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Les Chantiers Famille des Compagnons Bâtisseurs de Bretagne Etude réalisée par Sophie Naman, Année 2003

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Les Chantiers Famille des Compagnons

Bâtisseurs de Bretagne

Etude réalisée par Sophie Naman, Année 2003

Introduction

« L’objectif que nous poursuivons est de permettre aux familles en grande difficulté, de

mobiliser leur aspiration et leur capacité à prendre elles-mêmes en charge l’amélioration de leurs conditions de logement et la transformation de leurs conditions de vie. »

Depuis trente ans, l’association des Compagnons Bâtisseurs Bretagne agit pour l’amélioration de l’habitat des personnes en difficulté, grâce à une action originale, les chantiers d’autoréhabilitation accompagnée. Grâce à un accompagnement souple et adapté, elle permet à des familles ou à des personnes isolées, de participer activement à l’amélioration, la réhabilitation, ou la rénovation de leur logement, et les encourage ainsi à devenir actrices de leur propre développement social. Les bénéficiaires de ces programmes sont des locataires ou bien des propriétaires-occupants impécunieux qui manquent des savoir-faire techniques et de la confiance en soi nécessaires pour entreprendre eux-mêmes l'amélioration de leur logement. Les évaluations de ces programmes montrent qu'ils ont des effets très intéressants:

• Sur le plan technique, des effets positifs apparaissent en termes d'amélioration durable du logement, en termes d'acquisition de savoir-faire et de culture technique et enfin en termes d'appropriation et d'adaptation du logement au mode de vie.

• Sur le plan social, le chantier est l'occasion de renouer des liens de solidarité et de

coopération; il en résulte aussi une meilleure compréhension des règles sociales, techniques et économiques.

Une action originale car, à notre connaissance, les Compagnons Bâtisseurs Bretagne avec leurs collègues de Provence, sont aujourd’hui parmi les seuls opérateurs dans ce domaine. D’autres associations qui, elles, s’étaient spécialisées uniquement sur l’accompagnement à l’autoréhabilitation du logement, ont existé. Elles ont contribué largement à révéler, notamment au niveau local, la capacité de tels chantiers à devenir, au-delà de l’amélioration stricte du bâti, « le support d’une démarche plus globale visant l’insertion sociale, l’entraide et la mobilisation des publics »1. Mais leur trop grande spécialisation leur a été fatale, faute de pouvoir équilibrer leurs budgets avec des activités plus lucratives. Les difficultés financières, dues principalement à la méconnaissance par les institutions des spécificités de l’accompagnement fourni, n’ont pas pu être surmontées. L’association des Compagnons Bâtisseurs Bretagne et celle de Provence, qui ont su diversifier leurs actions, peuvent aujourd’hui continuer d’accompagner les personnes en difficulté dans l’autoréhabilitation de leur logement. Non sans obstacles. 1 Le Pades a notamment réalisé plusieurs études, dont « Familloise et Pact Arim 31 ». L’ association des Chantiers de Solidarité, en Maine et Loire, a aussi publié un rapport très instructif sur ses actions de lutte contre l’insalubrité.

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Contrairement à ce qu’on pourrait croire, il s’agit très rarement d’obstacles techniques : la plupart des travaux à réaliser sont accessibles, et ceux qui posent des problèmes de sécurité sont confiés à des entreprises. Par contre, chaque projet d’autoréhabilitation donne lieu à un véritable parcours du combattant de la recherche de financements, tant pour les projets de chantier qui font appel aux aides de droit commun, que pour le financement global de l’activité de l’association. Au moment où les partenaires de terrain et les travailleurs sociaux sollicitent l’action des Compagnons Bâtisseurs Bretagne dans de nouveaux départements, la flexibilité des systèmes de financements et des subventions fait cruellement défaut. Mais en y regardant de plus près, on constate que la cause en est bien moins matérielle qu’il n’y paraît. Les problèmes de financements ne constituent qu’une partie de l’iceberg. Le problème est en partie structurel : l’accompagnement fourni, qui combine réalisation technique d’opération d’amélioration de l’habitat, aspect pédagogique des transferts de connaissances et dynamisation d’un projet familial, entre difficilement dans les compartiments préétablis et cloisonnés entre action sociale et action technique des institutions. Au fond, il s’agit d’un problème de perceptions : l’autoréhabilitation n’est pas reconnue dans sa globalité d’accompagnement technique et social. Convaincue de l’utilité de l’autoréhabilitation accompagnée, l’association affronte au mieux les difficultés de ce terrain d’action. Aujourd’hui en plein essor, avec la perspective d’essaimer les compétences acquises pendant trente ans, elle souhaite aussi prendre du recul et se donner les moyens d’une analyse critique. Depuis 1999, elle collabore avec le Pades, programme de recherche en développement social qui a réalisé plusieurs études sur différentes expériences d’autoproduction, à la mise en perspective des actions d’accompagnement à l’autoréhabilitation du logement. D’abord, en participant puis en organisant conjointement des colloques et rencontres sur l’autoréhabilitation et l’autoproduction. Cette collaboration se poursuit aujourd’hui avec la mise place de services d’accompagnement à l’autoréhabilitation accompagnée à Bordeaux, Perpignan, Les Mureaux et Le Havre. Parallèlement à cette action, une convention a été établie entre les deux associations pour que le Pades mène le suivi-évaluation des chantiers d’autoréhabilitation mis en œuvre par les Compagnons Bâtisseurs Bretagne. Ce travail de suivi doit contribuer à la définition de repères méthodologiques et à une clarification des moyens nécessaires pour une mise en œuvre techniquement et socialement efficace de l’accompagnement de ménages en difficulté sociale dans l’autoréhabilitation de leur logement. L’axe d’étude défini, qui correspond à ce rapport, est un état des lieux faisant le bilan du travail d'observation entrepris au cours des 18 mois précédents sur les divers types de chantiers d'autoréhabilitation en milieu rural. Nous présentons en détail comment l’association met en œuvre l’action « Chantiers Familles » en Ille et Vilaine et dans les Côtes d’Armor et à quelles difficultés elle est confrontée. Puis, nous proposons des pistes de réflexion concernant les améliorations souhaitables, destinées à être discutées avec les principaux concernés. L’enquête, qui a commencé il y a bientôt deux ans, se base sur trois éclairages complémentaires : une observation participante des chantiers, l’étude des dossiers sociaux, techniques, administratifs et financiers des chantiers, et des entretiens avec les bénéficiaires, les personnels de l’association, ses partenaires institutionnels et professionnels.

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Partie 1 :

Une association

de chantier à caractère social L’association des Compagnons Bâtisseurs Bretagne fait partie du réseau national des Compagnons Bâtisseurs, qui regroupe trois autres associations régionales : celles de Provence, du Grand sud et du Centre (voir carte). Depuis sa création, les chantiers d’autoréhabilitation accompagnée constituent le cœur de son action. Mais laissons la parole à l’un des membres du réseau national, qui explique les motivations de ses créateurs:

« Les Compagnons Bâtisseurs naissent en 1953 au niveau pour réparer ce que la seconde guerre mondiale avait profondément endommagé, parfois même détruit. La reconstruction d’un village par des jeunes de différentes nationalités contribue en profondeur à la reconstruction de relations de paix entre les jeunes générations nées avant la guerre. En France, quelques-uns uns de ces jeunes volontaires ont souhaité continuer chez eux cette action de reconstruction…Bénévoles consacrant quelques week-end ou semaines de vacances, volontaires pour un engagement plus important (un ou deux ans) construisent ou mettent en état le logement de personnes pauvres, démunies. Ces chantiers, qui remettent en état les logements se font en associant les familles qui les habitent : participation aux travaux, préparation et partage des repas. Au-delà du chantier qui rénove le logement, un travail de réhabilitation de la personne s’effectue auprès de celles qui l’habitent, et les « Chantiers Familles » réalisés par les Volontaires à Long Terme reçoivent le qualificatif de « social ». Dans l’effervescence de l’après-guerre, cette modeste approche des « Chantiers Familles » s’apparente aux groupes d’auto constructeurs, principalement ceux des Castors. »

Avec la montée du chômage, des actions d’insertion qui associent chantiers et formation professionnelle ont été mises en place. Aujourd’hui, deux des quatre associations continuent à mettre en œuvre des chantiers d’autoréhabilitation accompagnée, celles de Bretagne et de Provence.

Présentation de l’association L’association régionale des Compagnons Bâtisseurs Bretagne, crée en 1968, a quatre principaux champs d’action :

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- accompagner les projets d’autoréhabilitation des familles en difficultés, - favoriser l’insertion professionnelle des demandeurs d’emploi, - promouvoir la citoyenneté, le bénévolat et la vie associative, - former les auto constructeurs et les professionnels de l’insertion. Loin d’être exclusifs, au contraire, ces champs d’action se croisent dans leur mise en œuvre. L’accompagnement à l’autoréhabilitation se décline d’ailleurs de la façon suivante : d’une part, les Ateliers de Quartier en milieu urbain qui font intervenir une équipe en CES pour aider le ménage à réaliser ses travaux , et d’autre part, l’action Chantiers Familles en milieu rural, qui sollicite la participation des jeunes volontaires. Ces jeunes volontaires suivent les formations aux techniques du bâtiment dispensées par le centre de formation national de l’association. Celui-ci est aussi ouvert aux personnes en insertion professionnelle, aux auto-constructeurs et à toute personne intéressée. Les animateurs techniques des chantiers d’accompagnement à l’autoréhabilitation participent d’autre part, au projet de la formation d’encadrant technique d’insertion en cours d’homologation, réalisée en partenariat avec l’Association pour la Formation Professionnelle des Adultes (AFPA). Une formation qui a pour objectif de doter les professionnels de l’insertion d’une double compétence technique et sociale. L’équipe en CES, qui est présente sur les Ateliers de Quartier, est formée grâce à des chantiers d’insertion professionnelle, dont l’objectif est de pré-qualifier un public jeune (18-25 ans) aux métiers du bâtiment sur des chantiers-école. Des adultes en difficulté d’insertion professionnelle y sont aussi en formation, mais travaillent sur des chantiers réels. Enfin, chaque été, l’association nationale reçoit une centaine de jeunes originaires de différents pays en organisant une dizaine de chantiers de jeunes bénévoles.

Les équipes d’accompagnement à l’autoréhabilitation en milieu rural En milieu rural, l’action d’accompagnement à l’autoréhabilitation est effective dans deux départements sociaux en Bretagne : en Ille et Vilaine et dans les Côtes d’Armor. Pour la mettre en œuvre, l’association dispose de deux équipes de chantier, une par département. Chacune est composée d’un animateur technique et de trois à cinq jeunes volontaires. Ces jeunes, engagés comme objecteurs de conscience ou volontaires du service européen, apportent une main-d’œuvre supplémentaire, permettant la réalisation de gros travaux. Leur présence définit un type d’accompagnement particulier qui caractérise l’action des Compagnons Bâtisseurs en milieu rural. Partout ailleurs, le chantier d’autoréhabilitation accompagnée est réalisé par le ménage avec un animateur technique. La participation des volontaires à l’accompagnement des ménages ajoute une dimension de lien social et d’action solidaire, qui se retrouve dans les motivations des travailleurs sociaux pour faire appel aux Compagnons Bâtisseurs: il s’agit bien souvent, non seulement d’améliorer l’habitat, mais aussi de briser l’isolement des ménages et de réapprendre la vie en société. Comme nous le verrons plus en détail dans la partie 5, où nous décrivons le déroulement des chantiers, ils sont très sensibles à la démarche d’appropriation du projet d’autoréhabilitation par le ménage et aux objectifs d’autonomisation et de dynamisation du chantier. En outre, leur présence est souvent très appréciée des enfants, et les échanges réciproques de connaissances, d’égal à égal –les volontaires sont brièvement formés aux techniques de base du bâtiment à

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leur arrivée aux Compagnons Bâtisseurs, ils ne sont pas des professionnels du bâtiment- avec les ménages peuvent être très fructueux, que ce soit à, propos de techniques ou de tout autre sujet. Nous en verrons un exemple en photos, en partie 5. Ils participent activement à l’accompagnement technico-social du projet et, plus largement, au projet d’insertion sociale des bénéficiaires. L’animateur technique, quant à lui, est un professionnel du bâtiment, mais qui dispose de qualités de pédagogue et de manager. Il anime le chantier, et est le garant de la bonne conduite des travaux. Il apporte ses compétences techniques, qu’il doit savoir transmettre au ménage et aux jeunes volontaires. Il doit être vigilant à l’encadrement des volontaires et au suivi des ménages. C’est lui qui rendra compte aux partenaires sociaux de l’évolution et de l’ambiance des travaux. Les interventions des deux équipes sont coordonnées par un chef de projet qui gère notamment le planning des différents chantiers en milieu rural. Il a la charge de tout ce qui est en amont et en parallèle des travaux, comme l’élaboration conjointe des projets avec les familles et les travailleurs sociaux, ou le suivi des demandes d’aide aux travaux effectuées par les partenaires. Il est aussi l’interlocuteur des différents partenaires, qu’ils soient de terrain, financiers ou institutionnels (négociations, bilans d’activités…).

Le public

« La population concernée par cette opération sera, avant tout, des propriétaires occupants impécunieux, personnes seules, couples ou familles, vivant dans des

logements vétustes, dégradés et en dehors des normes d’habitabilité, c’est-à-dire insalubres ou inadaptés.

(…) L’aspect fondamental du projet sera de faire du chantier d’autoréhabilitation le

support principal d’une démarche d’insertion sociale et professionnelle des personnes considérées. »2

L’accompagnement, sur un chantier d’autoréhabilitation, est bien sûr technique : prêt d’outillage, apport de main d’œuvre, conseils de réalisation, transferts de connaissances. Mais il est aussi social du fait des difficultés que rencontrent les ménages. L’équipe présente sur le chantier doit permettre au maximum la prise en main des travaux par la ou les personnes concernées. Elle doit savoir écouter, évaluer, et encourager les capacités de participation de chacun, en même temps qu’elle encadre techniquement le chantier. Les Compagnons Bâtisseurs Bretagne décrivent ainsi l’aspect social de l’accompagnement des publics en difficulté dans l’autoréhabilitation de leur logement :

- établir progressivement une relation de confiance, - prendre en considération la réalité de vie de la famille (ses problèmes, ses capacités et

ses richesses), ce qui permet, à partir de l’expression des besoins, de mobiliser les savoir-faire existants,

2 Présentation du projet dans les Côtes d’Armor, in Accompagnement à l’autoréhabilitation en milieu rural et Rapport 1999 pour la Fondation de France des Compagnons Bâtisseurs Bretagne.

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- respecter le rythme des individus, donner au ménage le temps de saisir le projet dans son ensemble, pour qu’il s’y investisse,

- rechercher une coopération avec les partenaires (travailleurs sociaux, municipalités, associations locales, voisins),

- faire participer le ménage à la préparation et la réalisation des travaux, essentielle pour une bonne appropriation de son lieu de vie.

Depuis plus de trente ans, elle agit en Ille et Vilaine en milieu rural. Dans les Côtes d’Armor, par contre, l’action est beaucoup plus récente. Le projet a démarré fin 1999, à la demande des services sociaux du département. Un an après la mise en place de l’action, 16 situations individuelles y ont été examinées, parmi lesquelles seulement deux chantiers sont en cours, et un seul terminé. Cinq Dossiers ont été classées sans suite, deux sont en attente, et six sont en cours d’étude. Ainsi, sur ces seize situations individuelles, seuls trois ménages ont vu leur chantier se concrétiser. Ce sont les rouages administratifs auxquels ils doivent faire appel pour mobiliser les financements de droit commun et obtenir les autorisations réglementaires (droit de l’urbanisme) qui allongent considérablement les délais. La situation sociale des personnes est aussi en cause, puisqu’elle allonge la duré de constitution du plan de financement. Il n’est pas rare, notamment en cas de surendettement, que le chantier ne soit réalisé que trois ans après la première visite des Compagnons Bâtisseurs, ou bien que le projet soit abandonné. Pour les cas les plus urgents sociaux qui n’ont pas trouvé de solution dans les circuits sociaux officiels, l’aide des fondations partenaires comme la Fondation Abbé Pierre qui est associée au projet, permet de débloquer rapidement jusqu’à 450 € par chantier. Les actions d'accompagnement à l'autoréhabilitation sont réservées à un public d'ayants droit qui, d'une part, ne peut réaliser seul ce type de travaux, et qui, d'autre part, peut bénéficier des aides de droit commun. La plupart du temps, il s'agit de personnes suivies par un travailleur social. Elles s'inscrivent ainsi dans les cadres institutionnels et législatifs existants qui définissent les catégories de personnes ayant accès aux aides de droit commun et limitent la réalisation de travaux par les particuliers3:

" Nous agissons lorsque le secteur marchand ne peut ou ne veut intervenir en raison d'une trop grande marginalisation"4

C’est pourquoi le partenariat avec les travailleurs sociaux est fondamental : ce sont eux qui vont évaluer les situations d'habitat de leur public et proposer une action d'autoréhabilitation. Les catégories de personnes qui peuvent bénéficier de cet accompagnement sont déterminées par les systèmes publics de financement et d'aide aux travaux, sans lesquels les chantiers ne peuvent être réalisés: crédits insertion pour les bénéficiaires du RMI, dons ou prêts destinés aux allocataires de la CAF ou de la Mutualité Sociale Agricole, primes, prêts ou secours pour propriétaires impécunieux, entre autres. Une fois que la demande est faite, il faut pouvoir financer l'intervention de l'opérateur et pour cela, le ménage demandeur doit avoir un statut qui lui permette non seulement de faire appel

3 Nous faisons allusion à la loi destinée à limiter la concurrence "déloyale" faite aux entreprises, par le travail au noir. 4 Propos du directeur de l'association des Compagnons Bâtisseurs de Bretagne, cité par le journal Ouest France du mardi 10 juillet 2001.

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aux financements de droit commun, mais aussi de souscrire un emprunt pour compléter ces derniers5. Tant de conditions limitent de beaucoup le nombre de réalisations. Malgré ces exigences strictes, on constate une grande variété de situations. Il peut s'agir de familles ou de personnes isolées, de propriétaires ou de locataires, en milieu urbain ou rural. Ils ont tous de très faibles revenus, constitués pour la plupart, de prestations sociales. Arrive en tête le RMI (plus de la moitié des interventions), puis les Assedics, les prestations familiales, l'Allocation Adulte Handicapé, l'Allocation Parent Isolé, les pensions de retraite. D'autres sont allocataires de la MSA ou en tutelle. Les revenus liés à une activité professionnelle sont marginaux et correspondent, soit à des revenus d'exploitation agricoles particulièrement faibles, soit à des activités irrégulières. Lorsqu’il s’agit de propriétaires, en titre ou accédants, ils sont souvent en situation de surendettement. Tableau 1 : Le public présenté par les travailleurs sociaux en 1999 et 2000

LE PUBLIC CÔTES D’ARMOR

ILLE ET VILAINE

TOTAL

MSA 3 19% 4 19% 7 19%

RMI 13 81% 6 28% 19 51%

Chômage 0 1 5% 1 3%

Retraite 0 1 5% 1 3%

Salaire 0 6 28% 6 16%

AAH 0 1 5% 1 3%

RESSOURCES

Inconnues 0 2 10% 2 6%

Propriétaires 15 94% 14 67% 29 78% TYPE D’OCCUPATION

Locataires 1 6% 7 33% 8 22%

Célibataires 7 44% 3 15% 10 27%

Couples sans enfants 4 25% 1 5% 5 13%

Familles 3 19% 11 52% 14 38%

SITUATION FAMILIALE

Familles monoparentales 2 12% 6 28% 8 22%

TOTAL DES DOSSIERS 16 100% 21 100% 37 100%

Si l’on y regarde de plus près (tableau1), on constate que les propriétaires, qu’ils soient accédants ou en titre, sont largement majoritaires, surtout dans les Côtes d’Armor où ils comptent plus de 90% des interventions. En Ille et Vilaine, les locataires sont plus présents avec un tiers des interventions, grâce au partenariat que les Compagnons Bâtisseurs, avec le temps, ont réussi à mettre en place avec l’OPAC 35 (logements sociaux individuels). Autre différence entre les deux départements, la proportion des ménages avec ou sans enfants. Globalement, les familles avec enfants (monoparentales ou non) sont plus nombreuses, surtout en Ille et Vilaine (80% des dossiers présentés en 1999 et 2000). Mais dans les Côtes 5 Ces emprunts font aussi partie du droit commun et offrent ainsi des taux d’intérêt très avantageux, voire nuls. Cependant, ils sont gérés par des banques, ici en l’occurrence, le Crédit Immobilier de Bretagne, qui demandent des garanties de remboursement (refus si surendettement, ou si mauvaises conditions de santé.

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d’Armor, la proportion s’inverse presque avec près de 70% de célibataires, veufs, ou couples sans enfants. En effet, dans les Côtes d’Armor, l’action a été mise en place pour des bénéficiaires du RMI, ce qui amène à rencontrer plus de personnes seules qu’en Ille et Vilaine, où l’action est accessible à tous les publics en difficulté.

Les problèmes de logement Les conditions de logement constatées par les travailleurs sociaux qui orientent le public vers l’action sont souvent précaires, et parfois même dangereuses : défauts de sécurité, humidité et froid, absence de confort élémentaire, surpeuplement, problèmes assainissement. Une forte proportion de logements ne dispose pas d'eau chaude ou de salle d'eau. Beaucoup des travaux réalisés sur les chantiers d'autoréhabilitation accompagnée concernent l’accès et la maîtrise de l'énergie (installation de l’eau courante ou du chauffage, isolation thermique…). Les interventions des Compagnons Bâtisseurs Bretagne se traduisent la plupart du temps par des chantiers lourds de rénovation de l’habitat, qui feront aussi appel à des entreprises pour certaines parties des travaux : sorties de vétusté, sorties d’insalubrité. Les petits chantiers sont peu nombreux. Les interventions les plus légères concernent les petits travaux d’aménagement ou de propreté (lessivage, peintures, papier-peint, tapisseries). Elles sont exceptionnelles lorsqu’elles ne sont pas associées à l’aménagement d’un nouvel espace à vivre, ou à une rénovation plus globale. Elles répondent à plusieurs problèmes graves pour les familles, les situations d’habitat combinant des:

- problèmes sanitaires : absence d’installations de confort et d’hygiène ; - problèmes thermiques : isolation, absence de chauffage, humidité ; - manque d’espace : souvent lié à la présence d’enfants qui n’ont pas d’espace à eux, ou

sur-occupation du logement au regard du code de la construction (qui conditionne le financement des travaux) ;

- problèmes de sécurité : installations électriques dangereuses, escalier ou cheminée en mauvais état.

Les tableaux suivants (tableaux n°2 à 5) synthétisent les problèmes d’habitat qui poussent les travailleurs sociaux à mettre en œuvre le projet d’amélioration de l’habitat des ménages. On y retrouve les différentes combinaisons des problèmes d’habitat rencontrés pour chaque dossier présenté en commission, et le nombre d’interventions techniques nécessaires pour le résoudre. Sur la totalité des situations étudiées, les problèmes les plus fréquemment rencontrés sont d’abord les problèmes thermiques (plus de 57%), les problèmes sanitaires et les problèmes de sur-occupation de la surface habitable (environ la moitié), les problèmes de sécurité (le plus souvent électrique). On compte deux sorties d’insalubrité. La procédure de sortie d’insalubrité est en fait peu mise en œuvre parce que trop contraignante, et peu adaptée à l’autoréhabilitation accompagnée. D’une part, les travaux doivent être réalisés dans les deux ans, délais qui sont très difficile à tenir, compte tenu de la longueur des procédures administratives. Le risque est important, puisque dans le cas contraire, c’est l’expulsion. D’autre part, la déclaration d’insalubrité stigmatise encore plus le ménage concerné.

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Tableau 2 : Les interventions techniques à réaliser pour chaque logement en Ille et Vilaine

CHANTIERS SANITAIRE THERMIQUE SECURITE ESPACE PROPRETE N° 1 3 1 1 N°2 2 3 1 1 1 N°3 2 1 1 N°4 1 1 1 N°5 2 2 N°6 1 3 1 1 N°7 1 2 1 N°8 1 1

1999

N°9 1 1 N°10 5 N°11 1 1 N°12 2 6 2 1 1 N°13 2 1 1 N°14 1 1

2000

N°15 1 2 1 Nombre de chantiers 15 10 14 9 8 9

Tableau 3 : Les interventions techniques à réaliser pour chaque logement en Côtes d’Armor

ANNEE CHANTIERS SANITAIRE THERMIQUE SECURITE ESPACE PROPRETE N°1 1 N°2 1 1 1 N°3 1 1 N°4 2 N°5 1 1 N°6 1 1 1

1999

N°7 1 1 N°8 1 1 N°9 3 1 N°10 2 N°11 4 1 1 N°12 1 N°13 1 1 1 N°14 1 N°15 1 N°16 1

2000

N°17 1 Nombre de chantiers 17 7 5 3 8 7

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Tableau 4 : Les types de problèmes identifiés sur les deux départements

SANITAIRE THERMIQUE SECURITE ESPACE PROPRETE TOTAL 7 5 3 8 7 18 ILLE ET VILAINE

41% 29% 18% 47% 41% 100% 10 14 9 8 3 15

COTES D’ARMOR 67% 93% 60% 53% 20% 100% 17 19 12 16 10 33

TOTAL 51,5% 57,5% 36% 48% 30% 100%

Tableau 5 : Nombre de problèmes identifiés sur un même logement

NOMBRE DE PROBLEMES ILLE ET VILAINE COTES D’ARMOR 1 47% 7% 2 29% 33% 3 23,5% 33% 4 0 27%

Sur les Côtes d’Armor, tous les logements à l’exception d’un seul, présentent des problèmes thermiques : pas de chauffage ou un chauffage défectueux, une couverture qui fuit ou mal isolée, des menuiseries à remplacer, des sols à isoler, ou encore, des problèmes d’humidité et de ventilation. Deux de ces logements les présentent tous à la fois. Un tiers manque aussi de confort sanitaire : il faut installer des WC, une salle d’eau, ou mettre aux normes un système assainissement, créer des conditions d’hygiène dans la cuisine. Même proportion pour les logements dangereux, qu’il s’agisse d’installations électriques dangereuses ou d’escaliers peu sûrs. Certains logements ne sont pas alimentés en électricité. En Ille et Vilaine, les problèmes thermiques sont moins systématiquement évoqués et concernent un tiers des logements. Les problèmes plus fréquemment mentionnés concernent les situations sanitaires et/ou de sur-occupation. Il apparaît aussi que l’habitat des personnes identifiées par les travailleurs sociaux, est moins délabré que dans les Côtes d’Armor. Les situations sociales n’en sont pas moins urgentes pour autant. On note par exemple, une menace d’expulsion, une sortie d’insalubrité, une toiture sui prend l’eau, ou encore des situations sanitaires critiques face à l’arrivée de l’hiver et à la présence d’enfants. Enfin, près de la moitié, et sur les deux départements, est sur-occupée et le chantier doit être l’occasion de créer de nouveaux espaces. Il s’agit souvent de familles avec des enfants à charge, ou qui viennent en visite lorsqu’ils sont placés, qui souhaitent leur aménager des chambres dans les combles. Précisons que ces différents tableaux nous permettent de nous faire une idée des problèmes de logement rencontrés par les ménages, mais ils ne peuvent refléter avec exactitude la réalité des situations. Il s’agit plutôt des problèmes auxquels les Compagnons Bâtisseurs et les travailleurs sociaux ont trouvé une solution réalisable, dans la limite des financements mobilisables. Aussi, on est souvent en dessous de la réalité, les travaux réalisables ne réglant qu’une partie des problèmes de logement. Pour entrer dans la réalité des situations vécues par les familles ou les personnes isolées, nous vous proposons une série de portraits et de témoignages (voir encadrés).

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Des opérations souvent lourdes, donc, mais qui ne sont en aucun cas contradictoires avec la possibilité de faire participer le ménage à l’amélioration de son logement. Au contraire, le projet d’habitat devient le support d’un projet social, défini avec le travailleur social, et qui va s’appuyer sur les capacités des ménages (connaissances techniques pour certains, motivation et détermination pour d’autres) pour débloquer une situation.

Chantier 1 - Côtes d’Armor Monsieur et madame X sont exploitants en fermage. Leur propriétaire ne veut pas entendre parler de travaux, bien que tout soit à refaire dans la maison. Le travailleur social parle de « conditions de vie d’un autre âge » : pas d’eau courante ni de sanitaires, pas de chauffage et un sol en terre battue. Le chantier d’autoréhabilitation permettra de mettre à contribution monsieur, qui est un ancien des BTP, et de solliciter l’aide de la Fondation Abbé Pierre pour financer les travaux.

Le principe de base d’un chantier d’autoréhabilitation accompagnée est de mettre à profit les capacités de ces ménages qui n’ont pas forcément les moyens financiers, relationnels ou techniques de mener à bien, et seuls, leur projet d’amélioration de l’habitat. Bien souvent, l’intervention des Compagnons Bâtisseurs consiste à donner un coup de pouce pour concrétiser une volonté d’autonomie, manifeste au travers des différents « systèmes d » mis en œuvre par ailleurs. Certains ont entamé des projets d’habitat, mais les ont interrompus à des phases diverses : seulement à l’état de rêve ou de projet, ou ayant déjà réalisé des travaux. Cette autonomie manifeste est la première raison qui motive les travailleurs sociaux à présenter des ménages aux Compagnons Bâtisseurs (voir tableau 6 ), elle concerne près d’un tiers des situations examinées. Tableau 6 : Le projet social auquel répondent les chantiers d’autoréhabilitation accompagnée

PROJET SOCIAL ILLE ET VILAINE COTES D’ARMOR TOTAL Relancer un projet 7 5 12

Rompre l’isolement 5 3 8 Sur-occupation 4 3 7

Echec d’un relogement 2 2 4 Mobiliser / entretien logt 2 2

Formation professionnelle 1 1 2 Valoriser chef de famille 1 1

Améliorer relations familiales 1 1 Sécurité / présence d’enfants 1 1

Menace d’expulsion 1 1 Refus entreprises 1 1 Départ-mutation 1 1 Habitat adapté 1 1

Des projets qui ont besoin d’un coup de pouce à différents niveaux. Le chantier peut être trop lourd pour une personne seule, il lui faut un complément de main d’œuvre ou des conseils techniques. D’autre fois, et c’est souvent lié à l’alcoolisme, des travaux ont été commencés dans tous les sens et l’équipe accompagnatrice apporte un cadre et aide à planifier les tâches à réaliser (chantier 6 dans les Côtes d’Armor).

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Chantier 6 - Côtes d’Armor

M. D. est célibataire, ancien salarié du bâtiment (plombier-chauffagiste). Il a commencé, il y a plus de dix ans, un projet de réhabilitation d’une maison magnifique et de caractère architectural intéressant. Il avait alors bénéficié d’une aide PÀH pour faire les travaux lui-même. Les travaux ont été interrompus faute de moyens. Le chômage a aussi fait son œuvre. A l’arrivée des Compagnons Bâtisseurs, les travaux avaient été commencés partout dans tous les sens, selon les opportunités. Monsieur D. tient absolument à faire lui-même la majeure partie des travaux restant à faire. Les Compagnons Bâtisseurs interviennent sur les tranches nécessitant un apport de main d’œuvre et de compétences. Pour le reste des travaux, les Compagnons Bâtisseurs assurent un contrôle, un suivi et accompagnement minimal à l’autoréhabilitation. Au début du chantier, il y a eu quelques frictions, car il ne comprenait pas bien le rôle des jeunes volontaires. Mais ensuite, Monsieur D. était toujours prêt quand les Compagnons Bâtisseurs arrivaient, et a emprunté des outils pour pouvoir continuer lorsqu’ils n’étaient pas là. Il parle de plus en plus de retrouver un emploi. Les Compagnons Bâtisseurs Compagnons Bâtisseurs pensent alors lui proposer de travailler sur un autre chantier, en tant que salarié en contrat Emploi Solidarité (CES), pour voir quelle est sa capacité à intégrer les normes et à reprendre un travail si quelqu’un lui donne des ordres d’exécution, et ainsi l’aider dans ses démarches de retour à l’emploi. Mais après l’été où il a travaillé sur son chantier, monsieur D. se démotive et ne réalise pas le reste des travaux qui sont à sa charge. L’une des raisons est qu’il n’a pas obtenu tous les financements attendus. Alors que ces derniers devraient être terminés, il reste encore beaucoup à faire. Les Compagnons Bâtisseurs tentent de l’encourager sans faire à sa place, mais monsieur D. a des problèmes d’alcoolisme et entame toujours beaucoup de choses sans les finir. Il a aussi beaucoup de problèmes de santé dus à son alcoolisme. Finalement, il ne respecte pas le contrat de participation qu’il a signé avec les Compagnons Bâtisseurs, et il ne peut y avoir de réception de chantier sans que les travaux soient finis. Les Compagnons Bâtisseurs sont dans une situation délicate.

Les deux exemples cités concernent des anciens professionnels du bâtiment et montrent bien que l’accompagnement fourni n’est pas seulement technique, loin s’en faut. Ils montrent aussi que disposer de compétences techniques n’est pas la condition sine qua none pour réaliser des travaux en autoréhabilitation accompagnée. Il faut aussi prendre en compte a capacité à s’approprier un projet et à y exprimer ses propres valeurs, son identité. Même sans connaissances techniques, certains ménages ont une idée bien précise de la façon de faire. Au cours de nos visites de terrain, nous avons pu distinguer deux cas relativement courants: les néo-ruraux avec des conceptions « bio » de la maison (exemples dans l’encadré qui suit), et les ruraux habitués au système « d » (chantier numéro 15 en Côtes d’Armor).

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Deux exemples de ménages néo-ruraux qui souhaitent appliquer les principes de l’écologie à leur projet d’habitat Chantier L.–L. - Côtes d’Armor 2001

Monsieur L. dirige une association qui lui permet de survivre avec sa femme et leurs trois enfants. Ils habitent une maison où il n’y a qu’un robinet d’eau. Les enfants dorment sous la laine de verre. L’installation électrique est plus que sommaire (un compteur et une prise de courant) et dangereuse. Ils ont bricolé une éolienne qui ne fonctionne pas. Le couple souhaite faire une extension de la maison, en « bio-briques ». Il est très engagé en faveur des solutions biologiques. Il milite aussi pour la qualité de l’eau et est candidat aux élections.

Chantier 3 - Côtes d’Armor M F. , jeune intermittent du spectacle, a quitté la capitale pour un retour aux sources. Il s'achète une petite maison et souhaite y investir son projet d'habitat selon ses propres valeurs: en premier lieu, il souhaite n'utiliser que des matériaux écologiques dès que cela est possible (chanvre pour l'isolation, par exemple). Il n'est pas pressé, c'est autour de ce projet, qu'il va construire toute sa vie. Ses exigences se situent plutôt au niveau de la qualité et de l'esthétique. Quand il s'installe dans la maison, les éléments de confort sont très limités: un point d'eau froide, une ampoule dans la pièce principale. Tout est à faire, et l'intervention des Compagnons Bâtisseurs concerne autant le gros œuvre, que les finitions: installer la plomberie sanitaire et l'électricité, transformer une grange à cochon en salle de bains, faire toute l'isolation, créer un assainissement… Il veut aussi réaliser un maximum de travaux seul M F. participe bien aux travaux et s'entend bien avec l'équipe de jeunes volontaires, dont il se rapproche par l'âge. Cependant, le fait qu'il accorde de l'importance à l'esthétique et qu'il ne soit pas manuel, ralentit le chantier qui avance lentement.

D’autres ménages, au contraire, sont installés dans leur maison depuis toujours. Ils sont habitués à vivre dans des conditions de confort plus que sommaires, dans des logements qui n’ont pas toujours eu le statut d’habitations, et qu’ils ont déjà commencé à adapter à des besoins minimaux grâce à la débrouille. Ces ménages refusent souvent d’être aidés, et mettent un point d’honneur à se débrouiller seuls. Le plus difficile sera de leur faire accepter les contraintes techniques et réglementaires qui viennent modifier leur projet de départ et compliquent les démarches.

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Chantier 15 - Côtes d’Armor

M.A est propriétaire d’une maison en très mauvais état, sans eau ni électricité. Les travaux à effectuer sont importants sociaux et coûteux, mais Monsieur est très attaché à sa maison et n’accepterait pas de vivre ailleurs, d’autant qu’il est socialement bien intégré. Le relogement serait un échec. Pour palier aux incommodités, M.A improvise et s’organise: il installe une éolienne, qui ne fonctionne plus aujourd’hui, et branche un groupe électrogène sur son tracteur pour faire marcher sa machine à laver. Son tracteur est aussi son seul moyen de locomotion. Les travaux envisagés concernent la création de sanitaires, l’alimentation en électricité, la toiture, et le changement des menuiseries. Ceci, pour un montant de 16 000 €. Le dossier est toujours en cours d’instruction, en attente de pièces administratives. Les Compagnons avaient d'abord envisagé de remettre l'éolienne en fonctionnement ou de la remplacer par une nouvelle. Cette solution semblait être la plus adaptée aux habitudes de M.A et la plus économe à l'usage, mais ils n'ont pas trouvé de moyens de financer cette installation coûteuse à l'investissement. Le choix se reporte alors sur l'alimentation de la maison en électricité, mais la DDE refuse de donner une autorisation d'électrisation du bâtiment car celui-ci n'a pas le statut d'habitation et qu'on ne peut accorder une autorisation de permis de construire. En raison de son statut, l'habitation ne présente pas les caractéristiques requises pour l'octroi de la Prime pour l'Amélioration de l'Habitat de la DDE. Pour ce faire, M. A devra régler les rappels de la taxe foncière qui n’a pas été payée, pour un montant de 30 à 45 €/an. La Fédération Habitat et Développement, maître d'œuvre du projet sur les Côtes d'Armor propose donc de rencontrer le maire pour lui demander un permis qui présenterait l'habitation comme un "garage-atelier" dont on voudrait changer l'usage, et pour laquelle on peut avoir un permis de construction et une autorisation d'électrisation.

En revanche, d’autres ménages ont moins de facilités, surtout après plusieurs années de chômage et d’isolement, à prendre en main leur projet d’amélioration de logement. L’intervention de l’équipe consiste alors à rompre cet isolement, à instaurer une dynamique, et à mettre en situation de faire, des personnes restées longtemps inactives (chantier 10 dans les Côtes d’Armor). Parfois même, le projet social rejoint un projet de formation professionnelle pour des anciens salariés du bâtiment victimes du chômage de longue durée, avec une perspective d’embauche en CES par les Compagnons Bâtisseurs (chantier 6 en Côtes d’Armor). Une autre fois, il s’agira de permettre à madame L.B, veuve, de faire le deuil de son mari, en terminant les travaux que ce dernier avait entrepris de son vivant, ou encore de rompre l’isolement et l’inactivité.

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Chantier 10 - Côtes d’Armor

M. D. est célibataire, il vit dans une maison à flancs de coteaux. Des travaux ont été entrepris et ne sont pas terminés. Monsieur D. souffre de la solitude. Le projet autoréhabilitation est mis en œuvre pour lui permettre de se re dynamiser. Très inquiet, au départ, de ne pas pouvoir faire lui-même il s’est finalement beaucoup investi dans le projet qui lui a beaucoup plu. Avant l’intervention des Compagnons Bâtisseurs, il avait déjà tout nettoyé et avait commencé les travaux, ce qui a permis de réaliser des travaux supplémentaires par rapport aux devis.

Parfois encore, il s’agit de personnes marginales chez lesquelles les entreprises refusent d’intervenir dans le cadre d’un chantier classique. Dans ce cas, soit l’équipe des Compagnons Bâtisseurs réalise les travaux avec le ménage, soit elle prépare la venue de l’artisan (chantier 13 en Ille et Vilaine). L’accompagnement fourni par l’animateur technique, seul ou avec les jeunes volontaires, s’adapte à des situations très diverses, en comblant les manques, grâce aux capacités qui ont pu être identifiées et en s’appuyant sur les points forts. C’est ainsi que le chantier peut être dynamisant pour un ménage en difficulté. Repositionné en maître d’ouvre et en situation de réussite, celui-ci peut s’en servir comme d’un tremplin pour retrouver l’énergie d’initier d’autres projets et de se projeter dans l’avenir.

Chantier 13 - Ille et Vilaine Monsieur P., séparé, un enfant, est physiquement invalide. Il est aussi suivi en hôpital psychiatrique pour dépression. Il a accusé le refus de plusieurs entreprises pour faire les travaux, suite à un incendie dans la maison début 1999. Le projet technique consiste à profiter du remboursement des assurances pour réaménager la maison et créer des sanitaires. Le projet social est de rompre son isolement et de lui permettre de recevoir son fils chez lui.

Bien sûr, le chantier d’autoréhabilitation accompagnée ne règle pas tous les problèmes. L’alcoolisme, par exemple, fait souvent obstacle à la participation au chantier. On ne sait pas non plus quel impact aura le chantier à plus long terme, car même s’il a été une réussite, tant d’événements peuvent remettre en cause les acquis. Aucune enquête n’a encore été faite pour évaluer les effets des chantiers plusieurs mois ou plusieurs années après et voir quels événements peuvent les influencer. Les associations ont rarement des informations à ce sujet par le référent social. D’une façon générale, on estime la réussite d’un projet d’autoréhabilitation en fonction du degré de participation du ménage aux travaux (évalué en fonction de ses capacités), de la part d’ auto-réhabilitation. L’évaluation des capacités et de la motivation du ménage à participer à la conception du projet et aux travaux, révèle parfois des surprises. Comme nous le verrons plus en détail dans la partie 5, des personnes très occupées par ailleurs, peuvent trouver le temps et l’énergie de s’investir sur leurs chantiers. De même, les femmes, si peu présentes encore aujourd’hui dans les métiers du bâtiment, ne sont pas en reste et participent grandement aux chantiers d’autoréhabilitation.

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Nombreux sont aussi les chantiers motivés par la volonté des parents d’améliorer les conditions de vie de leurs enfants qui apprécient particulièrement les chantiers et la présence de l’équipe des jeunes volontaires. Qu’il s’agisse de leur créer un espace bien à eux, ou de faire une salle de bains, ils sont souvent les premiers enthousiastes pour participer activement aux travaux, et ce, dès le plus jeune âge (on a vu notamment des enfants d’à peine trois ans, ravis de porter les pots de peinture…). Sur ce dernier type de chantier, l’objectif social évoqué par les travailleurs sociaux est aussi d’enclencher, ou de réveiller une dynamique familiale. Ils attendent du chantier qu’il valorise le chef de famille et qu’il contribue à améliorer les relations au sein du foyer.

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Partie 2

Un repérage

orienté des besoins Le profil des ménages, qui bénéficient de l’appui des Compagnons Bâtisseurs de Bretagne pour réaliser leur projet d’amélioration de l’habitat en autoréhabilitation accompagnée, dépend entièrement des repérages réalisés par les travailleurs sociaux. Ce sont ces derniers qui présentent les ménages à l’association. Voyons plus précisément comment se font les repérages des situations.

Essayer pour comprendre Ce sont les travailleurs sociaux de terrain, en contact avec les ménages en difficulté pour d’autres projets, ou pour des aides d’urgence, qui identifient les besoins des ménages en terme de logement : logements sous-équipés, sur-occupés, présentant des problèmes thermiques, d’hygiène, parfois même insalubres ou dangereux. Ils peuvent proposer de monter un projet d’autoréhabilitation accompagnée avec les Compagnons Bâtisseurs, ou faire intervenir une entreprise classique du bâtiment. Ils choisiront l’autoréhabilitation accompagnée s’ils pensent que le ménage en tirera un plus grand bénéfice. Au cours de nos entretiens avec les travailleurs sociaux de différentes structures, nous avons pu constater la similitude des arguments avancés pour faire appel à l’autoréhabilitation accompagnée. Nous avons aussi pu constater que c’est en expérimentant l’action auprès des ménages qu’ils en comprennent le sens. Au départ, c’est plutôt la contrainte qui conduit le travailleur social à faire le choix de l’autoréhabilitation. Les arguments avancés sont ceux du refus de l’intervention des entreprises locales en raison d’une trop grande marginalisation du public (dettes des personnes connues, modes de vie marginaux et présence de nombreux animaux), ou bien, parce que le ménage a déjà acheté les matériaux ou déjà entamé les travaux, ou encore, on espère que la participation aux travaux fera baisser les prix. C’est un second choix, face à l’intervention classique d’un artisan à laquelle on ne peut accéder. Et c’est souvent avec étonnement que les travailleurs sociaux, après le chantier, constatent des changements sociaux qui vont bien au-delà de l’amélioration du bâti :

« Lors de mes dernières visites chez Mr et Mme D., j’ai été étonnée de voir que le logement est beaucoup mieux entretenu. Pour les enfants aussi, ça a créé une ouverture. Ils ont eu quelque chose à raconter à l’école et l’un d’entre eux correspond toujours avec un jeune volontaire de l’équipe des Compagnons Bâtisseurs. » (une conseillère en économie sociale et familiale de la MSA) « Avant, Mr A. fuyait tout ce qui est “social”. Pendant le chantier, il s’est beaucoup impliqué, et aujourd’hui, l’assistante sociale de secteur les voit régulièrement. Elle a pu constater que Mr reprend sa place dans la maison. Il

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a pu s’imposer autrement qu’en criant : en réalisant quelque chose. » (une conseillère en économie sociale et familiale de la MSA)

C’est après l’avoir déjà expérimenté que le travailleur social proposera le chantier d’autoréhabilitation pour de vraies raisons, c’est-à-dire, pas comme second choix, mais pour ce qu’il apporte de plus qu’une intervention classique. A partir de ce moment, l’autoréhabilitation apparaît non seulement comme un outil qui permet d’intervenir là où le secteur marchand ne le peut pas, mais en outre, les travailleurs sociaux parlent de sa capacité à redynamiser des personnes ou des projets familiaux, à soutenir ou à susciter l’autonomie. Pour un public familial, le chantier apparaît comme un support éducatif particulièrement riche. Il peut permettre :

« (…) d’ouvrir les horizons (des enfants notamment), de prévenir les conflits entre parents et enfants par la création de chambres, de réinvestir et de revaloriser le père de famille, de réapprendre la vie en société. » (une conseillère en économie sociale et familiale de la MSA)

Les travailleurs sociaux y voient même un outil précieux pour leur propre mission, car il leur permet souvent de rétablir la confiance de leur public vis à vis des services sociaux en général, et rend ainsi leur travail plus facile par la suite.

« Certaines familles sont rebutées par tout ce qui est « social ». Elles refusent cette logique d’assistance, ont peur des sanctions et ont le sentiment que d’être en contact avec nous les stigmatise. » (une conseillère en économie sociale et familiale de la MSA) « La famille était repliée sur elle-même. Madame était très méfiante vis à vis des services sociaux, qui représentent ,pour elle, des sanctions. Enfant, elle a vécu un placement et dans son voisinage, plusieurs enfants ont été séparés de leurs parents. Aujourd’hui, Madame n’a plus cette méfiance et fait appel aux services qui peuvent l’aider à répondre à ses besoins.» ( une conseillère en économie sociale et familiale d’un centre communal d’action sociale)

En outre, la présence de l’équipe des Compagnons Bâtisseurs au domicile des ménages, des journées entières et sur une période prolongée, leur permet d’avoir des informations sur « l’ambiance familiale », et ainsi de mieux adapter leurs actions futures. C’est donc l’expérience du chantier d’autoréhabilitation qui permet d’en saisir le sens. Ce constat est d’ailleurs confirmé, si l’on examine la liste des travailleurs sociaux qui ont fait appel aux Compagnons Bâtisseurs en Ille et Vilaine, où il n’existe pas de commission spécifique. Cette liste n’est pas longue, ce sont souvent les mêmes noms qui reviennent.

Pour chaque département des partenaires et des projets différents Les travailleurs sociaux dont nous venons de parler, et qui sont les partenaires des Compagnons Bâtisseurs peuvent avoir différents statuts: Assistantes sociales des centre sociaux (CDAS ou CCAS), Animateur d’insertion RMI, ou Conseillers en Economie Sociale et Familiale. Ces derniers, les conseillers en économie sociale et familiale, sont les mieux placés pour participer en tant que partenaires, aux projets d’autoréhabilitation, puisque leur

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spécialisation les a préparés à traiter les problèmes d’habitat dont ils ont en charge et que, contrairement à leurs collègues, ils se rendent au domicile des familles. Ce sont ces visites au domicile, motivées par d’autres raisons qu’un problème de logement (gestion du budget familial, lecture des factures, par exemple), qui leur permettent d’établir un diagnostic habitat. Les travailleurs sociaux qui présentent les ménages aux Compagnons Bâtisseurs, appartiennent à différentes structures : assistantes sociales ou conseillers en économie sociale et familiale des centres communaux et départementaux d’action sociale (DDASS 35) du Conseil Général, conseillers en économie sociale et familiale de la Mutualité Sociale Agricole (MSA), animateur d’insertion RMI, assistantes sociales de la Caisse des Allocations Familiales. En Ille-et-Vilaine, où les Compagnons Bâtisseurs interviennent depuis plus de trente ans, les situations des ménages sont étudiées dans 7 Commissions Locales Habitat, qui couvrent chacune le territoire de deux CDAS. Ensuite seulement, les travailleurs sociaux prennent contact avec le chef de projet autoréhabilitation de l’association, pour voir si le dossier est réalisable (travaux à réaliser, financements mobilisables, degré de participation envisageable). Ces commissions locales habitat sont des commissions de décision concernant les demandes d’aides financières entrant dans le cadre du Fonds social habitat (FSH) prévu par le Plan départemental d’action pour le logement des personnes défavorisées, pour l’accès, le maintien dans l’habitat et les dettes de loyer. Y participent, en théorie, les offices HLM du territoire, les représentants de la CAF, de la DDE, du Pact Arim, de la ville la plus importante, le responsable de l’un des deux CDAS (qui représente aussi la DDASS/ l’autre est à la CLI). En théorie, car certains conseillers en économie sociale et familiale déplorent le manque d’assiduité des représentants HLM et du Pact Arim. Les conseillers en économie sociale et familiale qui présentent les dossiers, sont invités en tant que conseillers techniques, mais n’ont pas de pouvoir de décision. Ce mode de décision permet d’améliorer la prise en compte des problèmes de mal logement ainsi que la connaissance des solutions à construire ou à inventer pour résoudre ces problèmes. Les acteurs sociaux et les élus locaux sont ainsi plus au fait des réalités, ce qui leur permet de mieux comprendre qu’ailleurs les enjeux et les effets de l’accompagnement à l’autoréhabilitation.

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Le Plan Départemental d’Action pour le Logement des Personnes Défavorisées6

La loi Besson du 31 mai 1990, renforcée par la loi relative à la lutte contre les exclusions du 29 juillet 1998, énonce le droit au logement comme un droit fondamental faisant appel à la solidarité nationale. Avec ces deux textes, l’élaboration de Plans Départementaux d’Action pour le Logement des Personnes Défavorisées (PDALPD) est rendue obligatoire, de même que la mise en place de Fonds de Solidarité pour le Logement (FSL). Le Plan Départemental d’Action pour le Logement des Personnes Défavorisées est le cadre institutionnel de définition et d’harmonisation des initiatives en direction du logement des familles en situation précaire. Il est élaboré conjointement par le Préfet de département et le Président du Conseil Général, en association avec l’ensemble des partenaires du logement et de l’action sociale. Le Fonds de Solidarité pour le Logement est l’outil financier de ce Plan Départemental. Il prévoit des aides financières à la solvabilisation des ménages, un accompagnement social, et des garanties financières aux organismes agréés pratiquant la sous-location. En Ille et Vilaine, il est géré par la Caisse d’Allocations Familiales. Selon les ressources du ménage, les aides financières prennent la forme de secours ou de prêts sans intérêt.

Les Commissions Locales Habitat se réunissent au cours de réunions plénières et techniques :

« En leur réunion technique, elles ont à connaître la situation globale des personnes défavorisées en matière de logement (proposition d’attribution, aides financières) et à se prononcer sur les mesures de suivi social et de sous-location. En leur réunion plénière, il leur appartient de définir les objectifs locaux pour une politique du logement en faveur des plus démunis. »7

La formation technique se réunit tous les deux mois. Y sont examinés les dossiers MOUS de rénovation de l’habitat pour propriétaires occupants ou locataires (à condition que les propriétaires donnent leur accord et en aient les moyens). C’est pendant ces commissions techniques qu’il peut être décidé de faire appel aux Compagnons Bâtisseurs pour réaliser les travaux d’amélioration en autoréhabilitation accompagnée. En raison de la composition de la commission et du contexte MOUS (voir encadré), le public concerné, en contact avec les CDAS, les allocataires de la CAF ou de la MSA, est principalement composé de familles avec enfants (80 % de familles, voir le tableau 1).

6 In Le guide de l’habitat et du développement, édité par la Fédération Nationale Habitat et Développement, 2001. Ce guide répertorie tous les dispositifs en matière de financement de l’habitat, d’aide au logement des plus démunis, de tourisme rural ou de maîtrise de l’urbanisme. 7 In, Le Plan Départemental d’Action pour le Logement des Personnes Défavorisées, document du Conseil Général et de la Préfecture d’Ille et Vilaine.

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Le dispositif de Maîtrise d’Oeuvre Urbaine et Sociale (MOUS)8

La Maîtrise d’œuvre urbaine et sociale est une démarche intégrée au PDALPD « qui tend à favoriser le logement des personnes en difficulté soit par un accès à un nouveau logement, soit par un maintien avec travaux d’amélioration dans le logement existant »9. La MOUS comporte plusieurs types d’actions, qui sont choisis en fonction des situations individuelles examinées avec les commissions locales de l’habitat : recherche de logements, étude de faisabilité, assistance technique et administrative. Les attributaires sont des organismes opérateurs spécialisés, en l’occurrence pour les départements d’Ille et Vilaine et des Côtes d’Armor, il s’agit du Pact Arim et de l’association Habitat et Développement, présentés en partie 3 de ce rapport. Les mesures MOUS sont subventionnées par l’Etat, le département et les collectivités locales. Texte de référence : circulaire N°95-65 du 2 août 1995.

L’avantage de ce mode d’organisation des prises de décision est de faire connaître l’autoréhabilitation accompagnée aux partenaires institutionnels locaux. Ils ont l’occasion d’y entendre les témoignages des travailleurs sociaux, présents, rappelons-le, en tant que conseillers techniques (ils ne participent pas à la prise de décision). La DDE 35, par exemple, constate l’apport technique qu’elle peut y trouver : conformément à ses propres objectifs, l’accompagnement permet le respect des normes réglementaires et le contrôle financier des aides accordées, notamment pour ce qui concerne la prime à l’amélioration de l’habitat. Une convention délègue aux Compagnons Bâtisseurs la responsabilité de contrôle et d’application des différentes normes en vigueur, dans les améliorations réalisées par les particuliers. L’achat et l’utilisation des matériaux, ainsi que le paiement des entreprises, sont chapeautés par l’opérateur MOUS (le Pact Arim ou l’association Habitat et Développement). La DDE sait aussi que l’accompagnement à l’autoréhabilitation peut constituer un apport social :

« Après le chantier, on constate la transformation de l’habitat en terme d’hygiène, mais aussi la transformation de la famille avec l’investissement du père. » (représentante de la DDE)

Le représentant de l’OPAC 35 a, lui aussi, bien conscience de l’intérêt qu’il peut trouver à la présence des Compagnons Bâtisseurs sur son territoire. C’est d’ailleurs sûrement grâce à cela que les Compagnons Bâtisseurs sont parmi les rares opérateurs d’autoréhabilitation accompagnée qui ont réussi à établir un partenariat avec des offices HLM, et à mettre en place avec eux les Ateliers de Quartier en milieu urbain. Une des raisons de cet intérêt de l’OPAC pour les chantiers d’autoréhabilitation accompagnée est d’éviter des procédures coûteuses d’expulsion et de récupérer un appartement en bon état. L’intervention des Compagnons Bâtisseurs permet en outre d’impliquer le ménage sur l’entretien de son logement :

8 In Le guide de l’habitat et du développement, édité par la Fédération Nationale Habitat et Développement, 2001. Ce guide répertorie toutes les dispositifs en matière de financement de l’habitat, d’aide au logement des plus démunis, de tourisme rural ou de maîtrise de l’urbanisme. 9 Voir le document Les aides financières au logement de la DDE 35.

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« Comme ils se sont investis, il y a une prise de conscience. Les Compagnons Bâtisseurs personnalisent les travaux, résultat : c’est adapté, donc approprié et entretenu. » (responsable OPAC 35)

Notre interlocuteur à l’OPAC 35 reconnaît bien la spécificité de ce type d’intervention : « Il y a un critère social et un aspect pédagogique au chantier d’autoréhabilitation. Il n’y a donc aucune concurrence faite aux entreprises qui ne proposent pas le même produit. » (responsable OPAC 35)

Dans les Côtes d’Armor, en revanche, l’action qui a été mise en place avec les Commissions Locales d’Insertion (CLI) responsables des bénéficiaires du RMI, compte une majorité de personnes isolées et de jeunes adultes (les célibataires et couples sans enfants y représentent près de 70 % du public, voir tableau 1). L’action y est beaucoup plus récente, mais a bénéficié, dès ses prémisses, de la mise en place d’une commission spécifique. Depuis 1999, les conseillers en économie sociale et familiale et les assistantes sociales des CLI se réunissent, environ tous les deux ou trois mois, avec les Compagnons Bâtisseurs, la Fédération Habitat et Développement 22 (voir encadré), pour mettre en place des projets d’autoréhabilitation accompagnée. Plus rarement, le Pact Arim, et exceptionnellement la CAF, y participent aussi.

Un contexte législatif qui marginalise les réalisations Nos interlocuteurs de la DDE 35, qui participent aux commissions locales de l’habitat, connaissent bien l’action des Compagnons Bâtisseurs. Parce qu’ils ont compris le sens de l’action et qu’ils sont convaincus qu’il est important que les familles puissent réaliser les travaux par elles-mêmes, ils s’y sont engagés. Mais le contexte réglementaire est loin de les y inciter, bien au contraire. La loi demande que l’interdiction de financer les travaux réalisés par des particuliers soit appliquée avec rigueur :

« Afin de favoriser l’emploi dans le bâtiment et de lutter contre le travail clandestin, vous ne financerez plus avec la PAH les travaux non réalisés par des entreprises ou des artisans. Des mesures similaires vont être soumises au prochain conseil d’administration de l’ANAH. Je vous demande de veiller à l’application stricte de cette nouvelle disposition. » (extrait de la circulaire de programmation du 31.12.96)

Nos interlocuteurs permettent donc, mais de façon exceptionnelle (seulement 5 par an), la réalisation de chantiers d’autoréhabilitation, malgré le contexte législatif :

« La loi ne permet pas de financer sur fonds publics ce qui est réalisé par les familles, elle impose l’intervention d’une entreprise. Avec les Compagnons Bâtisseurs, c’est vraiment un arrangement qui permet de comptabiliser ce travail pour diminuer les coûts. C’est une particularité du département. L’obligation de faire intervenir des entreprises a pratiquement stoppé l’autoréhabilitation. Sur 1200 dossiers que nous traitons par an, seuls 5 concernent l’autoréhabilitation, et tous sont des propriétaires occupants. Aujourd’hui, ceux qui peuvent continuer, sont ceux qui n’ont pas besoin d’aide. On arrive à des aberrations, puisqu’un ouvrier du bâtiment ne peut

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faire des travaux chez lui, sauf s’il a le statut d’artisan et qu’il peut faire un devis. Mais la loi répond aux abus qui ont été faits sur la période précédente, pendant laquelle il n’y avait aucun moyen de contrôler si les fonds étaient bien utilisés pour ce pourquoi ils avaient été demandés. Certains les ont utilisés pour leur maison de campagne, où pour embaucher des amis au noir… » (interlocuteur DDE 35)

Si la DDE 35 accorde des dérogations de fait aux Compagnons Bâtisseurs, c’est aussi parce qu’elle y trouve son compte. L’accompagnement fourni par les Compagnons Bâtisseurs permet d’exercer le contrôle des travaux réalisés par des particuliers :

« Avant l’encadrement des actions par les Compagnons Bâtisseurs, les gens confondaient accord de financement de la DDE, et autorisations de travaux ou de permis de construire : « s’ils ont payé, ils sont d’accord ». « On a été confrontés aux architectes des bâtiments de France qui voulaient changer des fenêtres finies et financées sur fonds publics. Les Compagnons Bâtisseurs permettent le respect des normes par l’encadrement qu’ils proposent et présentent une garantie de bonnes réalisations. » (interlocuteur DDE 35)

Ainsi, l’accompagnement fourni par les Compagnons Bâtisseurs, et plus largement, la présence d’un opérateur en autoréhabilitation accompagnée, crée un contexte différent de celui prévu par loi. Celle-ci devient alors inadaptée, et tend même à créer des inégalités. Il serait donc profitable à tous de prévoir des dérogations. Mais alors, le problème prend des proportions nationales. C’est ce que nous avons pu constater lorsque nous avons rencontré un responsable de l’ANAH, et les deux fédérations d’entreprises du bâtiment. Ces dernières feraient pression, auprès des ministères, contre l’autoréhabilitation, dénonçant l’embauche de travailleurs clandestins, payés par des fonds publics, et constituant une concurrence déloyale aux entreprises. Lorsque nous avons rencontré leurs représentants, ceux-ci nous ont dit s’opposer en fait à l’autoréhabilitation spontanée, « sauvage »10, et ne rien connaître au travail réalisé par les opérateurs. Les décideurs nationaux, quant à eux, ne bénéficient pas souvent d’un réel contact avec le terrain et avec les travailleurs sociaux départementaux, et n’entendent finalement qu’un seul son de cloche. Lever les a priori des corps de métier du bâtiment vis à vis de l’autoréhabilitation accompagnée représente un enjeu pour faciliter la mise en œuvre de ce type d’actions, et ainsi permettre aux populations défavorisées d’améliorer elles-mêmes leur cadre de vie. Une information des professionnels du bâtiment est nécessaire, à partir des arguments suivants: il n’y a pas de concurrence déloyale puisque les entreprises classiques et les accompagnateurs d’autoréhabilitation ne proposent pas le même service ; de plus, l’action des opérateurs vous

10 Lors des entretiens avec les responsables de la CAPEB et de la FFB, nos interlocuteurs s’insurgent contre le développement des grandes surfaces de bricolage, qui selon eux, représentent aussi une concurrence déloyale. Sous prétexte de sécurité pour le bricoleur, ils aimeraient bien pouvoir étendre leur pression sur tous les particuliers qui « osent » ne pas faire appel à leurs services, et qui ont des compétences techniques. Où va-t-on ? Les restaurateurs et les traiteurs vont-ils bientôt obliger la ménagère à acheter des plats cuisinés par des professionnels, pour pas qu’elle ne se brûle ? Sans parler du fait que les artisans sont débordés de travail et qu’il faut parfois attendre un devis plus de six mois. Où est la concurrence quand il y a plus de demandes que d’offres ?

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ouvre des marchés auxquels vous n’auriez pas accès autrement11. Expliquer ce qu’est l’accompagnement à l’autoréhabilitation à ceux qui font pression contre toute forme d’autoréhabilitation, mais aussi aux décideurs nationaux, pour lever le poids des arguments qui leur sont présentés et aboutir à des dérogations, au moins sur les territoires où les ménages peuvent être aidés et encadrés par un opérateur spécialisé12.

Un public défini par la nature et l’implication des partenaires On a pu constater que la nature des partenaires réellement impliqués dans l’action, change le profil du public bénéficiaire des actions d’accompagnement à l’autoréhabilitation, même si les motifs du choix de cette solution se retrouvent dans les motivations sociales citées par les différents travailleurs sociaux. L’historique des partenariats locaux détermine un public, plus que l’autoréhabilitation elle-même, qui peut s’adapter à une grande variété de situations sociales. Dans les Côtes d’Armor, par exemple, la CAF n’a jamais présenté aucune famille sur le projet et a assisté à une seule réunion, pour venir avertir que s’il n’y avait toujours pas de ses allocataires positionnés sur l’action, elle allait se retirer du projet. Si l’on veut pouvoir élargir les bénéfices de l’autoréhabilitation accompagnée à un public plus vaste, il faudrait pouvoir convaincre et impliquer les travailleurs sociaux de chaque structure, mais aussi les dirigeants de ces structures, pour qu’ils donnent les moyens à leurs salariés de s’investir dans ce type d’action. Préjudice pour les personnes en difficulté, puisque l’action est sous-exploitée-on peut aisément supposer qu’ils sont plus de cinq à pouvoir en tirer un grand bénéfice, sur chaque département-, mais aussi pour l’association : trop peu de dossiers sont présentés en commission. Comme nous le verrons en détail dans la partie suivante, les délais avant de voir un chantier se réaliser, sont en moyenne de deux à trois ans, et de nombreux projets devront être abandonnés. Par an, seuls 3 à 5 chantiers verront le jour sur chaque département, et les blocages administratifs risquent de mettre l’équipe au chômage technique.

11 Comme nous le verrons, les Compagnons Bâtisseurs préparent la venue de l’artisan, et lui garantissent d’être payé, même s’il s’agit d’une intervention pour un ménage connu pour ses dettes. 12 Une telle dérogation a déjà été accordée en 1997, par le Secrétaire d’Etat au Logement, pour l’association des Chantiers de Solidarité dans le Maine et Loire, voir les courriers en annexe, même si cette solution ne semblait pas encore satisfaisante aux responsables de l’association.

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Partie 3

Un outil des politiques

locales de l’habitat Si les travailleurs sociaux identifient les besoins des ménages en terme d’habitat, c’est parce qu’ils pensent pouvoir proposer une solution à ces problèmes. On nous a souvent dit, au cours des entretiens, que s’il n’existait pas d’opérateur qui puisse répondre à ces problèmes d’habitat, on ne chercherait pas à en faire le diagnostic13. En effet, le principal soucis des travailleurs sociaux que nous avons rencontrés est de ne pas faire espérer en vain, ce qui pourrait à nouveau créer un sentiment d’échec pour des personnes déjà en situation fragile. Aussi, avant même de proposer un projet d’amélioration du logement à ces ménages, les travailleurs sociaux font une première évaluation de sa faisabilité financière. Pour cela, ils font appel à des spécialistes de la question au cours de la commission locale Habitat en Ille et Vilaine, ou de la commission locale Insertion dans les Côtes d’Armor. Cette tâche, qui consiste à identifier les fonds mobilisables en fonction du statut du ménage, incombe aux opérateurs MOUS, désignés comme tels par les conventions qui lient les partenaires du PDALPD, c’est-à-dire au Pact Arim ou à l’association Habitat et Développement. Voyons de plus près quelle est la procédure de traitement et de suivi des dossiers.

La procédure MOUS en Ille et Vilaine En Ille et Vilaine, ce sont les partenaires de la convention MOUS qui mandatent le Pact Arim ou l’association Habitat et Développement, au cours de la réunion technique de la commission locale Habitat, pour évaluer la faisabilité financière des projets et suivre les dossiers des ménages. Par commission, environ cinquante cas d’amélioration de logement seront présentés par les travailleurs sociaux et seront pris en charge par l’une ou l’autre des structures. Pour les chantiers qui seront réalisés en autoréhabilitation accompagnée, deux cas de figure peuvent se présenter : soit le travailleur social se rend à la commission locale Habitat pour présenter le cas au Pact Arim, qui mandatera à son tour les Compagnons Bâtisseurs, ce qui est le cas le plus fréquent ; soit le travailleur social contacte directement les Compagnons Bâtisseurs qui se déplacent au domicile du ménage, puis le Pact Arim qui est le garant de l’action pour les institutions. Ici, nous analyserons le premier cas de figure, qui correspond à la procédure prévue par le PDALPD, le second cas de figure, étant relativement marginal, et ne pouvant se faire qu’après mise en confiance du travailleur social. Nous avons vu, dans le chapitre précédent, que c’est au cours des réunions techniques des commissions locales Habitat qu’il sera décidé de réaliser le chantier en autoréhabilitation

13 Sauf lorsqu’il y a des risques pour les enfants, auquel cas il n’y a pas d’autre recours que les procédures de placement, sans possibilité d’aide pour les parents. On imagine bien l’aspect dramatique de telles solutions qui pourraient être évitées en donnant un coup de pouce aux parents.

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accompagnée, et il revient à « l’opérateur social »14 (Pact Arim ou Habitat et Développement) d’accepter ou non de traiter le dossier. S’ils l’acceptent, le Pact ou Habitat et Développement prennent rendez-vous avec le travailleur social référent et le ménage, afin de définir le projet qu’il est possible de faire, et expliquer le travail qui va être mis en place : préciser qu’un accompagnement administratif est fourni, et voir la volonté de participation du ménage. L’ « opérateur social » et le référent social analysent ensuite les problèmes juridiques et financiers que présente le projet, soumettent les résultas de cette étude de faisabilité à la commission locale Habitat, et enfin au ménage concerné. Ils présentent ce qu’il est possible de faire : problèmes d’habitat identifiés, travaux finançables, financements mobilisables, déblocage d’allocations logement. Si tous les partenaires présents à la commission locale Habitat et la famille sont d’accord, le projet est validé. L’ « opérateur social »15 est alors chargé de mobiliser les différentes solutions identifiées. D’une part, il doit aider le ménage à faire les demandes d’aides de droit commun, à solliciter une banque et/ou le Fonds Social Habitat pour compléter ces aides. Il se charge de rassembler les papiers nécessaires, avec l’aide du référent social, une tâche qui n’est pas si simple, à cause des situations compliquées des ménages positionnés sur l’action (comme nous le verrons dans le cinquième paragraphe de cette partie). S’il est décidé, en commission locale Habitat, de proposer un projet d’autoréhabilitation au ménage, les travailleurs sociaux et l’« opérateur social » contactent les Compagnons Bâtisseurs, qui seront maître d’ouvrage de la partie autoréhabilitation du chantier16, et les entreprises qui réaliseront les opérations trop complexes, afin de leur commander des devis. Dans les Côtes d’Armor, la procédure est la même, mais au sein des commissions locales Insertion pour des bénéficiaires du RMI. Individuellement, ou en commission, le travailleur social présente aux Compagnons Bâtisseurs le projet social et technique. Si les Compagnons Bâtisseurs acceptent, le travailleur social présente le projet d’autoréhabilitation accompagnée au ménage, qui doit donner son accord de principe (veut bien participer, ou veut bien accepter d’être aidé dans un projet entamé ) avant de rencontrer les Compagnons Bâtisseurs. Si la famille est d’accord, les Compagnons Bâtisseurs se rendent au domicile afin de réaliser le devis de leur intervention, afin de permettre au maître d’ouvrage de commencer à chercher les fonds nécessaires. Une fois les devis obtenus et après avoir reçu les accords financiers, le Pact Arim ou Habitat et Développement commandent les travaux :

« Nous nous substituons ici au propriétaire qui ne peut gérer les dossiers. On fait les demandes de prêt et on gère les fonds. Tout transite par le Pact : les devis et le paiement des entreprises ». (Pact Arim Ille et Vilaine)

14 Voir l’extrait de la convention Pact Arim / CLI de Vitré, qui désigne ainsi le Pact Arim, comme « opérateur social ». L’association des Compagnons Bâtisseurs y est désignée comme étant maître d’ouvrage. 15 Nous conservons les guillemets pour utiliser ce terme d’opérateur social car il est tiré d’une convention, mais aussi parce qu’il ne reflète pas vraiment la réalité. En effet, il suppose que l’accompagnement social est réalisé par l’organisme qui s’occupe de la recherche des aides financières aux travaux des particuliers en difficulté, alors que l’intervention des Compagnons Bâtisseurs se limiterait à une action purement technique. Or il n’en est rien. Comme nous le verrons dans les parties 4 et 5, l’accompagnement à l’autoréhabilitation est à la fois technique et social, et le manque de reconnaissance de cette double compétence est justement une des difficultés auxquelles sont confrontés une grande majorité des associations qui accompagnent les publics en difficulté dans l’autoréhabilitation de leur logement. 16 Nous verrons dans la partie suivante, que les chantiers d’autoréhabilitation accompagnée font aussi appel au service des artisans ou entreprises classiques du bâtiment. La plupart du temps, les travaux sont répartis entre le ménage, l’équipe technique des Compagnons Bâtisseurs et les entreprises.

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Pour le Pact, autoréhabilitation accompagnée et logique de gestion d’entreprise ne font pas bon ménage

« Toute la difficulté de notre tâche consiste à maintenir un bon équilibre entre notre préoccupation sociale et une saine gestion financière. » (Pact Arim 35)

Peu de dossiers d’amélioration de l’habitat sont dirigés vers l’action autoréhabilitation accompagnée. Ils sont encore moins nombreux à être présentés par le Pact Arim, qui est pourtant maître d’ouvrage MOUS mandaté par les partenaires du PDALPD, et qui affiche des objectifs d’implication pour l’aide à l’habitat des personnes défavorisées. Dans sa plaquette de présentation aux élus, le Pact 35, insiste sur sa capacité à « faire du social » :

« (Après le conseil aux particuliers, le second) service du Pact Arim 35 consiste à aider les personnes ayant des difficultés particulières dans l’adaptation de leur logement (…). L’action du Pact Arim tend vers un développement équilibré et solidaire (…) par l’intégration des différentes populations, et notamment les plus fragiles (…). »

Quand on sait que l’autoréhabilitation concerne justement ces populations fragiles, et notamment les plus marginales qui n’ont pas accès aux interventions des entreprises classiques, lire ces quelques lignes nous permet de croire que le Pact Arim est effectivement un interlocuteur de choix. Mais si l’on y regarde de plus près, la réalité est bien différente. L’observation du contexte et les entretiens menés montrent une certaine réserve à intervenir auprès de ce public, et encore plus de réticence à mettre en œuvre des chantiers en autoréhabilitation accompagnée. Dans les Côtes d’Armor, le représentant du Pact ne vient qu’exceptionnellement présenter des dossiers en commission autoréhabilitation. De même en Ille et Vilaine, les partenaires déplorent la faible participation du Pact . L’un de nos interlocuteurs, qui participe à l’une des commissions locales Habitat du département, nous a de plus précisé qu’une seule personne au Pact Arim 35 était chargée, pour tout le département, de traiter le conseil en rénovation, la maîtrise d’œuvre, la recherche de logement adapté, la sous-location et la gestion locative ! Autant d’indices qui seront éclairés par l’entretien avec le représentant du Pact Arim, qui, d’un côté nous expose l’intérêt de la participation pour les ménages, et de l’autre, nous explique le risque que ce type d’action fait peser sur le Pact Arim :

« Nous avons une démarche d’entreprise, pas de service social. Nous avons un soucis de productivité, et nous devons respecter le temps alloué. Traiter les dossiers d’autoréhabilitation accompagnée, c’est un piège, car bien qu’on ne connaisse pas le détail des dossiers à l’avance, la rétribution, elle, est forfaitaire17. C’est un risque financier important car les dossiers révèlent de nombreuses surprises, et qu’il nous faut les traiter sans savoir s’ils vont aboutir. Parfois, au bout de un ou deux ans de procédure, tout est annulé parce que la situation du ménage a changé. » (Pact Arim 35)

17 Pour ce qui est de la commission locale Habitat de Vitré, la convention qui lie le Pact Arim prévoit de la rétribuer à hauteur de 5 à 6000F par dossier traité.

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Le Pact Arim est décideur dans la commission locale Habitat en Ille et Vilaine. Partout ailleurs, c’est lui (avec Habitat et Développement) qui est chargé par l’Etat et les départements d’être maître d’œuvre des MOUS. Il choisit s’il va le réaliser avec son réseau d’artisans, ou bien s’il confie le chantier aux Compagnons Bâtisseurs.18 C’est lui qui va leur donner l’ordre d’intervenir.

Le Mouvement des Pact Arim Historique

1924 création de la Ligue nationale contre le taudis 1942 création du premier centre PACT (Propagande et Action Contre le Taudis) à Lyon 1951 création de la fédération des Centres PACT 1967 création des ARIM (Associations de Restauration Immobilière) 1975 sigle PACT change pour signifier Protection Amélioration Conservation Transformation de l’habitat

Le mouvement Le Mouvement des Pact Arim se compose aujourd’hui de 142 associations réparties sur tout le territoire métropolitain et les départements d’Outre Mer, de 2500 administrateurs bénévoles et de 3000 salariés. Les associations animent pour le compte de collectivités territoriales environ 1400 contrats (réhabilitation des quartiers, missions sociales, développement local…) et gèrent 13000 logements d’insertion. Elles contribuent à améliorer environ 115 000 logements par an et accompagnent 7 700 familles dans leur parcours d’insertion sociale. Sur son site Internet, le mouvement des Pact Arim indique aussi dans ses chiffres clés, qu’il « induit un montant de travaux de 7,4milliards de francs, ce qui représente 24 000 emplois directs dans le bâtiment ».

Services aux collectivités territoriales Les Pact proposent des informations, services et conseils, des études de programmes d’action, l’animation de programmes de réhabilitation de logements, d’aménagement et d’urbanisme, d’insertion sociale, la maîtrise d’œuvre et l’assistance technique, l’assistance à maîtrise d’ouvrage publique pour la production de logements sociaux. Ils appuient les actions des institutions partenaires de l’habitat en réalisant des diagnostics, en aidant à la décision et en instruisant les dossiers. Ils réalisent la maîtrise d’œuvre et l’assistance à la maîtrise d’ouvrage, l’étude, le montage, et l’animation de programmes d’action sociale et d’accès au logement de personnes défavorisées. Ils ont une mission de coordination et la mise en œuvre des politiques locales, départementales et régionales. En 1987 est crée l’UNAH, Union nationale pour l’amélioration de l’habitat 19, qui regroupe la Fédération nationale des Pact Arim et la Fédération nationale de l’habitat rural, actuelle FNHDR.

Finalement, on est en droit de se demander si ce n’est pas là une des raisons pour lesquelles il y a si peu de dossiers présentés par le Pact en commission. Le Pact Arim a-t-il intérêt à mettre en œuvre des chantiers d’autoréhabilitation ? Ceux-ci ne viennent-ils pas occuper un marché plus classique et tellement plus rentable pour le Pact Arim? Les 3 à 5 dossiers qui sont confiés chaque année aux Compagnons Bâtisseurs, ne seraient-ils pas ceux qui n’auraient pas du tout pu être traités par le Pact dans des circuits plus classiques et plus rentables?20

Faire coïncider le souhait des familles et le projet social Après une première identification des besoins, et l’étude préalable de la faisabilité financière, les travailleurs sociaux peuvent proposer l’action autoréhabilitation aux ménages. Il leur faut donc trouver des arguments qui correspondent aux intérêts que ces derniers ont formulés, et expliquer comment va se dérouler le chantier. Il est assez simple de leur dire que leur participation leur permettra de baisser le coût des travaux, surtout s’ils n’affirment pas une volonté d’autonomie. Certains d’entre eux

18 Il serait intéressant de comparer le bénéfice financier que le Pact tire des chantiers classiques et d’un chantier d’autoréhabilitation. De même qu’il serait intéressant d’assister à une CLH technique pour observer quel rapport de force est à l’œuvre entre le travailleur social, conseiller technique, et le Pact Arim ; mais nous n’avons pas eu le droit d’y assister. 19 Voir le site Internet du mouvement et le document Hommes, Habitat, Territoires : une solidarité, Pact Arim , 1995. 20 Le chef de projet des Compagnons Bâtisseurs nous signale qu’en 2003 la situation a évolué de façon positive, les dossiers leur sont mieux transmis : « les Compagnons Bâtisseurs ont réussi a prouver leur savoir-faire, et aujourd’hui nous avons près de trente dossiers en stock ».

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préfèreraient sûrement voir leurs travaux réalisés par un professionnel, d’autant plus s’ils ont peu confiance en leurs propres capacités. On comprend alors que les travailleurs sociaux soient pris entre deux chaises : ils souhaitent l’autonomie de leur public, ce qui implique de ne pas décider à sa place. Mais, en tant que professionnels de l’action sociale, ils ont identifié un outil d’action adapté à leur situation sociale, qui pourrait les aider à sortir d’une situation d’échec ou d’isolement, par exemple. C’est encore plus compliqué lorsqu’il s’agit de problèmes de comportements (présence d’animaux, problèmes d’hygiène). Voulant intervenir sur le logement, ils entrent dans l’intimité des personnes. C’est délicat, il faut faire attention à ne pas les brusquer, afin de garder leur confiance, et de ne surtout pas être assimilés aux sanctions que les institutions peuvent imposer. En bref, il faut que ce soit les familles qui veuillent réaliser le chantier en autoréhabilitation accompagnée. Pour ces personnes, l’argument « ça vous coûtera moins cher » est décisif. Il faut aussi rassurer ceux qui pensent ne pas pouvoir y arriver, et préciser qu’ils seront aidés par l’équipe technique des Compagnons Bâtisseurs. Pour ce qui est du coût, nous verrons, lorsque nous analyserons les montages financiers, que cet argument est loin d’être toujours vrai. Il est même complètement faux pour ce qui est du coût global de l’intervention, le coût pour les institutions, puisque les économies réalisées par cette participation sont souvent compensées par le coût de l’accompagnement technico-social (les accompagnateurs, ici en l’occurrence les Compagnons Bâtisseurs, doivent apprendre au ménage à réaliser les opérations techniques, et ça peut être long et fastidieux parfois). S’il coûte moins cher, c’est surtout que toute une partie du travail des Compagnons Bâtisseurs ne leur est pas rétribuée. Pour le ménage, c’est la valorisation de son travail (précisions dans le chapitre sur les financements) qui permet de prendre en compte leur participation et de faire baisser la facture. Quoi qu’il en soit, l’argument du coût pour justifier l’autoréhabilitation accompagnée est artificiel, et il est dangereux, car c’est lui qui conduit les partenaires à ne présenter sur l’action qu’un public très marginal. Pour ce qui est des personnes qui manifestent une grande volonté d’autonomie, les arguments avancés par les travailleurs sociaux seront différents. On peut distinguer deux cas : ceux qui attendent un coup de main pour commencer, ou pour continuer un chantier d’amélioration de leur logement, et ceux qui voudraient tout faire tous seuls. Ces derniers ont beaucoup de mal à accepter l’obligation de coopérer avec les Compagnons Bâtisseurs et d’être conseillés (notamment lorsqu’il faut respecter des normes dont ils ne voient pas l’utilité). Avec eux, le chantier peut donner lieu à des conflits, la présence de l’équipe étant vécue comme une contrainte. C’est fréquent avec les personnes qui estiment avoir assez de compétences techniques21. Nous verrons dans la partie 5 comment se déroulent les chantiers avec ces différentes personnes, au travers d’exemples précis. Selon les ménages, l’idée de l’autoréhabilitation accompagnée pourra être acceptée immédiatement, ou donner lieu à plusieurs visites du conseiller en économie sociale et familiale. Dans un même temps, ce dernier présente l’action des Compagnons Bâtisseurs, et 21 Nous n’avons eu connaissance que d’une personne qui était enthousiaste à l’idée de transmettre ses connaissances aux jeunes V.L.T de l’équipe des Compagnons Bâtisseurs.

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fait une première évaluation des capacités de participation des personnes. Il s’agit d’une évaluation sociale, plus que technique, qui prend en compte principalement l’état de santé physique (handicaps, maladies invalidantes, personnes âgées) ou psychique (alcoolisme, dépression), et la motivation (envie, disponibilité, dynamisme). L’évaluation technique, réalisée par le travailleur social, consiste surtout à distinguer les anciens professionnels du bâtiment, des bricoleurs et de ceux qui n’ont jamais fait de travail manuel. Il s’agit aussi de définir le projet du ménage : selon les cas, le projet peut avoir été plus ou moins élaboré, il peut être encore à l’état de rêve, ou déjà en partie réalisé, ou encore, ne pas exister du tout. Il s’agit, en quelque sorte, de diagnostiquer les ressources mobilisables et les freins à la participation, qui seront ensuite confirmés, ou non, au moment de la réalisation du chantier. C’est seulement une fois que le ménage a donné son accord, que le travail va vraiment commencer entre le travailleur social et les Compagnons Bâtisseurs, et que ces derniers lui rendront visite à son logement.

Répartition des tâches entre l’« opérateur social » de la mesure MOUS et le maître d’ouvrage Une fois que le travailleur social a défini un projet social qui sollicite la valorisation de la participation du ménage aux travaux, il s’agit de définir avec précision le projet technique à mettre en œuvre. Pour identifier les travaux à réaliser et faire un premier bilan du logement, le travailleur social est aidé par un professionnel des projets d’amélioration de l’habitat des personnes en difficultés, l’opérateur MOUS désigné par le PDALPD du département concerné.

Le réseau Habitat et Développement

Les structures du réseau Habitat et Développement apparaissent un peu plus tard que le Mouvement des Pact Arim, juste avant la seconde guerre mondiale. Elles proposent les mêmes services, mais spécifiquement pour le milieu rural. Le réseau compte 92 structures et 645 salariés.

Historique

1940-1944 1ères aides à l’habitat rural, avec la première loi d’aide financière à l’amélioration de l’habitat rural, et la création de Commissions Départementales de l’Habitat Rural chargées d’affecter les crédits mis à disposition par la loi.

1944 Congrès de la Confédération nationale de la famille rurale (CNFR), organisé par la société des agriculteurs de France, qui est l’occasion de réfléchir sur la création de Coopératives d’habitat rural, futures SICA HR (Sociétés d’Intérêt Collectif Agricole Habitat Rural).

1948 Création de la Commission d’Habitat Rural, au sein de la CNFR. 1949 La Commission d’Habitat Rural devient le Comité National de l’habitat rural (CNHR). 1950 Création des premiers SICA HR et CDHR (Comités Départementaux d’Habitat Rural), qui conçoivent et

suivent les travaux de milliers de chantiers pour moderniser les fermes et équiper les territoires. 1960 Création de la Fédération Nationale de l’Habitat Rural, qui prend la suite du Comité National d’Habitat Rural.

Les structures Habitat Rural départementales se développent fortement, parrainées par les associations rurales locales.

1971 La FNHR entre au conseil d’administration de l’ANAH en tant que représentante des propriétaires bailleurs. 1982 Les CDHR travaillent de plus en plus pour le compte des communes, et de nombreux élus deviennent

administrateurs. Les CDHR développent des compétences de bureaux d’études et d’opérateurs. 1987 Création de l’Union Nationale pour l’amélioration de l’habitat (UNAH), regroupant les réseaux Habitat Rural

et Pact Arim. 1990 Dans les années 90, ils s’engagent dans le droit au logement en mettant en œuvre les politiques sociales

départementales (Programmes Sociaux Thématiques, MOUS…). 1996 Le réseau Habitat rural devient Habitat et Développement.

Services proposés

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Le réseau national est composé de différentes structures locales : - les Associations Habitat et Développement, qui conduisent des OPAH et informent, conseillent techniquement et

financièrement les particuliers dans le montage de leur projet immobilier ; - les SICA-HR qui assurent l’architecture et la maîtrise d’œuvre ; - les Services Immobiliers Ruraux et Sociaux (SIRES), qui s’occupent de gestion locative ; - les ALKHOS, chargés de développement local et de tourisme.

C’est sous la forme des associations Habitat et Développement que le réseau est présent sur le territoire des Compagnons Bâtisseurs. Elles sont agrées par l’ANAH et par l’Etat, pour monter les dossiers de subvention : « Nous sommes les spécialistes des aides et des financements à l’amélioration de l’habitat » Elles agissent pour le maintien dans les lieux des personnes âgées, handicapées ou démunies, en les aidant à trouver les meilleures solutions techniques et financières, en mobilisant des aides sociales et en leur fournissant un accompagnement social, et managent des OPAH. Un mouvement à contre-courant Au le lendemain de la guerre, les pouvoirs publics accordent la priorité à la reconstruction urbaine. Depuis les structures locales du réseau, qui constatent qu’il y a autant de besoins en milieu rural, ont toujours milité pour adapter les outils qui avaient été créés pour le milieu urbain, aux besoins aux particularités des territoires ruraux. Par ailleurs, eux aussi (comme l’autoréhabilitation) sont accusés de faire une concurrence déloyale aux architectes, car les SICA-HR emploient des architectes salariés, mais pour réaliser des chantiers que les premiers auraient refusés. Enfin, contrairement au Mouvement des Pact Arim, qui affiche clairement une gestion d’entreprise, le réseau Habitat et Développement se soucie des conséquences sur les plus démunis d’une logique de marché : « je ne parviens pas à comprendre la politique qui consiste à passer d’une logique de service public, à une logique de marché qui va nous transformer en prestataires de services de l’ANAH, avec ce que cela veut dire concrètement : renchérissement et dérégulation des prestations de service aux plus démunis ». (Président du mouvement, voir site Internet www.habitat-developpement.tm.fr)

Sur le territoire des Compagnons Bâtisseurs, il s’agit du Pact Arim ou des associations Habitat et Développement22. En présence du référent social, l’opérateur se rend au domicile du demandeur pour visiter les lieux, examiner les caractéristiques du logement. Non seulement il observe, mais il réalise aussi un entretien directif concernant « l’identification des besoins, des motivations et capacités d’autonomie du bénéficiaire »23. Les informations recueillies seront consignées dans un formulaire, qui présente la situation du logement et son environnement, le statut d’occupation, un bilan rapide de l’état du logement, la situation familiale, l’état des ressources financières et des charges, analyse éventuelle de l’endettement du ménage24. Une Case est prévue pour préciser si le demandeur souhaite participer aux travaux. Le principal objectif de cette démarche est de savoir s’il est préférable de maintenir le ménage dans son logement en réalisant des améliorations, avec ou sans procédure de sortie d’insalubrité, ou de chercher un autre logement. Si l’opérateur MOUS en conclut qu’un maintien avec amélioration du logement est souhaitable, que le ménage a manifesté une volonté de participation et que des solutions financières sont envisageables, le cas est présenté aux Compagnons Bâtisseurs. A ce niveau, le projet social et technique est déjà bien défini et le type de participation qu’on attend du demandeur est souvent déterminé avant l’intervention des Compagnons Bâtisseurs. Dans le cadre de la procédure officielle25, le travailleur social et l’opérateur MOUS présentent les situations qu’ils ont identifiées. La demande d’intervention des Compagnons Bâtisseurs, en cellule d’appui dans les Côtes d’Armor, est formulée ainsi : « La famille X a tel projet, qu’il serait favorable de traiter en autoréhabilitation pour telles raisons. Les travaux à réaliser sont ceux-ci, aux vues des financements mobilisables. On fera appel à des entreprises pour tels et tels travaux. L’autoréhabilitation concernera… » 22 Voir tableau. 23 Tiré du contrat 1991 liant le Pact et la CLI de Vitré. Nous n’avons pu en obtenir de plus récent. 24 Voir le questionnaire en annexe. 25 Nous ne parlons pas ici des cas où le travailleur social entre directement en contact avec les Compagnons Bâtisseurs, que nous avons évoqué plus haut.

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Il est fort possible que dans les cas où les travailleurs sociaux contactent directement les Compagnons Bâtisseurs, sans passer par la commission locale Habitat ou la cellule d’appui RMI, les choses soient différentes. En effet, nous avons vu que dans ces cas-là, les Compagnons Bâtisseurs se rendent au domicile avant de contacter l’opérateur MOUS. Ce sont alors eux qui présenteront un projet presque finalisé à l’opérateur MOUS et qui définiront la part d’autoréhabilitation. Ils informent des possibilités, afin d’étayer l’évaluation que le travailleur social doit présenter aux différentes commissions. Délimiter les travaux relevant de l’autoréhabilitation et confier le reste à des entreprises ou des artisans Qui décide de la part d’autoréhabilitation du chantier, et des travaux qui seront réalisés par des artisans ? La réponse reste floue, comme pour tout ce qui concerne la répartition des tâches entre l’opérateur MOUS et les Compagnons Bâtisseurs. Les réponses que nous avons recueillies à ce sujet sont le plus souvent très évasives: « ça dépend ». Il y a des limites techniques, imposées par le profil technique du personnel de l’association26 . Mais au moment de la prescription, qui décide ? Est-ce toujours l’opérateur MOUS qui définit en amont ce qui va être réalisé en autoréhabilitation ? Dans les Côtes d’Armor, lors d’une réunion de la cellule d’appui, un projet est présenté, pour lequel tous les travaux seront réalisés par des entreprises, sauf la peinture et le nettoyage. Le travailleur social et Habitat et Développement disent que l’intervention des Compagnons Bâtisseurs est un prétexte pour tenter d’améliorer l’hygiène de la famille. Le degré de participation est très variable d’un chantier à l’autre. Sur certains petits chantiers, la seule opération technique identifiée est prévue d’être réalisée en autoréhabilitation. Sur les gros chantiers, qui nécessitent de nombreuses opérations techniques et qui dureront plusieurs semaines, voir plusieurs mois, on a vu des cas où l’autoréhabilitation ne concernait qu’une petite intervention, et d’autres où elle était prévue pour presque tous les travaux alors que le bénéficiaire ne présentait aucune compétence technique préalable (voir portrait n°3 dans les Côtes d’Armor). Cette question reste à éclaircir avec les acteurs de terrain, et surtout, il nous faudrait pouvoir observer comment se passent les toutes premières visites chez les ménages, qu’elles soient faites par Habitat et Développement, par le PACT, ou par les Compagnons Bâtisseurs.

26 Nous avons développé ce point dans notre étude précédente Autoréhabilitation accompagnée du logement et maîtrise de l’énergie.

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Partie 4

Le long périple

du projet

d’autoréhabilitation

Lorsque la décision est prise de réaliser le projet d’amélioration de l’habitat en autoréhabilitation accompagnée, dans le jargon des travailleurs sociaux, le ménage est « positionné » sur l’action autoréhabilitation des Compagnons Bâtisseurs. Mais avant que le chantier ne voit le jour, de nombreuses étapes restent à franchir. C’est à ce moment que le processus de collaboration entre les travailleurs sociaux, Habitat et Développement ou le Pact Arim, et l’association des Compagnons Bâtisseurs démarre vraiment avec l’accompagnement des ménages. Il faut aider ces derniers à élaborer un projet adapté à leurs besoins, mais aussi aux contraintes réglementaires et financières. Conjointement à ce travail, qui est réalisé par les travailleurs sociaux et les Compagnons Bâtisseurs, l’opérateur MOUS accompagne la mobilisation des financements, qu’il s’agisse d’aides de droit commun ou d’aides caritatives complémentaires. Ainsi, le projet d’autoréhabilitation, et avec lui l’accompagnement technico-social, commencent bien en amont du chantier. Entre le moment où le ménage est « positionné » sur l’action, et les travaux, plusieurs années peuvent s’écouler. Un grand nombre de projets seront abandonnés.

Définir la participation du ménage au chantier Une fois le projet d’autoréhabilitation délimité par l’opérateur MOUS, il revient aux Compagnons Bâtisseurs, de confirmer ou non les bilans effectués par les partenaires, et de contractualiser la participation attendue du ménage au chantier. Ils doivent définir le projet du ménage avec précision : à partir des interventions techniques qui ont été prescrites par l’opérateur MOUS, une discussion s’engage avec le ménage sur la manière dont elles vont être réalisées. Il s’agit de choisir une solution technique parmi d’autres, qui permettent aussi de résoudre le problème rencontré, mais qui correspondent le mieux aux souhaits du ménage et à son mode de vie : « nous essayons de nous approcher le plus possible du désir de la famille. Nous travaillons avec elle, à partir du dossier technique fait par l’opérateur. Parfois, des modifications sont nécessaires ». Pour améliorer le confort thermique d’une famille de ferrailleurs, par exemple, dont l’activité conduit à faire de nombreuses allées et venues à l’extérieur de la maison, un projet de véranda est retenue, pour faire un sas. Pour un autre ménage, le système de chauffage au bois n’est pas adapté car il nécessite un entretien constant et une présence importante au domicile. Parfois, certains ménages n’ont pas de préférence sur la façon de réaliser les travaux.

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Monsieur B. souhaite participer aux travaux. Mais lorsque les Compagnons Bâtisseurs lui rendent visite pour définir avec lui son projet d’amélioration du logement, il a du mal à se projeter dans l’avenir et n’est pas bien décidé : « pour la répartition des pièces, je ne sais pas trop, c’est comme vous voulez ».

Le rôle des Compagnons Bâtisseurs est alors d’aider à faire exprimer un projet, à se projeter dans le temps, à s’approprier un projet. A l’inverse, d’autres ménages auront des idées très arrêtées quant à la façon dont ils veulent que les travaux soient réalisés, et n’ont pas toujours conscience des contraintes techniques et réglementaires. Les Compagnons Bâtisseurs doivent alors expliquer et faire accepter ces dernières. Aider les ménages à élaborer le projet d’amélioration de l’habitat, et expliquer les contraintes techniques et réglementaires font partie de l’accompagnement à l’autoréhabilitation et correspondent à un moment très important, bien qu’il soit en amont du chantier lui-même. C’est une des phases fondamentales pour dynamiser les personnes, qui confirme l’aspect social du chantier d’autoréhabilitation accompagnée et de l’intervention des Compagnons Bâtisseurs. Le projet technique y apparaît comme support du projet social.

Confirmer le diagnostic habitat Les Compagnons Bâtisseurs doivent aussi confirmer le bilan habitat réalisé par l’opérateur MOUS. Il arrive souvent qu’ils constatent que la solution proposée ne corresponde pas au souhait de la famille, notamment parce qu’elle n’est pas comprise et que les contraintes techniques, ou les avantages qu’elle présente n’ont pas été bien expliqués. Il n’est pas rare que les Compagnons Bâtisseurs découvrent, une fois les travaux commencés, que le système assainissement est hors norme et qu’il risque de remettre en question les financements accordés s’il n’est pas modifié. Sur la liste des travaux à réaliser, il faudra ajouter sa mise aux normes, et pour cela, solliciter des financements spécifiques. Ces travaux peuvent être réalisés après les autres, et sont en dehors du projet d’autoréhabilitation. Parfois, il s’agit d’opérations moins lourdes, mais qui entraîne un surcoût par rapport au devis initial: comme par exemple le cas d’une cheminée qui doit être gainée avant de recevoir des inserts. Le surcoût n’est pas très important, puisqu’il s’élève à 470 €, mais il ne peut être couvert par les aides de droit commun qui ont parfois déjà été accordées. Il sera alors nécessaire de faire appel à des aides caritatives, ce que nous verrons plus en détail lorsque nous analyserons les modes de financement des chantiers.

Contractualiser le projet de participation du ménage A partir de ces différentes informations, les Compagnons Bâtisseurs font une liste des travaux à réaliser en autoréhabilitation. Reste à définir qui va faire quoi, et surtout, quelle va être la participation du ménage. Le projet d’autoréhabilitation a déjà été limité par l’opérateur MOUS qui a écarté un certain nombre de tâches dont la réalisation sera demandée à des

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entreprises classiques. De même, les travaux supplémentaires, identifiés par les Compagnons Bâtisseurs, et qui présentent souvent des difficultés techniques seront confiés à des entreprises. Mais il reste encore à répartir les différentes opérations techniques aux membres de l’équipe qui sera sur le chantier d’autoréhabilitation accompagnée: le ménage (et éventuellement son réseau relationnel) et l’équipe des Compagnons Bâtisseurs, constituée de l’animateur technique et de trois ou quatre jeunes volontaires dont nous parlerons dans la partie suivante. L’expérience acquise dans l’accompagnement à l’autoréhabilitation permet d’aiguiser le regard et d’identifier les capacités de participation. En outre, à partir de la liste des travaux à réaliser, et tout en expliquant l’appui qu’ils fournissent, les Compagnons Bâtisseurs engagent une discussion à partir de questions concrètes. Il ne s’agit plus seulement de savoir, comme dans le questionnaire de l’opérateur MOUS, si le ménage souhaite participer, mais plutôt de savoir pour quelles opérations techniques précises27. Les résultats de cette discussion seront formalisés par un contrat, signé entre le demandeur et les Compagnons Bâtisseurs, qui précise les travaux que le ménage s’engage à réaliser (voir contrat en annexe), ce qu’il doit faire seul ou accompagné par l’équipe technique. A partir de cette évaluation, les Compagnons Bâtisseurs positionnent le ménage sur deux types d’accompagnement : le Monitorat technique, qui prévoit un accompagnement léger et ponctuel de l’équipe des Compagnons Bâtisseurs, pour les ménages déjà autonomes, ou les Chantiers famille, qui prévoient une présence continue de l’équipe d’accompagnement sur le chantier, pour les autres. La réalité des situations est cependant moins claire, et correspond plutôt à un panel de dégradés de ces deux extrêmes, comme nous le verrons dans la prochaine partie. Toutes ces informations recueillies, qu’elles soient sociales, techniques, ou en terme de motivation, permettent de dessiner l’action à venir. Mais tout d’abord, elles servent à chiffrer le coût du chantier et de la prestation des Compagnons Bâtisseurs, en vue de faire des demandes de financements adaptées. A la suite de sa visite au domicile, le chef de projet Autoréhabilitation en milieu rural des Compagnons Bâtisseurs, a pour tâche de remettre aux autres partenaires, un devis chiffré de l’intervention de l’association. Pour cela, il remet les informations et les photos à l’équipe qui s’occupe du métrage, qui ne se rend pas sur place. Le budget de l’association ne permet pas de prendre en charge une réelle cellule de métrage qui se rendrait dans les logements28. De son côté, l’opérateur MOUS et le référent social accompagnent le demandeur dans ses démarches administratives et pour commander les devis aux artisans des travaux qui ne seront pas réalisés en autoréhabilitation. Une fois le coût du chantier évalué, c’est l’opérateur MOUS qui est chargé de mobiliser les différents financements possibles. C’est ce que nous allons à présent expliquer.

27 Nous ne pouvons en dire plus aujourd’hui, il serait intéressant pour cela d’assister à ces discussions. 28 En 2003 l’équipe a été renforcée. Une personne est chargée de rédiger les devis descriptifs avec les animateurs, et peut effectuer des visites chez l’habitant.

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Trouver des financements Pour financer les travaux des personnes en difficulté, diverses aides de droit commun sont prévues par le PDALPD. Ces aides sont accordées pour financer le programme global d’amélioration de l’habitat ou de sortie d’insalubrité, qui comprend l’intervention des Compagnons Bâtisseurs, de l’opérateur MOUS, et des entreprises. Aucune de ces aides ne couvre la totalité des frais. En moyenne, au moins trois seront sollicitées, ce qui implique autant de démarches administratives. De plus, il n’est pas rare qu’elles ne suffisent pas et qu’il soit nécessaire de faire appel aux aides caritatives de fondations privées. Exemples de montages financiers

Exemple 1 La maison de M. et Mme T. a été construite pour abriter le couple et deux enfants, la famille s’est agrandie et les 4 enfants, dont une fille de seize ans sont dans une seule chambre de 15 m². Pour la création de deux chambres avec WC et sanitaire douche en combles dans un pavillon, les travaux s’élèvent à 8 220 €, les frais de dossier et de garanties 1 690 €. Coût total : 9 900 €. C’est la renégociation du prêt immobilier et du dossier de surendettement auprès du CIB qui a permis de débloquer les fonds nécessaires. Exemple 2 Mr et madame P. ont 4 enfants et sont propriétaires d’une maison neuve en campagne. La famille est sous tutelle et l’APASE assure un suivi éducatif. Pour le réaménagement d’une salle de bains, et la réfection de la tapisserie et du sol de la chambre, la famille a mobilisé les fonds suivants: APASE 680 € A.T.I1 100 € Apport perso 208 € TOTAL 1 988 € Exemple 3 Mme B. est propriétaire. Les travaux à réaliser sont importants, ils concernent : l’assainissement, le dallage, la reprise de pignon, le traitement des bois, la pose de velux, le changement des menuiseries, la réfection de l’escalier et de l’électricité, la création d’une salle de bains et d’un W.C. Mme veut réaliser elle-même un grand nombre de tâches : l’isolation, la mise à niveau du plancher de l’étage, l’installation de placards, le carrelage du rez-de-chaussée et la faïence dans la cuisine et la salle de bains. Pour ce gros chantier, le montage financier est le suivant : PAH 4 838 € Aide 10% CG 1 829 € Apport perso 343 € Prêt FSH 12 196 € TOTAL 19 206 €

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Le montant des travaux à réaliser est souvent lourd, car les situations de logement du public sont très précaires. Parfois seul un petit chantier sera réalisé, car les partenaires ne trouvent pas de solution financière. Ils décident alors de se limiter à ce qui est le plus urgent : alors que le logement aurait bien besoin de voir son confort amélioré, la liste des travaux à réaliser ne mentionne que la réparation du toit, ou même, la pose d’une bâche avant l’hiver. Pour ces cas désespérés, la recherche de financements peut durer plusieurs années, et le positionnement sur l’action des Compagnons Bâtisseurs, même si on ne prévoit pas de réelle participation du ménage, est une façon de solliciter l’aide des fondations privées partenaires des Compagnons Bâtisseurs. Les différentes aides mobilisées pour le chantier de Mme B. sont représentatives d’un grand nombre de dossiers: il s’agit de la PAH, de l’aide du Conseil Général, et du prêt FSH. On peut y ajouter la PAH Accessibilité, la Subvention de Sortie d’Insalubrité, et parfois la participation d’organismes logeurs, comme l’OPAC 35 ou Espacil pour leurs locataires. Mais aussi les aides de la MSA, de certains centres communaux d’action sociale, ou de certaines localités. Pour compléter ces aides, les ménages sont souvent obligés de contracter un emprunt auprès du Crédit Immobilier de Bretagne.

Les aides pour l’amélioration de l’habitat des particuliers

La Prime à l’amélioration de l’habitat (PAH)

Pour les propriétaires occupants ou accédants à la propriété, elle concerne les logements de plus de vingt ans. Les travaux doivent être destinés à améliorer la sécurité, la salubrité et l’équipement du logement, à économiser l’énergie, à rendre accessible et à adapter le logement aux personnes handicapées. Chaque Conseil Départemental de l’Habitat (CDH) peut définir ses priorités locales d’attribution des PAH: -travaux réalisé par un artisan ou une entreprise du bâtiment - logement occupé dans un délai d’un an après l’achèvement des travaux et pendant une durée de dix ans ; - conditions de ressources Il s’agit d’une subvention de l’Etat qui est, pour le cas général, de 20% maximum du coût des travaux dans la limite d’un plafond de travaux subventionables de 1 067 € par logement. Le taux peut être porté à 35% pour les ménages dont les revenus n’excèdent pas 50% du plafond applicable aux PAP (prêt aidé pour l’acquisition)29. La Subvention de suppression d’insalubrité (SSI) Un arrêté préfectoral d’insalubrité remédiable est obligatoire énumérant les travaux destinés à supprimer l’insalubrité. Les conditions d’attribution sont sensiblement identiques à celles de la PAH (elle concerne les propriétaires occupant le logement depuis plus de deux ans). Son montant correspond à 50% du coût des travaux, dans la limite de 1535 €. Il est possible de la cumuler avec la PAH pour les travaux de mise aux normes. Le Fonds de Solidarité Habitat (FSH) du Conseil Général Il a pour objectifs de favoriser le maintien dans les lieux de propriétaires impécunieux et d’aider les propriétaires bailleurs à financer les travaux de réhabilitation de logements destinés à être loués à des personnes en difficulté. C’est un fonds alimenté par un prêt de la Caisse des dépôts et consignations au Crédit immobilier de France-Bretagne, garanti par le département et mis en œuvre par le CIB sous forme de prêts aux particuliers. Les bénéficiaires sont des propriétaires occupants bénéficiant de primes à l’amélioration de l’habitat (PAH) ou de subvention de sortie d’insalubrité et relevant de la dynamique du Plan départemental d’action pour le logement des personnes défavorisées. Il peut s’agir de propriétaires bailleurs, si le loyer est conventionné.

29 Voir le Guide de l’habitat et du développement de la fédération Habitat et Développement.

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Le remboursement des différents emprunts contractés, auprès des banques ou avec les prêts FSH, représente une charge importante, pour des ménages à très faibles revenus. De tels montages sont possibles car les travaux de mise aux normes de l’habitation permettent de débloquer une allocation logement, dont le montant couvre une grande partie de cette charge, et qui sera d’ailleurs directement versé à l’organisme qui a accordé le prêt. Pour Mme B. , par exemple, le remboursement du prêt FSH sur 7 ans s’élève à 176 € par mois. L’amélioration de son logement et sa situation familiale (un enfant à charge), lui permettent d’avoir une allocation logement de167 €. Il ne lui restera à charge que 9 € par mois. Pour les ménages qui ne peuvent contracter d’emprunt car ils sont déjà endettés, ou parce que l’assurance refuse de couvrir l’emprunt pour cause de santé, il faudra faire appel à des dons caritatifs. Il peut s’agir de fonds mis à disposition par les communes, mais c’est chose rare. Sur les deux départements, seule la commission locale Habitat de Vitré, en Ille et Vilaine, présente une opportunité territoriale, le Fond Local Habitat. A son initiative, le président de la commission locale Habitat qui a mobilisé ses collègues élus à verser 50 à 70 centimes par habitant. Il s'élève à 60 000 F par an et permet de débloquer certaines situations en trois mois environ :

Madame C. occupe une maison de plus de 200 ans dont elle est propriétaire. Le bâtiment est complètement hors normes: la maison prend l’eau, l’installation électrique est très dangereuse, il n’y a pas d’isolation et tous les revêtements des murs sont tombés. La maison est chauffée avec des radiateurs à bain d’huile pour un montant de 122 € par mois, alors qu'elle vit avec une Allocation Adulte Handicapé (environ 533 € par mois). En hiver, les températures atteignent à peine 10°C. Le devis s’élève à 30 500 € de travaux. Il lui faudrait épargner 75 € par mois pour rembourser les travaux, alors qu'elle ne peut plus payer ses factures courantes et vit avec des tickets d’alimentation. Depuis 10 ans son dossier est abordé en commission car elle est positionnée sur le dispositif MOUS. Avec ce travail, on aurait depuis longtemps payé ses travaux, mais elle a un dossier de surendettement sur 15 ans, et après, ce seront les assurances qui ne marcheront plus en raison de son âge. On redéfinit alors l’objectif au minimum des travaux à effectuer, et le devis tombe à 3 500 € pour remplacer les ardoises du toit. 10 organismes sont sollicités: un seul a répondu et a donné150 €, quel temps perdu ! C’est finalement le fonds local Habitat qui finance la couverture de la maison.

Mais cette initiative n’a pas été suivie par les autres commissions locales Habitat. A l’exception du territoire couvert par la commission de Vitré, c’est la Fondation Abbé Pierre qui va couvrir les manques et les disfonctionnements des aides de l’Etat et du département. En effet, une convention établie entre la fondation et l’association des Compagnons Bâtisseurs permet de débloquer 4 575 € pour les cas désespérés, ou pour engager les travaux en attendant de régulariser une situation, comme dans l'exemple qui suit:

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Monsieur L. a un dossier de surendettement. La PAH n'est pas recevable, car des agrandissements ont été faits sans Permis de Construire. La demande de légalisation étant très longue à obtenir, on fait appel à la Fondation Abbé Pierre. Cette aide va permettre de démarrer le projet de création de sanitaires et d'eau chaude, parallèlement aux démarches administratives.

Sans un fonds caritatif privé, ce projet n'avait pas d'autre issue que d'échouer. Nombreux sont les projets abandonnés et ceux qui arrivent à terme, c’est-à-dire jusqu’au chantier, auront mis entre deux et trois ans à aboutir. Les montages financiers sont longs et fastidieux à réaliser. Ils participent grandement à la longueur décourageante de l'attente vécue par les familles avant la réalisation du chantier, d'autant que leur situation est difficile. Les travaux ne démarreront qu'après avoir eu les accords de financement. Ces montages sont complexes, car il faut solliciter de nombreux organismes. Les procédures de financement sont longues et bureaucratiques, et aucune ne suffit à financer les chantiers en totalité, loin de là. Elles doivent se compléter les unes par les autres, mais pas seulement. Il faudra aussi faire appel à des fonds caritatifs publics ou privés, ainsi qu'à l'apport personnel du ménage. Les démarches à effectuer sont d'autant plus longues et complexes que chaque accord de financement est soumis à différentes conditions. Les ménages doivent entrer dans les cadres réglementaires et parfois, pour cela, il faudra mettre à jour des situations administratives (statut d’occupation du bâti, rappels de taxes foncières, ou encore statut de propriétés en usufruit ou en indivision), ou mettre aux normes des installations sauvages.

Effectuer les démarches administratives Le travail de recherche de financement et les démarches administratives sont menés par l’opérateur MOUS, qui doit « assister le maître d’ouvrage pour le montage et le suivi du dossier administratif ». Il doit rassembler toutes les pièces nécessaires aux demandes d’aides financières et déposer les dossiers auprès des différentes commissions. Il constitue les demandes de prêt et les demandes d’allocations logement. Le travailleur social relaie les demandes de pièces de l’opérateur MOUS auprès du ménage. A eux deux, ils ont en charge de régler les problèmes qui se posent, comme par exemple:

- l’obtention de permis de construire, et donc le statut d’occupation dont il dépend ; - vérifier s’il ne s’agit pas d’une propriété en indivision, ou d’un usufruit et réaliser les

démarches correspondantes ; - demander les autorisations nécessaires lorsqu’il s’agit de personnes sous tutelle ; - être vigilant aux changements de statuts éventuels, liés à une l’embauche du

bénéficiaire du RMI, ou un mariage, par exemple. L’exemple qui suit nous permet de comprendre la complexité des situations rencontrées :

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M.A est propriétaire d’une maison en très mauvais état, sans eau ni électricité. Les travaux à effectuer sont importants et coûteux, mais Monsieur A. est très attaché à sa maison et n’accepterait pas de vivre ailleurs, d’autant qu’il est socialement bien intégré. Le relogement serait un échec. Pour palier aux incommodités, M.A improvise et s’organise: il installe une éolienne, qui ne fonctionne plus aujourd’hui, et branche un groupe électrogène sur son tracteur pour faire marcher sa machine à laver. Son tracteur est aussi son seul moyen de locomotion. Les travaux envisagés concernent la création de sanitaires, l’alimentation en électricité, la toiture, et le changement des menuiseries. Ceci, pour un montant de 16 000 €. Le dossier est toujours en cours d’instruction, en attente de pièces administratives. Les Compagnons Bâtisseurs avaient d'abord envisagé de remettre l'éolienne en fonctionnement ou de la remplacer par une nouvelle. Cette solution semblait être la plus adaptée aux habitudes de M.A et la plus économe à l'usage, mais ils n'ont pas trouvé de moyens de financer cette installation coûteuse à l'investissement. Le choix se reporte alors sur l'alimentation de la maison en électricité, mais la DDE refuse de donner une autorisation pour amener l’électricité car le bâtiment n'a pas le statut d'habitation et qu'on ne peut accorder une autorisation de permis de construire. En raison de son statut, l'habitation ne présente pas les caractéristiques requises pour l'octroi de la Prime pour l'Amélioration de l'Habitat de la DDE. Pour ce faire, M. A devra régler les rappels de la taxe foncière qui n’a pas été payée, pour un montant de 30 à 45 € par an. La Fédération Habitat et Développement, maître d'œuvre du projet sur les Côtes d'Armor propose donc de rencontrer le maire pour lui demander un permis qui présenterait l'habitation comme un "garage-atelier" dont on voudrait changer l'usage, et pour laquelle on peut avoir un permis de construction et une autorisation d'électrisation.

Dans la plupart des cas, les ménages vivent des situations complexes qui rendent le traitement administratif des dossiers très long. Ils cumulent souvent plusieurs difficultés : personnelles et familiales, financières, foncières, état de dégradation d’un bâti très éloigné des normes. De nombreux dossiers seront abandonnés30. La durée moyenne d’attente avant le chantier est de deux à trois ans. L’avancement des démarches est présenté en commission aux Compagnons Bâtisseurs. Une fois que les financements sont débloqués et les autorisations réglementaires accordées, les Compagnons Bâtisseurs peuvent intégrer cette nouvelle intervention sur le planning des chantiers.

30 Pour en savoir plus sur les dossiers abandonnés, les projets en cours d'étude, plus ou moins bloqués au montage administratif et financier et les rebondissements par rapport à la situation initialement identifiée, voir notre précédente étude Maîtrise de l’énergie et accompagnement à l’autoréhabilitation du logement p.43.

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Partie 5

Le chantier

d’autoréhabilitation

accompagnée

Une fois les financements et les autorisations accordés, le plus dur est fait. A part de rares cas où les relations entre le ménage et l’équipe des Compagnons Bâtisseurs donnent lieu à des frictions, les problèmes qui apparaissent une fois le chantier commencé sont liés aux étapes précédentes. Il peut s’agir, par exemple, de la démotivation du ménage qui a attendu trois ans ou plus, et qui n’y croit plus. Sur d’autres chantiers, l’habitat très dégradé révèle des surprises et les financements accordés manquent de souplesse face aux surcoûts qui se présentent. Enfin, des changements peuvent survenir dans la vie personnelle du ménage, qui modifient son statut ou sa situation financière et remettent en cause l’obtention le montage financier. Comparée à l’attente des ménages avant de pouvoir réaliser leurs travaux, la durée des chantiers est relativement courte puisqu’elle varie en moyenne de trois semaines à six mois, pour les chantiers réalisés par tranches successives. Dans ce chapitre nous présentons comment se déroule un chantier famille chez les Compagnons Bâtisseurs de Bretagne : l’accompagnement fourni, l’équipe technique et l’apport des jeunes volontaires (principale particularité de l’action des CB) , les travaux réalisés, les modalités de réception des travaux ; et les évaluations des partenaires. Nous verrons ce qu’apporte la méthodologie d’action particulière des Compagnons Bâtisseurs en milieu rural, et en quoi cet accompagnement technique est support de développement social. Nous expliquerons pourquoi l’accompagnement à l’autoréhabilitation doit être considéré dans sa globalité, à la fois accompagnement technique et accompagnement social.

Améliorer l’habitat Le chantier d’autoréhabilitation accompagnée est bien sûr un outil d’intervention sur des logements vétustes, dégradés ou inadaptés. C’est à ce titre qu’il entre dans le cadre des politiques publiques de l’habitat, et qu’il s’insère, la plupart du temps, dans un projet plus large d’amélioration de l’habitat des ménages. Comme nous l’avons vu dans les parties précédentes, les aides de droit commun sont accordées pour ce projet plus large, dont on a décidé qu’une partie sera réalisée par une entreprise classique. La répartition des travaux entre entreprises et autoréhabilitation accompagnée est définie par l’opérateur MOUS, qui prend en compte la volonté du ménage à participer. Le profil de l’animateur technique influence aussi ce choix, puisqu’il ne pourra accompagner le ménage pour une opération dont il ne maîtrise pas la technique. Les travaux réalisés concernent soit la

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propreté du logement, pour les petits chantiers, soit la maîtrise de l’énergie et la salubrité, pour les chantiers plus importants. Les Compagnons Bâtisseurs classent leurs interventions en trois catégories : les interventions en urgence, les actions de maintien dans l’habitat, et les actions longues d’amélioration de l’habitat. Les premières correspondent à des chantiers qui durent de trois jours à quatre semaines, les secondes durent quatre semaines en moyennes, alors que les dernières peuvent durer jusqu’à neuf semaines. Des interventions en urgence En 1999, en Ille et Vilaine, sur onze interventions techniques, l’équipe technique a réalisé quatre chantiers en urgence, dont deux pour des relogements : une intervention pour permettre à une femme et à ses enfants de quitter un logement trop petit, et une pour adapter un logement d’urgence. La troisième intervention en urgence a consisté à poser une bâche sur un toit, le budget ne permettant rien d’autre. Des opérations de maintien dans l’habitat Cinq opérations de maintien dans l’habitat ont été mises en œuvre. Parmi elles, trois concernent la réfection de logements de locataires (peintures, sols, tapisseries) dont un est menacé d’expulsion. Les deux autres ont permis, en plus de la réfection des peintures, sols et tapisseries, de créer des sanitaires et d’aménager une pièce d’eau. Des opérations longues d’amélioration de l’habitat Deux opérations longues d’amélioration de l’habitat ont été réalisées avec des ménages. S’étalant sur plusieurs mois, elles ont permis de réaliser un agrandissement pour uns famille avec plusieurs enfants, et de maintenir une personne âgée dans son logement en améliorant le confort d’une maison vétuste. Améliorer le confort Ces exemples reflètent bien la diversité et la réalité des interventions des Compagnons Bâtisseurs en milieu rural. L’importance des travaux réalisés est variable, leur montant peut aller de 2 300 € à 38 000 €. Cependant, ce que nous pouvons appeler les petits chantiers, c’est-à-dire ceux qui ne concernent que les peintures, tapisseries et papiers-peints, sont peu nombreux (trois sur les onze projets présentés en Ille et Vilaine en 1999). Les gros chantiers, pour lesquels il s’agit de refaire entièrement une maison ou une partie, en créant des conditions d’hygiène et de confort (notamment thermique et sanitaire), sont largement prédominants (six sur onze). On trouve aussi quelques réalisations intermédiaires qui combinent la réfection des revêtements muraux avec une intervention plus lourde comme la création de sanitaires31 ou celle d’un système de chauffage. On note aussi des interventions express, qui sont bien en dessous des besoins pour lesquels aucun budget n’est trouvé. Accéder aux énergies domestiques32

En y regardant de plus près et en analysant les dossiers des ménages sur plusieurs années, on constate qu’une grande part des travaux réalisés permettent d’ouvrir à ce public l’accès aux différentes énergies utilisées dans l’espace domestique, leur apportant confort et hygiène (voir tableau). Rares sont les chantiers d’autoréhabilitation accompagnée par les Compagnons Bâtisseurs de Bretagne, qui ne concernent l’amélioration énergétique des logements : accès aux énergies, amélioration thermique (chauffage, isolation, ventilation), réparation

31 Tous les systèmes d’assainissement seront réalisés par des professionnels, entreprises ou artisans. 32 Voir l’étude Maîtrise de l'énergie et accompagnement à l'autoréhabilitation du logement, Pades 2002.

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d’installations défectueuses, création de nouveaux espaces pour les enfants (création de chambres et de salles d’eau). Les travaux de maîtrise de l’énergie réalisés en 1999 et en 2000 par les Compagnons Bâtisseurs de Bretagne

COTES D’ARMOR ILLE ET VILAINE 2000 2000 1999

CHANTIER

TRAVAUX REALISES B D F

TOTAL 2000 D B E M L C B L

TOTAL 1999 - 2000

- menuiseries ● ● ● 4 ● ● 5 - chauffage ● ● ● 4 ● ● 5 - isolation ● ● 4 ● ● ● ● 6 - couverture ● 1 ● ● 3 - électricité ● 2 ● ● 3 - VMC ● 1 1 - eau chaude - ● ● 2 TOTAL Travaux de maîtrise de l’énergie 4 4 3 16 4 1 3 2 1 1 1 1 25

Personnaliser les travaux L’accompagnement technico-social, qui a commencé en amont du chantier, offre au ménage concerné la possibilité d’agir sur son cadre de vie et de mener à bien son propre projet. Les solutions techniques retenues sont plus flexibles que les standards appliqués par les entreprises classiques et sont précisément adaptées aux modes de vie et contraintes familiaux. Elles sont déterminées par la combinaison des pratiques de la famille, des problèmes rencontrés et des possibilités techniques. Pour une même situation d’habitat, la solution technique retenue varie selon les habitudes du ménage. Améliorer et entretenir Au-delà d’une efficacité technique immédiate, l’adaptation des aménagements réalisés, et surtout le fait d’avoir réalisé soi-même les travaux, a des effets positifs en terme d’appropriation et d’entretien du logement. Par ailleurs, le chantier d'autoréhabilitation accompagnée représente une opportunité pour apprendre les droits et devoirs civiques du locataire, comme du propriétaire occupant. Les locataires découvrent, par exemple quelle est la part des travaux qui est sous la responsabilité du propriétaire, et celle qui leur incombe. Les propriétaires occupants, quant à eux, voient de nouveaux droits s'ouvrir, comme les Allocations Logements auxquelles ils ne pensaient pas avoir accès. A l'inverse, ils constatent aussi l'obligation qui leur est faite de respecter des normes techniques très strictes, lors de la réalisation des travaux. L’accompagnement fourni permet aussi de guider le changement induit par la transformation de l'habitat, et donc des modes d'habiter. D’une part, l'animateur conseille les familles sur l'utilisation optimale de leurs nouvelles installations techniques ; il peut aussi préparer au changement induit par le projet d’amélioration et de transformation du logement qui a révolutionné les conditions de vie, et modifié les stratégies que l'on avait mises en œuvre (organisation du temps, par exemple).

Mobiliser les capacités Le chantier d’autoréhabilitation accompagnée est une réponse sur mesure à un problème d’habitat et à un projet social. Les Compagnons Bâtisseurs distinguent deux types d’accompagnement, selon le profil du ménage et son degré d’autonomie, afin de mobiliser au

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maximum les capacités de chacun : l’action « Chantiers familles », et le « Monitorat technique ». Un accompagnement différencié Le Monitorat technique, se caractérise par une intervention ponctuelle sur le chantier, laissant au ménage la prise en charge de tranches entières de travaux. Le ménage peut faire appel aux conseils techniques de l’animateur qui se rendra seul sur le chantier, ou demander aussi l’intervention des jeunes volontaires qui apporteront une main d’œuvre supplémentaire. L‘intervention de l’équipe technique des Compagnons Bâtisseurs peut s’échelonner en plusieurs tranches de quelques semaines, étalées sur plusieurs mois. C’est une démarche récente des Compagnons Bâtisseurs, dont l’idée a mûrit au contact du public rencontré depuis trente ans sur les Chantiers famille en Ille et Vilaine, qui pour partie, montre un degré d’autonomie plus important. Il s’agit notamment de ménages qui portent leur projet, qui ont déjà réalisé par eux-mêmes des travaux d’amélioration dans leur logement. Ils disposent déjà d’un certain savoir-faire et de système « d », mais éprouvent des difficultés à mener leur projet jusqu’à son terme. Par ailleurs, ces ménages sont tous propriétaires de leur maison et maîtres d’œuvre de leur projet. La mission des Compagnons Bâtisseurs consiste alors à fournir un monitorat technique sans maîtrise d’œuvre : prêt d’un outillage adapté, conseil technique et formation, aide organisationnelle au chantier (planning, contact artisans), travail ponctuel avec le ménage à l’adaptation du logement en cours de travaux, contrôle et évaluation des travaux réalisés, liens avec les travailleurs sociaux, garantie assurance constructeur des travaux suivis par le moniteur technique.

Exemple d’accompagnement du type « Monitorat technique » La famille L. sollicite le prêt de l’outillage et l’aide ponctuelle de l’animateur

technique, en animation et formation, pour la pose de velux et l’aménagement des combles, pour la réalisation d’un enduit sur le mur et pour l’installation électrique. Parallèlement, le propriétaire et son réseau réalisent la plomberie sanitaire, et s’occupent de l’approvisionnement en matériaux. L’assainissement est réalisé par une entreprise.

L’action Chantiers famille, quant à elle, nécessite l’intervention de l’équipe technique en continu sur le chantier pour accompagner le ménage dans la réalisation de ses travaux. Cette action constitue le fondement même de la création de l’association. Les Chantiers famille ont pour objectif d’améliorer l’habitat des ménages en les faisant participer aux travaux, pour une meilleure appropriation et une meilleure adaptation du logement, et de favoriser une dynamique sociale qui s’appuie sur l’action et la mobilisation des personnes. L’intervention de l’équipe technique est bien souvent motivée par la volonté de rompre les logiques d’assistance auxquelles certains ménages sont habitués, et d’encourager l’appropriation et la prise en main du projet par la ou les personnes concernées. L’objectif à atteindre est leur autonomisation. Pour certains, il s’agit de les aider à définir et à s’approprier leur projet : nous avons entendu l’exemple de monsieur D. qui n’arrivait pas à imaginer comment il souhaitait organiser la répartition des pièces : « c’est comme vous voulez ». Les Chantiers Famille concernent un public dont le degré d’autonomie et de participation est limité par différents facteurs. Si les personnes ne sont pas motivées, le projet d’autoréhabilitation se limitera aux travaux de peinture et tout le reste sera confié à des

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entreprises. Lorsqu’il s’agit de personnes très âgées ou handicapées, la participation concernera surtout la définition du projet. Des limites physiques, mais aussi l’absence d’un réseau d’entraide qui permettrait de combler ces limites. L’’action Chantier Famille touche des personnes qui sont moins à même de prendre en charge leur chantier, d’en être maître d’œuvre, et pour lesquelles l’accompagnement à fournir sera plus important que sur un chantier en Monitorat technique. Pour autant, cela ne veut pas toujours dire que le ménage participera moins aux travaux : monsieur F. jeune intermittent du spectacle (voir Chantier 3 Côtes d’Armor, page 15), récemment arrivé dans la région, ne dispose d’aucune compétence technique ni d’un réseau relationnel, mais il est très motivé. C’est sur cette motivation que va se construire l’intervention de l’équipe technique pour l’aider à réaliser ce gros chantier. Monsieur F. participe à presque toutes les tâches, même s’il doit s’y prendre à plusieurs fois. Pour qu’il puisse autant participer et réellement s’approprier son projet, il a besoin d’un accompagnement très important. Evaluer le degré d’autonomie des ménages Pour évaluer le degré d’autonomie des ménages, évaluer le degré de participation au chantier, et définir l’accompagnement qu’ils vont devoir fournir sur le chantier, les Compagnons Bâtisseurs doivent croiser trois types d’indicateurs : • le type des travaux à réaliser : liste des travaux à réaliser, ampleur du chantier, domaines

de compétences requis ; • le profil des ménages : compétences techniques ou réseau relationnel, motivation et

envies, capacité d’organisation, présence de facteurs limitant la participation aux travaux ;

• les capacités d’accompagnement de l’opérateur : conseils techniques et formation selon le profil des animateurs, conseils en organisation de chantier, apport de main-d’œuvre, aide à la définition de projet, prêt d’outillage.

Encourager la participation Finalement, le manque de compétences techniques ne limitent que très peu le degré de participation du ménage au chantier, grâce à l’accompagnement qui permet de former. Les facteurs qui limitent la participation sont d’une autre nature : il peut s’agir de problèmes physiques, comme les maladies invalidantes, l’âge ou le handicap ; il peut s’agir aussi de problèmes psychologiques, comme la dépression, l’alcoolisme, ou la difficulté à se projeter dans le temps. Les premiers facteurs limitent de fait la participation du ménage aux travaux, mais n’empêchent pas ce dernier d’être porteur de son projet. Par contre, les seconds, moins palpables, sont redoutables et peuvent empêcher à la fois la participation aux travaux et l’appropriation du projet. En outre, n’étant pas toujours facilement identifiables, ou du moins mesurables, avant le début du chantier, ils peuvent complètement remettre en question le projet d’autoréhabilitation. On comprend aussi les problèmes rencontrés avec des victimes de l’alcoolisme, maladie qui est à la fois un problème psychologique et qui peut aussi entraîner des dégradations physiques importantes. Combler les manques Il est souvent plus compliqué de motiver quelqu’un qui n’a pas envie, que de former aux techniques du bâtiment. L’accompagnement de l’opérateur peut compenser les manques des ménages, qui seuls, ne peuvent faire aboutir leur projet d’autoréhabilitation. La difficulté à se projeter dans le temps peut être compensée par une aide à la définition de projet. Les compétences techniques peuvent être acquises grâce à des conseils et des formations sur le chantier et les capacités organisationnelles optimisées. Les limites physiques seront dépassées par un apport en main-d’œuvre. La motivation peut être encouragée par les travailleurs

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sociaux et l’équipe technique. Toutes ces difficultés peuvent ainsi être surmontées grâce à un accompagnement adapté et sur mesure. Rebondir sur des capacités Cumuler des difficultés ne veut pas dire que les capacités sont inexistantes. Au contraire, toute action sociale auprès de ce public en difficulté, et qui vise son autonomie, s’appuie sur des capacités existantes. Ce public ne peut pas toujours améliorer seul ses conditions de vie, mais ne doit pas non plus être enfermé dans la passivité. Il s’agit de faire émerger ses capacités, de le dynamiser et de permettre à tous ceux qui le souhaitent, de faire par eux-même. Un accompagnement technico-social compétent offre la possibilité d’agir sur son cadre de vie, de mener à bien son propre projet. C’est aussi reconnaître une identité et le droit de choisir, et ainsi, participer à la lutte contre l’exclusion :

« La question des ressources humaines ne se pose pas uniquement en terme de manque ou de besoins chez les plus pauvres de nos concitoyens. Elle s’inscrit aussi, comme ailleurs, en termes de potentialités, de capacités, d’aspirations. L’accompagnement à l’autoréhabilitation consiste à créer les conditions les plus favorables à la mobilisation de ces potentialités, car on construit sur des potentialités et non sur des carences »33.

C’est pourquoi ‘une des tâches des Compagnons Bâtisseurs est de définir est de mettre en œuvre un accompagnement sur mesure pour chaque ménage, en prenant en compte à la fois les faiblesses à combler, et les capacités sur lesquelles ils pourront s’appuyer pour arriver à leurs objectifs. Permettre l’appropriation Un des principes qui sous-tend l’accompagnement à l’autoréhabilitation34, est de permettre aux ménages en difficulté d’être autonomes et de mettre en œuvre leurs propres valeurs. Ce principe passe aussi par le soutien des capacités d’appropriation du projet habitat. Et cette appropriation n’est pas seulement dans la réalisation et la participation aux travaux. Il s’agit de mobiliser au maximum les capacités d’autonomie du ménage dans la prise de décision, autant que dans sa réalisation. Pour autant, peut-on dire que, lorsqu’il s’agit de personnes qui ne peuvent participer aux travaux, le fait d’être maître d’œuvre de son propre projet habitat (définir son projet avec précision, passer commande aux Compagnons Bâtisseurs ou aux artisans, de décider) constitue déjà un projet d’autoréhabilitation ? La question reste ouverte. Les Compagnons Bâtisseurs, pour leur part, considèrent que l’important est « que chacun participe selon ses possibilités ».

Consolider la capacité à faire Selon le profil du ménage et le projet social, l’accompagnement de l’équipe technique prend des formes différentes sur le chantier : l’équipe intervient en continu ou non, l’animateur technique peut être sollicité seulement pour quelques jours de formation, les jeunes volontaires participent plus ou moins au chantier et au projet social. Mais chacun a sa place et 33 Citation Compagnons Bâtisseurs. 34 Voir la Charte de l’autoréhabilitation accompagnée.

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son rôle à jouer, tant au plan technique que pour la réussite du projet social défini avec les travailleurs sociaux. Voyons plus précisément la répartition des tâches au sein de l’équipe technique et comment se déroulent les chantiers d’autoréhabilitation accompagnée. Nous allons voir que la méthodologie d’intervention des Compagnons Bâtisseurs de Bretagne et caractérisée par une logique d’autonomisation du public, et de développement du lien social, dans une perspective de développement solidaire. L’intervention de l’équipe technique consiste à consolider la capacité à faire par soi-même, en formant et en donnant confiance. L’animateur technique Aux Compagnons Bâtisseurs, l’animateur technique n’est pas choisi au hasard. L’expérience de trente ans de chantiers les a conduit à mener une réflexion sur leurs pratiques. Ils ont notamment poussé l’analyse du profil de l’animateur technique d’insertion, de son rôle et des compétences requises, tant au niveau technique que concernant l’accompagnement social du public.35 L’animateur technique est le chef de chantier. Professionnel du bâtiment, il détient une position d’autorité que lui confère la responsabilité de la bonne conduite du chantier. Il est de plus le garant du respect des normes auprès des institutions telles que la DDE, mais aussi auprès des assurances, car les travaux qui sont réalisés sous son contrôle bénéficient de la garantie décennale. En outre, il a la charge d’encadrer l’équipe des jeunes volontaires. Doublement pédagogue, donc, puisqu’il doit veiller à la formation des jeunes volontaires et à celle du ménage. Enfin, il doit être compétent dans le domaine du travail social, car il doit pouvoir adapter sa méthode d’intervention au ménage et au projet social36. Il encourage à faire, il ne fait pas à la place du ménage. Son rôle est aussi de « mobiliser le ménage autour des objectifs techniques à atteindre quotidiennement et globalement ». L’animateur technique d’insertion est un médiateur entre le technique (identifier les compétences et accompagner la réalisation du chantier) et le social ( les objectifs sociaux du chantier). Il est dans une relation de proximité avec la famille et doit assurer la liaison avec les travailleurs sociaux qu’il informe de la situation et de l’évolution du chantier et du ménage. Selon qu’il est plus ou moins présent sur le chantier, la relation qui s’instaure avec le ménage sera différente. Sur un chantier en monitorat technique, on fait surtout appel au formateur, que l’on rétribue à la journée. En revanche, sur un chantier famille, une relation personnelle peut plus facilement se nouer, sur laquelle l’animateur s’appuiera pour mieux connaître le ménage et adapter son intervention, sa pédagogie. La présence, ou non, des jeunes volontaires sur le chantier va aussi influencer la relation qui se noue entre l’équipe technique et le ménage. Sur un Chantier Famille, ils constituent un élément clef de ce qui se joue en terme de lien social sur un chantier d’autoréhabilitation accompagné par les Compagnons Bâtisseurs en milieu rural. L’équipe des Volontaires Long Terme L’équipe des volontaires qui intervient sur les chantiers d’autoréhabilitation accompagnés par les Compagnons Bâtisseurs en milieu rural, est constituée de jeunes français ou étrangers. Ils ne sont ni travailleurs sociaux, ni ouvriers du bâtiment, et accomplissent une action de solidarité citoyenne, durant un à deux ans dans l’association. A leur arrivée, ils reçoivent une formation sociale, au cours de laquelle ils sont sensibilisés aux principes du projet d’insertion par l’habitat qui guideront leur intervention auprès du public. Un séminaire de plusieurs semaines est organisé par l’association nationale des Compagnons Bâtisseurs. Les objectifs de

35 Pour plus de précisions sur le profil de l’animateur technique d’insertion, voir l’étude Maîtrise de l'énergie et accompagnement à l'autoréhabilitation du logement, Pades 2002. 36 L’animateur technique d’insertion est d’ailleurs reconnu comme un travailleurs social par la DDE 35, mais pas par la DDASS.

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participation, d’autonomisation, d’une dynamique sociale qui s’appuie sur la mobilisation des personnes, d’un apport humain autant que technique, y sont présentés, de même que le public, les travaux et le déroulement global de l’opération. Ils reçoivent aussi une formation sur le thème de la transmission des connaissances. Sur le plan technique, des stages courts d’initiation, leur sont dispensés (plusieurs stages de six jours répartis sur les deux années de volontariat). Ils perçoivent une indemnité mensuelle qui couvre les frais de logement, de nourriture et l’argent de poche, et adoptent un mode de vie communautaire. Ils sont engagés auprès de l’association nationale des Compagnons Bâtisseurs, et interviennent par équipe de trois à cinq personnes dans plusieurs régions de France. L’association des Compagnons Bâtisseurs dispose de deux équipes, une pour chaque département. Leur rôle sur un Chantier Famille est ainsi décrit :

« Le volontaire exécute les travaux définis en équipe avec l’animateur technique d’insertion et la famille. Il est ouvert, écoute, observe la problématique de la famille sans porter de jugement. Il n’hésite pas à faire part de ses observations, de ses idées, de ses initiatives au groupe aidant en cela la mobilisation de la famille à son objectif social. Il a connaissance du projet global d’intervention auprès de la famille. Il participe et représente ses pairs aux réunions avec les partenaires. Il aide la famille dans la quotidienneté du chantier et peut assurer de tâches administratives si besoin. »

Des exemples précis de chantiers permettront au lecteur de mieux saisir leur implication dans le projet social. Une perspective de développement solidaire A partir du moment où l’équipe des jeunes volontaires intervient sur un chantier, le ménage doit s’engager à confectionner quotidiennement un repas qui sera pris en commun. La présence des volontaires sur le chantier, qui se sont engagés dans le projet social et technique de terrain des Compagnons Bâtisseurs en tant qu’objecteurs de conscience ou volontaires du service européen, affirme, depuis la création de l’association, une volonté de participer au développement social sous la forme de l’échange solidaire, et de créer du lien social. Le statut des volontaires, expliqué aux familles, permet de plus d’affirmer qu’il ne s’agit pas de l’intervention d’une entreprise classique du bâtiment. Parfois, leur statut est bien accepté par les familles et les enfants apprécient la présence d’autres jeunes chez eux. Il peut être aussi rassurant, pour une personne peu confiante dans ses capacités, de voir qu’il est possible pour une personne qui n’y connaît rien, comme elle, de réaliser les différentes tâches techniques. Mais il peut arriver, au contraire, que leur situation d’apprentis soit mal vécue et qu’on leur reproche de ne pas être de vrais professionnels. Briser l’isolement et valoriser les personnes Nous avons vu, dans la partie 1 de ce rapport, qu’une des premières raisons pour laquelle les travailleurs sociaux font appel aux Compagnons Bâtisseurs, est de briser l’isolement des ménages. Il peut s’agir de personnes seules, ou de familles avec des enfants qui n’ont que peu –voire pas du tout- d’activités extérieures, et qui ont un comportement renfermé. Le projet social porte alors sur l’instauration d’une dynamique familiale et l’ouverture qu’il peut apporter aux enfants :

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Une famille de 5 enfants, qui n’a que 2 chambres et un sol en terre battue et qui vit une situation doublement bloquée: d’une part, le propriétaire veut les mettre dehors et bloque pour tous travaux, et d’autre part, les enfants ne sortent pas de la maison. Les AS de secteur travaillent avec la famille pour permettre aux enfants, qui sont très inhibés, d’aller au centre de loisirs afin « d’ouvrir leurs horizons ». Elles souhaitaient aussi avoir des informations sur l’ambiance familiale. Les travaux à réaliser concernaient peinture, porte, fenêtre, et en plus, ils en ont profité pour faire un décrassage « sous l’excuse de ces petites réparations ». Un chantier d’été de jeunes bénévoles a été organisé et ça c’est très bien passé. Résultats: - correspondance entre l’un des enfants et un bénévole, fête, rires, et échanges de discussions; - la famille a redemandé l’intervention des CBB pour une rénovation de sols; - effets: « ça a créé une ouverture, mais il n’y a pas eu beaucoup d’évolution, faut pas rêver », puis elle reconnaît qu’à ses dernières visites, le logement est beaucoup mieux entretenu, et avoue en avoir été étonnée; - pour les enfants: il ont eu quelque chose à raconter à l’école et l’un d’entre eux continue à correspondre avec le volontaire. La présence des jeunes volontaires a été particulièrement dynamisante pour ces enfants, qui ont montré un grand enthousiasme pendant les travaux. L’âge des volontaires, entre 18 et 25 ans, et leur statut particulier confère à l’intervention des Compagnons Bâtisseurs un aspect moins officiel. N’oublions pas que cette intervention s’inscrit dans une mesure sociale portée par les institutions, notamment aux yeux des ménages. De plus, l’autorité de l’animateur d’insertion, de par sa position de professeur et de professionnel, de technicien, peut intimider des personnes fragilisées ou marginalisées. L’intervention des volontaires et le partage des repas a pour objectif « d’instaurer une dynamique de vie quotidienne et des échanges sur le projet ». Leur profil peut permettre aux ménages de se situer d’égal à égal, de prendre confiance et de se sentir maîtres de leur projet. Avec certains, des relations d’égale collaboration peuvent se nouer, comme lors du chantier de Mme B. que nous allons vous présenter. Le chantier de Mme B. : liens de coopération et valorisation de la personne Madame B. vit seule avec son garçon âgé de douze ans, dans une maison sans aucun élément de confort, mais dont elle est propriétaire. Très impliquée dans son projet d’amélioration d’habitat, et dynamique, elle souhaite réaliser elle-même le maximum de travaux. L’équipe des Compagnons Bâtisseurs, animateur et volontaires, intervient pour lui donner un coup de pouce technique, mais aussi comme main d’œuvre supplémentaire, car les travaux sont urgents, notamment du fait de l’arrivée de l’hiver et de la présence du jeune garçon qui n’accepte plus ses conditions de vie. Tout est à refaire dans la maison : toiture, isolation, revêtements, création de sanitaires, installation du chauffage et des éléments de confort. La somme des travaux à réaliser est énorme, mais madame B. est très motivée et les Compagnons Bâtisseurs décèlent une grande capacité d’organisation. Dès le début du chantier, elle s’implique beaucoup et noue des relations de réciprocité avec les volontaires, qui sont très intéressés par ses connaissances en bio-dynamie. Ces échanges, que le lecteur pourra apprécier grâce aux photos qui suivent, illustrent bien l’aspect informel et réciproque du lien qui peut se nouer entre l’équipe technique et les personnes. Un échange

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solidaire est à l’œuvre : tandis que les volontaires participent de façon solidaire à son projet, en exécutant avec elle certaines tâches (photo 1) ou en lui montrant ce que eux-mêmes ont appris (photo 2), madame B. s’applique à leur concocter des repas succulents (aux dires des volontaires eux-mêmes) à base de plantes aromatiques et partage ses connaissances sur les plantes et les minéraux (photos 3 et 4).

Photo 1 Photo 2

Photo 3 Photo 4

Madame B. connaît bien l’utilisation des plantes, c’est une grande source d’échange. Elle participe notamment à un mouvement de recherche sur le bio-dynamie, appliquée aux plantes médicinales et aromatiques, et envoie régulièrement ses échantillons à un laboratoire. Elle cultive un bout de son jardin sur les principes de l’agriculture biologique. Ces différentes connaissances ont donné lieu à des discussions avec l’équipe technique autour du thème des matériaux à utiliser pour améliorer la maison.

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Photo 5

Le déroulement de ce chantier illustre bien la relation d’échange qui peut se créer sur un chantier famille, lorsque les volontaires sont bien acceptés, et l’animateur technique semble lui aussi être emporté par l’ambiance qui règne sur le chantier (photo 5). Cet exemple prouve aussi que les femmes, mêmes seules, peuvent réaliser de gros chantiers d’amélioration de l’habitat. Un accompagnement adapté permet de consolider leur autonomie. En outre, il montre qu’une personne seule très occupée par ailleurs, avec un accompagnement adapté à ses besoins, peut trouver le temps et l’énergie de mener à bien son projet d’autoréhabilitation. Seul bémol sur le chantier de madame B, un problème de surcoût, découvert après le début des travaux. : les Compagnons Bâtisseurs constatent que le devis de départ, réalisé par un artisan, est incomplet. Le surcoût, par rapport au devis initial, s’élève à 1 200 € alors que les financements sont bouclés. Seule une participation plus importante de madame B. permettra au budget de tenir la route. Mais sur les autres chantiers qui présentent ces problèmes de surcoût après le début des travaux, il n’est pas toujours possible de demander une participation plus importante du bénéficiaire, et il arrive parfois que les surprises révélées soient insurmontables et qu’elles remettent en cause le déroulement des travaux. Les dossiers sont alors suspendus, en attente de solutions financières. Les limites de l’intervention socio-technique Tous les chantiers sont différents, comme l’est la relation qui s’établit entre les personnes. Il existe des cas où la chimie opère, comme le chantier de madame B., ou celui de monsieur F. (chantier 3 Côtes d’Armor, partie 1), que nous n’avons d’abord pas su distinguer des volontaires lors de notre visite sur le chantier : à peu près du même âge que les volontaires, nous avons cru dans un premier temps, que le propriétaire était momentanément absent du chantier. Néanmoins, il peut aussi arriver que les relations soient conflictuelles. Dans la partie 1, nous avons vu l’exemple de monsieur D., ancien salarié du bâtiment avec lequel le chantier a démarré par « quelques frictions » parce qu’il ne comprenait pas bien le rôle des volontaires. Certains n’acceptent pas l’aspect solidaire de leur démarche et leur reprochent leur faible niveau technique. Ce public, qui ne comprend pas le rôle des volontaires, considère peut-être que c’est une intervention à bas prix, en dépit de l’intervention d’une entreprise classique auxquels ils ne peuvent avoir accès (prescription des travailleurs sociaux).

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D’autres raisons peuvent entraîner des conflits sur le chantier : certaines personnes acceptent difficilement d’être accompagnées et dirigées, ou bien ne voient pas l’utilité de certaines obligations réglementaires. Au-delà du rôle des volontaires, c’est alors l’accompagnement qui est rejeté, et vécu comme une contrainte. Dans la plupart des cas, l’équipe finit par trouver un terrain d’entente. Une autre limite à l’accompagnement technico-social apparaît lorsqu’il n’y a aucune perspective possible d’appropriation du logement. Nous pensons au cas de travaux de remise en état des lieux d’un logement avant mutation : bien que les acquis techniques soient parfois réinvestis dans le nouveau logement, le bilan d’un chantier à Orrières en Ille et Vilaine, réalisé par un volontaire, mentionne les obstacles auxquels l’équipe a été confrontée pour tenter, en vain, d’impliquer le ménage et de le faire participer aux travaux :

« M.A nous a aidés le premier après-midi à détapisser, mais le reste du temps, alors qu’elle s’installait avec son fils dans leur nouveau logement, elle passait seulement de temps en temps pour voir l’avancement du chantier et pour donner son avis ».

Des volontaires impliqués dans le projet social Sur ce même chantier concernant une mutation de logement, le volontaire fait part du désoeuvrement de l’équipe, face à l’échec du projet de participation et de dynamisation du ménage :

« Nous avons douté de l’originalité de notre intervention et gardons le sentiment de n’avoir été que de la main d’œuvre à bon marché, d’avoir fait du pur assistanat ».

De la même manière, au cours des discussions que nous avons eues avec les équipes de volontaires, et lors de leurs interventions aux réunions de la cellule d’appui des Côtes d’Armor, ils se montrent très sensibles à la problématique de l’autoréhabilitation en tant que support d’autonomie et de liens social. Quotidiennement en contact avec les personnes, ils sont dans une relation de proximité et sont, contrairement à l’animateur technique d’insertion, externes aux obligations de gestion de l’association (gestion des plannings, gestion financière). Leur position leur permet parfois de rappeler les objectifs initiaux qui peuvent être malmenés par les méandres de la logistique. Par la compréhension intime du sens et des enjeux de l’accompagnement à l’autoréhabilitation, ils constituent un vivier de futurs professionnels déjà formés et bénéficiant de un à deux ans de pratique. D’ailleurs, certains de ceux que nous avons rencontrés nous ont dit être intéressés de continuer au niveau professionnel, et parmi les autres opérateurs d’autoréhabilitation accompagnée que nous avons eu l’occasion de rencontrer deux étaient d’anciens volontaires des Compagnons Bâtisseurs.

L’action technique support de développement social Une fois le chantier terminé, les Compagnons Bâtisseurs n’ont que de très rares retours des travailleurs sociaux sur la situation de la famille et les changements induits par leur intervention. Le meilleur indicateur de ces effets, est de voir les travailleurs sociaux revenir en

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commission, avec de nouveaux projets. Et les nouveaux projets socio-techniques sont construits à partir des effets constatés sur les chantiers précédents. Tout au long de cette étude, nous avons parlé des effets induits par l’action des Compagnons Bâtisseurs de Bretagne. Nous les avons traités sous l’angle des motivations des travailleurs sociaux et autres partenaires, et au travers des exemples de mise en œuvre des chantiers. Pour ce faire, nous avons questionné différents travailleurs sociaux. Il ressort de ces entretiens, que l’accompagnement technico-social permet de s’adapter et de répondre aux besoins d’un public très varié : pour les familles (pour les enfants et les parents) ou pour des personnes seules ; pour les femmes seules avec enfants, qui représentent 80 % des bénéficiaires du RMI ; pour des personnes déjà autonomes, ou au contraire pour susciter l’autonomie. Ces témoignages soulignent que les effets positifs peuvent être pluridimensionnels. Nous reprendrons dans la conclusion les aspects pluridimensionnels de l’utilité sociale des chantiers des Compagnons Bâtisseurs, mais aussi de l’accompagnement à l’autoréhabilitation en général, pour des publics en difficulté. Pour l’heure, nous allons voir que l’évaluation de la réussite des chantiers se fait aussi parallèlement au déroulement des travaux. L’équipe technique, tout d’abord, fait sa propre évaluation sur le chantier : il s’agit de savoir si le ménage a rempli son contrat de participation, et si la bonne ambiance du chantier a permis d’instaurer une dynamique. Une première évaluation dont elle fera part aux réunions de la cellule d’appui pour ce qui est des Côtes d’Armor. Le suivi-évaluation Le seul outil d’évaluation dont disposent les Compagnons Bâtisseurs n’est pas une évaluation après-coup. C’est le suivi régulier du chantier et les échanges avec les travailleurs sociaux sur la participation de la famille, sa capacité à s’approprier son projet, l’ambiance et l’avancement des travaux. Dans les Côtes d’Armor, nous avons pu observer ces échanges grâce à l’existence de la cellule d’appui. Tous les dossiers y sont évoqués, et chaque partenaire présente l’avancement de son intervention : tandis que les travailleurs sociaux et l’opérateur MOUS présentent aux Compagnons Bâtisseurs de nouveaux dossiers, les projets sociaux et l’avancement des démarches administratives, l’équipe technique témoigne aux partenaires de l’état d’avancement des travaux, mais surtout de l’ambiance, des relations et de la dynamique qui sont à l’œuvre sur le chantier. A part les problèmes relatifs aux déroulement des chantiers, que nous avons déjà évoqués plus haut, les réunions de la cellule d’appui des Côtes d’Armor, en 2001, ont mis en évidence deux principaux obstacles rencontrés par les Compagnons Bâtisseurs dans la mise en œuvre de leur accompagnement, obstacles qui représentent un risque pour la conduite des actions à venir. D’une part, on a pu constater une tendance des partenaires à instrumentaliser l’action en fonction de leurs propres objectifs, ce qui risque de vider l’action de son sens . Ce que nous entendons par instrumentalisation consiste à faire glisser l’action de ses principes de base, c’est-à-dire d‘auto-réhabilitation, donc de participation des ménages, au profit d’une autre logique. Parfois, cette attitude consiste à considérer l’intervention sous son aspect uniquement technique, en négligeant le principe de participation, parce qu’on n’a pas trouvé d’autre moyen pour intervenir chez un public trop marginalisé. Il est arrivé, par exemple, que les partenaires fassent appel aux Compagnons Bâtisseurs pour permettre à un ménage, pour lequel ils n’ont trouvé aucune solution financière, et sans du tout prévoir sa participation aux travaux . Les Compagnons Bâtisseurs, dans ce cas précis, ont accepté de faire de l’assistanat, pour permettre au ménage concerné de bénéficier de la convention que l’association a avec la

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Fondation Abbé Pierre et qui accorde jusqu’à 4 500 € par chantier. On a aussi entendu les partenaires demander aux Compagnons Bâtisseurs de revoir le critère de participation à la baisse, notamment au moment de l’élaboration des devis de l’intervention de l’équipe technique, pour prévenir les cas où le ménage ne réalise pas la totalité des travaux. En effet, une fois encore, les financements étant bouclés, nous verrons dans le chapitre suivant, que pour pouvoir effectuer la réception des travaux et boucler les dossiers, l’équipe technique est parfois contrainte de revenir sur le chantier, pour effectuer elle-même les travaux qui devaient être réalisés par les ménages, ce qui pose bien sûr des problèmes de trésorerie à l’association. D’autre part, le second problème mis en évidence par les réunions de la cellule d’appui, concerne les difficultés rencontrées dans l’enchaînement des chantiers. Sur le chantier de monsieur F. dont nous avons parlé à plusieurs reprises, ses exigences, l'attitude de l'artisan, et surtout le contexte institutionnel conduisent l'équipe technique à passer beaucoup plus de temps que prévu sur ce chantier. Ce sont les aléas des chantiers d'autoréhabilitation, qui ne se déroulent presque jamais comme on l'avait prévu au départ. Les Compagnons Bâtisseurs avaient programmé une autonomisation bien plus rapide de M. F, en apportant seulement un suivi discontinu pour qu'il gère lui-même son chantier. Mais la lenteur des procédures de traitement administratif, empêche l'association d'intervenir ailleurs car, au démarrage du projet autoréhabilitation dans les Côtes d'Armor, aucun autre dossier, sur les 10 présentés, n'a abouti. Ils sont tous en cours d'instruction. L'équipe technique est donc contrainte de rester sur ce chantier en attendant qu'un autre ait obtenu les financements nécessaires. Cette situation, à laquelle sont contraints les Compagnons Bâtisseurs, victimes du flux des dossiers, est dommageable au projet d’autonomisation du ménage, et augmente de surcroît le coût de l’intervention des Compagnons Bâtisseurs. Mais qui paie ? Cette intervention risque de se retrouver sur la facture du bénéficiaire et de décrédibiliser l’action en la rendant plus chère que le coût du marché. C’est le risque d’entrer dans un cercle vicieux, car moins il y a de dossiers présentés, plus les risques financiers pèsent sur l’association ; des risques financiers, mais aussi le risque de ne plus avoir la confiance des partenaires. Et si cette confiance baisse, encore moins de dossiers seront présentés en commission autoréhabilitation. Le point départ de cercle vicieux, si l’on veut l’enrayer, est le faible nombre de dossiers présentés en commission. En effet, les estiment qu’il faudrait une trentaine de dossiers présentés par an, et des chantiers variés comprenant petits et gros travaux, mais aussi avec divers degré d’autonomie, pour alterner leurs interventions et gérer sainement le planning de l’équipe des équipes de volontaires. La balle est dans le camp des partenaires, au moment de l’identification des ménages qui pourraient tirer bénéfice de l’action. La réception des travaux Une fois que l’intervention des Compagnons Bâtisseurs s’achève, il leur faut effectuer la réception des travaux, pour pouvoir boucler le dossier et voir leur intervention rétribuée. Il s’agit de demander au ménage de signer un document signalant la fin de l’intervention des Compagnons Bâtisseurs et la fin du chantier d’autoréhabilitation accompagnée. Mais ce n’est pas si simple, et c’est le moment du chantier où les conflits peuvent apparaît. Il peut arriver que les désaccords initiaux, ou les insatisfactions de départ, liés à l’histoire du dossier, ressurgissent. Sur un chantier d’autoréhabilitation accompagnée, nous avons vu que le ménage s’engageait par écrit à effectuer certaines opérations techniques en dehors de la présence de l’équipe. Or, s’il ne réalise pas la partie des travaux qui lui revient, et même si l’intervention des Compagnons Bâtisseurs est close, le chantier, lui, ne l’est pas. Il est donc difficile de dire que les travaux, pour lesquels les financements de droit commun ont été accordés, ont été effectivement réalisés. C’est un problème pour l’association, qui est

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responsable, pour les institutions de contrôle et en particulier la DDE, de la bonne conduite du chantier et donc du bon usage des financements accordés et de la réception de travaux. L’association n’a aucun recours juridique, le contrat de participation signé par le ménage avant le début des travaux, n’est pas reconnu comme un contrat, il n’a qu’une valeur de contrat moral. Lorsque le ménage refuse de finir les travaux qui sont à sa charge, l’équipe technique est contrainte de revenir sur le chantier pour faire les derniers travaux à sa place. Cette intervention ne sera pas rémunérée, mais représente la condition pour l’association de garder sa crédibilité auprès des institutions de contrôle et auprès des assurances. Monsieur D. se démotive au bout de quelques semaines, déçu de ne pas avoir obtenu les financements escomptés, et ne réalise pas les travaux qui étaient prévus. Un conflit éclate et monsieur D. ne veut plus voir les Compagnons Bâtisseurs. Malgré le peu de travaux qu’il reste à faire, mais confronté à un problème d’alcoolisme et à un état de santé qui se dégrade rapidement, monsieur D. s’enferme sur lui-même. La réception des travaux ne peut se faire tant que tous les travaux prévus au moment de l’établissement du contrat de participation n’ont pas été réalisés. Après plusieurs tentatives d’encourager monsieur D, et lui avoir proposé qu’un animateur technique vienne l’aider, les Compagnons bâtisseurs et les partenaires constatent que la situation est bloquée. Ils sont alors contraints de négocier, par l’intermédiaire des travailleurs sociaux, de revenir deux journées pour finir les travaux. L’impossibilité pour l’association de faire valoir le contrat de participation du ménage pose problème et révèle à nouveau le manque de souplesse des financements de l’accompagnement à l’autoréhabilitation, au regard d’un public très social. Il serait judicieux de voir comment lever cet obstacle et faire en sorte que ce contrat ait plus de poids : comment pourrait-on en faire un outil prouvant qu’un accompagnement plus important que celui prévu au départ a été nécessaire, et légitimant une demande de financement de l’intervention ?

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Conclusion

Un défaut

de soutien politique

qui limite la portée sociale Nous avons détaillé le déroulement des Chantiers familles des Compagnons Bâtisseurs en milieu rural de A à Z : de la définition des besoins, jusqu’à la réception des travaux. Au cours de cette analyse détaillée, nous avons pu constater que l’action présentait un intérêt certain pour les publics en difficulté. Cependant, il est tout aussi évident que la mise en œuvre se heurte à des obstacles financiers et institutionnels à différents moments de l’élaboration ou de la réalisation du chantier. Nous allons ici revenir sur les apports et les limites des Chantiers Famille des Compagnons Bâtisseurs.

Des obstacles financiers et institutionnels à surmonter A le fin de notre dernier chapitre, nous venons de constater une nouvelle phase de l’intervention qui ne peut être rémunérée sur aucune ligne budgétaire. Rappelons que les phases qui sont en amont des travaux (identification des besoins, aide à la définition de projet) ne sont pas financées correctement. Les rares subventions destinées à financer l’accompagnement social sont trop rigides, puisqu’elles sont accordées pour un nombre de chantiers réalisés. Or, nous savons qu’à peine un tiers des dossiers et des situations étudiées n’aboutiront pas au chantier, car ils ne surmonteront pas la sélection sévère des modes d’attribution de financements. Il arrive régulièrement que des partenaires financiers reprochent aux Compagnons Bâtisseurs de n’avoir pas rempli les conditions des subventions. En Côtes d’Armor, nous avons vu une représentante de la CAF avertir que la subvention serait coupée s’il n’y avait pas plus de leurs allocataires à bénéficier de l’action, sans prendre en considération que pour ce faire, encore faut-il que ses travailleurs sociaux présentent des dossiers en commission37. De même, la DDE, qui s’est pourtant montrée très au fait du déroulement et des enjeux des chantiers d’autoréhabilitation accompagnée lors de nos entretiens, a menacé de supprimer la subvention 2001 qui avait déjà été accordée : « vous n’avez pas réalisé les quinze interventions pour lesquelles le Conseil Général vous avait accordé la subvention ». C’est en quelque sorte nier la complexité de l’accompagnement social qui est réalisé en sus de l’accompagnement technique des travaux. Les difficultés à faire financer certaines phases de l’accompagnement à l’autoréhabilitation est une constante chez les opérateurs, qui s’avère insurmontable, si à l’inverse des Compagnons Bâtisseurs, ceux-ci se sont spécialisés uniquement sur l’autoréhabilitation. Les Compagnons Bâtisseurs, quant à eux, ont su diversifier leurs actions et peuvent ainsi équilibrer leurs budgets. Mais le problème reste entier. L’Etat, en se montrant frileux vis à vis

37 I faut de plus savoir que la CAF ne considère comme allocataires que les ménages de plus de deux enfants.

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de l’autoréhabilitation accompagnée, se décharge des risques que représente l’action auprès des publics en grande difficulté sociale. Nous avons vu, en outre, que les aides de droit commun sont loin d’être suffisantes, et que sans des aides caritatives privées, les chantiers seraient encore moins nombreux. Il semble d’ailleurs qu’aucun autre des partenaires de ces actions, qui ont tous un encrage institutionnel fort, ne prenne réellement le risque. Tout pèse sur l’accompagnateur technique. Le représentant du Pact Arim nous disait que l’autoréhabilitation représentait un risque financier pour sa structure. Il est possible, en effet, que le Pact Arim ou Habitat et Développement ne soient pas rétribués s’ils n’arrivent pas à monter le projet de financement. Néanmoins, le risque pris par l’opérateur MOUS est sans aucune mesure avec ceux-qui pèsent sur la structure accompagnatrice du chantier : risques financiers, réglementaires, problèmes auprès des assurances, perte de crédibilité, en bref, le risque est de ne plus exister. Cette situation est bien sûr périlleuse pour l’association. Elle est aussi un obstacle à la création de nouveaux opérateurs, alors que tous les partenaires s’accordent à reconnaître l’intérêt d’une telle démarche pour lutter contre l’exclusion. Pour le surmonter, il faut arriver à faire reconnaître les apports de l’autoréhabilitation accompagnée par les institutions nationales, et pas seulement par les représentants de terrain. Il faut aussi lever les obstacles qui rendent les institutions frileuses vis à vis de ces pratiques. L’un de ces obstacles, est la crainte des pouvoirs publics de financer par l’intermédiaire d’aides aux particuliers, des emplois irréguliers et de faire une concurrence déloyale aux entreprises locales. C’est mal connaître l’accompagnement qui est fourni sur le chantier et en amont, et qui permet d’éviter les dérives. C’est aussi oublier que, c’est parfois l’accompagnement qui permet aux entreprises d’intervenir là où elles n’auraient pas pu le faire. L’autoréhabilitation est marginalisée par la loi38, qui met en position délicate ceux qui prennent la responsabilité de donner des dérogations, et les conduit parfois à des sursauts de panique –c’est ainsi que nous nous expliquons le comportement contradictoire de la DDE des Côtes d’Armor. Malgré toutes ces difficultés, si l’accompagnement à l’autoréhabilitation résiste, envers et contre tout, c’est parce qu’il répond aux situations de terrain constatées par les travailleurs sociaux. Il répond d’une façon particulièrement adaptée aux problèmes d’autonomisation et d’appropriation de l’habitat des personnes en difficulté. La crainte de concurrence déloyale aux entreprises, exprimée par la loi, est injustifiée : artisans et spécialistes de l’autoréhabilitation accompagnée n’offrent pas le même service. A l’heure où plusieurs villes de France se lancent dans l’aventure en créant des services d’accompagnement, il devient désormais urgent de lever les obstacles et de faire reconnaître l’accompagnement dans sa globalité : sur le chantier et en amont, aspect technique et social. Il s’agit aussi de trouver les moyens de financer les aspects qui sont aujourd’hui ignorés et de réduire le risque qui repose sur les associations. On l’aura compris, si tout le travail réalisé par l’accompagnateur est payé, le chantier d’autoréhabilitation accompagnée ne coûte pas moins cher qu’une intervention classique, du moins pour les institutions. S’il leur coûte moins cher, c’est parce qu’elles « oublient » de payer une partie de la facture. Pour les ménages, en revanche, il est vrai que la réalisation des travaux par l’autoréhabilitation accompagnée fait baisser la facture : si leur participation permet de réaliser les travaux plus rapidement que prévu, des travaux supplémentaires pourront être effectués. 38 A ce sujet, et pour participer à lever ces a priori, le Pades a réalisé une fiche technique sur les chantiers d’autoréhabilitation accompagnée du point de vue du droit du travail.

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Pour autant, celui qui considère que l’intérêt de l’autoréhabilitation accompagnée est d’être meilleur marché qu’une intervention classique est bien dans l’erreur. Sa spécificité est de combiner projet technique et projet social : les chantiers permettrent de résoudre un problème d’habitat, donnent les clefs pour son entretien, et représente souvent un tremplin pour enclencher une dynamique de développement social. Sans dire que c’est une potion magique, ce mode d’action auprès des publics en difficulté semble plus adapté que d’autres qui n’encouragent pas la participation des bénéficiaires. Aussi, les pouvoirs publics devraient déjà se montrer satisfaits si un chantier d’autoréhabilitation avait un coût équivalent à une intervention classique : comme on dit en publicité, ils en ont deux pour le prix d’un ! Mais à ce jour, l’aspect social n’étant pas remonté aux plus hauts échelons des institutions, il faudrait que cela coûte moins cher. Ceci est d’autant moins justifié que le critère de qualité technique n’est pas recevable : d’une part, le statut de constructeur des Compagnons Bâtisseurs les oblige à produire des travaux de qualité professionnelle, et d’autre part, si l’on considère le critère d’adaptation du logement aux aspirations et besoins des ménages (qui sont en dehors des standards) on peut dire que la qualité est meilleure, ou en tous les cas plus adaptée aux publics en difficulté. Mieux adaptée, mais difficilement valorisable d’un point de vue quantitatif. En effet, dans une société de chiffres, il n’est pas très accrocheur d’acclamer que cinq logements par an et par département sont améliorés. Alors pourquoi s’engager politiquement dans ce type d’action, quel bénéfice, surtout au regard du contexte législatif qui marginalise ces réalisations ? Pour s’y engager, il faut des convictions et du courage, et les hauts fonctionnaires ne disposent pas tous de ces deux qualités à la fois. Pour l’intérêt général, parce que ces actions sont reconnues d’utilité sociale, il faut suscité les convictions : communiquer les résultats, les effets, et les intérêts de ses démarches. Un des enjeux aujourd’hui de l’accompagnement à l’autoréhabilitation, au moment où on constate un grand nombre de projets naissants initiés par les travailleurs sociaux de terrain –mais aussi par des élus locaux- sur le territoire Français39, consiste à réussir à impliquer le Ministère du logement.

Une utilité sociale pluridimensionnelle démontrée Comme d’autres actions d’accompagnement à l’autoproduction, le choix des travailleurs sociaux de s’y investir, d’abord motivé par le choix d’une action qui repose sur le principe du « faire avec », est ensuite conforté par les effets de socialisation induits de ces actions constatés après un temps de mise en œuvre. Récapitulons les différents aspects de l’utilité sociale des actions d’accompagnement à l’autoréhabilitation du logement. Autonomisation des individus dans leur sphère privée

• Accès durable à des biens et services : les nouveaux savoir-faire acquis, donnent la possibilité d’être reproduits en dehors d’un accompagnement technique ; l’apprentissage de savoir-faire induit une possibilité d’appropriation et de reproduction, à condition que la personne renforce parallèlement sa position de sujet ;

39 Voir l’étude L’accompagnement à l’autoproduction comme outil de développement solidaire en Aquitaine, Pades 2003.

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• Consolidation du sujet : une personne peut se « réconcilier » avec elle-même en constatant qu’elle peut apprendre quelque chose, en menant un travail manuel à bien, malgré les difficultés. L'effort ainsi que son résultat par le produit fini, contribuent à sa valorisation personnelle, renforcée par le regard positif des autres.

Une plus grande capacité à gérer les problèmes de la vie quotidienne • Sur le logement : responsabilisation, appropriation et stabilisation effet

immédiat d’améliorer son cadre de vie, d’être en capacité d’entretenir son logement lui-même et de réaliser ainsi une économie budgétaire. Cet effet technique et économique sur le maintien en bon état du logement se double d’un effet juridique : l’occupant du logement, propriétaire ou locataire, respecte ainsi la responsabilité qui lui incombe sur ce point. Cet investissement personnel contribue à l’appropriation du logement par ses occupants, et donc à la stabilisation ou au maintien dans celui-ci. L’action particulière sur le logement apparaît en outre comme un préalable, un socle pour poursuivre l’accompagnement de la personne dans ses diverses problématiques : la garantie d’un toit leur permet de reconstruire des repères de lieu et de temps.

• Sur la requalification éducative des parents envers leurs enfants : Lorsque les adultes s’autonomisent sur divers aspects de leur vie quotidienne par le biais d’activités productives, ils deviennent plus à même d’exercer leur responsabilité parentale s’ils ont des enfants : d’une part, ils pourront mieux se préoccuper de leurs enfants s’ils se sentent mieux eux-mêmes ; d’autre part, cette image d’adulte renforcée et revalorisée peut permettre aux enfants de retrouver l’autorité parentale dont ils ont besoin.

Consolidation des liens sociaux

• Développement de la civilité : le chantier et ses contraintes, mais aussi la

collaboration avec l’équipe technique peuvent servir de support d’entraînement eu respect des usages et codes sociaux permettant de faciliter la vie en société ;

• Qualification et insertion sociale : la démarche autoproductive permet la production de liens sociaux et donne à la personne un statut de producteur de biens matériels. La collaboration sur le chantier et la création de nouveaux espaces de vie peut entraîner la restauration des liens familiaux. La réussite du projet permet aussi de retrouver confiance envers les autres, et plus particulièrement envers les acteurs sociaux.

• La construction ou la restauration de ces liens à l’occasion de pratiques autoproductives a pour effet de rompre la solitude, de participer au bien être de la personne et de contribuer à leur mobilisation, grâce aux échanges avec les autres. La démarche d’autoproduction accompagnée est un support de socialisation : de surcroît, elle permet une qualification sociale en transformant les participants en autoproducteurs.

L’autoréhabilitation accompagnée telle qu’elle est menée par les Compagnons Bâtisseurs de Bretagne présente une utilité sociale pluridimensionnelle. Elle rejoint en cela les observations réalisées pour d’autres pratiques d’accompagnement à l’autoproduction, qui se basent sur des supports techniques différents (autoproduction alimentaire ou autre). Globalement on peut ainsi synthétiser les effets pluridimensionnels de ces actions :

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Des effets pluridimensionnels de l’autoproduction accompagnée

Autonomisation de la personne danssa sphère privée

Intégration sociale des individus dans la sphère publique

Utilité

sociale matérielle

Accès à des biens et A des services

Civilité

Apprentissage des codes sociaux Respect du travail d’autrui, de sa culture

Utilité

sociale psychique

Renforcement de la construction du sujet

Socialisation et Qualification

sociale

Consolidation des liens sociaux Reconquête du statut de producteur

Utilité

sociale sur d’autres problématiques

Logement Santé Requalification éducative

Solidarité

Entraide Participation collective au développement de son quartier

Ces effets pluridimensionnels permettent d’en affirmer l’utilité sociale. Les effets multiples de ces actions lient le développement des savoir-faire, savoir être et savoir être ensemble : ils permettent la consolidation des personnes aidées dans leur sphère domestique, consolidation qui facilitera leur intégration dans la sphère publique.

Les « politiques » devraient prendre au sérieux ces actions et se préoccuper de les accompagner. Certaines limites pourraient ainsi être levées si une reconnaissance plus forte était accordée par les acteurs politiques et institutionnels sur l’utilité sociale de la démarche. Cela permettrait de développer la capacité technique de leurs représentants locaux, acteurs de terrain, à comprendre la démarche pour mieux la mettre en œuvre et rendre compte de son efficacité. En outre, une reconnaissance plus forte conforterait la situation délicate de ceux qui s’y sont déjà engagés au niveau local.

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TABLE DES MATIERES Introduction ……………………………………………………………………………………2

Partie 1 : Une association de chantier à caractère social ............................................................... 4

Présentation de l’association................................................................................................................ 4

Les équipes d’accompagnement à l’autoréhabilitation en milieu rural................................................ 5

Le public............................................................................................................................................... 6

Les problèmes de logement................................................................................................................... 9

Partie 2 : Un repérage orienté des besoins .................................................................................... 18

Essayer pour comprendre .................................................................................................................. 18

Pour chaque département des partenaires et des projets différents ................................................... 19

Un contexte législatif qui marginalise les réalisations ...................................................................... 23

Un public défini par la nature et l’implication des partenaires......................................................... 25

Partie 3 : Un outil des politiques locales de l’habitat ................................................................. 26

La procédure MOUS en Ille et Vilaine.............................................................................................. 26

Pour le Pact, autoréhabilitation accompagnée et logique de gestion d’entreprise ne font pas bon ménage ............................................................................................................................................... 28

Faire coïncider le souhait des familles et le projet social .................................................................... 29

Répartition des tâches entre l’« opérateur social » de la mesure MOUS et le maître d’ouvrage ...... 31

Partie 4 : Le long périple du projet d’autoréhabilitation ........................................................... 34

Définir la participation du ménage au chantier ................................................................................ 34

Confirmer le diagnostic habitat ......................................................................................................... 35

Contractualiser le projet de participation du ménage........................................................................ 35

Trouver des financements.................................................................................................................. 37

Effectuer les démarches administratives ............................................................................................ 40

Partie 5 : Le chantier d’autoréhabilitation accompagnée ............................................................... 42

Améliorer l’habitat............................................................................................................................. 42

Mobiliser les capacités ....................................................................................................................... 44

Consolider la capacité à faire ............................................................................................................. 47

L’action technique support de développement social ......................................................................... 53

Conclusion : Un défaut de soutien politique qui limite la portée sociale.............................. 57

Des obstacles financiers et institutionnels à surmonter .................................................................... 57

Une utilité sociale pluridimensionnelle démontrée ........................................................................... 59

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