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Notes du mont Royal Cette œuvre est hébergée sur « No- tes du mont Royal » dans le cadre d’un exposé gratuit sur la littérature. SOURCE DES IMAGES Bibliothèque nationale de France www.notesdumontroyal.com

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Notes du mont Royal

Cette œuvre est hébergée sur « No­tes du mont Royal » dans le cadre d’un

exposé gratuit sur la littérature.SOURCE DES IMAGES

Bibliothèque nationale de France

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Livraison de la Collection.

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THÉATRE

EUROPÉEN.wA;

tIMPRIMERIE DE E. DUVERGER,

6, RUE DE VERNEUIL.’ î

t n

THÉATRE

- EUROPÉENNOUVELLE COLLECTION

DES CHEFS-D’OEUVRE DES THÉATRES

ALLEMAND, ANGLAIS, ESPAGNOL,

DANOIS, FRANÇAIS, HOLLANDAIS, ITALIEN, POLONAIS,

RUSSE, SUÉDOIS, me.

AVEC DES NOTICES ET DES NOTESHISTORIQUES, BIOGRAPHIQUES ET CRITIQUES

PAR MM.

J. J. AMPÈBE; AVENED; le baron DE BABANTE, de l’Académie française; BERR; CAMPENON , de l’Académie française;

Philarète (Saunas; 0mm; Alissan DE CHAZET; Léonard CHODZKO; 001mm; DEFAUCONPRET; DELATOUCHE;

A. DE LATOL’R; DENIS; Émile DESCHAMPS; Ernest DESCLozmux; Alexandre Bains; Paul Dvpom;

Léon GozLAN; GDIzAIm; GUIZOT; DAMAS-11mm; Jules 1mm; LEBRUN; LOEVE-VEIMAns; MAGNIN;

SAINT-MARC GIRAnDIN , X. MAXWER; MENNEanT; P. MÉRIMÉE; MERVTLLE;

prince METSCIIEIISIIY; Théod. MURET; NISARD; Charles NODIER, de l’Académie française ;’Amédée PICHOT;

comte DE REMUSAT; comte DE SAINT-AULAIRE; Jules DE SAINT-FÉLIX; comte Alexis DE SAINT-PRIEST;baron "muon; TEOGNON’; VILLEMAIN, de l’Académie française;

Madame la duchesse D’ADRANTES; etc. , etc.

fi.- üéâtre fatin moùerne.

PARISED. GUEIuN ET en, ÉDITEURS, RUE DU DRAGON, 30.

14355

Notes du mont Royal

Une ou plusieurs pages sont omises ici volontairement.

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PÉZOPHILE

L E J Û U E U B

(ipse-.wpljilns saint 211mm)

COMÉDIE EN TROIS ACTES,

DU PÈRE PORÉE,DE LA SOCIÉTÉ ne JÉSUS.

--------.-b090fiI-r-----

NOTICE SUR LE JOUEUR.

Les Jésuites ont un thé-âtre immense : tra-gédies, comédies, pièces satiriques dans le ,genre d’Aristophane 4, lis se sont essayés -dans tous les genres, en latin et en français.Le latin cependant est leur langue de prédi-lection; c’est en latin qu’a écrit le pèrel’orée.

Voltaire , déjà vieux, disait que si onpouvait assister aux leçons d’hommes aussiaimables et aussi ingénieux que le père Po-rée, il irait, tout vieux qu’il était, s’asseoir

quelquefois encore sur les bancs. Ce n’estpas le seul hommage que Voltaire ait renduau père Porée, son ancien professeur; il n’apas dédaigné dans son Brutus d’emprunterau Brutus du père Porée quelques traits sn-blimes. C’était, j’imagine, de la part de l’é-

lève une manière d’attester sa reconnais-sance et son attachement pour son ancienmaître.

Les comédies du père Porée sont moinsconnues que ses tragédies. J’ai cru même

pendant long-temps , sur le titre de cespièces faites pour le collège, que c’étaient

quelques-unes de ces froides imitations dePlante. et de Térence, comme il y en a beau-coup dans le théâtre des Jésuites , plutôt desexercices de style quc des drames. En lisant

(l) Voir la Femme docteur, du père Bougeant , quenous publierons dans le Théâtre Européens

Tu. LATIN-MODERNE.

les comédies de Porée, j’ai été étonné d’y

trouver plus de génie comique que dans sonélève Voltaire. Le génie comique est un deceux qui ont manqué à Voltaire. Je regardele père Porée aujourd’hui comme un de nos

meilleurs auteurs comiques , et cela sansparadoxe. Sans doute sa plaisanterie a moinsde verve et d’abandon que celle de Dancourt;son dialogue est moins vivant et moins fa-milier que celui de Picard. Il faut se souve-nir de son auditoire; ses pièces étaient faitespour le collége, écrites en latin, jouées pardes élèves. Il n’oublie jamais la réserve deson état; mais , en dépit de ces entraves , saplaisanterie est fine et mordante , sa gaîté estfranche , naturelle et toujours de bon goût,digne vraiment de la gaîté des enfants quilui servaient d’acteurs , de cette gaîté dujeune âge , où il n’y a encore ni cynisme, nimauvais ton , ni grossièreté. ’

Le père Porée avait un goût singulier etun instinct naturel pour la comédie. Sonplaisir était d’apprendre à ses élèves à la

jouer; il avait donc aussi le talent de la miseen scène , ce qui fait aujourd’hui, à tort ouà raison , une grande partie de l’art dramati-que. Le jésuite éditeur de ses comédiesexplique dans une préface latine les soinsque se donnait le père Porée à cet égard etles succès qu’il obtenait. Ses acteurs avaientsur le théâtre l’aisance de jeunes gens de

7,

44 NOTICE SUR LE JOUEUR.bonne famille, sans rien avoir de la har-diesse des acteurs de profession; leur jeurépondait à la situation sans jamais l’exagé-

rer; leurs gestes n’avaient ni emphase, ninégligence, ni mollesse; leur contenance ,leur port, leur démarche, le mouvementde leur tête, de leurs bras , de leurs doigtsmême avaient une grace naturelle, éloignéede l’art, mais noble et digne, et qui char-mait l’assemblée la plus distinguée. Il lesexerçait avec soin aux différents tous de laconversation , à baisser, à élever, a tendre ,à relâcher la voix , afin qu’ils eussent pourchaque scène l’accent juste et convenable.Quand on joue la comédie pour son plaisiret dans le monde , jamais le ton et le gestene. doivent aller jusqu’où vont les acteurs dethéâtre; les acteurs du père Porée savaienttrouver ce point d’arrêt avec une mesureparfaite, mesure qu’ils tenaient des leçons deleur maître.

On connaît le Joueur de Regnard; on saitcombien l’intrigue, sans être forte , a ce qu’il

faut pour mettre en relief la passion du jeu.Le joueur est entre son amour pour le jeu etson amour pour Angélique; quand il a perdu,il est très amoureux; gagne-t-il, il oubliesa maîtresse. Cette situation est piquante etgaie. Le père Porée n’a pas pu mettre sonjoueur entre l’amour de sa maîtresse et l’a-mour du brelan ; le théâtre des Jésuites n’ad-

met point de femmes , et même , ce qu’il fautremarquer, c’est l’habileté avec laquelle ils

ont su se passer de ce grand ressort drama-tique. Pour remplacer l’amour, ils ont ap-pelé à leur aide d’autres passions et des pas-

sions également douces et tendres , ne vou-lant pas renoncer à émouvoir et à toucher..Dans son Brutus, Porée a fait un admirableusage de l’amour fraternel. Dans Voltaire ,c’est l’amour que Titus a pour la fille deTarquin, amour qui parait gauche et mal àl’aise au milieu de l’austérité républicaine

du sujet, qui pousse Titus à trahir sa patrie.Dans Pore’e , c’est pour sauver son frère queTitus consent à devenir coupable, et c’est dela que naît le.pathétique du drame. Dans sonJoueur, Porée a pensé que le pathétique aussi

devait avoir sa place. Le Joueur de Regnardest toujours comique; mais quand nous lelisons il nous vient quelquefois à l’esprit quedans un drame fondé sur la passion du jeu, ildevrait y avoir quelque mot de douleur etd’effroi. Le père Purée a su dans sa comédiefaire la part a l’élément tragique, et il l’a

faite avec discrétion. Bien de romanesque,rien d’inattendu, rien qui sente les coupsde théâtre. Après nous avoir montré le joueur,tantôt ravi de joie, tantôt désespéré, selonles chances du jeu ; après nous avoir fait rireà ses dépens , il amène près de ce joueur entrain de se ruiner un joueur déjà ruiné.Ù L’idée de cette scène est simple et natu-

relle. Pézophile , le joueur , a reçu de sononcle de l’argent pour acheter un régi-ment; Atychès vient lui offrir son fils, jeunehomme de la plus haute espérance , duplus heureux caractère; quoique d’une fa-mille noble , il veut l’engager comme simplesoldat. La conversation s’établit entre Atychès

et Pézophile. a Pourquoi voulez-vous qu’ilsoit simple soldat? - J’ai éprouvé des mal-heurs. -- Lesquels? a Peu à peu la confiancearrive, et enfin , avec une progression admi-rablement suivie, Atychès laisse tomber cesmots z nJ’ai été ruiné par le jeu.» Toute

cette scène est grande et belle , et donne a lapièce une intention morale qui n’est pas assezmarquée dans le Joueur de Regnard.

Si les pièces du père Porée n’étaient quedes leçons de morale et des comédies d’édu-

cation , elles ne mériteraient pas d’être con--nues hors du collége; mais il y a dans toutesses comédies des traits d’un vrai génie co-mique. Je citerai la scène où Pézophile, ayantperdu tout son argent, s’indigne que sonvalet ait osé jouer ses gages et les ait per-dus. a Aller jouer cent écus! -Je suis cou-pable, je l’avoue, répond Parménon; maisque voulez-vous, monsieur, c’est la forcede l’exemple. --- Malheureux que je suis!s’écrie alors Pézophile, avec ces cent écusje pouvaish’attraper la fortune. Tu es un mi-

rable; tu nous a perdus tous deux! aCe joueur qui, s’il avait cent écus, rat-

traperait la fortune , et qui maudit son valetd’avoir joué ses cent écus, son dernier es-poir, n’est-ce pas la un caractère pris sur lefait? n’est-ce pas la Molière ou la nature elle-

même P I -SAINT-MARC GIRARDIN. *

(l) Note des éditeurs. Nous aimons à répéter ici quec’est à M. Saint-Marc Girardin que nous devons l’idée defaire insérer dans le Théâtre européen lesœuvres drama-tiques du père l’orée , cet esprit ingénieux et facile, dom

le talent a quelque chose de si naturel et de si mon-dain à travers toutes ses réminiscences scolastiques.Nous espérons faire connaître aussi, toujours sous lesmêmes auSpîces, le père l’orée comme auteur tragi-

que, par la traduction de Sephœbus. La pièce duJoueur a été traduite par M. Gourmcz.

LE JOUEURCOMÉDIE.

PERSONNAGES.

PÉZOPHILE , joueur.

CHRYSORE, oncle paternel de Pézophile.; CLÉOBULE , parent et ami de Pézophile.

" ’PABMÉNON , valet de Pézophile.

- ATYCHÈS, homme noble, autrefois ruiné

’pummj PHILOCLÈS , fils d’Atychès.

GRYTABIOPOLE, marchand de curiosités.

ASTRAGALE, joueur-MÉGACHRISE , bourgeois opulent.

ACESTES, fripier.PSEUDOLE , valet d’Astragale.

ESCHROKERDES, usurier et créancier dePézoIihile.

AGBION, fermier.

La scène se passe chez Chrysore.

PROLOGUE.Ë V Un grand nombre de jeux variés furent in-ventés: autrefois pour délasser l’esprit, et de

justeslouanges ont récompensé les inven-car le travail épuiserait l’intelligences’il n’était interrompu par une agréable di-

version. C’est ainsi que la terre, après avoirrevêtu les prairies de fleurs, les champs deriches moissons, les bois d’une verte parureet épanché de son sein des trésors variés, se

repose enfin elle-même, et, suspendant sestravaux, se prépare par une douce inactionà un nouvel enfantement. Mais le jeu accordéaux esprits pour les distraire cesse d’être unjeu par l’abus coupable que nous en faisons.Le jeu est devenu une fureur î. On ne donne

(l) Non, à présent le jeu n’est qué fureur:On joue argent, bijoux, maisons, contrats, hon-

neur. .BEGNARD.

,ce passage rappelle la belle sortie de Juvénal contrele jeu z

Alec quandoBas animas? neque enim loculis commutions tzar4d casum tabulæ, posita sed luditur area.Prœlta quanta illic dispensatore videroisArmigero! simplex ne fluor serreroit: cermnnPerdue; et narrerait tunicam non redderc serra?

plus au jeu. une petite portion de la journée;ce sont les jours entiers et les nuits entièresqu’on lui consacre. Jadis on confiait auxchances de la fortune une valeur minime; levainqueur ne cherchait pas le profit, maisla récompense de son adresse et le vaincuperdait sans regret. Maintenant une tableperfide se couvre de richesses immenses qu’yjette une main prodigue, poussée par l’amourdu gain. On porte au jeu son coffre-fort. Cesont les destinées des familles qu’on agitedhs un cornet plus fatal que l’urne de Minos,et un seul coup de dé renverse une maisonde. fond en comble. Nous allons montrer dansl’histoire d’un malheureux jeune homme un

grand exemple de cette passion funeste. Cetexemple, l’âge mûr aussi bien que la vieillesse

pouvait nous le fournir. Tous les âges se li-vrent à ces périlleux hasards, mais les mal-heurs d’un jeune homme instruiront mieuxla jeunesse de ses dangers. Vous tous, hom-mes d’un âge mûr ou vieillards, pour qui lesjeux chastes et sévères ont des charmes, soyezfavorables a une récréation chaste et sévère.

4c LE JOUEUR,ACTE PREMIER.

s C E N E 1.

PÉZOPHILE, assis à une table chargée de des,

de cornets, etc.

En vain j’invoque le sommeil, il n’y en aplus pour le joueur ruiné... Malheureux queje suis! perdre tant d’argent dans une seulenuit! O fortune perfide! ô jeu fatal! (Il saisitles des et les regarde d’un’ œil égare.) Mais

qu’ont-ils donc ces dés pour tourner toujourscontre moi quand c’est moi qui les jette.Soyez maudits, dés perfides! (Il jette loin delui les des.) Maudit soit celui qui le premiervous inventa pour la perte des hommes!

SCÈNEIL

PÉZOPHILE, PARMÉNON.

PARMÉNON.

Que faites-vous la, mon cher maître?PÉZOPBILE.

Cornet perfide!Hanneton.

Pourquoi toucher encore ces armes assas-sines?

rézorann.Que me veux-tu, coquin?

PARMÉNON, à part.

Salutation de bon augure. (à son math-e.)Ce que je vous veux? beaucoup de biencomme à moi-même... Je voudrais que vousprissiez du repos et moi aussi.

PÉZOPHILE.

Retire-toi et va te coucher.PARMÉNON.

Hélas! puis-je fermer l’œil, mon maître,

quand vous ne prenez pas le moindre repos,quand vous vous tuez en vous privant desommeil?

rézornuaz.

Quelle heure est-il?PARMÉNON.

Regardez à votre montre.PÉZOPHILE. I

Que dis-tu, pendard?PARMÉNON.

Pardon, monsieur, j’avais oublié qu’hier...

étant au jeu...PÉZOPBILE.

Mais je t’en ferai souvenir, mauvais plai-saut!

rAnMÉNon.

Vous demandez quelle heure il est; il fautinterroger le soleil. (Il regarde le soleil.) De-puis Ie lever du soleil et le coucher de votrefortune il peut être la seconde ou la troisième

heure. iPÉZOPHILE.

Bien. Personne n’est-il venu depuis quej’attends ici le sommeil?

mensuels. .Il est venu un Mi... Misargidcs, unje ne sais qui; il se disait mandé par vous.

PÉZOPHILE. y ’Je n’ai pas mandé cet homme et je; ne le

connais pas.PARMÉNON.

Il a dit qu’il reviendrait.

Panorama. vQu’il revienne; pour toi, vaçt-en; laisse-smoi.

PARMÉNON, le regardant.

Mon maître!PÉZOPBILE.

Hélas! je ne puis dormir et la veille m’est

insupportable. -PARMÉNON. ,

Mon maître, que ne pouvez-vous vous re-.garder dans le miroir qui n’est plus 13.;anvous seriez triste de vous voirlA peine vousreconnaîtriez-vous avec ces joues creuses et

ces yeux livides. lPÉZOPBILE.

Encore ici! ’’ PARMÉNON.

Que je meure si vous n’êtes aussi enrayantet aussi pâle que cet homme attaché par lespieds à un char et traîné, la tête renversée,autour des murs d’une ville, sur cette tapis-serie flamande qui décorait les murs de cettechambre à. coucher avant que...

PÉZOPHILE.

Mais tu veux faire le plaisant, je crois, fouque tu es.

PARMËNON.

Voyez la maigreur où m’a réduit mon ser-vice , monsieur, et jugez vous-même si j’aienvie de rire...PÉZOPHILE, le menaçant des yeux et du geste.

Si tu ne te sauves au plus vite, je te...PABMÉNON.

Où voulez-vous que j’aille?PÉZOPHILE.

Va te faire pendre.

ACTE 1, SCÈNE u. 47PARMÉNON.

Aller me faire pendre? Plus tard peut-être,maintenant je vais me coucher, puisque vousn’écoutez pas mes avis; je ronflerai pendantque vous veillez.

rÉzormLE.

Malheureux ! mille tourments me dévorent.Que faire? quel parti prendre?- Holà! Par-ménon.

PARMÉNON, sur l’arrière-scène.

Pourquoi me ra ppelez-vous?PÉZOPHILE.

Viens ici.parmesan.

Me voilà.rÉzornxLE.

Joue avec moi.PARMÉNON.

Jouer avec vous? le valet avec son maître!PÉZOPHILE.

le le veux; je Pardonne.ranmnuou.

Que ne jouez-vous avec vous-même.rnzorann.

Avec moi PPARMÉNON.

Eh! oui, avec vous, la main droite contrela main gauche. v

PEZOPHILE.

Approche, te dis-je.PARMÉNGN approche timidement sa chaise et

s’assied par respect loin de la table et de côte.

Quels seront les enjeux?PEZOPHILE.

Dépose ce que tu as.PARMENON.

J’ai tout ce que vous m’avez donné... c’est-

à-dire rien.PÉZOPHILE.

Je te dois des gages , jouons-les.PARMÉNON.

Hélas! mes gages sont déjà joués et per-dus, sans que j’aie touché un cornet; ainsi...

PÉZOPHILE.

Allons , prends les des et jette-les.PARMÉNON.

Dois-je jouer le premier?PÉZOPHILE.

Ohéis.

PARMÉNON.

J’obéis; d’ailleurs je ne risque rien. (Il jette

les des , et compte seize.) Seize! faites mieux,si vous pouvez.

PÉZOPBILE jette à son tour les des et compte

i dix-huit.Eh, regarde! compte.PARMENON.

Trois fois six. Bravo, mon maître a vousla partie. Ramassez! *

PÉZOPHILE.

Comme la fortune insolente se joue de moi !parce qu’il n’y a rien à gagner , la perfidecommence ses caresses. ( à Parmenon. ) Enlève

h cette table.(PezOphile se lève.

PABMÉNON écartant la table.

Oh! si les des vous avaient été aussifavorables la nuit dernière , que votre sort,comme le mien, serait différent! Vous au-riez de quoi acheter une compagnie de ca-valerie et un équipement de guerre 3 je vousaurais suivi dans les camps; la nous nousserions distingués tous les deux. A vous lesvivants, à moi les morts, dont j’aurais en-levé les glorieuses dépouilles. Je me sensné pour les exploits militaires !

PÉZOPHILE.

Infortuné! que dira mon oncle? Eh!qu’importe ce qu’il dira; mais que va-t-ilpenser? Quelle surprise, quelle douleur ,quand il apprendra qu’un argent empruntésans son autorisation est déjà joué et perdu !

PABMÉNON , s’approchant de la porte.

Monsieur , j’entends la voix de votre on-cle; il approche avec Cléobule. Voilà le mo-ment de montrer du courage.

PÉZOPHILE.

Je n’oserais soutenir sa présence.PABMÉNON.

Où courez-vous PPÉZOPHILE.

Je me cache dans ce cabinet, demeure icien sentinelle et empêche que personnen’entre.

’ PARMÉNON.Cela va sans dire, vous prenez le rôle du

chef et vous me laissez l’emploi et les pé-rils du soldat; c’est la coutume. Mais si vo-tre oncle vientà parler de l’argent emprunté,

de la compagnie de cavalerie, que répon-drai-je?

PÉZOPHILE.

Ce que tu voudras.PARMENON.

L’ennemi approche; la peur me gagne;car ce ne sont pas la des ennemis morts adépouiller. Dissimulons notre peur par unsommeil (le commande et veillons en dor-niant.

(Il s’assied et balance la tête comme s’il dor-

mait. )

SCÈNEIU.CHRYSORE, CLÉOBULE, PARMÉNON.

cnnrsonn.Voilà le valet de Pézophile, ce garnement

48 LE JOUEUR,de Parmenon; interrogeons-le. Dis-moi ,drôle...

PARMÉNON renverse et étendant les bras comme

un homme à demi assoupi.Qui... quoi... je vous prie... la , la... par-

lons bas.CHRYSOBE, enflant la voix.

Et pourquoi parler bas, quand les cla-meurs sont de saison?

Parmenon.Baissez la voix, de grace, n’interrompcz

pas le sommeil d’un infortuné valet.CHRYSORE.

Grand dommage, en vérité! Où est tonmaître? Où a-t-ll joue? ( Il secoue Parmenonpour le réveiller.) Où a-t-il passé la nuit?

PARMÉNON.

C’est la qu’il fait sa nuit de jour; c’est laqu’il est couché, c’est la qu’il dort.

CHRYSORE.

Il dort, quand il devrait être depuis long-temps éveillé! A quelle heure est-il rentré?

Parmenon.Oh! de bonne heure; carà peine le jour

commençait à poindre.CHBYSORE.

De bonne heure! Ne rentrer qu’avec lejour!

PARMÉNON.

Bien loin d’imiter certaines personnes dela cour, qui marient le jour et la nuit dansleur sommeil, il est beaucoup plus matinalque les plaideurs eux-mêmes.

causons.Vous voyez, Cléobule, le bel amendement

dont vous parliez; il passe les nuits dehors,il...

CLÉOBULE.

On rencontre des compagnies dont on nese dégage pas aisément.

PARMÉNON à part.

Nous en rencontrons tous les jours.cnavsonn.

Dites qu’il s’est tellement embarrassé dans

les filets d’une passion maudite qu’il ne peutou ne veut plus s’en arracher. Mais, réponds-moi, Parmenon. Tu étais hier avec Pézo-phile lorsqu’il a emprunté de l’argent à Gé-

route?Parmenon.

J’étais présent de ma personne.

causons.Pourquoi demandait-il cet argent?

Parmenon.C’est vous qui le demandez! comme si

vous ne le saviez pas ?cnavsan.

Tu n’as pas tort; je ne le sais que trop.l! empruntait pour jouer.

Parmenon.N’allez pas soupçonner ce qui n’est jamais

entré dans sa pensée.

CHBYSORE.

Pourquoi donc empruntait-il cet argent?Parmenon.

Pour acheter une compagnie de cavalerie,comme vous l’aviez ordonné.

cnnxsonE. .Comme je l’avais ordonné? Mais je n’avais

pas ordonné qu’il empruntât. Il l’a donc ache-

tee, cette compagnie?PARMÉNON, d’un air inquiet et embarrasse.

Eh! eh! le marché n’est pas encore com-

plètement terminé.

amusons.Quand le sera-t-il?

uraniums.Eh!... ma foi... on ne peut trop fixer pré-

cise’ment...

oursons.Pourquoi?

Parmenon, prenant un air piteux.Parce qu’il nous est arrivé une grande in-

fortune.cnnvsona.

Aurait-il déjà joué cet argent? Parle ,malheureux, dis, parle , explique-toi.

Parmenon.Ne criez pas, je vous en prie, n’allez pas

encore rompre son sommeil comme vous avezrompu le mien.

amusons. -Je ne sais ce qui me retient d’entrer dans

ce cabinet...Parmenon.

Mon Dieu! mon Dieu!l je vous en prie,apaisez-vous.

CLÉOBULE.

Donnez a Parmenon le temps de s’expli-Iquer.

censeur.Je suis sûr qu’il a joué mon argent, ne pou-

vant plus jouer le sien.PARMÉNON.

Vous parlez de jeu. Ah! ce n’était pas un

jeu, sur ma foi ! mais une lutte bien terri-ble.

CLÉOBULE.

Achève ton récit. .PARMÉNON.

Nous nous rendions avec impatience chezle capitaine de la compagnie à vendre , etnous avions avec nous notre argent, pourpayer comptant, quand nous tombâmes dansune embuscade de voleurs.

CHRYSORË.

De joueurs, veux-tu dire?

,..n- t- "a... . .:.;.r-.

Mm;

. TSÆ;:Ç0..-54 A? .4

ACTEI,SCÈNEIH.

. ’ Parmenon.De voleurs, de vrais brigands. Ils s’a-

dressent poliment d’abord à mon maître,puis bientôt l’environnent d’une forêt d’épées.

Il résiste autant qu’il était possible; sonbras fait flamboyer sa lame , ses yeux lan-cent des éclairs, sa voix tonne; il épou-vante le ciel même; ce qui peut vous fairevoir quel héros vous avez pour neveu etquel guerrier il promet a la patrie, (à part.)si jamais il fait la guerre. Que dirais-je en-

! core! lavaleur cède au nombre; il est vaincu,dépouillé de tout son argent. Cependant,grace à mon secours, échappé du combat , il

rentre chez lui avec son pourpoint, et sainet sauf.

causons.Misérable jeune homme!

omicrons.Son sort est sans doute à plaindre.

causons.Dites que sa faute mérite tous les châti-

ments. ,CLÉOBULE.

. Pour être tombé dans une embuscade?Mais ce n’est pas sa faute , c’est celle du ha-

sard. .» causons.Oserez-vous donc le défendre? Ne com-prenez-vous pas ce que nous raconte Par-ménoni’

PABMÉNON.

Je n’ai rien raconté qui ne soit l’exactevérité; nous sommes tombés au milieu desvoleurs , nous avons été volés.

CLÉOBULE.

Mais cela peut arrivera tout le monde , àmoi comme à vous.

PARMÉNON, à part.

Non pas a moi, car...

- cnnvsonn.Cessez, Cléobule, d’exeuser l’action laplus infime; ni votre parenté, ni votre ami-tié pour lui ne vous y obligent.

CLÉOBULE.

Loin de moi d’excuser ce qu’il a pu fairede blâmable; mais puis-je l’accuser des mal-heurs du hasard et de la fortune?

PABMÉNON.

Vous parlez à merveille, car c’est par leseul crime de la fortune que mon maître estmalheureux.CBRYSORE. Il s’assied. avec Cléobule à sa droite.

Père infortuné! oncle déplorable! J’étais

père , j’avais un fils unique , mon uniqueamour; il fréquenta des compagnies perni-cieuses. En vain je le rappelai auprès de moi,l’attrait du plaisir l’emporta; après avoirénervé son ame et son corps , il mourut bien-

t

49

tôt, enfant par l’âge, vieillard par ses vices.O mon fils! pardonne à de justes larmes...Après sa perte prématurée , le fils d’un frère

que j’avais perdu hérita de toute mon affec-tion; je vis en lui un second fils; je l’élevaiscomme un fils, je l’aimais , je le chérissais.CLÉOBULE , s’appuyant sur le fauteuil de Chrysore.

Et il était bien digne d’être aimé , par son

intelligence précoce, son bon naturel, sespenchants, sa modestie, son amabilité, sa

douceur. -’ cuanonn.Oui, il était digne d’être aimé, il l’était.

CLÉOBULE.

Et il l’est encore.CHRYSOBE.

Il l’était, Cléobule. Tous les dons de la

nature que vous venez de rappeler, la seulepassion du jeu les a corrompus; la seulepassion du jeu a changé sa douceur en iras-cibilité, sa gaîté en misanthropie, sa géné-

rosité en sordide avarice.PARMÉNON, à part.

C’est lui trait pour trait.cnnvsonE.

Du jour où le démon du jeu s’empara delui, il a négligé tous ses devoirs de société,d’amitié, d’humanité même!

CLÉOBULE.

Il vous aime, il vous révère; j’en suissûr, croyez-moi.

cnnvsonn.Je crois aux faits. M’aime-t-il celui qui,

depuis le jour de sa majorité , a méprisé mes

conseils, mes prières, mes menaces; celuiqui jour et nuit erre dans les antres du jeu;que je ne reverrais pas sous mon toit si lejeu n’épuisait sa bourse; celui qui tous lesjours me tourmente , m’inquiète , m’agitedes plus cruels soucis; qui , tout à l’heureencore , après avoir emprunté de l’argent enmon nom, l’a jeté...

PARMÉNON.

Mais je n’ai jamais dit qu’il eût...

CHRYSOBE , se levant et menaçant de la main

Parmenon.Oses-tu le nier, artisan de mensonges!

SCÈNEIV.

PÉZOPHILE, cnnrsonE , CLÉOBULE’ PARMENON.

PÉZOPHILE, sortant du cabinet et se précipitant

aux pieds de son oncle.

Il nierait en vain ce que je confesse touthaut; vous voyez à vos pieds un coupablequi avoue sa faute.

50 LE JOUEUR,cnnrsonn.

Eh! tu ne dis «rien , Parmenon?TABMENON.

Rien, je ne... ’pauma.

T’ai-je ordonné, traître , de forger des

mensonges?PARMÉNON , à part , en se relevant.

Je veux être pendu si tu me rattrapes àmentir pour toi!

s GÈNE v.

PÉZOPHILE , cnnvsona , entonne.

PÉZOPHILE.

Je ne viens pas m’excuser par de vainesparoles; que votre seule clémence plaidema cause auprès de vous , ô le meilleur desoncles! je ne demande pas grace; vousme voyez à vos pieds ;punissez , châtiez uncoupable.

CLÈOBULE.

Laissez-vous .émouvoir par un aven sisincère.

cnnxsonn.Lève-toi. Un jour peut-être te punirai-je

et en proportion de tes mérites; pour .au-jourd’hui, si tu reconnais toute l’étendue deta faute, je n’exige pas d’autre châtiment.Parle; pourquoi emprunter de l’argent àmon ami Géronte, homme sans défiance ettrop crédule?

’ rnzormLE.

La cause de cet emprunt était légitime. Jedevais acheter une compagnie de cavalerie ,cela ne pouvait se faire sans argent comp-tant; je n’en avais pas et vous m’en re-’fusiez.

cnnxsonn.Sans doute , il fallait te confier de l’argent,

a toi qui, si tu pouvais devenir marchan-dise, te serais déjà mis à prix et joué toi-même. Mais une antre question. Pourquoil’argent emprunté pour acheter une com-pagnie a-t-il été dépensé d’une autre ma-

nière P irÉzormLE.

Le hasard m’a fait rencontrer des joueurs;j’ai suivi ma destinée; et je me suis perdu.

cnnxsonn.Ta destinée! dis ton mauvais génie, ta

passion honteuse. Mais ne disais-tu pas quedésormais tu détestais le jeu?

PÉZOPHILE. hJe le disais et je le croyais... Maintenant

je le crois encore... Oui, je le sens... oui,vraiment , :j’abhorre le jeu’.

cannons.Tu l’abhorresï! Le crois-tu? île sens-ml

bien?morsure.

Comme je sens que j’existe; et pour W18en convaincre aussi, j’obéis irvos ordres,je fuis à l’instant loin de la compagnie desjoueurs , j’embrasse la carrière militaire quevous me conseillez; et, puisque dans medémence j’ai perdu l’argent que j’avais em-

prunté en votre nom, au dieu-d’officier jedeviens soldat , je «m’enrôle dans files-derniers

rangs de la milice, et je me punisttinsimdi-

même. -canonnas.Vous voyez sonrepentir. ’

oursons.Beau repentir, d’attendre pour’ha’irlle vice

qu’on ne puisse plus s’y livrer’ l

CLÉOBULE. aQuelquefois un heureux malheur 110113

corrige.

oursons. -’Un repentir tardif esterarements’ ’

rÉzormnn. -Mon repentir est tardif, mais ne doutez

pas de sa sincérité. ’ "vcnnrsonn. 1*

Tu ne te livreras plus à la fureur flu’ t?

remparez. eJamais! jamais!cnnxsonn. p ,

Malgré toutes tes fautes passées, si jepouvais croire que cette résolution fût bien

fixée dans ton cœur... nrnzormrn. -0h! croyez-moi; je suis prêt à l’affirmer

par serment. ’ ’ ’

à.

,7 a

cnnxsonn.Non, ne jure pas.

PÉZOPBILE.

Voulez-vous que j’en prenne a témointout ce que le ciel a de sacré.

(Il étend la main, Chrysore l’arrête.)

cnnxsoan.Arrête! tu n’as que trop outragé le ciel;

trop de parjures ont dévoué ta tête cou-

pable. ,rameaux.Eh bien! par votre amourpour moi, et

rien ne m’est plus sacré sur la terre, je pro-mets, je m’engage , je jure...

(i) Je reviens aujourd’hui de mon égarementEt ne veux plus jouer, mon pèreLabsolument.

massant).(a) Quand ils n’ont pas un son, voilà de leur morale.

Riemann.

ACTE l, SCÈNE v. 51causons, arrêtant pour la seconde [ou la main

i de Pézophile.Arrête donc, te dis-je! Pourquoi te lier par

des serments que tu violeras bientôt?PÉZOPHILE.

Si je les viole, si je manque à la foi que jevous donne, ordonnez de moi tout ce quevous voudrez 3 bannissez-moi de votre maison,châtiez-moi, reniez-moi; et pour exprimerd’un mot tous les supplices , cessez de m’ai-

mer.causons.

Considère bien , Pézophile , la loi que tut’imposes.

. PÉZOPHILE.Je l’ai considérée.

ourson.Si tu la violes, je ne la violerai pas.

PEZOPHILE.

Si. je pouvais la violer, loin d’attendrevotre pardon , je ne me pardonnerais pas àmoi-même.

cnuvsouu.J’accepte tes conditions, et pour que tu

renonces au jeu je te placerai dans l’arméeavec un rang convenable.

PÉZOPHILE.

Fous les rangs sont assez bons pour

mon ,; CHRYSOBE.* J’ai vu le ministre de la guerre et le colo-

ne]; je vais trouver de ce pas le capitaine; jeconclurai le marché avec lui et je le paieraide mes propres deniers.

PÉZOPHILE.

O mon oncle! pouvez-vous être assez clé-ment , assez bon , assez libéral , assez pro-digue , pour...

CHRYSORE.

Si je puis te racheter de l’esclavage d’une

passion honteuse , je ne croirai jamais avoirpayé trop cher ta rançon.

PÉZOPHILE.

O mon oncle! comment m’aequitter devos bienfaits?

cunxsonn.Par le bon usage que tu en feras; c’est

la le seul gage de reconnaissance que j’exigede toi.

, PÉZOPHILE.O mon oncle! comment pourrais-je ne pas

vous aimer?

s c ÈNE V I.

CLÉOBULE , PÉZOPHILE.

CLÉOBULE.

Quelle conversion subite , Pézophile!Tu. Lum-nouanxn.

PÉZOPBILE.

Elle t’étonne , Cléobuleî’

CLÉOBULE.

Je l’avouerai.PÉZOPHILE.

J’en suis étonné moi-même. Mais que de

choses ont besoin t’être faites pour que l’oncroie à leur possibilité!

CLÉOBULE.

Qu’il y a long-temps que je désirais te voirdélivré de cette maladie presque incurable!combien je me réjouis de ta guérison ! Tonsalut te coûte cher, il est vrai; mais si tuas recouvré la santé, ce n’est pas trop la

payer. IPÉZOPHILE.

Oh! je suis guéri g et bien plus , de maladeje deviens médecin. Si tu vois jamais quel-que autre malheureux entraîné par la passiondu jeu, amène-le-mOi , et mes conseils salu-taires te le renverront guéri.

CLÉOBULE.

Dieu m’en garde! et si je voyais quelqu’unatteint de la même contagion , je m’empres-serais de l’éloigner de toi.

PÉZOPHILE.

Pourquoi donc?CLÉOBULE.

Parce que celui qui veut guérir les mala-dies de l’ame exerce un art périlleux lors-qu’il a lui-même goûté la perfide (lanceur

de leur poison. Si la moindre communi-cation avec des pestiférés est fatale , c’estsurtout à ceux sur qui la. peste avait déjà.soufflé.

PÉZOPHILE.

Erreur, Cléobule, erreur; le poison perdses forces sur celui qui y est habitué. Tuvois en moi un nouveau Mithridate.

CLÉOBULE.

Évite cependant les poisons, et, comme lesconvalescents, choisis une nourriture à lafois agréable au goût et fortifiante. Livre-toià quelques distractions qui puissent t’occu-per en attendant les travaux des camps.

PÉZOPHILE.

Et à quoi veux-tu que je m’amuse?CLÉOBULE.

Nous irons entendre des concerts, nousverrons des sociétés particulières; nous ytrouverons des amis , les uns chanteurs ,d’autres musiciens.

PÉZOPHILE.

Ne m’en parle pas, les symphonies medéplaisent; mon oreille ne peut se faire à cetintamarre de voix et d’instruments qui crientà la fois sur tous les tons, a ce choc de notestantôt lentes , tantôt précipitées, qui souvent

8

52

se rencontrent, se mêlent, se heurtent au.hasard.

CLÉOBULE.

La musique plaît cependant à beaucoup de igens.

PEZOPHILE.

Ellene me plaît pas.CLEOBULE.

Veux-tu fréquenter les cercles et les réu-

nions du beau monde? ii PÉZOPIIILE.

Ne me parle pas de ces assemblées insi-pides où des oisifs viennent échanger leursinepties, de ces réunions qui font mourir ïd’ennui et bâiller à se démettre les mâchoi-

res. Conseille un pareil délassementà nos ’petites maîtresses et à nos marquis , .mais ,jamais à des hommes...

CLÉOBULE.

Bien des hommes de mérite trouvent uncharme aux délassements que je te conseille.Aimes-tu mieux te promener à cheval , visi-ter les campagnes élégantes , gagner de l’ap-

pétit par des excursions et le satisfaire parun repas peu recherché , mais d’autant plusagréable qu’il est pris dehors, par hasard ,enlevé en quelque sorte a la pointe de l’épée?

PEZOPHILE.

Et pourquoi chercher hors de la ville desédifices élégants quand la ville m’en offre a

chaque pas? pourquoi errer en quête d’undîner quand je trouvella table mise chezmoi? pourquoi courir après l’appétit , quandla nature m’en donne un excellent sans que

je quitte mon fauteuil? lCLÉOBULE.

La chasse ne te plairait pas davantage?PEZOPHJLE.

Me lever avant le soleil, battre les champstoute la journée , ruisseler de sueur, me cou-vrir de boue et de poussière, pour atteindre,moi bipède , une bête qui a quatre pattes?Eh! mon Dieu! si mon palais est si gour-mand de gibier, j’en puis acheter avec monargent sans me tuer de fatigue.

CLÉOBULE.

Pézophile!

’ PÉZOPHILE.Eh bien ?

CLÉOBULE.

Mon ami lPÉZOPHILE.

Pourquoi me regardes-tu?CLÉOBULE.

Regarde-moi.i PÉZOPHlLE.

Je te regarde.CLÉOBULE , tâtant le pouls (le Pézopliim.

Crois-moi, tu n’es pas encore bien guéri.

abjuré l’amour du jeu?

LEJOUEUR,,riizornrna.

Qui te le prouve)? i I

. .çLÉoBunE.L’estomac qui rejette tous les Ëali’pjepzts(est

encore chargé d’humeurs vicieuses. ipharyngé. A

Tu cr01rais donc queje par pas buggy:

amener--J,e le crois.

PÉZOPHILE. 1Après tant de naufrages je pourrais m’ex-

rosër. encore sur ,èètte;me,r.9:l;egal.1.a9?

CLEOBULE.

Je le crains.PÉZOPHIJÆ. A p . I p.

Ne crains rien ,.Cléoliule. J’abhor’re le’jeu

autant que, je ql’aiyraipiîé’, îet wpartir te ppqgver

cette’haine g je veuxëéerire une satire Contre

lasiaucurs.

vaironnais. .,Pézophile écrire une satire gruge Ms

joueurs l... i i ’guenipe. .ce a mimâme- Nîeiae me même)?

leurs vices? ’ . , ..camera: ”L’expérience la du .t’apprjepdge des

choses. i ’t MW:renomme. .J’ai fait . arrivées ses me 5er n’étaient

pas trop maliennes. I H ,. il.canonne.

Je le sais.valsèrent:-

. a o ’ J a ’ 3 .Dealers l’ladlgeatwn est rasera? aÇLEOBULE.

Bravo , mon ami, bravo; écrispflrie-sajtirei;mais en décochant tes flèches contre esjoueurs ne va pas te percer tpi-méglgr

PÉZOPHILE. V.Si le hasard fait que je me 3,53?

blessures feront mon salut. 1

SCÈNEVTL iPÉZOPHILE , seul. , q

Oui , l’idée me sourit , me sourit très fort.

Je veux attaquer cette passion du jeu, qu’en-fante l’avarice, .qu’accompagne’la fureur,

souvent la fraude, et que la misère suit d’ha-bitude. Je veux décrire les joueurs , leursespérances décevantes, leurs terreurs tropvraies, leurs joies d’un instant, leurs dou-leurs éternelles. Je conduirai la Muse autour

(il Ve! si "azura nager, facial indignalio rersum,dît le texte. Citation de Juvénal, sat. l.

ACTE 1, SCÈNE vu. sade leurs tables de jeu; la elle observera lesdiverses armes des athlètes , leur visage ,lettre regards , leurs. frémissements , leursclameurs , leurs’rugiSSements , et ce silenceprofond, plus” terrible que la fureur. Allons ,mes tablettes , allons; il y a long-temps quevous êtes inhabituées à la poésie ; t Il tire un

album d’un petit sur.) vous allez recevoir lesiambes d’A’rchiloque. Et toi , plume dorée ,

trempe-toi d’acier et aiguise ta pointe san-glante. Mais qui vient tout à coup m’inter-rom pre ?

Sunna V111.PËZOPHILE , MISARGYRIDÉSL

j j v rilsan-ornions. .C’est la seconde fois que je viens amour-d’hui 5 peut-on enfin vous parler?

h rÉzorniLE.Parlez. , h gh . MISABGYRIDES. ARecevez les salutations d’un allié de votre

famille , de Misargyrides , autrefois l’intimeami de votre père.

rÉzormLE.

C’est avec grand plaisir que je reçois lessalhtàtions de Misargyrides’, quoique je nel’aie jusqu’à présent ni vu ni connu, même de

nom.

I Mrshncvmnns.Vous déifie connaissez pas? vous ne m’a-

vez pas vu? m’oi a’qui’ vous avez parlé hier

même; moi a qui, dans, votre désastre noé-turne, vous’av’ec’demandé du secours; là-

bas... chez... hein... Ne’vous rappelez-vouspas ?

PEZOPHILE.

J’avais les yeux, comme l’esprit, tellement

égarés que je ne savais trop ni a qui je parlaisni ce’ que je pouvais dire.

MISABGYBIDES.

J’ai été bien affligéet je le suis encore qu’a-

vec cet air distingué,’avec des mœurs sidouces et si libérales, vous trouviez la for-tune si contraire.

PÉZOPHILE.

C’est une preuve d’humanité que de pren-

dre part aux infortunes d’autrui ; mais je suisplongé dans un abîme de calamités dont jene puis soulever la tête. Je suis né sousune étoile avec qui la fortune est à jamaisbrouillée.

MISABGYRIDES.

Le sage domine les astres. Peut-être, ahan-donnant tout aux caprices de la fortune, igno-rez-vous l’art de la fixer?

rézormu-z.

J’abandonne à la fortune ce qui est de lafortune, et je n’emploie pas l’art où l’art n’a

que faire.MISABGYBIDES

Mais il y a une certaine manière d’arranger

les dés et de les jeter convenablement....avec adresse... habileté... enfin, de’...

PÉZOPHILE. VD’escroquer, en un mot. Mais si je’puis être

trompé, je ne saurai tromper personne, etj’aime mieux me voir ruiné par la fourbed’un adversaire que de triompher à. ce’ prix.

MISABGYRIDES.

J’admire votre probité. La fortune devraitrougir de vous avoir persécuté. Il est impos-sible qu’une si grande vertu ne finisse pas.par être heureuse.

PÉZOPHILE.

Si j’avais pu être heureux je l’aurais déjà

été; mais il n’y a point de vertu qui’triomphe

de l’opiniâtreté de la fortune.

MISARGYBIDES..On en triomphe par. la constance. J’en ai

connu beaucoup qu’après avoir long-tempsaccablés de misères, elle a fini par regarder,et sa faveur, contre toute espérance , dufond de l’abîme les a portés au haut de sa1’01"18.

piézoranE.

Vous en avez vu beaucoup?MISABGYRIDES.

Un très grand nombre, et si je suis destinéà. vivre, j’espère en voir un plus grand nom-

bre encore. Cela arrive tous les jours; cefut hier le tour d’un excellent jeune hommequi se confiait en moi.

PÉZOPHILE.

Oh! si la fortune pouvait m’ajouter à cenombre! mais la perfide ne le saurait vouloir!

MISARGYRIDES.

Je m’aperçois que ma présence vous gêne

et vous importune; c’est pourquoi..(Il feint de s’en aller.)

PÉZOPHILE.

Demeurez un instant. (a part.) Pourquoi netenterais-je pas encore une fois le sort, uneseule fois? car désormais je ne veux plus, jene peux plus me livrer au jeu; mais une fois,une seule fois, pour ne pas manquer à la for-tune, si elle voulait venir a moi.

MISARGYRIDES.

Portez-vous bien, Pézophile.PÉZOPHILE.

Demeurez, je vous en prie. (à part.) La for-

(t) Misargyrides offre ici des leçons d’escroquerie,comme dans negunrd M. Toutabas:

Genlilhomme auvergnac,Docteur dans tous les jeux et maître de trictrac.

54 LE JOUEUR,tune à qui un instant a suffi pour consommerme ruine, peut en un instant me relever.

l MISARGYRIDES.Mes affaires m’appellent ailleurs, et je ne...

râzorurnn.Un instant encore. (à part.) Si la fortune

me favorisait, je pourrais rentrer en posses-sion des maisons et des terres que j’ai venduesà l’insu de mon oncle. Si je les recouvre jen’ai plus rien à craindre de sa colère. Alorsje dis un éternel adieu au jeu et je déposemes armes en vainqueur, comme il convient,et non pas en vaincu, ce qui est toujours péa-nible.

msanexnmns.Je vous souhaite un meilleur sort; adieu.

PÉZOPIIILE.

Attendez donc, je vous en prie. Voulczuvous, pouvezuvous m’aider?

MISABGYBIDES.

Je le puis par le moyen de mes amis, et sivous le voulez , je le veux.

PÉZOPHILE.

Mais n’allez pas m’égorger en me secou-

rant.MISARGYRIDES.

Je vois assez que vous ne me connaissez-pas. Je ne suis pas homme à faire mon profitdes infortunes de mon prochain, et de votrecôté vous ne méritez pas de souffrir de vosbesoins... vous êtes par votre âge. hors detutelle, n’est-ce pas? Vous vous appartenez?

PÉZOPBILE.

Oui, (a part.) et à mes créanciers.

mrsnncxmnns. ,Un majeur a droit à bien des égards...

Vous êtes le plus prochehéritier de Ch-rysore P!enzormuz.

Etson unique héritier.MISARGYRIDES.

Ce sont la de grandes prétentions et quivous méritent une grande estime. Ce Chry-sore est riche?

PÉZOPHILE, impatiente.

Un Crésus!

MISARGYBIDES.

Il faut donc que nous vous traitions avec-toute la clémence... Chrysore cependant abonne mine; mais sa santé n’est, dit-on, rienmoins que solide.

PÉZOPBILE.

Il a la poitrine faible et un mauvais estomac.MISARGYRIDES.

J’en suis vraiment affligé , car c’est un

homme de bien. Mon secours ne vous man-quera jamais. Je désire seulement que vousréfléchissiez à la disette du numéraire.

PÉZOPHJLE. ’

Eh! je ne la connais que trop.

msancrnmus. rLes amis dont jem’engage à vous obtenir

la protection ne sont pas du nombredqhommes avides de gain; mais ils aiment ce.pendant à bien placer leurs bienfaits, àter avec des cœurs reconnaissants et avec

reconnaissance. -rÉzornmn.

Pourquoi tous ces détours? Combien vends

tu l’argent? . .msrtncrnmns. lVous me faites injure, et je ne.....

rnzornmn.Je comprends ma faute, je me suis trompé

d’un mot; je voulais dire c0mbien tes amisvendent-ils l’argent? Eh bien l, voyons, quisont tes amis ? où sont-ils ?---Qu’on-lcs voie.

Misnncvnmns.Gardez-vous de les croire de ces amis vul-

gaires qui se vantent tout haut de leur;bienfaits. Mes amis s’attachent surtout, lors-vqu’ils font le bien, à le faire en cachette.Ainsidonc, si vous voulez qu’on vienne avoue.secours, suivez-moi en silence et laissez-vousconduire. i I 1’ -’ ’ M

sannlx;campane, MISABGYBIDES,

:7 .. n que!’ 4.1LPARMÉNON, a part. ’ ’

Que peut vouloir à mon maître ce. Mi... Misargyrides? Je soupçonne, culai

quelque vieux renard d’usurier, aPÉZOPHILE, après un moment de dath A ’

Il faut jeter les dés. Bâtons-nous. . , ,1,

rumina. , H , ,Mon maître ?

rézornmn.

Que me veux-tu?PARMÉNON.. j M . j . . v» .

Je vous ai préparé une potion... une potion,

excellente.rézoran.

Au diable ton poison!

remuants. ., . ,.La potion est salutaire et vous remettra la; .tête.

rézornmz.

Et tu me la romps la tête avec ton bavaro.dage.

PARMENON.

Me défendez-vous de vous suivre ?

PÉZOPBILE. lJe te le défends. , .PARMÉNON.

J’obéirai; rien n’est plus facile. Je sirote-

rai la potion ; rien n’est plus doux. J’humec-

ACTEl,SCÈNEIX. 55terni mon estomac; rien n’est plus salubre.Et si le sommeil se glisse doucement dansmes veines, je ne lui disputerai pas mes

yeux, et je me livrerai au repos tandis quemon maître va donner ses entrailles à dévo-rer à ce vautour apprivoisé.

ACTEÎDEUXIÈME.

SCÈNEL

PÉZOPHILE , seul.

PÉZOPHILE. Il entre sur le théâtre en secouant un

sac qui fait entendre un son métallique.

O bonne, ô aimable, ô adorable fortune!Holà! Parmenon... Aucun de mes créanciersne me suit, j’espère? Parmenon !.. s’ils me

savent en fonds, ils accourront tous... Par-ménon!

SCÈNEIL

PÉZOPHILE, PARMÉNON.

PARMÉNON, réveille en sursaut, répond de la

coulisse.Qui m’appelle?

I i Pn’zoran.Où te caches-tu, coquin?

PARMÉNON, se frottant les yeux.

Me voici.enzornrnn.

Fais sentinelle à la porte. Aie bien soind’écarter quiconque te demandera de l’ar-gent, m’entends-tu?

(Il le réveille en lui tirant les oreilles. )PARMÉNON.

Ah! oui, j’entends et je sens. Je veillerai,et certes j’aime mieux veiller que d’êtretroublé dans mon sommeil par ces rêves af-freux.

PÉZOPHILE.

Que dis-tu, benêt?PARMENON.

Je dis que j’ai eu un rêve qui n’était rien

moins qu’agréable, car je vous ai vu...rÉzorniLE.

Et parce que tu m’as vu ton rêve était dés-agréable, drôle?

PARMÉNON.

Parce que je vous voyais dans mon songeruiné par le jeu, accablé de dettes, privé detous vos biens, réduit à l’aumône.

PÉZOPBILE.

Rêves que tout cela, Parmenon, rêves lPARMÉNON.

Les rêves ne sont pas toujours trompeurs.

rÉzomen.Véritables rêves, te dis-je. Nous avons

vaincu; la fortune a passé sous nos dra-peaux... hem... entends-tu?

( Il secoue le sac qui rend un son métallique. )PABMÉNON.

0 son délicieux! que je l’entende encore.(Il tend l’oreille.) O symphonie ravissante! voscréanciers, je crois, l’ont entendue; ils sontattirés par la douceur du son. Je les vois qui

se hâtent. .PÉZOPHILE.

Chasse-les tandis que je vais compter iciprès l’argent que j’ai gagné.

PARMÉNON.

Je vais les chasser, mais vous me paie-rez tout à. l’heure ce que vous me devez t.

PÉZOPHILE.

Regarde la chose comme faite.PABMÉNON.

Mais je veux qu’elle se fasse.PÉZOPHILE.

Elle se fera.PARMENON.

Je vais leur donner des paroles, vous medonnerez mon argent.

PÉZOPHILE.

Je te le donnerai.PARMÉNON.

Comptez notre argent tranquillement. Jevais solder nos comptes à la manière des genscomme il faut.

(l) nacron.Pour mettre quelque chose à l’abri des orages,S’il vous plaisait du moins de me payer mes gages?

vannas.Quoi! je te dois?

macros.Depuis que je suis avec vous,

Je n’ai pas en cinq ans encor reçu cinq sous.VALÈRE.

Mon père te paiera.

vau-ma.J’entends venir quelqu’un.

liECTOR.

Je vois votre sellière;Elle a flairé l’argent.

vanna, mettant promptement son argent dans sa poche.ll faut nous en défaire.

llECTOR.

El monsieur Galonier, votre honnête tailleur.vannas.

Quel contre-temps!flamant).

se

SCÈNEIH.

PARMËNON , ACESTE , GRYTARIOPOLE ,ESCHROKEBDES.

ACESTE.

Pézophile est-il chez lui?GRYTABIOPOLE.

Peut-on parler à Pézophile?Escnnoxnnnns.

l’ai quelque chose de très important àcommuniquer à Pézophile.-

, PARMÉNON.Pézophile, Pézophile, Pézophile. Mais vous

vous êtes donc tous donné le mot pour vousrencontrer ici?

acssrn.On dit que Pézophile se proposede joindre

l’armée.

PARMÉNON.

Eh bien?ACESTE.

Avant qu’il partie, j’ai voulu...

enflammons.Je voudrais...

ascunOKEnnn’s.

Je veux...flamenca.

Je sais ce que vous voulez. Pézophile lui-même désire vous satisfaire. Il m’a’donné ce

soin; je suis son trésorier. Mais, je vous enprie, ne venez pas ainsi tous à’la fois; l’unaprès l’autre, chaoun aura son tour.

acnsre. hJe suis arrivé le premier, et mes affairesne me permettent’pas d’attendre.

PARMÉNON.

Ce que vous demandez, Aceste, est trèsjuste et très équitable, vous êtes venu le pre-mier, vous serez congédié le premier. Vousautres, attendez dehors un petit moment.

SCÈNEIV.

PARMËNON, ACESTE.

PARMÉNON, s’approchant du bureau de Pézophile

et s’asseyant comme un commis de finances.

Donnez-moi la facture, que nous repassionsles articles : a Pour quatre aunes de drapblanc cendré, quatre-vingts livres tournois...Huml... Item, pour sept aunes t ’étoffe desti-nées à servir (le doublure, quarante livres.Ahl... Item, pour broderie entremêlée d’or

(in, cent vingt livres. Item... item... pourun autre habit de la façon la plus élégante...»La façon la plus élégante! c’est ainsi que vous

autres marchands vous louez tout ce qui sortde vos boutiques.

LEJOUEUR,

ACESTE .Certes, "vous n’avez rien vu de plus élégant

et de mieux tourné-que Cet habit.PARMÉNON.

Il n’est pas tout-à-fait sans élégance, j’en

conv1ens.ACESTE.

A peine en trouverez-vous un pareil danstout Paris; j’aflirmerais même qu’il n’y a pas

son second, mais j’en ai vu’un tout sembla».

ble a vendre. ,PARMÉNON.

Ah! vous en avez vu un second?nonsrn.

Oui, j’en ai vu un second

flamenca.Tout semblable?

ACESTE. J ATout-à-fait semblable. Pézoophilelne porte

pas le sien, il a tort; car s’il le mettait, il ne;manquerait pas d’attirer sur lui tous les yeuxet d’éclipser tous nos jeunes gens à la mode.

Parmenon.Il le réserve pour l’armée. C’est a qu’il faut

étaler le luxe de la toilette, carilèiriéhe équi-

pement fait les trois quarts dela vaillance.Autrefois nos guerriers étaient naisses de

; fer, aujourd’hui ils étincellent d’or, ;Oui,

3 nous avons vraiment des chefs’prëcieux.a Item... item... item pour’l’habillement deParmenon, soixante écus. al Comment, mitr-bleu! pour cette casaque ou plutôtlpour ce

j sac tu oses demander soixante écus? aACHETE.’

Comment peux- tu l’appeler un sac? serre-toi un peu. Regarde.(u drape le remirentParmenon. ) Comme il te prend bien la taille I;

il t’habille en perfection. iPARMÉNON.

La gloire n’en est pas a tes talents , mais acette taille élégante, gracieuse, pleinede’ di-

gnité. q h, . A( Il marche avec t’alïectatioii d’un p’e’l’it’m’a’ltir’e.)

ACESTE. lEn effet, la tournureest’élégante et déga-gée; mais l’habit fait encore mie’ux’resso’rtir

la beauté des formes.

nantissois; hComme il accompagne mollemen’t’leS’cOnJ

tours du corps! Voyons, je ne veux pas techercher noise, ACeste. En somme, la sommetotale se monte donc à deux mine soixante-’neuf livres, six sous, neuf deniers, argent deFrance. Aucune déduction?

acnsrn.Pas un liard. I . I v

PARMENON.

Puisque le compte se trouve ainsi arrêté,nous ne retrancherons rien. (Il écrit sur le de:d’une carte à jouer qui porte l’effigie d’un’rot.) 0nd

mwæîu 44m.».- .A mais .- - a

ACTE n, SCÈNE lV. 57doit a Aceste deux mille soixante dix-neuflivres, [six scus, neuf deniers, argent deFrance. Tu peux t’en aller.

acnsrn.Quelle carte me donnes-tu la?

I PARMÉNON.

Une carte royale et à l’effigie de César.hagarde plutôt.

Acnsm.Mais c’est de l’argent qu’il me faut.

rARMÉNON.

In veux del’argenti’

’ " acnsrn.Sans aucun doute.

. ,PARMÉNON.Alors Pézophile te connaît bien, car il m’a

p plus (d’uneyfois que tu étais avide d’argent.

I . acnsrn.C’était à moide lui faire ce reproche; ilest rl’aléa plus avide, lui, qui nuit et jourcourt les chances du jeu pour":

’ PARMÉNON.

Il joue pour son plansrr.ACESTE.

Bahl... Crois-moi; si le gain n’était pas lebut [de ces joueurs, ils modéreraient leur jeuou plutôt S’abstiendraient tout-à-fait de jouer.

Je cherche à gagner par mon industrie etmon travail l’argent qui m’est nécessairepour vivre; mais c’est le superflu que pour-suivent les joueurs par les hasards ou ils s’ex-posent et souvent même par des fourberies.

i i PARMËNON, a part.Je ne vois rien de superflu chez nous.

i acnsrn.Si j’avais mieux connu Pézophile, je ne

l’aurais jamais obligé.

. A PARMÉNON.Pourquoi te fâcher, Aceste? Tu veux de l’ar-

gent, on t’en donnera.’ ACESTE.

Qu’on m’en donne donc a l’instant.

PARMÉNON.

Un instant! un instant! ignores-tu donccet adage trivial : Personne ne donne ce qu’iln’a pas.

acnsrn.Eh bien! qu’on en cherche.

PAR’MÉNON.

On en cherchera.acnsrn.

Qu’on en trouve.

mamans.On en trouvera. Nous partons bientôt

pour l’armée; nous combattons l’ennemi,

nous lui enlevons son camp; la caisse mili-taire tombe entre nos mains. Nous revenonschargés d’or et d’argent; voilà donc ta somme

trouvée et nous te soldons. Au revoir.

Acnsrn.Mais. . .

PABMÉNON.

Mais rien n’est plus certain..ACESTE.

Cependant...PARMÉNON.

Cependant sois tranquille et garde-toi (lesouffler le mot, ou tu donnerais l’éveil auxautres créanciers. A votre tour, Grytariopole.

s c È N E y.

PARMENON, GRYTA-RIOPOLE.

.I’ABMÉNON , les bras et les jambes croises comme

un bureaucrate persuade de son importance.Lisez cette facture, lisez.

uiivranIOPOL-E.

Primo, pour une glace de quatre-vingtspouces (le haut sur quarante-sept de large,douze cents livres tournois. Je ne vois pluscette glace.

PARMÉNON.

C’était un miroir monstrueux, imposteur.Il me représentait, moi Parménon, avec desjoues bouffies, un air impudent et déshon-nête et donnait à mon maître un visage lu-gubre et colère..Les petits-maîtres seuls ai-maient à s’y voir, et cependant ils ne s’yvoyaient. que sous la forme de jeunes fillesou de poupons. Un pareil miroir ne pouvaitmanquer de nous déplaire. Mon maître, dansune noble indignation, l’a brisé et réduit en

poudre. Continuez votre lecture.GRYTARIOPOLE.

Secundb, pour vases en porcelaine de laChine, quarante livres. Je n’en aperçois plusaucun. Les aurait-il également brisés?

PARMÉNON.

La pensée de les briser m’est en effet ve-

nue souvent. A quoi servent ces vases chi-nois qui ne sont bons à rien P Nous les avonséchangés contre des verres français qui nesont décorés ni (le peintures, ni d’or, maisqui nous font un meilleur usage. Poursuivez.

GRYTARIOPOLE.

Tertib , pour quatre statues de bronze,mille quatre-vingts livres tournois.

PARMENON.

Reste-t-il encore autre chose?GRYTABIOPOLE.

Encore deux articles. Quartb...PARMÉNON.

Montrez-moi la facture, que j’examine moi-même les comptes afin de vous satisfaire.

GBYTARIOPOLE.

Mais ou a-t-il transporté ces statues ? car

58 LE JOUEUR,il les avait achetées pour décorer cette cham-

I bre à coucher. ’PARMÉNON.

Vous me demandez où il les a transportées. ..Il les a fait porter à je ne sais quelle académieet il en a fait présent à je ne sais quels aca- adémiciens qui sont fort curieux de ces choses.

emmurerons.Dans une académie, dis-tu? C’est donc à

l’académie des médailles?PARMÉNON. l

Des médailles ou des monnaies, comme illui aura plu.

ÔBYTARIOPOLE.

Serait-il de cette académie?PARMÉNON.

Il est de toutes les académies, il les enrichittoutes par ses largesses.

GRYTARIOPOLE.

Pézophile en effet était magnifique autre-fois; mais je ne sais pourquoi maintenant ilremet toujours ses créanciers. L’argent lui.

manquerait-il? rPARMÉNON.

Il en a toujours et en abondance g mais nouspartons pour l’armée, nous usons du droitmilitaire. Reprends ta facture.

emmurerons.De quel droit militaire me parles-tu?

PARMÉNON.

Nous ajournons le paiement de nos dettes;ainsi le veut la justice du droit militaire.

GRYTARIOPOLE.

Mais cette justice-là est souverainementinjuste.

PARMÉNON.

Gardez-vous de dire ce qu’un bon citoyencomme vous ne devrait pas même penser.

cmranrorone.Je ne vois pas...

PARMÉNON.

Je vais te faire voir. Les intérêts de I’Ëtat

ne doivent-ils pas passer avant les intérêtsprivés ?

emmurerons.J’en conviens.

PARMÉNON.

Celui qui prend du service ne sert-il pasl’État?

emmurorouz.Je ne veux pas le nier non plus.

PARMÉNON.

Or, peut-on servir dansl’armée sans armes, .sans chevaux, sans uniforme, sans s’équiperenfin d’une foule d’objets?

emmurerons.Au fait , je ne le crois pas.

PARMÉNON. .Et tout cet équipement du guerrier, peut-il

se le procurer sans argent?cmraaroronn.

Je t’attends à. la conclusion.PARMÉNON.

M’y voici. La justice exige donc que notreargent soit d’abord consacré aux besoins duservice, c’est-adire à l’État, et ensuite à payer

nos créanciers.

emmarorom. .Mais si vous consacrez tout votre argenta

l’État, qui me paiera ma créance quand il ne

vous restera rien?PARMÉNON.

Vous vous trompez, Grytariopole, vousvous trompez. Car nous qui, de notre fortuneprivée avons grossi la fortune publique,bjen-tôt de la fortune publique nous grossironsnotre fortune privée. Me comprenez-voué? I

cmumorom.Vous qui, d’une fortune privée, avezgrossi

la fortune publique? Fortune privée. .. fortunepublique... cela n’est certainement pas clair.

PARMÉNON.

Je vous l’expliquerai. Après la campagnenous prendrons nos quartiers d’hiver,,n’es’t-

ce pas? V ’ aGBYTABIOPOLE.

Je le suppose.ramdams.

Combien pensez-vous que nous vaillentnos quartiers d’hiver?

GRYTARIOPOLE.

Je ne puis trop dire.’ PABMÉNON. y . ..

Vous le saurez plus tard. Pour le momentemportez votre facture avec vous et reveneznous voir après nos quartiers d’hiver... ’ i

umranroponn.Mais c’est bien long, après vos quartiers

d’hiver! ’

t

Will

PARMÉNON. .Vous pourrez ne pas perdre de temps «a

vous présenter. I iGRYTARIOPOLE.

Mais en attendant...menuises.

En attendant, vous espérerez.emmurerons.

Mais il faut vivre. ’’ examines.

Celui qui espère, ne vit-il pas?cmranroronn.

Mais enfin... 1PARMÉNON , poussant de force Grytariopote hors

de la chambre.Mais enfin... tournez-moi les talons et ne

meregardez pas ainsi de travers.

A4,

ACTE n, SCÈNE v1. se)SCÈNE v1.

PABMÉNON , escunoxaanas.

PARMÉNON.

Quel est ce papier que vous avez a lamain?

ESCHROKERDES.

Une obligation souscrite à mon ordre parPézophile.

PARMÉNON.

Voyons... Mon Dieu ! quelsdoigts crochus,Eschrokerdes! Quelle maladie travaille votremain!

nscunounuuus.Aucune.

ranméuou.

Aucune! il faut bien qu’une maladie quel-conque ait contracte vos articulations. Re»gardez donc.

ESCHROKEBDES.

Je suis ne ainsi.ramènes.

La nature a vu de loin, mais l’exercicel’aura un peu aidée; lisons... a Je reconnaisavoir reçu d’Eschrokerdes trois mille livrestournois. - Trois mille livres tournois!

ESCHROKERDES.

Ni plus ni moins. Tu reconnais la main de.Pézophile?

Parmenon.Je la reconnais... Ah! je me souviens, je

me souviens; vous nous aviez donné deuxcents liwes et je ne sais quelles guenilles.Mon maître vous fit un billet de trois centslivres. Vous revîntes peu après avec le billet;il en refit un de mille livres. Vous revîntesencore et puis encore, et enfin il vous doitmille écus... Ilum... Vous ne demandez pasd’argent, Eschrokerdes?

ESCBROIŒRDES.

Pas absolument. Je ne suis pas assez arabepour...

PARMÉNON.

Vous attendrez sans peine.monomanes.

J’ai déjà attendu, et moyennant un arran-gement j’attendrai.

PARMÉNON.

Je le crois bien. Le retard bat monnaiepour vous.

ascnnoxnnnns.Je pourrais, à la rigueur, exiger la rentrée

de mes fonds, et les prêter aux marchandsqui partent pour les Indes.

PAnMÉNON.

Vous vans en garderez bien; toute l’AmeÎ-T". LATIN-IODERSB.

rique, vous le savez, n’a pas de mine on vouspuissiez puiser comme dans cette maison.

Escunoxuunus.Mais je crains qu’elle ne finisse par s’é-

puiser. ,?ABMEN0N.

Sans doute , beaucoup de gens l’ex ploitent ;mais on y suppléera.

ESCHROKEBDES.

Comment? lPARMENON.

Vous le demandez. Parhleu ! par la guerre.Pendant la campagne nous poursuivrons lagloire; la campagne finie, nous poursui-vrons l’argent. Notre recrutement d’hommes

et de chevaux nous en fournira le. moyen;nous enrôlerons le. plus grand nombre pos-sible de fils de famille; nous les achetons àbon marché, et les parents nous les rachè-tent cher; ce qui nous fait un bénéfice im-

mense et clair. Vescunoxunnus.Mais si Pézophile allait mourir pendant la

campagne? ,PARMENON.

Eh! n’avez-vous pas chez vous les gagesque nous vous avons donnés dernièrement;ces bronzes d’un travail exquis?

useunoxnnnas.J’aime mieux de l’argent que ce bronze

fondu.PARMENON , caressant Eschrokerdes.

Vous qui avez fait tant d’or avec du papier,vous serait-il difficile de changer le bronze

en argent? luseunoxunnus.Je reviendrai demain avec mon billet ,

pour y faire ajouter un tout petit mot.PABMENON.

J’y ajouterai si tu veux tes qualités : (a part.)

Eschrokerdes est un escroc ’.ESCHROKERDES.

Nous n’avons nullement besoin de ton mi-nistère en cette occasion.. . Je voulais t’ofl’rir. . .

mes souhaits pour tu santé... (Il fait semblantde vouloir donner quelque chose à Parmenon, maisil ne lire de sa poche que son mouchoir, au granddésappointement du valet.) Au revoir , Parme-non, le plus honnête des valets.

PARMENON.

Au revoir, Eschrokerdes, le plus infâmedes uSuriers, la ruine de la jeunesse, la sangsue

(t) Le traducteur a substitué ici un jeu de mots fort peuspirituel à une pointe assez comique que donne le texte,mais qu’on ne peut rendre en français. Le texte dit:«si tu le veux, j’ajouterai trois lettres qui formerontlon nom; (à part. ) car tu es un homme de trois let-tres.» Or, homme de trois lettres, homo trium [Moru-rum, signifie voleur, en latin (fur).

Vous, vous êtes un sot, en trois letlres, mon fils,dit madame Femelle à Demis, dans Tartufr.

9

60 LE JOUEUR,du peuple, et de tous les fripons le plus dignede la corde. N’y a-t-il plus personne, qui mevienne demander de l’argent? Voilà déjàtrois créanciers soldés sans délier les cordonsde notre bourse. J’en vois un quatrième quim’est inconnu; mais mon maître fait tantd’affaires tous les jours que je ne sais plusni ce que nous devons, ni à qui nous le de-vous.

SCÈNE vu.

ATYCHÈS PARMÉNON.

PABMÉNON.

’Approchez donc plus près ;que craignez-vous? Je distribue ici l’argent à pleines

mains.arrentas.

Je ne sais ce que vous voulez dire.PARMÉNON. r

Mais je sais, moi, ce que vous demandez.’ ATYCHÈS.

Je cherche Pézophile.

panorama.Et de l’argent.

v aucuns. I ,Non, jamais. La cruelle nécessité ne m’a

pas encore réduit à mendier.PARMÉNON. I

Fort bien. (a part.) Voilà donc enfin unhonnête homme; il ne lui faut pas d’argent.(à Atyehes.) Excusez-moi, je vous en prie.Celui que vous cherchez est, mon maître,homme d’une équité rigide, qui ne craint rien

tant que de devoir quelque chose à quel-qu’un; et qui préférerait jeter l’argent a latête de ses créanciers, plutôt que de SOlllÏl’ll’

qu’ils lui en réclament.

uranies.J’admire la probité de votre maître, et si ce

n’est pas être importun, je désirerais l’entre-

tenir un instant.PARMÉNON.

Je vais le prévenir. Votre nom, s’il vous i

plaît? .arxcnÈs.Il est inutile qu’il sache mon nom; je me

ferai suffisamment connaître à lui.

SCÈNE VIII.

ATYCHES , PHILOCLES.

"veuf-:5.Venez, Philoclès, approchez.

PHILOCLÈS.

Ah! la vaste maison, mon père! Quelledilîe’rence avec notre petite cabane!

arrentas.Nous sommes toujours bien logés, mon -

fils, quand la vertu réside sous notre toit.( a part.) Hélas! pauvre jeune homme! il auraitdû habiter une demeure plus vaste encore lque celle-ci.

a emmerdas. .Si j’ai bonne mémoire, mon père; vous avez q

habité long-temps cette j ’villç. Dans que! -quartier était située votre maison? pourriez-vous me la faire voir, mon’père? l *

v arrentas. ,Depuis que j’ai quitté la ville, mon fils, les

maisons , comme leurs maîtres,’ sont bienchangées. (à part.) Ai-je bien pu. livrer à des

J

mains étrangères les foyers de mafieux!n ,f’pf’!’

ruinerais. , , ,Vous disiez souvent, mon père, quem;

sieurs personnes de notre famille passaientleur vie à la cour; irons-nous leà’voir

bientôt? i ’ .- uranies. À’ ’ï’ v,Je n’en ai pas le tempsimaint’enatitàjà peut.)

Pourraient-ils supporter ma vue? punitifs»:je soutenir la leur? Mais voilà; je dans,Pézophile; mon fils, prenez un air respec-

tueux. * - - îSCÈNEJX,

PÉZOPHILE, arrentas, rangeras; 1

PÉZOPHILE.

C’est vous qui me demandez? . V iATYCHÈS. -. u ,

Je cherche Pézophile, à qui jasois inet que je ne connais pas; je. désire parler ilcelui qui a, dit-on, acheté la compagnie decavalerie de Néoptolème. . l î .

PÉZOPHILE.

C’est moi-même.

articulas.

Celui qui implore un bienfait des la pre-mière entrevue doit paraître indiscret;lmaison doit excuser ce qu’il y a d’insolit’e dans

la conduite de l’homme dont les malheursne sont pas ordinaires. Vous voyez un sup-r

pliant... , ll rempares.. Mais, au contraire; commandez, si je. puis

vous être bon à quelque chose.

arrentas,« Mon fils, éloignez-vous un peu.

(mulettes se relire.)

a!

, 4 v J’ïi’lilèà: v au -

SCÈNE x.

PÉZOPHILE , ATYCHÈS.

I avenirs.Celui que vous voyez suppliant devantvous, était autrefois lui-même entouré desuppliants. Cet aveu me coûte, mais je doisle faire.J’étais riche; j’avais un nom connu

de la capitale et de la cour! maintenant jetraîne une vie ignorée dans un village...Hélas!

’ PÉZOPHILE.Je suis affligé d’apprendre que la fortune

vous ait choisi pour un exemple de son in-constance; mais quand on est malheureuxpar la faute du sort et non par la sienne, onest soulagé’du plus grand poids du malheur.

aucuns.Plût au ciel que je ne fusse pas coupable !

mais si j’accuse la fortune, j’ai bien plus àm’accuser moi-même.

rézorann.Seriez-vous du nombre de ceux quel’cnvie

de la félicité d’autrui rend malheureux, etqui, en voyant d’autres revenir enrichis del’or des Indes, confient à la mer perfide devastes richesses, de plus vastes espérances,et perdent les unes et les autres a la fois?

ATYCHÈS.

Il n’est que trop vrai; ma fortune a faitnaufrage, mais loin de l’Océan. D’ailleurs je

ne pouvais me livrer au commerce 3. je suisné d’une famille et d’un rang... Que sert de

le rappeler?

I a

PÉZOPI-IILE.

’ Mais que de gentilshommes se livrent aune industrie qui n’a rien de honteux! Au-riez-vous imité Ceux qui entretiennent àgrands frais des chevaux et (les meutes pourla chasse, et ruinent non-seulement les mois-sons des laboureurs, mais encore leur pro-pre patrimoine?

. "renies.’Si je chasse aujourd’hui, c’est pour manourriture; ce n’est pas le plaisir qui m’y en-gage, mais la dure nécessité qui m’y force.

PÉZOPHILE.

, Serait-ce l’erreur qui a perdu tant de sei-gneurs de campagne , qui, se trouvant avoirdes voisins avides , ou envieux eux-mêmes dela propriété d’autrui, se prennent de mots,décidant leur querelle par le fer ou les procès,et périssent par l’un ou par l’autre , per-dant misérablement la vie ou soumettant al’arbitrage de Thémis des patrimoines qu’ils

ne reverront plus?

ACTE n, SCÈNE x. (il

Aucuns.J’ai toujours vécu avec mes voisins dans

a une concorde parfaite; moi seul j’ai été mon

ennemi, moi seul je me suis perdu. Et puis-que vous désirez connaître mes infortunes...

PÉZOPHILE.

Excusez-moi, je vous en prie; j’ai peut-être été indiscret en vous interrogeant,mais on désire connaître les malheurs qu’on

se sent porté à soulager.ATYCHÈS.

Vous ne m’interrogerez pas davantage,vous saurez ce que votre humanité désiresavoir. Un fléau plus affreux que toutes lestempêtes et tous les incendies m’a préci-pilé du haut de mon opulence; ma fortunes’est brisée sur le roc fatal où tant de naviresse sont abîmés et s’abîment encore... sur la

table des joueurs.i PÉZOPHILE, reculant , ému et effrayé.

Que dites-vous?arrentas.

La vérité.

PÉZOPHILE.

Vous avez donc toujours rencontré desvents contraires?

aucuns.Les vents m’étaient trop favorables; ils

m’ont poussé. vers la pleine mer; ils m’onttrompé par leur souille perfide.Tandis que jeleur confiais ma fortune , j’ai heurté contre.un rocher, j’ai fait naufrage; à peine me suis-je sauvé presque nu. J’ai réuni aussitôt lesdébris de mon patrimoine; j’ai abandonné laville; je me suis caché a la campagne. C’estla qu’avec ma famille... Mais n’en exigez pas

davantage; j’ai pu vous raconter les infor-tunes que j’ai méritées; je ne saurais vousparler de la misère des miens, dont je fus lacause; la honte et mes pleurs arrêteraientma voix.

rempluma.Vous me direz, du moins, le service que

vous attendez de moi?

aucuns.Je vous le dirai. J’ai un fils sorti de l’a-

dolescence; la nature, malgré mon silence ,lui a révélé son origine. Le jeune hommedédaigne les champs; il brûle de se faire unnom; il désire prendre du service. Je l’aiconduit à Néoptolème; ce seigneur l’avaitconnu encore enfant; j’espérais obtenir saprotection pour mon fils, mais il m’a (lit qu’il

vendait sa compagnie; et cette vente reu-verse toutes mes espérances, si votre bonténe les relève.

PÉZOl’llllÆ.

Rassurez-nuls. Où est votre fils?

(32 LE JOUEUR,SCÈNE XI.

I’EZOPIIILE, ATYCHÊS, PHILOCLÈS. -

uranies.Approchez-vous, mon fils; saluez cet

homme généreux, désormais votre unique’

espoir. rPHILOCLÈS.

Je vous salue, ô vous qui voulez secourirles malheureux et qui en avez le pouvoir;puissiez-vous être toujours heureux!

rameutes.mussiez-vous, aimable jeune homme ,

imiter les vertus de votre père!ATYCHÈS.

Faites-lui de meilleurs souhaits, je vous enprie; qu’il suive plutôt votre exemple.

PÉZOPHILE , refusant du geste la louanged’Alyches.

On trouve dans ses traits un air de can-deur et de politesse.

ATYCHÈS.

Un jeune homme toujours élevé a la cam-pagne ne peut avoir qu’une faible teinte dela politesse des villes.

PÉZOPHILE.

Celui qui vous a pour père et pour maîtren’a pu prendre des manières rustiques, même

au milieu des champs.nrvcuÈs.

Oui , j’ai été son maître;je lui ai appris à

manier une épée, a dompter un cheval, àhonorer son prince , a chérir sa patrie, à sa-crifier sa vie à la gloire; ce furent la mesleçons.

PÉZOPIIILE.

Leçons dignes d’un tel maître et d’un tel

disciple. Je ne sais ce que je trouve dans sestraits qui fait augurer un grand courage.

ATYCHES.

S’il m’est permis de le rappeler, il compte

parmi ses aïeux des hommes qui ont pu luiléguer un noble cœur. Peut-être avez-vousentendu parler de Polycletc , le général?

rEzorinLE..l’en ai, très souvent entendu parler, et

toujours avec éloge.ATYCHES.

C’était son aïeul maternel. Les noms des

Nicostrate et des Antironic ne vous sont passans doute inconnus?

PÉZOPIIILE.

Comment ne connaîtrais-je pas ceux quenos annales citent comme des foudres deguerre?

AitTvcnizs.

Nous les comptons au rang de nos aïeux.

PÉZOPBILE.

Un jeune homme né d’un tel père et issude pareils ancêtres doit aspirer aux premiersemplois de l’armée.

ATYCHÈS.

Oui, autrefois; mais aujourd’hui commentle pourrait-il? Nos vœux sont réduits à lamesure de notre fortune. Admettez-le sen.lement au nombre de vos cavaliers volon-taires; ce seul bienfait suffira, c’est le seulque j’implore.

PÉZOPHILE.

Ce que vous demandez est injuste. Votrefils ne peut servir dans les derniers rangsde la milice; il est digne au moins du gradede sous-officier.

ATYCHÈS.

Il en serait digne en effet, s’il n’était horsd’état d’en faire les frais; vous voyez la sim-

plicité de ses vêtements. Et cependant, pourles lui procurer, combien de privations il afallu nous imposer! Ainsi doue, en attendantque les dieux nous permettent de meilleuresespérances, vous aurez assez fait pour lui etpour moi si vous lui accordez une place prèsde vous dans votre compagnie, trop heureux,même au milieu de privations de tous genres,d’obtenir quelquefois un regard favorable deson chef!

rameaux.Il aura dans ma compagnie le poste et le

rang qu’il mérite.ATYCHÈS. ’

O mon fils! voila votre maître, votre chef,votre protecteur; vous devez le respecter, levénérer, l’aimer et l’imiter s’il est possible.

emmenas.C’est avec joie’que je m’offre a lui pour

disciple et pour soldat.PÉZOPHILE.

C’est avec joie que je vous reçois pourfrère d’armes, pour camarade dans les camps,pour compagnon de dangers et de gloire.

PHILOCLÈS.

Conduisez-moi, conduisez-moi partout oùvous voudrez ; me voila prêt à vous suivrepartout.

PÉZOPHILE.

Quoi! même au milieu des ennemis?PHILOCLÈS.

A travers les piques , à travers mille feux,cette épée saura me frayer un chemin ouvous en frayer un

(Il porte la main sur la garde de son épée.)ATYCHÈS.

Que faites-vous, mon fils? ou s’égarentvos paroles? Remettez ce fer dans le four-reau , réprimez votre enthousiasme. (a Pézo-phile.) Daigncz l’excuser.

.Ë’Ëekæmæmar; une... A

au gamma rasez.

y , ACTE l],PÉZOPHILE.

Ce courage me plaît, ces discours méri-tent des éloges et non un pardon. Donnez-moi’ la main, brave jeune homme.

"renias.Oh! mon fils. embrassez cette main pro-

tectrice.PÉzornILE.

Dès cet instant je vous engage ma foi.PHILOCLÈS.

Ma vie vous est à, jamais dévouée.PÉZOPBILE.

Cependant mononcle Chrysore m’aide deses fonds pour l’achat de ma compagnie g jedésirerais que vous puissiez tarder un instantet lui présenter votre fils.

Aucuns.Je vais le lui présenter de ce pas, et Phi-

loclès lui dira comme moi tout ce que nousvous avons d’obligation. Que cet oncle doitêtre heureux de toutes vos vertus! Puissele ciel vous protéger toujours; ce sont lesvœux qu’Atychès et son fils Philoclès necesseront de lui adresser!

rÉzorniLn.

Le ciel vous protège tous deux l

se È NE x11.

PÉZOPHILE , seul.

Il était bien digne de ma compassion ; ou),je compatis sincèrement à ses maux. Si jechange les noms, voila mon histoire *. Atychèsétait riche, il s’est livré au jeu; del’opulence

il est tombé dans la misère. Hélas, toute sadestinée ne correspond que trop bien à lamienne. Mêmes fortunes, mêmes fautes, mêmetin. Il y a cependant cette différence entrenous : Atychès n’a trouvé aucun refuge danssa détresse, l’opulente maison de mon onclem’a offert un port de salut.

s c È N E XIlI.

PÉZOPHILE , PARMÉNON.

PARMÉNON.

lMon maître, j’ai congédié tous vos créan-

ciers et je les ai tous satisfaits. Il ne vousreste plus qu’à me payer et à vous acquitterenvers mon

PÉZOPHILE.

Que je t’admire et que. je t’aime, mon Par-ménon!

il) 311.1qu immine de le fabula narramr. Horace,8;". l.

SCÈNE XI. (ilmarathon.Et je le mérite bien.

PÉZOPBILB.

Je ne conçois pas par quel artifice tu as pusatisfaire sans argent des hommes si avides.

Panorama.Rien de plus facile. J’ai promis à l’un notre

butin, a l’autre les économies de notre quar-tier d’hiver, au troisième l’argent que nous

produiront nos recrues.PÉZOPHILE.

Et s’il était venu un quatrième créancier?PARMÉNON. ’

J’aurais trouvé un quatrième moyen pour

lui fermer la bouche. Croyez-vous donc quece génie fertile puisse jamais s’épuiser?

PÉZOPHILE.

Eh bien! un quatrième créancier se pré-sente; trouve ce quatrième moyen et paie-toi.

PARMÉNON.

Oh ! s’il s’agit de mes intérêts , je ne trouve

rien. Mon esprit est à sec; je n’entends pasce genre de paiement.

PÉZOPHILE.

Toi qui as si bien satisfait trois créanciers ,tu ne peux te satisfaire tout seul?

Parmenon.Non vraiment; mais je peux rappeler les

créanciers que j’ai congédiés , et c’est ce que

je vais faire, si vous n’aimez mieux me comp-ter mon argent que de vous voir a la foisassailli de leurs importunités et des mien-nes.

rÉzormLE.

Mais pourquoi me demander aujourd’huides gages que je t’ai offerts plus d’une foiset que tu n’as pas acceptés?

PARMÉNON.

Le mot de l’énigme est facile. Autrefois je

servais Bacchus et vous fuyiez le jeu; au-jourd’hui vous servez le jeu et je fuis Bac-chus. Autrefois donc, je ne pouvais conser-ver mon argent et vous pouviez me legarder; aujourd’hui vous ne pouvez me legarder , mais je peux le conserver; voilapourquoi je vous" demande aujourd’hui ceque je refusais autrefois.

PÉzornILE.

Puisque tu le veux , on te comptera tonargent. Combien y a-t-il d’années que tu me.

sers?( Ils s’approchent tous deux de la (able à jouer. l

nanan-ânon.

Sixians; mais vous pouvez bien en comp-ter huit.

PÉZOPHILE.

Tu plaisantes ,je crois! Pourquoi donc auxsix ans en ajouter (leur?

64 - LE JOUEUR,PARMÉNON.

Parce que vous jouez.rinceaux.

Parce que je joue?PARMÉNON.

Oui, sans aucun doute..Écoutez-moi , s’il

vous plaît ; il y a deux ans que vous jouez.

’ PÉZOPHILE. ’ ’J’en conviens.

PABMÉNON. .Les autres domestiques servent leurs maî-

tres le jour ou la nuit, et dorment le jour oula nuit. Depuis deux ans que vous jouez nuitet jour, je vous sers nuit et jour. Le tempsde mon service est donc double, doublesdoivent être mes gages. I

PÉZOPHILE.

Prends garde qu’on ne double les coupsd’étrivières, imbécile! a ’

PARMÉNON.

Eh bien! voyons. Payez-moi mes gagesentiers pour six années entières.

’ PÉZOPBILE.Parle ; combien te faut-il?

PABMÉNON.

Rien de plus aisé à calculer. Ne vous êtes-vous pas engagé à me donner pour mes bonset loyaux services cent livres par chaqueannée? or, il y a six années, j’exige donc

six cents livres. ’- PÉZOPBILE.

C’est fort bien; mais de cette somme ilfaut déduire tout ce que tu m’as volé.

PARMÉNON. .Je ne vous ai rien volé, je le jure. Des

valets vous ont souvent escroqué, mais c’é-taient des valets en peinture, armés de halle;bardes, et sans cœur hors un seul, les Hec-tor, les Pâris, etc.

i PÉZOPHILE.Approche et compte... Comme tu as l’air

triomphant!* PARMÉNON.

Cette couleur me plaît. Cinq.... dix....( à Pézophile qui retire le sac.) Attendez doncun petit moment.

. PÉZOPHILÈ.

Je perds trop de temps. Voilà cent écusbien comptés. Prends-les.

PABMÉNON.

Et rien de plus?PÉZOPHILE.

Rien.PARMÉNON. .

Mais vous m’en devez encore autant.PÉZOPHILE.

Je ne t’en donnerai pas davantage pour lemoment ; il faut que tu apprennes à faire un

bon usage de tant d’argent; ne va pas le

dissiper. ’ o .PARMÉNON. -Ne craignez rien.( u se relire dam and»),

Je vais les recompter; en pareil cas je ne me

fie qu’à moi. xs c E N E x1v. I

CLÉOBULE , PÉZÔPHILE , PABMÉNON, ,

dans son coin.

omicrons.Salut à notre guerrier.

Pézorntnn.’Quelle salutation est-ce la? . ’ ’ ’

cnéoaULE. p ù ’Bonne nouvelle, mon ami; la compagnie, ,

de cavalerie est à toi ;ï ton oncle en acomptel’argent. Il a invité Néoptolème a dînerg’è’et

officier est arrivé. Dépêche l- toi de venir

prendre place avec nous. ”v PÉZOPHILE.

Je hais les dîners d’apparat.

A y entonnez; ATu consacrais au jeu des inuits entières,et tu ne pourrais donner une heure ou deuxà ton oncle et à tes amis? Suis-moi.

rempluma.Que fera-t-on après dîner?

CLÉOBÙLE. A

. Ce qu’on voudra. Dépêche-toi.- * -rameniez.

Quel ennui ! i. CLÉOBULE. v . .Que regardes-tu? Netefais pas attendre.

PÉZOPBILE ., obéissant a regret.J’obéis , puisqu’il le faut.

SCÈNE xv.

PARMÉNON , comptant son argent par pilet. r

Quatre-vingt-quinze , quatre-vingt-seize,quatre - vingt ’- dix - sept , quatre -vingt-dix-huit , quatre-vingt-dix-neuf , cent écus. Oh!si mon maître en eût ajouté encerclautant!Que d’argent peut produire cette petite som-me bien placée! Que de Parmenons ontvuleurs petits pécules grossir comme: la boule.de neige et devenir des fortunes immenses !. ..Voyons , à quoi me décider P comment placermon argent? D’abord j’aurai soin de n’en rien

détourner pour de frivoles dépenses. A coupsûr, je ne jouerai pas un écu; je n’imiteraipas mon maître, qui... Ah! je méritais d’être

riche , puisque je saurai faire un si bon em-ploi de la richesse!

ACTE Il, SCÈNE XVI. 65s C E N E xv1.

PSEUDOLE , PARMÉNON.

PSEUDOLE ,Ise précipitant dans les bras de Par-mena".

N’est-ce pas Parménon que je vois? Et. comment te portes-tu, mon adorable ami?

PARMÉNON , reculant et cachant son argent.

Très bien; mais je t’en prie...PSEUDOLE , restant les bras étendus.

Après si long-temps, je te retrouve enfin.Permets que je tombe dans tes bras.PARMÉNON, fuyant les embrassements de Pseudole.

Eh! n’approche pas davantage.PSEUDOLE.

Fi l comme te Voilà tier! Me fuirais-tu?PARMÉNON.

Point du tout; mais...PSEUDOLE.

Tu ne me reconnais pas, je crois; m’au-rais-tu déjà oublié?

PARMÉNON. ,0h ! je te connais bien , Pseudole, avec ta

face de renard; oh ! je te reconnais bien.PSEUDOLE.

Et tu m’aimes toujours , n’est-ce pas?PARMÉNON.

Passionnément.PSEUDOLE.

Permets donc qu’a l’exemple de nos mar-quis , qui s’embrassent à toute rencontre etmême dans la’ruc, permets que je te donne

l’accolade fraternelle. IPARMÉNON.

Je l’ai déjà dit... je te somme de ne pas ’m’approcher.

rsnnooua.Et pourquoi?

i PARMÉNON.Passe à gauche et garde-toi d’approcher

de mon côté droit.

PSEUDOLE.

Aurais-tu quelque douleur?PABMÉNON.

Vois l’enflurc de ma poche !

PSEUDOLE.

Je te débarrasserai, si tu le veux , et jeme chargerai de ton fardeau, tant je t’aime!

’ ’ranmÉNox.Je le garderai avec soin , tant je me délie

de toi.PSEUDOLE.

Te voilà riche, mon ami; je t’en félicite.PARMÉNON.

Je m’en réjouis pour moi. Mais d’où viens-

. tu P

rseunouz.De la campagne, où les désastres du jeu

avaient exilé mon maître. Mais la campagnenous a remplumés et nous revenons au com-bat, sûrs de vaincre, ou...

PABMÉNON.

Ou...’ PSEUDOLE.

De mourir de faim.PARMÉNON.

Digne sort des joueurs! Mais où est tonmaître Astragale?

PSEUDOLE.

Lit-bas devant la maison; il a renconætré une ancienne connaissance, et il m’adit de le précéder, pour savoir si... Mais levoilà.

S C E N E X V l l.

ASTRAGALE, PSEUDOLE, PARMÉNON.

ASTRAGALE.

Que les plus heureux auspices accompa-gnent Parménon , le plus spirituel et le plusgras des valets! Où est ton maître? où estnotre cher Pézophile?

PARMÉNON.

l! vient de se mettre à. table.ASTBAGALE.

On dit qu’il part bientôt pour l’armée.

rAnMÉNON.

On le dit.ASTRAGALE.

Fais-lui savoir, je t’en prie , qu’un ami luidésire quelques mots le plus tôt possible.

ruminois.Je doute qu’il puisse venir.

ASTRAGALE.

ll ne se repentira pas d’avoir été dérangé;

il apprendra des choses qui l’intéressent.Avertis-le en particulier, m’entends-tu?

SCÈNE xvm.

ASTBAGALE , PSEUDOLE.

ASTRAGALE , a part.

Puisque Pézophile est regarni d’espèces ,

il faut que je le fasse jouer de nouveau.PSEUDOLE, a part.

Puisque Parmenon est chargé d’argent, ilfaut que je m’empare de lui par la ruse ou parle vin.

ASTRAGALE.

Je ne le lâcherai pas que je n’aie vidé sabourse.

PSEUDOLE.

Il ne sortira pas de mes mains que je ne

ce LE JOUEUR,l’aie soulagé de son fardeau par quelque tourde ma façon.

ASTRAGALE.

Si je ne répare mes désastres par la ruined’un autre , la misère m’accablera bientôt.

remuons.Si mon adresse ne sait tirer parti de l’im-

prévOyance du prochain , il faudra que jemeure de soif.

ASTBAGALE.

Que dis-tu , Pseudole? que médites-tu laen toi-même?

PSEUDOLE.

Je songe à notre position.asrnAGALl-I. r

Morbleu ! je ne sais où passe tout l’argentque l’on confie au jeu.

PSEUDOLE.

Rien n’est plus facile à savoir; demandez-leà ceux qui donnent à jouer.

ASTBAGALE.

Le jeu me paraît comme une mer , où desfleuves d’or se jettent sans qu’il en retournejamais rien.

PSEUDOLE.

Pour moi, la salle des joueurs me paraîtressembler exactement à l’audience des plai-deurs. Tout l’argent s’en va dans la pochede ceux qui savent exploiter la folie d’autrui.

ASTRAGALE.

Hem; chut! voila mon homme.

SCÈNE x1x.

PÉZOPHILE , AsraAcALE . PSEUDOLE ,PARMENON.

(Entre Pézophile avec une serviette comme un convive

qui sort de table pour y retourner bientôt.)

ASTBAGALE , courant embrasser Pézophile.Que les dieux protègent Pézophile!

PEZOPHILE.

Qu’ils envoient à Astragale tout le bon-heur du monde !

ASTRAGALE.

Tu me vois de retour de mes propriétésrurales , où mes atfaires m’ont retenu.

PÉZOPHILE.

Je m’étonnais de ta longue absence. Notre

salle de jeu paraissait vide; les cartes regret-taient ta présence; nos cornets même te rap-pelaient par un murmure plaintif. Le jeu estde glace quand tu n’y es pas.

ASTRAGALE.

Il est de feu quand tu y es. En toi sa pro-tection, son appui, sa gloire. Je te cède le ’premier rang, satisfait du second, que jeretourne remplir; et je t’offre aujourd’huia vaincre un adversaire rarement vainqueur,

plus souvent vaincu, et qui n’est pas de taforce.

PARMÉNON.

Nous ne battons plus que les ennemis.PÉZOI’HILE , a Parmenon.

Qui t’a donné la parole? (a Astragale.) Je

n’ai pas encore fini de dîner. j ’amassant."

Que parles-tu de dîner? Pour nous , jouern’est-ce pas vivre? J’ai cependant humecté

mon gosier d’une tasse de café. Une trouped’amis choisis m’attend ici près chez Pano-

lêtre ; tu sais bien. J’y vole. tPÉZOPHILE.

Ne peux-tu retarder un instant P.ASTRAGALEÏ.

Impossible ; peut-être n’ai-je déjà que trop

fait attendre mes A amis; car je leur avais

donné parole. l , MPARMÉNON, tirant son maître par le bout de la

manche. I ,Mon maître , les convives. vous attendent.PÉZOPHILE . à Parmenon;

Débarrasse-moi de cette serviette. ( Il donnesa serviette a Parmenon.) Mon chapeau et mon

épée. ’ t -PABMÉNON.

Mais... APÉZOPBILE. , .Dépêche-toi... (à Astragale.) Pars toujours,

Astragale; je te suis à l’instant; je te rat-trape en un clin-d’œil. A - I ,.

ASTRAGALE. . j . ,Pseudole , suis-moi. A A(Pseudole fait quelques pas et revient bientôt sur

le théâtre pour guetter Parmenon.)

PARMÉNON , à son maître. ,Voila le chapeau... voila votre épée... mais

songez...rÉzormLE.

Point de leçons , maraud.

SCÈNE xx.PARMÉNON, PSEUDOLE.

PSEUDOLB.

Me refuserasotu ta compagnie? ne viens-tupas trinquer avec moi, Parménon?

PARMENON.

Laisse-moi; je ne veux pas mal employerun argent bien acquis, mais. le placer à intérêt.

rssnnona.Tu veux le placer à intérêt?

’ mausers.Au plus gros intérêt et le plus tôt possible.PSEUDOLE. a

J’approuve fort ton dessein, et si tu le veux,

ACTEIÏ,SCÈNE xx. inje t’indiquerai des personnes qui te feront ga-gner un gros intérêt à l’heure.

PARMÉNON.

Où sont-ils?PSEUDOLE.

. le te le dirai. Je dois suivre mon maître;suis le tien et viens nous rejoindre.

SCÈNE XXL

PABMÉNON, seul.

La fortune t’appelle, Parmenon, ne la re-pousse pas; enrichis-toi, puisque tu le peux ;

c’est par-là qu’il faut commencer. Puis, devalet tu deviendras maître et noble de ro-turiergtu changeras de nom et de race; ou, enajoutant une toute petite lettre à ton nom,de Parmenon tu deviendras Parmenion, l’ar-rière - petit-fils de ce Parmenion dont jeme rappelle avoir lu l’histoire, avant que monmaître ne vendit ses livres. Allons, et parnotre visage, notre démarche, notre air, ap-prenons déjà à contrefaire l’homme de qualité.

Hem, hem...(Il cherche à imiter les attitudes, le geste, le ho-

chement de tête et jusqu’à la toux des gens dequalité.)

ACTE TROISIÈME.

SCÈNE].

CHRYSOBE, CLEOBULE.

CHRYSORE.

Que soupçonnes-tu , Cléobule? Quel motifpeut avoir eu Pézophile pour quitter aussibrusquement la table et les convives?

CLÉOBULE.

Peut-être lui est-il survenu quelque affairegrave et qui n’admettait aucun retard.

CBRYSORE.

Oh ! si sa bourse eût été pleine, les conjec-

tures ne seraient ni difficiles , ni douteuses.CLÉOBULE.

Peut-être est-il allé rendre service à un ami?CBRYSORE.

Le supposerais-tu engagé dans quelquerixe? le second de quelque duel ?

CLÉOBULE.

Pézophile n’est pas homme a soutenir sesamis dans unemauvaise querelle, mais à volerà leur secours s’ils sont en danger.

SCÈNEILAcÈION, CHBYSORE, CLÉOBULE.

AGRION.

Puis-je, sans être importun...CLEOBELE.

Mais c’est Agrion, si je ne me trompe!AGBION.

Salut à tous deux.CHRYSORE.

Approchez , Agrion , approchez. Quellenouvelle nous apportez-vous?

AGRION.

Hélas! une bien grande calamité nous est

survenue.la. LATIN-MODERNE.

CHRYSORE.

Vous parlez peut-être de la longue séche-resse qui, l’année dernière, a désolé nos

champs et nos pâturages, ou de cet ouraganterrible qui tout récemment a bouleversé laterre et la mer, ravagé une grande partie dela France et ruiné les campagnes et les la-boureurs ?

aramon.Je parle du fléau qui, sorti de votre ville,

est venu s’abattre sur nous, car depuis quevous avez vendu le château de Pézophile...

CHBYSORE.

Que dis-tu? Ij CLEOBULE.

Que veut-il dire?AGRION.

Je dis qu’on nous traite de la manière laplus indigne, depuis que le château a passédans de nouvelles mains.

CHRYSORE.

De que] château parles-tu?AGRION.

Mais du château sur les bords de la Seine,du château que possédait votre père , cethomme... Ah! quand je mele rappelle, ladou-leur interrompt ma voix et je ne puis retenirmes larmes, car celui-là était un homme (le.bien. Je parle de ce château, que vous avezvendu avec les fonds de terre, pour votre avan-tage, sans doute, mais pour notre ruine à tous.

CHRYSOBE.

Mais je n’ai vendu de château à personne.AGRION.

Vous avez donc envoyé 1m intendant pourtout gouverner et bouleverser a sa fantaisie?

CHRYSOBE.

Mais je n’ai pas envoyé d’intendant.

AGRION. ,Vous n’avez pas vendu, vous n’avez pas

Il)

ce LE JOUEUR,1. envoyé d’intenda’nt; j’en remercie le ciel; que

ne l’avons-nous su plus tôt! Mais nous jette-rons bientôt dehors ce brigand qui envahitavec tant d’impudence le domaine d’autrui.

CHRYSOBE.

Attends donc.AGRION.

Ah l comme je vais l’arranger à mon re-tour!

CHRYSOBE.

Demeure un instant et fais-moi connaîtrecomment la chose s’est passée.

AGRION.

Volontiers. Mais par où commencerai-je ?M’y voici ; écoutez-moi donc. Vous vous rap-pelez comment les fermages échus ont été,dans les premiers jours de janvier, payés envotre présence à Pézophile?

CHRYSORE.

Je me le rappelle.AGRION.

Nous étions donc quittes envers vous,n’est-ce pas?

’ causons.Sans doute.AGRION.

Six ou huit jours après, nous arrive unhomme a l’air important, menant grand trainavec une longue suite, une chaise a quatrechevaux, des chevaux de selle caparaçonnés,et tout brodé d’or lui-même, vous m’entendez

bien ?censeur.

Continue.aramon.

J’étais dans l’avenue; il me fait appeler par

un domestique. Je lui apprends que vous étieztous deux absents, vous et Pézophile g il meréspond que désormais il est le maître des terreset du château et m’en demande les clefs. Jeles refuse, il me menace et se dispose à em-ployer laforce. Que fairePJe les lui donne. De-puis cet instant cet homme impérieux com-mande en seigneur; il plante d’arbres stérilesles champs les plus productifs; il trace desjardins d’agrément; il fait démolir les an-ciens bâtiments pour en faire reconstruire (lenouveaux. Ail-dessus de la porte. de l’avenueil a fait poser son écusson. Cet écusson portetrois... oui, il porte trois champignons bla-sonnés, mais cela ne fait rien a la chose, car,parmi nous, avec de l’argent se fait noblequi veut.

CHBYSORE, à part.

Malheureux jeune homme! quelle audacedans le crime !

AGBION.

«Oh! oui; ce Pseudogène est bien le plus

audacieux des hommes; il ne craint rien; ilaccabletous ses vassaux d’injures et de coups,et tandis qu’il nous laisse mourir de faim , ilvit dans les délices et pour lui seul. J’ai cru,comme tout le monde l’affirmait, qu’il étaitréellement devenu propriétaire du château;car, comment soupçonner que l’on envahisseavec autant d’impudence la propriété d’au-v

trui? Mais nous lui ferons bien rendre gorge.J’irai le trouver, je rassemblerai tous les te-nanciers, tous les voisins g nous l’arrangeronsde la bonne manière...

CHRYSOBE. ;Garde-toi d’une pareille folie et tâche desupporter avec patience ce que tu ne peuxéviter.

AGRION.

Supporter un imposteur, Sun traître, leravisseur du bien d’autrui? impossible. Tantqu’Agrion vivra jamais on n’usurpera unepropriété qui vous appartient.

CHRYSORE. yCesse ces menaces; tu le croyais d’abord

propriétaire réel, continue de le croire, ildoit l’être en elfet, Pézophile a venduson

château. ’minon.Il a vendu son château? par vos conseils

alors ou par votre ordre?cnnvsoan.

Il aime le séjour de la ville, il se déplaîtà

la campagne; ou peut-être ne trouvait-il pasce château assez près de la capitale.

AGRION.

ll a mal fait; car ce château était trèsagréable, construit à grands frais et embellipar les soins de son père. Il faut se résigner;mais si vous venez nous voir l’été prochain,

conseillez a ce Pseudogène de nous traiteravec plus d’humanité; qu’il se souviennequ’homme lui-même, ce sont des hommesqu’il a pour vassaux l.

CHRYSORE.

Je l’en avertirai.

AGBION.

Adieu, portez-vous bien, ainsi que Pézo-phile. Le ciel vous ait en garde tous deux!

SCÈNEIH.

caavsan , CLÉOBULE.

CHRYSORE.Tant que ce pauvre vieillard était ici, j’ai

(1) Il y a dans le texte:Se. hominem hominibus dominer: scier,

Rémînisccnce de Térence:

Homo mm, humant m’ai! a me alienum pute. *

var-«smwraæéçæ; regain-5..» -: ,1 -4

44;..- ik’Jë-mùaeiï; 4.

. m’a-à.

ACTE lll, SCÈNE lll. ce»du renfermer ma douleur dans mon sein...il faut qu’elle éclate. Je n’ai plus de repro-ches pour Pézophile; mais j’ai le droit deme plaindre de vous, Cléobule., vous qui n’a-vez pas détourné votre ami d’une action in-fâme, ou qui du moins ne m’en avez pas averti

à l’instant. ICLEOBULE.

Pouvais-je prévenir un dessein que je neconnaissais pas? Pouvais- je vous avertird’une faute qui, jusqu’à cette heure, m’a été

cachée?

cunvsonE.Grands dieux ! la jeunesse n’a plus de honte

quand une fois elle se livre au jeu. Tout l’orque son père mourant lui avait laissé, il l’adéjà. dissipé; des meubles mêmes de cettemaison, que je lui avais donnés ou qu’il avait

achetés de mon argent, il ne reste que cequ’il n’a pu enlever. C’était trop peu!.. il a

vendu lameilleure propriété. Et combien?Qu’importe le prix qu’il en a reçu, puisqu’ilest déjà joué?

SCÈNE 1v.

cnavsonE, MÉGACHRYSE, CLÉOBULE.

MÉGACHBYSE.

Que le ciel exauce vos vœux à tous deux!

. CHRYSORE.Salut à Mégachryse.

MÉGACHBYSE.

Je suis heureux de vous trouver chez vous,Chrysore. J’ai besoin de vos conseils.

CLÉOBULE.

Peut-être suis-je de trop?ME’GACHnYSE.

Point du tout; demeurez, Cléobule. Je dé-sirerais, Chrysore, vous faire quelques ques-tions relativement aux hôtels qui apparte-naient à votre frère.

cnavsonE.De quels hôtels parlez-vous?

MÉGACHRYSE.

De ces vastes hôtels avec de grands por-tails, situés sur la place voisine. Vous pa-raissez étonné? est-ce que je ne vous les dé-signe pas suffisamment ?

cnnvsonE.Plus qu’il n’est nécessaire. Mais que dési-

rez-vous relativement a ces hôtels?MÉGACHRYSE.

N’auraient-ils pas quelque vice secret deconstruction? les matériaux en sont-ils demauvaise qualité? les murs mal cimentés, lesfondements peu sûrs? Il m’importe de le sa-voir, et j’espère que vous ne vous refuserezpas à me le dire franchement et sans arrière-pensée.

CHRYSORE.

Auriez-vous dessein de les louer?MÉGACHRYSE.

Non g mais au contraire de les acheter pourles louer à d’autres.

CHRYSORE.

Pézophile a-t-il résolu de les mettre en

vente? pMEGACHRYSE.

Pézophile? non pas; il ne peut vendre deuxfois la même chose; mais celui à qui Pézo-phile les a vendus dernièrement veut les re-vendre.

CHRYSORE.

Et qui est-il? IMEGACHBYSE.

Celui qui habite la petite maison contiguë,aux hôtels, cet homme aux vêtements sales,à la barbe inculte et dont le coffre regorged’or, celui... celui... la... là... comment l’ap-

pelez-vous donc? Il n’y a personne que vousconnaissiez mieux.

CLÉOBULE.

Harpagon, peut-être?MEGACBRYSE.

Harpagon lui-même 5 il est venu me trouveraujourd’hui, et comme il sait que j’ai touchéde l’argent hier, il me propose d’acheter ceshôtels. J’ai craint, en voyant l’acheteur sipressé de vendre (car il n’y a pas quinzejours qu’ils les a achetés), j’ai craint qu’il n’y

eût découvert quelque vice; je viens doncsavoir de vous si vous croyez que je puisseles acheter en toute Sécurité.

CHRYSORE.

Pézophile, qui en était possesseur et qui lesa vendus, peut vous instruire mieux que moi.

MÉGACHRYSE.

Je suivrai le conseil que vous me don-nerez.

CBRYSORE.

Encore une fois, demandez à Pézophile lui-

même. .MEGACHRYSE.

On le dit sorti, mais je reviendrai le cou-sulter. Je n’abuserai pas plus long-temps devotre patience. Je vous salue tous les deux.

cunvsonÈAu revoir, Mégachryse.

s C È N E v.

CHRYSORE , CLEOBULE.

CHRYSOBE.

Je suis hors de moi. Quelle torture jesouffre! un coup succède à l’autre ! Et vous ne

saviez rien non plus de cette vente?CLÉOBULE.

Que je meure si j’en avais entendu parler,si j’en avais conçu le moindre soupçon!

70 LEJOUEUnCHRYSORE.

Le perfide! l’infâme! que n’est-il devant

moi! .CLEonULE.

Où courez-vous ?cunvsonE.

Sa démence me fait aussi perdre la tête;je cours le trouver, lui reprocher en pu-

blic... .CLEOBULE.’

Que n’attendez-vous qu’il rentre chez lui,

que votre douleur soit un peu apaisée. Vosremontrances calmes auront plus de poids.

cnnvsonE.Que parlez-vous de remontrances? Quel

espoir de corriger celui qui, non content des’être dépouillé de sa fortune , me dépouille

déjà de la mienne? car cet argent qu’il a em-prunté hier , il faut que je le rende a Géroute,si je veux agir en homme d’honneur , et j’a-girai en homme d’honneur. Mais je châtierail’infâme comme il le mérite.

CLÉOBULE.

Ce sont là des fautes, je l’avoue, et desfautes graves, mais vous lui avez pardonnéaujourd’hui même.

cnnvsonE.Ai-je pu pardonner ce que j’ignorais, ce

qu’il a fait clandestinement, ce que sa fourbem’a caché, ce qui est impardonnable, et hélas !

sans remède ?CLEOBULE.

Il n’en restait plus qu’un et Pézophile en

a profité, il renonce au jeu, prend du serviceet se prépare a de nouvelles mœurs avec unenouvelle vie.

CHBYSORE.

Mais j’ai déjà déterminé le châtiment exem.

plaire que je veux tirer de lui.CLEOBULE.

On vient; contenez-vous.

SCÈNEVL

cuavsan , CLEOBULE, ATYCHÈS.

ATYCHÈS.

C’est encore moi qui viens vous impor-tuner.

CHRYSORE.

Vous venez toujours à propos , quand jepuis vous être utile.

ATYCHES.

Vous voyez devant vous un infortuné accasblé de douleur, et d’autant plus malheureuxqu’il ne peut profiter de votre bienfait.

CHBYSOBE.

Et pourquoi donc? Expliquez-vous.ATYCHES.

Je vous ai présenté mon fils ce matin, vous

l’avez reçu avec une bonté paternelle, vousnous avez ordonné d’espérer en vous et enPézophile. Je vous quitte plein de la plusdouce confiance, je raconte vos bienfaits àtous ceux que le hasard m’offre en chemin;ma langue publie tout ce que mon ame pensede Pézophile et de vous. Tout le monde ap-plaudit à vos louanges comme aux siennes.Cependant j’apprends qu’il est joueur. C’est

le jeu autrefois qui m’a perdu; cette penséem’arrête. Mais si mon fils, au lieu de l’artmilitaire , apprenait d’un joueur à jouer? J’ai

tremblé, je vous l’avoue; je tremble encore.Pardonnez à ma terreur ; de si grands désas-tres m’ont enseigné la crainte. En renonçantau secours que vous m’ofirez, toutes mesespérances s’évanouissent, je le sens; maisj’aime mieux ne rien espérer que d’avoir tout

à craindre pour mon fils. C’est donc à re-gret que je le ramène malgré lui dans maretraite. Le ciel ,justement irrité contre moi,doit être propice à vos vertus ’. Plaignezmon sort. Adieu.

CHRYSORE.

Demeurez, Atychès, je suis loin de blâumer la crainte qui agite votre cœur; je l’ap-prouve,au contraire. Mais n’abandonnez pasl’espérance que vous avez placée en moi. Où

est votre fils?ATYCHES.

Ici près, il se cache. Pauvre jeune homme!son désespoir fuit la lumière.

cnnxsonn.Que ne lui dites-vous d’entrer?

ATYCBÈS.

La honte et la douleur le retiennent.causons.

Qu’il se rassure, qu’il entre.ATYCHÈS.

Vous le verrez plongé dans le deuil et les

joues baignées de larmes. l vcnnxsonn.

Je serai heureux de le voir, même dans cet

état. . ATYCHES.

Approche, Philoclès, un protecteur plustendre qu’un père t’ordonne d’entrer.

SCÈNE vu.PHILOCLÈS, ArYCHÈS, censure,

CLEOBULE.

cunvsonE.Séchez vos larmes, malheureux jeune

homme , qui méritiez un meilleur sort.

(l) Le texte dit saperas, les dieux; mais la langue la-tine ne recule jamais devant un synonyme. Les mœursde la pièce n’appartenant pas à la civilisation païenne,

reperce est ici pour Deum.

«a v; - Je»- flâna; 3.2.4144. ..

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li t.

n’îéânï J ..

se

2’44 Snaxun

ACTE 111, SCÈNE Vil. 71ATYCHÈS.

Approche donc, approche... Jette-toi à.ses pieds.

cuuxsoua.Je ne le permettrai pas.

PHILOCLÈS , tombant aux genoux de Chrysore.Je vous en supplie, prenez pitié de mon

sort.CHRYSOBE , offrant la main à Philoclès pour qu’il

se relève.

Que faites-vous? cette posture convient-elle...

ATYGHÈS.

Elle convient à celui a qui sa fortune lacommande, à qui son père l’ordonne.

CHRYSORE, tendant de nouveau la main à Phi-lactés.

Levez-vous, encore une fois, levez-vous;votre place n’est pas à mes genoux, maisdans mes bras. Pourquoi détourner la tête?Regardez-moi. Voyez en moi votre pro-testeur.

PHILOCLÈS.

Puis-je renaître par vous à l’espérance?

cnnvsom-z.Vous le pouvez, oui, vous le pouvez, Phi-

loclès.

ramonas.Par vous je pourrai marcher sur les traces

de mes aïeux?

oursons.Oui, n’en doutez pas. Je sais ce que je

veux et puis faire pour vous. Je le ferai;reposez-vous sur moi.

PHILOCLÈS.

Ah! vous me rappelez à la vie.aucuns.

Maintenant je puis mourir.cunvsonn.

Vivez, Atychès , vivez; et retournez dansvotre famille plein des plus grandes espé-rances.

anones.Rappelé par vous à la vie je retourne près

des miens. Quand ordonnez-vous que je ra-mène mon fils?

cnnvsoun.Votre fils? En attendant que j’aie préparé

ses équipages pour l’année, qu’il reste ici,

chez moi, sous mes yeux; je le désire, et sij’ai mérité quelque chose de vous, je l’exige.

arvcnus.Vous le désirez , vous l’exigez?

cnuxsonn.Le retard ne sera pas lon".

ATYCHÈS.

Mon cœur est saisi (l’étonnement et malangue, qui demeure muette, ne peut expri-mer ce qu’il sent.

causons.Embrassez votre père, Philoclès, et faites-

lui vos adieux.PHILOCLÈS, embrassant son père.

0 le meilleur des pères , adieu!ATYCHÈS, embrassant son fils.

0 mon cher fils, sois heureux et surtouthomme de bien! C’est moi qui t’ai rendu mi-

sérable, voici celui qui va te rendre heureuxet que tu dois aimer plus que ton père : je nem’en plaindrai pas.

PHILOCLÈS.

Oh! mon cœur se sent assez d’amour pourvous chérir tous deux , pour m’acquitter en-vers tons deux.

CHRYSORE.

Entrez dans l’intérieur des appartements,Philoclès, et prenez le repos dont vous avezbesoin.

PHILOCLÈS.

Je vous obéis , ô vous que je ne sais com-ment appeler, mon protecteur ou mon père!

s C È N E V1 l I.

CHRYSORE, CLEOBULE.

cnnvsonn.Vous voyez , Cléobule, où le jeu conduit

les familles.CLÉOBULE.

Je le vois , et je m’en afflige.

cnnvsonn.Cessez donc de vous étonner que per-

sonne ne veuille recevoir Pézophile dans safamille, malgré la noblesse de sa naissance.Il n’y a pas de maison opulente assez solidesur ses fondements pour qu’un joueur ne larenverse bientôt. Hélas! n’avais-je pas euassez d’exemples étrangers de ruines cau-sées par le jeu? fallait-il encore celui de-Pézophile? En un instant il a perdu sa for-tune et sa réputation; ceux-là même lefuient qui auraient besoin (le son secours;et, ce que je regarde comme le comble desmisères, il est désormais incapable d’êtreutile, même quand il le voudrait.

CLÉOBIILE.

Il est brave, intrépide, d’une constitutionvigoureuse; il acquerra du renom a l’armée,et sa gloire compensera la ruine de sa for-tune.

cnnvsonE.Que le chemin de la renommée est difficile

à celui qui s’est une fois couvert d’infamie!Mais j’aperçois son coquin de valet.

72 LE JOUEUR,SCÈNEIX.

cnnrsoaa, CLÉOBULE, PABMÉNON

causons.D’où viens-tu, honnête valet?

PARMÉNON.

D’où je voudrais n’être jamais allé.

cnnxsonn.Où est ton maître?

PARMÉNON.

Nulle part.cnnvsonn.

Que dis-tu ?PARMÉNON.

C’en est fait de lui.

cnnxsonn.Grands dieux! que dis-tu? Serait-il mort?

PARMÉNON. *

Non.CLÉOBULE.

Qu’y a-t-ll donc?PARMÉNON.

C’en est fait de lui, vous dis-je.cunxsonE.

Continueras-tu de parler par énigmes,misérable?

PABMÉNON.

Faut-il vous dire toute la vérité?cnnvsons.

Je le veux, je te l’ordonne.PARMENON.

Ce matin vous vous emportiez parce queje ne parlais pas assez clairement; bientôtvous vous affligerez de ce que je parle tropclair.

cnnvsonn.

Parle. ICLÉOBULE , a part.

Quelle terreur est la mienne!cunxsonn.

Tu tardes encore à t’expliquer?PARMÉNON.

Je ne tarde plus. Mon maître vient derisquer au jeu une somme d’argent emprun-tée à usure, et. de plus la compagnie que vouslui aviez achetée; il a tout perdu. O fortune!

CHRYSORE.

C’en est assez.PARMÉNON.

Est-ce assez clair?CLÉOBULE - a Chrysore.

.Où courez-vous P

cunvsonn.Laissez-moi.

CLÉOBULE.

Au nom du ciel, de la clémence!

cnnvsons.Ses vices ont comblé la mesure.

CLÉOBULE.

Demeurez un instant : que ce premier

mouvement se calme. -causons.Laissez-moi , laissez-moi. Il s’est conduit

l d’une manière digne de lui; je me condui-l rai d’une manière digne de moi.

SCÈNE x.

CLEOBULE , . PARMENON. .

cmioauns. -Où est ton maître? dis , parle. ’PARMÈNON.

Sur la place voisine.CLÉOBULE. ’ i

Conduis-moi vers lui, hâte-toi , conduis;

moi vers lui.PARMÉNON.

Il n’y a pas besoin de guide. Courez àcette maison funeste de Panolètre; monmaître est la, s’il est quelque part.

CLÉOBULE. j ,J’y vole à l’instant, j’en arrache le mal-’-

heureux.PABMÉNON.

Allez , courez. Pendant ce temps je vaisrégler un certain compte avec moi-même.

SCÈNE x1.

PARMENONU, seul.

Ouf! me voila seul; personne qui mevoie, personne qui m’entende. Du courage!( Il ôte son vêtement, dépose son chapeau, se crible

de coups de poings, et veut s’arracher les’cheveuæ

et les oreilles.) Ah! Parménon, scélérat deParménon , tu as perdu cent écus et tu visencore! Mais je vais a l’instant cesser devivre, je vais me pendre. Fermons d’abord 7

les portes et tirons les verroux, de craintequ’un importun ne nous dérange ou ne nousappelle mal à propos. (Il ferme les portes.)Maintenant... Qui m’appelle ?... On y va!...Personne. Maintenant il faut choisir unesolive d’où mon corps puisse pendre commo-dément. (Il passe en revue. les salives pour enchoisir une. ) Celle-ci, si je ne me trompe, estun peu trop basse.... celle-là paraît trophaute... mais cette troisième fera mon affaire;en m’y suspendant, je pendrai à une dis-tance convenable du sol... Mais n’est-cepas déshonorer mes parents et mes alliés.

1 lls s’affligeront... Qu’ils s’affligent... t n (ne

ACTE 111, SCÈNE x1. 73sa perruque et sa fraise.) Pour moi rien nem’affligera plus... D’ailleurs je ne serai pas le

premier de la race des Parménon qui aitfini sa carrière par la corde. S’il faut périrpar sa propre main ou par celle du bourreau,il vaut mieux périr par la sienne; je périraipar la mienne. ( Il regarde s’il n’y a pas dansles boiseries quelque clou proéminettt.)Malheu-reux! je cherche un clou dans ces boiserieset je n’en trouve pas. J’en vois bien un petit,

mais il est incapable de supporter une massecomme la mienne; et s’il allait me laissertomber à terre, quelle chute! j’en serais toutmeurtri.... Ah! je découvre un gros clou au-quel je pendrai sans danger.... Eh! eh! laporte a crié. (Il court a la porte.) Je me suistrompé. Mes oreilles tintent. Il ne me resteplus qu’a trouver une corde. ( Il fouille danssa bourse pour y trouver de l’argent.) O tête im-prévoyante et sans cervelle! De mes centécus je n’ai pas gardé un sou pour acheter

une corde !... Allons, ceinture, viens a monsecours. ( Il dénoue sa ceinture. )Fais fonctionde la corde et rends-moi ce dernier service...Serrons le nœud coulant qui serrera la gorge,serrons-le bien. ( Il saisit avec les dents un côtede la ceinture et serre le nœud. )Oui... ouf...ouf... nous y voila; tout est déjà prêt... Jevais donc mourir intestat? Parbleu! je n’aique ma bonne renommée a laisser après moi.Mais une échelle me manque encore; unechaise en fera l’office. (Il s’efforce de monter

sur la chaise ou sur les bougeons , en parlant tan-tôt du pied gauche, tantôt du pied droit; puisobliquement. ) Sont-ce mes pieds qui tremblentou ceux du fauteuil? Allons, Parménon, ducourage. Tu trembles, lâche, tu trembles!Allons! hisse-toi et meurs en héros. Maisqu’est-ce que j’entends? Certainement onvient. Je ne me trompe pas. Malheureux queje suis! Qui vient si mal a propos? Ne mesera-t-il pas permis de me pendre à loisir etde mourir tranquillement?

SCÈNE x11.

PEZOPHILE , PABMÉNON.

PÉZOPHILE , frappanl la porte des pieds et des

’ mains.Qui a donc fermé cette porte?PARMÉNON , descendant avec effroi de la chaise.

Mon maître! .PÉZOPHILE.

Ouvrez, s’il y a quelqu’un , ouvrez.

panama.Comme il bat cette porte! je suis mort.

PÉZOPl-IILE.

Dans ma fureur je brise, j’enfonce, j’a-néantis...

PARMÉNON.

Où me cacher?(Il ramasse à la hâle sa défroque, et court se

cacher derrière un fauteuil , dans un coin duthéâtre ,- il passe de temps en temps la tête,quand son maître ltti tourne le des.)

PÉZOPHILE.

La porte cède à mes efforts. Elle s’ouvreenfin. N’y a-t-il personne? Ah! personne.Personne; laissons éclater librement la fu-reur que j’ai trop long-temps compriméedans mon ame 1. Je suis a la torture... jesuis sur la roue... Les furies jettent leursserpents dans mon sein. (Il mord son chapeau,puis , se laissant tomber sur un fauteuil qu’il ren-contre, il médite un instant.) O fortune perfide!ton sourire n’était qu’une amorce, tu me ca-ressais pour m’entraîner dans l’abîme. (Il se

levs.) Mais tu accuses la fortune, misérable!quand tu devrais n’accuser que toi seul!Ai-je bien pu me livrer encore à ce jeu quej’avais abjuré tant de fois! (Il croise les braset fixe la terre.) Oser trahir ainsi la foi jurée aton oncle! (Il change de pose dans une violenteagitation.) Quoi! ses bienfaits n’ont pu t’ar-rêter; tu n’as pu en faire un meilleur usage?Langue parjure! main criminelle! tête dé-vouée aux furies! (Il retombe sur son fauteuil, et,se tournant de côté, appuie sa te’te sur sa mainet cache son visage.) J’ai tout perdu. (Il seretourne du côte des spectateurs et lève les yeuxau ciel.) Et je vis encore! Non , non , ces mursserviront ma fureur! Je briserai cette têteinsensée.

(Grinçant des dents et égare,,il enfonce sonchapeau sur sa tête et se précipite vers le fauteuilderrière lequel Parmenon se. cache.)PARMÉNON , élevant la tête et les bras derrière le

fauteuil.O mon maître! ayez pitié de vous et de

moi !PÉZOPHILE , écartant le fauteuil avec foreur.

Pourquoi te cachais-tu la, traître? c’estdonc toi qui avais fermé la porte? c’est toiqui as prétendu me repousser de ma maison?

PARMÉNON , tremblant.

Pardonnez.PÉZOPHILE.

Je te pardonne, mais à une condition;rends-moi l’argent que je t’ai donné.

(t) VALÈRE.Non, l’enfer en courroux et tontes ses furies,N’ont jamais inventé de telles barbaries...

Sort cruel! la malice a bien su triompher,Et tu ne me flattais que pour mieux m’étonner.

RÈCNARD.

74 LE JOUEUR,PARMÉNON.

Faites-moi grace.PÉZOPBILE.

Je te fais grace, te dis-je, mals rends»m0]...

i PARMÉNON.Ne me redemandez pas ce que...

PÉZOPHILE.

Au lieu de cent écus, je promets de t’enrendre mille.

PARMÉNON.

Impossible.rampant.

Tu me les refuserais, pendard! Par l’en»fer l... (Il saisit Parmenon au collet.)

PARMÉNON.

Ahi! ahi! vous m’étranglez.PÉZOPBILE.

Tu me les donneras , mort ou vif.PABMÉNON.

Hélas! ni mort, ni vif; je ne puis vousles donner.

PÉZOPBILE.

Et pourquoi donc, parjure?PABMÉNON.

Parce que je les ai perdus.PÉZOPRILE.

Parce queP...PARMÉNON.

Parce que je les ai perdus , hélas! Faut-il ledire deux fois?

PÉZOPHILE.

Oses-tu bien te jouer encore de moi?PARMÉNON.

Hélas! j’ai trop joué.

PÉZOPHILE.

Tu mens encore?PABMÉNON.

Plût au ciel!PÉZOPHILE.

Tu les as perdus? mais où? quand? com-ment?

PABMÉNON.

Il n’y a qu’un instant; la où vous étiez,avec David, Géta et Pseudole.

PÉZOPHILE.

Comment, misérable! risquer au jeu centecuS?

PABMÉNON.

J’ai eu tort, je l’avoue.

PÉZOPBILE.

Perdre en une seule heure tes gages detrois années!

PABMÉNON.

La. force de l’exemple est grande; le mau-vais exemple m’a perdu.

(Il montre son maître.)PÉZOPHILE.

Malheureux que. je suis! avec ces cent écus

,-.r

je pouVaîs ramener la fortune. c’est toi, par.ricide, toi qui as d’un seul coup ruiné ton ave

nir et le mien. aPARMÉNON.

J’en suis au désespoir.

rÉzorntLE, tirant son epee.Mais la mort bientôt va me venger.

v PARMÉNON.

Ah! rentrez cette épée dans son tourteau, ,ne tranchez pas ma vie. Moi-mêmei j’ai résohi

de me détruire, et ’sans votre malencon-treuse arrivée, vous verriez à l’heure Qu’il

est votre Parmenon pendu à cette solive.PÉZOPHILE. ”

J’admire ton dessein; je t’ai appris a jouet,tu m’apprendras à mourir; et ce fer, plongédans mon sein...

PABMÉNON, retenant la main de son maître. ,Attendez un instant; c’est à moi de ’

mencer; c’est moi qui en ai en la jambière

idée. ’ ’SCÈNE x11].

PËZOPHILE , CLËOBULE , aramon.

CLÉOBULE, arrachant à Pézophile son

Mon ami, que fais-tu? et que ficus-Wilde

faire? I" lrézormna.La fortune m’a traité comme elle n’a ja-

mais traité personne. , lcanneurs.

As-fii pu oublier si vite et si indignementton oncle?

PÉZOPHILE. ,Ah l je n’oublierai jamais comme la fortune

s’est joué de moi. Écoute... ’ ’ ’

- CLÉOBULE. ,Je ne veux pas t’entendre et je n’en pailpas

le temps. Chrysore... ’( Il veut conduire Pézophile à son oncle.)

PÉZOPBILE.

Il faut que tu le saches.CLÉOBULE.

Je sais tout; mais apprends que...PÉZOPHILE.

Tu sais tout; eh bien! as-tu jamais ouïparler de tant «l’insolence?

CLÉOBULE.

Non; mais...PÉZOPBILE

Dés maudits! après onze coups fortunésperdre plus de vingt fois de suite; qu’endis-tu *?

(l) Dix fois à carte triple être pris le premier:RECHARD.

ACTE!!! SCÈNE XlII. 75CLÉOBULE.

Ce que je dis? Tu as perdu la tête.PÉZOPHILE.

Je le crois. Et qui pourrait supporter cettesérie fatale sans perdre la tête P ah!

CLÉOBULE.

, Tu parles de malheurs passés que tu nepeux réparer. Préviens, si tu le peux, lesmalheurs à venir, et...

PÉZOPHILE.

Tous les malheurs passés sont réparablessi tu me prêtes à l’instant quelque argent.Viens à mon secours, je t’en supplie.

CLÉOBULE.

Quoi! tu penses encore à jouer? 0 monami ! quelle fureur!

minoenne.La fortune m’a maltraité; je veux la faire

rougir de son injustice. Me refuseras-tu ceque j’implore à tes pieds?

(Il se jette à genoux pour supplier Cléobule.)CLÉOBULE.

Je veux te rendre le plus grand des ser-vices; suis-moi.

PÉZOPBILE.

Tu consens donc à me prêter de l’argent?CLËOBULE.

Mon amitié ne t’a jamais manqué quand tuen as eu’ besoin.

PÉZOPHILE.

Je le sais et je te rends grace. Eh bien! jen’eus jamais plus besoin de ton amitié.

CLÉOBULE.

Oui, tu n’as pas une seconde à perdre;cours aux pieds de ton oncle; cherche à lefléchir, s’il en est encore temps.

’ PÉZOPHILE.

Eh! qu’il s’irrite contre moi, qu’il soit

furieux, qu’il me maudisse; il faut que jetente encore une fois la fortune , il faut queje joue.

pAEMÉNON.

Mon maître , j’aperçois votre oncle ; je ne

sais que] papier il porte à la main.CLÉOBULE.

Hélas ! je ne le sais que trop!PÉZOPHILE.

Où fuirai -je , malheureux?

SCÈNE x1v.

CHRYSOBE, PÉZOPlllLE, CLEOBULE ,PARMENON.

CHRYSORE , saisissant le brus de Pézophile et I’ar- 1

râlant.

Demeurez, Pézophile, demeurez; j’aideux mots à vous dire.

Tu. LATIN-IODERNE.

CLEOBULE.

Au nom du ciel! Chrysore!cnnvsouE.

Laissez-moi, Cléobule.. Veuillez répondreà mes questions, Pézophile.

PARMÉNON , à part.

Il lui fait son procès en forme; il com-mence par l’interroger.

cunvsone.Le château et les terres que vous possé-

diez sur les bords de la Seine , à qui appar-tiennent-ils?

PARMÉNON , a part.

Ouf!CunvsonE.

Vous gardez le silence? Ce vaste hôtel quevous possédiez sur la place voisine, quelen est aujourd’hui le maître?

PARMÉNON.

Ahi!cunvsonE.

Vous vous taisez? Et la compagnie de ca»valerie que je vous ai achetée, la passerez-vous bientôt en revue?

PARMÉNON; a part.

Comme il passe tout en revue lui-même!cnnvsonE.

Vous ne répondez rien? vous ne pouvezparler? Peut-être saurez-vous lire. Tournezvos yeux de ce côté.

CLÉOBULE.

Votre testament!CHRYSORE.

Où j’institue pour mon héritier un autreque Pézophile.

(Pemphile tombe comme frappe d’un coup defoudre. Appuyé sur une des colonnes du théti-

tre , tantôt il jette les yeux sur son oncle ,tantôt il les soulève vers le ciel.)

rARMÉNON.

M’aurait-il institué son héritier?CLÉOBULE.

Grands dieux? qu’ai-je entendu?CHRYSORE.

Oui , j’exclus de tous les biens dont la loime laisse la disposition mon neveu Pézo-phile , Pézophile que possède le démon dujeu , Pézophile que le jeu a perdu.

CLÉOBULE.

Je vous en prie, je vous en supplie , jevous en conjure , abjurez votre colère ; ou-vrez de nouveau votre cœur à la miséri-corde.

cunvsonE.Je ne fais rien par colère.

CLÉORULE.

Corrigez votre neveu ;ne le perdez pas.il

76 LE JOUEUR.causons.J’ai voulu le corriger, je n’ai pu y parve-

nir; mais je puis le punir et je le punis.PARMÉNON , a Pézophile.

Mon maître , resterez - vous la plantécomme une borne?

CLEOBULE.

Par cette main bienfaisante ,que j’em-brasse...

cunvsonE.Vous parlez en vain.

CLEOBULE.

Ne déshéritez pas celui que la nature et lesang vous ont donné pour héritier.

cunvsonE.C’est à bon droit que j’exclus de ma for-

tune celui qui s’est lui-même dépouillé de la

sienne. Donnerai-je a un joueur, pour qu’illes dissipe , des richesses acquises par le tra-vail?

j, CLEOBULE.Eh! peut-être les donnerez-vous a des

inconnus , à des étrangers , à des ingrats.CHRYSORE.

Non, [je les léguerai a un homme que jeconnais, à mon parent, a celui dont la re-connaissance m’est assurée.

CLEOBULE.

Eh! à qui donc?cunvsone.

A vous.CLEOBULE.

A moi?CHRYSORE.

Où fuyez-vous , Cléobule?CLEOBULE.

Je ne puis hésiter. Si vous ne rétablissezPézophile dans ses droits , je m’éloigne pour

jamais.PEZOPHlLE.

Demeurez , Cléobule. Daignez m’entendre

une dernière fois, mon oncle. Ne craignezpas de moi des plaintes importunes; vousfrappez un coupable et vous choisissez undigne héritier. Je suis bien malheureux, maisdu moins je le serai seul. Heureux d’un telhéritier, vous oublierez les tourments queje vous ai causés et tous mes torts. Je n’enaurai plus d’autres. Je vous délivre de maprésence. Vous ne me reverrez plus. Vivez ,soyez heureux. (a Cléobule.) Jouissez du des-tin que votre vertu vous a mérité.

CLEOBULE.

Arrête ô mon ami !

"maison .Mon maître , où courez-vous? Est-ce doncainsi que je vous perds et que vous me per-

dez? ’ * vcunvsona.Suivez-le , Cléobule; faites-le revenir. Je

suis son oncle; il peut continuer de vivreprès de moi. De mon vivant je continuerai depourvoir à sa nourriture et à son habille-ment, et à ma mort je lui léguerai de quoisoutenir son existence.

CLEOBULE , sortant.Qu’il regarde comme à lui tout ce qui sera

à moi; je n’accepte votre bienfait qu’a, lacondition de lui tout restituer dès qu’il seracapable de le conserver.

PARMÉNON , à Chrysore.

Me déshéritez-vous également?

cunvsan. aQue réclames-tu , mauvais drôle? ’ à

PARMÉNON. aJe réclame ce que mon maître me doit,

Cent écus bien comptés, a moins que vous nejugiez bon d’y ajouter quelque chose. ’

censeurs. . VOn te les paiera , s’il est vrai que ton mat-tre te les doive. l

SCÈNE xv.

PABMÉNON , seul. -

Maintenant que me reste-t-il à. faire?Doisàje poursuivre le dessein que j’avais priset conduire mon hardi projet jusqu’à la.corde? Au fait, je crois qu’il vaut encoremieux vivre et ne pas permettre qu’un lacethonteux défigure par son étreinte une minequi n’est pas tellement dépourvue de grince.Vivons. Abordons le nouvel héritier de Chry-sore; cherchons à entrer et à nous placerchez lui. J’ai perdu ma fortune avec monpremier maître , peut-être en retrouverai-jeune avec le second. Avec un peu d’esprit...Pour vous , nos chers auditeurs , puissiez-vous avoir meilleure chance au jeu! (u mon-tre la solive où il voulait se pendre.) ou, cevaut bien mieux encore , fuyez à toutes jam--bes la caverne des joueurs! Ce sont les vœuxque vous adresse un honnête, mais infortunévalet , connu dans le monde sous le nom deParmenion ; je me trompe , je me trompe, deParménon.

FIN DE JOUEUR.