le scaphandre et le papillon livret

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APPRENTIS & LYCÉENS AU CINÉMA LE Scaphandre ET le PApillon Un film de Julian Schnabel

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Le Scaphandre Et Le Papillon Livret

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APPRENTIS & LYCENS AU CINMALE ScaphandreET le PApillonUn film de Julian SchnabelRdacteurs en chefBruno Follet & Alexandra Blas Coordination Apprentis et Lycens au Cinma CinLigue Nord-Pas de CalaisAuteur du documentThierry CormierDoctorant en Etudes cinmatographiqueset audiovisuelles,Membre du comit de rdaction de la revue Eclipses,Collaborateur aux revues Iris,Contrebande et Cycnos, auteur dun essai dans Science-fiction et imaginaires contemporains,sous la direction de Francis Berthelot et Philippe Clermont,d. Bragelonne, coll. Essais, Paris, 2007Crdits photosEtienne Georges (Photos de presse)Collections prives et D.R.Conception et ralisation MK2 CommunicationCopyrightCinLigue Nord-Pas de CalaisApprentis et Lycens au Cinma Nord-Pas de CalaisPublicationOctobre 2008sommaireNous ne regardons jamais un il pour lui-mme ; chacun de nous ignore la couleur de l'iris de presque tous ses amis. L'il est regard : il n'est il que pour l'oculiste et pour le peintre. Andr Malraux, Les Voix du silence, 1951.Un il grand ouvertGnrique & Synopsispage 3Dcoupage squentielpage 4Analyse du rcitDverrouill l'intrieur page 9Approches thmatiques Les prisonniers page 13Approche esthtiqueFilmer lenfermement page 16chos Une radiographie des Vanits page 18Analyse de squenceLe miroir aux alouettes page 20Silefilms'ouvreenmmetempsquelesyeuxdeJean-DominiqueBauby,mergeantducoma,ilsecltsurunilqui demeure ouvert, dfinitivement fig par la mort. Ce regarddstabilisquis'veillesuruneralitincertaine,floueetdforme,estceluid'unhommequineverraplusjamaislemonde comme avant. Et cet il grand ouvert qui attend d'treferm est celui d'un tre qui livre ainsi son dernier mot. Entreces deux extrmits, il y aura eu la mutilation oculaire avec lacouture de sa paupire droite, premire preuve symboliqued'un regard qui doit changer, suivie de la rvlation que lilorphelin peut lui servir autre chose qu' regarder.uvre du regard, celui d'un crateur sur un autre crateur,LeScaphandreetlepapillon,au-delducombatd'unhommecontrelamaladie,raconteunaccomplissement.Dufond de ce corps statufi et grotesque survivent une pense,desmotionsetdessouvenirsquiremontentlasurfacedansunlivrequis'critaveclesyeux.Lavue,cetteultimepasserelle entre la vie intrieure et le monde extrieur, constituepourJean-Dononseulementsonseulmoyendecommuni-cation, mais surtout le lieu o se croisent et se superposentrveetralit,imaginaireetsouvenirs.Unepaupireestfermeetlevoilenrouteversd'autrestempsetd'autresespaces;unepaupires'ouvreetilpeutserassasierdumonde.Aveccetil,oserefltentenmmetempslafentre de sa chambre ouverte sur le ciel et le scaphandre quil'enferme dans les profondeurs marines, il se voit tel qu'il est.Qu'importe ces parois des couloirs ou des ascenseurs qui luirenvoientuneimageimparfaited'unvisagequiestdjdform, car ce qui le compose n'a pas besoin d'tre rflchipar des miroirs pour tre vu par lui : dans sa rtine persisteautre chose que l'image d'une matire paralyse.Son corps inerte est dsormais le support d'un il qui luipermet tous les montages imaginaires. Ce regard monoculaire,quirecadreoumorcelle,rinscritl'universdel'hpitaldansdes dcors de cinma : des fictions du Far West Cinecitta,enpassantparlareconstitutionducouloirautempsdel'impratrice Eugnie avec ces figurants costums. En fermantson il, c'est tout un monde fait de fictions, d'images d'archives,de films super 8 ou de vidos qu'il se projette loisir sur soncran intrieur. Le film de sa vie, qu'il ralise en mme tempsque le livre s'crit, est l'uvre d'un artiste dmiurge dont l'acteperceptif est un acte de cration, et l'acte de mmoire un acted'imagination. Thierry Cormier2Introduction RdacteurenchefaumagazineElle,Jean-DominiqueBauby se rveille l'hpital de Berck-sur-Mer la suite d'ungraveaccidentvasculairecrbralquil'aplongdanslecoma. Il apprend par les mdecins qu'il est atteint du locked-in syndrome,maladierarequileparalyseentirementl'exception de son il gauche. Sa femme Cline, dont il estspar,sonamiLaurentetlesthrapeutesHenrietteetMarie l'accompagnent dans sa lente rducation. D'abord dsespr, ne pouvant ni manger ni respirer sansassistancemdicale,Jean-Dofinitpartrouverlaforcedecontinuervivre,grcelavisitedcisivedePierreRoussin,ancienotagedtenuBeyrouth.Grcesonilgauche,uniquecontactaveclemondeextrieur,ilapprendun nouveau langage, bas sur le clignement de sa paupire,qui lui permet de slectionner les lettres de lalphabet quonlui dicte pour former des mots, puis des phrases. Anim par une vie intrieure faite de souvenirs, de rvesetdefantasmes,Jean-Dodcided'crireunlivresursonexprience.AssistdeClaude,unejeunefemmeenvoyeparsonditrice,lelongtravaildel'criturecommence,entrecoupparlesvisitesdesesprochesetsaviequotidiennel'hpital.Larelationavecsonpre,larmi-niscence desesamourspassesetlesanecdotesdesanouvelle vie viennent nourrir les chapitres du livre qu'il crit.AlorsqueMarietentedel'amenerversune religionqu'ilrefuse et que Cline ne peut cacher sa jalousie pour Ins, ladernire femme qu'il a connue avant son accident, une grandecomplicits'instaurepeupeuentreJean-DoetClaude.Ensemblesurunbateau,elleluioffreuneancienneditiondu Comte de Monte-Cristo, le roman dont il souhaitait faireune adaptation moderne et fminine. Un jour que Cline estaffaire auprs de Jean-Do dpouiller son courrier, il reoitlecoupdetlphonetantattendud'Ins,samatresse.Contrainte tre l'intermdiaire entre son mari et la matressede celui-ci, Cline entend et traduit des mots d'amour qui larendent folle de jalousie. Aprs de nombreuses sances de rducation, Jean-Docommencemettredessons.Maiscetespoirestvitebalayparuneattaquerespiratoirequil'obligetretransfr dans un hpital parisien. Dans l'ambulance, il sesouvient des circonstances de laccident crbral qui allaitchanger sa vie. Ce sera le dernier chapitre de son livre. Dixjoursavantsamor t,sonrcitestpublisousletitre:LeScaphandre et le papillon.synopsis3Pays de production : FranceAnne de production : 2006Ralisateur : Julian SchnabelScnariste : Ronald Harwood, daprs l'uvre originale de Jean-Dominique Bauby (d. Robert Laffont, 1997)Directeur de la photographie : Janusz KaminskiDcorateurs : Michel Eric et Laurent OttMonteur : Juliette WelfingMusique originale : Paul CantelonCostumes : Olivier BeriotIngnieurs du son : Jean-Paul Mugel, Francis Wargnier et Dominique GaborieauCrateur du gnrique : Julian SchnabelSocit de production : Path Renn ProductionProduction : Kathleen Kennedy et Jon KilikProducteur associ : Lonard GlowinskiProducteurs excutifs : Pierre Grunstein et Jim LemleyDirecteur de production : Franois-Xavier DecraeneCoproduction : France 3 Cinma, CRRAV Nord-Pas de Calais, avec le soutien de la Rgion Nord - Pas de Calais, avec la participation de CANAL+et de CINE CINEMA, en association avec BANQUE POPULAIRE IMAGES 7et The Kennedy/Marshall Company et Jon Kilik.Sortie franaise : 23 mai 2007Distributeur d'origine : Path DistributionN de visa : 116 877Format : 1.85 - Couleur - 35 mm - Dolby Digital DTSDure : 112 minutesInterprtation:MathieuAmalric(Jean-Dominique Bauby), Emmanuelle Seigner (ClineDesmoulin),Marie-JoseCroze(HenrietteDurand),AnneConsigny(Claude),PatrickChesnais(DocteurLepage),NielsArestrup(Pierre Roussin), Olatz Lopez Garmendia (MarieLopez), Jean-Pierre Cassel (Le pre Lucien / Levendeur),MarinaHands(Josphine),MaxVonSydow (Papinou), Isaach de Bankol (Laurent),Emma de Caunes (Limpratrice Eugnie), Jean-PhilippeEcoffey(DocteurMercier),GrardWatkins(DocteurCocheton),NicolasLeRiche(Nijinski),FranoisDelaive(Linfirmier),AnneAlvaro (Betty), Franoise Lebrun (Mme Bauby),ZinedineSoualem(Jouber t),AgathedelaFontaine(Ins),FranckVictor(Paul),LauredeClermont(Diane),ThoSampaio(Thophile),Fiorella Campanella (Cleste).gnrique1 - 00:00:00 (Chapitre 1) - Gnrique.GnriquedufilmsurfondderadiographiesaccompagnesparlachansondeCharlesTrenet,La Mer. 2 - 00:01:36 - Vous ne m'entendez pas ? Deslumiresetdessilhouettesapparaissentprogressivement.Unmdecins'approchedemoi,m'expliquequejesuisrestdanslecomaduranttrois semaines et que je me trouve l'hpital mari-timedeBerck-sur-Mer.Ilmedemandedesuivresondoigtdesyeux,dediremonnometceuxdemesenfants.Jeluirpondsmaisilnem'entendpas. Je ne peux plus parler.3 - 00:05:53 - Ins.Il y a des fleurs prs de mon lit et le vent joue aveclesrideauxdemachambre.JecroisvoirInsaccrochantdesphotossurlesmurs.Soudainuneautre image furtive : mon fils qui hurle. 4 - 00:06:37 - a, c'est la vie ? Une infirmire tire les rideaux en me demandant sij'ai bien dormi. Elle m'annonce la visite du docteurAlain Lepage, neurologue. Le docteur et son quipeentrent.Ilm'expliquelasituation:jaitvictimed'unaccidentvasculairecrbral.Jesouffredunlocked-in syndrome qui m'empche de parler et meparalysedelatteauxpieds.Maistoutlerestefonctionnenormalement:moncerveauetmesyeux.Approchantsamaindemonildroit,ilenprconise l'obturation. Avant de sortir, il mannonceque deux superbes thrapeutes vont venir soccuperde moi.Avertissement : Le dcoupage est crit la premire personne pour pouser un rcit entirement construit selon lepoint de vue du personnage principal.Nanmoins, dans un souci de clart, certains passages, figurant en italiquesdans le texte, donnent des informationsfactuelles permettant de mieux situer le contexte de la squence.Note : Pour se reprer, les minutagesde dbut de squence sont indiqus (et le chapitrage de ldition DVD a tintgr entre parenthses).Dcoupage squentiel45 - 00:10:37 (Chapitre 2) - Le scaphandre.Je me dbats l'intrieur d'un scaphandre immergdans l'eau mais aucun cri nmerge. 6 - 00:10:49 - Massage.Je vois indistinctement les mains d'un kinsithra-peute qui me masse.7 - 00:11:27 - a a l'air sympa. Lesdeuxthrapeutesentrentdanslachambre.Jeme demande si je ne suis pas au paradis. Elles seprsententtoutprsdemonvisage:HenrietteDurand, orthophoniste, et Marie, physiothrapeute.Henriette me demande de cligner des yeux une foispouroui,deuxfoispournon.Mariem'expliquequ'ellevam'apprendreavalerentravaillantlalangueetleslvrespuiss'enva.Henriettemeditque c'est sans doute le travail le plus important desavie.Aprsmavoirposquelquesquestionssimples,ellemedemande:"Etiez-vousrdacteuren chef au magazine Elle ?"8 - 00:13:42 - Rdacteur en chef.J'taisrdacteurenchefdumagazineElle.Jemerends une sance de photos. Tout coup une voixfaitirruptiondanscesimagesdupass:Votreildroit ne va pas comme il faut.9 - 00:14:25 - Lecoudre ! L'ophtalmologistem'annoncequ'ilvacoudremonildroit.Jelesuppliedenepasfairea.Mapaupire se referme peu peu, il n'y a bientt plusqu'un mince interstice de lumire, puis plus rien quele noir. UngrosplandesyeuxdeJean-Domontrealorssonilgaucheintactetledroitdfinitivementferm par les coutures.10 - 00:15:43 - La mre de mes enfants.Desinfirmiersm'habillent.Lepagemannoncequ'ilyaunesurprisepourmoi.Onm'installedansunfauteuil roulant. Dans les couloirs, je vois un dfild'hommesetdefemmesenfauteuils,puisj'aper-ois mon reflet dform par les parois mtalliquesdes murs : quel horreur, c'est moi ? (Chapitre 3 00:17:30)J'arrivefinalementsurlaterrasseosetrouveCline.Lepagem'annoncealors:Votrepremirevisite, c'est votre femme. Ce n'est pas ma femme,c'estlamredemesenfants.Lepageluiexpliquequ'elledoitmeparlerdansl'axedemonregardsielle veut tre vue. Il nous laisse. Cline me dvisageensilence.Ellemedemandesijeveuxvoirlesenfants,jeclignedeuxfoispournon,puissijeveux voir Laurent, je cligne une fois pour oui. Elleestmaintenantauboutdelaterrasseetfume.Denouveausonvisageenvahitmonchampdevisionalorsquellemedemandesielleestvenuemevoir. Non. Ma vision se trouble, Cline me prie de nepas pleurer. 11 - 00:20:37 - Je connais la gare de Berck...Clinepleureenattendantletrainsurlequaidsert.PendantqueJean-Dopoursuitsonmono-logue sur ses souvenirs denfance et de fin dt lagaredeBerck,apparat,surlequaioppos,lenfant quil tait, accompagn de son pre. Clinene les voit pas. J'ai t nul avec elle et les enfants.Cline est de nouveau seule, mais demeure la voixde cet enfant issu du pass qui chantonne lair dufilm Chantons Sous la Pluie.12 - 00:21:19 - Mon premier mot est je.Henriette me prsente un tableau avec les lettres delalphabetclassesselonleurfrquenced'usage.Elle mexplique le fonctionnement : je devrai clignerde l'il pour la faire arrter sur une lettre et ainsi desuite pour former les mots auxquels je pense. Monregard se perd entre son visage et les nombreusesphotos accroches. Je ne sais pas quoi lui dire. Lepremier mot que je trouve est je.13 - 00:23:55 - J'ai 42 ans et on me nettoiecomme un gros bb.Je suis nouveau dans mon scaphandre.Onmeplongedansunbain.Desinfirmiersmelavent. 14 - 00:25:04 - Enlevez ce miroir ! Marieestfacemoietellemedemandedem'entranerluienvoyerunbaiser.Elleapprocheunmiroirdemabouche,maisjeneveuxpasmevoir. Elle me montre comment bouger la langue, sesmouvements sont sensuels. Elle plaque de nouveauun miroir devant ma bouche, je lui crie de l'enlever.Elleprendmatteentresesmainsetluifaitfairedes mouvements de gauche droite.Uneimageapparat,commefilmeensuper8:Josphinemeregardedansunvastedcormontagneux.Mariemedemandesijesenssamain sur mon visage, je lui rponds que non. Ellemeparledesmannequinsdemonmagazine,auquel elle est abonne : elle trouve qu'ils ressemblent des garons. Elle me dit qu'elle est trs croyanteet prie pour moi tous les jours. 5615 - 00:28:01 (Chapitre 4) - Pourquoi j'aijamais rappel ce type ? Sur la terrasse, je dcouvre un homme au loin avecHenriette. Il s'approche et se penche vers moi. CestPierreRoussin,ancienotageBeyrouthpendantquatre ans parce que je lui avais cd ma place dansun avion qui fut dtourn. Il compare sa dtention ce que je vis aujourd'hui. Il m'explique comment il asurvcuetn'estpasdevenucompltementfou.Ilfinit par me dire : Il faut vous accrocher l'humainqui est en vous et vous survivrez. 16 - 00:31:02 - Je veux mourir.Avec Henriette la dicte recommence. Je parviens luidirequejeveuxmourir.Encolre,ellesortenlarmes de ma chambre puis revient pour sexcuser.Elle me laisse ensuite me reposer.17-00:33:30-Jevaisressemblerunlapin comme a !Sur la terrasse, Laurent ma apport une petite motolectrique et un bonnet qui me fait ressembler unlapin.Sonbonnetmebarreunpeulavision.Ilestassis en face de moi et rcite lalphabet. Mais il setrompeetnemeregardepas:ilmefaitrire.Maintenant debout, il m'explique qu'il est nul pour lesvisites l'hpital et que tout le monde parle de moi. Laurents'enva,laissantJean-Dosurlaterrassedans son fauteuil avec son nouveau bonnet.18-00:35:25(Chapitre5)-tais-jeaveugle et sourd ?Il fait nuit. Jean-Do est allong dans son lit. Il nedortpas.Onentendlebipcontinudelamiredefindesprogrammes,lesbruitsdesappareilsrespiratoires,desbattementsdesoncur.Sonil apparat en gros plan.Des images dsordonnes arrivent : le scaphandre,des photos et des reproductions sur les murs, monfilsquicrie,unefemmededos,monregardfigenfermdanslecasqueduscaphandre,puislesimages d'un glacier qui s'effondre. 19-00:37:09-C'estpascompliqulesfemmes !Henriette est revenue avec son alphabet. En clignantavec application de l'il, je finis par former le motmerci.Elleesttoucheetmedemandesiellepeut m'appeler Jean-Do. 20-00:38:18-J'aidciddeneplusjamais me plaindre.Henriette et Jean-Do, vtus chaudement, continuentla leon dehors.Je ne vais plus me plaindre. Je vois un papillon quisort de sa chrysalide et s'envole. A part mon il, ily a deux choses qui ne sont pas paralyses : monimaginationetmammoire.Cesontmesdeuxseuls moyens de m'vader de mon scaphandre. Jepeuxtoutimaginer:n'impor tequoi,n'impor tequi,n'importeo.Desimagesdemavieetdespaysages dfilent. Son visage est fig et dform, il est dans lascenseurdel'hpitalquileramnesachambre,encompagnie d'Henriette.21 - 00:41:12 - Le contrat.Henriette,ctdeJean-Do,estautlphoneavec Betty, une ditrice avec laquelle Jean-Do avaitconclu un contrat pour la publication dun livre. Elleexpliquequ'ilvoudraitcrirecelivre.Danslebureau de Betty, une jeune femme entre et sassied,attendant que lditrice termine son appel.22 - 00:42:36 - Nous commencerons demain.HenrietteprsenteClaude,lajeunefemmequisetrouvait dans le bureau de Betty, Jean-Do : cest ellequi crira sous sa dicte. Pendant qu'elle me regarde allong, je la rassure parl'intermdiaire d'Henriette. DesvoixfmininesrcitentlalphabetdeJean-Do.Une infirmire lapprte pour le rveil du matin. J'apprendraiparcurcequejeveuxcrireetjevous dicterai ce que j'aurai prpar. Je ferai de mon mieux, me rpond Claude. 23 - 00:43:50 - a ne vaut pas Balzac...Ladictecommence.Claudecritlettreaprslettre ce que Jean-Do lui dicte. Aux premiers motsforms,savoixintrieureprendlerelais:lelivreest commenc.Ilyalescaphandre,l'histoiredecethpitalconstruit pour les enfants atteints de tuberculose. Ily a l'impratrice Eugnie, marraine de l'tablissement,dontlebusteestvisibledanslecouloir.IlyaNijinskiquiauraiteffectuicisonsautdetroismtres. Je suis dans mon fauteuil roulant, arpentantce lieu o je croise des malades, des paralyss etdes figures d'un autre temps. Il y a la terrasse quejecompareCinecittaet,aupieddesdunes,desbaraquesquirappellentunvillagefantmeduFarWest. Jean-DoetHenriettetravaillentensemblesurlesdunes, puis sur la terrasse, de laquelle on peut voirle phare.Dcoupage squentiel7(Chapitre 6 00:46:17)Jean-Doestseulfacelamer.Deretourdanslachambre, Claude lui lit le rsultat de leur travail.Ce n'est pas mal, mais a ne vaut pas Balzac... Ilfaitnuit.LaurentfaitlalectureJean-Do.Tousdeux s'endorment.24-00:47:42-T'aspasd'humourHenriette.Deux oprateurs de France Tlcom viennent pourposeruntlphoneamplificateurvocal.Devantsonabsencederponse,ilsdcidentdepartir.Henriettearriveetleurdemanded'installerletlphone.IlscomprennentalorsqueJean-Donepeutpasparler.L'undeuxplaisanteendisantquecetlphoneluiservirapasserdescoupsdefilanonymes.J'clatederire,maisHenrietten'apprciepaslaplaisanterie.25 - 00:49:23 - Une mouche sur mon nez.Danslasallederducation,unemoucheposesur mon nez me gne.Il parvient bouger trs brivement la tte, ce quiattire l'attention de Marie, d'Henriette et de Lepage.Henriette chasse la mouche. Marie parle de miracle.Marie ouvre ma bouche et constate que ma languebouge un peu. Tous se flicitent de ce bref mouvement.26-00:50:46-Ladernirefoisquej'aivu mon pre, je l'ai ras...Claude maintient devant mon il une page qu'elle atape. C'est le rcit de ma dernire rencontre avecmon pre la semaine de mon accident.Nostalgique,lepredeJean-Doluiparledesamre, laquelle il ressemble, de ses 100 ans quilnesouhaitepasatteindre,dufaitquilauraitdpouser Cline. Jean-Do voque son projet d'adapterLeComtedeMonte-Cristodansuneversionmoderneetfminine.Sonpreselvepourseregarder dans le miroir orn de photos de son fils.Avant qu'il ne parte, son pre lui dit sa fiert.Je veux voir mes enfants. 27 - 00:55:58 (Chapitre 7) - Je veux voirmes enfants. Lejourdelaftedespres,lestroisenfantsdeCline et Jean-Do sont sur la plage devant l'hpital.Dans son fauteuil roulant, il les regarde jouer. Aprsm'avoiressuylasalivequicoulesurmeslvrescloses,monfilspleuredanslesbrasdesamre. Mes enfants dansent, chantent et jouent face moi. Cline trouve fantastique que j'crive un livre.Pendantquelleinspectelecarnetdesvisites,jeregarde ses cuisses. Elle s'tonne que cette femmequi prtend m'aimer ne soit pas venue. Nous entamonsun jeu de mots tous ensemble. Deretourdansmachambre,lesenfantschantentpuis membrassent. Je reste seul. Claude me dit, en posant sa tte contre mon bras,que j'tais sincrement heureux. Peut-tre...28 - 01:01:41 - O est-ce que je pourraidner ce soir ?Jeregardeunmatchdefootlatlvision.Uninfirmiervenum'alimentermegnepuisteintlatlenpartant.Jefermemoniletm'imaginednantdansungrandrestaurantparisien.JinviteClaude ma table et nous commenons alors uneorgie de fruits de mer. Nous nous embrassons.29 - 01:03:38 (Chapitre 8) - Douce.Jean-DoetClaudesontsurunedune:ellefumeune cigarette et lui applique de la crme solaire. Jeluidisqu'elleestdouce.Ellemerpondqu'ellen'aime pas les compliments et me demande le titredu prochain chapitre.30 - 01:04:48 - Je redoute les dimanches.Cestdimanche.Jesuisallongdansmonlit.Lespices et les couloirs sont vides.Marie dcide, contre ma volont, de m'emmener l'glise pour y rencontrer le prtre. Ce dernier mapprendalorsqu'ilestpassmevoirpourm'administrerlesaint sacrement pendant que je dormais. Marie veutque je communie. Alors que je dis non, elle dclareauprtrequej'accepte.IlmeproposedevenirLourdes en compagnie d'autres malades.31 - 01:08:09 - Je suis dj all Lourdes...Dans une voiture qui roule vive allure, je suis avecJosphinequiveutserendreLourdes.Jesuisoblig de suivre. A Lourdes, les rues sont envahiesdemalades.Josphineserenddansunmagasinpouryacheterunevierge.Levendeurn'estautrequeleprtrerencontrl'gliseavecMarie.Jecrois le reconnatre mais il ne s'en souvient pas. Jefinisparacheterlaviergelumineusehorsdeprix.Danslachambred'htel,nus,allongssurlelit,clairsparlaviergequejeviensd'acheter,jenepeux pas lui faire l'amour. Il faudra qu'on se spare notre retour sur Paris. Je sors seul dans les ruesnocturnes de Lourdes. J'arpente des voies dsertespour finalement m'arrter face une vitrine qui merenvoie mon reflet. 32-01:12:59(Chapitre9)-Merde,c'tait un rve !Jean-Do est en sance avec Marie et Henriette, quitentent de lui apprendre prononcer la lettre L. Ilse retrouve ensuite dans une piscine.Je vois le plafond vitr de la piscine. Je pense auxtitres d'une ventuelle pice de thtre que j'criraipeut-treunjour:lercitdeMonsieurL.quiapprend vivre avec un locked-in syndrome. Jean-Do,encompagniedeClaude,travailledansdiffrents lieux de l'hpital.8Un infirmier le pousse vers le bout du couloir o setrouvedansunevitrinelebustedel'impratriceEugnie.J'en ai dj la dernire scne : la nuit, le personnagese rveille, sort de son lit, puis le noir se fait sur lascne et on entend : Merde c'tait un rve. Limpratrice, venue du pass, me demande de melever. Je me retourne et l'embrasse. L'infirmier vientme rechercher.33 - 01:16:00 - Ne pleure pas.AlorsqueClaudeetJean-Dotravaillentdanssachambre, le tlphone sonne. C'est son pre, dont ilsattendaientlecoupdetlphone:ilditqu'ilssontatteints du mme mal, lui prisonnier de son apparte-ment, Jean-Do prisonnier de son corps. Il raccroche.Je pleure. Claude aussi. Son pre pleure, lui aussi.Je me retrouve dans le scaphandre. 34 - 01:20:49 (Chapitre 10) - On nebadine pas avec les chefs-d'uvre.Claude et Jean-Do sont sur un bateau. Claude m'offre une ancienne dition du Comte deMonte-Cristo etmelitlepassagequejaichoisi.L'illustration me fait peur tellement il y a de similitudesavec moi : il s'agit du personnage de Noirtier. Je luidis que c'est moi. Instantanment Claude me rpondquenon.Etnouscontinuonsainsinotredialoguesans le recours l'alphabet. J'emmne Claude avecmoi au fond de l'ocan, accroche mon scaphandre.a lui est gal car je suis son papillon.35 - 01:23:33 - Chaque jour je t'attends...Dans la chambre, Cline dpouille le courrier. Parmiles lettres, l'une est de son pre, c'est une photo deJean-Do g de 8 ans, Berck-sur-Mer.Cline approche la photo de mon visage. Je me voisenfant,ennoiretblanc.Letlphonesonne:c'estIns. Cline, gne, branche le haut parleur pour quejel'entende.InsdemandeClinedesortirdelachambre.Ellerefused'abordmaisj'interviens.Ellesort une minute dans le couloir en laissant la portede la chambre entrouverte. Ins me dit qu'elle maimeplusquejamais.Jetentedeluirpondreparungrognement. Je l'entends pleurer alors que je regardeunephotodellesurlemur.Ellemedemandesijeveux qu'elle vienne au moment o Cline rapparat.Elle fait linterprte : je dis Ins que chaque jour jel'attends.Nayantpasentendu,InsdemandeCline de rpter ce que jai dit. Ins pleure et Clineraccroche le combin violemment.36 - 01:29:24 (Chapitre 11) - Je me suismis chanter.Je suis allong dans mon lit. Je rve que je dambuledanslescouloirsvidesdelhpital,poussdansmonfauteuilparl'impratriceEugnie.Leschambressontvides,destracesausollaplacedeslits.Arrivdansunevastepicepleinededbris, il y a un scaphandre vide pos mme le soletl'quipemdicalerassembleautourd'unlit.Mavanantpourleregarderaveceux,jedcouvreuntroubant.Dansunaviondsert,jeretrouvePierreRoussin,auqueljecdemaplace.Avantdesortir de l'avion, je lui lance qu'il ne va pas Hong-Kong mais Beyrouth. Dans son lit d'hpital, Jean-Do est rveill par unecrise respiratoire. Une infirmire entreprend de luichanger son intubation.Entour par des malades et le personnel de l'hpital,onm'apporteungteauornd'unebougie.Lerveque je viens de faire me fait peur. Mais un miraclese produit : je chante. JesuissurlaterrasseavecLaurent.J'metsunson.Marie,HenrietteetClaudemedemandentdechanterpourelles.Jechante,maisbienttjem'touffe. Une ambulance m'emmne vers Paris. Jesuis atteint d'une pneumonie. La ville dfile, floue etrapide, travers les vitres du vhicule. Mon regardcroise une voiture gare : c'est ma voiture ! 37 - 01:34:13 - Ma nouvelle voiture.Je viens de quitter Ins qui me salue du haut de sonbalcon.Jemontedansmanouvellevoiture.Lesmonuments dfilent. Jarrive bientt dans la maisonde campagne o mes enfants et Cline m'attendent.Je viens chercher mon fils. Ensemble dans la voiture,nousparlons.Jeressensbrusquementunefortechaleur, j'ai du mal finir mes phrases. Je dcide dem'arrter sur une petite route alors que rsonne lachanson de Charles Trenet, La Mer. Mon fils, affol,sort de la voiture pour aller chercher de l'aide. Lesroutessontdsertes.Ilyaunbruitconstantdemoteur.Jecontempleleciel,incapabledebouger.Une femme arrive avec mon fils prs de la voiture.38 - 01:39:52 (Chapitre 12) - Cela fait-ilun livre ?Le silence se fait. Je suis allong sur le sige avantde ma nouvelle voiture. J'entends la voix de Claudequilit:J'ailetempsd'avoiruneultimepense.Ilfautdcommanderlethtre.Detoutefaon,onserait arriv en retard. Nous irons demain soir. Et jesombredanslecoma.Jesuissurunlitd'hpitalquin'estplusceluideBerck.JevoisClaudeindistinctement et lui demande si cela fait un livre.En larmes, elle me montre le livre dit. Elle me litlesddicaces,savoixestsourde.Elleselve.Levisage de Laurent, dform, apparat. Puis d'autressilhouettes.Etc'estautourd'Insdevenirenmedisantqu'elleatoujourstl.Enfin,Clinemelitles critiques de mon livre, magnifiques.39 - 01:42:16 - Gnrique de fin.01:47:12LevisagefigdeJean-Doapparat.LavoixdeClinecommencelemonologuefinal:Jean-Dominique Bauby, 43 ans, journaliste rput, prede famille, homme libre, projetait d'crire un romansurlavengeanceaufminin.LaComtessedeMonte-Cristo. Les images des glaciers rapparaissent, mais cettefois ils se reconstituent. Sur cette image s'inscrit leparaphe final : Jean-Dominique Bauby est mort le9mars1997,dixjoursaprslaparutiondesonlivre Le Scaphandre et le papillon.Dcoupage squentiel9Le risque majeur dans l'analyse d'un rcit tel que celui dufilm Le Scaphandre et le papillon serait d'en borner l'tuded'une part l'vocation d'une maladie rare (au "sujet" du film),etd'autrepar tlaquestiondel'adaptationlittraireaucinmadulivreponyme.Ceneseraitrendrecompted'uneuvre, littraire puis cinmatographique, et encore moins duparcours de cet homme, dont la valeur indniable du tmoignagecherche justement faire sauter ces verrous qui maintiennentenferm l'intrieur d'troits carcans traditionnels.Les symptmes de l'adaptationS'agissant, d'abord, de cette terrible maladie, l'examen cliniqueouvredeschampsquiledpassentpourtoucher,commel'explique le docteur Steven Laurey, neurologue belge et l'un desmeilleurs spcialistes europens, aux prmisses d'une nouvelleexistenceetaudveloppementdel'ar tdecommuniquer:Ltudedespatientsenlocked-ininterrogel'idequenousnousfaisonsdelaperceptionconsciente.Laconscience estquelque chose de tellement subjectif ! Vous tes seule treconsciente de votre monde intrieur. Lorsqu'on examine despatients en soins intensifs, on leur pose des questions et onnote si oui ou non ils y rpondent. Sils ne rpondent pas, onconsidre qu'ils ne sont pas conscients de leur monde extrieur,et donc de leur monde intrieur. Ce genre de conclusion estinepte.1S'agissantensuiteduproblmedel'adaptation,dansunfilm o la question de la transcription littraire et de la crationest centrale, Franois Truffaut soulignait, dans un article rdigen1958,qu'opposerfidlitlalettreetfidlitl'espritluiparaissait fausser les donnes du problme de ladaptation(...).Leseultypedadaptationvalableestladaptationdemetteur en scne, c'est--dire base sur la reconversion entermedemiseenscned'ideslittraires. 2Desonct,Julian Schnabel explique ainsi son propre travail d'adaptation :Faire des films, cest rcrire, sans cesse. Le montage estunercriture.Quandjepeins,jeninterprtepas,jenetransfre rien. Je peins et cest tout. () Quand on crit, siloncritunromanparexemple,ilnyapasdetraduction.Maissioncritquelquechoseaveclintentiondeladapterau cinma, alors on traduit le texte dans une autre forme. Unefois le texte adapt, on peut ragir comme si on peignait. 3Ltude du film Le Scaphandre et le papillon est d'abordaffairedemiseenscne.Pluttquesamuseraujeudessimilitudes et des diffrences entre texte et image (et constater,parexemple,quelepersonnageprincipalestpredetroisenfants dans le film alors qu'il n'en a que deux dans le livre),ilestplusintressantdesattacherauvritablelmentquidiffrencie notablement le film du livre : la mise en scne del'actecratif,lefilmreprsentantuneuvreentraindesefaire. Car au-del du rcit difiant du combat d'un Dverrouill l'intrieurAnalyse du rcit 1Renouer avec les consciencesemmures, entretien ralispar Marie Haumont, Nouvelles cls ;www.nouvellescles.com.2L'adaptation littraire au cinma,Franois Truffaut in Le Plaisir des yeux,d. Champs Contre-Champs,Flammarion, p.256-257.3Julian Schnabel, Dossier de pressedu film, Path Distribution, p.18.10homme diminu par un accident vasculaire crbral, ce sontbien les mcanismes de la cration, et ceux de l'imaginationqui y prsident, qui sont ainsi raconts dans ce rcit relevantaussi d'un parcours initiatique.Work in Progress : naissanceartistique en trois mouvements DjdansBasquiat (1996),lepremierfilmdeJulianSchnabel,etplusencoredanssondeuximelongmtrage,Avant la nuit (2000), le portrait de l'artiste - respectivementlepeintrehatienJean-MichelBasquiatetl'crivaincubainReinaldoArenas-sevoyaitmlaurcitduprocessusdecrationartistique.Mmesilesprojetsdecesdeuxuvresrelvent de la biographie ou du biopic 4, retraant l'un commel'autre certains des vnements majeurs qui ont marqu la viedesdeuxar tistes,lareconstitutionintimeethistoriques'accompagned'unereprsentationdutravailartistique:lesinspirations, l'artiste face la toile ou la page blanche, l'actecrateurenlui-mme.DansLeScaphandreetlepapillon,JulianSchnabelsintresseaugesteartistiquetraversledestindeJean-DominqueBauby,desa(re)naissancel'art et au monde jusqu' son dcs, tentant d'en pntrerau plus prs les mcanismes de cration. Silefilmcommencesurunveil(sq.2),formesetsons se prcisant progressivement pour ce "nouveau-n"qu'estJean-Do,c'estplustardquelerveilartistiquesonneraenlui.Envertudequoiapparatunpremierdcoupage du rcit selon trois tapes du processus cratif :la gense et les conditions de la ralisation (sq. 12 22),lacrationenelle-mme(sq.2330),l'achvement(sq. 32 38). Chacune de ces phases est parseme descnes de vie de lauteur l'hpital ainsi que de rminis-cencesd'unevieantrieure,procurantl'ensemblelesentiment d'un travail sans cesse remani ou en constantevolution, son existence passe et prsente comme sourced'inspiration.Lequotidienl'hpital,sessouvenirs,desimages rves ou fantasmes fournissent ainsi la trame d'uneuvre en train de s'crire. Aprslarvlationdesontat,lespremiresrencontresavec les thrapeutes et la dcouverte de son nouvel univers,commence donc la phase d'apprentissage (apprendre un lan-gage et parvenir l'crire selon un autre alphabet - sq. 12)etlaprisedeconscienceartistique.Cesecondveil,l'art,se fait en deux temps. Jean-Do doit d'abord refermer le livrede sa vie passe et commencer dcouvrir qui il est. En faisantle constat de ses checs et en s'interrogeant sur la probablencessitdecemalheur,ils'clairelui-mmesursavraienature(sq.18).Letravailintrospectifluiouvrelaportedel'acceptationetsurtoutdeladcouvertedesespossibilits.Dans un deuxime temps (sq. 20), il comprend que, malgrsaparalysie,illuirestel'imaginationetlammoirepourluipermettre de s'vader de son scaphandre. Le mcanisme delammoire,sionledrgle,peutservirtoutautrechosequ se souvenir : rinventer la vie, et finalement vaincrela mort. Il est banal de dire que la mmoire est menteuse, ilest plus intressant de voir dans ce mensonge une forme deprotectionnaturellequonpeutgouverneretmodeler.Quelquefois,celasappellelart 5.Jean-Doaainsisadispositionlesinstrumentsdel'artiste:unmoyend'crire,son il, et ce formidable mcano compos de l'imagination etdelammoirepourluipermettrederinventerunevieetreprsenter ce qu'il ressent. Les drglements de cette mca-nique du souvenir, visibles dans des squences telles que lerepaschezLeduc(sq.28)oubiensonvoyageLourdes(sq. 31), sont autant d'encours de ralisation du livre. Et lecaractre subjectif du point de vue adopt tout au long du filmfonde cette impression de Work in Progress : une cration enconstantevolutionprsenteauspectateur.Laprisedecontact avec son ditrice et la mise en place d'une mthodeetd'unplanningafinderalisersonprojet(sq.21et22)achventd'entrinertechniquementcepremierensembledurcit d'un processus cratif. La deuxime tape que dcrit Julian Schnabel est celle del'activit cratrice, illustre par des passages de travail entreJean-Do et Claude, sa traductrice (sq. 23, fin sq. 27, etc.).Aprs avoir vu le monde par ses yeux, en camra subjective,tout au long de la premire demi-heure du film jusqu' sa prisede conscience (sq. 18), le personnage nous raconte ensuiteune histoire du point de vue de l'crivain : la voix off est dsormaismoins celle du patient atteint du locked-in syndrome que celledunarrateuromniscientetomnipotent.Lelivrecommencevraimentlorsquepourlapremirefois(sq.23)Jean-Dovoque dans les dtails ce nouveau lieu qui est dsormais samaison,mlangeantvisionsprsentes(lescortgesdemaladesetdeparalyss),histoirespasses(l'impratriceEugnie, Nijinsky) et interprtations personnelles (comparer laterrasse de l'hpital Cinecitta). Jusque-l, les visions et lessongesdeJean-Dotaientdsordonns,l'expressiond'uneincontrlableconfusionquilesubmergeait.Enprenantladcision de ne plus se plaindre, il ralise qu'il peut redonnerdu sens ce chaos et le contrler. Il peut dornavant composeravectoutescesimagesquisontenluietlivrerainsiunereprsentationcohrenteetpersonnelle du monde. S'enchanentalorsdesscnesmlantletravail,lescommentairesdesescrits,ses vocations de la difficult crire, des vnements de sonquotidienetdesapostrophesauspectateur-lecteur,quiconstituent autant de chapitresd'un livre en cours d'criture. Latroisimeetdernirephasedeceprocessusdecrationartistiqueestcelle,logique,del'achvement.ElledbuteparlasquenceoJean-Do, prenant partie le spectateur, voque une pice dethtreracontantl'histoirelaquellenousvenonsd'assister(sq. 32), vritable pitch 6qui replace l'essentiel du dispositifetdurcit(voixoff reproduisantlemonologueintrieur,exprience de la dtresse, mutation du personnage atteint dulocked-in syndrome). La fin, livre ici par Jean-Do, diffre decelledulivrequ'ilestentraind'crire:MonsieurL.,lepersonnage fictif qu'il invente pour sa pice, se lve de son lit4Contraction debiographical picture.5Chris Marker, proposde Vertigo d'Alfred Hitchcock, Extrait de Immemory, CD-Rom de Chris Marker, 1997, d. Centre Georges Pompidou.6Le pitch est une courtesynthse verbale racontant l'intrigue d'une future uvre de fiction afin d'obtenir des financements en vue de sa ralisation. Analyse du rcit enpleinenuit,parcourtlascnedethtrepourfinalementredevenir handicap et raliser que tout cela n'tait qu'un rve.Paralllementcercit,SchnabelmontreleproprervedeJean-Do et les activits qui grnent ses journes, entre travaild'criture et soins thrapeutiques. Si, dans ce rve, Jean-Doselveluiaussi,c'estpourembrasserl'impratriceEugniesurgiedupass,maisfinalementseretrouvertoujoursparalys, face la vitrine renfermant le buste de l'impratrice.Troisniveauxdercitcoexistentl'intrieurdecettesquence:celui qui compose la trame prin-cipale du film (la vie quotidienned'unhommetouchparunemaladierareparvenantmalgrson handicap crire un livre), lareprsentation de ce qu'il crit etsonpointdevueintrieuros'entremlentrveetralit,etenfin le rcit de sa maladie, dansune pice de thtre qu'il imagineenvoixoff.Cettesquenceseprsentedonccommeunesyn-thse et du film et du livre qui s'crit, la mise en abyme d'unehistoire deux fois raconte. En outre, elle inaugure une dernirepartieochacundespersonnagesessentielsvientexcuterun ultime tour de scne : son pre ; sa femme, Cline ; Marie,Henriette et Claude ; son ami Laurent ; Ins ; et mme PierreRoussin,l'otagedeBeyrouth.Lesentimentdefatalitlaisspar le dnouement de la pice de thtre imaginaire, semblese poursuivre dans ces rencontres : l'incapacit de son presedplacer(sq.33),leprojetdeversionmoderneduComtedeMonte-Cristo qu'iln'auraitjamaisdenvisagerd'crire (sq. 34), l'amour impossible entre Ins et lui (sq. 35),des sons qui sortent enfin de sa bouche mais bientt suivispar une attaque respiratoire (sq. 36). Le rcit s'achve danslasquencesuivanteparlavoixoff deClaudelisantlesdernires lignes du livre qui relatent les dernires penses deJean-Do avant quil ne sombre dans le coma. L'uvreestacheveetlelivrepubli.Cesmotsetcesimages, qui manaient jusque-l du point de vue intrieur deJean-Do, appartiennent alors d'autres : lecteurs personnifispar Claude ou critiques littraires dont Cline se fait l'cho. Laspirale de la fatalit est ainsi rompue, mme si le film s'achvesurladisparitiondeJean-Do,puisqu'ilestallauboutduprocessus de cration et que son uvre existe au-del de sapropre mort. Bildung : un rcit d'apprentissageNotre philosophie doit ici commencer non pas par lton-nement,maisparleffroi[...]Sivousvoulezconduireunjeune homme sur le vrai chemin de la Bildung [], il faut quelafortetlerocher,lorage,levautour,lafleursolitaire,lepapillon, la prairie, la pente de la montagne lui parlent chacundanssalangue;ilfautquilsereconnaisseeneuxcommedansdinnombrablesrefletsetmiroitementdisperss,dansletourbillonauxmillecouleursdapparitionschangeantes;cest ainsi quil prouvera inconsciemment lunit mtaphysiquede toutes choses dans la grande mtaphore de la nature etquenmmetempsilsetranquilliseraauspectacledesonternelle persvrance et de sa ncessit.7Le Scaphandre et le papillon est aussi un rcit initiatique,celuid'unhommequidoitapprendrevivreautrement,communiquer et crire. Le film respecte ainsi la structurationdecetypedercitentroisparties:lapriodedejeunesse(lveil l'hpital - sq. 2 14), le temps de l'apprentissage(le projet d'criture - sq. 15 23), le stade de la matrise (lecontrle de son univers - sq. 24 38). En outre, et commedanstoutromand'apprentissage(Bildungsroman),existeaussi un instant de basculement figurant le passage d'un tat un autre, personnifi ici par Pierre Roussin, le passager del'avion qui Jean-Do, dans le film, cde sa place et qui seraretenuduranttroisanscommeotageBeyrouth(sq.15).Ce passager devient le passeur pour Jean-Do Une histoire vraieUne vieJean-Dominique Bauby est n Paris en 1952. IldbutesacarriredejournalisteauQuotidiendeParis.IltravailleensuitepourLeMatin etParis-Match.IldevientrdacteurenchefdumagazineElle en1991.Le8dcembre1995,44ans,uneattaque vasculaire crbrale le paralyse jamais. Ildcdele9mars1997,peudetempsaprslaparution de son livre Le Scaphandre et le papillon.Ilestgalementl'originedelacrationdeALIS(AssociationduLocked-InSyndrome),fondeenmars 1997 : www.alis-asso.fr.Un filmEn1997,Jean-JacquesBeineixraliseunfilmdocumentaire sur Jean-Dominique Bauby, Assignrsidence (CargoFilms/France2-1997-27minutes).Lefilmmontrelequotidiendecethommeatteintdulocked-insyndrome,sessancesavecl'orthophoniste et sonlongtravaild'crituredanssachambredel'hpital de Berck-sur-Mer. Le documentaire, diffus pour lapremirefoislatlvisionle14mars 1997 dans l'mission Bouillonde culture (France 2), est disponibleenDVDchezM6vidodansuncoffretrunissantdeuxautresdocumentairesdeJean-JacquesBeineix : Le Cinma du Rel.Un autre livrePhilippeVigand,luiaussiatteintdulocked-insyndrome, a tmoign de sa maladie dans un livreintitul Putain de silence (d. Anne Carrire, 1997).PROLONGEMENT7Friedrich Wilhelm Nietzsche, ber die Zukunftunserer Bildungsanstalten (Sur l'avenir denos tablissements d'enseignement),Kritische Studienausgabe, traductionin uvres philosophiques compltes, Paris,Gallimard, p.99 & 133, cit par Barbara Stiegler,Nietzsche et la critique de la Bildung,Noesis, N10, Nietzsche et l'humanisme, 2006, mis en ligne le 2 juillet 2008.URL : http://noesis.revues.org/document582.html.1112dans cette exprience commune d'un enfermement subi, dontlasurvienepeutvenirquedel'intrieur,d'unehumanitquiseulepeutpermettredersister.Apartirdecetterencontredcisive,Jean-Don'aplusd'autrealternativequelechoixentrelamort(sq.16)oularenaissance,illustreparcetteimaged'unpapillonsortantdesachrysalide(sq.20).Lercitsedcoupeainsieninstantscharniresdistinguantlesdiffrentes tapes de l'volution du hros. Lespremiersmomentsquitransformentlapersonnalitintime de Jean-Do sont ceux de la souffrance, consquencede sa maladie et de l'affrontement avec une nouvelle ralit quirsiste. De la couture de son il droit (sq. 9) son incapacit se laver seul (sq. 13), il passe ainsi d'un inutile affrontementunedsesprantersignation.Lemondesemblesourdses suppliques : s'opposer n'a plus de sens quand personnene peut entendre. Son amour-propre est atteint, le renoncementle gagne. Ainsi, le premier mot qu'il formule, grce au systmeproposparHenriette,estje(sq.12),maislapremirephrasequ'ilsauranoncerpeuaprsestjeveuxmourir(sq. 16). En commenant par je, Jean-Do chemine d'uneindividualit qui n'existe plus telle quil la conoit encore, versle refus de cette nouvelle identit qui le compose maintenant.Loindejouirduneinconditionnelledignit,entantque"personne" ou "sujet libre", notre dignit ne vaut qu condition :conditionquenouscontribuionsorganiserlechaosquinousarrive.8C'esttoutlesensdeladcisionqueprendJean-Do de ne plus jamais se plaindre(sq.20),quilefaittransiterverslestadedel'acceptationetdelamatrise.Puisqu'il ne peut humainement se contenter de recevoir ou decontesterlapuissanceautodestructriceduchaos9quisubmergecescaphandredanslequelilestenferm,ildoitbienaucontraire,nonseulementpoursasurvie,maispoursatisfaire le chaos lui-mme, apprendre organiser le continuumchaotique de ce qui lui advient, ce qui implique quil apprenne former des images et des formes, cest--dire - dabord - seformer lui-mme. 10Enordonnant les imagesdeson pass,ses rves d'enfant, ses expriences ou ses fantasmes, il peuts'vaderdesa prisonetvaincrel'preuvedesaparalysie(sq.18).Lessancesderducationnesontrien en comparaison dutravailderadaptationaumondequ'ilmneintrieurementetquiconstituesavritableformation. Ayantdcouvertqueson rapport l'environ-nementpouvaitdclen-cherautrechosequel'apathie,etlefaireaucontraire cheminer versunematurationluiper-mettantd'accomplirunprojetcratif,ilpeutensuitersisteretsur-vivre.Lasquence,apparemmentanecdo-tique,d'undnerimaginairechezLeduc,grandrestaurantdefruits de mer parisien (sq. 28), exprime en ralit l'accessioncettematrisetotaledesonunivers,tapeultimedurcitinitiatique. Aprs qu'un infirmier ait teint la tlvision, sans seproccuperdumatchdefootballqueJean-Doregardeavecpassion,loindesersigner,lehrosdcidedeserendreimaginairementl'extrieuretd'yrencontrerClaudeaveclaquelleilselivreavecdlectationunrepasexubrantetsensuel. Film polysmique, Le Scaphandre et le papillon renvoie,commeletermeallemandBildung,desnotionsaussivaries que construction, modelage, formation, ducation ouculture. Julian Schnabel y raconte finalement l'volution d'unhomme, contraint par son handicap se librer des normessociales,versuntatd'quilibreaveclemondeextrieur.Narrateurdistancietironique,lepersonnagedeJean-Doentre en connivence avec le spectateur, et c'est alors, l'instardesrcitslittrairesclassiquesd'apprentissage,unerelationd'ducationquis'tablitentreluietnous.Cesinterpellationsrptes (la pice de thtre imagine dont nous connaissonsdj l'intrigue et le dcor), le point de vue adopt qui nousfait partager son jugement intrieur notre attention exclusive,etsoninterventiondanslamiseenscnedufilm(lorsqu'ils'aperoitquedesphotosdeMarlonBrandosesubstituentauxsiennes-sq.20),formentundifiantettouchant"Bildung in Progress" dont nous sommes, spectateurs du film,les destinataires. Ilpeuttreintressantdemeneruntravaildelecturedufilmenl'envisageantcommeunrcitinitiatique.Ils'agira,notamment,d'tablirdescomparaisonsentrel'tatinitialetl'tatfinaldupersonnage,dedgagerlesdiffrentestapesdesonchangementenreprantlessquencesquis'yrapportent,derechercherleoulesmomentsosesituelepassaged'untatunautre.Quelquesquestionspeuventservirdeconducteur cette analyse du rcit : Nature du changement (physique, psychologique). Existence d'un passeur. Existence d'un ventuel rite de passage (rel ousymbolique).PROLONGEMENT8Barbara Stiegler, Nietzsche et la critique de la Bildung, Noesis, N10, Nietzsche et l'humanisme, 2006, mis en ligne le 2 juillet 2008. URL : http://noesis.revues.org/document582.html. 9Barbara Stiegler, ibid.10Barbara Stiegler, ibid.Rcit initiatiqueAnalyse du rcit 13La vue et l'oue taient les deux seuls sens qui animassentencore,commedeuxtincelles,cettematirehumainedjaux trois quarts faonne pour la tombe ; encore, de ces deuxsens, un seul pouvait-il rvler au dehors la vie intrieure quianimait la statue : et le regard qui dnonait cette vie intrieuretait semblable une de ces lumires lointaines qui, durantla nuit, apprennent au voyageur perdu dans un dsert qu'il yaencoreuntreexistantquiveilledanscesilenceetcetteobscurit.1ExclusionJean-Do ne roulait pas en dcapotable. Moi, je choisis deluifaireconduireunedcapotableparcequejeveuxvoirParis,jeveuxvoirlesarbres.Onaaussiutilislabandeoriginale des 400 Coups. Si on met lefilm en noir et blanc etquonregardelesimmeubles,onpenseaugnriquedes400 Coups. 2LercitdeJean-Dosetermineparl'vocationdesonaccident vasculaire crbral. Au volant de sa nouvelle voituredcapotable, il traverse les rues de Paris pour aller rejoindreses enfants la campagne. L'ouverture de cette squence estrsolument place sous le signe de la libert et de l'enfance,comme l'atteste la citation musicale et visuelle du dbut des400 coups de Franois Truffaut. Les rues et les monumentsde Paris, vus par une camra en libert, dfilent dans un longtravellinginterrompupardesplanssurJean-Doqui,telunenfant, se rgale de son nouveau jouet. Que lune des derniressquencesduScaphandreetlepapillon serfreainsil'ouverture des 400 coups, avec ces plans films l'identiqueetlareprisedesamusiqueoriginale,renvoielepersonnagedu film de Julian Schnabel ce qui fonde le premier film deFranois Truffaut et caractrise le personnage Les prisonniersApproches thmatiques1Alexandre Dumas, Le Comte de Monte-Cristo,d. Omnibus, 1998, p. 595.2Julian Schnabel,dossier de presse du film,Path Distribution, p.18.14d'AntoineDoinel: unprocessusd'isolementcarcraletlepassage entre deux tats. De mme que le petit Doinel, quittantpeu peu l'enfance, s'veille au monde des adultes en faisantl'preuve de l'implacable engrenage de la dlinquance (colebuissonnire,fugue,renvoidel'cole,dmissionparentale,emprisonnement dans un centre de redressement), Jean-Doestluiaussila victimed'unecoupureirrversibleetd'uneexclusionsociale,s'veillantunmondequinelereconnatplus et qu'il ne reconnat pas. Dautre part, le dernier plan des400coups,l'imagearrtedujeuneAntoineDoinelsurlerivage d'une mer, comme mtaphore de la libert si proche etpourtantinaccessible,rappellecesnombreuxplansduScaphandre et le papillon montrant le personnage jamaisparalysfaceunemerdontlespotesontditdepuislongtempsquelerivageestuncorpsmaternelol'enfantvient au monde. 3Antoine Doinel et Jean-Dominique Bauby,lepersonnagedecinmafigparlaphotographieetlareprsentation d'un tre ptrifi par la maladie, sont finalementrunis par un mme dsir d'vasion.vasionDAlexandreDumasFranoisTruffaut,enpassantparStefan Zweig, l'adaptation du livre de Jean-Dominique BaubyparJulianSchnabeletlescnaristeRonaldHarwood 4esttraverse par de nombreuses rfrences en rsonance avec lethme de la claustration. Dabord, il y a l'image rcurrente duscaphandre,allgorievidentedel'enfermementdel'espritdansuncorpsquelepersonnageprincipalnepeutplusgouverner. L'ide de prison et de la claustrophobie inhrentequi se dgage de l'image du scaphandre se jouait dj dansles deux prcdents films de Julian Schnabel. DansAvantlanuit,l'crivainReinaldoArenastravaillejustement le roman qui donne son titre au film dans la prisono il est enferm. Comme pour le personnage du Scaphandreet le papillon, lcriture est un moyen de svader et d'affirmerunehumanitquirsisteauxentraves.Danslunedessquences de Avant la nuit, Arenas, enferm dans un cachoto il ne peut tenir debout, est comme emmur vivant, prochedel'asphyxie.Cetteexigut,prsentegalementdansBasquiat lors des scnes o lartiste, avant sa conscration,dortets'abritedansuncartonposdansunjardinpublic,placelepersonnageenmargedumonde.Enfermsvolontairesounon,lespersonnagesdeJulianSchnabelonttousencommundesaffranchirdeleurprisongrcel'exercice artistique, littraire ou pictural : lvasion chez lui estsynonyme de cration.Le scaphandreLapremireapparitionduscaphandre(sq.5)sesituepeu de temps aprs le rveil de Jean-Do et l'explication parle docteur Alain Lepage du mal dont il est atteint. C'est d'abordlattedupersonnageprincipalquiestmontre,enserredanslecasqueetanimepardesmouvementsfrntiquestraduisant une panique sourde. Dans la bande son, mme sescris restent inaudibles, seuls existent les bruits d'une respirationmcanique et l'ambiance des fonds marins. Ladeuximeapparitionduscaphandre(sq.13),filmecomme la premire au plus prs du visage casqu de Jean-Do,lemontrecettefoisimmobile.Pluslepersonnageprendconsciencedesontatphysiqueirrparable,plusl'eauquientoure le scaphandre devient trouble, son visage n'exprimantplus qu'une forme de sidration (sq. 18). Ce n'est qu'avec sarsolution de commencer crire que l'eau laisse filtrer enfinun peu de lumire autour de ce scaphandre reli la surfacepar le tuyau respiratoire (sq. 23). Mais l'immersion du plongeursolitaire demeure, comme la suite du coup de tlphone desonprequilemontredenouveauisolaumilieudecetteimmensit deau inconnue (sq. 33). Si le scaphandre l'enserretoujours,lasensationd'touffementsembledisparatredansle mme temps que la lumire provenant de la surface devientplus prsente, et le sentiment de solitude sattnue, comme lemontre le plan de Claude accroche au scaphandre (sq. 34).Finalement,danslerveosemlentl'quipemdicale,l'avionquiseradtourn,l'impratriceEugnieetleschambresdsertesd'unhpitalenruines,lescaphandreapparatpossurlesol(sq.36).Laprogressiondanscesseptoccurrencesindique,commeautantdepaliersdedcompression,laremontemtaphoriquedeJean-Doversune dlivrance. L'imageduscaphandretmoignedel'isolementetdelarupture d'avec le monde extrieur, une vision allgorique de laclaustration dont le romancier Stefan Zweig avait dj montrla pertinence dans cet autre clbre rcit d'enfermement qu'estLe Joueur d'checs : Ce rgime qui, jour et nuit, privait lessens de tout aliment, me laissait seul, dsesprment seul enfacedemoi-mmeetdequatreoucinqobjetsmuets:latable, le lit, la fentre, la cuvette. Je vivais comme le plongeursous sa cloche de verre, dans ce noir ocan de silence, maisunplongeurquipressentdjquelacordequilereliaitaumonde s'est rompue et qu'on ne le remontera jamais de cesprofondeurs muettes. Je n'avais rien faire, rien entendre,rien voir, autour de moi rgnait le nant vertigineux, un videsans dimension dans l'espace et dans le temps. 5OppressionCommeStefanZweig,JulianSchnabelracontel'histoired'un homme contraint d'affronter le nant et de trouver par lui-mme le moyen de le surmonter. Que ce soit les checs pourMonsieurB.,lehrosdeStefanZweigmisl'isolementparlesautoritsnazis,oul'crituredansLeScaphandreetlepapillon,ils'agitpourl'uncommepourl'autredepermettreaux penses de trouver un point d'appui, faute de quoi ellesse mettent tourner sur elles-mmes dans une ronde folle.Ellesnesupportentpaslenant,ellesnonplus.Onattendquelque chose du matin au soir, mais il n'arrive rien. 6C'estgalementlesensdelasquenceentreJean-DoetPierre Roussin, l'ancien otage dtenu Beyrouth, personnagesemblanttoutdroitissuduJoueurd'checs.CommeMonsieur B., lotage enferm dans une petite pice, avec riend'autre que l'insupportable attente comme compagnon, trouveun moyen de vaincre ltouffante monotonie de l'espace etdutemps7ensercitantlesgrandscrusdeBordeaux.Emprisonnsdansunepicetroiteoudansuncorps3Anne Gillain, Synopsis,Les 400 coups, d. Nathan, 1991, p. 98.4Ronald Harwood est galement le scnaristedu film Le Pianistede Roman Polanski (2002),autre film sur l'enfermement.5Stefan Zweig,Le Joueur d'checs,d. Stock, 2000, p. 64.6Stefan Zweig, ibid., p. 65.7Stefan Zweig, ibid., p. 84.Approches thmatiques15presque sans vie, seule l'occupation de l'esprit peut permettre ces personnages de survivre et de s'accrocher l'humain. Ligne de vieAl'instardupersonnagedeNoirtierdansLeComtedeMonte-Cristo auquelJean-Dosecompareamrement,legestedubras,lesondesavoixetl'attitudedesoncorpsmanquent:Maiscetilpuissantsupplaittout:ilcommandait avec les yeux ; il remerciait avec les yeux ; c'taitun cadavre avec des yeux vivants, et rien n'tait plus effrayantparfoisquecevisagedemarbreauhautduquels'allumaitune colre ou luisait une joie. 8Cependant,Jean-Do,mmeaussiptrifiquelevieuxNoirtier, n'a rien d'un effrayant mort-vivant car la camisole quil'entourel'apluttrangductdesabonnsabsents.Empchdes'vaderphysiquement,incarcrdanssoncorps,Jean-Don'aplussadispositionquunilpourlerelier encore au monde des vivants. Son emprisonnement estsynonymed'unecommunicationdsormaisimpossible.Sescris intrieurs, ses protestations muettes et ses dsirs silencieuxn'ontpluscommevecteurquecetuniqueorganeencoreanim. Mais sans le secours d'un "traducteur" il ne peut pluscommuniqueravecquelqu'unquinepourraitlevoir:ildoittre regard pour tre entendu. D'unecertainefaon,enraisondesonmal,Jean-Doretrouve ce fil perdu par tous les moyens de communicationmodernes:celuiducontacthumain.Sonnouveaulangageavec l'autre ne peut passer que par la proximit physique, etles visages films en gros plan qui se penchent sur Jean-Doen deviennent l'allgorie. Quand le docteur Lepage, expliquantClinecomments'adressersonmariafinqu'ilpuisselavoir et l'entendre, dclare maladroitement avant de les laisserseuls, vous avez srement un tas de choses vous dire, iln'imagine pas quel point cet abus de langage dplac va servler juste. Sans sauver un mariage parti vau-l'eau depuisdjlongtemps,cetteproximitobligevacependantlesrapprocher dans cette ncessit de se voir pour s'couter. Danscefilmolaparolecommemoyenderelierdeuxtresestdevenueimpossible,c'estleregardquiysupple,voirelasublime.Lesinstrumentsdecommunication,telletlphone, semblent dpasss par cet il qui voit et parle enmme temps. D'ailleurs, Julian Schnabel rserve au tlphone,cetappareildontJeanCocteaudisaitqu'ilestlemoinspropretraiterlesaffairesdecur,lesortpeuenviabled'unobjetdedrisiond'abord,etdetragdieensuite.Vhiculantdansunpremiertempsunhumournoiravantmme sa mise en marche par les deux agents des Tlcom(c'est pour passer des coups de fil anonymes), le tlphonedevient ensuite l'instrument de torture partag par Jean-Do etson pre, qui ne peut plus se dplacer, ou cette femme aimequinesaitpasvenir.Lesvoixdupreetd'Insseperdentdans une tristesse sans fond, au moins autant par l'incapacitdeJean-Dorpondrequeparcequ'ilsnepeuventlevoir.Dansletempsonsevoyait.Onpouvaitperdrelatte,oublier ses promesses, risquer l'impossible, convaincre ceuxqu'onadoraitenlesembrassant,ens'accrochanteux.Unregardpouvaitchangertout.Maisaveccetappareil,cequiest fini est fini. 9L'vasiondupersonnagepassedoncd'abordparlaredcouverte d'un langage et par l'apprentissage d'un nouveaumoyenpourcommuniquer,quil'amnerontgalementrenouerlecontactaveclesautres.Jusqulafin,quilevoitdisparatrealorsmmequ'ilrussitpourlapremirefoismettre un son qui ressemble une voix.Les rfrences bibliographiques et filmographiquesqui suivent peuvent tre la base d'un travail d'analysecompareautourduthmedel'enfermementetdulangage.Ledcoupagequisuitpeutainsifairel'objetderapprochementsavecdessquencesparticulires du Scaphandre et du papillon. Sur la description littraire d'un locked-in syndrome :Le Comte de Monte-Cristo(Alexandre Dumas, 1844)Thrse Raquin (mile Zola, 1867) Sur la problmatique de l'enfermementau sens large : Le Joueur d'checs(Shachnovelle, Stefan Zweig, 1943)Les 400 coups (Franois Truffaut, 1959) Sur la vision thtrale du rapport l'autre, aux motions et au langage : La Voix humaine (Jean Cocteau, 1930) Sur l'apprentissage d'une communication et sur l'ducation :L'Enfant sauvage (Franois Truffaut, 1969) Sur la recherche des origines du langage :L'Homme sans ge (Youth Without Youth,Francis Ford Coppola, 2007)8Alexandre Dumas, ibid., p. 595.9Jean Cocteau, postface de La Voix humaine, d. Stock, 2002.PROLONGEMENT BIBLIOGRAPHIQUE ET FILMOGRAPHIQUEHumain / inhumainLe Scaphandre et le papillon, par le point de vuesubjectif adopt, propose une lecture du monde enforme de leon de vie et d'humanit. Le film s'inscritauxctsdenombreusesuvresquiposentlaquestiondel'humaintraversdespersonnagesdontlecorps,difformeoudiminu,lesmarginaliseenregarddelanormephysique.Monstresouhandicaps,cestresmettentnul'inhumanitdeceux qui se prtendent normaux dans une recherchedecequifondel'humanit.L'undesplusclbresestElephantMan(ElephantMan,DavidLynch,1980),maisbiend'autresfilmsparticipentdecequestionnementidentitaireetexistentiel,propossdansunecourteliste, videmmentnonexhaustive,classeendeuxsections:"Deshommes face lamaladie"et"Desmonstres de cin-ma".Des hommes face la maladieEntre l'euthanasie et l'espoir de s'accomplir malgrla maladie, ces personnages dont le corps n'est plusqu'une ruine sont aussi confronts aux regards desautres qui les jugent ou les plaignent.C'est ma vie, aprs tout ! (John Badham, 1982)My Left Foot (Jim Sheridan, 1989)Mar adentro (Alejandro Amenabar, 2004)Des monstres de cinmaCratures d'pouvantes issues du registre fantastique,ces monstres, tout en nous renvoyant nos proprespeursfacelamaladieouladifformit,sontdesmiroirs apposs sur des socits qui chassent ce quiest diffrent. Frankenstein (James Whale, 1931)Freaks - La monstrueuse parade (Tod Browning, 1932)La Fiance de Frankenstein (James Whale, 1935)La Belle et la bte (Jean Cocteau, 1946)La Mouche (David Cronenberg, 1986)Edward aux mains d'argent (Tim Burton, 1990)PROLONGEMENTLa principale particularit esthtique du film Le Scaphandreet le papillon rside dans le point de vue adopt : celui, quasiexclusif,dupersonnageprincipal.Cepartiprisdemiseenscne gnre une uvre la premire personne et justifie nonseulement le recours la voix off, mais galement les effetsde montage et de cadrages adopts tout au long du film. Primaut de la voix offBien plus qu'une simple voix off, le monologue de Jean-Dooscilleentredialoguesimaginairesaveclespersonnesquil'entourent, commentaires personnels sur son nouvel univers,apostrophes au spectateur et expressions de son ressenti. Acettevoixoff s'ajouteparailleursunesonoritintrieuretraduisant ces bruits qui, du soupir la suffocation en passantparlerire,nesontplusmaintenantaudibles.Lespectateurdevientainsileconfidentprivilgidecehrossansvoix,apprhendant en sa compagnie le monde et la maladie avecune distance bien souvent ironique et salutaire. Aucinma,lesemploisdelavoixoff sontnombreuxetvaris. La voix off peut avoir une fonction strictement narrative,sansreleverd'unpersonnageenparticulier(commedansBarry Lyndon de Stanley Kubrick, 1975), ou bien au contrairetre l'manation de l'un des protagonistes (c'est le cas dansbeaucoupdefilmsnoirs).Rarementomniprsentecommedans Le Scaphandre et le papillon, la voix off a en principepour fonction d'clairer une situation en apportant des lmentsnouveaux ou bien de n'tre qu'un simple commentaire distanci.Dans le cas d'une histoire raconte en off, le personnage sesitue la plupart du temps dans une poque postrieure auxvnements,sonrcitayantainsivaleurdetmoignage,pointdedpartd'unrcitsubjectifenflash-back (dansCitizen Kane d'Orson Welles, en 1941, le rcit est constituparunenchanementdeflash-backs,manationsdesdiffrentstmoinsayantconnulehrosdufilm,donnantl'ensemblelaformed'uneenqute).Plusrarement,situedans le prsent de la narration, la voix off peut aussi releverdelaconfidenceaveclespectateur,penseintrieureverbalisesaseuleintention,l'exclusiondetoutautrepersonnagedufilm.Procddontlavaleurpeuttresimplementinformative,lavoixoff permetgalementd'instaurer un dcalage entre ce qui est montr et ce qui estperuparlepersonnage,devenantainsiunressor tcomiqueautantqu'uneffetdramatiquemarquantunedivergence. Dans Le Scaphandre et le papillon, la voix off est toutepuissante : embrayeur de souvenirs, tmoignage prsent ouconfession,elleraconteetdonnelarpliqueauxautrespersonnages. Filmer l'enfermement Approche esthtique 1617Dtresse intrieureExpressiondelapense,lavoixoffdupersonnagedeJean-Dotmoigned'unevieintrieurequicontinuemalgrl'apparence de la mort, rejoignant en cela un autre personnagediminu, dans l'incapacit d'interagir avec son environnement :lejeunesoldatdeJohnnyGotHisGun (DaltonTrumbo,1971).Dfigur,amputdesesquatremembres,muet,sourdetaveugle,lesoldatestconsidrcomme dcrbrparlesautoritsmilitaires qui voient alors en lui un sujet d'exprience. Violentpamphletantimilitaristeayantpourcadrelaguerre14-18,lefilm de Dalton Trumbo place le spectateur dans les souvenirs,lesfantasmesetlesrflexionsintrieuresdupersonnageprincipalafindeleplongerdansl'effroid'uneexistencecondamne par la btise humaine. La voix off, qui atteste d'unpointdevuesubjectif,nes'accompagnepaschezDaltonTrumbodeplansencamrasubjective,aucontrairedufilmde Julian Schnabel. Lemariageentrevoixetregard,commedansLeScaphandeetlepapillon,seretrouveenrevanchedansuncourtmtraged'AlfredHitchcock,Breakdowm (1955).Laussi,lefilmracontel'aventured'un homme entire-mentparalysinter-prtparJosephCotten, qui, la suited'unaccidentdevoiture,nepeutqueregarder,impuis-sant, ces gens qui s'affairent autour de lui, le croyant mort.Duvhiculedanslequelilseretrouvecoincjusqulamorgue o il est enferm pour la nuit, Alfred Hitchcock alter-ne les gros plans sur le visage fig du hros et les plans sub-jectifs de ce qu'il voit, les accompagnant d'une voix off qui rai-sonneouimplore.L'associationcorpsparalys-voixoff -camra subjective renvoie autant le spectateur vers une peurpartage et primitive de l'enfermement qu'elle provoque l'em-pathie pour ces personnages dmunis. Ruptures des conventions narrativesLasubjectivitdupointdevuel'uvredansLeScaphandre et le papillon, entrane, comme l'explique JulianSchnabel,unetrsgrandelibert.Ellepermetdecouperlesttesdanslescadrages puisquilnelesvoitpas1,derompre la continuit dans un mme plan grce aux clignementsdepaupiredupersonnages'apparentantunjump-cut(saute d'images qui coupe en plusieurs syntagmes un mmeplan dont le cadrage, l'chelle et l'action qui s'y droule sontidentiques),decrerdeschevauchementssonoresentrescnesdervesetderalit.Unenarrationlapremirepersonne, donc, qui autorise aussi la rupture avec la conventionquitenddfinirleflash-back commel'expressionsincred'un vnement pass. Dans Hiroshima mon amour dAlainResnais(1959),lesretoursenarriresontuneprojectiondirecte du conscient - voire de l'inconscient - du personnagefminin, et ces images du pass sont autant de vrits absoluestmoignant d'une blessure profonde. Outre sa fonction de rvler un rel pass, le flash-back estaussiemploycommeinstrumentdevrit.DanslefilmdeDon Siegel, Les Proies (1970), le retour en arrire est utilis plusieurs reprises, au dtriment du personnage jou par ClintEastwood,caruniquementdestinauspectateur.C'estuneincursiondanslaconsciencedupersonnage,apportantlapreuve des propos mensongers tenus par ce dernier et mettantainsienexerguesaduplicit.Leretourenarriresetrouvedoncinvestid'unpouvoirdevritsurlercit,toutenayantpour fonction de rvler une ralit et de supprimer le doute. Dans Le Scaphandre et le papillon, le flash-back se situeau croisement du souvenir avr et de l'imaginaire, comme lemontre la squence Lourdes o le prtre devient le vendeurde souvenirs.Basculements subjectifsLepointdevuedupersonnageprincipalencamrasubjectiverelvesouventdel'expriencelimite,quandilestgnralisl'ensembled'unfilm,commedans La Dame du Lac (Robert Montgomery,1947)ouLaFemmedfendue (PhilippeHarel,1997).D'autresuvres,tellesLesPassagersdelanuit (DelmerDaves,1947)ou Halloween (John Carpenter, 1978) et sonouverture en plan squence, ont recourt lacamrasubjectiveletempsd'unprologuemnageantuneffetdesurprisedansladcouver tedel'identitdupersonnageparlesyeuxduquellascneestfilme:dcouverted'unenfanttueurdansHalloween,transformationd'unvisageparchirurgieesthtiquedansLes Passagers de la nuit. Maisleconceptdepointdevuesubjectifnesersumepasl'emploid'unecamrasubjective.DesfilmscommeChinatown(Roman Polanski, 1974) et Fentre sur cour(AlfredHitchcock,1954)proposentainsidesuivre le rcit selon le point de vue unique dupersonnage principal - un dtective priv chez Polanski et unphotographeimmobilisdansunfauteuilroulantchezHitchcock-sanspourautantsystmatiserlerecourtlacamrasubjective.DansLeScaphandreetlepapillon,Julian Schnabel renonce ds le premier quart d'heure du film l'emploi exclusif d'une camra subjective, le temps d'un planbrefsurlevisagedeJean-Dodontl'ildroitvientd'trecoutur. C'est partir de la prise de conscience de ce qu'il est(sq.18)quelamiseenscnealterneplanssubjectifsdupersonnage,amorcesdecelui-cidansleplanetchampscontrechamps, sans pour autant abandonner une subjectivitprpondrante,mmesilonnevoitplusexclusivementtravers les yeux du personnage. Instant de basculement pourle personnage, cette squence l'est donc aussi dans la forme :alors que Jean-Do ralise que son imagination et sa mmoirepeuventluipermettredes'vaderdesonscaphandre,c'esttoute la mise en scne qui retranscrit la projection en dehorsde ce corps-sarcophage comme une libration. Voir le personnage de Jean-Dominique Bauby c'est, pour lespectateur,l'accompagnerdanscettevasionenvisagecomme une renaissance. Johnny Got His GunBreakdowmLes Passagers de la nuitFentre sur cour1Julian Schnabel,dossier de presse du film, Path Distribution, p.18.18PrcdantlveildeJean-DominiqueBaubydanssachambred'hpital,lachansondeCharlesTrenet, LaMer,accompagne le gnrique du film. Que ce motif musical soitaussiutilisdanslasquencedel'accidentdupersonnageconfrecettechansonlavaleurd'unbasculement.Cetteultime mlodie d'un autre temps, dont les sonorits se perdentdans une distorsion qui fait rsonner le prsent avec le pass,comble le vide du coma qui amne Jean-Do l'hpital. Maisau-delduraccordnarratif,legnriquecrparJulianSchnabel,aveccesvieillesradiographiesducorpshumain,voque,commeill'expliquelui-mme,unautreniveaudeconscience:nouscoexistonsavecdeschosesauxquellesnousnepensonsjamais.Etnoussommestousdessujetsd'tude, comme lui.1Lesradiographiesutilisesenouver ture,datesdudbutduXXesicle,onttdcouver tesparJulianSchnabellafindutournagedufilmdansunpavillondel'hpitaldeBerck-sur-Merrestfermpendantdesannes.Ar tistepeintrehabitutravaillerdessuppor tsvaris (plate paintings, aluminium paintings, etc.), il y voitimmdiatementl'analogieavecdestableauxetdcided'entreprendreunesriedepeinturesquilintituleraChrist's Last Day ATTO II2. LegnriquedufilmestdonccomposdeclichsauxrayonsX(photo1):JulianSchnabellesutilisentbruts,enfond pour sescartons,maistravaillelint-grationdesnomsdac-teursetdesmembresdelquipetech-niquedufilmenusantdecaractrestypographiquesetdecouleurscommetampon-nsdpoque,djpr-sents sur les images radio-graphiquesoriginales.Dansleprolongementdecetravailplastiquediscret,lespeinturesquelartisteralise en 2008 partir desradiographies(photo2)3transformentlesdocu-mentsd'archivesscienti-fiques en une nouvelle car-tographiedel'essencedeUne radiographie des Vanitschos1Julian Schnabel, Dossier de presse du film, Path Distribution, p.20.2Cette srie est compose de 7 tableaux (encre et acryliquesur polyester) exposspour la premire fois Londres la galerie Robilant & Voena du 23 avril au 22 mai 2008, site internet : www.robilantvoena.com.3Julian Schnabel, Christs Last Day ATTO II,269.2 x 183 cm, 2008.Photo 1Photo 2l'humanit, et peut-tre de l'me. Ces formes, tantt abstraites,tantt figuratives, peintes l'encre sur les photos de structuresosseuses exhumes d'un autre sicle, participent de ce mmelan l'uvre dans Le Scaphandre et le papillon qui consisteenuneexplorationdecequerenfermelecorps.L'imageriemdicale devient le socle d'une cration imaginaire qui a plus voir avec l'intriorit qu'avec l'intrieur.Hasard historique dpassant la simple anecdote, il estsurprenantdenoterqueladcouver tedesrayonsXparlephysicienallemandWilhelmRntgenatpubliele28dcembre18954,aumomentmmeosetenaitlapremire projection publique du cinmatographe Lumire.CinmatographeetrayonsXsesontainsipartagsl'afficheen tant qu'attractions foraines durant les dernires annes duXIXesicle : l'un pas encore un art, et l'autre pas tout fait unoutil scientifique, mais l'un comme l'autre propices comblerl'imaginairedespectateursquisepressaientpourdcouvrirce qu'ils n'avaient jamais vu. Entre la ralit invisible d'un corps,rendueperceptibleparunprocdphotographique,etdesimages de cinma qui dvoilent, dans ses meilleures ralisations,un aperu de l'humanit, Julian Schnabel puise l'inspiration etlesmoyenspournouslivrerunenouvelleradiographiedesVanits5, qu'il prolongera par ailleurs dans la peinture. ArtistereprsentatifduGesamtkunstwerk(luvred'arttotale)6, Julian Schnabel, avec Le Scaphandre et le papillonetChrist'sLastDayATTOII,rendvisiblel'invisible,cetteintrioritquifondelanaturedel'humanit.Enfilmantuncorps comme mort qui renferme la vie ou en peignant sur desmembres passs aux rayons X les formes de l'esprit, il inscritsesreprsentationsdanslatraditionpicturaledelaVanit.Comme le rapporte Jrme Franois, artiste peintre franais7,les Vanits c'est peindre linfigurable, figurer linfigurable.Al'instardeJulianSchnabel,JrmeFranoismnesontravailartistiquepartirdediffrentsmdiums(cinma,peinture,vido,notesdelecture).Artistesousinfluences,notam-mentcinmatographique,ilaainsiralisen2001une srie autour du film deJulian Schnabel, Basquiat(photo3):transpositionspicturalesdescnesdufilmpartirdelaprojectiondephoto-grammesissusd'unepellicule35 mm. Il avait dj exprimentce systme en 1997 avec le filmdeRobertAltman,Prt--porter(1994), mais cette fois avec desphotogrammes anamorphoss etsans correction optique, donnantcettirementauximagesainsipeintes(photo4).Parmisespremierstravaux(1994-1995),enfin, se trouve une srie intituleToi et moi (Vanit), reprenant la figuration traditionnelle avecle motif du crne humain (photos 5 & 6). A travers ces troispriodes apparat l'un des traits caractristiques des Vanits :le rapport au temps. Dans ces images littralement coupesdu film puis figes dans la peinture, ou dans la reprsentationd'uncrnequifinitparseperdredansunematiregoudron-neuse (photo 6), c'est une histoire de mort et de temps arrtquis'noncealors.Unmmedsirdecapterl'insaisissablesemble ainsi prsider la ralisation de ces tableaux : peindredevient ici un moyen de suspendre le temps et le mouvement,destoppercefluxvisueletd'enrappelerlanatureillusoire.Danscespeinturescinmatographiquestransparat,parextension,laprtentiondetouteimageenmouvementseprsenter comme le reflet parfait et vridique du rel. En outre,les sujets mmes de ces peintures - notamment le march del'artpourlasrieBasquiat etl'universdelamodepourlesanamorphosesde Prt--porter -renvoientl'imagedelafutilit de ces mondes o l'apparence et un bon got suffisanttouffentlavaleurartistique.Lamiseenrapportdanslemme tableau de l'artiste au travail et des clients venus acheterses uvres dans son atelier (photo 3), ou bien la dformationanamorphiquedecestop-models,vritablesicnesdecanonsesthtiquessoi-disantnormatifs(photo4),relventd'unedmarcheartistiqueetthiquednonantunevanitsocialeetlescastes.Demme,avecLeScaphandreetlepapillon,JulianSchnabelvoquel'inconsistanceetlafragilitd' uneviefondesurcetuniversfrivolequepersonnifieJean-DominiqueBauby,rdacteurenchefd'un magazine de mode.CesnouvellesVanits quis'appuientsurl'image,quecesoitlesradiographiesdusquelettehumainpourJulianSchnabeloulesphotogrammespriscommel'ossatureinvi-sible d'un film pour Jrme Franois, sont autant de naturesmortes qui restituent au genre humain sa soumission l'in-luctabledliquescencedescorps.EtquandJulianSchnabelfilmeJean-Dodanssachambred'hpitalaveccesplansd'horloge et de fleurs, il compose l aussi une Vanit voquantle caractre transitoire de la vie humaine, dj annonc par lesincipit du gnrique.19Le gnrique de filmIlexistedepuispeudestudesexclusivementconsacresauxgnriquesdefilm.Approcheshistoriques, analytiques, reconnaissance d'un espacedecrationpartentirelamargedufilm,legnrique au cinma, s'il peut constituer une premireapprochedufilm,estaussi,danscertainscas,unobjetd'tudeensoi.Deuxrfrencespours'enconvaincre : UnarticlegnralparudansPositifn540,fvrier2006,"Legnriqueaucinma,regardsurunlieufantme" par Alexandre Tylski, p. 50 53. LapremirebasededonnesInternetenFranceregroupant, notamment, des entretiens, des analyses,desressourcesdocumentaires,deshistoriques:www.generique-cinema.net.PROLONGEMENT4Wilhelm Rntgen publiasa dcouverte dans un article intitulber eine neue Art von Strahlen( propos d'une nouvelle sorte derayons) dans le bulletin de la Socitphysico-chimique de Wurtzbourg.5La vanit est une catgoriede nature morte, valeur symboliqueforte, genre trs pratiqu l'poquebaroque. Plus gnralement, la vanitdsigne toute reprsentation picturalevoquant la prcarit de la vie et lavacuit des activits humaines.6Concept esthtique issudu romantisme allemand et quicaractrise l'utilisation simultanede diffrentes disciplines artistiques.7Jrme Franois, n en 1964,est reprsent Paris par la galerieFriedland Rivault o il a prsentune exposition personnelle fin 2007 -dbut 2008, et particip plusieursexpositions de groupes entre 2005et 2007. Il a expos aussi, entreautres, en 2004 au 30eFestivaldu Film Amricain de Deauville, et Hong-Kong en 2002 ainsi quManille en 2001 pour lAfaa,site Internet :www.jeromefrancois.com.Photo 4Photo 5Photo 6Photo 320AccompagndeJosphine,Jean-DoserendLourdescontre son gr alors qu'il avait prvu un week-end en amoureux.Mcontentmaisobligdesuivre,carc'estJosphinequiconduitlavoiture,ilarrivedoncLourdesenpleint.Ilsdcouvrentdesruesenvahiesdemalades,alignsenpro-cessionsdansl'attentedecetteeausainteetbnitecenselesgurir,encadrspardesinfirmires,dessursoudesscouts. Jean-Do, mal l'aise, les regarde, et une jeune femmeen fauteuil roulant lui tire la langue. Il ne veut pas rester. MaisJosphine lui rtorque que a lui ferait du bien. Aprs un jenecroispas,Jean-Doluirpondalorsquilpourraittredangereux, pour un type en bonne sant, de se retrouver enpleineapparition:siunmiraclesurvenait,ilrisqueraitdeseretrouverhandicap.Unesurquientendcesacrilgeseretournesurlui.Malgrlui,Jean-DoaccompagneensuiteJosphine dans le magasin o celle-ci a vu sa Vierge, unestatuette lumineuse au milieu d'autres gadgets. Le vendeur alapparenceduprtrerencontrl'glisedeBerck-sur-MeravecMarie.Jean-Dorefused'abordd'acheterlaViergelumineuse mais, cdant au chantage affectif de Josphine, laluioffre.Toutenpayantunprixexorbitant,ildemandeauvendeurs'ilsnesesontpasdjvus:cederniernes'ensouvientpas.Lanuittombe,dansleurchambred'htel,Josphine et Jean-Do sont allongs nus sur le lit, clairs parla Vierge qu'ils viennent d'acheter. Jean-Do ne peut pas fairel'amourdanscesconditions.Undsaccords'installeentreeuxetJean-DoannonceJosphinequ'ilfaudraqu'ilssesparent une fois rentrs Paris. Elle accepte, lui tournant ledospours'endormir.Jean-Dodcidedesortirseul:Josphineluidemandedteindre,lalumire,paslaSainteVierge.Jean-Doarpentelesruesnocturnessurfonddemusique rock et d'images au ralenti, pour finalement s'arrterdevant la vitrine du magasin de souvenirs qui lui renvoie sonreflet, face la mme Vierge prtendument unique qu'il vientd'acheter Josphine.Revoir et corrigerCette squence (sq. 31), deuxime vrai flash-back du filmaprs la scne de rasage du pre, fait suite l'vocation desmornesdimanchel'hpitaletdelarencontredeJean-Doavec le prtre du village qui lui propose, d'un commun accordavec Marie la physiothrapeute, de l'emmener en plerinage Lourdes (sq. 30). Considrant cette proposition comme unvritableguet-apens,Jean-Dosesouvientqu'ilestdjalldanscetteville.L'obscuritdel'gliselaissealorsplaceauplan des cheveux d'une femme qui tourbillonnent dans le ventLe miroir aux alouettes Analyse de squence- (01:08:09 01:12:59) - dure : 4 mn 5021sur fond de ciel bleu et de musique rock (plan 1). D'emble,JulianSchnabelinscrituneforteoppositionentreleprsentdigtique(Jean-Dol'hpital)etlarminiscencedesonvoyage Lourdes. La squence, arienne et are, contrasteavec les plans ramasss et serrs : plan la grue, plan gnralet plan d'ensemble donnent une ouverture et une impressionde libert et de mouvements peu vues jusque-l dans le film. Cependant,cettelgretapparentequiouvrelascnen'estqu'unleurre.Cercitdevoyagedanslavillesainteentretient,eneffet,denombreusesrsonancesavecl'tatphysique du personnage principal enferm dans son corps, commencerparlechampcontre-champdanslavoiture(plans3&4).SiJean-DorestevisibledansleplanavecJosphine en amorce lorsqu'il s'adresse elle, le contre-champdudialoguel'effacetotalement,nelaissantplusqu'ungrosplansursacompagne,rappelantainsiledispositifdesconversations menes l'hpital, filmes en camra subjective,avectouscesvisagesquienvahissentlecadre.AprsleurarrivedanslesruesdeLourdesrempliesdeplerinsenprocession, suit une succession rapide de gros plans sur desvisagesdesurs,devieillardsoudemalades,autantderegardscamrasquiindiquent,lencore,lepointdevuesubjectif.Cesregards,tanttperdustanttscrutateurs,comme cette nonne au facis inquisiteur (plan 7), submergentle personnage jusqu' un insupportable malaise qu'achve levisage grimaant d'une jeune femme en fauteuil roulant (plan 8).Toute cette partie renverse la situation initiale du Scaphandreet le papillon, transformant le personnage principal, jusquiciobjet de regards compatissants sur sa maladie, en personnegne par le regard qu'il pose lui-mme sur le handicap desautres.Ceglissementduregardauregardantdonnecesouvenir de Jean-Do une coloration prsente : la squence n'estplus un simple flash-back mais une rinterprtation subjectivedupassl'aunedesvnementsprsents.Encela,lasquence s'inscrit donc dans ce rcit la premire personnequi caractrise la narration du film, celle de Jean-DominiqueBauby relisant ses propres souvenirs grce la lumire d'unmalheurquil'clairesursavraienature.Leparticularismede ce flash-back revu et corrig explique ainsi l'apparition duprtre de l'glise de Berck, ayant laiss sa dfroque au profitdelablousebleued'piciervendeurdesouvenirsLourdes(plan 10). De mme, dans la chambre d'htel, (plans 11 13)l'clairage intermittent que diffuse la Sainte Vierge si chrementachete,faitpasserlevisagedeJosphinedel'ombrelalumiretelceclignementdepaupirequicaractriselaperceptiondumondeparJean-Doatteintdulocked-insyndrome. Enfin, l'insert sur le bras et la cuisse de Josphinedans la voiture (plan 2), les lgres contre-plonges sur cesvisagesdereligieusesquijaugentetjugentJean-Doenleregardant de haut (plans 7 & 9), ou les cadrages qui tronquentlespassants,commevusrasdeterre,danslafindelasquence (plan 16), concourent galement au subjectivismede la squence. Les mirages de LourdesSi la squence dbute donc sous les hospices de la libertetd'uneviemene100l'heure,aveccetteimagemta-phorique d'une voiture dcapotable filant vive allure le longd'une route sinueuse et ensoleille (plan5), elle s'achve surunesolitudefilmeauralentidanslesruesdsertesd'uneville nocturne (plans 15 17). Le contraste entre le dbut etlafindelasquencetraduitl'volutiondupersonnage,passantd'unefutileinsoucianceuneprisedeconscience,subie comme une preuve. Audbutdelasquence,laconversationquis'instaureentreJean-Doetsamatresse,Josphine,alorsquelamusique inaugurale se poursuit toujours, installe une incongruedissonance, non seulement dans le rythme de la scne, maisgalemententrelesaspirationsdesdeuxpersonnages:Jean-Do se voit opposer son dsir de sexualit l'envie de sacompagnedevoirlaSainteVierge.Cedsaccordestlamarque d'une premire opposition entre plaisirs de la chair etdvotionspirituelle,entrecorpsetesprit,querenforcel'clairage des visages des deux protagonistes dans la voiture(plan4).L'ombreprojeteparlastructuredupare-brisedcoupe le visage de Jean-Do en deux, maintenant une partiedans l'obscurit, alors que celui de Josphine est travers parla lumire. Ce corps barr, presque coup en deux, annoncepour Jean-Do la rvlation d'une dualit, prsente tout au longde la squence, laquelle il est confront. C'est d'abord unesexualit refuse voire rendue impossible par la prsence dela statuette de la Vierge rige qui semble regarder les amantsdans leur chambre d'htel (plans 11 & 14). Comme un cho l'une des premires rencontres entre Marie, la physiothrapeute,et Jean-Do (sq. 14), la scne de l'htel reprend l'incapacitdupersonnagesatisfairesespulsionsetlafrustrationengendre : il ne peut faire l'amour avec la Vierge qui le regardetoutcommeilnepeuttoucherlaphysiothrapeutequ'iltrouvesibelleetdontlesmouvementsdelanguesontsisensuels.Et que le personnage de la thrapeute inaccessibleseprnommeMarie-parailleursprsentecommeunefemme de foi dont la ferveur religieuse dclenche la rsurgencede ce voyage Lourdes - c'est le genre de rime sur laquelleon peut, sans peine, s'appuyer afin de s'attarder un peu plussur la religiosit de cet ensemble o la libido est rogne descorps. Personnage non-croyant, Jean-Do, qui se dit prt tout, setrouvelui-mmeunpeuhypocrited'attendrequelquechosede toutes ces prires adresses pour sa gurison travers lemonde, et se sent pig par Marie qui traduit a contrario pourle prtre son refus de bndiction (sq. 30). La squence duvoyageLourdespousealorsl'athismed'unpersonnagequitrouverasonSalutnondansl'lanmystiquemaisdansl'essor artistique. La religion y est rduite au simulacre et auconsumrisme. La transformation du prtre en Marchand duTemple,l'universcosmopolite,leshtelsquijouxtentdesmagasins aux enseignes tapageuses, ou les reliques produitesen nombre et que l'on vend comme uniques, forcent le trait decette peinture d'une cit d'illusions. L'analogie entre l'glise deBerck et le magasin de Lourdes, outre la prsence du mmeacteur, Jean-Pierre Cassel, qui incarne le prtre et le vendeur,se joue dans l'emploi d'une mme lumire bleute clairant undcorolecomptoirsesubstituel'autel,olechurdevient l'arrire-boutique (plans a & b). Plan bPlan a22L'quivalencesymtriqueentrecesdeuxespacessedouble d'une correspondance drangeante entre le tableau dela Sainte Vierge et la statuette de pacotille, films l'un et l'autredans une mme chelle de plan et selon un cadrage identique(plansc&d).Leguet-apensconcoctparMarieetleprtre trouve ainsi son prolongement dans une reprsentationde Lourdes voquant plus le leurre que le Salut : les miraclesde la ville sanctuaire y deviennent les mirages d'un Las Vegasphotognique.Un homme libreL'errance nocturne de Jean-Do qui clt la squence, sur unechansond'UltraOrange&Emmanuelle(cf.Prolongement),rinscritsubitementlepersonnagedansl'isolement,pardesrues brusquement dsertes et d'crasantes plonges (plans17 & 19). La vie a disparu, hormis un chien errant, le laissantseuldanssaconfrontationaveclui-mme.Audtourd'unerue,ilretrouvelemagasindesouvenirsreligieuxdontlesvolets roulants, moiti ferms, amputent le mot catholiquedesonprfixe,affichantalorsletermeholique.Cemotform rcemment 1provient de Holisme et dsigne une thorieglobaliste dans laquelle l'homme est un tout indivisible qui nes'explique que par l'addition de ses diffrents composants. Ici,lesexpriencespassesdeJean-Dos'ajoutentlesunesauxautrespourexpliquercequ'ilest.Chaquesquencedufilmvoque une part de Jean-Do, de son corps, de son esprit oudesesressentis,formantcetoutdhommelibredontladdicacequivientclorelefilmparlavoixdeClinesefaitl'cho. Devantlavitrinedumagasin(plan20),Jean-DovoitlerefletdesonvisagesinscrirectdelastatuettedelaSainte Vierge que le vendeur prtendait unique et qui, en fait,semblefabriquel'infini.Facelaproductionensried'objets, il est, quant lui, unique, mme dans ce reflet qui n'apas pour fonction d'exprimer une dualit mais de renvoyer uneimagepasse.Cetultimechovisueltrouvesarsonancedanslasquencesuivante(sq.32),ledernierplandelasquence analyse renvoyant au reflet de Jean-Do dans sonfauteuilroulantlorsquilcontemplelavitrineoreposelebuste de l'impratrice Eugnie (plans e & f). Danscepassage,presqueonirique,Jean-Dopasseradel'autre ct du miroir, o son corps, dabord aussi ptrifi quelesstatues,pourraseleverpourembrasserlimpratricesurgied'unlointainpass.Etmmesicen'estqu'unrve,cettescnetmoignefinalementd'uneparalysievaincuegrce l'esprit, tout comme la squence de Lourdes croisel'imaginationetlesouvenirafind'exprimercettelibertdimaginer nimporte quoi, n'importe qui, n'importe o.Le choix d'une musique dans un film ne doit rienau hasard. Si elle appartient parfois au registre d'unesimple illustration, elle peut aussi souligner, amplifierouaccompagnerlesmotionsetsensationsquisedgagent d'une scne. Dans le cas d'une chanson,lesparolespeuventajouterunsurcrotdesignifiantet participer ainsi pleinement de la narration. DanslasquencedeLourdes,lachansonquiaccompagne le hros dans sa dambulation nocturneestinterprteparlegroupeUltraOrangeetEmmanuelle Seigner, qui joue par ailleurs le rle deCline, la femme de Jean-Do. Cettechanson(cf.ci-dessous)dbutesuruneforme de prire qui rsonne avec la sortie de Jean-Do de la chambre d'htel : Si vous fermez la porte- Eteignez simplement la lumire - Le monde semblemeilleur dans l'obscurit. Un peu plus loin, alors queJean-Doestseulfacelui-mme,lesparolesvoquentunepersonnequisemorfonddetourneren rond depuis trop longtemps (I turn around sincetoo much time).If you close the doorJust turn off the lights nowThe world looks better into the darkBetween the curtains somebody's watchingOh sail me to the moonBefore it's too lateDon't kiss me goodbye, babyDon't kiss me goodbye, baby, baby, babyI turn around since too much timeDon't Kiss Me Goodbye, Ultra Orange & Emmanuelle, 2007.PROLONGEMENTParoles et musiques1La Thorie Holiquede Francis M. Sanchez(Cambridge, 1994),par ailleurs trs conteste,a pour principe de considrer l'Universet son contenu comme un tout indissociableo l'informationest conserve.Analyse de squencePlan dPlan cPlan fPlan eAnalyse de squenceLe miroir aux alouettes - (01:08:09 01:12:59) - dure : 4 mn 501 2 3 4 56 7 8 9 1011 12 13 14 1516 17 18 19 20APPRENTIS& LYCENSAU CINMACoordination :Apprentis et Lycens au Cinma Nord-Pas de CalaisUne opration dducation au cinma et limage mise en oeuvre par la Rgion Nord-Pas de Calais.Initie par le Ministre de la Culture et de la Communication,le Centre National de la Cinmatographie, la Direction Rgionale des Affaires Culturelles.Avec le soutien du Rectorat de lAcadmie de Lille.En partenariat avec lARDIR(Association Rgionale des Directeurs de CFA), la Direction Rgionale de lAgriculture et de la Fort et la Chambre Syndicaledes Directeurs de Cinma du Nord-Pas de Calais.Avec le concours des salles de cinma participant lopration.Coordination oprationnelle : association CinLigue Nord-Pas de Calais