petit memento du cafe litteraire janvier 2014 · quand la vie devant soi obtint le goncourt, ......

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PETIT MEMENTO DU CAFE LITTERAIRE PETIT MEMENTO DU CAFE LITTERAIRE JANVIER 2014 JANVIER 2014 Thème choisi la session précédente : Romain Gary Une fois n'est pas coutume, le personnage vous ayant visiblement passionné (quelle belle soirée!), je me permets de vous mettre ci-dessous, une biographie empruntée à Jean-Marc Parisis du Figaro qui me semble plutôt bonne. Il eut mille vies, sans compter celles qu'il s'inventa dans une œuvre qui tient du palimpseste et du mille-feuille. Une œuvre électrique et baroque, signée d'un cortège de pseudos : Romain Gary, mais aussi Emile Ajar (1), Fosco Sinibaldi, Shatan Bogat. On risque un curriculum vitae, forcément lacunaire. Roman Kacew est né en 1914 à Wilno (Vilnius), en Lituanie, de parents juifs. Sa mère, Mina, va l'adorer. Il connaîtra à peine son père, parti vivre avec une autre. Arrive en 1928 à Nice, où Mina gérera une petite pension de famille. Bac à Nice et fac de droit à Paris. Naturalisé français en 1935. En 1940, mitrailleur en avion, il rejoint l'Angleterre et les Forces aériennes françaises libres. Croix de guerre, croix de la Libération. En 1945, mariage avec l'écrivain et journaliste anglaise Lesley Blanch, débuts dans la diplomatie. Secrétaire d'ambassade à Sofia puis à Berne, attaché de presse de l'ONU à New York. Consul à Los Angeles, il rencontre l'actrice américaine Jean Seberg, qui deviendra sa seconde femme. A cette époque, il a publié Education européenne et Les Racines du ciel(prix Goncourt 1956). Coscénariste du Jour le plus long, il a réalisé deux films, Les oiseaux vont mourir au Pérou et Kill. Auteur, entre autres livres, de La Promesse de l'aube, Chien blanc, La nuit sera calme, Gros-Câlin, La Vie devant soi (Goncourt 1975), L'Angoisse du roi Salomon et du posthume Vie et mort d'Emile Ajar , paru après son suicide survenu le 2 décembre 1980. Ce sont des faits, mais la vérité est ailleurs pour Gary. «La vérité? Quelle vérité? La vérité est peut- être que je n'existe pas.»(2). Ce n'est pas une formule, mais un désir d'échapper à tous, pour se fuir et s'inventer. Entre l'être et le néant, Gary est une métaphore de la liberté. Son visage est une question et une leçon. A l'âge adulte, s'y accrochent encore l'inquiétude, la force, l'innocence de l'enfance. Regard bleu délavé et bouillant, front noble, casque de cheveux où rebondit la foudre. Sur ce relief se lisent la «droiture» et «l'effort d'être un homme», vertus qui manquèrent cruellement au XXe siècle. Faut-il rappeler qu'à son arrivée à Nice la France pouvait sembler un paradis aux Juifs (avant d'être l'antichambre de l'enfer sous Vichy) ? Traqué, Gary passe en Angleterre pour détruire les positions allemandes. Entre deux vols, il écrit Education européenne. En 1944, blessé au-dessus de Saint-Omer, il finit sa mission en héros dans un cockpit fracassé. Le sang imprégnant son battledress n'est pas français, «mais la France coule dans mes veines». Autant dire que Gary fut un gaullien, définitif. Cet écrivain incandescent, formidablement délié, se vit reprocher par de troubles puristes de mal écrire en français. Ainsi, au moment où Giono et Mac Orlan donnaient le Goncourt aux Racines du ciel, le critique Kléber Haedens affirma qu'il n'y avait pas «d'ouvrage aussi lourdement incorrect dans toute l'histoire de la littérature française».

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PETIT MEMENTO DU CAFE LITTERAIREPETIT MEMENTO DU CAFE LITTERAIRE

JANVIER 2014JANVIER 2014

Thème choisi la session précédente :Romain Gary

Une fois n'est pas coutume, le personnage vous ayant visiblement passionné (quelle belle soirée!), je me permets de vous mettre ci-dessous, une biographie empruntée à Jean-Marc Parisis du Figaro qui me semble plutôt bonne.

Il eut mille vies, sans compter celles qu'il s'inventa dans une œuvrequi tient du palimpseste et du mille-feuille. Une œuvre électrique etbaroque, signée d'un cortège de pseudos : Romain Gary, mais aussiEmile Ajar (1), Fosco Sinibaldi, Shatan Bogat. On risque uncurriculum vitae, forcément lacunaire.

Roman Kacew est né en 1914 à Wilno (Vilnius), en Lituanie, deparents juifs. Sa mère, Mina, va l'adorer. Il connaîtra à peine son père,parti vivre avec une autre. Arrive en 1928 à Nice, où Mina gérera unepetite pension de famille. Bac à Nice et fac de droit à Paris. Naturaliséfrançais en 1935. En 1940, mitrailleur en avion, il rejoint l'Angleterre

et les Forces aériennes françaises libres. Croix de guerre, croix de la Libération. En 1945, mariageavec l'écrivain et journaliste anglaise Lesley Blanch, débuts dans la diplomatie. Secrétaired'ambassade à Sofia puis à Berne, attaché de presse de l'ONU à New York. Consul à Los Angeles, ilrencontre l'actrice américaine Jean Seberg, qui deviendra sa seconde femme. A cette époque, il apublié Education européenne et Les Racines du ciel(prix Goncourt 1956). Coscénariste du Jour leplus long, il a réalisé deux films, Les oiseaux vont mourir au Pérou et Kill. Auteur, entre autreslivres, de La Promesse de l'aube, Chien blanc, La nuit sera calme, Gros-Câlin, La Vie devantsoi (Goncourt 1975), L'Angoisse du roi Salomon et du posthume Vie et mort d'Emile Ajar, paruaprès son suicide survenu le 2 décembre 1980.

Ce sont des faits, mais la vérité est ailleurs pour Gary. «La vérité? Quelle vérité? La vérité est peut-être que je n'existe pas.»(2). Ce n'est pas une formule, mais un désir d'échapper à tous, pour se fuiret s'inventer. Entre l'être et le néant, Gary est une métaphore de la liberté.

Son visage est une question et une leçon. A l'âge adulte, s'y accrochent encore l'inquiétude, la force,l'innocence de l'enfance. Regard bleu délavé et bouillant, front noble, casque de cheveux oùrebondit la foudre. Sur ce relief se lisent la «droiture» et «l'effort d'être un homme», vertus quimanquèrent cruellement au XXe siècle. Faut-il rappeler qu'à son arrivée à Nice la France pouvaitsembler un paradis aux Juifs (avant d'être l'antichambre de l'enfer sous Vichy) ? Traqué, Gary passeen Angleterre pour détruire les positions allemandes. Entre deux vols, il écrit Educationeuropéenne. En 1944, blessé au-dessus de Saint-Omer, il finit sa mission en héros dans un cockpitfracassé. Le sang imprégnant son battledress n'est pas français, «mais la France coule dans mesveines». Autant dire que Gary fut un gaullien, définitif.

Cet écrivain incandescent, formidablement délié, se vit reprocher par de troubles puristes de malécrire en français. Ainsi, au moment où Giono et Mac Orlan donnaient le Goncourt aux Racines duciel, le critique Kléber Haedens affirma qu'il n'y avait pas «d'ouvrage aussi lourdement incorrectdans toute l'histoire de la littérature française».

Il provoque en duel Clint Eastwood, qui se défile

Touché au vif, Gary ne le rata pas : «Dès que j'entends dans la voix d'un homme cette souffrancehaineuse, je me prosterne avec sympathie et jubilation. C'est un frère.» Réponse digned'un «terroriste de l'humour», comme il s'autoproclamait, car s'il n'est pas sûr qu'Haedens ait haïGary à ce point, on doute aussi que ce dernier ait pu voir un frère en lui. D'autres réserves ineptes etblessantes sur son style lui seront servies, en termes plus ou moins hargneux. En France, desborgnes l'ont rangé parmi les auteurs mineurs, quand on l'adulait à Londres ou à New York. C'est leseul écrivain français à avoir accédé au rang de star aux Etats-Unis.

Les stars, le consul Gary en a croisé à Los Angeles, dans des soirées chez Fred Astaire, FrankSinatra, Gary Cooper, Kirk Douglas, Katharine Hepburn. Il connut un peu Marilyn Monroe etbeaucoup mieux Veronica Lake. Plus tard, il provoqua Clint Eastwood en duel pour avoir couchéavec Jean Seberg, et le cow-boy se défila.

Sauvage à ses heures, essuyant ses pieds sur les coussins, reléguant ses secrétaires trop mochesderrière un paravent, affectionnant le drame et la commedia dell'arte, pleureur compulsif, affectédu «spleen slave», selon Lesley Blanch (3), Gary avait dialectiquement un don solaire pour la joie,la générosité, les femmes. Sensuel, il aligna les cinq-à-sept sur de multiples fuseaux horaires. Grandvoyageur, il fut reporter pour Life. Amoureux transcendantal, il écrivit Clair de femme.

Déprimé chronique, mais se soignant à l'idéal, il semblait aimanté par la beauté, le tragique de labeauté. En Jean Seberg, savait-il qu'il rencontrait le jour et la nuit, le blanc et le noir, son double etson envers ? En 1959, il avait 45 ans, elle en avait 21. Elle avait failli brûler vive sur le tournagede Sainte Jeanne de Preminger et sortait d'A bout de souffle de Godard. Au début, Gary parlait de sesuicider car Jean voulait toujours faire l'amour. Ils se marièrent en 1963, divorcèrent en 1970, et lesuicide les rattrapa. Salie par le FBI pour son soutien aux Black Panthers, gravement dépressive,Seberg fut retrouvée morte en 1979, à 40 ans, le sang chargé d'alcool et de barbituriques.

Un double littéraire jamais avoué de son vivant

A l'époque, Gary semblait lui-même au bout du rouleau et d'un jeu de rôles de plus en plus risqué,entamé en 1974, quand il avait publié Gros-Câlin sous le nom d'Emile Ajar, à l'insu même de sonéditeur. L'année suivante, il avait demandé à son cousin Paul Pavlowitch de personnifier ce pseudo.Quand La Vie devant soi obtint le Goncourt, Paul donna des interviews, pendant que Romainjubilait secrètement de se voir primer une seconde fois, ce qui était inédit et interdit. Lamystification dura. Malgré les soupçons, Gary n'avoua jamais de son vivant. Pavlowitch parla dansl'émission télévisée «Apostrophes » en juillet 1981. Mais Gary s'était déjà effacé, d'une balle dans lagorge, sept mois plus tôt, en laissant quelques lignes : «Aucun rapport avec Jean Seberg. (...) Je mesuis enfin exprimé entièrement.» La balle du Smith &Wesson n'est pas sortie du crâne. La vérité aeu le dernier mot. --

(1)Gallimard réédite des récits et des romans signés Gary ou Ajar (Education européenne, LaPromesse de l'aube,Chien blanc, Les Trésors de la mer Rouge, Les Enchanteurs, La Vie devantsoi, Pseudo et Vie et mort d'Emile Ajar)en un volume de la collection «Quarto», Légendes du je,édition établie et présentée par Mireille Sacotte, 1428p., 29,90€.

(2)Toutes les citations, à l'exception de celle de Lesley Blanch, sont tirées de Romain Gary, lecaméléon, la magistrale somme biographique de Myriam Anissimov, parue chez Denoël etdisponible en «Folio».

(3)Romain, un regard particulier, récit, de Lesley Blanch, traduit de l'anglais par JeanLambert, récemment réédité aux Editions du Rocher, 141p., 16€.

De notre côté, la qualité littéraire de Romain Gary n'a pas été contestée même si sa formeclassique et sa densité ont été des écueils n'ayant pas permis une totale adhésion chez certainsde nos lecteurs .

Heureusement, la personnalité de l'auteur, la richesse de sa vie ont permis de lever ces freinset plus que la découverte d'une œuvre, c'est la rencontre d'avec l'homme qui semble avoirmotivé la lecture d'un grand nombre de ses œuvres.

La variété des titres et des genres a eu de quoi surprendre. On retiendra néanmoins lapropension à l'autobiographie, romancée parfois, telle que dans « La Promesse de l'aube » ou« Les Cerfs-volants » , à peine voilée dans « Au-delà de cette limite votre ticket n'est plusvalable » . Les prises de position morales ou politiques sont également très présentes. Moralesdans « Les Racines du ciel » par exemple, plus politiques dans « L'Homme à la colombe » ,roman dans lequel il critique l'ONU.

L'oeuvre de Romain Gary, Emile Ajar ou Fosco Sibaldi (pour ne citer que ces pseudonymes)est donc apparue comme touffue, difficile malgré la fluidité du style. Sa découverte a étéessentiellement portée par la personnalité hors-norme de cet écrivain, la richesse de sa vie etune mort dont le caractère volontaire a enflammé la discussion !...

Les livres lus par les participants :

- La Promesse de l'aube

- La nuit sera calme (entretiens)

- La vie devant soi

- Les Racines du ciel

- Au-delà de cette limite votre ticket n'est plus valable

- Les Cerfs-volants

- Lady L.

- Charge d'âme

- Europa

Autres ouvrages lus et conseillés par nos lecteurs :

- Pierre Lemaître : « Au revoir là-haut »

- Tom Wolfe : « Bloody Miami »

- Brett Easton Ellis : « Moins que zéro », « American psycho »

- Antoine Laurain : « Le Chapeau de Mitterrand »

- Alain Serres : « Mandela l'Africain » (album jeunesse)

- Catherine Guillebaud : « La Fille du bar »

- Denis Westhoff : « Sagan et fils »

- Kate Quinn : « La maîtresse de Rome »

- Jean-Claude Carrière : « La Controverse de Valladolid »

- Baudelaire : « Mon cœur mis à nu »

- Jean-Pierre Gibrat : « Matteo » (Bande dessinée)

- Paul Cleave : « Le Père idéal », « Nécrologie »

- D.Smith : « Les Soldats oubliés de Napoléon »

- Jean-Loup Trassard : « L'Homme des haies »

- Gilles Legardinier : « Demain, j'arrête », « Complètement cramé »

- Khaled Hosseini : « Les Cerfs-volants de Kaboul », « Mille soleils splendides »

- Chabouté « Un peu de bois et d'acier », « Fables amères »

- Etienne Davodeau : « Les Ignorants », « Lulu, femme nue »

Et parce que nous ne nous contentons pas d'aimer les livres mais que le cinéma a toute saplace dans nos discussions …

Films vus et approuvés :

- Le Géant égoïste de Clio Barnard

- Yves Saint-Laurent de Jalil Lespert

- Tel père, tel fils d'Hirokazu Koreeda

- Minuscule de Thomas Szabo

- Mandela, un long chemin vers la liberté de Justin Chadwick

Nous rappelons également le décès de François Cavanna qui a enrichi les souvenirs des uns etdes autres (sauf des plus jeunes) et de Philippe Delaby, connu principalement pour la série« Murena » (plus de renseignements par ici > http://philippedelaby.blogspot.fr/ ) .

Notre prochain rendez-vous aura lieu

à la Bibliothèque municipale de Sarrebourg

le vendredi 28 février à 20h

Le thème choisi pour la première partie de soirée est

Toni Morrison

(Entrée libre. Je rappelle qu'il n'est pas nécessaire d'avoir lu des ouvrages sur le thème choisi pourparticiper à la soirée)