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Mec. Ind. (2001) 2, 79–84 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. All rights reserved S1296-2139(01)01090-9/REV Matériaux et procédés dans l’industrie automobile. Évolution et stratégie de développement Gérard Maeder Ingénierie des Matériaux Renault, Renault Automobiles, 1 avenue du Golf, 78288 Guyancourt, France (Reçu le 25 janvier 2001 ; accepté le 2 février 2001) 1. INTRODUCTION Le choix des matériaux est, quelle que soit l’indus- trie, un problème très complexe. En effet, le concep- teur a à sa disposition une multitude de matériaux qui ont chacun leurs avantages et leurs inconvénients. Je ne prendrai que pour preuve les titres des articles de revues scientifiques et techniques qui fleurissent régu- lièrement : « l’hyperchoix des matériaux », la « com- plexité et la difficulté du choix », « matériaux : vers quel compromis », « nouveaux concepts en matériaux : contraintes et solutions possibles », « nouveaux maté- riaux : rêves et réalité »... Dans le cas de l’industrie automobile, l’immense marché qu’elle représente — près de 38 millions de véhicules particuliers (VP) dans le monde en 1999 — la place de plus sous une forte pression « marketing » des producteurs qui voient suivant leur origine, une voiture tout acier, tout aluminium ou tout plastique. Or ce ne sont pas les seuls critères techniques qui sont pris en compte pour décider de l’application de tel ou tel matériau pour une fonction donnée, mais bien entendu les critères économiques et aujourd’hui les critères environnementaux. Dans cet exposé, après avoir décrit le contexte auto- mobile et rappelé la répartition des matériaux dans nos véhicules d’aujourd’hui, j’introduirai les paramètres in- fluençant l’évolution des matériaux/procédés, je dévelop- perai la stratégie de développement pour tenter enfin de faire quelques prédictions sur le futur des grandes fa- milles de matériaux. 2. LE CONTEXTE AUTOMOBILE 2.1. Clients et réglementations Le produit automobile se doit de satisfaire les clients et de respecter les réglementations. En termes d’attentes des clients on notera le coût (achat, réparation, revente), le confort et l’habitabilité, la sécurité, la qualité (dura- bilité), le respect de l’environnement, et une consomma- tion réduite. En termes de réglementation, il faut surtout retenir la sécurité active et passive (normes de chocs) et l’environnement (pollution par les NO x , HC, CO, parti- cules, influence du CO 2 sur l’effet de serre, pollution so- nore, traitement des véhicules en fin de vie). Les consé- quences sur le produit automobile sont une augmenta- tion des dimensions et de l’habitabilité, une augmentation des niveaux d’équipements, l’amélioration de la sécurité et de la durabilité, l’augmentation du poids résultant de l’augmentation du confort et de la sécurité, et enfin une augmentation des puissances pour compenser l’augmen- tation du poids des véhicules. 2.2. Concurrence Le produit automobile doit aussi se vendre et pour un constructeur celà veut dire placer son produit à un niveau de prix concurrentiel à performances comparables par rapport aux autres constructeurs. Cette concurrence qui est mondiale est très intense. Elle se traduit pour la clientèle par : 79

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Page 1: Matériaux et procédés dans l'industrie automobile. évolution et stratégie de développement

Mec. Ind. (2001) 2, 79–84 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. All rights reservedS1296-2139(01)01090-9/REV

Matériaux et procédés dans l’industrie automobile.Évolution et stratégie de développement

Gérard MaederIngénierie des Matériaux Renault, Renault Automobiles, 1 avenue du Golf, 78288 Guyancourt, France

(Reçu le 25 janvier 2001 ; accepté le 2 février 2001)

1. INTRODUCTION

Le choix des matériaux est, quelle que soit l’indus-trie, un problème très complexe. En effet, le concep-teur a à sa disposition une multitude de matériaux quiont chacun leurs avantages et leurs inconvénients. Jene prendrai que pour preuve les titres des articles derevues scientifiques et techniques qui fleurissent régu-lièrement : « l’hyperchoix des matériaux », la « com-plexité et la difficulté du choix », « matériaux : versquel compromis », « nouveaux concepts en matériaux :contraintes et solutions possibles », « nouveaux maté-riaux : rêves et réalité ». . .

Dans le cas de l’industrie automobile, l’immensemarché qu’elle représente — près de 38 millions devéhicules particuliers (VP) dans le monde en 1999 — laplace de plus sous une forte pression «marketing» desproducteurs qui voient suivant leur origine, une voituretout acier, tout aluminium ou tout plastique.

Or ce ne sont pas les seuls critères techniques quisont pris en compte pour décider de l’application detel ou tel matériau pour une fonction donnée, maisbien entendu les critères économiques et aujourd’hui lescritères environnementaux.

Dans cet exposé, après avoir décrit le contexte auto-mobile et rappelé la répartition des matériaux dans nosvéhicules d’aujourd’hui, j’introduirai les paramètres in-fluençant l’évolution des matériaux/procédés, je dévelop-perai la stratégie de développement pour tenter enfin defaire quelques prédictions sur le futur des grandes fa-milles de matériaux.

2. LE CONTEXTE AUTOMOBILE

2.1. Clients et réglementations

Le produit automobile se doit de satisfaire les clientset de respecter les réglementations. En termes d’attentesdes clients on notera le coût (achat, réparation, revente),le confort et l’habitabilité, la sécurité, la qualité (dura-bilité), le respect de l’environnement, et une consomma-tion réduite. En termes de réglementation, il faut surtoutretenir la sécurité active et passive (normes de chocs) etl’environnement (pollution par les NOx , HC, CO, parti-cules, influence du CO2 sur l’effet de serre, pollution so-nore, traitement des véhicules en fin de vie). Les consé-quences sur le produit automobile sont une augmenta-tion des dimensions et de l’habitabilité, une augmentationdes niveaux d’équipements, l’amélioration de la sécuritéet de la durabilité, l’augmentation du poids résultant del’augmentation du confort et de la sécurité, et enfin uneaugmentation des puissances pour compenser l’augmen-tation du poids des véhicules.

2.2. Concurrence

Le produit automobile doit aussi se vendre et pourun constructeur celà veut dire placer son produit à unniveau de prix concurrentiel à performances comparablespar rapport aux autres constructeurs. Cette concurrencequi est mondiale est très intense. Elle se traduit pour laclientèle par :

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• Une plus grande diversité d’offre. Des modèles àgrande diffusion vont côtoyer une grande variété deproductions à petites ou moyennes cadences. De lamême façon, la diffusion de certains modèles à l’échelonmondial se traduira par l’accroissement des variantescorrespondant à des spécificités régionales.

• Des carrosseries et des agencements intérieurs diffé-rents à partir de bases roulantes standardisées : la diver-sité apparaîtra en associant un plus grand nombre de mo-dèles de caisses associées à des plates-formes les pluscommunes possibles. Il va falloir gérer les compromisentre la standardisation des bases roulantes et la diversitéd’apparences et d’usages. Ce compromis doit être obtenupar une recherche de commonalité d’organes ou de sous-ensembles (groupe motopropulseur, trains, échappement,réservoir. . .) et des règles communes d’architecture et demontage.

• Une durée de vie du produit toujours aussi longue :les cycles de renouvellement devraient rester entre 5 et 7ans, avec une fiabilité à toute épreuve. Le client est surce point de plus en plus exigeant, et c’est le facteur defidélisation le plus fort.

Trois enjeux concernant les matériaux sont à rattacherdirectement aux tendances décrites ci-dessus :

• La multiplication des modèles de caisses devrait se tra-duire par des volumes moindres en composants spéci-fiques et favoriser ainsi le développement des nouveauxmatériaux présentant l’avantage d’un meilleur équilibreentre coût d’investissement, risques économiques asso-ciés et prix de revient du composant.

• La multiplication des modèles à petite cadence pour-rait avoir un impact non négligeable sur les systèmes in-dustriels. On devrait assister au développement de nou-veaux modes d’organisation de la production (exemple :Smart).

• La recherche de la qualité-fiabilité se traduit par lerepli sur des solutions maîtrisées que l’on optimise. Ceciexplique la difficulté à introduire des matériaux nouveauxdont on ne connaît pas le comportement à long terme.

2.3. Facteurs d’évolution technologique

Dans le domaine des technologies, trois facteurs d’im-portance auront des répercussions sur l’architecture desvéhicules de demain : l’évolution des matériaux, maisaussi l’intrusion croissante de l’électronique, et les choixde motorisation en réponse aux réductions de consomma-tion et de pollution.

Les systèmes électroniques représentent une partcroissante de la valeur du véhicule. Ils devraient atteindre30 % des achats dont 10 % pour les seuls calculateurs. Ilfaut souligner que la valeur moyenne de l’ensemble dessystèmes électroniques dépassera la valeur de la tôle. Ilest évident que cette industrie électronique utilise des ma-tériaux spécifiques dont le développement est très impor-tant, mais pas seulement pour l’industrie automobile.

Pour le choix de la motorisation, il y a tout d’abord leproblème du moteur à combustion interne, à essence oudiesel, qui est confronté à des exigences de diminutionde la pollution (NOx , HC, CO, particules) et de diminu-tion de la consommation (pour réduire le CO2) de plus enplus contraignantes. Les matériaux sont essentiellementconcernés par la réduction des frottements dans les mo-teurs et les boîtes, par l’allègement des parties mobiles,par les aspects de catalyse. . . et par tous les capteurs quipermettent la régulation optimale du fonctionnement dugroupe moto-propulseur. Il y a ensuite le développementde motorisations très peu polluantes :

• L’alternative gaz : elle a un avantage considérable enmatière de pollution (moins de CO2, NOx et CO). Leproblème matériaux est lié aux réservoirs respectant lesfutures normes de sécurité.

• L’alternative électrique : on connaît ses avantages etses inconvénients (autonomie limitée à 200 km). Il nesemble pas que ce soit une solution généralisée. Entermes de matériaux, ce sont bien entendu les recherchessur les stockages/production d’énergie électrique (batte-ries, pile à combustible. . .), sur les moteurs (puissancespécifique) qui doivent être menées.

• L’alternative hybride : c’est sans doute cette motori-sation qui présente l’alternative la plus crédible pour sa-tisfaire les normes ULEV. A côté des matériaux néces-saires pour faire progresser les moteurs classiques et élec-triques, on retrouve ici l’importance des systèmes électro-niques auxquels il faut avoir recours pour piloter les deuxmodes de production.

3. LES MATÉRIAUX AUJOURD’HUI

La répartition en masse des matériaux a été publiéede nombreuses fois et l’on sait que pour un véhicule degrande série la prédominance des matériaux ferreux esttrès large (60 à 70 %) sous forme principale des tôles,puis de produits longs et de fonte pour les fonctionsmécaniques. Leur proportion a légèrement décru aucours des années précédentes au profit de l’aluminium(5–6 %) et des thermoplastiques (10–12%). Cependant,

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il y a des véhicules particuliers comme l’Espace avecsa carrosserie en SMC qui permettent à ce matériaud’atteindre 17 %, ou bien l’Audi A8 avec ses 30 %d’aluminium constituant la structure en cage d’oiseau etla peau.

Un autre découpage peut être fait suivant les grandesfonctions du véhicule. Par ordre décroissant on trouvela caisse ferrée peinte (structure+ ouvrants) représen-tant 30 % du poids, les liaisons au sol 22 %, les équipe-ments interne/externe 21 %, le groupe moto-propulseur(15 %). . . On voit la part importante de la caisse ferréepeinte et des liaisons au sol qui sont majoritairement enmatériaux ferreux.

Le troisième découpage est celui qui consiste à consi-dérer ce qui est fabriqué en interne ou en externe. Lespièces ouvrées en interne représentent 52 %, les piècesouvrées en externe suivant le cahier des charges de Re-nault 42 %, les pièces ouvrées en externe suivant cata-logue (pneumatiques) 6 %. La moitié de la masse est sousla responsabilité entière de Renault, l’autre moitié est trèsinfluencée par les propositions que peuvent faire les four-nisseurs dans le cadre des relations partenariales mises enplace entre constructeurs et équipementiers. Comme celaa été noté très souvent, la stabilité des matériaux cacheune grande concurrence entre eux. Les tôles HLE crois-sent sans cesse, l’aluminium voit apparaître la forme pro-filés, le polypropylène représente bien souvent 50 % despolymères présents dans le véhicule. . .

4. LES PARAMÈTRES D’INFLUENCEDE L’ÉVOLUTION DESMATÉRIAUX/PROCÉDÉS

Le constructeur ne s’intéresse pas au matériau, maisà la pièce qui répond à son cahier des charges. C’estdonc bien le couple matériau–procédé de mise en œuvrequi doit être pris en compte par le concepteur. Les fonc-tions élémentaires constituant un véhicule doivent s’ins-crire dans le triangle Qualité–Coût–Délai. A cause descontraintes décrites, on ajoute le Poids et le Recyclage.L’évolution du couple matériau/procédé s’inscrit danscette démarche.

4.1. La qualité

Nous la traduisons en termes de fiabilité. Les progrèsfaits par la modélisation et la simulation du comporte-ment des matériaux et des procédés de transformation

ont réduit les coefficients de sécurité. Les outils de calculpermettent une utilisation optimisée des formes et des di-mensions, entraînant une intéraction forte entre concep-tion et réalisation, et sont donc source d’une meilleureutilisation des matériaux. Encore faut-il que les lois decomportement des matériaux soient connues.

4.2. Le coût

Au coût des matériaux, il faut ajouter le coût de trans-formation qui est lui-même fonction des cadences de pro-duction, mais aussi des progrès qui peuvent être réalisésdans le temps. Ce dernier facteur (courbe d’expérience)est très difficile à prendre en compte.

4.3. Le délai

La réduction du temps de conception des pièces et desoutillages grâce à la simulation est importante. La réa-lisation des outillages est dans le schéma de développe-ment d’un véhicule un jalon critique. L’utilisation judi-cieuse de la simulation est aussi intéressante pour fairedes calculs de sensibilité paramètre par paramètre, ce quiest infaisable expérimentalement. Ces calculs permettentensuite de justifier de la nécessité de connaître une don-née physique ou mécanique (à faire normalement par lefournisseur). Il ne faut pas oublier dans le délai, les pro-blèmes de validation de la durabilité : fatigue, corrosion,vieillissement. . . qui sont plus ou moins bien résolus paressais accélérés et/ou modélisation. Le manque de prévi-sion de la durabilité handicape surtout les nouveaux ma-tériaux.

4.4. Le poids

On sait concevoir et construire des véhicules allé-gés, mais à un coût prohibitif. Les voies de progrès sontbien connues : soit améliorer l’usage des matériaux clas-siques par un meilleur dimensionnement, soit utiliserdes matériaux « nouveaux » pour l’automobile (profilésd’aluminium, tôles d’aluminium, matériaux thermoplas-tiques ou composites, magnésium). Les nouveaux ma-tériaux nécessitent une approche différente de la fonc-tionnalité des diverses pièces, une profonde modifica-tion des technologies de fabrication et d’assemblage, etde l’organisation des lignes de montage. On va sansaucun doute vers l’utilisation de matériaux multipleset de multimatériaux (tôles sandwich, mousses métal-liques, nids d’abeille, structures alvéolaires. . .), avec des

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moyens nouveaux d’assemblage (assemblage mécanique,collage,) et de mise en œuvre (cintrage, hydroformage,injection multiple. . .).

4.5. Le recyclage

La politique de l’Union Européenne envers l’environ-nement est d’accroître la valorisation des véhicules enfin de vie. La Commission Européenne vient d’approu-ver un projet de directive qui obligera les constructeursà recycler (réemploi+ recyclage matière+ valorisationénergétique) tous les véhicules hors d’usage (VHU) àhauteur de 85 % en poids en 2006 et de 95 % en 2015.De plus l’usage de certains éléments comme les mé-taux lourds (plomb, mercure, cadmium et chrome 6) maisaussi le chlore sera très limité sinon interdit. Ce dernierpoint nécessite une traçabilité permettant la localisationde tous les éléments dans un véhicule. Ceci impliquetoute une réflexion de conception permettant le démon-tage de pièces, le drainage des fluides, un choix de maté-riaux permettant le recyclage. . . Deux points doivent êtrenotés comme difficiles au regard de ce critère de recy-clage : ce sont les multimatériaux et les assemblages.

5. LA STRATÉGIE DE DÉVELOPPEMENT

5.1. La filière des matériaux

Le matériau fait partie d’une filière qui va du ber-ceau jusqu’à la tombe, c’est-à-dire du minerai au re-cyclage. Quatre phases successives peuvent être rappe-lées. L’«élaboration» transforme les matières premièresen matériau sous différentes formes (solides, liquides,poudres. . .). La «transformation» correspond à tous lesprocédés de mise en œuvre qui permettent d’obtenir unepièce ayant une forme géométrique définie et des pro-priétés mécaniques, physiques et chimiques déterminées.La phase «utilisation» soumet la pièce à des sollicita-tions thermiques, mécaniques, chimiques individuellesou combinées. La «fin de vie» est liée au devenir de lapièce et donc à celui du matériau.

Il est évident que le constructeur aujourd’hui n’estconcerné directement que par les phases Transformationet Utilisation. Mais il ne peut ignorer les conséquencesdes deux phases situées en amont et en aval. Par exemple,les moyens de production actuels de magnésium seraientinsuffisants si tous les constructeurs décidaient d’incor-porer 10 kg de ce métal par véhicule. De même, le PVC

voit son utilisation menacée par le problème du chloreprésent dans ce matériau.

5.2. L’influence du système industriel

La filière industrielle matériaux-automobileest consti-tuée de cinq étapes : la spécification des matériaux, l’éla-boration, la mise en forme et la fabrication des pièces,l’assemblage du véhicule, le recyclage.

La spécification des matériaux et l’assemblage des vé-hicules sont des activités qui resteront au cœur du métierdu constructeur. L’élaboration des matériaux concernedes industries spécifiques, en général de grands groupesindustriels (sidérurgie, aluminium, chimie). Le recyclageest pris en charge par ces mêmes industriels et par ceux dela récupération. Quant à la mise en forme (emboutissage,fonderie, forge, plastiques. . .), elle a été historiquementintégrée chez les constructeurs. Mais l’augmentation dela diversité des matériaux et procédés associés, l’augmen-tation de la complexité des spécifications optimales, lesproblèmes de compatibilité assemblage conduisent à unedésintégration des activités de mise en forme, à l’excep-tion de l’emboutissage des grandes pièces. Ce sont, ceseront des équipementiers/transformateurs de taille suffi-sante qui auront la responsabilité de la plupart des procé-dés de mise en œuvre des matériaux.

Le problème du constructeur est de maintenir une« compétence » interne suffisante pour assumer la respon-sabilité de spécificateur. Il est certain que celle-ci va s’ap-puyer de façon de plus en plus intense sur les outils demodélisation et de simulation de ces procédés, et sur unpartenariat avec les transformateurs spécialistes de tel outel moyen de mise en œuvre.

5.3. Les paramètres fondamentauxet les paramètres relatifs

Ce qui intéresse l’utilisateur final, ce n’est pas lematériau idéal, mais c’est celui qui va répondre aujuste nécessaire pour l’application visée. Les recherchesmenées sur un matériau ne doivent pas perdre de vuel’objectif final. Encore faut-il que celui-ci puisse être biendéfini. Il y a là une difficulté, car en effet deux famillesde paramètres caractérisent les matériaux : les paramètresfondamentaux et les paramètres relatifs.

• Les paramètres fondamentaux identifiables et mesu-rables en termes de relation structure–propriété, et quisont facilement introduisibles dans les calculs de concep-tion : Re, Rm,A%, ρ, Hv. . . Il est clair que de nom-breux laboratoires universitaires ou industriels étudient

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et maîtrisent de mieux en mieux la connaissance des mi-crostructures et des relations qui existent entre ces mi-crostructures et une propriété unique identifiable. Cepen-dant, nous sommes souvent surpris par le manque de don-nées expérimentales concernant ces valeurs en fonctionde la température, de la vitesse même pour des matériauxtrès classiques. Des données non standard sont souventmanquantes pour la simulation des procédés de fonderie,d’injection des thermoplastiques, de mise en œuvre descomposites à matrice thermodurcissable.

• Les paramètres relatifs qui sont difficilement introduitsdans les calculs parce-qu’ils sont simplement classablespar rapport à une propriété : soudabilité, forgeabilité, em-boutissabilité, corrosion, aptitude au frittage, résistanceau cyclage thermomécanique. . . On retrouve là tous lesprocédés de mise en œuvre. L’étude de ces paramètresnécessite une collaboration interdisciplinaire très large enparticulier entre chimistes, physiciens et mécaniciens.

C’est l’existence de ces paramètres relatifs qui renddifficile l’utilisation industrielle des logiciels de choixdes matériaux.

5.4. Les scénarios d’évolution

Le scénario le plus usuel est celui du progrès continu,qui permet d’utiliser des matériaux classiques avec despropriétés spécifiques améliorées comme la résistancemécanique, l’usinabilité, les propriétés d’emboutis-sage. . . L’exemple des tôles d’acier est caractéristiqueavec l’introduction de tôles à haute limite d’élasticitéqui représentent aujourd’hui 30 % de la caisse en blancd’un véhicule. C’est aussi le programme Ultra Light SteelAuto Body mené par les sidérurgistes mondiaux, utilisantles propriétés des nouveaux aciers, de nouveaux moyensde mise en forme (hydroformage, cintrage) ou d’assem-blage (laser) qui a montré qu’une réduction de poids deplus de 20 % pouvait être atteinte.

Le scénario le plus médiatique est celui de la dé-marche de rupture par l’utilisation de matériaux de faibledensité comme l’aluminium, le magnésium, les plas-tiques et les composites. Des applications nombreusespeuvent être aujourd’hui mentionnées, bien entendu surdes véhicules de petite et moyenne série (Audi 18 et A2pour l’aluminium, panneaux composite pour l’Espace)mais aussi de grande série (panneaux plastiques de laSaturn de GM, ailes plastiques des véhicules Renaultactuels. . .). Le magnésium est largement déployé pourdes supports de colonne de direction, des armatures desièges, de volants, des poutres de planche de bord. Dessolutions plus exploratoires visent à utiliser les compo-sites à fibres de carbone : on peut citer ainsi le programme

américain PNGV (Program for a New Generation of Ve-hicles) en rappelant cependant la phrase suivante extraitedu lancement de ce programme :

“The most pessimistic of the experts estimate mass-production cost of ultra light carbon fibre cars at oneto two times that of steel cars today. The most detailedassessments suggest breakeven at carbon fibre costswidely expected to prevail by 2000 if not before.”

Et nous sommes en l’an 2000. Les hommes matériauxont toujours été optimistes ! !

6. CONCLUSION : ET SI L’ON ESSAYAIT,MALGRÉ TOUT, DE FAIREDES PRÉDICTIONS ?

L’évolution des matériaux est fonction :

• de la taille des séries, de la standardisation des plates-formes, de la diversité des carrosseries,

• des investissements spécifiques associés à la transfor-mation et à l’assemblage des matériaux,

• des délais de validation des propriétés à long terme desmatériaux,

• de la connaissance des lois de comportement pourl’intégration des propriétés dans les règles de conception,

• des contraintes d’allègement,

• des contraintes d’environnement liées au traitementdes gaz d’échappement, au recyclage des véhicules en finde vie.

Les conséquences globales que l’on peut déduire deces différents facteurs peuvent être décrites comme suit :

• On utilisera toujours les matériaux ferreux d’aujour-d’hui optimisés (aciers à haute résistance, tubes hy-droformés, flans raboutés. . .), mais aussi des matériauxde faible densité (aluminium, magnésium, plastiques etcomposites. . . et pourquoi pas céramiques).

• On peut penser comme cela a été dit que coexisterontdes véhicules de grande série et des véhicules de petitesérie ou de type niche. Les nouveaux matériaux qui sontplutôt tributaires de séries moyennes ou petites devraientalors être favorisés. Mais pour leur extension, il estindispensable de développer les moyens d’assemblageautres que le soudage, de mener des travaux de prédictionde durée de vie par essais accélérés ou par simulation, deconnaître les lois de comportement des matériaux adaptésà la connaissance de leur mise en oeuvre et à la priseencompte dans le calcul des pièces.

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• Le traitement des gaz d’échappement, en particulierla dépollution des NOx demande des travaux importantsdans le domaine de la catalyse et des capteurs, sans ou-blier sans doute les polluants non règlementés aujour-d’hui.

• Pour le recyclage, on devra prendre en compte les fi-lières des matériaux qui soient « rentables », tenir comptedes matériaux interdits ou réglementés, et utiliser le ma-nagement pour le cycle de vie suivant des règles admisespar tous !

Les prévisions famille par famille que l’on peut faireavec toutes les précautions d’usage1 sont pour les piècesde structure :

• L’acier reste le matériau roi pour la grande série.

• L’aluminium sera privilégié pour les véhicules de hautde gamme, les véhicules de structure cage d’oiseau, lesstructures d’ouvrants, quelques pièces comme les poutresde planche de bord, les poutres de boucliers. . .

• Les composites ne seront présents que pour quelquespièces de type absorbeurs, face avant structurale. . . sauf siles fibres de carbone voient leur prix diminuer fortement.

Pour les pièces de carrosserie :

• Les pièces de peau tendront à être en plastique (ther-moplastiques ou SMC) ou en aluminium, en particulierdans les cas des structures cage d’oiseau.

• Les capots peuvent voir de fortes applications del’aluminium.

• Les hayons et les portes seront en multimatériauxavec des cadres en Aluminium, Magnésium, SMC et despeaux en aluminium, plastiques ou SMC/BMC.

• On peut penser que les multimatériaux du type sand-wich acier–polymère–acier ou bien composite–mous-se–composite, aluminium–mousse d’aluminium–alumi-nium, trouveront des domaines d’application.

• Les vitrages verront sans doute un passage partiel duverre vers les polymères (type polycarbonates) commec’est déjà aujourd’hui le cas pour les glaces de phare.

Pour les pièces mécaniques :

• Les aciers, fontes et alliages d’aluminium ont atteintleur maturité.

1 La prudence est nécessaire lorsque l’on consulte les prévisionsfaites il y a seulement une dizaine d’années, prévisions allant vers unecroissance des matériaux nouveaux largement démentie par les chiffresd’aujourd’hui.

• Les progrès les plus significatifs sont à attendre desprocédés de mise en œuvre (fonte haut carbone ou ver-miculaire, aluminium coulé sous pression, hydroformagedes tubes, métallurgie des poudres, usinage à grandevitesse. . .).

• Les revêtements seront très diversifiés dans leur natureet dans les procédés (projection thermique, PVD/CVD,traitements duplex, laser. . .).

• Les alliages de magnésium vont concurrencer lesalliages d’aluminium pour des pièces bien identifiées :supports de colonne de direction, traverse de planche debord, carters, roues. . . mais ne devraient pas dépasser 20à 30 kg par véhicule.

• Les matériaux polymères et composites (polyamide/fibre de verre) se développeront sous capot moteur :carters, rampes d’injection, couvre culasse, collecteurd’admission. . .

• Les matériaux « nouveaux » du type céramiques ainsique les matériaux intermétalliques pourraient déboucherpour des applications du type soupapes. . . mais l’allège-ment induit est faible. Les alliages de titane ont des ap-plications (type bielles, soupapes) connues, mais que seraleur prix en 2020 ? Les composites à matrice métalliqueont trouvé quelques applicationsdans les disques et tam-bour de frein, arbres de transmission mais leur dévelop-pement semble improbable. Il n’en n’est pas de même descomposites à fibre de carbone (et de verre) qui devraienttrouver des applications dans les biellettes et arbres detransmission et pour des lames de suspension.

Il ne faut pas oublier les matériaux fonctionnels en-trant dans la microélectronique, les capteurs, les actua-teurs, les petits moteurs électriques, les fibres optiques oules polymères conducteurs. C’est sans doute ce domainedes matériaux fonctionnels qui sera la plus grande sommede progrès.

Ce qui résulte de cette prospective, c’est en fait quele bon matériau sera utilisé à la bonne place, et que c’estune grande variété de matériaux qui seront utilisés avecla maîtrise nécessaire des procédés de transformation etd’assemblage.

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