion du Décret. Nous ne rentrerons pas dans les détails, mais retenons que la doctrine canonique connut au XIIIe siècle une époque particulièrement brillante.

L’époque Post-Classique qui suivra (1350-1500) sera moins novatrice et sera caractérisée par une œuvre de compilation. Beaucoup de canonistes s’engagent dans la vie politique (agents diplomatiques). Ils sont engagés dans les conflits qui opposent les papes aux rois ou empereurs.

D’une manière générale, beaucoup de matières sont marquées par le droit canonique. Les modes de

désignation du titulaire d’une autorité. Les techniques électorales, le scrutin, le calcul d’une majorité, le poids de l’unanimité… Les relations diplomatiques (statut des légats). Le droit familial, le mariage, le droit de la filiation, les registres de baptême, mariage et funérailles. La moralisation du droit des obligations (bonne foi), la théorie de la personnalité juridique, le principe de la non-rétroactivité des lois.

b. Son enseignement

Le droit canon est bien enseigné à Bologne mais là, le droit canon est seulement un appendice du droit

romain. En France, interdiction de l’enseignement du droit romain ; reste le droit canon. Au milieu du XIIe siècle, la théologie a beaucoup de succès. A Paris, la présence intermittente du roi,

l’activité économique, le prestige des école font de cette ville un pôle d’attraction. Les écoles attirent les étrangers.

A Paris, il y a une différence avec Bologne, les écoles sont coiffées par l’Ecole de théologie. Les écoles vont

se fixer en dehors de la Cité, sur la montagne Sainte-Geneviève. Vers 1200, ces écoles se regroupent en un organisme unique : « l’Université des maîtres et des écoliers de Paris ». C’est une association, un corps qui a son autonomie administrative (un sceau à partir de 1246). Elle a aussi des privilèges (privilège de juridiction sur ses membres).

Dès le début du XIIIe siècle, l’université de Paris passe sous le contrôle de la papauté, qui la réglemente, la protège par le jeu de l’exemption, arbitre ses différends avec l’évêque ou le roi et la surveille par l’intermédiaire d’un légat. Elle bénéficie aussi dans l’ensemble de la protection de la royauté. Paris devient la capitale du savoir qui attire maîtres et étudiants de toute l’Europe (regroupés en Nations).

Depuis la fin du XIIe siècle, des établissements religieux ou des particuliers ont fondé des collèges pour accueillir, nourrir et loger les écoliers. En 1257, parmi les premiers fondés, figure celui dont le nom éclipsera tous les autres, le collège de Sorbonne : c'était une oeuvre du confesseur de saint Louis, le chanoine Robert de Sorbon (1201-1274), soutenue par des libéralités royales.

A l’Université de Paris, avec notamment son école théologique, s’illustrèrent des maîtres Brillants (Thomas d’Aquin vers 1250-1270). Le XIIIe et le XIVe siècles furent la grande époque de l'université de Paris, à laquelle pouvait alors s'appliquer la devise choisie par Robert de Sorbon pour son collège : « vivre en bonne société, collégialement, moralement et studieusement ». Riche d'un afflux d'étudiants venus de toute la chrétienté, elle brillait à la fois par la vigueur de son débat intellectuel et par son pouvoir au sein du royaume, basé sur une réelle indépendance mais aussi sur le soutien apporté au roi de France en toute occasion (à Philippe le Bel face au pape (1303), à Louis le Hutin dans ses prétentions dynastiques, à Charles V qui la baptise "fille aînée des rois"). Maîtres et étudiants formaient véritablement une corporation, sans la distance qui devait les séparer plus tard.

Les bâtiments seront rebâtis par Richelieu (XVIIe siècle). Supprimée sous la Révolution en 1792. En 1816, établissement devient facultés des lettres, des sciences et de théologie.

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[problématique et plan] Comprendre l’esprit d’un droit, c’est comprendre comment se sont formées des fictions, des présupposés,

voire les fantasmes qui sous-tendent le discours juridique. Présupposés souvent exprimés de façon plus claire dans le passé, peu à peu enterrés sous le discours rationnel ; d’où l’utilité de considérer le droit dans son développement historique. Les structures mentales, juridiques ou autres, sont des courants de très longue ampleur. Le grand juriste anglais Maitland (Frédéric William M., 1850-1906) a dit, après la suppression de la procédure par writs (en 1873-1875, cf. infra) : « nous avons enterré les writs, mais de leur tombe, ils gouvernent encore nos esprits ». Ainsi ce système procédural par writs a t-il modelé le droit anglais tel qu’on l’applique encore aujourd’hui (les writs ayant eux-même disparu). L’histoire du droit permet de mieux comprendre le droit positif. Un droit positif anglais très ancré dans le passé. Et ceci à tel point que certains auteurs ont parlé au sujet de la common law, de la « coutume immémoriale du peuple anglais ». Jusqu’où faut-il donc remonter ? Dans son manuel sur Le système juridique de l’Angleterre, Henri Lévy-Ullmann évoque un jugement de 1926 citant la loi d’Ine roi de Wessex (688-694). Par ailleurs, les anglo-saxons ont laissé en héritage certains éléments, comme l’administration locale, sur lesquels se bâtira la common law. J’ai donc choisi de débuter ce cours au début de la période historique, c’est-à-dire à l’époque de l’implantation romaine (rapidement évoquée), mais surtout au début de la période anglo-saxonne. Préambule nécessaire à la formation de la common law.

Plan :

- Partir du problème des origines de cette « coutume immémoriale du peuple anglais ». Depuis quand ? (chap. I). - Nous examinerons alors les juges et les institutions judiciaires (chap. II). - Puis la procédure des writs, la clef de l’évolution du droit anglais (chap. III). - Puis le problème de l’écriture/fixation de ce droit « non-«écrit » (chap. IV). - Enfin les évolutions des temps modernes (XVIIe-XIXe) (chap. V)

Pour aller plus loin : LEVY-ULLMANN H., Eléments d’introduction générale à l’étude des sciences juridiques II : le système juridiques de l’Angleterre, Paris 1928 (rééd. 2000) BAKER, J.H., An Introduction to English Legal History, Butterworths, 2002. ALLISON J.W.F., A Continental Distinction in the Common Law : a Historical and Continental Perspective on English Public Law, Oxford 1995. BOURREAU A., La Loi du Royaume (Les moines, le droit et la construction de la nation anglaise, XIe-XIIIe siècles), Paris 2001. VAN CANAEGEM R.C., The Birth of the English Common Law, Cambridge 1981. GILISSEN J., Introduction historique au droit, Bruxelles 1979 (sur la CL, p. 183-198). POLLOCK F. et MAITLAND F.W. (1895, rééd. compl. Par MILSOM S.F.C), The History of English Law before the Time of Edward I, 2 vol. Cambridge 1968. VANDERLINDEN, Jacques, Histoire de la Common Law, Mocton, 1996. FRISON, Danièle, Histoire constitutionnelle de la Grande Bretagne, Ellipses 2005.

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CHAPITRE I

LA QUETE DES ORIGINES ET SES CONTRADICTIONS UN PEU D’HISTOIRE ANGLAISE

Ici comme ailleurs, le prologue est la chute de l’Empire romain au Ve siècle et son corrélat, les invasions

barbares. De là sortent les premiers royaumes européens, moules des proto-nations d’Europe de l’Ouest. Regardons ce concept d’invasion de plus près. C’est une spécificité de la Grande Bretagne : il y a des

invasions, mais pas de « grandes invasions » comme sur le continent. Après l’occupation romaine il y a trois invasions :

- l’invasion saxonne (Ve siècle) ; - l’invasion danoise (au IXe siècle, correspond à nos invasions normandes) - l’invasion normande (au XIe, et il s’agit des Normands de France).

C’est de cette troisième invasion que sortit – dit-on – la common law. Mais d’abord, faisons un peu de terminologie. Ici, paradoxe : l’île de Bretagne a été envahie (surtout) par les Saxons mais elle se nomme England (confirmé

par le français Angleterre), et non Saxland. Elle porte donc le nom d’un autre peuple germanique, venu du Danemark, souvent en lutte contre les Saxons : les Angles. D’où le doublet forgé au XIXe par les historiens et les linguistes, anglo-saxon.

Le problème se complique, car il n’y a pas seulement des Anglais, d’où le maintien d’un dérivé d’origine ancienne : British (fr. Britannique). On emploie British pour désigner ce ‘qui se rapporte au Royaume Uni’. Aujourd’hui un Ecossais, un Gallois, sont British.

Conclusion : la première contradiction : les conquérants les sont plutôt saxons et le nom est « anglais ». Cela

masque une seconde contradiction : non seulement on peut être à la fois English et British, mais la seconde catégorie est plus large et domine la première. Enfin, du point de vue de la langue, les envahisseurs sont là, mais ils n’ont pas éliminé les autochtones, bien au contraire.

Regardons à présent ce que disent les historiens

I. LE PREMIER TEMPS : DE L’ ILE DE BRETAGNE A L ’A NGLETERRE A l’époque romaine, l’Angleterre porte le nom de Bretagne (Britania). Elle est peuplée de populations

celtes, les Bretons. On place en général l’arrivée des Celtes vers 650-600 avant notre ère. On opposera plus tard la Grande Bretagne (l’ancienne Britania) à la petite, la nôtre, peuplée en partie par des populations venus de la Grande ! – nous en reparlerons.

Introduction : l’Occupation romaine

Les Romains débarquent au Ier siècle avant J.-C. Après une première tentative en 55 avant J.-C., César

débarque avec succès en Bretagne, l’année suivante en 54, avec cinq légions. Mais c’est l’empereur Claude (41-54 de notre ère) qui va mener la conquête systématique de la Bretagne

(avec trois légions prélevées sur le limes du Rhin et une autre de Panonnie et de la cavalerie). Les moyens sont

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considérables. Il résulta de la conquête et de la période de pacification qui suivit, l’édification d’un muraille au Nord. En effet on abandonna la progression plus au Nord dans des régions où la nature est hostile, tout comme ses habitants. Rome avait d’autres priorités. On laissa trois légions en Bretagne.

Il fallait donc établir une frontière protectrice au Nord. Ce fut le cas avec l’édification du mur d’Hadrien (emp. de 117-138). Le mur d’Hadrien est édifié à partir de 118. Il fait 167 km de long sans interruptions. Il est haut de 6 mètres et est complété par une série de bastions et de forteresses. Au sud du mur a été creusé un fossé à peu près parallèle (vallum). Les deux ouvrages traversent la Bretagne d’ouest en est.

Cependant, l’emplacement n’était pas idéal et on décida un peu plus tard, vers 145-150, de construire un autre mur plus au nord, le mur d’Antonin (emp. 138-161). On englobait ainsi quelques tribus celtes assez turbulentes. Cela permettait surtout de dominer la riche région du Fife. Cette dernière tentative fut un échec à cause de la pression des Calédoniens. Vers 163 on se replia donc sur le mur d’Hadrien. Les frontières en restèrent là.

A la fin du IVe siècle (après la crise de 367 – invasions –), la Bretagne paraît connaître une certaine stabilité

et prospérité. Les garnisons tiennent bien la région. Paradoxalement, c’est cette prospérité qui va nuire à la Bretagne. Les troupes sont en effet bien entretenues et sont donc un atout pour celui qui les commande. Or, une telle puissance peut parfois conduire à des rêves de pouvoir, notamment à celui du pouvoir impérial !

C’est ce qui va se passer une première fois dès 383 avec Maxime (Maxen Wledig de la tradition galloise), commandant en chef des légions stationnées en Bretagne. Il se lance à la conquête du pouvoir sur le continent avec ses troupes. Il parvient à éliminer l’empereur d’Occident Gratien (à Trèves), mais est tué un peu plus tard, en 388 par les hommes de l’Empereur d’Orient Théodose.

En 407, la chose se reproduit avec Constantin III (lui-même peut-être Breton). Il passe sur le continent avec

ses troupes mais il est fait prisonnier à Arles en 411, puis exécuté. Les Triades du Pays de Galles – documents tardifs, mais dignes de foi – indiquent que la jeunesse galloise enrôlée dans l’armée romaine par Constantin III ne revint jamais.

Elle fut utilisée par l’Empereur d’Occident Honorius (395-423) qui manquait cruellement de soldats à cette époque où l’Empire était menacé par les invasions (en 406, le limes de Germanie avait été franchi par des peuples germaniques Vandales, Burgondes et Alamans – L’Italie était elle-même saccagée : 410 sac de Rome par les Wisigoths).

Dans ce contexte, la sécurité de la Bretagne passait largement en arrière plan et les Bretons, privés de leur armée (romaine), durent se défendre seuls. En 410 en effet, l’Empereur Honorius écrivait aux cités de Bretagne pour les autoriser à prendre elles-mêmes leur défense : Rome abandonnait la Bretagne (sentiment de trahison).

Nous savons que dans un dernier sursaut d’espoir et face au danger des invasions, les Bretons envoyèrent une lettre en 446 au commandement de l’armée romaine en Gaule, Aetius, le suppliant de venir à leur secours ; en vain.

Nous savons qu’après le départ des légions, la Bretagne est encore romaine et chrétienne. Cependant, le

christianisme va s’estomper et les villes vont peu à peu disparaître. L’aristocratie celtique récupère son pouvoir militaire. Les aristocrates Bretons redeviennent progressivement des guerriers qui vont s’affronter. Mais bientôt des peuples germaniques allaient débarquer.

A. L’invasion germanique

Nous manquons alors cruellement de documentation pour les Ve et VIe siècles (lost centuries de l’histoire

britannique), c’est une période très obscure. En dehors des sources anglo-saxonnes ultérieures, les deux seuls historiens qui nous informent réellement sont à la fois relativement tardifs et peu fiables : ce sont Gildas et Nennius, nous entrons dans le domaine de la tradition ou plutôt de la légende.

1. La légende

L’analyse ancienne est celle qui oppose autochtones (bretons) et envahisseurs (saxons). Elle présente des

faits qui ne sont pas forcément faux, mais isolés et interprétés.

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Le Breton Gildas écrit avant 547 (peut-être vers 515-520) La Ruine et la plainte de la Bretagne (De excidio

Britanniae et conquestu). Il se sent encore Romain et considère le latin comme sa langue. Son œuvre est avant tout un essai moral (non un texte historique).

Le Gallois Nennius (pseudo-Nennius) écrit (édite ?) vers 830 son Historia Brittonum, compilation de traités d’origine variée (Description de la Bretagne, Vie de saint Patrick). Il n’a plus rien de romain.

L’histoire rapportée par Gildas et Nennius est légendaire. D’après eux, le chef Breton Vortigern (règne à

partir de 425) aurait engagé deux chefs de guerre saxons (Hengist et Horsa) pour repousser les Pictes et les Scotti (rappelons qu’Aetius avait refusé son aide à la Bretagne). En contrepartie, le chef Breton laissait les deux saxons s’installer dans le Kent avec leurs hommes.

Cette installation permit à ces derniers de s’apercevoir de la faiblesse militaire bretonne. Ils revinrent avec des renforts pour conquérir l’île. C’est l’histoire du loup dans la bergerie. Mais les sources ne la confirment pas. Il s’en serait suivi une cinquantaine d’années de lutte confuses, jusqu’à ce qu’un certain Ambrosius Aurelianus remporte une victoire au Mont Badon (Mons Badonicus (non identifié)), rétablissant un semblant de calme pendant la première moitié du VIe siècle (époque de Gildas).

Il en résulte que la toponymie celtique est balayée progressivement et même complètement dans certains cas.

L’occupation anglo-saxonne est dense sur la côte est et sur la plus grande partie du bassin de Londres. Il n’y a donc pas eu de fusion mais bipartition inégale de l’île : toponymie, les noms de rivière à l’est,

seraient tous germaniques alors qu’à l’ouest on trouve de très nombreux noms celtiques. Il y a donc formation de réduits autochtones à l’ouest : Pays de Galles, Cornouailles, Cumberland (Cumbria). Cela donne donc l’image de deux « Grandes-Bretagnes », l’une des vainqueurs, l’autre des vaincus. Les vaincus sont les Celtes.

Le résultat final est la dislocation du pouvoir (heptarchie (7 royaumes) d’un côte, cinq « tyrans » de l’autre). 2. Analyse critique

Est et ouest, les deux armées. La vision de l’invasion des peuples germaniques déferlant sur la Bretagne « comme des loups dans la

bergerie » doit être critiquée. Pour cela intéressons-nous à la méthode de « gouvernance » romaine. Dans les régions sensibles, Rome procédait à l’installations de déditices militaires (nous l’avons vu : ex-prisonniers de guerre qui n’avaient pas la qualité de citoyen) comme armées territoriales suppléant aux troupes régulières de choc (« armée de marche »).

Qu’en était-il dans l’île de Bretagne ? Le centre était divisé en deux provinces civiles, probablement très latinisées (importations d’esclaves

parfaitement étrangers). Ces provinces civiles sont entourées par trois régions militaires : Au Nord a été bâtie une muraille : mur d’Antonin, abandonné (vers 163), puis en retrait, le mur d’Hadrien.

On cherche à se défendue contre les Pictes/Bretons « peints », tatoués, donc « sauvages ». Cette région est dirigée par un par général (dux) de Bretagne.

Au sud-est, on cherche à se défendre contre les attaques des pirates saxons. Cette région est défendue par un général (comes) du « Rivage saxon » (litus saxonicum), qui s’étendra le long de la côte vers le Nord.

A l’ouest, on cherche à lutter contre les pirates irlandais ou pictes, c’est la région de la Valentia, avec un général (comes) de Bretagne.

Lorsque l’armée est partie (entraînée par les candidat à l’Empire), il s’agissait seulement de l’armée de

marche. Les contingents déditices de l’armée territoriale sont restés sur place. Or, les Romains avaient importé des Germains comme déditices (dont des Angles et des Jutes). Ils ont donc contribué à germaniser la Bretagne « avant l’heure ».

A l’est : l’archéologie montre que des Germains sont là au IVe, donc avant les Saxons. Angles et Jutes d’Angeln et Jutland. Voilà pourquoi « Angland » ainsi nommée par les Saxons arrivés seulement au Ve-VIe s. Les garnisons des forts du « Rivage saxon » (litus saxonicum étaient presque uniquement constituées de

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Germaniques. Depuis 350 déjà, les membres des peuples de la mer, circulant sur des bateaux proches de ceux des Vikings, mais à rames plutôt qu’à la voile, font partie du « paysage social » de la Bretagne. Le mouvement d’immigration s’est probablement intensifié à partir du départ des Romains en 409. C’est peut-être cette menace qui incite Honorius à envoyer sa lettre de 410 (Genet).

Au sud : la Chronique anglo-saxonne (date du IXe s.), parle pour le sud de l’Angleterre « d’envahisseurs » nommés Cerdic et Cadwalon, noms celtes. Chefs de contingents commandés par des chefs d’origine bretonne.

A l’ouest : les textes romains montrent installation comme déditices d’autres envahisseurs de la Bretagne romaine, pirates calédoniens (auj. « écossais ») ou irlandais.

Cette armé de déditices peut être considérés comme une deuxième armée ; c’est cependant une fausse

symétrie (langue et religion différentes). On va désormais opérer une différentiation entre les deux moitiés de l’île de Bretagne jusque là peuplée de

Britto-romains : A l’est les Angles ont été surgermanisés par les Saxons, tandis que l’ouest est receltisé par les irlandais

accueillant les réfugiés et devenant pseudo-autochtone. Dans les deux cas, la romanité disparaît. Deuxième offensive saxonne mi-VIe siècle Les événement se poursuivent après l’accalmie suivant la victoire bretonne du Mons Badonicus. La

pression reprend au milieu du VIe siècle. La Chronique anglo-saxonne évoque une grande victoire saxonne en 571 à « Bedcanford » à une cinquantaine de kilomètres à l’ouest de Londres. A partir de là, l’avance anglo-saxonne continue, tandis que sur la côte est d’autres installations se produisent. On peut déterminer l’origine de ces peuples s’installant en Bretagne (Archéologie + Bède).

Angles : sud du Danemark Leur nom vient de leur arme de combat angl, sorte de lance à crochet. Jutes : dans la Jutland Saxons : plaine côtière à l’est de la Weiser. Leur nom vient de l’épée à deux mains qu’ils maniaient ‘sachs’. (Il y a aussi des Francs) Les même populations sont donc désormais installées sur les deux rives de la Mer du Nord. Les Anglo-

Saxons qui s’étaient tout d’abord installés sur les côtes ont vite gagné l’intérieur des terres. Ces groupes de colons s’installent sous la direction d’un chef, souvent près des principaux établissements de l’époque romaine, évacués par les Bretons. Les villages sont alors signalés par des toponymes en -ing, formés à partir du nom du chef fondateur. Exemple : Hastings est le village de ceux qui dépendent du chef Haesta (nom probablement franc) (Genet).

3. Les résultats de l’invasion

La bipartition de l’île de Bretagne masque la dislocation d’un pouvoir central et d’un droit romanisant.

a. Moitié est Heptarchie : 7 royaumes anglo-saxons : Kent, Essex, Wessex, Sussex, Mercie, Northumbrie, Est-Anglie. Il existe bien des différences ethniques entre Angles, Saxons et Jutes (contenu des tombes), mais une

synthèse va rapidement s’opérer. Elle va s’accompagner qu’une homogénéisation linguistique. Les différents dialectes vont rapidement donner naissance à l’Old English. Même si pour les Bretons tous ces envahisseurs sont des Saxons (Sassenach), il convient de distinguer les différents royaumes qui ont donné des noms qui existent toujours aujourd’hui.

Les Jutes fondent un royaume :

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- Le royaume de Kent – capitale Canterbury (en 459). Le nom breton Cant a été conservé (les Bretons de cette région étaient les Cantiaci).

Les Saxons fondent leurs royaumes (sud, est, ouest et centre) : - Saxons du sud : Suth – Seaxna – Rike : Sussex. - Saxons de l’est : East – Seaxna – Rike : Essex. - Saxons de l’ouest : West – Seaxna – Rike : Wessex. - Saxons du centre : Middlesex (disparaît ensuite ?).

Les Angles sont situés au nord des territoires saxons dans : - le North-Umber-Land (‘pays au Nord de la rivière Humber’), Northumberland (ou Northumbria)

comprenant le Lindsey (colonie romaine de Lindum : Lincoln), le Deira et la Bernicie (noms bretons). Le Northumberland est le pays des Angles du nord.

- L’Est-Anglie : Pays des Angles de l’est (East-Anglia) (<Mid-Anglia> Poly ?) - La Mercie (‘Marche’ limite du territoire breton) Mercia/ « marche ». C’est le pays des Angles de

l’Ouest. Les Anglo-Saxons sont divisés politiquement. Des royaumes dirigées par des dynasties sacrées dans la plus

pure tradition germanique apparaissent (Genet). Certains rois parviennent cependant à s’imposer sur quelques autres. Ce sont les bretwaldas, qui exercent une autorité supérieure (Bède en dresse la liste). Au fil du temps, les frontières se déplacent en fonction des conflits entre royaumes. Mais ces conflits n’ont cependant pas freiné la progression vers l’ouest. Les Bretons sont cantonnés dans des zones refuge et font parfois alliances avec certains Anglo-Saxons, contre d’autres (jeu diplomatique complexe). Enfin, les Anglo-Saxons vont progressivement être gagnés par le christianisme, ce qui va profondément altérer la monarchie anglo-saxonne et moins différencier les Germaniques de leurs voisins.

b. Moitié ouest

Au début du VIe les Bretons résistent toujours aux Anglo-Saxons. Ils connaissent d’ailleurs parfois des

victoires. Il est désormais difficile désormais de parler de Bretagne et de Bretons. C’est à cette époque qu’apparaît le nom cymry (compatriotes), probablement en référence aux alliances entre Celtes. Le mot se retrouve encore dans Cumbria (cf. Cumberland) qui désigne les Gallois. L’avancée anglo-saxonne a isolé les Celtes dans trois zones distinctes : le Nord, la Cornouaille (Domnonée)2 et le Pays de Galles.

Le Pays de Galles. De nouveaux royaumes de plus en plus nombreux apparaissent. A leur tête, un petit roi accompagné d’un

juge qui dit le droit (comme en Irlande). La division territoriale est le cantref regroupant plusieurs hameaux (tref). Chaque cantref n’a pas forcément un roi. Partout des hill-forts de l’âge du fer ont été réoccupés. L’émergence de royaumes résulte en partie de prises de pouvoir militaires, soit de Scotti (Irlandais) (dans le Dyfed où les rois ont des noms irlandais), soit de chefs locaux ou originaires du nord. A la fin du VIe siècle, ces rois sont suffisamment puissants pour stabiliser la frontière avec les Anglo-Saxons. Elle sera matérialisée par le « fossé d’Offa » (Offa’s dyke), construit par le roi de Mercie.

c. Au nord de l’ancien Mur

Les Scotti (Irlandais). Ils sont présents en Argyll depuis le III e siècle. Vers 500 le roi Fergus Mór vint du nord

de l’Irlande (Antrim) pour régner sur ces population d’origine irlandaise. Elles vont rester un temps tributaires des O’Neill (puissante dynastie irlandaise). Elles forment le Dál Riata (dál = territoire suivi d’un éponyme). Ces Scotti donneront leur nom à l’Ecosse (Scotland : ‘Terre des Irlandais’).

Un petit royaume breton de gens venus du Sud s’est installé sur la Clyde (Strathclyde, capitale Dumbarton) encore puissant au VIIe siècle, les Northumbriens réduisent ce royaume à la seule vallée de la Clyde au milieu du VIIIe siècle.

2 Le royaume de Domnonée, fondé sur la cité des Cornovii disparaît dans l’hombre après la défaite de son roi Geraint face au Wessex en 710. La Cornouaille reste toutefois une zone de peuplement celtique, incontrôlable pour les Anglo-Saxons jusqu’au IXe siècle au moins (Genet).

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Les Pictes remportent une victoire contre la Northumbrie avec l’aide des Bretons (685 contre le roi Egfrith). Ils sont néanmoins affaiblis par leur division en plusieurs royaumes. Au siècle suivant, nous avons très peu de sources, mais leurs relations s’intensifient avec le Dál Riata, ce qui contribuera beaucoup à la naissance de l’Ecosse.

Avec la stabilisation des frontières entre les Anglo-Saxons et les Celtes, mais aussi grâce à un dynamisme des

échanges commerciaux, culturels et religieux, l’Angleterre semble aller vers une certaine stabilité. Mais à partir de 789 environ, des attaques Vikings vont commencer. Une nouvelle invasion est en route.

B. La deuxième invasion : l’invasion danoise et la formation du Danelaw Pour un Français ce sont les : « les Normands ». L’invasion se produit à partir de la fin du VIIIe siècle et se

renouvèle : une deuxième fois au IXe s., mais beaucoup plus profondément que sur le continent, avec les Vikings, Northmenn sont venus de Danemark et Norvège.

1. L’installation des Danois

Les premiers raids vikings vont frapper l’esprit des population. Pourtant ils sont assez espacés. Les attaques

les mieux connues sont celles qui ont été dirigées contre les grands monastères (les lettrés ont pu témoigner). La terrible nouvelle se répand rapidement. Comment Dieu peut-il abandonner les meilleurs de ses fidèles ? Lindisfarne est pillé en 793, Iona en 802 (68 moines massacrés) ; 839 Eoganan, roi des Pictes et des Scots est massacré. Bref, aucune côte n’est à l’abri des Scandinaves (Genet). Au départ, il s’agit de raids de Danois énervés par les conquêtes et missions carolingiennes en Frise et en Saxe (Poly).

Les Iles du Nord : Islande et Féroë vont être peuplées par de Vikings norvégiens (sagas). Il y a un peuplement viking également dans les Orcades, Hébrides et autres îles de nord (Lewis, Skye) ou la toponymie celtique est remplacée par la toponymie scandinave. Cette même influence se fait sentir sur la côte ouest de l’Ecosse (Jura, Arran, Bute, Mull), île de Man (850). Le peuplement scandinave des îles du Nord assure une base arrière aux Vikings, facilite l’hivernage et le renouvellement des équipages. Il garantit aussi le contrôle de la « route de la mer », qui est autant une route du commerce que de la guerre (Genet).

A partir de 841, les Vikings norvégiens vont s’intéresser particulièrement à l’Irlande. Ils établissent un camp permanent à Dublin et dans d’autres futures villes d’Irlande ((Wicklow, Wexford, Waterford, Cork, Limerick). Dublin devient une grande place commerciale (grand marché d’esclaves)

A partir de 863, les Vikings vont surtout se tourner vers l’Angleterre et l’Ecosse. Les attaques restent cependant isolées dans un premier temps (jusqu’en 865). Un grande flotte Viking (surtout Danois) parvient à passer l’hiver 865-866 en Est-Anglie. Les chefs de cette « grande armée » veulent désormais des terres (ils ne sont pas de simples pillards). Ils veulent établir leurs hommes. Les Est Angliens achètent leur départ (en fournissant des chevaux) et la flotte part plus au Nord vers la Northumbrie affaiblie par la guerre civile (entre deux prétendants au trône). Les Vikings en profitent pour s’emparer d’York. Ils fondent ainsi le royaume viking d’York. York leur permet d’attaquer les autres régions anglo-saxonnes (Mercie, East Anglia, Wessex) qui vont leur payer un lourd tribut. Une « Grande Armée d’été » vient en renfort. Les Vikings qui commence à devenir puissants et peuvent se permettre de répartir les terres entre les soldats (notamment autour de York) : c’est le début du Danelaw, le pays peuplé des Danois, où s’appliquent les coutumes scandinaves (Est Anglie et les territoires au nord-est d’une ligne allant en gros de Colchester à Mersey.

[Lorsque l’on s’attache à caractériser l’époque comme celle des seuls affrontements entre Anglo-Saxons et

Vikings, cela masque le phénomène de différenciation sociale qui laisse les sociétés paysannes sans défense. En réalité, on s’aperçoit que le sort de la paysannerie était plus enviable sous les Vikings que sous les Anglo-Saxons. D’une manière général en effet, il apparaît que les esclaves sont situés en grande majorité dans la zone contrôlée par les Anglo-Saxons, alors que dans le Danelaw on trouve plutôt des hommes libres.]

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2. la réaction west-saxonne d’Alfred La riposte des Anglo-Saxon va venir du Wessex (qui domine maintenant les autres régions anglo-saxonnes)

et de son roi Alfred (roi du Wessex 871-899), établi dans sa forteresse d’Atheney au milieu des marais du Somerset. A la tête de troupes réorganisées, il contre-attaque et remporte une victoire totale à Edington en 878. Les Vikings de la « Grande Armée » vont alors se détourner de l’Angleterre et se diriger vers le continent. L’Autorité d’Alfred est reconnue en Mercie et au Pays de Galles. Les Vikings finissent donc par se replier sur York (892) ou vont plus au Nord (Nord-ouest et Pictes). Le Wessex prospère.

Par sa résistance tenace face à l’envahisseur, Alfred du Wessex crée un fondement pour l’unité politique du pays. Peu de rois ont été aussi estimés par leurs contemporains. Alfred apparaît comme un guerrier courageux, lettré et homme d’Etat. Conscient du déclin culturel de son époque (à cause des pillages vikings), il va lancer un programme d’éducation du clergé et de traduction de textes latins en Old English. Il s’entoure des meilleurs érudits. Alfred est considéré comme le fondateur de la prose anglaise. Et surtout, il va élaborer un code de lois qui regroupe – nous le verrons plus loin – des textes législatifs plus anciens.

Le Wessex est devenu le royaume le plus puissant d’Angleterre. Il s’impose progressivement (après Alfred) sur les Vikings du centre de l’Angleterre. Plusieurs chefs vikings d’York vont même être baptisés à la cour du Wessex (920’s). En 927, le roi du Wessex (Athelstan : 924-927-939) s’empare d’York et fait alliance avec les rois de différents royaumes. C’est l’acte de naissance de l’Angleterre unifiée (Genet).

Mais en 937 le nouveau roi Viking de Dublin (Olaf Gothfrithson) débarque avec une grande armée. Athelstan et son frère Edmond l’écrasent dans la terrible bataille de « Brunanburh » (un lieu non identifié mais célébré dans la littérature (5 rois, 7 jarls et un fils du roi des Scots périssent). Pourtant à la mort d’Athelstan, le royaume d’York est récupéré par les Vikings (Olaf Gothfrithson), puis repris par Edmond à la mort du chef viking (942-944)… L’ordre et la paix ne reviennent qu’avec le règne d’Edgard (959-975). C. Les institutions et le droit anglo-saxon

1. Les institutions

Distinguons institutions centrales et locales.

a. Les institutions centrales

Les Anglo-saxons sont dirigés par des rois. Le roi semble être apparu au cours des invasions. On passe du

chef au roi. L’autorité supérieure du roi devient essentielle dans un contexte de conflits permanents avec les Bretons ou entre Anglo-Saxons ou encore contre les Danois.

La parenté élargie (cyn) se reconnaît un roi (cyning). Cette dénomination de roi (cyning) venant de parenté (cyn) souligne le lien personnel sur lequel la royauté est fondée, plutôt que sur la domination d’un territoire.

Une fois le pays en voie de christianisation, l’Eglise apporta son soutien à la royauté. L’Eglise espérait qu’un

roi fort et respecté assurerait de longues périodes de paix et d’ordre. Elle espérait aussi la collaboration du roi dans le processus de christianisation de l’île.

L’Eglise a donc transformé la cérémonie d’accès au pouvoir royal. Le chef n’est plus hissé sur un bouclier. On assiste désormais à une cérémonie royale où les prêtres sacrent le nouveau roi avec de l’huile sainte.

Le roi Ecgfrith fils d’Offa de Mercie semble être le premier Anglo-Saxon à avoir été sacré en 787. Le roi prête serment sur les reliques de protéger l’Eglise et les pauvres, de lutter contre le mal et manifester de la pitié.

Ce lien fort entre le roi et l’Eglise a donné au roi bien plus d’autorité que les chefs Anglo-Saxons n’en avaient auparavant. Il n’en demeure pas moins que le pouvoir du roi dépend beaucoup de sa personnalité.

Le roi est le chef de l’armée (fyrd), dans laquelle tous les hommes libres doivent servir. Au IXe siècle, les

Anglo-Saxons vont s’organiser militairement contre les Danois. Cette organisation va venir du Wessex (qui domine maintenant les autres régions anglo-saxonnes) et de son roi Alfred (roi du Wessex 871-899), établi dans sa forteresse d’Atheney au milieu des marais du Somerset.

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A la tête de troupes réorganisées, il contre-attaque et remporte une victoire totale à Edingtonen 878. Les Vikings de la « Grande Armée » vont alors se détourner de l’Angleterre et se diriger vers le continent. L’Autorité d’Alfred est reconnue en Mercie et au Pays de Galles.

Les Vikings finissent donc par se replier sur York (892) ou vont plus au Nord (Nord-ouest et Pictes). Le

Wessex prospère. Par sa résistance tenace face à l’envahisseur, Alfred du Wessex crée un fondement pour l’unité politique du

pays. Les rois du Wessex vont alors porter le nom de roi des Anglais (Rex Anglorum). Remarquons qu’ils ne portent pas le titre de roi d’Angleterre (Rex Angliae) qui soulignerait une domination territoriale (ce ne sera pas affirmé avant Jean, en 1099).

Le roi est désigné par un conseil. Ce n’est pas la naissance qui lui donne automatiquement accès au trône. Le pouvoir royal repose sur sa ‘maison’ appelé encore ‘hôtel’ (household). Celle-ci ressemble à celle du roi

carolingien ou ottonien. Elle le suit à la guerre et à la chasse. Le roi est entouré de son conseil : le witenagemot. C’est l’assemblée (gemot) des sages (witans). La

composition de cette assemblée est très variable. Certaines réunions peuvent réunir plus d’une centaine de membres (fêtes), d’autres deux ou trois dizaines. Le motif de la réunion est variable également, ainsi que sa composition et sa périodicité.

Tout cela dépend du roi. Des abbés et des évêques peuvent y siéger. Les personnages puissants de l’entourage du roi y siègent aussi. Cette assemblée est un moyen de consulter les hommes importants du royaume (elle n’est pas représentative).

L’accord de ces grands personnages est nécessaire pour que les grandes décisions du roi soient appliquées. Il en va ainsi en matière législative, militaire ou encore ecclésiastique. Les membres du conseils servent aussi des témoins dans les chartes par lesquels sont attribués les booklands (terres données ?).

Secrétariat et writs Il ne semble pas y avoir de chancellerie chez les Anglo-Saxons. Il existe tout de même un secrétariat. Il est

sûr en tous cas que des clercs sont chargés du travail administratif depuis le règne d’Athelstan au moins (roi d’Angleterre 927-939).

Ajoutons que le roi envoie des ordres à ses agents par le biais de writs (et gewrits ?). Les premiers writs connus sont ceux de l’évêque de Worcester Oswald. Aethelred the unready (roi d’Angleterre 978-1013 et 1014-1016) est le premier roi anglo-saxon à l’avoir utilisé. A partir des Normands, le writ deviendra le premier instrument de l’administration royale.

b. Les institutions locales

Nous ne développerons pas le vill . Le vill est l’unité minimale d’administration. Il peut coïncider avec un

village, mais ce n’est pas obligatoire. Il coïncide moins souvent encore avec un manoir.

α. Le tun ou town Ce n’est pas un centre urbain. Les villes sont très rares chez les Anglo-Saxons et sont appelées boroughs. Le

sens de tun serait plutôt celui de commune (township). Chaque tun avait probablement sa propre assemblée ou moot (même si tout le monde n’est pas d’accord sur

ce point. Souvent appelée ‘cour’, cette assemblée traitait de tous les types d’affaires locales publiques. Ses devoirs judiciaires n’allaient pas plus loin que les fonctions de police.

La cour nommait un tun-reeve, un officier qui avec quatre autres hommes libres représente le tun au départ, à l’assemblée de la shire (comté) (et non à l’assemblée de la hundred comme on aurait pu s’y attendre). Puis plus tard devant les deux assemblées.

Même si tous les hommes libres sons censés participer à l’assemblé du tun, celle-ci ne semble pas particulièrement active. Ce sera la première des cours à être absorbée dans la juridiction du manoir.

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β. Hundreds et Wapentakes

C’est une division administrative formée en théorie d’une centaine de hides. Une hide est la superficie

(variable selon les endroits) nécessaire à l’existence d’une famille. C’est aussi l’unité servant à l’impôt (geld). Une hundred compte donc théoriquement une centaine de familles.

La justice est rendue à ce niveau pour des cas courants. C’est à ce niveau que les hommes libres sont levés

pour participer à la guerre (vérifier). La taille de la hundred varie selon les endroits. Au sud-est il y a par exemple beaucoup de hundreds avec une

forte densité de population, contrairement à ce qui se passe dans le Nord ou dans l’Ouest. Lorsque les Danois se sont installés en Angleterre il semble avoir conservé les hundreds existantes. Ils

appellent cette division administrative la wapentake. D’ailleurs, lorsque le Danelaw est reconquis par les Anglo-Saxons, Edgard (the Peacefull) considère que ces deux termes sont synonymes.

Ces unités territoriales forment la base de l’administration de la justice et du contrôle des finances publiques

à travers presque tout le pays. Lorsqu’il y a un très grand nombre de hundreds dans une shire ont en fait des groupes. Dans le Kent ont fait des groupes de six hundreds pour faire des laethes, un mot jute qui dérive de lething,

une force militaire. Cela indique qu’à une époque ces laethes étaient des divisions territoriales concernant l’armée.

Dans le Sussex, les 61 hundreds sont regroupées en six rapes, un mot saxon qui a le même sens. Dans le Yorkshire et le Lincolnshire (faisant partie du Danelaw) les wapentakes sont organisées en trois

groupes, trithings (plus tard ridings) ayant la même fonction. Chaque hundred avait son assemblée. Elle était à l’origine composée de tous les hommes libre et se réunissait

tous les mois. Cette assemblée s’occupait des affaires de la hundred, y compris des affaires ecclésiastiques. Chaque homme

livre avait droit à la parole. Mais il n’y avait pas de vote. On atteignait le consensus par la discussion. La cour de hundred choisissait un homme de la hundred doté de pouvoirs exécutifs. A l’origine il présidait

les assemblées mensuelles. Mais par la suite, lorsque l’hombre de la juridiction manoriale s’est abattue sur la cour, l’intendant dur seigneur du manoir l’a remplacé. La cour a ensuite pu être absorbée par la cour du manoir.

Lorsque la cour avait à trancher des affaires ecclésiastiques, un prêtre pouvait présider pour expliquer le droit de l’Eglise. Mais l’assemblée élaborait sa décision de la même façon que pour les affaires séculières.

Même si on attend tous les hommes libres à la cour de hundred, on sait que sous le règne d’Edgard the

Peacefull, on a eu besoin d’ordonner la présence à la cour de tous les seigneurs, ou de leurs intendants, ayant des manoirs dans la hundred, du prêtre de la paroisse et de quatre hommes nommés par chaque assemblée de tun.

On peut donc penser que beaucoup d’hommes libres ne venaient pas participer à la cour. Les affaires de la hundred ont donc petit à petit été entre les mains de petit quelques d’hommes.

Le roi recevait une partie du revenu de la justice. Mais en l’absence d’agents pouvant superviser cette activité

le roi devait bien souvent manquer la collecte de ce qui lui était dû. Les questions judiciaires pouvaient en particulier concerner les transferts de terres dans la hundred. Les cours des hundreds s’occupent plutôt des vols, de la sécurité et des problèmes économiques. C’est à ce

niveau que sont organisés les groupes de témoins : par douze ou multiples de douze. Ils forment le jury, une institution d’origine scandinave.

A ce niveau, on organise le tithing, la dizaine/douzaine d’hommes libres qui se porte garants du bon

comportement de tel ou tel ou de l’exécution d’une décision. En l’absence de toute forme de police, ces hommes sont collectivement responsables de la conduite des autres et soumis à l’amende en cas de

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manquement de l’un des leurs. Chaque membre de la hundred âgé de plus de 12 ans est membre d’un tithing. Les amendes peuvent être infligées collectivement à la hundred ou au tithing.

La hundred est encore l’unité pour la collecte de l’impôt. Mais pas pour le Danegeld qui est prélevé au niveau

de la shire.

γ. Le comté La création des comté a été un processus long et complexe rendu nécessaire par la disparition des

circonscriptions de la Britannia romaine. L’Angleterre est divisée en scirs (les ‘parts’ du royaume : shires). Le shire est une division du royaume ou du

domaine royal. Le système des shires est bien établi en Angleterre avant la conquête normande (il s’étendra ensuite en Ecosse – sauf Highlands – puis au Pays de Galles : après la conquête). Le shire est aussi appelé comté.

Certains comtés sont d’anciens royaumes anglo-saxons : Kent, Sussex, Wessex. D’autres correspondent à des unités administratives royales (Hampshire : terre administrée depuis le centre royal de Hamton ; Wiltshire : terre du centre royal de Wilton).

Certains sont antérieurs à la conquête : Somerset et Dorset, les terre dépendant de Somerton et de Dorchester. La Mercie est divisée en shires centrés sur les burhs (sites fortifiés) construits au Xe siècle (par Edward l’Ancien et sa sœur Aethelfleah : Chester, Worcester, Gloucester…). D’autres sont fondés sur les camps de l’armée danoise : Cambridge, Bedford, Northampton…). Notons les five boroughs du Danelaw transformés en shires au XIe siècle.

L’administration du comté est répartie de manière inégale entre l’ealdorman et le le scir gereffa, shire reeve,

l’intendant, le régisseur (gereffa, reeve) du comté (scir, shire), c’est le sheriff. Ce personnage survivra à la conquête normande.

L’évêque du diocèse joue lui aussi un rôle dans le comté pour tout ce qui concerne l’Eglise. En fait le sheriff n’arrive que tardivement sur le devant de la scène. Mais à ce moment là il occulte les autres

personnages. A l’origine en effet, c’est l’ealdorman qui administre le comté. Il est nommé par le pouvoir central, même si

occasionnellement on voit des cour de comté qui proposent telle personne au roi pour qu’il la désigne. En principe cependant c’est bien le roi et son Witan qui le nomment. C’est en général un noble qui fait partie

du Witan. L’importance de son rang apparaît dans les tarifications de lois (cf. infra). A l’origine l’ ealdorman commandait l’armée (fyrd) composée des hommes du comté. Il présidait aussi

l’assemblée du comté. Il recevait un tiers des revenus de la justice. Plus généralement il était responsable de l’administration du comté pour lequel le gouvernement central lui laissait les mains libres.

Mais ce personnage est un noble dont les préoccupation sont parfois loin des petites affaires locales et sa

tâche administrative n’est parfois qu’imparfaitement remplie. C’est le cas en particulier lorsque le pouvoir de roi est faible et que le roi a du mal à lui imposer cette tâche.

Les earldormans sont des nobles qui vont imposer l’hérédité de leurs fonction. C’est surtout le cas tout d’abord lorsqu’une famille royale s’éteint au début de la période anglo-saxonne, et qu’on lui permet de conserver une partie de son pouvoir en tant qu’ealdorman.

Sous le règne d’Ethelred the Redless le roi a eu du mal à se faire obéir de ses grands ealdormans. Cnut

parviendra pour un temps à les soumettre à l’autorité royale en divisant le royaume en quatre parties, chacune dirigée par un earl (l’équivalent saxon du danois jarl ). Cet earl administrait désormais un ealdorm. Mais les successeurs de Cnut auront bien du mal à les contrôler. A l’époque d’Edouard le Confesseur, ces grands personnages défient la couronne. Ils furent plus un obstacle qu’autre chose.

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En fait c’est finalement le sheriff qui hérita de l’administration du comté. Cela se mit en place lorsque les grands ealdormans, en charge de plusieurs comtés, déléguèrent certaines de leurs fonctions au sheriff dans chacun de ces comtés.

Petit à petit ce personnage assuma la plupart des tâches, y compris la présidence de la cour du comté. La cour du comté Moins active que la cour de hundred, elle est réunie deux fois par an. Elle traite à la fois des questions

administratives et judiciaires. Si des questions de nature ecclésiastique doivent y être tranchées, l’évêque la préside pour donner la position

de l’Eglise (droit canonique). Ces interventions prendront fin avec Guillaume le Conquérant qui ordonnera une séparations des cours ecclésiastiques et laïques.

En théorie, la cour est composée des hommes libres du comté. En fait elle est beaucoup plus restreinte. On y trouve notamment l’officier du tun accompagné de quatre homme (et non des représentants de la hundred immédiatement inférieure !).

On attend aussi à cette assemblée les nobles du comté, mais en réalité ils ne se déplacent pas tous. La compétence de la cour de comté est très dépendante du rang des personnes concernées. Les grands

personnages acceptent mal d’obéir à une décision d’une cour de hundred. Cette cour aura d’ailleurs des difficultés à faire appliquer la décision. Si tel est le cas, on s’adresse à une cour ayant une autorité supérieure. Cela peut aller jusqu’à la cour du roi, qui juge avec son Witan.

Le roi et son conseil sont les mieux placés pour faire obéir les grands du royaume, y compris en matière judiciaire.

Par ailleurs il n’y a pas d’appel d’une cour à une autre (hundred-comté-cour royale). Mais c’est parce qu’une

cour inférieure n’a pas pu entendre une affaire que l’on se dirige vers une cour supérieure. Nous l’avons vu, la cour de comté qui était à l’origine présidée par un ealdorman le sera ensuite par le

sheriff. Enfin, la cour de comté reçoit aussi les communications du pouvoir central ; elles y sont lues, et sans doute

commentées. L’existence et la vitalité de cette cascade d’institutions sont de précieux outils de gouvernement. Cela permet

à tout moment de déclencher une enquête, les jurys étant prêts à fournir des réponses. Ces réponses sont garanties par serment. L’administration de la justice est assurée par des procès publics et le maintient de l’ordre par le contrôle social du tithing. Enfin, l’information est relayée dans les deux sens.

2. Le droit : les « Lois » des Angles, Saxons et Danois

Le droit, envisagé d’abord très concrètement, comme les organes judiciaires ; puis le problème de leur

pseudo-source, les lois anglo-saxonnes, enfin le système normatif norme, leur véritable source.

a. Epoque anglo-saxonne La première loi est celle d’Ethelbert (ou Aethelberht de Kent) vers 602-3. Notons que le Kent correspond au

royaume des Jutes. Aethelbert est le premier roi chrétien d’Angleterre. Il est marié à une princesse franque chrétienne (Berthe). A cette époque, le pape Grégoire le Grand avait

envoyé Augustin de Canterbury, comme évêque des Anglais. Il y a donc possibilité d’influence romaine dans le région.

D’après Bède (homme d’Eglise, auteur d’une Histoire ecclésiastique du peuple anglais – v. 731), le roi fit mettre par écrit les coutumes de son royaume, « juxta exempla romanorum », afin d’imiter les Romains.

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La loi d’Ethelbert contient notamment le montant des compensations dues en cas d’atteintes à l’Eglise, au roi, aux nobles, aux hommes libres et aux roturiers.

L’Eglise insiste dès les premières lignes sur la protection de ses biens et de ses activités (assemblées). Il est probable que l’Eglise ait joué un rôle dans la codification de ces lois. On pense en effet qu’Augustin ait

encouragé le roi Aethelbert dans sa tache. Le document lui-même a dû être préparé par des scribes chrétiens. Bède nous dit que le contenu est fondé sur le conseil (advise) des hommes sages (sapientes : les witans) du

royaume et consiste en un mélange judicieux de tradition et de quelques adaptations ou innovations. L’innovation la plus significative est contenue dans le premier paragraphe. Elle adapte les règles coutumières

concernant le vol à celle de l’Eglise. Il est remarquable que les 89 autres paragraphes ne font ensuite plus du tout référence à l’Eglise. Même en matière de mariage. L’influence de l’Eglise ne paraît pas toucher le reste du texte.

Dans la société anglo-saxonne, la protection de l’individu est dévolue en premier lieu à sa parenté. La vengeance (feud) est une institution acceptée. Mais le cercle de la vengeance peut s’avérer interminable et destructeur.

C’est la raison pour laquelle on s’est acheminé petit à petit vers des solutions négociées (non systématiques cependant). Ces solutions se sont petit à petit imposées : c’est le système de la compensation. La compensation est proportionnelle au dommage causé. Elle est aussi proportionnelle à la place sociale de la victime.

Dans certains cas, les individus ne sont pas seulement sous la protection de leur parenté, mais aussi sous la protection de leur seigneur. Dans le Kent de cette époque, cela signifie sous la protection du roi.

Cela peut être considéré comme une sorte de notion rudimentaire de Paix du roi. C’est aussi un remède

contre la vengeance. C’est un domaine dans lequel le roi et l’Eglise ont un intérêt commun. Cela permet de renforcer l’autorité publique et l’ordre. En mettant la loi par écrit le roi la fait sienne.

Une des particularités du code est d’exprimer les valeurs en unité monétaire. On utilise le shilling en or fondé

sur la monnaie byzantine et mérovingienne (tremiss). On utilise aussi le sceatta d’argent, dérivé semble-t-il des Frisons, peuple germanique du continent (20 sceatta = 1 shilling). Cela donne au code une précision plus grande que si les paiement se faisaient en biens ou bétail (cf. Irlande cumal et bó). Il y a dû avoir conversion à partir des valeurs initiales. Certains calculs ont été faits par les historiens pour donner des équivalents en nature. On obtient le ‘prix du sang’ (leodgelde) suivant :

Earl (noble) du Kent : 300 shillings = 100 bœufs Homme libre ordinaire : 100 shillings = 200 moutons Laet (paysan semi-dépendant)classe 1 : 160 moutons Laet classe 2 : 120 Laet classe 3 : 80 Cela correspondait à des tarifs très importants qui étaient largement au-dessus des moyens d’un meurtrier et

de ses proches. Il est donc surprenant de lire que c’est le coupable seul qui paye avec sa propre monnaie et ses propres biens.

Cela ne correspond pas à l’esprit de la loi. La pratique en cours était en effet de partager l’obligation du débiteur avec toute sa parenté. On repartit en diminuant la participation plus on s’éloigne vers le 2, 3, 4e degré de parenté ou plus. Nous ne connaissons pas ces détails qui n’ont pas été mis par écrit, probablement parce que tous les connaissaient.

Le code concerne une grande variété de paiements qui correspondent à un ensemble très varié d’atteintes

physiques, qui n’entraînent pas la mort. Pas moins de 40 des 90 clauses les concernent. Il semble que les chiffres cités concernent les blessures

infligées au paysan libre (ceorl) et doivent être augmentées jusqu’au noble (earl) ou réduites vers le paysan semi-libre (laet), en proportion du prix du sang (leodgelde) entier (– cf. wergeld : ‘prix de l’homme’ ; irl. lóg n-enech).

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[Apparemment, les atteintes aux parties génitales masculines sont considérées comme graves : trois fois le tarif du leodgelde entier

(§64). C’est un tarif très élevé qui est difficile de payer et qui conduit donc à la vengeance. La blessure qui vient ensuite est celle de l’œil crevé et de la jambe coupée (50 shillings pour chaque §43 & 69). Donc, aveugler

(50s) et mutiler (50s) revient à prendre la vie d’un homme (100s). Rendre sourd ou blesser une épaule était considéré comme moins grave (30 shilings - §38-39).

Mais le code concerne encore des dommages bien moins graves. Ainsi, les coups à la cuisse sont estimés en fonction du degré de pénétration (§67). Le pouce et les autres doigts sont tarifés séparément (54), tout comme les dents : des dents de devant aux molaires du fond de la bouche (§51). Même chose pour des doigts de pied ! (§72).

Une compensation est aussi prévue pour les agressions qui ne causent que des blessures temporaires : sur le nez (3 shillings - §57), tirer les cheveux (50 sceattas - §33) ; faire un bleu (§58-59).

Derrière ces aspects, on perçoit une société très sensible aux atteintes de la dignité et à quel point une petite blessure pouvait facilement dégénérer et déclencher le cercle de la vengeance, sauf s’il y avait compensation. Dans plusieurs cas on paie une amende supplémentaire.

- Atteintes dans la proximité du roi ou d’un noble

En plus du prix du sang, chaque homme libre a un droit de protection appelé mund. Dans le cas où ce droit est violé il y a compensation. Le mund du roi est de 50 shillings. Pour un earl : 12 shillings, un ceorl : 6 (§8, 14, 15).

C’est une infraction contre le mund de tuer quelqu’un dans le tun (la propriété, ville) d’un autre (§5 ; 13), y compris pour le roi à la cour. Il n’est pas permis d’entre de force quelque part, de briser un enclos.

Le montant de 50 shillings pour le mund du roi a une large application. Il sert à protéger les leudes du royaume lorsqu’ils s’assemblent pour répondre à sa convocation (cf. les leudes francs).

Ce sont ici les earls et ceorls, mais pas les laets. Ils participent à la guerre et aux affaires publiques. Porter atteinte à quelqu’un lors d’une assemblée va contre le mund du roi mais donne à la personne agressée une double compensation (§2).

Lorsque le roi est invité dans la maison d’un hôte, sa présence entraîne la même protection spéciale – invoquée pour les assemblées de l’Eglise (§1). Nous avons ici le germe de la paix du roi (Wintney 96 bas).

- Domaine protégé

Le wite (amende) est une extension du même principe. Deux exemples apparaissent dans la loi. Le premier concerne les vols (§9). Il y a restitution en cas de vol, mais restitution au triple si un homme libre est volé, un roi ou un

prêtre 9 fois ; un évêque 11 fois. D’après Witney, il s’agit de montrer à un peuple encore païen comment on doit considérer l’Eglise. Le wite est ajouté à la

restitution (augmentée). Le vol concerne surtout du bétail, ce qui crée un grand désordre et de la violence. Il en va de même en ce qui concerne le rapt et le

déshonneur des jeunes filles (§84). Le roi reçoit le wite. Ce sont deux domaines qui ne sont pas entièrement du domaine privé. L’infraction contre la paix justifie l’intervention du roi. C’est

l’équivalent à l’atteinte au mund du roi. Le texte ne donne pas le montant du wite en cas de vol. Dans une autre loi (Hlothere et Eadric il va de 50 à 12 shillings selon l’importance du vol).

- Personnes protégées

Il y a un renforcement de l’autorité royale encore supérieur : la conception de seigneurie (lordship) qui est profondément enracinée dans l’ancienne société germanique. Cela concerne le lien entre un chef de guerre – rôle du roi à l’origine – et les combattants qui le suivent à la bataille et qui sont ses compagnons en temps de paix.

Dans la loi d’Aethelbert, le roi apparaît être le seul seigneur à qui on paye le drihtinbeage pour le meurtre d’un de ses hommes libres. Drihtinbeage : littéralement ‘anneau du seigneur’ (§6). Il se monte à 50 shillings. C’est d’après Witney, une terme archaïque qui remonte à l’époque où il n’y avait pas de monnaie et où payait en anneaux (Witney p. 97 + note).

Certains auteurs on pensé que le roi ne pouvait pas avoir de relation si directe avec ses sujets (Witney ibid. 97). D’après Witney

seuls les laets sont exclus car ils ne descendent pas des guerriers, au contraire des ceorls (ou au moins une partie d’entre eux …). Le roi devait à l’origine avoir l’obligation d’honneur de venger ses sujets. Le forgeron a une place privilégiée : il fabrique les armes

(épées). Le terme peut aussi désigner le joaillier du roi (broches et décoration d’armes). Le terme utilisé pour messager est unique (laadrincmannan). C’est un officier de confiance de la maison royale. Pas forcement un porteur, mais plutôt quelqu’un qui remplit les fonction de héraut.

Il n’y a pas à cette époque d’autre mention d’officiers royaux comme le reeve qui apparaît 70 ans plus tard (loi de Hlothere et Eadric). Le roi devait gérer les affaires publiques avec quelques proches. ]

Quelques exemples tirés de la loi d’Aethelbert : §1 – sur l’Eglise §21 – Celui qui tue un homme libre doit 100 shillings comme wergeld ordinaire. §5 – Celui qui tue un homme dans la propriété du roi doit une compensation de 50 shillings. § 13 – Celui qui tue un homme dans la propriété d’un noble doit 12 shillings.

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§ 82 – Celui qui enlève du force une vierge doit 50 shillings à celui dont elle dépend, et doit ensuite acheter le consentement au mariage.

Il y eut d’autres lois dans le Kent à la fin du VIIe siècle (Hlothere et Eadric, c. 685, Wihtred v. 695). De la même manière d’autres rois anglo-saxons promulguèrent leurs lois. C’est le cas de Ine de Wessex

688/694 et d’Offa de Mercie 786. D’une manière générale, les loi permettent de connaître la hiérarchie de la société, grâce à la tarification des

peines. La place dans la hiérarchie dépend de plusieurs facteurs (qui ne sont pas exclusifs) : - L’appartenance à telle ou telle ethnie. Les Bretons sont en bas de l’échelle (ils sont semi-libres,

laet) - La quantité de terres possédée (ex. pour les earls) - La proximité des rapports avec le roi (sages, compagnons d’arme)

A chaque catégorie correspond un tarif : le wergeld (le prix de l’homme). En cas de meurtre, celui qui a été

jugé responsable doit payer ce wergeld à la famille de la victime. Cela permet de ne pas déclencher le mécanisme de la vengeance familiale (fayde). Dans la loi du Kent, les hommes sont regroupés en trois catégories : libres, laeti (paysans bretons ?) et

esclaves. La Loi d’Ine répartit les membres des classes supérieures en onze catégories. Au sommet se trouve les

ealdormen. (Ealdorman : noble (gesith) ayant un office important qui le distingue des autres gesiths. La fonction tend à se territorialiser. Le terme va ensuite disparaître au profit de l’earl). On trouve les hommes libres dans cette liste : le ceorl libre. En dessous : les Bretons libres. Au bas de la liste : les esclaves.

On note que les populations bretonnes se sont maintenues et ont été progressivement assimilées. On trouve

surtout les grandes catégories qui caractérisent la société germanique : les nobles, et aussi la distinction hommes libres et esclaves.

Enfin dès la fin du VIIe siècle cette société est polarisée autour du roi. Le contrôle du territoire est lui aussi

important. Ainsi, le sommet de la hiérarchie est occupé par les ealdormen du roi.

b. Epoque scandinave : la codification des lois Code d’Alfred le Grand (874-899). C’est le roi du Wessex qui a résisté au Vikings). Il s’agit en fait d’une

compilation (code d’Alfred le Grand ou Dómbók (liber judicialis). Le roi annonce dans la préface qu’il a uni ses propres textes à ceux de ses prédécesseurs. (Ine de Wessex, Offa de Mercie, Ethelbert de Kent).

Il dit avoir rejeté ce qui ne lui paraissait pas convenable dans ces anciennes sources et il est difficile de

distinguer les règles dont il est l’auteur. On sent dans le code d’Alfred le Grand et dans les lois suivantes (Edouard l’Ancien, Aethelstan, Edmond, Edgard (le Pacifique) Aethelred II) la nécessité de s’adapter d’une part à l’établissement de Danois au Nord et à l’Est, et d’autre part à l’importance politique du Wessex sur l’Angleterre (Levy-Ullmann).

Il semblerait qu’Alfred ait voulu réaffirmer les tradition et s’appuyer sur le passé anglo-saxon à cette époque

d’incursions vikings (Griffiths 57). Le « Code de Cnut » (entre 1027 et 1034). Il s’agit d’une compilation de textes antérieurs destinés aux

Anglo-Saxons et aux Danois. Après la conquête normande on en fit des traductions (3) en latin. Ces lois furent utilisées jusqu’au XIIe siècle.

Citons encore les Lois d’Edmund (règne 939-946) et les Lois d’Aethelred (écrite entre 1009 et 1016). Autres travaux : la Chronique anglo-saxonne. Orose.

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Comparaison avec les autres lois barbares du continent. Les séries de tarifs de compensation payables pour

les divers crimes s’apparentent au wergeld connus sur le Continent dans les lois barbares (Salique : France, Bourgogne, Alémannie, Bavière, Espagne, Lombardie). Reprendre l’exemple de la Loi Salique.

Contraste : Irlande : influence byzantine, par l’Espagne du Sud, Isidore de Séville. Traités de procédure du

VII e s. Mais il y a aussi des listes de tarifs de compensations. Donner un exemple.

Conclusion : le retour des Vikings La mort d’Edgard (975) est suivie par une certain nombre de troubles. L’autorité de son fils Aethelred (the

Unready) (†1016) est constamment remise en cause. C’est justement la période où la menace viking reparaît. Ces derniers vont jouer un grand rôle pendant cette période (pas seulement à cause de la faiblesse du pouvoir anglo-saxon). Les rois danois organisent fermement la société nordique (constructions de fortifications dans leurs pays d’origine). A cette époque les côtes germaniques sont bien gardées (Ottoniens), la Francie occidentale résiste (ex. la Normandie des successeurs de Rollon) et les Vikings doivent donc aller plus au nord-ouest. Les Vikings écoulent leurs butin fréquemment en Normandie (pour les Anglo-Saxons, la Normandie est un Etat viking). Aethelred va traiter avec les Vikings (de Normandie) avec l’aide de la papauté (991), puis en 1002, il épouse Emma, la sœur du Duc de Normandie Richard II. C’est donc une alliance avec les Vikings du sud contre ceux du Nord. Malgré tout, les attaques vikings vont être nombreuses à partir de 991. Bataille de Maldon en 991 : grande victoire viking contre l’Essex (donne lieu à un poème qui célèbre les morts). Aethelred va acheter le départ de la flotte viking (10 000£ : énorme) c’est le premier danegelt. Les Vikings commence à voir les avantages de ce type de butins. Les Anglo-Saxons paieront en tout 250 000 £ (de 991 à 1040). Cela montre aussi que le système anglo-saxon fonctionne assez bien pour pouvoir prélever de telles sommes dans le pays. C’est le système du geld (contribution en numéraire, exigée surtout pour des taxes exceptionnelles, comme le Danegeld) fondé sur la hide. On voit d’un autre côté l’impuissance militaire des Anglo-Saxons. De plus les fortifications militaires ont été mal entretenues et beaucoup de villes sont prises et pillées. A partir de 1013 les Vikings (Svein) entreprennent la conquête de l’Angleterre. Aethelred s’enfuie en Normandie. Le 2 février 1014 Svein meurt en laissant deux fils. L’un est roi d’Angleterre (Cnut) et l’autre roi des Danois (Harald). La mort de Svein entraîne un soulèvement contre les Danois et la fuite de Cnut. Le fils d’Athelred, Edmund reprend la lutte lorsque Cnut revient. Tous deux signent un traité (la paix d’Alney 1016 ?). Edmund est roi de Wessex et Cnut, roi de Mercie. Le 30 novembre 1016 Edmund meurt et une assemblée de nobles et d’ecclésiastiques proclament Cnut roi des Anglais. Il est sacré roi début 1017 par l’archevêque de Canterbury. Cnut épouse la veuve d’Athelred, Emma de Normandie. Il divise l’Angleterre en quatre parties : Mercie, Wessex, Northumbrie et Est-Anglie. Il reconstitue l’empire de Svein Danemark, Angleterre, Suède, Norvège. Il a une conception impériale du pouvoir. C’est un empire personnel. A sa mort (1035), les divisions apparaissent.

Il en découle que c’est Edward (le Confesseur), fils d’Aethelred et d’Emma qui reprend le pouvoir (1042-1066). Mais le roi Edward a peu de pouvoir (sous la tutelle de Godwine (Danois ?)). Edward s’appuie sur la Normandie pour tenter de chasser Godwine. Harold, l’un des fils de Godwin cherche à être roi après la mort de son père. Edward aurait pu envisager de faire du jeune Guillaume (de Normandie), son successeur, mais au moment de sa mort il désigne Harold. Ce dernier est aussitôt couronné à Westminster (1er anglais roi à l’avoir été). Mais les Norvégiens débarquent dans le Nord. Harold qui montait la garde sur les côte sud contre une attaque normande doit filer vers le Nord à marche forcée avec son armée. Il écrase le roi de Norvège (Harald) à Stamfordbrige. C’est une victoire de l’Angleterre sur les Vikings du Nord. Mais ceux du Sud, eux, ne seront pas battus.

II. L’ INVASION FRANCO -NORMANDE ET LA DOMINATION « FRANÇAISE »

Avant d’aborder la question des institutions chez les Anglo-Normands, il faut se pencher sur le contexte

historico-politique de l’époque. L’élément fondateur est bien sûr la conquête de l’île par les Normands (A).

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Très vite ceux-ci vont imposer leur propre modèle politique : le modèle féodal (B). Ils vont enfin par la suite récupérer des figures légendaires du passé Breton – dont le roi Arthur – pour appuyer leur propre autorité (C).

A. La conquête

Elle va se dérouler en plusieurs étapes (1-4)

1. Les préparatifs D’après les Normands, Edward le Confesseur avait promis en 1051, sa succession au duc de Normandie,

Guillaume (que les Anglais appellent William). De plus, une tradition raconte qu’Harold aurait juré aide et fidélité à Guillaume lorsque celui-ci le libère des geôles de son ennemi, le comte du Ponthieu.

D’après ces récits, Guillaume pense déjà à la conquête de l’Angleterre depuis longtemps. Il n’y a plus qu’à attendre l’occasion. C’est ainsi que dès que Guillaume de Normandie apprend la mort d’Edward le Confesseur, il va agir à la fois sur le plan diplomatique et militaire.

Le roi de France est alors mineur et l’Empereur d’Allemagne Henri IV ne réagit pas. D’après un historien normand de l’époque (Guillaume de Poitiers), Guillaume aurait même reçu du pape, par l’intermédiaire de Lanfranc, la bannière pontificale. Cela montrait qu’il avait le pape de son côté et rendait sa cause légitime (Harold avait été excommunié).

2. Le débarquement

Guillaume fait construire avec l’aide de ses vassaux une très grande flotte. Il rassemble une armée qui fait

appel à de nombreux chevaliers étrangers. Les Normands seuls, n’étaient pas assez nombreux pour une telle entreprise.

Ces chevaliers viennent du Nord et de l’Ouest de la France. Ils viennent aussi d’Allemagne. L’armée va d’abord attendre tout l’été 1066 un vent favorable.

Le 12 septembre elle est ancrée à Saint-Valérie en Caux. Le vent ne devient favorable que le 27 septembre et Guillaume débarque en Angleterre le 28 : à Pevensey (à l’ouest d’Hastings).

Il y a trois jours, Harold écrasait ses adversaires dans le Nord de l’Angleterre à Stamfordbridge. Les côtes sud ont donc été abandonnées par l’armée anglo-saxonne.

3. La bataille d’Hastings

Les éclaireurs de Guillaume découvrent que l’armée d’Harold redescend vers le Sud vers Hastings. Les

Anglo-Saxons sont épuisés. Ils ont parcouru 400 km en 12 jours (du 2 au 14 octobre). A l’aube du 14 octobre 1066, avant que les Anglo-Saxons ne se déploient, les archers normands attaquent. Ils sont suivis par les chevaliers.

Les anglo-saxons combattent à pied avec leurs haches à deux mains et leurs longs boucliers. La bataille fait rage toute la journée. Les chevaliers normands font mine de fuir après leur charge, incitant leurs adversaires à les poursuivre, ce qui désorganise leurs rangs.

Hastings est donc avant tout une victoire de la chevalerie (même s’il y a les archers normands) contre l’infanterie anglo-saxonne (housecarls). Le soir l’armée anglo-saxonne se disperse et le roi Harold meurt d’une flèche reçue dans l’œil au cours du combat.

4. Après la victoire

Guillaume marche sur Londres. Il soumet les comtés des environs et encercle la ville. Déjà, on édifie des

châteaux (de bois) pour couvrir sa route (Douvres, Hastings, Pevensey). Très vite, les dirigeants des grandes villes, y compris Londres se soumettent.

Le 25 décembre 1066, Guillaume est couronné roi d’Angleterre à Westminster. Il y a donc eu assez peu de résistances. C’est pourquoi on considère que l’Angleterre a été vaincue dès Hastings (14 octobre 1066). Il y eu

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bien quelques soulèvements anglo-saxons locaux par la suite, mais rien qui ne remette en question la conquête. Guillaume va donc ensuite rentre en Normandie (de mars à décembre 1067).

De puissants donjons sont édifiés dans le pays. Les châteaux sont en effet une arme redoutable des Normands. Sur une haute motte artificielle édifiée par le travail forcé des habitants, on construit un donjon. Le château est défendu par une garnison. Ces châteaux sont presque imprenables. On en construit 80 pendant la conquête. Ils sont en bois (jusqu’au XIIe siècle où on les construit en pierres).

Mais en 1069 des révoltes on lieu dans le Nord. D’autres ont ensuite lieu dans les comtés voisins du Pays de Galles. Guillaume est contraint à des marches incessantes avec son armée. Ensuite, fin 1069, début 1070 il change de tactique et ravage complètement les régions qui se soulèvent (incendies de villages (greniers), bétail abattu) (le Nord : du Cheshire au Yorkshire). Vingt ans après, une grande parties du Nord est encore déserte et inculte, vidée d’habitants.

Après 1072 Guillaume sera moins présent en Angleterre. De 1077 à 1080 il est en Normandie. Il meurt en juillet 1087 d’une blessure reçue au siège de Mantes. A cette époque, la résistance anglo-saxonne est brisée. Du point de vue militaire la conquête est terminée. L’Angleterre peut être gouvernée même lorsque le roi est absent. Le royaume est transmis aux héritiers.

B. L’implantation d’une nouvelle féodalité

Pour faire accepter l’autorité normande, il a fallu avoir recours à la force. On parle souvent de colonisation ou

d’occupation. Guillaume se considérait pourtant comme l’héritier légitime du royaume d’Edouard (cf. le lien de parenté avec Emma). Il va implanter dans son nouveau royaume, les structure féodales qui existaient dans son duché de Normandie.

1. Le Duché de Normandie

La Normandie avait été concédée par les Carolingiens (Charles le Simple) à Rollon à partir de 911 (plusieurs

étapes : 911, 924, 933). La Normandie est peuplée de Scandinaves surtout le long des côtes. Leur langue s’est effacée progressivement au profit du français (picard). La faiblesse des Carolingiens (en

lutte avec les Robertiens) permet à la Normandie de se renforcer. Elle devient une principauté importante où les mécanismes institutionnels carolingiens vont être conservés, alors qu’ailleurs ils périclitent.

La féodalisation en Normandie va évoluer comme dans le reste de la France du Nord. Les domaines se transmettent de père en fils et sont la plupart du temps défendus par un château. Des liens de fidélité se tissent entre les grandes familles.

Ils s’étendent vers le bas jusqu’au niveau de ceux qui combattent les milites (pl. de miles), les chevaliers. Au Cours de ce processus, beaucoup de terres sont concédées en fiefs. L’ensemble de la classe aristocratique

devient une classe guerrière. Les membres de la noblesse sont détenteurs des fonctions publiques. Ce sont les comtes et vicomtes.

Guillaume de Normandie réussi a asseoir l’autorité ducale qui avait été mise à mal à l’époque de son père (Robert Ier). Il est vassal du roi de France Henri Ier († 1060). La principauté normande est la plus stable et la mieux organisée de toutes celles qui sont nées à la fin de la période carolingienne.

Elle reste centralisée. Le pagus est maintenu comme unité administrative. Le pagus est dirigé par un vicomte. Il détient un office qui lui vient du Duc. Il dirige quelques subordonnés que l’on appelle les prévôts. Les comtés sont créés comme unités administratives plus larges, centrées sur les châteaux.

Avant la conquête de l’Angleterre Guillaume fait la guerre à ses voisins et étend son duché. Il aussi fait la guerre à son seigneur le roi de France. Il fait la guerre contre le comte d’Anjou, le Duc de Bretagne, le comte de Blois. Il acquiert ainsi un très grand prestige militaire.

2. Le modèle féodal

Après la conquête, Guillaume va donc implanter le modèle normand en Angleterre. Cependant, il hérite d’un

système administratif anglo-saxon qui fonctionne bien. Il va donc d’abord conserver les institutions et même les hommes qu’il a trouvé sur place.

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Cependant, nous avons vu qu’à partir de 1069 il a recours à la force. Il construit donc de puissants châteaux et y installe des garnisons pour imposer l’autorité normande. Pour imposer l’ordre, il va aussi installer une aristocratie militaire qui lui fournira les chevaliers dont il a besoin pour tenir le pays. Cela passe donc par l’implantation de structures féodales inspirées de celles qui existent en Normandie.

En plus du domaine royal anglo-saxon, Guillaume va confisquer les terres de tous ceux qui l’ont combattu et de ceux qui vont se rebeller. Le roi Anglo-normand est le seigneur supérieur de toutes les terres du royaume. Il n’y a plus de terres libres (alleux). Même les terres de l’Eglise sont tenues du roi. Guillaume remplace la classe dominante anglo-saxonne par ses compagnons et ses fidèles (récompense pour l’aide militaire de l’invasion).

Il y a donc une chaîne vassalique. Le vassal fait hommage (à genoux, il donne ses mains au seigneur, formules échangées). Il prête ensuite serment de fidélité à son seigneur (sur les livres saints ou les reliques), il a alors l’obligation de ne pas nuire à son seigneur.

Il reçoit alors un fief pour l’hommage rendu. En contrepartie du fief, le vassal doit l’aide et le conseil à son seigneur.

Obligation de conseil : participation à la cour (les décisions le lient). La cour est aussi cour de justice (on juge les pairs).

L’aide est surtout militaire : il fournit des hommes en armes et vient lui même participer à la campagne militaire (l’ost). En contre-partie, nous avons vu qu’il a reçu un fief (le plus souvent une terre).

L’aide est aussi financière : participation au paiement de la rançon du roi s’il est fait prisonnier, participation à l’adoubement du fils aîné, participation au mariage de la fille aînée (cf. plus tard, l’art. 12 de la Grande Charte).

La terre donnée en fief sert au vassal à subvenir à ses besoins et à s’armer (s’équiper). Il donne aussi une partie de cette terre à ses propres vassaux (sous inféodation) pour qu’ils puissent eux-même s’armer et l’accompagner à l’ost (ses vassaux ont les même obligations).

Guillaume va transposer ce schéma d’une façon systématique en Angleterre. Il y avais certes déjà chez les Anglo-Saxons des caractères féodaux, mais ici le système s’impose par le haut d’un seul coup au lieu de naître progressivement.

C’est la raison pour laquelle il est plus efficace qu’en France (où il échappe dans un premier temps au roi de France). Le roi d’Angleterre l’a imposé d’autorité. Tous les vassaux et arrières vassaux tiennent donc leur fief directement de lui, même s’il y a des intermédiaires.

Alors que sur le continent on parle d’« anarchie féodale », en Angleterre c’est plutôt la hiérarchie féodale. Le roi contrôle toute la pyramide féodo-vassalique. Le roi attribue des terres à des gens qui les tiennent directement de lui : on les appellera plus tard les barons.

Ces barons les sous-inféodent afin de fournir au roi un nombre donné de chevaliers. La seigneurie éminente

(d’origine) est toujours maintenue (l’intégrité du domaine). De plus le Conquérant a dispersé les fiefs dans toute l’Angleterre pour éviter la constitution de principautés

autonomes (c’est une féodalité choisie et non subie). Avec les mesures prises par Guillaume, les relations féodo-vassaliques s’ordonnent à son profit. L’assemblée

tenue le 1er août 1086 à Salisbury va dans ce sens. Elle consacre véritablement l’établissement du régime féodal en Angleterre (Bournazel).

D’après la Chronique anglo-saxonne, « Tous ceux qui comptaient parmi les détenteurs de terres dans toute

l’Angleterre, de quelque seigneur qu’ils fussent les hommes, se soumirent à lui [Guillaume] et devinrent ses vassaux ; ils lui jurèrent fidélité et s’engagèrent à lui être fidèles contre qui que ce soit »

Pour administrer efficacement son nouveau royaume, le Conquérant va lancer une immense enquête qui lui

permettra de connaître les richesse du pays qu’il vient de contrôler (fin 1085). Il va donc envoyer dans tous le pays des commissaires (chevaliers) chargés de recenser les différentes

richesses de la population : les terres et les autres biens. Il servira ensuite à établir l’impôt. Le résultat de cette grande enquête menée sera consigné dans le Domesday Book (Livre du jugement dernier).

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3. Du royaume à l’Empire a. L’empire Plantagenêt (1152-1204) Guillaume le Conquérant laisse trois fils dont Guillaume II (règne 1087-1100) et Henri Ier (r. 1100-

1135). Henri Ier n’a pas d’héritier (vivant). Il promet donc sa succession à sa fille Mathilde (veuve de l’empereur d’Allemagne Henri V). Il marie Mathilde au comte d’Anjou, Geoffroy Plantagenêt. Mais Mathilde ne règnera pas (elle s’est brouillée avec son père). C’est le cousin de Mathilde, Etienne Ier (1135-1154) qui monte sur le trône. La guerre civile s’installe entre les deux camps. Le fils de Mathilde Henri (II) Plantagenêt hérite de l’Anjou en 1150 (par son père) et épouse Aliénor d’Aquitaine (1152) à peine divorcée du roi de France Louis VII. Les deux partis négocient enfin (poussés par leurs barons respectifs). Henri reconnaît Etienne comme son roi et Etienne reconnaît Henri (II) comme successeur.

Henri II (1154-1189). Il va reconstruire le royaume qui avait beaucoup souffert de la guerre civile. Il est à la tête d’un territoire énorme que les historiens on appelé l’empire Plantagenêt (par héritage et mariage). Il comprend outre l’Angleterre et la Normandie, le Maine, l’Anjou, la Touraine, le Poitou et l’Aquitaine. (carte). Ses fils Richard Cœur de Lion (1189-1199) et Jean Sans Terre (1199-1216) vont gouverner tour à tour après sa mort. Jean Sans Terre, comme son nom l’indique va perdre un bonne partie des territoires de l’empire (qui aura été éphémère). En 1200 le roi Jean épouse Isabelle d’Angoulême déjà fiancée à Hughes de Lusignan. Tous deux sont vassaux du roi de France. Selon le droit féodal en cas de litige c’est le seigneur qui tranche : le roi de France Philippe Auguste. Jean est donc convoqué à comparaître devant ses pairs. Il refuse. En conséquence, Philippe Auguste prononce en avril 1202 la confiscation (commise) des tous ses fiefs. Il s’en suit un série d’affrontements à l’issu desquels à la fin de 1202 le Poitou, l’Anjou, le Maine et la Touraine se rallient à Philippe Auguste. En 1203 le roi de France entreprend la conquête de la Normandie abandonnée par Jean qui entre en Angleterre. En 1204 les villes normandes reconnaissent le roi de France. Sur le continent l’Empire Plantagenêt est mort. Il ne reste que quelques possessions dans le sud-ouest. Dans un dernier sursaut, les troupes anglaise vont à nouveau combattre le roi de France en 1214. Mais elle seront finalement écrasées avec leurs alliés (l’empereur d’Allemagne + les Flamands) à la bataille de Bouvines le 27 juillet 1214 contre le roi de France Philippe-Auguste.

Cependant pendant la période « impériale », la royauté est forte et continuera à l’être. Aussi a t-elle à légitimer un tel pouvoir. Depuis le début de l’époque normande, les historiens donnent leur vision des évènements, souvent à la faveur de ceux pour qui ils écrivent. C’est ce qui s’est passé pour les Plantagenêt qui vont de surcroît s’attacher à la figure de celui qui va devenir une sorte de héros national : le roi Arthur.

b. L’histoire officielle et le roi Arthur

Les sources narrative sont nombreuses dès la fin du XIe siècle. La conquête normande a marqué son époque.

Il existe un point de vue anglo-saxon dans la Chronique anglo-saxonne. Et il existe bien-sûr un point de vue Normand, par exemple dans la Geste des ducs de Normandie de Guillaume de Jumièges ou l’Histoire de Guillaume le Conquérant par Guillaume de Poitiers. Il faut aussi saluer le fabuleux travail de la Tapisserie de Bayeux, réalisée vers 1090 à la demande de l’évêque de Bayeux (Eudes). Elle représente en « images » la version officielle des dirigeants normands sur 70 mètres de lin brodé.

Très vite, les historiens de l’époque vont chercher à inscrire la période normande dans la continuité historique. Ils vont donc faire le récit des dominations successives des Bretons, des Romains, des Saxon et enfin des Normands (en latin puis en Français). En intégrant le passé saxon dans le présent normand, les historiens jouent un grand rôle dans la naissance de l’identité anglaise3. On peut désormais contrôler les dire des historiens grâce à des documents de la pratique qui sont de plus en plus nombreux et notamment grâce au Domesday Book.

Mais la synthèse historique la plus populaire reste celle qui concerne le roi Arthur. On est sûr que les

histoires à propos d’Arthur étaient racontées dans les régions de langue celtique. Au début du XIe siècle, la transformation du héros breton ou cornique en héros de l’aristocratie Anglo-normande est l’œuvre de Geoffroy 3 Parmi ces historiens : Orderic Vital, Histoire ecclésiastique de l’Angleterre et de la Normandie (1141) ; Guillaume de Malmesbury, des Gestas des prélats anglais et Historia Novella ; Henri de Huntingdon, Historia Anglorum (1133-1154).

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de Monmouth (qui a été évêque de Saint-Asaph). Il prétend avoir utilisé une source galloise, mais a dû avoir beaucoup inventé. Il écrit en latin l’Histoire des rois de Bretagne (1136). Le personnage d’Arthur est remodelé et relancé. Il a subjugué les îles britanniques et la France entière. Il porte un dragon doré sur sa bannière. Il met les Saxons en déroute, il annexe l’Irlande. Il bat les Romains. Sa cour est un modèle de raffinement international. L’œuvre a eu un succès considérable. Tout le monde en Europe veut se comporter comme les chevaliers d’Arthur. De nombreuses copies de l’histoire de Geoffroy circulent en anglais et en Français au XIIe siècle. Geoffroy a été qualifié de « romancier déguisé en historien ». Son historie sera l’épine dorsale de l’histoire nationale anglaise jusqu’au milieu du XVIe siècle. Ainsi, il comble une lacune (invasion saxonne) et donne à l’Angleterre une histoire héroïque qui bénéficie aux rois de l’époque (Plantagenêt). Cette nouvelle littérature utilise donc des histoires du pays pour idéaliser la vie de l’aristocratie.

L’histoire a été continuée par le poète Wace. Il traite de l’histoire de l’Angleterre depuis le roi de Troie Brutus (achevé en 1155). C’est le premier à mentionner le table ronde, une manière ingénieuse de ne pas vexer les chevaliers pour des questions de préséance. Une copie de cette histoire a été présentée à Aliénor d’Aquitaine. Par ailleurs, il semble que le roi Henri II soit à l’origine de la découverte de la tombe d’Arthur et de Guenièvre à Glastonbury.Il créait ainsi un nouveau sanctuaire. Arthur devait être satisfait de savoir qu’Arthur avait conquis l’Irlande. Cela justifiait sa propre conquête de l’île (1169).

Le modèle arthurien a tout de même influencé l’aristocratie. Cela se voit notamment au niveau des emblèmes et des parades (spectacles). De plus Richard Cœur de Lion est censé détenir l’épée d’Arthur, Excalibur. Il portait une bannière avec un dragon. Au milieu du XIIIe siècle, on fait des tournois avec des motifs arthuriens.

C’est dans ce contexte d’une royauté forte dans un pays centralisé que va naître la common law.

Pour aller plus loin Thomas CHARLES-EDWARDS, After Rome, Short History of the British Isles, Oxford, 2003. Wendy DAVIES, From the Vikings to the Normans, Short History of the British Isles, Oxford, 2003. Frank STENTON, Anglo-Saxon England, Oxford, 1943 (2001). James Campbell, The Anglo-Saxons, Penguin Books, London, 1982 (1991). Henry MAYR-HARTING, The Coming of Christianity to Anglo-Saxon England, Pennsylvania Press, 1994

(1972). Leslie ALCOCK, Arthur’s Britain, Penguin Books, 1971 (2001). Simon KEYNES, Anglo-Saxon England, A bibliographical Handbook for students of Anglo-Saxon History,

Cambridge, 2004. Patrick WORMALD, The Making of English Law: King Alfred to the Twelfth century, vol. 1 Legislation and its

Limits, Oxford, 1999. Patrick WORMALD, The First Code of English Law, Canterbury, 2005. Lisi OLIVER, The Beginnings of English Law, Toronto, 2002. H. R. LOYN, The Governance of Anglo-Saxon England, 500-1087, Stanford, California, 1984. Tryggvi J. OLESON, The Witenagemot in the Reign of Edward the Confessor, Oxford, 1955. Bill GRIFFITHS, An Introduction to Early English Law, Frithgarth, 1995 (2003). F. E. HARMER, Anglo-Saxon Writs, Manchester, 1952. Alan HARDING, The Law Courts of Medieval England, London, 1973. Domesday Book, A complete Translation, éd. Ann WILLIAMS & G. H. MARTIN, London 1992 (2005). English Historical Documents 1042-1189, éd. David Douglas and G. W. Greenaway, London, 1953. DOWNER, L. J., Leges Henrici Primi, Oxford, 1972. O’BRIEN, Bruce R., God’s Peace & King’s Peace, The Laws of Edward the Confessor, Pennsylvania Press,

1999.

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BOURNAZEL, Eric, « La royauté féodale en France et en Angleterre, Xe-XIII e siècles », Les Féodalités, éd. Eric BOURNAZEL et Jean-Pierre POLY, PUF, Paris, 1998, p. 389-510.

DAVIES, Wendy, From the Vikings to the Normans, Short History of the British Isles, Oxford, 2003. PETIT-DUTAILLIS , Charles, La monarchie féodale en France et en Angleterre, Albin Michel, Paris, 1971

(1933).

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CHAPITRE II

GOUVERNEMENT ET JUSTICE AU ROYAUME D ’A NGLETERRE (XII E-XIII E

ET XIV E SIECLES).

Le problème de la « constitution » anglaise (Bolingbroke 1733). Invention anglaise, mais en Angleterre

jamais écrit, alors même que l’écrit administratif très précoce au XIIe siècle. Ou plutôt, éléments écrits, mais pas de mise par écrit globale. Volonté de laisser une vaste marge de manœuvre aux juges. Force de la royauté, du pouvoir central ; très tôt contrepoids parlementaire, si admiré au XVIIIe siècle par les Français. Essentiel du système institutionnel mis en place en 1160-1220.

I. LE GOUVERNEMENT DU ROYAUME Distinguons les institutions générales (A) de l’organisation judiciaire (B).

A. les institutions générales Nous aborderons ici la question des agents du roi et du parlement.

1. Les agents du roi Le roi va s’appuyer sur le système administratif anglo-saxon pour contrôler son royaume (a). Mais il va aussi

utiliser les services des hommes qui forment la chaîne féodo-vassalique (b).

a. Hiérarchie « fonctionnaire » L’Angleterre se dote très tôt – plus tôt que les autres royaumes occidentaux – d’un cadre administratif

uniforme de petites unités territoriales. Ce sont les comtés ou shires. Certains dérivent, nous l’avons vu d’anciens royaumes anglo-saxons (Kent, Sussex). D’autres, en Mercie, portent le nom de la ville du comté (Cambridgeshire, Oxfordshire, Buckinghamshire). Ces derniers ont été créés à la fin de la période anglo-saxonne. A la période anglo-saxonne, certains comtés étaient regroupés pour former de grandes unités administratives sous le contrôle d’un ealdorman ou earl. Ils formaient les earldoms de Wessex, Mercie et Northumbrie. Par la suite, le Conquérant a bien recruté quelques earls, mais ils ont été assignés à un seul comté. Il n’y a donc pas en Angleterre d’intermédiaire entre le roi et le comté.

Le Domsday Book (à partir de 1085) cite 33 comtés. Tous existent encore – avec quelques petites modifications de frontières – en 1974, date à laquelle on a procédé à des modifications au niveau local. Il y a eu finalement 39 comtés anglais.

L’Angleterre est donc un royaume composé d’un cadre uniforme d’unités territoriales qui sont sous l’autorité d’agents royaux : les sheriffs. Il existe cependant deux exceptions à ce contrôle des sheriffs sur les comtés :

- Apanages. (Lat. apanare : nourrir de pain). Le roi donne parfois des comtés à ses proches. Ces arrangements sont temporaires. Cependant, il arrive souvent que les comtés soient gardés longtemps. Dans ces cas, il faut attendre la mort du bénéficiaire pour que le comté revienne sous le contrôle directe du roi. Ce sont des apanages. Exemple : Henri Ier confie à sa reine Adèle le comté de Shropshire en 1126. Il meurt en 1135, et elle lui survit jusqu’en 1151. Exemple : la Cornouaille est confiée à l’un des fils illégitimes du roi Henry Ier, Reginald de 1140 à 1175 (date de la mort de Reginald). Dans ces cas, les comtés disparaissent du contrôle de l’administration financière royale pendant des décennies.

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- Il existe aussi deux comtés qui ont eu un régime différent. Il s’agit du Cheshire et du Durham. Ils acquièrent tous deux une sorte d’autonomie. Ils ont ce que l’on appelle à la fin du Moyen-Age un « statut palatin ». Déjà dans le Domesday Book, il est écrit que toutes les terres du Cheshire sont tenues par l’earl (comte) de Chester. Et pas directement du roi. En fait, les deux comtés cités ont chacun leur dirigeant. Pour le comté de Chester, c’est le comte. Pour le comté de Durham, c’est l’évêque. Le comte de Chester et l’évêque de Durham recrutent leurs propres sheriffs. Alors que les autres comtés anglais sont contrôlés annuellement par l’Echiquier, ceux-ci ne le sont pas. La justice itinérante du roi ne s’y rend pas. Ces deux comtés ont conservé ces « privilèges ».

En dehors de ces deux cas (apanages et Chestershire/Durham), c’est l’uniformité qui prévaut en matière

administrative. Par ailleurs, il faut souligner que la taille des comté n’est pas énorme. La taille moyenne est en effet de 1250 miles carré (même s’il y a des exception (Yorkshire)). La plupart des habitations sont à une journée de marche maximum de la ville du comté (chef lieu). Ce sont donc des unités administratives à échelle humaine. Il va ainsi naître chez les habitants, un sentiment d’appartenance à son propre comté.

Le sheriff. La shire est dirigée par le sheriff (‘shire-reeve’). C’est un officier royal. Il est nommé par le roi

(selon le plaisir du roi). Il a un certain nombre de devoirs à remplir, au premier rang desquels figurent le devoir de justice et le devoir financier. Il préside (désormais) la cour du comté (justice) et est responsable du paiement annuel que chaque shire doit effectuer au roi (finances).

Les comtés anglais sont assez peu étendus. Un même sheriff pouvait donc avoir deux comtés sous sa responsabilité (ex. : Norfolk & Suffolk). La cour du comté pouvait elle aussi se tenir pour deux comtés en même temps. Exception remarquable : Hugh de Buckland est sheriff de huit comtés sous Henry Ier.

Les sheriffs sont en général des laïcs. On les trouve surtout dans trois groupes sociaux : les barons, les administrateurs royaux et la petite noblesse locale. Au départ, sous Guillaume le Conquérant, les shériffs sont surtout des barons (Geoffroy de Mandeville, sheriff du Middlesex et contrôlant une baronnie rapportant 800£ par an). Sous le roi Henry (Ier 1100-1135), beaucoup d’officiers de la maison du roi sont aussi sheriffs. D’autres viennent de l’administration royale centrale. Sous le roi Jean (1199-1216), un siècle plus tard les choses sont assez similaires : barons (17), chevaliers (knights) (12), officiers royaux (11) et 7 inconnus, probablement d’origine modeste. Lorsque le roi nomme un sheriff, il doit choisir quelqu’un qui ait suffisamment d’autorité pour remplir sa mission, mais aussi quelqu’un qui reste sous les ordres du roi (qui ne soit pas tenté de faire sécession). Le problème pouvait surtout se poser à propos de la succession d’un sheriff. L’office pouvait-elle passer au fils, ou à un membre de la famille du sheriff (comme cela s’était passé en France avec les comtes à partir de la fin du IXe siècle) ? Si l’office appartenait à une aristocratie, cela allait affaiblir considérablement le pouvoir royal. L’Angleterre a connu une période d’instabilité où certains sheriffs ont essayé d’imposer leur pouvoir personnel. Cette période est à son comble avant l’arrivée au pouvoir de la dynastie angevine (avant Henri II 1154-1189).

L’arrivée au pouvoir des rois angevins a renversé la tendance. Henri II exerça un contrôle très ferme sur ses sheriffs. Il mit en oeuvre l’Enquête des shérifs (the Inquest of the sheriffs) en 1170. En conséquence, 22 des 29 sheriffs furent alors remplacés (souvent par des membres de l’Echiquier). Les sheriffs sont donc demeurés révocables : responsables (accountable) et révocables (dismissable). Ils sont surtout contrôlés en particulier en matière financière.

On attendait du sheriff qu’il fasse des paiements réguliers à la couronne (affermage). Mais il était présumé prélever davantage. C’est la raison pour laquelle certains étaient prêts à payer pour obtenir cet office. Certains paient même très cher (1130 Robert d’Oilly, sheriff d’Oxford donne 226£ au roi pour « avoir le comté ». En 1200, Guillaume de Stuteville donne au roi Jean 1000£ pour devenir sheriff du Yorkshire). Cela permettait au roi de s’enrichir davantage.

Dans ce même but, le roi pouvait aussi imposer une augmentation des prélèvements au sheriff. C’est par exemple le cas en 1194, lorsque Richard cœur de Lion revient de captivité. Les sheriffs devaient comptabiliser tout ce qu’ils percevaient dans le comté. Le résultat était alors visibles dans les comptes de l’Echiquier.

Le comté est composé d’unité plus petites que l’on appelle les hundreds dans le sud et les wapentakes dans

l’ancienne région du Danelaw. Leur histoire est beaucoup plus variable que celle des comtés. Les hundreds ont été remodelées et renommées dans une large mesure. Le Domesday Book recense environ 720 hundreds et wapentakes. Mais il n’y en a plus que 628 en 1270. Il y a aussi une grande variété de tailles. Le Lecestershire a par exemple dans le Domesday Book 4 wapentakes, alors que le Sussex a 59 hundreds (les surfaces sont près de 10 fois plus petites dans le Sussex). La hundred a sa propre cour (nous le verrons plus loin).

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Dans la hundred est toujours organisé le tithing. C’est – nous l’avons vu – un groupe responsable collectivement de la conduite de ses propres membres. Les membres d’un tel groupe supportent les conséquences de l’activité criminelle d’un de ses membres.

A un niveau encore plus restreint, il existe la commune ? village ? (township) (villata). C’est une entité qui a

des devoirs et des responsabilités. Le village (township) a un rôle central à jouer dans le « système de la déclaration publique – par un jury – d’un crime » (system of public presentment of crime) ».

Voyons donc comment la hiérarchie administrative fonctionne à travers un exemple. C’est l’exemple du

prélèvement de la taxe sur les biens meubles (movable property) en 1225. Le roi nomme (appoints) des ‘collecteurs’ de taxes pour chaque comté. Le sheriff convoque (summons) tous les chevaliers (du comté ?) à l’assemblée où quatre chevaliers (knights) seront choisis, venant de chaque hundred ou wapentake. Ces chevaliers (knights) ont alors le devoir d’aller à travers la hundred dont ils sont responsables (pas forcément celle dans laquelle ils habitent). Ils y reçoivent de chaque habitant une déclaration sous serment sur la valeur de sa propriété. La taxe est fondée sur un pourcentage de ce qui est déclaré. Les chevaliers reçoivent ensuite l’argent « des mains des quatre hommes de loi les plus importants (law-worthy men) et des officiers (reeves) de chaque village (township). Ils transmettent cet argent aux ‘collecteurs’ du comté. Un document de cette époque a été conservé. Il contient les noms des individus et de ce qu’ils possèdent, jusqu’au moindre porcelet. Les villageois de l’Angleterre des XIIe et XIIIe siècles pouvaient donc être identifiés dans un cadre administratif très clair du tithing, township, hundred et comté. b. Hiérarchie féodale (mais quelle féodalité ?)

Il faut tout d’abord souligner qu’au niveau de la chevalerie, les Normands et autres Français dominent parce

que les Anglo-Saxons ne maîtrisent pas encore l’art du combat à cheval. Lentement, un processus d’assimilation renversée rend toute l’aristocratie francophone. Il n’y a pas de distinction d’origine. Le français est un facteur de distinction par rapport à la masse paysanne anglophone (Genet). Les conquérants d’origine normande sont devenus des barons. On le voit bien à leurs noms. Exemple : Aubigny, Avranche, Courtenay, Beaumont, Beauchamp …

La société anglaise de cette époque est une société aristocratique. Le pouvoir et la richesse sont tenus par un

petit nombre. D’après le Domesday Book, près de la moitié des richesses générées dans le pays sont tenues par moins de 200 barons. Ces 200 hommes et leur famille forment un petit groupe dominant qui contrôle les plus petites familles. Les grandes familles ne contrôlent pas directement toutes leurs terres. Si certaines terres sont contrôlées directement pour produire de la nourriture ou des rentes, beaucoup sont concédées en échange de services variés. Ces services ont déjà été évoqués (aide et conseil).

Ceux qui tiennent un fief sont appelés les tenants. On va distinguer ceux qui sont en haut de l’échelle vassalique les « tenants en chef » des autres, les sous-tenants. Tous font hommage au roi. Nous ne sommes donc pas dans le cas de figure de la France où seuls les vassaux directs le font. Ici, la règle « le vassal de mon vassal n’est pas mon vassal » ne joue pas ; tous les chevaliers sont aussi les vassaux du roi. Il peut donc « court-circuiter » les niveaux, à la différence de ce qui se passe sur le continent.

Quelle est la hiérarchie ? On trouve certaines distinctions décrivant les relations sociales : seigneur et tenant, seigneur et vassal, seigneur et homme. Cela implique une différence de richesse ou une place particulière dans la hiérarchie sociale. Mais attention, un vassal peut être un homme très riche et un noble un homme relativement pauvre. Il y avait dans l’Angleterre du XIIe siècle d’autres catégories qui s’attachaient au prestige et au standing (elle s’ajoutaient à la distinction seigneur-vassal). Cette classification apparaît dans les documents administratifs angevins. On la voit par exemple dans les tarifs prévus pour la participation aux tournois (les plus haut dans la hiérarchie payant plus cher) :

- Comte / earl : 20 marks (env. 12£) - Baron : 10 mark - Chevalier avec terres : 4 marks - Chevalier sans terres : 2 marks

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Cette classification est hybride. Elle est à la fois basée sur le titre ou le rang et sur la fortune (terre ou non). On peut penser qu’il y avait un certain parallélisme entre le titre et la fortune. Cependant, il y avait des nobles pauvres et de riches marchants sans titre.

Au début du XIIIe siècle on comptait en Angleterre environ 20 earls, 200 barons et 5000 chevaliers. Il y avait des gens en marge de la chevalerie avec des revenus qui s’apparentent à ceux de la chevalerie mais qui n’ont pas le titre (hommes libre ayant des revenus de chevalier). Exemple, un sergent qui a un peu de terre et surtout qui assure un service honorable. Exemple : il ferre les chevaux du roi.

Ces hommes, qui tiennent leur fief du roi doivent aide et conseil. C’est en cela qu’ils peuvent être considérés

comme des agents du roi. L’aide militaire et pécuniaire et aussi important que le conseil : la prise de décision politique ou judiciaire. Ils vont aussi sur le terrain pour des missions administratives. Exemple : enquête fiscale où les habitants prête serment devant le sheriff avant de déclarer leur fortune aux envoyés du roi (les chevaliers).

L’administration royale peut encore leur confier d’autres mission comme celle de juge, sheriff ou escheator (officier qui contrôle la transmission des fiefs, analysant leur composition et certifiant l’âge des héritiers pour savoir s’ils vont devenir des wards ou hériter immédiatement à condition de payer leur relief). Chargés de commissions multiples ce sont des hommes actifs à cette époque. Ce sont des homme en pleine ascension sociale.

Une telle position sociale est bien-sûr précieuse. Les titulaires de tels titres et fonctions chercheront dont à les

transmettre à leurs enfants (comme pour les sheriffs). C’est la question de l’hérédité qui se pose alors. Le fief (aussi appelé honneur) n’est pas héréditaire. Le fils du vassal doit pour hériter du fief de son père, payer un droit de relief au roi. Le souverain conserve aussi les profits du domaine pendant la minorité des héritiers (qui sont alors appelés wards). Il contrôle le mariage des veuves et des orphelines. Il s’en sert d’ailleurs pour récompenser ses officiers. Cet ensemble de droits constitue l’un des revenus les plus importants de la couronne. L’un des rôles du Domesday Book est d’établir la liste des « tenants en chef du roi » (Cassagne).

2. La naissance du parlement

Le parlement anglais va s’ériger avec le temps en un véritable contre-pouvoir face à la royauté. La royauté

anglo-normande qui règne sans partage dans un premier temps (à partir de 1066) va devoir composer avec son parlement. On va donc lentement passer d’une monarchie forte à une monarchie tempérée. C’est le contraire de ce qui va se passer en France où le roi ne peut gouverner sans ses grands vassaux au début de la période capétienne et où le pouvoir devient de plus en plus absolu au fur et à mesure que l’on va vers le XVIIIe siècle.

Le parlement a été imposé au roi anglais par les grands du royaume, notamment les barons (a) ; il a ensuite évoluer vers une institution bicamérale : le « parlement modèle » (b).

a. Le poids des barons

Les barons anglais vont profiter de la faiblesse temporaire du roi Jean pour obtenir du roi un certain nombre

de garanties. Ils auront ainsi plus de poids pour faire valoir leur point de vue.

α L’obtention des libertés individuelles (La Grande Charte) La politique de reconquête des domaines continentaux menée par Jean sans terre va entraîner une

surexploitation des ressources de l’Angleterre. Jean n’a pu conserver de la Normandie que les îles anglo-Normandes. Les Plantagenêt sont obsédés par la reconquête de leurs terres ancestrales. Cela les conduit à mener une politique ruineuse. Ils cherchent à tirer le plus de ressources possible de leur île pour financer leurs guerres sur le continent.

Jean demande aux shérifs de prélever davantage d’impôts. Les marchands sont aussi davantage taxés. L’impôt sur les juifs est doublé. Les revenus tirés de la justice et de la forêt sont accrus au maximum. Jean fait infliger à tort et à travers, des amendes par ses juges royaux. Les sommes (impôts, amendes) sont versées à l’échiquier, mais aussi à la maison du roi (household) pour éviter les contrôles des officiers royaux. Jean va

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même racketter ses vassaux. Il vend les honneurs à des prix exorbitants. Prend les familles des mauvais payeurs en otage.

Cette politique va mettre à mal les relations du roi avec ses sujets. Ce va générer des solidarités entre les

grands du royaume contre le roi. La reconquête a lieu en 1214. Jean cherche à récupérer l’Anjou mais essuie un échec face au fils de Philippe Auguste, le futur Louis VIII). D’un autre côté des troupes anglaises sont aussi engagées au nord de la France, dans une coalition (comte de Flandre, Comte de Boulogne et l’empereur d’Allemagne). C’est aussi un échec, avec la victoire de Philippe Auguste à Bouvines (27 juillet 1214). C’est donc un désastre pour Jean et à son retour en Angleterre, ses sujets vont lui demander des comptes.

Face à la politique arbitraire de Jean, les barons vont profiter des défaites de 1214 pour réclamer dès le début de l’année 1215 une « charte des libertés ». Le 3 mai ils renoncent à la fidélité due à leur suzerain (diffidatio). Il y a plusieurs courants. Il y a sûrement eu un programme revendicatif mûri conduit par ceux qui veulent rester fidèles au roi, mais il y a aussi les barons qui ne songent qu’à leurs propres privilèges.

Le 17 mai 1215 les barons rebelles entrent dans Londres aidés par de nombreux londoniens. Le roi s’enferme

à Windsor et des négociations vont commencer (dans la prairie de Runnymede). Chaque parti cherche à gagner l’adhésion des indécis. Les barons veulent faire céder le roi qui veut gagner du temps. Il a demandé au pape d’excommunier ses adversaires. Stephen Langton (grand théologien parisien) et les modérés vont finalement jouer les médiateurs et inspirer l’acte final : la Grande Charte (Magna Carta) : 63 chapitres censés réconcilier tout le monde. La charte est datée du 15 juin 1215, date où un accord de principe est fixé (il a fallu beaucoup de temps pour le rédiger).

Le texte est copié en plusieurs exemplaires. Les sheriffs vont le diffuser dans toute l’Angleterre (dans chaque comté). Ce texte est une charte des libertés, c’est-à-dire des privilèges (non de la liberté qui concerne tous les hommes libres).

Contenu :

- Confirmation des libertés de l’Eglise d’Angleterre (chap. 1). - Les reliefs sont limités à 100£ (chap. 2). - Une veuve ne peut être forcée de se remarier (chap. 8)

Les pires abus de la tyrannie royale sont corrigés (otages, mercenaires étrangers). Deux chapitres plus généraux justifient la place de la Grande Charte dans l’histoire politique et

constitutionnelle. Dans le premier (chap. 39), le roi dit que : « Nul homme libre ne sera pris ou emprisonné ou dessaisi [de ses terres], ou mis hors-la-loi, ou exilé ou ruiné de quelque façon que ce soit, et nous ne marcherons pas sur lui ni n’enverrons [nos gens] contre lui, si ce n’est par le jugement de ses pairs ou selon la loi du pays ».

Ce texte est considéré comme l’ancêtre direct de l’habeas corpus et le fondement des libertés individuelles. Le contenu n’est pas entièrement révolutionnaire. L’idée que le roi est soumis à la loi, même s’il est lui-même source de loi vient du droit romain. Cela devient ici le fondement du consensus entre le roi et la communauté politique. La justice royale qui avait été réformée par Henri II sert la communauté des hommes libres, non l’arbitraire royal. Elle devient donc légitime.

Notons aussi que ce chapitre 39 n’est pas sans rappeler l’article 7 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen (26 août 1798) : « Nul homme ne peut être accusé, arrêté ou détenu que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes qu’elle a prescrites ».

Second article important : l’article 61. Selon lui, les barons choisissent 25 des leurs pour contrôler l’application de la Charte. Si celle-ci n’est pas respectée, cela est notifié au roi qui corrige immédiatement. Dans le cas contraire, il appartient aux 25, avec la « commune de tout le pays », d’obtenir par force réparation. Tout homme est libre de prêter serment aux 25. Le serment et le terme de commune indique l’influence de l’idéologie communale bien présente à Londres. Pourtant le « conseil » des 25 ne représente pas la commune. Il est temporaire et doit se dissoudre une fois sa tâche accomplie. Le chapitre 61 n’a donc pas de portée constitutionnelle mais témoigne d’une certaine conscience politique et d’un esprit nouveau.

N.B. Il n’y a pas encore de Parlement en 1215 (!)

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β. Du Conseil du roi au Parlement A l’origine les grands du royaume se font entendre en tant que tenants en chef et vassaux directs du roi. Ils

participent à son conseil. C’est par les barons que les arrières vassaux se font entendre. Les évêques portent le message de l’Eglise au conseil du roi. Certains représentants des marchands et des villes vont aussi au conseil. Mais c’est le roi et lui seul qui est maître de la composition de son conseil (permanent). C’est une limite pour ceux qui veulent se faire entendre.

En 1215, l’ensemble des barons s’est posé en représentant de la société politique. Il a imposé au roi des

règles de bon gouvernement. Il y a donc un retournement complet des structures politiques. Le roi imposait en effet jusqu’à présent ses règles à tous (par sa justice et ses décisions souveraines). Désormais, les barons se veulent la voix de la communauté politique.

Jean meurt en 1216. Son fils Henri III (1216-1272) est mineur lorsqu’il devient roi. Pendant cette période de

minorité, les barons vont s’emparer du gouvernement. Au Conseil du roi (ou Grand Conseil) ce sont eux les véritables administrateurs du royaume. Au lieu de jouer leur rôle normal de conseillers, ils décident. Cela va leur donner une certaine expérience en matière d’administration du royaume. Ils forment une classe dirigeante qui se reconnaît en tant que telle. Ils ne sont plus l’adition de vassaux isolés.

Le roi Henri III fait d’énormes dépenses. Cette attitude conduit les barons à refuser les subsides demandés par le roi. Pour freiner les dépenses, les barons vont constituer des commissions responsables de la gestion du gouvernement. Pour les cas les plus importants, le Conseil va être réuni sous forme élargie, avec beaucoup plus de membres que d’habitude.

C’est donc progressivement, par la pratique que va naître le Parlement. C’est d’abord seulement cette sorte de

conseil élargi. Ce conseil est convoqué pour des question particulières (non permanent). Il faut un motif précis. Le conseil siège alors dit-on « in parliamento », « en parlement ».

Composition. La composition est variables. Les magnats (grands du royaume ?) sont presque toujours présents. Les prélats également. Les chevaliers des comtés deviennent les intermédiaires indispensables entre le roi et le comté à partir de 1258. Lorsque cela est utile, on convoque d’autres personnages : les sherrifs , les « tenants en chef du roi », les archidiacres, les hommes des Cinque Ports, les procureurs du bas clergé, des juifs (avant leur expulsion en 1290).

En 1265 (toujours sous Henri III) on franchit un pas supplémentaire. Un grand baron, Simon de Montfort

défit le roi. Déjà en 1264, il l’avait battu à la bataille de Lewes. Après cette bataille, son mouvement de rébellion prend un aspect populaire. Il ne comporte pas que des barons. Il comprend aussi des marchands des villes, des petits propriétaires terriens et des étudiants d’Oxford.

Simon de Montfort va assembler illégalement un Parlement (d’opposition) en 1265. Ce parlement va être à

l’image des rebelles. On y trouve des représentants de bourgeois des villes dotées d’une charte (2 par ville) et deux chevaliers par comté.

Les historiens ont appelé ce parlement le « parlement révolutionnaire ». Il n’avait en effet pas été assemblé par le pouvoir officiel, mais contre lui. D’ailleurs tout le territoire n’y était pas représenté. Il était composé de 5 comtes, 17 barons et de nombreux bourgeois (et chevaliers ?), dont le nombre compensait en quelque sorte l’absence des barons qui s’étaient finalement ralliés au roi. Finalement, Simon de Montfort fut vaincu en 1266. Mais le nouveau roi Edouard Ier (1272-1307) accepta les changement apportés par les rebelles.

Pendant le règne d’Edouard Ier (1272-1307), le parlement fut le même que celui de Montfort. Au début les

chevaliers et les bourgeois ne semblent pas prendre véritablement part aux travaux du Parlement. Ils donnent leur accord aux impôts que le roi demande. Ils renseignent donc le souverain sur les capacités des villes et des comtés à payer l’impôt. Ils servent donc la royauté. Ils font aussi remonter au Parlement des pétitions de leurs villes ou comtés. Dès 1290 en effet, le parlement a ses clercs et reçoit des pétitions venant de collectivités ou de personnes privées (des milliers). Le Parlement présente lui-même en son nom des pétitions au roi et au conseil du roi.

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Enfin les chevaliers et les bourgeois contrôlent le travail des agents royaux locaux ? Bientôt, le parlement allait cesser d’être l’instrument du pouvoir royal. Il n’allait plus servir seulement à lever

des impôts. Il allait en effet devenir une véritable institution d’opposition à la royauté. Ce processus allait se faire en plusieurs étapes.

b. Vers le Parlement moderne

Le Parlement anglais va prendre assez tôt sa forme moderne. Cela va se produire en deux temps. Premier

temps à la fin du XIIIe siècle il comprend tous les éléments nécessaires à sa constitution (α). Et ensuite au XIVe siècle il prend sa forme moderne (β).

α. Le parlement de 1295

Dans un premier temps, les différents membres du Parlement siégaient tous ensemble en une seule

assemblée. Dans cette assemblée, les barons dominaient les débats (c’est ce que nous avons vu jusqu’à présent). Dans un deuxième temps, il y eut plusieurs expériences. Il y a parfois eu trois chambres : les barons, le clergé

et les communes. En 1283, les bourgeois qui représentaient les villes ont siégé de leur côté pour légiférer sur des questions qui

touchaient au commerce. D’autre fois les chevaliers des comtés ont siégé avec les barons, d’autres fois ils ont siégé avec les

représentants des villes. En 1295, le roi Edouard est en guerre contre la France et contre l’Ecosse. D’autre part il doit maintenir la

paix au Pays de Galles qui a été conquis il y a peu. Il a donc besoin de beaucoup d’argent. Il va donc convoquer le Parlement pour qu’il décide une levée.

Le roi a favorisé le développement du Parlement. Mais son but n’était pas de favoriser la démocratie. Il voulait qu’on ne puisse plus revenir sur les décision prises par le Parlement, notamment lorsque celui-ci vote une nouvelle taxe. Les mandants qui avaient envoyé leurs représentants au Parlement ne pouvaient plus la refuser.

Le Parlement réuni en 1295 était à l’image du royaume. Il était l’assemblé plénière du royaume (Frison) : il comportait donc tous les éléments reconnus par la suite comme des éléments nécessaires pour constituer une assemblée plénière du royaume. Les historiens ont donc appelé ce parlement le « Parlement modèle » : représentants des grands ecclésiastiques et grands laïcs (grands tenants), chevaliers des comtés et représentants des villes.

D’importantes sommes d’argent ont donc été allouées au roi en 1295 pour financer ses guerres. Mais les deux années suivantes le roi qui eut à nouveau besoin d’argent leva de lourdes taxes foncières. Il imposa des droits sur les exportations de laine et saisit une parties des biens de l’Eglise.

Les sujets concernés par ces taxes jugées abusives, en colère, obligèrent le roi à signer une « confirmation de la Grande Charte » en 1297 (Confirmation of the Charter). Le roi Edouard dut promettre à cette occasion qu’aucun impôt ne serait prélevé dorénavant sans le consentement du Parlement. Cette opposition était une opposition parlementaire. Ceci constitua un fait nouveau qui allait se reproduire …

Au fur et à mesure que les rois anglais allaient demander des subsides, le Parlement allait augmenter son

contrôle sur l’imposition. Ce fut le cas notamment sous les règnes d’Edouard II (1307-1327) et Edouard III (1327-1377) qui avaient besoin de mener la Guerre de Cent ans contre la France.

Entre 1339 et 1344, le Parlement refusa de se prononcer sur l’impôt tant que les doléances n’auraient pas été entendues et les torts redressés (Frison).

Plus encore, le roi qui avait besoin d’argent a permis au Parlement de contrôler la manière dont les sommes allouées étaient dépensées et à examiner les comptes royaux. Ce fut le début de la Trésorerie (the Treasury).

β. La forme moderne du Parlement

Notons à propos de l’évolution de la composition du Parlement, que les représentants du clergé disparaissent

au parlement. L’Eglise n’est donc pas représentée puisque les ecclésiastiques qui siègent sont là en tant que

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tenants (comme barons). L’Eglise a sa propre assemblée : la Convocation. Par ce moyen, elle échappe aux impositions devenues trop fréquentes.

La forme moderne est celle qui se compose de deux chambres (forme bicamérale). Il y a en effet une division en deux chambres (houses) : chambre des Lords et chambre des Communes.

En 1322 on a la composition du parlement moderne : Chambre des Lords :

- Ecclésiastiques : les évêques et les plus riches abbés. Ils sont là en tant que « tenants en chef ».

- « Tenants en chef » les plus importants : comtes et barons. On ne convoque pas tous les barons (50 à 100), donc ce ne sont pas les mêmes d’un parlement à l’autre. Après 1322, le nombre se stabilise et se restreint. Il faut un writ de convocation du roi pour qu’un tenant en chef puisse participer au parlement.

La Chambre des Lords aura une compétence exclusive en matière judiciaire. Les Lords remplissent ainsi leur

obligation de conseil. Ils jugent en première instance et en appel. Les Lords jugent en droit et non en fait (vérifier). Les Lords participent donc à la fois au pouvoir législatif, exécutif et judiciaire.

- Législatif : c’est la seconde chambre et son consentement est indispensable à l’adoption de la loi.

- Exécutif : les Lords fournissent au souverain la plupart de ses ministres. - Judiciaire : ils rendent la justice au nom du roi.

Chambre des Communes :

Elle est composée de Chevaliers et de Bourgeois élus par l’ensemble des hommes qui possédaient leur

terre. Ce sont :

- Chevaliers représentant les comtés (knights of the shire). Le comté élit deux chevaliers à la cour du comté pour aller au Parlement. Ces chevaliers représentent les petits propriétaires terriens.

- Bourgeois. Ils représentent les villes (boroughs). Ce sont des marchands. La liste des villes est cependant imprécise (jamais plus de 80 à chaque parlement, puis elle se fige à 70).

C’est un regroupement unique en Europe. Il reflète la distribution des forces sociales. D’un autre côté, on a les grands du royaume (comtes et barons) qui étaient plutôt préoccupés par les

opérations militaires. De l’autre, les petits propriétaires terriens qui cherchaient avec l’expansion du commerce à tirer des revenus

de leurs terres. Ils pratiquaient notamment l’élevage de moutons à grande échelle. Ils avaient un intérêt commun avec les marchands des villes. Ces marchands fondaient en effet leur prospérité sur le commerce de la laine.

L’alliance des marchands et de la petite noblesse terrienne allait être la clé de l’accroissement des pouvoirs du Parlement. Les Communes allaient pouvoir agir distinctement des Lords pour leurs propres intérêts.

Conclusion. Avec le Parlement, on passe d’un Conseil féodal à une institution « moderne ». Il y a une différence avec Parlement français de l’Ancien Régime, qui est une cours de justice. On pourrait

plutôt comparer avec les Etats généraux en France (réunis pour prélever de nouveaux impôts (guerre) ou lors de crises).

En Angleterre, un véritable dialogue va s’installer entre le pouvoir royal et la société politique par

l’intermédiaire du Parlement : - Lors des séances du Parlement. - Lors des élections dans les cours de comté.

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- Quand les députés font le compte rendu des sessions. Le roi utilise le parlement pour exercer son pouvoir législatif : les statuts. Il faut savoir que le roi légifère

aussi seul par ordonnances. Mais les statuts sont des lois promulguées en parlement. Ce sont de véritables monuments juridiques (surtout

à partir d’Edouard Ier). Ils sont préparés par le conseil royal. Ils concernent le gouvernement, la justice et même la société anglaise. Les statuts reprennent parfois une partie des pétitions du Parlement. On va ensuite produire des collections manuscrites des statuts (ils commencent toujours par la Grande Charte). Les hommes de loi sont censés connaître les statuts.

B. L’organisation judiciaire

Face au développement rapide des cours royales (1), les juridictions locales auront du mal à survivre (2).

1. Les démembrements de la cour royale Un élément nouveau apparaissait avec les Normands. « L’usage de la coutume de la Cour du roi était en

train d’introduire un gouvernement centralisé, dirigé par des hommes formés sous l’influence de la renaissance juridique du continent » (Holdsworth). Le résultat le plus visible de cette centralisation allait être de donner naissance à la Common Law. Très vite ce nouveau droit allait surpasser les lois anglo-saxonnes antérieures.

Les cours supérieure ou hautes cours sont multiples au Moyen-Age. Elles sont nées du démembrement de la cour du roi. Cette cour va en effet se spécialiser vue la complexité croissantes des affaires à traiter et vu aussi leur nombre croissant. A la fin du XIXe siècle et au début du XXe, on a voulu fusionner ces anciennes cours les plus importantes. Mais quelles étaient ces cours ? Il s’agissait de :

- La Cour du Banc du Roi ou de la Reine (King’s Bench Court / Queen’s Bench Court). - La Cour du Banc Commun ou des Plaids Communs (Court of Common Bench ou Court of

Common Pleas). - Cour de l’Echiquier (Exchequer).

C’est l’ensemble des arrêts de toutes ces cours qui a formé la Common Law.

Ces cours se sont successivement détachées – nous l’avons vu – de la cour du roi (Curia Regis / King’s Court). On se trouve dans la même situation qu’en France à l’époque où la cour du roi se spécialise, et où se spécialise en particulier le Parlement de Paris. Mais en France, d’autres parlements provinciaux vont voir le jour à partir du XVe siècle . Côté Anglais, les cours royales sont appuyées par une monarchie forte. Leur juridiction va donc s’étendre définitivement sur toute l’Angleterre.

Le roi d’Angleterre est en effet un roi puissant. Ce roi gouverne au moyen d’une cour royale composée des

hommes les plus efficaces de l’époques, choisis par le roi. Les rois vont mettre en place une centralisation efficace. La cour du roi est un élément essentiel de cette centralisation. Au départ, cette cours est un organe « indifférencié », c’est-à-dire qu’il est composé de :

- Grands nobles laïcs. - Grands ecclésiastiques. - Officiers royaux.

C’est par eux que le roi faisait faire le travail du gouvernement central en matière judiciaire, législative et

administrative. La cour n’est donc pas seulement un tribunal. C’est aussi une assemblée législative et un comité exécutif.

Cette cours est itinérante. Elle suit le souverain dans tous ses déplacements. Or, il peut s’agir à la foi de déplacements dans le royaume d’Angleterre que sur le continent, dans les possessions française de Guillaume et plus tard des Plantagenêt.

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C’est au cours du XIIe siècle que la cour va se spécialiser et donc se diviser, se désintégrer. Les départements qui vont se détacher, se spécialiser, sont ceux qui paraissent être les plus importants pour la bonne administration du royaume. Ce sont ceux qui sont liés aux finances d’une part et à la justice d’autre part. Il fallait en effet disposer de solides finances pour assurer un gouvernement fort. Il fallait également contrôler l’administration de la justice pour garantir contre le désordre intérieur.

Finances. Le Trésor (Thesaurus) apparaît comme une section distincte au début du XII e siècle, sous Henri Ier

(1100-1135). Il porte alors le nom d’Echiquier (Scaccarium). Il a alors une fonction financière propre (il en sortira par la suite une juridiction).

Justice. Sous Henry II (1154-1189), le nombre d’affaires soumises au roi va croître considérablement. A l’origine, la Cour ne connaissait que les affaires relatives aux hauts dignitaires ou feudataires (ex. : conflit entre les archevêques de Canterbury et d’York pour la primauté en 1072). Mais Henry II était l’auteur d’une réforme judiciaire en matière criminelle et civile (notamment la création des « assizes » concernant les procès sur les tenures foncières). Cette réforme va attirer à la cour du roi des plaideurs d’un rang moins élevé. Ils étaient prêts à payer un prix élevé pour être mieux jugés. Ils bénéficiaient en effet devant le roi d’une juridiction forte. Cette juridiction était en effet armée pour assurer la comparution du défendeur. Elle pouvait aussi faire exécuter la sentence. Elle n’utilisait pas le vieux mode de preuve de l’ordalie. On comparaissait désormais devant un jury. Ce nouveau tribunal offrait donc aux parties un ensemble de garanties. De plus, il était composé des premiers légistes de l’époque. Le succès de la justice royale va donc entraîner une spécialisation de la Cour du roi en matière judiciaire. Ce fut Henri II qui l’effectua (date incertaine). On distingue donc par la suite les cas qui sont jugés à la Cour en présence du roi (coram rege) de ceux qui sont jugés coram justiciariis de banco. On va donc par la suite distinguer plusieurs hautes cours. Commençons par l’Echiquier (Chronologiquement). a. L’Echiquier (Exchequer)

Pourquoi l’Echiquier ? Cette institution s’est détachée de la Cour du roi (Curia Regis) dès le début du XIIe

siècle. C’est d’abord un département administratif qui est chargé des finances. Ce n’est donc pas encore une cour de justice.

α. Administration financière et fiscale

Les origines de l’Echiquier en Angleterre restent encore floues. Le nom Echiquier (scaccarium) apparaît pour

la première fois en 1118. Il semble que le nom soit tiré d’un dispositif spécial avec des tables ou des toiles ou tapis sur des tables. Sur ces tables (recouvertes ou non) il y avait des cases (dessinées).

Les débiteurs de la couronne venaient s’acquitter de leurs redevances sur ces cases préparées ad hoc. Ils payaient en denrées ou en espèces. Il y avait un comptable supérieur et un trésorier. Il semble que l’Echiquier anglais ait précédé celui de Normandie (Levy Ullmann).

L’Echiquier comportait semble t-il deux divisions inégales. La moins importante était préposée aux recettes. La plus importante était consacrée à la discussion. Elle se réunissait deux fois par ans (Pâques et Saint-Michel).

Composition. Elle était présidée par le justicier (jusqu’en 1234) puis par le trésorier (quant le justicier

disparut). Elle était formée par les plus grands personnages du royaume. Le Chancelier était présent. Son sceau était déposé au trésor (sceau apposé sur les writs d’ordonnance de paiement ou de quittance).

En 1248, le clerc du chancelier devient le « Chancelier de l’Echiquier ». C’est lui qui met alors le sceau sur les writs tenant lieu de quittances ou d’ordonnances de paiement. Ce titre a ensuite été porté par le Ministre des finances de Grande-Bretagne. Il remplaça le trésorier à la tête du département administratif.

β. Naissance de la cour de justice de l’Echiquier

A l’origine, on tranchait à la cour du roi les questions litigieuses (contentieuses) portant sur le paiement des

redevances. Les barons normands (quioi avaient parfois de très grands fiefs) ne devaient pas se priver, en présence de leurs pairs, de chicaner ou de discuter avec les membres de l’Echiquier (barons de l’administration financière).

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Pour trancher ces litiges spécialement financiers, on créa une cour attachée à l’Echiquier (ce n’est plus la Cour du roi). C’est une cour de justice fiscale. Ceux qui y sont nommés sont des « Barons de l’Echiquier » (barones scaccarii). On pense que cette nouvelle désintégration s’opéra vers le milieu du XIIIe siècle. La nouvelle juridiction s’est affermie sous Edouard Ier (1272-1307). Le doyen d’âge prend le titre de « Baron en chef » (Capitalis Baro – vérifier). Au début du XIVe siècle il devient Président de la Cour (l’âge ne compte plus).

Il y a donc eu séparation de l’Echiquier de la Cour du roi (début XIIe) et ensuite division des départements de l’Echiquier en deux sections : ‘Section administrative’ et ‘Cour de justice’.

Compétence. En tant que cour de justice, l’Echiquier a la connaissance des affaires qui concernent le revenue

royal. Ce sont des cas où le roi est demandeur. Exemple le non-paiement ou le refus de paiement de ce qui est dû au roi. Cela constitue une infraction aux droit fiscaux du roi : injury to his jura fiscalia.

La Cour de l’Echiquier est bien-sûr tout d’abord une cour spécialisée dans les litiges entre la Couronne, ses redevables et ses comptables. La procédure est appelée cursus scaccarii. Cependant, voir dans l’Echiquier une seule cour financière est trop simpliste. C’est aussi simpliste que de voir dans les deux autres cours une cour civile (Banc Commun) et une cour criminelle (Banc du roi).

Ici encore, la pratique va modifier la compétence de notre cour. L’Echiquier va en effet empiéter sur le domaine du Banc Commun.

Sous Edouard Ier (1272-1307), il avait été défendu à l’Echiquier de connaître des domaine du Banc Commun

par Statute Law. L’interdiction fut cependant contournée par un stratagème de procédure (nous le verrons plus loin). Le Banc Commun a donc été dépossédé d’une partie de sa justice civile par l’Echiquier. Le Banc du roi avait lui aussi dépossédé le Banc commun d’une partie de son domaine.

b- La Cour du Banc Commun (Court of Common Bench) ou Cour de Plaids Communs (Court of Common Pleas).

Dans la Grande Charte (Magna Carta) de 1215, on confirme la création de la première cour de justice issue

de la Cour du roi (art. 17 : « Les plaids communs n’ont plus à suivre notre Cour, mais doivent se tenir dans un autre lieu déterminé »).

Les plaids communs n’ont donc plus à suivre le roi dans tous ses déplacements. Ils devront être jugés dans un lieu fixe déterminé. Ils furent finalement installés à Westminster. C’est donc la Grande Charte qui sanctionne l’existence de la Cour du Banc Commun. Pour certains auteurs plus tardifs (Coke et Blackstone), la Cour du Banc Commun était « la serrure et la clef (the lock and key) de la Common Law.

Composition. Les juges qui sont affectés à cette cour sont 4 ou 5, selon les époques (Blackstone en indique 4

en 1771). Elle est dotée d’un Président (Chief Justice). Il y a donc deux cours. La scission des deux cours (Banc commun et Cour du roi), affirmée lors de la

majorité d’Henri III en 1224 se traduisit par la tenue de reccords séparés pour la procédure des Plaids Communs (Rotuli de Banco/ reccords du Banc) et pour la Cour du roi (Rotuli coram rege / reccords en présence du roi). Il faut noter que la nouvelle cour resta subordonnée à la Cour du roi. Cette dernière peut donc connaître en appel des décisions rendues par la première.

Compétence. Que faut-il entendre par « plaids communs » ? D’après Blackstone, on réglait devant cette cour,

les litiges entre particuliers4. C’est ce que nous appellerions aujourd’hui les affaires de droit privé. Affaires que l’on oppose aux « plaids de la Couronne » (pleas of the Crown – placita Coronae) qui comprennent tous les crimes et délits, où le roi (pour le compte du public) est le demandeur.

Cette Cour du Banc Commun aurait donc dû être au cours des siècles la grande cour anglaise de droit privé

incarnant la justice civile. Pourtant cela ne s’est jamais réalisé. Il y a en effet une compétence concurrente de la

4 « between private subjects, between subject and subject », LU p. 97.

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Cour du Banc du roi (qui va bientôt naître). La création d’une cour avec une compétence aussi vaste n’est en effet possible que lorsque l’on peut faire table rase du passé (ex. Révolution française).

La Cour des Plaids Communs a en effet du partager sa compétence dès le XIVe et au XIXe siècle avec d’autres cours qui se sont comme elle détachées de la Cour du roi (Banc du roi, Echiquier, Chancellerie).

Elle a aussi partagé avec d’autres cours supérieures : Cour de l’Amirauté, Cours ecclésiastiques, Cour de Probate, Divorce and Matrimonial causes (1857), Cour des faillites (pour Londres 1869).

En définitive, le « monopole » de la Court of Common Pleas ne concerna jusqu’aux réformes de procédure entreprises dès 1833 que les vieilles actions dites réelles (real actions) et quelques unes des plus anciennes actions « personnelles » (debt, detinue, account, covenant). Pour ces actions, elle devait être saisie la première (LU 99).

Ce monopole fut d’une grande valeur au Moyen-Age. Il fit la réputation et la popularité de la Cour. Cependant le formalisme exagéré à outrance de ces vieilles actions finit par atteindre le tribunal lui-même. Les autres juridictions en profitèrent. Ce fut le cas de l’Echiquier et du Banc du roi.

c. La Cour du Banc du roi (King’s Bench Court)

Même si un certain nombre d’affaires ne sont plus traitées par la Cour du roi, mais vont devant la Cour du

Banc Commun. Il en restait cependant beaucoup. Il s’agissait des affaires impliquant de grands personnages privilégiés qui comparaissaient devant la cour en présence du roi. La Cour du roi conservait aussi une compétence exclusive en matière pénale.

De plus, en tant que juridiction supérieure, on pouvait se pourvoir devant la Cour du roi contre les décisions de toutes les autres y compris celles de la Cour du Banc Commun.

[Concurrence. Certaines actions personnelles nouvelles lui appartenaient, comme celle de trespass vi et armis. Dans ce cas l’action en réparation du préjudice se fondait sur un acte délictueux. Il y avait donc concurrence avec la Cour civile. Le champ de cette action allait s’étendre de manière importante, grâce à la pratique des brevia in consimili casu.]

Naissance du Banc du roi. La technicité des affaires et le formalisme grandissant de la procédure étaient de

moins en moins adaptés à la Cour féodale du roi. La spécialisation eu lieu une nouvelle fois. Les juristes de la Cour du roi ont formé un petit comité, avec à sa tête un Président (le Chief Justice).

Les réunions de ce petit comité allaient bientôt donner naissance à la cour la plus importante du royaume. Les auteurs anciens (XVIIIe s.) situent la naissance du Banc du roi au début du XIVe siècle (cent ans environ après le Cour du Banc Commun). Le Banc du roi se situe au-dessus du Banc Commun. Le Banc du roi (King’s Bench) se dit aussi Upper Bench. Cette cour regroupe alors le corps des magistrats dont le titre officiel devient « juges de notre Seigneur le Roi désignés pour suivre les procès devant le roi lui-même ».

Mobilité. Les juges du Banc du roi doivent accompagner le souverain dans tous ses déplacements. La

procédure « en présence du roi » pouvait se dérouler où que soit le roi. En 1300, on rappelle que le roi doit avoir « à tout moment auprès de lui des hommes savants en droit ». On pense cependant que les juges du Banc du roi se sont fixés à Westminster dès Edouard Ier (1272-1307). Mais, à l’époque de Blackstone (XVIIIe), les quatre juges qui composaient la Cour du Banc du roi siégeaient à Westminster (comme ceux des Plaids Communs). Ils se réunissaient aux sessions de Pâques, Trinité, Saint-Michel et Saint-Hilaire (tout comme les Plaids Communs). La mobilité des juges a donc très vite été théorique. Cela a été la même chose en ce qui concerne la présence du roi (ce qui peut surprendre).

La raison de l’existence de la cour et l’essence de son autorité réside en la personne du roi. Pourtant, le roi va

s’en détacher. Il va finir par cesser d’y paraître. Les jugements sont pourtant bien rendus en son nom (justice déléguée), mais pas par lui. La situation fut validée par la pratique. Si bien que lorsque le roi absolutiste Jacques Ier voulut au début du XVIIe siècle reprendre sa place à son Banc, il dut faire face à l’opposition du grand « Chief Justice » de l’époque, Coke (illustre jurisconsulte). Ce dernier lui opposa une retentissante fin de non recevoir.

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Compétence. Le Banc du roi est maître de la justice criminelle. Il connaît aussi une partie non négligeable de la juridiction civile conquise sur les Plaids communs. Quelles en sont les raisons ?

- L’encombrement du Banc Commun justifiait l’intervention d’une autre cour. - Les profits que les juges tirent des procès (jusqu’en 1826). - Le fait pour le défendeur d’être entre les mains du Marshal (Maréchal ?). [Nous verrons plus tard

ce dernier point]. Autre domaine dans lequel la cour du Banc du roi accroît sa juridiction. Le Banc du roi est désormais chargé

de contrôler le droit émanant des corps constitués et des titulaires d’offices (aujourd’hui les fonctionnaires). On voulait ainsi prévenir les actes illégaux des organismes et individus chargés de la conduite du gouvernement central et local. La Cour avait ici le rôle d’un tribunal administratif (évite une juridiction administrative spéciale).

En fait, si tout part de la Cour, ou ensuite des cours centrales, la justice royale va s’affirmer localement par

l’intermédiaire des Justices on eyre ; les assizes. Elles vont aller concurrencer les juridictions locales traditionnelles.

2. La difficile survivance des juridictions locales

Nous retrouvons ici des cours héritées de l’époque anglo-saxonne. Elle vont cependant avoir affaire à la

concurrence des nouvelles cours mises en place par la royauté Anglo-normande.

a. Les Cours locales traditionnelles La hiérarchie des cours existe toujours.

α. La cour du comté La cour du comté est l’un des élément qui font l’identité même du comté. A la fin de la période anglo-

saxonne, la cour se réunit deux fois par an, mais ses réunions deviennent de plus en plus fréquentes. De ce fait, les rois vont tenter de fixer un rythme pour la tenue de la cour. Henry Ier ordonne que la cour se réunisse au lieu et aux périodes déterminés par la coutume. On voit cependant que c’est l’irrégularité qui prime.

Dans la version de 1217 de la Grande Charte, il est précisé que la cour ne doit pas se réunir plus d’une fois par mois (la règle n’est pas toujours suivie). Il arrive la même chose pour les lieux de réunion, même si la cour se tient en général dans la ville principale du comté.

La cour est présidée par le sheriff. Il perçoit toutes les amendes et confiscations qui sont imposées par la cour.

Ce n’est pas le cas dans un comté dirigé par un earl. Ce dernier perçoit un tiers des profits de la cour. Dans un traité appelé « Loi de Henry Ier » (leges Henricii Primi) v. 1115, on indique ceux qui doivent

composer la cour : évêques, earls, sheriffs, adjoints, hundredmen, conseillers, intendants, officiers, barons, subtenants, officier de village, and other lords of estates. Tous ne venaient pas en même temps à la cour (si un intendant vient, son seigneur ne se déplace pas). La cour du comté a une certaine vitalité et est reconnue pour être un réservoir de savoirs locaux et de tradition. Mais ces traditions ne résisteront pas à la modernité des cors royales.

La cour du comté connaît de litiges très divers. Henri Ier avait par exemple décidé que les litiges concernant

la terre, entre vassaux ayant un seigneur différent étaient portés devant la cour du comté. Avant le règne de Henri II, qui fut l’auteur d’importants changements dans la procédure, la cour du comté était une des cours les plus actives (occupées). C’est là que la plupart des problèmes de terre et les affaires criminelles les plus graves étaient jugés. C’est là que des gens comme Hervey de Glanville apprirent la coutume traditionnelle du comté et qu’ils purent aussi la transmettre.

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β. La cour de la hundred La hundred a elle aussi sa cour. Elle se réunit fréquemment : toutes les 2 à 4 semaines. Elle est composée par

les propriétaires terriens locaux. Ils ont un devoir de service. On y juge de cas mineurs, de petits problèmes de propriété, de petits vols.

Par exemple, on jugea vers 1110, un meunier du nom de Gamel (meunier de Sutton Courtenay) qui avait d’après ce qui était allégué, volé par ruse turves de nuit au manoir de Culham, en traversant la Tamise dans le comté d’Oxford. Culham appartenait aux moines d’Abington et ils ont évoqué le problème à ce qui a été pour eux une cour de première instance. La Chronique d’Abington indique que « lorsqu’il fut accusé de ce méfait à la cour de la hundred et qu’il fut incapable de nier cela, il dût subir la force de la loi. Les juges de la cour de hundred décidèrent qu’il devait payer à l’abbé et à l’Eglise 150 pence de compensation ». Dans cette histoire, on sait en fait que l’abbé fut pris de pitié et exonéra le condamné d’une bonne partie du paiement. « C’est ce dont tous ceux qui étaient présents à la cour furent témoins », nous dit la Chronique.

Deux fois par ans, il y a une réunion extraordinaire de la cour. Elle est alors présidée par le shérif. Une

demande (inquiry) est alors faite pour savoir si chaque adulte libre est bien attaché à un tithing, ce groupe collectivement responsable des actions de ses membres.

Voilà pour les justices héritées de la période précédente. Mais il y avait encore d’autres cours :

γ. Les Autres cours - La cour du seigneur. Les justices féodales forment une hiérarchie parallèle. En fait, un quart des cours de

hundreds appartient à des seigneurs et n’est donc public qu’en théorie. Le seigneur peut aussi trancher les litiges qui concernent ses hommes en matière de droit féodal. D’après Henri Ier, en cas de litige entre les vassaux de ses barons, ‘l’affaire devait être entendue à la cour de leur seigneur’.

Justice seigneuriale. Mais ces seigneurs laïcs et ecclésiastiques avaient aussi des droits plus larges sur des

domaines entiers de l’activité judiciaire. Certaines hundreds pouvaient en effet tomber sous leur contrôle. Il jugeaient des hommes qui n’étaient pas leurs dépendants directs. Cette juridiction (franchisée (franchisal

juridiction)) couvrait surtout les petits vols et bagarres, et entraîna le droit de pendre les voleurs qui avaient été pris en flagrant délit. Mais cela pouvait être encore plus extensif.

Par exemple, un abbé du West Suffolk (de Bury St Edmunds) s’occupait de toutes les sortes d’affaires, dont

le viol et (probablement) l’homicide. Son autorité s’étendait sur tous les hommes libres des hundreds du West Suffolk.

- Les justices royales dans certaines localités (avant Henri II). Nous savons que le roi, plus haute source de

justice, jugeait à la Cour. Une Cour, symbole du pouvoir central, qui s’est par la suite démembrée. Mais au niveau local, le roi avait aussi des juges royaux. A l’époque d’Henri Ier, il a des mentions dans les textes de juges qui sont établis dans les comtés, de manière permanente. D’autres sont y envoyés à certaines occasions. Exemple, à l’occasion d’une querelle entre des moines bénédictins de Burton et Trent et ses voisins, le Baron de Ferrers demande l’intervention de juges du roi (entre 1114 et 1126). Le roi envoie alors ses juges : un évêque et un seigneur. Ils règlent l’affaire.

Ces différentes cours : locales, seigneuriales, et royales sont interdépendantes. Les affaires pouvaient être

enlevées à la cour du seigneur pour aller à la cour du comté. Par le procédé appelé « tolt ». Beaucoup d’affaires qui avaient commencé à la cour du comté pouvaient être transférées devant la justice royale au moyen d’un writ. Ce writ a le nom du mot qui le débute : « pone », ‘place’. La justice royale se tenait souvent dans les cour de comté pour des sessions spéciales.

Voyons maintenant comment les rois ont réformé la justice.

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b. Les atouts de la justice royale Parmi les atouts déjà évoqués (rapidité, impartialité) deux méritent d’âtre développés : la justice itinérante et

le jury.

α. Justice itinérante : on eyre D’après Blackstone (auteur du XVIIIe s.), ces cours sont « composées de deux commissaires ou plus. Ils sont

envoyés deux fois par an en vertu d’une commission spéciale du roi. Ils vont dans tout le royaume. Ces commissaires font juger par un jury des différents comtés la véracité de telles matières de fait en discussion dans les cours de Westminster-Hall ». Ces commissaires doivent – toujours selon Blackstone – être deux des juges royaux de l’un ou l’autre Bench, ou le Chief Baron de l’Echiquier, ou encore les sergents royaux assermentés.

Mais venons-en aux origines. Sous Henri II (1154-1189), la justice avait connu une réforme importante.

Henri II institue en effet dans la deuxième moitié de son règne les eyres. Cela existait auparavant mais pas de manière systématique (Henri Ier).

Eyre désigne une procédure judiciaire qui permet à un groupe de juges royaux, suivant un « circuit », de rendre la justice au nom du roi à travers toute l’Angleterre. Cette justice on eyre est l’incarnation principale de la justice royale au niveau local.

Les eyres sont des visites régulières de la justice royale en province. Les juges ont un pouvoir et des devoirs bien définis. Un groupe de juges entre 2 et 9 se voit donc assigner un groupe de comtés à visiter. Tout le pays devait donc être concerné, sauf deux comtés qui ne sont pas sous la domination directe du roi : Chester et Durham.

Par exemple : lors des visites qui ont eu lieu entre 1188 et 1189, il y eut en tout cinq circuits organisés pour des groupes de 7, 8 ou 9 juges. Ces juges on eyre arrivaient dans la ville du comté ou tout autre centre important et en l’espace d’une ou plusieurs semaines, ils entendaient les affaires concernant leur juridiction. Ensuite ils continuaient leur tournée.

Compétence. Les affaires de l’eyre étaient nombreuses. Les instructions données aux juges itinérants en 1194

leur demandent de se consacrer aux affaires de la Couronne. Il s’agissait des affaires pour lesquelles le roi avait un intérêt ou un droit particulier. Ces affaires sont initiées grâce à un writ royal.

Exemple : affaire concernant les tenants, les mineurs héritiers de fiefs (wards), les mariages qui dépendent du roi, les affaires criminelles, la vente de vin au mépris de la législation royale, la propriété de la terre au dessous d’une certaine valeur (pas les grands fiefs), les exactions envers les officiers royaux…

Parmi les affaires les plus courantes, on peut citer celles qui concernent la possession de la terre. Deux types d’assises sont très courantes à ce propos : celle du Novel disseisin (1166) et celle du Mort d’Ancestor). La première permet de parer à toute saisie de terre par la force et la seconde d’éviter toutes les manœuvres permettant de déshériter un héritier légal.

Pour prouver la possession de la terre, on s’adressait alors à un jury d’hommes libres (12) de l’endroit en

question, censé connaître les propriétaires. Pour les litiges concernant la seigneurie éminente (grande seigneurie) on était dans le cas de figure de la

« grande assise », avec un jury composé non plus de simples hommes lires, mais de 12 chevaliers. Tout ceci représentait un travail énorme qui ne fit qu’amplifier. C’est d’ailleurs à cette même époque (début

XIII e s.), que la Cour du Banc Commun se détache de la Cour du roi pour trancher un certain nombre d’affaires, et de ce fait délester cette dernière. L’inflation du nombre d’affaires que connaissent les cour royales supérieures ou locales est donc un phénomène général.

Edouard Ier (1272-1307) et ses successeurs vont ensuite améliorer la justice itinérante. Les tournées des

justiciers itinérants (justiciarii itinerantes ou justices in eyre) avaient été jugées trop irrégulières et trop générales.

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Pourquoi de telles cours itinérantes ? Nous avons vu que les cours royales (supérieures) avaient de plus en

plus de succès et que les justiciables préféraient s’adresser à ces cours plus modernes et plus efficaces. Nous avons vu ensuite que les cours supérieures qui à l’origine devaient suivre les déplacements du roi s’étaient très vite fixée à Westminster.

Or, vers la fin du XIIIe siècle, lorsque l’activité judiciaire des cours supérieur est particulièrement soutenu, on se rend compte que la centralisation n’est pas adaptée au mode de preuve. C’est en effet à cette époque que se développe dans la procédure civile et criminelle, la preuve par témoins et le jury.

La centralisation des cours à Westminster obligeait donc les parties à s’y rendre. Mais elle obligeait aussi les témoins à se déplacer. Or cette pratique pouvait s’avérer coûteuse et périlleuse.

La mission des juges fut inscrite dans une « Commission » rédigée en termes très stricts. Les juges sont donc

des commissaires (représentant, chargé d’une fonction en principe temporaire). Les circuit de ces juges furent donc régularisés. Les pouvoirs des juges furent délimités : leurs pouvoirs en matière civile et pénale.

Il faut tout de même noter que dans la théorie, c’est la cour de Westminster qui est compétente au premier

chef. Cela signifie que le procès devait toujours se dérouler entièrement à Westminster, à moins que, auparavant (nisi prius ; lit. « si .. ne pas auparavant ») une commission de juges nommée par le roi ne se soit rendue dans le comté, au cours d’une tournée, pour connaître des affaires.

Le principe est donc atténué par cette exception qui va connaître un grand succès. Le roi va prévoir cette exception dans un writ (charte en forme de lettre brève. C’est un instrument d’administration. Ex. : le roi envoie des writs à ses shérifs. Il sont aussi utilisés pour faire fonctionner la Common Law). Le writ qui prévoit cette exception porte le nom de « venire facias ». Il est adressé au shérif. C’est lui qui ouvrait la procédure. Ce writ servait donc de base aux convocations en vue du procès.

Ce fonctionnement : cours centralisées à Westminster et justice itinérante, fut un succès. Il se perpétua donc en Angleterre (jusqu’à nos jours, dit Levy-Ullmann). Il combine décentralisation judiciaire et justice centralisée.

Formation du droit. Cette réforme judiciaire a eu une influence considérable sur la destinée de la Common

Law. En fait, les tournées d’assises et nisi prius ont engendré de véritables Cours de Justices quasi permanentes. Elles étaient tenues par les juges de Westminster eux-mêmes ! On imagine donc que dans les comtés, les justiciables furent plus que séduits par ces cours qui venaient sur place rendre la justice. Les anciennes juridictions locales eurent donc du mal à rivaliser avec les juridictions royales modernes.

Les anciennes juridictions étaient soumises à des lois et coutumes différentes selon les lieux. Ces lois et

coutumes étaient anciennes et parfois archaïques. Face à elles, les nouvelles juridictions s’imposèrent. Elles firent appliquer partout sur le territoire des principes identiques.

Ces principes étaient appliqués par un unique collège de magistrats. L’uniformité est en effet à la fois

maintenue en ce qui concerne à la fois les règles de droit et leur application. Ainsi l’ancien système hérité des Anglo-Saxons et quelque peu modifié par les premiers rois Normands, ne fut pas balayé de manière autoritaire, mais fut éclipsé par ce nouveau mode de fonctionnement judiciaire moderne et attractif.

Les juges, acteur de ce nouveau système avaient reçu – nous le verrons – une formation juridique commune.

Ils discutaient des cas rencontrés, une fois rentrés à Westminster. Ils se communiquaient leurs décisions. Ils avaient prêté serment de juger selon les lois du royaume. Une seule et même loi s’appliquait donc (uniformité). La pratique des cours royales d’Angleterre allait donc former progressivement une Common Law.

Les assises ne ont pas la seule innovation de cette époque. J’ai évoqué tout à l’heure la présence d’un jury

dans les cours de justice.

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β. Le Jury Dès le XIIe siècle, les progrès de la Common Law sont associés au développement de l’institution du jury. Le

recours au jury est un mode de preuve. Le verdict du jury va prendre une importance croissante en Angleterre. Origines Le jury a été évoqué pour la période anglo-saxonne. Au niveau des cours des hundreds, qui s’occupaient

plutôt des vols, de la sécurité et des problèmes économiques, s’étaient organisés les groupes de témoins : par douze (ou multiples de douze). Ils formaient le jury. Le juge s’adressait à ce jury pour avoir des renseignement sur ce qui avait pu se passer (enquête). L’origine du jury n’est pas établie avec précision. Pour certains, c’est une institution d’origine scandinave pour d’autre, c’est une institution anglo-saxonne, pour d’autre elle est d’origine carolingienne et a été importée ensuite par les normands. C’est peut-être un mélange de tout cela …

Donc, c’est avant notre époque, c’est une assemblée de voisins qui sont réunis pour répondre aux interrogations du juge en ce qui concerne la véracité de faits dont ils ont eu connaissance. Ce sont donc à l’origine des témoins.

Les preuves archaïques Avant notre époque les modes de preuve étaient archaïques. On appelle ces preuves, des preuves

irrationnelles. Il s’agit de la preuve par ordalie ou la preuve par co-jureurs. Avec ce type de preuves, l’enquête humaine, le raisonnement humain et l’examen critique ne jouent qu’un rôle restreint.

Avec l’ordalie, ce sont les éléments qui manifeste le jugement de Dieu. Ces éléments sont en particulier l’eau et le feu. Ce sont eux qui déclarent la culpabilité ou l’innocence. L’ordalie est attestée dans de nombreuses civilisations à différentes époques. On la trouve par exemple en Mésopotamie au second millénaire avant Jésus-Christ. On la trouve en Occident durant le Haut Moyen Age.

Avec l’ordalie de l’eau froide, qui est aussi connue sur le continent, c’est l’accusé qui passe l’épreuve. Il est jeté à l’eau pieds et poings liés et l’on scrute avec attention son comportement. S’il coule, c’est que l’eau, cet élément pur l’a accepté. Il est donc innocent. Toute une cérémonie importante est organisée autour de l’ordalie. On marque les esprits, on impressionne celui qui va la passer. Il y a un aspects psychologique dans l’épreuve. Le clergé est présent. On fait une messe …

On trouve aussi l’ordalie du fer rouge. Celui qui passe l’épreuve doit tenir un fer chauffé au rouge pendant un court instant. On lui bande ensuite sa main brûlée par un bandage scellé. Elle sera examinée quelque jours plus tard. Si la blessure est en bonne voie de guérison c’est le signe de son innocence. (Même chose pour l’ordalie du chaudron).

Il y a encore le duel judiciaire par lequel Dieu désigne le coupable : celui qui perd le duel. Il n’était apparemment pas pratiqué par les Anglo-Saxon. Il s’agirait d’une importation normande. Une épreuve de chevaliers. Il est répandu sur le continent (attesté chez les Francs). Il existe chez les Carolingiens. Il va prendre le pas sur les modes de preuves cités précédemment.

Enfin il y a enfin les co-jureurs. Ce ne sont pas des témoins qui attestent d’un fait ou qui expliquent ce qu’ils

ont vu. Ce sont des personnes qui sont pour une des parties. Ils prêtent serment ensemble du bon droit de cette partie, ou de la bonne réputation d’un membre de leur parenté ou d’un membre de leur communauté villageoise. Les serment sont faits sur les reliques ou les livres saints.

Le système des preuves irrationnelles est petit à petit abandonné. Il correspond à un développement de la

société que les Anglo-Normands commencent à dépasser. Le XIIe siècle est une période charnière ou de nouveaux mode de preuves commencent à s’imposer. Le juge n’a plus à chercher l’appui de Dieu pour les cas difficiles, il a désormais l’appui du roi. Le nouveau mode de preuve, c’est le jury.

La preuve par jury va évoluer. Les membres du jury étaient tout d’abord des témoins. Mais leur mission va

progressivement se transformer. On va petit à petit leur demander, non plus de témoigner, mais d’apprécier.

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Développement Ce mode de preuve a été apprécié par les justiciables. Contrairement au duel judiciaire, on ne risque pas de

perdre la vie. De plus ce n’est pas une nouveauté. Le jury servait en effet au témoignage. Il a donc été transformé et généralisé.

C’est Henri II qui va employer le jury (12 personnes) de manière régulière. Il le fait par exemple en matière pénale dans l’Assise Clarendon de 1166. Le jury occupe une place importante dans cette procédure puisque son verdict détermine la sentence des juges. Le principe du jury est posé dans le premier article de l’assise :

« 1. En premier lieu, le susdit roi Henri, du conseil de tous ses barons, pour préserver la paix et assurer la

justice, décide qu’une enquête sera faite dans chaque comté et dans chaque hundred par douze hommes légitimes de la hundred, […] qui prêteront serment de dire la vérité sur l’existence, dans leur hundred […] de quelque personne accusée ou connue comme ayant commis un vol à main armée, un meurtre ou un vol simple, ou comme quelqu’un abritant l’un d’eux, depuis que le seigneur-roi est roi. Et les juges enquêteront par devant eux-mêmes et les shérifs de leur côté ».

Cependant, alors que le jury est très souvent vu comme une rationalisation de la procédure, l’ordalie survit

tout de même parallèlement encore un temps. « 2. [Et que celui qui sera identifié de cette façon] sera arrêté et ira au jugement de l’eau, et il jurera qu’il n’a

pas commis un vol à main armée, un meurtre ou un vol simple et qu’il n’a pas abriter l’un d’eux depuis que le seigneur-roi est roi ».

Si on fait appel au jury en matière pénale, on fait aussi appel à lui en matière civile. C’est le cas pour les

question de possession de terres (novel disseisin et mort d’ancestor). Désormais, on ne prouvait plus la propriété d’une personne par un duel judiciaire ou par des serments, mais par le verdict d’un jury local. Cette méthode fut très vite très populaire. De ce fait la justice on eyre pouvait s’attendre à entendre des dizaines de cas lorsqu’elle arrivait dans les comtés. Ces cas devaient donc être règles rapidement. Voici deux exemples :

- « Une assise a été tenue pour déterminer si Robert, fils de Brictive a dépossédé injustement et

sans jugement Richard de Swaby de sa libre possession, selon les termes de l’assise. Les jurés disent qu’il l’a bien dépossédé. Jugement : Richard doit retrouver sa possession et Robert est tenu de payer une amende. Dommages et intérêts : trois shillings ; amende : un mark [6s. 8d.].

- Une assise a été tenue pour déterminer si Ralph de Normanville a dépossédé injustement et sans jugement Juliana de Reasby de sa libre propriété à Reasby selon les termes de l’assise. Les jurés disent qu’il ne l’a pas dépossédée. Jugement : Juliana est tenue de payer une amende pour fausse plainte (Earliest Lincolnshire Assize Rolls (1202-1209)).

Autre cas : la grand assize de Windsor de 1179 (par opposition aux 4 petty assizes). La Grande Assise

organisait les procès foncier sur le plan du droit (au pétitoire : Action pétitoire (droit civil français – procédure civile) : action mettant en cause l’existence d’un droit réel immobilier) et non plus sur celui de la saisine (au possessoire : Action possessoire (droit français – procédure civile) : action tendant à protéger un fait juridique, la possession et même la détention paisible d’un immeuble). La Grande assise prévoyait le choix entre une enquête (recognitio) suivie du verdict (veredictum) de 12 jurés chevaliers, et (ou ?) le duel judiciaire après serment.

D’une manière générale, on demande aux membres du jury d’apprécier des faits. C’est donc en matière de

fait que les questions leurs sont posées. Les jurés ont surtout à « dire le vrai » : aux termes du serment qu'ils prêtent en entrant en charge. Ce serment les constitue au sens propre en « jurés » (ils jurent). Ils doivent rendre un « verdict » (vere dictum : un « dit » vrai) qui porte sur les faits de la cause.

Il leur a été par la suite parfois demandé de trancher par « oui » ou par « non » des questions de droit (droit commercial). Mais cela a été très exceptionnel.

La présence du jury va indirectement influencer l’évolution des règles juridiques. Le système du jury met en

relation les règles juridiques et les membres de la société anglaise qui ne sont pas professionnels. Cela a duré

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pendant des centaines d’années. Le juge devait expliquer le droit au jury. Ils séparaient les règles de droit de la question de fait.

En tout état de cause, ce nouveau mode de preuve va attirer les justiciables vers les cours royales. Ils évitaient

ainsi les preuves archaïques encore utilisées dans les juridictions traditionnelles en perte de vitesse. En France, le jury anglais sera vu bien plus tard comme un modèle à suivre en matière pénale. C’est

Montesquieu qui, le premier en France, a fait l’éloge de la procédure anglaise. C’est ce système, selon l’Esprit des lois (1748), qui offre à l’accusé les meilleures garanties (XI, 6). Dans les années 1780, la supériorité du jugement par jury est une opinion partagée par un certain nombre d’intellectuels (Condorcet, Marat). Le principe du jury criminel est adopté le 30 avril 1790.

Conclusion : On assiste tout au long des XIIe-XIVe siècles à la formation d’un véritable centralisme

judiciaire. On a en effet au niveau central les Hautes cours royales (Echiquier, Banc Commun et Banc du roi) avec des justices royales locales, le plus souvent itinérantes. Ce sont les mêmes juges qui sont à Westminster et qui se déplacent localement. Mais qui sont ces juges ? II. LE PERSONNEL JUDICIAIRE

La common law a été produite par les décisions d’un ensemble de professionnels : ceux que l’on appelle les

lawyers. Les auteurs anglais appellent cette profession « the legal profession », et même the Profession : la Profession « tout court » avec un grand « p ». Ce sont les juges, avocats, praticiens. Ils ont contribué par leurs activités à faire vivre et à développer le droit anglais. Un droit qui sera enseigné au plus jeunes par leurs soins. Nous verrons donc dans ce « II » : les juristes (A) et leur formation (B).

A. Les « juristes » (lawyers)

Dès la fin du XIIIe siècle, il existe une hiérarchie très stricte chez les professionnels du droit. Le personnel

des cours de Common Law (juges) va se recruter par sélection dans les milieux des praticiens les plus expérimentés.

Dans un deuxième temps, après la création d’Ordres et de Confréries, on va recruter parmi les avocats les plus renommés. On accédait donc au Bench à l’issu d’une belle carrière d’avocat. L’avocat (barrister) pouvait donc aboutir au rang de juge royal. Cette haute fonction allait lui permettre de faire progresser la Common Law. Il y a donc un lien, un rapport, entre le banc des juges et la barre de l’avocat. Un rapport inégal qui exprime une certaine déférence de l’un à l’autre. La relation est exprimée par l’adage : « the Bench has given the law to the Bar » (Le Banc a donné le Droit à la Barre). Voyons qui sont ces juges (1) et ces avocats (2).

1. Les juges (the Bench)

A l’origine, la fonction de juge n’était pas spécialisée. Les officier de la Cour du roi connaissaient en effet

directement des affaires. Les premiers à être spécialisés en droit sont des clerc. Ils connaissent le droit canonique et du droit romain (civil law). Ce droit est reçu en Angleterre aux XII et XIIIe siècle.

Petit à petit la profession va se laïciser et se hiérarchiser (a). On aboutit à l’apparition d’un véritable Ordre (b) qui acquiert avec le temps un certain nombre de garanties (c).

a. Une profession laïque hiérarchisée

Lorsque l’Echiquier puis le Banc commun se détachent de la Cour du roi, on trouve encore des

ecclésiastiques parmi les juges. Citons Bracton, un ecclésiastique. Il fut juge du roi Henri III et mourut en 1268. Il a été juge itinérant (1245), il a tenu des assises dans le Sud-Ouest (1248-1268). Il a aussi été juge à la Cour du roi (1248-1257). Il est aussi l’auteur d’un traité de droit anglais (le premier) vers 1256 (nous en reparlerons).

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Vers la fin du règne d’Henri III (1216-1272), la division des fonctions s’accentue et on voit apparaître des

juges laïques. Bracton se dit d’ailleurs affligé de ce spectacle. Ces juges laïques ne sont pas passionnés de droit romain. Bracton critique aussi leurs meurs. Le pire pour Bracton c’est que ces nouveaux juges tranchent les litiges sans recourir aux leges (droit romain). Ils le font de leur propre arbitre dit Bracton. C’est de là que sortit la Common Law.

A partir de là, la profession va s’organiser. La profession de juriste va se fermer. Un enseignement va

s’organiser autour du Banc Commun. De plus en plus le Banc recrute parmi les praticiens du barreau. Sous Edouard Ier (1272-1307), on appelle au Banc ou à l’Echiquier (en + des juges ou barons) :

- 7 sergents ès lois (servientes ad legem ou Sergeants at Law ). Nous les verrons plus loin.

- 5 attorney (attornati regis). Quelques mots sur ces derniers. Ils apparaissent peu avant le XIVe siècle. Ils travaillent dans les cours royales et vont former une profession distincte des autres. Leur rôle était de représenter les clients en ce qui concernait la mise en forme du procès à la cour. Ils se chargeaient des writs et présentait l’avocat. Ils étaient choisis par les juges et prêtaient serment de remplir leur devoir. En tant qu’officiers de la Cour, ils suivaient la discipline du Banc. Ils ne plaidaient pas. Ils n’étaient pas avocats (ancêtres des solicitors ?).

On a donc la hiérarchie : Chief justice, juges, sergents ès-loi, attornati regis. Parmi les Chief Justices

ondistingue selon les cours : le Chief justice of England (Banc du Roi), le Chief justice of Common Bench et le Chief Baron of Exchequer.

Sous Edouard II (1307-1327), la profession se développe. Le Bench est laïcisé et les clercs juristes qui restent

vont désormais dans les cours ecclésiastiques ou à la Chancellerie.

b. La création d’un Ordre La profession se ferme de plus en plus. A la fin du XIV e siècle le Bench ne recrute plus que par un véritable

système de cooptation, c’est-à-dire que le nouveau membre est nommé par ceux qui font déjà partie du Bench. Il y a un certain sentiment d’appartenir à une même profession chez les juges et leurs subordonnés les

sergents, même si la différence hiérarchique se fait bien sentir. Les juges et les sergents formaient « l’Ordre de la coiffe », à cause de la coiffe qu’ils portaient sur leur perruque. Ils font donc partie du même ordre. On sait que les juges appelaient les sergents « brother ». Mais attention, ils les considéraient tout de même de haut.

Les sergents ès-loi. Qualifiés de « frères des juges », les sergents participent aux tournées d’assizes (nisi prius). Ils aident les juges dans les cas douteux : il délibèrent alors avec les juges. Ils jouent le rôle de véritables juges suppléants. prennent ensuite les places libérées par le décès. Leur nomination au Bench n’est alors plus qu’une formalité.

Il s’agit donc d’un mode de recrutement ultra-traditionaliste. En ne recrutant que des gens qui pensaient comme eux, les juges ont perpétué une certaine façon de voir le droit : une continuité de vue. Ils ont aussi perpétué une certaine compétence traditionnelle.

Mais comment devient-on sergent ès-loi ? Un avocat pouvait devenir sergent ès loi (juge suppléant). C’était alors la première étape pour accéder au rang de juge. Or on devenait sergent après au moins 16 ans de barreau. Il gardaient aussi leur activité d’avocat en plus (au Banc Commun).

La nomination n’était cependant pas automatique. Il fallait un writ royal délivré par le chancelier, sur présentation du Chief Justice (Président) du Banc Commun, avec le consentement de tous les juges (cooptation). On voit donc que les cours ont assez tôt réglé leur propre recrutement.

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c. L’obtention de garanties Ces garanties vont contribuer à l’indépendance des juges anglais. Elle ne sont cependant pas toutes

anciennes. Il y a tout d’abord l’inamovibilité, puis le traitement assuré par l’Etat. Inamovibilité. Dans un premier temps et d’après la coutume, les juges étaient considérés comme révoqués à la mort du

souverain. Au fil du temps, il sont en réalité ils restaient en place malgré tout (même si la coutume n’a été abolie qu’en 1760). Ils étaient juges et détenaient leur office selon le bon plaisir du roi.

En 1648 (tardivement) on édicta que les juges ne pourraient être révoqués par la Couronne que sur le vote d’une décision émanant des deux chambres du Parlement (Communes et Lords).

En 1700 un Act of Settlement établit que tous les juges sont nommés « during good behaviour ». Traitement. Les juges sont payés par la Couronne. Au XIIIe siècle, on considère que le traitement n’est pas

énorme : 60 marcs pour les Chief Justices des Bancs. Les salaires sont d’ailleurs parfois irréguliers. On y ajoute des allocations pour l’achat et l’entretien de la robe ainsi que des droits fiscaux (fees) prélevés sur les plaideurs. On ajoute encore une quantité de prébendes (« ce qui doit être fourni » : revenu fixe). Ex. lorsque quelqu’un est nommé (à un office) il fait un présent au Chief justice. Ce système prit fin en 1825.

Mais le salaire des juges va ensuite augmenter. Au XIXe siècle, à la veille de la grande réforme (Judicature

Act de 1873), un juge gagne 5000£ par an. Le Chief Baron de l’Echiquier gagne 7000£ par an, le Chief Justice des Common Pleas, 8000£ et le Chief Justice of England (Queen’s Bench) 10000£. Des sommes confortables. Il y avait des pensions de retraite de 3500 à 4000£ lorsque le juge la sollicitait).

Pour conclure, ajoutons que les juges anglais bénéficient d’une très grande notoriété. Etre juge royal, c’était

en effet passer toutes les étapes d’une longue et brillante carrière. La fonction était de ce fait entourée d’un grand prestige. En Angleterre, les juges les plus illustres sont dans le dictionnaire (Dictionary of National Biography) ou font l’objet de monographies spéciales. Des collections sont consacrées à la série complète des Chief Justices et de tous les juges (9 vol. 1066-1864 !). Jusqu’en 1992. On se plait aussi à retranscrire des anecdotes sur les juges et les avocats.

2. Les avocats (the Bar)

Les procès se déroulaient parfois loin de chez les justiciables, surtout lorsque l’on devait aller devant les

cours centrales de Westminster. Il était alors plus simple de faire appel à des avocats. De plus, la procédure n’était pas toujours facile à comprendre. Il fallait connaître les diverses actions (initialisées par des writs). Il fallait savoir à quelle cour s’adresser.

Nous avons vu en effet que la division cour civile, cour criminelle et cour financière était loin d’être nette. Il faut ajouter à cela que les débats avaient lieu en français, langue qui n’était pas maîtrisée par tous, surtout lorsque l’on descendait l’échelle sociale.

Hiérarchie. C’est l’idée centrale qui se trouve derrière la profession. La tradition anglaise est celle d’un Ordre

(ou de plusieurs Ordres superposés). Cela rappelle les ordres militairo-religieux du Moyen Age (Templiers). Cela se traduit par des confréries.

Les avocats supérieurs : ceux du Banc Commun. Ce sont les sergents ès-loi, à la fois auxiliaires des juges et

avocats au Banc Commun. Les Sergents ès loi sont les chefs du barreau depuis le XIVe siècle. Une position qu’il perdront par la suite.

Nous avons évoqué l’Ordre de la Coiffe dont ils faisaient partie avec les juges. Cet ordre occupait le sommet de la hiérarchie. Leur ordre était bien supérieur aux autres ordres. Lorsqu’on y entrait, il fallait quitter celui auquel on appartenait auparavant. Cet ordre permettait aux sergents qui y entraient, l’accès à la magistrature.

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De plus, seuls les sergents avaient le droit de plaider devant la cour du Banc commun, la Cour de Common Law par excellence, celle qui a la connaissance exclusive de la real property.

La Congrégation des lawyers. Cette congrégation comprend deux groupes de confréries. Les membres de

chaque confrérie logeaient, mangeaient et travaillaient dans le même « hôtel seigneurial » (Inn), en dehors du palais de Westminster (où ils plaidaient).

De grands seigneurs laissaient leurs demeures à disposition. Tout cela s’est organisé au départ au jour le jour. Puis, les confréries ont donc fini par prendre le nom de leur hôtel. Il n’y a donc pas eu de fondation officielle d’un ordre des avocats.

Il y a deux groupes de confréries : les inns of court et les inns of chancery. Les 4 Inns of court (lit. Hôtel de « Ces Messieurs » des Cours de justice), sont :

- Temple, à partir de 1347. Hôtel établi sur des biens ayant appartenu aux Templiers. Divisé en Inner Temple et Middle Temple, pour des raisons assez obscures.

- Gray’s Inn, fondé vers 1370. Du nom du seigneur Grey de Wilton. - Lincoln’s Inn, à partir de 1422, date à laquelle le bâtiment est loué à l’évêque de Chichester.

Les Inns of chancery. Ce groupe a un rang inférieur. Nombre assez incertain : une dizaine. Les Inns of chancery dépendent des 4

Inns of court pour l’enseignement. En effet, cet enseignement est donné – nous le verrons – aux Inns of Court, ou aux Inns of Chancery, mais par des membres des Inns of Court.

B. L’enseignement et la langue du droit

1. Latin et Law French

A l’origine, le français est la langue de cour, alors que le latin est langue de Justice. Par ailleurs, il faut

rappeler qu’avant les Anglo-Normands, les royautés anglo-saxonnes utilisent le vieil anglais (cf. les textes le lois). A l’époque Anglo-Normande, l’Anglais est la langue du peuple.

a. Le latin

Cette langue est utilisée par l’administration. C’est la langue des écrits. La Chancellerie émet des actes

juridiques en latin. La Grande Charte est par exemple rédigée en latin. Les writs – dont nous parlerons dans le chapitre suivant – sont rédigés en latin également. Les compte-rendus d’audience officiels (records) sont eux aussi en latin.

Si les Normands importèrent le français et cherchèrent à l’imposer dans le domaine juridique il semble bien que dans un premier temps ce soit le latin qui soit devenu la langue du droit. Le latin va être en effet la langue de l’écrit juridique. Car le latin est au Moyen Age la langue savante, celle des érudits. C’est aussi celle de l’Eglise. Nous avons vu que les premiers juges à la cour de roi étaient des hommes d’Eglise, avant que les laïcs ne s’imposent à leur tour (ce que Bracton déplorait).

Il faut savoir aussi que la chancellerie était peuplée d’hommes d’Eglise qui écrivaient en latin. Le chancelier, les scribes qui assistaient les grands officiers de la couronne utilisaient le latin.

b. Le français

Il était parlé à la Cour depuis Guillaume le Conquérant. Le lien de l’Angleterre avec la Normandie entretient

son importance dans la haute société. Puis, avec la formation de l’Empire Plantagenêt les choses prennent de l’ampleur.

Par ailleurs, la politique matrimoniale des rois anglais ne fait que renforcer cette situation. Pendant 300 ans en effet, d’Henri II à Henri VI (1422-1461), tous les rois d’Angleterre ont épousé des reines choisies en France.

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Aujourd’hui plus des deux tiers des mots anglais viennent du français ou du latin (H. Walter). Les devises de la royauté anglaise sont toujours inscrites en français sur les blasons : « Dieu e[s]t mon droit » et « hon[n]i soit qui mal y pense ».

Le français est langue de cours jusqu’au début du XVe siècle. Et comme les hautes cours de justice se sont

détachées de la cour du roi, le français a été la langue judiciaire officielle en Angleterre pendant des siècles. Mais attention, il s’agit d’abord d’un ancien français. Ensuite, il a été altéré avec le temps et souvent mélangé

à des mots anglais. Cela a donné ce que la Anglais ont appelé le « Law french », c’est-à-dire le français juridique ou plutôt le français judiciaire. Il faut avouer que cette ‘langue’ n’est pas facile à comprendre pour un Français du XXIe siècle (nous le verrons). Elle a été utilisée pendant très longtemps (α) et c’est surtout à partir du XVIIe siècle qu’elle a été vraiment menacée par l’anglais (β).

α. L’emploi du français

C’est cette langue qui va s’imposer petit à petit dans les cours de justice. Dès la fin du XIIe, dans les Hautes

cours, les juges ou barons sont souvent français. Donc les débats sont plutôt en français (dialecte normand/picard infiltré de mots anglais, cf. affaire de Crowland).

On parle français à la cour des Plantagenêt. Au début du XIIIe siècle, lorsque la Grande Charte prévoit que le Banc Commun s’installe à Westminster, les ecclésiastiques vont le déserter au profit des laïques normands.

La langue française va donc remplacer le latin dans l’enceinte des cours de justice. Les juges laïques prédominent peu à peu sur les juges ecclésiastiques, ce qui explique l’abandon du latin. Mais par l’utilisation du jury et les enquêtes, les rapports, sont en langue vulgaire (anglais).

Au XIV e siècle, le français domine complètement. Le fait que le latin ait été écarté dans ce domaine, n’a pas ramené l’anglais. Les praticiens préfèrent que les parties ne comprennent pas. Il y a derrière cela un certain snobisme. Volonté de se distinguer du reste de peuple. Connaître le droit, le langage technique confère un certain pouvoir sur ceux qui ne le connaissent pas.

Plus tard, un commentateur dira de cette ‘curieuse langue’ « Bonne ou mauvaise … [c’est] l’une des digues qui nous ont préservés de l’inondation du droit romain » (Levy Ullmann 223).

L’utilisation du français ne faisait cependant pas l’affaire des justiciables anglais. Au début du XVIe siècle,

l’archevêque Crammer dit qu’il a entendu des justiciables se plaindre parce que « leurs attorneis ont plaidé leurs cas en langue française ».

Du côté des juges, on pense que laisser ceux qui ne sont pas instruits plaider entraîne des erreurs et que l’on

ne peut leur faire confiance. Il faut donc qu’il y ait cette barrière de la langue qui est aussi la barrière de la compétence/capacité.

Mais à quoi peut bien ressembler cette langue judiciaire qui a duré jusqu’au XVIIIe siècle ? En voici un exemple. Il s’agit d’un cas enregistré en 1631 (Dyer’s law Reports de 1631) ‘affaire du maçon’ (?) :

« fuit assault per prisoner la condemne pur felony que puis son condemnation jact un Brickbat a le dit justice

que narrowly mist, & pur ce immediatly fuit indictment drawn per Noy envers le prisoner, & son dexter manus ampute & fix al Gibbet sur que luy meme immediatement hange in presence de Court ».

On peut le traduire par : « il (le juge) fut attaqué par le prisonnier condamné pour crime (félonie) qui, après sa

condamnation jeta un morceau de brique sur le dit juge, qui le manqua de peu [acte d’accusation :] & pour cela, l’accusation contre le prisonnier fut immédiatement arrêtée par Nous, & la main droite du prisonnier fut alors amputée et fixée au gibet, tandis que lui-même (le prisonnier) a été immédiatement pendu en présence de la Cour ».

Ce cas date du XVIIe siècle (1631). Mais il faut savoir que depuis longtemps déjà, les autorités (le roi)

avaient cherché à évincer le français des cours de justices au profit de l’anglais. L’entreprise se déroula en plusieurs étapes.

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β. L’offensive contre le français

Elle débute dès le XIVe siècle, mais sans grande conséquences au début. En 1362 en effet, Edouard III fait

rendre un Statut qui ordonne que toutes les plaidoiries, tous les témoignages, toutes les réponses faites à la cour et tous les débats auront désormais lieu en langue anglaise. Les plaids restent consignés en latin dans les records.

Certains on pensé (Blackstone) que le roi agissait ainsi en réaction au contexte politique international et en particulier à cause des mauvaises relations avec la France. Nous sommes à cette époque en pleine Guerre de Cent Ans (1337-1453).

Les praticiens obéirent à l’ordre de rédiger les records en latin, mais le reste demeura lettre morte. Paradoxe : le statut qui ordonnait d’utiliser l’anglais avait été rédigé en français ! Les juristes continuèrent à écrire et publier leurs notes d’audiences en français dans leurs reports (les Year Books). Ces notes étaient en caractères gothiques.

Au fur et à mesure le ‘dialecte’ juridique s’altérait. Il devenait un sorte de jargon, tel que nous avons pu le constater. Il paraissait hermétique (voire ridicule) aux gens de l’époque.

Au XVII e siècle, la réforme devient plus radicale. Un Acte de 1650 (dictature de Cromwell) ordonne rédiger

en anglais tous jugements et leurs reports ainsi que les livres de droit (sous peine d’une amende de 20 livres). Les procédure ne sont plus recueillies en Court hand, mais en écriture ordinaire lisible.

Mais à la Restauration qui suivit, on revint en partie sur ce qu’avait fait Cromwell. L’anglais est utilisé, mais le français résiste. Sur 38 reporters, 26 rédigent leurs reports en anglais ; 12 en français (ce sont ceux de la restauration). Le français persiste au Banc commun (real propriety).

Coup de grâce, Statute de 1731 (George II) reprend 1650 (mais avec une amende de 50 livres). Toutes les

procédures doivent se dérouler en anglais. Toutes les écritures doivent être tenues sur le modèle des minutes des Acts du Parlement et sans abréviation.

En fait, le Law french n’est alors plus vraiment visé (il se maintiendra sous forme d’un langage technique, « l’anglais juridique »). On veut à cette époque supprimer le latin de la Chancellerie et des records. Mais là aussi, il y aura un certain maintien. Le latin apparaît de temps en temps dans les livres de droit (comme chez nous).

Bizarrement, le Statute de 1879 abroge l’Act de 1731. Il n’y a plus de problème.

2. L’Enseignement

a. L’organisation : les Inns of Court et les Inns of Chancery La Grande Charte a prévu que le Banc Commun soit tenu à un endroit désormais déterminé. C’est

Westminster qui fut le lieu de l’établissement de cette haute cour. C’est désormais là que l’activité juridique (et pas seulement judiciaire) allait se développer.

Les juristes qui avaient déserté Oxford et Cambridge (sièges des études classiques et du droit romain. Il

apparaît que les Inns vont donc jouer le rôle d’universités de droit. L’enseignement est donné par les confréries. Il est marqué par la hiérarchie qui y régnait et qui va assurer de recrutement des juristes de Common Law.

Ces écoles ont accéléré le développement de la Common Law. Les quatre Inns of Court étaient sur un pied d’égalité. Mais la hiérarchie existait au sein de chacune d’elles :

- Les Benchers. Ce sont les membres du Banc. Ils forment le Chapitre de ces communautés avec le

Treasurer ou Pensioner à leur tête. Les Readers (Lecteurs). Ce sont les professeurs. Ils sont de la même classe que les Benchers.

- Utter-Barristers (ou Barresters). Ce sont les avocats « au delà (outre) la Barre. Ils participaient subsidiairement à l’enseignement. C’est parmi eux que l’on recrutait les Readers.

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- Inner-Barristers. On les appelle aussi les ‘jeunes’ (juniores). On parle aussi d’apprentices ad legem ou d’apprentices. Il faut noter qu’au départ ‘apprentices’ désignait les trois grades à la fois. Dans les Inns of Chancery, il n’y a que des Inner-Barristers.

Les deux premiers grades de cette hiérarchie participaient à l’enseignement. Les Readers et les Utter-

Barristers enseignaient aux Inns of Court. Mais les Utter-Barristers enseignaient aussi aux Inns of Chancery.

b. Les méthodes : lectures et mootings. Il y a bien-sur les Lectures : c’est l’exposé exposé oral, le cours. Mais il y a aussi la Disputatio dans les mootings (débats). L’anglais moot signifie aujourd’hui : « cas

hypothétique, cas pratique, hypothèse d’école). Ce sont de longues discussions autour des tables de repas. Chacun prend alors la parole selon son rang.

On argumente pour ou contre les positions qui viennent d’être défendues par un Reader. Les conclusions sont ensuite récitées par les Inner-Barristers. On les récite ensuite de mémoire. Les conclusions sont en Law french. Ces discussions ont formé les juristes de Common Law : les Common Lawyers du XIVe et du XVe siècle, du plus bas au plus haut.

Il faut en effet rappeler que les Juges étaient recrutés parmi les Sergeants, les Sergeants parmi les Benchers et

les Readers, les Benchers et Readers parmi les Utter-Barristers … On pratiquait la cooptation et l’ancienneté ajoutait à la valeur de chacun. Le système va se perfectionner. L’age d’or de ce système se situe dans la première moitié du XVIe siècle.

Au XVIII e siècle (Blackstone) les choses ont changé. Les Inns of Chancery sont gagnées par les classes

inférieures de la profession (les praticiens below the Barr). Les gentlemen s’en écartent donc. On ne complète plus ainsi sa formation au delà des années universitaires.

L’éducation des Inns of Court a elle aussi baissé. On préfère alors faire des stages professionnels. La décadence du système d’éducation des Inns a été expliquée par :

- La diffusion massive des livres de droit, à la suite de l’invention de l’imprimerie. - Mauvaise adaptation des Readers à cette situation. - Désaffection des étudiants pour ce mode d’enseignement ? - Modification des professions juridiques : les attorneys et barristers se scindent. Les solicitors

apparaissent. - Certains barristers vont se spécialiser dans les pleadings écrits ou dans celles des actes de

transferts de droits immobiliers … (Levy-Ullmann 171-2). Ces modifications de l’enseignement n’ont cependant pas atteint la Common Law elle-même. L’imprimerie

fut utilisée pour transmettre ses valeurs. D’autres méthodes scientifiques, l’observation, l’analyse allaient être utilisées.

Conclusion : Au XIVe siècle s’est donc formée une classe – un groupe – professionnel judiciaire, arbitre des

équilibres sociaux.

Pour aller plus loin

Robert BARTLETT, England under the Norman and Angevin Kings, 1075-1225, Oxford, 2000. E. B. FRYDE & Edward MILLER (éd.), Historical Studies of the English Parliament, volume I: Origins to 1399, Cambridge 1970. E. B. FRYDE & Edward MILLER (éd.), Historical Studies of the English Parliament, volume II: 1399 to 1603, Cambridge 1970. R. G. DAVIES & J. H. DENTON (éd.), The English Parliament in the Middle Ages, Philadelphia, 1981.

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HPJ COMMON LAW – CHAPITRE II

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John HUDSON, The Formation of the English Common Law. Law and Society in England From the Norman Conquest to Magna Carta, London 1996 (1999). A. L. BROWN, The Governance of Late Medieval England, 1272-1461, London 1989. Martin AURELL, L’Empire des Plantagenêt, Paris, 2003 (2004). Amaury CHAUOU, L’idéologie Plantagenêt. Royauté arthurienne et monarchie politique dans l’espace Plantagenêt (XII-XIIIe siècle), Presses Universitaires de Rennes, 2001. Georges DUBY, Guillaume le Maréchal ou le meilleur chevalier du monde, Paris, 1984. R. ALLEN BROWN, Origins of English Feudalism, London, 1973. Henri LEVY-HULLMANN , Le système juridique de l’Angleterre, Paris, 1928 (1999). A. HARDING, The Law Courts of Medieval England, London, 1973. Paul BRAND, The Origins of the Legal Profession, Oxford, 1992. H. G. BAKER, An Introduction to English Legal History, London, 2002. Ralph V. TURNER, Judges, Administrators and the Common Law in Angevin England, London, 1994. Robert BARTLETT, Trial by Fire and Water, Oxford, 1986 (1999). Patricia KINDER-GEST, Droit anglais, 1/ Institutions politiques et judiciaires, J.G.D.J., Paris, 1997, p. 224-6. Serge LUSIGNAN, La langue des rois au Moyen Age, PUF, Paris, 2004. Georges O. SAYLES, The Court of King’s Bench in Law and History, Selden Society Lecture, London, 1959. Robert MEGARRY (Sir), Inns Ancient and Modern, Selden Society Lecture, London, 1972. John Baker, Legal Education in London 1250-1850, Selden Society Lecture, London, 2007. Ralph V. TURNER, The English Judiciary in the Age of Glanvill and Bracton, c. 1176-1239, Cambridge, 1985.

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HPJ COMMON LAW – CHAPITRE III

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CHAPITRE III POUVOIR ROYAL ET PROCEDURE XII e-XIX e SIECLES

Nous verrons comment le pouvoir royal anglais va marquer son emprunte en ce qui concerne le procès et sur

tout la procédure. C’est en effet le roi qui décide de l’opportunité de trancher tel ou tels cas en s’exprimant par des actes que l’on appelle des writs.

C’est par ces documents que s’exprime la parole du roi (I). Dans un deuxième temps, nous verrons que les juges anglais vont utiliser les writs pour leur permettre d’étendre leurs compétences, par un certain nombres de montages, voire de fictions juridiques (II).

I. LA PAROLE DU ROI Le writ émane du roi, c’est un « ordre royal » (verbum regis), en français un mandement (mandamentum). Présentons le writ d’une manière générale (A), et voyons ensuite comment les writs se sont développés et

quels sont les plus importants à l’origine (B).

A. Le writ : généralités Définissons d’abord le writ (1), voyons comment il est émis (2), distinguons les deux grandes catégories (3),

avant de faire un peu de comparatisme (4).

1. Définition Le writ est une instruction royale, ordre royal. Un écrit, en anglais un writ. Elle est formulée par écrit et

rédigée de manière laconique. Le writ est formulé avec des termes constants (pour un même type), mais variant selon chaque type de writ.

Writ, en latin, breve : « liste abrégée, sommaire ». En vieux français : « bref », en anglais juridique brief. D’après Blackstone, [dicter] c’est « Une lettre de mandement émanant du roi, sur parchemin scellé du grand

sceau (donc émise par la chancellerie) et adressée au shérif du comté, où l’acte contraire au droit (injury) a été commis ou est supposé l’avoir été, enjoignant au shérif d’ordonner à l’accusé soit de faire droit au plaignant, soit, à défaut, de comparaître devant une cour de justice pour répondre de l’accusation portée contre lui ».

NB : Notion d’injury, tout fait quelconque de l’homme considéré par le roi comme contraire au droit ;

explique le caractère criminel ou quasi-criminel de tout le droit anglais. [illustration] Writ d’Henri II. Ecriture en latin & grand sceau. Exemple de writ : Bref ou writ en latin, tiré du traité de Glanville, rédigé vers 1189. Writ of debt (plus tard devant Common

bench), créance d’une somme d’argent :

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« Le roi à son vicomte (le titre latin du sheriff) V. Salut. Ordonne à N. qu’il rende à R. sans délai et justement cent marcs qu’il lui doit, selon ce qu’il dit et il se plaint qu’il les lui enlève injustement. S’il ne le fait pas, fais lui semonce (lat. summone) par de bons ‘semonceurs’ (lat. summonitores) qu’il soit devant moi ou mes juges à Westminster depuis la fin de Pâques jusqu’à quinze jours, pour montrer pourquoi il ne l’a pas fait. Et présente alors les semonceurs et ce bref ».

Eléments d’un writ :

- Nom du shérif ; - Nature de la plainte : payer une dette. - Noms des parties : N et R ; il s’agit d’un formule, on ne retient pas les noms des parties. Ce qui

compte c’est de savoir qu’un tel writ existe. Il est donc inscrit dans le recueil du Glanvill sans les noms. - Un ordre de restituer (« qu’il rende »), puis une - Sommation (« assigne-le »). Objet du plaid (qualification de l’action) : writ of debt : action pour

dette (?). L’accusé doit comparaître à la session de Pâques devant une cour royale de Westminster (sous entendu avec le demandeur). L’ordre et la sommation étaient ainsi signifiés au défendeur par mandat (writ) du roi, par le shérif, à qui était destiné le bref.

Il y a des éléments annexes qui ne sont pas mentionnés dans le writ, mais qui sont sous-entendus :

- La formation du jury, la présence de garants etc. - S’ajoutent à cela des règles coutumières rattachées à chaque writ : délai d’action, mode de

preuve, excuses, mode d’exécution. Tout ceci forme, autour de chaque writ, un ensemble – un complexe – procédural distinct. Remarque. Ce n’est pas parce qu’il y a un éventuel contrat (écrit ou non) que l’on peut aller devant un

tribunal royal. En effet, le texte d’un éventuel contrat ne crée pas de droit à aller devant les tribunaux, plus exactement pas devant une cour royale. L’ouverture du procès devant une (future) high court dépend donc du roi (en fait de la Chancellerie, au départ en accord avec les juges, nous l’avons vu). Pour en arriver là, il a donc fallu que le writ ait été émis.

2. Emission du writ

Le writ est rédigé pour le roi par la Chancellerie. La chancellerie est l’administration chargée de l’élaboration

et de la validation écrits officiels. La raison d’être d’une chancellerie est donc la production d’actes. Dès le XIIe siècle, la chancellerie anglaise produit beaucoup d’actes dont des writs. Il faut noter qu’en France

le nombre d’actes augmente surtout à partir du XIIIe siècle (plus tard qu’en Angleterre) car le pouvoir royal ne se renforce vraiment qu’à partir de cette époque (Philippe Auguste – qui laisse d’ailleurs la tête de la chancellerie vacante). Dans le royaume de France, il n’y a pas ce genre de writ (Il y en a en Normandie).

La direction d’une chancellerie représente une charge importante et prestigieuse. Celui qui la dirige détient le sceau de son maître (c’est d’ailleurs là l’insigne même de son pouvoir). Il est au cœur du pouvoir. En Angleterre, ce personnage est le Lord Chancelor. Il a sous ses ordres toute une administration de notaires/scribes qui utilisent des formules (cf. la formule du writ), ce qui donne une certaine unité aux actes administratifs.

Le writ est donc un « acte » fait sur requête d’un demandeur. Il était délivré par le Chancelier qui y apposait son grand sceau. L’usage du sceau n’est pas nouveau. On l’utilise dans l’antiquité, avec l’anneau sigillaire, pour clore les correspondances, coffres, sacs ou portes. Dans l’Angleterre médiévale (comme ailleurs), on scelle les actes pour manifester son autorité. C’est aussi une façon d’encadrer l’essor de la preuve écrite (et de lui donner de la valeur). Le sceau est donc un instrument précieux, surtout lorsqu’il s’agit de celui d’un homme puissant comme le roi d’Angleterre. J’ai déjà indique que le sceau était conservé dans le trésor de l’Echiquier.

Pour obtenir un writ, il fallait payer un droit (fee) à la chancellerie. On peut se poser la question de savoir s’il s’agissait du paiement d’un droit de chancellerie, ou paiement « au roi » ?

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Techniquement, le writ est donc sollicité à la chancellerie qui « fabrique » et « vend » l’exemplaire demandé. Cet exemplaire est donc payé, d’où l’expression « purchase a writ ». La somme est dite fee (fief, ici sens ancien de présent, don). Peut atteindre 20 marks ; souvent 1 mark, parfois 6 shillings dès la fin XIIe (rappel, revenu annuel d’un baron 200 £, revenu médian 115 £. ; et d’un chevalier 10 à 20 £., médian 16 £. participation à un tournoi, mise de 4 £. amende royale minimum ½ Mark.

3. Distinction

En fait on peut distinguer deux groupes de writs. 1ère sorte. Il y a tout d’abord le cas le plus général. C’est celui que nous venons de décrire : « original writ ».

On pourrait traduire par « writ originel, d’origine ». C’est celui qui donne ouverture au procès, qui en est l’origine. L’idée générale est que l’accès à une cour royale est une grâce exceptionnelle concédée par le roi.

Les exceptions sont devenues la règle, sans pour autant s’uniformiser. D’où la création progressive d’une collection de procédures particulières.

2e sorte. L’original writ se distingue d’une seconde sorte de writ, le judicial writ, plus rare, émis par le juge, en tant qu’officier royal, en cours de procès dans le cadre des actes de procédures. Le judicial writ est comme un prolongement éventuel de l’original writ. Il dépendant de lui d’où le nom de celui-ci. C’est une sorte de writ royal au second degré, où se démasque le pouvoir du juge. Nous verrons les conséquences ultérieures de ce cas particulier (writ of summons).

Dans tous les deux cas : original ou judicial writ, le défendeur doit obéir à l’ordre ou à la sommation

(assignation), sinon il est coupable de mépris (contempt) de l’ordre royal. Mais comment les ordres royaux en vinrent-ils à former un système d’actions ? Il faut remonter à l’origine ou

plutôt aux origines, aux précédents.

4. Comparatisme Il n’est pas question de rechercher une filiation directe mais de comparer certaines pratiques antérieurs plus

ou moins proches. On les trouves chez les Anglo-saxon (a) ou encore plus loin à Rome (b).

a. Les writs anglo-saxons Nous avons vu dans le premier chapitre que le roi anglo-saxon envoyait des ordres à ses agents par le biais

de writs (et gewrits ?). Les premiers writs connus sont ceux de l’évêque de Worcester Oswald. Aethelred the unready (roi d’Angleterre 978-1013 et 1014-1016) est le premier roi anglo-saxon à l’avoir utilisé. Le gewrit des rois anglo-saxons est donc connus à la fin du fin Xe siècle. C’est un ordre écrit scellé écrit en vieil anglais).

Il n’est pas faux de voir ces actes comme les ancêtres du writ anglo-normand, dans la mesure ou le roi utilise le writ comme sur le continent (mandements, ordonnances) à des fins de gouvernement. Il les utilise soit sur un plan individuel, soit sur un plan collectif.

Ici, c’est un usage judiciaire pour « activer » un tribunal ou l’inciter à « bien faire » (plus tard le breve de

recto ou writ of right : ordre de « faire droit » à la demande de N. adressé par le roi anglo-saxon à un tribunal). L’intervention royale est une marque de force. Mais c’est aussi marque d’incertitude du système judiciaire.

En principe en effet, c’est le rôle d’une cour de justice de faire droit. En fait, intimidation d’une cour, des notables locaux, par le roi. On pourrait aller chercher encore plus loin l’origine de ce writ initiant une procédure : à Rome.

b. Le système romain

On connaît à Rome un système qui se rapproche de celui des writ, il s’agit de la procédure formulaire. C’est

la vieille procédure romaine républicaine maintenue au début de l’Empire.

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A Rome, la procédure formulaire marque un progrès de l’intervention publique dans le règlement des litiges.

Alors qu’autrefois les parties participaient activement (elles étaient au premier plan) à la résolution du litige (justice archaïque), la justice d’Etat allait peu à peu s’imposer avec la procédure formulaire.

Avant la procédure formulaire (IIe s. avant J.-C.), il fallait qu’une action soit prévue par la loi pour être

possible (legis actiones). Or, avec l’évolution de la société, de nouveaux problèmes et de nouveaux cas étaient apparus, nécessitant l’ouverture de procès (conquêtes et développements économiques).

A partir du milieu du IIe siècle avant notre ère, le prêteur, magistrat chargé de la justice à Rome (très

puissant), n’est plus seulement tenu par les termes de la loi qui prévoit les cas. Il fixe les termes du litige dans une sorte d’instruction, rédigée avec la collaboration des parties. Il crée pour les partie le droit de faire juger leur cause. Il remet ensuite cette instruction au juge : il remet ce que l’on appelle la formule (d’où « procédure formulaire »). Le juge a été choisi par les parties sur une liste de juges.

Ce procédé permet d’adapter chaque formule aux conditions exactes de la cause. Il permet donc de protéger des situations juridiques nouvelles. En octroyant des actions nouvelles, le magistrat crée des droits nouveaux. Cela a permis un développement considérable du droit romain à l’époque classique. Vers 17 avant JC, une loi (loi Iulia) écarte définitivement les legis actiones au profit de la procédure formulaire (sauf pour certains cas exceptionnels).

En droit positif, le législateur reconnaît des droits nouveaux et les assortit d’un recours en justice. A Rome

l’action est première et c’est de l’existence d’une action que l’on conclut à celle d’un droit. Il y a donc un lien très étroit entre procédure et sources du droit. Pas d’action, pas de droit.

C’est le prêteur qui, par son édit et l’octroi d’actions, a transformé le droit romain au dernier siècle de la

République. A son entrée en charge, le préteur, magistrat élu pour un an par l’Assemblée des citoyens, publie un Edit. Cet Edit donne la liste de situations pour lesquelles in « donnera une action ». Lorsqu’une action nouvelle se présente au cours de l’année le préteur pour y faire face prend un édit particulier. A chaque situation correspond donc la création d’une action particulière. Dans un tel régime, il existe donc une action particulière pour chaque droit, puisque c’est l’action qui établit le droit. Le régime procédural classique est caractérisé par la multiplicité des actions.

Les successeurs du magistrat reprennent en général les action de leur prédécesseur en y ajoutant de nouvelles. Ensuite l’Edit va se stabiliser. On parlera « d’Edit perpétuel ».

Ce système dans lequel à chaque situation correspond une action particulière créée par une autorité (magistrat) peut être rapproché du modèle anglais où le roi prévoit pour une situation donnée, une action devant sa cour. L’action crée un droit. La procédure crée la Common Law.

Or, il faut ajouter qu’à la fin du XIIe siècle, il y a une influence romaine à la chancellerie et chez les juges des

premières générations. Rappelons qu’à la cour du roi (qui est aussi cour de justice) il y a surtout des ecclésiastiques (Bracton). Nécessité de limiter l’arbitraire royal et les contradictions qui en résultaient : writs contre d’autres writs antérieurs, subreptio de writs (cf. rescrits en droit romain). La solution pour lutter contre un éventuel arbitraire royal : judiciariser les ordres royaux (writs), les entourer de garanties que feront respecter les juges, organiser le système. Le système va donc évoluer. B. Evolution et fixation des writs

En plusieurs étapes. 1. Apparition et évolution des writs Le writ est la conséquence du pouvoir très fort du roi d’Angleterre. Il a été développé pour renforcer la

juridiction royale au détriment des juridictions locales. La juridiction royale existait déjà pour certains délits. Ces délit ont d’abord concerné la paix du roi (pax domini regis).

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Par ailleurs, le pouvoir judiciaire du roi s’exprimait aussi dans l’appel des cours inférieures aux high courts, les cours royales. Cela se produisait en cas de défaut de droit defectum justiciae. Le roi intervenait aussi dans les procès des tenants directs de la couronne, tenentes in capite/tenants in chief. On a vite vu un intérêt des plaignants pour la justice royale, plus efficace, supposée au départ plus impartiale.

D’après Maitland (auteur anglais du XXe siècle), la procédure devant la cour royale était alors seulement prévue dans des cas précis (cités supra). En dehors de ces cas, il n’y a pas d’action possible devant la cour du roi. Pour l’auteur, la situation de départ à la cour du roi anglais peut donc être comparée à celle des légis actiones à Rome (cf. supra).

a. Les premiers writs liés à l’activité judiciaire

Le processus de création et de développement des writs n’a pas été planifié. Il est la conséquence des besoins,

de la pratique ou encore du rapport de force entre le roi et les grands. On ne considère donc pas que l’on met sur pied un nouveau système qui va concurrencer les cours traditionnelles. En tout cas, c’est au XIIe siècle que le système se met en place (même si les contemporains n’ont pas conscience de toute son ampleur - Van Caenegem 33).

Le writ est acquis moyennant un paiement par les justiciables. Malgré tout, ils sont de plus en plus nombreux à être attirés par la Cour du roi (nous l’avons vu). Le writ va étendre cas par cas la juridiction royale à certaines matières. La répétition des cas identiques a engendré l’émission répétée d’un même writ. Dès le XIIe siècle se constitua donc une collection de writs ou brefs que Bracton appelle les « brefs formés » (brevia formata) ou « d’usage courant » (lat. brevia de cursu). Ils sont délivrés par les clercs de la chancellerie préposés à cet effet.

Parmi les plus anciens writs, citons le writ of right (breve de recto). C’est un writ destiné à ‘faire droit’. Il est adressé par le roi à une court ordinaire. En fait, ce n’est pas un writ qui permet de débuter une action devant une cour royale.

C’est un ordre du roi demandant à un seigneur féodal de régler (à sa cour) un litige concernant une terre entre le demandeur et celui qui tient la terre (le défendeur). Le procès se passe donc à la cour féodale et se règle par duel judiciaire.

Lorsque le tenant en chef des deux parties est le roi lui-même, le procès se déroule bien entendu à la cour du roi.

Ce writ of right permet donc dans un premier temps, à une époque où les cours traditionnelles (féodales) sont

encore vivaces, d’intervenir dans certains cas en matière judiciaire. Cela se fait indirectement tout d’abord : il ordonne à une juridiction traditionnelle de se saisir d’une affaire.

Mais si le seigneur n’obéit pas à l’ordre, le roi s’estime compétent pour se saisir lui-même de l’affaire. Cela lui donne le prétexte pour intervenir.

On a affaire avec ce type de writ of right à un ordre (executive writ) qui ressemble à celui qui était contenu dans les writs de l’époque anglo-saxonne.

Il y en a d’autre de ce type comme le writ de prohibitio, qui empêche les cours d’Eglise d’entendre certaines affaires temporelles.

Mais dans un deuxième temps, le roi renforcera le contrôle de ses juridictions notamment sur les questions de

possession de terre avec les « petites assises ». Il va prévoir un certain nombre de cas pour lesquelles les parties peuvent accéder directement à la justice royale. Cela se fait avec les writs originels. b. Les writs originels

Les writs permettant aux parties d’accéder aux cours royales sont construits différemment des précédents. Ils

comportent un ordre (rétablir une situation injuste) et une sommation : venir devant une cour royale si l’ordre royal n’est pas suivi. Dans ce cas il y a ‘mépris de la cour’ (contempt of court) assimilé à felony, d’où la compétence de la Cour du roi (crown plea) ou ses démembrements. Ce type de writ est très bien illustré par les writs d’assises.

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L’exemple des writs d’assises A côté des premiers writs (writs of right), il y a ceux qui ont été prévus par la législation royale. Le roi réunit

en effet selon ses besoins les grands du royaume pour légiférer. Il le fait à l’occasion d’assises. Les writs créés à ces occasions sont donc appelés les « writs d’assises ».

Ce sont les writs fondés sur des décisions générales royales (les 5 (4+1) assises) durant les années 1160. On

les a appelées les « petites assises », en anglais « petty assizes ». En réalité le terme d’assise a plusieurs sens : - Cela peut désigner le jury qui donne son verdict : élément clé de la justice anglaise. - Cela peut aussi désigner l’ensemble de l’action qui débute par l’obtention du writ par le

demandeur. - Mais assise peur aussi désigner la législation royale. C’est le cas ici vers 1066 pour les

Assises de Clarendon (petites assises). Il y a aussi de grandes assises comme celle de Windsor (1179) : contestation au sujet d’un droit sur une terre.

Dans un premier temps, Henry II prévoit plusieurs possibilités d’action devant la justice royale : meurtre,

arsin (crime d’incendie), vol, roberie (vol avec violence ou intimidation) et fausse monnaie. Il prévoit donc dans des assises, des cas où la justice royale est compétente (Clarendon).

Il y eu encore d’autres cas avec ce que l’on a appelé les « 4 petites assises » (Four petty assizes)

α. Assise de novel disseisin ou injust dissaisine C’est un cas qui a déjà été évoqué à propos du succès des justices royales. Il s’agit ici d’une ‘nouvelle

dessaisine’, c’est-à-dire d’une dépossession récente. Il ne s’agit pas pour le roi Henri II de tenter de mettre fin ici ou là à quelques abus, mais bel et bien d’une campagne systématique de lutte contre ces pratiques organisée au niveau central. Cela se ressent ensuite dans les tournées effectuées par les juges qui vont traiter de nombreux cas de cette espèce. Dans ces cas, on préférait payer le prix du writ à la chancellerie et avoir les garanties attachées à la justice royale (application de la décision).

L’action permettait à quiconque qui avait été dessaisi de sa libre possession, de la retrouver à l’issu du verdict

du jury, et dans un délai limité devant les juges royaux. Celui qui avait saisi injustement la terre payait une amende. Il payait aussi des dommages à la victime.

Délai d’action. En Angleterre, on ne compte pas en nombre d’années ou de moissons, comme en Normandie, mais en fonction de dates fixes bien connues. Par exemple, en 1076 on estime que l’on peut juger les affaires depuis le retour (voyage en Normandie ?) du roi en Angleterre de 1075. Cette période de temps assez courte explique le terme ‘Novel’ dans novel desseisin. C’est d’ailleurs ce terme qui a été gardé, alors qu’au départ il y avait plusieurs autres nom pour cette même action : « assises de dessaisine », « action de dessaisine devant les assises ».

Ce que protège cette action c’est la dépossession des tenures, c’est-à-dire de la paisible possession et de

l’exploitation de la terre libre. Nous sommes à une époque où la terre est la forme la plus importante de richesse. C’est de la terre que l’on vit ; c’est une source de pouvoir et de prestige. La lutte du roi pour tenter de restaurer judiciairement ou non la possession de celui qui en avait été injustement privé n’est pas chose nouvelle. Ce qui est nouveau, c’est qu’à partir de Henry II, la chose est systématique.

Le problème est désormais entre les mains de la justice royale. C’est maintenant à la disposition de tout homme libre. On peut imaginer qu’auparavant, il fallait pouvoir avoir accès au roi pour espérer de lui une réponse. Désormais, sa chancellerie est là pour cela. La question qui était ensuite posée au jury était de savoir « si untel avait été dépossédé injustement et sans jugement ».

Formulation. Le writ classique de novel disseisin est un writ de semonce pour aller à la cour. Il devait à

l’origine comporter l’ordre de rendre la terre, comme une alternative à la comparution (comme ce que nous avons vu plus haut pour les dettes). D’autre part, il faut savoir que les assises existent aussi pour la Normandie

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(Empire Plantagenêt). La procédure de Nouvelle déssaisine existe aussi en Normandie. Dans le writ normand il est écrit : « rendez ce que vous avez saisi ou bien comparaissez devant ma justice ». La version du Glanville (recueil de writs) ne comprend plus la première solution.

Le writ de Nouvelle désaisine devait être ensuite renvoyé. Il contenait la clause adressée au Shérif qui avait

un gros travail préparatoire. La pratique du renvoi du writ était un moyen de contrôle. Le writ contenait les membres du jury le nom des garants. Il allait donc de la chancellerie au shérif et était retourné à la cour royale avec les éléments ajoutés. On peut donc lire sur les writs :

- Le nom des parties. - Le nom de la terre sur laquelle porte le litige. - Un ordre pour les « semonceurs » - Un ordre pour les parties - Un ordre pour les membres du jury - La date de l’audience

Exemple de writ : « Le roi au Shérif, salut. N. s’est plaint à moi de ce que R. injustement et sans jugement l’a

dépossédé de sa libre possession dans tel et tel vill depuis mon dernier voyage en Normandie … Et en attendant vous devez vous attendre (vérifier trad.) à ce que la possession soit vérifiée/contrôlée par 12 hommes libres du voisinage et leurs nom est inscrit au dos du writ et sommez-les … d’être prêts à faire la reconnaissance. Et sommer R. d’être là pour entendre la reconnaissance … et utilisez (?) ici les semonceurs et ce writ et [indiquez] le nom des sûretés ».

β. Assise ou writ de mort d’ancestor

Cela concerne la mise en possession d’un héritier légitime d’un fief. La transmission des fiefs en Angleterre

était héréditaire mais pas automatique. En fait, les descendants de celui qui tenait son fief du roi (par exemple) devaient faire hommage au roi et surtout payer une taxe : un relief. Dans le cas contraire, le roi pouvait choisir un autre vassal. Mais si le relief était payé il ne s’opposait pas à la transmission.

Les seigneurs ne pouvaient pas non plus s’opposer à la transmission héréditaire du fief de leurs vassaux si les conditions étaient remplies. S’ils le faisaient et si les héritiers étaient privés « injustement » du fief attendu, la société féodale se désorganisait. Le roi qui était situé au sommet de la hiérarchie féodale devait intervenir. Il a donc prévu une procédure par un writ.

Un héritier légitime ne pouvait donc pas se voir opposer un refus s’il remplissait les conditions pour être mis

en possession (cérémonie, relief). L’action de Mort d’Ancestor est donc une arme qui permet de lutter contre les seigneurs qui refusent de transmettre le fief à un héritier légitime.

L’action avait lieu devant le justice royale. Le verdict du jury d’hommes libres était alors décisif. Ce type d’action a été lancé par les juges on eyre. Cela a ensuite été développé par les nombreuses plaintes qui se sont ensuite succédées.

Les questions posées au jury étaient alors les suivantes :

- Est-ce que l’ancêtre du demandeur tenait la terre de X. en fief (=de manière héréditaire) et en sa possession (= directement exploité par lui et non donné à un autre de ses vassaux) au moment de sa mort ?

- Est-ce que le demandeur est l’héritier le plus proche ? - Le délai d’action est-il respecté ?

Le roi intervenait déjà ponctuellement en la matière, depuis plusieurs génération. Mais c’est l’article 4 de

l’Assise de Northampton (1176) qui établit cette action de manière définitive. ans l’article 4 de l’Assise de Northampton de 1176, le roi explique que les héritiers ne devaient pas être

privés de la mise en possession, il ordonne ensuite que « si le seigneur d’un fief refuse de donner la possession [du fief] aux héritiers de l’homme décédé alors qu’ils (les héritiers) le demandent ; les juges du seigneur roi

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devront déclencher une vérification à ce sujet par 12 hommes (légitimes), pour déterminer quelle possession l’homme mort (de cujus ?) avait au moment de son décès ; et selon cette vérification, la possession sera rétablie pour ses héritiers, et celui qui agit contre cela et est atteint par cela sera à la merci du roi ».

Etre à la merci du roi signifie que la personne était susceptible de payer une amende dont le montant était fixé

par le roi de manière discrétionnaire. Un writ va donc être prévu dans ce cas (formule) : « Le roi au shérif, salut. Si G. fils de O. vous donne une

sûreté pour engager cette demande, alors somme/semonce par de bons semonceurs, 12 hommes libres du voisinage de tel vill de comparaître devant moi ou mes juges, tel jour, prêts à reconnaître sous serment [1] si O., le père du dit G., était en possession … de son fief … dans ce vill le jour où il est mort, [2] si il est mort après mon premier couronnement [=délai d’action], [3] et si le dit G. est sont héritier direct »

On demande aussi au shérif de :

- montrer la terre aux jurés, - d’indiquer leur nom sur/au dos du writ, - de sommer R. à qui est la terre (seigneur), - au shérif, de venir assister à la reconnaissance et d’être là avec les semonneurs et le writ.

On voit apparaître cette action dans les pipe rolls à partir de 1179 (3 ans après Northampton). Leur nombre montre une grande popularité de l’action. Ces deux premières action des « petites assises » permettent donc une possession paisible de la terre.

γ- Assize utrum ou writ utrum

La question qui ce pose devant la justice royale est celle de savoir si l’on plaide sur bien laïque ou

ecclésiastique. Savoir ‘si’ (utrum) tel fief est laïque ou ecclésiastique. Selon la réponse, l’affaire ira devant une cour laïque ou une cour d’Eglise. La question n’est pas facile au XIIe siècle.

Il y avait aussi des conséquences, car les services attendus d’un fief ecclésiastique (frank almoin) n’étaient pas les mêmes que pour un fief laïque (fee), comme un fief de chevalier, par exemple. C’était ces services attendus qui étaient la véritable cause de conflits.

Dans les Constitutions de Clarendon (1164), le roi met par écrit un certain nombre de principes concernant

les cours royales et les cours ecclésiastiques. Il prévoit en particulier (chap.9) que si un litige concerne une tenure qu’un clerc considère comme ecclésiastique (frank almoin) et qu’un laïc considère comme un fief laïc, cette question doit être d’abord tranchée par un jury de 12 personnes devant un juge en chef. Ensuite, selon la décision de la cour, l’affaire ira devant une cour royale ou un cour d’Eglise. Très tôt, cette première étape eu lieu devant les juges in eyre. Elle fut elle aussi mise en œuvre par un writ. Il est finalement appelé « le writ du droit du prêtre » (?) (VanC.48), car il permettait aux prêtres de revendiquer une terre. Son usage a été moins fréquent que les précédents.

Exemple de writ : « Le roi au shérif, salut. Semonce/somme par de bons semonceurs 12 hommes libres du

voisinage de tel vill pour comparaître devant moi ou mes juges tel jour, prêts à déclarer sous serment si une hide de terre, que N. prêtre de l’église de tel vill , revendique (comme aumônes libres (free alms) de son Eglise) contre R. dans ce vill, est un fief laïque de R. ou un fief ecclésiastique. Et en attendant, qu’ils (les jurés) aillent voir la terre (en question) … ».

Enjeu : si la terre était une terre d’Eglise les revenus allaient à l’Eglise. Si les trois assises précédentes concernent la terre, la quatrième concerne un droit de présentation.

δ. Darrein presentment Cela signifie « dernière présentation ». Un laïc qui possédait une terre (un « patron ») avait souvent des

églises établies sur sa terre. De ce fait, il avait le droit de présenter la personne de son choix pour une charge

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ecclésiastique. Il présentait cette personne (moyennant finance) à l’évêque. Celui-ci l’établissait dans sa nouvelle charge. On appelle cela un droit de patronage et on utilise le terme de advowson (où l’on trouve ‘advocatus’ : avocat : le ‘patron’ se fait l’avocat de celui qu’il présente).

Mais cette pratique prive l’Eglise de ces causes. Elle est pour les laïcs une source de revenus et de prestige.

C’est un vieux reste des pratiques antérieures à la Réforme grégorienne (XIe s.). En effet, avant la réforme, les charges ecclésiastique étaient parfois aux mains de laïcs puissant qui n’hésitaient pas à les vendre. On parle alors de trafic des charges ecclésiastique (simonie). Un fléau pour l’Eglise qui va lutter efficacement contre ces pratiques (et d’autres comme le nicolaïsme), en la personne du Pape Grégoire VII (1073-1085). Cette réforme concerne tout l’Occident (enjeux importants en Allemagne).

Henri II a voulu protéger cette pratique, comme il l’a fait pour ce qui touchait à la possession d’une terre. Il le

fait comme pour les autres procédures, en autorisant de poser cette question urgente : « qui peut présenter » un nouveau prêtre à telle église vacante (contre une grosse somme ou la promesse d’une rente) ?

On sait que l’Eglise a été hostile à cette pratique qui lui enlève le pouvoir de choisir qui elle veut. Elle a donc

tenté de la limiter. En 1179, le 3e concile de Latran redonne le droit de présentation à l’Evêque si la charge n’a pas été pourvue dans les trois mois.

Or, un procès pour savoir qui pouvait présenter son ‘candidat’ devait probablement durer plus de trois mois devant les juridictions traditionnelles. C’est la raison pour laquelle Henri II a prévu cette « procédure d’urgence », par un writ. Il ne voulait pas que le délai établi par le pape (Alexandre III ?) prive certains laïcs de leurs droits en cas de contestation.

La 4e « petty assize » serait de 1180, l’année suivant la décision du pape. Cette procédure ressemble à celle

de Mort d’Ancestor. Elle tourne autour d’une seule question : « quel ‘patron’ a présenté en temps de paix (exclut l’anarchie sous Etienne Ier) le dernier prêtre, dont la mort a laissé l’église vacante ? ».

Les juges considéraient alors que cette dernière personne était en possession de l’advowson (droit de présentation) et pouvaient présenter à nouveau leur candidat. Ce candidat était alors nommé à vie. Ici encore le jury avait un rôle central. L’ancienne procédure de contestation (longue) devant les cours traditionnelles allait donc décliner au profit de la procédure devant les juges royaux.

2. Fixation des writs

Vers la fin du XIIIe siècle, après Bracton († 1268), il y a un ralentissement de la création de nouveaux types

de vrits par le roi ou ses officier royaux. Ce ralentissement fut le fait du Parlement qui était alors une institution nouvelle. C’est en effet l’époque qui précède immédiatement celle du « Parlement modèle » de 1295. Or, le Parlement va être à l’initiative d’une décision, au milieu du XIIIe siècle, qui va freiner la création des writs.

Parmi ceux qui siégeaient au Parlement anglais, il y avait des barons. Or, ces barons avaient en quelque sorte

été dépossédés de leur juridiction (au niveau local) par les juges royaux (cf. supra). Leur pouvoir d’opposition par l’intermédiaire du Parlement leur a permis d’obtenir l’interdiction d’apporter la moindre modification aux writs formés (brevia formata), aux writs originels, sans le consentement du Parlement. Cette décision est matérialisée dans les Provisions d’Oxford.

Dans les Provisions d’Oxford 1258 (charte entre Henri III et ses barons), on décide que : « Le chancelier ne

scellera nul bref fors (sauf) le bref d’usage courant (de cursu) sans le commandement du roi et de son conseil qui sera présent ». Or le conseil du roi s’exprime notamment à cette époque « en Parlement ». Le Parlement veut donc prendre part à la formation des writs. Cette méfiance à la prolifération n’arrête cependant pas complètement l’évolution.

L’interdiction des créations fut répété par le second Statut de Westminster en 1285. Mais on va tout de même

reconnaître à la chancellerie le droit d’étendre un type de writ déjà existant, dans un cas semblable où il n’y en aurait pas déjà un.

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Donc, dans le cas où il n’y a pas de writ, on peut chercher si cela ne ressemble pas à un autre cas où il existe

un writ. Si oui, la Chancellerie peut alors procéder par analogie elle permet la pratique du brief in consimili casu (dans un cas identique). Cela lui permet d’étendre le domaine d’un writ existant à une situation semblable pour laquelle il n’y avait pas de writ. C’est l’origine des writs on the case (brevia in casu)5. Ils rappellent la formule in factum de l’édit du préteur romain. Nous verrons concrètement cette pratique en II.

Mais dans l’ensemble, en définitive, il faut bien dire que la Chancellerie, et le roi, perdaient la maîtrise des

actions et la répartition des types d’affaire entre les cours. La création de brefs nouveaux se ralentit. Les Cours y étaient hostiles. Ce grand ralentissement de la production de nouveaux writs permit d’élaborer un classement (car il y avait stabilisation).

Les Recueils

Les types de writs sont désormais groupés par la chancellerie dans un Registre. Au XVe siècle, aux alentours du règne d’Henri VI (1422-1472), on a une liste à peu près complète des writs. Puis, au XVIe siècle, cette liste est définitivement fixée et reproduit par l’imprimerie.

En 1531, William Rastell imprime le premier le Registre de tous les writs (Registrum omnium brevium). Il fut ensuite réimprimé en 1553 et 1595. D’autre part, Theolall publie de son côté « Le Digest des Briefs originals et des choses concernants eux » (Law french) en 1579. Comme l’indique le titre : « les choses les concernant », désormais le droit anglais va prendre la forme d’un commentaire sur les writs. On pratique comme on avait fait à l’égard du droit romain ancien. Pour terminer, une dernière édition parut en 1687 (par R. et E. Atkins).

Les commentaires

Les historiens se sont intéressés aux manuscrits de writs anciens, mais aussi aux commentaires des auteurs. Au XIII e siècle, le nombre de manuscrits de ce genre s’accroît. Au XIVe siècle l’activité de la justice augmente.

Les juristes mais aussi les grands propriétaires fonciers, les communautés religieuses et laïques font des actions en justice. Tous ont besoin de ces formules de writs qui sont autant de clés de la justice. « Autant de brefs, autant d’actions » disait Bracton.

Les manuscrits les éclairent à ce sujet. Très tôt, des ouvrages ont été constitués. Ils sont principalement composés de writs :

- Old Naturia Brevium, sélection composée à l’époque d’Edouard III (1327-1377). - Tractatus attribué à Glanville, vers 1189. - De Legibus de Bracton (XIIIe).

Lorsque l’on compare tous ces documents, on constate que la liste des writs varie. 39 writs dans le Tractatus attribué à Glanville (v. 1189). 46 writs dans un manuscrit datant du début du règne d’Henri VI (début XVe). 14 groupes de l’édition imprimée en 1687. Ces collections et commentaires rappellent encore l’Edit du prêteur romain, affiché, édité et commenté. Nous avons vu dans ce (I), que les writs étaient le résultat d’une demande d’un particulier au roi, ou plutôt à

la chancellerie royale. Le but était de faire juger un cas particulier. Mais avec le temps, les writs vont servir d’autres desseins. Les hautes cours vont s’en servir pour étendre leurs compétences, sur des questions qui ne les concernaient pas à l’origine.

L’usage des writs va aussi permettre leur extension à des domaines qui n’étaient jusque là pas accessibles, et ce, malgré les interdictions formulées au XIIIe siècle.

Tout ceci sera développé par la pratique (II).

5 Extrait du Statut de Westminster de 1285 : « Walker & Walker p. 25 ».

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II. L’ USAGE DES WRITS Dès la fin du XIIe siècle (époque de Glanvill), « le droit anglais commence déjà à prendre la forme d’un

commentaire sur les writs » (Pollock et Maitland). Bracton écrivait : « Autant d’actions, autant de writs ». Le writ est le point central de l’action judiciaire et le commentaire résulte de l’analyse de cette action. Le point final est bien-sûr le jugement, avec l’exécution éventuelle qui suit.

Au XVIII e siècle (époque de Blackstone), prenons l’exemple d’un homme à qui on a causé un préjudice. Il

devra, lui ou son avocat, déterminer tout d’abord quelle est la formule d’action à introduire. Il faut choisir parmi tous les writs : ceux que nous avons vu ensemble mais aussi tous les autres qui n’ont pas été évoqués (trop long et fastidieux ici) : writ of right, debt, de Nouvelle dessaisine, de Mort d’ancestor, de dette, de trespass, etc.

Il est très important de ne pas se tromper car le choix est irrévocable. Le demandeur ne peut en effet plus

modifier son choix en cours d’instance. Le choix n’est pas un choix de termes spéciaux, c’est bel et bien le choix de méthodes de procédures particulières. Cela va donc avoir des conséquences sur :

- la compétence de la Cour de justice. - La comparution du défendeur (ou contumace). - La confrontation des plaidoiries en vue de dégager des points de droit ou de fait appropriés à

l’action. - L’apport et l’appréciation des preuves. - Les voies d’exécution. - La peine encourue. - L’appréciation des excuses pour non comparution. - Autres moyens d’obtenir un délai (moyens dilatoires).

Tous ces éléments se cachent derrière une formule d’action et varie d’une action à une autre. Sur chaque action va se cumuler une série de précédents judiciaires. Chaque action va donc avoir ses propres

précédents. Ce sont les cours qui vont déterminer les conditions nécessaires pour que telle action aboutisse. Elles déterminent aussi quel seront les effets de chaque action.

C’est ainsi que la Common Law sera élaborée, par les décisions des cours de justice. La clef de toute la

Common Law réside dans la conjugaison des writs avec les décisions de justice. La Common Law permet de saisir à la fois la force du précédent mais aussi le caractère « criminel » ou « quasi criminel » du droit anglais.

Les décisions de justice ne sont que la suite légale des ordres royaux contenus dans les writs. Elles mettent en

œuvre les ordres du roi. Le jugement est ensuite revêtu de l’autorité royale. Les travaux sur les writs vont donc se doubler de travaux sur les précédents. La conjugaison writs et décision judiciaires explique la lenteur de la formation de la Common Law. Les

décisions vont en effet être beaucoup plus nombreuse en ce qui concerne la procédure qu’en ce qui concerne le fond du droit. De plus, la technicité de la procédure va se complexifier (jusqu’au XVIe siècle).

C’est de la procédure qu’est issue toute la Common Law. On est donc de ce fait loin de nos catégories

juridiques issues de droit romain. Ici, il faut plutôt distinguer comme le font les auteurs anglais – Maine & Maitland – entre :

- Substantive law : le droit envisagé dans sa substance, c’est-à-dire l’ensemble des règles de fond. - Adjective law : la procédure, l’ensemble des règles de forme.

D’après ces auteurs, la procédure (adjective law) a un grand ascendant sur les règles de fond. D’après Maine,

les règles de fond ont été sécrétées dans les interstices de la procédure. Pour Maitland (qui compare chaque branche de la procédure à un trou de pigeon – comp. ‘niche’) : « chaque trou de pigeon de la procédure contient ses propres règles de substantive law (fond).

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Traditionnellement en Angleterre, la procédure est l’infra-structure sur laquelle a reposé la Common Law. D’après Maitland qui écrit fin XIXe – début XXe, après la suppression des différentes formules d’action : « Les formules d’action, nous les avons enterrées ; mais, du fond de leur tombeau, elles nous gouvernent encore ».

Voyons comment les writs ont été utilisés par les hautes cours et les avocats : le rôle des Hautes Cours de

justice et l’influence des lawyers. Nous avons vu précédemment qu’il y a eu une lutte de la justice royale contre les cours inférieures. Les

justices royales se sont en particulier imposées par le développement de la compétence des assises au XIII e (par le bref de Venire facias nisi prius). On convoquait le défendeur à Londres, à Westminster (« Fait venir »), auquel on a ajouté la restriction nisi prius etc. « à moins que » d’ici telle date, l’affaire ait été réglé devant une cour d’assise (au sens anglais). D’où activité encore plus grande des Hautes cours et créations de nouveaux writs.

Par la suite, le système a évolué ensuite différemment, avec la disparition des cours locales. Il a évolué sous l’influence des juges. La cause de l’évolution à ce nouveau stade est la concurrence entre les hautes cours. Il y eut en effet concurrence, à mesure que s’étendait leur compétence et qu’augmentait le volume et que divergeait la forme des affaires. (Différence avec la procédure formulaire : ici, non pas un juge choisi sur une liste, mais des cours concurrentes).

Là aussi, le roi est tenu par le précédent : tel writ a toujours été accordé pour aller devant telle cour. Mais il

existait cependant une marge de manœuvre, en cas de création de writ nouveau, d’action nouvelle. C’est ce que nous verrons dans un (A).

Les writs vont connaître une évolution de leur l’usage. Avec le temps et la pratique, avocats et juges, de concert, vont donc suggérer aux plaideurs de demander à la chancellerie qu’elle délivre de nouveaux writs. Nous étudierons l’usage de ces writs du second type dans un (B).

A. Lutte entre les hautes cours

Lorsque les hautes cours ont fini par acquérir la compétences de toutes les affaires importantes (victoire sur

les cours locales), elles vont lutter entre elles pour élargir leurs compétences respectives. Rappelons les compétences théoriques originelles : compétence criminelle pour le Banc du roi, civile pour le

Banc commun et fiscale pour l’Echiquier. Il faut savoir que outre le salaire, les juges sont rétribués par des droits versés par les plaideurs. Donc, plus

d’affaires et plus grosses, plus d’argent. Il faut savoir aussi que le nombre d’affaires civile s’est beaucoup développé devant la justice royale. Le domaine civil appartient initialement au Banc commun, mais il attire les deux autres cours. Il y a donc eu une lutte des deux autres cours pour empiéter sur la compétence de départ du Banc commun. Complicité du roi et de la chancellerie ? Voyons donc l’offensive sur le Banc commun des deux autres cours royales.

1. Offensive du Banc du roi contre le Banc commun (XIV-XVe ?)

L’intérêt des juges était – nous l’avons vu – d’attirer à eux le plus grand nombre d’affaires (activité =

profits). A l’origine, le Banc du roi traitait les affaire proprement criminelles. Dans ce cas, le roi prenait en main la poursuite ou bien la laissait à ses juges (« gens du roi »).

Pour pouvoir avoir accès aux affaires communes entre particuliers, le Banc du Roi a utilisé une vieille

coutume qui voulait que, lorsque le défendeur à un procès était déjà entre les mains du Marshal (grand prévôt) de la cour (pour un délit ?) il y avait compétence du Banc du roi. En effet, dans ce cas, le Banc du Roi était compétent « en raison de la personne » du défendeur (ratione personae) pour connaître du litige : parce que le défendeur était supposé criminel.

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Le marshal royal, faisait régner l’ordre dans et autour de la résidence royale. Le stratagème consistait alors à supposer un délit fictif commis autour de Londres, lieu de la résidence royale. Il fallait donc mettre sur pieds ce stratagème. On plaçait au préalable le défendeur entre les mains du marshal, au motif qu’il avait soi-disant commis le délit de trespass vi et armis (‘outrepasser’/transgresser par la force et les armes).

Ce motif le rendait justiciable du Banc du roi. Le défendeur actionné était donc déjà d’une certaine manière,

sous la garde du roi. On considérait alors que l’affaire civile était jointe au procès criminel. On était dans le Middlesex. Le délit de trespass vi et armis entraînait le placement sous la garde du marshal, par un Bill of Middlesex (bill = requête ?), la région de Londres. La cour royale se trouvait en effet dans le Middlessex. On agissait donc par un « Bill of Middlessex ».

Le shérif chargé de l’assignation, a qui le bill était envoyé répondait par un document dit non est inventus (Il

n’a pas été trouvé dans le Middlesex) d’où une autre fiction que le délit prétendu commis dans le Middlesex : le prétendu délinquant s’était ensuite enfui.

Car naturellement, très souvent, le futur défendeur civil, prétendu délinquant, n’habitait pas le Middlesex. Dans ce cas, on émettait un bref de latitat destiné à faire appréhender le défendeur « là où il se cache et s’enfuit » (quo latitat et discurrit). Il ordonnait de le rechercher là où il se cachait (en fait là où il résidait tranquillement).

S’il résistait il était passible des peines sanctionnant le « mépris de la Cour » (contempt of Court). Toute cette procédure était fictive. Même sous Henry VI (1422-1460 et 1470-1), la mainmise du Marshal sur le défendeur était purement supposée.

En effet, le marshal, de son côté, s’occupait de ses propres affaires au moins depuis le milieu du XIVe et ne prenait plus aucune part au procès. Si le défendeur protestait que tout cela était grotesque, il y avait contempt of court, une forme adapté du contempt envers le roi et la majesté royale.

Le Banc Commun a vigoureusement protesté contre le détournement de ces affaires qui étaient de sa

compétence. Il a saisi la Chambre des Lords qui ne lui donna pas raison. Le Banc Commun imagina une contre procédure fictive. La querelle s’épuisa. Les plaideurs avaient désormais le choix de saisir l’une ou l’autre des Cours en la matière. En 1832, la procédure fut débarrassée de ses fictions. 2. Offensive de l’Echiquier contre le Banc commun (XIVe-)

Ici encore, l’intérêt des juges de l’Echiquier était d’attirer vers eux des affaires nouvelles ‘confisquées au

Banc commun’. Pourtant, un statut de 1282, sous le roi Edouard Ier avait interdit d’empiéter sur la compétence du Banc commun. Là encore, ce fut un stratagème de procédure qui permit de déborder du cadre originel.

Ce fut une règle fiscale coutumière qui fut utilisée en l’occurrence. Il s’agissait d’une règle coutumière en faveur de la Couronne. L’Echiquier était désireux de faire payer les créances dues au roi. La coutume en question permettait au roi (ou à son administration fiscale) de réclamer des redevances non seulement du débiteur lui-même, mais aussi du débiteur du débiteur. C’était encore possible auprès du débiteur de ce dernier et ainsi de suite à l’infini. Il y avait atteinte (injury) aux droits fiscaux.

Ce stratagème permettait donc à l’Echiquier de trancher certaines affaires « communes ». Il fut inventé au XIV e et on constate qu’il est courant au XVIe. Pouvoir poursuivre non seulement le débiteur, mais le débiteur du débiteur, et ainsi de suite, permettait de faire en sorte que le premier débiteur puisse être solvable.

Il suffisait de supposer qu’un créancier était, fictivement, débiteur de la couronne pour attirer un procès devant l’Echiquier. Donc, le plaideur qui voulait bénéficier de la procédure de l’Echiquier et des autres particularités qui y étaient liées, intentait sont action devant les barons de l’Echiquier. Pour cela il indiquait dans l’acte introductif d’instance qu’il était débiteur ou comptable de la Couronne.

Avec l’accroissement des impôts, cette fiction devint de moins en moins une fiction car il y avait de plus en plus de contribuables. Tout le monde étant ainsi plus ou moins débiteur de la couronne. Mais le lien avec la nature même de l’affaire restait artificiel.

L’idée était que le non paiement de ce qui lui était dû par le défendeur diminuait d’autant la solvabilité de

demandeur à l’égard du roi. Le writ utilisé était alors un writ de Quominus sufficiens existit. Le demandeur

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devenait alors justiciable de l’Echiquier. Quominus sufficiens existit : « qui diminue/pour empêcher la part qui existe » (?). Le Banc commun protesta ici aussi contre cette ‘confiscation, en vain.

La loi de 1832 supprima ici aussi les formalités du writ de Quominus. De ce fait, la compétence du Banc Commun demeure exclusive seulement en cas des procès fonciers,

partageant les actions personnelles : contrats et délits et autres sources d’actions personnelles avec le Banc du roi et l’Echiquier.

Il y a donc un mouvement général qui tend à la multiplication et extension des writs. C’est aussi le cas du fait de l’activité des avocats.

B. Extensions des writs issues du travail des lawyers Writ et contre-writ (a) et extension par consimili casu : on a déjà accordé un writ de cette sorte dans tel type

de cas (b).

1. Writs et contre-writs Nous nous plaçons à l’époque d’Henri II (1154-1189) (avant l’interdiction de former de nouveau writs au

XIIIe s.). Avocats et juges, de concert, vont donc suggérer aux plaideurs de demander à la chancellerie qu’elle délivre de nouveaux writs. Ce procédé va parfois aboutir à une concurrence des writs ou à ce que certains auteurs appellent une « guerre des writs ». Prenons un exemple : le writ de naifty, de nativis (naissance), contre le breve de libertate probandi (preuve de la liberté)

Naifty est un ancien mot pour servage. En latin on appelle ce writ le ‘breve de nativis’. Ce terme désigne les personnes qui sont ‘originaires’ d’Angleterre, nés en Angleterre en ayant un statut servile. Ceux-ci sont aussi appelés ‘Anglici’. Cela s’explique parce que la masse des paysans et à plus forte raison, les paysans qui ne sont pas libres (les serfs), cette masse est composée des Anglo-Saxons, et non des Normands (Nobles).

Ce que redoutaient particulièrement les grands possesseurs de terres (les seigneurs), c’était que leurs

personnel dépendants, les serfs, s’enfuient de leur domaine. Ces serfs étaient considérés comme attachés à la terre de leur seigneur et ils suivaient la terre si celle-ci passait à un autre seigneur. Perdre cette main-d’œuvre agricole signifiait donc se priver d’importantes sources de revenu que la terre devait fournir. Or, en dehors de la richesse personnelle que cela procurait, les détenteurs de terre devaient des services militaires et pécuniaires importants à leur seigneur. Bref, une seigneurie qui ne rapporte pas, et c’est le fonctionnement de la société féodale qui se grippe. La terre finance l’armée du roi …

Il est donc paru normal d’essayer de stopper les fuites de main-d’œuvre, notamment lorsque certains serfs se

sentant particulièrement opprimés, tentaient la dangereuse aventure, d’aller trouver ‘refuge’ chez un autre seigneur. On connaît aussi ce genre de pratique dans la France féodale ; une pratique contre laquelle les seigneurs français luttaient, avec par exemple la coutume du formariage (interdiction de se marier en dehors de la seigneurie, sauf autorisation du seigneur).

En Angleterre les serfs qui s’étaient enfuis devaient être arrêtés et reconduits chez leur maître. Le writ de

nativis suivait ce modèle répressif. Voici 3 exemples : « j’ordonne que Eudo, mon intendant (stewart) soit mis en possession du manoir de Dereman et que tous les

hommes qui sont partis après la mort de ce dernier doivent revenir avec leurs biens meubles ». « Le roi au shérif, salut. Vérifier ( ?) que tous les serfs fugitifs de telle abbaye soit ramenés avec leurs biens

meubles, et plus particulièrement leur(s) serf(s) qui est maintenant sur la terre de tel seigneur ». Le roi au justicier/juge (justiciar) local et au shérif d’Essex, salut. J’ordonne que l’évêque de winchester aura

son serf fugitif Ulwin Mud et ses biens meubles comme ils étaient auparavant ».

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On a ainsi de nombreux writs à partir du tout début du règne de Henri II. Par ses writs le roi ordonne à ses juges, shérifs et baillis / gouverneurs (bailiffs), de rendre à des propriétaires terriens leurs ‘nativi et fugitivi cum catallis suis’ (natif et fugitif avec ses biens meubles qui ont fui depuis la mort de Henri Ier (en fait pendant le règne anarchique d’Etienne).

L’ordre royal était bien pratique, car il permettait de passer au dessus des frontières d’un comté, au delà

desquels tel shérif n’était plus compétent pour poursuivre les fugitifs (même chose pour un cour locale). L’ordre du roi était valable pour toute l’Angleterre. On imagine bien qu’un fugitif essayait d’aller le plus loin possible.

Or, que se passait-il lorsque celui qui était poursuivi déclarait qu’il n’était pas serf ? Ou encore que se passait-il si le nouveau seigneur déclarait qu’il avait récupéré le ou les serfs de manière légale ? On peut alors imaginer un conflit de writs, avec un nouveau writ contremandant le premier.

Il n’y a pas eu dans le writ, la possibilité pour la partie adverse (le ‘fuyard’) de se défendre en justice. Raisons : les fuyards n’étaient pas d’assez haute condition pour être entendus en justice et la situation était urgente pour leurs maîtres.

Le writ of naifty est resté non modifié. On le trouve ensuite sous cette forme à la fin de la période de judicialisation : c’est un ordre autoritaire donné au shérif :

Texte de writ : On demande au shérif de rechercher M. tout serf de R « avec tous ses biens meubles et toute

sa famille, où qu’il soit trouvé dans votre juridiction (sans que ce soit dans le domaine du roi), qui a fui de sa terre depuis le couronnement du roi ; quiconque le détient injustement le fera en peine et confiscation ».

Mais que se passe t-il si M. (le serf fugitif) s’oppose à l’exécution du writ en déclarant qu’il est un homme

libre ? La réponse est que M. (serf supposé) pouvait se plaindre au roi que quelqu’un était en train de vouloir le réduire à l’état de dépendance, au servage, ou à l’état de serf.

C’est ainsi que naquit le writ de libertate probanda (preuve de la liberté). Il permettait de soumettre cette

question aux juges royaux. Voici le writ : « Le roi au shérif, salut. R. qui revendique d’être un homme libre, s’est plaint à moi de ce que N. cherche à le réduire au statut de serf. C’est pourquoi je vous ordonne, si le dit R. vous donne une sûreté pour procéder à sa demande, de transférer ce procès [qui est à présent entre les mains du shérif pour le motif de naifty] devant moi ou mes juges tel jour et pour voir de quoi il retourne, en paix, en attendant ; et semmonez le dit N. par de bons « semmoneurs » d’être alors présent, pour expliquer pourquoi il a cherché à le réduire au statut de serf, et emmène la-bas les semmoneurs et ce writ.

Le roi suspend donc son propre writ de naifty et offre à celui qui est supposé être un serf, une audience à sa

cour. La formulation de ce writ est assez récente. Dans le cas où il n’y avait pas de doute sur le statut de dépendant d’un homme, mais qu’il était question de

dispute entre deux seigneurs à propos du contrôle d’un serf, le litige était laissé au shérif qui le tranche à la cour du comté. Le roi ne s’occupe pas des serfs, mais seulement des hommes libres ou qui revendiquent ce statut.

On a donc ici avec le writ de naifty et le writ de libertate probanda, l’exemple d’un conflit de writs. La

procédure de Common law était donc aussi faite de writ et de contre-writs. La pratique va encore engendrer d’autres writs, notamment dans le domaine contractuel.

2. Writs in consimili casu : l’exemple de la responsabilité contractuelle Dans les sources des XIIe et XIIe siècles : le Tractatus attribué à Glanville ou le de Legibus de Bracton, on

trouve (surtout chez Bracton) : les noms des contrats « nommés » du droit romain. En revanche, parmi les writs, il n’y a aucune action qui ressemble aux actions du droit romain. Même parmi

les dernières collections de writs de 1687 (Registrum brevium). Il n’y a rien qui rappelle les actions romaines nées de la vente, du louage, du mandat, de la société, du prêt, du dépôt …

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a. Les action personnelles d’origine Parmi les writs, on trouve seulement, selon les faits de la cause, certaines actions personnelles. C’est le Banc

commun qui en a le monopole. Ce sont :

- Le writ of debt, nous l’avons vu dès le début du chapitre à titre d’exemple. En voici un autre exemple, pour rafraîchir la mémoire : « Le roi au shérif de N., Salut. Ordonne à A. qu’il rende à B. justement et sans délai les 1000 shilings qu’il lui doit et qu’il retient injustement, selon ce qu’il dit. Et s’il ne le fait pas … » (semonce). Le writ of debt concerne une somme d’argent due à un créancier. Il s’agissait d’argent liquide mais pas d’argent dû pour compenser un préjudice (damage).

- Le writ of detinue (restitution de res prestita) ou detinue for bonds (‘obligations’). Il s’agit de

rendre une chose injustement détenue : « Le roi au Shérif de N. salut. Ordonne à A. qu’il rende à B. justement et sans délai une boite avec trois obligations écrites marquées du sceau du dit B. contenues dans la même boite, qu’il détient injustement, selon ce qu’il dit. Et s’il ne le fait pas … ». L’idée est d’obliger le défendeur à rendre à rendre un bien meuble qu’il refuse injustement de rendre. [Cependant, si cela n’aboutit pas, le défendeur a toujours la possibilité de payer des dommages (damages) plutôt que de rendre la chose. Ainsi l’action n’est pas une action pour une chose spécifique, mais une action pour dommages (damages)].

- Le writ of account (de compoto : compte ?) : Il était possible de faire comparaître

l’administrateur qui était par exemple au service d’un seigneur (bailli d’un manoir). Dans ce cas, on lui demandait de rendre compte des sommes d’argent reçues dans l’exercice de ses fonctions. Si on faisait cela, c’est que l’on avait de gros doutes – voire plus – sur l’honnêteté de son administrateur. Il pouvait aussi s’agir d’un partenaire commercial. On peut donc lire cette réclamation dans le writ of account suivant : « Le roi au Shérif, salut. Ordonne à A. qu’il rende à B. justement et sans délai, son compte raisonnable (reasonable account) pour la période à laquelle il était receveur de l’argent du dit B. Et s’il ne le fait pas … ».

- Le writ of covenant (‘pacte’ ; XIIIe, suppose acte écrit scellé). Ce writ montre l’importance

particulière attachée au sceau par la Common Law. Ce writ est utilisé pour manquement à l’égard d’une obligation transcrite sous acte scellé. Le domaine est plus étendu que celui du writ pour dette, car il ne concerne pas des sommes d’argent. Il concerne toute obligation. La condition sine qua non était cependant qu’il fallait un acte scellé. Mais attention, ce writ ne concerne pas les dettes, même les dettes qui ont fait l’objet d’un écrit scellé. Pour les dettes on utilise le writ of debt. Voici un exemple de writ of covenant : « Le roi au shérif de L., salut. Ordonne à B. qu’il respecte vis-à-vis de A. justement et sans délai le pacte fait entre eux pour reconstruire un certain grenier à N. aux dépens du dit B. Et s’il ne le fait pas … »

En dehors de cela, aucun autre writ ne peut théoriquement être obtenu en la matière, à cause des Provisions

d’Oxford (1258). Or, au XIVe siècle, des affaires nouvelles qui ne rentrent pas dans les ‘cases’ prévues jusqu’ici arrivent devant la justice. Les parties et leurs avocats veulent qu’elles soient entendues par les juges royaux. Exemples (ils concernent presque tous des chevaux) :

- Dans une affaire datant de 1348, le propriétaire d’un cheval se plaint de ce que lorsqu’il a pris le

bac pour traverser la rivière Humber, ce bac a sombré parce qu’il avait été trop chargé par le passeur. Le propriétaire a perdu son cheval qui s’est noyé. Il engage une action contre le passeur.

- Autre affaire datant de 1369 : un propriétaire agit contre un vétérinaire négligeant qui a laissé mourir son cheval.

- Affaire de 1372 : un propriétaire de cheval se plait du travail d’un maréchal-ferrant qui a estropié sa bête en la ferrant.

- Dernier exemple : affaire de 1374 dans laquelle un client se plaint qu’un chirurgien lui a endommagé la main lors d’une opération.

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Dans ces cas précis, il n’est pas question d’utiliser les writs de debt, ni detinue, ni account, ni covenant. On a

donc appliqué le système du cas similaire in consimili casu, admis – nous l’avons vu – en 1285 par le second Statut de Westminster. Le modèle fut pris sur le writ de trespass / latin transgressio (français « outrepasser » (atteinte, violation), au sens concret et au sens abstrait). Voyons quelle était cette action.

b. L’action de trespass

L’action de trespass est apparue sous Jean sans Terre (1199-1216). Elle était répandue sous le règne d’Henri

III (1216-1272). De cette action est sorti le droit anglais des contrats non scellé (verbaux ou écrits sans sceau), mais aussi une bonne partie du droit du délit civil (tort) et du délit pénal (misdemeanour, « mauvaise conduite »).

Le writ de trespass est donc le lien entre les writs les plus anciens et les derniers writs qui sont

historiquement la source d’une grande partie du droit des contrats et des torts. D’après Maitland, ce writ a sa source dans la vieille demande pour felony (crime).

L’idée est que trespass constitue une atteinte à la paix du roi, par un acte concrètement répréhensible. Mais

ici, le writ of tresspass ordonne au shérif de sommer sur le champ le défendeur d’expliquer (à la cour) pourquoi in a commis tel acte. Il ne donne pas la possibilité au défendeur de rétablir d’abord la situation (il n’y a pas les deux temps : ordre et semonce).

Tous les writs de trespass contiennent les mots « par la force et les armes et contre la paix du roi » (vi et

armis et contra pacem domini regis). Cet acte répréhensible pouvait avoir été dirigé contre la personne même du demandeur (vi et armis) ou contre ses biens (de bonis asportatis) ou contre sa terre (quare clausum fregit). Mais dans tous les cas, l’acte devait être direct. On ne prenait pas en compte avec trespass, les dommages causés indirectement. Trespass ne protégeait pas la réputation (incorporel). En principe Trespass était plaidé au Banc du roi (aspect criminel).

Dans l’exemple de ce qui pour nous apparaît comme un contrat entre le propriétaire d’un cheval et le

maréchal-ferrant, la responsabilité de ce dernier ne pouvait être engagée selon les writs classiques. Et puisque la création de nouveau writs était devenue particulièrement difficile à cause des Provisions d’Oxford de 1258, on a donc cherché un cas similaire dans les writs existants (consimili casu).

c. Trespass on the case

On a utilisé trespass en estimant qu’il y avait un acte répréhensible à l’égard des biens du propriétaire. Le

writ a alors été étendu « on the case », c’est-à-dire à l’affaire en question. Cela aboutit à ce que l’on appelle un writ de trespass on the case.

Cela donne par exemple le writ de Trespass on the case contre un maréchal-ferrant : « Le roi au shérif de L.,

salut. Si J. vous donne les sûretés pour poursuivre sa plainte, […] pour montrer pourquoi alors que le dit J. a donné un certain cheval à R. à N. (lieu = ‘tel endroit’), et suffisamment pour le ferrer : le dit R. a mis un clou dans le vif du pied du dit cheval, de telle manière que le cheval a été de toutes manières estropié (diminué) ; pour le dommage du dit J. 1000 shillings, comme il le demande. Et que l’on indique le nom des garants et ce writ, Témoins etc… »

Le fait d’utiliser consimili casu pour les writs on the case permit d’étendre encore le nombre des writs.

Néanmoins il faut dire qu’il s’agissait en fait d’extensions fondées sur les writs originaux. De nouveaux droits furent donc protégés par de nouvelles actions.

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Un autre exemple. Trespass ne protégeait pas des actions causées indirectement. Mais avec Trespass on the case on pouvait le faire. Ex. : si quelqu’un avait laissé tombé une bûche sur la route et que cela fait trébucher un cheval.

En plus de cela, trois formes d’actions importantes sont apparues avec trespass on the case : ejectment, trover

et assumpsit. Prenons un seul exemple : Ejectment L’action d’ejectment est à l’origine l’action d’un locataire qui veut récupérer la terre donnée à bail et de

laquelle il a été chassée injustement. Il y avait trespass (atteinte). Puis, cette action a été étendue à la propriété libre par une fiction invraisemblable. Les propriétaires y ont eu

accès lorsqu’un tiers les privaient de leur bien. Les propriétaires ou leurs avocats ont voulu éviter l’encombrement des actions réelles (Banc commun, car civil) en utilisant cette autre action : ejectment (Banc du roi, car trespass = délit).

Le propriétaire prétendu devait alléguer l’existence d’un bail de sa terre à un locataire fictif que l’on appelait toujours avec la pratique John Doe (‘biche’). John Doe (le locataire) alléguait à son tour qu’il avait été lui-même chassé (éjecté) par un deuxième personnage fictif Richard Roe (‘chevreuil’) (ou William Styles) : c’est fictivement le locataire de celui qui détenait la terre (le défendeur).

L’avocat du demandeur écrivait une lettre au défendeur en se faisant passer pour le locataire de ce dernier (celui qui détenait la terre : son bailleur). Par cette lettre, il lui demandait de se défendre et il signait « your loving friend Richard Roe ». C’est donc un problème fictif de bail qui sert par extension à résoudre un litige entre propriétaires.

L’action qui avait la forme de ‘l’action d’un locataire expulsé’, permettait donc par action on the case (sur le modèle de trespass), à un propriétaire de revendiquer la terre dont il avait été dépossédé. Pour cela on mettait en jeu deux locataires fictifs.

Cette action a supplanté les actions réelles et est devenu la formule universelle pour récupérer une terre. Cette action disparut avec le Common Law Procedure Act de 1852. L’action actuelle ‘possession action’ accessible à toute personne qui prétend être propriétaire, date de 1875.

Il y a encore bien d’autres exemples de ce type en droit des contrats, mais il n’est pas possible de tous les

étudier. On aura vu cependant dans quel esprit ce droit s’est développé.

Conclusion : La fin des writs On a vu la « clôture des writs », avec l’interdiction posée par le Parlement en 1258 (Provisions d’Oxford). Législation du XIXe siècle : Le XIXe siècle est considéré en Angleterre comme le siècle des grandes

réformes juridiques. Et parmi les réformes les plus importantes, signalons celle du système des writs. La plupart des formes d’actions ont été abolies en 1832 et 1833. 1833 : abolition de presque toutes les actions

réelles. A partir de là, les actions ont débuté par une seule forme de writ. On insérait sur le writ, dans l’espace prévu à cet effet la mention de la ‘nature de l’action’.

Après 1852, il ne devint plus nécessaire d’établir ‘la forme de l’action’ dans le writ uniforme (writ of summon). On était plus obligé de déterminer le choix du writ. Désormais, plusieurs actions pouvaient même être rassemblées dans le même writ (Common Law Procedure Act de 1852). Cependant, le plaideur devait tout de même après cette date observer les règles des précédent en matière de plaidoirie.

Fin des writs, les Judicature Acts 1873-1875 : abolition finale des formes d’action. En 1875, la forme (le

formulaire) du writ originel fut encore changée. La substance de la demande est signalée au dos mais plus dans des termes techniques.

En 1980, la formule du writ immemorial fut finalement abandonnée. Le dernier writ délivré au nom de la reine, l’a été le 2 juin 1980. On a ensuite gardé le nom de writ pour désigner ce qui était désormais une simple

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‘notice pour comparaître’ (notice to appear). Cela dura encore 20 ans. Cela est aujourd’hui remplacé par un ‘formulaire de plainte’ (claim form).

Maitland (auteur du début XXe siècle) a écrit « les formes d’actions ont été enterrées, mais de leurs tombes,

elles gouvernent encore ». Le changement qui a eu lieu à partir de 1832 a été un changement de la procédure. Cela n’a pas changé le

droit qui avait été créé par l’usage de ces formes d’action (substantive law). La structure complexe a été enlevé (en fait il y a toujours bien sûr de la procédure, mais plus simple) : il reste le substantive law.

Pour aller plus loin : Henri LEVY-HULLMANN , Le système juridique de l’Angleterre, Paris, 1928 (1999). H. G. BAKER, An Introduction to English Legal History, London, 2002. R. C. VAN CAENEGEM, The Birth of The English Common Law, Cambridge, 1973 (1988). R. C. VAN CAENEGEM, Royal Writs in England from the Conquest to Glanvill, Selden Society vol. 77, 1959.

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CHAPITRE IV

LE PROBLEME DES SOURCES L’ECRITURE D’UN DROIT NON ECRIT

Les sources sont mises par écrit. On peut distinguer les écrits officiels – loi et records – (I) des écrits

officieux – reports et les ‘livres faisant autorité’ (books of authority) – (II).

I. LES ECRITS OFFICIELS La loi (A) et les jugements enregistrés officiellement, que l’on appelle les records (B).

A. La loi Elle émane du roi assisté d’un conseil qu’il domine dans un premier temps, puis d’un conseil élargit qui va

devenir le Parlement. On peut donc distinguer les premières lois (1) du Statute law émanant du Parlement (2).

1. Les premières lois Les légistes qui conseillent Guillaume le Conquérant et ses successeurs sont des hommes d’Eglise. Ils sont –

nous l’avons vu – formés au droit romain et au droit canonique. Nous avons vu aussi que malgré cela, le droit écrit n’avait pas pu s’imposer et que la Common Law avait pris le dessus.

Même si les lois anglo-saxonnes étaient respectées par les nouveaux arrivants normands et que ceux-ci apportèrent leur droit, il fallu tout de même que le roi légifère dans certains domaine (pour des problèmes nouveaux ou pour lesquels ils voulait intervenir).

Ce fut donc dans un premier temps (avant la création du Parlement) le rôle du roi et de sa cour (Curia Regis). Le roi, les grands (devoir de conseil) et les légistes légifèrent au nom du roi. Voyons trois règnes particuliers avant l’apparition du Parlement.

a. Guillaume le Conquérant (1066-1087)

Il organisa la séparation des juridictions laïques et ecclésiastiques. Les ecclésiastiques n’étaient donc plus

jugés par des cours laïques, mais par leurs propres cours d’Eglise (conséquence de la Réforme Grégorienne). Le roi se réservait néanmoins un contrôle important sur l’Eglise.

Parmi ses autres lois, il fixa la procédure criminelle dans les procès entre personnes d’origines différentes. Il

réglementa : - les ventes, - la juridiction des cours de hundred et de comté, - on dit qu’il abolit la peine capitale (!). - Il confirma les textes qu’il attribuait à Edouard le Confesseur, donc des loi anglo-saxonnes.

(Quadripartitus, systématisation des lois anglo-saxonnes et autres, en latin ??).

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b. Henry II (1154-1189) A cette époque les officiers du roi et les juges royaux prennent de plus en plus d’importance. On légifère sur :

- les relations avec l’Eglise, - les pouvoirs locaux, - la répression des crimes - les tenures foncières

Cela donne des textes qui portent le nom de Constitution ou d’Assise. Exemples :

- Constitutions de Clarendon (1166) sur le jury en matière criminelle - Constitutions de Northampton (1176) - Assise de Windsor (1179) : la Grande Assise organisait les procès foncier sur le plan du droit (au

pétitoire : mettant en cause l’existence d’un droit réel immobilier) Elle prévoyait le choix entre une enquête (recognitio) suivie du verdict (veredictum) de 12 jurés chevaliers, et (ou ?) le duel judiciaire après serment.

- Assizes d’Armes (1181) : ? - Assize des Forèts (1184) : ? - Petty Assizes (dates). Elles prévoient 4 writs pour des revendications au possessoire : Nouvelle

déssaisine, Mort d’Ancestor, utrum (bien ecclésiastique ou laîque) et dernière présentation. Henry II est le roi des grandes réformes judiciaires qui permirent le développement de la Common Law.

c. Jean Sans Terre (1199-1216) Le texte le plus important a voir le jour sous le roi Jean est un texte qui a été adopté bien malgré lui. Il s’agit

bien sûr de la Grande Charte de 1215. C’est nous l’avons vu un acte important : le plus important de cette époque, en particulier au niveau de l’histoire constitutionnelle anglaise. Cette Charte a été ensuite confirmée en 1225 (beaucoup considère que c’est légalement la date de la Grande Charte). On peut désigner cette dernière version par « Stat. 9 Hen. III ».

Contenu. J’avais évoqué brièvement le contenu de la Charte dans la partie consacrée à la naissance du

Parlement. Rappelons le et précisons. Elle comprend : - Affirmation des libertés (privilèges) de l’Eglise. Les hommes d’Eglise ont pris une large part aux

négociations (Stephen Langton) et surtout à l’élaboration du document. Les revendication de l’Eglise sont donc situées en début de Charte.

- Clauses qui mettent un frein au pouvoir royal au niveau féodal (abus du roi). - Clauses relatives au commerce. - Clauses relatives au gouvernement central. - Clauses limitant l’arbitraire royal (art. 39).

On peut considérer qu’à partir de la Grande Charte le Parlement est en formation et qu’il est à l’origine d’un

certain type de législation. Il faut noter que les rois continuent de leur côté à légiférer. On a donc par exemple sous le successeur du roi Jean, Henri III (1216-1272) :

- les Provisions d’Oxford de 1258 (vérifier si cela émane du roi seul : charte entre le roi et ses barons). Elle limite la création des writs : il faut l’accord du Parlement.

- Et de l’autre côté des Statuts émanant du roi et de son Parlement, comme par exemple les Statuts de Merton (1235-1236) qui portent principalement sur du « droit privé » (cela n’est pas appelé ainsi à l’époque).

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A ses débuts, on dit que le Conseil siège « in parliamento », « en parlement » Notons que de 1216 à 1307 on compte 67 parlements (1307 : début du règne d’Edouard Ier, que nous retrouverons un peu plus tard).

2. Statute Law, Acts, (Bills)

Forme (a) et contenu (b) et enregistrement (c) de la loi.

a. Forme des textes Les Statuts n’étaient pas promulgués. On utilisait une règle de Common Law, fondée sur une décision de

1366. D’après elle, il était inutile de publier officiellement un Statut pour que la loi soit applicable. Car « aussitôt que le Parlement avait arrêté quelque chose, le droit présume que tous le connaissent, puisque

le Parlement représente le corps complet du royaume ». On prenait donc seulement des mesures administratives pour diffuser la connaissance de la nouvelle loi dans

les campagne et dans les bourgs. De plus on demandait aux parlementaires eux-mêmes d’informer les électeurs sur leur activité législative.

Par ailleurs, il faut souligner que le statute law est dominé par deux fictions : Première fiction. La session du parlement ne dure qu’un jour. D’après cette fiction, un Statut entre en vigueur

le premier jour de la session au cours de laquelle il est passé. Cette règle a duré jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Cela avait donné lieu à de sévères critiques.

Exemple, si deux textes contradictoires étaient adoptés lors de la même session, on ne savait pas lequel abrogeait l’autre. Par ailleurs, il y avait un effet rétroactif au début de la session… Le Statut avait une existence légale avant même d’avoir été conçu. En 1793 un statut supprima cette règle.

Désormais le clerk du Parlement devait faire figurer par endossement (endorsment) sur chaque Act, après son titre, les « jours, mois et année où il aura été passé et où il aura reçu la sanction royale (royal assent). De plus un tel endossement devait être considéré comme faisant partie du dit Act et étant la date de sa mise en vigueur (of its commencement) lorsque aucune autre date n’y aura été prévue ».

On donne un nom global pour tout ce qui a été voté. Ce nom a varié au cours du temps. Aux XIIe et XIIIe siècles, avant que le Parlement ne se fixe à Westminster, on légiférait dans des assemblées tenues dans diverses villes. On donnait aux statuts, le nom de la ville en question. Exemple : Statute de Merton (1235), Statuts de Marlborough (Marlbridge) (1267), de Westminster, Gloucester, Winchester.

Lorsque le Parlement s’est établi à Westminster, on a numéroté les statuts : Westminster I, II, III. Mais très vite, on a cherché d’autres moyens. On a donné les premiers mots du texte (comme le faisaient les hommes d’Eglise pour leurs textes). On a aussi donné un titre selon l’objet de statut : statut de Mainmorte, de Bigamie, de Maintenance.

Sous Edouard II (1307-1327), on a encore changé la règle en donnant l’année du règne du roi alors en place. Exemple : « 15 Richard II » = la quinzième année du règne de Richard II.

Deuxième fiction. Dans l’unique journée de session (1ère fiction), le Parlement ne vote qu’une seule fois.

D’après la seconde fiction selon laquelle le Parlement n’émettait qu’un statut par session, on rangeait donc par rubriques les diverses dispositions votées par le Parlement. Ces rubriques (capita) étaient souvent assez courtes. Elles correspondent aux sections des lois anglaises modernes.

On a donc ajouté à la mention de l’année du règne, le numéro de la rubrique ou chapitre (caput), pour préciser de quel texte il s’agit. Exemple : 15 Richard II, c. 5 : statut de la 15e année de Richard II, chapitre 5 (texte sur la mainmorte). Cette méthode s’instaure au XIVe siècle et va se maintenir. Il faut savoir qu’il y avait de nombreuses sessions dans l’année, qu’elles étaient courtes et que la mort du roi entraînait la dissolution du Parlement.

On a commencé à numéroter les session d’une même année (I, II, III). Il s’agissait du mode légal de désignation des statuts. On l’utilisait notamment en justice. On pouvait donc être déclaré non recevable si on se trompait dans sa requête en faisant une erreur de chiffre.

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Il y eut ensuite une réforme. On a pas abrogé les anciens procédés, on les a amendé. C’est ce que certains auteurs appellent l’ « individualisation » des actes du Parlement » (LU).

Certains chapitres sont en quelque sorte devenus indépendants dans la loi édictée au cours d’une même

session. On a arrêté d’envisager le statut dans son ensemble, pour isoler les Acts en particulier. Les Acts ainsi individualisés sont devenus « statuts ». Exemple : en 1535, Henry VIII réglemente les Uses (ancêtre du Trust) dans un Act qui devient Statute of Uses, même s’il ne s’agissait que d’un seul chapitre du Statut de la 27e année du règne d’Henry VIII (c’est un act qu’on appelle statut).

Par la suite, au XVIIIe siècle, certains acts reçoivent un intitulé spécial au sein d’une même loi. Chaque acte

est ainsi non seulement considéré à part, mais en plus il a désormais une date de naissance qui lui est propre. On distingue donc désormais de plus en plus les différents acts contenus dans un Statut.

Enfin, une réforme de 1896 a décidé que l’on devait donné un « titre court » (short title) à chaque acte. Cette

pratique pouvait s’étendre aux textes antérieurs les plus importants. Dans le cas de ces textes anciens, on ajoutait le nouveau titre à l’ancien (pas de remplacement !). Donc on garde l’indication de l’année du règne, la session, et les chapitres.

b. Contenu

Il n’est bien entendu pas question de dresser la liste de tous les statuts ou de tous les acts du parlement

anglais. Cependant quelques exemples serviront à montrer les domaines dans lesquels le Parlement intervient ainsi que la portée de ces interventions.

On peut considérer qu’il existe trois principales périodes dans l’histoire de la législation parlementaire. Celle qui va de la période d’après la Grande Charte à Edouard Ier (inclus), la période de la dynastie des Tudor (fin XVe début XVIIe) et enfin le XVIIe siècle.

α. L’époque d’Edouard Ier (1272-1307)

Edouard Ier a été surnommé le « Justinien anglais ». L’empereur Justinien (527-565) voulait restaurer la

grandeur de Rome notamment intellectuellement, en élevant un monument au droit. Le résultat fut la publication de ces oeuvres majeures que sont le Code et le Digeste.

La comparaison doit cependant être considérée avec précautions car si Edouard Ier est à l’origine d’une législation abondante et de qualité, le roi n’est bien sûr pas un compilateur (comme Justinien). Cette pratique est complètement étrangère au droit anglais.

Si Edouard Ier a fait des réformes dans le domaine du droit public, c’est surtout dans ce que nous appelons

aujourd’hui la droit privé qu’il a agi par la loi (parlementaire). C’est la cas en particulier dans le domaine de la propriété ou des contrats. Les statuts d’Edouard Ier devaient donc être connus des juristes spécialisés dans ces problèmes de la vie quotidienne.

Statuts les plus célèbres :

- Westminster I (1275) et II (1285). Le deuxième prévoit – nous l’avons vu – les brevia in consimili casu (writs étendus à un cas similaire).

- Le Statut de Gloucester (1268) fixe les rapports des propriétaires fonciers et de leurs preneurs à terme, les règles de la légitime défense et la compétence des cours locales. …

- Statut de Winchester (1286) sur la police du royaume. … - Deux Acts confirment ou étendent les dispositions de la Grande Charte (1297). - Statut du Pays de Galles (1284). Il introduit au Pays de Galles les règles applicables en

Angleterre.

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β. Sous la dynastie des Tudor (1485-1604)

Deux souverains ont été particulièrement importants en ce XVIe siècle. Il s’agit du roi Henri VIII (1509-1547) et de la reine Elizabeth (I) (1558-1603). Ils ont tous deux connu deux longs règnes.

En voici quelques exemple :

- Act qui réunit la Pays de Galles à la couronne (1536). - Création ou développement de juridictions spéciales : Admiralty, Bankrupcy et Star Chamber.

Mais l’activité principale de ces deux souverains en matière législative s’exerça au sujet de la « religion », du

« commerce, de l’industrie et de l’agriculture » et du « droit criminel ». Quelques mots sur chacun de ces domaines :

Religion. L’Angleterre connaît la Réforme de l’Eglise sous les Tudor. Elle rompt avec Rome. Cette rupture

est sanctionnée par une série d’Acts. On aboutire ainsi au statut moderne de « l’Eglise d’Angleterre » (Church of England).

Les Acts d’Henri VIII (1532 et 1534) et d’Elizabeth (1558 et 1562) dans ce domaine sont appelé acts of supremacy. Ils établissent en effet la suprématie de la Couronne en matière ecclésiastique. D’autres Acts suivrons sous leurs deux règnes, qui règleront les choses plus en détail : nomination d’ecclésiastiques, mariage des prêtres, fixation de la liturgie …

Commerce, Industrie et Agriculture. L’Angleterre du XVIe siècle se transforme profondément dans ces

domaines. Désormais, le commerce n’est plus focalisé en mer méditerranée mais de manière beaucoup plus large dans l’Atlantique voire bien plus loin. L’Angleterre va passer au premier plan en matière de commerce (grande puissance maritime). Le pays va être transformé par le mercantilisme : l’Etat se donne les moyens de se procurer les richesses premières. Les Tudor vont tenter de diriger cette évolution par un certain interventionnisme : lutte contre la spéculation sur les marchandises et les denrées de première nécessité…

Droit criminel. Ce domaine a été moins influencé que les deux autres. On ajoute de nouvelles règles et de

nouvelles variétés dans les catégories de felony (crime grave) et de treason (trahison ?). L’action de trespass engendre désormais une action civile alors qu’elle avait auparavant un caractère mixte (quasi-criminel). Cependant, la vraie réforme en matière criminelle n’aura lieu qu’au XIXe siècle.

γ. Le XVII e siècle

Citons parmi un ensemble d’acts (Petition of Right (1627), de l’Act supprimant la Star Chamber et autres

juridictions d’exception et de l’Act of Settlement de 1700), l’Habeas corpus act de 1679 et le Bill of rights de 1689.

- L’Act d’Abeas Corpus (1679) Writ d’origine médiévale et acte du Parlement voté en 1679 (afin de faciliter la mise en oeuvre du writ).

Aujourd’hui, l’habeas corpus renvoie tout à la fois à une procédure judiciaire bien précise et à un symbole des garanties offertes par le droit anglo-américain aux libertés individuelles.

Le writ (dit « de prérogative ») a pour but de limiter aussi strictement qu’il se peut les possibilités de

détention d’un sujet (ou citoyen ). Son objet n’est en aucune façon de déterminer l’innocence ou la culpabilité du détenu, mais uniquement de vérifier la légalité de la détention en exigeant qu'elle soit justifiée par des motifs recevables en droit, à défaut de quoi la personne emprisonnée devra être élargie.

Le writ d’habeas corpus

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Il fait partie des prerogative writs. Ceux-ci résultent de la volonté de la Couronne, au Moyen Âge, de contrôler l’exercice de la justice et de remédier aux erreurs et aux abus commis en la matière.

Jusqu’au XVIIe s., ces writs sont mis en oeuvre par les cours royales (Banc du roi, Plaids communs,

Échiquier, Chancellerie) ou, directement, par le Conseil privé du roi. On peut mentionner les brefs suivants :

- certiorari (demande de communication des archives d’un tribunal pour vérifier la légalité d’une décision) ;

- prohibition (interdiction signifiée à un tribunal de continuer l’examen d'une affaire au motif d’incompétence) ;

- mandamus (ordre donné à un tribunal de se saisir d’un cas ou de rendre une décision précise) ; - quo warranto (information ouverte contre une personne ou une collectivité soupçonnées d’avoir

usurpé un droit ou une fonction appartenant à la Couronne) ; - de homine replegiando (ordre donné à un shérif de libérer (d’élargir) un détenu ou de le remettre

à la garde d’une personne nommée dans le bref) ; - mainprize (remise d’un détenu à la garde d’une personne qui s’en portera garante) ; - de otio et atia (libération (élargissement) d’un détenu sur la supposition que son incarcération a

été motivée par la haine ou la malveillance).

Les trois derniers brefs mentionnés ont pour objet spécifique la protection de la liberté des sujets. Pour des raisons diverses, leur mise en oeuvre se révèle complexe et peu efficace. C’est pourquoi le bref d’habeas corpus les supplante progressivement.

Son existence est attestée sous Edouard Ier (1272-1307). Il assume trois formes principales :

- habeas corpus ad respondendum : pour s’assurer de la comparution d'une personne en justice, - habeas corpus ad subjiciendum et recipiendum : pour forcer un shérif à produire devant une cour

une personne détenue pour un motif criminel. Cela amène un juge (appliquant la common law) à se prononcer sur le caractère légal ou non de la détention d’une personne et, le cas échéant, à ordonner sa libération.

- habeas corpus ad faciendum et recipiendum : dans une action civile, pour qu’une personne soit jugée par un tribunal supérieur.

Au XVe siècle, le writ d’habeas corpus est utilisé par les tribunaux de common law (Banc du roi, Plaids

communs). Ces cours estiment que les personnes qui sont de leur ressort peuvent en bénéficier. Le writ en vient de plus en plus fréquemment à viser des personnes incarcérées sur l’ordre direct du chancelier. Il a alors la forme de l’habeas corpus ad subjiciendum et recipiendum.

La formule débute le writ s’adresse au geôlier et non au prisonnier. Il s’agit d’un ordre de produire le

prisonnier devant la Cour : « Aie le corps [la personne du prisonnier], [avec toi, en te présentant devant la Cour] afin que son cas soit examiné ». Le writ d’habeas corpus ad subjiciendum et recipiendum était destiné à enjoindre celui qui détient une personne de la produire devant la Cour du banc du roi (Court of the King Bench) afin d’expliquer les motifs de la détention. Il renforce la liberté individuelle.

Au XVI e siècle un conflit de compétences va s’aggraver. Il oppose les tribunaux de common law à

l’ensemble des juridictions placées sous l’autorité du souverain (comme la Chancellerie, Chambre étoilée, Échiquier, Haute Commission, Cour des Requêtes, Amirauté) ainsi qu’au Conseil du roi.

Petit à petit, le writ d’habeas corpus acquiert alors une portée qui va bien au-delà de la simple procédure. Il

apparaît aux yeux des common lawyers comme l’expression même des principes de justice égale et régulière formulés dans la Grande Charte.

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Certaines garanties individuelles, nous l’avons vu, avaient en effet déjà été obtenues par la Grande Charte de 1215. On peut considérer que l’art. 39 de la Charte est l’ancêtre direct de l’habeas corpus et le fondement des libertés individuelles. (« Nul homme libre ne sera pris ou emprisonné ou dessaisi [de ses terres], ou mis hors-la-loi, ou exilé ou ruiné de quelque façon que ce soit, et nous ne marcherons pas sur lui ni n’enverrons [nos gens] contre lui, si ce n’est par le jugement de ses pairs ou selon la loi du pays »)

Les circonstances particulières du XVIIe siècle (opposition du roi et de son Parlement notamment) placent le

writ d’habeas corpus au cœur de controverses qui relèvent de l’interprétation constitutionnelle. A cette époque il y a une opposition entre la prérogative royale et les droits et les libertés des sujets tels que

les entendent les common lawyers et leurs alliés du Parlement. Le writ d’habeas corpus se charge donc d’une valeur proprement symbolique et devient une arme de nature idéologique.

La place qu’occupe l’habeas corpus dans les débats de la période des Stuart (dynastie qui règne à partir de

1603 et jusqu’à 1714) tient aussi au fait que le droit anglais, en matière de libertés publiques, comporte encore de nombreuses incertitudes. La preuve en est fournie lors du procès Darnel de 1627.

Le procès Darnel de 1627

Darnel et quatre autres sujets sont arrêtés per speciale mandatum regis pour avoir refusé de souscrire à un

emprunt forcé. Le roi Charles Ier contourne en effet l’obligation traditionnelle du consentement à l’impôt (les impôts doivent être approuvés par le Parlement) en recourant à un emprunt forcé.

En application du writ d’habeas corpus, ils sont traduits devant le Banc du roi et demandent à être libérés. En

effet, sur un writ d’habeas corpus, le Banc du roi se saisit de l’affaire (l’affaire Darnel, The Darnel case, ou affaire des cinq chevaliers, The Five Knights Case).

La décision rendue met en relief les ambiguïtés de la situation juridique en débat :

- les prisonniers devront rester en détention en attendant leur procès ; - le roi possède le pouvoir de faire emprisonner qui il veut et, dans un tel cas, la cour ne peut

ordonner la libération (l’élargissement) sous caution ; - la cour peut se prononcer sur les raisons fournies pour justifier la mise en arrestation mais, si

aucun motif n’est apporté, elle ne peut contester la légalité de la procédure appliquée ; - la cour conserve, cependant, la possibilité d’engager des consultations avec le monarque sur de

telles affaires.

Deux logiques s’entremêlent dans ce discours (autorité royale contre libertés individuelles). Ces deux logiques se confrontent. Cela resurgit l’année suivante au fil des débats relatifs à la Pétition du Droit.

Le Parlement réagit en présentant au roi la Pétition des droits (Petition of Rights) qu’il accepte après

beaucoup d’hésitation, le 26 juin 1628. Sous la forme respectueuse d’une supplique au roi : - Le Parlement rappelle la règle du consentement à l’impôt, - il se plaint de violations récentes de des principes de la Magna Carta dont il cite l’article 39 (voir

ci-dessus). Il demande au roi d’y mettre fin. Pour les parlementaires, le monarque ne peut emprisonner ses sujets sans motifs ni sans respecter les formes

d’un procès. Le roi Charles Ier donne sa sanction à la Pétition, qui devient un des documents majeurs de la tradition

constitutionnelle anglaise. Mais le Parlement est dissous l’année suivante et n’est plus réuni pendant onze ans. Puis la guerre civile tout comme la dictature de Cromwell seront peu propices aux respect des droits.

La question revient en force après la restauration des Stuart en 1660, avec une opposition de plus en plus vive entre le parlement et la Couronne.

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Les élections au Parlement de mars 1679 ont donné une nette victoire à l’opposition (royale ?), et Shaftesbury et ses amis dominent le nouveau gouvernement. Le premier bill d’Exclusion est présenté alors et approuvé par une confortable majorité de voix. Charles II met un terme provisoire à cette entreprise en suspendant le Parlement au mois de mai.

C’est le dernier jour de la session, le 27 mai 1679, que Shaftesbury réussit à faire voter (à une très faible

majorité, que certains attribueront à un décompte fautif des voix) l’Acte d’Habeas Corpus, auquel on donne aussi parfois le nom de Shaftesbury Act.

Contenu de l’Act d’habeas corpus

Le texte fait de l’habeas corpus ad subjiciendum la forme prédominante du writ. Il va aussi en corriger

certains défauts pratiques mentionnés. La protection de la liberté du sujet se fonde sur la double assurance d’un examen rapide de la légalité des motifs de tout emprisonnement criminel et d’un procès également rapide pour les prisonniers en attente d’être jugés. On peut en résumer la teneur de la manière suivante :

Par l’act d’Habeas corpus de 1679, on décide que :

• Un juge de n’importe quelle cour supérieure (Banc du roi, Plaids communs, Chancellerie, Échiquier), sur présentation d’une copie du mandat d’arrêt ou sur l’affirmation sous serment que cette copie a été refusée, doit immédiatement délivrer une ordonnance d’habeas corpus.

• L’officier de la Couronne qui détient la personne citée par l’ordonnance doit se présenter avec la dite personne dans les trois jours devant le juge qui l’a signée.

• En l’absence de délit ou lorsque les charges sont manifestement insuffisantes, le juge fait libérer la personne. Sinon, sauf en cas de trahison ou pour les crimes les plus graves (felonies), le juge fixe une caution. La personne libérée sous caution ne peut être à nouveau incarcérée pour les mêmes motifs sans l’accord de la cour à laquelle appartient le juge qui a ordonné la caution. La caution doit être raisonnable.

• Les personnes détenues pour trahison ou felony et non libérables peuvent exiger d’être jugées dès la prochaine session de la Cour du Banc du roi (= rapidement)

• Le lieu de détention d’une personne ne peut être changé que pour quelques motifs prévus par la loi. Elle ne peut en aucun cas être transférée outre-mer ni en Écosse, hors du ressort des tribunaux anglais.

Le juge qui ne remet pas un writ d’habeas corpus ou l’officier qui a la garde d’une personne et n’y obéirait pas sont passibles de fortes amendes, voire de destitution.

Selon l’opinion exprimée par William Blackstone dans ses Commentaries on the Laws of England, l’adoption

de l’acte d’Habeas Corpus constitua une « seconde Magna Carta », aussi « bénéfique et effective » que celle de 1215.

Aux Etats-Unis. Plus tard, la Constitution des États-Unis manifesta clairement la volonté des Pères

Fondateurs d’assumer hautement cette part de l’héritage juridique anglais. Aux États-Unis, l’habeas corpus a valeur constitutionnelle. La constitution dispose que « le privilège du bref d’habeas corpus ne sera pas suspendu, excepté lorsque, dans les cas de rébellion ou d’invasion, la sûreté publique l’exigera » (art. 1, § 9).

L’application du « privilège » de l’habeas corpus n’a été suspendue, aux États-Unis, que par le Président Lincoln, au début de la Guerre de Sécession (1861).

En Angleterre. L’application du « privilège » de l’habeas corpus n’a été suspendue en Angleterre que lors des

rébellions jacobites du XVIIIe s. (1715, 1722, 1745), puis, à nouveau, au moment des troubles liés à la Révolution française (1794). Jugée sur le critère des libertés individuelles, la réalité du droit anglo-saxon d’aujourd'hui démontre la vivacité de certains des principes proclamés dans la Grande Charte.

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En 1816, par l’adoption d’un acte « tendant à assurer plus efficacement la liberté du sujet », le Parlement britannique étend les dispositions de l’Acte d’Habeas Corpus à la détention pour motifs de nature civile. De nos jours, la mise en oeuvre du bref est régie par l’Acte d'Administration de la Justice de 1960.

- Le Bill of Rights (1689) Dans une Angleterre à majorité protestante, Jacques II monte sur le trône en 1685. C’est un roi catholique qui

ne s’en cache pas. Après avoir écrasé certains de ses opposants (l’Ecosse et le fils naturel de Charles II, son prédécesseur) et avoir obtenu de son parlement des sommes très importantes, le roi Jacques II – fort de ces succès – décida de régner en maître incontesté. Il nomma des catholiques aux postes clés de l’Etat. Le Parlement qui protesta fut donc dissout. Tout ceci choqua l’opinion.

En juin 1688, le roi devint père (sur le tard ) d’un garçon. Les Protestants eurent peur que la dynastie catholique de Jacques ne se perpétue. La résistance s’organisa. Elle fut épaulée par la Hollande. Les Whigs contractèrent une alliance secrète avec les Tories pour que les Hollandais menés par Guillaume d’Orange débarque en Angleterre pour renverser le roi. Jacques II prit peur et essaya d’assouplir sa politique, mais il était trop tard.

Le 5 novembre 1688, Guillaume d’Orange débarque en Angleterre avec ses troupes de Hollandais et ses exilés anglais (opposants protestants) et écossais. Les Anglais n’eurent pas peur de ce débarquement. Pour eux, ce prince hollandais venait tout simplement défendre la religion protestante.

Les villes se rallièrent sans résistance aux nouveaux venus. Jacques II écœuré se réfugia en France. Le 18 décembre 1688, Guillaume d’Orange entra dans Londres. Il y fut invité par des représentants des Whigs et des Tories à convoquer un Parlement en convention.

Le Parlement va constater la vacance du pouvoir et une Déclaration des Droit va être votée. Ce Parlement s’est réuni le 22 janvier 1689. Dans ce parlement on trouve une majorité de Whigs à la

chambre des Communes (2/3) et une majorité de Tories à la Chambre des Lords. La Chambre des Communes vota que : - Jacques II avait tenté de violer la Constitution en rompant le contrat originel entre le roi et son peuple. Il

avait donc abdiqué. - Elle vota aussi qu’il était « incompatible avec la sécurité et le bien-être de ce royaume protestant d’être

gouverné par un prince catholique ». Si les Lords votèrent cette dernière proposition, ils n’étaient cependant pas d’accord avec la première. Le

contrat avec le peuple suggérait une monarchie élective et non héréditaire, ce qu’ils ne pouvaient accepter. Finalement les Lords acceptèrent de considéré que le roi avait abdiqué en laissant son trône vacant.

Le 6 février 1689, Guillaume III et Marie II (fille de Jacques II exilé) sont donc déclarés conjointement roi et

reine par le Parlement.

Contenu de la Déclaration des Droits de 1689 Le Parlement avait donné le pouvoir à Guillaume et Marie sous certaines conditions. Pour monter sur le trône

les souverains ont dû signer une Déclaration des Droits. Cette déclaration est ensuite devenue une loi : Bill of Rights.

Cette déclaration : - Privait le roi du pouvoir de suspendre la législation en vigueur. - Le roi ne pouvait pas non plus entretenir une armée permanente en temps de paix. - Le Parlement devait être convoqué régulièrement. Toujours d’après cette Déclaration, les sujets du royaumes avaient un certain nombre de droits

fondamentaux : - les députés avaient droit à la liberté d’expression ;

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- droit d’être jugés par des tribunaux ordinaires et non des tribunaux d’exception ; - liberté de présenter des pétitions au roi.

On prévoyait aussi que la succession au trône devait aller aux héritiers de Guillaume et de Marie. Pour terminer signalons que d’autres Acts au XVIIe siècles concernent le droit privé et d’autres les matières

commerciales, industrielles ou agricoles.

c. Enregistrement des statuts Rolls (α) et « Statuts du Royaume » (β).

α. Les rolls L’enregistrement officiel n’a pas toujours été très rigoureux. Levy-Ullmann donne l’exemple d’un procès

pour haute trahison pendant la première guerre mondiale. La poursuite pour haute trahison était prévue dans un Statut de l’époque d’Edouard III (Treason Act) de 1351 (25 Edw. III St. V c.2). Les juges ont dû aller consulter les parchemins … !

Les textes sont enregistrés dans divers documents : Statute Rolls. C’est dans ces « Rôles de Statuts » que l’on va enregistrer systématiquement les décisions

prises par le roi et son assemblée. Quelques mots sur le rôle. Ce terme vient du latin médiéval rotulus (pluriel rotuli). C’est un diminutif de roue (rota en latin) : donc petite roue. Désigne un rouleau, un parchemin roulé. Dans le domaine administratif et juridique : un registre d’acte, une liste de choses ou de personnes (rôle d’un équipage de bateau). Autre idée, l’idée de roue apparaît dans le « rôle » de l’acteur de théâtre : le texte que l’on doit apprendre (idée de tourner, de répéter).

Cela désigne encore en France, le registre sur lequel les affaires sont inscrites dans l’ordre où elles doivent être plaidées devant un tribunal, d’où l’expression « à tour de rôle ». Ici c’est le registre dans lequel on va consigner les statuts du Parlement anglais.

C’est la Chancellerie qui est chargée d’enregistrer les Statuts. La collection que nous connaissons aujourd’hui

commence en 1278 avec le Statut de Gloucester. Elle est composée de plusieurs rouleaux (rôles) de parchemin. On pense qu’il y a cependant des lacunes. Ces manuscrits sont conservés au Public Record Office. La séries s’arrête en 1468.

Inrollments. Il s’agit d’une deuxième collection qui débute en 1483 (jusqu’à l’époque de LU au moins ). Ce

sont aussi des enregistrements de la Chancellerie. Il y avait en effet une procédure d’enregistrement. Après que les Acts aient reçu la sanction royale, après signature et certification des acts, ils étaient officiellement déposés sur parchemin par le Clerc du Parlement, dans la Chapelle des Rôles (Rolls Chapel).

Les Inrollement se sont officiellement substitués aux Statute Rolls. Ce sont donc les enregistrements des Statuts qui ont le plus de valeur. En 1849 les deux chambre du Parlement acceptèrent des originaux imprimés sur parchemin (et non plus grossoyés : en grosse écriture manuscrite) c’est une impression officielle. Elle est tardive. Les fonctionnaires de la Chancellerie ont aussi appelé cette collection Parliament Rolls, à ne pas confondre avec la collection suivante.

Rotuli Parliamentorum. Procès verbaux de tout ce qui se faisait dans le Parlement au cours d’une cession. A

la fin du XIIIe siècle cette assemblée connaissait surtout des pétitions adressées au roi. C’est ce que l’on trouvait principalement dans les rôles. Dès que l’assemblée et le roi (« le roy le voet ») étaient d’accord, la pétition devenait act (vérifier).

La collection commence en 1290 et va jusqu’en 1503 (manuscrits conservés au Public Record Office).

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Certains auteurs ne mettent pas tous ces enregistrement sur un même pied d’égalité et considèrent que ce sont les enregistrements émanant de la Chancellerie qui ont autorité, car ayant été enregistrés pour cela. Les Rotuli n’auraient donc pas cette valeur authentique.

Original Acts. Catégorie intermédiaire entre Inrollements et Rotuli. Procès verbaux enregistrés par le clerc du

Parlement au fur et à mesure des votes. On en tire ensuite les inrollments. Ces document permettent de comprendre le déroulement des séances et la procédure d’élaboration des statuts. En cas de doute pour la rédaction de l’acte final, on se replongeait dans ces Original Acts.

L’ Inrollment doit être toujours conforme à l’Original Act. Ces actes existent depuis le XVe siècle. Ils sont conservés au Parliament Office. A partir du XIXe siècle (1849) on a imprimé ces Acts (autrefois manuscrits).

β. Les Statuts du Royaume (sources à l’usage du public)

Nous avons vu que l’impression officielle des Actes avait été tardive (XIXe s.). En revanche on a imprimé

ces sources à l’usage du public peu après l’apparition de l’imprimerie (XVe). Une collection (celle de Wiliam de Marchlinie) date de 1485. Il faut dire que les impression sont désordonnées jusqu’au début du XIXe siècle. En 1800 en effet, la Reccord Commission publie les Statutes of the Realm. Mais voyons ce qui se passait avant 1800.

Avant les Statuts of the Realm (1485-1800): on a des oeuvres privées. 1485 est la date de la première collection. Cette collection commence à la première année du règne

d’Edouard III. D’autre collections furent ensuite publiées aux XV et XVIe siècles. Au XVI e siècle, les statuts imprimés en latin ou en français furent traduits en anglais. Le XVIe siècle connaît

de nombreuses éditions : en collections (at large) ou en résumés (abridgments) ou encore par sessions (sessional publications).

Jusqu’en 1600, on trouve plus de 300 éditions ou impressions de statuts, mais elle reste médiocre. Au début

du XVIIe siècle on tente de nouvelles impressions en allant revoir les manuscrits d’origine (plus rigoureux). Il s’agissait toujours d’œuvres privées dont l’organisation n’était pas toujours bonne. Même chose pour les publications du XVIIIe siècle.

Les Statuts of the Realm de 1800. Les éditions que nous venons d’évoquer n’ayant pas donné entière satisfaction, on a cherché à obtenir une

publication par l’intervention des pouvoirs publics : une édition officielle. De cette manière la question de l’authenticité serait aussi réglée. Certains voulaient même synthétiser le droit anglais en fusionnant le Statute Law et la Common Law (sous Elizabeth et Jacques Ier).

Ce n’est qu’au XIXe siècle (après 1832 ?) que d’importantes mesures furent prises en la matière. On organisa

une publication périodique officielle du Statute Law. Des commissaires ont entrepris de publier une édition complète des statuts.

Il fallait aller voir les diverses sources (manuscrites) dont certaines étaient très anciennes (les sources citées

plus haut). Neuf volumes furent publiés entre 1810 et 1825 : les « Statutes of the Realm ». La période couverte allait de 1235 (Statute of Merton) à 1713 (dernière année de la reine Anne). Le travail

était donc inachevé mais impressionnant. Il y eut des reproches sur ce travail, mais il était bien meilleur que tout ce qui avait été fait jusqu’à présent. Pour la période postérieure à 1713, il fallait utiliser les anciennes éditions du XVIIIe s.

A partir de 1801, l’imprimerie royale tire un certain nombre de copie des Statuts adoptés à partir de cette date

et elle les vend. Ce n’est donc que très tardivement qu’une édition digne de confiance existe véritablement.

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Ceci fait dire à Levy-Ullmann que « jamais, à aucun moment de son évolution juridique , l’Angleterre n’a été un ‘pays de droit écrit’ » (LU427).

B. Les écrits judiciaires, les records

Ecrits officiels en latin, émanant des cours de justice. Blackstone (XVIIIe) disait que les décisions judiciaires étaient : «conservées comme archives authentiques

(authentic records) dans les trésors des diverses cours ». Le Dictionnaire juridique du XVIe siècle appelé Les Termes de la Ley indique à l’article ‘record’ : « un écrit sur parchemin dans lequel les procès sont consignés (record : a parchment writing on which pleas are enrolled).

Il faut noter que les hautes cours (CB, KB et Exch.) sont aussi appelées « courts of record ». Car ces cours

ont le privilège de faire consigner leurs actes et leurs procédures sur parchemin. On y attache la force authentique.

Le mot Record a un sens très large. Au sens ancien du terme, en vieux français on dit : ‘soi recorder’, « se

souvenir », perpétuer la mémoire (latin recordari). Sens moderne : « enregistrement » de toute sorte (cf. les disques, records). Il en découle que le mot signifie

aussi « Procès Verbal », « minute6 d’un jugement », « dossier », « archives ». Par exemple, le Domesday book, cette grande enquête commandée par Guillaume le Conquérant en 1085 est

qualifié de « record ». Il enregistre les données de l’état du pays. Il s’agit donc au sens large des actes de l’autorité publique. On dépasse alors le cadre strictement judiciaire,

car les domaines administratifs et législatifs sont aussi concernés. Au sens restreint : il s’agit de procès verbaux de greffes appelés « Plea rolls » (rôles du procès). Ils sont

rédigés en latin. Le greffier chargé de cette tâche d’enregistrement est le recorder. Ainsi ces procès verbaux ont continuellement été enregistrés depuis Richard Cœur de Lion (jusqu’à nos jours dit LU).

1. Principales caractéristiques des ‘enregistrements des procès’ (pleas rolls)

Forme (a) et contenu (b)

a. Forme Parchemins sur lesquels on écrit recto verso. On y fait des écritures grossoyées (grosse écriture) in Court

hand. Chaque membrane de parchemin fait environ presque un mettre de long (91 cm) sur 20 à 25 cm de large. Le

nombre des membrane variait bien sur selon le nombre des affaires au cour d’une même session (term). Ex. : + de 400 membranes pour une session sous Edouard III.

Les membranes étaient mises en liasses, reliées par le haut et enroulées les unes sur les autres, formant une sorte de rouleau de plusieurs parchemins : un rôle, (roll ). En latin rotuli. En français ‘rôle’, nous l’avons vu.

Il y avait au moins deux exemplaires de ces procès verbaux : un pour le chief justice (président) de la cour en question et un pour le roi (King’s roll).

On constate qu’avec le temps, au cours de siècles, que les records sont de mieux en mieux tenus. A partir du XIII e siècle en effet, ils sont beaucoup moins désordonnés et contiennent bien moins d’erreurs. Il s’améliorent en même temps que la Common law se développe.

b. Contenu

Que contiennent exactement ces records rédigés en latin ? Ils ne contiennent pas du texte des sentences

prononcé dans son entier. La sentence anglaise n’a jamais été rédigée par le tribunal de la façon dont on 6 Original d’un acte authentique (petite écriture).

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l’entend en France (ce n’est pas la sentence in extenso). Lorsque l’on veut connaître les détails des motifs et du dispositif des décisions il faut aller consulter d’autres documents qui ne sont pas des documents officiels mais officieux. On les appelle – nous le verrons – des reports.

Dans les records – les plea rolls – on cherchait surtout à avoir une trace au greffe de la Cour, de la procédure

et de son aboutissement. Le but était d’assurer l’autorité de la chose jugée et de la perception des droit fiscaux que le procès entraînait. C’était aussi un moyen de contrôle de la royauté sur l’activité des juges.

On trouve donc les éléments suivants dans les plea rolls :

- le nom des parties - la nature de l’action (donc du writ) - l’exposé de la demande - la réponse du défendeur - les dernières conclusions des parties - les points finalement soumis à l’appréciation du jury (issues) - le verdict du jury - le jugement de la cour

On indique tous ces points de manière rapide et abrégée. Il n’y a pas de mention des procédures n’ayant en

fin de compte pas contribué au jugement. Il n’y a pas non plus de détail des plaidoiries ou des interventions du juge. Ils gardent néanmoins un intérêt juridique et historique certain.

2. Records particuliers

Exchequer records. Le Domesday Book fait partie de ces records. Il est le résultat d’une enquête sur les propriétaires de

l’Angleterre de la fin du XIe siècle. Il intéresse donc l’administration fiscale de l’Echiquier. Ces records sont surtout des comptes. Ils sont mis dans un étui de cuir d’où leur nom de pipe rolls. Ils sont

conservés depuis 1131, à l’époque du roi Henri Ier. Ces pipes rolls sont utiles pour l’étude du droit public. Reccords de fines Sur ce modèle, des transactions pouvaient avoir lieu devant les cours. Ces cours intervenaient comme des

juridictions gracieuses. Dans records ‘de fines’ (le mot fine a pris aussi un sens fiscal, amende). Ici c’est dans le sens du latin finis : fin du litige (sa « finition »).

On enregistre ici « un accord transactionnel (agreement of compromise) passé avec l’autorisation de la cour entre les parties. A l’origine, le procès est réel. Ensuite il est devenu fictif.

Par ce procès fictif (car en fait on est en matière gracieuse et non contentieuse) des terres étaient reconnues relever du droit de l’une des parties. Cela est devenu un mode d’aliénation. L’intérêt est que cet accord était consigné sur les rôles des records de la cour (authenticité ?). On transmettait ainsi un bien dans la famille en utilisant cette supercherie juridique. La transaction portait le nom de finalis concordia (accord final ?). La propriété devenait indiscutable.

Cela donnait lieu à un écrit en plusieurs exemplaires. Cet écrit était détaché d’un souche (« pied », « foot »,

« pes »). C’est la tête du parchemin, seul conservée par l’autorité. D’où l’expression de pedes finium, feet of fines. Les souches sont enliassées dans chaque comté par les officiers de la couronne. Les premiers conservés, depuis 1175, jusqu’en 1836.

On a donc dans tous ces écrits officiels l’expression d’une grande autorité des cours royales mais avec un

contenu techniquement sommaire. Autre inconvénient : la cour est maîtresse de ses records, pièces officielles faites pour les juges. Ces derniers ne les communiquent aux professionnels (avocats ?) parce qu’ils le veulent bien (cf. Levy-Ullmann, p. 197, un cas du temps d’Edouard II).

Il fallait donc un complément : ce furent les écrits officieux.

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II. LES ECRITS OFFICIEUX

Les praticiens vont se servir des reports (A) et de livres de droit faisant autorité (B).

A. Les reports Comme leur nom l’indique, ce sont des « rapports ». Ils sont tout d’abord écrits en law french, avant que

l’anglais ne le remplace. D’après Blackstone : ce sont « des narrations des différents procès (histories of the several cases) avec un

résumé des procédures qui sont conservées at large (en entier) dans les records. Mais en revanche, les arguments échangés de part et d’autre et les raisons données par la Cour à l’appui de

son jugement, sont saisis en courtes notes par des personnes présentes au débat. Et ceux-ci (les reports) servent d’index et aussi d’explication aux records que les juges ordonnent toujours d’être recherchés dans les matières importantes exigeant la précision ».

Chez Blackstone, ils ont un caractère secondaire souligné. Ils sont une sorte de complément aux records, sans

valeur officielle. En fait, c’est l’INVERSE : Les reports, comptes-rendus détaillés du procès, beaucoup plus utiles pour le

professionnel et à sa parfaite disposition. Matériellement : c’est un rapport d’audience fait par une personne privée (Maîtres des Inns ou Serjeants, pour

augmenter leurs revenus ; utilisent leurs étudiants ou de juniors de la Basoche : « reporters ». Les notes sont écrites sur des bouts de parchemins). Le report est rédigé non en latin, mais en Law French.

Ensuite les reports sont mis en livre (scriptoria, writing rooms) et recopiés, œuvre privée, vendue chez les

libraires. Une sorte de Gazette des tribunaux, ou de Sirey ou Dalloz du Moyen Age.

1. Les Year Books Premiers de ces reports : livres sur parchemin nommés Year books 1290-1536, on pourrait traduire par

Annales judiciaires. Ils ne sont pas officiels, donc il n’y a pas d’édition unique et les copies sont libres : ainsi pour les sept premières années du règne d’Edouard II (1307-1327), 17 manuscrits connus (2 à Lincoln’s inn, 4 à Cambridge, 1 à Oxford, 10 au British Museum), tous plus ou moins différents. Ils ne concernent pas les mêmes années, ou pas les mêmes sessions, ou pas les mêmes cas, ou pas la même façon de rapporter.

« Aucun manuscrit des Year Books actuellement survivant ne peut être considéré comme un travail originel.

Tous sont copiés avec des additions ou des omissions par rapport à des compilations préexistantes de même type, elles-mêmes copies d’encore plus anciennes compilations ».

Donc des copies de copies de copies, abréviations, notes ajoutées par les utilisateurs ensuite passées dans le

texte. Il y a des lapsus, doublons etc.. Tables pour retrouver. Il est intéressant de voir que depuis 1571, on considérait les Reports comme ayant été écrits à l’origine par 4

reporters appointés par la couronne, d’Eouard II (1307-1327) jusqu’à Henri VIII (1509-1547) (d’après Coke (1602) puis Blackstone (XIIIIe)).

D’après cette légende, les reports auraient donc été tenus par les ancêtres de notaires, aux frais de la couronne. Cette théorie faisait des reports une source officielle. Blackstone regrettait au XVIIIe s. que cette pratique – qui n’a jamais existé – ne se soit pas maintenue….

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Qu’ils aient été manuscrits ou imprimés, les Years Books (reports) sont des recueils judiciaires qui concernent la pratique. Ils répondent aux besoins des juristes. Ceux-ci avaient besoin d’avoir bien d’autres renseignements que la sentence sèchement décrite dans les records. Il leur fallait aussi toutes les étapes de l’instance : les échanges entre les parties, l’action du demandeur admise par la cour, celles qui avaient été repoussées.

Le choix d’une procédure était définitif et il fallait prendre ses précautions. Les lawyers avaient donc tout

intérêt à consulter les reports pour évaluer les chances d’aboutir lors de cette véritable partie d’échecs que constituait le procès. Il convenait d’essayer de tout prévoir, et donc de se plonger dans ces reports.

Tardivement, vers 1678-1680 on publie une grande édition de Years Books en 10 puis 11 vol. nommée

Reports del cases en ley, œuvre du Serjeant at Law Maynard (anecdote, grand voyageur, il avait toujours un livre de reports dans sa proche pour se distraire quand il était dans le coach). Cette collection fut utilisée durant 200 ans, jusqu’à la fin du XIXe s. Elle a même été surnommée « The Vulgate », comme l’édition de la Bible, c’est dire son importance.

Enfin les vieux Year Books sont encore cités au début du XXe siècle. Malgré tout ces reports avaient depuis

longtemps cédé le pas à des abrégés.

2. Les abrégés L’ensemble de ces Year Books a été trouvé trop volumineux. On a donc ensuite on a procédé à des résumés :

Abridgements XVIe et XVIIe, avec parfois des affaires plus anciennes, ce qui laisse supposer des reports plus anciens que les Year books (11 année d’Ed. Ier). Quelques-uns des abridgements ont été sous forme manuscrite, mais bientôt ils vont être imprimés.

Ils regroupent les affaires par matières, rubriques, en ordre alphabétiques et non plus chronologique (par

années).

- Epitome Annalium, 1490, Nicolas Statham lecteur à Lincoln’s Inn : 3.750 cas répartis en 258 titres/rubriques de manière alphabétique.

- Abridgment of the Book of Assizes : recueil de l’imprimeur Pynson v. 1510 : environ 1.000 cas en 76 rubriques ;

- La Graunde Abridgement du juge (Common Pleas) Anthony Fitzherbert, 1516, 14.039 cas en 260 rubriques, la plus importante étant Brief (writs) avec 949 cas. Plus tard, a lieu une sorte de réédition de cette œuvre par le Chief Justice de Common Pleas Robert Brooke entre 1568/70 : 20.717 cas en 404 rubriques.

Les abrégés deviennent en quelque sorte des encyclopédies juridiques. Donc, il y a encore plus de diffusion après l’invention de l’imprimerie. 1482/83 première impression des

reports de 1454-1458. Puis jusqu’en 1619, différentes éditions avec des volumes de plus en plus nombreux, mais divergents, fragmentaires, parfois inintelligibles, sottise du rapporteur ou faute du copiste.

3. Les reports signés (nominate reports)

Au XVIIe s. il se produit un changement. Désormais en effet, les plaidoiries (pleadings) sont écrites. On n’a

plus besoin de les rapporter à l’audience. Les reporters prestigieux vont signer leurs reports. Simplement reproduits ou abrégés, le report se concentre sur les issues et les motifs du jugement, on

commente les cas aboutissant à une issue of law (une question de droit), ce qu’on appelle un demurrer (un jugement qui doit « demeurer »).

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Les auteurs sont aussi des magistrats, ex. : Edward Coke, Chief justice de King’s Bench. Il publie lui-même 11 volumes de reports entre 1600 et 1615, sous le titre « Reports ». Il s’en suit des suppléments posthumes vol. 12-13 de 1656 à 1659 et un abridgement, Raymond XVIIIe). Cet auteur de reports était tellement connu que pour le citer on indiquait « Rep. » = les reports d’E. Coke. Ce travail colossal a permis selon certain auteur, « d’assurer la continuité de la Common Law ». Il est le lien entre les Year Books du Moyen Age et les reports modernes ;

4. Les reports modernes (à partir de la fin du XVIII e s.)

Les reports deviennent de mieux en mieux rédigés, sur le modèle des Reports de Burrow (Master of the

Crown office). Les reports vont être en quelque sorte « standardisés ». Ils sont désormais constitués d’un : - bref résumé du cas, - « relation » de l’affaire, - relevé exact du jugement avec ses motifs.

Ensuite on y ajoute des annotations, commentaires, des tables et index des cas rapportés ou simplement cités. Cependant cette publication apparaissait est trop tardivement après le prononcé des décisions. De plus il y

avait parfois des contradictions entre les reports. On a donc décidé que les reports seraient publiés rapidement de manière périodique. On n’attendait plus 2 ou

3 ans, mais seulement un court délai après la clôture des sessions pour obtenir les Term reports (1785-1800) pour King’s Bench puis pour les autres, Banc Commun, Echiquier ; Chancellerie, Chambre des Lords.

Des oeuvres collectives sont nées : Law Journal Reports 1823, ou Law Times (1845). Problème du prix jugé

exorbitant. Puis en 1863, on décide de faire encore baisser les prix, ce qui porte un coup fatal aux reports signés.

Enfin les professionnels firent une réunion du Bar (1863) pour la création du Council of law Reporting, et de la publication à prix modéré des Law Reports (1865) qui rapportaient les procès.

Autre catégorie d’écrits officieux : les livres faisant autorité.

B. Les Books of Authority On appelle aussi les « Livres faisant autorité » les « authoritative writings » écrits faisant autorité

(Blackstone), Books of authority, ou aussi “of Antiquity”. Blackstone parle des « Traités » (Treatises) des « venerable sages of the Law ». La liste traditionnelle a été

dressée au XVIIIe et XIXe s., Elle comporte une bonne demi-douzaine d’ouvrages, avec des variations. Nous commenterons 3 personnages dans la liste de Blackstone, à laquelle lui-même fut à sa mort ajouté. En tout nous évoquerons donc 4 personnages, parmi lesquels on peut distinguer les anciens des modernes.

1. Les auteurs anciens

Deux exemples : un du XIIe et un du XIIIe siècle.

a. Glanvill (XII e) † 1190 Il est l’auteur présumé du Traité des lois et coutumes du Royaume d’Angleterre (Tractatus de legibus et

consuetudinibus regni Angliae) composé vers 1187/1189. Nous sommes alors sous Henri II. Ce traité fut imprimé bien plus tard, au XVIe. Il est rédigé en latin et traditionnellement attribué à Ranulf de

Glanvill (nom normand). Ce personnage a été sheriff, puis juge itinérant, ambassadeur, puis Chief Justice of England d’Henry II en 1180.

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Il est mort au cours de la croisade à Saint-Jean-d’Acre (dans l’actuel Etat d’Israël), en 1190 en accompagnant Richard Cœur-de-Lion. En fait l’ouvrage fut (probablement) rédigé par son secrétaire Hubert Walter futur archevêque de Canterbury, Juge puis chancelier.

Le Préambule est construit comme les Institutes de Justinien, plan romano-canonique. Il s’agit avant tout

d’un traité de procédure devant les cours royales (Cour du roi, échiquier, justices « où ils seront »). L’œuvre est composée de 14 livres divisés en titres.

L’ouvrage contient une classification des procédures avec les writs correspondants :

- On aborde surtout la question des droits féodaux et condition des terres ; - De la relation des juridictions laïques et ecclésiastiques ; - « appels » en matière criminelle, - plaids de la couronne ; - infractions diverses. ; - mais aussi statut des personnes, dots, contrats et actes écrits, représentation.

b. Bracton (XIII e) †1268

Il est l’auteur à qui l’on attribue les « Lois et coutumes d’Angleterre » (De legibus et consuetudinibus Angliae

Libri V, vers 1256 (incomplet, imprimé en 1569). On pense aujourd’hui qu’il n’en est pas à l’origine. Henry de Bratton, petite ville dans le Devonshire, appelé Bracton. C’est un ecclésiastique, étudiant à Bologne

ou élève des Bolognais (Thomas de Marlborough, élève d’Azon à Bologne en 1205, enseigne à Exeter). Bracton a été juge d’Henry III, itinérant (1245) et d’assize (1248-1268), il juge ensuite à la Cour du roi

(1248-1257). Il tombe en disgrâce de 1259 à 1261. Il est alors recteur de deux paroisses dans le Devon. En 1264 il devient

archevêque de Barnstaple et chancelier de la cathédrale d’Exeter. Il meurt en 1268. Contenu de l’œuvre. Le traité est écrit en latin. Courte introduction. Elle est suivie d’une série de petits traités. Ils concernent les actions criminelles et

civiles menées devant la Cour du roi. Les éditions imprimées ont divisé l’œuvre en cinq livres. Une partie de l’ouvrage est consacrée aux action possessoires : Nouvelle déssaisine, Dernière présentation,

Mort d’Ancestor, Utrum. D’autres actions sont encores citées : Douaire, Entry … Même si le traité a des formes latines (langue et structure, généralités sur le droit, emprunts faits au

Glossateurs), ce traité est aussi (comme Glanvill) fondé sur les writs : donc sur la procédure. Sous la rubrique quae sit materia, (quel est le sujet de l’œuvre) la réponse « Les faits et causes qui chaque

jour surviennent et se trouvent au royaume d’Angleterre, pour savoir quelle action et quel bref conviennent selon que le plaid sera réel ou personnel et les actes ou enrôlements qu’il convient de faire semblablement, selon les demandes (proposita) et les réponses (objecta) dans l’action, la preuve, la défense, les exceptions et les répliques et semblablement ». C’est de la procédure.

On a retrouvé un manuscrit (Note-book) ayant servi à constituer l’ouvrage. Il contient des notes prises par

Bracton sur plus de 2000 cas jugés durant les 24 années du règne d’Henry III (1217-1240, c’est donc bien un travail de case-Law : casuistique).

Deux épitomés (abrégés) de Bracton, (Fleta seu commentarius juris anglicani), c. 1290. Ils ont plus tard été

imprimés en 1647.7 Les épitomés sont très populaires de son temps, puis discrédité fin XIVe (parce que clerc et catégories romano-canoniques), redevient autorité au XVIe (lorsque CL devra se mesurer à nouveau avec le Dt Romain), mais alors réinterprétés et compris différemment.

7 Fleet, une petite estrade, désigne un tribunal, puis plus tard la prison attenante, Fleet (prison, dans Fleet street), encore en latin. Britton , peu après, mais

imprimé dès 1534 : le titre est sans doute d’usage, renvoie au clerc Isaac le Breton, peut-être devenu évêque de Hereford ; écrit en français, résume assez bien Bracton ; mention cum privilegio regali, suppose p.-e. le patronage du roi Edouard Ier (LU 245 note2)

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Conclusion : ces deux exemples montrent que ce qui prime chez les premiers auteurs, c’est bien la procédure.

La procédure est le cadre dans lequel la Common Law s’est développée. Passons aux auteurs modernes.

2. Les auteurs modernes La liste donnée par Blackstone comporte plusieurs noms. Voyons en seulement deux : Edward Coke et

William Blackstone.

a. Edward Coke (1551-1633) Né en 1551/52, étudiant au Trinity College de Cambridge, puis à l’Inner Temple en 1572. Il devient barrister

en 1578 et reader à Inner Temple. Solicitor general en 1592, speaker de la Chambre des Communes 1593, Attonrey general 1594, Chief Justice de Common Plea en 1606 puis Chief Justice de King’s Bench en 1613.

Disgrâce en 1616, à cause de sa lutte contre la Chancellerie. Parlementaire en 1621, leader de l’opposition et rédacteur de la Petition of Right 1627. Il se retire en 1628 ( il a plus de 75 ans) et meurt en 1633.

Il est tout d’abord l’auteur des Reports – modèles du genre – « par excellence » nous dit LU. A partir de 1628, il rédige, en anglais, les « Institutes du droit de l’Angleterre » (Institutes of the Lawes of

England). « Institutes », le titre est romain, (parce que) il souhaitait (ipse dixit) « une introduction à la connaissance des lois nationales du royaume ».

Contenu

1ère partie, la seule à avoir été publiée du vivant de l’auteur. Elle a pour sous-titre « or Comment upon Littleton » (auteur du XVe s.). LU p. 253 : « C’est une véritable encyclopédie, sans autre plan que l’ordre de pensées suggérées par les phrases et les mots de l’auteur commenté (qui est Littleton) ».

Intervient ici ou là a propos de la ligesse, des corporations (personnes morales), de la violence ou de la négligence, des contrats commerciaux et bien entendu de la procédure. On se souvient qu’il était auteur d’un recueil de Reports.

2e partie a pour sous-titre « containing the exposition of many ancient and other Statutes. Cette partie est parue en 1642, par ordre de la Chambre des Communes. Il s’agit de 36 Statutes du Moyen Age, notamment la Magna Carta et son chapitre 39 source de l’Habeas corpus. +3 autres statuts « modernes » = 39 en tout. Les statuts sont commentés et Coke décrit aussi les rapports entre Statute Law et Common Law.

3e partie : droit criminel. Ce domaine avait déjà été développé dans Plees of the Crown, par le juge Willam Staunford en 1557. Ce juge s’était d’ailleurs inspiré de Bracton). Coke marque dans ce domaine une certaine supériorité due à son expérience de praticien. On trouve ici des Statuts en matière de droit pénal (il n’avaient pas été utilisés dans la 2e partie.

4e partie : compétence des cours supérieures, vexata quaestio (question qui fâche : difficile) on l’a vu. L’auteur n’était pas seulement juriste, mais aussi polémiste. Il y a pour lui une contradiction entre supériorité de la Common Law (donc des juges) et supériorité du Parlement, donc des Statutes.

Son style est précieux et faussement érudit (utilisation de vieilles œuvres médiévales + ou – bien comprises),

et sa pensée est désordonnée. Coke a donc été critiqué à ce double titre par les premiers historiens du droit (Selden, Hales), et par les premiers théoriciens du droit (Hobbes qui se moque de ses technicalities).

Mais il est encore cité élogieusement en 1824 par un Chief Justice et en 1917 par l’arrêt Casement. En fait,

Coke s’est révélé être un adversaire de la Chancellerie et de l’Equity. 150 ans après Coke, citons enfin Blackstone.

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b. William Blackstone (1723-1780) Né en 1723, étudiant au Pembroke College d’Oxford, puis à Middle Temple (inn of Court) en 1741. Barrister

en 1746, mais il a peu de succès. Il est ensuite refusé comme professeur de civil law à Oxford car trop moderniste.

Il se dit « libéral conservateur ». Il critique à la fois le droit romain et la décadence des Inns of Court. Il va

donne une série de Lectures libres remarquables. Cela lui permet de devenir professeur à Oxford en 1758 (chaire fondée par un auteur richissime d’abridgement (Charles Viner)).

1761 : il devient membre du Parlement. En 1764 il devient Bencher de Middle Temple. Mais très vite il cesse d’enseigner et rédige à partir de 1765. D’un autre côté, il explique que ses notes (prise par ses étudiants) ont été publiées sans son contrôle (et sans bénéfice pour lui). Il devient enfin juge du Banc commun en 1770 (tard). Il meurt en 1780.

Son œuvre va connaître un succès immédiat et durable : il s’agit des « Commentaires des lois d’Angleterre »

(Commentaries of the Laws of England) en 1769, 1770, 2ème et 3ème, 1771, 4ème, quatre autres ensuite, avant sa mort 1780 ; commentaires jusqu’au début du XXe s.

Blackstone proclame lui aussi la supériorité d’une « méthode scientifique solide » et des « éléments et principes premiers » sur les empirismes de Coke ou des Abridgements ; car durant le siècle précédent, l’avaient emporté les encyclopédies alphabétiques. Il a lu Locke et Montesquieu, admire le courant philosophique.

Son ouvrage est divisé en quatre livres,

- I Droit des personnes (Of the Rights of Persons), - II Droit des choses (Of the Rights of Things), (les biens?) - III Les fautes civiles (Of Private Wrongs (= Civil Injuries)), - IV Les fautes publiques (Of Public Wrongs = Crimes and misdemeanours).

Inspiré par sa définition du droit : « Une règle de conduite civile (=du citoyen) commandant ce qui est bien

(right) et ce qui est mal (wrong) ». De fait, Blackstone est bien un théoricien et un créateur. Blackstone a plusieurs mérites : celui de présenter un commentaire de la totalité du droit de son temps (ce

que n’ont pu faire en France ni Domat ni Pothier). Il adopte un plan rationnel et dans un anglais assez clair. Mais sa théorie embrouille encore les choses. Avec

une forme beaucoup plus ordonnée, il continue en fait la méthode de Coke. Il mélange références historiques (considérées comme des « précédents » indépendamment de leur contexte),

et approches théoriques personnelles (pas toujours coordonnées). Il n’est donc satisfaisant ni pour le courant historique, ni pour le courant théorique qui le critiqueront.

Conclusion Donc qui sont les « sages » ? Ce sont de grands juges, sauf Blackstone, que l’on a finalement fait juge ! Pour Blackstone : « Ils font preuve que des cas sont autrefois survenus, dans lesquels tels et tels points ont été

déterminés qui sont maintenant établis et devenus des principes premiers ». Mais aussi ces juges érudits (learned judges) deviennent des auteurs méthodiques (methodical writers). Selon

Blackstone, ils ont eu comme tâche « d’aménager pour l’usage général » la coutume d’Angleterre « déclarée » par les décisions des cours.

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CHAPITRE V

LES TEMPS MODERNES REMISE EN CAUSE DE LA COMMON LAW :

L’EQUITY

Introduction La période est caractérisé en autres choses par l’importance grandissante du Parlement anglais, nous l’avons

vu avec le Statute law et sa mise par écrit. Il y a un Brocard (adage juridique) célèbre selon lequel « le Parlement peut tout faire, sauf changer un homme en femme ». Logiquement, on aurait pu s’attendre à un conflit entre les lawyers de la Common Law, partisan du pouvoir créateur du juge sous couvert de la théorie déclaratoire de la coutume, et le Parlement, revendiquant la prééminence législative.

En fait, le Parlement se limite lui-même. Il se contente de consolider ou de corriger la Common Law plus

qu’il ne la transforme. Il le fait dans l’esprit de la Common Law, attention aux détails, complication (annexes, renvois). Présence de nombreux juristes au Parlement, juges ou ex-juges.

Les juges de leur côté, considèrent que la loi a pour objet d’apporter des ajustement ou des retouches à la

tradition juridique, censée émaner du peuple, sans remettre en cause les règles principales (interprétation littérale, le législateur étant supposé n’avoir voulu modifier les précédents que le moins possible et avoir respecté le pouvoir de contrôle des juges.

Mais la période moderne est aussi caractérisée par le blocage de la Common Law. Vers la fin du XIIIe siècle, il y a un ralentissement de la création de nouveaux vrits par le roi ou ses officier

royaux. Ce ralentissement fut le fait du Parlement qui était alors une institution nouvelle. Parmi ceux qui siégeaient au Parlement anglais, il y avait des barons. Or, ces barons avaient en quelque sorte

été dépossédés de leur juridiction (au niveau local) par les juges royaux (cf. supra). Leur pouvoir d’opposition par l’intermédiaire du Parlement leur a permis d’obtenir l’interdiction d’apporter la moindre modification aux writs formés (brevia formata) sans le consentement du Parlement. Cette méfiance à la prolifération n’arrête cependant pas complètement l’évolution.

Interdiction de créer de nouvelles actions sans le consentement du Parlement. Elle est affirmée dans les

Provisions d’Oxford 1258. L’interdiction des créations fut répété par le second Statut de Westminster en 1285. Mais on va tout de même

reconnaître à la chancellerie le droit d’étendre un type de writ déjà existant, dans un cas semblable où il n’y en aurait pas déjà un. Donc, dans le cas où il n’y a pas de writ, on peut chercher si cela ne ressemble pas à un autre cas où il existe un writ. Si oui, la Chancellerie peut alors procéder par analogie elle permet la pratique du brief in consimili casu (dans un cas identique). Cela lui permet d’étendre le domaine d’un writ existant à une situation semblable pour laquelle il n’y avait pas de writ. C’est l’origine des writs on the case (brevia in casu).

Il y a donc un ralentissement de l’innovation dans le domaine de la Common Law.

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Il a fallu répondre à un certain nombre de questions que la Common Law n’était pas capable de régler (d’autant plus que la création de writs nouveaux était très difficile). Face à ce manque une nouvelle source du droit va peu à peu apparaître et se développer : l’Equity.

L’ Equity est issue de la Cour de la Chancellerie (I), elle a permis sa formation (II). Et son

évolution/transformation (III).

I. LA COUR DE CHANCELLERIE

A. Composition de la Chancellerie A l’Epoque Anglo-saxonne, il ne semble pas y avoir de chancellerie. Il existe tout de même un secrétariat. Il

est sûr en tous cas que des clercs sont chargés du travail administratif depuis le règne d’Athelstan au moins (roi d’Angleterre 927-939).

Le nom de Chancelier viendrait des grilles « Cancelli » derrières lesquelles travaillent les scribes du palais carolingien. En Angleterre, les rois ont eu comme sur le continent, un Chancelier qui scelle les actes importants. Cela remplace la signature du roi.

Le chancelier apparaît dans les premiers temps anglo-normands, comme un personnage qui n’a pas encore une place d’autorité au sein de la cour (surtout face aux grands seigneurs laïcs et ecclésiastiques.

Sous Henri II, les avis des historiens sont partagés. Il apparaît comme un confesseur du roi assez peu

rémunéré ou bien le secrétaire d’Etat de tous les départements : un homme important bien rémunéré. A partir de 1199 (année de la mort de Richard Ier), la Chancellerie a des rôles (rotuli) propres, séparés

de ceux de l’Echiquier. Ce serait l’œuvre d’Hubert Walter, neveu et secrétaire de Ranulfe de Glanville (auteur présumé du Tractatus). Il sera chancelier de 1199 à 1205.

A l’époque d’Edouard Ier (Justinien anglais : 1272-1307), le chancelier est assisté d’un nombre important de

collaborateurs : - Les « Maîtres en Chancellerie » ce sont des fonctionnaires supérieurs. Il recevaient les pétitions,

les plaintes et suppliques et délivraient alors les writs qui correspondaient aux cas. - « les Six Clercs » : comme leur nom l’indique ce sont six clercs. Ils rédigent et collationnent

(comparent à l’original pour la concordance des formes) soigneusement les writs avant que le sceau ne leur soit apposé. Ils sont responsables au cas où un bref est mal émis.

- « les Soixante clercs » : ce sont de jeunes clercs qui expédient les writs courants. Ils sont sous la direction des « Six Clercs » (10 chacun).

Plus tard, un « Maître des Rôles » viendra se placer entre les Maîtres en Chancellerie et le Chancelier. C’est

une sorte de suppléant de ce dernier aux fonction longtemps mal définies. Toute cette administration se regroupe autour du Chancelier. Elle rivalise parfois avec l’Echiquier. La Chancellerie est composée d’hommes d’Eglise jusqu’à la Réforme de l’Eglise d’Angleterre (Les Acts

d’Henri VIII (1532 et 1534) et d’Elizabeth (1558 et 1562) dans ce domaine sont appelé acts of supremacy. Il établissent en effet la suprématie de la Couronne en matière ecclésiastique).

Jusqu’à cette époque donc, le personnel de la Chancellerie et le Chancelier lui-même sont des ecclésiastiques qui connaissent le droit canon et le droit romain. Ensuite ce sont plutôt des chanceliers laïcs, juristes de formation (lawyers).

L’origine des différents Chanceliers a beaucoup compté en ce qui concerne l’Equity. L’Equity a été formée par des Chanceliers d’origine ecclésiastique. Elle a ensuite été transformée par des chanceliers juristes laïcs (lawyers). Voyons de plus près qui est ce personnage, dans sa fonction judiciaire.

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B. Le Chancelier en tant que juge

Le chancelier va être amené à trancher un certain nombre de litiges. Il rend alors un décret (decree). Quand

(1), pourquoi (2), quelles en sont les caractéristiques (3) le Chancelier va t-il tenir une cour de justice, alors que ce n’est pas sa fonction originelle ?

1. Les débuts de la Cour de Chancellerie ( ne pas confondre avec la Chancellerie elle-même !).

On pense que c’est à la fin du XVe siècle, que le Chancelier finira par rendre des décrets (décisions de

justice) émanant de sa propre et exclusive autorité, en qualité de chef de la Chancellerie (en son nom). Durant la plus grande partie du XVe siècle, les cours de Common Law sont étroitement liées à la Cour du roi

devenue le Conseil du roi. Ce conseil du roi a gardé des attributions judiciaires jusqu’à ce que le Parlement l’en prive en 1641 (16 Ch. Ier c. 10).

Or, le Chancelier jouait un rôle au Conseil du roi :

- Il assignait les parties ; - Il conduisait l’instruction ; - Il présidait le conseil lors des débats ; - Il prononçait le jugement

Tout ceci avait lieu devant le Conseil en tant que cour de justice et non devant la Cour de Chancellerie. Il fut juge de la Cour de Chancellerie à une date qu’il semble encore difficile à définir avec précision. En

1340, un Statut d’Edouard III cite la Chancellerie comme une cour à côté des cours de Common Law. Il y a d’autres témoignages de ce genre à la fin du XIVe et au début du XVe siècle.

J. Vanderlinden semble situer les débuts de l’activité de la Cour fin XIVe début XVe s. [Cela correspond à sa tenue régulière ? Elle aurait rendu la justice de façon irrégulière avant cela ? Notons qu’il n’y a pas de séparation des pouvoirs et que toute autorité peut donc être tentée de juger.]

2. Les causes de la naissance de la cour de Chancellerie

Pourquoi une nouvelle cour de justice ? Certaines causes sont dues à la Common Law (a), d’autres au

Chancelier (b).

a. Les disfonctionnements de la Common Law Pétitions de demandeurs humbles. Le Chancelier s’est mis à recevoir un certain nombre de pétitions adressées en réalité au roi. Il en avait

connaissance en tant que chef de l’administration royale. Dans ces pétitions, des sujets de rang peu élevé se plaignaient de ne pouvoir obtenir réparation devant les cours de Common Law.

La raison invoquée était souvent celle de la grande différence sociale entre les parties. Le demandeur se plaignait en effet que le défendeur – un puissant – était protégé par le sheriff local, par un baron ou un fonctionnaire royal.

Il craignait aussi la partialité du jury (intimidable ou corrompu !). Bref, le défendeur était riche et influent et le demandeur qui se plaignait au roi (et donc au Chancelier) était faible et pauvre …

Dans cette pétition on suppliait donc le roi d’intervenir « pour l’amour de Dieu et en œuvre de charité ». Le tout était rédigé en termes très humbles.

Problème de writ. Il pouvait se présenter un cas – nouveau – dans lequel aucun writ ne correspondait à l’affaire qui se profilait.

On pouvait tenter un writ similaire avec le risque qu’il soit rejeté pour une question de forme.

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La création de nouveau writs ayant été interdite par le Parlement (sauf autorisation de sa part) fin XIIIe s. Il resta l’extension par cas similaire mais elle ne se généralisa pas (et on restait tout de même enfermé dans certains cadres). Fin XIVe : les writs se figent (vérifier supra).

De plus l’utilisation des writs existants devin de son côté de plus en plus technique et formaliste. Les juges entourèrent peu à peu chaque action d’une série de règles de forme.

Chaque action de Common Law avait ses propres précédents. Il fallait rigoureusement entrer dans les « cases » fixées par les précédents pour pouvoir utiliser tel ou tel writ sans risquer un vice de procédure. La Common Law est devenue un Jus strictum (droit strict), nous dit Levy-Ullmann (470).

b- Les aptitudes du Chancelier (autre cause de la naissance de l’Equity )

Le Chancelier connaît le domaine judiciaire. Le Chancelier était bien placé pour répondre aux problèmes

soulevés précédemment. Il était en effet depuis longtemps au contact avec l’institution judiciaire. C’est la Chancellerie qui délivrait les writs (« la porte d’entrée de la justice » (LU)). Même si elle ne pouvait émettre de nouveaux writs, elle émettait les autres (les ‘classiques’). La Chancellerie était donc la « case départ » de toute action.

Le Chancelier présidait le Conseil du roi. On y donnait éventuellement suite aux pétitions adressées au roi.

Donc on jugeait ces cas. Tout ceci donnait beaucoup de travail au Conseil, qui, pour se soulager a donné l’instruction de l’affaire au Chancelier.

Il lui a même demandé de juger l’affaire. Le roi (source de toute justice) lui déléguait alors ce pouvoir. Il l’avait fait aussi pour les juges royaux de Common Law (démembrement) qui avaient pris une certaine indépendance à Westminster (nous l’avons vu).

Le Chancelier est un proche du roi. Il vivait au Palais à côté du roi. Il se déplaçait avec le roi. Le roi transmit

à ce proche cette justice qui n’allait pas aux juges de Common Law. C’est aussi ce que cherchaient les plaideurs qui envoyaient leurs pétitions au roi. Ils voulaient que leur cas ne

soient pas tranchés par les juges de Common Law, mais par le roi ou son homme de confiance. Il s’agissait du Chancelier, le dignitaire le plus haut placé (le gardien du grand sceau). Il était assez puissant

pour faire plier les grands du royaume que les demandeurs craignaient, assez puissant pour faire exécuter ses décisions.

Le Chancelier est un homme d’Eglise (aspect moral). N’oublions pas en effet que dans un premier temps, les

Chanceliers étaient des ecclésiastiques. Les demandeurs faisaient appel au roi « pour l’Amour de Dieu » et « au nom de la charité ».

Le Chancelier était aussi nommé « gardien de la conscience » (LU456 n3). Il demandait donc au délinquant présumé de se confesser au nom de la foi et de la bonne foi. Il pouvait ensuite punir.

Le Chancelier était donc tout désigné pour juger au nom de l’Equité.

3. Caractéristiques de la Cour de chancellerie. Il n’y a qu’un seul juge (a) qui suit une procédure particulière (b).

a. Le Chancelier devient juge unique On considère que c’est au début du XVIe siècle que le Chancelier s’affranchit du Conseil du roi et des juges

de Common Law pour juger. La Cour de Chancellerie devient alors un tribunal à juge unique. Le Chancelier est alors assisté et remplacé en cas d’absence (à la Cour de chancellerie, pas à la Chancellerie) par le Master of Rolls, suppléant (deputy) du Chancelier. Cette pratique semble dater de 1433 (Guerre de Cent ans), époque où le Chancelier s’est absenté pour se rendre en France.

Le Chancelier connut un énorme succès. Exemple : Thomas Morus ne fut Chancelier que 2 ans et 7 mois (1529-1532). On relève près de 500 procès entamés au cours de son office.

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b. La procédure est particulière Le writ (α) et la procédure (β)

α. Elle s’ouvre par un writ particulier (attesté au XIVe) Ce writ a davantage un caractère administratif que judiciaire. Au départ, il sert à assurer les comparutions

devant le Conseil du roi. Le Chancelier jugeant ensuite de manière autonome aurait donc gardé cette façon de faire en conservant la

pratique de ce writ particulier. Le nom de ce writ est writ de subpœna : « sous peine de … ». Ce writ contient simplement un mandat de

comparution. Ce mandat n’est pas motivé. Le writ demande donc au défendeur de se présenter devant le Chancelier à une date précise pour venir s’expliquer au sujet d’une plainte formulée contre lui. Si le défendeur n’obéit pas, il encourt une amende de … £. D’où son nom.

Nous ne sommes donc pas dans le cas de figure des writs que nous avons vu et qui font connaître au défendeur la cause de l’action. (dette, trespass, detinue …).

β. Elle est inquisitoire

On dit que la procédure devant la Cour de Chancellerie est une procédure « romano-canonique ». Cela vient

du fait que certains auteurs la comparent à la procédure des cours ecclésiastiques : plus exactement à la procédure sommaire des cours ecclésiastiques introduite dans le cadre de la lutte contre l’hérésie. Elle est simple et expéditive.

Rappelons que le demandeur envoyait une pétition au roi. Celle-ci prit le nom de bill (lettre). On dit alors qu’il s’agit d’une procédure par bill . On l’oppose à la procédure par action de la Common Law.

Etapes :

- Prestation de serment des parties. - Interrogatoire des parties. - Apport des preuves.

De la même manière que devant les cours d’Eglise (Officialités). Ce qui fit le succès de cette procédure, c’est la comparution personnelle du défendeur devant le Chancelier.

Celui-ci se présente comme un juge de religion. Il juge la foi et la bonne foi des parties. La procédure est inquisitoire (le juge exerce alors un rôle prépondérant dans la conduite de l’instance et dans la recherche des preuves. Au contraire, ce sont les parties qui ont ce rôle dans la procédure accusatoire). La partie est à la disposition du Chancelier (fin et expérimenté) qui ne s’embarrasse pas de formes. Il est habitué à recevoir les confessions en tant qu’homme d’Eglise.

Sur ce point, on est loin de la procédure utilisée devant les cours de Common Law. L’utilisation du jury

mettait en effet le défendeur à l’abri d’un interrogatoire. Le jury rassemblait des témoignages, mais pas celui du défendeur.

La procédure inquisitoire efficace donna une grande force à l’Equity.

Conclusion : la compétence Définition négative. La Cour de Chancellerie ne tranche pas les affaires criminelles. Le Conseil du roi était

compétent en la matière (affaires criminelles et quasi-criminelles). [Rq : le Banc du Roi aussi]. La Cour de Chancellerie se spécialisa dans certains domaines : les questions d’uses, de contrats et de

règlements de compte. Nous parlerions pour ces affaires aujourd’hui, d’affaires civiles ou de droit privé. Il faut ajouter que la Cour de Chancellerie était aussi considérée compétente dans les affaires de Conscience.

La Cour est en effet très tôt appelée « Cour de Conscience ». On dit que les questions examinées et débattues

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devant la Cour de Chancellerie devront être conduites « conformément à l’équité et à la conscience ». On voit ici l’influence considérables des chanceliers ecclésiastiques de la première époque. Cette influence est marquée par l’usage répété des termes de « bonne foi », de « raison » et « d’équité ».

II- DEVELOPPEMENT DE L ’EQUITY L’ Equity est née, nous l’avons vu, du fonctionnement de la Cour de Chancellerie. C’est donc le chancelier

(juge unique) qui en est l’auteur. Commençons par une Définition donnée par Levy-Ullmann (p. 431s). « corps de règles juridiques ayant eu

pour origine première, non la coutume ou la loi écrite, mais les données impératives de la conscience, règles exceptionnellement dégagées et développées par (certaines cours de justice, principalement celles de) la Chancellerie ».

Commentaire de la définition.

- Les règles de l’Equity sont des règles juridiques. Tout comme les règles de Common Law et de Statute Law, elles visent à délimiter la liberté des hommes.

- Origine : elle ne tire pas son origine de la coutume ou du « droit écrit » (lex scripta). Elle se différencie donc de la Common Law fondée sur la « coutume générale et immémoriale » (general immemorial custom). Elle se différencie aussi du Statute Law dont la source est l’ensemble des Acts du Parlement. Il n’est donc pas possible de rattacher les règles d’Equity ni à la coutume, aux décisions judiciaires des cours de Common Law, ni à des textes émanant du pouvoir législatif. L’Equity est née historiquement du pouvoir de justice dont le roi est investi (et qu’il a délégué à son Chancelier).

- Si les règles de Common Law se fondent initialement sur la Coutume, les règles d’Equity se fondent sur la conscience.

Voyons maintenant dans quels domaines le Chancelier jugeait en Equity. Nous avons vu que l’activité judiciaire du Chancelier avait été stimulée par des demandes de justiciables

humbles et s’expliquait aussi par l’incapacité des cours de Common Law à répondre à certains problèmes. Il en a découlé que la Cour de Chancellerie a répondu à ces diverses attentes.

Son succès a fait que ce n’était plus seulement des justiciables humbles qui se sont adressée à elle, mais finalement tous les justiciables concernés par certains litiges. Quels sont ces litiges. Ce sont principalement ceux qui concernent le « droit des contrat » et le trust.

A. Droit des contrats

Il faut savoir qu’à l’origine les contrats n’ont pas véritablement intéressé la justice royale anglaise. Ainsi on

peut lire dans le Traité attribué à Glanville (XIIe s.), que « les contrats, de façon générale, ne sont pas sanctionnés dans les Cours de Notre Seigneur le Roi ». Il n’existait pas au XIIe siècle de writ qui permettait de faire sanctionner les engagements contractuels par les Cours de Common Law.

Il y eu bien tout de même, par exemple, la possibilité de faire valoir une reconnaissance de dette par le writ of debt. Mais cela limitait tout de même beaucoup le nombre d’actions possibles (on s’adressait alors à des juridictions ecclésiastiques ou à des juridictions commerciales). Il y eut aussi detinue (restitution d’une chose), covenant (obligation de respecter un pacte), account (vérification d’un compte donné à un administrateur)

On finit par trouver tout de même certaines solutions devant les cours de Common Law, malgré l’impossibilité de créer de véritables nouveaux writs. On utilisa l’extension de writs existants, à des cas similaires. C’est ce que l’on a appelé les actions on the case.

Le writ de Trespass – nous l’avons vu – fut utilisé dans le domaine contractuel pour permettre l’intervention des Cours de Common Law. On eut donc des writs de Trespass on the case. Nous avons vu l’exemple d’un writ de Trespass on the case à propos d’un maréchal ferrant. [cf. assumpsit QSJ 120].

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Mais dans tous ces cas, ce qui était sanctionné pas les Cours de Common Law, n’était pas à proprement parlé l’engagement contractuel qui avait été pris et dont on exigeait le respect au nom de la bonne foi. Les Cours de Common Law n’ordonnaient pas d’exécuter l’engagement (ou rarement : covenant). Elles prenaient seulement en compte le préjudice injustement causé au demandeur, du fait de la conduite du défendeur. Le défendeur était donc condamné à des dommages-intérêts du fait de ce préjudice. La Common Law se fondait sur l’existence d’un préjudice et non sur le respect du contrat dû à la bonne foi donnée.

Ce fut l’Equity qui répondit à ce manque en s’inspirant du principe canonique du respect dû à la bonne foi

donnée (Pacta sunt servanda). Le Chancelier a pu ordonner dans certains cas des exécutions en nature, lorsque les dommages-intérêts prévus par la Common Law étaient insuffisants.

Le Chancelier était donc sollicité et accordait sa protection par l’octroi du writ subpœna. Il faisait alors respecter, au nom de la « conscience », la parole donnée. Les demandes sont arrivées dans un nombre considérable d’espèces. On n’était en effet plus enfermé dans tel ou tel cadre rigide prévu par un writ de Common Law.

On agit notamment en Equity à raison des conditions dans lesquelles le contrat a été passé : fraude, violence

ou erreur … L’action de la Cour de Chancellerie a, dans ces domaines, constitué une véritable jurisprudence. Prenons un exemple d’intervention de la Cour de Chancellerie : les contrats qui n’ont pas été marqué d’un

sceau : on les appelle les « parol contracts ». Dans ce domaine la Common Law ne donnait comme solution – nous l’avons vu, que l’action pour debt ou trespass on the case. Le Chancelier est donc intervenu dans ce domaine.

Le writ de subpœna permit donc de sanctionner les obligation de toutes sortes. Les sentences de l’époque ne

sont pas motivées, il est donc difficile de connaître les fondement de ces décisions. Pour certains auteurs, le Chancelier a envisagé les contrats du point de vue du consensualisme. La violation de foi était un péché qui devait être puni d’après le droit canonique.

On a en effet considéré que les Chanceliers sanctionnaient les conventions toutes les fois qu’ils estimaient que les intérêts de bonne foi et de l’honnêteté exigeaient cette sanction. Il y a un aspect moral dans cette juridiction.

On suivait donc le principe selon lequel le manque à la parole devait être réprimé pour manque à la foi. On le

voit dans les reports : le chancelier intervient pour l’inexécution d’une promesse sur la foi. Les Chanceliers ont donc mis sur pied les contrats consensuels. Mais cela n’allait pas durer.. On se dirigera plus tard vers une conception plus formaliste, prenant appui sur les règles de Common Law (action d’assumpsit). Le revirement de la Cour d’Equity a lieu en 1631.

Autre domaine privilégié de l’Equity : le trust.

B. Le Trust L’ancien nom du trust est use. Cela viendrait du latin usus. Cela désignerait le but de l’opération que nous

allons voir maintenant. D’après Edward Coke (1551-1633), « l’use est une mission de confiance ou de recommandation pour l’exécution de laquelle on s’en est remis à quelque autre personne […] ». Il ajoute que le bénéficiaire ne pouvait en cas de problème seulement recourir pour breach of trust (manquement à la confience), par subpoena en Chancellerie. Cette mission de confiance a d’abord concerné des terres.

Le bénéficiaire est celui à qui la combinaison profite : c’est donc soit le créateur de l’use, soit un tiers (ex. :

un héritier). On l’appelle en law french le « cesty que use » ou « cestui que use » puis (?) cestui que trust. (celui qui fait confiance (?). C’est le « bénéficiaire ».

L’autre personne est désignée par « feoffee to use » (‘l’inféodé pour profit’). On l’appelle aujourd’hui un

trustee.

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A partir de la 2e moitié du XIVe siècle, on voit apparaître des affaires relatives aux uses of land. Les

interventions du chancelier se sont multipliées dans ce domaine au cours du XVe siècle. Le Trust est en réalité un démembrement de la propriété. Maitland disait que « quiconque désire connaître

l’Angleterre, même s’il ne s’intéresse pas aux détails du droit privé, doit savoir quelque chose du trust ». Pour cet auteur, le trust « est une institution aussi souple, aussi générale que le contrat … et la réalisation la plus originale peut-être qu’aient accomplie les juristes anglais. Il nous semble presque constituer un élément essentiel à la civilisation ».

Toujours d’après Maitland « Lorsqu’une personne a des droits qu’elle est tenue d’exercer dans l’intérêt d’une

autre ou pour l’accomplissement d’un objet spécial donné, on dit que cette personne a les droits en question ‘en trust’ pour l’autre personne ou pour l’objet en cause, et on l’appelle un trustee ».

C’est bien la propriété même du bien qui est transmise au trustee. Historiquement, on voit cet usage se

développer dans plusieurs cas (5, d’après Maitland) : - Lorsque l’héritier d’un fief était mineur, on transmettait ce fief à un trustee (foeffee) avec la

mission de l’administrer au profit du mineur. Cela évitait que le seigneur du fief ne gère lui-même le fief en en tirant un maximum de bénéfices pendant toute la minorité de l’héritier. Il pouvait y avoir plusieurs trustees (jusqu’à 10). Dans ce cas de figure, les droits du seigneur étaient réduits à zéro.

- Dans les périodes d’instabilité politique, certains propriétaires qui prenaient parti pour tel ou tel prétendant à la couronne, courait le risque de « miser sur le mauvais cheval ». En cas de défaite de leur candidat, ils couraient le risque de représailles pour trahison (sévèrement punie). Dans ce cas il y avait généralement confiscation des biens du traître. Dans ce cas ces propriétaires avaient pris soin avant de s’engager dans telle ou telle aventure politique, de transmette le propriété de le terres à un trustee, qui avait pour mission de les administrer dans leur intérêt.

- Certains ordres ecclésiastiques utilisèrent beaucoup ce procédé. Les Franciscains en particulier, qui avaient fait vœu de pauvreté. Ne devant rien posséder (ou presque), comme le Christ, il donnaient la propriété des terres et bâtiments où ils vivaient à un trustee qui les administrait dans leur intérêt.

- Un débiteur poursuivi par ses créanciers pouvaient mettre ses biens à l’abri en transférant leur propriété à un ami, dans le but de les gérer dans sont intérêt.

- Enfin cette pratique permettait à contourner l’interdiction de tester (de faire un testament). Les terres devant aller à un héritier désigné par la coutume en droit féodal et non à une personne désignée par le de cujus. On sait pourtant que l’Eglise lutta contre l’interdiction (elle espérait bénéficier de généreux donateurs). Elle contribua a la création du procédé qui permettait de désigner un ami qui après la mort, serait chargé d’exécuter la succession (origine de l’exécution testamentaire).

Certaines de ces pratiques devinrent très populaires, notamment celles qui permettaient d’échapper à la

fiscalité seigneuriale. Le trustee n’est pas le représentant du bénéficiaire du trust. Il est véritablement propriétaire des biens qui lui

ont été confiés. Le trust est formé par ce que nous pourrions appeler un contrat. On a d’un côté le constituant du trust (le bénéficiaire) et de l’autre le ou les trustees. Ils conviennent que les

biens sont transférés de l’un à (aux) l’autre(s) pour que le trustee exerce les droits acquis sur ces biens dans tel ou tel intérêt.

Le trustee n’est pas seulement appelé à administrer les biens. Il peut en disposer. L’Equity lui impose à ce

sujet de respecter les instructions qui lui ont été données dans l’acte constitutif du trust. En l’absence de telles instructions, l’Equity prévoit qu’il faut en demander à la Cour.

Si le trustee enfreint les instructions, son acte de disposition est valable car accompli en tant que propriétaire. Le droit du bénéficiaire du trust va se reporter sur le bien acquis en contrepartie du bien aliéné. Il peut arriver que le tiers acquéreur qui connaissait cette situation (ou aurait dû la connaître) soit considéré comme le nouveau trustee.

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Droit Romain. Certains auteurs font un rapprochement entre le trust et la fiducie du droit romain. C’est à

Rome, un contrat qui comporte un transfert de propriété d’une chose, assorti d’un pacte de fiducie. Dans ce pacte de fiducie l’acquéreur s’engage à restituer la chose acquise. L’acte permettait ainsi de réaliser un gage ou un dépôt avant que ces opération n’existent juridiquement en tant que telles.

La fiducie ne repose d’abord que sur la seule bonne foi du fiduciaire. La fiducie est sanctionnée par une action de bonne foi (on la signale dès le Ier s. avant notre ère). La fiducie fut ensuite abandonnée avec l’apparition du contrat de dépôt ou de gage qui n’entraînaient plus le transfert de propriété.

Retournons en Angleterre. On s’aperçoit que les cours de Common Law se sont déclarées incompétentes en

matière de trust. On ne trouvait en effet aucun writ dans le Registre des writs susceptible de sanctionner cette « obligation de conscience », cette mission de confiance, qui était l’essence même de cette obligation.

Il faut ajouter que la procédure de Common Law qui entraînait la preuve par jury n’était pas adaptée. On ne pouvait en effet pas entendre le défendeur.

La procédure inquisitoire était en revanche tout à fait adaptée au trust. Elle était souple et rapide. Elle

obligeait le défendeur à comparaître et à s’expliquer clairement devant le Chancelier qui menait l’interrogatoire. Le Chancelier était homme d’Eglise et particulièrement sensible au respect de la parole donnée, au respect de l’engagement du trustee.

Les cas se sont développés et n’ont ensuite plus forcément concerné seulement le terre :

- Le trust est un moyen d’assurer (même aujourd’hui) en Angleterre la protection pécuniaire des incapables. La propriété de leurs biens est conférée à un tiers qui devient un trustee. Il est alors obligé d’exercer ses droits dans l’intérêt de l’incapable.

- Il s’est passé la même chose en ce qui concernait la femme mariée. Certaines pratique ont d’ailleurs été conservées. Autrefois, la droit anglais attribuait au mari tous les biens de sa femme. On disait à ce propos « le mari et la femme sont une seule personne, et cette personne, c’est le mari ». La technique du trust permettait de conserver des biens qui seraient exploités au profit de la femme.

- Les dirigeants d’une société ou d’une association peuvent être placés en situation de trustee. Le dirigeant dispose alors personnellement de droits, mais il a l’obligation d’exercer ces droits dans l’intérêt des membres du groupement. Certains trustees gèrent les biens de fondations conformément à l’objet de celles-ci. Le trust se révèle donc ici comme une technique qui permet de se passer de l’idée de personnalité morale.

- Le trust est utilisé pour liquider des successions. Le mort ne saisit pas le vif en Angleterre. La succession est d’abord dévolue à un administrateur ou exécuteur. Il devient alors dépositaire des droits qui appartenaient au défunt. Il doit exercer ces droits dans l’intérêt des héritiers, légataires ou créanciers.

En fait, on estime aujourd’hui que le trust se dégageant peu à peu des idées morales de ses origines, est petit à

petit devenu une sorte de démembrement de la propriété. Les droits sur un bien sont alors partagés en deux ‘états’ (estates) :

- Un legal estate. Le trustee en est titulaire. C’est le droit du propriétaire, reconnu par la Common Law.

- Un equitable estate. Le bénéficiaire (cestui que trust) en est titulaire, il est reconnu par l’Equity.

Conclusion Après avoir vu ces domaines particuliers du droit issu de la Cour de Chancellerie, voyons comment l’Equity a

fini par évoluer au cours des siècles. Il n’est pas possible de décrire le domaine de l’Equity en utilisant les catégories du droit français. Elles ne

coïncident en effet pas avec les catégories anglaises. Au XIXe s. on distingue généralement en Angleterre les catégories suivantes :

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- Certaines formes de propriété : les trusts le droit de rétention et de gage du vendeur, le droit de

rachat de celui qui a donné sont bien en mortage. - Contrats et actes dommageables : specific performance et injunction. - Recours contre la rigidité du droit : recours divers accordés par le chancelier contre les clauses

pénales, contre la fraude, l’abus d’influence, les « accidents », l’erreur. - Administration du patrimoine des personnes décédées et toutes les questions qui s’y rapportent :

legs, subrogation, contributions entre codébiteurs, sûretés, règlements de compte (accounts), sociétés de personnes (partnership), compensation, …

- La garde concernant les enfants en bas âge. - Faillite, protection des aliénés.

Enfin, au XIXe siècle, à l’issue d’une longue évolution, on retrouve dans l’Equity les même éléments que

ceux que l’on a vu en Common Law ils ont néanmoins des caractéristiques qui diffèrent :

- La règle du précédent judiciaire existe. Cependant elle n’est pas aussi rigoureusement appliquée en Equity. Certains chanceliers ont même parlé de l’indépendance nécessaire de leur jugement à l’égard de tout préjugé judiciaire. Blackstone lui-même écrivait que l’Equité dépendait « essentiellement » des circonstances spéciales à chaque cas particulier. Il a été dit au lendemain de la grande réforme judiciaire du XIXe siècle : les Judicature Acts de 1873-1875 : « On ne doit pas oublier que les règles des Cours d’Equity ne sont pas comme celles de Common Law, supposées avoir été établies depuis un temps immémorial. On sait parfaitement qu’elles ont été établies d’époque en époque, - modifiées, perfectionnées et affinées d’époque en époque. Dans beaucoup de cas nous connaissons les noms des Chanceliers qui les ont inventées. Sans aucun doute, elles ont été inventées dans le but d’assurer la meilleure application de la justice, mais encore une fois elles ont été inventées […] Les doctrines sont progressives, affinées et améliorées ; et si nous désirons savoir quelles sont les règles de l’Equity, nous devons rechercher plutôt dans les plus modernes que dans les plus anciens cases » (Sir Georges Vessel, Maître des Rôles, fin XIXe).

- La Chancellerie et donc l’Equity a des Records et des Reports. Il y en a une masse considérable. Records : Chancery proceedings (procédures en Chancellerie). On y trouve les pétitions (bills), réponses, dépositions … Les Entry Books of Decrees and orders (Registres d’entrée des décrets et ordres) Ils sont tenus par les greffiers de la Cour. [Decree : décision du Chancelier]. Reports and Certificates (rapports et certificats) ils émanent des Masters. Reports. Ils ont beaucoup moins d’intérêt que les reports de Common Law. On voit que l’on attache tout de même une certaine importance aux précédents judiciaire en matière d’Equity, surtout à partir de la moitié du XVIIe s. A partir de cette période, on cite les précédents à la Cour, il en découle les premiers reports.

- Livres et écrits faisant autorité. L’ Equity a en fait bénéficié de l’expérience de la Common Law. Les écrits en ont bénéficié. L’Equity a donc été systématisée par voie de synthèse doctrinale. Ex. : Chief Baron Gilbert (†1726) History and practice of the High Court of Chancery (1758). Autre ouvrage sans nom d’auteur: « Treatise of Equity » (1737). Etc. Des Commentaires apparurent également. La Cour de Chancellerie a disparu avec la réforme judiciaire de 1873-1875. Mais l’Equity qui en était sorti est restée.

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CHAPITRE VI

(PASSE ET PRESENT DE LA COMMON LAW) LES DERNIERES EVOLUTIONS

La fin du XIXe siècle marque une étape importante dans l’histoire des institutions judiciaires de l’Angleterre.

En 1873 les cours de Common law et d’Equity vont en effet fusionner. Et en 1875, la plupart des autres cours spécialisées sont incorporées en une organisation judiciaire complètement réorganisée (par le Judicature Act).

Dès lors, même si certains des droits ou branches du droit appliqués par ces cours continuent dans une certaine mesure à exister en tant que tels, il n’existe plus qu’une seule hiérarchie de cours administrant indifféremment l’un ou l'autre droit. Notamment une seule hiérarchie pour Common Law et Equity.

À quelques exceptions près, auxquelles même les plus audacieux des réformateurs n'osaient pas toucher, le producteur jurisprudentiel du droit est devenu unique au lieu d'être double8.

Il faut dire que les deux siècles qui ont précédé ont été ceux de l’apogée du modèle anglais. Le régime de la

monarchie parlementaire bicamérale, qui va influencer tant de royautés et parfois même de républiques (américaines ou européennes), atteint sa pleine maturité à cette période des XVII-XIXe siècles (même s’il est toujours fort éloigné des idéaux démocratiques qui seront ceux du XXe siècle). C’est ce modèle qui a été réformé en matière judiciaire au XIXe siècle.

I. L’A CTIVITE JUDICIAIRE AU XIX E SIECLE

Dans ce contexte, le juge anglais administrant la common law occupe une place particulière en tant que

« faiseur de droit » (lawmaker). C’est aussi l’époque de la réforme de l’appareil judiciaire.

A. L’appareil judiciaire : les Hautes cours Au niveau global du système, même s’il y a eu simplification progressive au cours du temps, on a toujours

une division majeure entre cours de Common Law et cours d’Equity et des cours particulières pour tout ce qui touchait par exemple au mariage (les cours ecclésiastiques) et au droit de la mer (les cours d'Amirauté).

Leurs compétences respectives étaient souvent mal définies, voire concurrentes en certains cas (nous l’avons

vu). Il en résultait des confusions qui ne se clarifiaient généralement que quand il était trop tard. C’était notamment le cas au niveau de la Chambre des Lords, recours suprême en matière judiciaire (nous le verrons). Voyons donc en quoi ont consisté les réformes.

1. La Supreme Court of Judicature

Les réformateurs vont mettre de l’ordre dans les institutions judiciaires qui produisent le droit non écrit

(Common Law et Equity). Ils vont le faire par le Judicature Act de 1873 et 1875. Cet Act crée une Supreme

8 Il subsiste encore, et pour un siècle, des cours très particulières comme celle du Maire et de la Ville de Londres, comme la Cour de Centaine de Salford, évocatrice de la période précédant la conquête ou encore comme les cours de piedpoudre, que nous connaissons déjà.

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Court of Judicature, à l’intérieur de laquelle on va trouver deux grandes divisions qui existent encore aujourd'hui et servent de modèle à de nombreux pays de Common law : la première instance (a) et l’appel (b).

a. Première instance

On y trouve la Haute Cour de Justice (High Court of Justice). La Haute Cour de Justice absorbe, plusieurs

cours qui existaient antérieurement : Banc du Roi (en l’occurrence de la Reine, puisqu’on est à cette époque sous le règne de Victoria), Chancellerie, Échiquier, Plaids communs ; mais aussi d’autres cours ecclésiastiques qui tranchaient les questions de Successions et Testaments, Divorce. Elle englobe aussi la cour d’Amirauté.

La Haute cour de justice comprendra tout d’abord deux divisions :

- Division du Banc de la Reine (contrats et responsabilité), - Division de la Chancellerie (procédure spéciale, en Equity (trusts, successions, sociétés…).

On voit que ces deux divisions ont repris le nom de cous traditionnelles qui ont cessé d’exister en 1875. Une autre division sera ajoutée en 1970 : la division de la famille (droit de la famille ?). Il faut ajouter qu’en 1971, on ajoutera une formation nouvelle, toujours en première instance de la Supreme

court of judicature. Il s’agit de la Crown Court. Il va connaître des affaires criminelles dans le cas d’infractions graves. Cette cour est largement décentralisée (Londres et province).

b. La Cour d’Appel

La Cour d’appel, de son côté est une création originale, même si elle reprend les compétences de deux cours

anciennes : la Chambre de l'Échiquier et la Cour d'Appel en Chancellerie. Elle connaît les appels des décisions des cours de comté (county courts), de la Haute cour de justice, et dans sa division criminelle, l’appel de la Crown court.

Contre les arrêts de la Court of appeal, on peut se pourvoir devant la Chambre des Lords. Cet appel à la

Chambre des Lords est rare (pas possible pour l’Ecosse, mais oui pour North-Ireland ; comité d’Appel présidé par le chancelier ; 12 lords judiciaires, dont 2 écossais et 1 nord-irlandais, formation de jugement = 5). Voyons donc ce qu’est cette Chambre des Lords.

2. La Chambre des Lords

Nous savons que, dès le moyen âge, le souverain est «la suprême fontaine de justice» ou « source de toute

justice ». Nous savons aussi qu’il exerce cette compétence judiciaire, comme toutes les autres, à la Cour, assisté de ses vassaux directs, les nobles ou seigneurs (lords), qu'ils soient ecclésiastiques ou laïcs.

Lorsque le Parlement s’organise en deux chambres (houses) aux XIIIe et XIVe siècles, la compétence judiciaire demeure exclusive à la chambre des Lords. Ceux-ci exécutent en ce cas leur obligation de conseil et celle-ci concerne aussi bien la matière judiciaire que toute autre. En outre la position «souveraine» de celui qu'ils conseillent (le roi) fait que leur compétence est, en principe, illimitée, aussi bien en première instance qu’en appel.

En pratique toutefois, seules arrivent devant la Cour les affaires les plus importantes. Elles s’en saisissent par un writ of error établissant l’existence d'une erreur substantielle en droit. Il n’est donc pas question de fait. C’est l’erreur de droit révélée par les divers actes de procédure qui est examinée. Tous les autres litiges sont, en pratique, réglés au niveau des cours ordinaires.

En outre, en 1666, dans l’arrêt Skinner contre East India Company, on consacre, en droit, une situation virtuellement acquise en fait: la Chambre des Lords cesse d'avoir une compétence en première instance en matière civile.

De cette activité judiciaire de la Chambre des Lords, il résulte une confusion des pouvoirs, qui caractérise toute l’histoire de la monarchie anglaise jusqu’au XIX e siècle.

Les Lords participent en effet à la fois au pouvoir :

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- législatif en tant que seconde chambre dont le consentement est indispensable à l’adoption de la loi,

- exécutif en ce qu'ils fournissent au souverain la plupart, sinon la totalité des ministres (même s’ils ne sont pas nobles à leur entrée en fonctions, ils ne tardent généralement pas à le devenir)

- pouvoir judiciaire, qu’ils exercent, au fil du temps, de plus en plus en l’absence du souverain, tout en rendant la justice en son nom.

Cette situation pouvait entraîner que des intérêts de classe ou des intérêts personnels ou encore des

considérations politiques étaient susceptibles d’influencer le cours de la justice. De plus, il était possible que les Lords tranchent judiciairement, comme cela se produit encore en 1834, sans qu’il y ait parmi eux un seul juriste ! Cela a été critiqué par les contemporains.

Le tournant se situe dans l’affaire criminelle mettant en cause le «libérateur» de l'Irlande, Daniel O’Connell (1775-1847). Il fut accusé, en même temps que son fils et cinq de ses principaux lieutenants, et condamné pour conspiration tendant à la sédition en 1844. La décision fut cassée par la Chambre des Lords. À cette occasion, il fut déclaré que «si les nobles lords non formés au droit devaient interférer et trancher de telles questions par leurs votes au lieu de les laisser aux soins de lords judiciaires ... l'autorité de cette Chambre en tant que cour de justice serait gravement atteinte»9.

La mise en oeuvre de ce principe supposait que l’on soit assuré qu’au delà du Chancelier (ou d’un ancien

Chancelier), lesquels étaient traditionnellement des juristes, siègent toujours à la chambre des Lords au moins deux professionnels du droit. Cela était fréquent, mais ce n'était pas obligatoire.

Aussi, en 1856 et 1867, furent anoblis deux hauts magistrats, ce qui assurait la composition professionnelle

du siège, fixée, depuis longtemps, à trois juges. Puis, en 1876, l'Appellate Jurisdîction Act prévoira la désignation permanente d'au moins deux Lords of Appeal in Ordinary (juges ?). Leur nombre sera progressivement augmenté au cours des années ultérieures pour atteindre son total actuel qui s'élève à 11. Ils sont les survivants d'une réforme qui, en 1873, faillit emporter la compétence judiciaire de la Chambre des Lords.

Dans son texte originel la loi supprimait en effet celle-ci. Elle confiait l'ultime recours en matière judiciaire à

la Cour d'Appel (Court of Appeal). La mise en oeuvre de la loi fut cependant bloquée pendant deux ans. Lorsqu’elle entra en vigueur en 1875, ce fut à l'exception des dispositions entraînant l'abolition de la compétence judiciaire de la Chambre des Lords.

Le milieu des années 1870 consacre donc l’œuvre des réformateurs au niveau des outils de production du

droit : au niveau des cours de justice. Voyons maintenant comment les juges utilisent le droit.

B- Stare decisis (let the decision stand) Deux théories : elles ont été évoquées rapidement en introduction : la théorie déclaratoire et la théorie du

précédent.

1. Théorie déclaratoire D’après Blackstone, le juge est « dépositaire » des lois et est « le vivant oracle de la coutume ». C’est

une doctrine de révélation. Il y a quatre motifs pour appuyer cette théorie : - Les juges se sont engagés par serment à trancher les litiges en conformité avec la loi du pays - La connaissance des juges dérive de l’expérience et de l’étude et aussi de leur longue et

personnelle accoutumance aux décisions judiciaires de leurs prédécesseurs. - Les décisions judiciaires sont la preuve qu’il existe telle ou telle coutume qui fait partie de la

Common law.

9 L.Q.R., xvii, 369

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- Les décisions judiciaires sont enregistrées et conservées officiellement dans les reccords. On les consulte s’il y a une question délicate qui se pose. Car il y a cette « règle établie que l’on doit se tenir aux anciens précédents, là où les mêmes points reviennent en litige ».

On veut conserver l’équilibre et l’immobilité à la balance de la justice. On veut éviter que l’opinion de

chaque nouveau juge ne modifie cet équilibre. Le droit est donc considéré comme solennellement déclaré et déterminé. Les règles sont devenues désormais

permanentes, alors qu’elles étaient autrefois incertaines. « Il n’est donc plus désormais dans le pouvoir d’aucun juge ultérieur d’altérer ou de faire varier au grés de ses sentiments particuliers ».

Le juge a prêté serment pour trancher selon les lois et les coutumes, non selon son jugement particulier. Il est là « pour maintenir et proclamer l’ancien droit ».

Exception : « précédents et règles doivent être suivis à moins qu’ils ne soient manifestement absurdes ou

injustes ». Dans ce cas ce n’est pas du droit, il n’y a donc pas contradiction. Cette théorie n’est plus suivie depuis plus d’un siècle, nous dit Levy-Ullman qui écrit en 1928. C’est plutôt la règle du précédent qui a eu du succès.

2. La théorie de la force obligatoire du précédent.

C’est la pièce maîtresse du système juridique contemporain de l’Angleterre et de tous les pays anglo-saxons.

a.- Le principe Le principe ne remonte pas aux origines de la Common Law. Pourtant, au XIIIe siècle, Bracton écrit dans son

De Legibus Angliae que :« Si surviennent de nouveaux faits et circonstances, si quelque chose d’analogue est arrivé auparavant, que le cas soit jugé de façon semblable (procédant a similibus ad similia) ». Pour Bracton, le droit se forme au cas par cas, en procédant par répétition.

Certains auteurs (Jenk ou Holdsworth) admettent qu’il y a une certaine corrélation entre la confection des

Years Books et la « doctrine du précédent judiciaire ». Pour eux, c’est la rédaction des les Years Books et l’activité de rédaction des autres reports qui a permis le développement de la règle.

Une liste fait référence à des affaires sous les trois premiers Edouard (1272-1377). Elle montre que la citation des précédents est courante à cette époque. Pour d’autre auteurs cependant, cette pratique n’est pas si précoce.

Pour d’autre enfin, il faut distinguer deux choses : - La cohérence judiciaire (judicial consisitency). C’est un principe très ancien. Il est même peut-

être plus ancien que les Year Books. - La force obligatoire des précédents (the binding force of previous decision).

Ce dont on peut être sûr, c’est qu’au cours de la période qui suivit les Year Books (après 1536), on utilisa de

plus en plus de citations. Ensuite, dans les Reports les citations sont en effet assez nombreuses. Petit à petit, le droit anglais va être formé par les Cour royales (cour de Common law et Cours d’Equity). Ces

cours créent le droit de précédent en précédent. Elles vont rechercher dans chaque cas la solution qu’il était « raisonnable » de consacrer.

Les précédents ont une valeur reconnue. En l’absence d’une certaine autorité reconnue à ces précédents, il

n’y aurait pas un droit anglais, mais une série de solution d’espèce décidées par l’arbitraire du juge. Cette autorité est donc la condition de l’existence du droit anglais.

On peut dire que cette autorité est devenue plus stricte au XIXe siècle. A cette époque, on éprouve un grand besoin de sécurité juridique. C’est en effet une période d’extension de l’industrie et du commerce.

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Le Juge Parke déclare dans le procès Mirehous v. Rennel (1833) : « Notre système de Common Law consiste à appliquer à de nouvelles combinaisons de circonstances les règles de droit que nous dérivons des principes légaux et des précédents judiciaires. Et pour être sûrs d’arriver à l’uniformité, la solidité et la certitude, nous devons appliquer ces règles, quand elles ne sont pas manifestement irraisonnables et fâcheuses, à tous les cas qui se présentent. Et nous n’avons pas la liberté de les rejeter et d’abandonner toute analogie avec elles dans les cas où elles n’ont pas encore été appliquées parce que nous pensons que les règles ne sont pas adaptées et raisonnables selon ce que nous en décidons ». On peut en conclure qu’un précédent, ou leading case est comme un article de loi.

En fait, cela ne concerne pas tout le cas, pas l’exposé des faits, pas le jugement lui-même, mais la ratio

decidendi, la façon dont il a été décidé que… C’est l’essentiel du raisonnement qui compte, lui-même fondé sur d’autres cas … « Any rule of law expressly or implied treated by the judge as a necessary step in reaching his conclusion, having regard to a line of reasoning adopted by him » (R.Cross, Precedent in English Law, Oxford 1977, cité par KG).

La décision elle-même lie les parties, la ratio decidendi, la façon de décider lie les futurs juges.

b. Tempéraments Lorsqu’un juge affirme une règle de droit pour l’appliquer, il le fait en fonction des circonstances de l’espèce

dont il est saisi. Le juge peut cependant établir des distinctions qui vont lui éviter d’appliquer tel ou tel précédent.

Puisqu’il ne peut pas se permettre de dire de certaines décisions (rendues par des juridiction de rang supérieur ou égal à la sienne), qu’elles ont été mal rendues. Il peut cependant très souvent, en considérant les circonstances des diverses espèces, découvrir dans l’affaire qui lui est soumise, un élément particulier qui n’existait pas ou qui n’avait pas été relevé dans les affaires précédentes. Cela va lui permettre d’écarter la règle qui avait été posé précédemment, ou bien de la préciser, de la compléter, de la reformuler.

De cette manière il pourra donner au procès sa solution raisonnable. Cette technique permet au droit anglais d’évoluer, malgré la règle du précédent qui paraît si rigide. Nous sommes donc en face d’un droit qui est toujours en voie d’élaboration.

Ce droit va évoluer en Angleterre, mais il va aussi apparaître et évoluer dans d’autres régions du monde où il

a été importé.

II. EXPANSION DE LA COMMON LAW DANS LE MONDE La common law est née en Angleterre. Fruit d’une colonisation, elle devenait, à son tour, un siècle plus tard,

colonisatrice.

A. En Europe Irlande. Son premier champ d'expansion est l'Irlande qui entre, dès le XIe siècle, dans l'orbite anglo-normande

et possède rapidement son propre Justicier en la personne d’Hugh de Lacy, représentant d'Henri II dans l'île. Pays de Galles. Ses habitants, soumis par Edouard I, au début du XIII e siècle, furent incorporés à l'Angleterre

sous Henri VIII par les lois d'Union de 1536 et 1543. Jusqu'à ce moment, les Gallois avaient continué à vivre sous leur propre droit. Les lois du XVIe siècle introduisent dans leur pays la common law. Cette introduction s'accompagne d'une colonisation culturelle qui ne se ralentira quelque peu qu'au XXe siècle.

L'Écosse. Le rythme de la colonisation juridique y est à la fois plus lent et moins profond. En 1603, à la mort

d'Elisabeth Ière sans héritiers, la couronne passe en ligne collatérale à la famille des Stuarts qui régnait à ce moment sur l'Écosse. Jacques VI d'Écosse devient ainsi Jacques Ier d'Angleterre.

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Les deux royaumes n'en conservent pas moins leurs droits. L’union ne sera institutionnelle que dans les

premières années du XVIIIe grâce à la loi d'Union de 1707, créant le Royaume-Uni de Grande-Bretagne. Élément important dans l’extension de la common law, ce sont deux décisions de la Chambre des Lords qui

affirment, dès 1708 et 1710, le droit d'appel devant la Chambre des Lords au départ des cours écossaises demeurées en place après l'Union. L'esprit, du droit jurisprudentiel anglais est ainsi assuré de pénétrer en Écosse (à défaut de la lettre).

B. En Amérique

Le ton change dans les premiers documents relatifs aux colonies d'Amérique. Par exemple, en 1606, le

Conseil du Roi pour la Virginie reçoit pouvoir de légiférer et d'administrer la justice de manière, « en substance, aussi proche que possible du droit commun (the common lawes) de l'Angleterre et de son équité (the equity thereof) ».

La formule se généralisera dans le courant de ce siècle pour devenir : « aussi près que possible en accord avec le droit de ce Royaume » (as near as may be agreeable to the laws of this Kingdom). La formulation est intéressante dans la mesure où elle limite la liberté quasi totale de légiférer et présume l'introduction dans les nouveaux territoires d'une Common Law modifiée, mais de manière minimale, en fonction des circonstances locales.

Mais qui dit organisation judiciaire, implique la définition d'un droit qu'appliqueront ses différents échelons. Il peut arriver que rien ne soit prévu (c'est le cas, par exemple, lors de la création de la colonie de l'île de Vancouver en 1849); toutefois, dans la mesure où la majorité des colons est d'origine anglaise, on peut penser que c'est une certaine perception «populaire» de leur droit qui sera effectivement appliquée par les cours en fonction dans ces territoires.

Mais, dans l'écrasante majorité des cas, rien d'étonnant à ce que le droit applicable soit celui de l'Angleterre. Ou, lorsque le sentiment existe que peut-être les premiers juges de la colonie seront soit personnellement, soit au niveau des sources disponibles, mal équipés.

Si aujourd'hui de multiples collections de law reports, sous forme imprimée, voire informatisée, sont, directement, ou à distance, accessibles aux praticiens, on était loin du compte dans les premiers établissements coloniaux.

Nombre d'entre eux, fruits de conquêtes, étant souvent confiés, pendant de longues années, à des militaires avant que soient établies des cours civiles; c'est le cas, notamment, de l'Acadie britannique entre 1710 et 1749.

Dans ce cas, la common law est davantage une culture implantée dans la personnalité des individus - certains

diraient une coutume - , un système juridique qu'ils vivent sans avoir besoin de se référer à des sources écrites. Ceci n'empêche pas le rôle des juges d'y demeurer prééminent et leurs décisions de demeurer la principale

source de droit, même si, pendant longtemps, la culture juridique dans les colonies est peut-être davantage doctrinale que judiciaire. Caractéristique de cette tendance est le succès considérable (quelque 2 500 copies vendues dans les colonies américaines avant 1776) des Commentaires de Blackstone.

Encore faut-il que toutes les parties au procès et le corps social en général partagent la même perception de la

common law. Tel n'est pas nécessairement le cas. Le magistrat fraîchement débarqué d'Angleterre et venant de rompre le lien nourricier de la pratique des inns of court n'ont pas nécessairement la même perception du droit que le peuple, souvent fruste, de la colonie ayant déjà procédé dans sa pratique quotidienne aux ajustements rendus indispensables par la situation locale.

La même constatation peut être faite lorsque les juges siégeant dans les premières cours du Canada sont

originaires des colonies américaines. En certains cas la population va jusqu'à entamer des procédures judiciaires contre eux dans la mesure où ils estiment le recours au droit du Massachusetts « injurieux et préjudiciable » à la population locale; celle-ci exige d'« être gouvernée par le droit [the laws]de l'Angleterre ».

Ainsi apparaissent, dès le XVIIIe siècle, et sans doute plus tôt, les common laws.

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Dans certains endroits, la faible densité de la population autochtone se transformera aisément, dans l'esprit du colonisateur (volontaire ou non) en vide total. Tel sera l'argument va notamment être utilisé en Amérique, mais aussi en Australie ou en Nouvelle-Zélande, dans certaines régions de l'Afrique. Cela va fournira ainsi d’alibi à l'implantation de la Common Law sur de vastes étendues du monde colonisé.

Enfin, le maintien du roi d'Angleterre en tant que Fontaine suprême de Justice de tous ses sujets, expatriés ou

non, a pour effet qu'un appel sera presque toujours possible des colonies vers la métropole. À l'origine l’appel est adressé au Roi-en-Conseil, puis au Conseil privé ou à l'un de ses comités. Il a ensuite

été transféré en 1696 à un nouvel organe créé, semble-t-il, pour éviter une intervention parlementaire dans les affaires coloniales. Ce nouvel organe est le Département du Commerce et des Plantations (Board of Trade and Plantations).

Le département fut aboli en 1782 et les appels revinrent devant le Conseil privé jusqu'à la création, en 1833, du Comité judiciaire du Conseil (Judicial Committee of the Privy Council). Bien que l'étendue territoriale de sa compétence soit aujourd'hui fortement réduite, le Comité demeure l'instance judiciaire ultime en ce qui concerne les colonies et, nous l'avons vu, certains États indépendants du Commonwealth.

Le Comité, s'est révélé au cours du temps le plus sûr garant non seulement de la « pureté » de la Common law

à travers le monde, mais encore de sa vocation à phagocyter d'éventuels systèmes juridiques étrangers maintenus en place, par le colonisateur britannique.

C. En Asie et en Afrique

L'implantation de la Common law sur le continent asiatique à partir du XVIIe et africain à la fin du XIXe et

au XXe siècle est particulière.

1. Asie Le 12 février 1669, alors que les Britanniques sont présents à Bombay depuis quelques années, le

Gouverneur et le Conseil de l'East India Company prennent une ordonnance aux termes de laquelle les juges nommés par eux jugeront « selon les principes du droit commun (Common Right), selon la législation (the Laws) qui est ou sera ultérieurement faite et adoptée légalement pour la East India Company et ses autorités ... conformément à la justice, à la bonne conscience ... »

Le règlement des litiges est effectué par les juges anglais, selon des principes qui ne peuvent que refléter le

droit de leur mère-patrie, donc la Common law. Trois ans plus tard, le gouverneur précisait qu'il s'agissait bien du droit anglais et en tout cas pas du droit

portugais qui continuait à être pratiqué en parallèle, les Portugais étant installés dans la région depuis plus d'un siècle.

Cette présence de juges anglais appliquant la Common law sur le territoire de l'Inde entraîne, par un effet de

contagion, son application à de nombreux Indiens leur soumettant volontairement leurs causes en raison de leur efficacité et aussi de leur impartialité supposée lorsqu'il s'agissait de plaideurs locaux.

Il faut noter cependant que si l'ensemble de la structure judiciaire du pays reproduit le modèle anglais, au sommet de la pyramide judiciaire se trouve un organe de production du droit emprunté à un autre pays de Common law. C’est une Cour suprême à l'américaine. Son existence se justifie d'autant plus aisément que l'Inde est un État fédéral.

Lorsqu'on parle ainsi de diffusion de la Common law, on ne peut perdre de vue le rôle capital joué par le fils aîné de la Common law, le système américain, dans la construction de nombreux systèmes juridiques contemporains.

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2. L’Afrique Que dire de la colonisation africaine ? C’est la dernière venue des grandes entreprises de colonisation

britannique (XIXe-XXe). La pénétration de la Common law ne sera pas immédiate dans les colonies d’Afrique. Le maintien en vigueur des droits locaux peut s’expliquer par l'impossibilité pour le colonisateur

d'administrer lui-même la justice en raison de la faiblesse de ses ressources en hommes et en finances. C’est donc une administration indirecte, avec comme conséquence la reconnaissance des droits locaux. Cela

fait obstacle à l'introduction généralisée de la Common law. Mais celle-ci demeure tout de même accessible à certains Africains.

Une disposition, généralisée dans tous les territoires sous contrôle britannique, leur permet de placer sous le régime de la Common law tout acte juridique de leur choix.

Cela entraîne automatiquement que les cours traditionnelles africaines ne peuvent pas prendre connaissance

d'une affaire gouvernée par la Common law. C’est particulièrement fréquent en milieu urbain. En ville l’utilisation de la Common Law paraît prisée par la partie de la population dont le mode de vie se rapproche de celui du colonisateur.

Au moment où surviennent les indépendances, cette fraction de la population qui avait un mode de vie proche

du colonisateur est le plus souvent, celle qui prend le pouvoir. La Common law anglaise devient alors sans peine la common law ghanéenne, celle du Nigéria (Ouest), mais aussi du Kenya ou Tanzanie, Ouganda Malawi etc... (beaucoup de pays situés dans la partie Sud-Sud-Est de l’Afrique).

Ce droit va être administrée très rapidement par des magistrats africains. Il va alors se mettre à l'heure de l'Afrique. C’est ainsi que naissent les common laws africaines.

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HPJ COMMON LAW – ANNEXES

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Débarquement

Bataille d’Hastings

Mort d’Harold

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HPJ COMMON LAW – ANNEXES

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Edouard Ier sur le trône au Parlement, avec Alexandre d’Ecosse à sa droite et Llewellyn de Galles à sa gauche

Echiquier irlandais au début du XVe siècle

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HPJ COMMON LAW – ANNEXES

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Writ d’Henri II