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Sommaire

PROPOS INTRODUCTIFS : PRESENTATION DE LA PROBLEMATIQUE DES RESTRUCTURATIONS D’ENTREPRISES Alain LE POMMELEC,

Maître de conférences de droit privé, Ecole de droit-Université d'Auvergne Clermont 1, CMH EA 4232

COMMENT ENCADRER LES RELATIONS CONFLICTUELLES ENTRE DIRIGEANTS ET INVESTISSEURS ? Me Marc AMBLARD,

Maître de conférences, Aix Marseille Université

Avocat, Société d'Avocats AMBLARD, Ingénierie juridique des restructurations d'entreprises

RESTRUCTURATIONS D’ENTREPRISES : REGARDS SOCIOLOGIQUES Sacha LEDUC,

Maître de conférences de sociologie, Ecole de droit-Université d'Auvergne Clermont 1, CMH EA 4232

L’ACCOMPAGNEMENT DES RESTRUCTURATIONS D’ENTREPRISES PAR LES JURIDICTIONS CONSULAIRES Edith CANDELIER,

Présidente du Tribunal de commerce de Clermont-Ferrand

ASPECTS SOCIAUX DES RESTRUCTURATIONS. RESTRUCTURATIONS D’ENTREPRISES A LA LUMIERE DE L’ANI JANVIER 2013

Me Michel MORAND,

Professeur associé de droit privé, Ecole de droit-Université d'Auvergne Clermont 1, CMH EA 4232

Avocat Cabinet Barthélémy

ANI : REGARDS SYNDICAUX A LA LUMIERE DE L’ACTUALITE Dominique HOLLE,

Président du Conseil des Prud’hommes de Clermont-Ferrand

VICES ET VERTUS DES FUSIONS-ACQUISITIONS Benjamin WILLIAMS,

Maître de conférences en sciences de gestion, Ecole Universitaire de Management-Université d'Auvergne

Clermont 1, CRCGM EA 3849

Table des matières

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PROPOS INTRODUCTIFS : PRESENTATION DE LA PROBLEMATIQUE DES RESTRUCTURATIONS D’ENTREPRISES

elon Francis BACON, philosophe anglais de la fin du XVIe siècle : « La prospérité révèle nos

vices et l’adversité nos vertus ». La pertinence de la formule mérite d’être vérifiée à l’épreuve d’une série de crises de nature complexe, à la fois financière, économique, sociale et même

politique aujourd’hui, parfaitement révélatrice d’une mutation radicale et d’une profonde crise de confiance, tout spécialement en Europe. Le diagnostic est posé et il semble implacable ; reste à envisager les réponses susceptibles de rendre supportables les évolutions jugées impératives, puisqu’il s’agit, a priori, de mettre en œuvre, dans l’urgence, des « thérapies de choc ». De profondes réorganisations des structures s’imposent aux Etats comme aux entreprises : les premiers sont confrontés à la restructuration de la dette publique, les secondes confrontées à une économie globalisée ou mondialisée dominée par les exigences de la finance, à de profondes transformations des structures, du capital, et des différents groupes humains qui les composent. La question pourrait presque être posée en termes triviaux en paraphrasant Jean-Paul Sartre : comment satisfaire « Wall

Street », ou la « City », sans (trop) désespérer « Billancourt » ?

Les termes de la dialectique « l’humain » et le « capital » qu’introduisent les mécanismes des restructurations d’entreprises interpellent l’économiste, le financier, le sociologue, et tout particulièrement le juriste. L’emploi, le travail, c’est-à-dire le facteur humain de l’entreprise peut-il encore compter face aux exigences d’une économie « financiarisée », le capital étant l’élément sans lequel les entreprises individuelles et a fortiori les sociétés ne peuvent durablement fonctionner et prospérer. La question posée est en effet tant celle des techniques utilisées pour restructurer, que celle des objectifs, poursuivis par ceux qui les mettent en œuvre, au-delà même des motifs affichés, qui ne correspondent pas toujours à la vérité telle qu’elle pourra être constatée a posteriori. L’actualité économique, sociale, et juridique inscrit la restructuration des entreprises au cœur de nombreux débats scénarisés par les mass media et au centre de violentes polémiques, parfois instrumentalisées par les partis politiques dans un environnement de « stagnation », de « croissance négative », euphémismes en vogue pour tenter, vainement, de dissimuler au plus grand nombre une réalité synonyme de décroissance, de récession et de régression sociale.

Une illustration significative du phénomène peut être trouvée dans l’actualité récente avec la situation dans laquelle l’entreprise « Kem One SAS », se trouve au mois de mars 2013. « Kem One SAS » est l’ancien pôle vinylique de la société « Arkema », spécialiste de la chimie, historiquement, juridiquement et financièrement liée au groupe « pétrolier » « Total ». Le dirigeant américain de la société « Kem

One SAS » a déclaré la cessation des paiements. Suivant les réquisitions de Monsieur le Procureur de la République, les juges consulaires l’ont dessaisi de la gestion de l’entreprise en raison de la « défiance du personnel à son endroit ». La gestion est désormais assurée par l’administrateur judiciaire désigné par le Tribunal de commerce de Lyon. La poursuite de l’activité ayant été retenue, une période d’observation de six mois a été accordée selon les dispositions applicables en matière de procédure de redressement judiciaire. Les débouchés traditionnels de « Kem One » tels que le secteur de la construction automobile et le bâtiment sont eux-mêmes en grande difficulté et le volume des commandes a, par voie de conséquence, singulièrement chuté au cours des derniers mois. En outre, la production de « Kem One » avait été gravement perturbée par l’incendie de la raffinerie « Total » de Lavera. Six sites industriels sont

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maintenant menacés en France, employant environ 1 300 personnes sur les 6 000 salariés que comporte au total l’entreprise. Les syndicats de salariés soutiennent d’abord de leur côté que « la responsabilité

d’Arkema est engagée dans la cessation des paiements de Kem One, dans la mesure où les dirigeants de

cette société n’avaient pas vérifié la crédibilité de l’acquéreur ». Ils soulignent ensuite « qu’à terme

10 000 emplois directs et indirects seraient menacés et que la disparition de « Kem One » entraînerait

celle des plateformes chimiques et pétrochimiques en France ». Les syndicats espèrent enfin que « Total, Arkema, et les pouvoirs publics déploieront tous les « efforts possibles » afin de trouver un repreneur crédible ». A ce propos, il convient de rappeler comme l’a relevé Monsieur le Président du tribunal de commerce de Lyon que l’entreprise « Kem One SAS » avait été vendue en 2012 pour « un euro symbolique », les dettes avaient été effacées, et l’entreprise avait 100 millions de liquidités, et qu’il est donc permis de s’étonner de « la rapidité avec laquelle la situation financière de « Kem One SAS » s’était

dégradée en huit mois, le cash disponible étant en effet aujourd’hui proche de zéro…». Les créances financières avoisinent selon la presse économique 300 millions d’euros. Le groupe suisse « Klesch », qui avait ainsi racheté « Kem One », a, quant à lui, assigné au début du mois de mars 2013 la société « Arkema » devant un tribunal arbitral pour transmission de « fausses informations », ce que dément formellement la société « Arkema » en prenant soin de préciser que « sa contribution au financement de

la période d'observation s'élève à 68,7 millions d'euros ». Dès lors, Monsieur le Ministre du « Redressement productif » et le comité interministériel de restructuration industrielle suivent, naturellement, de « très près » l’affaire puisqu’elle révèle un nouvel exemple topique des difficultés graves qui frappent le secteur industriel français ; elle sera à tout le moins un nouveau « laboratoire » permettant d’expérimenter « in vivo » les techniques de restructurations d’entreprises faisant évidemment craindre de nouveaux drames humains, tant individuels que collectifs. Dans la mesure où la « valeur travail » est quelquefois bafouée, il pourrait être tentant de remettre au goût du jour des théories considérées comme « subversives », telles que le « Droit à la paresse » (1), l’ « Eloge de

l’oisiveté » (2), ou le slogan « Ne travaillez jamais ! » inscrit par Guy Debord en 1953 sur la façade d’un immeuble parisien très représentatif de la pensée développée par « l’Internationale situationniste » (3) selon laquelle en substance, la division inégalitaire des tâches dans les entreprises et la répartition par trop inéquitable de la répartition des fruits du travail, interdisent nécessairement de glorifier le fait « d'avoir un « emploi ».

Le concept de « restructuration » n’est pas récent, et l’histoire économique permet de relever de premières formes de restructurations d’entreprises dès le début du XXe siècle. En revanche, il convient de souligner l’évolution des techniques, des objectifs dans un environnement qui produit ou subit de perpétuelles transformations. De facto, les restructurations sont plurielles et protéiformes. Sans doute, convient-il d’emblée de distinguer les restructurations mises en œuvre par des entreprises de tailles modestes, et celles qui sont déployées par de grands groupes de sociétés, ou encore très classiquement les restructurations préventives et volontaires qui permettent d’améliorer la productivité et le dynamisme d’une entreprise, des réorganisations forcées et subies en raison de lourdes difficultés révélées par une procédure collective. Il paraît également légitime de mettre en évidence des catégories de restructurations fondées sur des motifs tantôt économiques, lato sensu, et de moyen ou long terme, tantôt fondées sur des motifs exclusivement financiers et de court terme. Ainsi, il convient de

1 Paul LAFARGUE, (gendre de Karl MARX) : « Le Droit à la paresse », 1

re éd, 1883.

2 Bertrand RUSSEL, « Eloge de l’oisiveté », 1932

3 Cf. : Exposition Guy Debord : « Un art de la guerre », 27 Mars 2013 au 13 Juillet 2013, Bibliothèque nationale de France - François

Mitterrand Paris (75013)

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s’interroger sur les objectifs des fusions-acquisitions, des « joint-ventures » (4), des « LBO » (5), etc., qui se révèlent quelquefois comme illégitimes et illicites, comme l’a naguère relevé le Conseil d’Etat (6), dans une hypothèse de « LBO » trop rapidement suivi d’une fusion révélant un véritable abus de droit du point de vue de la fiscalité. Les crises à répétition ont permis de relever, au-delà de quelques symboles d’échecs et de « casse sociale » largement médiatisés comme l’entreprise « Fralib » et l’usine « Goodyear » d’Amiens-Nord, ou encore la fermeture de sites sidérurgiques en Lorraine, que l’efficacité même des restructurations d’entreprises pouvait être contestée voire franchement mise en défaut, notamment sur le terrain financier. Dans un discours prononcé au sein de la Commission sur l’instruction primaire en 1849, Adolphe THIERS avait affirmé (7) : « Je veux rendre toute-puissante

l'influence du clergé, parce que je compte sur lui pour propager cette bonne philosophie qui apprend à

l'homme qu'il est ici-bas pour souffrir et non cette autre philosophie qui dit au contraire à l'homme :

"Jouis" ». Est-il envisageable de reprendre cette formule controversée en substituant la référence de la doxa « ultra libérale » à celle du clergé afin de critiquer certaines restructurations exclusivement motivées par l’appétit financier ou par l’évasion fiscale souvent synonymes de « plans sociaux » et de « licenciements boursiers » ? L’accord national interprofessionnel (dit « ANI ») conclu entre trois syndicats de salariés dits « réformistes » et les représentants du patronat français au mois de janvier 2013, prétend concilier les intérêts des entreprises et ceux des salariés. L’adoption des termes de l’accord en première lecture par l’Assemblée Nationale, et la mise en lumière de la nécessité de la « flexisécurité » à la française, n’a pas fait taire les opposants les plus critiques. (8)

Les normes juridiques sont naturellement utiles pour encadrer les restructurations d’entreprises, et, au besoin, justifier de sanctions lorsque des comportements illicites ont été constatés. L’arsenal législatif est important tant du point de vue du droit du travail, notamment du point de vue de la question de la continuation du contrat de travail en cas de cession et de reprise d’une entreprise (9), ou encore du point de vue « sociétal », puisque la responsabilité environnementale sociétale et sociale des entreprises est depuis la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques, (dite « loi NRE ») l’objet d’une communication contrôlée, inspirée de la « corporate

governance » anglo-saxonne. La loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 relative à l’engagement national pour l’environnement, (dite « Grenelle II »), encadre encore davantage cette communication de rapports par les sociétés anonymes du point de vue de leur politique sociale et environnementale, de leurs engagements « sociétaux », ces données étant « étalonnées » (10) par des agences de « reporting ». Ainsi, « l’image », bonne ou mauvaise de l’entreprise, est progressivement devenue un élément déterminant tant pour les investisseurs potentiels que pour les consommateurs. Encore convient-il de s’interroger sur la norme et son efficacité en matière de restructurations, et il est utile de citer, quelques

4 Accord mettant en place une forme de co-entreprise détenue à parts égales par ceux qui l’ont mis en place, donnant

naissance à une entité nouvelle pour un temps déterminé. 5 Leveraged buy-out : technique d’origine anglo-saxonne dite d’acquisition avec « effet de levier »

6 C.E., 27 septembre 2006, « Société Janfin », n° 260050.

7 Adolphe THIERS : « Je suis prêt à donner au clergé tout l'enseignement primaire. Je demande formellement autre chose que

ces instituteurs laïques, dont un trop grand nombre sont détestables ; je veux des Frères, bien qu'autrefois j'aie pu être en défiance contre eux ; je veux rendre toute-puissante l'influence du clergé ; je demande que l'action du curé soit forte, beaucoup plus forte qu'elle ne l'est, parce que je compte beaucoup sur lui pour propager cette bonne philosophie qui apprend à l'homme qu'il est ici pour souffrir » cité par H. de Lacombe, sous le titre « Les débats de la Commission de 1849, discussion parlementaire

et loi de 1850 » (Paris, bureaux du Correspondant, 1879). 8 Gérard FILOCHE : « ANI, énumération résumée des 54 reculs qu’il contient en 27 articles », Blog, www.filoche.net

9 Cf. : art. L. 1224-1 du Code du travail.

10 Cf. : art. L. 225-102 et L 225-102-1 du Code de commerce.

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formules de Michel FOUCAULT (11) à ce propos. « La norme est porteuse d’une prétention de pouvoir… La

norme, ce n’est pas simplement, ce n’est même pas un principe d’intelligibilité ; c’est un élément à partir

duquel un certain exercice du pouvoir se trouve fondé en légitimité…La norme est par nature un concept

polémique et politique…Elle porte avec soi, à la fois un principe de qualification et un principe de

correction. La norme n’a pas pour fonction d’exclure, de rejeter. Elle est au contraire toujours liée à une

technique positive d’intervention et de transformation ».

Il convient dès lors de s’interroger sur les logiques que sous-tendent les restructurations d’entreprises, afin de vérifier de manière critique, leur légitimité et de leur efficacité à la lumière des buts qu’elles sont censées permettre aux entreprises d’atteindre et en faisant appel à la sociologie du travail pour analyser comment les salariés qui les subissent « vivent » au quotidien les restructurations, au-delà des « éléments de langage », de la « pensée unique », et du « politiquement correct »… Le philosophe

Alain affirmait dans « Propos d'économique » : « Ma grande objection à l'argent, c'est que l'argent est

bête » : sans doute la généralité du propos est-elle excessive. L’argent et le capital sont naturellement des éléments nécessaires et primordiaux pour permettre à l’entreprise de se développer, mais le talent des dirigeants, des investisseurs, des collaborateurs, etc., est aussi tout à fait essentiel. Un rapport dialectique naît alors entre le dirigeant et l’investisseur potentiel avec une problématique qui révèle assez souvent un véritable rapport de force : il appartient au chef d’entreprise de convaincre ce dernier de la viabilité de son projet pour obtenir le financement nécessaire, et de s’adapter au profil très hétérogène des personnes morales ou physiques susceptibles d’assurer le financement espéré. L’investisseur, de son côté quel que soit son profil, qu’il s’agisse d’une banque, ou d’un simple particulier, exigera naturellement que dirigeants qui les sollicitent transmettent des informations fiables et vérifiables. En outre, au terme des négociations si un accord est conclu, il convient de souligner qu’il aura été « bordé » par diverses techniques de protection de l’investisseur, et par un large « panel » de clauses contractuelles pour limiter les risques, et assurer au mieux les intérêts de celui qui finance l’entreprise, un « retour sur investissement » aussi rapide et sûr que possible. Il s’agit ici de souligner que l’octroi du crédit suppose la confiance, et, dès lors, une certaine transparence partagée dès le début des négociations entreprises, ce qui n’est naturellement pas simple à obtenir en matière de relations d’affaires dans lesquelles la transparence est rarement de mise.

En 1942, l’économiste autrichien Joseph SCHUMPETER (12) analysait les restructurations comme un « processus de destruction créatrice ». La formule semble révéler un oxymore, elle relève incontestablement que toute entreprise doit, en permanence, accepter le risque de devoir se transformer pour survivre, en mettant en œuvre des réorganisations et des restructurations, en développant de nouvelles activités et en sacrifiant d’autres devenues moins rentables, en modifiant la structure juridique, en augmentant ou en diminuant le capital, en faisant appel parfois à l’épargne publique ou à des « business angels » plus discrets, en remplaçant, quelquefois de manière brutale et vexatoire, certaines équipes dirigeantes, en délocalisant certaines productions, et licenciant de nombreux salariés pour des motifs économiques, etc. La restructuration est non seulement source d’inquiétude, voire d’angoisse et de ressentiment pour les salariés, mais elle est parfois aussi ressentie comme un échec personnel pour le dirigeant, spécialement dans les petites entreprises, lorsqu’elle est un prélude à d’inéluctables licenciements, ou à la mise en œuvre d’une procédure collective, dont la conclusion sera très fréquemment la liquidation judiciaire de l’entreprise. Les juridictions consulaires et

11

M. FOUCAULT, « Les anormaux ». Cours au Collège de France 1974-1975, Paris, Gallimard, 1999, p. 46. 12

Joseph SCHUMPETER : « Capitalisme, Socialisme et Démocratie », 1942

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prud’homales ont donc un rôle pédagogique, tant à l’égard des chefs d’entreprises que des salariés, l’accompagnement sera souvent une « maïeutique », permettant à l’entreprise « d’accoucher », avec le moins de douleurs possibles, de la restructuration. Les restructurations, les fusions, les cessions-acquisitions, lorsqu’elles interviennent à temps, permettent évidemment d’éviter le pire et peuvent en dehors de périodes de difficultés être un outil décisif de la croissance des entreprises. Toutefois, il est permis de souligner que la procédure de sauvegarde de l’entreprise (13) instituée par la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005, malgré les évolutions ultérieures (Ord. n° 2008-1345 du 18 décembre 2008 ; Ord. n° 2009-112 du 30 janvier 2009 ; Ord. n° 2010-1512 du 9 décembre 2010 ; L. n° 2011-850 du 20 juillet 2011, etc.), telle qu’elle aujourd’hui organisée, n’a, de toute évidence, pas totalement réussi à convaincre les chefs d’entreprises de la nécessité de faire état de difficultés qu’ils ne sont pas en mesure de surmonter eux-mêmes, alors même qu’il n’y a pas encore de cessation des paiements. Sans doute est-il possible d’expliquer la méfiance de certains dirigeants, par le fait qu’ils perçoivent le recours comme une forme d’échec, et réagissent parfois de manière trop lente et tardive, mais surtout par la « double nature » de cette procédure à la fois amiable et judiciaire, et donc en raison de cette seconde caractéristique dépourvue de la confidentialité jugée nécessaire par de nombreux dirigeants d’entreprises. De même, la procédure de sauvegarde financière accélérée ne semble pas davantage avoir rempli les objectifs attendus par le législateur ; de fait, les institutions financières se montrent prudentes, voire « frileuses » et craignent de s’exposer inutilement. Le rachat d’entreprise avec « effet de levier » (LBO) a également montré ses limites comme en témoigne la célèbre affaire « Cœur Défense » (14) dans une hypothèse originale : « la « sauvegarde des LBO en difficulté ». La cession d’entreprises en difficulté selon les modalités anglo-saxonnes du contrat de « stalking horse » (15) démontre quelquefois, quant à elle, que le repreneur « providentiel » se transforme en prédateur redoutable. La technique a priori efficace du « pré-pack », d’origine nord-américaine, a été retenue en matière de sauvegarde financière accélérée (16), dans laquelle on propose en premier lieu, une pré-négociation des accords avec les créanciers financiers, et on organise ensuite en second lieu, la « sortie forcée » par une décision majoritaire mais la procédure est encore trop lente, et les critères permettant sa mise en œuvre sont jugés trop stricts par de nombreux praticiens. (17) Les « cures d’amaigrissement » s’avèrent parfois salutaires, mais le succès des techniques de restructurations dépend étroitement de la qualité des informations collectées et diffusées, de la maîtrise du calendrier dans l’intérêt de l’entreprise (et non pas dans l’intérêt exclusif d’un créancier dominant), alors que celui qui apporte de « l’argent frais » est naturellement tenté d’imposer ses intérêts spécifiques selon une planification égoïste… Il est également important d’organiser un débat contradictoire bien mené, à l’occasion duquel la valorisation de l’entreprise sera considérée comme une priorité, et non pas négligée au détriment de l’intérêt exclusif des nouveaux investisseurs qui entendent exiger des garanties, parfois disproportionnées, afin de bénéficier de la position la plus favorable possible en cas de cessation des paiements ultérieure.

13

Cf. : art. L. 620-1 à L. 628-7 et R. 621-1 à R. 628-14 du Code de commerce. 14

Cass. com., 8 mars 2011, pourvois n° M 10-13.988, N 10-13.989 et P 10-13.990 15

FABRICE BAUMGARTNER, Avocat Associé, Cleary Gottlieb Steen & Hamilton LLP : « Le bénéfice du chapitre 11 -pour les sociétés européennes : possibilité et intérêt » in Actes du colloque « Les restructurations à l’heure de la reprise économique », p. 87 et s., spéc. p. 89, Revue Droit & affaires, 9

e éd., 2011.

16 Cf. : art. L. 628-1 à L. 628-7 du Code de commerce.

17 GUILHEM BREMOND, Avocat associé, Bremond & Associés : L’institutionnalisation du pré-pack en France : la SFA », in Actes

du colloque « Les restructurations à l’heure de la reprise économique », p. 83 et s., Revue Droit & affaires, 9e éd., 2011.

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Ainsi, la dialectique de « l’humain » et du « capital » ne se limite pas aux relations conflictuelles opposant les dirigeants des entreprises à leurs salariés, mais s’inscrit également dans la relation complexe censée réunir les nouveaux investisseurs, les associés (spécialement ceux qui ont la qualité d’actionnaires), et les dirigeants des entreprises. Le succès d’une restructuration dépend, bien entendu, de la parfaite connaissance de la structure de l’entreprise, puisqu’il s’agit de pointer les faiblesses dans la structure actuelle afin de proposer les remèdes idoines au titre de la restructuration, sous forme d’économies d’échelle, de redéploiement industriel, de recapitalisation, etc., afin d’administrer à l’entreprise un choc salutaire lui permettant d’être plus dynamique, réactive et compétitive. « Rien ne se

perd, rien ne se crée, tout se transforme » selon la formule célèbre du chimiste français du XVIIIe siècle Antoine Laurent de Lavoisier. Le constat du savant s’inspire manifestement des travaux philosophiques de l’école Ionienne et plus précisément d’Anaxagore de Clazomènes, selon lequel : « Rien ne naît ni ne

se perd, mais des choses déjà existantes se combinent et se séparent de nouveau ». Au-delà des conceptions imposées par les sciences dures ou la philosophie, en dehors de tout esprit partisan et sans volonté de polémique, il est donc légitime dans les limites de ce colloque, de s’interroger et de réfléchir ensemble sous forme de « regards croisés » de professionnels et d’universitaires, d’approches complémentaires des juridictions consulaires et prud’homales, sur les principaux aspects juridiques, sociologiques, économiques et financiers que révèlent dans la période contemporaine les restructurations d’entreprises.

Alain LE POMMELEC,

Maître de conférences de droit privé,

Ecole de droit-Université d'Auvergne Clermont 1, CMH EA 4232

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COMMENT ENCADRER LES RELATIONS CONFLICTUELLES ENTRE DIRIGEANTS ET INVESTISSEURS ?

Me Marc AMBLARD,

Maître de conférences, Aix Marseille Université

Avocat, Société d'Avocats AMBLARD, Ingénierie juridique des restructurations d'entreprises

I - Financement des entreprises : quand les investisseurs privés pallient le repli des banques

II - Le « Private equity » ou financement par fonds propres

III - Conflits dirigeants / investisseurs et modes de résolution lors de l’entrée dans le capital

IV - Conflits dirigeants / investisseurs et modes de résolution en cours de vie

V - Conflits dirigeants / investisseurs et modes de résolution lors de la sortie

’étude des relations qu’entretiennent les dirigeants avec leurs pourvoyeurs de capitaux est intéressante à plus d’un titre. D’abord, si les deux catégories de personnes visent un même but, le développement de l’entreprise, les faits révèlent des dissensions fréquentes entre elles. Les

différences culturelles, les comportements opportunistes et les divergences d’objectifs à court terme en fournissent les principales explications. Pour autant, l’expérience fait ressortir qu’une anticipation pertinente des difficultés par la mise en place d’outils juridiques idoines permet, sinon de les éviter, au moins de les résoudre plus efficacement.

I - FINANCEMENT DES ENTREPRISES :

QUAND LES INVESTISSEURS PRIVES PALLIENT LE REPLI DES BANQUES Brièvement exprimé, toute entité économique ne peut survivre et se développer qu’en réalisant une série d’investissements fussent-ils immatériels, avec pour contrepartie, une exigence de financement. Or, toute stratégie de financement suppose deux grandes orientations : l’endettement ou l’apport des fonds propres, une combinaison de ces deux n’étant pas exclue. Précisons par ailleurs, que chacune de ces orientations recouvre elle-même deux branches distinctes : privée ou publique. Ainsi, une stratégie de financement par endettement peut être privée lorsqu’un dirigeant se rapproche d’une banque pour obtenir un prêt professionnel ; elle est, en revanche, publique lorsque sa société émet un emprunt obligataire sur le marché financier. En adoptant la voie des fonds propres, cette même société pourrait aussi bien décider d’ouvrir son capital à des investisseurs privés tout comme elle pourrait, sous certaines conditions, recourir aux marchés boursiers pour y placer des actions nouvelles.

L

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Or, force est de constater que depuis quelques années et notamment, depuis la crise financière de 2008, les banques sont devenues plus rigoureuses et exigeantes dans l’examen des demandes de financement déposées par les entrepreneurs. Ces derniers ont dû de facto réviser leur stratégie et se tourner vers d’autres formes de financement. Pour la très grande majorité des petites et moyennes entreprises, l’accès aux capitaux publics via les places boursières n’est pas envisageable en raison des contraintes et des coûts induits. Reste alors la stratégie de financement par fonds propres privés qui se traduit concrètement par un partenariat engagé le plus souvent avec des sociétés de placement à risque. La nature ayant horreur du vide, les capitaux privés comblent peu à peu l’espace laissé vacant par les ressources bancaires. Même si on est encore loin d’atteindre les ratios observés outre-Manche et outre-Atlantique, on assiste ainsi aux prémices d’un mouvement lent mais puissant vers un mode financement à l’anglo-saxonne délaissant progressivement un autre mode pourtant culturellement et historiquement dominant.

II - LE « PRIVATE EQUITY » OU FINANCEMENT PAR FONDS PROPRES Cette réorientation stratégique a quelque peu déstabilisé les chefs d’entreprise dans l’esprit desquels le réflexe bancaire est encore très présent. Il est vrai que l’approche est sensiblement différente et on ne s’adresse pas à des investisseurs privés comme à son banquier. Séduire les premiers suppose un parcours qui peut paraître, à bien des égards, décourageant. Qui sont les investisseurs ? Comment les contacter ? Quels documents leur fournir ? Autant de questions auxquelles on ne pourra répondre sans savoir à qui on s’adresse exactement. Entre les fonds communs de placement à risque, les sociétés de capital-risque ou encore les associations de business angels, les attentes et les critères de recevabilité peuvent sensiblement différer. Il importe alors pour le dirigeant de les sélectionner avec précision et de respecter un plan d’approche bien ordonné. Généralement, cela supposera d’examiner préalablement le ou les secteurs visés par chaque acteur du « private equity », souvent très spécialisés. Un « executive summary » (plan d’affaire résumé sur deux ou trois pages) leur sera communiqué avant de transmettre, au besoin, un « business plan » plus détaillé. Si celui-ci a suscité l’intérêt de l’investisseur, s’ensuit l’étape de la présentation devant un comité de sélection (phase dite du « slide

show »). Un ensemble d’audits et d’enquêtes (« due diligence ») sera alors entrepris afin de valider les données communiquées par l’entreprise candidate. En cas de validation, il conviendra enfin de contractualiser le partenariat entre dirigeants et investisseurs.

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III - CONFLITS DIRIGEANTS / INVESTISSEURS ET MODES DE RESOLUTION

LORS DE L’ENTREE DANS LE CAPITAL L’apport des fonds ainsi levés se traduira le plus souvent par la création d’une structure juridique ad hoc dans laquelle les deux parties se répartiront le capital social. Des tensions peuvent d’ores et déjà se révéler alors même que le partenariat n’a pas réellement débuté. En effet, les intérêts sont éminemment divergents attendu que l’équipe dirigeante cherchera à minimiser la participation consentie aux investisseurs alors que ces derniers souhaiteront la part de capital la plus élevée. Deux raisons justifient cela. D’une part, cette fraction du capital déterminera ultérieurement le montant des dividendes distribués et la plus-value éventuellement obtenue en cas de revente des titres. D’autre part, elle impactera le mode de gouvernance sachant que d’elle dépendra le contrôle exercé par les investisseurs sur les managers. Cette étape ne peut donc être traitée avec légèreté. Bien au contraire, elle s’appuiera sur des techniques de valorisation du projet afin que la participation de chaque partie dans le capital soit fixée en fonction de données objectives, reconnues et partagées. Dans les faits, cela n’est pas toujours aussi tranché car les modèles mathématiques utilisés intègrent des variables délicates à appréhender telles le taux d’actualisation, le taux de croissance retenu et même la fiscalité difficilement prévisible. Il en résulte des conflits qu’il est possible de résoudre grâce à des dispositifs de révision a posteriori de répartition du capital. Ainsi, on pourra recourir à des clauses de « Profit sharing » ou d’ « Earn out »

permettant ultérieurement d’allouer ou de reprendre des titres à l’une des deux parties en fonction des performances dégagées par l’entreprise, selon leur conformité ou non aux objectifs initialement fixés.

IV - CONFLITS DIRIGEANTS / INVESTISSEURS ET MODES DE RESOLUTION

EN COURS DE VIE Au sein d’une même entité, et autour d’un même projet, les motifs de tension et de litiges entre investisseurs et dirigeants sont nombreux. Le contentieux de cette espèce est suffisamment abondant pour nous en fournir de multiples exemples : gestion malencontreuse ou dispendieuse des dirigeants, phénomènes d’opportunismes déviants qualifiables parfois d’abus de biens sociaux, transferts de fonds intragroupe, désaccords d’ordre stratégique, abandon de poste, cession inopportune de titres … Or, il importe autant que possible d’anticiper ces difficultés afin de les limiter ou, à tout le moins, les résoudre le plus rapidement possible. A cette fin, des engagements seront pris dans les statuts mais aussi dans un contrat appelé « pacte d’actionnaires ». Les avocats spécialisés sont alors sollicités pour rédiger des clauses dont le corpus constituera un mode de résolution qu’on cherchera à rendre le plus efficace même si, en réalité, il est très difficile de circonscrire le champ des conflits. On citera entre autres : - les clauses de « reporting » qui obligent les dirigeants à envoyer périodiquement des informations ciblées aux investisseurs afin de limiter l’asymétrie informationnelle dont ils souffrent ; - les clauses de cession de titres (droit de préemption, agrément, inaliénabilité temporaire …) destinées à encadrer la cession des actions ou parts sociales durant la période de cohabitation ;

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- les clauses de vote (unanimité, minorité de blocage, droit de vote double, renonciation temporaire à l’exercice du droit de vote, porte fort …) afin de renforcer le pouvoir de contrôle des investisseurs ; - les clauses anti-dilutives (dites aussi « de ratchet ») qui prévoient que les investisseurs initiaux puissent souscrire un certain nombre d’actions de façon à rééquilibrer leur participation dans le capital si de nouveaux investisseurs devaient entrer ultérieurement dans le capital ; - les clauses d’exclusion destinées à contraindre un associé à céder ses titres si son comportement devenait contraire à l’affectio societatis ; - …

V - CONFLITS DIRIGEANTS / INVESTISSEURS ET MODES DE RESOLUTION

LORS DE LA SORTIE Les investisseurs, dans leur très grande majorité, n’ont pas vocation à demeurer durablement dans le capital de la société aux côtés des dirigeants. Une sortie est toujours envisagée, généralement avant cinq ans. Cet évènement est également de nature à engendrer des frictions et parfois des situations de blocage. On relèvera par exemple les problèmes liés à l’ordre de sortie des actionnaires en cas de cession partielle, voire d’obstruction lorsque les dirigeants adoptent des mesures qui compromettent le départ des investisseurs. On citera également les difficultés liées à la valeur à laquelle seront cédés leurs titres. C’est pourquoi il est important d’anticiper et de régler ces problèmes de sortie dès l’entrée des parties au capital de la société. Les statuts et le pacte d’actionnaires seront alors complétés par des clauses appropriées dont nous pouvons rapporter ici quelques exemples : - la clause de sortie prioritaire prévue pour que son bénéficiaire puisse sortir, en tout ou partie, prioritairement à l’occasion de l’intention émise par un autre actionnaire de se retirer ou lorsque celui-ci recevra d’un autre actionnaire ou d’un tiers une proposition d’achat de ses droits sociaux ; - la clause de sortie conjointe qui protège les associés minoritaires : si l’associé majoritaire cède ses titres à un tiers, il devra par cette clause acheter ou faire acheter les titres présentés par les minoritaires-signataires au prix où il vend ses parts. Ainsi, les minoritaires ne risquent pas de devenir les associés d’un acquéreur non choisi ; - la clause de sortie garantie qui contraint les dirigeants (ou la société elle-même) à racheter des titres aux investisseurs à l’issue d’une période donnée à un prix calculé d’avance ; - la clause « buy or sell » (ou « Shot gun ») qui permet à un actionnaire (A) de demander à un autre actionnaire (B) de lui racheter ses titres à un prix proposé par A. En cas de refus de B, A pourra racheter les parts de B au prix précédemment proposé. Ainsi, le parcours du chef d’entreprise soucieux d’en financer la croissance est loin d’être un fleuve tranquille. Ayant de moins en moins accès au crédit bancaire, il doit partir en quête de capitaux privés. C’est le début d’une longue course d’obstacles qui peut déboucher, dans le meilleur des cas, sur un partenariat avec des investisseurs auxquels il va devoir ouvrir son capital.

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Une cohabitation voit ainsi le jour entre une équipe dirigeante et un groupe de financiers. Les cultures et les attentes sont souvent divergentes ouvrant ainsi la voie à des conflits tels qu’ils peuvent parfois compromettre l’avenir du projet. Toutefois, l’expérience nous permet de mieux les anticiper. Le recours aux professionnels du droit et de la finance devient alors incontournable pour mettre en œuvre un ensemble de techniques et dispositions contractuelles. Celles-ci seront à même d’apporter une réponse efficace aux litiges qui pourraient entacher les rapports entre entrepreneurs et investisseurs.

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RESTRUCTURATIONS D’ENTREPRISES : REGARDS SOCIOLOGIQUES

Sacha LEDUC,

Maître de conférences de sociologie, Ecole de droit-Université d'Auvergne Clermont 1, CMH EA 4232

I - Aux origines de la modernisation des entreprises

II - De la modernisation à la souffrance au travail

III - La fonction sociale du travail

es restructurations des entreprises ont fait l’objet de nombreux travaux en sociologie du travail. Sans entrer dans une revue de littérature exhaustive sur le sujet, on constate une diversité d’approches pour décrire un phénomène qui se présente le plus souvent sous de multiples

formes. En effet, selon l’époque, la législation en vigueur, le secteur d’activité, la taille de l’entreprise, etc. les restructurations des entreprises ont pu recouvrir des réalités très différentes. Comment comparer les premières restructurations des secteurs industriels comme la sidérurgie à la réorganisation des grandes firmes axée sur une logique « métier » des années quatre-vingt ou encore aux nouveaux modèles de gestion des ressources humaines des années quatre-vingt-dix s’appuyant sur la mobilité et la participation ? Derrière cette hétérogénéité émerge pourtant une logique commune mise en évidence dans la plupart de ces travaux. Les restructurations des entreprises, les fermetures d’entreprises, les délocalisations, ou encore les fusions, seraient l’expression d’une logique d’adaptation permanente aux contraintes nouvelles de l’économie moderne. Pour faire face à ces évolutions, un nouveau modèle d’organisation du travail apparaît, basé sur la flexibilité des travailleurs et la mobilisation de leur subjectivité. Dans cette perspective, la restructuration des entreprises ne se réduit plus aux licenciements massifs ou aux plans sociaux de reconversion, mais renvoie de façon plus générale aux remaniements structurels de plus en plus permanents internes et externes de la firme. Pour la sociologie, l’évaluation de l’impact de ces restructurations sur les individus devient de plus en plus difficile. Car si les travaux pionniers sur l’expérience des licenciements (Schnapper, 1981) ont montré que la perte d’un emploi était souvent synonyme de perte de soi (Linhart D., Rist B., Durand E., 2002), les restructurations actuelles des entreprises au niveau des conditions de travail et d’emploi ont des conséquences réelles que nous avons encore du mal à mesurer. Les cas médiatiques de suicide sur le lieu de travail de grandes entreprises qui ont connu, non pas des licenciements massifs mais des profondes réorganisations du travail, sont à ce titre des exemples tragiques. Aussi je souhaiterais centrer mon propos sur ces nouvelles formes d’organisation. Et pour commencer je vais revenir sur les fondements de ces nouvelles formes d’organisation.

L

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I - AUX ORIGINES DE LA MODERNISATION DES ENTREPRISES Suite à la critique sociale de la fin des années soixante et à la crise économique des années soixante-dix, de nouveaux discours relatifs au travail et aux fonctions sociales des entreprises émergent. Le contenu est au final assez simple, presque manichéen pour reprendre les analyses de Danièle Linhart : « il faut rompre avec le passé, celui d’entreprises cloisonnées, bureaucratisées, lourdement hiérarchisées, sans cohésion interne. Il faut produire une nouvelle entreprise qui se caractérise par l’interaction, la communicabilité, l’intégration, la flexibilité, etc. Ce discours reprend les cadres idéologiques du néolibéralisme, qui considère que les entreprises du passé ne sont plus adaptées aux exigences des nouveaux marchés. Il faut s’adapter aux variabilités commerciales, mettre le client au centre de l’organisation. Les nouvelles entreprises doivent donc renoncer aux égoïsmes professionnels, aux privilèges, au profit de la solidarité, du travail en équipe, de l’harmonie, de l’équilibre » (Linhart, 2010 : 22). C’est sur les bases de ce nouveau discours que les restructurations des entreprises vont se réaliser sous le terme de modernisation. Dans cette nouvelle organisation du travail, le cadre devient de préférence un manager, ou mieux encore un coach, mobilisant chacun des salariés à tous les niveaux, dans des structures légères et innovantes. L'intuition créatrice est réhabilitée. La carrière devient une succession ininterrompue de projets qui augmentent à chaque fois l'employabilité du salarié. Celui-ci se doit d'être mobile, enthousiaste, flexible, disponible, et convivial. Le nouvel esprit du capitalisme (Boltanski, Chiapello, 1999) qui se développe dans les années quatre-vingt promeut ainsi les cercles de qualité, l’esprit d’initiative, l’inventivité, l’autonomie et la responsabilité. La justification est la suivante : ce qui est bon pour l’entreprise est bon pour les salariés et réciproquement. Dans le courant des années quatre-vingt-dix de nombreux changements apparaissent dans l’organisation des entreprises privées, puis dans les années deux mille dans l’organisation des services publics : - Nouvelle DRH basée sur la promotion de la mobilité - Réduction du nombre des niveaux hiérarchiques N+1 N-1, etc. - Mises en place d’équipe projet, de COPIL, etc. - Le « juste à temps » ou l’importance des délais, principal référentiel dans les chartes de qualité ISO. Le management comme science de gestion émerge également dans les entreprises : - On cherche à impliquer davantage le personnel par l’enrichissement du travail ; cela se traduit par des rotations de poste (le turn-over) ou par l’élargissement des tâches (la polyvalence) ; l’objectif est de rompre avec la monotonie du travail et de rendre les salariés responsables et polyvalents. De même, on réunit régulièrement des petits groupes de personnes en cercle de qualité pour réfléchir aux problèmes de fabrication ou pour participer davantage aux décisions. - On met en place des équipes autonomes ou semi-autonomes qui organisent elles-mêmes leur activité ; les salariés doivent atteindre des objectifs qualitatifs de production comme par exemple ceux des cinq zéros olympiques du japonais Taïchi Ohno (zéro panne, zéro délai de livraison, zéro stock, zéro défaut de fabrication, zéro papier).

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Derrière ces évolutions, certains ont vu non pas la remise en cause du modèle taylorien mais sa rationalisation. En mobilisant la subjectivité des travailleurs, l’entreprise moderne fait ce que Frederik W. Taylor n’avait pas su, voulu, faire : instaurer le mérite et l’individualisme dans le travail au détriment de la lutte des classes et des conflits sociaux. Cette promotion de l’investissement va participer de la généralisation d’un nouveau mode de mobilisation des travailleurs : l’évaluation. L’évaluation généralisée, issue des grandes firmes japonaises, n’a pas pour unique fonction de mesurer les résultats du travail des salariés mais elle possède des fonctions moins explicites, mais beaucoup plus centrales pour l’efficacité du travail, puisqu’elle porte sur la mesure des comportements quotidiens des travailleurs. Dans un contexte de crise, certaines sociétés n’hésitent pas à définir des instructions de cadrage des évaluations pour s’assurer qu’il ne sera pas nécessaire de récompenser tout le monde, ce même en présence d’une équipe constituée de nombreux salariés objectivement performants. C’est le moins mauvais des cas. En effet, dans un contexte de nécessité de réduction des effectifs, des consignes peuvent être officieusement assignées aux managers pour mener les évaluations de manière à pourvoir un quota de « candidats au licenciement » en préparant ainsi leur dossier pour insuffisance de résultats.

II - DE LA MODERNISATION A LA SOUFFRANCE AU TRAVAIL Derrière ces innovations managériales de l’évaluation individuelle, s’affichent également les termes d’une nouvelle éthique, celle qui restaure la notion de mérite, de la distinction, qui fait primer l’individu sur le collectif. La personne même du salarié est jugée, évaluée, reconnue ou au contraire stigmatisée. Ne pas avoir sa place dans le monde du travail, parce qu’on est trop lent, trop en retrait, trop timide, etc. revient à une véritable disqualification personnelle d’autant plus que la société s’est de plus en plus individualisée. La culture du narcissisme des sociétés occidentales pour reprendre la théorie de Christopher Lasch (Lasch, 2006 [1979]) est tellement poussée, qu’aujourd’hui le conflit, le désaccord ne se réduit plus à la confrontation d’idées mais à la remise en cause de soi. Lorsque dans un débat on critique les propos de l’autre, les personnes se sentent remises en question au niveau de ce qu’elles sont ! On comprend alors qu’être en échec au travail peut engendrer des conséquences dramatiques. Le management par objectifs mis en place pour permettre une meilleure évaluation des travailleurs a ainsi pu être contre-productif lorsque les salariés n’étaient pas en mesure de les remplir. De même l’injonction à la mobilité et le mépris pour la permanence ont également participé à faire émerger des situations de souffrance au travail. La restructuration de France Telecom – Orange illustre parfaitement les conséquences négatives d’une idéologie de la flexibilité et de l’évaluation poussée à son terme. A l’époque, la nouvelle direction pense avoir hérité d’un corps social totalement inadapté : « les fonctionnaires ». L’objectif est alors très explicite : il faut « secouer le cocotier » et « dégraisser ». Ces expressions devenues courantes reposaient sur l’idée qu’en situation d’insécurité, le travailleur serait plus à même de donner le meilleur pour l’entreprise. « Pour qu’ils ne se sentent pas à la maison quand ils travaillent ». Dans les faits, si cela a conduit pour certains à être plus productifs, pour d’autres cela c’est plutôt traduit par un état d’épuisement réel, d’autant plus que tous les efforts effectués pour s’adapter sont souvent mal évalués.

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Sans vouloir dresser un tableau trop noir, la plupart des travaux de sociologie du travail, ont montré que les restructurations des entreprises ces deux dernières décennies avaient détérioré les conditions d’exercice du travail alors même qu’apparaissaient des matériels techniques et informatiques pour alléger les tâches physiques et intellectuelles. La plupart de ces détériorations prennent la forme de souffrance voire de violences subies ou perçues par les salariés. Depuis quelques années maintenant, nous assistons à une augmentation mais aussi à une plus grande médiatisation des suicides sur le lieu de travail. Ces nombreux suicides ont été largement commentés, et les critiques du « néomanagement » ont été nombreuses de la part des psychologues et des sociologues du travail (Dejours C., Bègue F., 2009). Equipe transverse chez Renault, ou encore injonction à la mobilité et harcèlement à France Telecom ou la Fnac. Le concept de souffrance au travail a même fait l’objet de nombreux ouvrages et documentaires, dont un des chefs de fil est Christophe Dejours « La souffrance au travail ». Ces études montrent que la violence de l'organisation, provoquée par les évolutions du travail, engendre de la souffrance au niveau de l'activité (ennui, déqualification, monotonie, « activité empêchée »), mais également de la souffrance au niveau du sens de l'activité (Molinier, 2008). Ces formes de violence sont d’autant plus pernicieuses qu’il est difficile de les attribuer à une personne clairement identifiée. S’appuyant sur les récentes enquêtes sur l’impact de l’entreprise et de l’organisation sur la souffrance au travail, le Haut Comité de la Santé Publique dans son rapport « Violences et santé »18, concluait que « la dépossession du travail, la responsabilisation des individus dans des conditions sur lesquelles ils n’ont pas d’influence, le transfert des tensions organisationnelles sur les salariés, l’opacité de la représentation des objectifs, l’individualisation des performances »19 constituaient les manifestations de plus en plus fréquentes et prégnantes des formes de violence de l’organisation du travail, et permettraient d’expliquer que « le salarié se situe dans un isolement de plus en plus traumatisant et perd ainsi le sens de son travail »20.

III - LA FONCTION SOCIALE DU TRAVAIL Dans un de ses ouvrages Danièle Linhart affirmait l'importance de la fonction sociale du travail (Linhart, 2009). Reprenant ses enquêtes de terrain dans le secteur public et privé, elle observe que les évolutions récentes du travail, et notamment sa marchandisation, ne permettent plus d'assurer la « dimension altruiste » du travail qu'avait analysée Emile Durkheim (Durkheim, 2004 [1893]). « Travailler, c'est contribuer à faire exister la société, et ce sentiment, présent dans la conscience collective, nourrit tout rapport au travail. Emile Durkheim redoutait que la logique taylorienne, en raison de l'émiettement des tâches et la prégnance de contraintes et de contrôles, ne dénature cette dimension altruiste, les individus risquant de perdre de vue la réalité de leur contribution » (Linhart, 2009 : 23). Dans cette interrogation sur la fonction sociale du travail, la « clinique du travail » d’Yves Clot, situant le travail en dehors de la seule relation salariale, affirme que le désœuvrement ne touche plus seulement les personnes privées de leur emploi. En effet, l'imputation du pouvoir d'agir toucherait de plus en plus le travail rémunéré. Comme le souligne Yves Clot, l’impossibilité de « bien faire son travail » n’est pas

18

Rapport du HCSP, Violences et santé, Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique, 2004. 19

Ibid, p. 89. 20

Ibid.

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sans conséquence sur les rapports sociaux au sein du monde du travail (Clot, 2008). Pour cet auteur, l’absence de reconnaissance, qu’il définit comme l'incapacité de se reconnaître dans ce que l'on fait et pas seulement comme la reconnaissance de soi par autrui, serait une source de violence extrême : violence contre soi-même mais aussi et surtout violence à l'égard des autres. Pour cet auteur, tout comme pour Danièle Linhart, cette transformation de l'activité humaine explique en partie la crise de solidarité et l'incapacité d'envisager des actions collectives. Selon ces travaux, ces difficultés à agir collectivement seraient redoublées par la culpabilisation d’être en échec ou de ne pas être adaptable et adapté dans un système d’évaluation basé sur la promotion individuelle et la mobilité professionnelle. Du côté des travailleurs, cette culpabilisation s’exprimerait par la honte de protester dans un contexte de dégradation du marché du travail mais aussi de demander de la permanence dans un contexte de changement continu. Ainsi, les restructurations des entreprises selon la célèbre formule : « l’amour est précaire, la vie est précaire, pourquoi pas le travail ? » participe à la montée d’un phénomène caractéristique de nos sociétés modernes, le sentiment d’insécurité sociale. Malgré toutes les réserves que l’on peut émettre sur les sondages, le fait que près d’un français sur deux se sente menacé par la possibilité de devenir un jour un « sans abri », crainte qui monte à 74% chez les ouvriers, et 51% chez les femmes21, montre à quel point le sentiment d’insécurité sociale est fort dans un contexte où les équilibres économiques, sociaux, et écologiques sont fragiles. Le renforcement de l’emprise du chômage sur la configuration du marché du travail, les transformations accélérées du contenu du travail et l’intensification des modes de mobilisation des salarié-e-s sont autant de transformations qu’il convient d’étudier pour comprendre la montée du sentiment d’insécurité qui traverse notre société. Ce sentiment d’insécurité sociale qui se manifeste le plus souvent par la peur du déclassement social n’est pas sans conséquence sur les rapports qu’entretiennent les travailleurs entre eux, mais également avec les non travailleurs. Phénomène collectif « sous-estimée, sans doute à cause de l’inflation des discours sur l’exclusion qui a prévalu depuis une dizaine d’années, en France, et qui a imposé une conception individualisée, atomisée des phénomènes de dissociation sociale » (Castel, 2004), l’insécurité sociale ne concerne plus « l’exclu ». Des groupes entiers semblent connaître une dégradation de leur condition et de leur statut, et s’en prennent ouvertement à d’autres groupes sociaux. Ainsi voit-on des travailleuses et des travailleurs touchés par la dégradation de leurs conditions de travail, remettre en cause la pénibilité de certaines activités traditionnellement jugées difficiles. D’autres travailleuses ou travailleurs qui connaissent une baisse de leur pouvoir d’achat se mettent à douter de la réalité de la pauvreté de certaines populations. Phénomène peu étudié en sociologie, et reflet d’un monde du travail en crise, de plus en plus individualisé, dans lequel des phénomènes collectifs se vivent et s’expriment sur un mode individuel, il s’agit dès lors d’analyser les ressorts du « ressentiment social » qui poussent un certain nombre de travailleuses et de travailleurs à questionner et contrôler le rapport de l’autre au travail, sa moralité, sa loyauté et ses compétences.

21

Sondage BVA – Emmaüs – L'Humanité – La Vie, portant sur 1 008 personnes et réalisé en novembre 2006.

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Dans un univers économique en crise, on assiste à l’émergence d’une nouvelle figure du travailleur moderne qui se caractérise par des tensions entre auto-dévalorisation et suspicion à l’égard des autres. Comme le rappelle Jean-Claude Kaufmann, cette logique de ressentiment est particulièrement présente dans nos sociétés individualisées : « dans un univers ravagé par la compétition interindividuelle et le déficit structurel de reconnaissance, celle-ci n'est souvent obtenue que par le dénigrement d'autrui [...] Je existe parce qu'un autre est mauvais » (Kaufmann, 2006). Bibliographie

Boltanski L., Chiapello E., Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, 1999. Castel (Robert), « L’insécurité sociale : qu’est-ce qu’être protégé ? », texte communiqué à partir de la rencontre-débat du 16 décembre 2004 organisée par le Centre de ressources politique de la ville en Essonne. Clot Y., Le travail sans l’homme, La Découverte, 2008 [1995]. Dejours C., Bègue F., Suicide et travail : que faire ?, PUF, 2009. Durkheim E., De la division sociale du travail, PUF, 2004, [1893]. Kaufmann J-C., L'invention de soi. Une théorie de l'identité, Armand Colin, 2004. Lasch C., La culture du narcissisme, Climats, 2006 [1979]. Linhart D., Rist B., Durand E., Perte d’emploi, perte de soi, Erès, 2002. Linhart D., Travailler sans les autres ?, Seuil, 2009. Linhart D., La modernisation des entreprises, La Découverte, 2010. Molinier P., Les enjeux psychiques du travail, Payot, 2008.

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L’ACCOMPAGNEMENT DES RESTRUCTURATIONS D’ENTREPRISES PAR LES JURIDICTIONS CONSULAIRES

Edith CANDELIER,

Présidente du Tribunal de commerce de Clermont-Ferrand

I - Les moyens de la prévention

II - Les procédures collectives

uelques remarques préliminaires et quelques chiffres pour se connecter à la réalité. 39 761 entreprises inscrites au RCS de Clermont Ferrand (personnes physiques, personnes morales, EIRL, agents commerciaux)

452 ouvertures de procédures collectives au tribunal de Clermont-Ferrand en 2012, soit une augmentation de 17% par rapport à 2011, 929 en Auvergne, soit une augmentation de 14% mais le seuil de 2009 n’a pas été dépassé (935). Les TPE de 1 à 5 salariés représentent 95% du tissu économique régional proportion sensiblement équivalente à la tendance nationale. La première conclusion statistique est que les défaillances concernent massivement ces très petites entreprises : les entreprises individuelles (auto-entrepreneurs, artisans et commerçants) et surtout les SARL.

Ce sont celles qui ont été le plus atteintes : elles font l'objet de 92% des procédures collectives. On connaissait les problèmes liés à la sous-capitalisation endémique des entreprises, le phénomène s’est dramatiquement amplifié avec la création des sociétés sans capital initial (1€), elles sont dès leur naissance condamnées à la défaillance à court ou moyen terme. Le législateur a d’ailleurs introduit la notion de « SARL jetable » ! L’expérience ne commanderait-elle de revenir à l’exigence d’un capital minimum ? Quel est l’avis des banquiers sollicités, voire sommés, de financer des sociétés créées sans fonds propres, sans plan de trésorerie ni business plan valide ? Bouleverser des procédures adaptées parce que des chiffres bruts font état d’une hausse (réelle mais non massive depuis 2009) des procédures, sans apprécier la réalité économique des structures concernées et la hausse parallèle des créations d’entreprises (et en trompe-l’œil depuis la création des auto-entreprises) pourrait entraîner des conséquences pires que le supposé mal actuel ! Les défaillances d’entreprises plus importantes sont statistiquement minimes (même si leurs conséquences ne le sont pas).

Q

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Définition de l'accompagnement et adaptation à la situation : Est-il utile rappeler que le tribunal de commerce n’a aucune action, ni responsabilité directe ou indirecte, dans la création des entreprises, dans leur vie économique et sociétale, dans leur respect ou non des règles légales, et dans leurs difficultés ? Le nombre d’entreprises défaillantes et les pertes d’emplois ne sont qu’une résultante des facteurs extérieurs aux tribunaux de commerce, qu’ils ne font que constater sans aucun pouvoir d’action. Agir sur le seul thermomètre n’a jamais fait baisser ni le niveau de fièvre ni l’épidémie. En effet une entreprise qui dépose perd ses emplois, mais en fait également perdre chez ses fournisseurs impayés, et ses concurrents déstabilisés par une concurrence souvent déloyale. C’est un effet « perdant-perdant » cumulé. L’impact des passifs chez les créanciers (publics et privés et bancaires) : N’oublions pas qu’un gros tiers des causes de dépôt de bilan est lié à un impayé, et qu’un quart est dû à des retards de paiements excessifs (rappelons que depuis une année, et malgré l’entrée en vigueur définitive de la LME, les délais de paiements sont globalement en train de se dégrader à nouveau (source les Échos, étude Altares : 20/03/13).

Pour accompagner les entreprises dans leur restructuration : le tribunal dispose de deux sortes de procédures : les procédures préventives mandat ad hoc et conciliation lorsque l’entreprise a anticipé ses difficultés Et les procédures collectives Sauvegarde et Redressement judiciaire lorsqu’il faut passer au stade curatif.

I - LES MOYENS DE LA PREVENTION Les dispositifs de prévention sont efficaces mais avec des réponses différenciées selon la taille des entreprises. Les grandes et moyennes entreprises disposent en interne des compétences nécessaires et elles ont les moyens également de s’entourer d’experts et conseils en restructuration. Leur organisation interne et les moyens financiers dont elles disposent leur permettent de répondre aux besoins nés des difficultés à surmonter.

Pour les petites et très petites entreprises, la situation est la plus difficile. Le chef d’entreprise est seul, il n’est pas ou insuffisamment incité à user des mesures conventionnelles prévues par la loi. Les moyens financiers de la petite ou très petite entreprise sont nuls ou insuffisants. Améliorer la situation suppose un effort de communication ; de la part des syndicats professionnels notamment, et des comptables également, informer et vaincre les réticences sont des exigences prioritaires. L’accueil des entreprises par les tribunaux de commerce est un élément primordial. Un chef d’entreprise bien reçu parle. Le chef d’entreprise dirigeant est fragilisé et c’est souvent l’œuvre de sa vie qui est en jeu. La dimension psychologique doit prévaloir en termes de réactivité, disponibilité et sollicitude.

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De même, il va de soi que si le traitement juridique de la liquidation d’un auto-entrepreneur est identique à celle d’une entreprise importante en chiffre d’affaires et en effectifs, il n’en est pas de même en termes de diagnostic, de prévention, de recherche de solutions, et d’accompagnement. Il faut être conscient que l’accompagnement humain du chef d’entreprise est souvent inversement proportionnel à la taille de l’entreprise. L’entrepreneur individuel voit sa vie s’écrouler, son patrimoine disparaître (cautions…), sa famille bien souvent se déchirer (divorce…) et il ressort du tribunal souvent sans aucun patrimoine ni aucune ressource (excluons du débat ceux « qui se débrouillent » quoique…). Cet entrepreneur n’a souvent pas les ressources (intellectuelles et matérielles) pour se faire accompagner. A cet égard il me paraît essentiel de souligner avec force le rôle économique, social et humain (parfois d’assistance sociale), rempli par les « juges du commerce ». C’est sur le fondement de cette action civique dans sa dimension sociale et humaine dont l’efficience est avérée qu’il faut trouver le sens profond de l’engagement et la motivation désintéressée des juges consulaires. Enfin, l’assurance santé entreprise, initiative du Conseil supérieur de l’ordre des experts comptables soutenue par la Conférence générale, a pour but de répondre aux préoccupations financières du débiteur. Elle devrait également permettre aux experts comptables mieux placés que quiconque de se mobiliser pour assurer la promotion de l’assurance et dans le même temps de la prévention.

Accompagner un dirigeant chef d’une entreprise structurée et importante est un autre savoir-faire. Cela suppose des juges consulaires du même niveau d’expérience, de maturité, de capacité intellectuelle et technique. Gérer l’égo, souvent le déni, parfois la déchéance d’un notable, supposent là encore des savoir-être et faire qui ne sont pas enseignés, ni ne peuvent être acquis à l‘issue de quelques mois de stage en entreprise. La procédure doit s’adapter à ces cas extrêmes (mais pas caricaturaux). Reconnaissons que les procédures actuelles, très souples parce qu’issues de l’expérience du terrain, le permettent. Quel est l’aboutissement de ces entretiens ? Accéder à la demande de l'entreprise qui vient solliciter l'ouverture d'une procédure amiable : Pour un mandat ad hoc : l’entreprise ne doit pas être en état de cessation des paiements, mais des difficultés juridiques ou financières limitées et envisagées à temps. Les difficultés sont passagères : l’activité est bénéficiaire ou sur le point de l’être, ou l’activité est bénéficiaire mais manque de capitaux propres, de fonds de roulement ou un financement est en cours, la contribution des créanciers (souvent financiers) est demandée sur une durée court ou moyen terme (entre 2 et 4 ans).

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Pour une demande de conciliation : même cas de figure mais l’entreprise peut être en état de cessation de paiement depuis moins de 45 jours. Au cours de l’entretien avec le chef d'entreprise a été définie la mission confiée au mandataire dont l'objectif est de manière générale : - de procéder à un audit - d'entrer en négociations avec les principaux créanciers (financiers ou sociaux) afin d’obtenir des rééchelonnements ou moratoires - de s'assurer du soutien des donneurs d'ordre pour assurer la pérennité de l'entreprise et le maintien des emplois - de reconstituer le fonds de roulement - d'établir un prévisionnel d'activités et de financement. Le mandataire rend compte de sa mission régulièrement au Président dans ses rapports. Les restructurations ne peuvent être que financières ; en effet les AGS n’interviennent pas en prévention ni en « sauvegarde » d’ailleurs. Mais le projet « ambition 2013 » des AGS est en discussion et s’il aboutit, la prévention perdra son caractère confidentiel qui garantit à 80% son succès, il faudra informer et consulter les représentants des salariés de la situation de l’entreprise. Nous avons ouvert 19 procédures de mandat ad hoc en cours impliquant 1 303 salariés. Nous avons ouvert 20 procédures de conciliations impliquant 1 163 salariés qui ont débouché sur un seul échec et la perte de 53 salariés 1100 salaires sont à ce jour conservés. En 2013 : nous avons ouvert 8 conciliations impactant 300 salariés. Un accord a été homologué, il concerne 150 emplois.

II - LES PROCEDURES COLLECTIVES Le recours au tribunal est nécessaire dès lors que la situation est gravement compromise, quand l’entreprise n’accède plus au crédit fournisseur ou bancaire (critère refus ou limitation des assureurs crédits), - ou dès lors que le fonds de roulement est inférieur à un seuil défini et que le besoin ne peut être financé et a fortiori qu’il se dégrade, mais il est difficile de le calculer et encore plus de l’insérer dans la loi ! - ou lors du constat d’un résultat annuel déficitaire sans retour à l'équilibre envisageable par l'entreprise seule.

En procédure de « sauvegarde » : à la seule initiative du chef d’entreprise, la contribution des créanciers doit être plus importante en montant et en durée que dans les procédures amiables, « de mandataires ad hoc » ou de conciliation ce que permet le plan négocié, voire imposé par le tribunal. Cette procédure n’a pas connu le succès annoncé : 12 ouvertures en 2012, par manque d’anticipation (ne pas être en état de cessation des paiements). Elle est très protectrice du dirigeant au plan patrimonial et au plan social : en sa qualité de « caution » cette protection a même été étendue à la protection du dirigeant titulaire d’une sûreté personnelle ou d’une caution réelle.

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Pour le « redressement judiciaire » : soit sur déclaration de cessation des paiements du débiteur, soit sur assignation d’un créancier. L’activité n’est pas rentable ou trop faiblement, le passif est important, la restructuration n’est pas prête, une période d’observation est nécessaire. 75 % des dépôts de bilan sont le fait des chefs d’entreprises, 25% sont issus d’une assignation par un créancier, dont 20% institutionnels. L’équilibre est difficile à trouver entre l’intérêt de la sauvegarde immédiate d’une entreprise, son incitation à une DCP précoce afin de pouvoir présenter un plan financé sans intérêts. Que ce soit en « sauvegarde » ou en « redressement judiciaire », l’objectif serait de maintenir un juste équilibre entre - la pérennisation de l’entreprise - le maintien de l’emploi - le paiement des créanciers Sous l’influence des orientations économiques et/ou politiques, un de ces trois composants a prédominé. En maintenant par des moyens « cosmétiques » une entreprise mal portante, le risque a été pris de contaminer le secteur d’activités dans lequel elle évolue. Est-il tabou de parler également de risque de soutien abusif dans certains plans, visant à sauver, coûte que coûte, certaines entreprises non viables ? Dans son rôle de régulateur économique, le tribunal se doit d’évaluer la capacité de l’entreprise à se redresser. C’est le niveau du fonds de roulement nécessaire à l’exercice de l’entreprise qui est souvent le premier exercice demandé par le juge consulaire à l’entrepreneur en redressement judiciaire afin d’apprécier sa capacité à exploiter pendant la période d’observation sans aggraver les passifs sociaux. (L’expérience démontre, qu’en moyenne empirique, le fonds de roulement à disposition d’une petite entreprise devrait être en gros équivalent à deux mois de chiffre d’affaire –à moduler selon secteurs et tailles-). Cette notion est aujourd’hui totalement inconnue du juriste, mais l’économiste et l’homme d’entreprise savent eux que là est la clé (plus que le capital) ! Comment contrôler et mesurer ? Quels sont les avis et suggestions des commissaires aux comptes et experts comptables ? Quelles conséquences juridiques en tirer ? La période d'observation de six mois est faite entre autre pour que l'entreprise se reconstitue un fonds de roulement en ne payant pas ses créanciers ! Elle sera l’occasion de faire un bilan de son activité, d’établir le chiffrage de son passif, d’évaluer la rentabilité, de procéder aux restructurations sociales avec l’autorisation du juge commissaire et sous l’autorité du mandataire et/ou de l’administrateur si les seuils sont atteints, de recourir aux AGS pour financer les licenciements.

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A l’issue de la deuxième période de six mois le plan de redressement a été présenté au juge commissaire, à l’acceptation des créanciers et arrête par le tribunal. Dans le meilleur des cas le montant de ses dettes est échelonné sur dix ans. Il versera régulièrement le montant des échéances au Commissaire à l’exécution du plan qui est chargé d’en surveiller la bonne exécution. Et au terme de ces années ou avant s'il revient à meilleure fortune, la procédure sera clôturée pour extinction du passif. Ce qui n’est pas le cas le plus fréquent et qui suscite les félicitations des juges à l’égard du débiteur méritant. Cependant on a pu lire ou entendre parler de la concurrence déloyale résultant d’un plan, sans intérêt, à dix ans alors que les confrères doivent se financer au prix du marché ? Le tribunal intervient peu sur le capital de l’entreprise quand il en existe un : Pour l’augmentation de capital en plan : Si, du fait des pertes constatées dans les documents comptables, les capitaux propres sont inférieurs à la moitié du capital social, l'assemblée est d'abord appelée à reconstituer ces capitaux à concurrence du montant proposé par l'administrateur et qui ne peut être inférieur à la moitié du capital social. Elle peut également être appelée à décider la réduction et l'augmentation du capital en faveur d'une ou plusieurs personnes qui s'engagent à exécuter le plan. Pour l'application de l'article L. 626-3 du code de commerce, l'assemblée générale extraordinaire ou l'assemblée des associés ainsi que, lorsque leur approbation est nécessaire, les assemblées spéciales mentionnées aux articles L. 225-99 et L. 228-35-6 du même code ou les assemblées générales des masses visées à l'article L. 228-103 du code du commerce, sont convoquées dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. Le juge-commissaire fixe le montant de l'augmentation du capital proposée à l'assemblée pour reconstituer les capitaux propres. Selon les dispositions de l’article L. 631-10 du code de commerce, on constate qu’à compter du jugement d'ouverture, les parts sociales, titres de capital ou valeurs mobilières donnant accès au capital de la personne morale qui a fait l'objet du jugement d'ouverture et qui sont détenus, directement ou indirectement par les dirigeants de droit ou de fait, rémunérés ou non, ne peuvent être cédés, à peine de nullité, que dans les conditions fixées par le tribunal.

Les titres de capital ou valeurs mobilières donnant accès au capital sont virés à un compte spécial bloqué, ouvert par l'administrateur au nom du titulaire et tenu par la société ou l'intermédiaire financier selon le cas. Aucun mouvement ne peut être effectué sur ce compte sans l'autorisation du juge-commissaire. (Article L.631-19-1 du code du commerce). Lorsque le redressement de l'entreprise le requiert, le tribunal, sur la demande du ministère public, peut subordonner l'adoption du plan au remplacement d'un ou plusieurs dirigeants de l'entreprise. - A cette fin et dans les mêmes conditions, le tribunal peut prononcer l'incessibilité des parts sociales, titres de capital ou valeurs mobilières donnant accès au capital, détenus par un ou plusieurs dirigeants de droit ou de fait et décider que le droit de vote y attaché sera exercé, pour une durée qu'il fixe, par un mandataire de justice désigné à cet effet.

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Dans l’hypothèse où l’entreprise est arrivée au tribunal en état de coma dépassé, elle n’aura pas les moyens de présenter un plan de redressement. Nous passerons alors en liquidation et un plan de cession sera actionné par l’administrateur judiciaire s’il y en a un ou des « seuil(s) ». Je ne vous décrirai pas la procédure d’appel d’offres, de remise des offres, à l’issue de laquelle le tribunal sera amené à « choisir » un repreneur. La tendance lourde depuis quelques années est de privilégier le maintien de l’emploi. L’expérience nous a démontré que ce n’était pas le meilleur choix dans bien des cas puisqu’il n’a fait qu’alourdir le passif, et s’est quand même terminé par la perte des emplois. - Que devient « l’humain » dans tout cela ? Dans l’humain : il y a les salariés. La recherche de la protection de l’emploi est permanente dans les textes du code de commerce : consultation obligatoire des délégués du personnel et du comité d’établissement (lorsqu’il existe) ; prérogative de recours offerte à ces mêmes organismes à l’encontre des décisions du tribunal de commerce. Je pense que nous évoluons dans des tailles et des formes d’entreprises dans lesquels les liens humains sont forts et contrairement à ce qui est communément admis, licencier est un drame pour ces chefs d’entreprises. Par exemple, une entreprise ayant subi un grave incident technique sur une machine de compactage de carcasses de voitures, s’est vue imposer la fermeture administrative de l’entreprise par mesure de sécurité, le chef d’entreprise s’est refusé à licencier les salariés et a contribué de ce fait à assécher la trésorerie du groupe. Autre exemple : une entreprise de transport dont le chef d’entreprise n’a pu se résoudre à se séparer des salariés en sureffectif pour des raisons d'empathie collective a laissé passer l'opportunité d'une restructuration salvatrice mais trop douloureuse à mettre en œuvre, le conduisant à la ruine de l'œuvre de sa vie et du capital familial. Alors que les AGS vont venir garantir les salaires des salariés. L’Humain c’est aussi le chef d’entreprise et il en est fait peu de cas… Pour preuve, en cas de plan de cession : on relèvera un rappel précis dans l’article L.642-5 : « le tribunal

retient l'offre qui permet dans les meilleures conditions d'assurer le plus durablement l'emploi attaché à

l'ensemble cédé, le paiement des créanciers et qui présente les meilleures garanties d'exécution. » Dans la dialectique entre « capital et humain », le déséquilibre juridique n'est-il pas inscrit dans les

dispositions du livre VI du code de commerce ?

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ASPECTS SOCIAUX DES RESTRUCTURATIONS22. RESTRUCTURATIONS D’ENTREPRISES A LA LUMIERE DE L’ANI JANVIER 2013

Me Michel MORAND,

Professeur associé de droit privé, Ecole de droit-Université d'Auvergne Clermont 1, CMH EA 4232

Avocat Cabinet Barthélémy

I - Restructurations sans diminution des effectifs

A - L’accord de mobilité (art. L.2242-21 à L.2242-23 du Code du travail)

1) Ses caractéristiques 2) Son contenu 3) Ses effets sur le contrat

B - L’accord de sécurisation de l’emploi (art. L.5125-1 à L.5125-6 du Code du travail)

1) Ses caractéristiques 2) Son contenu 3) Ses effets sur le contrat de travail 4) Suspension judiciaire de l’accord

II - Restructurations qui affectent les effectifs de l’entreprise

A - La réduction temporaire des effectifs

B - La réduction définitive des effectifs

1) Le déroulement de la procédure 2) Le retour de l’Administration 3) La place du juge

raiter des aspects sociaux des restructurations peut amener à distinguer deux situations : - D’une part, celle qui aboutit à un transfert d’entreprise, d’établissement ou de partie

d’établissement, c’est-à-dire à un transfert d’une entité économique autonome qui entraîne l’application de l’article le plus célèbre du Code du travail, l’article L.1224-1 et l’obligation de reprise des contrats par le nouvel employeur. - D’autre part, celle qui concerne l’organisation ou le fonctionnement de l’entreprise dont le périmètre n’est pas modifié. C’est à cette deuxième situation que s’attachera mon propos car permettant d’évoquer un certain nombre d’évolutions législatives récentes ou à venir. Je vous propose ainsi de distinguer les restructurations qui n’affectent pas directement le nombre des emplois dans l’entreprise et celles qui, au contraire, peuvent affecter les effectifs.

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Ce colloque s’est tenu avant la publication de la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi.

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I - RESTRUCTURATIONS SANS DIMINUTION DES EFFECTIFS Le législateur puisant son inspiration dans la négociation interprofessionnelle va consacrer deux mécanismes susceptibles d’affecter les piliers de la relation contractuelle (qualification, rémunération, durée du travail, lieu d’activité). L’ANI du 11 janvier 2013 au service de la compétitivité des entreprises, de la sécurisation de l’emploi et des parcours professionnels consacre les accords de mobilité et les accords de maintien de l’emploi. Je vous propose de vous en présenter l’essentiel.

A - L’accord de mobilité (art. L.2242-21 à L.2242-23 du Code du travail) Plusieurs observations peuvent être faites sur cet accord de mobilité, mais ne retenons que trois aspects essentiels.

1) Ses caractéristiques

● L’accord ne pourra se concevoir que dans le cadre de mesures collectives d’organisations courantes de l’entreprise sans projet de licenciement. Il ne peut s’agir d’opérations ponctuelles ou exceptionnelles. ● Négociation d’un accord d’entreprise : - soit, dans le cadre de la négociation portant sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (entreprises de 300 salariés et plus) ; - soit, dans le cadre d’une négociation spécifique (entreprises de moins de 300 salariés) mais qui devra comporter certains aspects de GPEC. ● Qui porte sur la mobilité fonctionnelle et/ou géographique. ● L’accord doit être soumis à l’approbation par les organisations syndicales représentatives représentant au moins 30 % des suffrages valablement exprimés aux dernières élections (sous réserve du droit d’opposition majoritaire).

2) Son contenu ● Mesures d’accompagnement à la mobilité géographique et/ou professionnelle (frais de déplacements, formation…). ● Les limites imposées à la mobilité géographique au-delà de la zone géographique de l’emploi. ● Mesures visant à permettre conciliation entre vie personnelle et vie professionnelle. ● La mise en œuvre de l’accord ne peut entraîner de diminution du niveau de rémunération ou de classification personnelle du salarié.

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3) Ses effets sur le contrat ● Les clauses du contrat contraires sont suspendues. ● Le refus de l’application de l’accord du contrat par les salariés entraîne un licenciement qui repose sur un motif économique prononcé selon les règles applicables au licenciement individuel pour motif économique. Notons que l’ANI avait précisé que le refus entraînait un licenciement individuel pour motif personnel. Ce qui sera fondamental, c’est le contrôle que le juge pourra opérer sur le motif économique de rupture et sur la forme de celui-ci. Sur le motif économique, si n’est pas consacré un motif économique « sui generis » par la formule utilisée par le législateur « repose sur un motif », alors le risque sera grand que les licenciements soient dépourvus de cause réelle et sérieuse puisque le motif de l’accord et donc du licenciement économique est relatif à des mesures collectives d’organisation courantes. Il ne s’agit ni de difficultés économiques, ni de maintien de la compétitivité de l’entreprise. Sur la forme, encore faudra-t-il que les effets de la directive n°98/59 du 20 juillet 1998 sur les licenciements économiques collectifs soient écartés sauf à risquer une requalification des licenciements qui ne seraient plus individuels avec les conséquences notamment sur l’obligation d’établir un plan de sauvegarde de l’emploi dans certains cas.

B - L’accord de sécurisation de l’emploi

(art. L.5125-1 à L.5125-6 du Code du travail) Cette idée d’un engagement de maintien par l’employeur de l’emploi en contrepartie d’efforts consentis par les salariés, initiée par le précédent gouvernement (accord de compétitivité) a été reprise par l’ANI du 11 janvier 2013 avec la dénomination d’accord de sécurisation de l’emploi.

1) Ses caractéristiques

● Le contexte de la négociation de l’accord est défini légalement. L’entreprise doit faire face à de graves difficultés économiques conjoncturelles. Il s’agit de faire face à des difficultés économiques passagères. ● Quant à l’accord, celui-ci doit être à durée déterminée de 2 ans et majoritaire (50 % suffrages valablement exprimés lors des dernières élections professionnelles). ● L’accord aura pour finalité d’aménager la durée du travail, la répartition du temps de travail et la rémunération (pas de diminution de salaire pour les salariés dont la rémunération ne dépasse pas le taux du SMIC majoré de 20 %). ● En contrepartie du maintien de l’emploi (pas de licenciement économique pendant la durée de l’accord). A l’occasion de cette négociation, les organisations syndicales représentatives peuvent se faire assister d’un expert-comptable mandaté par le comité d’entreprise.

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2) Son contenu ● Outre ses conséquences au plan de la durée du travail et des rémunérations, il devra définir : ● Les modalités de participation des dirigeants salariés, mandataires et actionnaires proportionnellement aux efforts demandés aux salariés. ● Les conditions de l’acceptation ou du refus par les salariés, à défaut, le formalisme sera celui de l’article L.1222-6 du Code du travail (modification du contrat pour motif économique). ● Les conséquences si amélioration de la situation économique sur la situation des salariés (à l’issue de l’accord ou pendant son application). ● Une clause pénale en cas de non-respect de l’accord, consistant à définir les dommages et intérêts pour les salariés lésés par l’accord. ● Les mesures d’accompagnement pour les salariés qui refusent les conséquences de l’accord.

3) Ses effets sur le contrat de travail

Comme s’agissant de l’accord de mobilité interne, les dispositions légales prévoient que : - Les clauses contraires du contrat sont suspendues pendant la durée d’application de l’accord. - En cas de refus, le salarié s’expose à un licenciement individuel pour motif économique et ouvre droit aux mesures d’accompagnement prévues par l’accord.

4) Suspension judiciaire de l’accord Une procédure relativement sophistiquée est prévue pour permettre à la demande des signataires, soit de solliciter la suspension de l’accord, soit sa résiliation : - par décision du Président du Tribunal de Grande Instance statuant en la forme des référés à la demande de l’un des signataires. - si les engagements souscrits notamment en matière de maintien de l’emploi ne sont pas appliqués en cas d’évolution significative de la situation économique de l’entreprise (amélioration ou dégradation). ● Le juge fixe le délai de suspension et à l’issue autorise la poursuite de l’accord ou suspension définitive des effets. La finalité de ces deux nouveaux mécanismes, qui vont trouver une consécration législative, est de permettre l’adaptation des emplois et non de les supprimer. Toutefois, au terme « restructuration » est souvent associé celui de « licenciement économique ».

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II - RESTRUCTURATIONS QUI AFFECTENT LES EFFECTIFS DE L’ENTREPRISE Je vous propose de décrire deux procédures, l’une qui existe déjà et assez peu connue et qui aboutit à une diminution temporaire des effectifs et l’autre qui concerne la procédure de licenciement économique largement modifiée par le projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi et qui reprend les orientations de l’ANI de janvier 2013.

A - La réduction temporaire des effectifs

Ce mécanisme est issu de la loi Cherpion du 28 juillet 2011 (art. L.8241-2 du Code du travail) qui reprend les dispositions de l’ANI du 8 juillet 2009 sur la gestion sociale des conséquences de la crise économique. Peut-être utilisé pour faire face à des difficultés économiques passagères. ● Il s’agit ici d’organiser une opération de prêt de main d’œuvre à but non lucratif qui nécessite : - une convention de mise à disposition entre l’entreprise prêteuse et utilisatrice (durée, identité et qualification, modalités de facturation des salaires et charges sociales…). - l’accord du salarié (avenant au contrat de travail) étant précisé que le refus ne peut entraîner le licenciement. ● Au plan contractuel. Le salarié reste salarié du prêteur qui verse le salaire et maintient l’ensemble des dispositions applicables aux salariés du prêteur. A l’issue, le salarié retrouve son poste de travail sans que l’évolution de carrière ou la rémunération ne soit affectée par la période prêt. ● Le comité d’entreprise du prêteur est informé et consulté préalablement à la mise en œuvre et consulté sur les différentes conventions. Le CHSCT de l’entreprise utilisatrice est informé et consulté préalablement à l’accueil des salariés mis à disposition. Cette situation peut permettre de régler des difficultés passagères de l’entreprise. Toutefois, si les difficultés économiques nécessitent une réduction plutôt définitive des effectifs, le projet de loi reprenant les préconisations de l’ANI revisite de manière importante les procédures de licenciement économique portant sur 10 salariés et plus donc avec un plan de sauvegarde de l’emploi.

B - La réduction définitive des effectifs La volonté des partenaires sociaux négociateurs de l’ANI et du gouvernement exprimée dans le projet de loi s’agissant des procédures de licenciement économique est : « renforcer l’encadrement et

sécuriser, tant pour les salariés que pour les entreprises, les procédures de licenciements collectifs, avec

un rôle majeur des représentants des salariés dans la négociation et de l’Etat dans un rôle de garant qu’il

n’avait plus dans ce domaine depuis la suppression de l’autorisation administrative de licenciement de

1986 ».

Sans trop rentrer dans les détails, les grands principes de la réforme concernent le déroulement de la procédure de licenciement économique, le rôle de l’Administration et le rôle du juge.

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1) Le déroulement de la procédure Deux types de procédures sont prévus qui permettent d’aboutir, soit à la conclusion d’un accord d’entreprise, soit à l’élaboration d’un document unilatéral. L’accord ou le document unilatéral devra porter sur : - les mesures du plan de sauvegarde de l’emploi, - les modalités d’information et de consultation du comité d’entreprise, - la pondération et le périmètre d’application des critères d’ordre des licenciements, - le calendrier des licenciements, - le nombre de suppressions d’emplois et catégories professionnelles concernées, - les mesures de reclassement et d’adaptation. ● L’innovation est la possibilité de conclure un accord collectif qui porte notamment sur les mesures du plan de sauvegarde de l’emploi. Cet accord doit être un accord majoritaire (signé par une ou des organisations syndicales représentatives représentant au moins 50 % des suffrages valablement exprimés au profit de ces organisations lors des dernières élections professionnelles).

2) Le retour de l’Administration La loi du 30 décembre 1986 avait supprimé l’autorisation administrative en matière de licenciement économique. Le projet de loi prévoit une intervention renforcée de l’Administration du Travail (Direccte) qui aura pour mission : - Soit, de valider l’accord (délai de 8 jours)23. L’absence de réponse vaut validation tacite. - Soit, d’homologuer le document unilatéral (délai de 3 semaines et absence de réponse vaut autorisation tacite). - La notification des licenciements ne pourra intervenir à peine de nullité qu’après homologation ou validation par la Direccte. Ce texte consacre donc de nouvelles prérogatives de l’Administration dans ces procédures. La question sera de savoir si celle-ci disposera des moyens pour faire face à ces nouvelles responsabilités.

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Délai porté à 15 jours dans la loi de sécurisation de l’emploi.

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3) La place du juge Compte tenu de l’intervention de l’administration, cela induit une remise en cause des compétences respectives du juge administratif et du juge judiciaire. En cas de contestation de la décision de la Direccte, le texte prévoit une procédure particulière devant le juge administratif. - Délai de 2 mois pour saisir le Tribunal administratif à compter de la notification de la décision de l’administration ; - le Tribunal administratif statue dans les 3 mois, à défaut saisine automatique de la Cour administrative d’appel qui statue dans les 3 mois. Si la Cour administrative n’a pas statué dans ce délai, le Conseil d’Etat est automatiquement saisi. ● Quant au juge judiciaire, celui-ci restera malgré tout compétent pour apprécier le motif économique de rupture et le respect de l’obligation de reclassement. En revanche, tout le contrôle effectué jusque-là par le juge judiciaire sur le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi sera transféré au juge administratif, lequel d’ailleurs pourra s’inspirer de la jurisprudence en la matière de la Cour de cassation. En conclusion à cette présentation, je voudrais simplement rappeler que ces mécanismes issus de la négociation interprofessionnelle révèlent la responsabilité dont les partenaires sociaux ont fait preuve afin de tenter de trouver les clefs permettant l’adaptation de l’entreprise à son environnement économique, tout en essayant d’éviter d’autre part, les drames sociaux des licenciements économiques par une meilleure sécurisation de la protection des salariés concernés par ces procédures. Il faut espérer que ce pari sera gagné.

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ANI : REGARDS SYNDICAUX A LA LUMIERE DE L’ACTUALITE

Dominique HOLLE,

Président du Conseil des Prud’hommes de Clermont-Ferrand

I - Deux mondes qui s’affrontent et que tout oppose

II - Le projet de loi sur la flexisécurité

III - Le projet de loi d’amnistie des syndicalistes

as une semaine, pas une journée sans que les médias n’annoncent un plan social : les noms d’entreprises s’égrènent les uns après les autres annonçant le nombre d’emplois supprimés ou pire encore les usines qui mettent purement et simplement la clef sous la porte.

« ARCELOR MITTAL, PSA, FRALIB, GOOD YEARD, CONTINENTAL, JPM, FNAC, CONFORAMA, SANOFI,

VIRGIN » et bien d’autres. En juillet 2012, les défaillances d'entreprises augmentent de 8,7% sur un mois et de 4,4% sur un an. Le nombre d’emplois supprimés est particulièrement important. Les courbes du chômage ne cessent de croître. Les chiffres donnés mardi dernier démontrent une hausse continue du nombre de chômeurs depuis 22 mois consécutifs. Celui de la catégorie « A », c'est-à-dire hors chômeurs de longue durée, en France métropolitaine s'établissantt en janvier 2013 à 3,187 millions, un chiffre en hausse de 0,6% sur un mois et de 10,7% sur un an. Près de 18 400 emplois supprimés au mois de février 2013. Le taux de chômage a ainsi progressé de un point en 2012 se situant à 10, 8 % du nombre des actifs. En février 2013, les créations d'entreprises chutent de 3,4% sur un an. Plus d'une création sur deux est le fait d’auto-entrepreneurs c’est-à-dire qui ne crée pas d’emploi. Le contexte est donc très difficile et le climat est particulièrement tendu dans de grandes entreprises ou de grands groupes. Les syndicats sont en première ligne, ils sont sur tous les fronts : fortement sollicités dans les périodes de crises ils doivent non seulement répondre aux inquiétudes des salariés mais également se confronter à l’employeur. Ils doivent aussi encadrer les conflits collectifs. A ce titre plusieurs d’entre eux ponctuent régulièrement l’actualité :

P

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Depuis plus de 900 jours, les salariés de l’entreprise « Fralib», du groupe « Unilever », installée à Gémenos, dans les Bouches du Rhône, mènent une bataille contre la fermeture de leur entreprise. Pourtant, la fermeture est effective depuis septembre 2010, 182 emplois sur le carreau. Les salariés lancent alors une campagne de boycott ciblé, et décident d'occuper le site de l'usine. La tension monte après que la direction ait demandé leur expulsion. Ces actions fortement médiatisées permettent de faire connaître la situation à un large public. En février 2011, le Tribunal de Grande Instance de Marseille a jugé le premier PSE "dépourvu de toute

indication qui permette de connaître les moyens" que "cette société (....) est en mesure de consacrer au

reclassement de ses salariés". Le second plan présenté par Unilever a été invalidé en novembre 2011 par la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, qui estimait que les propositions de reclassement y figurant n'étaient "pas sérieuses". En première instance, devant le Tribunal de Grande Instance de Marseille, le troisième plan a, à l'inverse, été jugé conforme en avril 2012, mais les représentants des salariés ont fait appel. La cour d'appel d’Aix-en-Provence, le 28 février 2013, quant à elle, a constaté la nullité de la procédure et des licenciements déjà intervenus et ordonné à la société Fralib de "reprendre à son début ladite

procédure et de présenter au comité d'entreprise un plan de sauvegarde de l'emploi concernant

l'ensemble des salariés du site de Gémenos". " Entre temps, le 11 mai 2012, les salariés reprennent possession du site, autrement dit, ils reprennent physiquement possession du site. La direction parle de « coup de force » et porte plainte. Mais Monsieur Arnaud MONTEBOURG, Ministre du redressement productif, obtient l’assurance de la firme qu’elle n’appliquera pas la décision d’expulsion. Le Ministre obtient également qu’Unilever participe à la table ronde que réclamaient les salariés depuis plusieurs mois, qui se déroule entre le 1er juin et le 25 juin 2012, les discussions tournent autour de la reprise du site et de la revitalisation du bassin d’emploi. Plusieurs propositions sont présentées dont celles de la création d’une « Scop » par les salariés. En droit français, une « Scop » (société coopérative et participative) est une société qui peut être commerciale, anonyme ou à responsabilité limitée. Cependant, malgré des impératifs de rentabilité comme toute entreprise, elle bénéficie d’une gouvernance démocratique et d’une répartition des résultats favorisant la pérennité des emplois et du projet d’entreprise. Les salariés-coopérateurs y sont en effet associés majoritaires et détiennent au moins 51 % du capital et 65 % des droits de vote. Par ailleurs, quelle que soit la quantité du capital détenu, chaque coopérateur ne dispose que d'une seule voix lors de l'assemblée générale de l'entreprise. La CUM (Communauté Urbaine de Marseille) a racheté les locaux, le terrain et les machines en septembre 2012. L'avenir du site est désormais entre ses mains et celle du Gouvernement, qui pourront prendre leurs responsabilités pour mettre en œuvre et financer le projet du Comité d’Entreprise. Mais rien n’est acquit. En effet, la poursuite de l’activité nécessite la cession de la marque « Eléphant »,

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marque uniquement vendue en France et produite depuis la fermeture du site de Gémenos, en Pologne, ce que refuse le géant de l’infusion. Le groupe « Unilever », suite à l’arrêt de la Cour d’appel de février 2013, renonce pour le moment à mettre en œuvre un quatrième plan de sauvegarde à l’emploi. Dans un communiqué, elle indique « vouloir proposer une indemnisation des salariés conformément à l’article L. 1235-11 du Code du travail qui prévoit qu'en cas d'annulation de licenciement, si la réintégration du salarié est impossible, le salarié peut être indemnisé. Cette indemnité "ne peut être inférieure aux salaires des douze derniers mois". Réponse des salariés : dans l'arrêt de la cour d'appel, "le juge ordonne de reprendre à son début la

procédure. A aucun moment la cour d'appel ne parle d'indemnisation, et il n'est fait aucune référence à

cette disposition du code du travail", a expliqué à l'Agence « France Presse », (« AFP ») l'avocat des salariés qui se dit "surpris" dans la mesure où "L'article du code du travail s'applique dans le cas où le site

est fermé. Sauf que l'usine existe encore et peut être rouverte".

I - DEUX MONDES QUI S’AFFRONTENT ET QUE TOUT OPPOSE Dans l’entreprise « Goodyear » d’Amiens, la direction vient d'annoncer jeudi en 15 la fermeture de l'usine d'Amiens nord. 1 173 personnes viennent d'apprendre qu'elles perdent leur emploi. Mais le conflit couve depuis des années et le climat social est particulièrement tendu sur ce site de production de pneumatiques de la Somme. Acte un c’est le Tribunal de Nanterre en 2008 qui interdit à « Goodyear » de mettre en œuvre son plan social. A cette époque 400 emplois sont en en jeu dans l’activité pneus de tourisme. Rebelote en 2009, lorsque la direction annonce un nouveau plan social prévoyant 817 licenciements, plan que la justice suspend au motif que "les informations données au comité central d'entreprise sont

incomplètes". Par deux fois donc, les organisations syndicales ont repoussé les échéances pourtant annoncées comme inéluctables. Mais la bataille juridique n’est pas finie. Suite à l’annonce de fermeture de l’usine une nouvelle procédure judiciaire est en cours pour obtenir l'annulation du projet de fermeture de l'usine, qui sera examinée le 17 mai par le Tribunal de grande instance de Nanterre. Les salariés veulent encore y croire. Depuis 2007 qu’ils luttent pour la sauvegarde de l’emploi. Ils espèrent encore une fois modifier le cours des choses. Parallèlement, le gouvernement s'est lancé à la recherche d'un repreneur pour l'activité de pneus agricoles de l'usine d'Amiens. En effet, le dernier repreneur en date, le PDG du groupe « Titan » s’est retiré de la liste des repreneurs possibles. Sa sortie très remarquée est loin d’avoir fait l’unanimité, au moins sur la forme.

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En effet, dans un courrier daté du 08 février 2013 adressé à Monsieur le Ministre du Redressement productif, Arnaud MONTEBOURG, il note « J’ai visité cette usine plusieurs fois. Les salariés français

touchent des salaires élevés mais ne travaillent que trois heures. Ils ont une heure pour leurs pauses et

leur déjeuner, discutent pendant trois heures et travaillent trois heures. Je l’ai dit en face aux

syndicalistes français. Ils m’ont répondu que c’était comme ça en France. ».

Vous pensez que nous sommes si stupides que ça ? Titan a l’argent et le savoir-faire pour produire des

pneus. Qu’a le syndicat fou ? Il a le gouvernement français. L’agriculteur français veut des pneus pas

chers. Il s’en fiche. Vous pouvez garder les soi-disant ouvriers. Titan n’est pas intéressé par l’usine

d’Amiens-Nord ».

Il est clair que ce type de propos en dit long sur la pratique du dialogue social au sein du groupe « TITAN ». Pour Monsieur Bernard THIBAUD, alors secrétaire général de la CGT « Cette correspondance est

stupéfiante, c'est une insulte à l'égard des ouvriers mais pas seulement. Elle est représentative de l'état

d'esprit de ces dirigeants des multinationales qui insultent la démocratie », Le ministre du redressement productif a finalement répondu à ces propos. Sans revenir dans les détails de ce courrier, Monsieur Arnaud MONTEBOURG attaque son courrier en ces termes : "Vos propos aussi extrémistes qu'insultants témoignent d'une ignorance parfaite de ce qu'est notre pays". "Loin de vos propos aussi ridicules que désobligeants, l'ensemble des entreprises étrangères

connaît et apprécie la qualité et la productivité de la main d'œuvre française", poursuit le ministre. "Puis-

je vous rappeler que Titan est 20 fois plus petit que Michelin et 35 fois moins rentable [...] C'est dire à

quel point Titan aurait pu apprendre et gagner énormément d'une implantation française", écrit-il encore. Monsieur le Ministre termine enfin par une menace à peine voilée en promettant à Monsieur Maurice Taylor "un zèle redoublé". "En attendant, soyez assuré de pouvoir compter sur moi pour faire surveiller

par les services compétents du gouvernement français avec un zèle redoublé vos pneus d'importation. Ils

veilleront tout particulièrement au respect des normes applicables en matières sociale,

environnementale et technique", conclut-il. Le secrétaire général de la CFDT, Monsieur Laurent BERGER reproche à la CGT "une position

dogmatique". Et de "porter une responsabilité dans ce qui se passe" à Goodyear, "à part égale" avec la direction. Dernier rebondissement, le projet de création d’une « SCOP »24. La CGT vient de présenter un projet de coopérative, destiné à maintenir la production de pneus agricoles de l'usine Goodyear d'Amiens (1.175 salariés) menacée de fermeture. Le projet maintiendra la production de pneus agricoles de l’usine Goodyear d’Amiens mais prévoit malgré tout un plan de départs volontaires avec le maintien de l'activité tourisme pendant 24 mois.

24

Société coopérative et participative, constituée sous la forme d’une « société coopérative de production », ou de « société coopérative d’intérêt collectif ».

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Alors, les scoops seraient-elles l’alternative aux plans de licenciement ? Mais l’usine fermée ne met pas un terme définitif aux difficultés des salariés. L’usine « Continental » de Clairoix, qui ferma en 2010 après un conflit qui tint en haleine les médias durant une bonne partie de l’année 2009, connaît de nombreux soubresauts. Trois ont passé et en février dernier 680 anciens employés ont demandé devant le bureau de jugement du Conseil des prud'hommes de Compiègne de statuer sur le motif de leur licenciement. Ils estiment que la lettre de rupture de leur contrat rédigé par l’employeur n'est pas suffisamment motivée. Ce qui est certain c’est qu’ils ne seront pas réintégrés puisque l’usine a disparu. Déjà, le Tribunal administratif d’Amiens a rendu une décision en ce sens le 10 février 2013 et a annulé les licenciements de 22 anciens salariés protégés pour absence de motif économique. L’avocat des salariés a indiqué aux juges que l’entreprise « Continental », « s’est servie de la crise

comme effet d’aubaine pour supprimer 1 120 salariés, alors que dès l’année d’après, elle a augmenté de

85% ses résultats». Les anciens employés de Continental demandent l'équivalent de deux à quatre ans de salaires en dommages et intérêts. La décision a été mise en délibéré. Mais depuis la fermeture de leur usine, les anciens salariés accumulent les troubles psychosociaux et la décision du conseil des prud'hommes, même si elle est favorable, sur la validité du plan social ne compensera pas les difficultés humaines que traversent les ex-ouvriers de Clairoix. Une étude psychologique sur les anciens salariés de cette usine en témoigne Dépressions, troubles du sommeil, tentatives de suicide sur fond d’alcool, de drogue, d’antidépresseurs, un cocktail détonnant : pour beaucoup d'entre eux, les démêlés avec Continental ont pris le pas sur la vie privée. Les dégâts sur la santé sont importants. Un ancien délégué se souvient d'un de ses ex-collègues, venu lui remettre une lettre dans laquelle il annonçait son intention de se suicider devant l'usine. "On l'a poursuivi sur le parking pour lui confisquer

sa corde, parce qu'il venait dire au revoir à tout le monde", raconte-t-il. De cette étude, un chiffre ressort particulièrement : 60 % des personnes interrogées ont avoué rencontrer des problèmes à la maison depuis la perte de leur emploi. 256 d'entre eux ont d'ailleurs divorcé, en trois ans.

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II - LE PROJET DE LOI SUR LA « FLEXISECURITE » Alors l’accord national interprofessionnel signé par 3 organisations syndicales en janvier dernier doit être regardé au travers de cette situation. Annoncé comme un accord de sécurisation de l’emploi, il laisse sur leur faim, mais surtout sans voix, les militants ouvriers confrontés à des situations particulièrement difficiles dues au contexte économique. Quarante après la loi de 1973, 5 ans jours pour jours après l’accord national interprofessionnel de 2008 qui institue la rupture conventionnelle et qui double les périodes d’essai, les organisations d’employeurs ont gagné la signature de 3 organisations syndicales sur un accord national interprofessionnel qui a pour titre « pour un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité des entreprises et de

la sécurisation de l’emploi et des parcours professionnels des salariés ».

Présenté par certains comme « historique », « historique » il l’est à bien des égards. S’il fallait présenter cet accord, le plan serait simple : - D’une part des avancées pour les salariés, mais des avancées que je qualifierais d’hypothétiques, c'est-à-dire renvoyées à d’autres négociations, négociation de branche ou interprofessionnelles. - D’autre part des pouvoirs accrus pour les employeurs, pouvoirs que je qualifierais d’immédiats, c'est-à-dire dès le vote de la loi. Je ne m’attarderais pas sur l’ensemble des points qu’il contient, seulement sur ceux qui ont un rapport avec le thème traité. La bataille syndicale, dans le contexte de licenciement collectif, prend appui sur le Code du travail et les procédures qu’il offre pour améliorer le sort des salariés confrontés à la fermeture des usines. Ils le font d’ailleurs de plus en plus efficacement, aidés en cela par des juristes et des avocats aguerris à cette matière. On le voit, avec les exemples cités précédemment, ce n’est pas de l’obstruction pour de l’obstruction. Les procédures mises en place, visent à retarder l’échéance et remettre l’employeur autour de la table pour modifier le cours de choses et améliorer les garanties pour les salariés. Sauver, maintenir l’emploi, limiter la casse est l’objectif affiché. Dans les faits, les PSE sont souvent annulés pour insuffisance dans leur contenu, notamment en termes de reclassement, de formation, ou d’adaptation. Le projet de loi qui est discuté actuellement modifie fortement les procédures actuelles. Le contrôle du juge sur le contenu du Plan de Sauvegarde de l'Emploi et sur le respect de la procédure d'information et de consultation des représentants du personnel, est sévèrement encadré. L'accord organise deux procédures, alternatives, de licenciement économique collectif (10 salariés et plus sur 30 jours).

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La première renvoie aux organisations syndicales le soin de signer avec l'employeur le Plan de Sauvegarde de l’Emploi dont la contestation est très encadrée. Le texte nous dit surtout que le PSE peut également être signé, à défaut d’organisation syndicale, par des représentants du personnel non affiliés à des organisations syndicales, ou encore avec un salarié mandaté. Dans ces deux derniers cas, le tout serait soumis à référendum auprès de l’ensemble des salariés. Les organisations syndicales, malgré toute leur faiblesse, constituent une protection pour les garanties collectives. On peut douter de l’efficacité d’un salarié mandaté, c'est-à-dire d’un salarié sans culture syndicale, sans le collectif que constitue l’organisation syndicale, pris dans le tourbillon d’une procédure de licenciement collectif, de négocier le sort de ses collègues. Et à défaut d’accord sur le PSE, le projet de licenciement collectif est soumis pour homologation à l’autorité administrative. On revient donc 30 ans en arrière lorsque le licenciement économique était soumis à l’autorisation administrative. Ce pouvoir de contrôle est encadré de très brefs délais - 8 jours pour la validation du Plan de Sauvegarde de l’emploi (« PSE ») - 21 jours pour l’homologation de la proposition patronale On peut s’interroger sur les moyens qui seront affectés aux inspecteurs du travail, qui n’arrivent déjà que très difficilement à contrôler les ruptures conventionnelles créées en 2008 (déjà pour assouplir les règles de rupture du contrat de travail) alors qu’il s’agit également d’une obligation légale ! Mais aujourd’hui, le contentieux du « PSE » ou de la décision unilatérale revient aux juridictions administratives, aujourd’hui aux juridictions judiciaires, reste aux juridictions judiciaires le contentieux de la rupture du contrat. Mais quid de la contestation par le salarié du motif du licenciement lorsque l’issue de la procédure administrative, le PSE ou la décision unilatérale de l’employeur, aura été confirmée par les juridictions administratives ? Si l’objectif était de réduire la durée des procédures et de les solidifier au profit de l’employeur, l’objectif est atteint ! A propos de l’application des critères de licenciement, jusqu’à ce jour, l’employeur devait prendre en compte l’ancienneté du salarié, les charges de familles, la situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion particulièrement difficile, notamment les salariés handicapés ou âgés et enfin les qualités professionnelles.

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Dorénavant, les compétences professionnelles sont valorisées. En effet le texte précise qu’ « à défaut

d’accord de branche ou d’entreprise en disposant autrement, en cas de licenciement pour motif

économique, l’employeur est fondé, pour fixer l’ordre des licenciements, à privilégier la compétence

professionnelle sous réserve de tenir également compte, après consultation du Comité d’entreprise, des

autres critères fixés par la loi ». Autrement dit, en matière de licenciement économique, la subjectivité prend le pas sur l’objectivité, l’ancienneté et les charges de famille ne seront plus les critères déterminants pour le maintien dans l’emploi lors de procédures économiques. L’un des thèmes qui a fait couler beaucoup d’encre est celui des accords compétitivité-emploi. Certes, c’est une nouveauté légale, mais déjà des expériences en ce sens ont été expérimentées dans certaines entreprises. Chez « Bosch » à Vénissieux, par exemple en échange du maintien des emplois, la CFDT, majoritaire sur le site et la CGC, signaient la fin des 35 heures : ainsi, l’accord prévoyait le passage aux 36 heures payées 35, se traduisant par la perte de six jours de « RTT », le gel des salaires et de la prime d’intéressement pendant trois ans, diminution de l’indemnisation des heures de nuit, suppression de la prime de transport. Objectif : diminuer de 12 % le coût du travail. « Si on n’avait pas signé cet accord, on ne serait plus là aujourd’hui », assurait la CFDT. Pourtant, avec 1,1 milliard d’euros de bénéfices pour 2003, le groupe ne pouvait même pas se prétendre en difficulté économique. Pourtant, 10 ans plus tard, 400 emplois sur les 850 ont été supprimés et la direction s’interroge toujours très fortement sur l’avenir du site. Mais ce dispositif conventionnel nécessitait obligatoirement l’accord du salarié, même si devant le courrier de la direction demandant son accord sur la proposition, le dilemme entre perdre son emploi et un bout de salaire, la question est vite réglée au profit de la perte d’emploi. Je ne parle même pas des conditions de travail lorsqu’elles se confrontent à un « PSE ». Jusqu'à ce jour, il n’était pas possible de modifier le contrat de travail du salarié sans son accord. Autrement dit, ni la rémunération, considérée comme le noyau dur de la relation de travail, ni la durée du travail, ne pouvaient être modifiées sans l’accord du salarié. Ce nouvel accord interprofessionnel fait fi de ce principe fondamental et permet à l’employeur de modifier la durée du travail et donc la rémunération du salarié, sans son accord sous deux conditions : - Que l’entreprise connaisse de graves difficultés conjoncturelles - Qu’elle se dote d’un accord signé par une ou des organisations syndicales majoritaires En cas de refus du salarié, l’employeur pourra le licencier pour motif économique.

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La hiérarchie des normes, principe fondamental qui permettait de régler les conflits de normes au profit de la norme inférieure, cette hiérarchie mise à mal ces 10 dernières années avec la possibilité de conclure des accords dérogatoires, cette hiérarchie des normes n’en finit pas d’agoniser. Que reste-t-il de ce principe fondamental dès lors que le contrat de travail est aussi fragilisé ? C’est certainement en cela que cet accord est historique : il l’est par cette atteinte portée à la liberté contractuelle. D’autres mesures méritent également d’être précisées comme les nouvelles règles à la mobilité des salariés, elles sont de deux types : - La première, dite externe permet au salarié, qui a plus de 2 ans d’ancienneté, de s’absenter de l’entreprise pour une durée maximale de 2 ans pour exercer une activité dans une autre entreprise. Cette possibilité est offerte dans les entreprises de plus de 300 salariés, c'est-à-dire pas dans toute. Mais encore faut-il que l’employeur soit d’accord …. - La seconde, la mobilité interne est subordonnée à un accord d’entreprise : c’est l’accord d’entreprise qui va délimiter le périmètre de la mobilité qui va s’imposer au salarié : là encore, quid du contrat de travail puisque jusqu’à ce jour, sauf exception, le lieu du travail est un élément du contrat de travail qui ne peut être modifié qu’avec l’accord du salarié. Le refus par un salarié de l’application de l’accord de mobilité, nous dit le texte, est un licenciement individuel pour motif économique. Notons que l’ANI indiquait qu’il s’agissait d’un licenciement pour motif personnel (trouvant une cause économique), motif qui n’existait pas dans le Code du travail. Le bureau de conciliation se trouve doté de pouvoirs nouveaux : En cas de contentieux judiciaire portant sur la contestation du licenciement, les parties pourront, lors de l’audience devant le Bureau de Conciliation, choisir de mettre un terme définitif au litige qui les oppose en contrepartie du versement, par le défendeur au demandeur, d’une indemnité forfaitaire calculée en fonction de l’ancienneté de ce dernier, et ayant le caractère social et fiscal de dommages et intérêts. Son montant oscille entre 2 et 14 mois de salaire en fonction de l’ancienneté du salarié. Cependant, cette indemnité forfaitaire vaut réparation de l’ensemble des préjudices liés à la rupture du contrat de travail. Une telle conciliation met un terme définitif au litige nonobstant différents droits pour lesquels le salarié devra renoncer pour obtenir cette indemnité. C’est seulement à défaut de conciliation, que l’affaire est portée devant le Bureau de Jugement, qui formera sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, et justifiera du montant des condamnations qu’il prononce en réparation du préjudice subi par le demandeur.

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Avec cette disposition, le texte rompt avec le principe de réparation intégrale des conséquences de la perte d'emploi et dissuade le juge d'exercer son pouvoir d'appréciation sur l'étendue du préjudice réellement subi par le salarié. Tout ça au nom, nous dit le texte, de « faciliter la conciliation prud’homale » ! Pour finir sur le projet de loi, les règles de la prescription sont encore modifiées. En la matière, depuis la loi du 17 juin 2008, la prescription trentenaire a été ramenée à 5 ans pour les demandes indemnitaires. L’accord prévoit de ramener ces délais à 24 mois pour toute action ayant pour objet une réclamation portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail. Le salaire se prescrira lui en 36 mois si la demande est formée en cours d’exécution de contrat. Si la demande est formée dans le délai de 24 mois suivant la rupture du contrat, la période de 36 mois susvisée s’entend à compter de la rupture du contrat. Si effectivement, l’essentiel du contentieux de la rupture vient rapidement devant le Conseil des prud’hommes, il n’en demeure pas moins que celui du paiement du salaire n’entre pas dans ce cas. Bien au contraire, c’est souvent à l’occasion de la rupture que le salarié demande le paiement de son arriéré de salaire, demande qu’il ne fait pas lorsqu’il est toujours lié à son employeur. Autrement dit, l’employeur gagne 2 ans d’arriéré de salaire. Rappelons tout de même qu’en matière indemnitaire, la prescription est passée de 30 ans à 5 ans en 2008, et elle est maintenant ramenée à 2 ans. C’est donc de tout cela qu’il est actuellement question à l’assemblée nationale Les signataires considèrent qu’elle doit être votée telle quelle : Certes, les signataires sont majoritaires, on le sait depuis le 29 mars 2013, mais d’une courte tête. (51/49). Autrement dit, on voit bien que le corps syndical n’est pas homogène sur la démarche, loin s’en faut, ce qui laisse la place au législateur d’amender très largement ce texte. Lors des débats parlementaires qui vont s’ouvrir, les députés ne devront pas perdre de vue l’appréciation très largement majoritaire des personnes auxquelles s’appliqueront ces dispositions. En effet, un sondage BVA publié jeudi dernier, nous apprend que près des trois-quarts des Français sont opposés à la suppression du contrat à durée indéterminée contre 26% qui veulent sa suppression.

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Et qu’une majorité des sondés (56%) pense que pour améliorer la situation de l’emploi "il faut d’abord protéger les emplois existants et empêcher les entreprises de licencier facilement".

III - LE PROJET DE LOI D’AMNISTIE DES SYNDICALISTES Sans nul doute, les syndicalistes, comme je viens de l’indiquer, sont particulièrement exposés. Monsieur Edouard MARTIN pour le site sidérurgique Florange, Xavier Mathieu pour les « Conti »... A chaque combat social son porte-voix médiatique. Des leaders syndicaux et charismatiques qui n'ont pas hésité à s'exposer pour empêcher les licenciements et les fermetures et qui peuvent le payer cher une fois la lutte finie. Une affaire très médiatique illustre le propos, il s’agit de la condamnation de Monsieur Xavier MATHIEU qui était délégué CGT de l'usine de Clairoix, usine aujourd’hui fermée. Avec ces collègues, il refuse la fermeture de son usine le 11 mars 2009 dans le cadre d'une délocalisation, et engage une lutte radicale au cours de laquelle il est poursuivi pour faits de dégradation dans la sous-préfecture de Compiègne. Le 7 février 2010 Monsieur Xavier Mathieu est condamné à 4 000 € d'amende alors même qu'il ne reconnaît pas les faits. Refusant de donner ses empreintes génétiques, un nouveau procès a lieu le 3 juin 2010 au tribunal de Compiègne concernant son refus de se laisser prélever son ADN. Il est relaxé car la prise d'ADN pour une affaire de dégradation paraît disproportionnée selon les juges. Le parquet fait cependant appel de la décision de relaxe et un nouveau procès a lieu le 3 février 2012 où Xavier Mathieu est condamné à 1 200 euros d'amende pour avoir refusé de donner son ADN. Pour ses camarades, pour son organisation syndicale, il s’agit là en réalité de criminaliser l’action syndicale. Peut-on mettre sur le même plan un syndicaliste qui défend son emploi et un bandit de grands chemins ? Le projet de loi d’amnistie trouve sa place dans ce débat. Traditionnellement, après chaque élection présidentielle, le nouveau gouvernement propose une loi d’amnistie qui vise différents petits délits pénaux et disciplinaires. Elle couvre les infractions les moins graves en matière de circulation, les prisonniers en fin de peine ce qui leur permet de retrouver la liberté un peu plus vite, et les sanctions disciplinaires en droit du travail. La dernière loi d’amnistie prise l’a été en 2002. Elle l’avait été dès le 6 août, c'est-à-dire quelques semaines après l’élection présidentielle. En 2007, le tout nouveau président porté au pouvoir avait tout simplement refusé de légiférer sur un tel dispositif. Au nom de la rupture cette mesure de solidarité avait tout bonnement disparu.

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Les parlementaires élus en 2012 vont avoir à se prononcer sur cette question. Dès l’élection de Monsieur François HOLLANDE, la CGT avait exigé ce dispositif. En effet, après des années de criminalisation de l’action syndicale, des salariés qui n’ont fait que se battre pour le respect de leurs droits pourront reconquérir cette dignité largement mise à mal. Le Sénat a adopté mercredi 27 février 2013, par 174 voix pour contre 172, une proposition de loi visant à amnistier les faits commis à l’occasion de mouvements sociaux et d’activités syndicales et revendicatives à l’heure où les licenciements économiques et les luttes syndicales se multiplient. Porté par le groupe communiste, ce texte doit encore faire l’objet d’un examen lors d’une prochaine session de l’assemblée nationale. Il ne sera effectif que si les deux chambres l’adoptent. L’époque est rude, les conflits s’accumulent et dans cet environnement agité les militants sont en première ligne. Cette loi s’imposait, reste à en connaître la portée dans sa version définitive. Le texte actuel permet l’amnistie des sanctions disciplinaires prises par les employeurs à l’occasion de conflits du travail ou à l’occasion d’activités syndicales ou revendicatives de salariés, d’agents publics, y compris au cours de manifestations sur la voie publique ou dans des lieux publics. Lorsque ces sanctions auront été suivies d’un licenciement, la loi permettra la réintégration des salariés concernés, sauf fautes lourdes constituant une atteinte physique ou psychique. Sont également visés les faits commis à l’occasion de mouvements collectifs revendicatifs, associatifs ou syndicaux, relatifs aux problèmes liés au logement. En ce qui concerne les infractions amnistiées, le seront : les contraventions, les délits constitutifs d’une atteinte aux biens punis de 5 ans et moins d’emprisonnement, ainsi que les menaces et diffamations. Ces points permettent de faire bénéficier de l’amnistie un très grand nombre de militants actuellement poursuivis ou déjà condamnés. Dans son article 11, le projet indique : « la suppression des empreintes génétiques issues des traces

biologiques recueillies dans les fichiers de police ainsi que l’ensemble des informations nominatives

relatives aux délits mentionnés à l’article 1er

recueillies à l’occasion des procédures d’enquête et des

procédures judiciaires dans les fichiers de police judiciaires.

L’amnistie emporte amnistie de l’infraction prévue au premier alinéa II de l’article 706-56 du Code de

procédure pénale, lorsque les faits qui ont été à l’origine de la demande de prélèvement biologique sont

eux-mêmes amnistiés »

Le texte n’est pas encore en application qu’il soulève déjà les foudres du MEDEF. En effet, sa présidente, Madame Laurence PARISOT n’hésite pas à parler d’"un appel à encourager la destruction et le cassage". Ainsi, une partie des condamnations prononcées sous la présidence de Nicolas Sarkozy pourrait être amnistiée si cette loi était promulguée… Il s’agit d’une première étape. Le passage devant l’Assemblée nationale en mai prochain devra être l’occasion de gagner la décriminalisation de toute action syndicale et associative revendicative.

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Notre pays est un pays de révolution et notre syndicalisme est de toute évidence empreint de cette riche histoire. Riche des combats des travailleurs pour leur émancipation, riche des luttes de femmes pour l’égalité, le droit de vote ou plus simplement pour l’égalité. Le droit syndical est donc un droit acquis de « longue lutte ». C’est par la lutte, c'est-à-dire par la confrontation d’intérêts antagonistes que les grands acquis sociaux ont vu le jour. Il est d’ailleurs inscrit dans le marbre du préambule de la constitution qui rappelle « 5. Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé, dans son travail

ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances.

6. Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et adhérer au syndicat de

son choix.

7. Le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent.

8. Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des

conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises ».

Des droits constitutionnels qu’il convient de rappeler dans ces périodes tourmentées.

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VICES ET VERTUS DES FUSIONS-ACQUISITIONS

Benjamin WILLIAMS,

Maître de conférences en sciences de gestion,

Ecole Universitaire de Management-Université d'Auvergne Clermont 1, CRCGM EA 3849

I - Brève histoire des fusacs

II - Motivation des fusacs

III - Performance des fusacs

ous posons ici la question de savoir si les fusions – acquisitions (ci-après : les « fusacs ») créent ou non de la valeur ? La création de valeur est en effet une problématique centrale dans les sociétés de capitaux dont les politiques industrielles, commerciales ou financières

sont jugées à l’aune de la création de valeur actionnariale. Il s’agit certes d’un parti pris, car le problème pourrait être regardé sous un angle différent ; celui des salariés par exemple, ou bien celui des tiers extérieurs à l’entreprise (clients et fournisseurs), mais nous nous limiterons à la création de la valeur actionnariale car, dans le système de gouvernance des sociétés de capitaux, la part dévolue aux actionnaires demeure primordiale. On peut partir du principe que le comportement des actionnaires obéit à une rationalité économique qui les mène à maximiser la valeur actionnariale. La richesse des actionnaires provient des bénéfices issus de l’exploitation de l’entreprise, lesquels bénéfices sont soit distribués, soit mis en réserve sous une forme ou sous une autre. Cette augmentation des réserves se traduira ceteris paribus par une augmentation de la valeur des actions (i.e., le cours de bourse pour une société cotée). Une question qui a souvent été posée par la finance est de savoir si les fusacs créaient ou non de la valeur, autrement dit ont-elles plus de « vertus » que des « vices », de matière strictement financière s’entend ? Nous limiterons ici notre propos aux seules sociétés cotées pour des raisons liées aux études empiriques produites par la finance académique.

I - BREVE HISTOIRE DES « FUSACS »

Une brève analyse historique du capitalisme moderne fait apparaître des vagues successives de fusions et d’acquisitions. Nous nous référerons ici au papier de Lipton (2006). La première vague remonte au tournant du XIXe et du XXe siècle. C’est l’époque des fusions horizontales dans l’industrie lourde : mines, acier, pétrole, chemins de fer (1893-1904). Les entreprises poursuivent alors une logique de gains de parts de marché d’une part, d’économie d’échelle d’autre part. S’en suit sur la période 1919-1929, une deuxième vague de fusions verticales, pour l’essentiel dans le secteur de l’automobile. Elles tendent à rationaliser le processus de production par l’intégration de la chaîne de valeur au sein d’une seule et même entité. Ces stratégies industrielles permettent d’accroître la productivité du capital. La troisième vague est datée par Lipton (2006) de 1955 à 1969-1973. Elle prend donc fin avec l’avènement du premier choc pétrolier. Alors que les deux premières vagues obéissaient à des logiques de « métiers », il

N

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s’agit ici d’une logique de diversification du portefeuille d’activités, qui vise à diminuer le risque supporté par la société mère. Naissent à cette époque les grands conglomérats : IT&T, LTV, Teledyne, Litton,… La quatrième vague (1974-80-1989) va être marquée par des opérations hostiles d’offres publiques d’achat (OPA) recourant souvent à l’effet de levier financier (opérations de LBO). Ce levier est utilisé pour augmenter la rentabilité économique des fonds propres mais s’accompagne d’un endettement important des sociétés. Au final ces opérations détériorent la structure financière et augmentent le risque des entités sur l’ensemble de leurs capitaux permanents (fonds propres et dettes financières). Il est à noter qu’un nombre important de ces opérations ont été financées par des obligations à haut rendement, alors appelée « junk bonds ». La cinquième vague de fusacs est marquée par un retour à la course aux économies d’échelle avec les méga-fusions (« mega-deals » pour reprendre le terme utilisé par Lipton dans son papier de 2006) : Mobil / Exxon, Warner-Lambert / Pfizer, Time Warner / America Online…

II - MOTIVATION DES « FUSACS » Selon Chalençon (2011), « (…) une part importante des travaux considèrent, de manière globale, que l’objectif de la mise en œuvre des fusions-acquisitions est la performance : la performance anticipée de ces opérations étant dans de nombreux cas un facteur clé pour justifier la mise en œuvre d’une opération (Meier et Schier, 2009). Alors même que les études sont plutôt mitigées quant à l’impact des fusions-acquisitions sur la performance des entreprises, elles se sont pourtant fortement développées et reprennent actuellement un rythme de croissance soutenu ; la performance intervenant toujours comme une justification de leur mise en œuvre. Ce paradoxe est très présent dans la littérature » (Chalençon, 2011, p4). Ce point nous amène à revenir sur les gains qui sont escomptés dans de telles opérations. Il est possible de distinguer – au-delà des gains fiscaux – des motivations qui ont trait, en premier lieu, à la recherche de synergies économiques, ou, en second lieu, aux ambitions des dirigeants. Les recherches de synergies économiques sont bien retracées par la brève histoire des fusacs que nous venons de retracer. Elles renvoient : aux économies d’échelles (concentration horizontale) ; à l’intégration de la chaîne de valeur (concentration verticale) ; à la diversification des activités (conglomérats) ; à l’obtention d’un pouvoir de marché, c’est-à-dire la recherche d’une rente de monopoleur ou de quasi-monopoleur (concentration horizontale) ; à la diminution du coût du capital. La littérature académique mentionne aussi des causes liées aux motivations de dirigeants : il peut s’agir notamment de stratégies de construction d’empires ou de stratégies d’enracinement. On comprend dès lors que de telles stratégies ne servent pas nécessairement les intérêts des actionnaires, qui poursuivent un objectif d’accroissement de leur richesse (i.e., création de valeur actionnariale). De tels conflits d’intérêts (au sens économique du terme s’entend) sont potentiellement problématiques pour les porteurs de fonds propres. Si l’on règle la focale sur l’ensemble des opérations de fusacs on obtient au final des résultats pour le moins contrastés.

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III - PERFORMANCE DES « FUSACS »

La mesure de la performance des fusacs pose d’importants problèmes méthodologiques et nous renvoie à une littérature abondante à rattacher à la finance empirique. Selon Chalençon (2011, p2) : « (…) les nombreuses recherches réalisées sur ces opérations font état de résultats plutôt mitigés avec des taux d’échec pouvant excéder 50% selon les études (Buckley et Ghauri, 2002 ; Schoenberg, 2006). Malgré des résultats plutôt décevants, ce type de rapprochement d’entreprises suscite toujours l’engouement des marchés ». Ces résultats pour le moins contrastés génèrent souvent une forme d’étonnement car il semble a priori relativement contre-intuitif que de tels taux d’échecs soient observés. Comment expliquer dès lors un tel résultat ? En premier lieu, les synergies escomptées ne sont pas au rendez-vous en raison de coûts cachés : frais de superstructure liés à l’apparition d’une bureaucratie très importante pour l’essentiel. D’autre part, des problèmes liés au management apparaissent fréquemment : certaines cultures d’entreprise ne sont pas facilement miscibles, des shadow board perdurent (au sens premier du terme) bien après que la fusion n’ait été réalisée, etc. Au final, les causes de succès et les causes d’échec sont à trouver dans des aspects extrêmement divers qui sont à observer tout au long du processus de fusac. Les études mentionnent ainsi souvent, en amont, le niveau de clarté des objectifs de l’opération de fusion-acquisition comme un facteur clef de succès qui fournit un guide utile quand il est correctement formulé mais qui, a contrario, ne permet pas de donner de direction claire à l’opération lorsqu’il est confus voire inexistant. Les aspects liés à la gestion des ressources humaines sont aussi très importants car de telles opérations induisent un changement organisationnel qui doit être piloté au niveau de l’ensemble de la structure. La littérature académique nous renvoie donc invariablement aux motivations intrinsèques des fusions-acquisitions qui peuvent être créatrices de valeur si tant est qu’elles obéissent à une forme de rationalité économique qui crée plus de bénéfices marginaux qu’elle n’engendre de coûts marginaux. Si tel est le cas une survaleur née de l’opération qui la rend, au final, « vertueuse ». Toutefois, toutes les fusacs ne connaissent de tels succès, et certaines d’entre elles engendrent une destruction de valeur actionnariale lorsque les coûts (directs et indirects) de l’opération supplantent les bénéfices. Au-delà de ces aspects liés à la rentabilité économique des fonds propres, il convient aussi de mesurer la performance des fusacs à l’aune d’autres critères de performance, plus qualitatifs, comme ceux qui figurent dans le bilan social de l’entreprise. Autrement dit, il convient de pratiquer de manière connexe une évaluation extra-financière de la performance des opérations de fusacs. Références bibliographiques

Chalençon, L. (2011), « La performance des fusions-acquisitions : une revue de la littérature », 2ème colloque franco-tchèque « Trends in International Business », Lyon, 21pp. Lipton, M., 2006, “Merger Waves in the 19th, 20th and 21st Centuries”, Osgoode Hall Law School, York University, Working Paper, 22pp.

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Table des matières

PROPOS INTRODUCTIFS : PRESENTATION DE LA PROBLEMATIQUE DES RESTRUCTURATIONS D’ENTREPRISES ................................................. p. 4 Alain LE POMMELEC,

Maître de conférences de droit privé, Ecole de droit-Université d'Auvergne Clermont 1, CMH EA 4232

COMMENT ENCADRER LES RELATIONS CONFLICTUELLES ENTRE DIRIGEANTS ET INVESTISSEURS ? ................................................. p. 10 Me Marc AMBLARD,

Maître de conférences, Aix Marseille Université

Avocat, Société d'Avocats AMBLARD, Ingénierie juridique des restructurations d'entreprises

I - FINANCEMENT DES ENTREPRISES : QUAND LES INVESTISSEURS PRIVES PALLIENT LE REPLI DES BANQUES II - LE « PRIVATE EQUITY » OU FINANCEMENT PAR FONDS PROPRES III - CONFLITS DIRIGEANTS / INVESTISSEURS ET MODES DE RESOLUTION LORS DE L’ENTREE DANS LE CAPITAL IV - CONFLITS DIRIGEANTS / INVESTISSEURS ET MODES DE RESOLUTION EN COURS DE VIE V - CONFLITS DIRIGEANTS / INVESTISSEURS ET MODES DE RESOLUTION LORS DE LA SORTIE

RESTRUCTURATIONS D’ENTREPRISES : REGARDS SOCIOLOGIQUES ............................................................................. p. 15 Sacha LEDUC,

Maître de conférences de sociologie, Ecole de droit-Université d'Auvergne Clermont 1, CMH EA 4232

I - AUX ORIGINES DE LA MODERNISATION DES ENTREPRISES II - DE LA MODERNISATION A LA SOUFFRANCE AU TRAVAIL III - LA FONCTION SOCIALE DU TRAVAIL

L’ACCOMPAGNEMENT DES RESTRUCTURATIONS D’ENTREPRISES PAR LES JURIDICTIONS CONSULAIRES ........................................................ p. 21 Edith CANDELIER,

Présidente du Tribunal de commerce de Clermont-Ferrand

I - LES MOYENS DE LA PREVENTION II - LES PROCEDURES COLLECTIVES

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ASPECTS SOCIAUX DES RESTRUCTURATIONS. RESTRUCTURATIONS

D’ENTREPRISES A LA LUMIERE DE L’ANI JANVIER 2013 ................................. p. 28 Me Michel MORAND,

Professeur associé de droit privé, Ecole de droit-Université d'Auvergne Clermont 1, CMH EA 4232

Avocat Cabinet Barthélémy

I - RESTRUCTURATIONS SANS DIMINUTION DES EFFECTIFS A - L’accord de mobilité (art. L.2242-21 à L.2242-23 du Code du travail)

1) Ses caractéristiques 2) Son contenu 3) Ses effets sur le contrat

B - L’accord de sécurisation de l’emploi (art. L.5125-1 à L.5125-6 du Code du travail) 1) Ses caractéristiques 2) Son contenu 3) Ses effets sur le contrat de travail 4) Suspension judiciaire de l’accord

II - RESTRUCTURATIONS QUI AFFECTENT LES EFFECTIFS DE L’ENTREPRISE A - La réduction temporaire des effectifs B - La réduction définitive des effectifs

1) Le déroulement de la procédure 2) Le retour de l’Administration 3) La place du juge

ANI : REGARDS SYNDICAUX A LA LUMIERE DE L’ACTUALITE .............. p. 35 Dominique HOLLE,

Président du Conseil des Prud’hommes de Clermont-Ferrand

I - DEUX MONDES QUI S’AFFRONTENT ET QUE TOUT OPPOSE II - LE PROJET DE LOI SUR LA FLEXISECURITE III - LE PROJET DE LOI D’AMNISTIE DES SYNDICALISTES

VICES ET VERTUS DES FUSIONS-ACQUISITIONS ...................................... p. 48 Benjamin WILLIAMS,

Maître de conférences en sciences de gestion, Ecole Universitaire de Management-Université d'Auvergne

Clermont 1, CRCGM EA 3849

I - BREVE HISTOIRE DES FUSACS II - MOTIVATION DES FUSACS III - PERFORMANCE DES FUSACS

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MENTIONS LEGALES

La Revue (Centre Michel de l'Hospital)

ISSN 2273-872X

éditeur Centre Michel de l'Hospital CMH EA 4232

Ecole de Droit-Univ. d'Auvergne 41 boulevard F. Mitterrand

CS 20054 63002 CLERMONT-FERRAND Cedex 1

[email protected]

directeur de la publication Ch-André DUBREUIL, Professeur de droit public, Directeur du Centre Michel de l'Hospital CMH EA 4232

rédacteur Alain Le POMMELEC, Maître de conférences de droit privé, Centre Michel de l'Hospital CMH EA 4232

parution n°5, juin 2014