mésentente entre associés

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droit | gestion 21 OptionBio | Lundi 31 mars 2014 | n° 505 Il fut un temps où les mésententes entre associés tenaient une grande place dans le fonctionnement des laboratoires. À côté des questions de ramassage de prélève- ments qui constituaient la plus grande partie des litiges portés devant la chambre de discipline de la section G de l’Ordre des pharmaciens, les litiges entre associés comptaient au nombre des plus fréquents. Et de fait on a vu des associés révoqués de leurs fonctions, exclus des sociétés, empêchés d’exercer… et des laboratoires au bord de l’explo- sion, quand ce n’étaient pas des crises graves impliquant les clients, les correspondants et le personnel. Parfois même les fabricants étaient obligés de prendre rendez-vous avec l’un, puis avec l’autre, qui ne se parlaient plus depuis des années. Le problème principal est la révocation du gérant. Qu’en est-il aujourd’hui au point de vue pratique et au point de vue judiciaire ? Au plan pratique, le grand nombre d’associés dans les nouvelles SEL à la fois protège de ce genre d’événement et en même temps le favorise, des constitutions de majorités pouvant attiser des conflits ou des désaccords. C’est pourquoi il est important de suivre ce que devient cette question au plan judiciaire. La révocation du gérant d’une SARL sans juste motif peut donner lieu à dommages-intérêts mais la mésentente entre dirigeants ne constitue un juste motif de révocation de l’un d’eux que lorsqu’elle compromet l’intérêt social. Un cas récent* nous éclaire : le cogérant d’une SARL révoqué de ses fonctions pour mésen- tente avec l’autre gérant avait obtenu en appel des dommages-intérêts pour absence de juste motif. La société soutenait au contraire que la révocation était justifiée car les deux gérants avaient eux-mêmes reconnu ne plus pouvoir gérer ensemble, ce qui compromettait nécessairement son fonctionnement. La Cour de cassation a confirmé la décision de la Cour d’appel qui avait jugé qu’il n’était pas démontré que la gestion de la société était devenue impossible et que la mésentente entre les gérants ne compromettait donc pas son fonctionnement. Ainsi, la mésentente entre dirigeants n’est un juste motif de révocation de l’un d’eux que si elle com- promet le fonctionnement de la société. | * * Cass. com., 7 janvier 2014, Sté Européenne d’assurances et finances c/Marchal. Dans les sociétés comportant un actionnaire majoritaire, il est arrivé que l’actionnaire en question s’octroie une rémunération supérieure à celle fixée par les associés. La question qui se pose est alors de savoir si cet acte constitue un abus de biens sociaux. L’arrêt de la Cour d’appel de Chambéry vient de juger une affaire de ce genre*. En l’espèce le gérant associé majoritaire d’une SARL s’était attribué, au titre d’un exercice, une rémunération supérieure à celle fixée par l’assemblée générale des associés (116 400 € au lieu de 84 000 €). Ceci constituait l’élément matériel de l’infraction, sans que la ratification postérieure de sa rémunération par l’assemblée générale suivante fasse dispa- raître le caractère délictueux des prélèvements. La décision accordant une rémunération au gérant doit en effet être antérieure aux prélèvements opérés à ce titre. En revanche, l’élément moral de l’infraction n’est constitué que si la preuve est rapportée d’une intention frauduleuse de la part d’un gérant ayant fait de mauvaise foi un usage des biens sociaux qu’il savait contraire aux intérêts de la société, dans un intérêt personnel ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle il est intéressé directement ou indirectement ; Or, s’il était établi et non contesté que les prélè- vements, au titre de la rémunération du gérant, avaient été faits dans son intérêt personnel, pour les besoins de son propre budget familial, la preuve n’était pas rapportée qu’il aurait agi de mauvaise foi pour faire des fonds sociaux corres- pondant à ses prélèvements un usage contraire à l’intérêt de la société. Par ailleurs, les agissements du gérant devaient être appréciés à la date des prélèvements. A cette date, le chiffre d’affaires avait très nettement régressé, avec cependant une augmentation de la marge commerciale et un maintien de la marge brute de production, de sorte que la marge brute globale avait permis de maintenir la société à l’équilibre, avec un résultat légèrement bénéfi- ciaire ; les difficultés de la société, ultérieurement placée en liquidation judiciaire, étaient connues du dirigeant, liées notamment à des contentieux prud’homaux et à la rupture d’un important contrat commercial, mais la situation était maîtri- sée et les fonds propres avaient un niveau élevé ; les prélèvements avaient été opérés de façon transparente et avaient figuré dans la comptabi- lité soumise au contrôle des associés ; l’attitude générale du dirigeant à l’égard de la société, en particulier l’absence de distribution des bénéfices et l’augmentation régulière des capitaux propres, montrait qu’il en avait servi les intérêts et qu’il n’avait perçu aucune rémunération pour l’exercice suivant celui au cours duquel les prélèvements litigieux avaient été effectués. En conclusion, on peut dire que le dirigeant qui s’octroie une rémunération supérieure à celle fixée par les associés ne commet pas un abus de biens sociaux si sa mauvaise foi n’est pas établie. | * CA Chambéry, 10 octobre 2013, n° 13/00306, ch. corr. GÉRARD GUEZ - [email protected] Une rémunération excessive constitue-t-elle un abus de biens sociaux ? Mésentente entre associés associations - rémunération garantie de passif © FOTOLIA

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droit | gestion

21OptionBio | Lundi 31 mars 2014 | n° 505

Il fut un temps où les mésententes entre associés tenaient une grande place dans le fonctionnement des laboratoires. À côté des questions de ramassage de prélève-ments qui constituaient la plus grande partie des litiges portés devant la chambre de discipline de la section G de l’Ordre des pharmaciens, les litiges entre associés comptaient au nombre des plus fréquents. Et de fait on a vu des associés révoqués de leurs fonctions, exclus des sociétés, empêchés d’exercer… et des laboratoires au bord de l’explo-sion, quand ce n’étaient pas des crises graves impliquant les clients, les correspondants et le personnel. Parfois même les fabricants étaient obligés de prendre rendez-vous avec l’un, puis avec l’autre, qui ne se parlaient plus depuis des années.Le problème principal est la révocation du gérant. Qu’en est-il aujourd’hui au point de vue pratique et au point de vue judiciaire ?

Au plan pratique, le grand nombre d’associés dans les nouvelles SEL à la fois protège de ce genre d’événement et en même temps le favorise, des constitutions de majorités pouvant attiser des conflits ou des désaccords.C’est pourquoi il est important de suivre ce que devient cette question au plan judiciaire.La révocation du gérant d’une SARL sans juste motif peut donner lieu à dommages-intérêts mais la mésentente entre dirigeants ne constitue

un juste motif de révocation de l’un d’eux que lorsqu’elle compromet l’intérêt social.Un cas récent* nous éclaire : le cogérant d’une SARL révoqué de ses fonctions pour mésen-tente avec l’autre gérant avait obtenu en appel des dommages-intérêts pour absence de juste motif. La société soutenait au contraire que la révocation était justifiée car les deux gérants avaient eux-mêmes reconnu ne plus pouvoir gérer ensemble, ce qui compromettait nécessairement son fonctionnement.La Cour de cassation a confirmé la décision de la Cour d’appel qui avait jugé qu’il n’était pas démontré que la gestion de la société était devenue impossible et que la mésentente entre les gérants ne compromettait donc pas son fonctionnement.Ainsi, la mésentente entre dirigeants n’est un juste motif de révocation de l’un d’eux que si elle com-promet le fonctionnement de la société. |

* * Cass. com., 7 janvier 2014, Sté Européenne d’assurances et finances c/Marchal.

Dans les sociétés comportant un actionnaire majoritaire, il est arrivé que l’actionnaire en question s’octroie une rémunération supérieure à celle fixée par les associés. La question qui se pose est alors de savoir si cet acte constitue un abus de biens sociaux.

L’arrêt de la Cour d’appel de Chambéry vient de juger une affaire de ce genre*. En l’espèce le gérant associé majoritaire d’une SARL s’était attribué, au titre d’un exercice, une rémunération supérieure à celle fixée par l’assemblée générale des associés (116 400 € au lieu de 84 000 €). Ceci constituait l’élément matériel de l’infraction, sans que la ratification postérieure de sa rémunération par l’assemblée générale suivante fasse dispa-raître le caractère délictueux des prélèvements. La décision accordant une rémunération au gérant doit en effet être antérieure aux prélèvements opérés à ce titre.En revanche, l’élément moral de l’infraction n’est constitué que si la preuve est rapportée d’une

intention frauduleuse de la part d’un gérant ayant fait de mauvaise foi un usage des biens sociaux qu’il savait contraire aux intérêts de la société, dans un intérêt personnel ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle il est intéressé directement ou indirectement ;Or, s’il était établi et non contesté que les prélè-vements, au titre de la rémunération du gérant, avaient été faits dans son intérêt personnel, pour les besoins de son propre budget familial, la preuve n’était pas rapportée qu’il aurait agi de mauvaise foi pour faire des fonds sociaux corres-pondant à ses prélèvements un usage contraire à l’intérêt de la société.Par ailleurs, les agissements du gérant devaient être appréciés à la date des prélèvements. A cette date, le chiffre d’affaires avait très nettement régressé, avec cependant une augmentation de la marge commerciale et un maintien de la marge brute de production, de sorte que la marge brute globale avait permis de maintenir la société à l’équilibre, avec un résultat légèrement bénéfi-ciaire ; les difficultés de la société, ultérieurement

placée en liquidation judiciaire, étaient connues du dirigeant, liées notamment à des contentieux prud’homaux et à la rupture d’un important contrat commercial, mais la situation était maîtri-sée et les fonds propres avaient un niveau élevé ; les prélèvements avaient été opérés de façon transparente et avaient figuré dans la comptabi-lité soumise au contrôle des associés ; l’attitude générale du dirigeant à l’égard de la société, en particulier l’absence de distribution des bénéfices et l’augmentation régulière des capitaux propres, montrait qu’il en avait servi les intérêts et qu’il n’avait perçu aucune rémunération pour l’exercice suivant celui au cours duquel les prélèvements litigieux avaient été effectués.En conclusion, on peut dire que le dirigeant qui s’octroie une rémunération supérieure à celle fixée par les associés ne commet pas un abus de biens sociaux si sa mauvaise foi n’est pas établie. |

* CA Chambéry, 10 octobre 2013, n° 13/00306, ch. corr.

GÉRARD GUEZ - [email protected]

Une rémunération excessive constitue-t-elle un abus de biens sociaux ?

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