lire écrire au primaire

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Lire et écrire à Técole primaire État des recherches à NNRP Avec la collaboration de Christine BARRÉ-DE MINIAC, Gérard CHAUVEAU, Yvanne CHENOUF, Jean FOUCAMBERT, Marianne HARDY, Bernard LÉTÉ, Françoise PLATONE, Christian POSLANIEC, Martine RÉMOND, Éliane ROGOVAS-CHAUVEAU, Hélène ROMIAN, Liliane SPRENGER-CHAROLLES, Anne VÉRIN, Michel VIOLET INSTITUT NATIONAL DE RECHERCHE PÉDAGOGIQUE 1994

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Lire et écrire à Técole primaire

État des recherches à NNRP

Avec la collaboration de

Christine BARRÉ-DE MINIAC, Gérard CHAUVEAU, Yvanne CHENOUF, Jean FOUCAMBERT,

Marianne HARDY, Bernard LÉTÉ, Françoise PLATONE, Christian POSLANIEC,

Martine RÉMOND, Éliane ROGOVAS-CHAUVEAU, Hélène ROMIAN, Liliane SPRENGER-CHAROLLES,

Anne VÉRIN, Michel VIOLET

INSTITUT NATIONAL DE RECHERCHE PÉDAGOGIQUE

1994

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© INRP, 1994 ISBN: 2-7342-0410-X

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SOMMAIRE

Avant-propos Jean-François BOTREL, Directeur de l'INRP

1. Vue d 'ensemble des recherches de l ' INRP sur la lecture, l 'écriture, la product ion d'écrits

Martine RÉMOND et Hélène ROMIAN

Approches psycholinguistiques et sociolinguistiques 15

Enseigner la lecture : apports de la psychologie cognitive 17

Bernard LÉTÉ et Liliane SPRENGER-CHAROLLES

La compréhension de textes au cycle 3 25 Martine RÉMOND

L'apprentissage de la lecture : une acquisition conceptuelle 31

Éliane ROGOVAS-CHAUVEAU et Gérard CHAUVEAU

Le rapport à l'écriture : un enjeu pour la réussite scolaire 39

Christine BARRÉ-DE MINIAC

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Lire et écrire à ¡'école primaire

3. Approches pédagogiques et didactiques 47

Pédagogie interactive de la langue écrite à l'école maternelle 49

Marianne HARDY et Françoise PLATONE

Animations lecture et comportement de lecteur 57

Christian POSLANIEC

Des conditions pour devenir lecteur 65 Yvanne CHENOUF, Jean FOUCAMBERT et Michel VIOLET

Formation de compétences de lecture et d'écriture intégrée à la formation scientifique 75

Anne VÉRIN

Contenus d'enseignement et réussite des élèves en lecture/production d'écrits (1970-1990) 83

Hélène ROMIAN

4. Recherches sur la lecture et la production d'écrits à l'école primaire, depuis 1970, dans la francophonie .. 93

Martine RÉMOND et Hélène ROMIAN

Index des auteurs 113

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Avec cet ouvrage Lire et écrire à l'école primaire, qui fait suite à Lecture/Écriture, des approches de recherche^, l'Institut National de Recherche Pédagogique souhaite s'inscrire dans les débats en cours sur les moyens d'améliorer l'efficacité de l'école primaire à apprendre à lire et à produire des textes à tous les enfants. C'est dans la voca­tion de l'établissement mais c'est aussi, pour nous, un sujet particu­lier de préoccupation.

En témoigne le nombre important de chercheurs de l'INRP qui tra­vaillent - certains depuis de longues années -, sur les problèmes d'apprentissage, d'enseignement de la lecture, de l'écriture et de la production d'écrits, à ce niveau fondamental.

Ils proposent aujourd'hui une réflexion sur l'état des connais­sances en la matière, des résultats d'enquête ou d'observation, des conclusions issues de la mise en place de pratiques innovantes dans les classes, de leur théorisation, de leur description et de l'évaluation de leurs effets sur les compétences langagières des élèves en matière d'écrit.

Cette diversité des approches - des positions - est caractéris­tique d'un champ de recherche qui, comme beaucoup d'autres, requiert des expressions plurielles, souvent complémentaires, mais qui n'ont pas valeur de prescriptions et encore moins de recettes immédiatement applicables.

Ainsi, pour ce qui est du cycle des apprentissages fondamentaux, convient-il de privilégier la conscience phonique et le décodage en vue d'une automatisation du processus d'identification des mots ou bien la compréhension des textes, faisant ainsi de la lecture une situation de type « résolution de problèmes » ? Convient-il d'intégrer ces deux composantes de l'activité de lecture à une problématique plus large renvoyant aux fonctions du langage écrit, à l'activité de construction du sens en lecture comme en production, et à l'en­semble des modes de communication ? Quelle place donner à la construction progressive de savoirs sur les fonctionnements des écrits, sur les stratégies de lecture, de production d'écrits ?

1. Paris, INRP, 1993.

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Lire et écrire à l'école primaire

Les avis peuvent diverger, mais il est aussi intéressant de consta­ter qu'un courant se dessine, à l'INRP, comme dans la francophonie, qui prend pour objet l'activité de construction du sens des textes, en situation de lecture et en situation de production. La construction de savoirs sur le « code » orthographique s'y intègre, comme moyen de répondre aux problèmes qui se posent en cours d'apprentissage.

La recherche n'est sans doute pas près d'avoir dit son dernier mot, mais les maîtres et les formateurs sauront s'approprier ces infor­mations et ces propositions en fonction de leurs expériences ou de leurs attentes.

Cet état des recherches menées à l'INRP, la plupart du temps avec des acteurs de « terrain », est en effet conçu comme un outil pour un travail à prolonger : nous avons la conviction sinon la certi­tude que les propositions didactiques ou pédagogiques qui en découlent, mises à l'épreuve des classes, deviendront des outils effi­caces pour la formation des maîtres et pour une meilleure réussite des élèves.

Jean-François BOTREL Directeur de l'Institut National

de Recherche Pédagogique

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Vue d'ensemble des recherches de l'INRP sur la lecture,

l'écriture, la production d'écrits

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>AM¿> -¿¿•éou/ac

« La mer », poème-dessin, cours moyen. Repris de Poésie pour tous, Nathan (Collection INRP), 1982.

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Les recherches de FINRP sur la lecture, récriture, la production d'écrits

Martine RÉMOND et Hélène ROMIAN

Deux grands courants de recherche sur la lecture, l'écriture, la production d'écrits, existent à l'INRR comme dans l'ensemble du champ des recherches francophones. On peut y distinguer des approches psycho et sociolinguistiques d'une part (chapitre 2), péda­gogiques et didactiques d'autre part (chapitre 3).

Différents, les objets de recherche sont cependant complémen­taires. Certains chercheurs focalisent leurs observations sur la conscience phonique, le décodage, en vue d'une automatisation des processus d'identification des mots, au cycle 2. D'autres étudient la compréhension de textes, le rapport à l'écrit. D'autres encore tra­vaillent avec des maîtres à la mise en place de pratiques innovantes dans les classes, permettant ainsi de déterminer les conditions socio et psychopédagogiques d'une « lecturisation » de tous. Pour d'autres encore, il s'agit de mettre en place dans des classes, de conceptuali­ser et observer les conditions didactiques d'une réussite de tous en lecture, en production d'écrits, dans une perspective d'appropriation des pratiques sociales du langage écrit, des fonctionnements de la langue écrite.

Non posés a priori, les points de convergence n'en sont que plus significatifs. On peut voir se dessiner à l'INRR comme dans les recherches de la francophonie (chapitre 4), un courant relativement fort. Dans cet ensemble, le centre de gravité des recherches tendrait à se déplacer, du « code » orthographique aux activités de lecture, de production d'écrits en situation, de l'étude des produits finis de l'ap­prentissage (écrits à lire, produire) à celle des processus d'apprentis­sage, d'enseignement. L'étude du code et celle des propriétés des

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Lire et écrire à l'école primaire

écrits n'en sont pas occultées pour autant. Elles interviennent dans des stratégies de résolution de problèmes de compréhension indui­sant la construction de savoirs. Cette construction peut alors faire sens pour les enfants.

Résultats des recherches

...à dominante psycho et sociolinguistique

Dans une optique de prévention de l'échec scolaire, ces recherches visent à faire émerger les processus et les facteurs favo­rables à la maîtrise de la langue.

n L'évaluation des stratégies de lecture a montré l'intérêt de connaissances précises sur le fonctionnement du lecteur pour établir le diagnostic des difficultés de compréhension : d'où une recherche mettant en évidence des opérations différenciant « bons et mauvais compreneurs » au cycle 3 (capacités de traitement de l'information, connaissances sur l'écrit et ce que l'on fait quand on lit, contrôle de la tâche) ; un entraînement à la compréhension adapté aux difficultés des enfants est mis en place (Martine Rémond).

• Une autre équipe travaille, d'une part sur les processus d'ap­prentissage (prise de conscience des fonctions de l'écrit, des prin­cipes de fonctionnement de l'écriture, des opérations intellectuelles en jeu dans l'activité de lecture), et d'autre part, sur le soutien aux « enfants fragiles » dans le cadre de politiques éducatives locales (Gérard Chauveau et Éliane Rogovas-Chauveau).

a Un « suivi » d'élèves depuis la grande section de maternelle jus­qu'au CP indique que le rapport à l'écriture résulte d'un lent proces­sus d'élaboration par l'élève : l'une des difficultés de certains élèves est de concilier leurs représentations de l'écriture élaborées hors du champ scolaire (et ignorées, le plus souvent, des enseignants) avec les exigences et apprentissages de l'école (Christine Barré-De Miniac).

... sur Venseignement de la lecture et de la production d'écrits

Des recherches sont menées depuis 1967 dans des classes maternelles, élémentaires, par plusieurs équipes, et en particulier dans les classes de l'actuel cycle 2. Elles procèdent d'une même finalisation : contribuer à réduire l'échec scolaire, prévenir l'illettrisme,

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Les recherches de l'INRP

déterminer les facteurs d'apprentissages réussis tenant notamment à l'enseignement des maîtres. Elles se situent, depuis les années soixante-dix, dans le cadre des cycles d'apprentissage, institutionna­lisés en 1991.

Ces recherches, dont les approches sont différentes (à domi­nantes psychosociologique, socio-pédagogique, didactique...) convergent sur les points suivants, essentiels pour la réussite des apprentissages : - la familiarisation précoce avec le monde des écrits, ses dimensions

culturelles, sociales, techniques, psycholinguistiques... ; - la primauté du travail sur la compréhension et la production de

textes qui puissent faire sens pour les élèves (issus par exemple des activités scientifiques en classe) ;

- l'importance de l'observation de l'écrit (ses fonctions dans la vie sociale, le «code» des correspondances oral/écrit...) et d'une réflexion sur ce qu'on fait quand on lit, quand on écrit.

Étant donné le caractère pluridimensionnel de ces apprentissages complexes, l'efficience de tel aspect (méthode, par exemple) ne peut être évaluée que par rapport aux autres.

Dans ce contexte, chaque équipe a focalisé ses recherches sur des aspects donnés des facteurs de réussite : a situations favorisant l'exploration en petits groupes, par de très

jeunes enfants, qui construisent leurs savoirs en interaction, à partir de leur connaissance de l'écrit et à travers des activités qu'ils défi­nissent eux-mêmes (Marianne Hardy et Françoise Platone) ;

a lecture/production d'écrits en sciences (Victor Host, Jean-Pierre Astolfi, Anne Vérin, Brigitte Peterfalvi) ;

a environnement socio-pédagogique des apprentissages (bibliothè­ques centres documentaires, mise en relation des pratiques sco­laires et des lieux, des politiques de lecture...), logiciels d'aide à l'apprentissage (Jean Foucambert, Michel Violet, Yvanne Che-nouf) ;

n mise en relation des savoirs sur la langue orale et des savoirs sur la langue écrite, des activités de lecture et de production d'écrits, des apprentissages langagiers et des apprentissages de l'image, de l'audio-visuel ; apprentissages de la production d'écrits, de l'ortho­graphe par résolution de problèmes ; construction et utilisation de critères d'évaluation formative des écrits par les élèves (Hélène Romian).

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Lire et écrire à l'école primaire

Recherches en cours

...à dominante psycholinguistique

• Dans le préscolaire, étude des démarches d'apprentissage du langage écrit développées par des enfants de un à cinq ans, en fonc­tion des conditions éducatives qui leur sont proposées. Rôle des interactions sociales dans la construction des connaissances, l'écri­ture partagée (Monique Breauté, Marianne Hardy, Christiane Royon).

D Les premiers apprentissages de la lecture et de l'écriture (conscience phonologique au cycle 2 ; place de la morphologie dans l'acquisition de l'écriture, au cycle 3) (Liliane Sprenger-Charolles).

a Évaluation-diagnostic des difficultés cognitives en lecture (Bernard Lété).

• Connaissance des relations entre pratiques de l'école, pra­tiques des familles et réussite au CR Les processus en jeu dans la construction du savoir-lire chez l'enfant de six ans (Gérard Chauveau et Éliane Rogovas-Chauveau).

• Rôle de la mémoire de travail dans la compréhension de textes : recherche visant à établir les causes des déficits de compréhension de certains élèves de cycle 3 dans le but de construire des aides pédagogiques adaptées (Martine Rémond).

... sur l'enseignement, l'apprentissage de la lecture, de la production d'écrits

Ces recherches se focalisent sur des facteurs de réussite jugés cruciaux :

• connaissance de l'évolution des compétences des élèves ; stratégies de compréhension au cycle 2, production d'écrits du CE à la fin du collège (Jean Foucambert, Michel Violet, Yvanne Chenouf) ;

D connaissance effective des lectures des élèves de CM2 (Christian Poslaniec) ;

n caractérisation et évaluation d'ateliers d'écriture mis en place aux cycles 2 et 3 : impact de ces ateliers sur l'évolution du rapport à l'écriture des jeunes enfants et production d'outils de formation à la pratique de ces ateliers (Christine Barré-De Miniac, Christian Posla­niec, Alix Seydoux) ;

D repérage des aspects de la construction de savoirs métalinguis-tiques, du cycle 1 au cycle 3, et production de modules d'enseigne­ment sur la réécriture de leurs productions par les élèves, dans toutes les activités scolaires, au cycle 3 (Hélène Romian).

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Les recherches de l'INRP

Les recherches de l'INRP se caractérisent donc par la pluralité de leurs approches, de leurs objets d'étude, et leur complémentarité. Les réponses à apporter aux problèmes posés par la lecture, l'écri­ture, la production d'écrits et leur enseignement par les maîtres, leur apprentissage par les élèves, ne sont ni simples ni univoques. Un long chemin reste sans doute à parcourir, dont l'état actuel des recherches jalonne probablement les voies.

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TEXTE 1 si vous aile a bayeux je vous conseille d'aile a la tapisserie de bayeux 1' antre ouvre a 2 heure et ferme a 7h apepre et pour le prix cet gratie

julien f

TEXTE 2 si vous aile a bayeux je vous conseille d'alie ala tapisserie de bayeux l'antre ouvre a 2 heure et ferme a 7h apepre et pour le prix cet gratie on peut si rendre en car ou en tram elle fais 70 metre de long ,et la couleur est belle les écouteur sont a 5 f et a la faint vous poure acheté des carte postale et dotre obse elle

raconte la conquête de 1 angleterre par les normands julien f

TEXTE 3 Si vous allez â bayeux , je vous conseille d* aller voir la tapisserie de bayeux et pour le prix cet gratie on peut s' y rendre en car ou en train elle Tais 70 metre de long ,et la couleur est belle. Elle raconte la conquête de l'angleterre par les normands écouteurs coûtent a 5 T .A la fin vous pourez acheter des cartes postales et d autres objets. Vous verrez aussi iun film et des maquettes.Esperons que vous allez y aller.!

1 er octobre 15 mars

TEXTE 3 AVEC L'ORTHOGRAPHE

CORRIGEE PAR LE MAITRE

Si vous allez à Bayeux , je vous conseille d'aller voir la tapisserie de Bayeux et pour le prix c'est gratuit on peut s'y rendre en car ou en train eue fait 70 mètres de long, et la couleur est belle. Elle raconte la conquête de l'Angleterre par les normands. Les écouteurs coûtent 5F. A la fin vous pourrez acheter des cartes postales et d'autres objets. Vous verrez aussi un film et des maquettes. Espérons que vous allez y aller!

1 er octobre 15 mars JULIEN . F

TEXTE FINAL LA VISITE A LA TAPISSERIE DE BAYEUX DE L'ELEVE Si vous allez à" Bayeux J e vous conseille d'aller

voir la tapisserie de Bayeux. On peut s'y rendre en car ou en train. Elle fait 70 mètres de long, et la couleur est belle. On

dirait qu 'elle est vivante, comme une bande dessinée. Elle raconte la conquête de l'Angleterre par les

Normands. A la fin vous pourrez acheter des cartes postales et

d'autres objets. Vous verrez aussi un film , des maquettes , Guillaume le

conquérant à cheval en grandeur nature et des mannequins avec des armures.

Espérons que vous allez y aller! Ouverture: tous les jours du 1 juin au 30 sept de 9h à 19h du 1 octobre 15 mars 9h3012h30 e t l4hl8h gratuit pour les élèves de la Manche. Les écouteurs coûtent 5F. JULIEN . F

Réécritures avec le traitement de texte. Classe de Vincent Berthelot, CM1, Saint-Jean-de-Daye (Manche).

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Approches psycholinguistiques et sociolinguistiques

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100 T

90

80

70

60 +

I groupe supérieur (N=14/57)

groupe inférieur (N=16/57)

ensemble de la population (N=57)

CP Janvier: lecture à haute voix de mots (% des différentes rép.)

Réponses Régularis. Moins 1 Autres Abs. de correctes (album lu (porte lu erreurs réponse

/album/) /pot/)

Réponses Régularis. Moins 1 Autres Abs. de correctes erreurs réponse

CP juin: lecture à haute voix de mots (% des différentes rép.)

Compréh. (lect. s i l . de texte)

Compréhension et décodage : résultats de deux groupes d'enfants ayant des performances contrastées en décodage (évaluées par la lecture de non-mots en janvier de CP). Source : L. Sprenger-Charolles.

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Enseigner la lecture : apports de la psychologie cognitive

Bernard LÉTÉ Liliane SPRENGER-CHAROLLES

Les recherches conduites en psychologie cognitive sur la lecture se sont principalement intéressées à quatre populations de réfé­rence : des lecteurs experts adultes, des lecteurs adultes souffrant de lésions cérébrales, des enfants en situation d'apprentissage de la lec­ture et des enfants présentant des troubles de la lecture (population généralement dénommée « dyslexique »). Ces recherches se sont interconnectées et de puissants modèles ont vu le jour apportant des éclaircissements sur les mécanismes extrêmement complexes en jeu lors de la lecture (cf. le récent et très important ouvrage de Marilyn Jager Adams, 1990).

Notre objectif est ici de montrer que ces travaux ont produit des informations qui sont susceptibles d'être utilisées par les praticiens de l'enseignement. Pour cela, nous présenterons d'abord brièvement les découvertes les plus importantes en ce qui concerne deux habile­tés fondamentales en jeu au cours de la lecture : le décodage et l'utili­sation du contexte. Nous verrons ensuite que, en ce qui concerne la France, les résultats exposés s'accordent avec ceux d'une étude comparant, dans trente-deux pays, les performances en lecture d'en­fants de neuf et quatorze ans. Enfin, en guise de conclusion, nous présenterons les actions et les outils concrets que propose aujour­d'hui la psychologie cognitive pour détecter précocement les diffi­cultés de lecture et lutter contre les conséquences d'un mauvais apprentissage.

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Lire et écrire à ¡'école primaire

Lecture et décodage

Les chercheurs étudiant la lecture experte ont longtemps débattu pour savoir si les mots étaient reconnus globalement (à partir de la configuration perceptive du mot, Le. son patron visuel) ou à partir de l'identification de chaque lettre. Dès 1938, Woodworth montrait que le patron visuel d'un mot n'était pas une information importante ni un indice valable pour sa reconnaissance. Aujourd'hui, de nombreux résultats expérimentaux montrent que la reconnaissance d'un mot nécessite l'identification de chaque lettre le constituant. De tels résul­tats suggèrent que toute activité pédagogique qui encourage l'utilisa­tion de l'information sur le patron visuel d'un mot est de faible utilité dans l'apprentissage de la lecture, alors que toute activité qui encou­rage l'analyse orthographique du mot serait un composant important dans les programmes éducatifs.

Une ligne d'évidence plus importante en ce qui concerne la nécessité de développer les habiletés de décodage orthographique et d'analyse du mot provient d'études développementales démon­trant que l'aisance dans la reconnaissance des mots est causalement reliée au savoir concernant les relations qu'entretiennent les groupes de lettres avec les sons de la langue. Cette habileté de conversion phonologique apparaît elle-même comme causalement liée à la conscience phonologique (Gombert, 1990) c'est-à-dire la conscience explicite que les mots écrits et parlés sont constitués d'éléments non signifiants (les phonèmes dans les systèmes alphabétiques).

Les recherches montrant que la médiation phonologique joue un rôle important dans les débuts de l'acquisition de la lecture (et de l'écriture) sont parties de l'hypothèse que si les enfants mettent en œuvre, dès les débuts de l'acquisition, des modalités de lecture (et d'écriture) par médiation phonologique, on devrait observer un effet des régularités graphiques mais pas d'effet de la fréquence : les mots fréquents réguliers seront aussi bien lus (et écrits) que les mots rares réguliers, les difficultés de lecture (et d'écriture) ne devant porter, sélectivement, que sur les items irréguliers pour lesquels on devrait observer des erreurs de régularisation (« album » lu /album/ ou écrit « albome »). À l'inverse, si les premières modalités de traitement de l'information sont de type logographique, on ne devrait observer aucun effet de la régularité graphique : les mots connus pouvant être lus « globalement ».

Des évaluations portant sur des sujets anglophones ont permis de corroborer la première de ces deux hypothèses. Ces évaluations ont été faites dans le cadre de recherches expérimentales pour la lecture et récriture, mais également à partir de l'analyse de productions

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Approches psycho et sociolinguistiques

spontanées d'enfants pour l'écriture (Treiman, 1993). Les épreuves de lecture utilisées dans ces observations étaient soit des épreuves de lecture à haute voix de mots isolés, soit des épreuves de compréhen­sion d'énoncés en lecture silencieuse (cf. pour une synthèse en fran­çais Sprenger-Charolles, 1992). Dans le domaine francophone, les recherches sur ces différentes questions sont peu nombreuses. Cette situation est dommageable dans la mesure où la langue cible peut avoir une incidence sur les procédures de traitement de l'information, ceci même à l'intérieur d'un groupe de langue à orthographe relative­ment similaire. Ainsi, des études sur l'allemand ont permis d'observer dans les débuts de l'apprentissage des effets plus marqués de la médiation phonologique que ceux relevés en anglais (cf. Wimmer, 1993 ; et pour des résultats en français, Sprenger-Charolles, 1993).

Ces procédures de lecture par médiation phonologique consti­tuent un puissant mécanisme d'autoapprentissage qui permet aux enfants d'identifier des mots qu'ils n'ont jamais rencontrés, et leur offre ainsi l'opportunité de renforcer leurs connaissances des rela­tions entre phonologie et orthographe, ce qui contribue à l'établisse­ment progressif du lexique orthographique. Jorm et alii (1984) mon­trent à ce propos que, quand on différencie au début de leur apprentissage de la lecture des enfants « bons » et « mauvais » déco­deurs sur la base de leur réussite à la lecture de non-mots réguliers (pour lesquels une identification lexicale est impossible), et qu'on les teste deux ans plus tard dans une tâche d'identification de mots, on observe que les enfants qui étaient dans le groupe « bons » déco­deurs ont un âge lexique de neuf mois supérieur à celui des enfants qui étaient dans le groupe « mauvais » décodeurs.

Lecture et utilisation du contexte

En dépit de ces résultats, il existe encore quelques résistances quant à l'apprentissage explicite des règles de décodage phonétique au profit d'un apprentissage de la lecture exclusivement axé sur la mise en œuvre de processus cognitifs de plus haut niveau (utilisation du contexte, inferences, « devinement »...).

Là encore, les résultats des recherches sont informatifs. Stanovitch (1980) a en effet montré que les lecteurs habiles se ser­vent peu du contexte pour reconnaître les mots, leurs processus de reconnaissance des mots étant très fortement automatisés. De plus, les études recueillant des temps de fixation font apparaître que la grande majorité des mots sont fixés pendant la lecture, excepté les mots très fréquents comme les articles ou les mots fonctions. Enfin,

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Lire et écrire à l'école primaire

des études ont montré (par exemple Perfetti, 1985 ; Stanovich, 1980) que l'aisance à reconnaître les mots (i.e. l'automatisation des proces­sus) facilitait grandement les processus de traitement de plus haut niveau, et donc la compréhension, en libérant de la charge en mémoire de travail : la reconnaissance des mots étant automatisée, les ressources attentionnelles peuvent être déléguées ainsi à d'autres processus.

Qu'est-ce qui doit être enseigné ?

L'ensemble des points discutés précédemment nous amène à considérer que l'enseignement de la lecture doit nécessairement développer des habiletés de décodage phonétique et se donner pour objectif l'automatisation des processus de reconnaissance des mots. Nécessaire ne signifie pas que ces activités soient suffisantes : il faut également que l'enfant acquière des connaissances tant sur le sens des mots que sur le contexte dans lequel ils peuvent apparaître. Ce qui doit être proposé, c'est un équilibre entre un apprentissage de stratégies de construction du sens mais également analytiques. En effet, le sens ne peut être correctement construit par le lecteur que si les mécanismes, spécifiques à la lecture, d'interprétation des signes graphiques (dans leurs composantes phonétique et orthographique) sont suffisamment automatisés. Les ressources cognitives peuvent alors être allouées à la construction d'une représentation mentale de ce qui est lu. Ce que l'on appelle « la compréhension » n'est en défini­tive que l'aboutissement réussi de l'ensemble de ces traitements cognitifs. La lecture est donc tout le contraire d'un jeu de devinettes : comme dans la résolution d'un problème complexe, c'est un enchaî­nement de diverses tâches dont l'exécution correcte amène à la solu­tion (la compréhension).

La réponse à la question posée ici peut être en partie donnée au regard des résultats d'une récente étude menée de 1989 à 1992 par « the International Association for the Evaluation of Educational Achievement » (IEA, Elley, 1992 ; Lundberg & Linnakylâ, 1992 ; Postlethwaite & Ross, 1992). Le but de l'étude était d'extraire des indicateurs qui permettraient de distinguer les écoles « efficaces » de celles moins « efficaces » dans l'apprentissage de la lecture. Globale­ment, trois catégories d'indicateurs (appréhendés par questionnaires) ont été utilisées : les conditions d'enseignement (exemple : nombre d'élèves dans la classe), les caractéristiques des enseignants (exemple : années d'enseignement) et les méthodes pédagogiques (non exclusives ; exemple : méthode axée sur le décodage, la

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Approches psycho et sociolinguistiques

compréhension, la lecture à haute voix). Des corrélations ont alors été effectuées entre ces indicateurs et les scores à un test standardisé de lecture qui évaluait la compréhension des élèves pour trois types de textes (documents, textes narratifs et textes descriptifs). Insistons sur le fait que ces analyses sont descriptives (corrélations) et qu'elles n'indiquent donc pas de relations causales entre les indicateurs et la réussite mesurée en lecture. La recherche a été menée dans trente-deux pays et a évalué près de 10 500 enseignants et 200 000 élèves de neuf et quatorze ans.

Les résultats montrent en premier lieu que la France se classe très bien parmi les trente-deux pays testés : les scores au test de ses élèves de neuf ans se situent au quatrième rang (après la Finlande, les États-Unis et la Suède) et au second rang pour ses élèves de quatorze ans (après la Finlande). Plus important pour nous, on constate qu'en France les écoles les « plus efficaces » (comparativement aux écoles françaises « moins efficaces ») sont caractérisées par le fait que les enseignants de ces écoles évaluent plus les habiletés dites de bas niveau (reconnaissance des mots, vocabulaire, décodage...) et les apprentissages phoniques. Ce dernier indicateur était appréhendé par la question suivante : combien de fois les élèves ont été soumis à

1. un apprentissage des correspondances graphèmes-phonèmes ; 2. à des activités de segmentation de mots ; 3. à une évaluation de ces apprentissages.

Il est important de souligner que ce type de résultat dépend très étroitement de la langue : il semble en effet que la régularité de la langue au niveau des relations graphèmes-phonèmes soit un facteur important dans la maîtrise par l'enfant de la langue écrite (cf. supra Lecture et décodage). Ce facteur « régularité de la langue » a de plus un impact sur la méthode d'apprentissage utilisée par les ensei­gnants (Elley, 1992, page 41).

Une synthèse des corrélations pour les trente-deux pays (Postlethwaite & Ross, 1992, page 46) fait apparaître que la méthode d'apprentissage « optimale » met l'accent sur la compréhension de ce qui est lu. De manière moins triviale, la synthèse souligne l'impor­tance, dans certains pays comme la France, des apprentissages pho­niques. Globalement il ressort que, dans ces écoles « optimales », les enseignants considèrent que la lecture doit être évaluée à intervalles réguliers, que les erreurs doivent être corrigées immédiatement et que le vocabulaire doit être amélioré systématiquement par des séances spéciales.

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Lire et écrire à l'école primaire

Perspectives de recherche

Comme le note Gombert (1993), l'état actuel de la recherche ne permet pas de proposer, sous la pression de l'opinion publique et/ou à la demande des dirigeants politiques, « la Méthode » qui sera nécessairement la meilleure. Par contre, on a vu que l'on peut aujour­d'hui donner des orientations pédagogiques pour enseigner efficace­ment la lecture (cf. les résultats de la recherche IEA).

La définition de ces orientations pédagogiques doit s'appuyer en partie sur ce que l'on sait du fonctionnement cognitif de l'enfant qui apprend à lire, afin de pouvoir proposer, ensuite, des méthodes d'en­seignement adaptées à ce fonctionnement. On a, en effet, trop sou­vent procédé à l'inverse et proposé des méthodes promulguées par des individus (ou des maisons d'édition) dont l'intérêt principal se rapprochait plus du mercantilisme que de la pédagogie.

Les actions relatives à l'apprentissage de la lecture ne passent pas uniquement par la recherche des meilleures orientations pédago­giques. Il faut développer des outils d'évaluation et de remédiation des difficultés de lecture et mettre ceux-ci à disposition des ensei­gnants. Il est, en effet, très important que les enfants en situation d'échec relativement à l'apprentissage de la lecture soient pris en charge très tôt par l'institution scolaire, afin que leurs difficultés ne soient pas handicapantes dans leur vie adulte (cf. le problème de l'illettrisme). Pour cela, il est nécessaire de dépister très tôt l'origine de ces difficultés, que celle-ci soit cognitive (dyslexie) ou socio-affec­tive, afin de proposer des remédiations adaptées.

Aujourd'hui, les résultats de la recherche fondamentale en psy­chologie cognitive permettent de construire de tels outils. Par exem­ple, en ce qui concerne la lutte contre l'illettrisme, le logiciel d'Évalua­tion-Diagnostic des Capacités Cognitives du Lecteur Adulte {ECCLA, Zagar, Jourdain et Lété, 1993) fournit aux formateurs la possibilité de diagnostiquer finement l'origine cognitive de l'échec de la maîtrise de la lecture chez un adulte illettré. Par le biais du recueil de mesures chronométriques, le logiciel évalue le coût cognitif des traitements en jeu au cours de la lecture (identification des lettres, transcodage, reconnaissance des mots, accès à l'information sémantique...) et permet ainsi d'évaluer à quel niveau se situe(nt) la (ou les) difficulté(s) cognitive(s) du lecteur.

En ce qui concerne la détection précoce des difficultés de lecture et leur remédiation, on observe que, depuis plusieurs années, beau­coup d'États étrangers se sont attachés à mettre en place de véri­tables programmes de remédiation qui prennent en compte les résul­tats issus de la recherche fondamentale (cf. le « Colorado

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Remediation Project », Defries et alii, 1991 ; Wise et alii, 1989). Quelques recherches ont déjà été menées en France (cf. le logiciel Diagnose de l'équipe de Lecocq de l'université de Lille) ou sont en cours d'élaboration (Lété, recherche en cours). Cependant, il nous faut reconnaître le retard pris dans notre pays relativement à la construction de tels outils de remédiation tant au niveau des problé­matiques abordées et des théories sous-jacentes que de la méthodo­logie utilisée.

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Lire et écrire à l'école primaire

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La compréhension de textes au cycle 3

Martine RÉMOND

Approche cognitive

La compréhension de textes est un domaine où, depuis quinze ans environ, se développent des études dont l'objectif est d'identifier les processus qui la régissent (Fayol, 1992). Notre travail s'inscrit dans ce champ.

La compréhension d'un texte implique la mise en jeu d'un ensemble de processus psycholinguistiques qui conduit à la forma­tion d'une représentation mentale du contenu du texte (Ehrlich, Tardieu & Cavazza, 1993). La lecture est une activité complexe au cours de laquelle un grand nombre de processus interviennent : l'analyse perceptive, le décodage, l'accès au lexique, l'interprétation du mot, l'analyse syntaxico-sémantique, l'intégration des phrases et l'organisation textuelle qui prend en charge la double cohérence, locale et globale, du texte. La réalisation de ces processus est sou­mise à diverses contraintes liées au système cognitif du sujet (Rémond, 1993a). En particulier, les processus sont contraints par les capacités limitées de la mémoire de travail, qui assure les fonctions de traitement et de stockage de l'information (Baddeley, 1986).

Certains de ces processus, en particulier ceux qui concernent le traitement des mots, s'automatisent progressivement. Mais les pro­cessus de haut niveau, ceux qui concernent la mise en place de la signification de l'ensemble du texte, sont sous le contrôle du lecteur.

Les nombreuses recherches analysant les différences entre les bons et les mauvais lecteurs s'intéressent essentiellement aux pro­cessus de « bas niveau » (Perfetti, 1985 ; Rieben & Perfetti, 1989 ; Marivain, 1992). En revanche, peu d'investigations sont faites pour identifier les différences entre bons et mauvais lecteurs en considé­rant l'organisation textuelle et pour étudier les processus de haut

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niveau, comme la compréhension de textes. La double organisation, locale et globale du texte, nécessite que les élèves traitent les marques linguistiques et utilisent leurs connaissances du monde pour construire une représentation mentale cohérente du texte. Par exemple, avoir la compétence de traiter les reprises anaphoriques permet d'établir des liens entre les idées du texte et contribue à la construction de sa représentation mentale (Rémond, 1993a).

Forrest-Pressley et Waller (1984) soulignent que les composantes de la lecture ne se limitent pas à l'activité de décodage et à la com­préhension, mais qu'elles incluent l'adoption de stratégies adaptées aux buts de lecture, des connaissances à propos de ces stratégies et enfin, la capacité de les contrôler. Cette définition de la lecture paraît être une bonne synthèse de ce qu'on peut attendre d'un lecteur. Pourtant, dans la littérature psychopédagogique, deux phénomènes non contradictoires coexistent : l'apparente évidence de ce qu'est savoir lire et la difficulté d'évaluer le « savoir-lire ». Dans l'état actuel des choses, concernant le traitement des phrases et l'accès à la compréhension, il n'existe ni un modèle de fonctionnement du lecteur qui fasse l'accord des spécialistes, ni une théorie qui permette d'éta­blir une liste complète des opérations intervenant dans la lecture et leur mode d'intervention (Fayol, 1992). Ceci n'est pas sans consé­quence sur l'évaluation du « savoir-lire ».

Évaluer le « savoir-lire »

L'approche cognitive de l'évaluation suggère que de nombreux facteurs contribuent au succès, ou à l'échec, à des tâches scolaires (Blanchard et coll., 1989, par exemple). Avoir une lecture flexible sup­pose que le sujet peut s'adapter et qu'il applique différentes straté­gies. Cependant, la majorité des évaluations de la lecture n'apportent pas d'éléments de connaissance des stratégies mises en œuvre. Ces évaluations se déroulent collectivement, avec du matériel de type exercice. Autrement dit, l'évaluation n'est jamais conduite avec de « vrais écrits », en situation de lecture vraie.

De manière à étudier le transfert des apprentissages de l'écrit « type exercice scolaire » à de vrais supports de lecture, un nouveau type d'évaluation a été conçu, celui des « stratégies de lecture » (Rémond, 1986). L'hypothèse principale soutenant ce travail est la suivante : la séquence réalisée par un enfant quand on lui demande de rechercher des informations dans un livre, permet de déterminer quels éléments il a choisi de mettre en relation, et comment il a orga­nisé son exploration du texte. Autrement dit, à partir de la consigne

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qui lui est donnée ou du but qu'il s'est fixé, comment le lecteur plani-fie-t-il ce qu'il va faire ? Comment se représente-t-il la situation et les actions à accomplir pour la résoudre ? Enfin, comment fait-il, et est-il capable de justifier ce qu'il vient de faire ? Par exemple, au CR l'ob­servation des stratégies de lecture se déroule en deux phases, dans le but de voir comment un enfant utilise la première tâche pour antici­per la seconde ; il s'agit là de planification, de choix éventuel d'une stratégie optimale quand l'enfant décide de ne travailler que sur les livres qu'il a isolés dans la première partie de la tâche. Les justifica­tions demandées aux enfants les obligent à évaluer leur réponse et parfois, ils sont conduits à apporter une révision à leur réponse (ou régulation de l'action qu'ils viennent de mener) (Rémond, 1986, 1993b).

De manière à éprouver l'idée de stratégie optimale, qui devrait varier en fonction de la tâche et du type de support, plusieurs types de questionnement sont utilisés avec des écrits variés, aux cycles 2 et 3 (Rémond, 1986).

Cette manière d'aborder le fonctionnement du lecteur correspond à un courant récent de la psychologie cognitive, celui de la métaco-gnition (quelles connaissances l'élève a-t-il de ses processus de lec­ture et comment les contrôle-t-il ?). Ce travail aide à montrer les acquis, et à cerner certaines difficultés, des élèves ; mais il met en évidence la nécessité d'un repérage très fin des compétences de lec­ture et une approche du fonctionnement cognitif et métacognitif de la lecture (Rémond, 1993 a et b).

Pourquoi certains enfants ne comprennent-ils pas ce qu'ils lisent ?

De manière à identifier certaines des difficultés d'enfants ayant des problèmes de compréhension, une recherche longitudinale a été engagée sur l'ensemble du cycle 3 ; elle a été suivie d'un entraîne­ment destiné à améliorer la compréhension.

Deux populations d'élèves « mauvais compreneurs » et « bons compreneurs » ont été isolées en classe de CE2 : il s'agit d'élèves, en moyenne, équivalents en vocabulaire et en lecture de mots isolés, mais contrastés au plan de la compréhension de l'écrit. Avoir un bon niveau de lecture de mots isolés et de vocabulaire n'est donc pas suf­fisant pour bien comprendre ce que l'on lit. Les difficultés des mau­vais compreneurs se situent au-delà du traitement des mots, et l'identification de la nature de ces difficultés paraît nécessaire. Au

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sein des opérations de haut niveau mises en jeu dans la compréhen­sion, le traitement des marques anaphoriques est une opération cen­trale pour comprendre un texte. Par exemple, dans un texte, le lec­teur rencontre : « // les déteste... », ce segment de phrase indique qu'un personnage de sexe masculin n'apprécie pas du tout des indi­vidus ou des objets. Si cette assertion suit la question : « Florian aime-t-il les nains ? », « les » se réfère à « nains ». Dans cet exemple, « /'/ » et « les » sont des reprises anaphoriques (de type pronominal), des mots tirant leur sens d'une partie du texte qui a déjà été lue. Ces reprises ont pour fonction d'établir des liens entre les phrases suc­cessives du texte. Aussi, savoir sélectionner et identifier leur antécé­dent est une opération extrêmement importante qui pourrait différen­cier les bons et les mauvais compreneurs. Cette hypothèse a été testée au CE2, où les enfants bons et mauvais compreneurs ont dû identifier les antécédents de diverses reprises anaphoriques dans des textes longs.

Les performances des mauvais compreneurs, dans le cas des reprises nominales, laissent supposer qu'ils ont acquis une certaine maîtrise de la résolution des anaphores. En revanche, dans le cas des reprises pronominales, ils ont des difficultés à trouver les antécédents corrects des pronoms, et plus particulièrement dans le cas des pro­noms objets. Le traitement des marques anaphoriques est une opé­ration essentielle à la construction d'une représentation cohérente du texte. Montrer que les mauvais compreneurs ne maîtrisent pas cette opération permet d'identifier l'une des causes de leur échec en com­préhension.

Concernant les aspects sémantiques, les mauvais compreneurs semblent avoir une représentation du contenu du texte, en d'autres termes, un modèle mental du texte, moins riche et moins organisé que les bons compreneurs. L'évaluation de la compréhension et sa régulation semblent différentes pour les deux groupes d'enfants. Les bons compreneurs apportent des corrections à leurs réponses, effec­tuent des retours sur les lignes précédentes du texte. Ces deux atti­tudes témoignent de la mise en œuvre de procédures de vérification et de régulation, visant à la production d'une réponse en accord avec la représentation du texte qu'ils construisent. Les mauvais compre­neurs n'opèrent pas de correction, ne font pas de retour en arrière (pour vérifier une information ou pour rechercher l'antécédent). Ils semblent ne pas s'attacher à construire la signification du texte, pris dans sa globalité.

En CM1, les bons et les mauvais compreneurs diffèrent quant aux procédures de contrôle qu'ils mettent en œuvre au cours de la lecture. Les bons compreneurs adaptent leur vitesse de lecture en

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fonction des difficultés du texte, ils le relisent de temps en temps. Les mauvais compreneurs, généralement plus lents que les bons, ne savent pas bien évaluer leur propre compréhension, ni mettre en œuvre des procédures de régulation pour mieux comprendre. Pourtant, eux aussi modulent leur vitesse de lecture, mais de manière moins forte. Que on leur demande d'autoévaluer leur compréhension, ils disent avoir moins bien compris que les bons compreneurs. (Ehrlich, Rémond &Tardieu, 1993). S'ils semblent conscients des dif­ficultés qu'ils ont à comprendre ce qu'ils lisent, ils ne paraissent pas savoir comment les surmonter.

Un entraînement mettant l'accent sur les opérations à réaliser pour bien comprendre un texte et sur les procédures de contrôle à employer lors de la lecture a été mis en place, en classe de CM2. Les premiers résultats de cet entraînement indiquent que pour les élèves entraînés, les connaissances sur la lecture se sont notablement accrues, y compris celles des bons compreneurs ; le niveau de com­préhension de textes semble s'être légèrement amélioré chez les mauvais compreneurs. En revanche, on ne note aucune amélioration des capacités de contrôle de la tâche. Ces résultats nous incitent à poursuivre nos investigations des difficultés des mauvais compre­neurs, entre autres concernant la mémoire de travail et ses liens avec la compréhension de textes.

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Lire et écrire à l'école primaire

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L'apprentissage de la lecture : une acquisition conceptuelle

Éliane ROGOVAS-CHAUVEAU et Gérard CHAUVEAU

Comme l'a souligné Vygotski, le langage écrit n'est pas seulement un instrument ou un code, c'est avant tout une « fonction psychique supérieure » au même titre que le raisonnement ou la pensée verbale. C'est la capacité d'élaborer une langue écrite et d'avoir une activité langagière écrite (Schneuwly, 1985). C'est pourquoi l'acquisition du lire-écrire pose de sérieux « problèmes logiques » aux enfants et qu'elle est « affaire d'intelligence » et de « réflexion cognitive » (Ferreiro, 1979,1988).

Piaget a montré que, dans le domaine physique ou logico-mathé-matique, le jeune enfant a sa propre logique, des points de vue par­fois « très étranges » pour penser des objets qu'on lui présente sous différentes formes. Ce n'est pas parce que ces objets lui sont fami­liers, qu'il a déjà agi avec/sur eux, qu'il va acquérir immédiatement les notions de nombre et de conservation des quantités. Il en est de même pour la maîtrise de la lecture et de l'écriture. Il ne suffit pas que l'enfant de cinq ou six ans ait eu « des contacts » avec de l'écrit pour qu'il comprenne ce que sont l'écriture et la lecture. L'apprentissage de la lecture va justement consister à acquérir « la clarté cognitive » (Downing & Fijalkow, 1984) ou à développer « l'activité conceptualisa-trice » (Ferreiro) indispensables à la maîtrise des savoir-faire. Il va s'agir pour l'enfant de découvrir les fonctions et le fonctionnement du système écrit, mais également les caractéristiques de l'acte de lire et la « manière » d'apprendre à lire.

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Lire et écrire à l'école primaire

Apprendre à lire : comprendre l'écriture et la lecture

Les résultats présentés ici sont extraits de recherches menées en fin de grande section et début de cours préparatoire (trois cents enfants ont été examinés), (voir Chauveau & Rogovas-Chauveau, 1989,1991,1993).

Au moment d'aborder l'enseignement systématique de la lecture, les enfants de six ans sont confrontés à trois problèmes conceptuels concernant l'écrit.

Les fonctions de la lecture-écriture '.pourquoi lire et écrire ? Pourquoi apprendre à lire et écrire ?

On peut dire au sujet du langage écrit ce que Bruner énonce à propos du langage oral : « Un enfant n'apprend pas d'abord à parler, il apprend d'abord les usages du langage dans son commerce quoti­dien avec le monde, en particulier le monde social. » L'apprenti lec­teur doit découvrir et intégrer les fonctions de l'écrit, comprendre les usages et les buts de la lecture et de l'écriture.

Aux questions « C'est bien de savoir lire ? Tu as envie de savoir lire ? Tu as envie d'apprendre à lire ? », les enfants de six ans sont quasiment unanimes, tous milieux sociaux confondus, à répondre par l'affirmative. Mais de grandes différences apparaissent aux questions suivantes : « Pourquoi c'est bien ? À quoi ça sert ? Pourquoi ça te plaît ? Qu'est-ce qu'on peut faire quand on sait lire ? Qu'est-ce que tu aimeras lire quand tu sauras lire ? »

Un premier groupe fournit plusieurs réponses « fonctionnelles », c'est-à-dire des explications qui manifestent leur goût de lire, leur appropriation des principales fonctions de l'écrit : informative, imagi­native, communicative, formative... Ainsi, Xavier déclare : « Moi, j'aime bien les histoires, comme ça je pourrai lire des livres d'aven­ture. [?]1 Je pourrai lire des histoires à mon petit frère ... Pour savoir s'il y a des émissions à la télé qui sont pour les enfants ... Pour faire des mathématiques et de la géographie, il faut savoir lire. » Laurence mentionne son intérêt pour « les contes avec les princesses », le jour­nal « pour savoir qu'est-ce qui se passe », les livres « qui parlent des animaux », « pour apprendre plein de choses à l'école ». Plus de huit enfants sur dix qui, comme Xavier et Laurence, ont pu donner à l'en­trée du CP quatre raisons fonctionnelles de savoir lire, ont ensuite appris sans problème.

1. [ ? ] signale les interventions, relances, questions de l'expérimentateur.

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À l'opposé, certains ont du mal à saisir les finalités de la lecture, à exprimer les avantages (culturels, émotionnels, cognitifs) qu'ils pour­raient en retirer. Ils fournissent souvent des réponses « institution­nelles », c'est-à-dire des arguments centrés uniquement sur les contraintes de l'institution scolaire (ou sociale) : « Pour pas retourner chez les bébés de la maternelle », « pour aller dans la classe des grands », « si on sait pas on redouble », « pour faire ses devoirs », « pour travailler », « pour savoir des mots », « parce que la maîtresse elle est gentille », « sans ça on est puni », « on se fait moquer ». Parfois, ce sont des justifications qui tournent en rond (réponses cir­culaires) : « Ça sert à lire... pour écrire... pour savoir les lettres... pour connaître des mots... écrire Ratus... pour apprendre à lire ». Dans la majorité des cas, les enfants incapables de formuler une rai­son fonctionnelle ont eu par la suite des difficultés au cours prépara­toire.

Les sujets du premier groupe explicitent un projet personnel de lecteur, projet qui apparaît comme l'une des conditions majeures de la réussite, comme l'un des composants du savoir-lire. Ceux du second groupe semblent piétiner ou progresser difficilement tant qu'ils voient mal les buts culturels de la pratique de la lecture, tant qu'ils ne peuvent définir leurs propres raisons d'apprendre à lire, tant qu'ils vivent renseignement/apprentissage comme une obligation (sinon une menace) scolaire ou sociale. C'est l'existence de ce projet qui, semble-t-il, donne du sens à l'activité cognitive de l'enfant sur la langue écrite. C'est parce qu'il sait pourquoi lire qu'il peut mieux se mobiliser sur le fonctionnement de l'outil.

Le fonctionnement (la structure) du système écrit : quel est le code ? Quels sont les principes de base de notre écriture ?

Plusieurs épreuves empruntées à E. Ferreiro nous aident à mieux comprendre comment les néophytes du CP « pensent » la langue écrite.

L'enfant doit deviner où est écrit un mot dans une série de trois termes disposés en colonne (trouver « train » dans la série locomo­tive, roue, train, ou trouver « ours » dans la série ours, fourmi, che­val...). Une bonne partie des enfants désignent locomotive à la place de train, « parce qu'un train c'est plus long ». Ils ont du mal à détacher la forme écrite de l'objet physique qu'elle représente. Ils supposent qu'un caractère commun existe entre le réfèrent et sa notation écrite. Dans le même temps, ils n'imaginent pas de chercher un lien entre la

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forme écrite du mot et sa forme sonore. Le mot écrit semble pour eux une sorte de symbole ou de pictogramme mais pas encore un signe linguistique.

L'expérimentateur lit deux fois à voix haute le texte : « Bébé élé­phant joue dans la rivière ». L'enfant répète la phrase puis répond aux questions : « Est-ce que tu crois qu'il est écrit rivière ? Où crois-tu que c'est écrit ? » Les mêmes questions sont posées pour chacun des mots. Si la majorité des enfants de six ans réussit l'exercice, un petit nombre ne parvient pas à découper et ordonner ce court énoncé. Vers cinq ans, la plupart des apprentis lecteurs éprouvent des difficultés à distinguer mot et phrase (c'est-à-dire le rapport entre le tout et les parties d'un énoncé écrit), à reconnaître que tous les termes lus et seulement ceux-là s'écrivent, à penser que l'ordre de renonciation écrite reproduit strictement celui de son oralisation. À six ans, une partie d'entre eux ne possède toujours pas ce « savoir minimum » sur les énoncés écrits.

L'enfant produit des mots ou de courtes phrases dictés par l'ex­périmentateur. « Comment fais-tu pour écrire "gâteau", écris comme tu crois, avec ton écriture à toi... » Cette situation « d'écriture inven­tée » donne lieu à une très grande variété de productions. Certains enfants sont déjà « à l'intérieur du système d'écriture alphabétique » alors que d'autres utilisent encore des écritures « pré-syllabiques » (E. Ferreiro, H. Sinclair) qui ignorent toute mise en relation entre la forme écrite d'un message (un mot, une phrase) et sa forme orale. Par exemple, ils n'établissent aucun lien entre la longueur ou la quan­tité des éléments entendus ou prononcés (nombre de syllabes ou de mots) et celle de l'énoncé écrit. Ils font comme si la langue écrite était un système en soi, indépendant de la langue parlée. Par exemple, certains utilisent le même stock de lettres (celles de leur prénom...) et les arrangent différemment.

Exemple : Claire, IAER (chat) AROR (chatte) ROERE (chaton) OAIRE (vélo) AIREI (le chaton a mangé la souris).

Une très forte corrélation (supérieure à .80) existe entre la façon dont l'enfant se représente l'écriture (le système écrit) à l'entrée du cours préparatoire et ses performances en lecture au cours de l'année.

L'acquisition de l'écrit est « par définition une activité métalinguis-tique » (J.-P. Jaffré) qui nécessite une objectivation, une prise de conscience des unités à traiter ou à représenter. L'une des principales difficultés des apprentis lecteurs-scripteurs tient au fait que l'écriture est « une abstraction », « un langage symbolique au second degré », c'est-à-dire un système de signes (l'ensemble des lettres et des graphèmes) sur un système de signes (les mots de la chaîne parlée),

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autrement dit « l'algèbre du langage » (Vygotski). Un jeune enfant peut, par exemple, entendre, comprendre et dire « Le loup mangea la grand-mère du Petit Chaperon Rouge » sans avoir conscience que l'énoncé verbal contient le mot « le », le mot « loup » et ainsi de suite. Pour lire la même histoire, il devra par contre avoir saisi comment se découpe et s'organise la chaîne parlée ou écrite.

D'une façon générale, l'apprenti lecteur a du mal à comprendre la double nature de notre système écrit, à la fois porteur de sens et transcription de la parole. Cette prise de conscience des caractéris­tiques formelles de la langue et du rapport oral-écrit (la capacité métalinguistique) n'apparaît qu'après une succession de représenta­tions provisoires et inadéquates.

L'acte de lire : qu'est-ce que lire ? comment faire pour comprendre un texte inconnu ?

L'expérimentateur invite l'enfant à interpréter un texte court (deux petits ours sautent dans la neige) accompagné d'une image : « Qu'est-ce que tu crois qui est écrit ? », puis il complète l'épreuve par des questions sur les façons de faire du « lecteur » débutant : « Comment tu fais pour lire cette histoire ?... ».

Une fois de plus, les comportements à l'entrée du CP sont très variés et très contrastés. Quelques-uns sont déjà presque de « vrais lecteurs » : ils sont capables de reproduire, de reconstruire ce petit récit après quelques essais et erreurs. Mais les « pré-lecteurs » sont nombreux. Ils se centrent sur le dessin sans tenir compte des proprié­tés de l'écrit : ils ne se préoccupent ni des aspects qualitatifs ni même des aspects quantitatifs du texte écrit. Ils montrent toute la phrase ou pointent un petit fragment en disant : « nounours », « ours », « un ours ».

Dans cette première étape vers le savoir-lire, l'apprenti-lecteur interprète le contexte ¡conique et projette du sens sur l'écrit, mais il ne peut encore traiter l'écrit lui-même. Il ne distingue pas l'interpréta­tion d'une image (démarche exclusivement sémantique) de la lecture-compréhension (démarche linguistique).

D'autres enfants confondent lire avec : réciter par cœur, produire des sons, imaginer une histoire à partir de quelques repères, deviner sans contrôle... Exemple : Danilo « Je lis comme un robot, [ ?] le soir, mon papa me lit l'histoire, j'écoute bien, après j'y pense. Le lende­main je répète comme un robot. »

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Parfois ils confondent l'activité physique (se servir d'un outil : ciseaux, crayon) avec l'activité cognitive. Exemple : Christophe « Je peux pas lire, j'ai pas de ciseaux. »

On constate que des contresens sur la nature de la tâche (l'acti­vité de lecture) entravent la progression des apprentis lecteurs même lorsqu'ils ont des connaissances ponctuelles ou des savoir-faire sec­toriels sur l'écrit. Par contre, nous avons été frappés par les progrès spectaculaires d'enfants, à partir du moment où ils prennent conscience de « qu'est-ce que lire » et sont capables de l'expliciter.

La maîtrise de la lecture dépend de la capacité stratégique de l'enfant, c'est-à-dire de sa capacité à fusionner des opérations fort différentes -reconnaissance de mots, déchiffrage, prédictions sémantiques - en vue d'un but : comprendre le contenu d'un mes­sage écrit. Il doit être capable de traiter de concert trois types d'uni­tés linguistiques : les unités de seconde articulation (lettres, syllabes, phonogrammes), les unités lexicales (mots) et la macro-unité signifi­cative (groupe sémantico-syntaxique, phrase, texte...).

Conclusion

On ne saurait réduire l'acquisition de la lecture à un apprentissage instrumental, à un problème « mécanique » : un montage de méca­nismes de base. L'installation de savoir-faire efficaces en lecture ne peut être séparée du développement de la conscience (compréhen­sion) de la lecture-écriture. Celle-ci comprend trois volets : le projet de lecteur, la capacité métalinguistique, la conscience stratégique qui sont au cœur du processus de maîtrise de la lecture.

Le succès de l'apprenti lecteur dépend bien sûr de « sa fréquenta­tion » de l'écrit et des occasions de lire et écrire qu'il a rencontrées ; il dépend également de la conscience - du degré de clarté cognitive -qu'il a des finalités de la lecture-écriture, des propriétés du système écrit et des opérations en jeu dans l'acte de lire. Quand ils abordent l'enseignement formel, intensif du cours préparatoire, la quasi-totalité des enfants de six ans ne sont pas au « point zéro » de l'apprentis­sage de la lecture. Mais leurs rencontres préélémentaires avec l'écrit n'ont pas produit chez tous ces apprentis lecteurs des acquis fiables et des savoir-faire opérationnels. A l'entrée du cours préparatoire, les « niveaux » initiaux en lecture-écriture sont très hétérogènes : un quart des enfants environ y arrive pour « finir d'apprendre à lire » ; mais un autre quart ne sait ni pourquoi lire, ni comment fonctionne la langue écrite, ni ce qu'il faut faire pour lire. Une erreur répandue

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aboutit à ce que Bourdieu a appelé « l'indifférence aux différences ». On fait comme si tous les enfants commençaient à apprendre à lire en même temps, au moment où ils entrent au cours préparatoire ; on ne tient pas compte de leurs expériences et acquisitions antérieures dans le domaine du langage écrit ou on ne retient qu'un fait : les enfants commencent à apprendre à lire bien avant six ans. Mais dans les deux cas, on oublie une donnée essentielle : dès le début de la scolarité obligatoire, les différences en lecture-écriture sont considé­rables entre les plus avancés (ou les plus favorisés) et les moins avan­cés (ou les moins favorisés). On a alors tendance à appliquer un trai­tement unique, des méthodologies pédagogiques identiques à des enfants déclarés non lecteurs ou apprentis lecteurs, mais qui sont en fait fort « différents » dans la conquête du lire-écrire. L'une des causes principales de l'insuccès en lecture, qui touche près de 25 % des élèves de fin de CR se trouve probablement dans cette non-prise en compte de l'hétérogénéité initiale des enfants de six ans en lecture-écriture. Par exemple, ceux qui ne comprennent pas le vocabulaire technique de l'enseignement de la lecture (mot, phrase, lettre, point...) utilisé par de nombreux adultes ou qui ne voient qu'un magma compact dans les textes écrits qu'ils sont censés explorer, risquent vite de lâcher pied dans les conditions scolaires usuelles.

Dans une autre recherche (1993) nous avons montré que : - l'explicitation des façons de faire et de penser (entre enfants et

entre l'adulte et l'enfant) est la source de progrès parfois spectacu­laires chez les apprentis lecteurs ;

- l'adulte peut jouer un rôle important en étant un « stimulateur intellectuel », qui excite ou provoque l'activité cognitive et reflexive de l'enfant en train d'apprendre à lire.

Équipe de recherche

E. ROGOVAS-CHAUVEAU et G. CHAUVEAU, en collaboration avec Jean-Marie BESSE (Université Lyon II), Jacques FIJALKOW (Université Toulouse-Le Mirail), Margarida ALVES-MARTINS (IFPA, Lisbonne) et neuf enseignants associés des académies d'Aix-Marseille, Créteil, Orléans-Tours et Poitiers.

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Lire et écrire à l'école primaire

Références bibliographiques

BRUNER, J. (1987). Comment les enfants apprennent à parler. Paris, Retz.

CHAUVEAU, G. (1989). Des difficultés d'apprendre à lire : perspective psycholinguistique. Handicaps et inadaptations. Cahiers du CTNERHI, pp. 47-48.

CHAUVEAU, G., RÉMOND, M. & ROGOVAS-CHAUVEAU, E. (1993). Acquisition de la lecture-écriture et métacognition. In L'enfant apprenti lecteur. Paris, INRP/L'Harmattan.

DOWNING, J. & FIJALKOW, J. (1984). Lire et raisonner. Toulouse, Privât.

FERREIRO, E. & TEBEROSKY, A. (1979). Los sistemas de escritura en el desarrollo del niño, Siglo XXI. Mexico.

FERREIRO, E. & GOMEZ-PALACIO, M. (1988). Lire-écrire à l'école : comment s'y apprennent-ils. CRDP, Lyon (traduction de Análisis de las pertubaciones en el proceso de aprendizaje de la lecto-escritura, SEP-OEA, Mexico, 1982).

ROGOVAS-CHAUVEAU, E. & CHAUVEAU, G. (1991). Des enfants de six ans et le développement de la lecture. Les dossiers de l'Édu­cation, 18.

ROGOVAS-CHAUVEAU, E. & CHAUVEAU, G. (1993). Le dialogue métacognitif et le savoir-lire. In L'enfant apprenti lecteur. Op. cité.

SCHNEUWLY, B. (1985). La construction sociale du langage écrit. In B. Schneuwly et J.-P Bronckart, Vygotski aujourd'hui. Neuchâtel, Delachaux et Niestlé.

VYGOTSKI, L. (1985). Pensée et langage. Éditions Sociales.

Publications INRP

CHAUVEAU, G., RÉMOND, M. & ROGOVAS-CHAUVEAU, E. (1993). L'enfant apprenti lecteur, INRP/Harmattan. Coll. CRESAS n° 10.

CHAUVEAU, G., CHAUVEAU, E. (1985). « Processus d'acquisition ou d'échec en lecture au cours préparatoire ». Revue Française de Pédagogie, n° 70.

CHAUVEAU, G., ROGOVAS-CHAUVEAU, E. (1990). « Les processus interactifs dans le savoir lire de base ». Revue Française de Pédagogie, n° 90.

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Le rapport à récri ture : un enjeu pour la réussite scolaire

Christine BARRÉ-DE MINIAC

Une perspective psycho-anthropologique

L'écriture est un thème classique de la recherche pédagogique et didactique. Longtemps considérée comme un des volets de l'« accès à l'écrit » et étudiée en articulation étroite avec l'acquisition de la lec­ture, elle s'autonomise depuis peu comme champ de recherche. Cette évolution est liée notamment à l'irruption du thème de l'écriture dans les recherches anthropologiques (Goody, 1979, 1986) puis sociologiques (Lahire, 1993a, 1993b). Ces travaux montrent que les pratiques d'écriture, loin d'être des techniques au service d'une pen­sée conçue dans un ailleurs situé hors de toute réalité sociale, sont précisément des dimensions constitutives de ces réalités.

C'est dans cette perspective que sont envisagées ici les pratiques scolaires d'écriture : l'écriture à l'École est marquée par des repré­sentations culturelles produites par des groupes sociaux, tout autant qu'elle est un lieu privilégié de projection de significations culturelles. Ce sont ces représentations de l'écriture, ces projections de valeurs sur cette dernière, ces attitudes et attentes à son égard que désigne l'expression « rapport à l'écriture », objet du présent travail.

La perspective est plus précisément psycho-anthropologique. La recherche est centrée sur la genèse du rapport à l'écriture chez les enfants issus de différentes socio-cultures. L'hypothèse générale est que ceux-ci attribuent des significations, des valeurs, construisent des interprétations de l'écriture et de ses usages dans les interactions qui trament leur vie dans les formations sociales que sont l'école et la famille. La culture est ainsi abordée par le biais des sujets qui

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« constituent l'instance concrète décisive, en tant qu'ils sont les por­teurs de culture1 ».

Le terme « écriture » est pris dans son acception la plus générale, désignant aussi bien le geste graphique que les produits de genres et de niveaux de complexité différents. Dans l'analyse de la découverte de l'écriture par le jeune enfant, cette acception large permet de ne pas préjuger de la manière dont celui-ci perçoit, isole, organise et hié­rarchise les différentes composantes de celle-ci.

Une enquête longitudinale : pourquoi et comment ?

Une étude antérieure menée auprès de collégiens (Barré-De Miniac, Cros et Ruiz, 1993) a montré que chez ces derniers apparaît un clivage net entre l'écriture « pour soi » et l'écriture « pour l'école ». Cette observation corrobore des observations réalisées dans d'autres contextes (Blanc, 1993). Si cette dualité est relativement bien gérée par les jeunes issus de milieux socioculturels proches de la culture scolaire classique, elle est beaucoup plus problématique chez ceux dont l'histoire familiale n'inclut pas un vécu scolaire selon les normes et traditions françaises. Contradictions et tiraillements émaillent leurs discours et traduisent un sentiment d'extériorité vis-à-vis d'une écri­ture scolaire dans laquelle ils n'arrivent pas à se sentir véritablement « auteur ». À rester « à côté » de leurs écrits, ne risquent-ils pas de rester « à côté » des savoirs ? La poursuite d'études longues ne nécessite-t-elle pas en effet une implication personnelle dans une écriture qui énonce tout autant qu'elle modèle les savoirs ?

Comment ces jeunes en sont-ils arrivés là ? Leurs apprentissages premiers portent-ils les germes de ce conflit non - ou mal - résolu ?

C'est dans cette optique qu'a été menée une étude qualitative auprès de quatre-vingts élèves, incluant un suivi de la Moyenne Section au Cours Préparatoire grâce à un entretien annuel, une inter­view de leurs parents et l'observation de séquences pédagogiques dans les classes qu'ils fréquentent. Ces enfants appartiennent à deux secteurs scolaires fortement contrastés :

- d'un côté des enfants issus de milieux « cultivés », dont les parents ont effectué un cursus scolaire de haut niveau selon les normes et coutumes françaises. Ils fréquentent une école privée située au centre de Paris, leurs parents sont cadres ou exercent des professions intellectuelles ;

1. CAMILLERI, C. et COHEN-ÉMERIQUE, M. (1989). Chocs de cultures : concepts et enjeux pratiques de l'interculturel. Paris, L'Harmattan, p. 24.

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- de l'autre des enfants dont l'histoire familiale n'inclut pas de vécu scolaire ou un vécu très différent. Ils fréquentent les écoles d'une banlieue parisienne, banlieue cosmopolite caractérisée par une très forte volonté d'intégration à la société française et de promotion sociale. Leurs parents sont majoritairement employés et ouvriers.

Les mêmes questions ont été au centre des observations de classe, des interviews de parents et des entretiens avec les enfants : Quelles sont les conditions concrètes de mise en œuvre de l'écriture ? Quelles conceptions les enseignants, les parents et les élèves ont-ils de l'écriture, de ses usages et de son apprentissage ? Existe-t-il des zones de recouvrement entre l'univers familial de l'écri­ture et l'univers scolaire ? Lesquelles ? Sont-elles les mêmes pour tous les enfants ?

Des résultats conjugués de ces trois séries d'observations paral­lèles découlent une série de constats. Plus que des conclusions défi­nitives1, il s'agit là de pistes pour la recherche d'un ajustement tou­jours plus précis des stratégies pédagogiques aux représentations initiales des enfants.

Représentations parentales et pratiques scolaires : toile de fond des représentations enfantines

Des représentations parentales parfois surprenantes et souvent méconnues

Alors que les parents du secteur de banlieue insistent davantage sur les conditions sociales (familiales et scolaires) de l'apprentissage de l'écriture, ceux de l'école parisienne accordent la priorité aux moti­vations individuelles (pour apprendre à écrire, « faut aller à l'école », « faut en avoir envie, c'est tout à fait premier »).

Cette nuance se confirme lorsque, à partir d'associations de mots, on cherche à appréhender leurs attentes et leurs représenta­tions de l'écriture d'une part, de l'école d'autre part. Ni l'écriture ni l'école ne sont des noyaux forts d'organisation des représentations

1. La démarche comparative et le travail de terrain mis en œuvre dans cette recherche sont des approches méthodologiques cohérentes avec la pers­pective anthropologique choisie. Ces choix méthodologiques impliquent l'abandon de toute prétention concernant une quelconque représentativité statistique des terrains choisis. La différence n'est pas étudiée ici en tant que telle mais sert de miroir grossissant de l'objet étudié : l'écriture comme pratique culturelle.

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des parents de l'école parisienne. De manière contrastée, pour ceux des classes de banlieue, l'école constitue bien un noyau fondamen­tal, auquel est associée l'écriture, et par là le métier, mais aussi l'épa­nouissement, les amis et la famille. Autrement dit, l'école est centrale dans l'univers representationnel de ces parents. Elle est un élément auquel sont étroitement associés l'écriture bien sûr, mais aussi des termes qui symbolisent l'espoir d'intégration et de réussite sociales.

L'idée répandue selon laquelle les enfants issus de milieux aisés réussiraient mieux en raison de la plus grande connivence entre l'école et la famille gagnerait à être précisée. En effet, les parents des écoles de banlieue manifestent une bonne connaissance et un intérêt pour les rites et coutumes de l'École que beaucoup n'ont pourtant connue que par l'intermédiaire de leurs enfants aînés. Ainsi, ils ne semblent pas aussi éloignés de l'École que le croient souvent les enseignants de ces secteurs. Concernant l'apprentissage de l'écri­ture, ils attendent tout de l'école et manifestent une connaissance extrêmement précise et concrète des pratiques et exigences sco­laires.

Proposition

La définition de stratégies pédagogiques efficaces ne passe-t-elle pas par une meilleure connaissance des représentations et attentes familiales susceptibles d'être intériorisées par l'enfant ? La formation ne pourrait-elle intégrer cette connaissance ou du moins donner aux enseignants les moyens d'y accéder ? En effet, la question n'est sans doute pas tant une question de distance ou proximité par rapport au monde scolaire que de mode de relation et type d'attente vis-à-vis de celui-ci. La méconnaissance des représentations parentales par les enseignants de ces secteurs est masquée par l'existence de préjugés tenaces à l'égard des populations concernées. N'est-elle pas pour­tant préjudiciable à la progression du jeune enfant lors de son entrée dans l'écrit ?

Des pratiques pédagogiques contrastées et paradoxales

De l'accumulation de nombreux détails d'observation des activi­tés d'écriture au sens large ainsi que de certains aspects de la vie scolaire en général se dégagent deux constats.

• L'individualisation du guidage des activités scripturales des élèves à l'école parisienne contraste avec l'uniformisation caracté­ristique des classes des écoles de banlieue.

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Propriété personnelle des outils d'écriture et travail individuel à l'école parisienne contrastent avec un « jeu scolaire » beaucoup plus collectif dans le secteur de banlieue. Ce jeu tend à faire exister et maintenir la réalité du groupe-classe. L'aide individuelle existe, bien sûr, mais comme un élément qui se surajoute au déroulement collectif prévu. L'instituteur, lorsqu'il est débordé par le nombre de demandes, doit y renoncer.

• Une démarche centrée sur la verbalisation et l'explicitation des consignes à l'école parisienne contraste avec une démarche de la découverte dans le secteur de banlieue.

La nomination des actions et des tâches à réaliser est manifeste­ment un des objectifs visés dès la moyenne section à l'école pari­sienne. Dans les classes du secteur de banlieue, la démarche est inverse. Priorité est donnée à la découverte par l'enfant lui-même de la tâche, l'instituteur intervenant en complément et, le plus souvent, à la demande de l'élève.

Ainsi, l'individualisation du guidage et l'explicitation verbale du travail scolaire à l'école parisienne contrastent avec une démarche de « mise en situation » collective et l'appel à l'activité de découverte dans le secteur de banlieue.

Pour un observateur extérieur, ces pratiques peuvent paraître paradoxales. C'est, en effet, dans le secteur où la demande et la dépendance à l'égard des apprentissages scolaires sont les plus importantes que l'on observe une moindre explicitation et structura­tion des tâches et situations, ainsi qu'une moindre verbalisation des consignes et objectifs des exercices.

C'est également dans ce secteur que l'accent est le plus mis sur le groupe-classe, avec une uniformisation des rythmes, des pratiques et des procédures, alors que la population scolaire est a priori beau­coup plus diversifiée, scolairement, socialement et culturellement que dans le secteur peuplé d'enfants de cadres et d'intellectuels.

Proposition

Une formation à l'observation ne pourrait-elle contribuer à rendre explicites des pratiques dont la logique d'ensemble n'est pas forcé­ment à remettre en cause mais peut-être à améliorer (dans la conti­nuité) pour en renforcer l'efficacité ? Elle permettrait, en tout état de cause, de prendre conscience de la signification sociale autant que pédagogique des choix opérés parfois de manière intuitive plus que reflexive dans les menus détails de la vie et du travail quotidiens de la classe.

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Lire et écrire à l'école primaire

Des représentations enfantines aux exigences scolaires

Les enfants des deux secteurs, observés de la moyenne section au CR élaborent au cours de ces trois années des représentations et attitudes à l'égard de l'écriture. Malgré des activités scolaires cen­trées autour de l'écrit, il s'avère que pour eux l'école n'est pas le lieu spécifique d'apprentissage de l'écriture. Tous prennent progressive­ment conscience qu'apprendre à écrire c'est apprendre un code social et que cet apprentissage nécessite une transmission par un « agent social », qu'ils identifient nettement. Mais il est clair que pour eux l'institutrice n'en n'est qu'un parmi d'autres : parents, frère ou sœur aînés.

Sur ces bases communes se greffe une différence importante concernant le mode d'investissement de l'écriture et l'appropriation de celle-ci par les enfants. En fin de CR ceux de l'école parisienne répondent massivement « oui » à la question : « Ceffe année tu as appris à lire et à écrire. Cela change-t-il quelque chose dans ta vie ? Quoi ? » La signification sociale qu'ils accordent à leur acquisition de l'écriture concerne autant leur intégration au monde des adultes par le biais de leur développement personnel et des échanges écrits que leur réussite scolaire :

« Ça a aidé ma vie à se développer. Je veux savoir bien écrire comme ça les autres me comprendraient quand je leur fais une lettre. » I « Quand je suis petit je sais pas lire, pas écrire, je peux rien faire. Maintenant je peux lire et écrire. » I « Je travaille mieux. »

Très peu d'enfants du secteur de banlieue répondent positivement à cette question, justifiant leur réponse par une liaison quasi-exclu­sive entre l'apprentissage de l'écrit et la réussite scolaire, sans établir de lien entre l'apprentissage scriptural scolaire et les usages de l'écri­ture hors du cadre scolaire. Pour eux, apprendre à écrire sert princi­palement à la réussite scolaire :

« On est plus intelligent, on a plus d'idées... On peut mieux faire des choses... On peut faire des maths. » I « Ça a changé que avant je savais pas, maintenant je sais. C'est bien. Je fais pas trop de fautes. C'est important parce que la maîtresse elle met des C, des D. »

Tout comme le font leurs parents dans les interviews, ces enfants semblent décrire le « jeu scolaire » sur lequel, nous l'avons vu, les enseignants de ce secteur insistent beaucoup dans leur pratique quotidienne de la classe.

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Approches psycho et sociolinguistiques

Proposition

Pour les enfants, nous l'avons vu, l'école n'a pas le monopole de récriture. Peuvent-ils continuer à avoir envie d'écrire et s'impliquer dans leur écriture quand bien même ils n'établissent pas de lien clair entre l'apprentissage scriptural scolaire et les usages de l'écriture hors du cadre scolaire ? Connaître mieux les valeurs et attentes des populations enseignées pourrait bien constituer un détour utile à une didactique de l'écriture qui permette à tous les élèves de s'impliquer dans l'écriture scolaire.

Chercheurs et enseignants ayant participé à la recherche Christine BARRÉ-DE MINIAC, INRR Département « Didactiques des disciplines » Bernadette DELANNAY, psychologue clinicienne Stéphane KARABETIAN, IUFM de Versailles, enseignant de français Josy PIBAROT, Collège Pablo Picasso, Éragny/Neuville, enseignante de français Jacqueline RUIZ, Collège Jean Lurçat, Sarcelles, enseignante de français

Références bibliographiques

BARRÉ-DE MINIAC, C. (1991). Les enseignants et leur rapport à l'écriture. Études de communication. Techniques d'expression, information, communication. Lille, Université de Lille 3, Bulletin du CERTEIC, 13, pp. 99-114.

BLANC, D. (1993). Correspondances. La raison graphique de quelques lycéennes. In D. Fabre (Ed.), Écritures ordinaires. Paris, Centre Georges Pompidou BPI-POL.

GOODY, J. (1979). La raison graphique, la domestication de la pensée sauvage. Paris, Éditions de Minuit, Coll. « Le Sens Commun ».

GOODY, J. (1986). La logique de l'écriture. Aux origines des sociétés humaines. Paris, Armand Colin.

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Lire et écrire à l'école primaire

GUIBERT, R. & JACOBI, D. (dir.) (1990). Les adultes et l'écriture. Éducation Permanente, 102.

LAHIRE, B. (1993a). Culture écrite et inégalités scolaires. Lyon, PUL.

LAHIRE, B. (1993b). La raison des plus faibles. Rapport au travail, écritures domestiques et lectures en milieux populaires. Lille, PUL.

Publications INRP

BARRÉ-DE MINIAC, C. (1990). L'écriture. Repères bibliographiques. INRP, Perspectives documentaires en éducation, 20, pp. 81-100.

BARRÉ-DE MINIAC, C , CROS, F. & RUIZ, J. (1993). Les collégiens et l'écriture. Des attentes familiales aux exigences scolaires. Paris, ESF-INRR

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Approches pédagogiques et didactiques

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Evolution du travail d'un enfant de cinq ans à l'atelier d'écrit libre. École maternelle Paul Eluard, Orly (Val-de-Marne).

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Pédagogie interactive de la langue écrite à l'école maternelle

Marianne HARDY et Françoise PLATONE

Dans une école maternelle de zone d'éducation prioritaire, avec deux enseignants de grande section1, nous avons recherché des conditions pédagogiques telles que tous les enfants puissent se fami­liariser avec la langue écrite.

Cette recherche a été motivée par les difficultés rencontrées par beaucoup d'enseignants au début de la scolarité élémentaire : à ce niveau, certains enfants seraient « mûrs » pour apprendre à lire et à écrire et d'autres non. L'école maternelle peut-elle contribuer à réduire les écarts constatés de ce point de vue entre les enfants ? Selon notre expérience, les enfants « mûrs » pour apprendre à lire et à écrire vers l'âge de six ans ont nécessairement derrière eux plusieurs années de confrontation personnelle, de réflexion, de travail sur la langue écrite. Ils ont construit des connaissances à ce sujet, même si leur travail est resté invisible pour les adultes. Pour certains enfants, ce travail se fait dès le plus jeune âge par les échanges avec le milieu familial qui, très tôt et de façon plus ou moins volontariste, éveille l'in­térêt des enfants pour la langue écrite. Dans ce cas, l'école peut s'appuyer sur les fruits du travail « fait maison » pour faire progresser les enfants. Pour les autres, n'est-ce pas l'école maternelle qui peut être l'agent privilégié de cet éveil ? Selon quelles modalités ?

1. Lysiane JOURNET et Daniel SABRE.

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Lire et écrire à l'école primaire

Cadre théorique

Le cadre théorique de ce travail est celui de toutes les recherches pédagogiques du CRESAS. Nous nous appuyons sur une conception constructiviste et interactionniste des apprentissages dont l'origine se trouve chez Piaget, Wallon et Vygotsky. Selon cette conception, apprendre c'est construire les savoirs en interaction avec autrui. De nombreuses publications du CRESAS ont déjà présenté des résultats à l'appui de cette conception (Stambak et alii, 1983 ; Bréauté ef alii, 1987 ; CRESAS, 1987 ; CRESAS, 1991). Ce cadre théorique met l'ac­cent sur la valeur des échanges entre partenaires : la mise en com­mun et la confrontation des idées et de points de vue différents per­met à chacun d'établir de nouveaux liens entre des savoirs diffus et d'enrichir sa connaissance du champ étudié. Il conduit à un parti pris pédagogique qui envisage l'hétérogénéité des niveaux de connais­sance comme une source possible d'interactions fécondes. S'agis-sant de l'apprentissage de la langue écrite, nous nous appuyons par­ticulièrement sur les travaux menés par H. Sinclair dans le champ de la psycholinguistique génétique (Sinclair, 1992) et par E. Ferreiro, psy­chologue piagétienne également, qui a montré qu'il existe une psy­chogenèse de la langue écrite (Ferreiro, 1988). Des travaux d'E. Ferreiro, nous retenons que, dès le plus jeune âge, les enfants peuvent acquérir des connaissances sur la langue écrite. Comme dans les autres champs de connaissance, les enfants élaborent des hypothèses et construisent des représentations à propos de l'objet de connaissance. E. Ferreiro a fait apparaître et caractérisé un grand nombre de ces représentations. Elle a tracé leur évolution qui semble se retrouver, dans ses grandes lignes tout au moins, chez tous les enfants.

En fonction de ce cadre théorique, nous avons recherché prioritai­rement les moyens de susciter l'expression des idées de chacun et le partage des savoirs recelés par les groupes, quelle que soit au départ l'hétérogénéité des connaissances acquises par les différents parte­naires.

Des ateliers réflexifs et interactifs

Dans cet article, nous ne ferons qu'évoquer tout ce qui a été mis en place par les enseignants pour placer les enfants au contact quoti­dien de la langue écrite sous ses différentes formes et dans ses diffé­rentes fonctions : pratiques de Bibliothèque Centre Documentaire, correspondance scolaire, utilisation d'écrits fonctionnels dans la vie

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Approches pédagogiques et didactiques

de la classe... Tout ceci se pratique à l'heure actuelle dans la plupart des écoles maternelles et n'est pas spécifique de notre recherche.

Nous nous centrerons sur l'une des situations de travail spéci­fique à notre étude. Il s'agit d'un atelier de réflexion et d'expérimenta­tion sur la langue écrite dans lequel les enfants sont incités à mani­fester leurs propres idées et démarches d'apprentissage. Ils travaillent en petits groupes interactifs, sous le regard de l'enseignant qui régule la dynamique et soutient l'avancée du travail.

L'observation de telles séquences nourrit la réflexion des adultes : elle leur permet de découvrir les préoccupations et les démarches d'apprentissage propres aux enfants telles qu'elles se manifestent dans les dynamiques interactives en petits groupes. Elle leur permet aussi de s'insérer dans le travail des petits groupes et d'établir des liens avec chaque enfant, y compris les plus inhibés ou les plus tur­bulents. À titre d'illustration, nous allons présenter une séquence de travail observée dans l'une des séances de cet atelier.

he cadre organisateur

C'est mardi. Comme chaque matin après un temps d'accueil et d'installation dans la classe, c'est le moment des ateliers qui durent trois-quarts d'heure. Le vendredi précédent, les enfants se sont ins­crits à diverses activités pour la semaine ; ils restent deux jours consécutifs aux mêmes ateliers ; les adultes veillent à ce que tous participent à tous les ateliers sur une période de six semaines.

Un groupe de quatre enfants : Jennifer, Salima, Frédéric, Ali, est installé - pour le second jour consécutif - à l'atelier d'écrit ; la partici­pation de Frédéric a été sollicitée par les adultes car cet enfant, sou­vent absent, n'en est pas encore très loin dans sa conquête du lan­gage écrit.

Les enfants disposent chacun d'un feutre et d'une feuille de cahier. La consigne donnée par l'adulte est la suivante : « Vous vous essayez à écrire, ce que vous voulez, comme vous le pouvez. »

Démarrage et développement de la dynamique de travail

Les enfants sont installés et attendent l'adulte qui lance les autres ateliers ; ils discutent entre eux pour savoir s'ils sont autorisés à com­mencer ; finalement ils se distribuent feutres et feuilles. En route pour un autre atelier, Nordine, qui a depuis peu appris à écrire BÉBÉ et en

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Lire et écrire à l'école primaire

est fier, s'arrête et fait une proposition au groupe : « Essayez d'écrire BÉBÉ ». Après une brève discussion - qui en est capable ? que connaît-on de ce mot ? - Salima se lance, sous la tutelle de Nordine. Celui-ci, bientôt rappelé à l'ordre par l'adulte - ce n'est pas là son atelier - quitte le groupe. Jennifer et Ali se sont mis à écrire BÉBÉ eux aussi, sous la surveillance de Salima qui en profite pour consolider son tout nouveau savoir, sous le regard captivé de Frédéric.

L'écriture de ce premier mot appelle une suite ; chacun va s'aven­turer et choisir des mots d'abord familiers, puis de plus en plus diffi­ciles : d'abord soleil, pluie, mots utilisés chaque matin dans l'activité « météo » ; oiseau, rencontré la veille dans un livre, puis : moto, avion, éléphant, pantalon...

Chacun annonce ce qu'il se propose d'écrire ou ce qu'il a essayé de tracer ; quand l'enseignant vient s'installer dans le groupe, les enfants le mettent au courant de leurs réalisations et poursuivent, en le sollicitant fréquemment pour qu'il approuve leur travail, soutienne leurs efforts et lève les obstacles qu'ils ne peuvent franchir seuls.

Par un jeu d'annonces et d'interrogations sur les intentions : « moi ¡'veux écrire soleil... », « si on écrivait moto... ? » « tu veux écrire oiseau... ? » les enfants, tout en travaillant chacun à leur façon, ont réalisé une activité cohérente et partagée. Grâce à ce besoin de connaître et faire connaître les actions entreprises, des échanges entre enfants sur les procédés de réalisation se sont développés dans le groupe.

Les contenus travaillés

Ces échanges ont entraîné tout le groupe dans une réflexion sur les rapports entre l'oral et l'écrit. Quand on veut « lire » sa production en montrant ce qu'on a écrit, quelles stratégies utiliser pour faire cor­respondre les gestes de l'index à ce qu'on articule ? Par là, Jennifer et Frédéric ont commencé à s'interroger sur la correspondance entre l'espace occupé par l'écrit sur le papier et le temps de l'émission orale. Ali et Salima, quant à eux, ont fait des prises de conscience spectaculaires sur le caractère fondamentalement grapho-phoné-tique de notre système d'écriture et ont entraîné progressivement Frédéric et Jennifer dans leur sillage.

Ce faisant, tous ont tourné autour d'une question linguistique fondamentale, celle de la double articulation du langage en unités non signifiantes et en unités signifiantes : comment se fait-il qu'un nombre limité de « morceaux », sans signification (syllabes ou

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Approches pédagogiques et didactiques

phonèmes), lorsqu'ils se combinent entre eux peuvent constituer une infinité d'unités signifiantes (des mots) ? La séquence que nous avons intitulée « avion » peut donner un aperçu de la façon dont les connaissances se travaillent à travers les dynamiques interactives qui se nouent et se développent dans ces ateliers.

ha séquence « AVION »

Cet épisode se situe environ dix minutes après le début de la séance. Il illustre de façon particulièrement claire le travail mental des enfants. Même si la réflexion n'est pas à tout moment aussi intense, les enfants développent la même démarche tout au long de la séance : ils s'emparent de l'un ou l'autre mot proposé par tel ou tel d'entre eux, l'examinent plus ou moins longtemps et en tirent ce qu'ils peuvent avant de passer au suivant.

Frédéric annonce : « J'vais écrire AVION ». Cette proposition fait immédiatement réagir Salima qui articule « A ! », avec emphase, en ouvrant grand la bouche, comme si elle prenait conscience de la façon dont on prononce le A qu'elle vient d'isoler et d'identifier dans la production sonore de Frédéric. Sur la lancée, elle trace A sur la feuille de Frédéric et commente : « C'esf comme ça un A ». Frédéric, qui a bien écouté et regardé Salima, et qui apprécie que celle-ci écrive A sur sa feuille, prend acte et s'installe pour écrire la suite : tenant compte de l'écrit de Salima, il complète par deux signes (trois signes lui paraissant la quantité adéquate pour transcrire un mot à ce moment de la séance).

Dans cet épisode, Salima a lié quatre aspects du A, qu'elle sait être le premier morceau de AVION : A est un son qu'on entend ; A se prononce en ouvrant tout grand la bouche ; A est le nom d'une lettre de l'alphabet, le A ; A est un signe qui a une forme qu'elle connaît. Ali, qui a suivi l'échange entre Salima et Frédéric avec grande attention, commente : « Comme mon prénom ça commence par un A ». Puis, un peu déstabilisé par toutes les propriétés du A qu'il perçoit simulta­nément -A commence AVION et aussi ALI, et aussi l'alphabet - , sans parvenir encore à les organiser en un ensemble cohérent et structuré, essaie de se rassurer sur ses propres savoirs : « C'esf comment un A ? C'est comme ça ? » et il trace la lettre. Jennifer, qui voudrait bien écrire, et qui cherche quoi écrire, résume la situation par rapport à l'action ; elle propose les deux mots dont on vient de parler : « On peut écrire Ali, on peut écrire avion ». En offrant ce choix, elle mani­feste qu'elle sent que ces deux mots ont des liens. Pour inclure Jennifer dans la réflexion de Salima et d'Ali, l'enseignant reprend sa

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proposition en y intégrant les préoccupations discutées : il met en relief la ressemblance phonétique entre les deux mots : « Oui, c'est vrai ! Écoute Jennifer : A-li, A-vion ». Salima, reprenant l'énumération initiée par Jennifer, allonge la liste d'un nouvel élément : « A...H, A...vion... alio, alio comme calot ». Ce faisant, Salima fait un pas de plus ; elle ne se contente plus d'identifier un « morceau » de mot, mais deux : le A et le O. Frédéric, qui a fini de tracer un « pseudo-mot » à l'aide de « pseudo-lettres » procède à la « lecture » de sa réali­sation : «A. . Won », articule-t-il, en séparant les syllabes.

Dans ce court extrait, on voit que, malgré les différences de niveau et à travers la diversité des modes d'appréhension des pro­blèmes, chaque enfant trouve pâture dans la dynamique du groupe. Chacun fait apparaître l'objet de connaissance sous certains aspects souvent inattendus pour les autres et qui éveillent leur intérêt. Chacun peut se saisir des matériaux générés par l'activité du groupe, au niveau où il le peut ou le veut, en fonction de sa propre réflexion et de son propre degré d'avancement dans le champ de connaissance tra­vaillé.

Conclusion

Le dynamisme et la joie communicative manifestés par les enfants dans ces séances de travail montrent que, tous ensemble, ils peuvent prendre plaisir à apprendre. L'analyse approfondie des données recueillies au cours de cette recherche (Hardy, Platone, 1992) montre que les enfants très jeunes, quelles que soient leurs différences, peu­vent construire ensemble des connaissances sur la langue écrite. La manifestation de leurs démarches nous renseigne sur les processus d'apprentissage. Ces résultats ont été obtenus parce que les éduca­teurs, s'appuyant sur la capacité à raisonner et le besoin de commu­niquer qui caractérisent les êtres humains, ont mis en place des conditions pédagogiques particulières qui incitent les enfants à déve­lopper leurs propres démarches d'apprentissage dans le cadre sco­laire.

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Approches pédagogiques et didactiques

Équipe de recherche

Marianne HARDY et Françoise PLATONE, CRESAS, INRP, et deux enseignantes associées (académie de Créteil)

Références bibliographiques

FERREIRO, E. (1988). « L'écriture avant la lettre ». In Sinclair, H. (éd). La production de notations chez le jeune enfant. Paris, PUF.

FERREIRO, E., GOMEZ-PALACIO, M. et alii (1988). Lire-écrire à l'école. Comment s'y apprennent-ils ? Analyse des perturbations dans les processus d'apprentissage de la lecture et de l'écriture. Texte français établi à partir d'une traduction de Vertrenelli M., revu par Besse, J.-M., de Gaulmyn, M.-M. & Ginet, D. Lyon, CRDR

SINCLAIR, H. (1992). « Changing Perspectives in Child Language Acquisition ». In Pufall, P. & Beilin, H.H. (Eds.). Piaget's theory : prospects and possibilities. Hillsdale, New Jersey, Lawrence Erlbaum.

STAMBAK, M., BALLION, M., BONICA, L, MAISONNET, R., MUSATTI, T., RAYNA, S. & VERBA, M. (1983). Les bébés entre eux. Paris, PUF.

STAMBAK, M., BALLION, M., BRÉAUTÉ, M. & RAYNA, S. (1985). « Pretend play and interaction in young children ». In Hinde, R.A., Perret-Clermont, A.N. & Stevenson-Hinde (J.). Social relationships and cognitive development. Oxford, Oxford University Press.

PIAGET, J. Psychologie et pédagogie. Paris, Denoël, édition de 1969.

PIAGET, J. (1973). Où va l'éducation ? Paris, Denoël/Gonthier (Coll. Médiations).

PIAGET, J. (1985). « Commentaire sur les remarques critiques de Vygotski ». In Vygotski, L.S., Pensée et langage. Paris, Éditions Sociales.

STAMBAK, M. & SINCLAIR, H. (Eds.) (1990). Les jeux de fiction entre enfants de 3 ans. Paris, PUF (Coll. Psychologie d'aujourd'hui).

VYGOTSKI, LS. (1985). Pensée et langage. Paris, Éditions Sociales.

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Lire et écrire à l'école primaire

Publications INRP

BRÉAUTÉ, M., BALLION, M., RAYNA, S. & STAMBAK M. (1987). Au jardin d'enfants, des enfants marionnettistes. Une recherche action. Paris, INRP/UHarmattan (Coll. CRESAS n° 5).

CRESAS (1987). On n'apprend pas tout seul. Interactions sociales et construction des savoirs. Paris, ESF.

CRESAS (1991). Naissance d'une pédagogie interactive, Paris, ESF éditeur/INRR

CRESAS (1992). Accueillir à la crèche, à l'école. Il ne suffit pas d'ou­vrir la porte. Paris, INRP/L'Harmattan (Coll. CRESAS n° 9).

HARDY, M., PLATONE, F. (1992). « Interactions en groupe et construction des savoirs : le cas de la langue écrite ». INRP, Repères, n°5.

HUGON, M.-A. & SEIBEL, C. (Eds.). (1988). Recherches impliquées, recherches-action. Le cas de l'éducation. Bruxelles, De Bœck-Wesmaël.

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Animations lecture et comportement de lecteur

Christian POSLANIEC

Une recherche pragmatique

Une année scolaire durant, dans dix classes de CM2 réparties dans cinq départements différents, les élèves ont tenu quotidienne­ment un « répertoire de lecture ». Il s'agissait de répertorier toutes les lectures des enfants (livres ou périodiques ; à l'école ou en dehors ; lectures achevées ou inachevées...).

Dans huit de ces classes, les trois mêmes animations lecture ont été introduites (et poursuivies ou non) par les enseignants ; les deux autres servant de classes témoins.

Pour permettre de croiser, contrôler et compléter les informations, d'autres outils ont été utilisés : tests de lecture en début et fin d'an­née ; entretiens avec les enseignants, entretiens avec des enfants, puis leurs parents ; questionnaires écrits ; répertoire des activités des enseignants en lecture...

Au terme de cette expérimentation, nous avons obtenu des docu­ments exploitables pour deux cents enfants.

Nous ne donnerons, ici, que quelques résultats globaux de cette recherche, en insistant plus particulièrement sur le rôle des anima­tions lecture.

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Lire et écrire à l'école primaire

Profils de lecteurs

Trois profils de lecteurs ont été caractérisés.

Les « déjà lecteurs » : dès le début de l'année ils lisent et, dans tous les genres, quantitativement, ce sont ceux qui lisent le plus. Ils lisent tout au long de l'année et leurs lectures sont éclectiques (ils essaient tout). Ils connaissent leurs propres goûts, les fonctions d'un livre, savent résumer clairement une histoire, ont une représentation et une pratique impliquée de la lecture.

Les « stagneurs » : ils n'achèvent pas la plupart des livres qu'ils commencent, et cela dure toute l'année. Quand ils parlent des livres, ils ne semblent pas faire la différence entre livres achevés et livres seulement commencés, comme si c'était équivalent. Leurs résumés de livres sont confus, leur représentation et leur pratique de la lecture ambivalentes.

Les « démarreurs » : au début de l'année leur comportement est similaire à celui des « stagneurs », mais leur comportement change quelques mois après la rentrée scolaire et ce changement est marqué par une période particulière durant un ou deux mois ; ils se mettent à lire en série des livres correspondant à une classe d'âge plus jeune comme s'ils cherchaient à vérifier leur compétence de lecteur, ou à faire le point sur leurs lectures passées. Après quoi leur mode de lec­ture ressemble à celui des « déjà lecteurs » : ils lisent davantage les livres jusqu'au bout, leur choix est beaucoup plus éclectique, et ils ne reviennent jamais sur les types de livres lus au moment du change­ment de comportement. Il sembie que ce dernier comportement cor­responde à un « projet de lecteur » en voie de constitution.

Compétence de lecteur et quantité de lecture

Tous les enfants ont été soumis à un test traditionnel extrait de « ATEL » (vitesse, compréhension) portant d'une part sur un texte de fiction, d'autre part sur un texte documentaire, en début et en fin d'année. Il s'agissait de vérifier s'il y avait un lien entre la compétence de lecteur et la quantité de lecture des enfants, comme de nom­breuses recherches antérieures le laissent supposer.

D'une façon générale, nous n'avons pas pu trouver de corrélation entre vitesse, compréhension, et quantité de lecture (par genre ; en prenant en compte le fait que les livres soient achevés ou non ; ou en prenant seulement en compte la totalité du nombre de pages lues) ; ni entre les variations aux tests (début et fin d'année) et la quantité de

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Approches pédagogiques et didactiques

lecture, sauf pour les plus petits lecteurs (moins de cinq cents pages lues dans l'année). C'est en effet dans ce groupe qu'on trouve le plus faible pourcentage de progrès en vitesse et en compréhension.

Ce qui laisse à penser qu'il y a un minimum de compétence tech­nique requis pour devenir lecteur mais, qu'au-delà d'un certain seuil, d'autres facteurs l'emportent sur la compétence technique.

Que lisent des enfants de CM2 ?

Diversité de leurs lectures

Les deux cents élèves qui ont fourni un matériel exploitable ont lu, tous genres confondus (albums, romans, documentaires, contes, bandes dessinées), 2 036 titres différents identifiables ; ce qui corres­pond, en fait, à 3 582 lectures complètes et à 1 107 lectures inache­vées. La moyenne de lecture annuelle, par enfant, est donc proche de 18 livres lus intégralement ; et, si l'on se réfère plutôt au nombre de pages lues, en moyenne, par chaque enfant (livres achevés ou inachevés), elle est de 1 685 pages.

Cela met en évidence la diversité des lectures, qui correspond sans doute à une diversité des goûts, et laisse supposer que, pour répondre à cette diversité, il faut faire une offre de lecture très diversi­fiée et abondante. D'autres aspects de la recherche le confirment.

Lecture spontanée des « classiques »

Spontanément, les enfants lisent des « classiques » quand ils ont accès à de nombreux livres variés. Plus précisément, ils ne paraissent pas faire la différence entre des livres dits classiques et des livres contemporains. 65 titres « classiques » (en version intégrale) ont été répertoriés. La plupart n'ont été proposés ni au cours d'une anima­tion lecture, ni dans le cadre d'une « lecture suivie ». Ces 65 titres ont été lus intégralement par 132 enfants (29 fois seulement à la suite d'une animation lecture ou en « lecture suivie »), et commencés mais laissés inachevés par 106 enfants (16 fois seulement à la suite d'une animation lecture ou en « lecture suivie »).

Parmi ces titres « classiques » on trouve treize livres de la com­tesse de Ségur, trois livres de Curwood, trois livres de London, et, entre autres : >A//ce au pays des merveilles, Knock, L'île au trésor, Le blé en herbe, Le vieil homme et la mer, Tom Sawyer, Les fourberies de Scapin, Les quatre filles du Docteur March, Les trois mousquetaires, Lettres de mon moulin, etc.

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Répartition par genres

50,6 % des titres figurant dans les répertoires de lecture des enfants sont des romans ; 15,5 %, des bandes dessinées ; 14,7 %, des albums de fiction ; 7,2 %, des documentaires ; 5,3 %, des contes ; 3,9 % des livres interactifs ; 2,7 %, des albums documen­taires.

La fiction l'emporte donc largement puisque la somme des romans, des albums non documentaires et des contes donne un total de 70,6 % des titres cités (68 % des lectures complètes).

À la fin de l'année scolaire, tous les enfants ont rempli un ques­tionnaire qui contenait notamment cette question : « Parmi tout ce que tu as lu cette année, quels sont tes trois titres préférés ? » Le classement par genres, pour ce choix volontaire des enfants, est le même que précédemment (à l'exclusion des documentaires qui pas­sent de la quatrième à la sixième position, avec seulement 2,8 % de choix), mais les écarts sont accentués, et le total des livres de fiction choisis se monte à 81,4 % des réponses.

Animations lecture

Nous avons repéré, à partir des répertoires d'activités de lecture pratiquées par les enseignants, les livres ayant été présentés en classe au cours d'une animation lecture, antérieurement à leur lecture par les enfants ; et ceux lus en « lecture suivie ».

Une animation lecture peut se définir ainsi : - c'est une activité de médiation culturelle entre des livres et des

enfants, destinée à réduire l'écart physique, et/ou culturel, et/ou psy­chologique entre les deux ;

- la nature de la médiation exclut l'obligation de lire imposée par un adulte ayant autorité sur les enfants. Elle consiste au contraire à créer une motivation incitant les enfants à aller vers les livres, les ouvrir, les lire, les terminer ;

- les deux principales motivations créées par la médiation sont : - une motivation ludique. Dans ce cas les livres sont proposés aux enfants dans le cadre d'un jeu dont la première règle est qu'il est nécessaire de lire ; des livres pour jouer. Mais néces­sité n'est pas obligation ; - une motivation responsabilisante. Dans ce cas les livres sont proposés aux enfants dans le cadre d'une activité sociale leur confiant une responsabilité vis-à-vis d'autres personnes

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Approches pédagogiques et didactiques

(enfants plus petits, faibles lecteurs, non-voyants, clientèle d'une librairie, etc.) ;

- s'appuyant principalement sur la motivation, la médiation n'im­pose pas de titre particulier. Au contraire, elle s'efforce de proposer un choix de livres vaste et diversifié.

Les enseignants de huit des dix classes en expérimentation ont reçu une courte fiche descriptive d'une page sur trois animations, à charge pour eux de les mettre en œuvre aux dates indiquées. Ces trois animations peuvent se définir en quelques mots1.

« Des grands lisent à des petits » ; animation « responsabilisante », elle consiste à proposer aux élèves d'aller lire des albums à des enfants de maternelle, qui eux ne savent donc pas lire. Les élèves choisissent eux-mêmes les albums en bibliothèque, et s'entraînent seuls à les lire à haute voix. Comme il s'agit d'albums pour les plus jeunes, même les enfants qui lisent le moins bien n'ont aucune diffi­culté de lecture. Mais comme ils sont motivés par la responsabilité qui leur est confiée vis-à-vis d'enfants plus jeunes, ils lisent de nom­breux albums pour en choisir un ou deux, alors que quand on leur propose de lire ces albums sous prétexte qu'ils correspondent à leur niveau de maîtrise de la lecture, ils les rejettent : « C'est pour les bébés ! »

« Le point commun » : animation « ludique » consistant à propo­ser aux enfants une centaine de livres regroupés en une dizaine de piles distinctes. On leur dit que tous les livres d'une même pile ont un point commun, sauf un, qui est l'intrus. Le point commun peut concerner des aspects très divers : un prénom dans le titre, un genre, l'illustration en noir et blanc ou en couleurs, le lieu où se déroule l'ac­tion, les personnages, le narrateur en « je » ou à la troisième per­sonne, etc. Les enfants jouent par petits groupes et s'efforcent de trouver le point commun, ce qui leur fait découvrir tous les livres de la pile. Quand la solution est trouvée, chaque enfant peut choisir un livre à emporter, pour le lire.

« La ronde des livres » : animation consistant à présenter aux enfants des livres qu'ils ne connaissent généralement pas. Un adulte - au début du moins car, par la suite, les enfants prennent souvent le relais - présente une dizaine de livres de diverses manières : en résu­mant l'histoire, en parlant d'un personnage, en montrant les images,

1. Pour plus de précisions sur les animations lecture, voir : Christian POSLANIEC : Donner le goût de lire, Sorbier, 1990 ; et De la lecture à la littérature, Sorbier, 1992.

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Lire et écrire à l'école primaire

en disant ce qu'il en pense, en précisant même pourquoi il ne l'aime pas, etc. Après chaque présentation, l'animateur demande : « Quelqu'un veut-il le lire ? » et il est rare qu'il n'y ait pas de volon­taire.

L'introduction de ces animations n'avait pas pour objectif de com­parer l'efficacité des différentes animations, ce qui d'ailleurs n'aurait pas été possible puisque chaque enseignant mettait en œuvre une pédagogie de la lecture différente, certains recourant déjà à des ani­mations, d'autres à des lectures suivies, et les autres pratiquant des activités plus conventionnelles, à partir de manuels scolaires. L'objectif était de repérer des différences dans la quantité de lecture des enfants, en rapport avec les animations. Toutefois, une animation ponctuelle ne semble guère avoir d'influence. C'est seulement quand elle est répétée régulièrement (ou quand différentes animations se succèdent) que l'efficacité se fait sentir.

Influence des animations lecture sur la quantité de lecture

Pour comparer les dix classes en expérimentation, nous avons effectué un classement en fonction de la quantité de lecture. Mais selon le paramètre retenu, les classements peuvent varier. Nous en avons donc effectué quatre successifs, l'un selon la moyenne de romans lus intégralement dans chaque classe, le second selon la quantité de pages de romans lus intégralement, le troisième selon la moyenne de livres lus intégralement, tous genres confondus, le der­nier, selon la moyenne de pages lues par élève, tous genres confon­dus, et que les livres aient été finis ou non.

On a constaté alors qu'il était possible de répartir les classes en trois groupes :

- les quatre classes qui sont systématiquement en tête : SA, HB, AB, SB ;

- les quatre classes en position médiane : LA, AA, LB, GB ; - les deux classes en dernière position : HA, GA.

Or les quatre classes du premier groupe sont celles où le maxi­mum de livres ont été présentés en animation antérieurement à leur lecture (de 15 à 45 %) et aucune lecture suivie n'y a été pratiquée. Dans les quatre classes du second groupe, les livres lus ont été préa­lablement proposés en animation dans 0,5 à 12,5 % des cas, et la lecture suivie pratiquée dans deux classes. Dans le troisième groupe de deux classes, la lecture suivie a été dominante et les animations rares ou inexistantes.

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Approches pédagogiques et didactiques

En ce qui concerne les deux classes qui ont le moins lu, l'une, la classe HA, n'a pas pratiqué du tout d'animation lecture. C'était l'une des deux classes témoins. Quant à la classe GA, elle présente cette particularité que les trois animations introduites par l'enseignant paraissent n'avoir eu presque aucun effet. Il faut dire qu'elles n'ont été pratiquées qu'une seule fois chacune, comme des événements étrangers au cursus scolaire normal, l'enseignant préférant pratiquer la lecture suivie.

Dans l'autre classe témoin, l'enseignant a pratiqué spontanément des animations et, comme on peut le constater, elle se situe au milieu pour les différents classements.

Il faut préciser également que, dans la classe où les enfants ont le plus lu, l'instituteur a introduit, tout au long de l'année, de courtes animations (ne dépassant généralement pas dix minutes par jour), outre les trois proposées dans le cadre de l'expérimentation. Nous avons pu en répertorier une vingtaine de sortes.

D'ailleurs, au cours des entretiens réalisés avec les enfants, beau­coup d'entre eux ont précisé qu'ils avaient découvert, au cours d'une animation, le livre qu'ils étaient en train de lire ou le dernier livre qu'ils avaient lu. En voici quelques exemples provenant de classes diffé­rentes (chaque enfant est codé par trois lettres).

ABH, parlant du livre Les étoiles cachées : « Ben c'est ma maman qui me l'a acheté parce que en classe on présentait des livres [ronde des livres animée par les enfants]. On présentait des livres, et puis il y a une copine qui l'a présenté, puis ça m'a donné envie de le lire ; alors j'ai demandé à ma maman qu'elle me l'achète. »

HBG, parlant du livre Chilly Billy, le petit bonhomme du frigo : « Quand elle l'avait raconté, Ouafia [ronde des livres animée par les enfants] c'était assez passionnant, et alors elle avait pas dit toute l'his­toire, alors je voulais la finir. »

LBK déclare qu'il lit Le petit Nicolas, découvert au cours d'un « point commun ».

Et LAF précise qu'il s'est inscrit à la bibliothèque municipale à la suite d'une animation [ronde des livres animée par un adulte] : « Il y a Françoise, de la bibliothèque, elle était venue nous faire voir des livres ... puis elle nous a emmenés à la bibliothèque. ... J'ai demandé à ma mère si elle pouvait m'inscrire. » En outre, c'est contagieux, car LAF poursuit : « J'y ai été, puis après j'ai emmené ma sœur. Elle a pris une carte. Puis après mon frère voulait s'inscrire, alors on l'a inscrit. »

Il ne paraît donc pas hasardeux d'avancer l'hypothèse que les ani­mations lecture ont un effet positif sur la quantité de lecture des enfants, à tout le moins.

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Lire et écrire à l'école primaire

Équipe de recherche

Christian POSLANIEC, responsable, et cinq psychologues, ensei­gnants ou formateurs associés (académies de Lyon, Nantes, Strasbourg, Versailles).

Références bibliographiques

BHALOUL, J. (1988). Lectures précaires. Étude sociologique sur les faibles lecteurs. Paris, BPI - Centre Georges-Pompidou.

BARTHES, R. (1973). Le plaisir du texte. Paris, Le Seuil.

BENOIT, J.-R, GUIMARD, R, LEMEUR, G. (1992). Les grillons ou comprendre un récit à l'école. Nantes, CRDR

CHARTIER, A.-M., HÉBRARD, J. (1989). Discours sur la lecture (1880-1980). Paris, BPI - Centre Georges-Pompidou.

DE SINGLY, F. (1989). Lire à 12 ans. Une enquête sur les lectures des adolescents. Paris, Nathan.

HAMBURGER, K. (1986). Logique des genres littéraires. Paris, Le Seuil.

POULAIN, M. (dir.) (1988). Pour une sociologie de la lecture. Lectures et lecteurs dans la France contemporaine. Paris, Cercle de la Librairie.

FAYOL, M. (1985). Le récit et sa construction. Une approche de psy­chologie cognitive. Genève, Delachaux et Niestlé.

FIJALKOW, J. (1986). Mauvais lecteurs, pourquoi ? Paris, PUF.

LAFARGE, C. (1983). La valeur littéraire. Figuration littéraire et usages sociaux des fictions. Paris, Fayard.

PRIVAT, J.-M., REUTER, Y. (dir.) (1991). Lectures et médiations cultu­relles. Lyon, PUL.

THALER, D. (1989). Était-il une fois ? Littérature de jeunesse : pano­rama de la critique. Toronto, Éditions Paratexte.

ZAVIALOFF, N. (dir.) (1990). La lecture. Paris, L'Harmattan.

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Des conditions pour devenir lecteur

Yvanne CHENOUF, Jean FOUCAMBERT, Michel VIOLET

Enseignement et usage de l'écrit

Nous partirons d'une recherche conduite autour des années 80 sur une soixantaine d'écoles expérimentales et qui a notamment per­mis de décrire le « budget-temps » des enfants de cours préparatoire. De l'observation directe de l'activité de l'enfant et de la caractérisa-tion des séquences longues dans lesquelles le groupe auquel l'enfant appartient est engagé, et pour ce qui concerne la lecture, il apparaît que :

- un enfant de CP, tous types de lecture confondus, lit pendant 5 % du temps scolaire soit 18 minutes par jour ou 46 heures par an ; - 22 % du temps scolaire de l'enfant sont employés dans des séquences de lecture soit 200 heures par an (80 minutes par jour) qui se répartissent en :

- 180 heures (71 minutes par jour) de séquences d'enseigne­ment (dont 43 heures par an, soit 17 minutes par jour, consa­crés à un travail sur les sons), - 20 heures par an (8 minutes par jour) qui sont des moments où il lui est possible de lire (BCD, correspondance...) ;

- une très petite quantité de recours à l'écrit (1,5 % d'actes de lecture) dans les activités qui « ne sont pas de lecture » ; - les temps de recours à l'écrit pendant les séances consacrées de manière spécifique à l'écrit sont de :

- 12 % dans les exercices de lecture, - 16 % pendant les séances d'études de sons, - 17 % pendant les leçons de lecture, - 22 % pendant les séquences d'exploration d'un texte ;

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Lire et écrire à l'école primaire

- les variations selon les classes sont extrêmement importantes puisque :

- le temps global de lecture (46 heures par an de moyenne) varie de 26 heures par an (10 minutes par jour) dans certaines classes à 85 heures par an (33 minutes par jour) dans d'autres ; - dans une classe, on a noté que l'instituteur est à l'origine de 15 % des interactions de l'enfant avec l'écrit (le reste des ren­contres relevant d'une activité fonctionnelle) alors que dans une autre 90 % des actes de lecture s'inscrivent dans une démarche de l'enseignant.

On part donc de l'hypothèse que c'est l'ensemble des activités scolaires qui crée les conditions d'exercice et d'apprentissage du rapport à l'écrit et que les « leçons de lecture » sont des moments d'aide pour structurer les processus qui sont à l'œuvre ailleurs. Le centre de gravité n'est pas dans la méthode mais dans l'interaction entre les investissements méthodiques et les usages fonctionnels qui doivent être intégrés à la plus grande diversité des situations.

S'il y a déficit aujourd'hui, c'est bien dans cette relation. On consacre un temps considérable (à faible rendement) à construire des mécanismes qui n'ont pas d'emploi dans la vie même de la classe. Et ce déficit pénalise de manière spécifique les enfants qui ne peuvent rencontrer l'usage de l'écrit qu'à l'école du fait de son absence dans le milieu familial ou social.

Première proposition

Il s'agit donc de se comporter dans l'organisation de l'école et la conduite de toutes les activités comme on le ferait si les élèves savaient lire. Ne pas réduire le besoin de l'écrit à leur état actuel de savoir lire mais anticiper largement sur son développement de telle façon que la « leçon de lecture » apporte une réponse et fasse pro­gresser dans des pratiques existantes. En cela, l'organisation de l'école en cycles hétérogènes où vivent ensemble des enfants de GS, CP et CE1 se révèle particulièrement efficace.

La bibliothèque centre documentaire

L'observation du budget-temps montre la forte densité de lecture à la BCD par comparaison avec les autres temps de vie de l'écolier (37 % du temps en BCD - toutes activités confondues - sont consa­crés par l'enfant à une activité réelle de lecture).

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Approches pédagogiques et didactiques

On rejoint ainsi les présupposés des recherches-actions dans les­quelles l'INRP a investi beaucoup d'efforts (cf. l'unité « organisation générale de l'école élémentaire » devenue « didactique des apprentis­sages de base » ; le travail de Jean Hassenforder et Odile Chesnot-Lambert ; l'apport de Geneviève Patte et de la Joie par les Livres). Il s'agit de créer les conditions d'une véritable politique de lecture à l'échelle de l'école. Ce qui a été expérimenté tente de mettre en œuvre deux principes :

- des activités doivent se dérouler en permanence à la BCD ; - tous les élèves doivent organiser leur emploi du temps dans

leur propre classe pour pouvoir s'engager dans les activités program­mées à la BCD.

On peut en déduire trois conséquences : - la BCD ne s'ajoute pas aux classes d'une école mais les trans­

forme ; - la BCD est un équipement de l'entreprise école qui permet à

chacun de produire collectivement son savoir mais cet équipement est intégré au réseau des équipements collectifs du quartier et tra­vaille avec eux. Elle est le lieu dans l'école où enfants et coéduca-teurs vont participer à la vie de l'écrit dans le quartier ;

- la BCD se distingue néanmoins de tous les autres lieux de lec­ture publique dans la mesure où elle est d'abord l'outil de l'école dans son projet d'aider les enfants à apprendre à lire, c'est-à-dire à développer une culture de l'écrit. La BCD est au service de cette lec-turisation, un moyen de découvrir les usages sociaux de l'écrit à tra­vers l'observation de la production éditoriale. C'est moins un lieu de prêt et de lecture, de sensibilisation et d'animation, qu'un lieu de for­mation explicite du lecteur, non un lieu de mise en condition du consommateur mais un lieu d'exercice de la culture critique, de la lecture savante. C'est un lieu d'étude de la littérature jeunesse en général et, du fait du caractère généraliste de l'école maternelle et élémentaire, la principale (si ce n'est la seule) occasion pour un jeune d'aborder un phénomène de cette ampleur au cours de sa scolarité.

Deuxième proposition

Les enjeux des BCD justifient un important effort matériel mais surtout de formation afin que les équipes d'école s'emparent réelle­ment de cette institution pour en faire la pierre angulaire d'une poli­tique cohérente du rapport à l'écrit sur la continuité des trois cycles.

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Lire et écrire à l'école primaire

Le perfectionnement de la lecture

Au-delà de la querelle des méthodes d'apprentissage initial de la lecture, la question urgente se pose de son perfectionnement au cycle 3. Parallèlement à un travail méthodique d'entrée dans les rai­sons et les réseaux de la culture écrite et de maîtrise des outils d'une lecture savante, la simple question de l'entraînement des gestes techniques de la lecture apparaît primordiale. L'unanimité semble faite aujourd'hui sur le fait que la lecture experte emprunte la voie directe et met en œuvre des processus idéo-graphiques. Or, les méthodes de l'enseignement initial prennent appui dans leur quasi-totalité (pour des raisons que nous ne développerons pas ici) sur l'ap­prentissage de la voie indirecte qui intercale une médiation phonolo­gique entre « l'idéo » et le « graphique ». De l'aveu même des dernières recommandations ministérielles, le passage nécessaire de la voie indirecte qu'emprunte l'apprentissage, à la voie directe qu'em­prunte la lecture experte, reste un événement mystérieux qui échappe à l'enseignement. Et qui échappe également à une très forte proportion d'élèves si on en juge à leurs performances ! Ce passage se fait mal, voire ne se fait pas.

Depuis 1980, en liaison avec d'autres chercheurs du service des technologies nouvelles de l'INRR nous avons expérimenté puis géné­ralisé un logiciel (ELMO) qui apporte une aide efficace pour emprunter la voie directe et constitue un véritable entraînement aux aspects techniques de la lecture. Son principe consiste, en contrôlant grâce à l'informatique, la vitesse et l'ampleur des empans présentés, à mettre en déroute le recours à la médiation phonologique qui se caractérise à la fois par sa lenteur et l'étroitesse des fixations oculaires. Les effets de cet entraînement ont été évalués dans les contextes les plus variés et donnent des résultats significatifs et durables.

Résultats aux tests d'entrée et de sortie de 1 200 personnes après un entraînement moyen de 20 heures

entrée

sortie

%

vitesse

8 970 mots/h

13 870 mots/h

+ 55 %

compréhension

61

68

+ 11,5%

efficacité

33,7

54,2

+ 61 %

En ne considérant que l'efficacité de lecture : - 28 % ont franchi un seuil d'efficacité qui permet de parler de

lecture ; - 12 % sont entrés dans une zone de réelle efficacité.

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Approches pédagogiques et didactiques

Troisième proposition

Poursuivre les apprentissages techniques au cours du cycle 3 afin de permettre à tous les élèves de traiter l'écrit par la voie directe.

Les classes-lecture

Les tentatives de mise en œuvre des deux propositions précé­dentes se heurtent fréquemment à deux obstacles. Le premier vient du fait que les actions à entreprendre s'intègrent difficilement à un fonctionnement inchangé de la classe, du moins à leur début, et il apparaît que leur démarrage nécessite un minimum d'intensité et de continuité afin de créer une sorte de masse critique qui modifie dura­blement ensuite, pour les maîtres et les élèves, la nature des réac­tions. Le second trouve son origine dans un manque d'expérience des enseignants à travailler en équipe, notamment autour d'un projet d'école comme la BCD dont le démarrage, si on veut en voir les effets immédiatement et continuer à s'en servir, requiert une formation théo­rique et pratique supérieure à celle existant actuellement en ce domaine.

C'est pourquoi l'idée s'est imposée de consacrer à la lecture/écri­ture des stages intensifs de deux à trois semaines destinés simulta­nément aux élèves et aux enseignants, stages conçus sur le principe des classes transplantées.

Au cours de cette formation intensive, sont regroupées dans un même lieu l'essentiel des conditions qui permettent à un enfant de devenir lecteur. L'activité des enfants porte sur les aspects suivants :

- un perfectionnement des techniques de lecture avec un accom­pagnement théorique ;

- une découverte de la littérature de jeunesse et des réseaux qui la portent ;

- une appropriation des techniques de documentation et de la gestion d'une BCD ;

- une exploration des écrits liés aux différentes disciplines ; - la production d'écrits en particulier d'un journal quotidien ; - des actions de promotion de la lecture à destination de l'envi­

ronnement. Quant aux enseignants, ils se forment ainsi à la transformation de

l'organisation générale de l'école et de la classe. D'où la création de centres de classes-lecture avancée dans les propositions du rapport Migeon et dont l'unité « didactique des apprentissages de base » a suivi, de fait, l'implantation sur le terrain.

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Lire et écrire à l'école primaire

Le principe de stages intensifs peut, indépendamment d'un séjour dans un centre de classes-lecture, être repris dans une école ou un établissement. Au collège, ce type d'action prend la forme de deux stages intensifs de lecture d'un mois chacun (au cours de la 6e) impli­quant l'ensemble des élèves et des professeurs, stages pendant les­quels il n'y a pas cours au sens habituel mais qui développent chez les élèves les moyens de travailler plus rapidement et de rattraper le « retard » pris dans l'avancement du programme.

Quatrième proposition

Développer, dans des centres départementaux ou dans les éta­blissements, le principe de stages intensifs de lecture/écriture où se forment simultanément les élèves et les enseignants.

Activités et performances

Dans la recherche en cours sur l'apprentissage initial de la lecture, nous nous sommes efforcés de quantifier cinq grandes familles d'ac­tivités qui traversent nécessairement toute mise en œuvre pédago­gique afin de voir leurs relations avec les niveaux de performances.

Rencontre avec des textes en situation

Il s'agit du temps passé à la première rencontre avec un texte pour le découvrir, l'explorer, le comprendre, soit :

- en vue d'une utilisation immédiate (en avoir pris connaissance, s'en servir pour « générer » de l'action, de l'émotion, etc.) ;

- en vue d'une sensibilisation avec l'objet écrit qui servira ulté­rieurement de support aux activités d'observation de la langue, de démontage et d'analyse.

Analyse de textes

Au-delà de l'investigation initiale qui a permis de leur attribuer une première signification, les textes perdent leur aspect « outils de la communication écrite » pour être envisagés comme des « objets lin­guistiques » qui vont être étudiés sous différents aspects : séman­tiques et lexicaux, textuels, syntaxiques, grammaticaux, orthogra­phiques, etc.

Entraînement-Exercice

Il s'agit de tout ce qui « travaille » les aspects techniques de la lecture et de son apprentissage mais, à la différence de la famille précédente, indépendamment du travail sur les textes, même si les

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Approches pédagogiques et didactiques

unités linguistiques manipulées ici en sont plus ou moins directement issues. La variété de ces activités est grande ; outre un travail sur le code graphique, on trouve dans cette famille des exercices de discri­mination visuelle, d'anticipation, de recherche rapide d'information, etc. C'est aussi là qu'on trouverait l'enseignement de la correspon­dance entre graphèmes et phonèmes dans les classes où on la pra­tique.

Acculturation

C'est l'ensemble des activités qui permettent de rencontrer le monde de l'écrit produit en dehors de l'école (littérature de jeunesse, presse, documentaires...) et de tisser progressivement des liens entre toutes ces facettes afin de créer les conditions d'une authentique culture de l'écrit. Gestion de la BCD, présentation et analyse de livres, lecture suivie ou intégrale d'ouvrages, rencontre avec des profession­nels, sont quelques-uns des moments forts de cette famille qui déplace souvent son centre de gravité de la classe vers l'école elle-même à travers la BCD.

Hcriture

On peut regrouper ici la production ou la reproduction de tout type de texte, qu'il s'agisse donc d'une écriture individuelle, d'ateliers ou de « leçons » d'écriture, d'activités de copie ou de calligraphie...

L'observation du fonctionnement de classes à travers la réparti­tion de leurs activités-lecture entre ces cinq grandes familles permet de construire un espace où trouve à se situer toute classe réelle et dans lequel peuvent être projetés les éléments d'évaluation.

Rencontrer / un usage

(fonctionnalité-culture) 1

Prendre appui sur le texte comme support d'analyse

G 1 \ ^ ^ _

l " \ _

^ ^ ^ G 2

i l Apprendre • i une technique I / (exercice entraîneraient)

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Lire et écrire à l'écoie primaire

L'axe horizontal se construit sur l'opposition entre, à gauche, le temps passé à une familiarisation avec l'écrit social et la rencontre des textes en situation, quelque chose donc qui privilégie une culture de l'écrit, et, à droite, le temps consacré au travail systématique, aux exercices et à l'entraînement. L'axe vertical, indépendant du premier, témoigne, quant à lui, du rôle attribué aux textes pour les nécessaires investissements techniques. Il s'agit, en haut, de classes qui utilisent les textes rencontrés pour construire, à travers leur fonctionnement, quelque chose du système de la langue ; et cette démarche s'oppose aux classes qui introduisent une progression technique a priori, indé­pendamment des textes rencontrés, soit qu'elles en rencontrent peu, soit que la rencontre se limite à l'exploration du sens sans approfon­dissement systémique. Ce qui est en débat dans cet axe, c'est, pour les uns, l'idée que le système de l'écrit se rencontre et se construit pour chaque enfant à travers la théorisation de ses pratiques de lec­ture, pour les autres, ce système préexiste et est connu de l'adulte qui choisit une stratégie et une progression pour le transmettre, les textes n'étant alors que des prétextes ou des occasions d'application.

Cinquième proposition

Il importe de dépasser l'habituelle réduction de la pédagogie de la lecture à une question de méthodes et de développer des recherches qui prennent en compte l'ensemble des facteurs susceptibles d'inter­venir dans la qualité des résultats.

Équipe de recherche

Département Didactiques des disciplines. Unité Didactique des apprentissages de base. Jean FOUCAMBERT, Yvanne CHENOUF, Michel VIOLET, chargés de recherche. Enseignants associés : environ 60 instituteurs et professeurs dans toute la France et notamment dans les académies de Paris, Créteil, Nice, Marseille, Lille, Clermont-Ferrand, Grenoble, Bordeaux.

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Approches pédagogiques et didactiques

Références bibliographiques

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GOODY, J. (1979). La raison graphique. Paris, Éditions de Minuit.

VYGOTSKI, L. (1985). Pensée et langage. Éditions Sociales.

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Page 74: lire écrire au primaire

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Construire progressivement, grâce à des écrits successifs, l'idée d'expérience scientifique (début de sixième). Extrait de : M. Szterenbarg, « Élaborer l'idée d'expérience », ASTER n°12 (1991), L'élève épistémologue.

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Formation de compétences de lecture et d'écriture intégrée

à la formation scientifique

Anne VÉRIN

Les compétences langagières interviennent dans les apprentis­sages et l'évaluation des acquisitions pour toutes les disciplines. Or les demandes varient d'une discipline à l'autre et les élèves doivent apprendre à y répondre de façon adaptée dans les différents contextes d'apprentissage pour réussir à l'école.

Par ailleurs, la production et le traitement d'écrits jouent un rôle fondamental dans la conceptualisation scientifique. La relation forte entre les idées et leur traduction matérielle au travers des différentes formes de graphismes, fait qu'un travail sur l'écriture est aussi l'occa­sion d'un travail sur les systèmes et outils de pensée.

Pour ces deux raisons, l'apprentissage de compétences de lec­ture et d'écriture a toute sa place dans l'enseignement scientifique.

Caractérisation des textes lus et produits par les élèves en classe de sciences

L'enseignement scientifique utilise une diversité d'écrits. Pour brièvement caractériser les différences en sciences, on peut noter deux spécificités importantes. D'une part, les écrits combinent sou­vent textes et images (de la photographie au schéma) qui jouent un rôle complémentaire dans les informations qu'ils apportent et dans les mises en relation qu'ils permettent. D'autre part, ils articulent fré­quemment des séquences de textes descriptifs et de textes explica­tifs pour produire une interprétation de faits, et cette articulation ren­voie à la relation entre théorie et expérience ou observation.

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Page 76: lire écrire au primaire

Lire et écrire à l'école primaire

Ces écrits, qu'ils soient lus ou produits par les élèves, sont des moyens par lesquels passe la construction de connaissances.

Dans des phases d'investigation comme dans des phases de structuration, l'utilisation de documents provenant de sources exté­rieures ou créés par les enseignants peut jouer différents rôles : de motivation, en attirant l'attention sur certains problèmes ; d'orienta­tion des activités, en ouvrant des pistes de questionnement plus spé­cifiquement scientifiques ; de guidage et d'approfondissement, en proposant aux élèves un questionnement qui enrichit leur travail, des exigences méthodologiques ; d'information, en réponse à leurs ques­tions ; de mise en forme, en proposant des techniques, des outils graphiques ou des critères ; d'évaluation, permettant de faire le point sur les acquisitions.

La production par les élèves d'écrits en sciences occupe une place limitée dans les pratiques courantes à l'école primaire. Il s'agit de résumés du cours - mais ils sont plus souvent dictés par l'ensei­gnant que produits par une élaboration collective ou individuelle ; de réponses à des questions d'exercice ; parfois de comptes rendus de visite ou d'activité ; enfin de réponses à des questions d'évaluation. Ces écrits sont souvent courts (des moitiés de phrases ou des phrases, de très courts paragraphes) et doivent donner la bonne réponse qu'elle soit trouvée ou restituée.

Les pratiques de type constructiviste attribuent des rôles plus diversifiés à la production d'écrits. Les textes rédigés qui rendent compte d'une activité, formalisent des connaissances acquises, résument des informations tirées de documents ou d'un cours, sont commandés par des exigences portant sur la forme (lisibilité) et sur le contenu (exactitude, pertinence). À côté de ces textes expositifs, sont produits des écrits que l'on peut qualifier d'instrumentaux, parce qu'ils sont commandés par les nécessités de la tâche. Ils sont moins codifiés, moins systématiquement socialisés, mais tout à fait détermi­nants pour l'apprentissage. Nécessaires pour organiser les activités manipulatoires et en garder des traces, ils prennent des formes variables, tels le texte court écrit pour soi-même, la notation écrite ou graphique de résultats, le schéma de montage, où le caractère fonc­tionnel prime sur le caractère communicable. Ils répondent à des fonctions d'outil de prévision, de mémoire, d'outil de communication ou de confrontation des idées. Les mêmes écrits peuvent se retrouver pour des activités d'observation ou de lecture documentaire.

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Approches pédagogiques et didactiques

Repérage des compétences langagières en jeu dans les situations d 'apprentissage scolaire scientifique

L'analyse de la diversité des modes de raisonnement des élèves en relation avec les caractéristiques des textes et des graphismes et les tâches d'apprentissage définies s'est nourrie d'apports venant d'autres disciplines, en particulier les théories linguistiques et les données psychologiques sur la métacognition. Elle a porté plus parti­culièrement sur la lecture de textes documentaires et sur la produc­tion de comptes rendus scientifiques.

Caractériser et utiliser à bon escient différents types d'écrits

La variété des écrits qui interviennent dans l'enseignement scien­tifique met en jeu des compétences d'identification et de production de différents types de textes et de graphismes. La connaissance des caractéristiques des différents langages et de leurs potentialités et limites dans un contexte scientifique est un point d'appui pour savoir juger de la pertinence de telle forme d'écrit par rapport à sa fonction scientifique ; pour choisir le traitement approprié (par exemple lecture sélective orientée par une question pour un texte d'information) ; pour mettre en forme l'écrit.

Les élèves sont amenés, par exemple, à différencier comptes ren­dus et récits, et à prendre conscience des possibilités différentes qu'offrent textes et graphismes.

Maîtriser l'organisation d'ensemble des textes

La combinaison de textes et d'images, fréquente dans les docu­ments scientifiques, rend encore plus nécessaire la mise en œuvre de compétences - nécessaires dans tous les cas - de repérage de l'or­ganisation générale du document utilisé. Les élèves ont souvent des difficultés à utiliser les facilitateurs techniques qui aident au manie­ment d'un ouvrage (sommaires, index, lexiques, codes de couleur et codes typographiques) et qui sont des outils pour la recherche d'in­formations. Parallèlement, on s'aperçoit qu'ils comprennent mal ce qu'est un plan, et ne savent pas facilement retrouver l'organisation et la hiérarchisation des notions.

Des difficultés analogues relatives à la micro et à la macroplanifi­cation des textes ont pu être caractérisées dans une étude portant sur les processus rédactionnels d'élèves de cinquième. Elles sont apparues liées à une insuffisance d'articulation du modèle explicatif aux phénomènes observés.

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Lire et écrire à l'école primaire

Conduire consciemment son activité de lecture et d'écriture

Les élèves ont besoin de se construire une représentation cor­recte de la tâche de lecture ou d'écriture, qui leur permette de perce­voir le sens de l'activité et de se fixer un but adapté, de mobiliser les connaissances et les procédures pertinentes, et de planifier et de réguler les actions par rapport au but. Les connaissances relatives aux types d'écrits interviennent ici, mais aussi les connaissances relatives à la tâche scientifique, incluant ses aspects conceptuels, ses aspects méthodologiques et ses aspects sociaux.

Principes pour une formation de compétences de lecture et d'écriture en sciences

Les travaux sur le développement de compétences linguistiques s'inscrivent dans le cadre d'un modèle d'enseignement constructi-viste. Celui-ci accorde la priorité non pas à la transmission de connaissances factuelles mais à la construction par les élèves de savoirs conceptualisés, en réponse à des problèmes. Il donne à l'élève un rôle actif dans la construction de ses connaissances et nécessairement en même temps de ses méthodes de travail et d'ap­prentissage.

Ce modèle nous a conduits à développer plus particulièrement deux axes :

- l'insertion des apprentissages linguistiques dans le contexte de tâches scientifiques où elles sont mises en jeu, en faisant porter la formation sur le caractère fonctionnel des langages ;

- l'explicitation avec les élèves des critères de réussite, et la prise de conscience par les élèves de leurs démarches de lecture, d'écri­ture et de raisonnement scientifique, comme des aides à la prise en charge de leur propre apprentissage.

L'élaboration et l'expérimentation de situations didactiques à l'école primaire et au collège ont permis l'exploration d'une variété de possibilités et l'étude de leur faisabilité, en fonction des contraintes didactiques qui s'imposent aux acteurs. Des analyses comparatives nous ont conduits à affiner les principes favorables à une formation aux compétences de lecture et d'écriture en sciences expérimen­tales.

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Approches pédagogiques et didactiques

L'enrichissement et la diversification du répertoire des écrits auquel les élèves sont confrontés

Il constitue un point d'appui pour la construction de compétences ouvertes. Des modalités telles que l'utilisation de productions sociales issues de contextes différents (expositions, articles, mais aussi publicités) permettent de rendre les élèves sensibles à des caractéristiques langagières qu'ils ne perçoivent pas habituellement. La comparaison des productions spontanées des différents élèves d'une classe, par exemple pour prévoir une expérience ou pour réali­ser un aide-mémoire qui servira lors du contrôle de connaissances, peut présenter un éventail assez large, tant au niveau des caractéris­tiques langagières que des contenus sélectionnés et de leur organi­sation, à la surprise des élèves. Des consignes telles que « repérez ce qui vous paraît utilisable et utilisez-le » orientent cette prise de conscience des différences vers leur valorisation. L'utilisation impo­sée à tous les élèves de certaines formes d'écrits les conduit à s'exercer à des langages qu'ils n'adopteraient pas spontanément, comme dans cette situation où les élèves doivent représenter la structure logique d'une expérience relatée par un film, en utilisant trois formes graphiques imposées : deux tableaux à double entrée différents et un schéma en arbre.

Le travail sur la fonctionnalité des écrits lus et produits

Celui-ci peut porter sur la pertinence des écrits par rapport à l'ap­prentissage conceptuel ou à la tâche scientifique. Ainsi, dans la pré­paration d'une exposition, la documentation est triée par rapport à la présence ou non du thème choisi, puis les critères de sélection s'affi­nent par une délimitation plus précise des questions et une caractéri-sation des types de textes (description, explication).

La demande de production d'écrits dont les temps de réalisation sont courts, qui constituent des états provisoires de la réflexion ou des outils guidant l'action et en conservant des traces, présente un double intérêt. D'une part, les élèves participent de cette façon aux décisions de manipulations et aux constructions progressives de connaissances, qui s'appuient sur ces écrits. D'autre part, ils se fami­liarisent avec l'écriture dans des conditions où l'efficacité pour l'ac­tion ou pour la pensée prime sur le respect de normes formelles.

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Lire et écrire à l'école primaire

La réécriture comme processus accompagnant une élaboration conceptuelle

La lecture en sciences s'accompagne le plus souvent d'une tâche de sélection et d'organisation des informations, en réponse à une question, et cette tâche implique la production d'un écrit : tableau, résumé, liste, graphique, texte... Des modalités qui organisent une élaboration progressive de ces productions, avec retour aux docu­ments pour une lecture mieux informée, se révèlent positives.

La reprise d'écrits à différents moments de l'activité soutient le travail d'élaboration intellectuelle, et en même temps série les diffi­cultés de mise en texte. La rédaction d'un compte rendu sera facilitée par la reprise des notes de visite. Un travail de tri et d'organisation de ces notes, classées par animal d'abord, puis par fonction biologique pour chacun ensuite, prépare l'élaboration du contenu à mettre en texte.

La réécriture peut être motivée par la mise à l'épreuve de destina­taires (par exemple pour un guide de travaux pratiques), l'analyse comparative de plusieurs productions d'élèves, la mise à l'épreuve d'une action, comme la réalisation d'une expérience.

he développement d'une réflexion métacognitive

Des activités de réflexion au second degré conduites avec les élèves sur leurs propres procédures ou activités intellectuelles per­mettent une prise de conscience critique et une meilleure gestion des démarches d'apprentissage individuelles.

Les phases immergées, organisées autour de la question scienti­fique à résoudre, donnent l'occasion d'expérimenter des méthodes variées et d'éprouver leur caractère d'aide ou d'obstacle. Les phases distanciées, organisées autour du réexamen comparatif du travail accompli et des démarches mises en œuvre, permettent de dévelop­per une prise de conscience et une conceptualisation de ces démarches et de leurs procédures de contrôle. L'analyse d'écrits, parce qu'elle facilite cette mise à distance et cette décentration nécessaires à une réflexion généralisante, permet de remonter des produits aux procédures qui ont conduit à leur production.

La réflexion métacognitive peut porter plus particulièrement sur les caractéristiques linguistiques des écrits, traduits éventuellement en critères. Elle peut porter sur les procédures d'utilisation ou de

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Approches pédagogiques et didactiques

production d'écrits spécifiés en relation avec des buts scientifiques identifiés. Elles peut porter sur les raisonnements mis en jeu à travers la lecture et l'écriture1.

L'apprentissage de compétences de lecture et d'écriture est fina­lisé, dans le contexte de la formation scientifique, non pas par le développement de ces compétences pour elles-mêmes, mais par la réussite des tâches disciplinaires.

Les compétences ainsi acquises dans un contexte scientifique peuvent contribuer à construire et à diversifier les compétences lan­gagières générales, à condition que l'on soit attentif à l'apprentissage de leur transfert, qui doit se construire également.

Les recherches conduites dans l'Unité de didactique des sciences expérimentales de l'INRP contribuent à une meilleure connaissance des compétences langagières demandées dans l'enseignement scientifique et des conditions favorisant leur apprentissage.

Équipes de recherche

- Recherche sur l'éveil scientifique et les modes de communication : Jean-Pierre ASTOLFI et Victor HOST (INRP), responsables, et soixante enseignants et formateurs associés (académies d'Amiens, Besançon, Bordeaux, Caen, Créteil, Grenoble, Lille, Limoges, Lyon, Montpellier, Nancy-Metz, Orléans-Tours, Poitiers, Reims, Rennes, Rouen, Toulouse, Versailles).

- Recherche sur la lecture documentaire : Yvette GINSBURGER-VOGEL (INRP), responsable, et sept enseignants associés (acadé­mies d'Aix-Marseille, Bordeaux, Créteil, Grenoble, Lyon, Nantes, Poitiers).

1. Pour de plus amples informations, on pourra consulter les articles suivants : ASTOLFI, J.-P. (1986). « Les langages et l'élaboration de la pensée scientifique ». In Le français au carrefour des disciplines. Actes du colloque de l'AFEF. Le français aujourd'hui, 74. PETERFALVI, B. (1988). « Enseigner les sciences est aussi une affaire de langues ». In La pensée scientifique et ses discours. Actes du colloque des 29-30 janvier 1988. Besançon, Centre de linguistique appliquée (CLAB). VÉRIN, A. (1993). « Didactique des sciences et apprentissages méthodo­logiques », Cahiers de Beaulieu, 16.

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Lire et écrire à l'école primaire

- Recherche sur les compétences méthodologiques en sciences expérimentales : Jean-Pierre ASTOLFI, Brigitte PETERFALVI, Anne VÉRIN (INRP), responsables, et trente enseignants associés (acadé­mies d'Aix-Marseille, Créteil, Grenoble, Lyon, Paris, Rouen, Ver­sailles).

Références bibliographiques

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DENIS, M. (1989). Image et cognition. Paris, PUF.

GARCIA-DEBANC, C. (1988). « Propositions pour une didactique du texte explicatif ». Aster, 6.

GOODY, J. (1979). La raison graphique. Paris, Éditions de Minuit.

HALTE, J.-F. (1987). « Vers une didactique des textes explicatifs », Repères, 72.

MELOT, A.-M., N'GUYEN-XUAN, A. (1981). « La connaissance des phénomènes psychologiques ». In OLERON et alii, Savoirs et savoir-faire psychologiques chez l'enfant. Bruxelles, Mardaga.

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Publications INRP

ASTOLFI, J.-R, ALEMANNI, L, DEVELAY, M., DEMAN C, DUCAN-CEL, G., JOSSEME, J. (dir.). (1983). Éveil scientifique et modes de communication. Paris, INRP, Coll. Recherches pédagogiques, 117.

ASTOLFI, J.-R, PETERFALVI, B., VÉRIN, A. (1991). Compétences méthodologiques en sciences expérimentales. Paris, INRP.

GINSBURGER-VOGEL, Y. (coord.) (1988). Des manuels pour appren­dre. Paris, INRP, Coll. Rencontres pédagogiques, 23.

Revue ASTER, Recherches en didactique des sciences : - numéro 4,1987, « Communiquer les sciences », - numéro 6,1988, « Les élèves et l'écriture en sciences ».

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Contenus d'enseignement et réussite des élèves en lecture/production d'écrits

(1970-1990)

Hélène ROMIAN

Comment améliorer les capacités de l'école maternelle, élémen­taire, à apprendre à lire et écrire aux enfants ? Quels sont les facteurs, d'ordre didactique - c'est-à-dire liés au contenus, à la démarche d'enseignement, d'apprentissage - qui influent sur la réussite des élèves en matière de lecture, de production d'écrits ? Telle est la question qui a finalisé les recherches conduites, depuis 1967, avec des équipes de formateurs de maîtres d'École Normale puis d'IUFM, et de circonscription, dans des classes de villes, de zones rurales de différentes régions.

Issues des besoins de la formation des maîtres, ces recherches ont permis de proposer en retour aux formateurs des contenus, une démarche d'enseignement, d'apprentissage nouveaux mis à l'épreuve de la pratique comme de la théorie. Pratiques et referents théoriques ont évolué au cours des années. C'est cette évolution dont je voudrais ici esquisser les grandes lignes.

Les limites matérielles de cette brochure me contraignent à privi­légier le propos théorique. Je me permettrai donc de renvoyer nos lecteurs aux nombreuses publications, destinées aux formateurs de maîtres et aux maîtres, dans lesquelles nous rendons compte des pratiques de classe et de leur théorisation, qui sont à la base de ce propos1.

1. Une sélection de ces publications est présentée ci-dessous. Les renvois à cette sélection sont notés (a), (b), etc.

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Lire et écrire à l'école primaire

Situations de communication et d'apprentissage en classe

Les recherches des années 1970 ont permis de définir des conte­nus, une démarche d'enseignement du Français innovants par rap­port aux Instructions en vigueur depuis cinquante ans. Rendu néces­saire par les exigences de la démocratisation et l'avancée des connaissances, le Plan de Rénovation (dit Plan Rouchette) issu des premières recherches (a), et les recherches qui en sont dérivées, devaient inspirer plus ou moins toutes les Instructions Officielles depuis 1972.

Un ensemble cohérent d'activités de communication, d'apprentissage de la langue

Ce Plan définit un ensemble cohérent d'activités de communica­tion orale, écrite (lecture, production d'écrits), articulées à des activi­tés d'analyse de la langue (code grapho-phonétique, grammaire, orthographe, vocabulaire...) dans une perspective de maîtrise de la langue pour tous.

Ces activités sont conceptualisées en référence à l'état des connaissances en linguistique, en psychologie, et à l'évolution des pratiques de l'oral, de l'écrit dans la société, partant du principe qu'un enseignement du Français actualisé de ce double point de vue, peut induire des apprentissages langagiers plus efficaces : il devient possible par exemple, d'analyser les pratiques des maîtres, les savoirs des élèves, de manière rigoureuse.

Des facteurs de réussite en Français

L'évaluation des effets produits par la mise en œuvre de ces prin­cipes sur les compétences langagières des enfants montre des résul­tats significativement meilleurs des élèves des classes en recherche, par rapport à d'autres (b). Les variables didactiques les plus liées à ces résultats sont les suivantes :

- le fait que les maîtres s'appuient sur des notions linguistiques1 ; - des activités de communication* orale, écrite, diversifiées selon

les fonctions du langage*, permettant des échanges socialisés* (presse...), l'expression* (correspondance...), l'objectivation (comptes rendus de sciences...) et la poétisation du réel* (c) (d) ;

1. Les termes référant à des recherches en sciences du langage sont signalés par *.

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Approches pédagogiques et didactiques

- des activités d'analyse de la langue* occasionnelles d'une part, liées à des questions posées par les écrits lus, produits en situation de communication et systématiques* d'autre part, permettant d'éten­dre, structurer* les savoirs des enfants sur la langue ;

- la prise en compte des « registres de langue* » (variation des parlers, des écrits selon la situation d'interlocution*, les métiers, les régions...) ;

- et enfin, la cohérence de l'ensemble des activités : les résultats globaux évoqués plus haut sont d'autant plus nets que les maîtres sont plus cohérents.

La réussite des apprentissages serait donc influencée non seule­ment par ce qui est fait dans telle activité (en lecture...), mais aussi et d'abord par l'ensemble des activités de Français, par la formation des maîtres en sciences du langage, et par la diversification des fonctions du langage mises en jeu dans les activités de communication orale, écrite, en classe.

Les principes didactiques de base - progressivement actualisés -qui viennent d'être présentés, ont fondé les recherches ultérieures.

Enseignement de la lecture/écriture en SG, CP, CE 1

Ces recherches, conduites dans les années 1975-1980, s'inscri­vent dans un cycle d'apprentissages fondamentaux de trois ans -proposé dès 1970 - compte tenu de la complexité des processus en jeu (e).

Des apprentissages qui fassent sens

Contrairement à d'autres, ces recherches postulent que la lecture n'est pas simple affaire de techniques ni même d'application de telle recherche en linguistique ou en psychologie.

Des apprentissages réussis impliquent que les enfants compren­nent ce qu'est le langage écrit, à quoi il sert et comment il fonctionne, comprennent ses relations avec le langage oral et les autres modes de communication (médias...), comprennent enfin les relations entre activités de lecture et de production d'écrits : il s'agit là d'autant de moyens, nécessaires dans la vie sociale et personnelle, de produire du sens.

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Lire et écrire à l'école primaire

Des facteurs didactiques de la réussite en lecture ¡écriture

Ces recherches posent les facteurs didactiques de réussite sui­vants

- vouloir apprendre : faire naître, développer le désir, le plaisir de lire/écrire (rencontres diversifiées avec le monde de l'écrit) ; sensibili­ser aux fonctions* de l'écrit... ;

- pouvoir apprendre : développer des compétences générales entrant en jeu dans l'activité de lecture, de production d'écrits : com­munication*, discrimination motrice et perceptive, symbolisation* du vécu (dessin, code de la route...) (f), pratique fonctionnelle (g) et ana­lyse des caractéristiques du langage oral (système des phonèmes*) (h)... ;

- pour savoir lire/écrire : faire apprendre d'abord à construire la signification* d'écrits diversifiés à lire/produire pour réaliser un projet d'activité, et en partant des difficultés rencontrées, faire apprendre à segmenter* la chaîne orale* et la chaîne écrite* pour identifier progres­sivement leurs éléments (phrases, groupes de mots, mots, syllabes, sons et lettres) et les relations entre eux (le code phono-graphique*), ce qui permettra ensuite de mieux lire ou graphier (h).

C'est d'abord en lisant, en produisant des écrits sociaux diversi­fiés qui font sens (y compris les écrits scolaires), et ensuite en analy­sant leurs fonctionnements, qu'on apprend à lire, écrire.

Résolutions de problèmes de lecture/écriture

Les recherches dites RESO, menées dans les années 80, ont porté sur les stratégies de résolution de problèmes en lecture, pro­duction d'écrits, orthographe.

Ces recherches ont permis d'identifier les facteurs didactiques de réussite suivants, s'agissant de formulation et de résolution de pro­blèmes en matière de production d'écrits (i) (j).

Une gestion des apprentissages diversifiée selon les tâches

La formulation, la résolution des problèmes d'écriture, peut inter­venir à divers moments du processus rédactionnel, dont on a intérêt à différencier les modes de gestion : formulation collective du projet d'écriture, essais individuels de production, repérage et formulation des problèmes, des voies de solution par petits groupes, mise à l'épreuve, réécriture individuelle*..., le cas échéant retour sur des phases antérieures, remise en question collective du projet...

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Approches pédagogiques et didactiques

Une différenciation des problèmes d'écriture

La prise en compte des problèmes que rencontrent les enfants implique une sériation de ceux-ci par le maître, puis par les élèves : problèmes linguistiques (syntaxe, orthographe...), mais aussi pro­blèmes discursifs* (cohérence du texte*...) et problèmes situation-nels* d'ordre pragmatique* (qui écrit à qui, pour quoi faire...).

Un appui sur la diversité des savoir-faire, des savoirs des élèves

L'appui sur la diversité des productions des élèves et de leurs savoirs sur la communication, les écrits, les formes discursives, la langue, paraît essentiel pour les aider à progresser efficacement.

C'est en résolvant des problèmes qu'on apprend le plus solide­ment. Il y a là une voie prometteuse de mise en cohérence des apprentissages langagiers et des apprentissages scientifiques.

Pratiques d'évaluation des écrits en classe

Les recherches dites EVA, menées dans les années 1980, ont porté sur les critères, les procédures et les outils d'évaluation forma­tive des écrits en classe (i) (k).

Ces recherches confirment certains aspects des recherches RESO (et réciproquement). Elles ont permis d'identifier les facteurs didactiques de réussite suivants.

Construire des compétences évaluatives

La construction de compétences évaluatives (collective, par petits groupes, individuelle) est à considérer comme une composante des compétences de production d'écrits, en relation avec les compé­tences de lecture. Cette construction se fait dans et par l'évaluation, par les élèves, de leurs écrits et de ceux de leurs pairs. Induite à partir de la réalisation de projets d'écriture diversifiés, l'évaluation porte d'abord sur « ce qui va bien », et ensuite sur « ce qui ne va pas » et qui est à modifier.

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Lire et écrire à l'école primaire

Des critères et outils d'évaluation construits par la classe

Les élèves construisent, formulent et utilisent des critères et outils d'évaluation dont les formulations évoluent, selon l'état de leurs savoirs sur les divers types de textes* (narratifs, descriptifs, explica­tifs, argumentatifs...) et la manière de les réaliser. Cette construction se fait par confrontation des écrits en cours de production à ceux des pairs et à des écrits « sociaux » (produits, en situation de communica­tion effective, dans l'ensemble des activités de la classe ou hors de la classe).

Un cadre théorique de référence

Pour guider la construction des critères et des outils, le maître réfère à un cadre théorique dit CLID - produit par la recherche EVA -qui permet d'identifier douze « lieux » d'intervention didactique sur le « tissu textuel* », en fonction de deux axes (« fil » et « trame » du texte) : d'une part les unités* sur lesquelles on travaille (texte* dans son ensemble, relations entre phrases*, phrase*) ; d'autre part les points de vue* adoptés (pragmatique*, en relation avec les conditions de production* du type d'écrit* en question ; sémantique*, en relation avec la construction du sens* ; morphosyntaxique*, en relation avec le système-langue*, et enfin les aspects matériels de l'écrit).

Il s'agit là d'une conception originale de l'évaluation formative des écrits : ce sont les élèves qui construisent leurs savoirs, à partir d'ex­périences organisées de la diversité des écrits (littéraires compris), en produisant et en lisant des écrits qu'ils apprennent à différencier et analyser ; le guidage du maître, décisif, prend appui sur de solides connaissances, en sciences du langage, en psychologie, en didac­tique.

Faire pour savoir faire. Construire à partir de là des savoirs pour faire de manière plus efficiente, mais aussi pour savoir. Tels sont, selon nous, les aspects majeurs d'apprentissages susceptibles de fonder une effective maîtrise du langage écrit en particulier, et du lan­gage en général.

Il y faut du temps, de la continuité, de la cohérence didactique. La mise en place des cycles y est particulièrement propice, sans être suffisante : l'enjeu appelle, selon nous, une modernisation résolue, progressive de l'ensemble des contenus de l'enseignement de la lec­ture, de la production d'écrits (j), dont le moteur devrait être une mobilisation conjointe des chercheurs et des formateurs de maîtres en didactique.

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Approches pédagogiques et didactiques

Équipes de recherche

- Équipe « Résolution de problèmes » (dite RESO) : Gilbert DUCANCEL (IUFM de Picardie) et Hélène ROMIAN (INRP), responsables de la recherche et dix Groupes INRP d'IUFM ou de cir­conscription primaire dans les académies d'Amiens, Caen, Créteil, Dijon, Lille, Montpellier, Orléans-Tours, Rennes, Toulouse.

- Équipe « Évaluation des Écrits » (dite EVA) : Maurice MAS (IUFM de Grenoble-Privas), Claudine GARCIA-DEBANC (IUFM de Toulouse-Rodez), puis Catherine TAUVERON (IUFM de Clermont-Ferrand) et Hélène ROMIAN (INRP), responsables de la recherche, et douze Groupes INRP d'IUFM ou de circonscrip­tion primaire, dans les académies d'Amiens, Bordeaux, Clermont-Ferrand, Créteil, Grenoble, Montpellier, Orléans-Tours, Poitiers, Rennes.

Referents théoriques de base des recherches citées

ADAM, J.-M. (1984). Le récit. Paris, PUF. Coll. Que sais je ?

BENVENISTE, E. (1966). Problèmes de linguistique générale. Paris, Gallimard.

BRESSON, F. (1958). « Influence des schemes inductifs sur la percep­tion » et « Perception et indices perceptifs ». In Bruner, J., Bresson, F. & Piaget, J. Logique et perception. Paris, PUF.

BRONCKART, J.-R et coll. (1985). Le fonctionnement des discours. Neuchâtel, Delachaux & Niestlé.

CHAROLLES, M. (1978). « Introduction aux problèmes de la cohé­rence des textes ». Langue française n° 38. Larousse.

COMBETTES, B. (1983). Pour une grammaire textuelle : la progres­sion thématique. Bruxelles, Duculot & De Bœck.

DABENE, M. (1987). L'adulte et l'écriture. Bruxelles, De Bœck-Wesmaël.

FAYOL, M. (1985). Le récit et sa construction. Neuchâtel, Delachaux et Niestlé.

FRANCOIS, D., FRANCOIS, F. et MARCELLESI, C. « Prise en compte par l'école des variétés du français ». Repères, n° 61. INRP

GALIFFRET-GRANJEON, N. (1966). « L'apprentissage de la langue écrite et ses troubles ». Bulletin de Psychologie, « Aspects du lan­gage ». 247, XIX, 8-12.

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Page 90: lire écrire au primaire

Lire et écrire à l'école primaire

FERREIRO, E. (1979). « La découverte du système de l'écriture par l'enfant ». Repères, n° 56. INRR

HOUDEBINE, A.-M. (1979). « De la lecture ou de la langue... à l'école ». Repères, n° 56. INRR

JAKOBSON, R. (1963). Essais de linguistique générale. Paris, Éditions de Minuit.

MARTINET, A. (1968). Éléments de linguistique générale. Paris, Armand Colin.

MASSELOT-GIRARD, M. (1983). « Sémiologie/Sémiotique. Pédago­gie/Didactique du Français ». Repères, n° 60. INRR

PEYTARD, J. & GENOUVRIER, E. (1970). Linguistique et enseigne­ment du Français. Paris, Larousse.

PIAGET, J. (1945). La formation du symbole chez l'enfant. Neuchâtel, Delachaux et Niestlé.

SCHNEUWLY, B. (1988). Le langage écrit chez l'enfant. Neuchâtel, Delachaux et Niestlé.

VYGOTSKI, LS. (1985). Pensée et langage. Paris, Éditions Sociales.

VAN DIJK, TA. (1984). « Macrostructures sémantiques et cadres de conscience dans la compréhension du discours ». In Denhière, G. // était une fois... Lille, PUL.

WALLON, H. (1942). De l'acte à la pensée. Paris, Flammarion.

Publications INRP (sélection)

(a) L'enseignement du Français à l'école élémentaire. Principes de l'expérience en cours (1971). « Recherches Pédagogiques » n° 47. INRDP. Voir aussi Plan de rénovation de l'enseignement du Français à l'école élémentaire (1971). Version intégrale dans Los Cahiers de l'Enseignement Public, « La réforme de l'enseignement du Français vue par ceux qui l'enseignent ». FEN.

(b) ROMIAN, H. et coll. (1983). Que peut la pédagogie ? Perfor­mances linguistiques d'élèves de CM1, facteurs sociologiques et variables pédagogiques. INRP.

(c) BEST, F. (1978). Vers la liberté de parole. Nathan. (d) SUBLET, F, LASSALAS, P., JEAN, G. et coll. (1982). Poésie pour

tous. Paris, Nathan (Coll. INRP).

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Approches pédagogiques et didactiques

(e) ROMIAN H., CHARMEUX E., DUCANCEL G. et coll. (1985). LectureS/ÉcritureS en SG, CP, CE1. Paris, Nathan (Coll. INRP).

(f) ROMIAN, H. & YZIQUEL, M. (1988). Enseigner le Français à l'ère des médias. Rencontres de la langue, de l'image et du son. Paris, Nathan (Coll. INRP).

(g) BRUNNER, C, FABRE, S. & KERLOC'H, J.-R (1985). Et l'oral alors ? Paris, Nathan (Coll. INRP).

(h) ROMIAN, H., ROMEAS, A., CHARMEUX, E., HÇUDEBINE, A.-M. et coll. (1981). Devenir lecteur. Trois CP à St-Étienne, Toulouse, Poitiers. INRP, Coll. « Recherches pédagogiques » n° 112.

(i) ROMIAN, H. (dir.) (1989). Didactique du Français et recherche-action. Paris, INRP.

G) DUCANCEL, G. (dir.), Groupes RESO et EVA. (1988). Problèmes d'écriture. Paris, INRP, Coll. « Rencontres pédagogiques ». DUCANCEL, G. & DJEBBOUR, S. (1991). Comment les martres traitent-ils les difficultés des élèves. Production d'écrits, ortho­graphe au CE1. Paris, INRP. LARTIGUE, R., DJEBBOUR, S et coll. (1993). Écrire en classe. Projets d'enseignement. Paris, INRP, Coll. « Rencontres pédago­giques ».

(k) Groupe EVA - FINET C. & GADEAU J. (1991). Évaluer les écrits à l'école primaire. Paris, Hachette Éducation et INRP. MAS, M., GARCIA-DEBANC, C , ROMIAN, H., SEGUY, A., TAUVE-RON, C. & TURCO, G. (1991). Comment les martres évaluent-ils les écrits de leurs élèves en classe ? Paris, INRP. MAS, M., ROMIAN H., SEGUY, A., TAUVERON, C. & TURCO, G. (1993) Comment les élèves évaluent-ils leurs écrits ? Paris, INRP.

(I) ROMIAN, H., CHARMEUX, E., DJEBBOUR, S. & GADEAU, J. (1992). Maîtrise de la langue et cycles à l'école primaire. Paris, INRP.

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Les élevés de la classe Le 3 février 1994 de CE2 de Mme VERON Ecole publique Anne Frank 50 380 Saint Pair sur Mer

Au service éducatif ancienne abbaye BP 22 50 116 Le Mont Saint Michel

Monsieur, Madame,

11 est prévu que nous visitions 1' abbaye du Mont Saint Michel le 22 février 1994 toute la journée.

Afin de préparer au mieux cette sortie, nous souhaiterions avoir des documents sur 1' histoire de l'abbaye.

Vous en remerciant à 1' avance, nous vous prions d'agréer, Monsieur, Madame,nos sentiments les meilleurs.

La classe de CE 2

Écrire une lettre : du brouillon individuel à la lettre collective sur traitement de texte. Classe de Madame Véron, CE2, École Anne Franck, Saint-Pair-sur-Mer (Manche).

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Recherches sur la lecture et la production d'écrits

à l'école primaire, depuis 1970,

dans la francophonie

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Des outils pour écrire : la maquette d'un texte. Classe de Régine Angoujard, CE1, Saint-Brieuc (Côtes-d'Armor), École annexe.

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Recherches sur la lecture et la production d'écrits

à l'école primaire, depuis 1970, dans la francophonie

Martine RÉMOND et Hélène ROMIAN

La banque de données DAFTEL (didactique et acquisition du français langue maternelle), conçue et réalisée par une équipe de chercheurs de l'INRP en association avec une équipe de l'Université de Montréal, et actualisée périodique­ment avec la collaboration de chercheurs (Belgique, Suisse), répond à la nécessité de capitaliser et analyser des recherches dispersées, pour mettre l'information à la disposi­tion de tous ses utilisateurs potentiels : chercheurs, forma­teurs de maîtres, équipes de maîtres, et toute personne concernée... Consultable en France par Minitel (36-16 INRP), elle donne lieu à la publication d'une mise à jour annuelle.

Les 4 500 notices recensées par DAFTEL (en septembre 1993), rendent compte des publications (articles, ouvrages) et des thèses soutenues et permettent ainsi de faire le point en réponse à des besoins divers (mémoires ou thèses en cours ; revues de questions pour des publications ou des colloques ; bibliographie établie à la demande de la Direction des Écoles sur la maîtrise de la langue...).

On peut dénombrer dans cet ensemble 491 recherches sur la lecture, la production d'écrits à l'école primaire, en Bel­gique, en France, au Canada, en Suisse, comportant des élé­ments de réponse à la question centrale : comment améliorer les capacités de l'école élémentaire à apprendre à lire et à écrire aux enfants ?

Page 96: lire écrire au primaire

Lire et écrire à l'école primaire

Nous avons distingué deux domaines de recherche : l'ac­quisition des compétences de lecture, de production d'écrit étudiée d'un point de vue psychologique ou psycholinguis­tique (240 recherches) et l'enseignement, l'apprentissage en classe de la lecture, de la production d'écrits (251 recher­ches).

Recherches en psycholinguistique

La lecture

150 recherches ont été dénombrées. Elles se répartissent en quelques grands domaines.

Que sait-on De nombreux travaux existent sur l'identification de ces des processus processus supposés jouer un rôle positif dans l'apprentissage de lecture? ^e la lecture, ainsi que des descriptions et analyses des

mécanismes de lecture.

La lecture repose sur deux types de processus également importants et probablement interactifs : les processus élé­mentaires (conduisant à l'automatisation) et les processus dits de haut niveau (traitant du versant de la compréhension).

Comment les élèves accèdent-ils aux processus élémen­taires conduisant à l'automatisation de la reconnaissance des mots ? Cette question est étudiée dans 10 recherches. Il faut noter que la plupart ont été réalisées avec des adultes (le lec­teur expert adulte a longtemps été le modèle de référence pour expliquer l'apprenti-lecteur). Une autre approche de la reconnaissance des mots est recensée dans la rubrique concernant l'identification de « variables supposées jouer un rôle dans l'acquisition de la lecture » (voir ci-dessous).

Comment les élèves accèdent-ils à la compréhension de textes, quelles sont les opérations mentales mises en jeu ? 19 recherches traitent de cette question : 5 sur le développe­ment de la capacité à faire des inferences (éventuellement en étudiant les effets de textes plus ou moins cohérents, on entend par inference la capacité à y prélever des informations pour construire une nouvelle information). 4 recherches abor­dent l'étude des stratégies de sélection d'information, 2 recher­ches portent sur le lien entre les stratégies de lecture et les capacités métacognitives (ce que l'enfant connaît de son

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Recherches sur la lecture et la production d'écrits

fonctionnement de lecteur), 4 recherches sur les capacités métalinguistiques (réflexion sur la langue) et la réalisation de certaines opérations cognitives (traiter des relatives, trouver le réfèrent d'un pronom, par exemple), 2 recherches sur le rôle des connaissances préalables sur la compréhension de textes, 4 recherches s'intéressent au rôle de la mémoire dans la représentation mentale des textes.

Les évaluations générales, type DEP (Direction de l'Éva­luation et de la Prospective), portent à la fois sur la lecture (mécanismes de base et compréhension) et la production d'écrits, en relation ou non avec d'autres apprentissages fon­damentaux ; leur but est de donner une photographie de l'état de l'apprentissage pour un niveau donné. 7 évaluations de ce type sont recensées.

D'autres évaluations, plus pointillistes, s'intéressent aux liens entre niveau de lecture silencieuse et de lecture à haute voix (4 recherches), aux effets de la vitesse de lecture sur le niveau de compréhension (4 recherches), à la mesure de la compréhension (7 recherches), au niveau de lecture en rela­tion avec le niveau intellectuel (3 recherches). 5 recherches présentent des inventaires de compétences, 6 autres des épreuves pronostics des difficultés de lecture au CR Une comparaison sur l'évolution du niveau de lecture en CP a été faite, d'un point de vue historique. Des articles, plus généraux (5), s'interrogent sur les limites de l'évaluation, et suggèrent de mettre en relation les données de l'évaluation et les connaissances récentes de la psychologie cognitive.

Comment évaluer les

compétences en lecture ?

Divers travaux cherchent à repérer des variables suppo­sées jouer un rôle dans l'acquisition de la lecture (41 recher­ches, au total) : variables perceptivomotrices, psycho­motrices (9), niveau socio-culturel ou socioéconomique (6) ; intelligence, développement de la pensée (4) ; comparaison d'enfants normaux et d'enfants présentant des déficits de lec­ture (4). Un nouveau champ regroupe les connaissances sur la langue et son fonctionnement, et les représentations de la lecture/écriture par l'enfant ; il étudie les modifications de l'apprentissage en développant certaines activités associées à la lecture, comme la prise de conscience des fonctions de l'écrit, par exemple (9 recherches). Le champ de l'analyse phonétique, de la conscience phonologique (conscience des

Quelles sont les variables en jeu dans

l'acquisition de la lecture ?

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Lire et écrire à l'école primaire

unités sonores de la langue...) comprend 9 recherches. La plupart de ces travaux concernent les enfants de moins de six ans.

Sur des élèves plus âgés, on note quelques investigations de facteurs relevant de la personnalité, de la motivation (9). Si un certain nombre de travaux étudient le rôle de facteurs iso­lés, d'autres procèdent d'approches de facteurs combinés (13) partant du principe qu'étudier le rôle d'un seul facteur ne permet pas de rendre compte de l'activité de lecture dans sa complexité.

Quel est le rôle des écrits à lire ?

Au lieu de s'interroger de manière relativement classique sur le lecteur et son fonctionnement, des psycholinguistes et linguistes étudient les textes proposés comme objets à lire : 3 recherches sur la lisibilité et l'équivalence des textes, 15 recherches sur le rôle du type de textes, les effets de pré­sentation sur la compréhension (structure, redondance, illus­tration...). S'ajoute éventuellement la dimension de l'évolution des apprentissages, en fonction de l'âge des élèves. Les résultats peuvent profiter à de nombreux secteurs de l'ensei­gnement : champ des apprentissages (facilitation de la com­préhension et de la mémorisation, aides pédagogiques, par exemple), champ de l'évaluation des acquisitions...

Quels sont les facteurs liés au langage (oral, écrit) ?

19 recherches étudiant la relation oral-écrit, se répartis­sent ainsi : faisant l'hypothèse qu'un certain niveau de lan­gage verbal est nécessaire pour accéder à l'écrit, des études prédictives ont été menées (5) ; 5 recherches portent sur le lien entre langage et créativité, 5 sur la richesse du lexique en fonction de la classe sociale ou de l'intelligence, 4 sur le niveau verbal et les capacités d'analyse de la langue.

Comment se déroule l'acquisition des compétences ?

La production d'écrits

Le versant psycholinguistique du développement de la production d'écrit s'intéresse essentiellement à l'acquisition du récit : quelles compétences sont mises en jeu dans la structuration des récits, et comment se déroule leur acquisi­tion ? La plupart des recherches portent sur la syntaxe (52) et son acquisition ; 27 d'entre elles décrivent des compétences ponctuelles : sur les connecteurs, la ponctuation, les enchâs­sements..., 2 portent sur l'étude des marques de cohésion de

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Recherches sur la lecture et la production d'écrits

type reprises, 2 sur les personnages introduits dans le récit. Les autres recherches concernent la thématisation (2), la complexité (2), l'adaptation au destinataire (3). 3 recherches longitudinales portent sur le développement des capacités syntaxiques, alors que les autres s'intéressent à un niveau scolaire, parfois deux. 3 recherches étudient le développe­ment de la syntaxe en fonction du type de textes et du milieu familial de l'élève. Enfin, 11 articles rendent compte des avan­cées de la recherche sur l'organisation du récit : au plan du schéma de récit et du traitement des marques de surface, notamment. L'orthographe lexicale est étudiée dans 6 recher­ches concernant le récit, la sémantique dans une seule recherche. L'argumentation et ses organisateurs est étudiée dans 7 recherches. Enfin, on note 2 recherches sur le résumé de texte.

La révision des écrits (l'évaluation et la correction) et l'ana- L a révision lyse des étapes de correction opérées par l'élève apportent «des écrits divers éléments sur le rôle de la réécriture et les activités favo­rables. 4 recherches portent sur l'analyse linguistique des brouillons et ratures, 3 sur les modifications apportées en fonction des interactions verbales maître-élève ou élève-élève, 2 sur les aides apportées par l'usage du micro-ordina­teur.

Il s'agit d'évaluations générales (8) qui portent sur le fonc- Quelles tionnement de la langue au plan de l'organisation du texte, sur évaluations ? le choix des informations et du lexique par rapport au sujet donné... On adjoint éventuellement d'autres variables comme le style pédagogique pour analyser les productions écrites.

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Lire et écrire à l'école primaire

Recherches sur l'enseignement, l'apprentissage de la lecture, de la production d'écrits (pédagogie, didactique de l'écrit)

C'est la lecture qui domine (113 recherches)

les conditions pédagogiques de la réussite

la compréhension des textes

l'amélioration des outils pour la classe

les contenus d'enseignement

Nous présenterons d'abord les tendances générales des 251 recherches qui composent cet ensemble. Puis nous pré­senterons une analyse plus poussée du sous-ensemble des recherches portant sur l'évaluation des effets des pratiques d'enseignement sur les apprentissages des élèves. Il s'agit là, en effet, d'un débat central.

Tendances générales

Deux thèmes représentent près de la moitié de l'ensemble - les conditions pédagogiques de la réussite (27 recher­

ches) : coins-lecture et bibliothèques/médiathèques de classe ou d'école (les plus nombreuses), ouverture de l'école sur les lieux et les politiques de lecture de l'environnement, utilisation de micro-ordinateurs, formes de soutien aux élèves jugés fra­giles ou en difficulté... ;

- l'enseignement, l'apprentissage de la compréhension des textes (21 recherches) : la compréhension comme résul­tante de l'interaction entre lecteur-texte-contexte à plusieurs niveaux (macroprocessus qui portent sur l'ensemble du texte, processus intégratifs jouant sur les relations entre phrases, microprocessus qui portent sur l'identification des mots, pro­cessus d'auto-contrôle) ; recherche des indices contextuels, textuels, syntaxiques de signification ; découverte et utilisa­tion de la structure d'un type d'écrit (récit, fable, écrit docu­mentaire...) ; compétences à atteindre à l'issue du cycle des apprentissages fondamentaux (cinq-huit ans) ;

D'autres thèmes tiennent une place relativement moins importante

- l'étude d'outils pour la classe en vue de leur améliora­tion (13 recherches) : manuels, didacticiels, jeux de lecture ;

- les effets des pratiques d'enseignement sur les appren­tissages (12 recherches) : il s'agit là, non pas de l'évaluation interne à chaque recherche, opérée selon des modalités diverses, mais de recherches dont l'objet est d'évaluer l'« effet-maître » sur les compétences langagières des élèves. Compte tenu de l'actualité du thème, nous l'avons dissocié des autres (voir plus loin) ;

- la mise en place dans des classes, la conceptualisation de contenus, d'une démarche d'enseignement, d'apprentis-

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Recherches sur la lecture et la production d'écrits

sage qui, au-delà de la querelle des méthodes, visent à une appropriation active de l'écrit dans l'ensemble des activités de lecture (10 recherches) : ces recherches convergent sur la pratique de types d'écrits diversifiés dans des situations signifiantes induisant un travail sur les buts de la lecture, la compréhension des écrits, les stratégies de lecture, les exi­gences de la communication à distance... et, pour certaines, l'observation des fonctionnements spécifiques de la langue écrite, par exemple le code grapho-phonétique... ;

- la mise en place d'une méthode, dont l'efficience est attestée, reposant sur un didacticiel, une batterie ou des types d'exercices, une technique donnée... (9 recherches).

Signalons enfin : l'évaluation (8 recherches), la littérature de jeunesse (6 recherches), divers thèmes (7 recherches) dont notamment l'apprentissage précoce.

la mise en place et l'évaluation de techniques

La production d'écrits prend, depuis une dizaine d'an­nées, une place de plus en plus importante.

Un thème se détache nettement : l'utilisation de l'informa­tique (20 recherches, dont 17 québécoises). Certains auteurs n'observent pas d'amélioration des écrits produits. Pour d'autres, les élèves écrivent plus, mieux et différemment avec le micro-ordinateur. L'amélioration observée porte, selon les cas, sur la démarche d'écriture (exploratoire), l'organisation du texte (structuration du récit...), la présentation (para­graphes, ponctuation, orthographe), la pertinence des infor­mations, les corrections. Selon les uns, l'outil favorise la colla­boration entre enfants, pour la conception et la correction ; pour d'autres, ce n'est pas le cas, mais l'entraide porte sur la manipulation des commandes. Selon d'autres encore, ces résultats en apparence contradictoires s'expliqueraient par le fait que ce n'est pas l'ordinateur seul qui influe sur les amélio­rations observées : ainsi l'intérêt pour la tâche serait plus lié à la situation de communication qu'à l'outil informatique. De plus, la plupart des logiciels existants ont des fonctions « secrétariales » mais ne sont pas conçus pour des apprentis­sages « interactifs ». Une étude de recherches anglaises montre que l'outil conviendrait mieux à certains types d'écrits comme le journal de classe, d'école (textes courts, non narra­tifs, publiés).

La production d'écrits

(72 recherches)

utilisation de l'informatique

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Lire et écrire à l'école primaire

type d'écrits, Trois autres thèmes sont relativement présents : de textes _ |es types d'écrits, de textes jugés les plus propices à

l'apprentissage, en appui sur un travail de lecture (15 recher­ches) : écrits littéraires (récits, en référence à la narratologie, jeux poétiques, jeu dramatique procédant d'une dynamique de projet collectif de spectacle) ; texte libre comme pratique finalisée et créative ; textes narratifs, explicatifs ; journal de classe, prise de notes, compte-rendu d'observation, écrits scientifiques ; messages Minitel ;

évaluation - l'évaluation des écrits (12 recherches) : on peut recenser des écrits deux courants portant respectivement, d'une part sur l'éva­

luation sommative des compétences des élèves à un niveau scolaire donné, à l'échelle d'un canton suisse ou d'un pays, et d'autre part, sur l'évaluation formative en classe ; dans le pre­mier cas, il s'agit de définir des objectifs d'apprentissage éva­luables et des épreuves ; dans le second, il s'agit de définir des contenus, une démarche d'enseignement, d'apprentis­sage de processus évaluatifs jugés cruciaux parce que régu­lateurs de l'activité rédactionnelle dans son ensemble : les phases de l'évaluation (« lecture » de l'écriture, programma­tion des diverses interventions de réécriture nécessaires, « écriture de la lecture »), sa fonction de contrôle par le maître d'apprentissages ponctuels (textes narratifs, cohérence et cohésion du texte...), des grilles d'évaluation des compé­tences des élèves destinées aux maîtres procédant de cri­tères quantitatifs, linguistiques ou liés aux compétences de communication, les déterminants des critères du « bon texte » selon les enseignants, les utilisations possibles de la linguis­tique de renonciation. Il convient ici de présenter moins suc­cinctement la recherche INRP dite EVA, particulièrement pro­ductive (17 notices) qui porte sur les critères, les procédures et les outils d'une évaluation formative des écrits tendant à l'apprentissage par les élèves de l'auto-évaluation : critères de réussite et outils d'évaluation construits progressivement par eux, différenciés selon les types d'écrits, de textes, avec l'aide du maître qui leur fait sérier les problèmes selon un cadre théorique, élaboré par la recherche, qui distingue les unités sur lesquelles on travaille (texte dans son ensemble, relations entre phrases, phrase), et les points de vue adoptés (pragmatique, sémantique, morphosyntaxique) ;

contenus, - les contenus, la démarche d'enseignement, d'appren-démarche tissage de la production d'écrits (10 recherches) ; certaines d'enseignement, s o n t foca|¡sées sur des aspects de contenus (progression thé-

appremssage m a t j q U e j subordination, ponctuation, énonciation, cohé­rence...) ; d'autres portent sur des aspects de la démarche

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Recherches sur la lecture et la production d'écrits

jugés cruciaux, d'autres encore prennent en compte l'en­semble, très convergent, de ces divers aspects : donner du sens aux activités de production d'écrits notamment dans le cadre de projets d'activités induisant des projets de produc­tion d'écrits diversifiés à communiquer à des destinataires effectifs, favoriser les échanges entre enfants pour stimuler les apprentissages, les aider à construire des stratégies de production, à travailler leurs brouillons, organiser des « ate­liers » ou des « chantiers » d'écriture, associer des situations de communication « fonctionnelles » (en Français mais aussi en Sciences...) - où les diverses fonctions de l'écrit soient exploitables - et des situations centrées sur des apprentis­sages ciblés, organisés, permettant de structurer les savoirs sur les écrits. L'une des recherches, qui s'inscrit par ailleurs dans la dynamique évoquée ci-dessus (12 notices pour cette recherche INRP) porte sur la constitution de l'activité de pro­duction d'écrits en problèmes à formuler, résoudre, à l'instar de ce qui se passe pour les apprentissages scientifiques, en considérant des problèmes communicationnels, des pro­blèmes discursifs, et des problèmes linguistiques (ortho­graphe. ..) en relation ou non avec les précédents.

Notons enfin divers courants : divers courants - les effets des pratiques d'enseignement sur les appren­

tissages (6 recherches) (voir plus loin) ; - des recherches diverses (9) portant respectivement sur

les tendances de l'enseignement et de la recherche au Québec ou dans la francophonie (elles recoupent largement l'analyse présentée ci-dessus), les capacités de créativité ver­bale des enfants, par l'humour, la poésie, l'apprentissage de la lecture-réécriture de leurs textes par les élèves (notons sur ce dernier point un développement important dans les recherches en cours, non répertoriées encore par DAFTEL).

Ces recherches englobent les problèmes d'enseignement, d'apprentissage de la lecture, de la production d'écrits dans un contexte fonctionnel : les « fonctions » de communication, de représentation du réel telles qu'elles se réalisent dans le langage humain, à P« interface » du social et de l'individuel. Dans cette perspective, activités de lecture et de production d'écrits sont considérées comme fondamentalement interdé­pendantes et distinctes, tout comme le langage écrit et le lan­gage oral, tout comme le langage verbal et les modes de communication, de représentation non verbaux.

La maîtrise du langage écrit (66 recherches)

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Lire et écrire à l'école primaire

lecture I production d'écrits fonctionnels diversifiés

relations entre langue orale et langue écrite

Les recherches les plus nombreuses dans cette catégorie portent sur la lecture/production d'écrits (33 recherches). On retrouve le plus souvent les mêmes polarisations que dans les recherches sur la lecture ou la production d'écrits :

- types d'écrits, de textes (10 recherches) : écrits poé­tiques et scientifiques, littérature enfantine, roman, textes nar­ratifs, explicatifs ;

- centration sur les fonctions du langage (8 recherches) : situations et activités de communication plus ou moins diver­sifiées, stimulant les « interactions » verbales, activités répon­dant aux diverses fonctions du langage écrit et induisant l'ex-plicitation progressive de ces fonctions dès la maternelle ;

- interactions entre lecture et production d'écrits (6 re­cherches) : plutôt dans le sens lire pour apprendre à écrire (voir plus haut : lire, analyser des écrits « sociaux » pour apprendre à évaluer, réécrire) que l'inverse ;

- conjonction des courants précédents dans une démarche qui articule d'une part des pratiques fonctionnelles diversifiées de lecture/production d'écrits dans le cadre de projets d'activités ouverts sur l'environnement, et d'autre part des activités de « structuration » ; celles-ci tendent à faire construire aux élèves des savoirs organisés sur la langue écrite par analyse/synthèse, avec réinvestissement des ces savoirs dans les pratiques de lecture/écriture ; les apprentis­sages relèvent de trois ordres : vouloir, pouvoir apprendre à lire/écrire, savoir lire/écrire, et tendent à la maîtrise progres­sive de l'ensemble des composantes communicationnelles, sémiotiques, linguistiques, phonographiques d'une activité complexe, d'où la nécessité d'un cycle de trois ans, de la maternelle au CE1 inclus (2 recherches dont 7 notices de l'équipe INRP Plan de Rénovation) ;

- 3 recherches portant sur l'évaluation des effets des pra­tiques d'enseignement (voir plus loin) ;

- divers : 4 recherches portant sur l'historique de la péda­gogie de la lecture, de l'écriture, le rôle de l'outil informatique dans le développement du langage écrit et de la pensée, la mise au point d'outils d'évaluation des compétences de base pour les maîtres, la rupture du « contrat didactique » entre le CM2 et la 6e, compte tenu des représentations divergentes des enseignants de ces deux niveaux.

D'autres recherches se polarisent plutôt sur les relations entre langue orale et langue écrite (23 recherches).

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Recherches sur la lecture et la production d'écrits

Deux thèmes y dominent : - les objectifs de maîtrise du langage transversaux à l'oral

et à l'écrit (10 recherches) : l'inscription du développement lin­guistique dans une perspective biologique, sociologique, anthropologique, psychologique ou dans une perspective de développement de la créativité ; l'importance de l'interaction entre l'adulte et l'enfant dans le passage du parler au lire ; la maîtrise de l'oral comme enracinement de l'apprentissage de la lecture ; en maternelle, activités d'écoute développant des capacités intellectuelles ou d'analyse de la langue néces­saires à la lecture ; lecture, production, diction de la poésie ;

- les utilisations didactiques de la phonétique, de la pho­nologie, en relation ou non avec la psychologie du langage dans les années 70-80 (9 recherches, avec 10 notices de l'équipe Alfonic d'André Martinet et 6 notices de l'équipe INRP d'Anne-Marie Houdebine) : problèmes d'utilisation des descriptions phonétiques, phonologiques pour l'enseigne­ment de la langue parlée, écrite ; progression d'apprentissage à base phonétique et phonologique ; travail sur les traits pro­sodiques (accentuation, intonation...) comme base de l'ap­prentissage de l'écrit ; utilisation de l'alphabet phonétique ou d'un « alfonic » (graphie phonologique) basé sur les traits dis-tinctifs des sons, pour faciliter le passage de l'oral à l'écrit en lecture (et surtout en orthographe) ; contenus et démarche d'enseignement, d'apprentissage procédant de principes phonologiques : pratiquer la langue orale, la langue écrite et apprendre à segmenter la chaîne orale, la chaîne écrite, à repérer, différencier et classer les éléments qui les constituent (groupes signifiants, mots, phonèmes et graphèmes), et enfin construire progressivement le système de leurs correspon­dances (règles syntaxiques du genre, du nombre..., code phonographique...).

S'ajoutent aux deux thèmes dominants divers autres thèmes :

- 2 recherches portant sur les effets des pratiques d'en­seignement sur les apprentissages des élèves (voir plus loin).

- 2 recherches non classées portant respectivement sur : les relations entre les conceptions pédagogiques du maître et ses conceptions des compétences langagières des élèves à l'oral et à l'écrit ; la non-différenciation du statut de l'oral et de l'écrit en classe entre le CM2 et la 6e : prédominance du maître à l'oral dans le jeu questions-réponses, écrit rare sauf pour des exercices d'application conformes au jeu oral.

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Lire et écrire à l'école primaire

relations entre apprentissages langagiers et apprentissages sémiotiques

Une dernière catégorie de recherches (10 recherches) porte sur les relations entre apprentissages langagiers, oraux et écrits, et apprentissages sémiotiques, concernant tous les modes de communication, de représentation non verbaux :

- 4 recherches (québécoises) portent sur le rôle des pic­togrammes (dessins substitués à l'écriture) pour initier les élèves de maternelle à la langue écrite ;

- 3 recherches traitent du rôle adjuvant de l'image dans la compréhension de l'écrit ;

- 2 recherches (INRP, dont l'une dite « Sémiotiques » cor­respond à 6 notices) mettent l'accent respectivement sur l'éducation de la fonction symbolique comme dénominateur commun des apprentissages de l'écrit et des représentations graphiques en général (dessin...) et sur l'importance des acti­vités de transcodage (de l'écrit à d'autres codages et inverse­ment), comme modalité d'apprentissage de la lecture, de la production de messages complexes impliquant le recours à plusieurs codages (affiches, presse, télévision, jeu drama­tique, maquettes d'exposition) et comme modalité d'analyse des analogies et spécificités entre ces codages.

Reste une recherche qui conceptualise les nécessaires articulations entre enseignements des arts plastiques, de la musique, du français, sous le signe d'une éducation de l'ima­ginaire.

Recherches sur l'évaluation des effets des pratiques d'enseignement sur les apprentissages des élèves (23 recherches)

L'enjeu de ces recherches est en effet important, notam­ment pour la formation des maîtres : il s'agit d'évaluer les effets de choix donnés de contenus et de démarche d'ensei­gnement, d'apprentissage, sur les compétences langagières des élèves. La plupart ont recours de ce fait à des études contrastives permettant d'opposer des choix différents et leurs effets.

Le problème qui se pose à propos de ce type de recherche est celui que nous avons déjà souligné à propos des évaluations des effets de l'introduction de l'outil informa­tique en matière de production d'écrits. Les réussites ou les échecs relatifs ne s'expliquent jamais par un seul facteur : l'outil informatique par exemple, ou la méthode de lecture. Ainsi, aucune des composantes du savoir lire prise isolément

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Recherches sur la lecture et la production d'écrits

ne peut être considérée comme indication valide des compé­tences de lecture, activité où interagissent de nombreuses composantes. D'où les difficultés d'une entreprise que les recherches présentées ci-dessous contribuent à mieux cerner et à résoudre, mais qui comporte encore bien des inconnues.

Ces recherches évaluent les effets de pratiques d'ensei­gnement, d'apprentissage de la lecture différentes sur des compétences données des élèves.

La méthode d'apprentissage n'est généralement pas rete­nue comme variable permettant de comprendre les échecs et les réussites des élèves. Ainsi, en France au CP, les maîtres s'en tiennent rarement à une seule méthode et font preuve à cet égard d'un grand éclectisme. On retrouve les mêmes constats dans les autres pays. Ce fait expliquerait, selon une revue de questions de chercheurs québécois sur les recherches américaines, les résultats contradictoires ou peu probants de l'évaluation des méthodes. Ces chercheurs concluent sur la nécessité d'une conceptualisation des pra­tiques des maîtres qui donne les moyens d'identifier des variables effectives, c'est-à-dire des facteurs liés aux conte­nus, à la démarche d'enseignement, d'apprentissage, qui per­mettent de comprendre les échecs, les difficultés, les réus­sites des élèves.

En Suisse, l'évaluation de la méthode nouvelle « S'exprimer-lire » mise au point dans le canton de Neuchâtel en première et deuxième année du primaire, est en fait l'éva­luation de quatre approches différentes, pratiquées dans ce cadre par les maîtres, selon qu'ils partent de l'oral ou de l'écrit, et qu'ils ont des objectifs larges (culture, intérêt pour la lecture, créativité, étude du système-langue...), organisent des exercices nombreux et divers, ou qu'ils sont centrés sur la lecture et ne proposent que des exercices rares et stéréoty­pés. Il apparaît que si les effets de l'approche orale ou écrite se différencient en première année, ce n'est plus le cas ensuite. Par contre, l'approche large induit une meilleure com­préhension des écrits tout au long des deux années. On observe également que les élèves des institutrices expéri­mentées obtiennent de meilleurs résultats à toutes les épreuves, surtout si celles-ci conservent leur classe les deux années.

Une recherche française va dans le même sens : au CP et au CE1, l'efficacité ne dépendrait pas de la méthode mais des procédures d'apprentissage induites par les maîtres, en

Lecture (12 recherches)

la méthode n'est guère

retenue comme variable

permettant de comprendre

échecs et réussite

en Suisse, des objectifs

tendant à une culture de l'écrit

en France, les procédures

d'apprentissage

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Lire et écrire à l'école primaire

liaison avec l'appui sur la production d'écrits, le suivi indivi­duel des élèves et une évaluation régulière de leurs apprentis­sages. Citons à ce propos les résultats d'études qui montrent :

- une amélioration de la vitesse et de la compréhension avec un matériel d'entraînement ad hoc plutôt qu'avec des fiches de lecture silencieuse classiques ;

- une meilleure compréhension des récits ou des fables à partir d'un travail sur leur structure narrative plutôt qu'à partir de la démarche habituelle (lecture et réponse à des questions de compréhension) ;

- les effets positifs de l'utilisation d'une BCD (bibliothèque centre documentaire) : les enfants dans ce cas donnent plus de place à la lecture dans leurs loisirs et sont plus familiarisés avec le monde de l'écrit.

des enquêtes Les enquêtes sur les pratiques des enseignants, qui por-internationaies... tent sur des populations de plusieurs centaines de maîtres,

montrent notamment que, au Québec, en Suisse, en première et deuxième année du primaire, les activités mises en place dans le cadre de la réforme sont très variées et portent à la fois sur la compréhension de textes et sur le code. Les maîtres considèrent que la priorité donnée à la compréhen­sion par la réforme a induit des changements positifs. Mais, au Québec, cette amélioration n'a pas permis de diminuer les échecs. Il serait nécessaire de poursuivre la rénovation entre­prise, de la pousser plus loin : ouverture de l'école sur l'exté­rieur, insertion des activités de lecture dans des situations de communication effectives, diversification des lieux de lecture dans l'école et hors de l'école, production d'écrits qui fassent sens pour les élèves, organisation de la classe plus dyna­mique...

... et une enquête En Suisse romande, l'évaluation menée auprès de 11 266 suisse élèves de cinq cantons pour voir si la rénovation de l'ensei­

gnement du français entreprise avait atteint ses objectifs en matière de compréhension de l'écrit montre que ceux-ci sont atteints à 75 %, ce qui est considéré comme satisfaisant, et incite à poursuivre et approfondir dans les voies choisies. Là encore, on n'a pas entamé le taux d'échecs. Mais les ensei­gnants, satisfaits de donner un enseignement plus attractif, plus détendu, plus attentif à l'enfant, ne demandent qu'à continuer dans les voies ouvertes.

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Recherches sur la lecture et la production d'écrits

Les chercheurs suisses impliqués dans l'évaluation expli­quent ce fait par diverses raisons. La formation des maîtres, obligatoire, de type exposé magistral qui a été pratiquée, n'est sans doute pas la stratégie la mieux adaptée à la mise en place d'une pédagogie de la communication. À noter : en l'état des connaissances, on n'a pu évaluer les compétences communicatives des élèves, bien que cet objectif soit consi­déré comme fondamental. On constate que les maîtres ten­dent à juxtaposer les pratiques nouvelles à leurs pratiques anciennes (fait également constaté par des recherches INRP, l'une d'entre elles ayant établi par ailleurs que la cohérence de l'enseignement serait un facteur de réussite des apprentis­sages...). Or, les maîtres n'ont pu encore, au moment de l'évaluation, se construire de nouvelles cohérences. Ainsi les activités de structuration de la langue (grammaire, ortho­graphe...) l'emportent toujours sur les activités de communi­cation qui devraient être premières. Les exercices d'applica­tion de la règle expliquée préalablement par le maître l'emportent toujours sur les activités de découverte active des fonctionnements de la langue par l'observation. L'évaluation en classe n'a pas évolué. Par ailleurs, si les maîtres pensent que ce sont les meilleurs élèves qui ont le plus bénéficié de la réforme, cela ne correspond pas aux faits.

La conclusion des chercheurs suisses mérite d'être citée : « Une rénovation de cette envergure ne réussit, ni n'échoue : elle se construit au fil du temps et avec la volonté de tous ses acteurs [...]. Il est incontestable qu'un grand changement s'est tout de même produit dans les classes et dans la manière de conduire l'enseignement du français. » Les fac­teurs clés d'un changement profond, préconisé par la réforme, seraient selon eux, d'une part une stratégie d'infor­mation large, incitatrice, et d'autre part une politique concer­tée et conçue dans la durée, de formation des maîtres et de recherche. La fonction de la recherche serait d'accompagner la rénovation entreprise en proposant les critères, les procé­dures et les outils d'une évaluation formative des pratiques d'enseignement.

Nous terminerons sur l'évaluation du niveau en lecture des élèves de neuf ans (et de quatorze ans) conduite en 1988 dans trente-deux pays, dont la France et la Belgique franco­phone, par l'IEA (Association Internationale pour l'Évaluation du rendement scolaire). Contrairement à des idées reçues, la France se classe parmi les meilleurs scores. Les résultats d'ensemble, pour les trente-deux pays, peuvent se résumer

la rénovation, un processus

évolutif

une politique concertée

de formation des maîtres,

de recherche conçue dans

la durée

l'enquête de l'IEA : des écoles

en lecture, des maîtres formés, un travail sur la compréhension

des textes en classe

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Lire et écrire à ¡'école primaire

comme suit. Obtiennent les meilleurs résultats les élèves fré­quentant des écoles qui ont une bibliothèque bien fournie, renouvelée, qui ont des projets concernant la lecture, et dont les maîtres, qui ont suivi une formation dans le domaine de la lecture au cours des trois années précédentes, lisent davan­tage pour leur propre compte. La méthode d'apprentissage n'est pas corrélée avec les scores des élèves : les profils des maîtres, de ce point de vue, sont similaires dans les pays les plus et les moins performants. Par contre l'enseignement de la compréhension de textes est lié à de meilleurs scores des élèves.

Ceci étant, des chercheurs qui ont travaillé sur les épreuves et les réponses, s'interrogent sur les limites d'éva­luations de ce type : la lecture mobilisant de façon intégrée des ensembles complexes de compétences, qu'évalue-t-on exactement avec des tests standardisés pour les traitements informatiques des résultats qui simplifient et réduisent l'acti­vité ? Les QCM (questionnaires à choix multiples) évaluent-ils une activité de lecture ou la capacité à « deviner » la réponse attendue ? Une batterie de textes très divers qui passe de l'histoire d'un requin à la consultation d'un horaire, à raison d'une question-réponse par minute, permet-elle de repérer les lecteurs précaires ou bien les lents, les scrupuleux, ceux qui n'accrochent pas à des tâches dénuées de sens pour eux ?

Production Une recherche observe des effets positifs de la présence d'écrits d'écrits dans l'environnement scolaire en maternelle sur la (6 recherches) production et la conscience de l'écrit. D'autres portent sur

des styles contrastés d'enseignement induisant des compé­tences différentes. Ainsi, pour deux d'entre elles, des élèves de maîtres « traditionnels » se relisent moins, interviennent moins sur leurs écrits, en s'attachant surtout à l'orthographe, que des élèves de classes en recherche ayant travaillé en résolution de problèmes ou en évaluation formative. Ceux-ci s'attachent par contre à l'ensemble des exigences de l'écrit (problèmes communicationnels, discursifs, textuels, linguis­tiques).

En lecture/production d'écrits (3 recherches), on observe des effets positifs d'apprentissages « fonctionnels » tenant compte des caractéristiques des activités de cognition en jeu, comme d'apprentissages procédant de l'expérience langa­gière des enfants et mettant en jeu des tâches signifiantes pour eux.

Maîtrise du langage écrit (5 recherches)

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Recherches sur la lecture et la production d'écrits

Concernant les relations oral/écrit, 2 recherches renvoient à des problèmes différents : les composantes de l'évaluation des « habiletés langagières » en classe en relation avec les objectifs du maître et des comportements observables des élèves ; les effets d'une pédagogie « fonctionnelle » autour du livre de jeunesse auprès d'enfants de maternelle, effets d'au­tant plus marqués que les enfants bénéficient d'une initiation familiale, l'hypothèse d'une action positive pour les enfants de milieux défavorisés n'étant pas confirmée.

On touche là des problèmes essentiels. D'une part, la diffi­culté à cerner les composantes des compétences langa­gières, à concevoir leurs relations dans un processus d'ensei­gnement, d'apprentissage, dans une perspective d'évaluation : ce qui est évaluable parce qu'observable n'est pas forcément le plus important pour les apprentissages. D'autre part, le caractère multiforme de la pédagogie « fonctionnelle » dans ses modalités de mise en œuvre par les maîtres : comme beaucoup de termes du lexique pédagogique, le terme recouvre en effet des pratiques hétérogènes, plus ou moins abouties en l'état des pratiques des maîtres et plus ou moins décrites, en l'état des connaissances. Ce que confirme la recherche suisse évoquée plus haut (et des recherches INRP) : il faut plusieurs années aux maîtres pour intégrer des pratiques innovantes, y compris lorsqu'un effort important de formation a été fait, et ils le font selon des itinéraires diversi­fiés qui ne sont pas exempts de contradictions dans les pre­miers temps. Il conviendrait donc de ne pas tirer de conclu­sions trop hâtives, et de laisser le temps... au temps et à la formation, de faire leur œuvre.

laisser aux maîtres le temps

de se former à l'innovation

Pour conclure sur l'ensemble de ces recherches, en psy­cho et sociolinguistique, ou en pédagogie, didactique de l'écrit, on peut noter un certain nombre de convergences quant aux orientations à prendre en compte, pour des apprentissages réussis de la lecture, de la production d'écrits.

La méthode d'apprentissage de la lecture est une compo­sante, parmi d'autres, des situations d'enseignement, d'ap­prentissage du langage écrit, et pas la plus efficiente en soi. Tout dépend de ses utilisations par le maître et du contexte pédagogique : bibliothèques de classe, d'école, et leur contenu, activités de la classe et de l'école qui donnent sens

En conclusion

la méthode : une composante

parmi d'autres, d'apprentissages

complexes

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Lire et écrire à l'école primaire

faire maîtriser par les enfants toutes les composantes des activités de lecture et de production d'écrits

à la lecture, relations de l'école avec les lieux de lecture publique.... Tout dépend du contexte didactique : activités de lecture et de production d'écrits signifiantes pour les élèves, repérage des fonctions du langage écrit, travail sur la compré­hension d'écrits diversifiés d'une part ; d'autre part, en réponse à des problèmes de lecture, de production d'écrits à résoudre, activités de construction de savoirs organisés sur les écrits et sur l'activité même de lecture, de production d'écrits (ce qu'on fait quand on lit, quand on écrit). Ces savoirs se construisent par l'observation : ainsi les savoirs sur les écrits procèdent de l'observation de leurs fonctionnements, comme produits d'une situation d'interlocution, comme objets techniques, et comme objets langagiers complexes analysables ou évaluables selon des critères explicites en tant que texte organisé, ensemble de relations entre phrases, réalisation de règles syntaxiques, lexi­cales, phonographiques...

Par ailleurs, s'il est incontestable que les recherches portant sur des facteurs isolés comme la « conscience phonologique » ou la vitesse de lecture font avancer la connaissance, leur utili­sation pour améliorer l'enseignement, l'apprentissage de la lec­ture, de la production d'écrits, n'est ni simple, ni directe. Il est d'ailleurs probable que ces activités complexes mettent en jeu des facteurs combinés, qui entrent dans des relations d'interac­tion dont l'étude reste largement à faire, et qui tiennent à la fois aux enfants qui apprennent, aux maîtres qui enseignent, aux savoir-faire et savoirs enseignés et aux « objets » sur lesquels ils portent : les écrits et leurs usages sociaux, individuels.

Mais les enseignants et les didacticiens ne peuvent pas attendre que ces études aient abouti. En l'état des connais­sances, on aurait intérêt en classe à ne privilégier ou exclure aucune des composantes des activités de lecture, de produc­tion d'écrits, dans une perspective de maîtrise de l'ensemble de ces composantes par l'ensemble des élèves.

De telles orientations impliqueraient d'une part que les maîtres aient le temps d'enseigner et les enfants le temps d'ap­prendre dans des cycles effectivement mis en place, et d'autre part un développement conjoint significatif de la formation des maîtres et de la recherche, faute de quoi elles resteraient à l'état de vœu pieux.

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Recherches sur la lecture et la production d'écrits

Index des auteurs

Christine BARRÉ-DE MINIAC, « L'écriture », Département Didactique des disciplines Gérard CHAUVEAU, CRESAS, Département Politiques, Pratiques et Acteurs de l'Éducation Yvanne CHENOUF, Didactique des apprentissages de base, Département Didactiques des disciplines Jean FOUCAMBERT, Didactique des apprentissages de base, Département Didactiques des disciplines Marianne HARDY, CRESAS, Département Politiques, Pratiques et Acteurs de l'Éducation Bernard LÉTÉ, « Évaluation-diagnostic des difficultés cognitives en lecture » (recherche en association avec le LEAD-CNRS, Dijon) Françoise PLATONE, CRESAS, Département Politiques, Pratiques et Acteurs de l'Éducation Christian POSLANIEC, Didactique du Français et de la Philosophie, Département Didactiques des disciplines Martine RÉMOND, CRESAS, Département Politiques, Pratiques et Acteurs de l'Éducation Éliane ROGOVAS-CHAUVEAU, CRESAS, Département Politiques, Pratiques et Acteurs de l'Éducation Hélène ROMIAN, Didactique du Français et de la Philosophie, Département Didactiques des disciplines Liliane SPRENGER-CHAROLLES, « Les premiers apprentissages de la lecture et de l'écriture », (Équipe associée, CNRS) Anne VÉRIN, Didactique des Sciences expérimentales, Département Didactiques des disciplines Michel VIOLET, Didactique des apprentissages de base, Département Didactiques des disciplines

Equipe de coordination

Christine BARRÉ-DE MINIAC Michelle PROUX Annette BON Martine RÉMOND Bernard LÉTÉ Hélène ROMIAN

Coordination technique de l'édition

Jean-Christophe LEBRETON, Service des Publications

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Maquette - Réalisation PAO : Nicole Pellieux - Lagny-sur-Marne

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Imprimerie Bialec S A , 54000 Nancy - D.L. n° 40523 - 1e r trimestre 1994 D'après documents fournis

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Etat d e s r e c h e r c h e s à l 'INRP

A vec cette publication, l'Institut National de Recherche Pédagogique s'inscrit dans les débats en cours sur les moyens d'améliorer l'efficacité de l'école primaire à apprendre à tous les enfants à lire et

à produire des textes.

Des chercheurs présentent des réflexions sur l'état des connaissances en matière d'apprentissage, d'enseignement de la lecture, de l'écriture et de la production d'écrits. D'autres proposent des résultats issus de la mise en place de pratiques innovantes dans les classes, de leur description, de leur théorisation et de l'évaluation de leurs effets sur les compétences langagières des élèves.

Après une présentation générale, les contributions réunies dans Lire et écrire à l'école primaire, s'articulent autour de trois grands thèmes :

•* approches psycho et sociolinguistiques, •» approches pédagogiques et didactiques, •* présentation des recherches sur la lecture et la production

d'écrits à l'école, depuis 1970, dans la francophonie.

Lire et écrire à l'école primaire s'adresse aux formateurs, aux en­seignants, aux étudiants d'IUFM et à tous ceux qui se préoccupent de l'apprentissage de la communication et de la langue écrite.

INSTITUT NATIONAL DE RECHERCHE PÉDAGOGIQUE 29, RUE D'ULM - 75230 PARIS CEDEX 05

ISBN: 2-7342-0410-X - Code : 009 BB 034 - 70 F. TTC