le partage de la fonction ressources humaines: une étude
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Le partage de la fonction ressources humaines: une étude par les
théories de l'alignement stratégique et de l'AMOSubmitted on 15 Dec
2020
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Le partage de la fonction ressources humaines : une étude par les théories de l’alignement stratégique et de
l’AMO youssef Souak
To cite this version: youssef Souak. Le partage de la fonction ressources humaines : une étude par les théories de l’alignement stratégique et de l’AMO. Gestion et management. Université de Bordeaux, 2020. Français. NNT : 2020BORD0109. tel-03066312
DOCTEUR DE
SPÉCIALITÉ SCIENCES DE GESTION
UNE ÉTUDE PAR LES THÉORIES DE L’ALIGNEMENT
STRATÉGIQUE ET DE L’AMO
Sous la direction de M. Olivier HERRBACH, Professeur à l’Université de Bordeaux
Soutenue le : 17 septembre 2020
Membres du jury :
M. Julien CUSIN Professeur des Universités, Université de Bordeaux - Président
Mme Anne LOUBES Professeure des Universités, Université de Montpellier- Rapporteur M. Marc VALAX Professeur des Universités, Université de Lyon - Rapporteur
M. Olivier HERRBACH Professeur des Universités, Université de Bordeaux – Directeur de recherche
Titre : Le partage de la fonction ressources humaines : une étude par les théories de l’alignement
stratégique et de l’AMO
Résumé : La gestion des ressources humaines a connu des changements importants au cours des trois
dernières décennies. Cantonnée jusqu’à lors à des activités administratives, elle évolue progressivement
en mettant au centre de ses priorités le développement et la gestion des individus alors considérés comme
une ressource pour l’organisation. Ce nouvel agenda aboutit à la mutation du périmètre de la fonction
ressources humaines (FRH) avec, notamment, l’intégration des managers comme acteurs à part entière.
En se mobilisant sur les aspects opérationnels de la fonction, ils permettent aux spécialistes RH de se
focaliser sur des activités stratégiques. Pour aborder ces enjeux, l’organisation s’appuie sur l’usage des
systèmes d’information (SI). Leur développement a justifié l’apparition de nouvelles formes de travail
telles que le partage de la FRH. Cette orientation stratégique implique la mise en place de profondes
mutations qui se soldent parfois par des échecs que certains attribuent à la cohérence des choix
organisationnels. Basée sur l’étude d’un cas, cette recherche mobilise l’alignement stratégique comme
cadre explicatif du PFRH. Les résultats montrent que la cohérence des choix organisationnels joue un
double effet sur la position des managers en contexte de PFRH. D’une part, elle influence leurs capacités
matérielles et immatérielles d’agir par un effet direct le niveau de compétences et l’accès aux tâches.
D’autre part, les résultats montrent que la cohérence des choix organisationnels agit par un effet
d’amplification sur la motivation des managers. Nos réflexions aboutissent à la formulation d’un modèle
conceptuel et à la proposition d’un outil de pilotage des projets organisationnels basé sur l’alignement
stratégique.
Mots clés : Partage de fonction – Usages des SI – Ressources Humaines – AMO – Alignement stratégique
Title : The human resources function sharing : a study through strategic alignment and AMO theories.
Abstract : The end of the twenty-first century has been filled by great changes in the human resources
function (HRF). This new agenda, lead to the integration of operational managers as new main actors.
Focusing on the operational side of the function, they permit HR specialists to focus on more strategic
roles. Sharing the HRF has needed the thinking of new infrastructure and particularly required human
the use of human resources information systems. These tools have introduced new capacities of
information manipulation, treatment and sharing. Their diffusion in management both has been
reinforced and has justified the new need for collaboration between departments. But the HRF sharing
is a strategic orientation which may result in failure. This acknowledgement questions companies about
how they coordinate their choices and how they fit them with their strategic goals. Based on a case
study, this research explores the way organizational infrastructure is deployed and the consequences of
that on the managers’ position. The aim of this work is to understand how the consistency of
organizational choices can explain the success of the HRF sharing. Results show that the consistency
may generate two effects. On the one hand, it influences their material and immaterial capacities to
implement their HR roles by a direct effect on their skills and on their access to HR tasks. In another
hand, results show that the alignment of organizational choices acts indirectly on the managers’ position
by an impact on their motivation. Our work results in formulation of a conceptual framework including
our research inputs.
Keywords : Function sharing – Human resources – IS use – AMO – Strategic alignment
Unité de recherche
35 avenue Abadie - 33072 Bordeaux Cedex
Dédicaces
À mon épouse pour son soutien indéfectible
À mes tantes, mes amis et ma famille qui m’ont soutenu dans ce voyage
À ma grand-mère dont les espoirs nourrissent encore nombre de mes efforts
Remerciements
À l’issue de ce travail, je tiens à exprimer mes remerciements et ma gratitude à l’ensemble des acteurs qui
sont intervenus d’une manière ou d’une autre dans mon parcours. Alors que la thèse se veut être un exercice
solitaire, il faut reconnaitre que dans les faits, nombreux sont les acteurs qui apportent de précieuses
contributions à sa réalisation.
Mes remerciements vont tout d’abord à mon directeur de recherche, le Professeur Olivier HERRBACH pour
son suivi, son expertise et son accompagnement dans l’accès à un terrain d’étude riche en informations. Je
tiens également à remercier mesdames Dhiba LHAJJI et Laïla BENRAÏSS-NOAILLES pour leur
disponibilité, leurs précieux conseils et leur accompagnement durant ce parcours. Le soutien et la
bienveillance dont j’ai pu bénéficier de la part de mon équipe de recherche ont participé à faciliter mon
expérience doctorale et ont considérablement renforcé mon appétence pour l’enseignement et la recherche.
Je souhaite également adresser mes remerciements aux Professeurs Anne LOUBES et Marc VALAX qui ont
accepté d’être rapporteurs de cette thèse et qui ont, de ce fait, manifesté un intérêt particulier au présent
travail. Je remercie également le Professeur Julien CUSIN qui a accepté de participer au jury de cette thèse.
Je tiens également à remercier le département de l’IUT Techniques de Commercialisation de Bordeaux qui
a soutenu le déroulement de mes activités de recherche en me proposant un contrat d’ATER. Mes pensées
vont particulièrement à Monsieur Bernard ANDRUCCIOLI pour son accueil, sa bienveillance et sa passion
de l’enseignement. Je souhaite aussi évoquer le rôle de Christine GEORGET qui a participé à nourrir ma
réflexion à de multiples occasions et qui a toujours manifesté un grand intérêt pour ce travail. Je remercie
également toutes les personnes de l’entreprise ABC, qui ont accepté de m’accorder leur temps et qui m’ont
permis de collecter des informations riches et utiles à mon travail.
Je souhaiterais également souligner la contribution incontournable de ceux qui ont su appuyer mon travail
par leurs conseils ou leurs relectures. Je tiens particulièrement à remercier Mariyam LAKHAL, Razika
DAUT, Khalil AÏT-SAÏD, Laure BERTHELET, Anne LUCAS, Elodie CHABROUX, Fédérica
ANTONAGLIA, Linda GONZALES-LAFAYSSE, Lionel CHAMBRIER et Abdé RCHOUK.
Cette aventure a également été l’occasion de créer ou renforcer de précieux liens d’amitié au sein du
laboratoire de recherche. Mes pensées vont à mes camarades Chafik, Salma, Warda, Karen, Claudia,
Médéssè, Hayat et Alvaro pour leur présence lors de ce cheminement.
Enfin, j’adresse mes derniers mots à ma famille pour tous ces sacrifices consentis. Je remercie mon épouse
Leyla pour son soutien moral et ses encouragements. Je remercie mes petites filles qui, malgré elles, ont été
une source intarissable d’espoir. Enfin, je remercie mon père, mes tantes, mes proches pour leur aide et leur
soutien.
i
SOMMAIRE
LISTE DES TABLEAUX ...................................................................................................................................... III
LISTE DES FIGURES ............................................................................................................................................ V
LISTE DES ANNEXES ........................................................................................................................................ VII
BIBLIOGRAPHIE .............................................................................................................................................. 283
ANNEXES .......................................................................................................................................................... 298
BPR : Business process reengineering
DG : Direction générale
DR : Direction régionale
DT : Direction territoriale
EP : Entretien professionnel
HR : Human resources
RH : Ressources humaines
SI : Systèmes d’information
TI : Technologie de l’information
TIC : Technologies de l’information et de la communication
iii
Tableau 0-1 : Plan schématique de la thèse.......................................................................................................... 17
Tableau 1-1 : Synthèse des approches de la fonction ressources humaines ........................................................ 21
Tableau 1-2 : Usages du SIRH et effets sur les processus organisationnels .......................................................... 49
Tableau 3-1 :Justification de l’étude de cas ........................................................................................................ 128
Tableau 3-2 : Composition des domaines stratégiques ...................................................................................... 146
Tableau 3-3 : Grille d’analyse du fit stratégique ................................................................................................. 147
Tableau 3-4 : Design de la recherche .................................................................................................................. 152
Tableau 3-5 : Processus de formation ................................................................................................................. 172
Tableau 4-1 : Agrégation des résultats d’alignement entre les compétences et savoirs et les objectifs
du PFRH ............................................................................................................................................................... 187
Tableau 4-2 : Effets du désalignement entre niveau de formalisation et objectifs stratégiques sur l’AMO ...... 191
Tableau 4-3 : Effets du désalignement entre les conditions matérielles et la participation aux activités RH
sur l’AMO ............................................................................................................................................................ 195
Tableau 4-4 : Effets du désalignement entre valorisation du PFRH et objectifs stratégiques du PFRH sur
l’AMO .................................................................................................................................................................. 198
Tableau 4-5 : Synthèse des résultats de l’alignement des infrastructures organisationnelles ........................... 199
Tableau 4-6 : Agrégation des résultats d’alignement entre les infrastructures organisationnelles et les
objectifs du PFRH ................................................................................................................................................ 200
Tableau 4-7 : Effet du désalignement entre le niveau de préparation du contexte RH et des objectifs
stratégiques sur l’AMO ....................................................................................................................................... 205
Tableau 4-8 : Effets du désalignement entre les rôles des spécialistes RH et les objectifs stratégiques
sur l’AMO ............................................................................................................................................................ 210
Tableau 4-9 : Effets du désalignement entre la centralisation des procédures et les objectifs stratégiques sur
l’AMO .................................................................................................................................................................. 214
Tableau 4-10 : Agrégation des résultats d’alignement entre les processus de travail et les objectifs
du PFRH ............................................................................................................................................................... 215
Tableau 4-11 : Synthèse des effets des dysfonctionnements sur la facilité d’usage et l’utilité perçues ............ 225
Tableau 4-12 : Effets du désalignement entre les infrastructures organisationnelles et les processus SI ......... 229
Tableau 4-13 : Objectifs du partage de la FRH .................................................................................................... 231
Tableau 4-14 : Effets du désalignement entre les infrastructures organisationnelles et celles des systèmes
d’information ...................................................................................................................................................... 237
Tableau 4-15 : Effets du désalignement entre les infrastructures et processus organisationnels et les
compétences SI ................................................................................................................................................... 242
Tableau 4-16 : Synthèse des alignements entre les composantes du domaine stratégique et du domaine
des infrastructures organisationnelles ................................................................................................................ 245
du système d’information ................................................................................................................................... 247
Tableau 4-18 : Synthèse des éléments de succès de partage de la FRH ............................................................. 253
Tableau 4-19 : Disparité de perceptions du partage de la fonction ressources humaines entre managers
stratégiques et managers de proximité .............................................................................................................. 257
v
Figure 0-2 : Contribution principale de la recherche ............................................................................................ 14
Figure 1-1 : Matrice des rôles des responsables RH de Storey (1992) .................................................................. 32
Figure 1-2 : Matrice des rôles de la fonction RH de Ulrich (1998) ........................................................................ 34
Figure 1-3 : Les stades de l’usage des systèmes d’information ............................................................................ 47
Figure 1-4 : Effet de la qualité du système et de l’information sur la satisfaction et l’utilisation des systèmes
d’information ........................................................................................................................................................ 52
Figure 1-5 : Évaluation du succès de partage de la FRH par le GAP ...................................................................... 64
Figure 2-1 : L’effet indirect des pratiques de GRH sur la performance productive .............................................. 69
Figure 2-2 : Synthèse des déterminants des capacités de partage de la FRH ....................................................... 75
Figure 2-3 : Synthèse des déterminants de la motivation de partage de la FRH .................................................. 78
Figure 2-4 : Effet de la distribution de l’influence sur le lien intégration-performance ....................................... 86
Figure 2-5 : Synthèse des déterminants de l’opportunité de partage de la FRH .................................................. 87
Figure 2-6 : Les domaines stratégiques de l’organisation ..................................................................................... 94
Figure 2-7 : Composition des domaines stratégiques externes ............................................................................ 96
Figure 2-8 : Composition des domaines stratégiques internes ............................................................................. 98
Figure 2-9 : Modèle de l’alignement stratégique d’Henderson et Venkatraman (1993) ...................................... 99
Figure 2-10 : Les perspectives d’alignement stratégique ................................................................................... 101
Figure 2-11 : Représentation des objectifs stratégiques du partage de la FRH .................................................. 113
Figure 2-12 : Composition des infrastructures et processus organisationnels ................................................... 114
Figure 2-13 : Proposition d’étude de l’alignement des domaines du partage de la FRH .................................... 115
Figure 2-14 : Impact des choix organisationnels sur l’implémentation des pratiques RH .................................. 116
Figure 2-15 : Impact de l’alignement des choix organisationnels sur le PFRH .................................................... 116
Figure 3-1 : Processus de codage et de production d’une grille d’analyse mixte ............................................... 143
Figure 3-2 : Domaines et alignements explorés dans le cadre de la recherche .................................................. 146
Figure 3-3 : Organisation du département ressources humaines d'ABC ............................................................ 154
Figure 3-4 : Chaine de communication entre les acteurs du projet SIRH ........................................................... 161
Figure 3-5 : Acteurs du déploiement opérationnel de l’outil .............................................................................. 162
Figure 3-6 : Composition du système d'information ressources humaines ........................................................ 165
Figure 3-7 : Représentation des modules du progiciel intégré au sein d’ABC .................................................... 166
Figure 4-1 : Étude du fit stratégique ................................................................................................................... 182
Figure 4-2 : Étude de l’alignement vertical entre compétences et savoirs et objectifs stratégiques
du PFRH ............................................................................................................................................................... 183
stratégiques du PFRH .......................................................................................................................................... 188
Figure 4-4 : Étude de l’alignement vertical entre processus de travail et objectifs stratégiques du PFRH ......... 201
vi
Figure 4-5 : Étude de l’intégration stratégique ................................................................................................... 216
Figure 4-6 : Étude de l’alignement horizontal entre les infrastructures et processus organisationnel et les
infrastructures des SI .......................................................................................................................................... 216
Figure 4-7 : Étude de l’alignement entre les infrastructures et processus organisationnels et les
processus des SI .................................................................................................................................................. 230
Figure 4-8 : Étude de l’alignement entre les infrastructures et processus organisationnels et les
compétences SI ................................................................................................................................................... 237
Figure 4-9 : Modèle de la recherche .................................................................................................................. 271
Figure 4-10 : Outil de diagnostic et de rétroaction de l’alignement stratégique organisationnel ...................... 277
Annexe 2 : Guide d’entretien manager ............................................................................................................... 303
Annexe 3 : Liaisons fonctionnelles du système d’information global ................................................................. 306
Annexe 4 : Extrait du plan stratégique abordant le processus de déconcentration ........................................... 307
Introduction Générale
1
INTRODUCTION GÉNÉRALE S’il y a des choses que l’on partage volontiers, il est des acquis que l’on souhaiterait bien garder.
À ce sujet, un des illustres ministres de la République française a tenté la démonstration d’une
assertion éprouvée par l’expérience d’une vie : « le pouvoir ne se partage pas »1.
Actualité et intérêt du sujet
La gestion du personnel, pièce maîtresse de la coordination du travail dans l’organisation,
semble avoir toujours fait partie intégrante du management d’équipe. Elle a toutefois pris des
formes et une importance différentes selon les contextes géographiques et temporels.
Tyson (1987) propose de s’intéresser aux bouleversements économiques, sociaux et politiques
qui ont atteint les entités productives et de pointer leurs conséquences sur les rapports de travail
et sur la fonction ressources humaines (FRH).
Le 18e siècle a tout d’abord été marqué par une industrialisation croissante des économies, qui
s’est accompagnée du développement des entreprises et du recours à une main d’œuvre peu
qualifiée. À partir du début du 20e siècle, l’obsolescence du capital technique, induite par un
manque d’investissement dans les capacités productives, a entrainé une perte d’efficacité dans
la plupart des industries occidentales. Cela s’est traduit par l’augmentation drastique du
chômage et par la modification de la structure du travail entre emplois qualifiés et non qualifiés.
Sur le plan productif, l’intensification de la rivalité concurrentielle souligne l’importance de la
relation établie avec le client. Le positionnement par rapport à la valeur de l’argent évolue, et
ce, même dans le secteur public qui cherche à rééquilibrer ses comptes par l’amélioration de
son efficacité productive. Cette nouvelle manière de voir l’entreprise a participé au
renforcement d’une logique financière de gestion. Cette dernière serait alors caractérisée par
une insécurité professionnelle croissante, des prises de risques disproportionnés et une
flexibilisation accrue de la masse salariale (Tyson, 1987).
En matière de gestion des ressources humaines (GRH), les différentes problématiques
économiques rencontrées par les organisations dans la fin des années 1970 ont justifié une
intensification de la formulation stratégique et un regain d’intérêt pour les politiques du
1Dans un ouvrage paru aux éditions Fayrard en 2009, Edouard Balladur décrit la période délicate où il était Premier ministre de François Mitterrand. Dans ce récit, il montre l’opposition tenace, mais passive, des deux hommes politiques. Celle-ci a marqué leur relation durant tout le mandat présidentiel. Ce rapport de force a poussé E.Balladur à poser cette assertion forte : le pouvoir ne se partage pas.
Introduction Générale
2
personnel. Selon Tyson (1987), les changements dans le paysage économique et industriel se
sont accompagnés d’un basculement des modèles de GRH mis en place. On passe d’une logique
de gestion des forces de travail à une logique de développement du capital humain justifiant la
redéfinition des objectifs et des moyens d’action de la GRH. Cette dernière occupe une place
de plus en plus importante dans les fonctions de gestion de l’organisation.
Ces évolutions ont finalement contribué à actionner deux mécanismes institutionnels
simultanés : l’intégration stratégique de la GRH et le partage de la fonction ressources humaines
(Chambrier, 2000 ; Loubes, 1998).
L’intégration stratégique désigne le processus d’association d’un ou plusieurs membres de la
DRH dans les décisions organisationnelles. Il s’agit d’une dynamique de déplacement de la
GRH à un niveau plus stratégique qui est justifié par des principes de rationalisation
économique. La masse salariale et les objectifs de productivité étant devenus de véritables
enjeux de performance, l’intégration de la GRH au sein des activités stratégiques s’est imposée
comme une priorité de l’agenda organisationnel. D’un autre côté, même si les responsables des
ressources humaines souhaitent orienter un peu plus leur fonction vers une finalité de conseil
stratégique, la tâche s’avère difficile, car ils conservent une certaine dépendance fonctionnelle
rendant cette mission illusoire. La position des spécialistes RH a toujours été identifiée comme
ambigüe, ces derniers étant prostrés entre la nécessité de servir loyalement les objectifs
organisationnels et celle de répondre aux attentes managériales (Tyson, 1987).
Le partage de la fonction ressources humaines (PFRH) favorise l’intégration de nouveaux
acteurs, qu’ils soient à l’extérieur de l’organisation ou en son sein. Ce dernier cas,
particulièrement intéressant dans le cadre de ce travail, a trait au redéploiement du champ en
interne et implique les managers dans la GRH de l’organisation. Cette extension de la fonction
concourt initialement à une meilleure connaissance de la gestion locale des effectifs et à une
plus grande anticipation des tendances économiques et sociales. Mais ses finalités basculent
rapidement vers la nécessité de rationaliser les moyens de production (Loubes, 1998).
Le repositionnement progressif de la DRH et l’intégration de nouveaux acteurs au sein de sa
fonction ont permis aux managers de proximité de prendre de plus en plus de responsabilités
dans la GRH. Que ce soit sur le plan académique ou empirique, l’intérêt porté au phénomène
de PFRH se développe à partir des années 2000. Pourtant, Schuler proposait déjà en 1990 de
voir la GRH autrement. Il incitait à la considérer comme une activité de coordination et de
Introduction Générale
3
canalisation des attributions des managers par le travail conjoint de ces derniers avec les
spécialistes RH. La collaboration entre les deux parties permettrait, effectivement, de faire
émerger des effets de complémentarité bénéfiques pour l’organisation.
Mais partager la FRH constitue également un enjeu du point de vue managérial. Dans les années
1980, plusieurs rapports voient le jour dans le cadre du mouvement de la décentralisation et
encouragent l’enrichissement des tâches du manager qui devient responsable de son unité et de
ses RH. Ces nouvelles attributions permettraient alors au manager de proximité de renforcer
ses leviers d’action et de devenir l’acteur le plus pertinent pour relever ces nouveaux défis
organisationnels.
Valéau (2013) définit la FRH comme « l’ensemble des activités destinées à fournir à
l’organisation les ressources humaines nécessaires à son développement » (p. 78). Cette
définition propose une approche globale axée sur l’atteinte de l’objectif de développement de
l’organisation. La FRH est alors un outil permettant d’assurer le lien entre l’entité et sa force
de travail. Dans la littérature, la diversité des définitions proposées pour caractériser le PFRH
montre que cette pratique traduit une réalité plurielle. Certaines recherches étudient une forme
de partage fonctionnel à travers la notion de « décentralisation » (Azémar de Fabrègues, 1992
; Chambrier, 2000 ; Loubes, 1998). Celle-ci renvoie au processus par lequel les centres de
commandements sont délocalisés à des agents ou entités situés à une échelle plus locale. Le
phénomène est alors empreint à une tension issue de la volonté de rendre plus rapide la prise de
décisions d’une part, et d’autre part, la crainte des décisionnaires de subir une fuite de pouvoirs.
Hall et Torrington (1998) évoquent une certaine confusion entre le PFRH et la décentralisation.
Ils tiennent alors à souligner que cette dernière recouvre un processus de transfert d’une
fonction centralisée vers des experts situés à des niveaux plus bas dans l’organisation. Le PFRH,
est quant à lui, évoqué comme un processus qui aboutit à l’implication de nouveaux acteurs,
potentiellement novices, et qui sont rattachés à une autre fonction principale. L’importance de
la distinction entre les deux notions est justifiée par les implications et réalités qui en découlent.
Comme ces objets sont proches et sont souvent utilisés de manière interchangeable (Chambrier,
2000), il conviendra dans le corps des développements d’en éclaircir les contours et d’en lever
l’ambiguïté définitionnelle.
Les définitions concernant le PFRH sont rares et les travaux prenant cette pratique comme objet
y font davantage référence de manière implicite. Dans une des recherches incontournables sur
Introduction Générale
4
le sujet, Heraty et Morley (1995) définissent le PFRH comme « le degré avec lequel les
pratiques de développement RH impliquent et donnent des responsabilités aux managers de
proximité davantage qu’aux spécialistes » (p. 31). Cette définition propose d’appréhender le
phénomène comme le lieu d’exercice d’un rapport de force. Pour qu’il y ait partage, il faudrait
que la GRH relève davantage de la responsabilité des managers que de celle des spécialistes.
Une définition moins restrictive vise à appréhender le PFRH comme « l’allocation, a des
parties de l’organisation plus localisées, de tâches précédemment à la charge de spécialistes
du personnel » (Hoogendoorn et Brewster, 1992, p. 4). Il s’agirait donc de transférer un certain
nombre de tâches RH aux managers. Dans cette approche, la nécessité de renversement du
rapport de force s’efface. Les définitions proposées du partage en font à la fois une orientation
stratégique et en dictent les implications opérationnelles. Mais il apparait qu’une partie d’entre
elles occulte largement le transfert de pouvoir et réduit le partage à un transfert de tâches à
réaliser. Or, dans le sens commun, « partager » possède à la fois une acception liée à l’inclusion
(partager avec d’autres), et un sens faisant intervenir la répartition et la division d’un ensemble
en sous-ensembles plus petits (céder à d’autres)2. Négliger cette deuxième approche revient à
occulter une réalité non des moindres : la dépossession. Appliquée à l’étude du PFRH, cette
dernière approche a trait à un phénomène d’ampleur. Il s’agit de la perception, par certains
acteurs, de l’amputation de leurs pouvoirs par l’inclusion d’un plus grand nombre (Loubes,
1998) et pourrait aboutir au développement de rapports interindividuels conflictuels
(Chambrier, 2000). C’est pourquoi Loubes (1998) axe son approche du partage sur la délégation
du pouvoir de décision et en fait le levier de mobilisation des managers : « le partage de la
GRH repose essentiellement sur le partage des décisions visant à impliquer les responsables
opérationnels » (p. 67).
Cette approche souligne l’importance particulière de la dimension décisionnelle dans le
phénomène. Elle en fait non seulement partie, mais elle permet surtout d’impliquer les
managers dans le champ de la GRH. La prise en compte de ces deux dimensions (le transfert
de responsabilités et le pouvoir de décision) est d’ailleurs identifiée comme une condition sine
qua non à l’acceptation par les managers de leurs nouvelles responsabilités et à la mise en place
effective des activités RH (Hall et Torrington, 1998).
2 Éléments issus de la recherche « Partager » dans le Petit Larousse illustré 2019 (Edition 2019). Larousse.
Introduction Générale
5
Problématique
Depuis les années 1990, une littérature importante a émergé pour expliquer la genèse du PFRH
avec les managers (e.g. Brewster, Larsen et Trompenaars, 1992 ; Colling et Ferner, 1992 ;
Hoogendoorn et Brewster, 1992, 1992). Ces recherches visent à montrer les fondements de
cette nouvelle orientation stratégique de la GRH, proposent des études descriptives
comparatives entre les pays et les secteurs d’activités et tentent de mettre en lumière les facteurs
qui en facilitent ou en freinent la mise en place.
Il en résulte que la GRH implique un plus grand nombre d’acteurs et voit le périmètre de sa
fonction s’élargir et se transformer. Les professionnels RH officiant au sein de l’organisation
et dont le cœur de métier consiste à fournir une expertise en la matière ont longtemps été
considérés comme les uniques protagonistes de la FRH. Mais ils n’officient plus seuls et doivent
accepter et intégrer la mutation de leur fonction. Ils seront désignés dans cette recherche comme
les « spécialistes RH » ou les « experts RH ». Le détachement de ces derniers de certaines
opérations pour les affecter au niveau de la gestion opérationnelle souligne le rôle central des
managers de proximité dans ce nouveau chainage de la GRH. Il participerait, effectivement, à
la transformation des politiques RH en « théories en action » (Thornhill et Saunders, 1998, pp.
462-463). Dans ce cadre, les résistances que pourraient manifester les responsables d’équipe à
l’encontre de l’organisation pourraient aboutir à diluer, si ce n’est à anéantir, les tentatives de
traduction des politiques définies en pratiques réelles. Par sa dimension stratégique et
l’ensemble des implications opérationnelles qu’il peut générer, le PFRH est identifié comme
une caractéristique clé du management stratégique des RH (Tabassum Azmi, 2010).
En tout état de cause, le PFRH s’est imposé comme une orientation ancrée dans les mutations
économiques, mais surtout technologiques du contexte organisationnel. Il va sans dire qu’il
induit une plus grande transversalité dans le travail, nécessitant la mise en place d’outils
permettant la collaboration au sein et entre les équipes. Depuis les années 1990, le PFRH a été
facilité, si ce n’est propulsé, par le développement massif des technologies de l’information et
de la communication (TIC). En retour, ces nouvelles réorganisations du travail, basées sur la
collaboration et l’échange, ont également justifié la conception de systèmes d’information
puissants. Des dispositifs sont alors créés pour faciliter le transfert d’informations au sein de
l’organisation. Dans le champ de la GRH, ces nouvelles interactions sont étudiées à travers la
notion de « e-HRM » pour « electronic human resources management » (Grant et Newell,
2013). Ces vastes réseaux de communication et d’information numériques intègrent dans leur
Introduction Générale
6
champ le système d’information ressources humaines (SIRH) qui est défini comme un
« système utilisé pour acquérir, stocker, manipuler, analyser, retraiter et distribuer de
l’information pertinente au sujet des ressources humaines d’une organisation »3 (Tannenbaum,
1990, p. 260).
Participant à la modernisation et à l’optimisation de la GRH, les SIRH sont aussi élaborés dans
une finalité collaborative. Partant de ce constat, Grant et Newell (2013) les définissent comme
des objets permettant « de mettre en place l’automatisation et la délégation de nombreuses
routines administratives traditionnellement assurées par les départements RH » (p. 187). Dans
ce cadre, l’intégration du SIRH dans la gestion du personnel est devenue un moyen de
modernisation et d’optimisation de la GRH. L’usage de ces systèmes par les managers peut
même faire partie des buts de PFRH. Cette approche du SIRH laisse émerger un double objectif
particulièrement intéressant dans le cadre de la présente recherche. D’une part, elle pose les
finalités du système qui sont articulées autour des processus facilitant la manipulation de
l’information. D’autre part, elle met en évidence le véritable rôle d’outil au service du projet de
partage fonctionnel.
Ces constatations ont naturellement mené les chercheurs du champ à s’intéresser aux facteurs
favorisant la réussite des projets liés aux SI. Longtemps focalisée sur les dimensions techniques
de ces outils, la recherche dans ce champ a progressivement évolué depuis le début des années
2000, pour intégrer les dimensions sociale et organisationnelle dans son spectre d’analyse. Ces
préoccupations ont notamment été abordées à travers l’étude de l’usage des SI. Pour DeSanctis
et Poole (1994), par exemple, la mise en place d’un SI consiste à définir les caractéristiques
fonctionnelles ou techniques, mais aussi son « esprit ». L’usage est appréhendé comme la
manière dont une technologie est utilisée. L’introduction de cette notion d’usage des SI permet
d’intégrer des dimensions sociales et humaines absentes jusqu’à lors dans les travaux. Mais ce
basculement s’inscrit dans un changement paradigmatique plus profond. Les recherches se
détachent d’une perspective purement technique pour épouser un courant sociotechnique
propulsé par les travaux d’Orlikowski (1992). Les SI y sont considérés comme des dispositifs
sociotechniques servant de supports à la réalisation des tâches et des processus dans les
organisations. Ils font évoluer et évoluent eux-mêmes avec la sphère sociale. On ne se demande
3 Traduction Personnelle : « In its most basic form HRIS is a system used to acquire, store, manipulate, analyze, retrieve and distribute pertinent information about an organization’s human resources. It is often regarded as a service provided to an organization in the form of information ».
Introduction Générale
alors plus « comment fonctionnent-ils ? », mais « comment sont-ils utilisés ? ». Ce changement
épistémique se base sur le postulat que les usages des SI sont fondamentalement influencés par
le contexte technologique et social de l’entité.
Ces interactions entre les dimensions techniques et sociales du développement de projets SI ont
largement été discutées dans les travaux épistémiques relatifs aux systèmes d’information. Sur
le plan organisationnel, les questions se cristallisent sur la propension de ces technologies et de
ses applications à structurer l’espace de travail et les relations entre les individus et à créer des
rigidités non prévues. Implémentées dans un contexte de changement stratégique, ces nouvelles
technologies peuvent alors contribuer à renforcer les difficultés d’appropriation des enjeux
directement liés à la production.
D’un point de vue stratégique, les échecs de projets SI sont nombreux alors que les
investissements sont importants. Orlikowski (1992) évoque un paradoxe de la productivité des
TIC pour souligner l’absence ou la faible corrélation positive entre les investissements et les
résultats de performance. Les retours sur investissement attendus en matière de qualité ou de
productivité du travail, de suppression des tâches fastidieuses et répétitives ou même d’accès
plus rapide à l’information sont parfois bien en deçà des espérances. Cela provoquerait alors
déceptions et interrogations des décideurs quant à la pertinence des choix technologiques
effectués.
Parallèlement à cela, certaines observations du PFRH intriguent les chercheurs. Alors que des
auteurs concluent à des effets positifs de l’association des responsables d’équipe, tels que le
renforcement des leviers managériaux (e.g. Currie et Procter, 2001 ; Heraty et Morley, 1995 ;
Ryu et Kim, 2013), une frange importante de la littérature met en évidence des problématiques
dans la mise en place effective d’une fonction partagée (e.g. Cascón-Pereira, Valverde et Ryan,
2006 ; Colling et Ferner, 1992 ; Harris, Doughty et Kirk, 2002). Les résultats mettent en cause
la pertinence des choix stratégiques et organisationnels sur la capacité des managers à assurer
sereinement les responsabilités proposées, ce qui aboutit à des situations de décalages entre les
objectifs initiaux et les configurations finales (Bos-Nehles, Van Riemsdijk et Kees Looise,
2013 ; Dietrich, 2009). Les mutations des rôles des managers proviennent alors de changements
imposés par de nouveaux modèles de management. Ces changements ne sont pas souhaités ni
même négociés avec les acteurs, ce qui participe à remettre en cause le partage effectif de la
FRH (Fenton-O’Creevy, 2001).
8
Ces problématiques de partage sont encore éminemment d’actualité. En juillet 2019, un rapport
de l’Observatoire de l’Engagement4 pointait le « paradoxe du manager de proximité ». Alors
que le manager semble constituer le maillon essentiel dans la poursuite des nouveaux enjeux
de la GRH, le manque de moyens et d’importance accordés à l’orientation du PFRH tend à en
freiner le développement. La gestion critiquable de la nouvelle posture des responsables
d’équipe par l’organisation laisse émerger des problématiques profondes de tensions de rôle et
altère leur engagement dans l’organisation. Les auteurs du rapport mettent en cause l’incapacité
des organisations à faire du rôle RH des managers une priorité. Il apparait alors que, dans les
faits, la prise en main de leur nouvelle fonction reste limitée, rendant ces nouvelles
organisations figées au stade de la théorie. Les conclusions de ce rapport sont donc un pied de
nez fait au travail de Peretti (2012) qui exhortait dans son bien connu ouvrage « Tous DRH »
l’inévitable et universelle conversion des managers aux métiers de la gestion des ressources
humaines.
Or, l’implémentation effective de cette orientation est considérée comme une condition
nécessaire à l’efficacité de la GRH (Grant et Newell, 2013). Les recherches se sont alors
focalisées sur les facteurs qui déterminent le succès du partage. Ce dernier est étudié dans la
littérature à travers la notion d’implémentation de la FRH par les managers. Trullen, Stirpe,
Bonach et Valverde (2016) le définissent ainsi : « l’implémentation efficace est le
chevauchement idéal entre les pratiques attendues et celles réellement mises en place.
Inversement, une implémentation inefficace a lieu lorsque les pratiques RH sont partiellement
mises en place, introduites d’une manière incohérente avec l’objectif initial, ou ne sont pas du
tout mises en place »5 (p. 451). Dans cette approche, le succès peut s’évaluer à travers l’écart
entre le projet initial de partage et la configuration réellement observée sur le terrain. Les
auteurs ayant traité ce sujet se sont alors questionnés sur les causes de tels décalages dont
certains entravent la réussite du projet. Dans les faits, les mutations dans la fonction managériale
se sont également accompagnées de tensions entre les logiques de GRH et de production. Hall
et Torrington (1998), par exemple, montrent que les spécialistes RH développent une attitude
dissonante. Malgré leur conviction de la contribution du partage du champ à la performance de
4 L’observatoire de l’engagement (2019), Managers de proximité et dynamiques d’engagement : discours et réalité des pratiques, Université Paris Dauphine, http://observatoire-engagement.org/wp- content/uploads/2019/07/Etude-Managers-de-proximit%C3%A9-2019.pdf 5 Traduction personnelle : « An HRP is effectively implemented when there is an ideal overlap between intended and actual practices. Conversely, ineffective implementation occurs when the HRPs are only partially implemented, introduced in ways that are inconsistent with their initial intent, or not implemented at all ».
Introduction Générale
9
leur fonction, ils développent des mécanismes de résistance lorsqu’il faut se détacher de
certaines activités opérationnelles. L’attrait pour ces responsabilités ou la peur de dilution de
l’approche RH seraient avancés pour justifier les craintes quant à cette nouvelle forme
d’organisation. Ces facteurs agissent sur la capacité de l’organisation à impliquer les managers
dans le PFRH tant et si bien que les situations résultantes relèvent davantage d’une relation
transactionnelle que d’une réelle délégation des responsabilités (Currie et Procter, 2001). Ainsi,
il apparait de nombreux décalages entre les objectifs stratégiques du PFRH et les choix faits par
l’organisation pour accompagner cette orientation. Ces écarts créent des situations où les
managers ne se sentent pas en mesure cognitive d’atteindre les objectifs, n’en ont pas les
moyens matériels et/ou ne sont pas dans des conditions les incitant à le faire. Par exemple,
certains d’entre eux reprochaient aux spécialistes RH de ne pas être eux-mêmes prêts pour les
changements que cette réorganisation implique (Davis et Luiz, 2005). Ces experts représentent
pourtant l’organisation et sont censés défendre les changements qu’elle porte. Le manque de
connaissance et la déconnexion vis-à-vis des réalités productives, ou encore la mise en place de
barrières à l’autonomie managériale sont évoqués pour illustrer l’incohérence entre les
ambitions posées par le projet de PFRH et les infrastructures en place pour les supporter
(Whittaker et Marchington, 2003). Ces résultats suggèrent alors que des choix organisationnels
peuvent être inadaptés aux finalités poursuivies. Or, le PFRH est un processus qui implique des
changements importants, tant pour les spécialistes RH que pour les managers. En tant
qu’orientation stratégique, il implique des modifications profondes dans l’identité de la FRH,
nécessite un accompagnement des acteurs (Hall et Torrington, 1998) et un déploiement de
moyens suffisants pour soutenir ces changements (Dietrich, 2009).
Des travaux s’intéressant à cette problématique suggèrent que le partage effectif de la FRH
pourrait être affecté par la capacité de l’organisation à assurer le développement des
compétences des managers, à intégrer des incitations motivantes et enfin, à mettre en place des
espaces suffisants pour le faire (Bos-Nehles et al., 2013 ; Gilbert, De Winne et Sels, 2015 ;
Trullen et al., 2016). De ces constats, se développe un cadre théorique visant à étudier le succès
de mise en place du PFRH. Dans le prolongement de la théorie des attentes de Vroom (1964),
puis du travail fondateur d’Appelbaum (2000), la communauté de l’AMO (Ability, Motivation,
Opportunity) met effectivement en évidence l’impact des choix organisationnels sur le
comportement des collaborateurs dans une situation d’action. Plus précisément, ces travaux
montrent que les décisions de l’organisation affectent le comportement individuel en impactant
Introduction Générale
les capacités (Ability), la motivation (Motivation) et les opportunités (Opportunity) qu’ont les
managers d’agir. Bien que cette approche théorique soit largement éprouvée dans le champ de
la gestion des organisations, ses applications en GRH et plus particulièrement à l’étude du
PFRH soulèvent encore de vifs questionnements (voir Bos-Nehles et al., 2013 ; Gilbert, De
Winne et Sels, 2015 ; Trullen et al., 2016).
Aussi, les réflexions en amont ont mis en évidence l’intérêt académique et pratique pour les
SIRH, et particulièrement en contexte de partage fonctionnel. Le recours croissant aux SIRH
dans les organisations soutient le développement du phénomène de PFRH sur les plans
stratégique et opérationnel. Cependant, de nombreux travaux montrent que la mise en place
d’un SIRH fait également émerger des questionnements liés à la technicité de l’outil, mais aussi
à ses influences organisationnelles plus générales. Lorsqu’elles sont insuffisamment maîtrisées,
les contraintes liées aux SI favorisent une déviation des usages (De Vaujany, 2006) et
potentiellement un échec de collaboration (Oueslati, 2011). De manière paradoxale, certains
travaux montrent que la mise en place de SI aboutit parfois au développement de conflits
verticaux et d’une centralisation accrue des processus organisationnels, alors même que leur
vocation était de décentraliser la structure et de favoriser la collaboration (Besson, 1999).
Comment expliquer alors, qu’au-delà de manquer l’objectif initial, une organisation soit
amenée à produire des résultats contraires à ceux qui étaient attendus ? Des travaux portant sur
la question mettent en évidence le rôle de la cohérence des choix organisationnels dans les
problématiques constatées.
En 1989 puis en 1993, Henderson et Venkatraman réalisent des travaux majeurs visant à établir
un lien entre la cohérence des choix de l’organisation et la performance de cette dernière. Ils
proposent le modèle de l’alignement stratégique pour expliquer l’efficacité des investissements
réalisés en matière de technologies de l’information. Le travail des deux auteurs est guidé par
une question insoluble : « Pourquoi les dépenses en technologies de l’information et de la
communication ne produisent-elles que de faibles résultats, alors même que les investissements
initiaux sont conséquents ? ». L’observation de plusieurs entreprises américaines les mène à
mettre en avant une problématique d’alignement stratégique. Les unités qui montrent le plus de
cohérence dans leurs choix seraient les plus productives. La performance pourrait alors
s’expliquer par un double mécanisme (figure 0-1) :
Introduction Générale
- Un alignement horizontal des choix stratégiques : entre la stratégie générique (business)
et celle des technologies de l’information (TI) d’une part, et d’autre part, entre les
infrastructures business et celles des TI ;
- Un alignement vertical des choix stratégiques : d’une part entre les choix de stratégie
générique avec les choix d’infrastructures génériques, et d’autre part, entre les choix de
stratégie des TI et leurs infrastructures respectives.
Figure 0-1 : Modèle d’alignement stratégique
Source : Modèle adapté d’Henderson et Venkatraman (1989)
Initialement cantonné à l’analyse du champ des nouvelles technologies, ce cadre théorique sera,
par la suite, utilisé dans des disciplines variées pour étudier les effets de la cohérence des choix
stratégiques. Le manque d’alignement, aussi désigné comme un « désalignement » est alors mis
en cause pour expliquer les échecs de projets organisationnels (Bergeron, Raymond et Rivard,
2004 ; Chan et al., 1997 ; Walsh, Renaud et Kalika, 2013).
Ainsi, de nombreuses recherches tentent de fournir une explication à la manière dont
l’alignement stratégique permet de rendre optimale l’atteinte des objectifs initialement fixés.
Certaines d’entre elles s’intéressent à la manière dont la cohérence entre les infrastructures
organisationnelles et celles propres aux SI permettrait d’accroître les résultats (Avison et al.,
2004 ; Bergeron et al., 2004 ; Chan et al., 1997). Or, le recensement des travaux faits en la
Introduction Générale
12
matière ne permet pas d’établir que le modèle d’alignement stratégique a été mobilisé dans le
champ de la GRH ni pour analyser le cas d’un projet SIRH.
En matière de PFRH, les travaux recensés montrent qu’il s’agit d’un corpus relativement récent
avec des contributions essentiellement descriptives. De nombreux travaux recourent à des
études comparatives pour analyser les disparités de partage en Europe (e.g. Brewster et Larsen,
2000 ; Harris, Doughty et Kirk, 2002 ; Larsen et Brewster, 2003) ou pour s’intéresser à
l’incidence de la nature des pratiques RH sur leur propension à être partagées (Bond et Wise,
2003 ; Harris et al., 2002). Des auteurs se sont intéressés à l’effet des choix organisationnels
sur l’attitude et le comportement des acteurs (Fenton-O’Creevy, 1998, 2001 ; Hall et
Torrington, 1998), mais aussi à l’étude du niveau optimal de partage des activités et du pouvoir
de décision (Dany, Guedri et Hatt, 2008). Cependant, il semblerait qu’aucune contribution
académique ne traite de la question du PFRH dans un contexte d’évolution du SIRH. De même,
notre revue de littérature montre que les travaux s’inscrivant dans le corpus de l’alignement
stratégique n’abordent pas la question de la cohérence des choix organisationnels entre les
objectifs du PFRH et la mise en place d’un SIRH.
Par ailleurs, de nombreuses recherches inscrites dans le courant théorique de l’AMO mettent
en évidence le lien entre choix organisationnels et succès de mise en place du PFRH. Ce cadre
théorique est largement mobilisé en matière de GRH, car il permet d’identifier l’impact des
choix organisationnels sur les capacités, la motivation et les opportunités des managers.
Cependant, aucune contribution n’explore la manière dont ces mécanismes opèrent lors de la
mise en place d’un SIRH, ce que nous proposons de faire dans le cadre de cette recherche.
Enfin, dans la littérature sur le PFRH, aucune recherche n’a encore tenté d’articuler les cadres
théoriques de l’alignement stratégique et de l’AMO pour expliquer la mise en place des activités
RH des managers. Or, nous avons montré dans les développements précédents que s’intéresser
à la cohérence des choix, davantage qu’au choix en eux-mêmes, pourrait fournir un matériau
analytique pertinent. Dans la présente recherche, notre principale contribution consiste à
proposer un modèle théorique articulant ces deux approches. L’intérêt de ce travail est d’étudier
la manière dont une organisation peut se trouver dans une situation de désalignement
stratégique et de voir comment ce déséquilibre pourrait impacter la disposition de cette dernière
à fournir aux managers les capacités, motivations et opportunités nécessaires à la mise en place
d’un PFRH.
Question de recherche
Il ressort des apports de la littérature que l’étude des choix organisationnels et de leur
alignement semble constituer un cadre d’analyse pertinent du partage de la FRH. La
problématique globale de ce travail est de comprendre l’incidence des choix
organisationnels, et notamment ceux impliquant les systèmes d’information, sur le succès
de partage de la FRH avec les managers.
La présente étude sera alors guidée par la question de recherche suivante :
- Comment le désalignement stratégique contribue-t-il au faible développement des
capacités, des motivations et des opportunités des managers de mettre en place le
partage de la fonction ressources humaines ?
Cette question principale de recherche peut se décliner en trois questions sous-jacentes :
- Quels facteurs organisationnels peuvent expliquer le développement de freins et de
moteurs de l’alignement stratégique ?
- Quelle est l’incidence des usages des SI dans le partage de la fonction ressources
humaines ?
- Comment l’alignement stratégique contribue-t-il au développement des usages des SI
attendus ?
Notre recherche vise alors un double objectif. Sur le plan théorique, elle propose deux
contributions. La première consiste à enrichir la littérature, encore sommaire, de l’alignement
stratégique dans le champ de la GRH. Elle permet ainsi d’étudier comment l’alignement
stratégique explique la performance, entendue ici comme le partage effectif de la FRH. La
seconde revient à combiner de manière inédite les deux approches conceptuelles que sont
l’alignement stratégique et l’AMO pour fournir un modèle unique englobant les deux grilles
d’analyse. Afin de clarifier cet élément, la contribution principale de la recherche est
schématisée dans la figure 0-2 suivante.
Introduction Générale
Source : auteur de la thèse
Sur le plan pratique, nous cherchons à montrer la manière dont la fixation des choix
organisationnels peut aboutir à des situations de désalignement entre les objectifs stratégiques
de l’organisation et les processus mis en place. De plus, cette recherche tend à souligner
l’impact des désalignements stratégiques sur la capacité, le désir et la possibilité des managers
à partager la FRH avec les spécialistes. Enfin, elle vise à fournir une réflexion sur les dispositifs
permettant l’opérationnalisation d’outils d’alignement stratégique.
Méthodologie de recherche
Pour mener à bien cette démarche, la méthode par étude de cas a été retenue. Ce choix est
justifié par le caractère exploratoire conféré par la question de recherche. L’étude de cas est une
méthode d’investigation permettant l’explication d’un phénomène par la richesse
informationnelle et par le processus de contextualisation consécutif. Elle facilitera donc
l’obtention du matériau nécessaire pour aborder les questionnements proposés. L’objectif fixé
dans la présente thèse consiste à décrire et analyser les modalités et les facteurs de succès
d’implémentation d’une orientation stratégique. Il apparait alors que seule une démarche
qualitative pourrait servir ce projet.
Le choix d’un cas unique s’est avéré également pertinent du fait de la spécificité de la question
de recherche et de l’intérêt particulier du cas. Le groupe ABC est né, en 2009, de la fusion de
deux entités : une entité A spécialisée dans l’accompagnement à l’emploi et gérant des salariés
Introduction Générale
15
de droit privé ; une entité B officiant dans le traitement et l’attribution d’indemnisations à ses
bénéficiaires. Cette fusion est particulièrement intéressante par les nombreuses implications
qu’elle comporte. Des salariés de statuts, de métiers et de cultures différents et dont les
infrastructures et les orientations stratégiques imposées par la nouvelle organisation peuvent
être perçues comme sensiblement particulières. Ces spécificités qui ont imprégné le contexte
organisationnel ont constitué autant de contraintes qui se sont imposées à ABC dans la mise en
place de leur nouveau SIRH et de leur FRH partagée. Afin de mettre en évidence la nature des
choix organisationnels stratégiques et opérationnels et l’incidence de la cohérence entre ces
derniers sur la position des managers, les données ont été collectées selon trois procédés. Une
période d’immersion de 6 mois durant l’année 2015 a permis d’observer directement le contexte
réel du personnel en situation de travail. Elle a également facilité la mise en place d’entretiens
avec les managers et les spécialistes RH. Sur la base d’un guide d’entretien, les répondants se
sont exprimés sur des thèmes ouverts en lien avec la question de recherche. L’accès facilité à
un terrain riche en informations nous a permis de rencontrer 55 répondants composés de 43
managers et de 12 spécialistes RH. Les managers sollicités dans cette recherche ont été
sélectionnés sur la base du critère d’encadrement d’équipe. Cette population intègre donc des
managers de proximité, des managers intermédiaires (responsables d’agence) et des managers
supérieurs (directeurs de territoires). La diversité des répondants (géographique, fonctionnelle,
hiérarchique) a facilité l’obtention d’une information diverse et la mise en évidence de résultats
à la fois complémentaires et divergents. Cela constitue une richesse qui a permis de stimuler la
qualité de l’analyse. Enfin, la collecte d’une documentation riche auprès des membres de
l’organisation nous a permis la constitution de données secondaires en complément de
l’information obtenue par l’intermédiaire des entretiens et des observations. Afin de garantir
l’anonymat du cas, les annexes ne comportent que peu de documents relatifs à l’organisation
étudiée.
Notre protocole de recherche, incluant les phases d’élaboration théorique, de collecte et
d’analyse des données, a été établi dans le cadre d’une méthodologie abductive. Ainsi, la
recherche se fonde sur des phases itératives d’exploration de la littérature et d’analyse des
résultats empiriques. L’étude des données a été réalisée en recourant au logiciel de traitement
NVivo 12. Une analyse heuristique par unités de sens a permis, dans un premier temps,
d’identifier les thèmes issus d’un codage ouvert. Par la suite, une analyse thématique a permis
d’identifier les désalignements organisationnels et leurs impacts sur les différentes dimensions
Introduction Générale
16
de l’AMO. La combinaison des deux niveaux d’analyse a mis en exergue les facteurs expliquant
les désalignements observés et leur influence sur le PFRH via les différentes dimensions de
l’AMO.
Plusieurs implications découlent de ce travail. Sur le plan théorique, il aboutit à la production
d’un modèle conceptuel ancré dans les théories de l’alignement stratégique (Henderson et
Venkatraman, 1989a) et de l’AMO (Appelbaum et al., 2000 ; Bos-Nehles et al., 2013 ; Gilbert
et al., 2015). Ce cadre conceptuel assoit l’intérêt de l’étude de la cohérence des choix et de leurs
impacts sur les capacités, la motivation et les opportunités de mise en place d’une orientation
stratégique. De plus, en étudiant le PFRH à travers l’usage des SI, ce travail mobilise deux
littératures très peu abordées conjointement. Sur un plan managérial, cette recherche aborde la
question de la reconfiguration des processus organisationnels (reingineering) et souligne son
importance dans une perspective d’alignement des champs décisionnels. Cette activité constitue
effectivement une ressource supplémentaire dans la mise en cohérence des infrastructures, et
notamment dans un contexte de résistance des acteurs au changement. Enfin, cette recherche
propose un outil de pilotage global basé sur l’alignement stratégique et suggère d’intégrer la
cohérence des choix dans les tableaux de bord de suivi des projets organisationnels.
Afin d’aborder le sujet et les questionnements formulés, ce travail sera structuré selon le plan
suivant (voir tableau 0-1). Dans une première partie consacrée à l’état de l’art, nous proposons
d’étudier la littérature du PFRH et nous évoquerons, particulièrement, les travaux mobilisant
l’AMO dans l’étude du succès de mise en place (Chapitre 1). Par la suite, la notion de cohérence
des choix organisationnels sera abordée par le recensement des travaux mobilisant l’alignement
stratégique (Chapitre 2). La deuxième partie du présent document sera axée sur la dimension
empirique de notre travail de recherche. Elle sera l’occasion de présenter les fondements de
l’étude de cas et de présenter le groupe ABC (Chapitre 3). Enfin, ce travail débouchera sur une
discussion des résultats obtenus et la proposition d’un modèle de recherche (Chapitre 4).
Introduction Générale
Première partie : Revue de littérature
Fondements et apports théoriques dans le champ d’étude du partage de la FRH
Chapitre 1
la mise en place par la théorie de l’AMO
Chapitre 2
stratégique des choix organisationnels sur
l’AMO
Présentation du cas et discussion des résultats de la recherche
Chapitre 3
en recherche qualitative
18
FONCTION RESSOURCES HUMAINES :
L’ALIGNEMENT STRATÉGIQUE ET LA THÉORIE DES
CAPACITÉS, MOTIVATION ET OPPORTUNITÉS
Chapitre 1 - Section 1. Partage de la fonction ressources humaines : définitions, typologies et mesures
19
du succès par la théorie de l’AMO
Section 1 - Partage de la fonction ressources humaines : définitions,
typologies et mesures
Le partage de la FRH est un champ de la littérature de la GRH qui a émergé avec la mutation
des formes organisationnelles. L’industrialisation et l’impératif de rationalisation des
ressources ont abouti à considérer l’individu comme un actif source de valeur ajoutée. Ce
dernier est appréhendé comme une véritable ressource humaine à la fois dans le champ
académique et dans la sphère de l’organisation. Deux phénomènes se sont alors opérés de
manière simultanée (Chambrier, 2000) : d’une part, la récupération par la DRH de certaines
activités en lien avec le renforcement d’un rôle plus stratégique ; et d’autre part, la
décentralisation structurelle par la relocalisation des pouvoirs dans les établissements. Ce
dernier processus, particulièrement, s’est accompagné de la décentralisation des responsabilités
RH avec des personnes extérieures au service. Elle s’est traduite par l’implication croissante et
progressive des managers de proximité dans la GRH. La littérature aborde le PFRH comme une
orientation stratégique reposant sur un double objectif : la participation des managers dans les
activités RH et leur association dans les décisions RH. L’implication des managers dans le
périmètre de la FRH a suscité une modification substantielle de leurs rôles, mais également de
ceux des spécialistes RH dont le repositionnement a été identifié comme un facteur clé de
succès du projet.
Ce partage fonctionnel est particulièrement favorisé par la mise en place des SIRH dont l’usage
à des fins transformationnelles participe à modifier l’organisation du travail. Ce chapitre sera
donc l’occasion de mettre en évidence les déterminants du PFRH, d’aborder le rôle particulier
des SIRH dans le phénomène, et enfin de montrer comment le succès de partage de la FRH a
été abordé dans la littérature.
Chapitre 1 - Section 1. Partage de la fonction ressources humaines : définitions, typologies et mesures
20
complémentaires
11. Le partage de la fonction ressources humaines : une orientation en lien
avec des traditions de gestion
La FRH peut être appréhendée comme « l’ensemble des activités destinées à fournir à
l’organisation des ressources humaines nécessaires à son développement » (Valéau, 2013,
p. 78) et est étudiée dans la littérature anglo-saxonne à travers les notions de « personnel
function » et « HR function » (Currie et Procter, 2001, p. 53). Legge (1999) identifie quatre
approches pour définir la FRH : une approche normative, une approche fonctionnelle
descriptive, une approche évaluative et une approche comportementaliste.
- La conception normative est axée sur ce que la fonction devrait être. Elle consiste à
définir les ressources et les moyens qui permettent à l’organisation d’atteindre ses buts
principaux ;
- L’approche fonctionnelle porte sur des dimensions de régulation des relations de travail.
Elle met en évidence le rôle prédominant des activités de contrôle et de négociation pour
pallier les conflits d’intérêts entre employeurs et employés ;
- L’approche évaluative critique pose le postulat de l’exploitation des employés par
l’employeur et envisage la FRH comme l’ensemble des activités qui permettent à
l’organisation de s’assurer que le personnel poursuit les objectifs ;
- L’approche « comportementale » est basée sur l’étude des comportements des
spécialistes et sur leurs effets sur l’attitude du personnel.
Ces différentes approches résumées dans le tableau 1-1 fondent des paradigmes tantôt distincts
tantôt entremêlés et influenceraient la manière dont les organisations appréhendent les rapports
en leur sein et par voie de conséquence, la manière dont les politiques et les pratiques RH
seraient définies. De même, ces approches donnent des acceptions différentes de la FRH et
impactent la manière dont elle sera étudiée dans les travaux académiques (Legge, 1999).
Chapitre 1 - Section 1. Partage de la fonction ressources humaines : définitions, typologies et mesures
21
Tableau 1-1 : Synthèse des approches de la fonction ressources humaines
Approches de la
Source : synthèse des travaux de Legge (1999)
D’une manière plus globale, la FRH concerne un ensemble de processus permettant
« l’utilisation optimale de ressources humaines dans la poursuite des objectifs de
l’organisation » (Legge, 1995, p. 3). Ces approches mettent en évidence la centralité des
ressources comme canal de l’efficacité de la GRH et de l’organisation. La FRH a également été
étudiée comme un ensemble de pratiques permettant de répondre aux objectifs de l’activité
globale de la GRH dont les principales sont le recrutement, les relations interpersonnelles, la
gestion administrative et de la rémunération, la gestion de la rétribution et de la performance,
la formation et le développement et la gestion des talents (Davis et Luiz, 2015). Ces pratiques
peuvent être regroupées en cycles tels que la sélection, la performance, l’évaluation, la
rétribution et le développement (Storey, 1992).
Cette FRH a longtemps été développée et déployée par les spécialistes RH, acteurs évoluant
exclusivement au sein d’un service RH physiquement intégré à l’organisation. Mais tout comme
le contenu de ses pratiques, la manière dont la FRH opère au sein de l’entité productive a connu
des mutations et particulièrement par l’inclusion d’acteurs non spécialisés dans son périmètre.
L’évolution de l’environnement concurrentiel des organisations a mené ces dernières à
considérer leurs RH comme une variable d’ajustement financière à travers la gestion de la masse
salariale, mais aussi comme un actif dont le développement permettrait d’être plus efficace sur
la scène de marché. Dans ce contexte, les rôles des experts RH seraient amenés à évoluer
conformément à l’analyse de Storey (1992). L’extension de la FRH aux différents niveaux de
management de l’organisation, et plus particulièrement aux responsables d’équipe, apparait
alors comme une orientation stratégique incontournable. La FRH contribue alors à la
coordination et à la canalisation des activités des managers par le travail conjoint entre ces
derniers et les experts RH. La collaboration entre les deux parties permettrait de faire émerger
Chapitre 1 - Section 1. Partage de la fonction ressources humaines : définitions, typologies et mesures
22
des effets de complémentarité. Le PFRH constitue en ce point une priorité inscrite dans l’agenda
des organisations (Schuler, 1990).
Historiquement, la littérature sur le PFRH connait ses premières contributions dans le début des
années 1990 avec des analyses descriptives sur les spécificités géographiques en Europe et
Amérique du Nord (e.g. Brewster et Larsen, 2000 ; Hoogendoorn et Brewster, 1992 ; Larsen et
Brewster, 2003) et l’étude des modalités de partage sur la performance de l’organisation (e.g.
Cascón-Pereira et al., 2006 ; Cunningham et Hyman, 1995, 1999 ; Hall et Torrington, 1998 ;
Valverde et al., 2006). Par la suite, et surtout dans le début les années 2000, les travaux se sont
davantage focalisés sur l’impact des choix organisationnels en matière de partage sur la
performance et les variables attitudinales des managers et experts RH (e.g. Alves, 2009 ; Hunter
et Renwick, 2009 ; Perry et Kulik, 2008 ; Whittaker et Marchington, 2003). La diversité des
pratiques observées dans les différentes entités ne permet que difficilement aux chercheurs de
trouver un consensus sur ce que représente concrètement le PFRH. Les travaux font état d’un
clivage entre ceux qui la considèrent comme un processus nécessitant un transfert de
responsabilités et ceux qui se focalisent sur le transfert de pouvoirs de décision vers les
responsables d’équipe.
12. Une approche axée sur la participation aux activités de gestion des
ressources humaines
Dans la littérature anglo-saxonne, les travaux reprennent le concept de partage de la fonction
en s’intéressant à la mani&e
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Le partage de la fonction ressources humaines : une étude par les théories de l’alignement stratégique et de
l’AMO youssef Souak
To cite this version: youssef Souak. Le partage de la fonction ressources humaines : une étude par les théories de l’alignement stratégique et de l’AMO. Gestion et management. Université de Bordeaux, 2020. Français. NNT : 2020BORD0109. tel-03066312
DOCTEUR DE
SPÉCIALITÉ SCIENCES DE GESTION
UNE ÉTUDE PAR LES THÉORIES DE L’ALIGNEMENT
STRATÉGIQUE ET DE L’AMO
Sous la direction de M. Olivier HERRBACH, Professeur à l’Université de Bordeaux
Soutenue le : 17 septembre 2020
Membres du jury :
M. Julien CUSIN Professeur des Universités, Université de Bordeaux - Président
Mme Anne LOUBES Professeure des Universités, Université de Montpellier- Rapporteur M. Marc VALAX Professeur des Universités, Université de Lyon - Rapporteur
M. Olivier HERRBACH Professeur des Universités, Université de Bordeaux – Directeur de recherche
Titre : Le partage de la fonction ressources humaines : une étude par les théories de l’alignement
stratégique et de l’AMO
Résumé : La gestion des ressources humaines a connu des changements importants au cours des trois
dernières décennies. Cantonnée jusqu’à lors à des activités administratives, elle évolue progressivement
en mettant au centre de ses priorités le développement et la gestion des individus alors considérés comme
une ressource pour l’organisation. Ce nouvel agenda aboutit à la mutation du périmètre de la fonction
ressources humaines (FRH) avec, notamment, l’intégration des managers comme acteurs à part entière.
En se mobilisant sur les aspects opérationnels de la fonction, ils permettent aux spécialistes RH de se
focaliser sur des activités stratégiques. Pour aborder ces enjeux, l’organisation s’appuie sur l’usage des
systèmes d’information (SI). Leur développement a justifié l’apparition de nouvelles formes de travail
telles que le partage de la FRH. Cette orientation stratégique implique la mise en place de profondes
mutations qui se soldent parfois par des échecs que certains attribuent à la cohérence des choix
organisationnels. Basée sur l’étude d’un cas, cette recherche mobilise l’alignement stratégique comme
cadre explicatif du PFRH. Les résultats montrent que la cohérence des choix organisationnels joue un
double effet sur la position des managers en contexte de PFRH. D’une part, elle influence leurs capacités
matérielles et immatérielles d’agir par un effet direct le niveau de compétences et l’accès aux tâches.
D’autre part, les résultats montrent que la cohérence des choix organisationnels agit par un effet
d’amplification sur la motivation des managers. Nos réflexions aboutissent à la formulation d’un modèle
conceptuel et à la proposition d’un outil de pilotage des projets organisationnels basé sur l’alignement
stratégique.
Mots clés : Partage de fonction – Usages des SI – Ressources Humaines – AMO – Alignement stratégique
Title : The human resources function sharing : a study through strategic alignment and AMO theories.
Abstract : The end of the twenty-first century has been filled by great changes in the human resources
function (HRF). This new agenda, lead to the integration of operational managers as new main actors.
Focusing on the operational side of the function, they permit HR specialists to focus on more strategic
roles. Sharing the HRF has needed the thinking of new infrastructure and particularly required human
the use of human resources information systems. These tools have introduced new capacities of
information manipulation, treatment and sharing. Their diffusion in management both has been
reinforced and has justified the new need for collaboration between departments. But the HRF sharing
is a strategic orientation which may result in failure. This acknowledgement questions companies about
how they coordinate their choices and how they fit them with their strategic goals. Based on a case
study, this research explores the way organizational infrastructure is deployed and the consequences of
that on the managers’ position. The aim of this work is to understand how the consistency of
organizational choices can explain the success of the HRF sharing. Results show that the consistency
may generate two effects. On the one hand, it influences their material and immaterial capacities to
implement their HR roles by a direct effect on their skills and on their access to HR tasks. In another
hand, results show that the alignment of organizational choices acts indirectly on the managers’ position
by an impact on their motivation. Our work results in formulation of a conceptual framework including
our research inputs.
Keywords : Function sharing – Human resources – IS use – AMO – Strategic alignment
Unité de recherche
35 avenue Abadie - 33072 Bordeaux Cedex
Dédicaces
À mon épouse pour son soutien indéfectible
À mes tantes, mes amis et ma famille qui m’ont soutenu dans ce voyage
À ma grand-mère dont les espoirs nourrissent encore nombre de mes efforts
Remerciements
À l’issue de ce travail, je tiens à exprimer mes remerciements et ma gratitude à l’ensemble des acteurs qui
sont intervenus d’une manière ou d’une autre dans mon parcours. Alors que la thèse se veut être un exercice
solitaire, il faut reconnaitre que dans les faits, nombreux sont les acteurs qui apportent de précieuses
contributions à sa réalisation.
Mes remerciements vont tout d’abord à mon directeur de recherche, le Professeur Olivier HERRBACH pour
son suivi, son expertise et son accompagnement dans l’accès à un terrain d’étude riche en informations. Je
tiens également à remercier mesdames Dhiba LHAJJI et Laïla BENRAÏSS-NOAILLES pour leur
disponibilité, leurs précieux conseils et leur accompagnement durant ce parcours. Le soutien et la
bienveillance dont j’ai pu bénéficier de la part de mon équipe de recherche ont participé à faciliter mon
expérience doctorale et ont considérablement renforcé mon appétence pour l’enseignement et la recherche.
Je souhaite également adresser mes remerciements aux Professeurs Anne LOUBES et Marc VALAX qui ont
accepté d’être rapporteurs de cette thèse et qui ont, de ce fait, manifesté un intérêt particulier au présent
travail. Je remercie également le Professeur Julien CUSIN qui a accepté de participer au jury de cette thèse.
Je tiens également à remercier le département de l’IUT Techniques de Commercialisation de Bordeaux qui
a soutenu le déroulement de mes activités de recherche en me proposant un contrat d’ATER. Mes pensées
vont particulièrement à Monsieur Bernard ANDRUCCIOLI pour son accueil, sa bienveillance et sa passion
de l’enseignement. Je souhaite aussi évoquer le rôle de Christine GEORGET qui a participé à nourrir ma
réflexion à de multiples occasions et qui a toujours manifesté un grand intérêt pour ce travail. Je remercie
également toutes les personnes de l’entreprise ABC, qui ont accepté de m’accorder leur temps et qui m’ont
permis de collecter des informations riches et utiles à mon travail.
Je souhaiterais également souligner la contribution incontournable de ceux qui ont su appuyer mon travail
par leurs conseils ou leurs relectures. Je tiens particulièrement à remercier Mariyam LAKHAL, Razika
DAUT, Khalil AÏT-SAÏD, Laure BERTHELET, Anne LUCAS, Elodie CHABROUX, Fédérica
ANTONAGLIA, Linda GONZALES-LAFAYSSE, Lionel CHAMBRIER et Abdé RCHOUK.
Cette aventure a également été l’occasion de créer ou renforcer de précieux liens d’amitié au sein du
laboratoire de recherche. Mes pensées vont à mes camarades Chafik, Salma, Warda, Karen, Claudia,
Médéssè, Hayat et Alvaro pour leur présence lors de ce cheminement.
Enfin, j’adresse mes derniers mots à ma famille pour tous ces sacrifices consentis. Je remercie mon épouse
Leyla pour son soutien moral et ses encouragements. Je remercie mes petites filles qui, malgré elles, ont été
une source intarissable d’espoir. Enfin, je remercie mon père, mes tantes, mes proches pour leur aide et leur
soutien.
i
SOMMAIRE
LISTE DES TABLEAUX ...................................................................................................................................... III
LISTE DES FIGURES ............................................................................................................................................ V
LISTE DES ANNEXES ........................................................................................................................................ VII
BIBLIOGRAPHIE .............................................................................................................................................. 283
ANNEXES .......................................................................................................................................................... 298
BPR : Business process reengineering
DG : Direction générale
DR : Direction régionale
DT : Direction territoriale
EP : Entretien professionnel
HR : Human resources
RH : Ressources humaines
SI : Systèmes d’information
TI : Technologie de l’information
TIC : Technologies de l’information et de la communication
iii
Tableau 0-1 : Plan schématique de la thèse.......................................................................................................... 17
Tableau 1-1 : Synthèse des approches de la fonction ressources humaines ........................................................ 21
Tableau 1-2 : Usages du SIRH et effets sur les processus organisationnels .......................................................... 49
Tableau 3-1 :Justification de l’étude de cas ........................................................................................................ 128
Tableau 3-2 : Composition des domaines stratégiques ...................................................................................... 146
Tableau 3-3 : Grille d’analyse du fit stratégique ................................................................................................. 147
Tableau 3-4 : Design de la recherche .................................................................................................................. 152
Tableau 3-5 : Processus de formation ................................................................................................................. 172
Tableau 4-1 : Agrégation des résultats d’alignement entre les compétences et savoirs et les objectifs
du PFRH ............................................................................................................................................................... 187
Tableau 4-2 : Effets du désalignement entre niveau de formalisation et objectifs stratégiques sur l’AMO ...... 191
Tableau 4-3 : Effets du désalignement entre les conditions matérielles et la participation aux activités RH
sur l’AMO ............................................................................................................................................................ 195
Tableau 4-4 : Effets du désalignement entre valorisation du PFRH et objectifs stratégiques du PFRH sur
l’AMO .................................................................................................................................................................. 198
Tableau 4-5 : Synthèse des résultats de l’alignement des infrastructures organisationnelles ........................... 199
Tableau 4-6 : Agrégation des résultats d’alignement entre les infrastructures organisationnelles et les
objectifs du PFRH ................................................................................................................................................ 200
Tableau 4-7 : Effet du désalignement entre le niveau de préparation du contexte RH et des objectifs
stratégiques sur l’AMO ....................................................................................................................................... 205
Tableau 4-8 : Effets du désalignement entre les rôles des spécialistes RH et les objectifs stratégiques
sur l’AMO ............................................................................................................................................................ 210
Tableau 4-9 : Effets du désalignement entre la centralisation des procédures et les objectifs stratégiques sur
l’AMO .................................................................................................................................................................. 214
Tableau 4-10 : Agrégation des résultats d’alignement entre les processus de travail et les objectifs
du PFRH ............................................................................................................................................................... 215
Tableau 4-11 : Synthèse des effets des dysfonctionnements sur la facilité d’usage et l’utilité perçues ............ 225
Tableau 4-12 : Effets du désalignement entre les infrastructures organisationnelles et les processus SI ......... 229
Tableau 4-13 : Objectifs du partage de la FRH .................................................................................................... 231
Tableau 4-14 : Effets du désalignement entre les infrastructures organisationnelles et celles des systèmes
d’information ...................................................................................................................................................... 237
Tableau 4-15 : Effets du désalignement entre les infrastructures et processus organisationnels et les
compétences SI ................................................................................................................................................... 242
Tableau 4-16 : Synthèse des alignements entre les composantes du domaine stratégique et du domaine
des infrastructures organisationnelles ................................................................................................................ 245
du système d’information ................................................................................................................................... 247
Tableau 4-18 : Synthèse des éléments de succès de partage de la FRH ............................................................. 253
Tableau 4-19 : Disparité de perceptions du partage de la fonction ressources humaines entre managers
stratégiques et managers de proximité .............................................................................................................. 257
v
Figure 0-2 : Contribution principale de la recherche ............................................................................................ 14
Figure 1-1 : Matrice des rôles des responsables RH de Storey (1992) .................................................................. 32
Figure 1-2 : Matrice des rôles de la fonction RH de Ulrich (1998) ........................................................................ 34
Figure 1-3 : Les stades de l’usage des systèmes d’information ............................................................................ 47
Figure 1-4 : Effet de la qualité du système et de l’information sur la satisfaction et l’utilisation des systèmes
d’information ........................................................................................................................................................ 52
Figure 1-5 : Évaluation du succès de partage de la FRH par le GAP ...................................................................... 64
Figure 2-1 : L’effet indirect des pratiques de GRH sur la performance productive .............................................. 69
Figure 2-2 : Synthèse des déterminants des capacités de partage de la FRH ....................................................... 75
Figure 2-3 : Synthèse des déterminants de la motivation de partage de la FRH .................................................. 78
Figure 2-4 : Effet de la distribution de l’influence sur le lien intégration-performance ....................................... 86
Figure 2-5 : Synthèse des déterminants de l’opportunité de partage de la FRH .................................................. 87
Figure 2-6 : Les domaines stratégiques de l’organisation ..................................................................................... 94
Figure 2-7 : Composition des domaines stratégiques externes ............................................................................ 96
Figure 2-8 : Composition des domaines stratégiques internes ............................................................................. 98
Figure 2-9 : Modèle de l’alignement stratégique d’Henderson et Venkatraman (1993) ...................................... 99
Figure 2-10 : Les perspectives d’alignement stratégique ................................................................................... 101
Figure 2-11 : Représentation des objectifs stratégiques du partage de la FRH .................................................. 113
Figure 2-12 : Composition des infrastructures et processus organisationnels ................................................... 114
Figure 2-13 : Proposition d’étude de l’alignement des domaines du partage de la FRH .................................... 115
Figure 2-14 : Impact des choix organisationnels sur l’implémentation des pratiques RH .................................. 116
Figure 2-15 : Impact de l’alignement des choix organisationnels sur le PFRH .................................................... 116
Figure 3-1 : Processus de codage et de production d’une grille d’analyse mixte ............................................... 143
Figure 3-2 : Domaines et alignements explorés dans le cadre de la recherche .................................................. 146
Figure 3-3 : Organisation du département ressources humaines d'ABC ............................................................ 154
Figure 3-4 : Chaine de communication entre les acteurs du projet SIRH ........................................................... 161
Figure 3-5 : Acteurs du déploiement opérationnel de l’outil .............................................................................. 162
Figure 3-6 : Composition du système d'information ressources humaines ........................................................ 165
Figure 3-7 : Représentation des modules du progiciel intégré au sein d’ABC .................................................... 166
Figure 4-1 : Étude du fit stratégique ................................................................................................................... 182
Figure 4-2 : Étude de l’alignement vertical entre compétences et savoirs et objectifs stratégiques
du PFRH ............................................................................................................................................................... 183
stratégiques du PFRH .......................................................................................................................................... 188
Figure 4-4 : Étude de l’alignement vertical entre processus de travail et objectifs stratégiques du PFRH ......... 201
vi
Figure 4-5 : Étude de l’intégration stratégique ................................................................................................... 216
Figure 4-6 : Étude de l’alignement horizontal entre les infrastructures et processus organisationnel et les
infrastructures des SI .......................................................................................................................................... 216
Figure 4-7 : Étude de l’alignement entre les infrastructures et processus organisationnels et les
processus des SI .................................................................................................................................................. 230
Figure 4-8 : Étude de l’alignement entre les infrastructures et processus organisationnels et les
compétences SI ................................................................................................................................................... 237
Figure 4-9 : Modèle de la recherche .................................................................................................................. 271
Figure 4-10 : Outil de diagnostic et de rétroaction de l’alignement stratégique organisationnel ...................... 277
Annexe 2 : Guide d’entretien manager ............................................................................................................... 303
Annexe 3 : Liaisons fonctionnelles du système d’information global ................................................................. 306
Annexe 4 : Extrait du plan stratégique abordant le processus de déconcentration ........................................... 307
Introduction Générale
1
INTRODUCTION GÉNÉRALE S’il y a des choses que l’on partage volontiers, il est des acquis que l’on souhaiterait bien garder.
À ce sujet, un des illustres ministres de la République française a tenté la démonstration d’une
assertion éprouvée par l’expérience d’une vie : « le pouvoir ne se partage pas »1.
Actualité et intérêt du sujet
La gestion du personnel, pièce maîtresse de la coordination du travail dans l’organisation,
semble avoir toujours fait partie intégrante du management d’équipe. Elle a toutefois pris des
formes et une importance différentes selon les contextes géographiques et temporels.
Tyson (1987) propose de s’intéresser aux bouleversements économiques, sociaux et politiques
qui ont atteint les entités productives et de pointer leurs conséquences sur les rapports de travail
et sur la fonction ressources humaines (FRH).
Le 18e siècle a tout d’abord été marqué par une industrialisation croissante des économies, qui
s’est accompagnée du développement des entreprises et du recours à une main d’œuvre peu
qualifiée. À partir du début du 20e siècle, l’obsolescence du capital technique, induite par un
manque d’investissement dans les capacités productives, a entrainé une perte d’efficacité dans
la plupart des industries occidentales. Cela s’est traduit par l’augmentation drastique du
chômage et par la modification de la structure du travail entre emplois qualifiés et non qualifiés.
Sur le plan productif, l’intensification de la rivalité concurrentielle souligne l’importance de la
relation établie avec le client. Le positionnement par rapport à la valeur de l’argent évolue, et
ce, même dans le secteur public qui cherche à rééquilibrer ses comptes par l’amélioration de
son efficacité productive. Cette nouvelle manière de voir l’entreprise a participé au
renforcement d’une logique financière de gestion. Cette dernière serait alors caractérisée par
une insécurité professionnelle croissante, des prises de risques disproportionnés et une
flexibilisation accrue de la masse salariale (Tyson, 1987).
En matière de gestion des ressources humaines (GRH), les différentes problématiques
économiques rencontrées par les organisations dans la fin des années 1970 ont justifié une
intensification de la formulation stratégique et un regain d’intérêt pour les politiques du
1Dans un ouvrage paru aux éditions Fayrard en 2009, Edouard Balladur décrit la période délicate où il était Premier ministre de François Mitterrand. Dans ce récit, il montre l’opposition tenace, mais passive, des deux hommes politiques. Celle-ci a marqué leur relation durant tout le mandat présidentiel. Ce rapport de force a poussé E.Balladur à poser cette assertion forte : le pouvoir ne se partage pas.
Introduction Générale
2
personnel. Selon Tyson (1987), les changements dans le paysage économique et industriel se
sont accompagnés d’un basculement des modèles de GRH mis en place. On passe d’une logique
de gestion des forces de travail à une logique de développement du capital humain justifiant la
redéfinition des objectifs et des moyens d’action de la GRH. Cette dernière occupe une place
de plus en plus importante dans les fonctions de gestion de l’organisation.
Ces évolutions ont finalement contribué à actionner deux mécanismes institutionnels
simultanés : l’intégration stratégique de la GRH et le partage de la fonction ressources humaines
(Chambrier, 2000 ; Loubes, 1998).
L’intégration stratégique désigne le processus d’association d’un ou plusieurs membres de la
DRH dans les décisions organisationnelles. Il s’agit d’une dynamique de déplacement de la
GRH à un niveau plus stratégique qui est justifié par des principes de rationalisation
économique. La masse salariale et les objectifs de productivité étant devenus de véritables
enjeux de performance, l’intégration de la GRH au sein des activités stratégiques s’est imposée
comme une priorité de l’agenda organisationnel. D’un autre côté, même si les responsables des
ressources humaines souhaitent orienter un peu plus leur fonction vers une finalité de conseil
stratégique, la tâche s’avère difficile, car ils conservent une certaine dépendance fonctionnelle
rendant cette mission illusoire. La position des spécialistes RH a toujours été identifiée comme
ambigüe, ces derniers étant prostrés entre la nécessité de servir loyalement les objectifs
organisationnels et celle de répondre aux attentes managériales (Tyson, 1987).
Le partage de la fonction ressources humaines (PFRH) favorise l’intégration de nouveaux
acteurs, qu’ils soient à l’extérieur de l’organisation ou en son sein. Ce dernier cas,
particulièrement intéressant dans le cadre de ce travail, a trait au redéploiement du champ en
interne et implique les managers dans la GRH de l’organisation. Cette extension de la fonction
concourt initialement à une meilleure connaissance de la gestion locale des effectifs et à une
plus grande anticipation des tendances économiques et sociales. Mais ses finalités basculent
rapidement vers la nécessité de rationaliser les moyens de production (Loubes, 1998).
Le repositionnement progressif de la DRH et l’intégration de nouveaux acteurs au sein de sa
fonction ont permis aux managers de proximité de prendre de plus en plus de responsabilités
dans la GRH. Que ce soit sur le plan académique ou empirique, l’intérêt porté au phénomène
de PFRH se développe à partir des années 2000. Pourtant, Schuler proposait déjà en 1990 de
voir la GRH autrement. Il incitait à la considérer comme une activité de coordination et de
Introduction Générale
3
canalisation des attributions des managers par le travail conjoint de ces derniers avec les
spécialistes RH. La collaboration entre les deux parties permettrait, effectivement, de faire
émerger des effets de complémentarité bénéfiques pour l’organisation.
Mais partager la FRH constitue également un enjeu du point de vue managérial. Dans les années
1980, plusieurs rapports voient le jour dans le cadre du mouvement de la décentralisation et
encouragent l’enrichissement des tâches du manager qui devient responsable de son unité et de
ses RH. Ces nouvelles attributions permettraient alors au manager de proximité de renforcer
ses leviers d’action et de devenir l’acteur le plus pertinent pour relever ces nouveaux défis
organisationnels.
Valéau (2013) définit la FRH comme « l’ensemble des activités destinées à fournir à
l’organisation les ressources humaines nécessaires à son développement » (p. 78). Cette
définition propose une approche globale axée sur l’atteinte de l’objectif de développement de
l’organisation. La FRH est alors un outil permettant d’assurer le lien entre l’entité et sa force
de travail. Dans la littérature, la diversité des définitions proposées pour caractériser le PFRH
montre que cette pratique traduit une réalité plurielle. Certaines recherches étudient une forme
de partage fonctionnel à travers la notion de « décentralisation » (Azémar de Fabrègues, 1992
; Chambrier, 2000 ; Loubes, 1998). Celle-ci renvoie au processus par lequel les centres de
commandements sont délocalisés à des agents ou entités situés à une échelle plus locale. Le
phénomène est alors empreint à une tension issue de la volonté de rendre plus rapide la prise de
décisions d’une part, et d’autre part, la crainte des décisionnaires de subir une fuite de pouvoirs.
Hall et Torrington (1998) évoquent une certaine confusion entre le PFRH et la décentralisation.
Ils tiennent alors à souligner que cette dernière recouvre un processus de transfert d’une
fonction centralisée vers des experts situés à des niveaux plus bas dans l’organisation. Le PFRH,
est quant à lui, évoqué comme un processus qui aboutit à l’implication de nouveaux acteurs,
potentiellement novices, et qui sont rattachés à une autre fonction principale. L’importance de
la distinction entre les deux notions est justifiée par les implications et réalités qui en découlent.
Comme ces objets sont proches et sont souvent utilisés de manière interchangeable (Chambrier,
2000), il conviendra dans le corps des développements d’en éclaircir les contours et d’en lever
l’ambiguïté définitionnelle.
Les définitions concernant le PFRH sont rares et les travaux prenant cette pratique comme objet
y font davantage référence de manière implicite. Dans une des recherches incontournables sur
Introduction Générale
4
le sujet, Heraty et Morley (1995) définissent le PFRH comme « le degré avec lequel les
pratiques de développement RH impliquent et donnent des responsabilités aux managers de
proximité davantage qu’aux spécialistes » (p. 31). Cette définition propose d’appréhender le
phénomène comme le lieu d’exercice d’un rapport de force. Pour qu’il y ait partage, il faudrait
que la GRH relève davantage de la responsabilité des managers que de celle des spécialistes.
Une définition moins restrictive vise à appréhender le PFRH comme « l’allocation, a des
parties de l’organisation plus localisées, de tâches précédemment à la charge de spécialistes
du personnel » (Hoogendoorn et Brewster, 1992, p. 4). Il s’agirait donc de transférer un certain
nombre de tâches RH aux managers. Dans cette approche, la nécessité de renversement du
rapport de force s’efface. Les définitions proposées du partage en font à la fois une orientation
stratégique et en dictent les implications opérationnelles. Mais il apparait qu’une partie d’entre
elles occulte largement le transfert de pouvoir et réduit le partage à un transfert de tâches à
réaliser. Or, dans le sens commun, « partager » possède à la fois une acception liée à l’inclusion
(partager avec d’autres), et un sens faisant intervenir la répartition et la division d’un ensemble
en sous-ensembles plus petits (céder à d’autres)2. Négliger cette deuxième approche revient à
occulter une réalité non des moindres : la dépossession. Appliquée à l’étude du PFRH, cette
dernière approche a trait à un phénomène d’ampleur. Il s’agit de la perception, par certains
acteurs, de l’amputation de leurs pouvoirs par l’inclusion d’un plus grand nombre (Loubes,
1998) et pourrait aboutir au développement de rapports interindividuels conflictuels
(Chambrier, 2000). C’est pourquoi Loubes (1998) axe son approche du partage sur la délégation
du pouvoir de décision et en fait le levier de mobilisation des managers : « le partage de la
GRH repose essentiellement sur le partage des décisions visant à impliquer les responsables
opérationnels » (p. 67).
Cette approche souligne l’importance particulière de la dimension décisionnelle dans le
phénomène. Elle en fait non seulement partie, mais elle permet surtout d’impliquer les
managers dans le champ de la GRH. La prise en compte de ces deux dimensions (le transfert
de responsabilités et le pouvoir de décision) est d’ailleurs identifiée comme une condition sine
qua non à l’acceptation par les managers de leurs nouvelles responsabilités et à la mise en place
effective des activités RH (Hall et Torrington, 1998).
2 Éléments issus de la recherche « Partager » dans le Petit Larousse illustré 2019 (Edition 2019). Larousse.
Introduction Générale
5
Problématique
Depuis les années 1990, une littérature importante a émergé pour expliquer la genèse du PFRH
avec les managers (e.g. Brewster, Larsen et Trompenaars, 1992 ; Colling et Ferner, 1992 ;
Hoogendoorn et Brewster, 1992, 1992). Ces recherches visent à montrer les fondements de
cette nouvelle orientation stratégique de la GRH, proposent des études descriptives
comparatives entre les pays et les secteurs d’activités et tentent de mettre en lumière les facteurs
qui en facilitent ou en freinent la mise en place.
Il en résulte que la GRH implique un plus grand nombre d’acteurs et voit le périmètre de sa
fonction s’élargir et se transformer. Les professionnels RH officiant au sein de l’organisation
et dont le cœur de métier consiste à fournir une expertise en la matière ont longtemps été
considérés comme les uniques protagonistes de la FRH. Mais ils n’officient plus seuls et doivent
accepter et intégrer la mutation de leur fonction. Ils seront désignés dans cette recherche comme
les « spécialistes RH » ou les « experts RH ». Le détachement de ces derniers de certaines
opérations pour les affecter au niveau de la gestion opérationnelle souligne le rôle central des
managers de proximité dans ce nouveau chainage de la GRH. Il participerait, effectivement, à
la transformation des politiques RH en « théories en action » (Thornhill et Saunders, 1998, pp.
462-463). Dans ce cadre, les résistances que pourraient manifester les responsables d’équipe à
l’encontre de l’organisation pourraient aboutir à diluer, si ce n’est à anéantir, les tentatives de
traduction des politiques définies en pratiques réelles. Par sa dimension stratégique et
l’ensemble des implications opérationnelles qu’il peut générer, le PFRH est identifié comme
une caractéristique clé du management stratégique des RH (Tabassum Azmi, 2010).
En tout état de cause, le PFRH s’est imposé comme une orientation ancrée dans les mutations
économiques, mais surtout technologiques du contexte organisationnel. Il va sans dire qu’il
induit une plus grande transversalité dans le travail, nécessitant la mise en place d’outils
permettant la collaboration au sein et entre les équipes. Depuis les années 1990, le PFRH a été
facilité, si ce n’est propulsé, par le développement massif des technologies de l’information et
de la communication (TIC). En retour, ces nouvelles réorganisations du travail, basées sur la
collaboration et l’échange, ont également justifié la conception de systèmes d’information
puissants. Des dispositifs sont alors créés pour faciliter le transfert d’informations au sein de
l’organisation. Dans le champ de la GRH, ces nouvelles interactions sont étudiées à travers la
notion de « e-HRM » pour « electronic human resources management » (Grant et Newell,
2013). Ces vastes réseaux de communication et d’information numériques intègrent dans leur
Introduction Générale
6
champ le système d’information ressources humaines (SIRH) qui est défini comme un
« système utilisé pour acquérir, stocker, manipuler, analyser, retraiter et distribuer de
l’information pertinente au sujet des ressources humaines d’une organisation »3 (Tannenbaum,
1990, p. 260).
Participant à la modernisation et à l’optimisation de la GRH, les SIRH sont aussi élaborés dans
une finalité collaborative. Partant de ce constat, Grant et Newell (2013) les définissent comme
des objets permettant « de mettre en place l’automatisation et la délégation de nombreuses
routines administratives traditionnellement assurées par les départements RH » (p. 187). Dans
ce cadre, l’intégration du SIRH dans la gestion du personnel est devenue un moyen de
modernisation et d’optimisation de la GRH. L’usage de ces systèmes par les managers peut
même faire partie des buts de PFRH. Cette approche du SIRH laisse émerger un double objectif
particulièrement intéressant dans le cadre de la présente recherche. D’une part, elle pose les
finalités du système qui sont articulées autour des processus facilitant la manipulation de
l’information. D’autre part, elle met en évidence le véritable rôle d’outil au service du projet de
partage fonctionnel.
Ces constatations ont naturellement mené les chercheurs du champ à s’intéresser aux facteurs
favorisant la réussite des projets liés aux SI. Longtemps focalisée sur les dimensions techniques
de ces outils, la recherche dans ce champ a progressivement évolué depuis le début des années
2000, pour intégrer les dimensions sociale et organisationnelle dans son spectre d’analyse. Ces
préoccupations ont notamment été abordées à travers l’étude de l’usage des SI. Pour DeSanctis
et Poole (1994), par exemple, la mise en place d’un SI consiste à définir les caractéristiques
fonctionnelles ou techniques, mais aussi son « esprit ». L’usage est appréhendé comme la
manière dont une technologie est utilisée. L’introduction de cette notion d’usage des SI permet
d’intégrer des dimensions sociales et humaines absentes jusqu’à lors dans les travaux. Mais ce
basculement s’inscrit dans un changement paradigmatique plus profond. Les recherches se
détachent d’une perspective purement technique pour épouser un courant sociotechnique
propulsé par les travaux d’Orlikowski (1992). Les SI y sont considérés comme des dispositifs
sociotechniques servant de supports à la réalisation des tâches et des processus dans les
organisations. Ils font évoluer et évoluent eux-mêmes avec la sphère sociale. On ne se demande
3 Traduction Personnelle : « In its most basic form HRIS is a system used to acquire, store, manipulate, analyze, retrieve and distribute pertinent information about an organization’s human resources. It is often regarded as a service provided to an organization in the form of information ».
Introduction Générale
alors plus « comment fonctionnent-ils ? », mais « comment sont-ils utilisés ? ». Ce changement
épistémique se base sur le postulat que les usages des SI sont fondamentalement influencés par
le contexte technologique et social de l’entité.
Ces interactions entre les dimensions techniques et sociales du développement de projets SI ont
largement été discutées dans les travaux épistémiques relatifs aux systèmes d’information. Sur
le plan organisationnel, les questions se cristallisent sur la propension de ces technologies et de
ses applications à structurer l’espace de travail et les relations entre les individus et à créer des
rigidités non prévues. Implémentées dans un contexte de changement stratégique, ces nouvelles
technologies peuvent alors contribuer à renforcer les difficultés d’appropriation des enjeux
directement liés à la production.
D’un point de vue stratégique, les échecs de projets SI sont nombreux alors que les
investissements sont importants. Orlikowski (1992) évoque un paradoxe de la productivité des
TIC pour souligner l’absence ou la faible corrélation positive entre les investissements et les
résultats de performance. Les retours sur investissement attendus en matière de qualité ou de
productivité du travail, de suppression des tâches fastidieuses et répétitives ou même d’accès
plus rapide à l’information sont parfois bien en deçà des espérances. Cela provoquerait alors
déceptions et interrogations des décideurs quant à la pertinence des choix technologiques
effectués.
Parallèlement à cela, certaines observations du PFRH intriguent les chercheurs. Alors que des
auteurs concluent à des effets positifs de l’association des responsables d’équipe, tels que le
renforcement des leviers managériaux (e.g. Currie et Procter, 2001 ; Heraty et Morley, 1995 ;
Ryu et Kim, 2013), une frange importante de la littérature met en évidence des problématiques
dans la mise en place effective d’une fonction partagée (e.g. Cascón-Pereira, Valverde et Ryan,
2006 ; Colling et Ferner, 1992 ; Harris, Doughty et Kirk, 2002). Les résultats mettent en cause
la pertinence des choix stratégiques et organisationnels sur la capacité des managers à assurer
sereinement les responsabilités proposées, ce qui aboutit à des situations de décalages entre les
objectifs initiaux et les configurations finales (Bos-Nehles, Van Riemsdijk et Kees Looise,
2013 ; Dietrich, 2009). Les mutations des rôles des managers proviennent alors de changements
imposés par de nouveaux modèles de management. Ces changements ne sont pas souhaités ni
même négociés avec les acteurs, ce qui participe à remettre en cause le partage effectif de la
FRH (Fenton-O’Creevy, 2001).
8
Ces problématiques de partage sont encore éminemment d’actualité. En juillet 2019, un rapport
de l’Observatoire de l’Engagement4 pointait le « paradoxe du manager de proximité ». Alors
que le manager semble constituer le maillon essentiel dans la poursuite des nouveaux enjeux
de la GRH, le manque de moyens et d’importance accordés à l’orientation du PFRH tend à en
freiner le développement. La gestion critiquable de la nouvelle posture des responsables
d’équipe par l’organisation laisse émerger des problématiques profondes de tensions de rôle et
altère leur engagement dans l’organisation. Les auteurs du rapport mettent en cause l’incapacité
des organisations à faire du rôle RH des managers une priorité. Il apparait alors que, dans les
faits, la prise en main de leur nouvelle fonction reste limitée, rendant ces nouvelles
organisations figées au stade de la théorie. Les conclusions de ce rapport sont donc un pied de
nez fait au travail de Peretti (2012) qui exhortait dans son bien connu ouvrage « Tous DRH »
l’inévitable et universelle conversion des managers aux métiers de la gestion des ressources
humaines.
Or, l’implémentation effective de cette orientation est considérée comme une condition
nécessaire à l’efficacité de la GRH (Grant et Newell, 2013). Les recherches se sont alors
focalisées sur les facteurs qui déterminent le succès du partage. Ce dernier est étudié dans la
littérature à travers la notion d’implémentation de la FRH par les managers. Trullen, Stirpe,
Bonach et Valverde (2016) le définissent ainsi : « l’implémentation efficace est le
chevauchement idéal entre les pratiques attendues et celles réellement mises en place.
Inversement, une implémentation inefficace a lieu lorsque les pratiques RH sont partiellement
mises en place, introduites d’une manière incohérente avec l’objectif initial, ou ne sont pas du
tout mises en place »5 (p. 451). Dans cette approche, le succès peut s’évaluer à travers l’écart
entre le projet initial de partage et la configuration réellement observée sur le terrain. Les
auteurs ayant traité ce sujet se sont alors questionnés sur les causes de tels décalages dont
certains entravent la réussite du projet. Dans les faits, les mutations dans la fonction managériale
se sont également accompagnées de tensions entre les logiques de GRH et de production. Hall
et Torrington (1998), par exemple, montrent que les spécialistes RH développent une attitude
dissonante. Malgré leur conviction de la contribution du partage du champ à la performance de
4 L’observatoire de l’engagement (2019), Managers de proximité et dynamiques d’engagement : discours et réalité des pratiques, Université Paris Dauphine, http://observatoire-engagement.org/wp- content/uploads/2019/07/Etude-Managers-de-proximit%C3%A9-2019.pdf 5 Traduction personnelle : « An HRP is effectively implemented when there is an ideal overlap between intended and actual practices. Conversely, ineffective implementation occurs when the HRPs are only partially implemented, introduced in ways that are inconsistent with their initial intent, or not implemented at all ».
Introduction Générale
9
leur fonction, ils développent des mécanismes de résistance lorsqu’il faut se détacher de
certaines activités opérationnelles. L’attrait pour ces responsabilités ou la peur de dilution de
l’approche RH seraient avancés pour justifier les craintes quant à cette nouvelle forme
d’organisation. Ces facteurs agissent sur la capacité de l’organisation à impliquer les managers
dans le PFRH tant et si bien que les situations résultantes relèvent davantage d’une relation
transactionnelle que d’une réelle délégation des responsabilités (Currie et Procter, 2001). Ainsi,
il apparait de nombreux décalages entre les objectifs stratégiques du PFRH et les choix faits par
l’organisation pour accompagner cette orientation. Ces écarts créent des situations où les
managers ne se sentent pas en mesure cognitive d’atteindre les objectifs, n’en ont pas les
moyens matériels et/ou ne sont pas dans des conditions les incitant à le faire. Par exemple,
certains d’entre eux reprochaient aux spécialistes RH de ne pas être eux-mêmes prêts pour les
changements que cette réorganisation implique (Davis et Luiz, 2005). Ces experts représentent
pourtant l’organisation et sont censés défendre les changements qu’elle porte. Le manque de
connaissance et la déconnexion vis-à-vis des réalités productives, ou encore la mise en place de
barrières à l’autonomie managériale sont évoqués pour illustrer l’incohérence entre les
ambitions posées par le projet de PFRH et les infrastructures en place pour les supporter
(Whittaker et Marchington, 2003). Ces résultats suggèrent alors que des choix organisationnels
peuvent être inadaptés aux finalités poursuivies. Or, le PFRH est un processus qui implique des
changements importants, tant pour les spécialistes RH que pour les managers. En tant
qu’orientation stratégique, il implique des modifications profondes dans l’identité de la FRH,
nécessite un accompagnement des acteurs (Hall et Torrington, 1998) et un déploiement de
moyens suffisants pour soutenir ces changements (Dietrich, 2009).
Des travaux s’intéressant à cette problématique suggèrent que le partage effectif de la FRH
pourrait être affecté par la capacité de l’organisation à assurer le développement des
compétences des managers, à intégrer des incitations motivantes et enfin, à mettre en place des
espaces suffisants pour le faire (Bos-Nehles et al., 2013 ; Gilbert, De Winne et Sels, 2015 ;
Trullen et al., 2016). De ces constats, se développe un cadre théorique visant à étudier le succès
de mise en place du PFRH. Dans le prolongement de la théorie des attentes de Vroom (1964),
puis du travail fondateur d’Appelbaum (2000), la communauté de l’AMO (Ability, Motivation,
Opportunity) met effectivement en évidence l’impact des choix organisationnels sur le
comportement des collaborateurs dans une situation d’action. Plus précisément, ces travaux
montrent que les décisions de l’organisation affectent le comportement individuel en impactant
Introduction Générale
les capacités (Ability), la motivation (Motivation) et les opportunités (Opportunity) qu’ont les
managers d’agir. Bien que cette approche théorique soit largement éprouvée dans le champ de
la gestion des organisations, ses applications en GRH et plus particulièrement à l’étude du
PFRH soulèvent encore de vifs questionnements (voir Bos-Nehles et al., 2013 ; Gilbert, De
Winne et Sels, 2015 ; Trullen et al., 2016).
Aussi, les réflexions en amont ont mis en évidence l’intérêt académique et pratique pour les
SIRH, et particulièrement en contexte de partage fonctionnel. Le recours croissant aux SIRH
dans les organisations soutient le développement du phénomène de PFRH sur les plans
stratégique et opérationnel. Cependant, de nombreux travaux montrent que la mise en place
d’un SIRH fait également émerger des questionnements liés à la technicité de l’outil, mais aussi
à ses influences organisationnelles plus générales. Lorsqu’elles sont insuffisamment maîtrisées,
les contraintes liées aux SI favorisent une déviation des usages (De Vaujany, 2006) et
potentiellement un échec de collaboration (Oueslati, 2011). De manière paradoxale, certains
travaux montrent que la mise en place de SI aboutit parfois au développement de conflits
verticaux et d’une centralisation accrue des processus organisationnels, alors même que leur
vocation était de décentraliser la structure et de favoriser la collaboration (Besson, 1999).
Comment expliquer alors, qu’au-delà de manquer l’objectif initial, une organisation soit
amenée à produire des résultats contraires à ceux qui étaient attendus ? Des travaux portant sur
la question mettent en évidence le rôle de la cohérence des choix organisationnels dans les
problématiques constatées.
En 1989 puis en 1993, Henderson et Venkatraman réalisent des travaux majeurs visant à établir
un lien entre la cohérence des choix de l’organisation et la performance de cette dernière. Ils
proposent le modèle de l’alignement stratégique pour expliquer l’efficacité des investissements
réalisés en matière de technologies de l’information. Le travail des deux auteurs est guidé par
une question insoluble : « Pourquoi les dépenses en technologies de l’information et de la
communication ne produisent-elles que de faibles résultats, alors même que les investissements
initiaux sont conséquents ? ». L’observation de plusieurs entreprises américaines les mène à
mettre en avant une problématique d’alignement stratégique. Les unités qui montrent le plus de
cohérence dans leurs choix seraient les plus productives. La performance pourrait alors
s’expliquer par un double mécanisme (figure 0-1) :
Introduction Générale
- Un alignement horizontal des choix stratégiques : entre la stratégie générique (business)
et celle des technologies de l’information (TI) d’une part, et d’autre part, entre les
infrastructures business et celles des TI ;
- Un alignement vertical des choix stratégiques : d’une part entre les choix de stratégie
générique avec les choix d’infrastructures génériques, et d’autre part, entre les choix de
stratégie des TI et leurs infrastructures respectives.
Figure 0-1 : Modèle d’alignement stratégique
Source : Modèle adapté d’Henderson et Venkatraman (1989)
Initialement cantonné à l’analyse du champ des nouvelles technologies, ce cadre théorique sera,
par la suite, utilisé dans des disciplines variées pour étudier les effets de la cohérence des choix
stratégiques. Le manque d’alignement, aussi désigné comme un « désalignement » est alors mis
en cause pour expliquer les échecs de projets organisationnels (Bergeron, Raymond et Rivard,
2004 ; Chan et al., 1997 ; Walsh, Renaud et Kalika, 2013).
Ainsi, de nombreuses recherches tentent de fournir une explication à la manière dont
l’alignement stratégique permet de rendre optimale l’atteinte des objectifs initialement fixés.
Certaines d’entre elles s’intéressent à la manière dont la cohérence entre les infrastructures
organisationnelles et celles propres aux SI permettrait d’accroître les résultats (Avison et al.,
2004 ; Bergeron et al., 2004 ; Chan et al., 1997). Or, le recensement des travaux faits en la
Introduction Générale
12
matière ne permet pas d’établir que le modèle d’alignement stratégique a été mobilisé dans le
champ de la GRH ni pour analyser le cas d’un projet SIRH.
En matière de PFRH, les travaux recensés montrent qu’il s’agit d’un corpus relativement récent
avec des contributions essentiellement descriptives. De nombreux travaux recourent à des
études comparatives pour analyser les disparités de partage en Europe (e.g. Brewster et Larsen,
2000 ; Harris, Doughty et Kirk, 2002 ; Larsen et Brewster, 2003) ou pour s’intéresser à
l’incidence de la nature des pratiques RH sur leur propension à être partagées (Bond et Wise,
2003 ; Harris et al., 2002). Des auteurs se sont intéressés à l’effet des choix organisationnels
sur l’attitude et le comportement des acteurs (Fenton-O’Creevy, 1998, 2001 ; Hall et
Torrington, 1998), mais aussi à l’étude du niveau optimal de partage des activités et du pouvoir
de décision (Dany, Guedri et Hatt, 2008). Cependant, il semblerait qu’aucune contribution
académique ne traite de la question du PFRH dans un contexte d’évolution du SIRH. De même,
notre revue de littérature montre que les travaux s’inscrivant dans le corpus de l’alignement
stratégique n’abordent pas la question de la cohérence des choix organisationnels entre les
objectifs du PFRH et la mise en place d’un SIRH.
Par ailleurs, de nombreuses recherches inscrites dans le courant théorique de l’AMO mettent
en évidence le lien entre choix organisationnels et succès de mise en place du PFRH. Ce cadre
théorique est largement mobilisé en matière de GRH, car il permet d’identifier l’impact des
choix organisationnels sur les capacités, la motivation et les opportunités des managers.
Cependant, aucune contribution n’explore la manière dont ces mécanismes opèrent lors de la
mise en place d’un SIRH, ce que nous proposons de faire dans le cadre de cette recherche.
Enfin, dans la littérature sur le PFRH, aucune recherche n’a encore tenté d’articuler les cadres
théoriques de l’alignement stratégique et de l’AMO pour expliquer la mise en place des activités
RH des managers. Or, nous avons montré dans les développements précédents que s’intéresser
à la cohérence des choix, davantage qu’au choix en eux-mêmes, pourrait fournir un matériau
analytique pertinent. Dans la présente recherche, notre principale contribution consiste à
proposer un modèle théorique articulant ces deux approches. L’intérêt de ce travail est d’étudier
la manière dont une organisation peut se trouver dans une situation de désalignement
stratégique et de voir comment ce déséquilibre pourrait impacter la disposition de cette dernière
à fournir aux managers les capacités, motivations et opportunités nécessaires à la mise en place
d’un PFRH.
Question de recherche
Il ressort des apports de la littérature que l’étude des choix organisationnels et de leur
alignement semble constituer un cadre d’analyse pertinent du partage de la FRH. La
problématique globale de ce travail est de comprendre l’incidence des choix
organisationnels, et notamment ceux impliquant les systèmes d’information, sur le succès
de partage de la FRH avec les managers.
La présente étude sera alors guidée par la question de recherche suivante :
- Comment le désalignement stratégique contribue-t-il au faible développement des
capacités, des motivations et des opportunités des managers de mettre en place le
partage de la fonction ressources humaines ?
Cette question principale de recherche peut se décliner en trois questions sous-jacentes :
- Quels facteurs organisationnels peuvent expliquer le développement de freins et de
moteurs de l’alignement stratégique ?
- Quelle est l’incidence des usages des SI dans le partage de la fonction ressources
humaines ?
- Comment l’alignement stratégique contribue-t-il au développement des usages des SI
attendus ?
Notre recherche vise alors un double objectif. Sur le plan théorique, elle propose deux
contributions. La première consiste à enrichir la littérature, encore sommaire, de l’alignement
stratégique dans le champ de la GRH. Elle permet ainsi d’étudier comment l’alignement
stratégique explique la performance, entendue ici comme le partage effectif de la FRH. La
seconde revient à combiner de manière inédite les deux approches conceptuelles que sont
l’alignement stratégique et l’AMO pour fournir un modèle unique englobant les deux grilles
d’analyse. Afin de clarifier cet élément, la contribution principale de la recherche est
schématisée dans la figure 0-2 suivante.
Introduction Générale
Source : auteur de la thèse
Sur le plan pratique, nous cherchons à montrer la manière dont la fixation des choix
organisationnels peut aboutir à des situations de désalignement entre les objectifs stratégiques
de l’organisation et les processus mis en place. De plus, cette recherche tend à souligner
l’impact des désalignements stratégiques sur la capacité, le désir et la possibilité des managers
à partager la FRH avec les spécialistes. Enfin, elle vise à fournir une réflexion sur les dispositifs
permettant l’opérationnalisation d’outils d’alignement stratégique.
Méthodologie de recherche
Pour mener à bien cette démarche, la méthode par étude de cas a été retenue. Ce choix est
justifié par le caractère exploratoire conféré par la question de recherche. L’étude de cas est une
méthode d’investigation permettant l’explication d’un phénomène par la richesse
informationnelle et par le processus de contextualisation consécutif. Elle facilitera donc
l’obtention du matériau nécessaire pour aborder les questionnements proposés. L’objectif fixé
dans la présente thèse consiste à décrire et analyser les modalités et les facteurs de succès
d’implémentation d’une orientation stratégique. Il apparait alors que seule une démarche
qualitative pourrait servir ce projet.
Le choix d’un cas unique s’est avéré également pertinent du fait de la spécificité de la question
de recherche et de l’intérêt particulier du cas. Le groupe ABC est né, en 2009, de la fusion de
deux entités : une entité A spécialisée dans l’accompagnement à l’emploi et gérant des salariés
Introduction Générale
15
de droit privé ; une entité B officiant dans le traitement et l’attribution d’indemnisations à ses
bénéficiaires. Cette fusion est particulièrement intéressante par les nombreuses implications
qu’elle comporte. Des salariés de statuts, de métiers et de cultures différents et dont les
infrastructures et les orientations stratégiques imposées par la nouvelle organisation peuvent
être perçues comme sensiblement particulières. Ces spécificités qui ont imprégné le contexte
organisationnel ont constitué autant de contraintes qui se sont imposées à ABC dans la mise en
place de leur nouveau SIRH et de leur FRH partagée. Afin de mettre en évidence la nature des
choix organisationnels stratégiques et opérationnels et l’incidence de la cohérence entre ces
derniers sur la position des managers, les données ont été collectées selon trois procédés. Une
période d’immersion de 6 mois durant l’année 2015 a permis d’observer directement le contexte
réel du personnel en situation de travail. Elle a également facilité la mise en place d’entretiens
avec les managers et les spécialistes RH. Sur la base d’un guide d’entretien, les répondants se
sont exprimés sur des thèmes ouverts en lien avec la question de recherche. L’accès facilité à
un terrain riche en informations nous a permis de rencontrer 55 répondants composés de 43
managers et de 12 spécialistes RH. Les managers sollicités dans cette recherche ont été
sélectionnés sur la base du critère d’encadrement d’équipe. Cette population intègre donc des
managers de proximité, des managers intermédiaires (responsables d’agence) et des managers
supérieurs (directeurs de territoires). La diversité des répondants (géographique, fonctionnelle,
hiérarchique) a facilité l’obtention d’une information diverse et la mise en évidence de résultats
à la fois complémentaires et divergents. Cela constitue une richesse qui a permis de stimuler la
qualité de l’analyse. Enfin, la collecte d’une documentation riche auprès des membres de
l’organisation nous a permis la constitution de données secondaires en complément de
l’information obtenue par l’intermédiaire des entretiens et des observations. Afin de garantir
l’anonymat du cas, les annexes ne comportent que peu de documents relatifs à l’organisation
étudiée.
Notre protocole de recherche, incluant les phases d’élaboration théorique, de collecte et
d’analyse des données, a été établi dans le cadre d’une méthodologie abductive. Ainsi, la
recherche se fonde sur des phases itératives d’exploration de la littérature et d’analyse des
résultats empiriques. L’étude des données a été réalisée en recourant au logiciel de traitement
NVivo 12. Une analyse heuristique par unités de sens a permis, dans un premier temps,
d’identifier les thèmes issus d’un codage ouvert. Par la suite, une analyse thématique a permis
d’identifier les désalignements organisationnels et leurs impacts sur les différentes dimensions
Introduction Générale
16
de l’AMO. La combinaison des deux niveaux d’analyse a mis en exergue les facteurs expliquant
les désalignements observés et leur influence sur le PFRH via les différentes dimensions de
l’AMO.
Plusieurs implications découlent de ce travail. Sur le plan théorique, il aboutit à la production
d’un modèle conceptuel ancré dans les théories de l’alignement stratégique (Henderson et
Venkatraman, 1989a) et de l’AMO (Appelbaum et al., 2000 ; Bos-Nehles et al., 2013 ; Gilbert
et al., 2015). Ce cadre conceptuel assoit l’intérêt de l’étude de la cohérence des choix et de leurs
impacts sur les capacités, la motivation et les opportunités de mise en place d’une orientation
stratégique. De plus, en étudiant le PFRH à travers l’usage des SI, ce travail mobilise deux
littératures très peu abordées conjointement. Sur un plan managérial, cette recherche aborde la
question de la reconfiguration des processus organisationnels (reingineering) et souligne son
importance dans une perspective d’alignement des champs décisionnels. Cette activité constitue
effectivement une ressource supplémentaire dans la mise en cohérence des infrastructures, et
notamment dans un contexte de résistance des acteurs au changement. Enfin, cette recherche
propose un outil de pilotage global basé sur l’alignement stratégique et suggère d’intégrer la
cohérence des choix dans les tableaux de bord de suivi des projets organisationnels.
Afin d’aborder le sujet et les questionnements formulés, ce travail sera structuré selon le plan
suivant (voir tableau 0-1). Dans une première partie consacrée à l’état de l’art, nous proposons
d’étudier la littérature du PFRH et nous évoquerons, particulièrement, les travaux mobilisant
l’AMO dans l’étude du succès de mise en place (Chapitre 1). Par la suite, la notion de cohérence
des choix organisationnels sera abordée par le recensement des travaux mobilisant l’alignement
stratégique (Chapitre 2). La deuxième partie du présent document sera axée sur la dimension
empirique de notre travail de recherche. Elle sera l’occasion de présenter les fondements de
l’étude de cas et de présenter le groupe ABC (Chapitre 3). Enfin, ce travail débouchera sur une
discussion des résultats obtenus et la proposition d’un modèle de recherche (Chapitre 4).
Introduction Générale
Première partie : Revue de littérature
Fondements et apports théoriques dans le champ d’étude du partage de la FRH
Chapitre 1
la mise en place par la théorie de l’AMO
Chapitre 2
stratégique des choix organisationnels sur
l’AMO
Présentation du cas et discussion des résultats de la recherche
Chapitre 3
en recherche qualitative
18
FONCTION RESSOURCES HUMAINES :
L’ALIGNEMENT STRATÉGIQUE ET LA THÉORIE DES
CAPACITÉS, MOTIVATION ET OPPORTUNITÉS
Chapitre 1 - Section 1. Partage de la fonction ressources humaines : définitions, typologies et mesures
19
du succès par la théorie de l’AMO
Section 1 - Partage de la fonction ressources humaines : définitions,
typologies et mesures
Le partage de la FRH est un champ de la littérature de la GRH qui a émergé avec la mutation
des formes organisationnelles. L’industrialisation et l’impératif de rationalisation des
ressources ont abouti à considérer l’individu comme un actif source de valeur ajoutée. Ce
dernier est appréhendé comme une véritable ressource humaine à la fois dans le champ
académique et dans la sphère de l’organisation. Deux phénomènes se sont alors opérés de
manière simultanée (Chambrier, 2000) : d’une part, la récupération par la DRH de certaines
activités en lien avec le renforcement d’un rôle plus stratégique ; et d’autre part, la
décentralisation structurelle par la relocalisation des pouvoirs dans les établissements. Ce
dernier processus, particulièrement, s’est accompagné de la décentralisation des responsabilités
RH avec des personnes extérieures au service. Elle s’est traduite par l’implication croissante et
progressive des managers de proximité dans la GRH. La littérature aborde le PFRH comme une
orientation stratégique reposant sur un double objectif : la participation des managers dans les
activités RH et leur association dans les décisions RH. L’implication des managers dans le
périmètre de la FRH a suscité une modification substantielle de leurs rôles, mais également de
ceux des spécialistes RH dont le repositionnement a été identifié comme un facteur clé de
succès du projet.
Ce partage fonctionnel est particulièrement favorisé par la mise en place des SIRH dont l’usage
à des fins transformationnelles participe à modifier l’organisation du travail. Ce chapitre sera
donc l’occasion de mettre en évidence les déterminants du PFRH, d’aborder le rôle particulier
des SIRH dans le phénomène, et enfin de montrer comment le succès de partage de la FRH a
été abordé dans la littérature.
Chapitre 1 - Section 1. Partage de la fonction ressources humaines : définitions, typologies et mesures
20
complémentaires
11. Le partage de la fonction ressources humaines : une orientation en lien
avec des traditions de gestion
La FRH peut être appréhendée comme « l’ensemble des activités destinées à fournir à
l’organisation des ressources humaines nécessaires à son développement » (Valéau, 2013,
p. 78) et est étudiée dans la littérature anglo-saxonne à travers les notions de « personnel
function » et « HR function » (Currie et Procter, 2001, p. 53). Legge (1999) identifie quatre
approches pour définir la FRH : une approche normative, une approche fonctionnelle
descriptive, une approche évaluative et une approche comportementaliste.
- La conception normative est axée sur ce que la fonction devrait être. Elle consiste à
définir les ressources et les moyens qui permettent à l’organisation d’atteindre ses buts
principaux ;
- L’approche fonctionnelle porte sur des dimensions de régulation des relations de travail.
Elle met en évidence le rôle prédominant des activités de contrôle et de négociation pour
pallier les conflits d’intérêts entre employeurs et employés ;
- L’approche évaluative critique pose le postulat de l’exploitation des employés par
l’employeur et envisage la FRH comme l’ensemble des activités qui permettent à
l’organisation de s’assurer que le personnel poursuit les objectifs ;
- L’approche « comportementale » est basée sur l’étude des comportements des
spécialistes et sur leurs effets sur l’attitude du personnel.
Ces différentes approches résumées dans le tableau 1-1 fondent des paradigmes tantôt distincts
tantôt entremêlés et influenceraient la manière dont les organisations appréhendent les rapports
en leur sein et par voie de conséquence, la manière dont les politiques et les pratiques RH
seraient définies. De même, ces approches donnent des acceptions différentes de la FRH et
impactent la manière dont elle sera étudiée dans les travaux académiques (Legge, 1999).
Chapitre 1 - Section 1. Partage de la fonction ressources humaines : définitions, typologies et mesures
21
Tableau 1-1 : Synthèse des approches de la fonction ressources humaines
Approches de la
Source : synthèse des travaux de Legge (1999)
D’une manière plus globale, la FRH concerne un ensemble de processus permettant
« l’utilisation optimale de ressources humaines dans la poursuite des objectifs de
l’organisation » (Legge, 1995, p. 3). Ces approches mettent en évidence la centralité des
ressources comme canal de l’efficacité de la GRH et de l’organisation. La FRH a également été
étudiée comme un ensemble de pratiques permettant de répondre aux objectifs de l’activité
globale de la GRH dont les principales sont le recrutement, les relations interpersonnelles, la
gestion administrative et de la rémunération, la gestion de la rétribution et de la performance,
la formation et le développement et la gestion des talents (Davis et Luiz, 2015). Ces pratiques
peuvent être regroupées en cycles tels que la sélection, la performance, l’évaluation, la
rétribution et le développement (Storey, 1992).
Cette FRH a longtemps été développée et déployée par les spécialistes RH, acteurs évoluant
exclusivement au sein d’un service RH physiquement intégré à l’organisation. Mais tout comme
le contenu de ses pratiques, la manière dont la FRH opère au sein de l’entité productive a connu
des mutations et particulièrement par l’inclusion d’acteurs non spécialisés dans son périmètre.
L’évolution de l’environnement concurrentiel des organisations a mené ces dernières à
considérer leurs RH comme une variable d’ajustement financière à travers la gestion de la masse
salariale, mais aussi comme un actif dont le développement permettrait d’être plus efficace sur
la scène de marché. Dans ce contexte, les rôles des experts RH seraient amenés à évoluer
conformément à l’analyse de Storey (1992). L’extension de la FRH aux différents niveaux de
management de l’organisation, et plus particulièrement aux responsables d’équipe, apparait
alors comme une orientation stratégique incontournable. La FRH contribue alors à la
coordination et à la canalisation des activités des managers par le travail conjoint entre ces
derniers et les experts RH. La collaboration entre les deux parties permettrait de faire émerger
Chapitre 1 - Section 1. Partage de la fonction ressources humaines : définitions, typologies et mesures
22
des effets de complémentarité. Le PFRH constitue en ce point une priorité inscrite dans l’agenda
des organisations (Schuler, 1990).
Historiquement, la littérature sur le PFRH connait ses premières contributions dans le début des
années 1990 avec des analyses descriptives sur les spécificités géographiques en Europe et
Amérique du Nord (e.g. Brewster et Larsen, 2000 ; Hoogendoorn et Brewster, 1992 ; Larsen et
Brewster, 2003) et l’étude des modalités de partage sur la performance de l’organisation (e.g.
Cascón-Pereira et al., 2006 ; Cunningham et Hyman, 1995, 1999 ; Hall et Torrington, 1998 ;
Valverde et al., 2006). Par la suite, et surtout dans le début les années 2000, les travaux se sont
davantage focalisés sur l’impact des choix organisationnels en matière de partage sur la
performance et les variables attitudinales des managers et experts RH (e.g. Alves, 2009 ; Hunter
et Renwick, 2009 ; Perry et Kulik, 2008 ; Whittaker et Marchington, 2003). La diversité des
pratiques observées dans les différentes entités ne permet que difficilement aux chercheurs de
trouver un consensus sur ce que représente concrètement le PFRH. Les travaux font état d’un
clivage entre ceux qui la considèrent comme un processus nécessitant un transfert de
responsabilités et ceux qui se focalisent sur le transfert de pouvoirs de décision vers les
responsables d’équipe.
12. Une approche axée sur la participation aux activités de gestion des
ressources humaines
Dans la littérature anglo-saxonne, les travaux reprennent le concept de partage de la fonction
en s’intéressant à la mani&e