livre pdf fr livre viollet le duc bat 07 2014.1

Matriaux et techniques de construction chez Viollet-le-Duc Materials and techniques of construction at Viollet-le-Duc Sous la direction dArnaud Timbert

ides et dbats

Centre des monuments nationauxPrsident : Philippe BlavalDirectrice gnrale : Bndicte Lefeuvre

ditions du patrimoineDirecteur : Jocelyn BouralyResponsable des ditions : Catherine Donzel

Coordination ditoriale : Caecilia Pieri, Catherine DonzelMise en pages : Sylvie LelandaisMise en ligne : Alice Avenier

Conception graphique : Opixido, Paris

ditions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, Paris, 2014

> English abstract > SommaireScientific supervision >>

Direction scientifiqueArnaud TIMBERT, historien de lart, universit Charles-de-Gaulle-Lille 3 (France)

Comit scientifiqueMaria Rita CAMPA, facult darchitecture polytechnique de Bari (Italie)

Jean-Michel LENIAUD, cole des chartes et cole pratique des hautes tudes (France)

Jean-Paul MIDANT, cole nationale suprieure darchitecture de Paris-Belleville (France)

Isabelle PALLOT-FROSSARD, directrice du laboratoire de recherche des Monuments historiques (LRMH) (France)

Comit dorganisationEva GRANGIER-MENU, administratrice du chteau de Pierrefonds (France)

Lorraine MAILHO-DABOUSSI, conservateur en chef du patrimoine, Centre des monuments nationaux (France)

Arnaud TIMBERT, historien de lart, universit Charles-de-Gaulle-Lille 3 (France)

Isabelle LEMESLE, prsident du Centre des monuments nationaux, 2008-2012 (France)

Ouverture du cOllOqueArnaud TIMBERT En marche vers lavenir

I. vIOllet-le-duc IntIme de la matIrePrsident Jean-Michel LENIAUD

Interventions Martin BRESSANI Le rle du matriau dans lacte cratif selon Viollet-le-Duc

Richard ETLIN La posie de linnovation et linvention potique chez Viollet-le-Duc

II. vIOllet-le-duc et le chOIx des matrIaux Prsident Isabelle PALLOT-FROSSARD

Interventions Viviane DELPECH Les matriaux de construction et dornementation au chteau dAbbadia

Florie ALARD Lutilisation du mtal dans la reconstruction du chteau de Pierrefonds par Viollet-le-Duc

Christine BONGART La pierre et sa mise en uvre Pierrefonds : les choix et les mthodes de Viollet-le-Duc

MATRIAUX ET TECHNIQUES DE CONSTRUCTION CHEZ VIOLLET-LE-DUCMATRIAUX ET TECHNIQUES DE CONSTRUCTION CHEZ VIOLLET-LE-DUC

Sommaire >> > Scientific Supervision

MATRIAUx ET TECHNIqUES DE CONSTRUCTION

CHEz VIOLLET-LE-DUC

Marie DEROUETTE La pierre dans le chantier de restauration de Viollet-le-Duc la cathdrale Notre-Dame dAmiens

Nicolas NAVARRO Les matriaux de Viollet-le-Duc dans le chantier de la cathdrale de Clermont-Ferrand

Marie-Clmentine BONNIN, Jean-Pierre GLY, Michal WYSS Viollet-le-Duc et lemploi de la pierre dans les travaux de la basilique de Saint-Denis

Annie BLANC, Jannie MAYER Llaboration dune doctrine de restauration : la faade ouest de la cathdrale Notre-Dame de Paris

Francesca LUPO Les votes de la basilique Sainte-Marie-Madeleine de Vzelay

III. un pass pOrteur davenIr : Viollet-le-Duc et les techniques de construction

Prsident tienne PONCELET

Interventions Arnaud TIMBERT Formes, matriaux et techniques de construction lglise Saint-Denis-de-lEstre de Viollet-le-Duc

Giuseppe FALLACARA, Luc TAMBORERO, Maurizio BROCATO Viollet-le-Duc et les ossatures constructives mixtes : spculations morphologiques-constructives sur le thme de larc arm

Maria Rita CAMPA Viollet-le-Duc : innovation et tradition en architecture. Langage de forme et structure dans la conception de votes polydriques en pierre et mtal

> Sommaire > English abstractDirection scientifique >>

VIOLLET-LE-DUC, MATERIALS AND BUILDING TECHNIQUESVIOLLET-LE-DUC, MATERIALS AND BUILDING TECHNIQUES

Scientific SupervisionArnaud TIMBERT, art historian, Universit Charles-de-Gaulle-Lille 3 (France)

Scientific CommitteeMaria Rita CAMPA, Polytechnic University of Bari (Italy)

Jean-Michel LENIAUD, cole des Chartes and cole pratique des Hautes tudes (France)

Jean-Paul MIDANT, cole Nationale Suprieure dArchitecture de Paris-Belleville (France)

Isabelle PALLOT-FROSSARD, Monuments Historiques Research Laboratory (France)

Organisation CommitteeEva GRANGIER-MENU, Head administrator of chteau de Pierrefonds (France)

Lorraine MAILHO-DABOUSSI, chief curator, Centre des monuments nationaux (France)

Arnaud TIMBERT, art historian, Universit Charles-de-Gaulle-Lille 3 (France)

Isabelle LEMESLE, president of the Centre des monuments nationaux, 2008-2012 (France)

IntrOductIOnArnaud TIMBERT Looking toward the future

I. vIOllet-le-duc IntImate knOwledge Of materIals Presiding chair Jean-Michel LENIAUD

Interventions Martin BRESSANI Viollet-le-Ducs view of the role of materials in the creative act

Richard ETLIN The poetry of invention in structure and materials in Viollet-le-Duc

II. vIOllet-le-duc and the chOIce Of materIals Presiding chair Isabelle PALLOT-FROSSARD

Interventions Viviane DELPECH Viollet-le-Ducs architectural and ornamental eclecticism at the Chteau dAbbadia

Florie ALARD The use of metal in Viollet-le-Ducs reconstruction of Pierrefonds Castle

Christine BONGART Stone and its implementation at Pierrefonds: Viollet-le-Ducs choices and methods

Marie DEROUETTE Stone in Viollet-le-Ducs restoration work at Notre Dame cathedral in Amiens

Contents >> Sommaire >> > Direction scientifique

VIOLLET-LE-DUC, MATERIALS AND BUILDING TECHNIqUES

Nicolas NAVARRO Viollet-le-Ducs building materials and his work on completing the cathedral of Clermont-Ferrand

Marie-Clmentine BONNIN, Jean-Pierre GLY, Michal WYSS Viollet-le-Duc and the use of stone in the restoration work at the basilica of Saint-Denis

Annie BLANC, Jannie MAYER Elaborating a restoration doctrine: the western faade of Notre Dame cathedral in Paris

Francesca LUPO Viollet-le-Duc and the vaults of the Basilica of St. Mary Magdalene in Vzelay

III. the past as harbInger Of the future Viollet-le-Duc and building techniques

Presiding chair tienne PONCELET

Interventions Arnaud TIMBERT Forms, Materials and Construction Techniques: the Church of Saint-Denis-de-lEstre by Viollet-le-Duc

Giuseppe FALLACARA, Luc TAMBORERO, Maurizio BROCATO Viollet-le-Duc and composite structural frames: morphological-constructive speculations on the theme of the reinforced arch

Maria Rita CAMPA Innovation and tradition in architecture: the language of form and structure in Viollet-le-Ducs concept of polyhedral stone and steel vaults

Sommaire

Arnaud Timbert Historien de lart,

universit Charles-de-Gaulle-Lille 3 (France)

Martin Bressani Professeur, universit McGill, Montral (Canada)

Richard Etlin Professeur, cole darchitecture

de luniversit du Maryland (tats-Unis)

Viviane Delpech Docteur en histoire de lart, chercheur associe au laboratoire ITEM EA 3002, universit de Pau

et des pays de lAdour (France)

Florie Alard Diplme de lcole du Louvre,

associe au programme de recherche Les matriaux chez Viollet-le-Duc , LRMH-


Christine Bongart Diplme de lcole du Louvre,



Marie Derouette Diplme de lcole du Louvre,



Nicolas Navarro Diplm de lcole du Louvre,

associ au programme de recherche Les matriaux chez Viollet-le-Duc , LRMH-


Ouverture du cOllOqueet remerciements

En marche vers lavenirRsum Abstract

viOllet-le-duc intime de la matire

Le rle du matriau dans lacte cratif selon Viollet-le-DucRsum Abstract

La posie de linnovation et linvention potique chez Viollet-le-DucRsum Abstract

viOllet-le-duc et le chOix des matriaux

Les matriaux de construction et dornementation au chteau dAbbadiaRsum Abstract

Lutilisation du mtal dans la reconstruction du chteau de Pierrefonds par Viollet-le-Duc Rsum Abstract

La pierre et sa mise en uvre Pierrefonds : les choix et les mthodes de Viollet-le-DucRsum Abstract

La pierre dans le chantier de restauration de Viollet-le-Duc la cathdrale Notre-Dame dAmiensRsum Abstract

Les matriaux de Viollet-le-Duc dans le chantier de la cathdrale de Clermont-FerrandRsum Abstract

Sommaire English contents below

Direction scientifique >>

Sommaire

Marie-Clmentine Bonnin Diplme de lcole du Louvre (France)

Jean-Pierre Gly Paris I, Laboratoire de Mdivistique

Occidentale de Paris, UMR 8589 (France) Michal Wyss

Unit darchologie de la Ville de Saint-Denis (France)

Annie Blanc Laboratoire de recherche

des monuments historiques (LRMH) (France)Jannie Mayer

Conservateur en chef honoraire du patrimoine (France)

Francesca Lupo Universit polytechnique de Turin (Italie), associe au programme de recherche

Les matriaux chez Viollet-le-Duc , LRMH-universit Charles-de-Gaulle-Lille 3 (France)

Arnaud Timbert Historien de lart,


Giuseppe Fallacara Professeur de composition architectonique,

facult darchitecture polytechnique de Bari (Italie)Luc Tamborero

Tailleur de pierre, compagnon du Devoir du tour de France, chercheur associ du

laboratoire GSA de lcole nationale suprieure darchitecture Paris-Malaquais (France)

Maurizio Brocato Professeur, cole nationale suprieure

darchitecture Paris-Malaquais et cole nationale des ponts et chausses (France)

Maria Rita Campa Facult darchitecture polytechnique

de Bari (Italie)

Viollet-le-Duc et lemploi de la pierre dans les travaux de la basilique de Saint-DenisRsum Abstract

Llaboration dune doctrine de restauration : la faade ouest de la cathdrale Notre-Dame de ParisRsum Abstract

Les votes de la basilique Sainte-Marie-Madeleine de VzelayRsum Abstract

un pass pOrteur davenir : Viollet-le-Duc et les techniques de construction

Formes, matriaux et techniques de construction lglise Saint-Denis-de-lEstre de Viollet-le-DucRsum Abstract

Viollet-le-Duc et les ossatures constructives mixtes : spculations morphologiques-constructives sur le thme de larc armRsum Abstract

Viollet-le-Duc : innovation et tradition en architecture. Langage de forme et structure dans la conception de votes polydriques en pierre et mtalRsum Abstract

Contents

Arnaud Timbert Art historian,

Universit Charles-de-Gaulle-Lille 3 (France)

Martin Bressani Professor at McGill University, Montreal (Canada)

Richard Etlin Distinguished University Professor,

School of Architecture, Planning and Preservation, University of Maryland (USA)

Viviane Delpech Art historian,

ITEM Laboratory, Universit de Pau et des Pays de lAdour (France)

Florie Alard Graduate of the cole du Louvre

Associated with the research program Les matriaux chez Viollet-le-Duc, LRMH-


Christine Bongart Graduate of the cole du Louvre



Marie Derouette Graduate of the cole du Louvre



Nicolas Navarro Graduate of the cole du Louvre



intrOductiOnand acknOwledgement

Looking toward the futureRsum Abstract

viOllet-le-duc intimate knOwledge Of materials

Viollet-le-Ducs view of the role of materials in the creative actRsum Abstract

The poetry of invention in structure and materials in Viollet-le-DucRsum Abstract

viOllet-le-duc and the chOice Of materials

Viollet-le-Ducs architectural and ornamental eclecticism at the Chteau dAbbadiaRsum Abstract

The use of metal in Viollet-le-Ducs reconstruction of Pierrefonds Castle Rsum Abstract

Stone and its implementation at Pierrefonds: Viollet-le-Ducs choices and methodsRsum Abstract

Stone in Viollet-le-Ducs restoration work at Notre Dame cathedral in AmiensRsum Abstract

Viollet-le-Ducs building materials and his work on completing the cathedral of Clermont-FerrandRsum Abstract

Contents Sommaire franais

Scientific supervision >>

Contents

Marie-Clmentine Bonnin Graduate of the cole du Louvre (France)

Jean-Pierre Gly Paris I, Laboratoire de Mdivistique

Occidentale de Paris, UMR 8589 (France) Michal Wyss

Unit darchologie de la Ville de Saint-Denis (France)

Annie Blanc LRMH (Historical Monuments

Research Laboratory) (France) Jannie Mayer

Honorary Head Curator of Frances National Heritage

Francesca Lupo Polytechnic of Turin University (Italy)



Arnaud Timbert Art historian,


Giuseppe Fallacara Professor of Architectonic Composition,

Polytechnic School of Architecture, Bari (Italy)Luc Tamborero

Stone cutter, compagnon du Devoir du Tour de France research associate of the GSA

Laboratory at the cole Nationale Suprieure dArchitecture Paris-Malaquais (France)

Maurizio Brocato Professor at the cole Nationale Suprieure

dArchitecture Paris-Malaquais and the cole nationale des ponts et chausses (France)

Maria Rita Campa Polytechnic University

of Bari (Italy)

Viollet-le-Duc and the use of stone in the restoration work at the basilica of Saint DenisRsum Abstract

Elaborating a restoration doctrine: the western faade of Notre Dame cathedral in ParisRsum Abstract

Viollet-le-Duc and the vaults of the Basilica of St. Mary Magdelene in VzelayRsum Abstract

the past as harbinger Of the future Viollet-le-Duc and building techniques

Forms, Materials and Construction Techniques: the Church of Saint-Denis-de-lEstre by Viollet-le-DucRsum Abstract

Viollet-le-Duc and composite structural frames: morphological-constructive speculations on the theme of the reinforced archRsum Abstract

Innovation and tradition in architecture: the language of form and structurein Viollet-le-Ducs concept of polyhedral stone and steel vaultsRsum Abstract

Ouverturedu cOllOque

Ouverturedu cOllOque

Remerciements

Ce IIe colloque international, bti autour dun sujet qui pourrait paratre un peu grave et sec, doit beaucoup au courage de plusieurs personnes que je tiens remercier chaleureusement. Madame Isabelle de Gourcuff, tout dabord, pour avoir rpondu favorablement ce projet alors quelle tait administratrice du chteau de Pierrefonds. Mesdames Isabelle Lemesle alors prsidente du CMN, et Eva Grangier-Menu lpoque, nouvelle administratrice du domaine, ensuite, pour avoir relay et appuy ce projet jusqu sa ralisation. Ma reconnaissance va galement Jean-Paul Ciret, Aicha Bensalem et Stphanie Lacroix pour lorganisation matrielle parfois complexe de cette runion ainsi quaux membres du comit scientifique, Maria-Rita Campa, Jean-Michel Leniaud, Jean-Paul Midant et Isabelle Pallot-Frossard.

Jai, par ailleurs, une gratitude particulire pour les intervenants de ces deux journes ; ils se sont fait lcho dun appel communication devenu trs vite international comme en tmoigne la diversit des nationalits reprsentes, de lItalie au Canada en passant par les tats-Unis.

Enfin, je remercie avec bonheur les personnes de lauditoire sans lesquelles ce genre de runion serait confin aux couloirs poussireux de nos universits et aux conversations contrites de ses enseignants-chercheurs. Arnaud Timbert

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Arnaud TimbertHistorien de lart, universit Charles-de-Gaulle-Lille 3 (France)

RSuM

Cet ouvrage est issu des actes du deuxime colloque international consacr Eugne Emmanuel Viollet-le-Duc (1814-1879), qui sest tenu au chteau de Pierrefonds les 24 et 25 septembre 2010. Il explore, de la percep tion empirique et potique du matriau constructif jusqu son faonnage et sa mise en uvre, les dclinaisons des actes intellectuels et manuels de Viollet-le-Duc btisseur, matre duvre, et non plus seulement thoricien.

Dune part, en amont de lacte constructif, il sagit dinvestir le rapport intime et thorique que Viollet-le-Duc entretient avec les matriaux, et de saisir ce qui relve plus de lacte potique que de laccomplissement thorique.

Dautre part, notamment par lanalyse des sources, souvent indites, inhrentes lhistoire des chantiers entrepris par Viollet-le-Duc (parmi lesquels Amiens, Vzelay, Sens, Pierrefonds, Clermont-Ferrand), il sagit dapprhender la ralit matrielle du chantier viollet-le-ducien : dmarches engages pour lachat de la pierre ou des essences de bois ; critres de choix des carrires, des entrepreneurs, des matriaux ; valuation de la place et du rle du mtal dans la restauration Cette rencontre invite galement sinterroger sur les techniques de faonnage et de mise en uvre, ou encore sur le rle dterminant de la couleur, comme outil mais aussi comme expression ornementale.

EN MARCHE VERS LAVENIREN MARCHE VERS LAVENIR

Sommaire >> > English abstract

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LOOkING TOwARD THE FUTURE

Arnaud TimbertArt historian, Universit Charles-de-Gaulle-Lille 3 (France)

ABSTRACT

This book is the outcome of the Second International Viollet-le-Duc Symposium at the Chteau de Pierrefonds on September 2425, 2010. Its contributors investigate the different forms of Viollet-le-Ducs intellectual and practical accomplishments as builder and overseer, not only as a theoretician, from his empirical and poetic perception of building materials to their shaping and implementation.

We have striven, on the one hand, to investigate Viollet-le-Ducs personal and theoretical rela-tionship to his materials, prior to his actual work with building, and have sought to understand aspects of his work that have more to do with poetic creation than with implementing theory.

On the other hand, we have endeavored to understand the physical reality of Viollet-le-Ducs building projects, notably by analyzing often unpublished documents relating to the history of his restoration and construction sites (among them Amiens, Vzelay, Sens, Pierrefonds and Clermont-Ferrand). We have examined his efforts to acquire stone and timber; the criteria guiding his choice of quarries, building contractors and materials; his assessment of the place and role of metal in restoration work. Our 2010 encounter was also an invitation to probe Viollet-le-Ducs techniques of stonecutting and building, not to mention the decisive role of color as a tool and a means of ornamental expression.

LOOkING TOwARD THE FUTURE

Contents >> > Rsum

Arnaud TimbertHistorien de lart, universit Charles-de-Gaulle-Lille 3 (France)

Les Actes de ce deuxime colloque international de Pierrefonds sinscrivent dans la continuit des recherches engages sur Viollet-le-Duc depuis lexposition de 1965. Louvrage produit cette occasion par Pierre-Marie Auzas dvoile les diverses facettes de larchitecte en traitant, sur le fondement dune abondante documentation, du voyageur, du restaurateur, du constructeur et de lcrivain. Apparurent alors avec plus de nettet que par le pass le caractre protiforme de Viollet-le-Duc et la difficult de le confiner dans une de ces catgories : le romantique passionn semblait sopposer au thoricien rationaliste, le restaurateur se confondait au constructeur, le promoteur de lart moderne au dfenseur du nogothique. Viollet-le-Duc tait, pour reprendre lexpression de Franois Loyer, mis en morceaux .

La gnration des annes 1970 amplifia le phnomne, chaque chercheur, selon sa formation et les orientations mthodologiques du temps nous songeons en particulier linterprtation smiotiques de ses crits puisa dans lhomme comme lon choisit des objets prcieux dans les tiroirs dun mdaillier. Les uns tudiaient le thoricien et lauteur des Entretiens tandis que les seconds envisageaient larchologue et lauteur du Dictionnaire de larchitecture avant dentre-prendre celui du Dictionnaire du mobilier. Ainsi, les publications, entre autres, de Geert Bekaert, de Franoise et Philippe Boudon, de Louis Grodecki, de Jacques Gubler et dHubert Damish dployaient sur toute son tendue lventail de la diversit viollet-le-ducienne.

Ltude de luvre thorique finit cependant par lemporter et favoriser la production danalyses, dune rare sensibilit, abordant lintimit de lhomme, son imaginaire, sa potique, sa pense scientifique et politique la faveur dune remise en contexte dans le xixe sicle. Ces tudes, offertes par Laurent Baridon, Martin Bressani, Pierre Frey, Jean-Michel Leniaud ou encore Jean-Paul Midant ont considrablement renouvel notre regard. Si Viollet-le-Duc reste cependant le terrain de dbats vigoureux, lhomme nous apparat aujourdhui dbarrass de la lourde gangue du temps : il se dtache de ses uvres pour rejaillir sur elles et favoriser leur interprtation ; il sextrait de la masse paisse du xixe sicle de telle sorte que lon comprend mieux ce que lun doit lautre. Reste cependant que lhomme de la matire, larchitecte, le restaurateur en tant que praticien, est moins connu que larchitecte et le restaurateur en tant qucrivain. Le constat surprend pour celui qui fut lauteur de la seule rforme que connut lcole des Beaux-Arts au xixe sicle , rforme qui tenta de dplacer un enseignement fond sur les valeurs esth-tiques vers les ralits matrielles et techniques de la construction. Il paraissait donc lgitime den revenir des sujets peut-tre moins intellectuels en apparence mais plus fondamentaux et daborder lhomme frontalement en proposant un thme prcis : le choix des matriaux et des techniques de construction.

En tant que spcialiste de larchitecture mdivale, si ce sujet ma paru vident, ce nest peut-tre pas le cas pour tous. quil me soit donc permis dinsister sur le fait que cest un mdiviste, Louis Grodecki, qui a particip au renouveau des tudes sur Viollet-le-Duc tandis que dautres, de la mme formation, tels Francis Salet, Jacques Henriet et, plus rcemment Peter Kurmann, linvestissaient dune manire plus ponctuelle mais avec autant dacuit. Les investigations orientations matrielles de ces chercheurs sont inhrentes celle du mdiviste, dont la mthode implique dasseoir le raisonnement sur une critique dauthenticit , savoir : sur lanalyse pr-cise des modifications et restaurations effectues, aprs le Moyen ge, sur le monument tudi.

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EN MARCHE VERS LAVENIREN MARCHE VERS LAVENIR

Sommaire >>

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En marchE vErs lavEnirarnaud Timbert

Cette dmarche possde en elle-mme un non-dit pervers, celui destimer quil nest rien dauthentique dans ldifice en dehors de luvre mdivale, faisant ainsi peser sur les restau-rations de monuments historiques en gnral, et sur luvre de Viollet-le-Duc en particulier, un jugement nfaste. En revanche, cette mthode impose de connatre la nature des matriaux employs par les restaurateurs, les outils utiliss pour les faonner, les techniques choisies pour les mettre en uvre de manire pouvoir distinguer avec prcision ce qui, dans luvre mdivale, revient aux artisans du Moyen ge et ceux des priodes postrieures. Le mdiviste a donc une approche matrielle et archologique du xixe sicle que nont pas les autres cher-cheurs, dont la proccupation est principalement lie lhistoire des chantiers de construction et ltude des formes.

cette ralit, fonde sur la mthode propre lhistoire de lart, il faut associer le dveloppe-ment, depuis les annes 1980, des outils proposs par larchologie du bti. Celle-ci a dfini avec prcision les champs de lanalyse stratigraphique applique aux lvations, fix les objets et les limites de lanalyse matrielle, tout en sinterdisant les jugements de valeur et les partitions chronologiques. Cette prise de possession globale des monuments suscite ainsi une tude aussi prcise des strates mdivales que des strates contemporaines.

Cest dans la perspective identique dune investigation non cloisonne que, en 2006, nous avons agrg nos comptences avec celles dIsabelle Pallot-Frossard afin dinvestir les monuments restaurs ou construits par Viollet-le-Duc travers les matriaux et les techniques de construc-tion. Jusquen 2011, douze mmoires ont t soutenus sur le sujet grce laide des ingnieurs du Laboratoire de recherche des monuments historiques (LRMH) Lise Leroux en particulier1. Il sagissait non pas dtudier lorganisation du chantier des monuments investis et den crire lhistoire mais de comprendre quels taient les critres (archologiques, conomiques, architec-toniques, esthtiques, voire historicistes) retenus par Viollet-le-Duc pour le choix des matriaux et des techniques. Il convenait la fois de mieux connatre le praticien et son imaginaire, de confronter les mthodes du btisseur et celles du restaurateur.

Ce colloque est donc n de ce programme de recherche mais galement de lintrt de plus en plus marqu des historiens de lart pour la matrialit du bti. Il sinscrit cet gard dans la continuit des journes dtude inities par B. Baudez sur les Grands chantiers et matriaux ou par B. Phalip et J.-F. Luneau sur Restaurer au xixe sicle et fonctionne de concert avec lmer-gence dune discipline en recherche didentit : lhistoire de la construction. Ce second colloque de Pierrefonds, la fois, donc, sintgre dans le prolongement des recherches offertes sur Viollet-le-Duc depuis 1965 et emprunte la voie du renouvellement thmatique et mthodologique.

1. Quesnoit (Antoine), Lglise Sainte-Marie-Madeleine Vzelay : identification et recherche de lorigine des pierres de taille employes lors de la restauration de ldifice entre 1840 et 1859 , mmoire de master I, 4e anne, sous la dir. dI. Pallot-Frossart, L. Cadot-Leroux, A. Timbert. Bongart (Christine), La pierre dans le chantier de reconstruction du chteau de Pierrefonds , mmoire de master I, 4e anne, sous la dir. dI. Pallot-Frossart, A. Timbert, 2008, 2 vol. Bonnin (Marie-Clmentine), La pierre dans le chantier de restauration de labbatiale de Saint-Denis , mmoire de master I, 4e anne, sous la dir. dI. Pallot-Frossart, A. Timbert, 2008, 2 vol. Burette (Nicolas), Les matriaux dans le chantier de construction de la sacristie de la cathdrale de Paris , mmoire de master I, 4e anne, sous la dir. dI. Pallot-Frossart, A. Timbert, 2008, 2 vol. Derouette (Marie), La pierre dans le chantier de restau-ration de la cathdrale Notre-Dame dAmiens , mmoire de master I, 4e anne, sous la dir. dI. Pallot-Frossart, A. Timbert, 2008, 2 vol. Leonet (Pauline), La pierre dans le chantier de construction de lglise Saint-Denis-de-lEstre , mmoire de master I, 4e anne, sous la dir. dI. Pallot-Frossart, A. Timbert, 2008, 2 vol. Navarro (Nicolas), Les matriaux dans le chantier dachvement de la cathdrale de Clermont mmoire de master I, 4e anne, sous la dir. dI. Pallot-Frossart, A. Timbert, 2008, 2 vol. Paumier (Cathie), La polychromie Pierrefonds : interprtation matrielle et analyse formelle , mmoire de master I, 4e anne, sous la dir. dI. Pallot-Frossart, A. Timbert, 2008, 2 vol. Alard (Florie), Fer, fonte et plomb chez E.-E. Viollet-le-Duc : lexemple de Pierrefonds , mmoire de master I, 4e anne, sous la dir. dI. Pallot-Frossart, A. Timbert, 2008, 2 vol. Decamps (Aline), La couleur de larchitecture chez E.-E. Viollet-le-Duc : la faence, la tuile vernisse et le vitrail , mmoire de master I, 4e anne, sous la dir. dI. Pallot-Frossart, A. Timbert, 2008, 2 vol. Durox (Cyrielle), Le dcor polychrome des chapelles de la cathdrale Notre-Dame dAmiens : uvre dE.-E. Viollet-le-Duc , mmoire de master I, 4e anne, sous la dir. dI. Pallot-Frossart, A. Timbert, 2008, 2 vol. Ribaneneira (Marie-Laure), La mise en couleur des chapelles rayonnantes de la cathdrale Notre-Dame de Paris : uvre de Viollet-le-Duc , mmoire de master I, 4e anne, sous la dir. dI. Pallot-Frossart, A. Timbert, 2011, 2 vol.

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Ainsi, travers des monuments aussi divers que les cathdrales de Clermont-Ferrand, de Paris et dAmiens, les chteaux de Pierrefonds et dAbbadia ou encore les basiliques de Saint-Denis et de Vzelay, les contributions du prsent volume investissent la ralit matrielle du chantier viollet-le-ducien par le biais des dmarches engages pour lachat de la pierre. Elles apprhen-dent les raisons qui contriburent au choix des carrires, valuent les critres qui prsidrent celui des essences de bois bois dont on parle peu, pour le xixe sicle industriel mais qui reste trs prsent sur le chantier pour les cintres, les chafaudages, les outils de levages et de calages. Les interventions sattachent par ailleurs mesurer la place et le rle du mtal dans la restaura tion (boulon, liaisonnage au plomb) autant que lapport de nouveaux matriaux comme le zinc et le goudron et, plus largement, des nouvelles mthodes de protection telles que la silicatisation. Ces contributions proposent enfin de prolonger les regards au-del de la nature des matriaux pour identifier et analyser les outils de faonnage (manuel ou mcanique) et les techniques de mise en uvre.

La dmarche srielle qui consiste grener les monuments en les soumettant au mme proto cole danalyse pourrait paratre peu sduisante, voire ennuyeuse. Elle est nanmoins ncessaire. Il en rsulte les donnes essentielles lapproche comparative, seule capable dclairer les constances et les inconstances de larchitecte dans le choix dun matriau, dune technique ou le maniement dun outil. Elle procure aussi des informations sur la porosit que Viollet-le-Duc autorise entre les chantiers de construction et de restauration : les charpentes hybrides, bois et mtal, dAillant-sur-Tholon, Pierrefonds, Saint-Denis-de-lEstre ou Vzelay en tmoignent. Cette agrgation dinformations illustre sa volont de prolonger, au-del des formes, la nature gologique des monuments restaurs, en retournant aux ventres de ces derniers par une recherche assidue des carrires. Enfin, ltude systmatique des chantiers rend compte dun nombre limit dentrepreneurs engendrant, par consquent, une certaine uniformit matrielle de production.

Une approche du praticien ne pouvait tre mene par les seuls archologues, historiens et historiens de lart. Cest pourquoi le dernier volet de ces Actes sattarde sur le faonnage actuel de la matire. Cette dernire tape, quil tait logique de placer sous les regards dtienne Poncelet, rappelle linfluence exerce par luvre thorique de Viollet-le-Duc sur la recherche architecturale contemporaine. Comme le souligna parfaitement Pierre de Lagarde en son temps, Viollet-le-Duc reconnaissait une incontestable parent entre les btisseurs des cathdrales et les constructeurs des premiers buildings amricains agenant comme des ogives leurs poutrelles de fer . Linfluence que ces crits thoriques exercrent sur Le Corbusier, Perret, Wright ou Sullivan en tmoignent. La source dinspiration quils constituent encore aujourdhui, comme le laissent apprcier les contributions de Maria Rita Campa, Luc Tamborero, Giuseppe Fallacara et Maurizio Brocato, confirme que le gnie particulier de Viollet-le-Duc est davoir compris que ltude du pass, outre le fait de nourrir et de construire le prsent, est le plus sr moyen de btir lavenir.

Il ne sagit pas, toutefois, de limiter linvestigation ces seules questions. Comme lindique la premire partie de ces Actes, rserve Martin Bressani et Richard Etlin, une place est offerte aux dmarches vocation introspective. Aussi convenait-il dinvestir, en amont de lacte constructif, le rapport intime, potique, thorique, mystique et, parfois, quasi alchimique que Viollet-le-Duc entretient avec les matriaux, dvoilant un homme dont le rationalisme est un prtexte la profondeur. Martin Bressani dcrit ainsi un Viollet-le-Duc attentif la nature extrinsque et intrinsque de la matire tandis que Richard Etlin fait le portrait dun architecte pour qui la posie de lesthtique et celle de la structure sont au cur de la pense architec-turale. En somme, comme en tmoigne par ailleurs la vocation quasi anthropologique de ces chantiers de restauration, Viollet-le-Duc projette dans les monuments sa qute dimmatriel, son romantisme en esprance de vrit.

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De la perception empirique et potique du matriau constructif son faonnage et sa mise en uvre, les dclinaisons des actes intellectuels et manuels du btisseur sont ainsi le lieu commun des changes. Par la multiplicit des regards, le sujet trait, nous lesprons, servira lcriture de lhistoire et viendra alimenter les recherches en cours sur Viollet-le-Duc.

Ces Actes, en effet, ne sont jamais quun maillon dans une chane opratoire dune rare densit. Il y a, autour de Viollet-le-Duc, une dynamique en marche de par le monde ; aussi attendons-nous avec impatience louvrage que lui consacre Martin Bressani autant que les thses de Suzann Schlesinger de luniversit de Tbingen, de Yusuk Enami de lInstitut technologique de Kyoto, ou encore de Viviane Delpech de luniversit de Pau. Il faut galement souhaiter la publication des mmoires soutenus sur le sujet2 autant que celle du travail dhabilitation de Solange Michon sur Viollet-le-Duc, imagier du Moyen ge (universit de Berne, 2006) et de la thse de Francesca Lupo3.

Comme lcrit Bruno Foucart : Viollet-le-Duc nest pas seulement revisiter, mais dcouvrir.

2. J. van Brevern, Viollet-le-Duc und die Alpen, universit de Hambourg, 2005 ; G. Magni, La Faade occidentale de la cathdrale de Clermont-Ferrand, universit de Fribourg, 2003.3. F. Lupo, Les techniques de votement dans les monuments btis par Eugne Viollet-le-Duc , thse de doctorat sous la dir. de Rosalba Ientile, universit polytechnique de Turin (Italie) et Arnaud Timbert, universit Charles-de-Gaulle-Lille 3, 2009.



I.I.Sommaire >>

Contents >>

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Martin BressaniProfesseur, universit McGill, Montral (Canada)

RSuM

Le matriau occupe une place paradoxale dans la doctrine du style de Viollet-le-Duc. Dune part, ce dernier insiste plusieurs reprises sur le respect que doit lartiste la nature du matriau. Dautre part, fidle ltymologie du mot style, il demande que le matriau porte la marque du crateur. Dans larticle Style du Dictionnaire raisonn, Viollet-le-Duc explique que lhomme doit se servir des produits naturels comme de matriaux auxquels il impose un ordre qui ny existe pas pralablement. Lartiste doit donc faire perdre la nature son style pour y substituer celui que son gnie sait parfois voquer. Il conclut : Pour que le style repa-raisse, il faut quun nouveau principe, comme un souffle, vienne animer ces matriaux. Luvre qui a du style celle qui est produite par un acte cratif authentique suppose donc que le matriau perde sa nature afin que luvre se dote dune vie propre. Une ranimation du matriau est le principe de base.

La communication suit les consquences de ce paradoxe sur deux aspects importants de la thorie du gothique et de lhistoire de larchitecture en gnral selon Viollet-le-Duc : premi-rement, sur la diffrence quil tablit entre le roman et le gothique vers 1852 ; deuximement, sur la distinction quil fera plus tard entre les traditions constructives smitiques et aryennes. Cest en suivant la pense de Viollet-le-Duc sur cette dernire polarisation entre Aryens et Smites donc en abordant son discours sur la race quil conviendra de dgager comment, chez lui, le matriau et ses techniques dutilisation sont dpositaires dune mmoire sculaire.

LE RLE DU MATRIAU DANS LACTE CRATIF SELON VIOLLET-LE-DUCLE RLE DU MATRIAU DANS LACTE CRATIF SELON VIOLLET-LE-DUC


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VIOLLET-LE-DUCS VIEw OF THE ROLE OF MATERIALS IN THE CREATIVE ACTVIOLLET-LE-DUCS VIEw OF THE ROLE OF MATERIALS IN THE CREATIVE ACT

Contents >> > Rsum

Martin BressaniProfessor at McGill University, Montreal (Canada)

ABSTRACT

Materials are assigned a paradoxical place in Viollet-le-Ducs doctrine of style. On the one hand, the architect repeatedly stresses the respect that the artist owes to the nature of the material. On the other, in keeping with the etymology of the word style, he wishes the material to bear the artists mark. In an article on Style in his Dictionnaire raisonn (Analytical Dictionary), Viollet-le-Duc explains that man must use natural materials, to which he brings an order that was not present before. The artist must thus divest nature of its style to replace it with that which his genius is sometimes able to evoke. He concludes with these words: For style to reappear, a new principle, a new breath of life, must be imparted to the material. Thus, by implication, a work possessing style one that is produced by a genuine creative act is one in which the material is stripped of its nature, allowing it to take on a life of its own. The fundamental principle is that of breathing new life into materials.

My paper investigates the repercussions of this paradox on two important aspects of Viollet-le-Ducs theory of the Gothic style and of architectural history in general. Firstly, I look at the difference he establishes around 1852 between the Romanesque and Gothic styles. Secondly, I examine his subsequent distinction between Semitic and Aryan building traditions. By addressing his thought on the latter polarity thus touching on his discourse on race I will attempt to show how in his view building techniques and materials are depositaries of an age-old memory.

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Martin BressaniProfesseur, universit McGill, Montral (Canada)

De tous les thoriciens de son sicle, Viollet-le-Duc est celui qui a le plus insist sur lide selon laquelle larchitecture doit se conformer la nature des matriaux. Ni Pugin ou Ruskin en Angleterre, ni Schinkel, Boetticher ou Semper dans le monde allemand, ni mme les rationalistes Labrouste ou Reynaud en France, nont accord autant dimportance ce prcepte. La pense de Viollet-le-Duc sur le sujet peut se rsumer la formule suivante : Construire, pour larchitecte, cest employer les matriaux en raison de leurs qualits et de leur nature propre, avec lide prconue de satisfaire un besoin par les moyens les plus simples et les plus solides1.

Cette phrase sentencieuse, tire de larticle Construction du Dictionnaire raisonn, a t crite vers la fin de lanne 1858 donc la priode de maturit de Viollet-le-Duc. Mais ds ses premiers crits, celui-ci insiste sur limportance de lemploi correct des matriaux. En 1845, dans les Annales archologiques, il crit : Larchitecture [doit] savoir, non pas soumettre les mat-riaux dune manire absolue la forme, mais elle-mme se prter leurs qualits et en profiter []. [La cathdrale de Chartres est] luvre de gens entreprenants et matres de la matire2.

Nous reviendrons sur lexpression matre de la matire, qui voque la dnomination connotation maonnique, en vogue au xixe sicle, magister de lapidibus vivis (le matre des pierres vives). Pour le moment, retenons que, selon Viollet-le-Duc, la forme architecturale doit se soumettre la nature des matriaux. Ce prcepte est tellement simple quon peut supposer quil a toujours t inhrent la discipline. On le retrouve, par exemple, dans le Cours darchitecture de Jacques-Franois Blondel : [Larchitecte doit] connatre la qualit, les proprits & lemploi des diffrents matriaux qui doivent tre unis ensemble dans la btisse. Sans [cela], il ne saurait y avoir darchitecture vritablement habile3 [].

On doit souligner cependant que ce passage de Blondel est tir du tome V de son Cours darchitecture, volume ddi la construction et aux aspects pratiques de la discipline. Le respect des mat riaux est absent des prceptes gnraux de lart noncs dans les premiers volumes du clbre cours. On peut dailleurs saisir la valeur toute relative du discours sur les mat-riaux dans la thorie noclassique en parcourant les leons de Jean Louis Nicolas Durand. Ce dernier crit bien, au dbut de son Prcis des leons darchitecture, qu il faut que les mat-riaux qui servent la construction [] soient employs avec intelligence4 . Mais, plus loin, quand il stend plus longuement sur cet aspect, il tend relativiser limportance de la nature des matriaux : On peut ranger les formes et les proportions [en architecture] en trois classes : celles qui naissent de la nature des matriaux et de lusage des objets la construction desquels ils sont employs ; celles dont lhabitude nous a fait en quelque sorte un besoin, telles que les formes et les proportions que lon remarque dans les difices antiques ; enfin, celles qui, plus simples et plus dtermines que dautres, doivent obtenir chez nous la prfrence, cause de la facilit que nous avons les saisir. Les premires sont les seules essentielles ; mais elles ne sont pas tellement fixes par la nature des choses, que lon ne puisse y ajouter, y retrancher, en sorte que rien nempche dy allier les deuximes, celles des difices antiques : et, comme celles-ci varient beaucoup dans les difices grecs quont imits

1. Viollet-le-Duc, 1854-1868, vol. 4, p. 1.2. Id., 1845, p. 324.3. Blondel, 1877, t. V, p. 137.4. Durand, 1823, vol. 1, p. 37.

LE RLE DU MATRIAU DANS LACTE CRATIF SELON VIOLLET-LE-DUCLE RLE DU MATRIAU DANS LACTE CRATIF SELON VIOLLET-LE-DUC

Sommaire >>

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Le rLe du matriau dans Lacte cratif

seLon VioLLet-Le-ducmartin Bressani

les Romains, [] on est libre de choisir entre elles les formes et les proportions qui, tant les plus simples, sont les plus propres, en apportant de lconomie dans les difices, satisfaire davantage lil et lesprit5.

En bref, la nature des matriaux doit tre considre, mais cet aspect nest pas assez dter-minant pour forcer larchitecte abandonner lordonnance classique et, surtout, la simplicit gomtrique prconise par Durand. Ce passage rsume bien la pense noclassique sur le thme de la nature des matriaux vhicule autant par Blondel et Boulle que plus tard par Rondelet et quatremre de quincy.

Ce trs bref dtour historique vers le noclassicisme dont le corpus thorique constitue la premire formation de Viollet-le-Duc permet de saisir combien limportance grandissante confre la nature des matriaux au xixe sicle est un phnomne spcifique celui-ci. Lhistoire de la progression de lide au dbut du sicle serait trop longue entreprendre ici ; quil suffise de mentionner que le respect des matriaux acquiert de limportance au dbut des annes 1830 dans les crits de Lonce Reynaud et Gabriel Laviron, et bien sr dans lenseignement dHenri Labrouste. Mentionnons aussi quau sein de la Commission des monuments historiques on accorde une nouvelle importance aux matriaux dans une perspective de conservation des btiments.

quelles que soient les sources du prcepte au dbut du xixe sicle en France, on connat la porte quil aura par la suite dans larchitecture moderne. La nature des matriaux devient une sorte de mantra pour les modernistes. Dans les crits de Louis Sullivan et de Frank Lloyd Wright, par exemple, la doctrine acquiert un caractre quasi mystique. Ainsi le raconte Wright dans son autobiographie propos de sa dcouverte de la nature des matriaux : [] jai alors commenc tudier la nature des matriaux, apprendre les voir. Jai appris voir la brique comme brique, voir le bois comme bois, et voir le bton, ou le verre ou le mtal. Voir chacun de ces matriaux comme une chose en soi, entirement spcifique. [] Une forme approprie pour un matriau ne le serait pas du tout pour un autre. Du moins, pas suivant lidal spirituel de simplicit en tant que plasticit organique. [] il ne pouvait y avoir une architecture organique si on ne tenait pas compte de la nature des matriaux []6.

Wright souligne les termes plasticit organique. Ailleurs, il explique ainsi le concept : Ce mot essentiel de plastique veut dire que la qualit et la nature des matriaux sont mises en forme de manire fluide et croissante ( flowing and growing into form) plutt que dtre utilis de faon additionnelle, en tant qulments dtachs []7.

Ces passages de Wright illustrent comment le discours sur la nature des matriaux aura tendance glisser, tout au long du xixe sicle, vers une sorte de mystique de la matire, produit dune lecture vitaliste et thosophique du monde dont, aux tats-Unis, Louis Sullivan sera le principal thurifraire. Une architecture qui respecte la nature des matriaux en est une qui se forme de faon organique, comme une plante.

Les sources de cette pense vitaliste sont extrmement varies, mais il ne fait aucun doute que linfluence de lcole franaise, en particulier de Viollet-le-Duc, ait t dterminante. Essayons donc dapprofondir comment Viollet-le-Duc conoit ce prcepte du respect de la nature des matriaux . Les citations de Wright nous sont utiles parce quelles nous permet tent de prendre conscience que cette conception nest peut-tre pas si transparente quelle parat au premier abord.

5. Durand, 1823, vol. 1, p. 53-54.6. Wright, 1943, p. 148 (trad. Martin Bressani).7. Id., 2008, p. 80 (trad. Martin Bressani).

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Disons demble que les matriaux sont une des plus grandes proccupations de Viollet- le-Duc : peu prs tous les articles du Dictionnaire raisonn abordent la question. Il faut dire que ce manuel en dix volumes tait conu comme un guide pour les architectes diocsains ; il devait donc aborder cette dimension minemment pratique du travail du restaurateur. Si lon analyse en dtail ce discours cest ce que jai fait en relevant systmatiquement tous les passages o il aborde la question dans son Dictionnaire raisonn et ses Entretiens , on se rend vite compte que cest le respect de la nature du matriau qui prime sur toute autre consi-dration. Lide peut paratre vidente, mais ce nest pas toujours le cas. Chez le thoricien allemand Gottfried Semper, par exemple, ce sont les transpositions formelles dun matriau un autre qui lintressent. Dailleurs, bien que rebattue, la doctrine du respect des matriaux nest pas sans une certaine ambivalence chez Viollet-le-Duc. Comparons par exemple les deux citations suivantes, tires respectivement des volumes 1 et 2 du Dictionnaire raisonn : Non-seulement [sic] larchitecture franaise du xiiie sicle adopte des formes diverses en raison des besoins auxquels elle doit satisfaire, mais encore nous la voyons se plier aux matriaux quelle emploie. Si cest un difice de brique, de pierre ou de bois quelle lve, elle donne chacune de ces constructions une apparence diffrente, celle qui convient le mieux la nature de la matire dont elle dispose. [] Le judicieux emploi des matriaux distingue les constructions du xiiie sicle entre celles qui les ont prcdes et suivies8.

[] cette poque [dernires annes du xiiie sicle], larchitecture adopte est tellement imprieuse, absolue, quelle ne tient plus compte de la nature des matriaux, mme dans lexcution des dtails de la sculpture9.

Voici deux citations qui se contredisent lune lautre, et je pourrais multiplier les exemples : dune part, Viollet-le-Duc rpte que larchitecture gothique du xiiie sicle inaugure une nouvelle poque dans lhistoire de larchitecture par son souci du respect des matriaux ; dautre part, il rpte presque aussi frquemment que le gothique cherche transcender cette nature des matriaux . On saisit bien lide dune transcendance du matriau dans la description suivante de laventure gothique selon Viollet-le-Duc : Voici des rationalistes (quon me passe le mot), des artistes qui suivent un principe vrai, tout prendre, en se conformant aux rgles les plus rigoureuses de la logique ; qui prennent, pour btir, de la pierre de taille, cest--dire une matire qui est forme de manire tre employe par superposition, par assises, en un mot : par consquent, les lignes principales de leurs constructions doivent donc tre horizontales. Point ; aprs un demi-sicle de recher ches, de combinaisons toutes plus ingnieuses les unes que les autres, ils arrivent, au contraire, faire dominer dans leurs difices la ligne verticale sur la ligne horizontale, et cela sans cesser un instant de suivre les consquences du principe vrai quils ont pos10.

Les artistes gothiques suivent un principe avec une logique rigoureuse, et cette rigueur du principe les pousse mme dpasser la logique inhrente la nature des matriaux. Parmi les passages les plus explicites sur le sujet, sont ceux o Viollet-le-Duc compare larchitecture antique celle du Moyen ge, par exemple : [] les architectes laques en France [], les premiers, [] commencent, dans lre moderne, la grande lutte de lhomme intellectuel contre la matire brute. Les constructeurs de lantiquit sont les allis et souvent les esclaves de la matire, ils subissent ses lois ; les constructeurs laques du moyen ge se dclarent ses antagonistes, ils prtendent que lesprit doit en avoir raison, quil doit lassujettir, et quelle obira11.

8. Viollet-le-Duc, 1854-1868, vol. 1, p. 153-154.9. Id., 1854-1868, vol. 2, p. 538.10. Id., 1854-1868, vol. 4, p. 242.11. Id., ibid.

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Nantes

AngersTours

Prigueux

Bordeaux

BeauvaisRouen

Amiens

Chartres

Caen

Le Mans

Paris

Poitiers

Auxerre

Ble

BourgesNevers

Moulins

DijonBesanon

Strasbourg

AngoulmeLimoges

SensTroyes

Laon

Aix-la-Chapelle

Reims

Provins

Chateaudun

CosneAvallon

Autun

Vienne

Orange

Brioude

OleronS. Gaudens

Moissac

Souillac

S. Macaire

S. Antonin

Brives

Nantua

La Chatre

Loches

Parthenay

Niort

Saintes

CivrayMelle

LuxeuilLangresChatillons. S.

Chalonss. M.

Soissons

Cologne

MantesFalaise

Coutances

Bayeux

Saint-Michel

Orlans

Lyon

Grenoble

Toulouse

Clermont

Carcassonne

Agen

Alby

Cahors

Tulle

Rhodez

Nismes

Valence

Chaumont

Digne

Le Puy

Narbonne

Maguelonne

ArlesAix

Avignon

Perpignan

Foix

Style Normand

Style Poitevin

Style Romain dgnr

Style Auvergnat

Style Rhnan

Style de lle de France

Style du Centre

Style Byzantin et romano Byzantin

Style Romain mridional

Cette ide se trouve dj dans larticle que Viollet-le-Duc publie dans la Revue gnrale de larchitecture en 1852, un an avant le dbut de la publication du Dictionnaire raisonn : On reconnat par cette dfinition sommaire les diffrences profondes qui sparent et spa-reront toujours [les] civilisations [antiques et modernes] : dans lune, le culte de la matire, la soumission ces lois ; dans lautre, au contraire, ltat permanent de rvolte contre la matire, la prpondrance de la science, et la victoire du spiritualisme12.

Cette distinction radicale entre les civilisations antique et chrtienne, Viollet-le-Duc la retrouve mme le Moyen ge : elle spare le roman du gothique. Alors que larchitecture romane est assujettie un respect presque servile des matriaux, larchitecture gothique transcende la matire en poursuivant cet lan national qui se dveloppe dabord dans les communes de lle-de-France, de la Champagne et de la Bourgogne, et ensuite travers tout le pays. Voil comment il explique cette diffrence : [] lpoque [fodale] o lart de btir se dvelop-pait sparment dans chaque province, la nature gologique du sol [a] eu une grande influence sur les constructions. Tandis que plus tard, lorsque tous ces efforts spars se furent runis pour former un art central qui son tour ragit sur les provinces, les matriaux durent se prter jusqu un certain point la loi commune13.

Pour illustrer son propos, Viollet-le-Duc fait graver dans la Revue gnrale trois cartes de la France lpoque fodale : la premire montre la division du territoire par styles architecturaux (ill. 1) ; la seconde, par zones gologiques (ill. 2) ; la troisime illustre les divisions politiques au xe sicle (ill. 3). En comparant ces trois planches, Viollet-le-Duc dmontre que la division par styles se rapproche plus de la division gologique que de la division politique. Autrement dit, les architectes de lpoque fodale suivent la nature des matriaux quils trouvent dans le sol de leur rgion : le gnie provincial est luvre. Au contraire, lpoque gothique, les architectes, aspirs par un mouvement irrsistible lchelle du pays, dlaissent la logique des matriaux.

12. Viollet-le-Duc, 1852, col. 246.13. Id., 1852, col. 351.

1. Viollet-le-Duc, dessinateur, et F. Penel, graveur, Revue de larchitecture et des travaux publics, 1852, Division de la France, par styles pendant les xie et xiie sicles , pl. 14.

2. Viollet-le-Duc, dessinateur, et F. Penel, graveur, Revue de larchitecture et des travaux publics, 1852, Division gologique de la France , pl. 15.

3. Viollet-le-Duc, dessinateur, et F. Penel, graveur, Revue de larchitecture et des travaux publics, 1852, Division fodale de la France , pl. 16.

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Moissac

Souillac

S. Macaire

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Loches

Saintes

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LuxeuilLangres

Chalonss. M.

Soissons

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Grenoble

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Cahors

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Nismes

ValenceLe Puy

Narbonne

ArlesAix

Avignon

Perpignan

Saint-Michel

Calcaire grossier gypse

Sables Meulires, grs de Fontainebleau

Grs des VosgesTerrains jurassiques systme oolithique

Terrains cristalliss granitiques

Terrains volcaniques

Alluvion Diluvium alpin

CraieGrs vert

Terrains de transition

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NantesAngers

Tours

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Bordeaux

BeauvaisRouen

Amiens

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Chartres

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Auxerre C.

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Angoulme C Limoges V.

Blois C

Nevers C

Valois C

Vermandois C.

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Vexin C.

Soissons C

Sens C.Troyes C.

Tonnerre C.

Laon

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Rethel C

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CarcassonneNarbonne F.

Maguelonne C.

ArlesMontpellier S.

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Cest un phnomne historique sans prcdent. partir de ce moment, dcrit Viollet-le-Duc : le gnie provincial perd de son originalit pour se fondre dans une seule architecture, qui stend successivement sur toute la superficie de la France14 .

Le foyer de cette transformation se trouve en le-de-France, mais le mouvement stend rapidement, si bien que dans les rgions les plus loignes du centre sont rigs des difices qui, en relation avec leur contexte, sont de vritables exceptions, des monuments exotiques ne se rattachant pas aux constructions indignes de ces contres15 . Le processus dunification de la France, car cest videmment de ce phnomne politique quil sagit, est conu par Viollet-le-Duc comme une nergie vitale qui parcourt le pays entier, territoire conu comme un corps organique tel que lavait dcrit Michelet dans son remarquable Tableau de la France de 1833.

lpoque romane, les architectes respectent ainsi les matriaux trouvs localement ; lpoque gothique, les maons laques dpassent la logique du matriau. Dans un cas, larchitecte est assujetti au matriau ; dans lautre, il le transcende. On arrive ainsi comprendre que ce qui, plus tt, apparaissait comme une contradiction reflte en fait deux faons diffrentes de comprendre la matire : une relation passive face aux matriaux est remplace par une relation active , ce contraste entre passif et actif , dinspiration vaguement alchimique, tant la cl de vote de la pense viollet-le-ducienne.

Il est intressant de suivre cette ide, ou cette distinction, chez Viollet-le-Duc. Elle se retrouve au cur de sa doctrine du style, autrement dit au cur mme de sa thorie de la crativit. Le style , pour Viollet-le-Duc, dcrit cette qualit particulire quacquirent les ouvrages humains quand ils sont le produit dun acte cratif vritable, analogue aux productions de la nature vivante. On retrouve dans la dfinition du style de Viollet-le-Duc la mme aporie que lon a observe dans sa description de larchitecture gothique. Dune part, il suppose le res-pect des matriaux : Le style ne sobtient qu ces conditions, savoir : que la matire tant donne, la forme dart quelle revt ne soit que la consquence harmonieuse de ses propri-ts adaptes la destination ; que lemploi de la matire soit proportionnel lobjet16. Mais quelques pages plus loin, il est redfini comme un principe qui doit transcender le matriau : Dans lordre cr qui nous entoure, et qui est mis, pour ainsi dire, notre disposition, tout ce que lhomme touche, arrange, modifie, perd le style, moins que lui-mme ne puisse manifester un style en introduisant un ordre sorti de son cerveau au milieu du dsordre quil a produit. [] Pour que le style reparaisse, il faut quun nouveau principe, comme un souffle, vienne animer les matriaux17.

Une fois appropries par larchitecte, les pierres perdent leur style naturel, en quelque sorte. Pour que le style reparaisse, un souffle doit ranimer les matriaux ; mais quelle est la nature de ce souffle qui anime ?

On pourrait tre tent de restreindre la porte de lexpression et de ny voir quune image pour dcrire un principe de nature rationnelle. Mais ce serait oublier que cette expression du souffle qui anime est trs familire dans la tradition sotrique. Les stociens, les hermtistes, tout autant que les alchimistes, soutiennent que le pnema (cest--dire le souffle gnrateur) habite et anime les corps, et lon na que lembarras du choix pour trouver une citation pertinente. En voici une tire de la belle traduction, par le pote et hellniste Louis Mnard, du corpus dHerms Trismgiste publi en 1866, lanne mme o Viollet-le-Duc crit larticle Style : [] aprs avoir fourni les forces cratrices et le souffle gnrateur pour luniversalit des tres venir, [Dieu] se retira, promettant de joindre aux uvres visibles un souffle (in)visible et un principe reproducteur []18.

14. Viollet-le-Duc, 1854-1868, vol. 1, p. 150.15. Id., 1854-1868, vol. 1, p. 223.16. Id., 1854-1868, vol. 8, p. 486.17. Id., 1854-1868, vol. 8, p. 489.18. Herms Trismgiste, 1866, p. 184.

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Viollet-le-Duc qui, dans son atelier de la rue Condorcet, aimait porter une toge et un chapeau dignes de Merlin, aimait les vieux grimoires. Il possdait dans sa bibliothque les crits dHerms Trismgiste, cest--dire le Corpus Hermeticum, source de la pense alchimique, dans une rare traduction italienne de la Renaissance, datant de 154919. Mais a-t-il vraiment eu le temps de lire ce vieil ouvrage en italien ? Je crois plutt quil aura tir lexpression du Time de Platon, dialogue dans lequel lme est dcrite comme souffle de vie gnrateur, ralit intermdiaire entre le sensible et lintelligible, cause de mouvement et amenant la connaissance.

Mon but cependant nest pas de suivre la pense de Viollet-le-Duc jusque dans ses sources sotriques. Limportant est de savoir quel intrt il pouvait trouver samuser avec de telles rfrences. Le souffle dont il parle nest videmment ni celui de Platon ni celui de Plotin ou dHerms Trismgiste. Il sagit de quelque chose de plus moderne, lexpression dune volont technique, qui concide de faon approximative avec le mythe dmiurgique de la cration dans la philosophie noplatonicienne. Viollet-le-Duc conoit en effet lacte cratif comme linstau-ration dune nouvelle vie au sein des matriaux : Le style est, pour luvre dart, ce que le sang est pour le corps humain ; [] et comme lon dit : le sang humain, [], on doit dire : le style, quand il sagit de cette puissance qui donne un corps et la vie aux uvres dart20.

Le style est une puissance vitale et le matriau, le vhicule de cette puissance. Viollet-le-Duc pose ainsi les termes dune esthtique de la volont. Lide trouve son articulation la plus claire dans un passage de larticle Serrurerie du Dictionnaire raisonn crit la mme anne que larticle Style : Plus la matire est revche, plus, lorsque lhomme la travaille, elle doit simpr-gner de la marque de sa volont. Elle nexprime la puissance de cette volont que si lartisan tient compte des proprits mmes de cette matire, que sil la rend docile en manifestant clairement ces proprits21.

Ici le souffle qui anime devient la marque de la volont humaine. La notion de marque saccorde dailleurs bien ltymologie du mot style qui dsigne le stylet, ou poinon de fer dont on se servait dans lAntiquit pour crire sur de la cire. Particulirement intressante dans ce passage est la deuxime phrase : La matire nexprime la puissance de cette volont que si lartisan tient compte des proprits mmes de cette matire, que sil la rend docile en manifestant clairement ces proprits. Lon ne peut assujettir ou rendre docile que ce que lon saisit parfaitement. Lartiste technicien doit ainsi trouver, comme lalchimiste, la cl qui dlie la matire et la transforme en une substance active. On retrouve ainsi cette plasticit fluide dont parlait Frank Lloyd Wright.

19. Il Pimandro di Mercurio Trimegisto, 1880, p. 129.20. Viollet-le-Duc, 1854-1868, vol. 8, p. 476.21. Id., 1854-1868, vol. 8, p. 329.

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BIBLIOgRAPhIE

Blondel (J. F.), Cours darchitecture, Paris, 1877.

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Richard EtlinProfesseur, cole darchitecture de luniversit du Maryland (tats-Unis)

RSuM

Tout est fonction de structure [] il nexiste pas de forme dans lart gothique qui soit fonde sur la fantaisie. Au premier abord il ne parat pas de possible quivoque cette contestation apparemment univoque de Viollet-le-Duc que Louis Grodecki a cite lors du colloque de 1980 comme exemple cl de la pense du grand thoricien domin dun fonctionnalisme structural . En revanche, cette contestation acquiert une nouvelle signification quand on fait lenqute sur la nature de la fantaisie dans la pense de lhomme qui a affirm aussi que les Grecs ont eu ce sentiment exquis qui soumet toutes les formes la raison, non point la raison sche et pdante du gomtre, mais la raison dirige par les sens et par lobservation des lois naturelles ( IIe entretien ). Et cest le mme esprit que Viollet-le-Duc a trouv dans la subs-tance de larchitecture franaise du Moyen ge : On a vu avec quel soin les Grecs mnageaient leffet, comme ils comprenaient ce que nous appelons le pittoresque, comme ils atteignaient le sommet de lart par des moyens presque recherchs, quel sentiment ils avaient de la ligne, et comme ce sentiment sexprimait par une tude trs fine, trs subtile des lois naturelles et des besoins instinctifs de lil. Nous retrouvons ces qualits dans notre cole franaise du xiie sicle ( VIIe entretien ).

Ainsi, si Viollet-le-Duc nie la libre fantaisie dans lart gothique, il identifie en mme temps, au cur de la cration de la structure, le besoin humain dune posie de linvention entendue comme une capacit inventive marque par des trouvailles ingnieuses qui ont bien des fois un aspect potique dans leurs formes. Le structuralisme rationaliste de Viollet-le-Duc chante la posie de la facult crative dont les formes ne sont jamais donnes mais doivent sinventer, surtout selon le triple critre de limprvu, du hardi et du beau. Lhomme qui dans le premier tome des Entretiens sur larchitecture a apprci les subtiles inclinaisons des caryatides de lrechthion, qui nont rien de prvu ni mme de ncessaire au point de vue structurel, na jamais abandonn cette sensibilit quil a apporte son analyse de larchitecture gothique. Il est temps de relire Viollet-le-Duc selon ce critre qui fait de la phrase cite par Grodecki et tant dautres seulement le corollaire dune pense de base plus subtile et bien nuance.

LA POSIE DE LINNOVATION ET LINVENTION POTIQUE CHEZ VIOLLET-LE-DUC



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THE POETRy OF INVENTION IN STRUCTURE AND MATERIALS IN VIOLLET-LE-DUCTHE POETRy OF INVENTION IN STRUCTURE AND MATERIALS IN VIOLLET-LE-DUC

Contents >> > Rsum

Richard EtlinDistinguished University Professor, School of Architecture, Planning and Preservation, University of Maryland (USA)

ABSTRACT

Everything is a function of structure There is no form in Gothic art based on free fantasy. At first glance there is no possible doubt about the meaning of this affirmation, cited by Louis Grodecki during the International Colloquium on Viollet-le-Duc in 1980 as the key to the thought of the great theoretician, which Grodecki saw as dominated by a structural functionalism. On the other hand, this affirmation acquires new meaning when one considers the meaning of fantasy in the thought of a man who also affirmed that the ancient Greeks enjoyed that exquisite sentiment that submits all forms to reason, not to the dry and pedantic reason of the geometrician but rather to reason guided by the senses and by the observation of natural laws. Deuxime Entretien (Second Lecture). This is the same spirit that Viollet-le-Duc found as the basis of French medieval architecture: We have seen the care taken by the Greeks to arrange the effect, how they broadly understood what we call the picturesque, how they reached the summit of art by means that were highly refined, what feeling they had for line, and how this sentiment was expressed through a very close and subtle study of natural laws and of the instinctive needs of the eye. We find these qualities once again in our French school of the twelfth century Septime Entretien (Seventh Lecture).

In effect, if Viollet-le-Duc denies free fantasy in Gothic art, he identifies at the same time at the heart of the creation of structure a human need for a poetry of invention, understood as an inventive capacity searching for ingenious solutions, which often have a poetic aspect to their forms. The structural rationalism of Viollet-le-Duc lauds the poetry of the creative faculty such that forms are never given but rather must be invented, especially according to the three criteria of the unforeseen, the daring, and the beautiful. The man who in the first volume of the Entretiens sur larchitecture (Lectures on Architecture) expressed his appreciation for the subtle inclination of the Erechtheions caryatids, which has nothing predetermined or even necessary for struc-tural stability, never abandoned this sensitivity, which he also applied to an analysis of Gothic architecture. It is time to reconsider Viollet-le-Duc according to this criterion, which renders the line quoted by Grodecki and by so many others, only a corollary to a much more subtly shaded basic conception.

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Richard Etlin1Professeur, cole darchitecture de luniversit du Maryland (tats-Unis)

Cest sans doute au cours de la deuxime dcennie du xxe sicle que larchitecte Frank Lloyd Wright fit cadeau son fils John Lloyd Wright, galement architecte, de la traduction anglaise des Entretiens de Viollet-le-Duc en la lui recommandant par ces mots : Dans ces volumes, tu trouveras tout lenseignement architectural dont tu peux avoir besoin2. Or, comment concilier ladmiration de Wright pre, lun des architectes les plus romanesques et potiques de son temps, pour la pense viollet-le-ducienne, avec le portrait presque universel de la doctrine de Viollet-le-Duc ? Ce caractre universel, Louis Grodecki la rsum au cours dun colloque inter-national consacr Viollet-le-Duc en 1980, avec une citation, tire du Dictionnaire raisonn mme, qui, au premier abord, ne parat pas admettre dquivoque : Tout est fonction de struc-ture : la tribune, le passage du triforium, le pinacle et le gble ; il nexiste pas de forme dans lart gothique qui soit fonde sur la libre fantaisie. Le fonctionnalisme structural dont a parl Grodecki comme principe fondamental de la doctrine de Viollet-le-Duc, est, selon lui et bien dautres, plus explicitement, un rationalisme structural [] une sorte de dterminisme matriel et technique3 .

Toute luvre, architecturale ou crite, de Frank Lloyd Wright, nous oblige chercher de nouvelles explications la pense de Viollet-le-Duc. Je chercherai dmontrer dans cette communica-tion que Viollet-le-Duc ne croyait point en un dterminisme matriel et technique , et que la notion de rationalisme structural est inadquate pour traduire lessence de sa pense.

La piste suivre nous a t rvle lors de ce mme colloque de 1980 par Claude Thfoin quand il a cit dautres fins une phrase des Entretiens qui met en doute tout ldifice intellec tuel du soi-disant rationalisme structural de Viollet-le-Duc : Un architecte qui nprouve pas, en coutant un air (ou un pome), des sentiments aussi vifs que ceux que produit chez lui la vue dun monument, nest pas un artiste, cest un praticien4. Or, cette affirmation confirme la place centrale de leffet potique de larchitecture pour Viollet-le-Duc. Il faut garder cela lesprit en lisant des affirmations qui paraissent communiquer un fonctionnalisme structural . La phrase cite par Grodecki a donc une valeur non de principe fondamental, mais plutt de corollaire secondaire au sein dune pense fondamentale bien plus subtile et nuance.

La base de cette pense se trouve dans les Entretiens. Viollet-le-Duc y distingue en effet la vraie de la fausse raison, tout en parlant de larchitecture ancienne des Grecs. Ces derniers ont eu ce sentiment exquis qui soumet toutes les formes la raison, non point la raison sche et pdante du gomtre, mais la raison dirige par les sens et par lobservation des lois naturelles5 . Viollet-le-Duc a reconnu ce mme esprit comme tant la base de larchitecture franaise du Moyen ge, o lon trouve une sensibilit analogue celle des Grecs : On a vu avec quel soin les Grecs mnageaient leffet, comme ils comprenaient largement ce que nous appelons le pittoresque, comme ils atteignaient le sommet de lart par des moyens presque recherchs, quel sentiment ils avaient de la ligne, et comme ce sentiment sexprimait par une tude trs-fine, trs-subtile des lois naturelles et des besoins instinctifs de lil. Nous retrouvons ces qualits dans notre cole franaise du xiie sicle []6.

1. Je remercie, pour leur aide en matire de bibliographie, Martin Bressani, Isabel Tarro Alonso et Arnaud Timbert et, pour leurs conseils sur les subtilits de la langue franaise, Adeline Lausson et Arnaud Timbert. Caecilia Pieri et Catherine Donzel du CMN ont poli mon texte avec une finesse dont je leur suis trs reconnaissant.2. Wright, p. 136 : In these volumes you will find all the architectural schooling you will ever need. 3. Grodecki, 1980, p. 118, 121-122, 125.4. Viollet-le-Duc, cit dans Thfoin 1980, p. 107.5. Viollet-le-Duc, 1863, t. I, IIe entretien , p. 55.6. Viollet-le-Duc, 1863, t. I, VIIe entretien , p. 293.



Sommaire >>

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La posie de Linnovation et Linvention potique

chez vioLLet-Le-ducRichard etlin

Dessinateur inlassable autant qucrivain fcond, Viollet-le-Duc, comme lont soulign son graveur Claude Sauvageot autant que Prosper Mrime7, privilgiait la vue en perspective la gom-trale, symbole dune volont utilisant limage et le mot dans lexpression dune raison qui, pour emprunter une formule dHenri Bergson, suivait les contours sinueux et mobiles de la ralit plutt quune raison gomtrique8.

En partant de cette comprhension de la raison, Viollet-le-Duc faisait du besoin humain de posie un postulat central, au cur de la cration architecturale qui sollicite deux domaines : une posie de lesthtique et une posie de la structure. Or, dans son IIe entretien , il loue explicitement la posie de limagination9. Je voudrais ici insister sur le binme qutablissait Anatole de Baudot entre la pense historique de Viollet-le-Duc et sa sensibilit esthtique : il voyait dans la premire la reconnaissance, dans les plus belles priodes de larchitecture, du lien le plus intime entre la structure et la forme ; et il dfinissait ainsi la seconde : dailleurs, il ntait pas insensible aux subtilits de la pense, aux souplesses et aux charmes de limagination10 . Or, Viollet-le-Duc ne postulait pas seulement une posie de lesthtique mais aussi une posie de la structure mme : toutes les deux drivent dune posie de linvention, entendue comme une capacit inventive marque par des trouvailles ingnieuses.

Le rationalisme structural de Viollet-le-Duc encense la posie de la facult crative pour laquelle les formes architecturales ne sont jamais donnes, mais doivent sinventer, surtout selon les trois critres de limprvu, du hardi et du beau, dj prns par Philibert Delorme dans son Le Premier Tome de larchitecture (1567). Ces critres faisaient donc partie intgrante de la tradi-tion franaise, mme si Viollet-le-Duc napprciait pas le quatrime critre delormien qui, typique dune poque maniriste, mettait lemphase sur ltranget11. Dans son VIIIe entretien , Viollet-le-Duc se montre lmule de Delorme en le citant longuement. Il lestime en tant quarchi-tecte vou la commodit et soucieux dune bonne distribution, comme expert en choix de pierres, comme constructeur qui sait conformer [] lappareil [la] forme de larchitecture et comme artiste dou dun raisonnement subtil et dlicat en matire desthtique12. Il est vident que Viollet-le-Duc se considre comme le successeur de cet architecte qui combinait un talent impressionnant une originalit certaine, tout en affichant une fiert patriotique quant aux ressources et aux procds franais. Nous gagnerions donc relire Viollet-le-Duc travers une grille delormienne.

Si lon accorde la citation donne par Grodecki celle que je propose comme fondement de la pense viollet-le-ducienne, cela nous oblige prendre en compte aussi la culture contem-poraine de Viollet-le-Duc. Comme Grodecki la bien vu, Viollet-le-Duc crit dans un contexte o bien des penseurs mettent laccent sur la structure comme base de larchitecture13. Dans une tude publie il y a seize ans, jai dj signal limportance de lide du systme

7. Sauvageot, 1880, p. 3. Mrime a prcd Sauvageot dans cette apprciation, tout en mettant laccent sur le succs des vues soit perspectives, soit cavalires, et la mise en valeur des effets pittoresques. Voir le compte rendu du Dictionnaire raisonn (t. I-II) par Mrime dans Berc, 2001, p. 219-220, 239. Plus rcemment Martin Bressani (1996, p. 28-37) a mis laccent sur lusage de la perspective par Viollet-le-Duc en contraste avec la gomtrale par Choisy, comme Franoise Boudon (1983, p. 96-97), quil cite, avait, elle aussi, signal limportance de la perspective chez Viollet-le-Duc.8. Bergson, 1946, p. 15 : Comme, dautre part, rien nest plus ais que de raisonner gomtriquement sur des ides abstraites, il construit sans peine une doctrine o tout se tient, et qui parat simposer par sa rigueur. Mais cette rigueur vient de ce quon a opr sur une ide schmatique et raide, au lieu de suivre les contours sinueux et mobiles de la ralit . Ce texte est la version franaise de la confrence Life and Consciousness que Bergson a donne luniversit de Birmingham en mai 1911 loccasion de la Huxley Lecture .9. Viollet-le-Duc, 1863, t. I, p. 61 : Si potique que soit limagination du Grec []. 10. Baudot, 1880, p. 12.11. Philibert Delorme, 1567, fol. 88v.-91r., 124v. et passim. En revanche, pour la critique des courbes engendres par des pntrations de surfaces courbes , procd cl delormien, voir Viollet-le-Duc, De la construction [] , 1845, t. III, p. 325. Pour sa critique de la trompe de la Renaissance, ce type de vote qui faisait lorgueil de Delorme, voir ce vocable dans le Dictionnaire raisonn, t. IX, p. 313-314 : la fin du xve sicle, on se plaisait soulever des difficults de coupe de pierre, pour faire preuve de savoir. [] Ce sont l des artifices de strotomiequi sont faits pour amuser les esprits curieux de problmes inutiles . Pour une apprciation du hardi dans larchitecture de Viollet-le-Duc lui-mme, voir Baudot, 1880, p. 14 : ses innovations hardies de constructeur .12. Viollet-le-Duc, 1863, VIIIe entretien , t. I, p. 341-342, 363-365, 381 et passim.13. Grodecki, 1980, p. 119-123.

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darchitecture nonce par quatremre de quincy : en 1825, dans lEncyclopdie mthodique, puis en 1832, dans son Dictionnaire historique darchitecture, il sefforait en vain de freiner lenthousiasme dune nouvelle gnration darchitectes et damateurs pour lart gothique14. Selon quatremre de quincy, toute architecture exige un systme darchitecture qui consiste en trois parties dfinies comme des systmes locaux de construction, dordre, dembellis-se ment , cest--dire un systme de structure, suivi par un systme de formes et ensuite par un systme de dcoration15.

Cette ide devait faire poque. En 1836, Lonce Reynaud, en crivant la rubrique Architecture dans lEncyclopdie nouvelle adoptait lide du systme darchitecture, tout en ajoutant un quatrime critre : la distribution16. En 1844, dans sa monographie sur Notre-Dame de Noyon, Ludovic Vitet, premier inspecteur gnral des monuments historiques, acceptait la dfinition dune vritable architecture prne par quatremre de quincy, tout en rpondant au dfi selon lequel seule larchitecture grecque offrait un vritable systme darchitecture. Vitet y cherchait dmontrer que larchitecture gothique satisfait galement ce triple critre17. Avec un article de 1845 dans les Annales archologiques, Jean-Baptiste Lassus, restaurateur de la Sainte-Chapelle et, depuis 1844, en collaboration avec Viollet-le-Duc, restau rateur de Notre-Dame de Paris, sopposa lui aussi la thse de quatremre de quincy18. Finalement, en 1846, Raoul-Rochette, le secrtaire perptuel de lAcadmie royale des beaux-arts, reprit lattaque de quatremre de quincy en utilisant cette notion de systme darchitecture et sattira une rponse de Viollet-le-Duc dans les Annales archologiques avec son article Du style gothique au xixe sicle19 .

Or, il ny avait pas de dterminisme dans cette ide de systme darchitecture : larchitecte tait oblig de se fier sa facult dinvention pour crer des formes adaptes aux exigences statiques. quand Viollet-le-Duc rpond au dfi des classicistes en 1846, il fallait tenir compte de ce triple systme qui oblige larchitecte concevoir chaque solution de forme pour chaque besoin statique selon ces capacits inventives. Il cite quatremre de quincy sur le systme darchitecture, rsume les rponses de Lassus et de Vitet et insiste sur lintgrit du systme de structure, du systme de proportion et du systme dornementation dans larchitecture gothique, tous trois soumis un systme invariable qui leur confre unit et harmonie20.

Tel est le contexte dans lequel Viollet-le-Duc nie lexistence de la libre fantaisie dans larchitec-ture gothique. Il conoit un lien entre structure et forme comme solution issue du libre arbitre de larchitecte, tout en expliquant que les principales parties du systme gothique numres dans la phrase cite par Grodecki rpondent des ncessits statiques. Lorsquil commence le Dictionnaire raisonn en 1854, puis les Entretiens en 1858, point nest besoin dinsister sur le systme darchitecture : ds la fin des annes 1840, cette ide constitue le terrain de base largement accept par les intellectuels de lpoque21.

Si lon veut comprendre comment Viollet-le-Duc pouvait insister en mme temps sur la raison, linventivit et la posie des formes, il suffit de voir comment Ludovic Vitet lavait fait avant lui et comment Viollet-le-Duc le citait dans son article : Pour nous, loin dtre un plagiat et une uvre de draison, lornementation du xiiie sicle est une des crations les plus originales, les plus spontanes, les plus imprvues de lesprit humain, en mme temps quune de ses uvres les plus raisonnables et les plus mthodiques22.

14. Etlin, 1994, p. 1-3.15. Quatremre de Quincy, 1825, t. III, Systme , p. 424 ; Quatremre de Quincy, 1832, t. II, Ordre et Systme , p. 175, 512-513 ; voir aussi Gothique (architecture) , t. I, p. 670-679.16. Reynaud, 1836, t. I, Architecture , p. 772.17. Vitet, 1847, t. II, Notre-Dame de Noyon , p. 222-225, 232-233 ; voir aussi Vitet, 1831, t. II, p. 63-64.18. Lassus, 1845, p. 61-63.19. Raoul-Rochette, rapport dans Viollet-le-Duc, juin 1846, p. 326-333.20. Viollet-le-Duc, juin 1846, p. 333-343.21. Sur la fortune de cette ide travers le reste du sicle partout en Occident et mme aussi au xxe sicle, voir Etlin, 1994, p. 3-75.22. Ludovic Vitet cit dans Viollet-le-Duc, 1846, p. 343.

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On oppose souvent trop vite ce que lon dfinit comme le rationalisme structural de Viollet-le-Duc aux croyances, aux mystres et aux rites du christianisme tant apprcis de ses contemporains. Or, ne disons plus que Viollet-le-Duc ignorait le symbolisme des cathdrales gothiques : il tait pleinement conscient que ces difices [] ralisent lil et lesprit limage de cette Jrusalem cleste vers laquelle aspire la foi du chrtien23 . qui a crit : Le gothique est triste, mystique, recueilli comme la posie chrtienne24 ? On pourrait imaginer que cest Chateaubriand ou Victor Hugo ; or cest Viollet-le-Duc. Cest aussi Viollet-le-Duc qui vante le programme complexe de sculpture autour des portails centraux dans les grandes cathdrales gothiques ; cest lui qui voque tout cet abrg des mystres de la religion catholique avec des mots la Hugo ; cest encore lui qui, dun ton la Chateaubriand, dplore le dpouillement des cath-drales lorsquon les prive de leurs autels, leurs reliquaires, leurs stalles, leurs monuments votifs et leurs tombeaux25. Respectons les diffrences entre ces trois penseurs sans crer des strotypes simplistes donc trompeurs.

Comme, dans les annes 1850, il ny avait plus besoin de revenir sur le systme darchitecture, partir de 1836 quand Viollet-le-Duc crivait cette phrase sur la triste et mystique qualit du gothique, la vision romantique du Moyen ge nourrie par Chateaubriand, dont Le Gnie du christianisme date de 1801, et par Hugo dans son roman sur la cathdrale de Paris, publi en 1831, a t dj acquise. Noublions pas le titre complet Notre Dame de Paris, 1482 donn par Hugo son uvre, cest--dire un portrait dune socit un moment donn. Or, le temps ne se fige pas et la pense de Viollet-le-Duc se poursuivait en construisant un difice intellectuel qui stageait sur la base des sentiments bien rpandus des dcennies prcdentes, quil navait pas besoin de rpter.

Mrime, qui fut le deuxime inspecteur gnral des monuments historiques, tait catgorique cet gard quand, dans un compte rendu des premiers tomes du Dictionnaire raisonn, il passait en revue les grands stades de lengouement contemporain pour le Moyen ge, qui commenait avec les romanciers forms lcole de Walter Scott , suivi par des personnes pieuses [] pour [qui] tout ce qui sest fait dans un temps de croyance est beau . Il est temps, dclarait Mrime en 1856, de lui accorder une attention plus srieuse26 : Il faut se rappeler quil nexiste pas aujourdhui un seul ouvrage pratique sur larchitecture du Moyen ge27. Pour Mrime, le Dictionnaire raisonn rpondait pleinement ce besoin ; en lcrivant, son auteur sest attach surtout dmontrer la souplesse de larchitecture gothique et les merveilleuses ressources quelle offre limagination dun artiste28 .

Dmontrons maintenant comment Viollet-le-Duc a appliqu son principe de la posie de linvention, en commenant avec des exemples o la statique ne joue pas, puis en recourant aux exemples de structure et de matriau. La premire instance dmontre que lauteur savait apprcier la beaut et la crativit esthtique indpendamment de la statique ; les deux dernires rvlent quil valorisait les solutions gniales autant que les besoins de la construction. Si ces derniers types dexemples dominent ses crits, cest que Viollet-le-Duc appartenait

23. Viollet-le-Duc, citant Raoul-Rochette, 1846, p. 335.24. Du reste tout cela se suit : il y a juste la mme diffrence entre les monuments de Girgenti et la cathdrale de Chartres par exemple, quil y a entre Homre et lvangile : les premiers sont graves, puissants, mais brillants et splendides, purs et grands comme la posie antique. Le gothique est triste, mystique, recueilli comme la posie chrtienne : les premiers font voyager limagination, touchant les sens en frappant les yeux : le gothique inspire lhumilit, touche le cur, abaisse lhomme au lieu de lenorgueillir (Viollet-le-Duc, 25 mai 1836, Lettres dItalie, 1971, p. 71).25. Ce dernier sujet tait un thme rcurrent chez Viollet-le-Duc. Voir, par exemple : Viollet-le-Duc Mrime, 23 avril 1843, dans Berc, 2001, p. 278 ; Viollet-le-Duc, 1846, p. 345-346 ; Viollet-le-Duc, 1856, lettre III (Prague, septembre 1854), p. 24-26.26. Mrime, compte rendu du Dictionnaire raisonn, t. II, dans Berc, 2001, p. 241-242.27. Ibid., p. 220.28. Ibid., p. 242. Adolphe Napolon Didron, diteur des Annales archologiques, expliquait le but de Viollet-le-Duc, en offrant les confrences quil allait publier sous le titre Entretiens dans un esprit analogue : Cest la premire fois quon enseigne en France, dans un atelier, lhistoire de larchitecture du moyen ge, et quon y donne des instructions sur lentretien et la conservation des difices. Une pareille initiative fait honneur M. Viollet-Leduc. Le talent, lactivit prodigieuse, la science archologique et la science pratique du matre, auquel sont confis des travaux si importants, si divers

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