perregaux ets a file

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B67-4155 JBJ17<I UiOMBTi PERREQAUX et sa fîlle la duchesse de Ra^use

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  • B67-4155

    JBJ17

  • PERREQAUXet sa fille

    la duchesse de Ra^use

  • p?:rregaux

    d'aprs le Baron Grard

  • /E^JV LTfOMETi

    PERREQAUXet sa fille

    la duchesse de Raguse

    PARISIMPRIMERIE GNRALE LAHURE

    9, rue de Fleurus, 9

    I 9o5

  • VI INTRODUCTION,

    de France. Mais Perregaux ne fut pas seule-ment un financier de premier ordre qui renditde grands services la France; il fut aussi laProvidence des acteurs et des actrices, car ilaimait passionnment le thtre; aussi se mon-tra-t-il toujours accueillant et gnreux enversles artistes qui venaient lui conter leurs embar-

    ras pcuniaires. C'est cette figure curieuse et

    attachante que nous avons essay de faire re-vivre, grce la dcouverte que nous avons faite

    il y a quelques annes, d'une partie des papiers

    de sa fille, la marchale Marmont, duchesse deRaguse. L'examen de ces documents nous r-vla une seconde physionomie non moins at-trayante que la premire : celle de la duchesseelle-mme. Gracieuse et spirituelle, ptillante

    de malice, enfant terrible quelquefois, adorant

    son pre, Mme de Raguse fut, sans contredit,une des femmes les plus exquises du PremierEmpire; il nous a paru intressant de la faire

    figurer dans cet ouvrage, ct de Perregaux.

    Nous tenons adresser ici l'expression de

    notre reconnaissance M. Frdric de Perre-

    gaux, de Neuchtel, petit-neveu du banquier,qui a mis notre disposition tous les docu-

  • INTRODUCTION. vu

    ments qu'il possdait sur son grand-oncle, et

    nous a permis de reproduire en tte de ce vo-lume le superbe portrait de Perregaux par lebaron Grard; Mme Polonceau, l'aimablepropritaire du chteau de Viry-Chtillon et M. le cur de Viry-Chtillon qui nous ont com-

    muniqu d'intressants dtails sur le sjour dela duchesse de Raguse dans le pays; M. Fr-

    dric Masson, de l'Acadmie franaise, pourles indications bibliographiques et les utiles

    renseignements qu'il nous a donns; enfin M. Lorimy, prsident de la Socit archolo-gique de Chtillon-sur-Seine, qui nous a guiddans la consultation des archives de cette ville.

  • PERREGAUX

    CHAPITRE rLE MONDE FINANCIER A LA VEILLE

    DE LA RVOLUTION

    Le XVIII sicle est par excellence le sicle desfinanciers; ils sont intimement mls aux af-faires publiques; ce sont gens d'importance donton cherche s'attirer les faveurs, car on lessait gnreux et disposs prter avec bonnegrce un peu de ce vil mtal dont le besoin se fait

    4. Sources manuscrites :1 Archives de M. Frdric de Perregaux.2 Papiers de la duchesse de Raguse.

    Sources imprimes :\ E. de Goncourt : La Guimard.2 E. et J. de Goncourt : Portraits intimes du xviir

    sicle.3 Bonnefons : Les htels historiques de Paris, 4852.4 Catalogues des collections d'autographes Trmont

    et Dubrunfaut.

  • 2 PERREGAUX.

    de plus en plus sentir avec le luxe inou qui se

    dploie cette poque. Tous sans doute n'ont pasreu une instruction impeccable, tmoin Beaujon,l'opulent banquier de la Cour, allant recom-

    mander un de ses protgs Necker : Mais, ditle ministre, la personne que vous me recommandezn'est pas riche. Qui donc fournira son cautionne-ment? Moi, rpond firement Beaujon. Oh!oh ! vous parlez comme Corneille! s'exclame sontour le contrleur gnral. Et voil le banquier

    de la Cour qui s'anime, se lve sans plus attendre,

    sort en claquant la porte et s'crie tout enflammde colre, une fois dans l'antichambre : Voyez ceministre qui me traite de corneille ! * Mais ce nesont l que de lgers travers qui disparaissent

    aux yeux du monde bloui par les prodigalits desfinanciers. Ils engloutissent des sommes normesdans la construction de vritables palais qu'ils em-plissent d'objets prcieux : architectes en renom,dcorateurs ingnieux, tapissiers habiles, tous

    sont accapars par eux. Leurs tables sont succu-

    lentes; on y mange des plats raffins qui fontpmer de joie les gastronomes : turbot au coulisde homard, ortolans la financire, potagebisque, etc.... Samuel Bernard dpense par an150 000 livres pour sa cuisine.

    Joyeux viveurs et prodigues, les financiers

    1. Thirion. Vie prive des Financiers au xvin sicle^

    p. 263.

  • PERREGAUX. 5

    savent surtout s'attirer les suffrages des femmes :c'est Bouret, le clbre fermier gnral, qui pour

    plaire une jolie femme lui demandant des pois-sons de la Chine, que Mme de Pompadour taitseule possder, en fait excuter six en ormaill, et construits mcaniquement; c'est lemme Bouret, qui, offrant souper, fait disposerpour chaque dame, dans deux verres diffrents, unbouquet de fleurs et une aigrette de diamants.A ces prodigalits, beaucoup se ruinent : en

    cinq ans, d'pinay jette par les fentres 1500000livres, Roussel mange 12 millions, Savallette secontente d'une dizaine, Bouret, aprs avoir dpens40 millions, s'empoisonne. Ainsi leur fortunen'est qu'phmre; beaucoup mme, comme Bou-tin, paieront de leur tte sur l'chafaud les hainesaccumules contre les fermiers gnraux.A ct de ces financiers fastueux, on voit appa-

    ratre ds le dbut du xvni sicle les banquierssuisses. Travailleurs, intelligents, dous pour lesaffaires, ils tiennent bientt le premier rang danstoutes les oprations de banque qui se traitent Londres et Paris; ils fondent rapidement denombreuses maisons dont la plus clbre est, sanscontredit, celle du ngociant genevois Thlusson,qui prend comme associ, puis comme successeur,son comptable, le fameux Necker.Encourag par les succs qu'obtenaient Paris

    les banquiers suisses, grce leurs habitudes

  • 4 PERREGAUX.

    d'ordre et de travail et surtout leur probit quileur attirait la confiance des commerants, un jeunehomme de Neuchtel, Jean-Frdric Perregaux,n le 4 septembre 1744, rsolut de fonder Parisune maison de banque. Appartenant une desplus vieilles familles de Neuchtel*, il se sentaitparticulirement attir vers cette France la pros-prit de laquelle il allait contribuer; nombreuxtaient en effet les membres de sa famille quiavaient mis leur pe au service de la France : sonpre et son grand-pre taient de ce nombre.Perregaux avait t plac trs jeune Mulhouse

    pour y apprendre l'allemand; par le lac de Neu-chtel, la Thile, l'Aar et le Rhin, il avait gagnBle en barque et de l s'tait rendu Mulhouse pied. Aprs quelques mois de sjour dans cetteville, il passait plusieurs annes en Hollande et enAngleterre pour s'instruire dans la pratique desaffaires et venait enfin Paris en 1765. Ses dbutsavaient t durs et sa vie trs laborieuse; mais,

    grce son nergie et aussi la protection de soncompatriote Necker, il russissait percer. L'ob-

    scurit la plus complte rgne sur les premires

    1. La famille Perregaux tait ds le xv* sicle une despremires de Neuchtel. Jean-Frdric Perregaux taitl'an de sept enfants, trois garons et quatre filles. Il taitfils de Franois-Frdric Perregaux, n en 1716, officierau service de la Fraace jusqu'en 1740, lieutenant-coloneldu Dpartement du Val-de-Ruz.

  • PERREGAUX. 5

    annes qu'il passa Paris ; nous trouvons sa ban-que mentionne pour la premire fois rue Saint-Sauveur, dans l'Almanach royal de 1781, et, ds1783, sa maison avait dj acquis une grandeprosprit.

    Perregaux avait pous, le 20 janvier 1779, unetrs jolie femme, Adlade de Pral, dont la beautet l'lgance taient vantes par la socit pari-sienne.

    Banquier prudent et avis, possdant une intel-ligence remarquable des affaires, Perregaux avaitun peu des gots et beaucoup de la gnrositdes fermiers gnraux. Mcne clair, il aimaitles artistes, dont il tait le banquier et l'ami, maissurtout le confident discret des embarras pcu-niaires. Les acteurs et les actrices les plus renom-

    ms correspondaient amicalement avec lui. Ilchargeait le fameux danseur de l'Opra, Noverre,de lui procurer un chien d'une espce rare, etvoici la rponse que l'artiste lui adressait deLondres le 50 dcembre 1782 :

    Monsieur,

    Je n'ai point oubli la commission que vousm'avez donne; j'ai fait toutes les dmarches pos-sibles pour la remplir, sans avoir pu y parvenir;

    je vous dirai, monsieur, que l'espce de chien quevous dsirez est trs rare ; il n'y a que le duc deMarlborough et mon frre qui aient de la race, et

  • 6 PERREGAUX.

    peut-tre quelque autres particuliers, qui en sont

    galement jaloux; je n'ai donc pu aucun prix entrouver tels que ceux que j'ai donns la reine. Sicependant la personne qui a envie de cette espcede chien veut patienter, elle pourra avoir un

    couple de la chienne de mon frre, qui doit mettrebas dans trois semaines; comme ils seront troppetits l'poque de mon dpart, qui est fix au

    commencement de fvrier, pour les emporter, monfrre s'en chargera lui-mme dans le courant dejuin. Je n'ai pu voir M. Syndon qui m'a apportvotre lettre, mais j'y retournerai demain et luiremettrai la mienne afin qu'il vous la fasse par-venir.

    Je serai bien enchant que la proposition queje vous fais puisse vous convenir, ainsi qu' votreami, et je vous prie de croire que je n'aurai eud'autre chance que le plaisir de faire quelquechose qui vous soit agrable.

    J'ai l'honneur d'tre avec les sentiments lesplus distingus, monsieur, votre trs humble ettrs obissant serviteur.

    NOVERRE.

    C'est ce mme Noverre qui date ainsi une lettreadresse Perregaux : Ce dimanche matin, veilledu lundi o l'on avale les hutres, Il comptait,dit-il, lui donner dner lundi, et pour l'gayer, ilavait invit la citoyenne Carline, mais, le hasard

  • PERREGAUX. ^

    qui dispose de tout depuis que la Providence nese mle plus de nous, en a dispos tout autrement :en mangeant la soupe, elle reut une lettre d'envoiqui lui annonait un cloyre d'hutres; elle rompitle vu de dner chez moi, s'engagea vous inviteret me pria de vous prvenir du changement de do-micile. Ainsi, je vous invite, en attendant qu'ellevous prie; vous trouverez l tous les curs et tous

    les visages que vous auriez trouvs chez moi.Nous tcherons de rire, et de semer quelquesfleurs sur notre existence....

    Perregaux sait rendre service et les danseusesde l'Opra ont souvent recours ses bons offices

    ;

    la Duth crit en 1787 une de ses amies, Mlle Lu-mire :

    Ma chre Manon,

    Je donne la commission mon cousin det'embrasser pour moi, ainsi que ta maman et matante Galabi. J'aurai besoin de rouge, trois pots un louis comme les derniers et deux douzefrancs, les deux derniers de rouge de blonde pourla lumire. Il faudra demander quatre louis M. Perregaux pour cette emplette; tu mettras cela

    dans une petite caisse que tu achteras, et tu char-geras M. Perregaux de me la faire passer tout desuite, car je n'en ai plus.

    Duth.

  • 8 PERREGAUX.

    Une autre danseuse de l'Opra et non des moinsclbres, la Guimard, entretient avec le banquierde bonnes relations d'amiti. Lorsqu'elle est en-gage l'Opra de Londres, elle lui confie ses d-boires : Ah! mon voisin, en quel pays suis-jevenue? Je ne me plains pas des habitants, non, il

    s'en faut du tout; mais les Italiens! Ah! les co-quins! l'Opra de Londres en est le repaire com-mencer par II signor Barelli,... et un petit brin

    notre ami Gallini, que je n'ai cru qu'une bonnebte jusqu' ce moment, mais qui vient de se d-clarer quelque chose de plus. Et elle raconte

    que l'Opra de Londres ayant brl, elle a d con-sidrer son engagement comme rompu, et les525 guines qui lui taient dues, comme perdues;puis elle numre tous les moyens employs pourlui faire abandonner ses droits et la faire jouer aurabais au thtre de Covent Garden, qui venant

    d'entrer en vacances, a t mis la disposition dela troupe du thtre incendi.Le 16 avril 1789, la Guimard crit son ami

    Perregaux qu'elle est ordonnatrice des modes Londres, o elle a reu un accueil empress de laduchesse de Devonshire ; on vient la consulter surles robes mettre pour le bal qui aura lieu au

    Grand-Thtre. Les dames anglaises, crit-elle,sont aussi coquettes que les franaises. Donc,

    au moment o je suis descendue de voiture, monarrive Londres, j'ai t assomme de mar-

  • PERREGAUX. 9

    chandes de modes et de tailleurs pour me prier, dela part des dames, de donner mon avis sur leurs

    habits. Vous pensez bien que je n'ai pas fait defaons.

    Perregaux est aussi l'ami de Dauberval, de Ves-

    tris, le Diou de la Danse, de Mme Dugazon, quilui crit en 1789 pour le remercier de l'argent

    qu'il lui a prt et le prie de venir le recevoir chez

    elle. C'est lui encore qui est charg de verser Mlle Clairon la pension que lui fait le vicomte dePieverscourt, comme ^hritier de son frre. Dans

    ces conditions, on conoit que nul ne soit mieuxrenseign que Perregaux sur tout ce qui touche

    au thtre et que les nouvelles et les potins de

    coulisses lui soient familiers.

    Mais ce n'est pas seulement avec les acteurs et

    actrices qu'il est en relations ; c'est aussi avec les

    grands personnages qui recherchent son amiti et

    ses conseils. Le comte de Lauraguais lui annonce

    le 1^"^ juillet 1781 qu'il va vendre ses dix-huit che-

    vaux : 1" pour ne plus les nourrir; 1^ parce que

    leurs productions ne peuvent pas lui donner les

    esprances que lui donnent les juments qu'il agardes; S pour avoir de l'argent. Le marchalRoumiantzew, l'illustre gnral de Catherine II,s'adresse lui pour le prier de lui envoyer un cui-

    sinier et s'en rapporte son choix. Le gnral an-

    glais, sir Henry Dalrynaple, lui crit :

  • 10 PERREGAUX.

    Londres, 7 mai 1786.

    Monsieur,

    Je profite de ce que mon ami, sir Robert Her-ries, va Paris pour m'informer de vos nouvelles,qui sont, j'espre, meilleures que lorsque j'ai eul'honneur d'en recevoir la dernire fois. Le com-patriote que je prends la libert de vous prsenterest un grand banquier de cette ville et il est juste-ment considr comme un des plus respectablesde nos commerants anglais.

    Sir Robert possde une grande connaissanceutile sur le sujet des arrangements commerciauxqu'on se propose de faire et il est comme vous unchaleureux partisan de toute mesure juge suffi-sante pour mettre fin ces mesquines hostilitscommerciales qui ont depuis si longtemps dsho-nor les deux pays.

    Depuis que je me suis fait ^'honneur de vouscrire (il y a environ six semaines) nous n'avonspas eu de nouvelle publication sur le commerce

    ;

    quand quelque chose sur ce sujet apparatra, jene manquerai pas de vous l'envoyer. J'espre quele trait est en bonne voie. Je pense que vous avezdj vu M. jEden que vous vouliez trouver pourles ngociations.

    Si mes services peuvent vous tre utiles pourquelque affaire ici, je vous prie de me le fairesavoir.

  • PERREGAUX. H

    Je VOUS prie de prsenter l'expression de mes

    sentiments respectueux au marquis de la Fayette

    ainsi qu' M. Jefferson dont le livre a beaucoup

    intress quelques-uns de mes amis auxquels je

    l'ai montr. J'espre en voir bientt votre dition. Adieu monsieur, croyez-moi, avec grand res-

    pect, votre trs obissant et humble serviteur.

    Henry Hen Dalrymple.

    Les affaires entre Paris et Londres passent

    presque toutes par les mains de Perregaux; le

    marquis Cecill de Salisbury, pair d'Angleterre, le

    comte de Buckinghamshire, James Hamilton, lord

    Leitrin, lord Moira, grandmatre de l'artillerie

    anglaise et gouverneur de l'Inde, tels sont les

    noms de quelques-uns de ses clients.

    En avril 1785, il est indirectement ml laclbre Affaire du Collier; en effet les joailliersles plus renomms de Londres, Robert et WiliamGray et Nathaniel Jefferys, qui ont achet pour

    plus de deux cent quarante mille livres au comtede la Motte venu Londres, pour les ngocier, desbrillants provenant du collier de la Reine, paientle prix partie en argent comptant, partie par une

    lettre de change tire sur Perregaux*.Aprs avoir transport en 1783 sa maison de

    banque de la rue Saint-Sauveur la rue du Sen-

    1. Cf. Funck-Brentano : L'Affaire du Collier, p. 186.

  • 12 PERREGAUX.

    lier, Perregaux s'tait bien vite trouv l'troitdans le nouveau local; aussi acquit-il, en 1786,l'htel de la Guimard dans des circonstances quimritent d'tre racontes.La Guimard, dont le plus magnifique adorateur

    tait le vieux marchal de Soubise qui lui donnait72 000 livres par an, indpendamment des petitscadeaux de toutes sortes destins entretenirl'amiti, la Guimard s'tait fait btir rue de laChausse d'Antin, presque au coin du boulevard,un ravissant htel qu'elle avait baptis Temple deTerpsichore. L'architecte Le Doux avait dirig lestravaux; l'intrieur avait t dcor par Boulleet Fragonard. Grimm raconte ce propos quela danseuse tant venue se fcher avec Fra-gonard, celui-ci, qui avait reprsent sur unpanneau la Guimard en Terpsichore, effaa lesourire des lvres de Terpsichore pour y mettre lacolre.

    La danseuse donnait des ftes splendides dansson htel; c'est l qu'elle avait prpar, le jourdu mardi gras de 1776, ce fameux souper desoixante personnes qui s'taient invites par sous-

    cription (on les appelait chevaliers de cinq louis cause du prix de la souscription), souper qui futinterdit par l'archevque de Paris avec l'appui duRoi.

    Lorsque, la fin de 1782, la banqueroute du princede Gumne entrana la ruine de son beau-pre.

  • PERHEGAUX. 13

    le prince de Soubise (celte banqueroute s'levait plusieurs millions de rentes viagres et comptaittrois mille cranciers appartenant aux classes les

    plus modestes : militaires retraits, domesti-ques, etc.), il y eut un changement dans lesfinances de la Guimard. Sans doute, depuis plu-sieurs annes, il y avait eu une rupture entre ladanseuse et le prince de Soubise, mais, nanmoins,celui-ci tait rest en bons termes avec elle et luifaisait encore quelques largesses.

    Dans son embarras qui ne fit que s'accrotre enquelques annes, la Guimard rsolut de mettreson htel en loterie. Les 2500 billets, cotant cha-cun 120 livres, s'enlevrent rapidement; le tirageeut lieu le 22 mai 1786 en l'htel des Menus,rue Bergre, en prsence du commissaire De Ser-reau et des sieurs Devassis et Turtois, inspecteurs

    de la Loterie royale de France. L'opration com-mena dix heures du matin devant une fouleconsidrable. Les 2500 billets numrots taientplacs dans une roue et les 2499 billets en blancavec le billet portant le mot : Lot, taient placsdans l'autre : 1000 billets avaient t tirs sans quele gagnant ft sorti, et comme il tait 2 heures, etque le public dsirait une interruption, les scellstaient poss sur les deux roues. Puis, quatreheures, ils taient levs sur la rquisition deMlle Guimard, et le tirage de la loterie repris.C'tait seulement aprs le tirage de 2267 billets

  • 14 PERREGAUX.

    tirs que sortait le billet gagnant, le billet 2175*.

    Ce billet appartenait la comtesse Dulau qui n'enavait pris qu'un; elle s'empressa d'ailleurs de

    revendre l'htel Perregaux. Ce fut donc danscette luxueuse demeure qu'il installa ses apparte-ments et ses bureaux^; il n'tait du reste pas lepremier financier qui vnt habiter le quartier dela Chausse-d'Antin : ds 1775, M. de Sainte-Foix,des fermes gnrales, s'tait fait btir tout prs,

    dans la rue Basse, un trs bel htel.

    Perregaux ne tarda pas donner des ftes super-bes; les artistes les plus rputs, Nivelon, Carline,

    Dugazon, etc., vinrent donner des reprsenta-tions sur le thtre qui tait un vritable bijou ;on vit mme la charmante Carline 'faire changerle spectacle la Comdie-Italienne pour venir

    jouer chez lui devant l'aimable socit .Ce fut rue de la Chausse-d'Antin que Perre-

    gaux accueillit Laffitte. L'histoire est connue : lejeune Laffitte (il avait alors vingt ans) tait venusolliciter une place dans la maison de banque ets'tait heurt un refus; il sortait dcourag,quand, apercevant une pingle par terre, il sebaissa pour la ramasser. Frapp de ce geste qui

    1. E. de Goncourt : LaGuimard, p. 233.2. Aprs la mort de Perregaux, Thtel abrita la banque

    Laffitte ; il fut dtruit sous Louis-Philippe et remplac parun magasin de nouveauts, qui disparut lui-mme lors dupercement de la rue Meyerbeer.

  • PERREGAUX. 15

    dnotait un esprit d'ordre et d'conomie, le ban-quier rappela le jeune homme et le prit dans sesbureaux. Quoi qu'il en soit de l'authenticit decette anecdote, ce qui est certain, c'est que Per-

    regaux discerna vite dans le jeune Laffitte lesqualits qui devaient faire de lui un des plusgrands financiers de la premire moiti duxix sicle.

    Au moment o la Rvolution clata, Perregauxavait deux enfants : une fille, Anne-Marie Hortense,ne Paris le 18 octobre 1779 et un fils Claude-Charles-Bernardin, n dans la mme ville le29 mars 1785.

  • CHAPITRE ir

    UN BANQUIER SOUS LA RVOLUTION

    Lorsque la Rvolution clata, Perregaux s'enmontra partisan avec sagesse et modration. D'unenature prudente et avise, il comprit qu' unmoment o les financiers taient vus d'un mauvaisil, et o beaucoup n'allaient pas tarder trejets en prison, il tait ncessaire pour lui dedonner des gages de son patriotisme : aussittaprs le 14 juillet 1789, nous relevons son nomsur la liste des membres de la section de Saint-Magloire; ds que la garde nationale est organise,

    1 . Sources manuscrites :1 Archives de M. Frdric de Perregaux.2 Papiers de la duchesse de Raguse.3 Archives Nationales, F' 47746 et AF II, 219.

    Sources imprimes :\ E. et J. de Goncourt : Portraits intimes du xviii

    sicle.2 E. et J. de Goncourt : Histoire de la Socit fran-

    aise pendant la Rvolution.3 Moniteur universel.4 Catalogues des collections d'autographes Benjamin

    Fillon, Gharavay, Lajarriette, Dubrunfaut, Hervey.

  • 18 PERREGAUX.

    il a soin de se faire nommer capitaine de lapremire compagnie de fusiliers qu'il quitte bien-tt pour celle des grenadiers, puis devient com-mandant du bataillon et conserve ce poste jusqu'au1^'^ janvier 1792.Dans ces temps troubls, nombreuses sont les

    demandes d'argent. C'est Sara Lescot, de laComdie Italienne qui remercie Perregaux, en1792, de bien vouloir s'intresser son sort et luienvoie les papiers ncessaires pour qu'il dirige

    ses intrts. C'est Monnet, le fondateur du thtrede rOpra-Comique aux foires Saint-Germain etSaint-Laurent, qui le remercie, en priant Dieude le tenir le cur en joie et le ventre libre .C'est encore la charmante Carline qui lui crit : Vous m'avez promis de me donner de l'argent,lorsque j'en aurais besoin, et je vous prends aumot. Je renvoie ma femme de chambre et il m'enfaut. Ne dites pas non, parce que vous savez bience que je ferai. La personne qui vous remettra lebillet est le frre de lait (trs en laid) de Nivelon *

    ;

    ainsi vous pouvez en toute scurit lui remettre

    et la formule du reu que je voudrais donner, etl'argent. Bonjour, citoyen, votre amie pendreet dpendre. C'est enfin la Duth qui l'appelleson cher tuteur, et lui crit de Londres qu'elle

    1. Nivelon, clbre danseur de l'Opra, tait le mari deCarline, une des actrices les plus rputes de l'ancienneComdie Italienne.

  • PERREGAUX. 19

    va lui envoyer son portrait : Tout le monde letrouve trs ressemblant, j'espre qu'il vous plaira. Parmi les solliciteuses qui viennent frapper

    la porte du banquier, la plus importune estThroigne de Mricourt. Ds 1789, s'tant trouvdes aptitudes pour la musique, et voyageant enItalie, elle demande Perregaux de l'argent pourelle d'abord, puis pour sa famille : Je suisvenue en Italie pour chanter et tudier; j'aiconduit avec moi mes trois frres : l'un tudie lapeinture et les deux autres le commerce. Commeje suis oblige de toujours voyager, je voudraistablir l'an Lige, o nous avons des parentsqui sont dans le commerce. J'aurai besoin detrois mille livres ou trois mille livres et demiepour acheter une place de contrleur monfrre an, afin que le revenu de cette petiteplace fournisse ses besoins pendant qu'il tudieradans un comptoir. Dans une lettre du 22 marsde la mme anne, elle prie le banquier de donnerdix louis son frre pour ses frais de voyage, etde le placer comme apprenti chez son corres-pondant Lige.De retour Paris, Throigne, avide de rclame,

    se mle toutes les meutes, conduit les femmesde Paris Versailles, lors des journes d'octobre,puis sentant les choses se gter, car le Chteletinstruit contre elle, elle s'en va Lige. C'est decette ville qu'elle crit Perregaux, le 26 aot 1790,

  • 20 PERREGAUX.

    pour lui dire combien elle a t surprise, enapprenant qu'elle tait dcrte de prise de corps. Ce n'est pas la peur qui m'a fait partir, ajoute-t-elle, c'est plutt la mdiocrit de ma fortune,qui m'a force, aprs avoir mang tous mesdiamants, venir dans mon pays pour y vivreavec conomie. Toutefois, et bien qu' l'encroire, elle n'ait pas peur, elle le charge de la

    tenir au courant de la procdure instruite contreelle; c'est encore lui qu'elle s'adresse pour faire

    retirer ses bijoux du Mont-de-Pit.Au moment o Throigne s'apprte rentrer

    en France et manifeste plus que jamais ses senti-monts dmocrates et rpublicains, voici que surun ordre venu de Vienne, elle est enleve de Ligepar des soldats autrichiens, dans la nuit du 15 au16 fvrier 1791, et conduite dans la capitaleimpriale. C'est encore Perregaux que le frre

    de Throigne a recours, en cette circonstance,pour obtenir l'largissement de sa sur. Grceaux dmarches du puissant financier, la captivitest douce pour elle : on la traite fort bien, luicrit-elle le 15 septembre 1791, elle n'est plus en

    prison, mais dans une maison particulire, sur-veille peine par la police; nanmoins elle leprie de hter son largissement dfinitif.

    Remise enfin en libert, mais compltementruine, elle adresse d'ternelles suppliques

    Perregaux, car elle ne russit gure dans la

  • PERREGAUX. 21

    politique, bafoue qu'elle est par Suleau, Rivarolet Peltier, jusqu'au jour o, fouette publiquementpar les Tricoteuses, elle perd la raison et est

    enferme la Salptrire o elle mourra le8 juin 1815.De tous les banquiers de l'poque, Perregaux

    est peut-tre le seul qui ait conserv pendant laRvolution des relations d'affaires rgulires avecl'Europe, le seul dont la maison ait pu dlivrerdes lettres de crdit sur Londres, Amsterdam etHambourg, le seul dont la signature inspireconfiance. Cette scurit dont jouit notre financiersemble trange au premier abord, et on demeuredconcert de voir les plus farouches rvolution-naires tels que Robespierre et Fouquier-Tinvillelui tmoigner les plus grands gards. Et pourtantla raison en est bien simple : c'est que notre ban-quier est une puissance et que les membres duComit de Salut public ont compris quels servicesson intelligence financire et son crdit pouvaientleur rendre; aussi le gouvernement a-t-il sanscesse recours lui. Ds la mise en circulation desassignats, c'est Perregaux qui est charg derechercher les faussaires d'assignats, tant enFrance qu' l'tranger, jusqu'au jour o unbureau spcial est cr cet effet l'ImprimerieNationale; quand le Comit de Salut public estorganis, c'est lui qui prend ce titre singulire-ment suggestif de banquier du Comit de Salut

  • 22 PERREGAUX.

    public ; lorsque le ministre de la guerre Bou-chotte envoie des agents en Suisse pour y acheterdes armes, c'est Perregaux qu'il choisit pourouvrir les crdits ncessaires et, le 16 mai 1795,le banquier envoie au ministre une lettre decrdit de cent mille francs en offrant de l'tendre telle somme qui lui serait ncessaire ; c'estlui encore qui, en abouchant avec des ngociantssuisses les agents du gouvernement, permet celui-ci de traiter des prix trs avantageux pourla Rpublique; c'est lui enfin qui, en mai 1793,sert d'intermdiaire financier entre le Comit deSalut public et Beaumarchais pour fournir cedernier les sommes ncessaires l'achat des armes

    dont la Rpublique a besoin ^Ces relations cordiales avec les hommes de la

    Rvolution n'empchent pas Perregaux de resteren bons termes avec les royalistes qui avaientjadis t ses clients et ses amis. En pleine Terreur,il entretient des correspondances avec les migrset leur fait passer de l'argent; sa bourse s'ouvretoujours avec bont.

    1. Beaumarchais, propritaire de 52 345 fusils baon-nette dposs en Zlande, avait trait avec le gouver-nement le 3 avril 1792, puis, ce trait n'ayant pu treexcut, les avait vendus un ngociant anglais nommLecointe, en se rservant la facult de rmrerla vente etde reprendre ses armes pour son compte dans les deux mois.Beaumarchais fut alors charg de les racheter pour lecompte du gouvernement (Cf. ce sujet aux ArchivesNationales AF^ 219).

  • PERREGAUX. 23

    Perregaux avait cependant des ennemis quiessayrent de le perdre, en l'accusant d'tre un

    ami du ministre anglais Pitt; voici ce qu'ils ima-ginrent : une nomme Marie-Madeleine Pitt,connue dans le monde galant sous le nom deSoinville, habitait Marolles, prs de Boissy-Saint-

    Lger; elle avait pris ce nom de Pitt la suited'une liaison avec un Anglais, Smith Barry, quilui avait assur, par contrat du 26 avril 1786,cinq cents livres sterling viagres par an, dont

    le service devait tre fait par Perregaux. Aucours d une perquisition faite chez cette femme,on avait trouv des lettres du banquier, et unbillet anonyme le dnonait aussitt au Comitde Sret gnrale comme un agent de Pitt

    et de la cour d'Angleterre . C'tait une accusa-

    tion d'autant plus absurde que Pitt n'tait pas

    mari, mais cette poque il n'en fallait pas tantpour tre envoy l'chafaud. Le 7 septembre 1793,des commissaires taient nomms par le Comitde Sret gnrale avec mission de vrifier les

    papiers du financier et de rechercher les intelli-gences qu'il avait avec la citoyenne Pitt qu'on

    supposait tre la femme de Pitt, ministre d'Angle-terre, qui ne pourra jamais tre aux yeux de toutbon Franais qu'un objet d'horreur .Perregaux tait trop fin pour ne pas tirer son

    pingle du jeu ; aussi en rponse ces accu-sations s'empressa-t-il d'adresser au Comit de

  • 24 PERREGAUX.

    Salut public un mmoire justificatif exposant : i^ Qu'il est n en Suisse, dans une Rpublique,

    qu'il a t lev dans les principes de la libert,

    que jusqu'au moment o il est arriv Paris, ila pass sa jeunesse dans des pays libres, dans laSuisse, l'Angleterre et la Hollande.

    2 Qu'ayant adopt par got la France pourrsidence, y ayant femme et enfants, des propritset un tablissement, fruit de son industrie, et yayant pendant prs de 30 annes cherch parune conduite sans reproches y mriter l'estime

    publique, enfin ayant toujours eu dans son 'Curles principes de la libert dans lesquels il a t

    lev et fait tout ce qui tait en lui pour contri-

    buer au succs de la Rvolution, il n'est gurepossible de croire qu'il ait eu le criminel dessein

    de trahir sa patrie adoptive, en devenant l'agent

    et secondant les projets d'un homme dont lesprincipes sont si opposs aux siens ou en adop-tant quoi que ce soit qui puisse nuire au bonheurde la Rpublique. ^

    Les commissaires dlgus par le Comit deSret gnrale, aprs s'tre rendus chez lebanquier, dclarrent n'avoir rien dcouvert desuspect, mais en revanche avoir trouv lespreuves les plus clatantes de son civisme dans

    tout le cours de la Rvolution et des sacrificesgnreux qu'il lui a faits pour assurer la libertde sa patrie adoptive . Le 12 septembre 1795,

  • PERREGAUX. 25

    10 heures du matin, les scells furent levs etle banquier ne fut plus inquit.En homme avis, Perregaux jugea qu'il tait

    utile de donner des preuves de son patriotismeet, le 22 octobre 1793, adressa quatre mille livres

    la section des Piques, avec la lettre suivante :

    a Citoyens,

    a Je vous adresse sous ce pli quatre mille livres,

    tant pour ma contribution, que pour celle demon associ Gumpelzhaimer, pour les frais qu'aoccasionn la section le dpart pour la Vendeen mai dernier de nos frres d'armes et pour vousmettre mme de remplir envers eux et les leursles engagements que vous avez pris.

    Vous voudrez bien, citoyens, nous faire donnerune reconnaissance de cette somme dans la mmeforme que celle des 1200 livres que nous vousdonnmes le 10 mai dernier pour le mme objet.

    Recevez nos expressions de fraternit.

    J.-F. Perregaux.

    Les ennemis du banquier revinrent bientt lacharge

    ;profitant de l'absence de Perregaux, envoy

    en Suisse au mois de novembre 1793, pour y con-clure de nombreux et importants marchs au nomdu gouvernement, ils obtinrent du Comit deSret gnrale l'ordre d'arrestation suivant :

    Vu la dclaration faite au Comit aujourd'hui

  • 26 PERREGAUX.

    et autres pices dont le bordereau est ci-joint. Vugalement l'arrt adress au Comit de surveillancede la Section du Mont-Blanc.

    Le Comit arrte que les citoyens Perregaux,banquier, et son adjoint Gumpelzhaimer seronttraduits par-devant le tribunal rvolutionnaire, etles pices dont il s'agit adresses l'accusateurpublic; en consquence seront les citoyens Perre-gaux et Gumpelzhaimer saisis en quelque lieuqu'ils se trouvent et conduits, sous bonne et suffi-sante garde, dans les prisons de la Conciergerie.

    Panis; La Vicomterie ; Louis du Bas-Rhin; M. Bayle; Vadier; Voullan. >

    Cette fois-ci, on prtendait que Du Chtelet^voulant corrompre le gendarme prpos sa garde,avait confi celui-ci qu'il possdait quatre millions

    dposs chez Perregaux.En vertu des ordres du Comit de Salut public,

    trois commissaires dlgus par le Comit rvolu-tionnaire de la Section du Mont-Blanc, les citoyensMarchal, Pernet et Laine, se rendirent le 14 d-cembre rue du Mont-Blanc ; le portier leur dit quele banquier tait en Suisse par ordre du gouverne-ment, et que son associ Gumpelzhaimer- tait

    4. Louis-Marie Florent duc du Chtelet, officier gnral,dput de la noblesse aux tals gnraux, fut arrt enPicardie, condamn mort par le tribunal rvolutionnaireet excut le 13 dcembre 1795.

    2. Jean-Albert Gumpelzhaimer, n Ratisbonne, en

  • PERREGAUX. 27

    sorti depuis un quart d'heure, mais ce dernierarriva sur ces entrefaites et les guida dans la mai-son. Les commissaires apposrent les scells surles meubles et se retirrent cinq heures et demiedu soir, emmenant Gumpelzhaimer au Comit dela Section du Mont-Blanc, o ils l'enfermrentdans la chambre d'arrt, aprs lui avoir pris sonportefeuille et ses papiers. Gumpelzhaimer de-manda tre conduit dans la soire au Comit deSret gnrale, ce qui fut accord, et deuxheures du matin, ce Comit ordonnait d'crouer leprisonnier la Force*.

    Perregaux, qui avait profit de son sjour enSuisse pour aller passer Neuchtel quelquesjours auprs de sa famille, apprit avec stupeurl'arrestation de son associ et les poursuites diri-

    ges contre lui-mme ; il n'hsita pas rentrer sur-le-champ Paris et courut au Comit de Salutpublic. Quels arguments ft-il valoir? Quels moyensemploya-t-il pour se concilier ces hommes redou-

    1742, tait associ depuis longtemps Perregaux, dont iltait l'ami intime.

    1. Gumpelzhaimer fut crou la prison de la Force le15 dcembre 1795; voici son crou : Le 25 frimaire,l'an II de la Rpublique, a t amen es prisons del'hpital de la Force, par les citoyens Marchal et Laine,commissaires et membres du Comit rvolutionnaire,section du Mont-Rlanc, le nomm Jean-Albert Gumpel-zhaimer, banquier, de l'ordonnance des citoyens commis-saires et membres du Comit susdit, sans explication decause. Sign, Bault.

  • 28 PERREGAUX.

    tables? Mystre! Mais, ce que nous savons, c'estque les poursuites cessrent comme par enchante-ment; le 50 frimaire an II (20 dcembre 1795), leComit de Sret gnrale dcida que Gum-pelzhaimer serait extrait de la Force et resterait enarrestation chez lui, sous la surveillance d'ungendarme qui veillerait en mme temps sur Per-regaux; deux jours aprs, les scells furent levs,et voici en quels termes Cambon an, chargde vrifier les papiers des banquiers, rendit comptede sa mission la Convention le 5 nivse an II(25 dcembre 1795):

    Nomm commissaire par les Comits de Salutpublic et de Sret gnrale pour vrifier un objetde la plus haute importance qui nous a fait con-natre une sclratesse commise par un noble,condamn pour crime d'migration, je me suisacquitt de ce devoir pnible avec Mose Bayle.Duchtelet, condamn comme migr, tenta, pourse soustraire au supplice, de sduire les gendarmesqui le gardaient; il leur offrit 1 00 000 livres; ils pa-rurent se prter aux vues de Duchtelet, aprsavoir fait leur dclaration leur chef et avoir pristoutes les prcautions ncessaires pour n'tre pasen faute. Duchtelet leur signa un bon de100000 livres sur Perregaux et associ, banquiersoriginaires de Suisse. Ils lui demandrent : Maisqui nous assurera du paiement de ces 100000 livres? Cela ne sera pas difficile, leur rpondit-il,

  • PERREGAUX. *i9

    puisque j'ai soustrait aux recherches 4 milKons dema fortune, que j'ai dposs entre les mains dePerregaux et dont il a 2 millions en or.

    Duchtelet a pri sur l'chafaud. Le Comitde Salut public a ordonn aussitt l'arrestation dePerregaux; on n'a trouv que son associ. Lesscells ont t mis sur les papiers de cette maison

    ;

    personne ne s'y attendait, ainsi rien ne pouvaittre soustrait. L'associ a crit au Comit de Salutpublic pour lui demander les motifs de son arres-tation. Perregaux tait Neuchtel, sa patrie, surla frontire de Suisse. A peine apprend-il l'arresta-tion de son associ qu'il part, revient Paris et seprsente au Comit de Salut public. Le Comit,voulant connatre la vrit, lui demande si ses livressont en rgle, s'il a 4 millions en dpt appartenant Duchtelet, s'il a fait des paiements pour lui.Perregaux rpond qu'il n'a jamais pay pour luique 10890 livres, en 1790 et 1791, mais que le nomde Duchtelet n'a jamais t mis sur ses livres, etque s'il l'a dnonc, c'est parce qu'il y a six mois,Duchtelet lui offrit une opration d'change de6000 livres sterling, laquelle lui Perregaux serefusa. Les Comits de Salut public et de Sretgnrale nous chargrent, Mose Bayle, Johannotet moi, de poursuivre la vrification des faits;Mose Bayle crut prudent d'interroger l'associ. Onle fait venir, on lui demande : O est Perregaux? En Suisse, sa patrie, pour des affaires particu-

  • 30 PERREGAUX.

    lires. tes-vous instruit de son arrive? De-puis huit jours, je suis au secret, je n'ai critd'autre lettre que celle o je demandais auComit de Salut public les motifs de mon arres-tation.

    Nous commenmes d'avoir quelques doutessur la dnonciation. Nous requmes du Comit r-volutionnaire de la Section du Mont-Blanc la levedes scells qu'il avait apposs sur les papiers dePerregaux. Comme ils nous avaient dit que leurslivres taient en rgle, nous leur demandmes leurbilan depuis 1789. Ils nous en prsentrent six. Ils

    faisaient exactement leur inventaire, et ce qui

    vous surprendra, c'est que depuis 1789, ils n'ont

    jamais eu en dbit ni en crdit pour 4 millions.Nous examinmes quelle tait la fortune de Perre-gaux en 1789, sa progression, les moyens qui

    l'avaient augmente. Sa fortune est bien loind'tre de 4 millions. Il est riche pour un banquier,

    mais, comme le Comit a pris tous les renseigne-ments ncessaires, la Convention me dispensera

    sans doute de faire connatre le bilan de ce parti-

    culier*. La vrit est que la fortune de Perregaux

    a t progressive peu prs de la mme manirechaque anne, et sans ces variations communes

    chez les banquiers qui veulent forcer leurs maisons

    de commerce. Nous avons vrifi si le mot Duch-

    1. L'Assemble : Oui! Oui! (Note du Moniteur.)

  • PERREGAUX. 31

    telet se trouvait dans les bilans; il ne s'y trouvaitnulle part. Nous avons examin la caisse; ils enfaisaient tous les jours le bordereau; jamais cebordereau n'a excd 4 millions. Tous les borde-reaux se rapportent les uns aux autres. Le 30 fri-maire, il y avait en caisse 700000 livres en assi-gnats. Nous avons recherch sur les grands livres,depuis 1789, s'il y avait des oprations avec Du-chtelet, nous n'avons rien trouv, pas plus dansles relations de cette banque avec la Caissed'escompte. Nous leur avons demand s'ils avaientsatisfait la loi relative aux sommes que les ngo-ciants franais peuvent devoir ou qui peuvent leur

    tre dues par l'tranger. Ils nous ont rponduqu'ils y devaient plus qu'il ne leur tait d. Ilsnous ont reprsent une dclaration bien en rgle,faite cet gard le lendemain mme de votredcret.

    Enfin l'examen de leur correspondance ne nousa produit que deux lettres constatant l'avance de10 890 livres que Perregaux avait dclare auComit. La fortune de l'associ s'est trouve abso-lument concordante et dans la mme progressionque celle de Perregaux. Nous avons port au Co-mit de Sret gnrale tous les bordereaux. Il at convaincu que rien ne pouvait tre plus justi-ficatif*.

    1. On applaudit. (Note du Moniteur.)

  • 52 PERREGAUX.

    A la suite de ce discours, la Convention dcidal'abandon des poursuites contre Perregaux et

    Gumpelzhaimer; comme on avait procd d'unemanire un peu vive l'gard de ce dernier,on voulut le lui faire oublier, ainsi qu'en tmoi-gne la lettre suivante adresse Fouquier-Tin-

    ville :

    Le Comit de Sret gnrale de la Conventionayant t autoris par le dcret rendu hier rap-

    porter son arrt qui te renvoyait le citoyen Perre-

    gaux et son associ Gumpelzhaimer, ce dernieravait un portefeuille et un paquet de lettres qui

    t'ont t adresss, nous te prions de rendre ces

    effets qui ne peuvent plus rester entre tes mains,

    attendu l'innocence reconnue de ces deux asso-cis.

    Les reprsentants du peuple : M. Bayle;

    lie Lacoste ; Amar ; Dubarray ; La Vicom-terie.

    Le farouche Fouquier s'excuta aussitt de lameilleure grce du monde et rendit Gumpelzhai-mer ses papiers et son portefeuille. Quant Perre-gaux qui venait de gagner une partie o un autreet laiss sa tte, il s'empressa de faire part de ce

    triomphe aux membres du Comit rvolutionnairede la section des Piques.

  • PERREGAUX. 33

    Paris, le 16 nivse, l'an II de la Rpubliquefranaise une et indivisible.

    Citoyens,

    Vous avez sans doute appris avec surpriseTvnement qui avait suspendu quelques momentsl'opinion publique que j'ai toujours consulte danstoutes les actions de ma vie. Je ne puis mieux vousen exposer les dtails qu'en vous transmettant le

    rapport prsent la Convention nationale. Lemalheur d'avoir t souponn est peut-tre unecirconstance dont je dois aujourd'hui m'applaudir,puisqu'elle a donn lieu la plus authentique jus-tification de ma conduite et de mes sentiments; lasvrit n'est point craindre partout o l'on re-connat la justice.

    F. Perregaux.

    P. -S. Cette pice vous serait parvenue plustt, si mon temps n'et pas t entirement absorbpar les occupations que ma qualit de commissairepour les rquisitions faites aux banquiers me donnedepuis huit jours.

    Cependant, les dnonciateurs ne se lassaientpas : si on n'avait rien trouv chez le banquier,disaient-ils, c'tait parce qu'on n'avait pas vu une

    cachette qu'il avait fait tablir vers le milieu de1793, par un maon nomm Stouff. Une enqute

    3

  • 54 PERREGAUX.

    eut lieu le 22 nivse an II (11 janvier 1794) par lessoins du commissaire du Comit rvolutionnairede la section du Musum. Stouff dclara qu'unjour, Perregaux tant de garde la Conventionnationale, l'ancienne salle du Mange, l'avait en-voy chercher pour lui communiquer le projet defaire placer une armoire dans un coin auprs deson cabinet, mais que Perregaux, attendu qu'ilfallait pour faire cet ouvrage passer par le cabinet,

    lui a manifest le dsir qu'il ft fait par quelqu'un

    de sr et qu'il lui avait demand s'il ne pourraitpas placer cette armoire lui-mme, ce quoi il r-pondit affirmativement . Il ajouta que le banquierlui avait dit : Ce n'est pas pour moi, je ne crainsrien pour ma fortune, mais j'ai des fonds diff-rents particuliers, je crains d'tre pill.

    Sur l'ordre du Comit de la section du Musum,quatre commissaires se prsentrent chez Perre-gaux qui les guida lui-mme dans la maison, leurmontrant notamment une armoire pratique dansun pan de mur derrire une tapisserie; les com-

    missaires se prcipitrent et trouvrent... des

    garnitures de chemine et des couvertures de lit .Perregaux, qui avait mis depuis longtemps l'abri,en Angleterre, la plus grande partie de sa fortune

    et de celle de ses clients, regardait faire en sou-

    riant. On lui demanda s'il n'y avait pas d'autre ca-chette; il ft monter les commissaires au premier

    tage, et leur ouvrit une armoire deux compar-

  • PERREGAUX. 35

    timents pratique dans un mur et dans laquelle iln'y avait rien. Les commissaires se dclarrentabsolument satisfaits (ils n'taient pas difficiles!)et se retirrent.

    Sur ces entrefaites, la femme de Perregauxmourut le 22 janvier 1794 ; la suite de ce deuil,le banquier alla passer quelques mois en Suissedans sa famille, laissant en pension Paris sa filleHortense, ge de quatorze ans; le fidle Gumpelz-haimer tait d'ailleurs charg d'aller souvent voirla jeune fille et de lui apporter les lettres de sonpre. Celui-ci correspondait rgulirement avecson associ et ses fonds de pouvoir, Laffitte etLanon, que le drame sanglant de la Terreur nesemblait pas trop inquiter, si l'on en juge par lalettre suivante :

    Paris, ce 7 messidor, l'an II de la Rpubliqueune et indivisible.

    Voici, cher citoyen, deux lettres de la citoyenneHortense. Nous n'en avons pas de vous depuis lantre du 5, ainsi nous aurons moins de choses vous dire.

    Le Rpublicain n

  • 36 PERREGAUX.

    objets que vous dsirez, n'attendent pour partirque la premire occasion. Ils sont tout prts, ex-cept le dcret qu'on imprime.

  • PERREGAUX. 57

    tonn de ne trouver en se connaissant mieux quedes motifs d'estime et d'attachement.

    Le dpart des courriers pour la Suisse n'a paschang avec le calendrier. Vous devez le voir ladate de nos lettres. Elles retardent sans doute, etvous en connaissez le motif comme nous .

    Il est malheureux pour Walsh que sa traite de1818 livres n'ait pas t paye, car je crois qu'ilsera fort embarrass pour rembourser les 500 livresqu'on lui a donn dessus. P. Montjoi doit 831 li-vres, 10 s. pour des avances faites depuis le 7 f-

    vrier 1793. Vous en aurez la note avec celle desautres comptes. Il fallait bien faire ces avances au

    jeune Gardiner ou le laisser prir de misre.c Adieu, bon et cher citoyen, nous finissons tou-

    jours notre lettre en vous embrassant de cur eten faisant des vux pour votre bonheur et votresant; pour exprimer le mme sentiment on doitse servir des mmes mots.

    Jacques Laffitte ; Lanon.

    Aprs le 9 thermidor, Perregaux rentra en Franceet reprit la direction de sa maison de banque. Ilfaillit avoir comme employ cette poque unfutur marchal de France : Clarke lui crivit eneffet, le 18 nivse an III, qu'une suspension injustel'ayant loign de l'arme et le mettant hors d'tat

    de faire subsister sa famille, il demandait un em-ploi dans une banque ou une maison de commerce;

  • 38 PERREGAUX.

    mais il ne fut pas donn de suite ces projets, car,grce la protection de Garnot, le jeune officierfut rintgr dans l'arme.Par ses nombreux amis et ses correspondants,

    Perregaux tait un des hommes les mieux ren-seigns de Paris. C'est ainsi qu'il fut un des pre-

    miers savoir que les Anglais allaient tenter une

    descente Quiberon; le 15 juin ^17C5, Beaumar-chais lui crivait en effet :

    Ami Perregaux, htez-vous de faire parvenirle mot qui suit au Comit de Salut public. Rienn'est aussi certain que cet avis que je reois dansl'instant de Londres : Londres, ce 2 juin 1795. Lescorps cVmigrs franais la solde de VAngleterreont ordre de se tenir prts s'embarquerpour Jerseyet Guernesey, ce qui fait croire ceux dont je tienscet avis une descente trs prochaine pour laquelleon croit que le gouvernement a des intelligences dansVintrieur. Tous en gnral font leurs paquets en

    grande hte. Quel que soit l'objet de cet embar-quement, il va s'effectuer trs prochainement. Jevous embrasse.

    L'avis tait bon, la suite le prouva; le 16 juin eneffet, les migrs taient crass Quiberon.

  • CHAPITRE Iir

    LE DIRECTOIRE

    Au lendemain de Thermidor, il semble que lesParisiens aient voulu noyer le tragique souvenirdes atroces journes de la Terreur dans les fteset les plaisirs, et qu'aprs avoir senti si longtempsla mort planer sur leurs ttes, ils aient t saisisd'un furieux besoin de manifester leur joie devivre.

    Cette frnsie de plaisirs se produit dans toutesles classes de la socit. Partout, on se rue au bal;on danse cinq livres par cavalier chez le citoyenTravers, 1258, rue de la Loi; on danse vingt-

    1 . Sources manuscrites :J Papiers de la duchesse de Raguse.2 Archives nationales F' 6214.

    Sources imprimes :1 E. et J. de Goncourt : Histoire de la Socit fran-

    aise pendant le Directoire.2 Lacour: Les Salons sous le Directoire.3 Babeau : Lettres de Swinburne.4 Madame de Bawr : Mes Souvenirs.5 Arnault : Souvenirs d'un Sexagnaire.

  • 40 PERREGAUX.

    quatre sous par cavalier et douze sous par citoyenne,rue des Filles-Saint-Thomas; on danse dans descouvents, dans des granges et jusque dans l'an-cien cimetire de Saint-Sulpice. La bonne compa-gnie a choisi pour ses bats l'htel Longueville,o vient trner la meilleure danseuse et la plusintrpide cuyre de Paris, Mme Hamelin, pendantque sous les corniches d'or mille glaces rptentles sourires et les enlacements, les vtements ba-lays et moulant le corps et les poitrines de mar-bre, et les bouches qui, dans l'ivresse et le tour-billon s'ouvrent et fleurissent comme des roses ^

    Mme affluence en t Biron, Monceaux etsurtout Tivoli, o dix mille personnes dansent auson d'un orchestre harmonieux.

    Les thtres ne dsemplissent pas : Talma, Mole,Saint-Prix, La Rive, Mmes Contt, Thnard, Rau-court, Mzeray se partagent les bravos du public.A l'heure o finissent les spectacles, il y a foule

    chez Garchy, le glacier la mode de la rue de laLoi. Dans la vaste salle que dcorent d'immensesglaces encastres dans des panneaux de boisorang, avec des chambranles bleu cleste, etqu'clairent brillamment des lampes de cristal deroche, une foule lgante se presse. Le patron va,

    vient autour des tables d'acajou, s'informe si onest satisfait de ses biscuits aux amandes et de ses

    1. E. et J. de Goncourt: Op. cit. p. 144.

  • PERREGAUX. 41

    glaces aux abricots ou aux pches, pendant queles jeunes gens lorgnent les lgantes qui arborentdes robes la Flore, la Vestale, la Diane, des

    tuniques la Minerve ou la Crs.Les ths sont aussi la mode, mais ce sont des

    ths pantagruliques qu'il est d'usage de servir 2 ou 5 heures du matin; on y mange des poulardestruffes du Mans, des roastbeefs saignants, despts d'Amiens, des chauds-froids de gibier, destranches de jambon. C'est que le Directoire est lergne des grands mangeurs : le gnral Junotmange trois cents hutres au commencement dechacun de ses repas. C'est aussi l'poque o Tal-leyrand invite ses amis des soupers fins qui sontservis par des nymphes vtues d'une toffe lgre.

    Cette socit nouvelle compose surtout de par-venus se presse dans les salons du Luxembourgo la gracieuse Mme Tallien prche l'lgance etl'amour. On y rencontre Mme Hamelin et Mme R-camier; on y voit la spirituelle Mme de Stal, labelle Mme Hainguerlot, la gracieuse citoyenneSaint-Fargeau et tout un essaim de jolies femmesqui dploient un luxe inou.

    C'est au milieu de ce monde bizarre, dont l'l-gance a gard quelque chose de cru et de canaille,que Perregaux reprend la direction de sa maisonde banque. Plus que jamais les qumandeurs af-fluent dans son cabinet, car il y a bien des mis-res! Beaucoup de tables manquent de pain. Pen-

    /

  • 42 PERREGAUX.

    dant l'hiver de 1796, o le thermomtre marque10 degrs de froid, nombreux sont ceux qui meu-rent d'puisement; on mange du sang de chevalcuit et on boit du sirop de racines 1 Les journauxannoncent qu'il n'y a plus de sucre pour les ma-lades de Paris, plus de bois pour fabriquer desjambes aux amputs des armes! Le pain vaut60 francs la livre et le reste est l'avenant; leblanchissage d'une chemise cote un cu ; le prixde la chandelle est inabordable. On ne compte plusles gens qu'a ruins la Rvolution !Les artistes viennent comme autrefois recourir

    aux bons offices du banquier Perregaux. Ceux quiont quelque argent le lui confient pour un pla-cement avantageux; ceux qui n'ont rien lui content

    leurs embarras pcuniaires, et tout de suite, illes comprend demi-mot; il a l'air de prter, alorsqu'en ralit il obhge. Personne, parmi ceux quiont recours son inpuisable gnrosit, ne s'enva les mains vides.En l'an IV, Mlle Raucourt, qui vient d'acheter

    une ferme Compigne, et n'a pas d'argent pourla payer, lui demande emprunter 200 000 francs.Mme Vestris, premire danseuse l'Opra et

    femme du Diou de la Danse, lui crit de Soissonspour lui recommander un de ses parents.Dans une lettre date de Londres, le 23 oc-

    tobre 1796, la Duth l'appelle son cher tuteur et l'entretient de ses affaires. Il est dans l'ordre,

  • PERREGAUX. ^

    dit-elle, que mes amants aient toujours affaire mon tuteur . Et en tmoignage de reconnaissance,elle lui annonce l'envoi des ouvrages du chat

    qu'expire (Shakespeare) !Mais de toutes ses correspondantes, la plus

    assidue est la charmante Louise Contt, qui envoie

    de Genve son cher bon ami M. Perregaux

    ses remerciements affectueux pour les aimables

    relations qu'il lui a procures. Le 28 septembre 1 797,

    elle lui annonce qu'elle a reu un accueil enthou-

    siaste Bordeaux et, comme elle a gagn quelqueargent, elle le prie de remettre de sa part 1200 livres

    son fils Maupeou. Quelques mois aprs, c'est deMarseille qu'elle crit au banquier :

    Mille et mille remerciements, mon cher Per-

    regaux, de toute l'obligeance que vous me montrez,

    je la regarde comme une preuve d'amiti, et, parcela mme, elle me devient plus prcieuse. Hlas quel vnement que celui de l'OdonM de combiende malheurs les artistes sont-ils poursuivis! et

    que j'envie ceux qui peuvent abandonner unecarrire aussi dsastreuse ! Le hasard m'a bien ser-

    vie en m'loignant de Paris en ces circonstances,je mets profit un temps que les autres perdent,dans un trompeur espoir, mais le produit de mesefforts se trouve absorb par des dettes, des besoins

    1. Le thtre de l'Odon avait brl le 18 mars 1799.

  • 44 PERREGAUX.

    de famille; il ne m'en reste presque que la satis-faction de faire honneur tout; enfin, c'en est unedont mon cur et ma dlicatesse sentent tout leprix. Je vais en partant vous faire passer encore,puisque vous le permettez, quelques fonds pourremettre mon frre. J'en aurais eu beaucoupdavantage, si les ordres ministriels ne m'avaientfait languir et gagner la belle saison, mais cepen-dant je suis contente; il s'en faut de tout que Moleen puisse dire autant, car il a t totalementabandonn Lyon. Mon Dieu, que je voudrais quele pauvre Fleury trouvt quelque chose d'avan-tageux en ce moment! il a de la famille aussi, etvient de me montrer un intrt auquel je suis biensensible. Faites-lui mes amitis, mon trs cher,mais gardez-en, je vous prie, la meilleure partievous-mme.

    a Louise Contt.

    Parny vous dit mille choses affectueuses, ilest toujours boiteux. Deshays et Mlle Duchemindbutent ici le 15.

    Dans une autre lettre de la mme anne, critede Montpellier, Mlle Contt tient son correspondantau courant de ses engagements et de ses reprsen-tations en province.

    Ce n'est pas seulement avec les artistes quePerregaux est en relations : l'abb Morellet,

  • PERREGAUX. 45

    Collin d'Harleville, Andrieux, Picard, Ducis, Le-gouv sont de ses amis; Hugues Maret, le futurduc de Bassano, lui recommande un ami en cestermes :

    Je me suis prsent hier chez le citoyenPerregaux, mon dsir tait de le voir; je meproposais de lui parler aussi d'un ami pour lequelil me serait prcieux d'obtenir sa bienveillance.C'est le citoyen Ange Peterinck-Cardon, de Lille.Depuis le commencement de ce sicle, une branchede ma famille entretient avec la sienne desliaisons d'affaires et de commerce; une confianced'aussi vieille date et si constamment mrite aproduit une amiti hrditaire. Mme Peterinck-Cardon la mre, la mort de son mari, s'esttrouve investie du droit de rgir ses affairespendant dix ans. Le temps vient d'expirer et le ci-toyen Ange Peterinck, qui a constamment signpour sa mre, s'occupe dsintresser son frre,pour devenir, par des arrangements qui conviennent sa famille, l'unique chef de la maison. Un nomestim, une fabrique connue, des proprits fon-cires assez considrables et une conduite per-sonnelle l'abri de tout reproche, tels sont lesmoyens sur lesquels il compte pour donner plusd'accroissement ses affaires. S'il y joignaitl'appui du citoyen Perregaux, l'abri d'uncrdit aussi respectable, il se livrerait ses tra-

  • 46 PERREGAUX.

    vaux avec une scurit 'que rien ne pourraittroubler.

    Je prie le citoyen Perregaux de me donnerune heure laquelle le citoyen Peterinck-Gardonpuisse s'entretenir avec lui.

    Salut et amiti.

    Hugues B. Maret.

    24 pluvise an VI.

    On dit 'qu'un agent anglais est arriv depuisplusieurs jours avec des propositions. Le citoyenPerregaux en sait-il quelque chose ?

    Perregaux est toujours en relations suivies avecl'Angleterre, ainsi que le prouve cette note d'un

    inspecteur de police en date du 21 juillet 1799 : .... J'ai appris dans la conversation que le ban-quier Perigot (sic), demeurant Chausse d'Antin,correspond rgulirement avec l'Angleterre, etqu'il est mme le seul qui l'on puisse s'adresserpour envoyer ou tirer de l'argent d Paris.... Un voyageur anglais, Henry Swinburne, qui

    visite Paris pendant l'hiver de 1796 1797, a bien

    soin de se faire inviter par lui ; on lit dans ses

    notes, la date du 27 janvier 1797 : Rencontr dner, chez Perregaux, l'ancien vque d'Autun,

  • PERREGAUX. 47

    Talleyrand, revenu rcemment d'Amrique. Nousavons renouvel connaissance. Tout diable boiteux

    qu'il est, c'est un homme trs agrable. Il remueciel et terre pour tre employ par le Directoire. Il

    y avait aussi l mon vieil ami Saint-Foix, aujour-d'hui compre et compagnon de Talleyrand, etSimon Dumesny, petit-fils d'Helvtius. Quel-ques jours aprs, le 19 fvrier, Swinburne dne denouveau chez le financier et y trouve une runionaussi brillante : Dn chez Perregaux avecSaint-Foix, Talleyrand, Roederer et Beaumarchais;

    ce dernier est trs sourd, mais encore spirituel etgai*.

    Perregaux se distinguait de ses collgues de la

    banque, les Hainguerlot, les Ouvrard, les Vander-

    Berghe, les Hottinguer, par sa politesse, sa bien-

    veillance et son obligeance. Financier de premierordre, dou d'une intelligence suprieure, il avaitbeaucoup d'esprit et des rparties mordantes. Ilsupportait la plaisanterie de la meilleure grce du

    1. C'est Perregaux que Beaumarchais avait d saradiation de la liste des migrs; Mme de Beaumar-chais s'tait en effet adresse au banquier qui tait l'amide l'crivain, pour le prier d'intercder auprs de Cam-bacrs afin d'obtenir le retour de son mari. Nousdevons , lui crivait-elle, tous runir nos efforts pouramener bien cette radiation. Plus elle tarde, plus le feuse met ses affaires, et aprs tout, cette demande estd'une justice si troite, que je ne sais plus aujourd'hui cequi pourrait retenir nos lgislateurs. Et puis le pauvrebon ami finirait par crever de chagrin ou de dsespoir.

  • 48 PERREGAUX.

    monde : l'aventure suivante dont il fut le hros etque rapporte Mme de Bawr en est la preuve. Al'poque du Directoire, il tait de mode d'inviter sa table certains personnages dont le mtier taitde mystifier le convive qu'on leur livrait, et ce,pour la plus grande joie des autres invits quiavaient t pralablement mis dans le secret

    ;parmi

    ces mystificateurs, le plus clbre tait Musson,

    qui parvenait abuser les hommes les plus fins. M. Perregaux,|le banquier, qui ne connaissaitMusson que de nom, tant venu dner chez M. Le-

    noir^ l'homme de Paris, je crois, qui aimait le plus s'amuser,) aperut dans un coin du salon unvieillard dont les regards hbts et la contenancetaient si tranges, qu'il saisit la premire occasionpour demander au matre du logis qui tait cethomme.... C'est mon oncle, rpondit M. Lenoir;il loge avec moi, et par son testament il m'a laiss

    toute sa fortune qui est assez considrable.

    Malheureusement, il est tomb en enfance au pointd'tre devenu presque imbcile, comme vouspouvez le voir. Nous ne le laissons jamais sortirseul, parce qu'il ne reconnat plus les rues dans

    Paris. On se mit table, et, tant que dura ledner, M. Perregaux ne pouvait dtacher ses yeux

    i. Lenoir recevait beaucoup, et ses salons taient fr-quents par l'lite intellectuelle du monde parisien ; Talmay jouait des comdies improvises, et Andrieux rcitait desfables.

  • PERREGAUX. 49

    du vieillard, qui non seulement lui semblait unmodle de contorsions grotesques, mais qui necessait de se mler la conversation par quelquesmots si risibles que M. Perregaux faisait des

    efforts inous pour ne pas clater, tandis que les

    autres convives feignaient d'imiter sa retenue.

    Enfin, le retour 'au salon le dlivra de cette

    contrainte, et, ses gens tant arrivs, il se retira de

    bonne heure, sans tre dsabus. Quelques se-maines aprs, comme il passait sur le boulevarddans sa voiture avec un de ses amis, il reconnutMusson qui se promenait seul dans la contre-alle. mon Dieu ! s'cria-t-il, voil l'oncle de Lenoirqui s'est chapp. Gomment? dit son ami, neconnaissant pas Musson plus que lui. Oui,

    reprend M. Perregaux en tirant le cordon pour

    faire arrter, ce pauvre homme a perdu la raison ;il va s'garer dans la ville, si je ne le reconduispas. Et, donnant l'ordre son cocher de lesuivre, il descendit de voiture avec celui quil'accompagnait, joignit Musson et lui proposaavec la plus grande douceur de le ramener chezson neveu. Musson reconnat M. Perregaux; il

    reprend aussitt son rle. Non, non, lui dit-il,d'un ton enfantin, je veux trouver une boutique ol'on vende des polichinelles. Et pourquoi?

    Parce que je veux en acheter un pour m'amuseravec. Je ne suis sorti que pour cela. Votre neveuvous en donnera tant que vous en voudrez, ds

    4

  • 50 PERREGAUX.

    que vous serez retourn chez lui. Il n'y a pasde jolis polichinelles dans notre quartier. Jevous enverrai un polichinelle ce soir. Le mot depolichinelle, si souvent rpt par des hommes decet ge, avait fait s'arrter quelques passants quicoutaient cette conversation. M. Perregaux, crai-gnant de faire scne, prit par le bras Musson,et se mit marcher avec lui la recherche d'unmarchand de joujoux. Enfin, ils en trouvrent un

    ;

    M. Perregaux entra dans la boutique, acheta leplus beau polichinelle et le remettant aux mainsde Musson : Maintenant, vous voil satisfait, luidit-il, et vous voulez bien que je vous ramnechez votre neveu, n'est-ce pas? Touch d'unepareille bienveillance, le mystificateur ne se sentit

    pas le courage de pousser la plaisanterie plus loin : Je vous remercie, monsieur, rpondit-il du tonle plus raisonnable, mais je n'abuserai pas de votrebont

    ;je me nomme Musson. Ah ! s'cria en

    riant M. Perregaux, ce coquin de Lenoir me lepaiera! Je n'en suis pas moins charm d'avoirconnu mme en victime, un aussi admirable talent.Et, serrant la main de Musson, il remonta dans savoiture.

  • CHAPITRE IV*

    LE MARIAGE DE MARMONT

    Hortense Perregaux venait d'achever son duca-tion dans la maison fonde par Mme Campan Saint-Germain; elle y avait eu pour camaradesgl Auguier qui allait bientt pouser le mar-chal Ney, Adle Auguier qui devait prir tragique-ment, en pleine jeunesse, dans un accident de mon-tagne, enfin Hortense de Beauharnais. Trs gtepar son pre qu'elle amusait par ses saillies viveset spirituelles, Mlle Perregaux conqurait tousceux qui l'approchaient par sa grce et son intel-ligence. En novembre 1795, l'abb Morellet de-mandait au banquier quand il pourrait jouir du

    1. Sources manuscrites :1 Papiers de la duchesse de Raguse.2 Archives de la Bibliothque de Chtillon-sur-Seine :

    papiers du marchal Marmont.Sources imprimes :

    1 Mmoires du duc de Raguse de 1792 1841. Paris(Perrotin) 1856-57.

    2 Moniteur Universel.

  • 52 PERREGAUX.

    plaisir d'aller le revoir et faire connaissance avec

    mademoiselle sa fille .

    A la fin de 1796, Perregaux donna dans son h-tel de la rue du Mont-Blanc des ftes brillantes ; laplus belle fut sans contredit celle qu'il oftrit en

    l'honneur de la prsentation au Directoire des

    vingt-deux drapeaux pris l'ennemi et envoys parle gnral Bonaparte.

    C'tait son aide de camp favori, Marmont,que le gnral en chef de l'arme d'Italie avait

    confi la mission de porter ces drapeaux au gou-

    vernement. Issu d'une vieille famille noble de Bour-

    gogne, fils d'un ancien capitaine au rgiment deHainaut, retir du service depuis 1763, Auguste-Frdric-Louis Viesse de Marmont avait t remar-

    qu au sige de Toulon par Bonaparte; aussiquand celui-ci fut nomm gnral en chef de l'ar-me de l'Intrieur, il se souvint du jeune officieret le prit comme aide de camp. Depuis, Bonaparte

    n'avait pas cess de lui tmoigner la plus sincreaffection, et c'tait pour lui en donner une preuve

    qu'il l'avait envoy Paris prsenter au Directoireles drapeaux pris l'ennemi.

    La crmonie eut lieu avec solennit le l^"" octo-bre 1796. Marmont arriva dans la voiture du minis-tre de la guerre Ptiet, escort de vingt-deux offi-

    ciers de la garnison portant les trophes; le

    ministre prsenta le jeune officier, qui adressa auxDirecteurs un discours dans lequel il rappelait les

  • PERREGAUX. SS

    hauts faits de l'arme d'Italie ; le prsident du Di-rectoire Larevellire-Lpeaux rpondit en cestermes : Plus rapide que la Renomme, l'armed'Italie vole de triomphes en triomphes. Par elle,

    chaque jour est marqu d'un succs clatant. Tantde faits hroques, tant d'heureux rsultats l'ont

    rendue galement chre aux amants de la gloire,et aux amis de l'humanit, car si ses victoires onthonor jamais les armes franaises, elles doiventaussi forcer nos ennemis la paix. Grces soientdonc rendues la brave arme d'Italie et au gniesuprieur qui la dirige. Le Directoire excutif aunom de la Rpublique franaise reoit avec la plusvive satisfaction les trophes qui attestent tant

    d'actions tonnantes; il vous charge de porter vos braves frres d'armes les tmoignages de lareconnaissance nationale. Et vous, jeune guerrier,dont le gnral atteste la bonne conduite et le cou-rage, recevez ces armes comme une marque del'estime du Directoire, et n'oubliez jamais qu'il esttout aussi glorieux de les faire servir au dedanspour le maintien de notre constitution rpubli-caine que de les employer anantir ses ennemisextrieurs, car le rgne des lois n'est pas moins n-cessaire au maintien des Rpubliques que l'clatde la victoire. En achevant ces paroles, Larevel-lire remit Marmont une paire de pistolets, luiannona sa nomination au grade de colonel et luidonna l'accolade.

  • 54 PERREGAUX.

    Marmont tait le hros de la journe; et quand,dans cette soire du l*'^ octobre 1796, il fit son en-tre chez Perregaux, dans ce cadre enchanteur,tmoin du got de la Guimard, o plus de troiscents femmes tincelantes de bijoux et ravissantesde beaut voquaient la grce et l'lgance, biendes regards se fixrent avec une curiosit sympa-thique sur l'aide de camp de Bonaparte, bien descurs battirent pour le jeune officier, qui semblaitnimb d'une aurole de gloire. Hortense Perre-gaux dansa avec ce charmant cavalier, et pensa quec'tait bien l le mari le plus aimable et le plus s-duisant que l'on pt rencontrer.Cependant Marmont, qui Bonaparte avait re-

    command de rejoindre l'arme sans tarder, quit-tait bientt Paris, laissant la jeune fille amoureuseet rveuse.

    Perregaux devina rapidement les sentiments desa fille, mais il pensa que ce n'tait l qu'une amou-rette romanesque, et qu'il tait temps de choisir ungendre susceptible de mener sa maison de banque;l'abb Morellet fut mme charg des ngociationsrelatives ces projets de mariage, et le 15 dcem-bre 1796, il crivait au banquier :

    Je reois, monsieur, ce matin un petit mot deMme de Simiane, partant pour Saint-Germain, parlequel elle me mande qu'elle a reu de Mme de S-gur, les renseignements les plus satisfaisants sur le

  • PERREGAUX. 55jeune homme que vous avez tant d'intrt bienconnatre. Je m'empresse de vous faire part decette nouvelle confirmation des ides qu'on vousen avait dj donnes. Vous en ferez usage en bonpre de famille et de mon ct je me fliciterai d'a-voir eu cette petite occasion de vous montrer, parmon zle inquisiteur, tout l'intrt que m'inspirevotre aimable fille et tout le dsir que j'aurais devous servir. Je vous salue trs humblement et detout mon cur.

    Ce mardi.

    MORELLET.

    Mais ce mari ne plut sans doute pas la jeunefille, car elle n'en voulut pas entendre parler. Mus-set n'a-t-il pas dit :

    C'est dans les nuits d't, sur une mince chelle,Une pe la main, un manteau sur les yeux,Qu'une enfant de quinze ans rve ses amoureux.Avant de se montrer, il faut leur apparatre.Le pre ouvre la porte au matriel poux,Mais toujours l'idal entre par la fentre.

    Perregaux essaya de lutter contre ce qu'il consi-drait comme un caprice, mais la jeune fille crivitalors son pre cette lettre plore, le 23 mai1797 :

  • 56 PERREGAUX.

    Il est dur sans doute d'tre oblige d'avoir re-

    cours ce moyen pour m'expliquer avec mon pre,mais puisque vous vous refusez vouloir rien en-

    tendre, rien couter en ma faveur, je crois pouvoirme permettre de l'employer pour vous faire part de

    mes sentiments et de ma rsolution. Dans un temps

    plus heureux o tout semblait me rpondre de vo-tre tendresse et de vos bonts pour moi, vous m'a-viez fait esprer de trouver le bonheur o moncur me l'indiquerait et (c'est le seul tort que vous

    puissiez me reprocher) je me suis livre sans crainte ma sensibilit, je me suis attache un homme(noirci dans votre esprit mais digne de votreestime), esprant voir mon choix approuv parvous ; aujourd'hui, changeant tout coup de senti-ments mon gard, vous voulez que je renonce mon bonheur sans rflchir ce qu'il va m'en co-ter pour un tel sacrifice : vous motivez votre refus,

    vous l'accusez, mais il lui serait facile de se discul-per auprs de vous si vous vouliez l'entendre ; votre

    cur se ferme tous sentiments, vous exigez de

    votre fille le sacrifice le plus pnible son cur, et

    vous ne voulez rien faire pour elle, vous la privez

    de toute espce de consolation ; il ne lui reste pas

    mme une amie, encore l'avez vous contrainte neme plus recevoir; votre rigueur peut aller plus

    loin, je l'ignore, mais elle serait inutile, car elle ne

    me rendrait pas plus malheureuse que je ne le suis.

    Vous me forcez dtruire les plus chers sentiments

  • PERREGAUX. 57

    de mon cur, que me reste-t-il prsent? gmirdans le silence sans avoir mme quelqu'un quipuisse me consoler.

    Vous avez expliqu d'autres vos intentions et

    vous paraissez dcid ne pas consentir me ren-

    dre heureuse, vous tes mon pre et vous avez le

    droit de disposer de moi; je ne ferai donc plus au-cune tentative; mais en mme temps, je suis biendcide moi, ne jamais pouser aucune autrepersonne que l'on puisse me proposer. Les droits

    que vous avez sur moi ne peuvent s'tendre jus-qu' commander mon cur; il s'est malheureu-sement donn un tre qui aurait pu faire monbonheur. Puisque vous n'y voulez pas consentir,je me soumets votre volont et je fais au devoirle sacrifice entier de mon existence; il m'en co-

    tera plus que la vie en vous dplaisant, mais marsolution est inbranlable; elle vous tonne sansdoute et je veux vous en expliquer les motifs pourque vous ne croyiez pas que l'enttement ou un ca-price passager en soit le fondement; la seule choseque j'aie jamais ambitionne a t de trouver la sa-tisfaction et le bonheur avec un poux de monchoix et de me conserver toujours l'attachementde mon pre ; aucun calcul d'intrt n'est jamaisentr dans ma tte, parce que je crois que larichesse ne fait point le bonheur; elle peut y con-tribuer et je le crois, mais elle n"en est pas la seulecause ; ce ne sera donc jamais un mariage de for-

  • 58 PERREGAUX.

    tune que je ferai;je ne puis esprer non plus en

    faire un d'inclination, ce que je souffre prsentme sera un sr prservatif pour ne plus m'exposer de nouveaux chagrins et je n'ai point de raisonpour croire que vous voudrez m'accorder, dans unautre temps et pour une autre personne laquellepeut-tre je pourrais m'attacher, ce que vous merefusez aujourd'hui. Vous ayant ouvert mon cur,ce qui, j'ose l'esprer, ne pourra vous dplaire,puisque vous y voyez la rsolution o je suis de nerien faire contre votre volont, je me flatte quesatisfait de ma soumission, vous bornerez votre s-vrit au point o elle est et que mme sans vou-loir revenir sur les privations que vous avez jug propos de me faire prouver, la seule chose que jevous demande est de ne point m'loignerde vous.Si votre projet tait de me faire aller ailleurs, je lerefuserais et m'aiderais de toutes mes instances etprires pour m'y soustraire; je suis dj assez iso-le ici, n'ayant plus d'amis voir, sans aller m'en-terrer dans un lieu qui ne ferait qu'ajouter monchagrin sans le diminuer.

    Si dans le courant de cette lettre, la vivacit dequelques-unes de mes expressions vous a dplu,

    n'y voyez que l'expression du chagrin dans lequelest mon cur, car mon intention n'est point demanquer au respect que je vous dois. Si votre men'est pas trangre au sentiment qu'une fille esttoujours dans le droit de rclamer de son pre, je

  • PERREGAUX. 59

    puis vous rappeler qu'il fut un temps o l'ide deme rendre heureuse vous occupait tout entire,

    et que mon affreuse situation ne peut que me don-

    ner de nouveaux droits votre tendresse, et vous ne

    m'en voudrez pas d'avoir laiss natre un sentiment

    qui ne peut plus que me rendre malheureuse ; votre

    pauvre fille en est la victime, et les maux qui l'ac-

    cablent, la faisant succomber, vous dbarrasseront

    bientt de votre enfant avant d'avoir mrit son

    malheur, mais sans cesser d'tre digne d'un pre

    qu'elle chrira jusque et par del la vie. Ah! monpre, mon pre, prenez piti de votre malheureuse

    enfant, il en est encore temps. Mais plutt mourirque changer.

    Perregaux se laissa toucher par les supplications

    de sa fille et lui promit de lui laisser pouser lefianc de son choix.Marmont avait rejoint l'arme d'Italie, sans se

    douter de l'ardent amour qu'il avait veill dans

    le cur de la jeune fille. Il menait mme fortjoyeuse vie et venait de commettre une escapadequi et pu lui coter cher : charg de porter desdpches Bonaparte, il s'tait arrt Milan oil avait oubli sa mission dans les bras d'une char-mante Italienne et tait arriv au quartier gnral

    avec vingt-quatre heures de retard; Bonaparte, qui

    ne plaisantait pas sur le service, le reut avec une

    violente colre ; mais en raison de la grande amiti

  • 60 PERREGAUX.

    qu'il avait pour son aide de camp, il lui par-donna.Pendant cette campagne d'Italie, Marmont se

    distingua aux cts de son chef Arcole, Rivoli, Tagliamento ; il tait alors plein d'enthousiasme,comme on peut en juger par les lettres qu'il adres-sait ses parents :

    Au quartier gnral de Milan, le 15 floralan V de la Rpublique une et indivisible.

    Nous sommes de retour Milan, mon tendrepre, o nous gotons quelques instants le repos.L'arme d'Ralie a donc termin son illustre car-rire et fini d'immortels travaux ; il sera permis un fils de consacrer quelques jours ses bonsparents et le sentiment de ses devoirs ne seraplus en opposition avec celui de ses plus chres

    penses. La Lombardie libre ofi're un spectacle bien

    satisfaisant; il et t bien affreux que la France

    pt l'abandonner. Le gnie de la Libert a protgcette rpublique naissante et elle prosprera, si lantre ne prit pas par les dchirements qu'elleprouvera sans doute encore.

    Nous sommes vivement affects du mauvaischoix qui vient d'tre fait presque partout; serions-

    nous donc encore destins voir de nouvelles

  • PERREGAUX. 61

    rvolutions? Les nouveaux reprsentants seraient-ils assez perfides pour vouloir branler notregouvernement? Nous serons l, nous autres, quiavons tout sacrifi pour la cause de la libert,et nous saurons encore la dfendre. Adieu, montendre pre, recevez les assurances de mon tendrerespect, ainsi que ma tendre mre, ma chre tanteet mes aimables cousines.

    Marmont.

    Milan, le 4 thermidor (5' anne).

    Je vous ai crit ma dernire lettre, ma tendremre, au moment o je partais pour faire le tourde l'arme; aujourd'hui que je suis de retour, jesuis encore au moment de partir. Nous allons tous Udine o le gnral va suivre les ngociationsqui sont entames ; vous avez d voir la proclama-tion du gnral en chef relative aux circonstancesprsentes. Elle est frappe au bon coin; noussommes vivement affects de tout ce qui se passeen France et si la contre-rvolution s'y achve, siaprs avoir servi son pays, il n'est plus habitable,quelle doit tre notre destine! Il appartiendrasans doute l'arme d'Italie de sauver encore laRpublique.

    Chaque jour ajoute mon admiration pour legnral Bonaparte. Si vous tiez mme de voir

  • C2 PERREGAUX.

    comme moi la grandeur et la sret de ses plans,la beaut de son me, vous auriez peine le conce-voir. Je ne crois pas qu'il puisse exister un hommequi lui soit comparable.

    Aussitt que nous serons arrivs Udine, jevous crirai. Vous avez d avoir la visite d'un demes camarades qui a d s'acquitter d'une commis-sion dont je l'avais charg pour vous.

    J'embrasse mon tendre pre et le prie ainsique vous de recevoir les tmoignages de monrespectueux attachement.

    J'embrasse ma tante et mes cousines.

    Marmont.

    A Rastadt, le 6 frimaire (6* anne).

    Nous sommes arrivs ici hier, ma tendre mre,aprs un voyage de huit jours; nous avons tra-vers toute la Suisse; j'ai vu avec intrt ce beaupays et je dsire que les circonstances me mettent mme de le voir plus en dtail dans une saisonplus douce.

    a II serait difficile de vous donner une idevraie de l'accueil flatteur que le gnral Bonapartea reu dans toutes les villes o il a pass. Rien nepeut peindre l'enthousiasme que sa vue a fait

    natre. Nous sommes arrivs Chambry 8 heures du soir ; vingt mille mes taient une

  • PERREGAUX. 65

    demi-lieue de la ville notre rencontre. Tous lescorps constitus, dont les autorits, sont venusrecevoir le gnral. Cent coups de canon, uneillumination gnrale ont montr l'allgresse; onavait lev la porte de la ville un fort bel arc detriomphe et toutes les maisons correspondantesdes deux cts de rues que nous avons traversestaient unies par des guirlandes de laurier etd'oliviers. Chaque maison avait devant elle unarbre vert auquel des guirlandes et des couronnestaient attaches. Chaque maison avait devant sonfront une devise en transparent, toutes extrme-ment flatteuses. J'en ai remarqu deux; l'une :Il m'a rendu la lumire ; l'autre : Que mes enfantsle bnissent dans les sicles les plus reculs.

    Ajoutez cela les cris de : Vive Bonaparte!Vive le sauveur de la Rpublique! et vous aurezune ide de l'emploi du temps que nous avonspass Chambry.

    Nous avons eu des ftes semblables Annecy,Andilly et tous les villages du dpartement duMont-Blanc.

    A Genve, l'expression de l'enthousiasme at encore plus forte s'il est possible. Tous les

    habitants de la ville du territoire et 10 000 tran-gers taient rassembls pour voir et applaudirl'homme tonnant qui a fait deux grandes choses,le grand homme qui a couvert d'un nouveaulustre le nom franais et qui a donn la Repu-

  • 64 PERREGAUX.

    blique la puissance et la considration dont ellejouit.

    Nous sommes arrivs Lausanne troisheures du matin ; eh bien ! quoique l'heure eut ddiminuer le nombre des spectateurs, il n'y en a paseu moins grand nombre, ni moins d'enthousiasme.

    Berne, Ble, Soleure et toutes les villes et

    tous les villages se sont disput l'honneur d'ac-

    cueillir avec le plus de transport de reconnaissance

    et d'admiration le grand homme de notre sicle. Nous avons fait notre voyage avec assez de

    rapidit, quoique nous ayons t un peu retardspar les ftes qui nous ont t donnes; noussommes venus de Milan ici sans nous coucher.

    Nous resterons ici au moins, je le prsume,environ un mois. Nous irons de l Paris, et ds

    que je pourrai, ma tendre mre, disposer d'unmoment, je vous le consacrerai avec un bien grandplaisir.

    Adieu, ma tendre mre, je vous embrasseainsi que mon tendre pre et mes aimables

    cousines.

    Votre fils.

    Marmont.

    Par ces lettres, on peut voir ]qu' cette poque,Marmont avait la plus grande admiration pourBonaparte. Celui-ci avait offert son aide de camp

  • PERREGAUX. 65

    la main de sa sur Pauline, alors ge de seize ans,mais le jeune officier avait refus.Rentr Paris et reu par Gumpelzhaimer qui

    s'tait charg de seconder les vues de Mlle Perre-gaux, Marmont revit la jeune fille et en devintperdument amoureux. Elle tait d'ailleurs une desplus gracieuses personnes de la socit parisienne;

    lors du grand vnement qui rvolutionna la capi-tale en 1797, l'arrive de l'ambassadeur ottoman

    Paris, elle avait figur parmi les plus joliesfemmes prsentes ce noble seigneur ; voici com-ment un des journaux les plus spirituels duDirectoire, le Th, raconte la chose dans sonnumro du 2 aot 1797 :

    M. l'ambassadeur ottoman reoit chaquejour les tmoignages de la galanterie franaise.Nos femmes surtout s'empressent de soutenir ses yeux la rputation de beaut dont elles jouis-sent tant de titres. La consigne donne contrele nez la Roxelane ayant t leve d'aprs lestrs humbles remontrances de MM. de Talleyrand-Prigord, ministre des affaires trangres, et deChteauneuf, son adjoint dans cette tche, ellesont t admises indistinctement l'audience d'Es-seid Effendi. Celles qui ont le plus fix l'attention

    de Son Excellence sont : Mme de Noailles. Mme de Fleurieu.

  • 66 PERREGAUX.

    Mme Tallien. Mme de Lchaud (suspecte, nez retrouss). Mme de Gervaiso. Mme de Lansalle. Mlle Perregaux.

    Mme Delor (suspecte, nez retrouss). Mme de Ghauvelin. Mme Gapon. Mlle de Mascaraille (suspecte, nez retrouss). M. l'ambassadeur leur a fait distribuer des

    pastilles odorantes du srail, des essences derose, des sachets bnis par le muphti et leur a ditdans notre langue : jolies, aimables, charmantes;quand il en saura davantage, il ajoutera adorableset, certes, parmi les femmes que nous venons deciter, il n'y en a pas une qui n'et vu tomber genoux le grand prophte lui-mme.

    Marmont fit donc sa cour la charmante Hor-tense Perregaux, et le banquier, conquis par

    l'intelligence et l'esprit du jeune officier, fianales deux jeunes gens.

    Ce fut le 12 avril 1798 que Marmont pousaMlle Perregaux. Tous les journaux du tempspublirent des articles dans lesquels ils adressaient

    leurs vux aux jeunes poux; voici notamment cequ'on lisait dans le numro du Bien-Inform du27 germinal an VI : Le citoyen Marmont aide

    de camp du gnral Bonaparte, vient d'pouser la

  • PERREGAUX. 67

    fille du banquier Perregaux. O mariages sam-nites!

    Une seule gazette, la Clef du Cabinet des Sou-verains, laissait percer une note discordante : Tous les journaux nous ont appris le mariagedu citoyen Marmont, aide-de-camp de Bonaparteavec la citoyenne Perregaux. Nous sommes per-suads que les deux poux sont fort aimables,mais nous ne croyons pas que la publicit donne leur union ft ncessaire leur bonheur. Dansl'ancien rgime, on annonait ainsi certainsmariages; aujourd'hui, nous avons des chosesplus intressantes publier.

    Bonaparte avait voulu donner une preuve deson affection son aide-de-camp en lui constituantune dot de 500000 francs; c'tait un prsentd'autant plus gnreux que le futur Empereurne possdait alors qu'un million. Quant la jeunefemme elle apportait un million en dot sonmari.

    Les jeunes maris semblaient appels goterun bonheur parfait. D'un physique agrable,lanc, portant bien l'uniforme, Marmont joignait ces qualits physiques une intelligence depremier ordre, un esprit brillant et vif, une con-versation attrayante. Quant sa jeune femmeelle n'tait pas seulement jolie et gracieuse; elletait en outre gaie et rieuse, mlant un espritprimesautier et ptillant un grain de moquerie

  • 68 PERREGAUX.

    et de taquinerie. Tout semblait donc devoirsourire ce couple charmant qui entrait dansla vie, l'esprance dans le cur et des parolesd'amour sur les lvres.

  • CHAPITRE V

    LE JEUNE MNAGE

    Aussitt le mariage clbr, Marmont rsolutde profiter des courts loisirs que lui laissait

    Bonaparte, pour aller avec sa jeune femme go-ter les douceurs de la lune de miel Chtillon-sur-Seine.

    Depuis de longues annes dj, les parents deMarmont habitaient cette petite ville de Bourgogne ;le pre, ancien capitaine au rgiment de Hainaut,s'y tait retir en 1763, date laquelle il avait

    quitt le service. Le milieu dans lequel allait

    se trouver la jeune femme tait un peu rigideet trop enferm dans les habitudes de province :

    1. Sources manuscrites :1* Papiers de la duchesse de Raguse.2 Archives de la Bibliothque de Chtillon-sur-Seine:

    papiers du marchal Marmont.Sources imprimes :

    1"> Mmoires du duc de Raguse.2* Barras : Mmoires publis par G. Duruy. Paris

    (Hachette) 1895-96.3 Carnet historique et littraire. Anne 1899.

  • 70 PERREGAUX.

    aussi Hortense Marmont laisse-t-elle plus d'unefois apparatre dans les lettres qu'elle adresse son pre, le peu de charme que la vie de pro-vince prsente ses yeux.

    Chtillon, ce 1" mai 1798.

    Je m'empresse mon cher papa de te consacrerle premier instant que je puis drober aux habi-tants de ces lieux; ma plus douce occupationa t d'y penser toi et mon premier soin estde te le prouver en te donnant promptement demes nouvelles et en te renouvelant les expressions

    de mon tendre attachement. Le souvenir de tonamour, de tes bonts me suit toujours et ajoutecontinuellement au regret si vif que j'ai prouven te quittant; les parents que j'ai trouvs ici,quoique remplis d'attention pour moi, ne peuventcompenser l'loignement qui existe prsententre nous, et aucun ne remplit dans mon curla place de celui si cher qui j'ai vou toutesmes affections et pour qui je suis pntr dereconnaissance.

    Nous sommes arrivs dimanche sur les deuxheures sans aucun accident, fort incommodsseulement de la chaleur et de la poussire, etmoi enchante d'tre dlivre des mauvais che-mins et des cahots qui m'ont fait trembler etplir plus d'une fois; tu sais de qui j'ai hrit

  • PERREGAUX. 11

    un certain degr de poltronnerie et mon militaire

    n'est pas encore venu bout de m'inspirer sa

    bravoure; il a mieux russi par exemple mefaire trouver la route courte, par le soin qu'il

    a mis m'amuser et me distraire. Son amour

    et ses soins m'ont t d'un grand secours aprs

    t'avoir quitt. Aussi n'a-t-il rien pargn pourme les prodiguer, et j'ai eu plaisir lui tmoignercombien j'y tais sensible, j'en reviens toujours mon refrain : on n'est pas plus aimable. En

    arrivant ici, nous avons t fort bien accueillis

    comme tu penses. Ma belle-mre qui attendaitson fils depuis si longtemps a t fort attendrie

    en le revoyant; ses cousines aussi ont bien marqucombien il tait dsir; c'est bien une chose quiprouve en sa faveur que la manire dont il estaim et mme considr dans sa famille; maisune chose fort comique, c'est l'empressementqu'il y avait sur la route depuis Troyes. Noustions je ne sais comment annoncs, et partoutdepuis l on courait aprs les postillons pour

    leur demander si c'tait M. Marmont et danstous les villages on courait aprs nous pour nousvoir et lorsque nous changions de chevaux leshabitants entouraient notre voiture et les propos

    d'aller leur train ; tantt j'tais la sur de Buona-

    parte*, et lui, avait bien mrit de la patrie; enfin

    1. On a vu plus haut qu'il avait t question du mariage

  • 72 PERREGAUX.

    nous tions courus et salus comme jadis ungrand seigneur allant dans ses terres. Dans lagrande ville de Ghtillon, tous les habitants taientaux portes de la ville et nous ont suivis jusqu'celle du chteau * ; enfin tu sauras que je faisgrand bruit dans le pays, ce qui m'ennuie fort,car je suis regarde et observe d'une manirefati