le monde magazine

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LE MONDE MAGAZINE N° 91. SUPPLÉMENTAU MONDE N° 20648 DU SAMEDI 11 JUIN 2011. NE PEUT ÊTRE VENDU SÉPARÉMENT. DISPONIBLE EN FRANCE MÉTROPOLITAINE, BELGIQUE ET LUXEMBOURG. PRÊTRES AFRICAINS DANS LE LIMOUSIN INDE LE GOUROU DES W-C LE REPORTAGE L’ENQUÊTE LE RETOUR DES FRONTIÈRES INSPIRE DES ÉCRIVAINS INVITÉS AU FESTIVAL ÉTONNANTS VOYAGEURS

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LEMONDEMAGAZIN

EN°91.SUPPLÉ

MENTAUMONDEN°20

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PRÊTRESAFRICAINSDANSLELIMOUSIN

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L’ENQUÊTE

LE RETOURDES FRONTIÈRESINSPIRE DES ÉCRIVAINS INVITÉSAU FESTIVALÉTONNANTSVOYAGEURS

Page 2: Le Monde Magazine

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11 juin 2011 LeMondeMagazine

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—MAGÉNÉRATION, NONVIOLENTE, CROYAITAUXSIT-IN,

À JÉSUS OU GANDHI. —

LES TROIS COUPS

Didier Pourquery, rédacteur en chef duMondeMagazine.

COUP D’ARRÊTLes jeunes indignés espagnols chantent. On les appelle les « indignados»parce qu’ils se

réfèrent à l’opuscule de StéphaneHessel (traduit en espagnol enmars et vendu à plusieursmilliers d’exemplaires là-bas) que l’intelligentsia française a soigneusementméprisé cethiver, pendant que desmillions d’Européens le lisaient. Passons…Ona les intelligentsiasqu’onmérite. Donc, les jeunes indignados chantent. Une chanson très connue enEspagneparaît-il, rendue célèbre par une série télé («VeranoAzul ») du début des années 1980 etintituléeNonosmoveran. Traduction : « Ilsnenous ferontpasbouger». Allez sur Le Monde.fr,sur le blog «Unmondede sons », et vous saurez tout sur cette chanson.Notamment enlisant les commentaires. Certains disent «maisqu’ils sebougent ces fainéants»ou «nepasbougerne fait pasbouger les choses». Je suis d’un autre avis. Questionde génération. Lamienne, non violente, pas celle des gauchistes à pavés, croyait aux sit-in, à Jésus ouGandhi.En écoutant les indignés de la place de laBastille, à Paris (unmouvement sporadique,certes), j’ai aimé ce désir de partage d’expérience, d’écoute, cette absence d’agressivité.Maisje sais, tout cela est ringard. Les années 1980 sont passées par-là.Même lesmanifs doiventêtre performantes. Les sit-in à cette aune-là semblent dépassés.Quoique ?Attendez unpeu…

COUP DURSuivez-vous le débat sur la dette souveraine grecque ? Sinon, précipitez-vous sur nos

(excellents) articles sur le sujet. De quoi s’agit-il ?D’unpays qui a l’euro commemonnaie,donc une certaine exigence côté finances publiques (théoriquement, nous-mêmes enFrance…) et qui pourrait être amené àne pas rembourser une partie de ses dettes. Commeune entreprise enmauvaise posture que le tribunal de commerce autorise à ne pas honorerses créances. Ouimais là il s’agit d’un pays. Et de dette « souveraine » (j’adore cemot : dettesouveraine, fonds souverain, ça vous a unpetit côtéAncienRégime très chic). Donc : laGrèce doit-elle rembourser, en augmentant considérablement ses impôts, en serrant toutesles vis de sonbudget, en étouffant sa croissance ?Oupourrait-elle bénéficier d’une secondechance ?Ouimais le Portugal, l’Irlande pourraient faire demême…Drame ! Je vous l’avaisbien dit : quand on commence à s’intéresser à cette histoire de dette grecque c’est pire que latéléréalité. Celame rappelle cette citation d’OscarWilde : «Cecily, étudiez votre économiepolitique enmonabsence.Vouspouvez sauter le chapitre sur la chutede la roupie.Ony trouvedessensations trop fortespourune jeune fille.Mêmecesproblèmesmonétaires ont leur côtémélodramatique. » (L’Importanced’être constant, 1895).

COUP DE FEUJe serai bref, les auteurs sont des copains. PierreCherruau etRenaudDély ont écrit un

polar qui fait du bien, aux éditionsBaleine. Le titre :LaVacancedupetitNicolas. Il s’agit duNicolas quenous connaissons et qui ces derniers temps se fait oublier grâce à ces histoiresdeDSKoudeMarineLePen.Or il est toujours là, il va se représenter et probablement êtreréélu. Rions unpeu, donc, tant qu’il est encore temps, en lisant cet excellent polar en formatpoche – auprix de 8 euros – où il est question d’une disparition spectaculaire et de beaucoupdemalfaisants politiques. Après la dette grecque, ça détend. ∆

CLA

IRE-LIS

EHAVETPOURLE

MONDEMAGAZIN

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LES CHRONIQUES8 L’ACTUALITÉ

DANS LES CARTONS DE PLANTU

58 LIVREPAR CHRISTOPHE DONNER

64 GOÛTPAR JP GÉNÉ

66 JARDINPAR ALAIN LOMPECH

73 DRÔLE DE BÊTEPAR CATHERINE VINCENT

JE NE PENSE QU’À ÇAPAR FRÉDÉRIC JOIGNOT

74 POP’ PHILOSOPHIEPAR JEAN BIRNBAUM

SOMMAIREN° 91 DU 11 JUIN 2011

ÀLA«UNE».Le passage de la frontière

vu par le dessinateuret scénariste deBDEmmanuelGuibert.

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MMANUELGUIB

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MONDEMAGAZIN

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MONDEMAGAZIN

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3630

ACTUALITÉ6 — Courriers

10 — En images :Tunisie, Roumanie,Etats-Unis12 — « JENE SERAIS PASARRIVÉ LÀ SI… »

CHRISTOPHEMALAVOY,PARANNICKCOJEAN14 — Paroles, parOlivier Schmitt

WEEK-END52 — LAPERSONNALITÉ DE LASEMAINESERGEMERLIN54 — La sélection culture : cinéma,DVD, stand-up, danse, exposition, concerts, livres60 — VOYAGE LE SAINT-MALO DEMÉLANI LE BRIS62 — La sélection style : les appareils photohybrides67 — Argent : vendreune collectionphilatélique68 — Jeux :mots croisés, sudoku, bridge, affaire de logique,mots fléchésbilingues70 — ILYA20ANSDANS LE MONDE ALGÉRIE : L’ÉTATDE SIÈGE72 — LecinémaduMonde :LeChat,dePierreGranier-Deferre

16EncouvertureQUELLES FRONTIÈRES ?Entre laFrance et l’Italie,entre leDanemark etl’Allemagne…Lesfrontières sont de retourdans l’espaceSchengen,oùelles sont censées avoirété abolies.LeMondeMagazine ademandéàplusieurs écrivains, invitésdu festivalEtonnantsVoyageurs deSaint-Malo,ce qu’ils enpensent…

26La rencontreCONTRE L’HOMOPHOBIE,UN LYCÉECATHO MOBILISÉAu lycéedeLaSalle, àRennes, unélève a lancéune campagnepour lerespect des gays.Et celaavec le soutiende toutel’équipepédagogique.L’« école libre », en acte.

30Le reportageMISSIONNAIRESAFRICAINS CHEZ LESINDIGÈNES LIMOUSINSLecentrede laFrancecomptepeude fidèles, etpourtant pas assezdeprêtres. Ils viennentdoncdumondeentier, et enparticulier d’Afrique, poury assurer la présencedel’Eglise.

36Le portfolioÊTRE PALESTINIEN,VIVRE AU LIBANPortraits de ces réfugiéspalestiniensqui vivent ettravaillent aupaysduCèdre, tentent d’y faireleur trouenattendantunhypothétique accorddepaix avec Israël.

42Le portraitJEAN-FRANÇOIS KAHN,REVENU DUJOURNALISMELe fondateurdeL’Evénement du jeudiet deMarianne,73ans,a annoncéqu’il quittela presse.Mais qu’ilneposepas la plume.

44L’enquêteLE GOUROUDES TOILETTESIl s’appelleBindeshwarPathak et, dans les pasduMahatmaGandhi, ilconsacre sa vie à libérerles 400 000 Indiennesque leur caste condamneàévacuer les excréments,dans cepaysoù lesW-Csontbien trop rares.

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VOS PHOTOS

Les sociétés civiles sont doncconfrontées, commepour les attaquessur leWeb, à des terroristes sans visage,ni passeport. Il n’y a, pour ce typed’attaque, aucunmur, aucunepoliceni aucune armée capable de voiravec des jumelles aumicron. Lesnanotechnologies faisant de grandesavancées dans le transport departicules,il est à craindre quenombredebio-attaques échappent ànotrecompréhension. Bien entendu, cela n’est

PAR UNE PORTE OUVERTESuzanne Clausse (Perpignan).Je vais avoir 73 ans.A la retraite depuis douze ans, jeme suis

mise à photographier les événements familiaux etmes voyages.Dans une ruedePékin, j’ai entrevu cet enfant qui paraît étonné que l’on s’intéresse à son petitmonde.

Photographes amateurs, si vous souhaitez que vos images soient publiées dans cette page, adressez-nous cinq tirages (un par photographie), dontle format n’excédera pas 18 × 24 cm, à : « Photos des lecteurs », Le MondeMagazine, 80, bd Auguste-Blanqui, 75707 Paris Cedex 13. Chaque photosera créditée du nom de son auteur(e) et pourra être accompagnée d’une légende de 150 signes au maximum. Chaque envoi devra être complétépar une biographie du (de la) photographe de 500 signes aumaximum et impérativement accompagné de la lettre signée autorisant la publication,disponible sur le site duMonde : www.lemonde.fr/vous. LeMonde se réserve le choix de publier ou non les photos et celui de la date de parution. Lapublication des photos ne sera pas rémunérée.Aucun document ne sera renvoyé à son auteur(e).

[email protected]

PRÉCISIONLes deux photographies d’Emeline Collinpubliées dans Le Monde Magazine du 4 juin dansla rubrique «Vos photos » ont été réalisées auMusée de la chasse et de la nature, 62, rue desArchives, Paris-3e.

BACTÉRIE TUEUSE

Terroristes sans visageLabactérie identifiée enAllemagne estune forme rare et elle résiste auxantibiotiques (voir page 11). A partir d’unaliment porteur, elle peut, enquelquessemaines, déstabiliser l’économieeuropéenne etmettre àmal la confiancedes paysmembres.Une sorte de 11-Septembrede la bactérie qui s’invite dansles instances européennes.Quelle quesoit la suite de cette affaire dramatique,elle permet denous rappeler les annéesde guerre froide où les grandespuissances s’amusaient dans l’ombredeslaboratoires à jouer les apprentissorciers avecnos invisibles comparses.Utile et dangereuse, la bactérie est tout àla fois le bien et lemal. Elle habite notrecorps, s’y nourritmais peut aussi noussurprendre, nous annihiler. C’est unedesarmes les plus sournoises qui ont étémises aupoint dans la stratégie de guerrebactériologique. L’Al-Qaidadu XXIesiècle.Aunmoment denotrehistoire oùcertains dirigeants d’Etats totalitairessont remerciés, où s’effrite un empire endéconfiture dont les ruines sont laisséesauxmafias, cette affaire gravenousrappelle qu’il y a dans les éprouvettes desarméesune collection insoupçonnéed’organismes vivants de cette sorte.

« GRAND JOURNAL »

Et après, la pubJ’ai lu votre reportage « Les petitssecrets du “Grand Journal” » (LeMondeMagazine du 28mai) avec intérêt.Un tel intérêt que j’en lirais volontiersun second, plus fouillé encore, parexemple sur la réalisationdu«PetitJournal » deYannBarthès.Deuxobservations toutefois. Vousparlezd’unediffusionde «prèsdedeuxheures »… enomettant lesminutesdepublicité, présentes dès le débutde l’émission, et rappelées constammentparMichelDenisot : «Nous sommesdéjàen retard…Après lapub…»OK,nouscoupons aussitôt le son,mais c’estlassant, pour rester poli. Vous évoquezégalementundirect « surunrythmequotidien».C’est oublier que la rédactiondu«GrandJournal » semet en congésà chaquepériodede vacances scolaireset que, de ce fait, elle nepeut pas traiterles événements en «direct-live ».J.-C.Guinnefollau,Bouligney(Haute-Saône)

que science-fictionmais il faut peut-êtresaisir cet éclairage pour envisagerunavenir que l’on espèrene jamais voirarriver.IgorDeperraz

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11 juin 2011 LeMondeMagazine

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L’ACTUALITÉDANS LES CARTONS DE PLANTU

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L’ACTUALITÉEN IMAGES

11 juin 2011 LeMondeMagazine

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Gîte.Unnavire demigrants venus de Libye attend des secours près de Sfax. Deux jours plus tôt,un chalutier surchargé a chaviré au large des côtes tunisiennes, entraînant lamort de 200passagers. Selonl’ONU, aumoins 1 200personnes ont péri ou disparu en tentant de fuir par bateau les violences enLibye.04/06/2011

TUNISIE

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H/AFP

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11 juin 2011 LeMondeMagazine

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Gâchis.ABucarest, un homme entasse des concombres destinés àla destruction. Après avoir été soupçonné, cet aliment semble finalementne pas être porteur de la bactérie ECEHqui a contaminé plus

de 2 000personnes enEurope et en a tué 24, 23 enAllemagne et 1 en Suède (bilan au 8 juin).La commission européenne s’est engagée à dédommager lesmaraîchers européens, victimesd’une chute des ventes, en débloquant 150millions d’euros.

06/06/2011

ROUMANIE

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Colère.Ungroupe de femmes de chambre a conspuéDominiqueStrauss-Kahn devant le tribunal deNewYork, aux cris de «Honteàvous ! ».L’ancien directeur duFondsmonétaire international a plaidé

non coupable lors d’une audience éclair, ouvrant ainsi la voie à un procès. Les propos de sesavocats ont laissé entrevoir leur stratégie de défense : plaider la relation sexuelle consentie.

06/06/2011

ÉTATS-UNIS

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L’ACTUALITÉEN PERSONNES

Est-ce dû à l’éducation exigeante de votre pèrecolonel, officier de cavalerie ?C.M. | Il a beaucoup compté dansma vie. Commesonpère, tué au champd’honneur en 1915, c’étaitunhommed’action qui, après la débâcle de 1940,a rejoint les Forces françaises libres et fait lescampagnes deFrance et d’Italie, jusqu’à Berlin,tandis que samère et son frère, entrés très tôt enrésistance, étaient déportés. A la retraite, il a trompéson ennui par une passion pour la prestidigitation,la photographie et le cinémaqu’il pratiquait enamateur éclairé.Mais l’idée qu’on puisse en faireunmétier lui semblait folle, et il a été effrayé quandil a comprismon attirance pour cette voie desaltimbanque.Heureusement, la critique louangeusedeMichel Cournot dansLeMonde sur undemes

premiers spectacles l’a fait évoluer. Et jecrois avoir finalement incarné cequ’il avait toujours voulu faire. Ilétaitmême très fier. Avant chaquetournage, ilme glissait : « Tun’aurais pas un petit rôle pourmoi ?Même celui d’un jardinier… »

Comment s’est produit le déclic ?L’impulsion qui vous a permis deréaliser votre vocation ?C.M. |Jem’en souviens parfaitement.

Je peuxmême faire un arrêt surimage. J’arrive un jour en retard à

mes travaux dirigés du lycéeMontaigne. J’ouvre la porte, leprof est au tableau, craie à lamain, et se retourne versmoi. Les élèves s’arrêtentégalement d’écrire et sepenchent pourmeregarder. J’ai encore la

…SI JE N’AVAIS PAS ÉTÉ POÈTE. CAR C’ESTLA POÉSIE QUI A GUIDÉ MAVIE. J’en ai toujoursbeaucoup lu, j’en ai écrit aussi. Chez les grandsartistes qui ontmarquémonenfance etm’ontmissur la voie – JacquesTati, BusterKeaton, CharlieChaplin,HaroldLloyd,W.C. Fields –, le burlesqueétait indissociable de la poésie. Et puis il y eutBaudelaire, et sa statue, croisée un jour dans le jardinduLuxembourg, juste en face du lycéeMontaigneoù avaient lieu les travaux dirigés de la faculté dedroit d’Assas. J’y étais étudiant, et affreusementmalheureux. Je ne savais pas où j’allais. Le poète estdevenumonallié. Jem’asseyais sur unbanc dujardin, je le lisais, je le regardais. Et ilm’a ouvert lesyeux sur la réalité dema vie.LeMondeMagazine |Vous n’étiez pas le jeunehomme fougueux et optimiste que j’imaginais ?ChristopheMalavoy |Pas du tout ! J’étais seul,désespéré, j’allais dans lemur. Il y avait enmoiun imaginaire puissant qui ne demandait qu’às’exprimer,mais comment faire ? Je plongeaislentementmais sûrement dans ununiversde plus enplus noir, de plus enplus solitaire.Seul Baudelaireme consolait.Pourquoi cemal de vivre ?C.M. |Je savais que je n’étais pas àmaplacedans la filière choisie.Mais j’avais de toute façonvécu toutema scolarité commeundouloureux pensum.L’école est tristeet inadéquate à l’éveil du goût etdes talents. Et si j’en crois cequ’ont vécumes enfants, ellen’a guère changé. L’éducationartistique continue d’y êtremassacrée alors qu’ellepourrait être une ouverturevers le rêve, la découverte,la fantaisie. Enfant, j’allaisnaturellement vers les arts,j’avais des dispositionspour lamusique,la peinture.Mais celan’était nullementprivilégié.

CHRISTOPHE MALAVOYActeur, réalisateur, écrivain, il publie un livre sur Céline etmet en scèneMadame Butterfly.

« ÉTUDIANT,JENESAVAIS PASOÙJ’ALLAIS.BAUDELAIREM’AOUVERTLESYEUX. »

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-MF/ABACAPRESS

JE NE SERAIS PASARRIVÉ LÀ SI…

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PROPOSRECUEILLISPAR ANNICKCOJEAN

1211 juin 2011 LeMondeMagazine

Page 13: Le Monde Magazine

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05/2011.

Page 14: Le Monde Magazine

11 juin 2011 LeMondeMagazine

main sur la poignée et j’hésite soudainà entrer. Tout se fige. Et la question :«Qu’est-ce que je fais donc dema vie ? » estsuspendue au-dessus dema tête. J’entre,m’assois derrière unbureau, déballemesaffaires. Le cours reprend. Je regarde unparunmes camarades qui écoutent le prof etgrattent consciencieusement. Et au bout dedeuxminutes, je rangemes affaires,me lèveetmarche vers la sortie sous l’œil incrédulede la classe. Lorsque je referme la porte,j’ai conscience que je viens de prendremavie enmain. Et c’est unmoment de bonheurintense. Comme si j’étais enfinmoi-même.Saviez-vous pour autantce que vous vouliez faire ?C.M. |Non,mais qu’importe ? Jemesentais immensément libre, en accord avecmoi-même. Et ce sentiment était tellementfort que les gens, soudain,m’ont regardé.Jem’étais rendu visible !Quelqu’unde libreest toujours intrigant ! Et la vie l’accueille.Mes doutes étaient balayés. Je savais quej’allais « réussir ».Au théâtre ?C.M. |Ça aurait pu être lamusique.Il se trouve que ce fut d’abord le théâtre.Jeme suis inscrit à un cours et, en poussantla porte, jeme suis senti chezmoi.Instantanément.De façonphysique,olfactive.Une évidence.Et l’écriture ?C.M. |Essentielle. Elle a toujours fait partiedema vie,même si ce que j’écrivais n’étaitpas destiné à être publié. J’ai beaucoupjoué, au théâtre, au cinéma, et celam’apassionné.Mais je pourrais ne pas jouer.Si je ne devais plus être acteur, cela nemegênerait pas. En revanche, ne plus écriremeparaîtrait impossible.Quel besoin d’écrire un livre sur Céline ?C.M. | Ilm’enchante,me bouleverse,meprovoque. Je le prends pour un de nos plusgrands poètes et jem’insurge que tant degens le jugent et le condamnent sansjamais l’avoir lu. Si facile de n’en faire qu’unparfait salaud ! Onne risque rien à hurleravec lamasse.Moi, je viens de passer troisans avec lui, trois ans à tout lire, ce qu’il alui-même écrit et ce qu’on a écrit sur lui. Je

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connais assez bien le bonhomme. Et je letrouve génial. Pas question de défendrel’antisémitisme exprimé dans sespamphlets.Mais je reste fasciné par lestyle, le talent inouï à décrire les vibrationsde la vie, y compris dans un coucher desoleil dont il dépeint le rouge « fatigué » !Impossible de lire ensuite un JeanTeulédont leCharly 9me tombe desmains tantil estmal écrit.Dans A hauteur d’homme (Flammarion,2001) vous écrivez : « Notre volonté estpassagère et souvent illusoire. Nous nefaisons qu’incarner une autre volonté,plus vaste, plus profonde, une force

mystérieuse (…) quidirige inconsciemmentnos actes… »C.M. |Oncroit choisirsa vie. Je pense en faitqu’on est choisi.Par quoi ? Par qui ?C.M. |Disons que l’ons’inscrit dans unehistoire ; qu’on est relié,par nos gènes, notremémoire, notreinconscient, à ce qui nousprécède. Et cette forceest immense. Il n’y a pasde hasard, pas d’actionpurement gratuite.Mais un sens et unenécessité. C’est à la foisnotre grandeur et notremisère. Notremarge demanœuvre personnelleest étroite. Commedans unemontgolfièrepoussée doucement parle vent et dont on nepeut qu’insensiblementmodifier la direction. ∆

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« SI JE NE DEVAIS PLUS ÊTREACTEUR, CELANEMEGÊNERAITPAS.ENREVANCHE,NEPLUSÉCRIREME PARAÎTRAIT IMPOSSIBLE. » CHRISTOPHE MALAVOY

PARCOURS1952ChristopheMalavoy naîtà Reutlingen(Allemagne).1974 Il joueShakespeareaprès avoirsuivi lescours deRaymondGirard et duconservatoirede la rueBlanche.1983 Césardumeilleurespoir pourFamily Rock.1987-1988 Ilest nominéaux Césars(La Femmede ma vie, Deguerre lasse).1993 Il jouedans L’AffaireSeznec (TF1).1997Il dirige sonpremiertéléfilm,La ville dontle prince estun enfant.2007 Ilréalise Zonelibre pour lecinéma.

BENOÎTHAMON,porte-parole duParti socialiste.

« JEAN-LOUISBORLOO ESTUN DESVISAGES, UNVISAGE BIO,DU SARKOZYSME. »Siège du PS, le 6 juin.

EN CLAIR Au lendemain ducongrès d’Europe Ecologie - LesVerts,marqué par une confidencemaladroite deNicolasHulotrévélant qu’il avait « envisagé »de faire tandemavec l’ancienministre de l’écologie,Jean-LouisBorloo, pour la présidentielle de2012, le porte-parole duPS s’estjoint aux voix de nombreuxVertspour dire tout lemal qu’il pensedu président duParti radical.La stratégie des socialistes estclaire : tout faire pour favoriser lerassemblement des écologisteset du Front du gauche autourd’eux et ravaler les velléitésd’indépendance des centristes aurang de « manœuvres » qui n’ontpour objet que d’asseoir un peumieux la position du présidentsortant en vue du second tour.

PAROLESPAR OLIVIER SCHMITT

REVELLI-B

EAUMONT/SIPA.W

ARRIN

/SIPA.IB

O/SIPA

JEAN-JACQUESAILLAGON,président duchâteau, dumuséeet du domainenational deVersailles.« L’imposition des œuvres d’artau titre de l’impôt de solidaritésur la fortune pourrait conduireà une véritable inquisitionpatrimoniale. »AFP, le 6 juin.

JEAN-CHRISTOPHECAMBADÉLIS,député socialistede Paris.« Dominique Strauss-Kahn estextrêmement triste etextrêmement combatif. »RTL, le 6 juin.

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Page 16: Le Monde Magazine

11 juin 2011 LeMondeMagazine

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F RON T I È R E S ?La réécriture en cours, dans le sens d’undurcissement, des accords de Schengen,

l’indique : les frontières sont de retour.Un thèmequi inspire ici plusieurs écrivains,invités du festival EtonnantsVoyageurs qui se tient ceweek-end àSaint-Malo.

D E S N O U V E L L E S D U M O N D E

QU E L L E Stextes recueillis par Frédéric Joignot

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SUR LE MONDE.FR

» retrouvez« Quellesfrontières ? »,avec lescontributionsinéditesd’IssyakaAmkoullel,Lieve Joriset StanleyPéan.

MANUELE

FIORPOURLE

MONDEMAGAZIN

EL e15avril,quelquesmilitantsduFront

nationalontmanifestéàunpostefron-tièredeMentonpourdemander sonrétablissement.Pourquoiremettredesbarbelés entre laFrance et l’Italie ?

Pour contenir lesmigrants italiens, commeaudébutduXXe siècle, quand ils venaient par centainesdemil-liers ?Non,pourendiguerles25 000Tunisiensarrivés,àlasuitedela«révolutiondujasmin»,dansl’îledeLam-pedusa,puisàVintimille.IlsallaientdéferlersurlaCôted’Azur, prédisait leFN,mais aussi leministrede l’inté-rieurClaudeGuéant, venuàMentonenmars rassurerla population.Depuis, « l’invasion »n’a pas eu lieu, lecentrederétentionadministrativedeNiceaseulementvupasser487Tunisiensentrefévrieretavril.Qu’importe,Nicolas Sarkozy ademandéàBruxelles de reconsidé-rer l’accorddelibrecirculationdespersonnesdansl’es-pace Schengen. Il veut pouvoir relever les frontières

quandilveut.EtMarineLePendesurenchérir:«Laseuleposition raisonnable est denégocier la sortie de l’espaceSchengen,auplusvite»–desebarricaderchezsoi.

Nuldouteque laquestiondes frontières vaenflam-merlaprochaineprésidentielle.

Quedisent-ilsdenosfrontières–delafrontière–,lesgensduSud, les voyageurs, lesmigrants ?Nousavonsdemandé un texte à plusieurs écrivains présents aufestivalEtonnantsVoyageursdeSaint-Malo (du 11 au13juin).HubertHaddad,Franco-tunisien,aimaginéunepolitique-fictionsuruneFrancecloîtrée.L’Indien-Amé-ricainSuketuMehta rappelle la violencede l’immigra-tion. LeDjiboutienAbdourahmanA.Waberi décrit letroubledetouterencontreavecl’Autre.LeFrançaisGillesLapouge montre qu’aucune frontière n’est jamaishermétique.Quant à l’écrivain voyageur italienPaoloRumiz, il décrit commentuneâmesans frontière enabesoind’une.F. J.

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«ALORSC’ESTQUOI L’ARNAQUE ? »par SuketuMehta

A ujourd’hui, lespaysrichesseplaignentbruyammentde l’immigration issuedesEtats lespluspauvres.Voici commentle jeuest truqué :d’abord,vousnousavez

colonisés, vousavezvolénosressourcesetnousavezempêchésdebâtirnospropres industries.Puis,vousnousavez incitésàvenir travaillerchezvous–sous le termede«travailleurs invités», commesivoussaviezceque lemot« invité»signifiedansnoscultures–maisnousavez interditdenous faireaccompagnerdenos femmesetnosenfants.

Ensuite, aprèsavoir fondévoséconomiessurnosmatièrespremièreset surnotre travail, aprèsavoirbienprofitédes fruitsdenotre labeur, vousnousavezdemandéderetournercheznous,etvousavezétésurprisquenousne le fassionspas.Vousavezdérobénosmineraisetcorrompunosgouvernements,puisvousavezétésurprisquand lespluspauvresd’entrenoussesont frayéuncheminàtraversvos frontières,nonpourvolermaispour travailler,nettoyervotremerdeetbaiservosmecs.Etaujourd’hui, vousavezencorebesoindenouspour faire fonctionnervosordinateursetguérirvosmaladies.Vousvousêtesdoncemparésdenosesprits lesplusbrillants,noscerveaux lesplusdoués.Vousavezséduitceuxquenospaysendifficulté formaientàgrands fraispourdevenir ingénieursoumédecinset lesavezconvaincusdetravaillerpourvotrecompte.

Tantque l’économiemondialeconnaîtradeszonesdeforteetdebassepression, il yauradesimmigrés.Cesderniers, aprèsavoirabandonnéfamilleetamis,doiventaffronterunerudeépreuve :convaincre leur familleet leursamisrestésaupaysquelesquitterenvalait lapeine.Leurscritèressontélevés,l’examenestrude.J’aiunamiquivientduBangladesh,un jeunehommequivitaujourd’huiàNewYorketdont lesparentspossèdentuneMercedes-Benz,toujoursgaréedans l’alléede leurmodestemaison,sisedansunquartierpauvreduQueens.Tousceuxquiserendentchez luipassentdevant laBenz. Ils l’ontachetéeavec les toutespremièreséconomiesqu’ilsontgagnéesenAmérique :7 000dollars.

«QuelgenredeMercedespeut-ons’acheterpour7 000dollars ?,ai-jeunjourdemandéàmonami.Elleroule ?

–Oui, elle roule sansproblème.–Alors, c’estquoi l’arnaque ?Qu’est-cequine

fonctionnepas ?–Ehbien…lesessuie-glaces sont tombésenpanne

depuis longtemps, etnousnepouvonspasnouspermettred’enacheterdenouveaux.

–Alors,qu’est-cequevous faitesquand ilpleut ?–Avantd’alleroùquecesoit, nousconsultons

lesprévisionsmétéo.–Etsi jamais il semetàpleuvoirquandvousêtes

auvolant ?–Nousgardonsenpermanenceunplandumétro

dans laboîteàgants.S’il pleut,nousnousgaronsetprenons lemétro leplusproche,puisnousrevenonschercher lavoiturequand ilnepleutplus.»

CetteBenz leuresten fait inutile,maiselle sertune fonctionbienplus importante : elledonne lemessageàceuxrestésàDaccaque la familleestinstalléeconvenablement.Quand ilsenvoientdesphotosoudesvidéosde la famille se tenant fièrementàcôtéde laBenz, cen’estpasunsubterfuge,pasausensstrict.Bon,c’estvrai, lesparentsdemesamissontpartisà la retraite, sasœurarécemmentperdusontravail audépartementmarketingd’unmagazinedecuisine, etmonamidevradonner lamoitiédesonsalaireàsesparentspour lesaideràpayer les traitesdeleurmaison.Encesens, le symbolequereprésente laBenznereflètepasdutout laprécaritéde leursituation, c’estunpieuxmensonge…

Çanefaitdemalàpersonnenonplus, etpuis…Lavérité, c’estque l’immigrévitdans lemensonge

enpermanence.L’immigrédoitmentirpoursurvivre.L’immigrédoit sedéplaceravec touteunecollectiondemasques.Uneautreamie,uneCongolaisede27ans, l’abien formuléquandellem’aexpliquéquevivresanspapiersdans leNewYorkduXXIe sièclesignifie :«Vousn’êtespasvous-même.Laplupartdutemps, vousêtesquelqu’und’autre. »Traduitde l’anglais (Etats-Unis)parJulienMillanvoye.

SUKETUMEHTAAméricaind’origineindienne,48 ans, il estné à Cal-cutta, a vécuà Bombayavant d’émi-grer avecses parentsà NewYork.Journaliste,il a écritpour le NewYork TimesMagazine,Granta, Har-pers, Time…En 2004, ilpublie uneenquête-fleuve,BombayMaximumCity (BuchetChastel,2006), par-tout saluée(lire LeMonde 2 du24 mars2007). Ilenquêteaujourd’huisur l’immi-gration new-yorkaise.

DR

Q U E L L E S F R O N T I È R E S ?

EMMANUELGUIB

ERTPOURLE

MONDEMAGAZIN

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guerresdésastreusesmenéespar lacoalitionaccélérèrentceprocessus.

Quelenfantd’aujourd’hui l’ignore ?C’estun12septembre,aprèsunesériedecatastrophesdontnousgardonstousmémoire,que l’explosiondesréacteursnucléairesdeSaint-Laurentprovoqual’irradiationd’unepartiedubassinde laLoire, entreNantes,ToursetAngers.Lesrivesdufleuveasséchéà labelle saisoncommeles terresavoisinantesdesplusbeauxchâteauxRenaissance furentbientôtdéclaréeszone interdite.Cetultimedésastreentraînaladésertionmassivedespopulations indigènes.Nombredenosconcitoyensémigrèrentparvaguesoutre-Atlantiqueetdans lespaysdunordde l’Europe.

C’està l’initiativede laFlandre indépendanteetdesPays-Basqu’unmurdeséparation futélevésur laligned’anciensbornagespourmettreuntermeàcemolexode.Depuis lamerduNord jusqu’auRhin,àhauteurdu landdeBade-Wurtembergetde lavilledeBâle, lemurs’estpeuàpeurefermésurnosporeusesfrontières.

ChambordetChenonceausontdésormais lesplendideetdélétèrerefuged’unepoignéedemarginauxetautresexclusde laviesimple.Moi-mêmeirradié, sansemploi,destituédemanationalitécommetous les filsd’immigrésde ladeuxièmeettroisièmegénération, je respireavecuneraredélectation lesultimesboufféesd’unairmortelenhautd’uncampanile tourangeauadmirableensongeantaubonvieuxtemps,quand lemotavenirn’étaitpasune injure.

ATHOMENOWHERE,parHubertHaddad

A rméd’unantique fusil àpompe, j’habitedésormais l’unedes tourellesduchâteaudeChambord.Certainssesouviennentdes tempsheureux,quand leseulmot

de frontièreévoquaitd’absurdesbelligérances.Onseplaignaitdoucettementalorsdesgrêles invasionsvenuesd’Orientoud’Afrique :quelquesmilliersdepauvresgensenquêtedetravail, laplupartéchappésdesguerresetdes famines,dans lesbassespériphériesdenotrecorrélativeopulence.

Moi-mêmeimmigréde la troisièmegénération,j’occupaisd’honorables fonctionsà ladirectionrégionalede l’environnement,dans ledépartementduMaine-et-Loire.Toutavait commencéà lasuiteduplébiscited’unchefd’Etatqu’onavait cruauxabois.Ladroiteet l’extrêmedroitecoaliséess’étaiententenduespourpromulguerdesdécretsetdes lois,aprèsundébat tronquéauParlement : les frontièresdusudde laFrance furentrétablies.Ladouanemaritimeappuyéepar la troupe investitnoscôtes.Onexpulsaità tourdebras ; les institutionseuropéennesavaientperdu l’essentielde leursprérogatives.Mais la récessions’entrouvadécuplée.

A l’exceptionde l’industriede l’armement,onfermaquantitéd’usinesdans lessecteursde l’énergieditepropreetautres techniquesdepointe.Lamaintenancedesdocks, centralesélectriques, réseauxdecheminde fer,devintdesplusaléatoires.Les

HUBERTHADDAD64 ans, né àTunis, il vit àParis depuisl’enfance.Depuis sonpremierrecueil depoèmes, en1967, il apublié desdizaines deromans,essais, nou-velles…Der-nièrement,Géométried’un rêve(Zulma,2009),Nou-velles du jouret de la nuit(Zulma,2011). Ilpublie à larentrée unnouveauroman,OpiumPoppy(Zulma).

ÉLIS

ABETHALIM

I/OPALE

/EDITIO

NSZULM

A

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DOUANES,parGilles Lapouge

E ntre laChineet laBirmanie la frontièreestmatérialisée,depuis le traitéde1961,pardeshaiesde lauriers.Lescontrebandiersexercent leur industriedepréférenceau

printemps,dans lesodeursdu laurier, car lesdouanierssontdebonnehumeuret leurscasernesembaument.

Entre leNépalet lesplainesduGange, la frontièreestporeuseetmalcontrôlée.Elle traverseparendroits lesmarécagesduTeraï,qui sont infectésdemalaria.Lesdouanierset lescontrebandiersattrapentlemalde lamort, claquentdesdentsensemble.Ceuxquinemeurentpassontsoignésdans lesmêmeshôpitaux.Sur leurs litsdedouleurs, ilsparlent«métier».Ensuite, ils recommencentà fairevaguement lesgendarmeset lesvoleurs.Desmilliersdeprostituées franchissentcesparages.CesontdesNépalaisesqui travaillentenInde.La frontièreelle-mêmeestunhaut lieudeprostitution.

EnAmérique latine, les fleuvesserventvolontiersde frontières.Cesystèmeest séduisantcar iléconomise les fraisdeclôturemais il souffredeplusieursdéfauts.Lescartographesnégligentdediresi la limitesuit la rivegaucheou larivedroite.Lescontrebandiers jouentsurcevide juridique. Il enrésultede longuesactionsen justiceetparfoisdeséchauffouréesmolles,paresseusesethumides.

Lesrivières-frontièressouffrentd’unautreinconvénient.Enpaysplat, elles sont lentesetformentdesméandres.Aprèsquelquesannées, leméandreestattaquépar l’érosion.Lesdeuxbranches

d’eauqui formentboucleserejoignentet leméandresecoupe lui-même.Larivièrechangealorsde lit.Elleemporte la frontièreavecelle.Lesgabelous fontcommelarivière. Ils transportent leurs tampons,leursmachinesàécrireet leurspétoiresunpeuplusloin.Quelques-unscependants’opiniâtrent. Ilsconsidèrentque la frontièren’apasàobéirauxhumeursde lagéographie.Commeausurplus ils sesontattachésà leurpetitecabanededouanier, ilsnesignalentpasà leursgouvernementsque la frontièrea faitmouvement. Ils continuentàmonter lagardedevant leurméandremort. Ilsdeviennentdesdouaniersmélancoliques.

Entre lePakistanet laChine, la frontièrecourtdans lachaîneduKarakorum,quiculmineà8 068 mètres.Entre l’Indeet lePakistan,elle traverseleglacierdeSiachem.Onsedemandeàquoiellesserventmaiselles sontconsciencieuses, elles font leurmétierde frontière.Elles séparentuneneiged’uneautreneige,uneblancheurd’uneblancheur.

Lesdouaniersont froid. Ilsécarquillent lesyeux.Ils surveillent lenéant.Sur leursgrandsregistres, ilsnotentdessilences,desvertiges,de l’éternité.Parfois,lesdeuxpaysdécidentdesebattreunpeu.En1985,dans leglacierdeSiachem,uneguerreaéclaté.Lesdouaniersontcanonné laneigeetensuite, le silenceest revenu.

LeZimbabweestdirigéparunhommebizarreetmalfaisant,Mugabe.Lesvertesvalléesde l’ancienneRhodésiesontdevenuesdesvalléesdecendres.Leshabitantsn’ontqu’une idéedans la tête : filerenAfriqueduSud.Entre lesdeuxpays, il yaunseulpointdepassage, àBeitbridge, sur le fleuveLimpopo.Descentainesdecrocodilescontrôlentcette frontière.

GILLESLAPOUGE88 ans,né à Digne.JournalisteenAlgérie etau Brésil de1947 à 1953,il travailleensuite àCombat, auMonde, pourla télévision(avec Ber-nard Pivot),la radio.Flâneur detoujours, ilreçoit le prixFemina essai2007 pourL’Encre duvoyageur(AlbinMichel).Dernierouvrageparu :Dictionnaireamoureux duBrésil (Plon,2011).

JEAN-LU

C-B

ERTIN

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deplus justequesadisparition ?C’était le fruitempoisonnéd’uneguerrevouluepar les fascisteset,pendantplusieursdécennies, elleavait coupéTriestedesonarrière-paysnaturel,deces terresqui l’avaientrenduericheautempsde l’Empireaustro-hongrois,àcheval sur lesXIXeetXXe siècles.Pourquoivoulait-ilqu’ilmemanquecesatanépoteau ?Maintenant, jepouvaisalleroù jevoulais :desmicrocosmesséparésseressoudaientetmoi j’étais libre, librecommelevent,demedéplaceràpied,àbicycletteouenvoiture,pourrecomposer la topographieéclatéedemonpetitmonde.Etpourtant…jesentaisbienquequelquechosecommençaiteneffetàmemanquer.C’était lerêve, la ligned’ombreà franchir, le sentimentdel’interdit.Mapremièreenviedevoyagern’était-ellepasnée justementde l’existencede laFrontière ?Nevenait-ellepasdecette limitequiengendrait laclaustrophobieetenfermaitTriestedepuis le jourmêmedemanaissance, le20décembre1947 ?«Qu’est-cequ’il yade l’autrecôté ?»medemandais-je,petit garçon,enécoutantsortird’unevieille radiopleined’interférences lavoixdumondecommuniste,sur les longueursd’ondedeBudapest,PragueouBelgrade.

Apartirdecemoment-là, j’avaiscommencéànaviguerdanscettedirection,vers la terredescigognesentre laVistuleet leDanube.D’abordparl’imagination,puisaumoyendevieuxtrains,devélos,d’autocars,depéniches.Jeviensd’uneterredemer,derocsetdevent.Pourmoi, c’estplutôtunebasequ’uneville.Trieste, agrippéeà l’extrémitéseptentrionalede lamerMéditerranée,estmonrefuge,un lieuqueDieusecomplaîtde tempsentempsàtouilleravecsagrande louche,déchaînantunetempêted’airetd’eauque l’onappelle« laBora»,unvent furieuxqui soufflede la terre.Triesteestmacachette (…)

Depuismanaissance, j’ai vécuenéquilibreprécairesurcette failleoù jerésidecommesur le fildeferd’unfunambule.Jesuisunhommedefrontière,poséentredes languesetdescultures, entre lameretlamontagne.ATrieste, entre lesAlpeset laMéditerranée, iln’yarien,etmêmeles faits lesplusmenustémoignentdecettecontiguïté insensée.Ladistanceentreunmouillageet le théâtre lyriqueestdecinquantemètres, entre lebateauet lebistrotelleestde trentemètres.Dansunerueàdeuxpasducentre,unevieilledameaadoptéunmignonpetit chienquifouillaitparmi lesorduresetcen’estqu’auboutdequelquesmoisqu’elle s’est renducomptequ’ils’agissaitd’un loup.Unchevreuil, descenduauplusnoirde lanuitet terrifiépar lacirculationmatinale,ne trouvapasd’autremoyendes’enfuirquedeplongerdans lamerenpleincentre-ville, et ilm’estarrivéplusieurs foisde lirequedesoursslovènesétaientvenusprendre leurgoûterdans lespoulaillersdesenvirons. (…)

« ETMAINTENANT, VIEUXBARBICHU, ELLEVATEMANQUERCETTEFOUTUEFRONTIÈRE »,par PaoloRumiz

C ’était le20décembre2007, le jourdemon60eanniversaire,datequicoïncidaitavec lachutede la frontière italo-slovène,autourdeTrieste. LaSlovénie intégrait« l’espace

Schengen»,etc’était cetteoccasionquiavaitdonné letonà la fête.Nous l’avionscélébréeavecunevingtained’amisetunquintettebalkanique,dansuneaubergeaumilieudesbois, àdixmètresd’unposte frontièrepiétonnier.Après labringue,nousnousétionsprécipitéssur lemorceaude ferhistorique,peintenblanc, rougeetbleu,etnous l’avionsmisenpièces,avec l’aided’unepatrouilledeSlovènesquiavaientdébouchéde la forêtàminuit, équipésde lampesfrontales.Quelqu’unversaduchampagnesur la lameensurchauffede lascie,onéchangeadesbaisersauhasard, sanssesoucierdesdiversesprovenances, etcefut là,dans lesvapeursduvinetde laslivovitz, tandisque lepoteaudevenaitunsouvenirausondel’accordéon,ce futdonc làque le juifSalomoneOvadia,ditMoni, lançaà la lunesaprophétiestridente.«Etmaintenant, vieuxbarbichu, elleva temanquercettefoutue frontière», railla-t-il, aumomentoù lederniermorceaude fer tombaità terresous lesvivatsdel’assistance.

Diable,medis-je. Iln’yavaitaucuneraisonderegretter la frontière.D’abord,ellen’avaitapportéquedesmalheurs, etpuis, avec ladétente, elle s’étaitmuéeenplaisanterie.Personnene laprenaitplusausérieux,surtoutdepuis le suicidede laYougoslavie, alorsquoi

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PAOLORUMIZItalien,63 ans, il estné àTrieste,ancien portaustro-hon-grois quin’est (défini-tivement ?)devenu ita-lien qu’en1954. Ecri-vain voya-geur pour lequotidien LaRepubblica, ila parcouruplusieursfois l’Italie etl’Europe,empruntantdes cheminsde traverse,voyageant àpied, enbateau ou àvélo. Il vientd’être tra-duit pour lapremièrefois enFrance avecAux fron-tières del’Europe(Hoëbeke).

BULA

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Ilyadessoirsd’automne,quand labrisese lève,que l’airdevientcommeduverreetque les ferriesàdestinationd’Istanbul larguent leursamarrespourpasserdevant lesAlpesquicommencentàpeineàblanchir,où j’ai vraiment l’impressionqueDieunousenvie,nousautresbâtardsdesang-mêlé,perchéssurce fabuleuxescarpemententredeuxmondes.Nousqui, enmontantsurunmôle,pouvonsvoir sansbougerd’unmillimètre l’Europeet laTurquie,imaginer les îlesd’Ulysseet lesbrasseriesdePragueoùHrabalcherchait sespersonnages,devinersurlesnervuresdescollines le frontde laGrandeGuerrequi s’entrelaceaurideaude fer, flairer lesentrepôtsde laSérénissimebourrésd’objetsvenusd’Orientetenmêmetempshumer l’odeurdessteppesau-delàduDanube.

Ainsi, quand les frontièresontcommencéàdisparaîtreetque larhétoriquede lamondialisationaplongédans lacrise lesentimentd’unAilleurs,lentement,parespritdecontradiction, j’ai senticroîtreenmoi lanostalgied’unevraie frontière,commecellesd’autrefois, avec lesbarbelés, les regardstorves, lesbagagespassésaucribleet le silence tendudevant l’hommeenuniformequi tenaitvotrepasseport.Oui, il fallait faireungrandvoyage le longd’un limes,pourreprendre le termelatin, c’était cela ledésir inexpriméque l’amiMoni–bardestridentettransfrontalier–avait toutsimplementrenduexpliciteetdésormais impossibleàremettre.Partirdonc,maisoù ?Lerideaude fern’existaitplus, lesbarbelésavaientétéremplacéspardesespacesdomestiqués,desmuséesetdespistescyclables.Pourchercherdes terressauvages, il fallait allerau-delàdelaPuszta, à la limiteorientalede l’Unioneuropéenne.Là,peut-être, commençaitencoreun«autremonde».Traduitdel’italienparBéatriceVierne(courtesyEd.Hoëbeke).

FRONTIÈRESGLISSANTES,parAbdourahmanA.WaberiNez à nez

L ’Autre, c’estd’abordsoi.D’abordsoi,dictaitl’hommedesciencetoutengravant lesmotssortisdesabouchesursa tabletteàcristaux liquidesde la tailled’uncodex.

D’abordsoi, répétait-il, le crayonélectroniquecoincéentre lepouceet lemajeur.Etpartant,poursuit-iltoutàsadictée, l’Autresedécrète, s’éprouveetseconstruitàpartirdesoi.Apartirdesoi,point.Noscapteurssensiblesnese trompent jamais.Onignoreencoreparquelmouvementsecretde l’âmecetAutreobsèdenos joursetnosnuitsmais toujoursest-ilque l’altérité sedécrèteàpartirdenotrepropreengagement.C’est logique,dit-il en faisantminedes’étonnerdesespropresmots.C’estpar lecorps toutentierques’endure lepremiercontactavec l’Autre.

Nousavonstoujourssucé le laitducommunautarismeolfactif.L’hommereste, le savant lesaitde longuedate,unanimalqui tâte,humeoumordilleavantdemontrersontalentpoétique.

C’est surtout l’odoratquiaurait laissé leplusintensesouvenirà l’explorateurparti à la rencontredel’Autre, enAfrique,enAmazonieetailleurs–dumoinssi l’onencroit leschroniques léguéespar lesscribesvoyageursquicomptentparmieux lepireet lemeilleur (lemeilleurétant lechroniqueurIbnBattûta,néàTangeretactif aumitanduXIVe sièclechrétien,confirmel’hommedescience).L’identification, lareconnaissance, lecadastredes terres lointainespasseraitd’abordpar lenez.Onse fieraitàsonpif,commelegroinva immanquablementà la truffe,ricane l’hommedescienceentriturantsa tablettepasplusgrandeque lapaumedesamain.

Peau contre peauNezànez,voilà lapremièrescèneavanttoute

chose,dit l’hommedescienceenreprenantsadictée.Puisdunez, il fautpasserà lasecondeétapequiserésumeàuncontactépidermiqueetnonàuneenvoléediscursive.Peaucontrepeau.Prenonsunexemple,préconise l’hommedesciencequicette fois lève lesyeuxetregardedroitdevant lui.L’ethnologued’hieretletouristed’aujourd’huin’éprouventpasautrechose.Lapasserelledel’aviondescendueet lapremièrevibrationépidermiquealieutoutdesuite,d’unemanière indéniableajoute l’hommedescience.Lapeaudunouveauvenuquittetoutd’uncoupsatristecandeurblanche.Elleest làtouteneuve.Ellerespire,s’ouvredetoussespores.Soudainementmoite,ellefrissonne,dégageunefortehaleineetsecabresouvent.Ellemueaussi,devientsujetteauxrosissements,auxcoupsdesoleil, auxcoupsdechaleur,auxpicotementsdefroid,à lacaressedesalizéstropicaux,auxassautsdukhamsinetdel’harmattan,ausableurticant,à lalatéritequel’ontrouvedanslasavanearborée,à lasécheresse,auxondées,auxmoustiques.Commevouslevoyezlesrencontressontmultiplesetdenaturediverse,susurre lesavant.

Cettepeauest leprincipal réceptaclepar lequel lemondeestmonde.Lapeauestcanal, filtre, écranetmiroir toutà la fois. Il luiarrivede fairesoncinéma,confirmelescientifique.Ainsi lapauvrepeaublancheterroriséeseprometdeprendre la fuite.Elle rêved’unechose :quittersaFlandre, saForêt-NoireousaBavièrenatale.Ellen’enrestepas là.Elle separleetsurtoutelle s’écouteparler :«Jenepouvaisplus tenir.Jepars.Où ?Jenesaispas.Maiscomprenezquesi jesavaisoù jevais, jenesortiraispasdemapeine.»Elleestprisonnièred’untourbillondeviequi l’emmèned’épreuveenépreuve,de touffeurssuffocantesentouffeurssuffocantes,devertigeenvertige.Elle fait sien lesouffled’Afrique, et lesmusiques

Q U E L L E S F R O N T I È R E S ?

ABDOU-RAHMANA.WABERIDjiboutien,45 ans.Cahiernomade(Serpentà plumes,1996),recueil denouvelles,lui vaut leGrand Prixlittéraire del’Afriquenoire. Il aécrit unroman surle génociderwandais,Moisson decrânes(Serpent àplumes,2000).Derniersouvragesparus :Aux Etats-Unisd'Afrique(JC. Lattès,2006).Passagedes larmes(JC. Lattès,2009).

CATHYBISTOUR

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ACTUELLEMENT

Ours d'OrFestival de Berlin

2 heures à couper le souffle.Le NouveL obs

femme actueLLeDu grand cinéma. unemagistrale réussite.

Positifun film superbe.

Le fiGaRomaG

PRemièRe

Le film du mois. un drame poignant.L’exPRess

un thriller haletant.aLLociNé

fort et puissant.LefiGaRo

coup de cœur. brillant !stuDio ciNé Live

Passionnant.téLéRama

SÉPARATIONUNE un film de asghar farhadi

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d’Orient, et lesonguentsd’Asie. Il luiarrivedefraterniseravecautrui,dedécouvrir sessœursd’ébène, sessemblables…

Chair contre chairEtcommeenpareil cas, lapeausedécouvredes

aptitudesqu’ellenesoupçonne,poursuit le savant.Ellenesesavaitpassi souple.Elle sesurprendenimitant lesmouvementsd’autrui. Imiter, c’est ledésirdedevenirautre.Elledanseetdanseaurythmedesrythmesnègres.Ausondes tam-tams,desbalafons,desmbalax,desconquesetdescongas, énumèrel’hommedescience.Elle soulèvedesnuéesdepoussièredans leSahel–paletteocreet tabac.Ellechante IndependancechachaàBrazzaville, àPraiaouàLibreville, toutescesvillesqui sentent leseletl’eucalyptus.Elleestnimbéedesueur.Elletourbillonne,elle jubile.Elleest ivre.Elleestappel,désir, sensualité faitechair.Lourdetantôtdesenteursde laitetdesperme, tantôtdepoudreetde fourrure,tantôtderemuglesd’ail etdegingembre.Elle traînedesodeursde fauve impudique.Sursonpassage,lecommundesmortels se tamponneunegouttedeparfumsous lesailesdunez.Qu’importe,dit-il.Ellecherchepar toutesses fibres l’émoi, l’amour,laconfusion, ledérèglementdessens.Elleveutfusionneravec lapeaude l’autre,mêlersasueur, seslarmes, seseffluvesàceuxdesonprochain.Elleveut

vrillerdanssachair,boiresoneau.Remonterà lasourceensacompagnie.Etendresonempire.Signerunepaixblancheavecautrui.Pasdedomination,plusdenégation.Emulsion, fusion.CommeAdametEve.Elle respire, elleestcommeauParadis,murmure leclairvoyant.Peaucontrepeau,accorddescorps.

Cœur à cœurQuelquesjoursplustard, lapeauduvoyageuren

terreétrangèrecommenceàs’adapteràsonnouvelenvironnement.Ellesesentacceptée,aiméemême.Lanuit,elleatoujoursunpetitairchagrinenquittantsonpagnedewaxmulticolorepourunlégerpyjamaluiaussimulticolorecommeledrap.Dèsl’aube,aumilieudetouteslesautrespeauxelleaccueilleraunefamilièreodeurdemoka(Moka,cenomenchanteurauparfumdecafé,désigne,nousapprendlesavant,unebourgadeauregardtristeetàlapopulationétiquesurlacôteyéménite).Elleprendral’habitudedes’adonneràcenouveaubreuvagebientôtcélèbredanslemondeentier.LeparfumdesbrûleriesdeMokaaémigréversd’autrescontrées,enrichid’autresnégociants,professel’hommedesciencelesyeuxtoujoursrivéssursatablette.

Lesoirvenu lapeaud’Allemagne(oud’Autriche)coucheraavecd’autrespeauxnoires,brunes, couleurcafé.Elle secouleradansunhalod’encens.Elleconnaîtra lebonheur.Lapeaud’Europeaprisgoûtdesoleilde là-bas. ∆

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EMMANUELGUIB

ERTPOURLE

MONDEMAGAZIN

EQ U E L L E S F R O N T I È R E S ?

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23 juin 2011

Le rendez-vousdelaphilanthropieune journée de conférences et d’ateliers, ouverts à tous, autour des enjeux de la philanthropie,animés par François de Witt et Jérôme Porier «Le Monde Argent».

Au programme de la matinée:

9h30 | « Les différents modèles philanthropiques », présentation parWilliam Mussat,directeur général de BarclaysWealth, d’une étude exclusive sur la philanthropie dans le monde

10h00 | « Donner ou investir », table ronde avec Olivier de Guerre, associé fondateur de PhiTrust Active Investors,Arnaud de Ménibus, créateur du fonds de dotation Entreprendre & +,Virginie Seghers,conseil et auteur de La Nouvelle Philanthropie et MauriceTchenio, co-fondateur d'Apax Partnerset président de la gérance d'Altamir Amboise

11h15 | « Comment créer une culture philanthropique? », table ronde avec Jacques Attali,président de PlaNet Finance, Pierre Bergé, président de la Fondation Pierre Bergé -Yves Saint Laurent,Geoffroy Roux de Bézieux, président d’OMEATelecom /Virgin Mobile France et vice-président de l’Unédic et de Pôle emploi

Au programme de l’après-midi: 3 ateliers

13h30 | « Philanthropie transfrontalière: mode d’emploi »

14h30 | « Que peut attendre le philanthrope de sa banque privée et de ses conseils? »

15h30 | « Pour une remise à plat du cadre juridique et fiscal de la philanthropie? »

Centre de Conférences de l’institut pasteur - parispour vous inscrire (particuliers et professionnels) : www.assises2011.fr/inscription

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ENÉQUIPE. Anthony entourédes camarades qui l’ont aidé àmonterle projet, uniquement des filles.

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L A R E N C O N T R E

PascaleKrémer

Au lycée deLaSalle, établissement catholiquedeRennes, un élève a organiséune campagnede sensibilisation au respect des gays.Une initiative pleinement

soutenue, et sans problèmede conscience,par l’équipepédagogique.

CONTRE L’HOMOPHOBIEUN LYC É E CATHO MOB I L I S É

C’estunehistoirepleined’espoir,quienditlongsurl’évolutiondesmen-talités enFrance.Onnevapas se

priverdevous la raconter.L’histoire, tris-tementbanale,maisquifinitbienpourunefois, d’Anthony, 19ans, élèvede terminaleau lycée professionnel et technologiquecatholiquedeLaSalle,àRennes.

Anthonyneportenilalonguemèchedecheveuxcolléeausprayniletee-shirtAber-crombie&Fitchdumoment.Coupepro-prette,vestedecostumegrisesurchemised’ungrispluspâle,voixdouceauxinflexionsunbrinprécieuses,ilatout,deprimeabord,dugars effacé sur lequel les cadorsde ly-céepros’essuientvolontiers lespieds.Unbrunauxyeuxverts, gentil et sentimentalselonsesprofs.Elémentaggravantpoursasurvie enmilieu lycéen, Anthony, arrivédansl’établissementà16ansenBEP«Venteactionmarchande»,s’estdécouverthomo-sexueletn’ajamaistentédelecacher.

«L’andernier,enpremière,ungarsdemaclassem’ademandé si j’étais homo. J’ai ré-ponduqueoui, je l’étais.Je l’avaisdéjàditàmesamis. Je suis commeça, je ne vais pascachercequejesuis !,assure-t-il,nonsansunecertainecandeur.Sionmeposelaques-tion,jeréponds,mêmesimoi,jenedemandejamaisauxgenss’ilssonthétéros !»Lanou-velle se répandetunautre camaradevire«méchant».Quolibetsdevestiaires, har-cèlementcontinuelencours(«Anthony,tuveuxunpénis ?»).Danscettesituation,lesassociationsentémoignent,lesjeunesgayspeusoutenusparleurentourageserenfer-

mentsureux-mêmes,sombrentdansladé-pression,vontparfoisjusqu’ausuicide.An-thony,lui,neselaissepasdémonter.Iloptepourlariposteintelligente.Vavoirsonprofprincipal, sansenvisagerqu’il lui répondepar lemépris. Et l’indélicatmoqueur estrappeléàl’ordre.«Celamesemblaitnormalque lesprofsprennentmonparti.»

COMME LES AUTRESPlus tard, lorsqu’uneassociationvient

parlerdesdiscriminationsencours,leboncamaradeenprofitepour s’afficher fière-menthomophobe.«J’enai euras leboldel’entendreparlercommeça,sesouvientAn-thony.J’aidemandéàlaprofesseuredePré-vention santé-environnement si je pouvaismonter un projet sur le respect. »Elle ac-quiescederechef.Enseptembre, l’idée seprécise.Lethèmedeceprojet,ceseral’ho-mophobie.Anthonys’entouredequelquescamaradesmoinsbêtes que lamoyenne.Desfilles,lesgarscraignanttropl’étiquette«pédé». Lesprofs soutiennent, la direc-tionautorise.«Est-cequetuesprêtàaffron-terlescritiques,àdevenirlafigurehomodulycée ?», s’inquiète le conseillerprincipald’éducation.Oui.Anthonyest«blindé».

Courageux ?«Moi,perso,jenetrouvepas.Jesuisjustebiendansmapeau,jesaismedé-fendre. »Le jeunehommen’avaitpas jus-qu’àprésent la fibremilitante, iln’a jamaisfréquentélamoindreassociation,planqueTêtusoussonlitquanddescopainsleluiof-frent(sesparents,pourtantinformésdesonorientationsexuelle,ne«parlentpasdeça»

avec leur filsunique), ilnemaniepasvrai-mentleconceptet,hormisBertrandDela-noë, lemairedeParis, il n’a guèrederéfé-renthomosexuel. «Detoutemanière, jenelesrepèrepas,moi,leshomos !Quandjevoisunepersonne, jenevoispasunhomo,maisunepersonne.PourEltonJohn,jel’aidécou-vertdernièrement,quandonafait lediapo-ramaaulycée.»Desmodèles,iln’encherchepas.Ilestcommelesautres,pointfinal.

Le17mai,donc,unejournéecontrel’ho-mophobieestofficiellementorganiséeaulycéecatholiquedeLaSalle, àmoitié sub-ventionnéeparunconseilrégional(deBre-tagne)ravidecetteinitiativeémanantd’unélève. Rarissime. L’exposition, installéedanslehalld’entrée,interpellebiendavan-tageleslycéensquelaprécédentesurledé-veloppementdurable,auxdiresdesensei-gnants.Surgrandécranplat,undiaporamaprésente les affichesde lutte contre l’ho-mophobieplacardéesdansdifférentspays– lemariagedeKateetWilliamcôtoie ce-luid’EltonJohn.

Fixésàdegrandspanneaux,despostersconçus en interne, « Homo, bi, hétéro,tous ego», illustrésdedessinsde couplesd’hommes,defemmesethomme-femme,qui s’embrassent.Dessins repris sur desbadges (une idéedemadame ladirectriceadjointe)quifontuntabacchezlesprofes-seurset lepersonneldedirection.

Sur les panneaux, on lit aussi lecompte rendud’uneenquête réaliséeparla banded’Anthony.Quelle réactionface àunprochehomosexuel ?Cela k

PHOTOSTHIERRYPASQUETPOURLE

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E

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classe.Etdemoncôté,unjeuneestvenumeparler.C’est un énorme soutienpour lui desavoirquesonprofesseurestgay,etc’estnotredevoir, à cemoment-clé de leur vie, de leurpermettredes’épanouir telsqu’ils sont.»

FlorenceDeveltergarderasonbadgecetaprès-midipour recevoir lesparents sou-haitantinscrireleursenfants.L’expotrônetoujoursdanslehallavec,aumilieududia-porama,ungrosbaraquéenmaillotdebainrose.«Silesparentsseposentdesquestions,tantmieux,dit-elle,celalesferacheminer.»Jusqu’àprésent,aucunefamillen’atrouvéà redire à cette politique gay friendly. Lediocèsen’apasdavantageexercédepres-sion, contrairement à cequi s’était passécinqansplustôt lorsdel’adhésionaupro-jeteuropéen.DeLaSalleasuimposersonespritde tolérance, semble-t-il.Ouplutôtson«humanismechrétien»,selonlevoca-bulaire maison dont use Mme Develter :«C’estunétablissementfondéparlesFrèreslasalliens,lesFrèresdesEcoleschrétiennes,dont leprojetnousest trèscher : l’accueildetous nedoit pas se limiter àdes paroles enl’air,celasevitauquotidien.Nousaccueillonsaussidesélèveshandicapésparexemple.»

Mais enfin,madame la directrice ad-jointe, touscesenseignantshomosexuelsassumés, dans un établissement catho-lique…«Il fautêtrecohérententrecequ’ondit et cequ’on fait,pose-t-elle.Moi, je veuxdebonsprofs, celanem’intéressepasdesa-voirs’ils“sontdelachapelleoupas”commeonditici.Cen’estpasceregard-làquejeposesurlapersonne.Quantauxjeunes,ilestim-portantqu’ilspuissentparler,etilsleferonts’ilssesententaccueillistelsqu’ilssont,sansjugementmoral,avecbienveillance.Qu’An-thonypuisse s’assumer, cela le fait grandir,s’épanouir,etcelafaitgrandirtoutelacom-munautééducative.»

AuCDI, ladocumentalistequivoitdis-paraître les fascicules des associationshomo,judicieusementplacéssurlechemindelasortie,estimesimplementlelycée«re-présentatifde lasociété,avec l’homoparen-talitéacceptée».«Quand jepensequ’il yavingt ans, on ne pouvait même pas entrerdansl’enseignementcatholiquesionétaitdi-vorcé !»Anthony, lui, trouve l’ambiancesisympathiquequ’ilseverraitbiencontinuerenBTS«Négociation-relation clients ».Avec,dansuncoindesatête,cetteambitionqu’iljugepourl’instantdémesurée.«Fairedelapolitique.Plutôtàgauche.»∆

nechangerait rienpour84 %desprofes-seurs,nipour61 %desélèves.Anthonyvoitleverreàmoitiéplein.«Jesuisplutôtsatis-fait, plus de lamoitié trouve que c’est nor-mal.Moi,jesuisacceptéparmesamis,etparles gensdemaclasse, ils nemeconsidèrentpasdifféremment. »Ce17mai, des classesontassistéàdesreprésentationsthéâtrales,différentesassociationssontintervenues,Anthonylui-mêmeapris laparoledevantses camarades pour insister sur unmot,« respect », et « faire comprendre que cen’était pasun choix ».«Certainsm’ont ditque dans l’émission de télé-réalité“SecretStory”, l’homo faisait sa folle. Je leurai ré-ponduque leshomosétaientgénéralementreprésentés comme ça, mais qu’il y avaitaussidesgensnormauxcommemoi.»

Contrairement aux craintes duCPE,Anthonyn’apassubi,depuis,deretourdebâtonhomophobeetsembletoujoursaussibiendanssapeau.SelonJean-PierreCar-rasco,professeurd’anglais,«lefaitquecelaprenneuncaractèreofficiel, que l’adminis-tration soutienne le projet, l’a rassuré et aempêché certainsquolibets tropviolents ».C’estsurtoutàunepoignéed’autresquece17maiarenduservice.Acesétudiantsquis’emparentdiscrètementde ladocumen-tationplacéeauCDI.Acettejeunefillequi,aprèsavoiraidéAnthonyàpréparerlajour-née, a osé sedirehomosexuelle en classelorsdel’interventiond’uneassociation.Etquiconstatequesescamaradesontdésor-mais«moinspeur»devenir luiparler.

Encheminantverslacantine,àtraversunparcarboréqueparsèmenticioulàdestablesdepique-niqueenbois,Marie-LaureMartinet,professeuredePrévention-santé,réfléchitàhautevoix:«Iln’yapasbienlong-temps, j’ai demandédansune classe : “Que

diriez-vous si votre meilleur copain étaithomo ?”. Un garçon a répondu devant legroupe:“Moi-même,jesuishomosexuel”,etlesautresélèvesn’ontpasréagi.Lecomingoutdevient plus fréquentau lycée, plus fa-cile,c’estuneénormedifférenceparrapportauxmentalitésvingtansplustôt.Laplupartdesélèvessonttolérants,mêmesil’onentendencoredes : “Simon fils esthomo, je le tue”,notammentchez lesmusulmans.»

Audéjeuner,encompagniedeladirec-trice adjointe etd’unepoignéedeprofes-seursarborantlebadgeanti-homophobie,onsaisitmieuxpourquoi,ici,Anthonyapumenertoutnaturellementsoncombat.Lelycée professionnel et technologiquedeLaSalleestundrôledelycéecatho.Oùde-puis des années deux couples deprofes-seures lesbiennes et deux professeurshomosexuelspeuvent, sansêtre jugés, as-sumerleurdifférence.

DominiqueBerthier,leprofd’allemand,est unmilitant de l’association David etJonathan,descatholiquesquiluttentpourla reconnaissancede l’homosexualitéparl’Eglise.«Ilyauneévolution !L’Eglisenere-jetteplus lapersonnehomosexuelle…Justel’actesexuel.»Jean-PierreCarrasco,lepro-fesseurd’anglais,homo-parent,prendsonmercredi pour s’occuper de son petit de2ans.«Onestpeut-êtreunpeupionniers,àdeLaSalle ?»,feintdes’interrogerladirec-triceadjointe,FlorenceDevelterqui,danscetétablissement, lequatrièmedesacar-rière(«ettroisièmediocèse»),appréciequechacunpuisse«êtresoi-même».

« HUMANISME CHRÉTIEN »Tout sourire, en jean et tee-shirt dé-

contracté, Jean-PierreCarrascoexpliquen’avoir « jamais rien caché » : « Tout lemondea tout de suite suavec qui je vis, neserait-cequeparcequelesélèvesmecroisenten centre-ville avec lui. Ilsm’ont posé desquestions,maisrespectueuses,jen’aijamaiseude remarquesdésagréables. » Il y acinqans,ilaembarquél’écoledansunprojeteu-ropéenimpliquantlesenseignantsdanslaluttecontre l’homophobie.A l’époque, il abieneuquelques«remarquescinglantes».«“Tudevraisêtreplusdiscret”,m’a-t-onre-proché, sansquejecomprenneenquoi jenel’étais pas.Depuis, j’ai vraimentperçuuneévolution…Grâceà ceprojet, certains col-lègues ont pris conscience qu’ils peuventavoirdesélèvesgaysoulesbiennesdansleur

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C O N T R E L ’ H O M O P H O B I E , U N L Y C É E C A T H O M O B I L I S É

ACCESSOIRES. Des badges affichantdes baisers de couples homos ethétéros ont été créés par les élèves.

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BarthélemyBinia,originaire deRépubliquedémocratiqueduCongo (RDC),est curé enHaute-Vienne. Il y sert lamesse à lamodecongolaise– vêtementssacerdotaux hautsen couleur, chantset ferveur.

« EnAfrique,leséglisesdébordent,iciellessontpresquevides.»PÈRE BARTHÉLEMY BINIA

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L E R E P O R T A G E

Georges Châtain, photos FrédériqueAvril pour LeMondeMagazine

Dans le cœur rural de laFrance, des prêtres congolais, sénégalais ouburkinabésassurent les offices des paroisses désertées par leurs pairs français – et souvent parleurs ouailles. Rencontre dePentecôte avec ces nouveauxpropagateurs de la foi.

MISSIONNAIRES AFRICAINSCH E Z L E S I N D I G ÈN ES L I MOUS I N S

Je me considère ici en missionévangélique. »C’est àBourga-neuf, chef-lieudecantonde laCreuse,3 000habitants,quelePèreFirminNsokiestvenude

la République démocratique du Congoexercersonministèredeprêtrecatholique.Il s’amusede ce raccourci, qui a alluredeparadoxepourlamémoirecollectiveeuro-péenne ; autantque s’amuse lePèreBar-thélemy Binia, curé à Pierre-Buffière(Haute-Vienne)enlisantTintinauCongo.Enlerelisant,plutôt :«C’estavec lesaven-tures deTintin que j’ai appris le français.C’est vrai que nous autres, Congolais, n’ysommespasgâtés,mais il n’yapasdequoienfaireunplat.C’étaitleregarddel’Europecoloniale, l’histoireestcommeça.»

Terred’unegauchedevieille traditionanticléricale, le Limousin (Corrèze,Creuse,Haute-Vienne)est,sansdouteplusquelaplupartdesrégions,unquasi-désertreligieux.Aupoint que l’historiendes re-ligions Louis Pérouas, directeur de re-cherches au CNRS (et par ailleurs lui-mêmemissionnairemontfortain), s’étaitdemandésilaprovinceavaitjamaisétéen-tièrement évangélisée. Terre de recon-quête, donc, à partir du XIXe siècle, par la

MissiondeFrance,puisparlesprêtres-ou-vriers.Et,aujourd’hui,plusmodestement,deprésencemaintenue,parunclergévenud’ailleurs : d’Europede l’Est, duVietnamet, surtout,d’Afrique.

PERSONNAGES FAMILIERSLesPèresAugusteColy, venuduSéné-

gal, exerce dans les paroisses des beauxquartiersdeLimoges ;Michel Samba, duCongo-Brazzaville,àUssel(Corrèze) ;Da-vidBatto,duBénin,etEpiphaneDabiré,duBurkinaFaso, àBrive-la-Gaillarde (Cor-rèze).Mais ces lieuxd’affectationne sontquelescentresdezonesd’apostolatbeau-coupplus vastes. LaparoisseSaint-Jean-Baptiste, quedessert lePèreBarthélemyBiniadepuisPierre-Buffière (1 200 habi-tants,chef-lieudecanton),englobequinze« clochers » (désignationactuelledes ex-paroisses rurales, du temps où chaquecommuneavaitsoncuré).

Laparoisse Saint-Jean-du-Limousin,autourdeBourganeuf, groupevingt-septcommunesetcinqcantonsdelamontagnecreusoise,leseptièmedudépartement.Epi-phaneDabiré, curéde l’égliseparoissialeNotre-Dame-de-LourdesàEstavel– l’ex-tensionindustrielledeBrive,17000habi-

tants –,aaussi lachargedesixcommunesruralesduCaussecorrézien.

Entreplanificationdesmesses quoti-diennes,baptêmes,obsèques,organisationdelacatéchèse,cesprêtressillonnentleurterritoire à raisondeplusieurs centainesdekilomètresparmois.Ilssontdesperson-nages familiers de la vie sociale rurale etvillageoisecar,résumeFirminNsoki,«toutnesepassepasàl’église»,etleprêtreestunacteurparmid’autresde la vie collective.« Il m’arrive même, ajoute BarthélemyBinia,d’êtreinvitéauxrepasdesassociationsdechasse.»

Séminaristes puis prêtres deparoissedansleurspaysrespectifs,ilssontengéné-ralvenusenFrancepar laprocédure«Fi-deiDonum» (lire l’encadré page 32), quiorganise,souslaresponsabilitédesévêques,les échanges interdiocésains.«Je suisar-rivé en septembre 1997, expliqueAugusteColy.Jem’étaisbrièvementrenduenFrancedanslecadred’échangesintercatholiquesetj’avais appris que l’épiscopat français pei-nait à trouverdes renforts saisonniersper-mettantàsesprêtresdeprendredesvacances.Je suis venupourunoudeuxmois, et puis,vousvoyez,jesuistoujourslà.»Ilacom-mencédansunecommuneruraledu k

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num» :ilaquittéleBurkinaFasopourrai-sonsmédicales. «Alors que j’étais prêtreparoissial, j’ai été victimed’ungraveacci-dentdemoto.L’opérationàOuagadougouaétératée,et troisansplustardj’aidûêtresoignéenCôted’Ivoire,àAbidjan.Justeaumomentoù,fin2002,acommencélaguerrecivile. J’ai alors été transporté enFrance ;aprèsunelonguehospitalisationenrégionparisienne, je suis venu àBrive, en conva-lescence,grâceàl’évêquedeTulle,MgrBer-nardCharrier, évêque du diocèse de Cor-rèze. J’ai été bienaccueilli, je suis resté. »

Quercy,Douelle,surlesbordsduLot,puis,en2007,aéténomméàLimoges.

BarthélemyBinia, ordonnéprêtre en1971,ad’abordétésecrétairedel’évêquedeKinshasa, le cardinal Joseph-AlbertMa-lula, premierprélatde l’indépendanceduCongoex-belge.En 1989, il a choisi la viemissionnaire.D’abordauCameroun,«pa-roissed’Ina,enterritoiremusulman.J’yétaispratiquement sans fidèles, pas rejeté,maisisolé.En2005,j’aialorsprisuneannéesab-batiqueet je suis venuenFrance. J’étais encontactavec l’évêquedeLimoges,MgrDu-four,quiétaittrèsenpriseavecl’Egliseafri-caine.J’aieffectuéplusieursremplacements,et j’aidécidéderester.C’estcommeçaqu’en2006jesuisdevenulimousin».

ENRICHISSEMENTMUTUELEtc’est envenant lui rendrevisite lors

de son installationqueFirminNsoki, sonneveu, découvreà son tour la région.«LeLimousinestplutôtdéchristianisé,mais j’ysensunesortedespiritualité.Ilm’estapparucommeuneterreassoifféequiabesoind’êtrearrosée. Jeme suis dit : “Je peux donner.”Etrecevoiraussi, car j’yaidécouvert les in-terrogationsquepeutsusciterladifférence.Uneseuleconvictionm’habite:celledel’en-richissementmutuel.»

Dupointdevuedeladifférence, ilest,àBourganeuf,particulièrementbienplacé.Lebourg,aucœurdumassifforestierlimou-sinetàlaforteactivitébûcheronne,compteunecommunautéturquedequelque70 fa-

milles,implantéesparfoisdepuisplusd’unegénération.Lamosquéeyest àquelquesdizainesdemètresdel’égliseetdupresby-tère, et le prêtre Firmin Nsoki a vite liéconnaissanceetamitiéavecl’imam,RecepAldirmaz.«Lesrelationssontétabliesentrelacommunautéparoissiale et l’associationculturelle turque. Il yaeudes rencontres etdesdébatspourseconnaître.L’imamm’in-vite aux fêtesmusulmanes.Et il viendraànotrekermesseparoissialeduprintemps.»

L’abbéEpiphaneDabiréestenCorrèzeuneexceptionà laprocédure«FideiDo-

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«FideiDonum», des prêtres enCDD

Le statut de prêtre« Fidei Donum » (donde la foi) a été créé parune encyclique du papePieXII, le 21 avril 1957,pour ouvrir aux prêtresdiocésains les « appelsde lamission », jus-

qu’alors confiés à desordresmissionnairesspécialisés, aujourd’huienmanque d’effectifs.Les départs sontconclus pour trois ansrenouvelables, paraccords entre l’évêché

d’origine et l’évêchéde destination.A la promulgationde l’encyclique,950 prêtres françaissont partis enAfriqueet enAmérique latine.Depuis, l’effondrement

du nombre des ordina-tions a inversé la situa-tion. Pour 165 prêtresfrançais qui officient àl’étranger, 1 472 prêtresétrangers officienten France, soit 13%de l’effectif national

du clergé paroissial.Ils sont venus d’Afrique(793), d’Europede l’Est (316), d’Asie(222), d’Amériquelatine (104), duMoyen-Orient (37).(Chiffres d’avril 2010).

REPÈRE

« LeLimousinestplutôtdéchristianisémais j’ysensunesortedespiritualité.»PÈRE FIRMIN NSOKI

M I S S I O N N A I R E S A F R I C A I N S E N L I M O U S I N

FirminNsoki, originaire deRDC, est prêtre dans la Creuse.

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vement ; ici, elles sont silencieuses, lesgensne les chantent pas et pour nous elles sonttristes.»

Alorsiladécidéd’inoculeràsescélébra-tions unpeude l’esprit des pratiques dechez lui, le«rite congolais » (lire l’encadrépage 34), qui bouscule l’ordonnanceet lacomponctiondelamesse.«Ici,vousouvrezlamessepar la contrition et l’imploration :“Seigneur, ayez pitié de nous, pauvres pé-cheurs.”EnAfrique,onl’ouvrepar la joieetla jubilationdevant labeautédumonde.»

Musicienlui-même– « j’aitravailléàlacréationdel’hymnenationalLaZaïroise» –,il est auteurde chants liturgiques (Mam-passi yaMfumunaBetoYezuKristu, « lapassiondeNotreSeigneurJésus-Christ »en languekikongo) ; il a remis lamusiqueaucentrede la célébration :«J’ai tentédecréerunechorale,unevraiechoraleàquatrevoix.J’avaisréussiàintéresserunevingtainedeparoissiens,mais çan’a finalement pasabouti,lesdistancesentreles“clochers”sonttropgrandespourréunirrégulièrementtoutlemonde,etlesdifférencesd’âgenesontpastrèsmotivantes.»

Maisilchanteetfaitchanter,etmetdanssesofficesunevervequiad’abordsurpris,puis séduit.Commesesvêtements sacer-dotaux congolais, qui semblent avoir étécréésparungraffeurcoloriste.

A Limoges, Auguste Coly a lui aussidonnéunecolorationnouvelle à ses célé-brations :«Je l’ai fait naturellement, sansbienm’enrendrecompte.EnAfrique,nousaimons animer la messe. J’ai été surprismais j’ai aimé quand onme l’a dit. »Et, àBourganeuf, FirminNsokimontre le pe-titmotmanuscrit qu’on lui a récemmentadressé : « Tamesse de Pâques a été unemerveille, avec un tel envol de joie, de vi-gueur,declartéquel’onnepeutdouterdelarésurrectiondeJésus. »

Y aurait-il dans ces emprunts au ritecongolais des réminiscences adaptablesdespratiquesanimistes ?BarthélemyBi-niaréfuteleterme«animisme» :« Jepré-fèreparlerdereligion traditionnelle. »Et puis il s’amuse : « Le Limousin a k

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« Ilyavaitunbesoin,les fidèles [corréziens]étaientenattente.»PÈRE ÉPIPHANE DABIRÉ

Facilement ? « Ce n’est pas immédiatquandonvousparachute dansun coin oùvousneconnaissezpersonne.»Ilciteunpro-verbedechezlui:«Unboutdeboisjetédansl’eaunedevientpaspoisson.»Mais«ilyavaitunbesoin, lesfidèlesétaientenattente».

MêmesentimentchezBarthélemyBi-nia.«Ilfautdirequeleterrainavaitétépré-paré.Ilyavaiteuavantmoiunautreprêtreafricaindanslesecteur.Quandjesuisarrivé,beaucoupsontvenusseprésenter,mêmeceuxquinefréquententpasl’église.»Ilnesesou-vientqued’uncasdeméfiance : un jeunecouplequiarefuséd’êtremariéparunNoir.« Il n’était pas questionde les forcer,maispas question non plus de céder devant cegenrederefus. Ilsn’ontdoncpasétémariésparunprêtre,maisparundiacre.»

AugusteColysesouvientaussidurefusd’unefamille,àDouelle,delelaisserbapti-ser leurbébé :« Ils avaient le sentimentdenepasavoiraffaireàunvraiprêtre.»Maissessouvenirsdubourgquercynoissontplussympathiques:«Pourmapremièrecélébra-tion,l’égliseétaitpleine,mêmedepersonnesqui ne venaient pas d’habitudeà lamesse.

Uncahieravaitétédisposéaufonddel’églisepouryécriredesmotsdebienvenue.Plusieursvillageois m’avaient apporté des cham-pignons et des fromages, deux produitsinconnus et plutôt repoussants pour unSénégalais,surtoutleschampignons.Etpuiscela s’est renouvelé, et je ne pouvais pasrefuser des dons aussi gentiment offerts.Alors j’ai appris à aimer les champignonset le fromage.»

FONTAINES GUÉRISSEUSESAvantBourganeuf,FirminNsoki avait

déjàquatreansdepratiquelimousine–unanvicaireàBellac,troisansàSaint-Junien.«L’évêquedeLimogesenpersonneestvenum’introniser, et des paroissiens de Saint-Junien m’avaient accompagné. Et puis,commejevousl’aidit, lesgensd’iciontl’ha-bitudedevoirvenir lesgensd’ailleurs.»

L’effetdesurprise,auxdiresdeBarthé-lemyBinia,aplutôtconcernélesarrivants:«EnAfrique, les églisesdébordent, ici ellessontpresquevides ;enAfrique,leurfréquen-tationest jeune, ici elle estâgée.Là-bas, lesmessessontjoyeusesetdébordantesdemou-

L’abbé burkinabéEpiphaneDabiré s’est installé enCorrèze.

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lui aussi ses pratiques animistes. Quandje suis arrivé ici, j’ai été stupéfait de voirdes gens qui ne mettent jamais les piedsà l’église venirmedemander d’aller bénirleurs fontaines.»

Les«bonnesfontaines»– quelque300recenséesenLimousin–sontréputéesgué-risseuses, chacune pour une pathologieidentifiée, et visibles dans le paysageparl’accumulationdevêtementsaccrochésenex-votodans lesbranchages alentour.Il s’est étonné, aussi, le jouroùunparois-sien lui aoffert uncouteau, de l’entendreluiréclamerenéchangeunepetitepiècedemonnaieparcequeledond’uncouteau,«çacoupe l’amitié».

Pasdeproblèmeressenti,donc,danscetaccueildesmissionnairesafricainsparlesindigèneslimousins.N’ya-t-ilpaspourau-tantdescoupsdenostalgieetdesenviesderetour au pays ? « C’est la famille quimanque,biensûr,répondAugusteColy.Jetéléphonetouslesdimanches.»Pourlasuite,«maprésencenedépendpasdemoimaisde

mesdeuxévêques,celuideKinshasaetceluideLimoges». Il aimerait rester encoreaumoins troisouquatreans, pour terminer,parallèlement à sonministère, undocto-rat sur« le rôledesassociationsdeparentsdans lapolitiqueéducative».

BarthélemyBinia est partagé : «C’estvraiquelepayset lafamillememanquent ;

mais j’ai des amitiés ici. Et puis, il y a duboulot. »EtEpiphaneDabirérésumeleursituation commune : « Un prêtre est enmission. Il est envoyé, il ne s’envoiepas lui-même. »Celapeut être, dit-il,«n’importeoù », et il lui faut une « capacité de déta-chement »,dans laquelle il trouve cequ’ilestimeêtreune«véritable liberté». ∆

Auguste Coly, sénégalais, exerce dans les paroisses des beaux quartiers de Limoges.

Le« rite congolais » – palabres, ancêtres,musiqueLe « rite congolais », ou« zaïrois », est né del’« inculturation » de laliturgie catholique enAfrique, c’est-à-dire del’adaptation de l’Evangiledans les cultures popu-laires. Il se caractérise parl’importance de lamusi-que, des danses et par latransformation de l’homé-lie en échanges de paroles

– les « palabres » – entrele prêtre officiant et lesfidèles. Il modifie aussi ledéroulement de lamesse,et célèbre les ancêtres aumême titre que les saints.Un office peut durer jus-qu’à trois heures et plus.Le pays, devenuZaïre,puis aujourd’hui Répu-blique démocratique duCongo, est le plus catho-

lique du continent afri-cain. Ce rituel est apparuspontanément et progres-sivement à partir de l’in-dépendance du Congobelge, en juin 1960. Il a étépeu à peu formalisé, sousl’influence du cardinalJoseph-Albert Malula(1917-1989), évêque deKinshasa, et reconnu licitepar leVatican en 1988.

FOCUS

« Jesuisvenupourunmoisoudeux,en1997etpuis,voyez,jesuis toujours là.»PÈRE AUGUSTE COLY

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THANKSTO

MRSMELE

KELNIM

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RHERSUPPORT

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ÊTRE PALESTINIEN,VIVRE AU LIBAN

Aquandunaccorddepaix avec Israël ?A quand l’heure dequitter le pays duCèdre ?Enattendant, les réfugiés

palestiniens et leurs enfants, souventnés sur place, tententde s’intégrer à la société libanaise. Voici leurs portraits.

photosMarco Pinarellitexte Gilles Paris

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MUSIQUE.Yousef Abdallah,joueur decornemuse,sur le toit du campdeBorj Al-Chmali,à Tyr, où il est né.Ses papiersd’identité ledonnent commeréfugiépalestinien.

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SOCIAL (ci-contre).Nicole EidAbuHaydar est née àBeyrouth de parentspalestiniens.Elle y travailleaujourd’hui commeconsultante enmatièred’éducation pourle développementsocial.Elle a la doublenationalitéaméricaineet libanaise.

CINÉMA (enhautàgauche). Lara AbouSaifan, productricede documentaires,près de la Grotteaux pigeons, àBeyrouth. Elle estnée à Benghazi,en Libye, dans unefamille originaired’Al-Thariya,près d’Hébron,enCisjordanie.Elle possèdeles nationalitésjordanienneet libanaise.

TRANSPORT(enbasàgauche).MansourAtwat,sur le toit de son taxidans une plantationde bananes prèsdeTyr. Sa familleest originaire deTaberah, en Israël,lui est né àAnjar, auLiban. Il a le statut deréfugié palestinien.

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LE PHOTOGRAPHEMARCO PINARELLI est né à Vérone en 1971. Après des études de droit en Italie,il part apprendre la photographie au Centre international de photographie, à NewYork. Sa série de portraits de Palestiniens travaillant au Liban, où il vit désormais,cherche à réduire le décalage entre la couverture par les médias occidentaux dela question des réfugiés palestiniens et la réalité. www.marcopinarelli.com

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Combiendureraencorel’attentedesPalestiniensduLiban ?Detouteslesdiasporaspalestiniennesquientourent la terrequ’ilsontdû fuirdans letumulteguerrierdelapremièreguerreisraélo-arabe,en1948, c’est la libanaisedont lesortest

lemoinsenviable.L’histoireestpasséepar làetbeaucoup,aupaysduCèdre,jugentencorel’OrganisationdelibérationdelaPalestineresponsabledelaspiraleinfernalequi,àpartirde1975,plongeaunjeuneEtat-phareduLevantdans legouffred’uneguerre civile de quinze ans. Comme si l’adjonction d’unecommunautésupplémentaireavaitfiniparfairevolerenéclatslecimentd’unemosaïqueconfessionnellecomplexe.

Aprèsunepremièrevaguedeplusde200 000 réfugiés,lesfedayinsdeYasserArafat, chassésdeJordaniedans le sang,avaienttrouvérefugeauLiban.Fortsdelalégitimitéaccordéepar les accordsduCaire en 1969, ils s’y étaient tailléun«Fa-tahland»dans le suddupays,d’où ilsharcelaient Israël, pro-voquantenretourdesreprésaillescontre lepaystoutentier.

Pendantdes années, lesnomsdes campspalestiniensduLiban ponctuèrent la chronique de ces années de plomb,commeceuxdeSabra etChatila en 1982, suppliciéspardesmilicienschrétiensàlafaveurdel’invasionisraélienne.Aprèsl’instaurationde lapax syriana, en 1990, il resta despochesdemisère concentrantunepopulation toujours plusnom-breuse,gratifiéed’unstatutdesecondezone,interdited’accèsàdenombreusesprofessions.Unterreaupropiceaudévelop-pementdegroupusculesdjihadistes, après l’épuisementdesgrandesidéologiesdelasecondemoitiéduXXesiècle,dusocia-lismearabeaupanarabisme, jusqu’à la foinationalistepales-tinienne.DesmilicesquiravivèrentàTripoli,àBeyrouthetàTyrlamauvaiseimagepalestiniennelorsdel’insurrectionducampdeNahrAl-Bared,danslenorddupays,écraséeàgrandpeinepar l’arméelibanaise,à l’été 2007.

QUITTER LE LIBANAunomdesdéséquilibresconfessionnelsentremusulmans

etchrétiensrevisitéslorsdesaccordsdeTaëf,en1989,quimi-rentfinàlaguerrecivilelibanaise,entresunnitesetchiites,lesPalestiniens seront fermement invités àquitter leLibandèsqu’unaccorddepaixauraétéconcluavecIsraël, cequiappa-raîtencorelargementhypothétique.Pourpartirdansunpaystiers,aprèsleversementéventueldecompensationspoursol-der l’évictionde 1948et la pertede leur foyernatal, oubienpourrentrerdanslaPalestinequiseraconstituéedanslesfron-tières jamaisreconnuesde1949,àGazaetenCisjordanie.

C’estbienlesortdesréfugiéspalestiniensduLiban,etnonceuxdeSyrieoudeJordanie,quiaétéen jeudans lesdiscus-sionsâpresquiontpusedérouleraufilde ladernièredécen-nie entre négociateurs israéliens et palestiniens. Il ne futpresquepasquestiond’euxdansledernierdiscoursduprési-dentBarackObama,le19mai,quiposalaLignede1949commebased’unrèglementdepaix.

Enattendant, il fautbienvivre.CertainsPalestiniensten-tentde sortir des camps,montent leur entreprise, font car-rière, àBeyrouthetsesenvirons.C’estceux-làqueMarcoPi-narelliaphotographiés.G. P.

INGÉNIERIE. Nadia Abu Sharkhsur le toit de l’immeuble où elletravaille comme ingénieure enmécanique, à Beyrouth. Sa familleest originaire d’Al-Thahriya,près d’Hébron, et elle-même a despapiers de la Représentationpalestinienne au Liban.

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A u fond, Jean-FrançoisKahnn’a jamais sou-haité être patronde presse. Ce qu’il voulait,c’était« faire passer quelque chose », « contri-

bueràchangerlesesprits».Et,tandisqu’ilfêteses73 ans,il réalisesoudainquetousces journauxqu’il acréésourelancés–LesNouvelles littéraires,L’Evénementdujeudi,Marianne–,toutcelan’aserviàrien,ouàsi peude chose. Il évoquemêmeune cer-taine « désespérance ». L’affaire du« troussage de domestique »– une formulequ’il a em-ployéeàproposdeDo-minique Strauss-Kahn et ensuiteamèrement regret-tée –aservideprétexteàunedécisionlonguementmû-

« J’AI VOULURENOUERAVECUN JOURNALQUI AUNE FONCTIONCIVIQUE. »

L E P O R T R A I T

JEAN-FRANÇOIS KAHNR E V E N U D U J O U R N A L I S M E

Xavier Ternisien

Créateurde«L’Evénementdu jeudi » etde«Marianne»,grande figurede lapresse française, il la quitte aujourd’hui,unpeudésabusé.Mais il ne comptepas cesserd’écrire…

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RIC

HARD

PHIPPSPOURLE

MONDEMAGAZIN

E

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que9,4 %desvoixetaunseulélu,lui-même.Ilcèdesaplaceàladeuxièmesur la liste,NathalieGriesbeck. Au-jourd’hui, Jean-FrançoisKahnmi-nimise l’épisode. D’après JérômeGarcin, cet échec aurait laissé destraces :«La mythologie de son “cen-trisme révolutionnaire” s’est effon-drée. Il a sincèrement cru qu’il pou-vait changer leschoses.Ladevisequidéfinit lemieuxJean-FrançoisKahnestcelledel’écrivainetrésistantJeanPrévost : “Défendre violemment desidéesmodérées”. »

S’ilquittelejournalisme,lefonda-teur deMarianne laisse derrière luitoute une génération de « bébés

Kahn»formésàsesméthodes.Qu’est-ceaujustequele«kahnisme»enmatièredepresse ?«C’estd’abordunecuriosité sans limites, souligneMichel Labro, direc-teurde la rédactionduNouvelObservateur. Pour lui, iln’y a pas de petits et de grands sujets, tous sont intéres-sants.Ensuite,c’estunevolontéd’allerchercherlelecteuret deneplus le lâcher. Jeme souviens qu’un jour il avaitcomparé le travail de journalisme avecL’Arme fatale :d’aprèslui, il fallaitqu’unarticletienneautantenhaleinele lecteurqu’un filmd’action.»

ClaudeAskolovitchvoitdansJean-FrançoisKahnledernierhéritierdelapressefrançaiseduXIXe siècle.«C’estledescendantd’HenriRochefort,lefondateurdeLa Lan-terne. Il représente la quintessence du journalismeà lafrançaise, avec sesqualités et ses excès.Duvrai, du faux,del’analyse,ducommentaire,duscoopetdubidon.Cejour-nalisme supposeune culture, des références communesquelepublicn’aplus.Nousvivonsunchangementd’époquequi luiposeproblème.»

Jean-FrançoisKahn se reconnaît sur unpoint aumoinsune filiation avec la presse du XIXe siècle :

«J’ai voulu renoueravecun journal qui n’est pas seule-mentunjournal,maisaunefonctioncivique.Jenecherchepassystématiquementledissensus.Mêmesijepensequ’ilest très importantd’encréerpour faire vivre ladémocra-tie. »Sur certains points (rares), il admetdes erreurs.«Je reconnais que l’expressionde “penséeunique”, quej’ai forgée,étaitpolémique. Il suffitdeserendredansunelibrairiepourconstaterquelapenséeuniquen’existepas.En revanche, il y abienune tendanceà lapenséemédia-tiqueuniforme.»

L’ancien journalisteneposepas laplume. Il publiedes livres, et compteenécrired’autres.D’abordunes-saisur l’histoiredeFrance,quisera«une relecturecri-tique».EtpuissesMémoires,quidevraientvoir le jouren2015.«Ce neserapaspourparlerdemoi,maisdetouslesgensquej’airencontrés.»Nuldoutequ’ilyserabeau-coupquestionde journalisme. ∆

rie. «Ce n’est pas un faux départ, insiste-t-il.Je quittemesactivités journalistiques. »

« Cela fait des semaines qu’il en parlait, confirmeJérômeGarcin, directeurdéléguéduNouvelObserva-teur et ancien de L’Evénement du jeudi. Il a trouvé lajustificationqu’ilcherchait.Ilapassésontempsàvouloirtout refaire et tout remettre encause.C’estun insatisfaitperpétuel, quiaunsoucipermanentd’être enphaseavecsonépoque.»

Sonépoque, Jean-FrançoisKahn la côtoie réguliè-rementenpartantenprovince, animerdesconfé-

rencesouparticiper àdesdîners-débats. Il n’aimerientant qu’aller à la rencontre de cetteFranceprofonde,luiquireprocheauxjournalistesparisiensdenejamaisfranchirleboulevardpériphérique.Etcequ’ilentendledésespère.«La société française estmalheureuse et, ça,c’est terrible, constate-t-il amèrement. Il yadeux typesde bonheur. Le premier, c’est de penser que la situationpourrait être pire et qu’on estmoinsmalheureuxque lesautres.Lesecond,c’estdeconstaterquetoutvamal,maisde croirequ’onpeut changer les choses.Ehbien, les gensque je rencontre dans le pays ne se reconnaissent dansaucunedecescatégories.»

L’œil toujourspétillantderrièred’épaisses lunettesdemyope, le fondateur deMarianne ne lâche rien.Il pense dur comme fer que les faits donnent raisonà ses combats passés. « Ce que nous avons écrit surles méfaitsdunéolibéralisme,quiaccroît les inégalités,s’estvérifié.Sur l’immigrationdetravail,quiestencou-ragée par le patronat. Ou sur la grande distribution,qui étouffe lescentres-villes, faitdisparaître l’artisanatet transforme la paysannerie enmachine à produire.Je dois donc concevoir quemes journaux ont été deséchecs,dans lamesureoùilsn’ontpasréussiàfairebou-ger les choses. »

Endéfinitive,Jean-FrançoisKahnn’apascrééd’heb-domadaires.Ilavouluimpulserdeschangementsdanslasociétéfrançaise.«L’Evénementétaitbeaucoupplusqu’un journal, se souvient JérômeGarcin.C’était unpaysdanslepays,unEtatdont le fondateurétaitunpeulemonarque. L’hebdomadaire avait racheté un restau-rant, un cinéma. Il y avait le club deL’Evénement quiproposait à ses lecteurs aussi bien des voyages que del’électroménager. »

«La démarchedeJean-FrançoisKahnestfondamen-talementpolitique,analyseClaudeAskolovitch,autrean-ciendeL’Evénementdujeudi.QuandilalancéMarianne,ilaconsidéréquec’étaitunpartipolitique,avecuneligne.Ildemandaitàsesjournalistesderédiger,chacundanssarubrique,unprogrammepolitique.»

P lusquesapetitephrasesurl’affaireStrauss-Kahn,la vraie rupture a peut-être été son expérience

peuconcluanteenpolitique.Enjuin2009, la listeMo-Demqu’ildirigeauxélectionseuropéennesnerecueille

à lireJean-FrançoisKahnvientdepublierdeuxouvrageschezFayard :Philo-sophiede laréa-lité.Critiqueduréalisme(396p., 20,90€)etPetitCésar :commenta-t-onpuaccepterça…(240 p., 17 €).

PARCOURS

1938 Jean-FrançoisKahn naîtle 12 juinàViroflay(Yvelines).

1959Aprèsune licenced’histoire, ilest corres-pondant etchroniqueur(Paris-Presse,Le Monde,Europe 1,France 2…).

1977 Il estdirecteurde la rédac-tion desNouvelleslittéraires.

1984Il fondeL’Evénementdu jeudi,qu’il quitteen 1994.

1997Il fondeMarianne,dont il laissela directionen 2007.

2009 Elu auParlementeuropéen(MoDem),il cèdesa place àNathalieGriesbeck.

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L ’ E N Q U Ê T E

JPGéné, envoyé spécial en Inde

Lamoitiédes Indiensn’apasdeW-Cousecontentede latrinesd’unautreâgevidéeschaque jourpardes femmessituéesauplusbasde l’échelle sociale.

BindeshwarPathakadécidéde les libérerdecetteconditionhumiliante.

LE GOUROUD ES TO I L E T T E S

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C’était au début du siècledernier, lorsque le soleilnesecouchait jamaissurl’empire deSaTrèsGra-cieuseMajesté.Unelady,désirantsetransporteren

Inde, écrivit aumaître d’école pour s’en-quérirdesconditionsd’hébergementetdel’éventuelle présencedeW-Cdans le vil-lagequ’elle comptait visiter.Grandeper-plexitédurécipiendairedevantcetteabré-viation inconnue. Que pouvait signifierW-C ?Aprèsmûreréflexionetdébataveclepandit local, le lettréduvillage, il endé-duisit que ladamevoulait savoir s’il exis-taitunewaysidechapel,unechapelledanslevoisinage.

Lemaîtred’écolepritalorssaplusbelleplumepourluirépondre:«Chèremadame,j’ai grandplaisir à vous informer que theW-Csetrouveà9milesdelamaison,aumi-lieud’uncharmantbosquetdepins,entourédevertspâturages.TheW-Cpeutaccueillir229 personnesassises et fonctionne les di-manches et jeudis. Je vous suggérerais d’yallertôt,notammentdurantlesmoisd’étéoùl’affluenceestgrande.Onpeutbiensûrysé-journerdeboutmaisceserait fort inconfor-tablepourvotrepersonne, surtout si vousyallezfréquemment.Sachezquemafilles’estmariée là car elle y a rencontré son futurépoux.(…)Sachezégalementquenombreuxsont ceux qui apportent leur lunchpour ypasserlajournée.D’autrespréfèrentarriverau dernier moment. Je recommanderaiàMadame de venir un jeudi, jour où ellepourrabénéficierd’unaccompagnementàl’orgue.L’acoustiqueestexcellenteetlessonsles plus délicats peuvent être appréciés departout.Récemment,uneclocheaétéinstal-lée qui sonnepour chaquenouvel entrant.Unpetit bazar offre notamment des cous-sinsfortappréciésdupublic.Jemeferaiunplaisir de vous y accompagner personnel-lement et de vous installer à une placebien en vue. Avec mes profonds respects,l’instituteur. »

Cette histoire – vérité ou légende –illustreparfaitementlasituationsanitairedel’Inde.Beaucoupdeceuxquiignoraientl’existencedesW-Cà l’époque l’ignorenttoujours,dansunpaysquicompteplusdetéléphones portables que de toilettes :545millionscontre366millionspourplusd’unmilliardd’habitants(sourceUni-tedNationsUniversity,Canada). kBIENFAITEUR. CommeGandhi, auquel il rend

ici hommage, Bindeshwar Pathak, brahmane, est allécontre le système des castes pour changer le sortréservé aux videuses de latrines. S

ULA

BH

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Quiconque a voyagé à travers le sous-continent a vu ces rangéesd’hommesdetousâges, accroupis le longdes routesoudesvoiesferréesdès lespremièresheuresdu jourpour soulager leursbesoins à l’airlibre.Ces têtesqui soudainsurgissentdeschampsdemaïsenserajustantledhotioulekurta.Cespromeneursdumatinquiga-gnentd’unpasnonchalantleboutdelaje-téepourdéféqueretselaveràlalisièredesflots.600millionsd’Indienssacrifientquo-tidiennement à cette pratique. Plus de900millionsdelitresd’urine,135millionsdetonnesdematièresfécalessontchaquejour évacuésdans lanature, selon les ex-perts.Commentgérerdetelsvolumes,alorsqu’àpeine200 agglomérations sur5 000possèdentun tout-à-l’égoutpartiel, sou-vent vétuste etmal entretenu ?Cette ab-senced’équipementssanitaires,cemanqued’hygiènepubliqueetprivéeprovoquentplus de450 000morts par an (diarrhée,dysenterie, choléra) et coûtent aubudgetnationalplusde37milliardsd’euros,selonuneétudeduprogramme«Eauetassainis-sement»de laBanquemondiale, publiéeendécembre2010(TheEconomicImpactsofInadequateSanitationinIndia).Onpour-

rait accumuler les chiffrespournoircir letableau. Ilyapire.

Beaucoupdes toilettes existantes sontde simples latrines, sans chasse d’eaunifossesseptiques,qu’ilfautvidermanuelle-mentchaquematindu«fumierdelanuit».Il y ades genspour cela. Lesharijans, lesdalits, les intouchables, qu’on les baptisecommeonveut, sont si basdans l’échellesociale qu’on les dit hors caste. Et, parmieux,lesbhangis,leséboueurs,ceuxquisontnéspournettoyer,semarierontaveccellesouceuxquinettoientetnettoieront touteleurvie.Nésbhangis, ilsmeurentbhangis.Onlesdésigneaussisouslenomanglaisdescavenger.Plusde400 000aurecensementde2001,uniquementchargésdenettoyerlamerdedesautres.Desfemmesdans90%descasqui,voiciunsiècle,devaientporteruneclochetteautourducoupoursignalerleurpassageafinqu’ons’écarted’elles.Equi-péesd’unebassineetd’unebalayette,ellesquittentchaquematinleurquartierréservépour faire la tournéedes latrinesqui leursontaffectéesetentransporterlecontenusurleurtête,horslesmurs.Qu’ilpleuveouquelesoleilbrûle,ellesdoiventaccomplirleur«travail»enéchangedequelquesrou-

pies(calculéesselonlenombred’habitantsde lamaison), parfoisdes reliefsdu repasdelaveille,ettoujoursduméprisdesautres.

LE BUTD’UNE VIE«Celui qui est incarcéré pourun crime

sortdeprisonà la findesapeine.Cellesquisontenferméesdansuneprisonsocialen’ensortent jamais. »Lediagnostic du socio-logueBindeshwarPathakest implacable.Voiciquaranteans,cethomme,aujourd’huiâgéde68ans,vêtudukurtatraditionnel,adécidédemettreuntermeàcettesituation.Selon lui, les Indiensdevaient cesserd’al-ler faire leurs besoins en plein air et lesfemmesscavengersêtrelibéréesdeleures-clavageetsortirdeleurconditiond’intou-chables.Cesera lebutdesavie.

Né dans une famille de brahmanes, àRampurBaghel, unpetit villageduBihar,dansl’estdel’Inde,Bindeshwaraétéélevédans le strict respect des castes. « Mongrand-pèrepaternel était astrologue,monpèremédecinayurvédiqueetmagrand-mèreétait très orthodoxe.Onne lui désobéissaitpas. »Très jeune, elle lui avait apprisqu’ilnefallaitnitouchernifréquentercertainespersonnesaveclesquellesellesemontrait

UN«MÉTIER »DEFEMMES. L’Inde compterait 400 000 scavengers chargés de nettoyer les latrines. 90 % sont des femmes,les hommes de la caste étant chargés le plus souvent du transport des ordures ou du nettoyage des rues.

JOHNSTON

CHRISTIE

/SIPA

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fortdésagréablelorsqu’ellesapprochaientdudomicile familial :«Ce sont des intou-chables !»

Evidemment,legaminaeuenviedelestoucher«pourvoirs’ilyavaitunedifférenceaveclesautres».Enormecolèredelagrand-mèrequialerte levoisinage,eninformeleprêtreetforceralegarçonàsetremperdansl’eauduGangeetàavalerurineetbousedevache (sacrée)pour sepurifier. Il a 10ansetnel’oublierajamais,commeilsesouvientque vers 4 heures du matin toutes lesfemmesdelamaisonseglissaientsubrep-ticementdanslanuitpouraller« répondreà l’appel de lanature »dans la campagneenvironnante,profitantdel’obscuritépouréchapper aux regards des autres. Seul lerichepropriétaireterrienduvillagepossé-daitdes latrinesetchaquejour,enallantàl’école,Bindeshwarcroisaitlesfemmesquiles nettoyaient, transportant les excré-ments sur leur tête. «J’observaismais jen’avaispasconscienceduproblème.»

Il y seraconfrontéparhasard, en1968,alorsqu’ilprendunthéàlagared’Hajipur(Bihar).Deuxanciens–desprochesdesongrand-pèrematernelquiavaitétéuncom-pagnonde route deGandhi – l’abordentet le persuadent de rejoindre, séance te-nante,leBiharGandhiCentenaryCelebra-tion Committee, qui prépare à Patna lecentièmeanniversairede lanaissanceduMahatma(1869-1948).A l’époque,Binde-shwaracertes lu labiographiedeGandhimais il n’est guère familierde ses idées. Ilvalesdécouvrirauseinducomité,oùilestaffecté à la sectionchargéede la réhabili-tationdesscavengersetdel’éradicationdustatutd’intouchable.

Dès 1901, le jeuneGandhi–encore in-connu–avaitstupéfiélesmembresdupartiduCongrèsàCalcuttaensesaisissantd’unebassine et d’unebalayettepour vider lui-même les toilettes etdénoncer les condi-tionsdevie indignesdes scavengers.DanssonashramdeSabarmati, fondé en 1917,il avait imposé commerègle que chacunnettoiesesproprestoilettes.Duranttoutesa vie, ceproblèmede l’hygiène et le sortdesbhangisonthanté leMahatma,qui fitcevœu :«Peut-êtreneserai-je jamaisréin-carnémais,siceladevaitarriver, j’aimeraisrenaîtredansunefamilledebhangisetpou-voir les libérer de la pratique inhumaine,malsaineethaïssabledetransporterdesex-crémentssurleurtête.»IlestrevenuàBin-

oùungaminsefaitencornerparunbuffle,devantlui,enpleinerue.Lesgenssepréci-pitentàsonsecoursmais,soudain,unevoixs’élève :«C’est un intouchable. » «Tout lemondes’estécarté,abandonnantlecorps,sesouvient-il.Je l’ai emmené seul à l’hôpitalmaisilétaitmortenarrivant.»C’étaitàBet-tiah,unevilledudistrictdePaschimCham-paran(Bihar),làoùlejeuneGandhiainau-gurélesatyagraha– ladésobéissancecivilenonviolente – contre les planteurs d’in-digo.UnsignepourBindeshwar.Ce jour-là, il fait le sermentde réaliser le vœuduMahatmaetleditàtoussesproches.«Vousn’avez encore rien vu.Désormais, je ne fe-raiqueça:éradiquerl’intouchabilitéetsor-tir lesscavengersde leurcondition.»

UNE INVENTION SALUTAIREPour yparvenir, il a vite compris qu’il

n’existe qu’unmoyenefficace : créerunealternativeauxlatrines,simpleetbonmar-ché,quirendrainutilelatâchedesscaven-gers. Il se plonge alors dans les ouvragesspécialisés et arrive à la conclusion queparmitouslessystèmesinventés,«celuiàdoublefosseapparaîtcommelepluspratiqueet lemieuxadaptéàl’échelonmondial».Le« twin-pit pour-flush compost toilet »étaitné. Le principe est simple : desW-C à laturque,unecuvetteàpenteforte,unsiphonspécialavecunjointhydrauliqueetnené-cessitantquede1,5à2litresd’eaupourêtrenettoyés.LesW-Csontreliésàdeuxfossesséparées,utiliséesalternativement.Lors-que l’uneest pleine, on la laisse sécher etse transformer en compost pendant quel’autreseremplit.Leurvolumeestcalculéenfonctiondunombred’utilisateurspré-vus et on compte deux à trois ans pourqu’une fosse arrive à saturation. Plusbe-soindescavengers.Al’époquele«twin-pitsystem»necoûteque10dollarsaméricains.

Noussommesen1970.LeGandhiCen-tenaryCelebrationCommitteeacessésesactivités etBindeshwar se retrouve seulavec son invention.Desmembresdu co-mitéluiconseillentdefonderuneONG.Cesera fait le 5 mars 1970 avec la nais-sancedeSulabh(SulabhInternational k

deshwarPathakd’exaucer cevœu.«Jeneconnaissaisrienauproblème,jen’avaisau-cune compétence, aucune qualificationcomme ingénieur et, en plus, j’étais brah-mane.»Lorsqu’ils’enouvreàsonsupérieur,celui-ciluirépond :«Peum’importe,j’aivula lumièresurvotrevisageet jesuissûrquevousserezà lahauteurde latâche.»

EtBindeshwar semet auboulot.De laplusradicaledesmanières,enallantvivretroismoisaveclesbhangis.Lepremierjour,ildécouvrequ’ilsnenettoientpasleurstoi-lettes, dansunétatde saleté repoussante.Illeferalui-même,souslesyeuxébahisdesescolocataires.«Mapremièreactionaétéde les convaincrede fairepoureuxcequ’ilsfaisaientpour lesautres. » Il se familiariseavec leurmode de vie, la boisson, le jeu,l’obligationfaiteauxjeunesmariéesd’obéirà leurbelle-mèreetd’aller commeelle vi-der les latrines.Emoidanssa famille, faceàcefilsquitrahitsacasteens’affichantavecdesintouchables.Rejetdelacommunautédesbrahmanesqui lui interdisentdes’as-seoiràleurcôté.Sonbeau-pèrecrieàl’hu-miliation pour sa fille, que Bindeshwarvientd’épouserlorsd’unmariagearrangé.Ilnecèdepasetpoursuit samission.Pluspardevoirqueparsacrifice.Jusqu’au jour

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HONTE.Unebalayette etunebassineportée sur la tête, symbolesdumalheurdes scavengers.

«Désormais, jene feraiqueça :éradiquerl’intouchabilitéetsortir lesbhangisde leurcondition.»BINDESHWAR PATHAK, SOCIOLOGUE FONDATEUR DE L’ONG SULABH, QUI VIENTEN AIDE AUX BHANGIS ET INSTALLE DES SANITAIRES DANS TOUTE L’ INDE

G.N

.JHA/THEASIA

NAGE

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faired’autre , luirépondent-elles.– Etsi jevousproposaisde faireautre chose, accep-teriez-vous ? » Usha Chaumar, une an-ciennescavenger,sesouvient :«Jeluiairé-torqué : “Vous connaissez quelqu’unqui aenviede faire ce travail ?”.»Lemêmesoir,ellessontplusieursdizainesàHazuriGate,lequartierdesintouchables,autourdeBin-deshwarvenuexpliquer sonprojet : créeruncentrepourleurapprendreunautremé-tieretlesfairesortirdéfinitivementdesla-trines.Elles écoutent.Dodelinent la tête.Sceptiques. Il n’est pas le premier socialworkeràleurrendrevisite.Ellessaventquelesmotssontrarementsuivisd’effetsetlesanciennes sont là pour étouffer les rêvesdesplus jeunes.«Noone touch you.Whowill teachyou ?»Laphraseenanglais estterrible :personnenevous touche.Quivavouséduquer ?C’est lesentimentgénéraldanslacommunauté.ABindeshwardelesconvaincredesasincérité.«Etes-vousdéjàallées àDelhi ? », leur demande-t-il. Au-cune, évidemment, n’a visité la capitale.Alors il lesy invite,avecmarietenfants.

UNE AUTRE VIEL’ONGSulabhestdésormaisbien ins-

talléesurson«campus»dePalam,nonloindel’aéroportdeDelhi.Classesdecollègeenanglais pour les enfants d’intouchablesmêlésàceuxd’autrescastes,ateliersdecou-ture, de coiffure, d’ébénisterie, deméca-nique, d’initiationà l’informatique…plu-sieurscentainesd’élèvesetd’apprentissontenformation.Lorsquelesfemmesd’Alwararrivent,onlestouche,onlessalue,onleurparlecommeàdespersonnes«normales».

SocialServiceOrganisation).Alademandede responsables locaux, il équipe lesbâti-mentsmunicipaux et la gare d’Arrah – à50kmdePatna, la capitaleduBihar.Mal-gré le bonaccueil dupublic, Bindeshwarrencontre peud’écho : «UneONGouungouvernementnepeuvent réaliserdespro-grammessociauxseuls,chacundeleurcôté.Ilsdoivent travaillerensemble.»

Pouryparvenir,ilfaudra«unelettrequisoulève lesmontagnes » adressée augou-vernementduBiharetsignéed’unnomma-gique:Gandhi,prénomIndira.Danscettemissive, la damealors aupouvoir àDelhis’étonnedelanon-applicationde«laqua-trième clause du plan visant à éliminerl’odieuse pratique de transporter desma-tièresfécalessurlatête»etdemandeaugou-verneurde l’Etatde«porteruneattentiontoute particulière à ceproblème». La voieétaitouverte.Bindeshwar, avec le soutiendel’administration,construitdestoilettespubliquesàtraversleBiharetchezlespar-ticuliers,bénéficiantd’uneaidepoursedé-barrasserdeleurslatrines.Ilfaitlepariau-dacieuxdesW-Cpayants (aujourd’hui, ilen coûte une roupie, soitmoins de deuxcentimesd’euro).Beaucoupontraillécetteidéede«péage», incompatible,seloneux,

avec lamentalité locale. Ils avaient tort,parce qu’en échange Sulabh s’engage àmaintenirlesendroitspropres,accueillantsetsoussurveillance.Lejourdel’ouverturedespremiersW-CàPatna,plusde500per-sonnesdéfilentetpaient.«Cefutledépartdetout.»Lesvilles,puislesEtatsvoisinss’yintéressent. Jusqu’auxNationsunies, parle biais de l’Organisationmondiale de lasanté,quireconnaissentlavaliditédusys-tème. L’ONG Sulabh a aujourd’hui im-planté en Indeplusde 1,2 millionde toi-lettesprivées,plusde7 500blocssanitairesdont certains de plusieurs centaines deplaces, avecdouches et consignes, sur lessites de pèlerinage. Elle intervient dans1 250villes, dans tous lesEtatsdupays, etplusde 10millionsd’Indiens fréquententquotidiennementsesinstallations.Enma-tièredeprogrammesanitairedanslespayspauvres, Sulabh est désormais une réfé-rence.

Et les bhangis ? L’ONG revendique640 villes« free of scavengers » etplusde120 000intouchablessortisdeleurcondi-tion.Alwar, auRajasthan, 300 000habi-tants,estl’unedecescités«libérées».Grâceà l’installationd’un centre de formation–NaiDisha–oùdifférents ateliers (cou-ture, tissage, broderie, soinsducorps, fa-bricationdegalettesoudenouilles)occu-paient160 femmeslorsdenotrevisite.

Ici, tout a commencéen2002 lorsqueBindeshwar Pathak, de passage à Alwaravecune équipede laBBC, interpelle ungroupedefemmesscavengers,aveclabas-sineetlebalaisurlatête:«Pourquoifaites-vous ce travail ? – Parcequ’onne sait rien

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PROGRÈS. Ce complexe sanitaire avec douches, toilettes et consignes situé à Shirdi (Maharashtra), oùvécut au XIXe siècle un gourou fameux et depuis lieu de pèlerinage, a étémis en place par l’ONGSulabh.

«Vousconnaissezquelqu’unquiaenviedefairece travail ?»USHA CHAUMAR, ANCIENNESCAVENGER QUI A REJOINTL’ASSOCIATION SULABH

DOUBLEFOSSE. Pourmettre fin aux lgénéraliser ce typede toilettes simple e

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Et,pour leurprouverqu’elles lesont,Bin-deshwar les emmène au restaurant duMauryaSheraton,unhôtel5-étoiles.Groseffetsurlesinvitéesquisesentent«pleinesdeconfianceetde joie».

Ellesferontunrécitfidèledeleuraven-turede retouràHazuriGate, oùellesdoi-vent cependant reprendre leur travail in-grat. Il leur faudra attendre un an avantl’ouvertureducentredeNaiDishaet,pour-tant,ellesnes’yprécipiterontpas.Auxyeuxdesanciennes– sans lesquelles rienn’estpossible–unegrandeinconnuedemeure:siellesnevidentplusleslatrines,commentvont-elles gagner leur vie ?Bindeshwara promis une « bourse » mensuelle de1 500roupies(lesscavengersn’engagnentque300à400parmois)àtoutescellesquirejoindraientNaiDisha,maispersonnenel’aencoretouchée.Ellessontmoinsd’unetrentaineàs’inscrire.

«Lepremier jour, je suisallée fairemontravailavantdeveniraucentre»,sesouvientUsha.Lorsquelapremièrepaieestarrivée,tout a changé.«J’aimis les billets dansunpetit coffre à lamaison et je les aimontrésauxautres femmes. »C’était lapreuvequecet homme-là tenait parole et les volon-tairesontafflué.Augranddamdeceuxquiont«perdu» leurs scavengers, certains sedéplaçant jusqu’au quartier des intou-chables pour exiger la reprise du travail.Ellesn’ontpascédé,oubliantvitelabassineetlabalayette,cesinstrumentsdeleurmal-heur.Uneautreviecommençaitpourelles,libéréesdescontraintesde lacaste.

Pour le faire savoir de la plus specta-culairedesmanières,Sulabhaorganiséen

Dollyvoulaitapprendreet,en2008,ellere-jointSulabhaprèsavoirréussiàconvaincresagrand-mère.

LA FLAMME DE GANDHITroisansplustard,elleestl’unedespre-

mièresàs’émanciperprogressivementducentre d’apprentissage pour mener sabarque. Elle a quitté quelques heures lemariage de sa sœur, pournous conduirechezsanouvellecopine,Beena,à laquelleelleenseignel’artdel’ourletetdupointdecroix. Les jeunes femmesnousoffrent lethédanslachambredeBeena,celled’unejeune fille ordinaire, avec des posters aumur et des peluches sur la couette. Unescène impensable trois ans auparavant :DollyvidaitleslatrinesdeBeenaetjamaiselle n’aurait pu pénétrer l’intimité de lamaison.Aujourd’hui, elle ydonnedes le-çonsde couture.Unebhangi copine avecune rajput, qui lui annonce devant noussonprochainmariage.Elleneconnaîtpasl’heureux élu–de lamêmecaste – choisipar les parents,mais elle aura le droit derefuser. Dolly la félicite. «Vous qui avezbrisé la caste en sortantdes latrines, allez-vous vousmarier au seinde votre caste ? »«Absolument»,laréponseaétéimmédiate.Lemariagenefaitpaspartiedesessoucisactuels – elle préférerait une bourse etpoursuivresesétudes–mais,enaucuncas,elle ne l’envisage en dehors de sa caste.Dollys’enremetentièrementàsesparents:«Ilssaventmieuxquenous.»Enrevanche,elleexigeradesonfuturépoux«unenga-gementécrit et signé» selon lequel jamaisnielleni sesenfantsneseront scavengersoumêmeéboueurs.Plusquestiondenet-toyerquoiquecesoitpourlesautres.«Ja-mais», le tonest sansappel.

SiUsha,Neetu,Dollyetdesdizainesdemilliersd’autresfemmesintouchablesontpubriserlaloideleurcaste,c’estgrâceàce-luiqu’ellesappellent«bapu»,BindeshwarPathak,leursecondpère,quiacrudanslespréceptes d’un autre bapu, leMahatmaGandhi, et les a appliqués.Dans ce pays,lancéàcorpsetàcœursperdusdanslaso-ciété de consommation, le parcours etl’œuvredecethommedebien,reconnuetrécompensédans lemondeentier,mon-trentquela flammedeGandhicouvetou-jours.EnInde,unbrahmanepeutencorechanger la vie des pauvres avec peu dechose :desimpleswater-closets. ∆

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juillet2008unévénementreprispar l’en-sembledelapresse:undéfilédemodedesex-scavengers en compagnie demanne-quinsindiennesausiègedesNationsunies,àNewYork.Unetrentained’entreellesontprispour lapremière fois l’avion, poséaupiedde la statuede laLiberté et porté lessaris dessinés par un grand couturier deDelhi. Neetu y était. Chez elle, à HazuriGate, elle n’en finit pas de raconter sonvoyagedevantsesvoisinesetsonmari,sa-gementassissurlecanapé, lesmainscroi-sées sur lesgenoux, intimidédevantcetteassembléede femmes.«Nousavonsmar-ché avec les mannequins devant plus de200personnesenportantleshabitsquenousavions coususnous-mêmes.Nous faisionshonneuràl’Inde.»Celledontlesgenssedé-tournaientauparavantestmaintenantre-gardéeavecenvie et, lorsqu’oncroise sonhommedanslarue, ilsemurmure:«C’estlemaridecellequiestalléeàNewYork !»

NousavonsrencontréDollyàTonk,uneautre ville « free of scavengers », à deuxheures de routedeJaipur, auRajasthan.Elle a commencédans lemétier à 13 ansavec samèreet sa sœur.Elle enaaujour-d’hui 21. Jolie, vive, les yeux pétillants,portant son sari rougeavecuneélégancenaturelle et répondantdu tac au tac à sesinterlocuteurs.Ellenettoyait les latrineslematin, l’après-midi, elle allait à l’école.

FIERTÉ. Ex-scavenger, UshaChaumar(en bleu) a été invitée à défiler à l’ONU,àNewYork. Une reconnaissance.

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mettre fin aux latrines insalubres, l’ONGSulabh tente deoilettes simple et bonmarché, consommant peu d’eau.

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SOUS LES PROJECTEURS

LARUMBADESMOTSSuccédant à « bravitude »,« bling-bling », « parachutedorée » et « dette », « dégage »a été élu commemot de l’annéelors du récentFestival dumotdeLaCharité-sur-Loire.Présidé par StéphaneHessel,un jury composé d’unetrentaine d’amoureux dumota donc décidé de saluer à safaçon ce « printemps arabe »qui, d’Egypte enTunisie, enpassant par la Libye, la Syrie ouleYémen, a vu ou voit lesdictateurs chassés dupouvoiroumenacés de l’être. Ce« dégage ! », brandi en françaisauCaire ou àBenghazi, renoueavec le pied denez populaire,fleure bon la liberté. Il y a de larumbadans l’air, les amis.Et il n’est pas neutre qu’aumêmemoment leRoberts’ouvre à desmots nouveauxvenus des nouvellestechnologies, comme« tweet »,« tweeter » ou « e-learning ».Lemonde bouge, lesmotsaussi. La reconnaissance de la« vuvuzela », cette trompettequi fit les riches heures delaCoupe dumonde de foot enAfrique duSud et ravira lesamateurs de Scrabble, en estla preuve.Mais c’est surtoutl’entrée auPanthéondesdictionnaires de la « cougar »,(notez l’absence de « u »),« femmemûrequi rechercheetséduitdeshommesbeaucoupplusjeunes»qui, selonnous et avecla complicité deM.Lacan,griffe lemieux le vocabulaire2011. YANN PLOUGASTEL

oCINÉMAUNE SÉPARATION, d’Asghar Farhadi,avec la formidable Leila Hatami. Un filmsensible et juste sur l’Iran d’après la répressiondes manifestations de 2009.Page54

mEXPOMITCH EPSTEIN a photographié lespaysages des Etats-Unis transformés parla production énergétique et ceux qui lamaîtrisent.Page56

qCONCERTSMUSIQUES MÉTISSES,à Angoulême, festival de tousles sons d’Afrique, des Caraïbes etde l’océan Indien.Page57

qVOYAGESAINT-MALO est ce week-end à l’heuredu festival Etonnants Voyageurs.Visite de la ville avec Mélani Le Bris,directrice adjointe.Page60

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LE MONDE MAGAZINE

WEEK-END

LIVRE

RELIRE DAUDET40 ans de Paris permet dedécouvrir, ou redécouvrir,Alphonse Daudet… et son frère.Page58

GOÛT

SLOW FISHPrivilégier la pêche durable ?Pas facile mais pas impossible,expliquait-on à Gênes fin mai.Page64

ARGENT

TIMBRES À VENDRESe défaire d’une collectionphilatélique demandequelques précautions.Page67

lHIGH-TECHBRIDGES ET HYBRIDES.Focus sur ces appareils photonumériques en vogue, à mi-chemin entre les reflex et lescompacts.Page62

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CULTURELA PERSONNALITÉ DE LA SEMAINE

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brûle lesplanchescommelavie

SERGEMERLIN

O ubliez ceque vous savez, ou croyezsavoir, de votremétier de journaliste.Oubliez les clichés qui, par

commodité, vous feraient écrire queSergeMerlinest le derniermonstre sacrédu théâtre français.Monstre, pourtant, il l’est, par lamanière radicaledont il refuse la société.Monstre-acteur, il l’estaussi, ô combien, une fois encore, dansFindepartie, de SamuelBeckett, quemet en scèneAlainFrançonauThéâtrede laMadeleine.Quant ausacré, tout est là.

Vous êtes à LaCoupole, à Paris, dans le creuxd’un après-midi d’été précoce, pour rencontrerSergeMerlin, et vous livrer avec lui à l’exercice duportrait. Vous pouvez tout de suite remballer lemagnétophone. SergeMerlin n’entrera pas dansla case. L’hommeest un insoumis.Un vrai.Pas unde ces artistes bobos qui, entreBastilleet Saint-Germain, promènent leur révoltecousue de fil de lin. SergeMerlin brûle, commebrûlait AntoninArtaud, auquel on le comparedepuis toujours. Sa vie, le théâtre, une seuleetmême chose : incendie, enfer et paradis,chute et résurrection, condamnations etmiracles, gouffres noirs, trouées de ciel,frôlements d’ailes des anges.

«Jepréfèrequ’onneparlepasdemesorigines, je lesaidéchiquetéesmoi-même»,

Lecomédienà l’itinéraireheurtéretrouveBeckett,sonauteur fétiche,dans«Findepartie», auThéâtrede laMadeleine.

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attaque-t-il de sa voixde caverne–AlainCunyseul pouvait descendre aussi profond.Que s’est-ilpassé, dans ces années 1930et 1940de l’enfancedeSergeMerle – sonvrai nom–, entreAlgérie etLibye ?Vousne saurez riend’autre que ceci :«J’airejetédesmonstres.Jen’aipasvouluapparteniràcette race.»L’enfant se réfugie chez les«Pèresblancs». Il neparle pas avec les autresmaisil chante et, déjà, il«mangede laparole».

Aquinzeans, le jouroù l’aviondugénéralLeclercest tombésur la régiondeColomb-Béchar,enAlgérie, le garçonassiste à la représentationd’uncirque tzigane.«Chocimmense,que jen’aimesuréqueplustard.»Quelques joursaprès, ils’enfuit, prendunbateaupour laFrance, seul.Paris, fin 1947. Solitude,misèrenoire, absolue.SergeMerlin sera clochard, longtemps.Avec soncompagnonderue, ils font grillerdespatates surlepoêlede la salleduCollègedeFranceoùGastonBachelarddonneses cours, puis vontboiredescoupsavec lephilosophe.

Le théâtre ?Mystèred’unappel, au sens toutà fait religieux.«Jen’étaispasunKasparHauser,maispresque.Lemondeétaithanté.Toutn’étaitquepeur.J’étais rétifà touteapprochemais, jenesaiscomment, jemesuis retrouvéavecdes jeunesgens,desoiseauxpapillotants,quiparlaient théâtre.Je lesai suivis,mesuis retrouvéaucoursSimon.»SergeMerlin«crèvede faim»mais, début 1953, voitEnattendantGodot, deBeckett.«J’entendais toutes lesrépliquescommesi c’étaitmoiqui lesprononçais. »Le secrétaire deRenéSimonprend sous sonailecet oiseaunoir et vagabond, qui ne resterapaslongtemps au cours de théâtre :«Jerefusaisd’êtreenseigné.Jenepouvaispasm’accommoder,avecrien.Jen’étaismêmepasunpersonnageà laGenet.Infumable, totalement. »

SergeMerlin, déjà, fascine et fait peur.Et, déjà, on évoque à son sujet AntoninArtaud,et pas seulement à cause de son visage aux jouescreuses, aux yeux de braise. Il aimante lesmetteurs en scène et les fait fuir, à l’image deMarcel Carné, qui le repère pourLesTricheurs(1958),mais préfère engager LaurentTerzieff.Ainsi sera sa carrière, si l’on peut employer cemot qui lui convient simal : trouée, faite de

plongées dans la nuit et de renaissances. «J’ai étéà lamort, à la fin, uncertainnombrede fois, souffle-t-il.Je suisuncondamnékafkaïen. »

Lapremièrede ces renaissances, il la doit àAlbertCamus, qui l’engagepourLesPossédés, en1959.«Quand il estmort [en 1960], tout s’esteffondré. Il comprenait, il savait. »SergeMerlinreplonge au fonddu trou, dont le sort le cinéasteAndrzejWajdaqui, du fondde saPologne, en 1961,le choisit pour jouerdansSamson. SergeMerlinvit sixmois à l’Hôtel desBains, àVenise, commeunclochardde luxe, avant de retrouver sachambredebonnede la rueCléry, qu’il a habitéependant quarante ans.

Il n’en serait sansdoute jamais ressorti si leréalisateur roumainLiviuCiulei n’était venu levoir, en 1975, avec le texteduDépeupleur, deBeckett.«J’ai vuunechose :quemoi seulaumondepouvais comprendrecettedéréliction infinie, cettenon-vie, etquec’était l’ultimeépreuve. Il fallaitque jeparle, ouque jemeure.»SergeMerlin aparlé, et

cela adonnéplus qu’un spectaclemythique : unecérémonie alchimique à laArtaud, dont l’acteurest ressorti incendié, au sens strict du terme–peau, cheveux et texte calcinés – à l’issued’unereprésentation enSuisse.

Sa femme, sa « féeViviane», lui a dit : «Stop ! »SergeMerlin amenéune vie de théâtre unpeuplus « normale ». Il y a euLesParavents, de JeanGenet, avec PatriceChéreau,LeRoiLeardeShakespeare et autres folies avecMatthiasLanghoff. En 1990, grâce àAndréEngel, SergeMerlin a rencontré « son » auteur, son double,ThomasBernhard, à qui il ne fait plus guèred’infidélités – sauf pour retrouverBeckett. AlainFrançondit de lui qu’il n’a jamais vu un acteur selivrer sur les textes à un tel travail prosodique, sesbrochures annotées commedes partitions.

Alors, dansFindepartie, il y a cesmains, cesbras, cette voix de SergeMerlin, voix de ténèbreset de tremblement céleste, et il y a surtout que luiseul, qui a si souvent été «à la fin», peut jouerHammainsi, dans une danse avec lamort d’unetelle douceur, d’une telle familiarité. «Puisque çase joue commeça… jouons çacommeça…etn’enparlonsplus…», ditHamm, à la fin deFindepartie.FABIENNE DARGE

àvoirFindepartie, de SamuelBeckett. Mise en scène :AlainFrançon.Théâtre de laMadeleine, 19, ruede Surène, Paris-8e. Tél. : 01-42-65-07-09.Jusqu’au 17 juillet.www.theatremadeleine.com

DUNNARAMEASPOURLE

MONDEMAGAZIN

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—«Jenepouvaispasm’accomoder, avecrien.

Infumable, totalement. »—

PARCOURS1932SergeMerlinnaît le29 décembreàSainte-Barbe-du-Tlelat(Algérie).1959Il jouedans LesPossédés,d’AlbertCamus,d’aprèsDostoïevski.1985Le Roi Lear,mis enscène parMatthiasLanghoff.1990LeRéformateur,de ThomasBernhard,mis enscène parAndré Engel.2001Il joue« l’hommede verre »dans LeFabuleuxDestind’AméliePoulain,deJean-PierreJeunet.

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CULTURELES CHOIX DU MONDE

CINÉMA—Ils sont jeunes, plutôt

beaux.Ilsviventdansleconfortetlestracasd’unecapitalemoderneavec leur petite fille.Ils ne s’aiment pluscommeavant,ellevou-draitpartiràl’étranger,il préfère rester, pours’occuper de sonpère,atteint de la maladied’Alzheimer.

Cettehistoirepourraitsepas-serdansn’importequellegrandeville,Berlin,LeCapouBangkok.Maisvoilà,AsgharFarhadiestira-nien,seshistoiressepassentchezluiàTéhéran.Pourseséparer,Na-der et Simin (formidables Pey-manMoadietLeilaHatami)doi-ventobtenirl’accordd’untribunalislamique. Comme si leur situa-tionn’étaitpasassezcompliquée,l’embauche d’une jeune femmeissued’unmilieumodeste, char-gée de s’occuper du père deNa-

der, débouche sur un conflit so-cial, imprégné de ressentimentspolitiqueset religieux.

Une séparationcommence comme lachronique de la find’unmariage, AsgharFarhadidéploiesonré-cit jusqu’àenfaireunefresque qui dépeintunesociétébloquée.Il

a réalisé ce film endépit de touslesobstaclesmis sur soncheminpar lesbureaucrates règnant surlacultureiranienne.Letournagea été interrompuquelques joursaprès la prise de position du ci-néaste contre les sanctions quifrappent ses confrères Jafar Pa-nahietMohammadRasoulof.Enattendantqu’ilsretrouventleurli-berté, il fautallervoircefilmsen-sible et juste, qui témoigne de laviequotidiennedansl’Irand’aprèsla répression.THOMASSOTINEL

DVD

L’amourà l’italienneLa Viaccia marque, après Le BelAntonio, l’avènement deMauroBolognini dans le cinéma italienà unmoment, les années 1960,où il n’a jamais été aussi grand.Bolognini trouve avec ce filmun souffle romanesque.La Viaccia impose lamarque duréalisateur : une adaptation lit-téraire (ici, un roman deMarioPratesi), en costumes, dans unereconstitution inspirée par lapeinture. D’une histoire d’amourbaroque entre le videur d’unemaison close (Jean-Paul Bel-mondo) et l’une des pension-naires de l’établissement(Claudia Cardinale), Bologninicompose une tragédie sur lepouvoir de l’argent et la corrup-tion.SAMUELBLUMENFELD

LA VIACCIA (1961), film franco-italien deMauroBolognini (1 h 52).1 DVD,VOSTF,Ed.Montparnasse.

»LIMITLESS

Film américainde Neil Burger.Avec Bradley

Cooper,Robert DeNiro,Abbie

Cornish,AnnaFriel,Andrew

Howard(1 h 45).

»PRUD’HOMMESDocumentaire

suisse deStéphane Goël

(1 h 25).

»ACQUA IN

BOCCAFilm françaisde Pascale

Thirode.AvecBastien

Mariani, JeanMariani, Suzie

Crespin,GaranceCrespin(1 h 25).

»LONDON

BOULEVARDFilm américain

deWilliamMonahan.Avec KeiraKnightley,

Colin Farrell,Jamie

CampbellBower, RayWinstone,Anna Friel(1 h 42).

LA SÉLECTIONDE LA

SEMAINE

IranPortraitd’unesociété figée

» » »UNE SÉPARATION

Film iranien d’AsgharFarhadi.Avec LeilaHatami, PeymanMoadi, Shahab

Hosseini, Sareh Bayat(2 h 03).

DR

»POURQUOI PAS

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SCÈNE—

Dansneuf ans, l’humoriste britanniqueEddie Izzard, véritable staroutre-Mancheet auxEtats-Unis où il remplit des stadesdeplusdedixmillepersonnes, s’aventurera– c’est décidé–dans la carrièrepolitique, sousles couleurs travaillistes.D’ici là, il va sillonner l’Europe avec son spectacleafindedémontrer que l’Union constitueunvastemelting-pot. Premièreescale : Paris. Les vedetteshexagonales, deGadElmaleh àJamelDebbouze,

ont déjà accourupourvoir ceperformeuradoubépar lesMontyPythonet assister àunedoubleprouesse.CarEddie Izzard arépétéde longsmoispour seproduire enfrançais. Si, commel’exige le stand-up,il passe volontiers deWikipédia auxpreuvesde lanon-existencedeDieu, de l’âgedepierreà la conquête spatiale,cet adeptedu coq-à-l’ânedonne sur scènela préférence àd’autrescréatures : pouletjazzy, girafe indolente,calamar géant ouécureuil hippie. Au final,le rire comme laplusbelle conquêtedel’homme.MACHASÉRY

STAND-UPEddie Izzard faitde l’humouranglais en françaisdans le texte

CULTURELES CHOIX DU MONDE

DR.FILIP

VANZIELE

GHEM

DR

STRIPPED, d’Eddie Izzard. Théâtre deDixHeures,36, bd Clichy, Paris-18e. Tél. : 01-46-06-10-17.

Du lundi au samedi, à 19 heures. 24 €. Jusqu’au2 juillet. www.theatrededixheures.fr

Accords, deThomasHauert.

ChamberDance,d’AlbanRichard.

DANSE

Profusion créativeOù donner de la tête quand tout s’agite autourde vous ? Le festival June Events, piloté parCarolyn Carlson, à la Cartoucherie deVin-cennes,multiplie les saveurs chorégraphiquesdans une assiette de spectateur grosmangeur,mais fin gourmet. 22 représentations en cinqjours, du 16 au 20 juin, par seize compagnies, enpartenariat avec trois théâtres. Des personna-litésmajeuresmais trop discrètes, commele Japonais KoMurobushi, la jeune garde avecThomas Hauert,Alban Richard ou les frèresBenAïm. L’«After Skite », un projet expérimen-tal, rassemblera des dizaines de performeurs« sans aucune obligation de résultat », sous lahoulette du journaliste Jean-MarcAdolphe. Çava chauffer sous le soleil de la Cartoucherie !ROSITABOISSEAU

JUNE EVENTS.Cartoucherie deVincennes,route du Champ-de-Manœuvre, Paris-12e.Du 16 au 20 juin. De 10 à 20€.Tél. : 01-417-417-10.www.juneevents.fr

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LES CHEMINÉESLa centrale aucharbon d’Amos estl’une des plus grandesdumonde, avec unepuissance de2 933mégawatts– de quoi fournir del’électricité à2,4millions de foyers.Agauche, lesanciennes cheminées,trop coûteuses àdémanteler, sontlaissées debout. Lesnouvelles installationssont conçues pourdiminuer les rejetspolluants ;maisles centrales aucharbon restentd’importantesémettrices de dioxidede carbone. Lecaptage de CO2 estsi gourmand enénergie et sicompliqué àmettreenœuvre qu’il resteà l’étatd’expérimentation.

CULTURELES CHOIX DU MONDE

EXPOSITION—C’estunreportagepour leNew

YorkTimesqui a pousséMitchEpsteinàmenerunelongueenquêtesurlesdes-sousdel’énergieauxEtats-Unis.AChe-shire,dansl’Ohio,lequotidienl’avaitin-vitéàcouvrir ladestructiond’unvillagesitué à côté d’une centraleélectrique : l’AmericanElec-tricPoweroffrait de l’argentauxhabitants pour partir etdémolissait toutes les habi-tations. Ceuxqui refusaientdisaientêtreharcelés.

MitchEpsteindévoileleprix élevé payé par une na-tionquialongtempscruque

sesressourcesétaientinfinies:paysagesabîmés, rejets d’émissions polluantes,accidents climatiques majeurs. Sonparcours de « touriste énergétique »l’a conduit des sites de production auxlieux de consommation, jusqu’aux ni-

veauxlesplusélevésdupou-voir politique. D’où le titreambigudesontravail,«Ame-ricanPower », qui se traduitpar l’énergie, mais aussi lepouvoir américain. Il dresseaussi unportrait inquiétantde l’Amérique de GeorgeW.Bush,rendueparanoïaquepar le 11-Septembre.

Ce qui fait la valeur de ces images,c’est leurambiguïtéet leurcomplexité :même s’il a créé un site pour sensibili-ser les Américains à la question éner-gétique (whatisamericanpower.com),MitchEpsteinn’estpasunmilitantéco-logiste. Il montre avant tout des pay-sages, en s’inscrivant dans une longuetraditionphotographique.CommeRo-bertAdams,qui jetaitunregardmélan-colique,danslesannées1970,surlades-tructionduGrandOuest,MitchEpsteincherche à inscrire dans ses images lesparadoxesd’uneAmériquequi,«accro-chéeàsonconfortpassé, secherchenéan-moinsunavenirplussage».CLAIREGUILLOT

MitchEpsteinplace l’Amérique faceàseschoixénergétiques

À LACHAMBRE PHOTOGRAPHIQUECette image a été prise avec une lourde chambre photographique,un appareil peumaniablemais apprécié des paysagistes poursa précision. On aperçoit un petit ballon abandonné dans le coinen bas à droite et, dans le fond, un joggeur qui utilise le stadepour s’entraîner. Pour faire ce cliché, le photographeMitch Epsteins’est placé dans les gradins, afin de dominer la scène. « Maperspective est celle d’un géant, je reste à l’échelle humaine,mais je prends un peu de distance. »

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«AMERICANPOWER»Fondation Henri Cartier-Bresson, 2, impasseLebouis, Paris-14e.

Tél. : 01-56-80-27-00.Jusqu’au 24 juillet.www.henricartier

bresson.org

American Power,de Mitch Epstein,Steidl, 144 p., 58 €.

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CKRIVERPRODUCTIO

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D/MITCH

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THOMASZANDER,C

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Série«AmericanPower».LycéedePocaet centralethermiqued’Amos,Virginie-Occidentale,2004.

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UNE DRÔLE DE PARTIE DE FOOTBALLOn dirait unmatch typique, dans une petite communautétranquille. Il s’agit de l’équipe du lycée de la ville de Poca. Saufque des détails clochent. Il n’y a pas de numéros sur lesmaillotsdes joueurs, qui semblent tous appartenir à la même équipe.Le coach est visiblement obèse. Le banc de touche est peintd’un joli rose pastel. Et le nom de l’équipe, qu’on lit dans lesbuts, est ridicule : « Poca Dots » est un jeu demots sur le nomde la ville (Poca), qu’on peut traduire par « petits pois ».

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MUSIQUE—

Avecundernier albumbaptiséOlympia, en référenceau studio londonienoùil a été enregistré et enclind’œil à la célèbrepeintured’EdouardManet,BryanFerrysedevait de jouerdans lamythique salleparisienne.A65ans, l’anciencroonerdugroupeRoxyMusic afficheune insolenteprestance.Consacré esthètede lapopdansles années 1970, engreffant sespassionsd’étudiant enart àun rockchamboulépar ses excentricités ironiques et songlamour, l’éternel gentlemanresteunmodèled’élégance.Vingt-neuf ans après ledernier albumdeRoxyMusic, sonneuvièmeopus solo est celui qui s’approche leplusdesdisquesde songroupemythique.Richede funk sensuel, rockoniriqueetballades crépusculaires, cenouveau répertoire estmêlé, surscène, aux standardsde lapériodeglamrock (VirginiaPlain,DotheStrand…)et auxchansonsplus chaloupéesdesannées1980 (MoreThanThis,SlavetoLove…).AprèsParis, quelquesfestivals accueilleront celui dontonadit un jourqu’ilmériterait d’être accrochéà laTateGallery.STÉPHANE DAVET

CONCERTBryanFerry,ungentlemanàParis

CULTURELES CHOIX DU MONDE

OPÉRA

LeCid au sudFin de saison en coup dethéâtre à l’Opéra deMar-seille, avec cette nouvelleproduction du rarissime Cidde JulesMassenet (1842-1912), qui verra notammentles débuts de RobertoAlagna dans le rôle deRodrigue, au côté de Béa-trice Uria-Monzon en Chi-mène. L’œuvre, écrite parMassenet enmême tempsque deux de ses opérasles plus célèbres,Manon etWerther, a été créée à

l’Opéra de Paris en 1885. Elle n’avait pas été jouéedans la cité phocéenne depuis 1937. Les costumes delaMarseillaise Katia Duflot et les décors d’Emma-nuelle Favre ont été réalisés dans les ateliers del’Opéra deMarseille et lemetteur en scène, CharlesRoubaud, égalementMarseillais, a fait ses armesavec Aïda, deVerdi, au Stade de France. Le chef d’or-chestre, Jacques Lacombe, n’est « que » canadien,mais c’est lui qui dirigeait déjà l’adaptation du Mariuset Fanny de Pagnol parVladimir Cosma, créé parRobertoAlagna etAngela Gheorghiu àMarseille, en2007.Anoter que la première du 17 juin sera retrans-mise en direct sur écran géant sur l’esplanade del’Hôtel deVille deMarseille,mais aussi dans 37 paysgrâce à la chaînemusicaleMezzo.MARIE-AUDE ROUX

LE CID, de JulesMassenet.Mise en scène : CharlesRoubaud.Opéra deMarseille, 2, rueMolière,Marseille-1er.Les 17, 20 et 23 juin à 20 heures, le 26 juin à 14 h 30.Tél. : 04-91-55-11-10.De 10 € à 70 €. opera.marseille.fr

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Rendez-vous très attendupar les amateursdemusiquesdumondeet ceuxquiont justeenviede sedépayser lesoreilles, cefestival vétéran (36e édition) reste fidèle à ses fondamentaux. Il yauradesnomscélèbres (BoubacarTraoré, leSuperRailBanddeBamako,TikenJahFakoly) etdes inconnus.Ce sera copieux(22groupes) et représentatif de labellediversitédesmusiquesd’Afrique, desCaraïbesetde l’océanIndien.Côténouveauxvenus,on tendra l’oreille vers l’OugandaisMauriceKirya,PrixDécouvertesRFI2010, et le jeunechanteurkényanWinyo.AnnéedesOutre-Meroblige, plusieurs artistes feront chanter les rythmeset les créolesdesdépartements français lointains. Il y auranotammentKan’nida,porte-voixdugwo-kaguadeloupéendepuisplusieursdécennieset lesindétrônables ambianceursKassav’.PATRICK LABESSE

FESTIVALMusiquesmétisseschaloupe tropiques

BRYAN FERRY, àL’Olympia, 28, bd desCapucines, Paris-9e.Tél. : 08-92-68-33-68.Le 13 juin. De 56,5 € à78,5 €. Le 12 juin aufestival Art Rock de

Saint-Brieuc ; le 21 juillet,à Arles ; le 22,

à Carcassonne ;le 25 aux Nuitsde Fourvière,à Lyon ; le 30,

à Monaco.

MUSIQUESMÉTISSES,île de Bourgines, à Angoulême(Charente).Tél. : 05-45-95-43-

42. Du 10 au 12 juin.www.musiques-metisses.com

Béatrice Uria-Monzon.

RobertoAlagna.

DjelimadyTounkara etle Super Rail Band de Bamako.

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DR.A

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ErnestDaudet, lefrèreaînéd’Alphonse,étaitécri-vain, s’ensouvient-on ?Il fut l’auteurde trente

romans, pratiquement jamais réédités depuis samort, en 1921.

C’estErnest qui accueille lePetitChose àParisquand celui-ci arrive, gare deLyon, descendant duwagon de troisième, après quarante-huit heuresdevoyage,sa«petitemallettegarniedeclous,avecdesrapiéçures, et pesant plus que son contenu ». Noussommesen 1858,Alphonse adonc 18 ans. Le grandfrère emmène d’abord le petit au restaurant, car iln’a rien avalé depuis deux jours. Dans L’Arrivée,premier texte de ce recueil intitulé40ansdeParis,AlphonseDaudetracontecettemémorablejournéededécouverte,defraternité,d’ambitiondévorante,quicommençaparuneomeletteserviesurunetabledemarbre,sansnappe,mais«reluisantedepropreté».Lequel des deux frères, lors de cet inaugural festinparisien, seprometdedévorer l’autre ?

« Monfrèreétaitriche.Ilremplissaitlesfonctionsdesecrétaireauprèsd’unvieuxmonsieurquiluidictaitsesMémoires,auprixde75 francsparmois.»

Ernest continue la visite, se doute-t-il qu’ilintroduit son jeune rival dans les lieuxmêmes deses futurs triomphes : l’Odéon, l’Opéra-Comique,et le boulevard Saint-Germain, le long duquel,comme installées dans les vitrines du Printemps,se tiennent les célébrités littéraires et politiquesde l’heure, Vallès, Gambetta, un name-droppingtrébuchant sur des énigmes : qui sont Jules de laMadelène,AmédéeRoland,etCressot,«l’excentriqueCressot» ?

«Monfrère,hommed’expérience,avaitdit:“Ilfautunhabitquandonveutfairesonchemindanslemonde !”

Et le cher ami comptait beaucoup sur cette défroquepour ma gloire et mon avenir. » Ernest l’emmènechez le tailleur.

Alphonse ne dit pas, dansMapremière pièce,dequivient ladépêchequ’il reçoitalorsqu’ilvoyageen Algérie : « Pièce jouée, grand succès, Rousseil etTisserantmagnifiques.»Qui celapeut-il bienêtre ?

LesEditionsdesEquateurs, quipublient ce re-cueil,nenousdisentpasnonplusquandetoùaparuchacundestextesquicomposentce40ansdeParis.Dommage.Onne leur tiendrapasnonplus rigueurde la promesse non tenue de l’introduction :«Ce livre réunit souvenirs, portraits, épisodes vécuset scènes prises sur le vif, groupés pour la premièrefoisdansunordrechronologiquerigoureux.»Rigueurprise en défaut par cette Lecture chez Edmond deGoncourt, parue en 1877, et placée dans le recueilaprèsl’Histoiredemeslivres,éditéepourlapremièrefois en 1887.Chipotage.

Question de gloire. Mieux vaut se laisserconduire à travers ce demi-siècle de littératurepa-risiennepar unDaudet décourageant de génie, ad-mirable de facilité. Parlant de lui, il est beaucoupquestiondegloire, cellequi l’inquiète, le frappeparsoninjustice,etrécompenseenfinsesamis.Passonfrère. Daudet est l’inventeur du «quart d’heure decélébrité»,réinventéparAndyWarholunsiècleplustard. Le concept apparaît dans le portrait deVille-messant, ledirecteurduFigaro.

« Lepetit journaliste,dans lesensdonnéàcemot,estunjournalistequisecroitobligéd’êtreenmêmetempsécrivain ; le grand journaliste s’endispense», écrit-ildans sonportrait d’HenriRochefort.

Cerecueilestuneastucieusereconstitutionau-tobiographique, elle contourne avantageusementles gros incontournables, dont Daudet raconted’ailleurs la genèse dans Histoire de mes livres.Unequestionsepose:quelregardErnesta-t-ilportésur les chefs-d’œuvre d’Alphonse ? La réponse,Ernest ladonne lui-mêmedansson livre,Monfrèreetmoi,paru en 1882, jamais réédité. Il fournit aussilaréponseàladevinettealgérienne:c’estbienluiquiannonceà son frère sagloire. ∆

40 ANSDE PARIS,d’AlphonseDaudet, Editionsdes Equateurs,298 p., 19 €.

—Selaisserconduire,à traverscedemi-siècle

de littératureparisienneparunDaudetdécourageantdegénie,admirablede facilité.—

CLA

IRE-LIS

EHAVETPOURLE

MONDEMAGAZIN

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LIVRECHRISTOPHE DONNER

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L’OMBRE DUFRÈRE

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CULTURELES CHOIX DU MONDE

ENLIBRAIRIE—

DepuisParkGorki,en 1981, extraordinaire plongéedans la bureaucratiesoviétique, l’AméricainMartinCruzSmithpoursuit sa description auvitriolde la société russe. Il est rarede lire des romanspoliciers qui donnent autant

à voir unpays.En suivant les aventures et lesenquêtes de l’inspecteurArkadyRenko, nouspercevons l’évolutiond’uneRussie passéedel’absurdité du stalinismeau libéralismeeffrénéreprésentéparPoutine.LeSpectredeStaline,sonprécédent roman, décrivait, sur fondde guerreenTchétchénie, la corruptiondes élites et lesdérives despartis nationalistes.

Moscou, courdesmiracles s’attarde au contrairesur le lumpenproletariat, les exclus du système,qui tentede survivre autourde la gare centraledeMoscou.Unbébédisparaît, une jeune femmetrès belle est retrouvée assassinéedansunebaraquede chantier, des gaminsde rue attaquentdessupermarchéspour voler des couches, une journalisteunpeualluméeéchappe àunmeurtre, unoligarquemilliardaire joueundrôle de jeu…Aumilieude cemaelström,Arkady adumal à garder son sang-froid etànepas être viré de la police.On l’aime, cet homme-là.Parcequ’ilnesefiepasauxapparences.YANNPLOUGASTEL

POLARLasociété russeauvitriol

«Tiens,maisqu’est-cequ’ilsattendent tous ? », sedemandeunegrenouille endécouvrantune fileinterminable. Pourpatienter,le raton laveur et le renard,sous les encouragements duparesseux, jouent àquisautera le plushaut, alors quelemouton refused’avancertant que le loup se léchera lesbabines ; et c’est finalementl’éléphant qui aura le privilègedemonter enpremier.Maissur quoi ?Quel est donc ceformidablemanègeque ces animauxattendent avec tantd’impatience ?Riendemoinsqu’unebaleine ! Looping,glissade, plongeon : cela valait vraiment la peined’attendre !TomokoOhmura signe ici unalbumoriginal et drôle danslequel, si l’onapprendàcompter à rebours, c’est surtout l’effetde surprise qui séduit les petits. Alors préparez-vousàprendremoult tickets, et à le lire et le relire jusqu’à pasd’heure… ÉMILIE GRANGERAY

BD

Dada aupays des SovietsAvant demourir à l’âge de 36 ans dans un hôpital psychia-trique, Daniil Harms, poète iconoclaste et réprouvé del’URSS de l’entre-deux-guerres, a laissé derrière lui unensemble de petits textesmêlant l’absurde, l’irrationnelet l’onirisme. Réhabilitée en 1956 après avoir longtempscirculé sous lemanteau, sonœuvre est aujourd’huitraduite un peu partout dans lemonde. Pour la découvrir,on ne conseillera que trop cette adaptation en bandedessinée réalisée avec du papier découpé. Ici, un individureste allongé sans raison dans un couloir ; là, des hommesse pourchassent sanssavoir pourquoi ; ailleurs,un aveugle recouvre la vueet devient un héros. Derrièrele loufoque des situations,c’est toute la violencesourde de la société sovié-tique de l’époque quemet en perspective cetétonnant hommage Dada.FRÉDÉRIC POTET

INCIDENTS, deGéraldAuclin (d’après Daniil Harms),EditionsTheHoochieCoochie, 48 p., 20 €.

REVUE

Positives interviewsC’est unprivilège demensuel quede pouvoirfaire paraîtrede longsentretiens.La revuePositif publieun hors-sérieregroupant

trente-quatre de sesmeilleuresinterviews de grands cinéastes,enregistrées au cours desdécennies 1970-1980.DeWoodyAllen àWimWenders, il y a du beaumonde, dont certains grands dispa-rus.On vous conseille de vous arrê-ter sur Robert Altman (« Je suisjoueur jusqu’à la moelle »), Michelan-geloAntonioni (« Je ne donne jamaisde réponse »), Ingmar Bergman (quitraite Hitchcock de cinéaste « sus-pect »), Luis Buñuel (« Je n’aime pasl’admiration, je préfère qu’on me lancedes injures »),Luigi Comencini,Maurice Pialat,Alain Resnais et, biensûr,TerrenceMalick (oui, il fut untemps où il parlait) à propos de LaBalade sauvage, son premier film,actuellement projeté en copierestaurée. JEAN-LUC DOUIN

« LES GRANDS ENTRETIENS »,Positif, hors-série n° 4, 10 €.

MOSCOU,COUR DES MIRACLES,deMartin Cruz Smith,traduit de l’anglais

(Etats-Unis) par EstelleRoudet, Calmann-Lévy,

272 p., 19,50 €.

FAITES LA QUEUE !,deTomoko Ohmura,L’Ecole des loisirs,

30 p., 12 €.A partir de 4 ans.

ENFANTTourdebaleine

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GAËLLE

NYPOURLE

MONDEMAGAZIN

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Mélani Le Bris est directrice adjointedu festival Etonnants Voyageurs(www.etonnants-voyageurs.com).Fondé par son pèreMichel Le Bris,

il se tient cette année du 11 au 13 juindans cette cité corsaire qu’elle connaît commesa poche, quoique née en 1973 à Carcassonne, autreville ceinte demurailles. Cuisinière hors pair,MélaniLe Bris ressort, en beau livre illustré par Hippolyte,sa Cuisine des flibustiers aux Editions Phébus.

LESAINT-MALODEMÉLANILEBRIS

VOYAGEAUTOUR DU MONDE

PROPOS RECUEILLIS PAR ÉMILIE GRANGERAY

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kS’IMAGINER AU GRAND LARGEÀ LA DROGUERIE DE MARINE«Brosses, peinture, vernis,mais aussimaquettes debateaux, boussoles, baromètres…A laDroguerie deMarine, il y a tant d’objets que l’onypasserait desheures.Onydénichera le cadeau tant recherché etl’onnepartira pas sans sonpetit bateaupop-pop, uncanot enmodèle réduit qui fonctionneà l’eau et avecunebougie !Mais commeLoïc, le propriétaire, estaussiunsacré lecteur, petit àpetit les livresontgagnél’étagepour formerunevraie librairie entièrementdédiée à lamer et au voyage. Ladroguerie organiseaussi expositionsd’art et rencontres littéraires. »

oBOIRE À LA SANTÉDES FLIBUSTIERS«Parceque la cité corsairen’en serait pas vraimentune si elle n’avait passa rhumerie. La façadebarioléedeHiss etOhannonce la couleur :le flibustier est unhommequi boit ! EmbarquezpourlesAntilles, faites escale àlaRéunion, expérimentezles breuvages les plusinsolites…Ananas, café,vanille, gingembre,miel, orange, cannelle,cardamome !Plusde50 variétés de rhumsarrangésmacèrentgentimentderrière lecomptoir. Et l’on racontemêmequ’unede cesbouteilles contiendraitquelquespiments en fusionquin’auraient pas étésansdéplaire ànos amisflibustiers ! L’ambiancey est festive, lamusique…forte… »

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YALLER

LES ADRESSESDE MÉLANI LE BRIS

1 | LADROGUERIEDEMARINE66, rue Georges-Clemenceau.Tél. : 02-99-81-60-39.

2 | RHUMERIEHISS ETOH7, rue de Chartres.Tél. : 02-23-18-17-21.

3 | BAR-HÔTELDE L’UNIVERS12, place Châteaubriand.Tél. : 02-99-40-89-52.

4 | L’ENTREPÔTÉPICES - RŒLLINGER12, rue Saint-Vincent.Tél. : 06-18-80-44-10.Dumardi au samedi,de 10 heures à 12 heureset de 14 heuresà 19 heures ;le dimanche, de 10 heuresà 14 heures.

5 | LE JAVANAIS10, rue de la Corne-de-Cerf.Tél. : 02-99-40-00-24.Réserver à l’avance,surtout en période defestival.

oREFAIRE LEMONDE À L’UNIVERS«LebarmythiquedeSaint-Malo.Boiseries,boussoles, cartesmarines,tableauxpatinés etphotos anciennes : toutest là. Le rendez-vousdescoureursd’aventures,mais aussi des écrivains.Depuis les débuts dufestival, les rencontresles plus enflamméesont eu lieu au comptoirautourd’unverre.J’entends encore réson-ner la voix rocailleusedeJimHarrisoninterpellant sonamiJamesCrumley,les rires dePaco IgnacioTaïbo II et les récitsanimésd’AlvaroMutis… »

kS’INITIERAUX ÉPICES«Qui adit que le poivreest une épice ?Cen’estpasunemais desdizainesde variétés que l’ondécou-vredans l’épicerie d’Oli-vierRœllinger : la saveurastringenteduSichuan(Chine), les notes floralesduNeelamundi (Inde), lesfragrancesdementhe etd’eucalyptusduKampotnoir (Cambodge)... De sesvoyages, le cuisinier arapportédesdizainesdecrusd’épices.Chaquebocal s’accompagnedeconseils pour les utiliser…Adécouvrir aussi, leshuiles parfumées et lesmélangesd’épices ajustésparOlivier. »

o FAIRE VOYAGER SESPAPILLES AU JAVANAIS«Parceque la cuisine est pourmoiunehistoire, unvoyage, unpartage, je prends toujours plaisirà écouter le patronYannickLharronexpliquer chaqueplat,détailler chaque composition…Mesplats préférés ?Le vraibouillondepoule aux vermicelles,le curryd’agneauaux40 épices etson riz jaune, le rendangpadang,ragoût debœuf à lanoixde coco età la citronnelle, et tant d’autres. »1

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BassinVauban

SAINT-MALO

Manche

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Plus performants que les compacts, et souvent plus facilesàmanier les reflex, les bridges et les nouveaux hybridescherchent à s’imposer sur lemarché des appareils photo.

STYLEHIGH-TECH

Les appareils photo reflex séduisentun nombre croissant d’amateurs debellesphotos, lassésparleslimitesdes

compacts.Maiscesmodèlesàobjectifsinter-changeables rebutent – pas toujours à justetitre – ceux qui craignent de s’alourdir etd’avoiràeffectuerdes réglages sophistiquéspourréaliserdebonsclichés.Pourlesséduire,les constructeurs proposent deux typesd’appareils qui réalisent des performancessupérieuresàcellesdescompactssansavoirles inconvénientsdes reflex.

Donnés pourmorts il y a quelques an-nées, les«bridges»continuentdesevendredans des quantités nonnégligeables : il de-vrait s’en écouler quelque 300 000 unitéscette année (plus de 500 000 reflex pour-raient être achetés dans le même temps).«C’estsouventl’appareildel’amateurconfirmé,pourquilereflexseraitsurdimensionnéenfonc-tionnalités,enpoidsetencombrement»,plaideFranckPortelance, deFujifilm.

—points fortsCommeleurnoml’indique,cesmodèles

sont le « pont » (bridge en anglais) entre lescompacts et les reflex. Ils ressemblent àces derniers, avec leur grosse poignée quileur confère unemeilleure prise enmain,et donc unemeilleure stabilité. Leur pointfortsesitueauniveauduzoom,quipeutgrim-per jusqu’à 36 ×. Ils disposent aussi d’uneplagede focale étendue, et l’onpeut leur ad-joindre un flash externe. Et, ce n’est pas né-gligeable, leur prix (environ 300 euros) esttout à fait compétitif au regardde leursper-formances. Les bridges souffrent toutefoisd’uninconvénient:leurcapteurestsemblableà celui des compacts. Il est plus petit que

celui équipant les reflex. L’image sera doncd’unemoins grande qualité que celle obte-nueavec cesderniers.

Un nouveau type d’appareils photonumériques qui corrigent ce handicap estapparu il y a deux ans. Leur capteur est,sinonsemblableàceluiquel’onpeuttrouversur un reflex, plus grand que celui présentsur les compacts et les bridges. A notertoutefois, la taille de ces pièces qui captentl’imagevaried’unemarqueàl’autre.Pourga-gner de la place, ces appareils ne disposentpasd’unviseuroptique,maissimplementnu-mérique. Comme les reflex, leurs objectifssont interchangeables.

—marchéconfidentielPour lemoment, les hybrides ne sédui-

sent qu’une partie infime des amateurs dephoto. On prévoit que 50 000 d’entre euxseront vendus enFrance cette année. S’im-poseront-ils faceauxreflex ?Certainscom-mentateurs rappellent que les prix de cesappareils ont considérablement baissé : lesmodèles d’entrée de gamme se vendent au-tour de 400 euros, soit le prix d’unhybride.Ensuite, lesreflexoffrentunepanoplied’ob-jectifssupérieureàcelledecesderniers.En-fin, lorsqu’on ajoute unobjectif, un hybrideest presque aussi encombrant qu’un reflex.Mieuxvautchoisirunvrai reflexsi l’ontientà réaliserd’excellents clichés

Aujourd’hui,seulesquatremarques(Pa-nasonic,Olympus,SamsungetSony)propo-sentcettenouvellevariétéd’appareils ;maiselles pourraient être imitées par d’autresconstructeurs. Il semurmurequePentax etNikonannonceraientleursmodèlesd’icià lafinde l’année. JOËLMORIO

SUPERcompactsetSOUSreflex

DR

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1. CANON POWERSHOTSX30Zoom optique de 35×, capteur de

14,1 millions de pixels, large plage defocale et écran orientable de 6,8 cmpour faciliter les prises de vue. 420 €.

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14 millions de pixels, le FinePixS3400 propose de télécharger

presque automatiquement ses clichéssur les réseaux sociaux. 240 €.

4. SONYHX100Clichés panoramiques ou en 3Dgrâce à sonmode balayage,

zoom 30× et capteurde 16,2 millions de pixels. 500 €.

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LES BRIDGES

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11 juin 2011 LeMondeMagazine

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5. PANASONIC LUMIXG3Capteur de 16millions de pixels,

léger et compact, 590 €.

6. OLYMPUS EPL-2 ETL’OBJECTIF FCON-P01-XLCapteur de 12,3 millions de

pixels, capable de partager sesimages en temps réel avec despériphériques compatibles

Bluetooth. 600 €.

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écran orientable de 7,5 cm,compact et léger (225 g pour le

boîtier).A partir de 580 €.

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l’optique donne accès à tous lesparamètres de l’appareil doté

d’un capteur de 14,6 millions depixels.A partir de 500 €.

LESHYBRIDES

6

Page 64: Le Monde Magazine

L a5eéditiondusalonSlowFishs’estou-verte finmai à Gênes en présence de

Maria Damanaki, la commissaire euro-péenne aux affairesmaritimes et à la pêche.Cettemanifestation organisée par lemouve-mentSlowFoodétait consacréeà lapêchedu-rableetausauvetagedesespècesenpéril,deuxthèmesmajeurs dans l’agenda deMmeDama-naki, qui doit faire face auxopinions souventcontradictoires des pêcheurs, des scienti-fiquesetdes27 Etatsmembres.Estimantàplus de 10 milliards d’euros la pêche illé-gale annuelle dans lemonde, elle a an-noncé unnouveauprogrammede luttefondésurlestechnologiesmoléculaireset lesanalysesADN,qui«rendentpos-sible l’identificationdes espècesmêmedans lesproduits transformés».Du silure (catfish)produit auViet-nametvenduenGrande-Bretagnesous le nomde filets de sole, de lamoruepêchéeenmerduNorddé-clarée originaire de la Baltique…la triche sur les étiquettes ou lesfausses déclarations d’origine géo-graphique sont en effet fréquentes.GrâceauxanalysesADN,dontlecoûtestdeplusenplusabordable, laCom-mission disposera d’un « outil puis-sant» contre ces fraudesmais « ledéfiserademettre enpratiqueauquotidiences nouvelles technologies dans toutel’Europe».

«Nousdevonschangernotremanièredepêcher », a déclaré Maria Damanaki, à la

grandesatisfactiondeCarloPetrini, leprésidentdeSlowFoodqui proteste depuis longtemps contre lapêche intensive audétrimentdespêcheurs côtiers,dénoncelegâchisdespoissonsrejetésàlamereten-courage la consommationdes espècesméconnuesdes consommateursparceque ignoréespar lemar-ché. Le standSlowSushi en a fait la démonstrationpendant le salon en remplaçant le thon rougeou lesaumonpar de la liche et du chinchard, à la grandesurprisedesclientsquisouventnefaisaientpasladif-férence.Au restaurantde l’Alliancepourunepêcheresponsable,deschefsitaliens, indien,turc,français,chilien ont tenu à cuisiner des espèces ne figurantpassurleslistesnoiresinternationalesetprovenantuniquementdeseauxgénoises.

Dérogations. Ils ont cependant été privés decicciarelli et de rossetti,deuxminuscules poissonspris au filet traînantdepuisdes siècles sur les côtesdeLigurieetservisleplussouventenfritureàlamai-son ou dans les trattorias. Dans le cadre de la luttepour lapréservationdesespècesetpourgarantir lareproductiondesstocks, lapêchedepoissons juvé-nilesaeneffetétéinterditeparl’Unioneuropéenne.Les cicciarelli (cicerelle,Gymnammodytescicerelus)et les rossetti (gobie transparent,Aphiaminutame-diterranea) tombent dans cette catégorie, au granddamdespopulations locales.Or cette « friture »nedépassera jamaisunedizainedecentimètresà l’âgeadulte et ne devrait pas être interdite, selon le pré-sidentderégionClaudioBurlando,venudemanderunedérogation à la commissaire avec le soutiendeSlowFood.

La requête a été enregistréemais cet exempleillustre la complexité des réglementations enma-tièredepêcheetladifficultédelatâchedeMariaDa-manaki. Sa présence àGênes était à cet égard sym-bolique:elleyatrouvélesoutiendeSlowFoodpourunenouvellemanièredepêcheretreconnulemou-vementcommeuninterlocuteurvalableàBruxelles.SlowFood, qui n’a jamais excellé dans le lobbying,organisera d’ailleurs en avril 2012 unTerraMadreEuropequirassembleraàBruxelles4 000 déléguésde l’UEmilitantpourunealimentationdurable. ∆

CLA

IRE-LIS

EHAVETPOURLE

MONDEMAGAZIN

ETA

ILLARD

/PHOTOCUISIN

E/SUCRÉSALÉ

GOÛTJP GÉNÉ

11 juin 2011 LeMondeMagazine

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[email protected]

QUELS POISSONSDANS L’ASSIETTE?

Unchinchard.

Pour lasauvegardedesespècesenpéril,unesolution :cuisinerdespoissonsméconnus,comme

la licheoulechinchard.

Page 65: Le Monde Magazine

Dansuneruellepavéequidescendde laPiazzadeFerrari, cettetrattoriadiscrètesedistinguepar l’accueil.AlessandroaupianoetFeliceensalle soignent

unequarantainedecouverts sousdesvoûtesjaunesetvertesavec lesbouteilles sur lesétagères.CuisinedeLigurieavec lestrofie (pâtessansœufrouléesenpetitsboudins)

ou les lasagnesaupesto.Unedélicieusemoruefaçonbrandadeauxolives(8€) ; calamarenbrochette, finetparfaitementcuit (14€) ;paccheri ripienidigamberigratinati,sortedecannelloni fourrésd’unebéchamelultralégèrepoisson-crevettes (9€)quitémoignedutalentdecechef.Assiettede fromagesdontuneexcellentericottafraîche(9€), fraisesavecunecrèmefouettéeà lavanille (4€).Ce futundînerremarquabledesimplicitéetdequalité.Avecenprimedes tarifsincroyablessur lesvins :12€ou13€,maisdebonnefacture. JPG

RESTOUnetrattoriadequalitéàGênes

1 700 adressesclassées par régions etselon les critères del’organisation quidésigne ses favoris avecun escargot.A l’originec’est d’abord un guided’auberges quiprivilégie les cuisinesrégionales, les produitslocaux et les savoir-faire

traditionnels. Cettenouvelle éditioncomprend désormaisles restaurants quipratiquent « uneexcellente gastronomiede terroir ». Les produitsde chaque région sontégalementmis ensituation avec lesadresses pour se les

procurer auprès desmeilleurs fournisseurs.Indispensable pour serégaler partout en Italie,à la ville comme à lacampagne. JPG

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LIVREBienmanger en Italie avec SlowFood

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VIN

La renaissanced’unvignobleAu croisement du Lan-guedoc et de la valléedu Rhône, inclas-sable et sans sur-prise inclassé, unvignoble partageles qualités de cesdeux régions viti-coles. Des solsargilo-calcairespauvres, beaucoupde soleil, peu depluie, du vent, de lalumière et un patri-moine historique incomparable,le Duché d’Uzès. Les vins sevendent bien et n’ont querécemment tenté de rejoindreles côtes-du-rhône voisins, sanssuccès. Leur qualité n’était pastranscendantemais cela changedepuis l’arrivée à Blauzac (Gard)de deux viticulteurs déterminés,RayMonahan et Olivier Privat :en témoignent deux rouges2009 de caractère, La Grande etDuché.Duché, élaboré à partirde syrah et grenache de parfaitematurité, semble le plus équili-bré, le plus original et, dans sonhabillage, lemoins prétentieux !Un rouge sombre, profond, tex-turé, généreux dans sa finale,moderne dans sa qualité d’ex-tractionmais intemporel danssa lecture du potentiel du ter-roir. Le vignoble renaît, séduit etchange de la routine des appel-lations et de trop de vins conve-nus ! BETTANE &DESSEAUVE

DUCHÉ 2009,VIN DE PAYSDUCHÉ D’UZÈS ROUGE, 7,50 €.Domaine les Lys, Blauzac (Gard).Tél. : 04-66-03-16-37.www.les-lys.fr

[email protected]

Page 66: Le Monde Magazine

S i la sécheresse n’était si dramatique, on souri-rait tant lesplantesqui luirésistentsontsplen-

dides, commeragaillardiesparcettechaleur sèche.Laciboulette jaunit,ellequiaimetant l’eauet lami-ombre,mais la saugeofficinalen’a jamaisété si grisargenté, ses feuilles n’ont jamais été si rugueuses,son parfum si délicat, sans cette pointe d’âcreté etd’odeurdepissedechatquecepetit arbusteexhaledansles jardinshumides.Leromarinpoussemoins

vite,sesfeuillessontpluspetites,brillantes,presqueluisantes,beaucoupplusserréeslelongdetigesplustrapues. Il sent particulièrement bon, comme lalavandeofficinalequine tarderapasà fleurir.

Attention ! Je parle de la lavande vraie, pas dulavandin, dont l’odeur est fortemais sent un peutrop…la lavande !La lavandesereproduit fortbiende semis, forme un buisson élégant qui peut êtremaintenu bas et arrondi comme un coussin. Sesfleurspluspâlessontd’unbleuindéfinissablequisetrouve quelque part entre le céruléen et lemauvebleuté. En pleine terre, elle aime le caillouteux, lesec,lasécheresse,auxquelselles’adapte.OnditmêmequecellequipousseprèsdeLondres, etdontonex-trait l’essencede lavandequipassepour laplus finedumonde,tiresesqualitésd’unsolcalcaire, filtrantetd’unmicroclimatunique,plussecqu’onl’imagine.

Mais la lavande est une capricieuse. Elle exigedes soins soutenus quand elle estmise enpot : ellen’y supporte pas la sécheresse et doit être arroséesouvent, etmême chaque jour si le bac dans lequelelle vit est petit. C’est qu’il lui faut un sol profondoùaller chercher l’eaudont elle a besoin.Cequ’ellefait en pleine terre, comme la vigne, comme lesrosierset tantd’arbustesquinerésistentausecqueparce que leur système racinaire ne s’étale pas à lasurfacedusol.

Ni trop long ni trop court.Tailler la lavanden’estpasunesinécure :ellen’appréciepasd’êtrera-battuesurlevieuxbois,quinerepercealorspas.Elledoit l’être avec circonspection, après avoir bien re-gardé comment elle pousse. La tige défleurie doitêtrecoupéeavecunpetitsécateurbienaffûtéaubeaumilieu de l’amas de nouvelles pousses qui se pres-sent en bas de chacune d’elles, à l’endroit d’où elleémerge de l’arbuste. Ça prenddu temps,mais c’estla seule façon de ne pas massacrer ce petit bijouauquel onn’accordepas assez d’égards quandon lescalpe au taille-haie électrique : trop long ou tropcourt… ou qu’on ne le taille pas du tout, ce qu’ellen’aime pas dans les terres riches. Deux semainesaprèsavoiréténettoyée, la lavandenedoitmontreraucunstigmatedupassagedusécateur. ∆

JARDINALAIN LOMPECH

JÉRÔMEGALLA

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Enpleineterre, la lavandeaimelecaillouteux, lasécheresse,

auxquelselles’adaptesansfaçon.Enpot, elledevientcapricieuse.

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LA LAVANDE,BIEN AU SEC

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ACHETEZ À LASOURCE

LaPostecommercialiseprès de 3 milliards detimbres par an.Vouspouvez souscrireune réservation auxnouveaux timbresauprès de votrebureau de poste oupar correspondance(timbres.laposte.fr).

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L’outil de référence, cesont les catalogues decotation édités parYvert et Tellier. Uneformule intégrale à99 euros donne accèsà toute la bibliothèqueen ligne pendant un an(www.yvert.comoutél. : 03-22-71-71-71).

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Les professionnels dela Chambre syndicalefrançaise desnégociants et expertsen philatélie peuventrédiger des certificatsd’authenticité qui lesengagent trente ans(www.cnep.fr outél. : 01-45-23-00-56).

ALLEZAUMUSÉEPour découvrir

l’histoire des timbres,une visite s’imposeà l’Adresse,Muséede La Poste(34, boulevard deVaugirard, Paris-15e)ou sur le sitewww.ladressemuseedelaposte.com.

NOS CONSEILS

PHILATÉLIEÉVALUERUNECOLLECTIONDETIMBRES

Suite au décès de sonmari, Henriette C. a héritéd’une collection de plusieursdizaines de milliers detimbres. Perplexe, n’ayantaucune connaissance en phila-télie, elle s’est retrouvée confron-tée à un empilement de classeurspoussiéreux et de cartons remplies delettres anciennes et de timbres des paysles plus variés et de toutes époques…« Mon premier réflexe a été de découperles timbres pour les classer par pays,explique-t-elle. Des amis philatélistesm’ont ensuite expliqué que c’était unegrave erreur. » En effet, la date decirculation, la destination, le périple donttémoignent les oblitérations peuventdonner toute sa valeur à un pli dontl’intégrité doit être préservée.Le néophyte qui reçoit des timbres enhéritage s’imagine parfois que la fortunelui tend les bras. Cela peut arriver – unelettre avec deux timbres de l’île Mauricede 1847 a été vendue au prix record de5,75 millions de francs suisses en 1993(l’équivalent d’environ 4millions d’eurosactuels) –,mais c’est rarissime. « Lestimbres chers sont par essence rares etdonc peu nombreux », fait remarquerArnaud de LaMettrie,membre del’Académie de philatélie. Il recommandede ne laisser sa collection de timbres « endépôt » à quiconque,même à des finsd’expertise. Rien de plus facile en effet quede « prélever » une pépite perdue danslamasse en toute discrétion. Egalement

académicien,Guy Prugnonconseille des’adresser àun club decollectionneurs.

« Un club réunitdes compétences variées,explique-t-il.Ses membrespeuvent dispenser desconseils avisés et dirigercelui qui veut vendre versun acheteur fiable. » Jean-François Baudot, expert

près la cour d’appel de Bourges, n’est pasdumême avis : « Un professionnel esttoujours plus compétent et plus crédiblequ’un ami, aussi passionné soit-il. »Une fois l’acheteur trouvé, trois types detransaction sont possibles. La collectionpeut être achetée en bloc. « Si l’on vous ditque cela ne vaut rien, c’est généralementvrai ; en revanche, si on vous en offre uncertain prix, c’est que votre collection vautdavantage », remarque Guy Prugnon.Autresolution, la vente aux enchères.Jean-François Baudot estime qu’il vautmieux laréserver aux pièces de très haute cote ouaux collections sans valeur car « la plupartdu temps, on a affaire à des acheteurs qui n’yconnaissent rien ».Dernière solution, la« vente sur offres ».Ce système d’enchèressans commissaire-priseur permetd’obtenir de bons prix pour les timbres etlettres les plus rares. « Le négociant sertd’intermédiaire, mais c’est le client qui fait leprix », précise Guy Prugnon.PIERRE JULLIEN

ARGENTPATRIMOINE

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VASILIK

IVARVAKI.T

OM

SCHIERLIT

Z/GETTYIM

AGES

—Quelques incontournablesafindepasserpourun initié…AminciDiminutionde l’épaisseurdupapier d’un timbreprovoquéepar arrachement. Il perdde ce faitunepartie de sa valeur.CharnièreMoyende fixationdes timbresdansunalbum,engénéral unepatte depapier.Saprésence auversod’un timbreneuf le dévalorise.FlammeOblitérationrectangulaire,parfoisillustrée,prèsdutimbreàdate.MancolisteListe dresséepar lecollectionneurdes timbres qui luimanquent et qu’il veut seprocurer.MarcophilieCollectiondesmarquespostales et oblitérationsanciennesou contemporaines.OdontomètreOutil servant àmesurer la denteluredes timbresqui, enFrance, est expriméeennombrededents sur2 cmde long.RouletteConditionnementdestimbres en longuesbandesdepapierembobinéesde la largeurd’un seultimbre.EnFrance, depuis 1976,les timbres issusde roulettesne sontdentelés que surdeux côtés.Surcharge Impression réaliséeaprès le tiraged’un timbrequimodifie sa valeur ou sonusage.SurtaxeSommepayée enplusdela valeur faciale du timbre collectéeauprofit d’uneœuvre charitable.Tête-bêchePairedetimbresdontl’unestà l’enversparrapportà l’autre.VariétéDifférenced’impressiond’un timbrepar rapport aumodèle :elle est systématiqueouaccidentelle.

0123 CHAQUE SEMAINE,« LE MONDEARGENT »SE PENCHE SUR UN CASCONCRET. ENVOYEZVOS TÉMOIGNAGES À

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PARLEZ-VOUS « TIMBRES » ?

11 juin 2011 LeMondeMagazine

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«SI ONVOUSENOFFREUNCERTAINPRIX,C’ESTQUEVOTRECOLLECTIONVAUTPLUS.»

Pour qui n’y connaît rien, céder une collection philatéliquereçue en héritage nécessite certaines précautions.

Page 68: Le Monde Magazine

JEUX

PHILIPPE DUPUIS

MOTS CROISÉS GRILLE N° 382

FÉDÉRATION FRANÇAISE DE BRIDGE

BRIDGE N° 91

YAN GEORGET http://yangeorget.blogspot.com/2009/12/sudokus.html

SUDOKU N° 382 - EXPERT

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7 5 9 3 1 8 4 6 2

ExpertCompletez toute lagrille avec des chiffresallant de 1 a 9.Chaque chiffre ne doitetre utilise qu’uneseule fois par ligne,par colonne et parcarre de neuf cases.

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11 juin 2011 LeMondeMagazine

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NON, JEF...Contrat : 4 parSudEntame :AsdeTrèfleVousentamezde l’AsdeTrèflepour le5dumort, le 4dupartenaire, le3dudéclarant, etpoursuivezduRoipour le7, le6et le 10.Commentvoyez-vous la suitedu flanc?L’indice :Vousn’êtespas tout seul !

♠ R10954

♥ D2

♦ R105

♣ 975

NO E

S

♠ 3

♥ 1097

♦ V83

♣ ARDV82

Sud O N E1♠ 2♣ 4♠ Fin

Sud donneur. E/O vulnérables

Solution du numéro précédent

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SOLUTION DE LAGRILLE DU N° 381Horizontalement 1Réactualisation.2Empressé. Cierge.3Vorace. Sp. Liera.4Otés. Raton.En.5Lissier. Usant.6UV.Ennius. Levai. 7Ténuité. Sais. Os.8Est. Gaine. Ore.9Ostéite.Ennemie. 10Net. Eo. Préavis. 11Oospore. Si. Ta. 12Atys. Arius. Emeu. 13 Irais. Issoire.14Rageusement.Rai. 15Ecervelé.Tètent.Verticalement 1Révolutionnaire.2Emotive. Se. Trac.3Apres. Nettoyage.4Crasseuse.Osier.5TEC. Initiés. Suv (vus).6Usèrent. Topa. SE. 7As. Ariège. Oriel.8Lest. Prisme.9Poussiéreuse.10Sc. NS.Anne.Sont.11Ail. Aliénas. Ite.12Teignes.Evier.13 Ire. TV.OMI.Mère. 14Ogre. Aoriste. An. 15Néantisée.Audit.

HORIZONTALEMENT 1Enquêtes en surface. 2Trèsmal en point. Hommedeconnaissances. 3Cartes sur table à plusieurs. Cartes sur table en solitaire.4Opposé auxGibelins. Sans lamoindre bavure. Commence en juin. 5Met laFranceencartes.Supprimai.Patronneducalendrier.Sur laTille.6Assurenotreentretienetnosbesoins.Ouvertures sur le violon. 7Bavardet emplumé.Courset lacs irlandais. Grosse chaleur. 8 Entraîne la mort. Orifice naturel. Citésumérienne.9Désœuvrées.Ventarrière. 10Pour lesamateursdemaltécossais.Pour les amateurs d’agavemexicain. 11Pli confidentiel.Mesure à terre. Pointde départ. Lâchépour soulager. 12Encadrent le témoin. Avance à belles dents.Belle à cornes. DansWagram. 13Met le feu aux organes. Pourra être agencé.14Unplan à la préfecture. Prendra connaissance. A été des deux côtés de sacaméra. 15Transfert à la collectivité.VERTICALEMENT 1Misedecôté…dumauvais.2Livréengrandepompe.Bomba.3Traitement pour durcir. Point de départ.4Bonne voie à suivre. Supportentdans leur coin. En peine. 5 Sait toujours tout. Belle confiance. Grande nappe.Peu recommandable surtout s’il est drôle.6Morceau de fugue. Faible chez lesamoureux. 7 Un peu tiédasse. Préparât son nid. Mit au point. 8 Maladieprofessionnelle.ParfumdeProvence.9Points.Pasencoreentamée. Inscriptionsur une croix. 10Protections sous-marines. Géants californiens. 11Très abat-tus. Populaire à Londres. 12Aubout du compte. Enfant deRébecca. Unité depuissance. 13Obsédante quand elle devient fixe. Dominai la situation. 14Undébutderichesse.Possessif.Unbiencollectif àprotéger.Lotà remettreenétat.15Risquede traumatiser.Rongépour essayerde se contenir.

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JÉRÉMYARKI [email protected]

MOTS FLÉCHÉS BILINGUES

SOLUTION DE LAGRILLE DU N° 99Horizontalement 2Godmother.3Souhaite.4Oses.Grec.5Epée.6Egara.LOL.7NM.Spite.8Comptines.9Louanges.Verticalement 2 Rossignol. 3 Doe. Ammo.4Amuser. Pu.5Oh. Pasta.6Etage. Pin. 7Hireling.8Fête.Otée.9Reckless.

Mots anglais etmots français semêlent danscette grille.Avousde la remplir, sachantque :les définitions en français, dans les casesrouges, appellentdesmots anglais ;les définitions en anglais, dans les casesbleues, appellentdesmots français.

Lemotà chercher est en françaisLemotà chercher est enanglais

N° 100 - INTERMÉDIAIRE

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ÉLISABETH BUSSER ET GILLES COHEN © POLE 2011

AFFAIRE DE LOGIQUE

SOLUTION DU N° 726Cinqcercles peuvent être tracés.

Quatre cercles sont élémentaires(leurdiamètreest l’hypoténusecom-mune de deux triangles rectangles,figuredegauche).Lecinquièmepassepar I, J,KetL.Oncalcule l’angle JIL=JIE+EIL.B, J, E, I d’une part, A, I, E, L d’autrepart, sontsurunmêmecercleauquelon applique le théorème de l’angleinscrit.Ainsi,JIE=JBEetEIL=EAL,doncJIL=JBE+ EAL.Parun raisonnement similaire,JKL (=JKE+ EKL)=JCE+EDLOr, JBE+JCE=EAL+EDL=90°.Ainsi, JIL+ JKL=180°.

JILet JKLsont supplémentaires.Les quatre points I, J,K, L sont doncsurunmêmecercle.

Ya l’tas de nombres (à partager)A l’issue de la « guerre des nombres », les Pairs et les Impairs décident de se partager l’Empire desrationnels positifs. Après de nombreuses tergiversations, ils semettent d’accord sur les règles quivontdéterminer laquelledesnationalités (paireou impaire) aura chaque rationnel :– lenombreobtenuenajoutant 1àunnombreNaura lanationalitéopposéeàcelledeN(classique).– l’inversed’unnombreNa lamêmenationalité queN(nouveau).Le nombre 727/2011 sera-t-il pair ou impair ?Ces règles déterminent-elles la nationalité de tout rationnel positif ? De tout rationnel ?

ACTUALITÉ CULTURELLEDESMATHÉMATIQUESFestival AgoraQuelle conjonction entre intuitionsmathé-matiqueet artistique, logiqueet imagination,vision et exactitude ?C’est la problématiqueomniprésente au festivalAgora2011, qui ras-semble artistes (Pierre Boulez, EmmanuelNunes...) et chercheurs de renom (AlainConnes, AlainBadiou…) lors de conférences,débats, visites guidées, expositions, concerts,parcours… en de nombreux lieux : CentrePompidou, Palais de la découverte,Cité de lamusique,Opéra-Comique…Unsuperbe évé-nement organisé par l’Ircam (Institut derecherche et coordination acoustique/musique), une institution dédiée à larecherche et à la créationmusicale contem-poraine. Le rendez-vous à ne pasmanquerde l’innovation et de l’imaginaire artistique.•Jusqu’au 18 juinàParis.agora.ircam.fr

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Nous avons notre martyr », criait, lundi[3 juin]àAlger,unmanifestantintégriste,sur un tonpresque victorieux, en appre-nant que l’un des siens était mort lors

d’uneéchauffouréeaveclesforcesdel’ordre.Commeonpouvait le craindre, l’épreuve de force engagéeparleFrontislamiquedusalut(FIS)aveclepouvoira débouché sur de sanglantes émeutes. Pour éviterqueleschosesn’empirent, leprésidentChadliapro-

clamé,mercredi 5 juin à l’aube, l’état de siège, ren-voyé le gouvernement, fait appel à l’armée pourrétablir l’ordre et reporté les élections législativesprévuespour le27 juin.

Sousl’effetdelaviolence–laleurmaisaussicelledeprovocateurs inconnuscommeon l’avait vu lors

desémeutesd’octobre1988–, les is-lamistes ont donc obtenu le renvoiauxcalendesgrecquesdesélectionslégislatives sans avoir à prendre lepari risqué d’un boycott. Avec enprime,sil’onosedire,des«martyrs»dontilsnemanquerontpasdecélé-brer le sacrifice afin de resserrerleurs rangs, de créer une nouvelledynamiqueet,pourquoipas,uncou-

rantde sympathie autourde leur cause.Victoirefragileetincomplète,cependant.Ladé-

missionqueleFISaobtenuen’estpas,eneffet,celleduprésidentChadlidontilsréclamaientlatête,maiscelle de son premierministre réformateur qui, enl’occurrence,aservidefusible.Si,d’autrepart, lepro-cessus démocratique a étémomentanément sus-pendu, il n’estpasofficiellement remisenquestionet, lepouvoirque les intégristesrevendiquent, c’estau fonddesurnesqu’ilsdevront, tôtoutard, aller lechercher.

Uneinconnuedetailledemeure: lerôlequel’ar-méeentendsedonnerfaceàlamontéedupéril isla-miste. En septembre 1990, le nouveauministre deladéfense, legénéralKhaledNezzar,avaitannoncélacouleur,rappelant,«entoutesérénité»,quelesmi-litairesétaientprêts à«mettre finauxdépassementspouvantmettre endanger l’uniténationale» et qu’ilsinterviendraient « sans hésitation » pour rétablirl’ordre«afinqueforceresteà la loi».Parole tenue.

Enfaisantappelà l’armée, commeil l’avaitdéjàfait lors des émeutes d’octobre 1988, le président

—L’expériencedémocratique, engagéedeuxansplus tôt,connaît ce jour-làunpremiercoupd’arrêt.Faceà lamenace

islamiste, lesélectionssontreportées, l’étatdesiègeproclamé.

ALGÉRIE:LEPOUVOIRPRENDPEUR

5JUIN1991—

C’EST DANSLES URNESQUE LESISLAMISTESDEVRONTTÔTOUTARDALLERCHERCHERLE POUVOIRQU’ILS RE-VENDIQUENT.

LE MONDE MAGAZINE IDÉES | IL Y A 20 ANS DANS 0123

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Chadliremetsonsortetceluidupaysentrelesmainsdeses frèresd’armes.N’avait-ilpassecondé,ensep-tembre 1978, le colonel Boumediene enqualité de«coordinateurdesaffairesmilitaires» ?Maiscetof-ficieren« complet-veston »,pragmatiqueetennemides idéologues, se trouve denouveau enpremièreligne, investid’une«mission impossible» : engagerl’Algérie sur lavoiedurenouveaudémocratique.

Ce renouveau passe, d’unemanière ou d’uneautre, par la levée de l’hypothèque islamiste. Car,même si le discours des intégristes ne fait plus au-tantrecettequ’ilyaunan, ilestdifficilepourlepou-voir de ne pas faire trancher le débat par des élec-tionsdémocratiques.Unionsacréecontre le«périlvert » ? La classe politique tout entière est si com-posite etdiviséeque leFISpeutêtre tenté, fautedemieux, de profiter de ces faiblesses pour continuerà fairemonter les enchères.ÉDITORIAL, LE MONDE DU 6 JUIN 1991

En octobre 1988, des émeutes ébran-lent le régime algérien mis en placepar Houari Boumediene en 1965. Leprésident Chadli Bendjedid, en placedepuis 1979, entame alors desréformes économiques et politiques.En 1989, la nouvelle Constitution,approuvée par référendum, ouvre lavoie au multipartisme. Le parti aupouvoir, le Front de libération natio-nale (FLN), voit ses bastions électo-raux conquis par le Front islamique dusalut (FIS), notamment aux électionslocales de juin 1990. Les premièresélections législatives pluralistes sont

prévues pour le 27 juin 1991. Le FIS,en désaccord avec le mode de scrutinet le découpage électoral, fait défilerses partisans dans la rue. Après lamanifestation sanglante du 5 juin1991, le président de la Républiquedéclare l’état de siège et renvoie legouvernement. Les élections sontreportées. Le 26 décembre 1991, aupremier tour des législatives, le FISobtient 188 sièges, avec 47,54 % dessuffrages. Le 11 janvier 1992, cinqjours avant la date prévue du secondtour, des blindés se déploient dans lesprincipales villes. L’armée contraint

le président Chadli Bendjedid, soup-çonné de vouloir cohabiter avec lesislamistes, à la démission. L’Assem-blée nationale est dissoute. Le lende-main, les élections sont annulées.L’Algérie s’enfonce alors dans uneguerre civile entre l’armée et lesislamistes qui durera plus de dix ans,causera la mort de plus de100 000 personnes et coûtera20 milliards d’euros à l’économie dupays. L’état d’urgence n’est levé qu’enfévrier 2011, seule concession du pou-voir algérien au « printemps arabe »qui secoue la région.

EN PERSPECTIVE

REPÈRES1988Desémeutessontréprimées àAlger, débutoctobre.1989 Le FIS,Front islami-que du salut,est créé.1991Enmai-juin,le FIS appelleà la grève ;les affronte-ments entreislamistes etforces del’ordre sontmeurtriers.Le5 juin,l’état desiège estdéclaré.AbassiMadani etAliBelhadj,dirigeants duFIS, sontemprisonnésle 30 juin.1992Mi-janvier,le secondtour desélectionslégislativesest annulé.Un HautConseild’Etat (HCE)remplace leprésident dela Républi-que. L’étatd’urgenceest instauré,le 9 février.Le FIS estdissousenmars.Le présidentdu HCE,MohamedBoudiaf, estassassinéle 29 juin.1993L’Arméeislamique dusalut, brasarmé du FIS,est créée.

Desélectionsàlaguerrecivile

PAGESCOORDONNÉESPAR MURIELGODEAU

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Forces de l’ordre. L’armée occupe la place du 1er-Mai àAlger, le 5 juin 1991. La veille, des heurts violentsetmeurtriers avaient opposé la police anti-émeutes et lesmanifestants duFront islamique du salut.

SIDALI

DJE

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I/GAMMA

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Ilssontlà,faceàface,lui,avecsesyeuxbleus, ses lèvresminces, sesépaules de lutteur fatigué, sa dé-marche traînante, ses grognementsetsesrugissements ;elle, lapaupièrelourde, les traits gonflés, la bouchesensuelle,etceregardaiguoùpassentalternativementdeslueursdeduretéet de tendresse… Jean Gabin et Si-mone Signoret.Mari et femmedansLeChat.S’étantaiméspassionnémentetsehaïssantmaintenant,oucroyantse haïr ; ne pouvant se supporter, etpourtant liés l’unà l’autre.

LefilmdePierreGranier-DeferreaétéadaptéparPascal Jardind’unromandeSime-non.On connaît lamanière de l’auteur. Le cinémaestsouventmalàl’aisequandil lui fauttranscrireenimagescesrécitsoùpresqueriennesepasse,où le destin avance à pas feutrés, dissimulésous lemasque de l’aventure quotidienne…Ici le drame éclate à propos d’un chat quel’hommea recueilli et sur lequel il a reportétoute son affection. Jalouse de ce chat, lafemme, un jour, le tue dans un accès de co-lèredémentielle.Dèslorssonmarirefusede

lui adresser la parole. Ils communiquent par desmots griffonnés sur des bouts de papier. PierreGranier-Deferre et Pascal Jardin ont apportéquelquesmodificationsàlapsychologiedesperson-nagesdeSimenon.Ils lesontrenduspluspitoyablesetmoinsodieux.Desvieillardsmesquinsetquerel-leurs imaginésparleromancier, ilsontfaitdesnau-fragés de l’amour, embarqués sur lemême radeau,rivés aumêmedestindans lamêmetempête.

Pouréchapperà l’immobilismeauquelrisquaitde les contraindre ce huis clos étouffant, les ci-néastes (imitant en cela Simenon) ont bousculé lachronologie etdécrit ladétériorationdes rapportsdes anciens amoureux aumoyen de retours en ar-rièresuccessifs.Defugitivesévocationsdubonheurenfui trouventainsi leurplaceentredeuxéclatsoudeux silences. Demême ont-ils insisté (peut-êtreexagérément) sur le contrepoint visuel, d’un sym-bolisme évident, que constitue le chantier de dé-molition au milieu duquel se dresse le pavillonhabité par les deux époux.

Pour habile qu’elle soit, cette adaptation n’engarde pasmoins un caractère foncièrement roma-nesquequipèsesurlerécit.LeChatestunfilmscru-puleux,avecdebonnestrouvaillesdemiseenscène(le camion des éboueurs avançant vers la grille dupavillon),maisquiresteprisonnierd’unnaturalisme

cinématographique désuet. Le principal in-térêtdufilmestfinalementd’avoirmisenpré-sence, pour la première fois au cinéma, cesdeuxgrandscomédiensquesontJeanGabinetSimoneSignoret.Ilsoffrent, l’unet l’autre,ce que l’on attendait d’eux, c’est-à-dire undouble récital demonstres sacrés.JEAN DE BARONCELLI, LE MONDE DU 5MAI 1971

LeChatdePierreGranier-Deferre

DVDLE CINÉMA DU MONDE

La confrontation entre JeanGabin et SimoneSignoretdonne toute sa valeur à cette adaptationdeSimenon.Extrait de la critiqueduMonde à la sortie du film.

LASEMAINEPROCHAINE

LE CHARMEDISCRET

DE LABOURGEOISIE,de Luis Buñuel

(1972).

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l’AltoMayo, aunord-est duPérou,une association française destinéeà la conservationd’espècesmenacées.Et une association, cela coûte cher.MêmeauPérou.

Sonnom ? Ikamaperu(www.ikamaperu.org).«Enlanguejivaro, ikamasignifie “la forêt là-bas”,préciseHélèneCollongues.Quand je suisarrivéeauPérou, jemesuisviteaperçueque la façondeparlerde l’Indien indigèneétait exactement similaireà lafaçondeparlerde la forêt.Tousdeuxétaient considéréscommedesobstaclesaudéveloppement.L’Amazonieétait legrenierdupays,une terre sauvageoù il yavaitbeaucoupàprendre,mais rienàdonnerniàprotéger.»Hélène etCarlosontpris le contre-piedde cettetendance.Avec lesAguarunas, desIndiensduPérou, ils ont reboisé leurterrainde70 hectares, dans lequelvivent désormais en semi-libertéunesoixantainede singes laineux et desinges-araignées sauvésdubracon-

nage.Avec eux, ils tentent de lutterpourprotéger cesprimatesmenacés,que le trafic transformeaumieuxenanimauxde compagnie, aupireenviandedebrousse.Avec eux, ilsinventent lesmoyensde remplacer lemanqueà gagnerde cebraconnagepard’autres activités, élevageou

artisanat. Les obstacles qu’ilsrencontrent sont innom-brables, leur combat face auxmafias locales et aux compa-gnies industrielles en tousgenres s’apparente àune goutted’eaudans l’océan…Mais ilsrayonnent.Oùpuisent-ils leurénergie ?«C’est unpeu commependant la dernière guerremon-

diale. Pour les résistants que j’ai puentendre,agir étaitau-delàde l’espoirdelavictoire. Il fallaitêtre là, simplement»,répondHélène, pourqui, commepourCamus,« il faut imaginerSisypheheureux».Quand je les ai quittés,j’étais gaie commeunpinson. ∆

Comment ne pas succomber,samedi dernier, devant Na Li victo-rieuse à Roland-Garros, avec soncoup droit sec comme un coup decravache, ses cuisses pâles et cecœur tatoué sur l’omoplate ?Na Li qui a défié en demi-finaleMaria Sharapova, 1,88 m, desjambes interminables, autre idoledes courts, qui portait ce jour-làun short jaune et a accumulé lesdoubles fautes. L’Erotique dutennis existe, nous le ressentonstous, et le professeur de lettresFranck Evrard en parle bien dansun ouvrage tout juste sorti (Her-mann, 285 p., 22 €). Beaucoup

d’écrivains portent sur le tennisun regard désirant. Commentantl’arrivée des sœursWilliams surle court en 2005, Philippe Sollerss’exalte dans Le Journal du diman-che : « Voir jouer ces corps-là…Plastiquement, quelles beautésadmirables ! » Dans sa chronique« Le plateau télé » du Figaro Maga-zine, Patrick Besson écrit : « Aufond, le tennis féminin est une sérieérotique télé qui passe le samediaprès-midi. » Cela a commencé audébut du XXe siècle, quand lesfemmes jouaient en chapeau etjupe longue. Puis Suzanne Lenglen,« la divine », vint, dans les

années 1920, avec sa jupe plissée,photographiée par Lartigue. L’éro-tisme tennistique bourgeois – sage,tout de blanc, s’autorisant degrands shorts – était né.Aujour-d’hui, démocratisé, il a cédé laplace à la tenue personnalisée, etpresque toutes les joueusesmon-trent leur culotte.A l’US Open de2004, SerenaWilliams apparaît entennis montantes, jupette et tee-shirt clouté. En 2006,Maria Shara-pova s’y rend tout en noir, encolurepailletée, le dos décolleté.Les hommes ne sont pas en reste.Après le règne du chic BCBGinauguré par René Lacoste, les

années 1980 ouvrent le bal desextravagances. Borg inaugure lebandeau et le cheveu long, Noahla joue rasta. Quant à Nadal, il estarrivé mal rasé pour la finale dedimanche. Le genre très mâleconvient bien à « Rafa », qui posevolontiers torse nu et accompagneses coups gagnants de grandscoups de poing explicites quantau sort promis à l’adversaire.Quand d’autres, comme l’élégantRoger Federer, ou le nonchalantAndyMurray, se contentent d’un,très sexy, sourire en coin.

J em’étais levée façonporc-épic,et celane s’était pas arrangé encoursde journée.Riende grave :

juste les tracasseries de la vie quoti-diennequi pesaientunpeuplus lourdqu’à l’ordinaire. Le visagedéfait desmiséreuxdans les rues, les titres àsensationdes journaux (les frasquesdeDSK ledisputant à celles duconcombretueur), lavalsedecourriels,coupsde fil et réunionsqui transfor-mentunebelle plagede travail enunesuccessiond’interruptions, une amiem’annonçant avoir reçuunemauvaisenouvelle…En find’après-midi, j’étaisd’unehumeurdedogue.Et d’autantplus énervéede l’être que j’allais, de cefait,megâcher à coup sûr le plaisir dela rencontre.

J’avais rendez-vous avecHélèneCollongues.Elle et son compagnon, lePéruvienCarlosPalomino, avaientdéserté quelques semaines la forêtamazoniennepour se réinstaller dansleurpetit pied-à-terreparisien, letempsde trouverdes fonds.En 1997,tousdeuxont créédans la vallée de

Ikamaperu,uneénergiecontagieuse

AU PÉROU,AVEC LESINDIENSAGUARUNAS,HÉLÈNE ETCARLOSTENTENTDEPROTÉGERDESPRIMATESMENACÉS.

Eros tennistique

DRÔLEDEBÊTECATHERINE VINCENT

[email protected]

JENEPENSEQU’ÀÇA FRÉDÉRIC JOIGNOT

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INPILO

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MONDEMAGAZIN

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LE MONDE MAGAZINE IDÉES | CHRONIQUES

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LE MONDE MAGAZINE IDÉES | CHRONIQUES

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Joystickdonc je suisPOP’PHILOSOPHIE

JEAN BIRNBAUM

M on fils a 2 ans, et déjà il joue auxjeuxvidéo.Nonqu’ilsoitungeekaccompli,maisl’intenserelation

qu’il anouéeavec l’ordinateur, samanièrededialogueravecl’écran,sajouissanceàin-tervenir sur les imagesqui ydéfilent, toutcela relève, à la lettre, du« jeuvidéo».Parexemple,iln’aaucunmalàlancerlui-mêmesurInternet lacélèbrescèneduRoilionoùretentitcette formulemagiqueconnuedetous les enfants oupresque :HakunaMa-tata !«Cesmotssignifient…quetuvivras tavie…sansaucunsouci…philosophie !»,est-il proclamédans le filmd’animation pro-duitparDisneyen1994.Depuislongtemps,Nathanestauxangesquandilentendcettechanson.Maisaujourd’huisajubilationsetrouvedécuplée,car ilgoûtedésormais lesplaisirsnonseulementdelarépétitionmaisde l’interaction, pianotant sur le clavierpourarrêterledessinaniméoupourlefairerepartir, exultant de voir les images obéirà ses moindres gestes, les personnagesépouser sondésir.

Cetteextasesingulière,faut-il laredou-ter ? Sansdoutepas. Bien sûr, le jeu vidéoa mauvaise presse. Produit de masse et«mauvaisobjet»delaculturepopulaire, ilest souvent fustigé comme l’emblème del’abêtissementcontemporain.Etpourtant,il serait tout aussi juste d’y voir une expé-rience originale, unmouvement existen-tiel qui permet de se forger une subjecti-vité. C’est le parti pris deMathieuTriclotqui vient de publier un essai enthousias-mantintituléPhilosophiedesjeuxvidéo(Edi-tionsZones,252p., 19€).Celui-cirappelleque leprocès intentéàces jeuxesten toutpoint identiqueàceluiquel’onfit jadisà lalectureouau7eart.«Lecinémaestunpasse-tempsd’illettrés,decréaturesmisérables,ahu-riesparleurbesogneet leurssoucis,écrivaitainsi le romancier Georges Duhamel en1930. (…) Il s’évertue à nous combler etnousprocuretoujoursunepéniblesensation

d’inassouvissement.Parna-ture,ilestmouvement ;maisil nous laisse immobiles,appesantis et commepara-lytiques.»

Pour autant,MathieuTriclotnemanifesteaucunangélisme.Ilsaitquelejeuvidéocoïncideavecuncer-tain stade du capitalismepost-moderne, informa-

tionneletnumérique,dontilconstituebeletbien la«marchandiseidéale».Maispar-delà l’utilisation que peuvent en faire lesgourousdelapublicitéoudumanagement,insiste-t-il, le jeuvidéodoit être étudié entantquetel,comme«uneincitationàlamiseenpratique,àl’expérimentationdenouvellesdéfinitionsdesoi».

Orpourétayercette idée, le jeunephi-losophefaitnotammentappelà lapsycha-nalyse, l’unedesdisciplinesquiprendlejeuausérieux, aumêmetitreque le rêveou lelapsus.Dans le sillage du clinicien anglaisDonaldWinnicott (1896-1971), qui étudialegesteludiqueenrelationavecsadescrip-tion de la petite enfance,MathieuTriclotfaitde«l’étatvidéoludique»uneexpérienceintermédiaire, à la charnièreduvertige etde l’hallucination, et qui vient rompre lecours ordinaire des choses. Ce qui est en« jeu », ici, dans le va-et-vient entre tech-nologie informatique et émotion subjec-tive,dit-il, c’estmoinslapertequel’inven-tion de soi. C’est une certainemanière demaintenirouvertelapluralitédesmondes,d’explorer lesmultiplesformulesdudésir.Ainsis’expliquerait l’extasede l’enfantquientre dans le corps à corps avec l’écran,quandilfaçonnesapropreexistenceenpé-trissant ce queMathieu Triclot nommejoliment la«pâteàmodelernumérique». ∆

LE PROCÈSINTENTÉAUXJEUXVIDÉO ESTEN TOUTPOINTIDENTIQUEÀ CELUI QUEL’ON FITNAGUÈRE ÀLA LECTUREOUAU 7e ART.

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