le juge face aux sanctions fiscales

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1 1 Université Robert Schuman Strasbourg III Faculté de droit et de sciences politiques Année 2000/2001 Le Juge Français Face Aux Sanctions Fiscales Mémoire présenté en vue de l’obtention du DEA Droit des Affaires Par Christian Jung Sous la direction de M. le professeur Philippe Marchessou

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THESE DE DROIT DANS LE DOMAINE FISCAL

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    Universit Robert Schuman Strasbourg III Facult de droit et de sciences politiques

    Anne 2000/2001

    Le Juge Franais

    Face Aux Sanctions Fiscales

    Mmoire prsent en vue de lobtention du DEA Droit des Affaires

    Par Christian Jung

    Sous la direction de M. le professeur Philippe Marchessou

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    SOMMAIRE

    INTRODUCTION

    PREMIERE PARTIE: LA VOLONT DU JUGE FRANAIS DTENDRE LES GARANTIES DUN PROCS QUITABLE AUX SANCTIONS FISCALES.

    Titre premier: La motivation des sanctions fiscales

    Chapitre premier: La motivation des pnalits ayant un caractre de punition

    Chapitre second: Lintrt de retard est-il une sanction?

    Titre second: Le respect du principe du contradictoire

    Chapitre premier: Lapplication du principe du contradictoire lors de la procdure administrative

    Chapitre second: Le contenu du principe du contradictoire devant le juge

    SECONDE PARTIE: LAPPLICATION NUANCE DES PRINCIPES GNRAUX DE LA NORME PNALE AUX SANCTIONS FISCALES

    Titre premier: Les principes appliqus uniformment par le juge franais

    Chapitre premier: Lexigence de protection du contribuable due la coloration pnale des sanctions fiscales

    Chapitre second: Le rgime applicable aux sanctions fiscales

    Titre second: Le juge possde-t-il un pouvoir de modration des sanctions fiscales?

    Chapitre premier: Les donnes du problme

    Chapitre deuxime: Les positions respectives des deux ordres de juridiction

    Chapitre troisime: Analyse de ces solutions

    CONCLUSION

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    Liste des principales abrviations utilises

    AN Assemble Nationale AJDA Actualit juridique de droit administratif Ass. Arrt rendu par lAssemble du Contentieux du Conseil dEtat Ass. pln. Arrt rendu par lAssemble plnire de la Cour de cassation BDCF Bulletin des conclusions fiscales Francis Lefebvre BF Lefebvre Bulletin fiscal Francis Lefebvre BOI Bulletin officiel des impts CA Cour dappel CAA Cour administrative dappel Cass. crim. Arrt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation Cass. com Arrt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation Cons. const. Conseil constitutionnel CE Arrt du Conseil dEtat CEDH Cour europenne des droits de lhomme CGI Code gnral des impts D. Recueil Dalloz Dr. fisc Revue de droit fiscal

    FR Lefvre Feuillet rapide Francis Lefebvre GA Grands arrts de la jurisprudence fiscale GAJA Grands arrts de la jurisprudence administrative GD Grandes dcisions du Conseil constitutionnel

    Gaz. Pal Revue La Gazette du Palais IS Impt sur les socits JCP Juris-classeur priodique JO Journal officiel LPF Livre des procdures fiscales Nouvelles Fiscales Revue Les Nouvelles fiscales

    Pln. Arrt des sous-sections fiscales du Conseil dEtat Quot. Jur. Revue Le Quotidien Juridique PA Revue Les Petites Affiches Procdures Revue Procdures Recueil DC Recueil des dcisions du Conseil constitutionnel RFD adm. Revue franaise de droit administratif RFFP Revue franaise de finances publiques

    RGP Revue gnrale des procdures RJF Revue de jurisprudence fiscale RSLF Revue de science et lgislation financire Sec. Arrt de Section du Contentieux du Conseil dEtat s.-sec. Sous-section: formation de jugement du Conseil dEtat TA Tribunal administratif TGI Tribunal de grande instance

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    LE JUGE FRANAIS FACE AUX SANCTIONS FISCALES

    1- Le systme fiscal franais repose sur le principe du consentement limpt, qui est une manifestation du pacte social et mane de larticle 14 de la Dclaration des droits de lhomme et du citoyen. Le processus dimposition met face face le contribuable et ladministration dans le cadre dun dialogue entre ces deux protagonistes. Le contribuable, dont la bonne foi est prsume, est dbiteur dobligations diverses envers le fisc. Pour lessentiel, il sagit dobligations dclaratives1 sur lesquelles va sexercer le contrle de ladministration fiscale.

    Accompagnant ce droit de contrle, ladministration dispose dun arsenal de mesures tendant sanctionner les contribuables qui nauraient pas rempli fidlement et exactement leurs obligations: elle peut ainsi infliger des sanctions fiscales ou sanctions administratives qui peuvent saccompagner de sanctions pnales. Ces sanctions ont donc pour objectif immdiat de garantir le respect de lintgrit du systme dclaratif par la menace dune disposition punitive.

    2- Pour pouvoir isoler la notion de sanction fiscale lintrieur de cet arsenal, il faut nous intresser la dfinition mme de sanction, puis celle de sanction fiscale. La notion de sanction2 est protiforme: dans un sens restreint, elle dsigne la peine inflige par une autorit lauteur dune infraction ; dans un sens large, elle dsigne toute mesure, mme rparatrice, justifie par la violation dune obligation. De manire plus spcifique au droit administratif, la sanction administrative est celle que ladministration peut infliger elle-mme une personne fautive. En droit fiscal, les sanctions fiscales sont les pnalits3 qui sanctionnent les infractions la rglementation fiscale en fonction de leur gravit4.

    De ces dfinitions, on peut exclure du champ de cette tude tout dabord les sanctions pnales pour lesquelles ladministration ne possde que le pouvoir dinitier les poursuites pour les faits incrimins par le Code gnral des impts par le dpt dune plainte devant les juridictions pnales. Celles-ci sont seules habilites prononcer la condamnation. Dautre part, le caractre pcuniaire de la sanction fiscale la distingue des peines complmentaires dont le prononc revient en principe au juge mais aussi pour certaines ladministration, notamment celles prvues aux articles 1755 et s. et 1840 et s. du Code gnral des impts (ex: fermeture de dbit de boisson, saisie de timbre, retrait dagrment...).

    1 Sauf en matire de fiscalit directe locale o lassiette de limpt est fixe par ladministration en fonction de la valeur locative du bien2 G. Cornu (sous la direction de) Vocabulaire juridique p.7603 Dictionnaire Robert: Pnalit: sanction caractre pcuniaire inflige par une autorit publique4 A. Barilari et R. Drap Lexique fiscal, Ed. Dalloz p.139

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    3- Une fois circonscrite la notion de sanction fiscale, il faut sinterroger sur la nature juridique de cette dernire, car cette nature est fondamentale pour la dtermination du rgime applicable. Or, la question de la nature juridique des sanctions fiscales navait suscit que peu dintrt de la part de la doctrine qui soulignait la difficult de la question5. Seuls quelques auteurs ont apport leur contributions, certes clairantes mais souffrant aujourdhui de leur anciennet. Pour M. Waline, les sanctions fiscales sont des mesures ayant pour objet de sanctionner la conduite dun contribuable ou dun assujetti portant illgalement prjudice aux intrts du fisc, mesures qui nont exclusivement ni la nature juridique dune peine du droit pnal, ni celle dune rparation civile, mais un caractre mixte6 . Cette difficult donner une qualification prcise venait du systme de sanction alors en vigueur qui tait issu dune stratification de lgislations successives. Pour J. Molinier7 , cette accumulation faisait apparatre le manque de cohrence du systme do provenait aussi les difficults de classification: il fallait donc le clarifier. En effet, malgr les efforts de la doctrine, la dfinition de la nature exacte des sanctions restait obscure et pouvait tre une source de difficult pour lapplication du rgime des sanctions fiscales. La simplification du systme franais tait donc le premier pas faire pour claircir la nature des sanctions. Cette clarification tait un des objectifs de la Commission pour lamlioration des rapports entre les citoyens et les administrations fiscale et douanire prside par M. Aicardi8 qui avait qualifi le systme en place de maquis juridique inextricable. Cette commission avait aussi pour mission de proportionner les sanctions la gravit de linfraction et aux possibilits relles des contribuables.

    4- Cette rforme attendue du systme des sanctions a t opre par la loi L87-502 du 8 juillet 1987 modifiant les procdures fiscales et douanires9 qui suit les propositions du rapport de la Commission Aicardi. Les sanctions fiscales font maintenant lobjet du chapitre II du livre II du Code gnral des impts. Cette loi simplifie le systme des sanctions en adoptant les mesures suivantes:

    -Tout dabord la loi opre une simplification du systme des pnalits sanctionnant les infractions la lgislation fiscale proprement dites en fonction de leur gravit. On peut classer ces pnalits en deux groupes: les premires sanctionnent des manquements des obligations formelles (pnalits de recouvrement et majorations en absence de dclaration ou de dclaration tardive) pour assurer le dpt des dclarations et le recouvrement des sommes dues, les secondes garantissent la sincrit des dclarations et sanctionnent les insuffisances de dclaration en prenant en compte le comportement du contribuable. A ces sanctions communes toutes les impositions viennent sajouter de nombreuses sanctions spcifiques certains impts particuliers et qui compltent larsenal de sanctions. Elles peuvent revtir deux formes: il sagit soit de peines damendes, soit de majorations proportionnelles aux droits luds.

    5 M.Waline, Nature juridique des pnalits fiscales, RSLF 1949 p. 14 et s. : Il nest pas commode de discerner une notion synthtique de la pnalit fiscale rendant compte dune jurisprudence quelquefois contradictoire.6 M.Waline, prcit note 57 J. Molinier, Pour une clarification du droit de la rpression fiscale, Dr. fisc. 1980 n 45 p. 12018 Relations entre ladministration et les citoyens. Rapport de la Commission Aicardi, BF Lefebvre 8-9/1986 p. 454-4649 Loi n 87-502 du 8 juillet 1987 modifiant les procdures fiscales et douanires, J.O. p.7040, Dr. fisc. 1987, n31-32, p. 916-955

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    -Ensuite il y a linstauration dun intrt de retard au taux unique de 0,75% par mois qui assure la rparation du prjudice pcuniaire de lEtat et qui se cumule avec les pnalits. Cet intrt nest pas une sanction en ce quelle rprime un comportement fautif, mais en tant que mesure rparatrice, on peut dire que cest une sanction dans un sens large. Cette assimilation tymologique masque la diffrence fondamentale de nature entre lintrt de retard et les autres pnalits, ce qui est une source de difficult dans lapplication du rgime des sanctions.

    5- Le rgime des sanctions fiscales est marqu par sa rigueur. Tout dabord, en prsence dune infraction fiscale qui rpond une incrimination, ladministration na pas le pouvoir dapprcier lopportunit dinfliger une sanction: elle y est tenue par la loi. Sa seule marge rside dans lapprciation de la qualification de linfraction; en outre elle a reu des consignes de rigueur dans le recouvrement des sanctions. De plus, le contribuable nest susceptible dchapper aux sanctions fiscales qui ont t prononces contre lui que dans des cas limitatifs et seulement pour certaines dentre elles. Il convient de rappeler brivement ces cas ici.

    - Il sagit tout dabord du recours la technique de la mention expresse prvue larticle 1732 du CGI. Celui-ci prvoit que lintrt de retard nest pas d si le contribuable fait connatre ladministration les lments de droit et de fait qui lamne omettre certains lments dimposition, ou de leur donner une qualification juridique qui entranerait une taxation attnue, ou de pratiquer certaines dductions. Le contribuable doit mettre ladministration en mesure dapprcier ces explications qui doivent tre mises par crit sur sa dclaration.

    - La tolrance lgale de larticle 1733 du CGI du dixime pour les impts indirects et du vingtime pour les impts directs prvoit que lintrt de retard nest pas d si les insuffisances de dclaration nexcdent pas ces taux respectifs. La loi de finances pour 200010 a supprim la tolrance accorde antrieurement aux contribuables passibles des majorations pour mauvaise foi, manoeuvres frauduleuses et abus de droit de larticle 1729 du CGI.

    - En cas de mise en redressement ou en liquidation judiciaire, larticle 1740 octies du CGI prvoit la remise automatique de lensemble des pnalits fiscales pour permettre la sauvegarde de lentreprise conformment larticle 620-1 du Code de commerce (ancien art 1er de la Loi n85-98 du 25 janvier 1985). Larticle 1740 octies rserve le cas des majorations en cas de non-dclaration, des pnalits pour mauvaise foi, manoeuvres frauduleuses et abus de droit, et enfin celles prvues en cas dvaluation doffice qui ne sont pas remises.

    - Le contribuable dispose de deux autres moyens prvus par les articles L 247 et suivants du LPF. Il peut demander ladministration une modration de ses pnalits par une remise titre gracieux qui est un acte dabandon de crance pur et simple ou conditionnel. La remise a pour but de tenir compte des circonstances particulires de lespce; elle intervient quand la pnalit est devenue dfinitive et peut porter sur la pnalit et lintrt de retard. Le dernier moyen dchapper aux pnalits reste la transaction fiscale11 qui est une convention passe entre ladministration et le contribuable pour

    10 Loi n 99-1172 du 30 dcembre 1999, JO 31 dcembre 1999, Dr. fisc. 2000 n1-2 p.9011 Th. Lambert, La transaction fiscale: une pratique autant quun droit BF Lefebvre 5/1999 p. 271

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    attnuer les amendes fiscales ou majorations dimpts lorsque celles-ci et les impositions principales ne sont pas dfinitives. La transaction porte sur les pnalits lexception de lintrt de retard et fait obstacle toutes procdures contentieuses de la part des deux parties, ce qui peut avoir comme consquence pour le contribuable dacquitter une imposition illgale pour obtenir rduction des pnalits. Cependant la transaction reste un moyen de rglement ngoci des conflits avec ladministration largement utilis notamment par les entreprises12 . La dcision gracieuse de ladministration nest susceptible que dun recours pour excs de pouvoir o le juge se borne vrifier la comptence et les formes de la dcision dans le cadre dun contrle externe.

    6- Ds lors, cause de cette svrit et des consquences financires parfois importantes que peuvent occasionner les sanctions fiscales13 , un besoin de protection se fait dautant plus pressant que le pouvoir de sanctionner appartient ladministration14 et non au juge contrairement au principe de sparation des pouvoirs consacr par larticle 16 de la Dclaration des droits de lhomme et du citoyen. Ce pouvoir sinscrit dans une tendance qua dcrite M. Waline en parlant dun recul du droit pnal au profit dun droit pseudo-pnal ou droit rpressif non pnal15 . Pour assurer un objectif defficacit, lEtat prfre en effet confrer la rgulation de certains secteurs, surtout dans les domaines de lconomie et de linformation, dautres institutions que le juge et ce en donnant un pouvoir de sanction soit ladministration, soit des autorits administratives indpendantes dont on a assist au dveloppement rcent.

    Ce rle, quil soit dvolu ladministration ou une autorit administrative indpendante, nest acceptable dans un tat de droit que sil est encadr notamment en prvoyant laccs au juge, qui est une garantie accorde par la jurisprudence extensive de la Cour europenne des droits de lhomme (ci-aprs la CEDH) en matire de sanctions administratives. En effet, la Convention europenne de sauvegarde des droits de lhomme et des liberts fondamentales (ci-aprs la Convention), signe par la France le 4 novembre 1950 et ratifie le 3 mai 1974, garantit dans larticle 6 plusieurs droits concernant le caractre quitable du procs: il sagit du droit de saisir le juge et de trouver sa cause entendue dans un procs loyal en respectant la prsomption dinnocence et en accordant au justiciable la possibilit matrielle dassurer efficacement sa dfense. En ce qui concerne les sanctions disciplinaires et administratives, la Cour a admis que ce droit au juge pouvait exister pour viter des distorsions issues dun partage arbitraire de comptence entre droit rpressif et droit disciplinaire de la part des Etats, ce qui conduirait une dvaluation de la protection des justiciables16 . Pour viter ces distorsions, la Cour met en place des critres didentification de la norme pnale et nhsite pas aller au-del de la qualification donne par lEtat membre.

    12 Th. Lambert, prcit note 11: selon le Conseil dEtat, il y aurait eu en 1993 entre 15000 et 20000 transactions fiscales.13 J. Paultre de Lamotte, Les sanctions fiscales dans le systme fiscal franais, RFFP n 65 mars 1999, p.5 : lauteur estime que deux millions de pnalits sont prononces par an et que les sommes dues sont de lordre de 15 milliards de francs par an.14 CGI, art.1736: Les amendes, majorations et intrts de retard (...) sont constates par ladministration fiscale.15 M. Waline, prcit note 5, p.1416 Arrts Oztrk c/ RFA du 21 fvrier 1984: Srie A, n73 et Lutz c/ RFA du 25 aot 1987: Srie A, n123

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    Mais laccs au juge est aussi encadr par la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Il ressort notamment de deux dcisions du Conseil17 que le pouvoir de sanction attribu au profit dune autorit administrative ( laquelle on peut assimiler ladministration fiscale) dote de prrogatives de puissance publique doit tre entour de garanties procdurales destines sauvegarder les droits et liberts constitutionnellement garantis.

    7- Au regard de ces deux jurisprudences, il appartient donc au juge de contrler les sanctions fiscales infliges par ladministration afin de faire respecter les liberts publiques. En France, le juge de limpt est considr comme le gardien dun quilibre entre la protection du contribuable et de ses liberts fondamentales dune part, et dautre part la lutte contre la fraude fiscale18 . Or, en matire de sanctions fiscales, il faut constater que le juge restait peu protecteur des droits du contribuable et ce pour deux sries de raisons:

    - Il existe tout dabord des raisons extrinsques aux sanctions fiscales tenant ce que P.-M. Gaudemet a appel la faiblesse du juge fiscal19 . Cette faiblesse est due pour partie la dualit organique de juridiction traditionnelle en matire fiscale. En effet, ce sont les deux ordres de juridiction qui se partagent le contentieux fiscal en gnral20 et contrlent ce titre les sanctions; cette partition peut tre la source de divergences de jurisprudence bien quun ordre de juridiction tienne largement compte des solutions mises par lautre21 . Ces divergences sont nanmoins significatives et peuvent sexpliquer par une diffrence de sensibilit entre les deux ordres de juridiction: en effet, le juge judiciaire est considr comme le gardien de la libert individuelle, alors que le juge administratif serait plus sensible aux rapports entre ladministration et les contribuables, compte tenu de la ncessit dadapter le prlvement fiscal aux ralits conomiques. Mais cette faiblesse du juge de limpt transparat aussi dans la pratique des transactions fiscales avec ladministration qui mettent fin toute contestation possible et par-l mme empchent le contrle du juge.

    - Mais il y a aussi des raisons intrinsques aux sanctions fiscales dues la conception mme de celles-ci qui taient longtemps considres uniquement comme des accessoires de limpt et taient soumises ce titre aux mmes rgles de procdure que les impositions quelles accompagnaient. Ainsi les pnalits suivent les mmes rgles de comptence judiciaire et de prescription que les impositions auxquelles elles se rapportent. Cette conception des sanctions fiscales a pu limiter le contrle du juge sur elles car les moyens propres aux pnalits susceptibles dtre invoqus devant lui taient rduits au respect du principe de lgalit des dlits et des peines. Ce principe est dailleurs bien respect du point de vue de la lgalit formelle puisquen droit franais toutes les sanctions fiscales sont prvues par la loi.

    17 Dcisions 89-248 DC du 17 janvier 1989, CSA, GD n42 et 89-260 DC du 28 juillet 1989, COB, Recueil DC p.71, RFDA 1989,p.671, note B. Genevois18 J. Grosclaude et Ph. Marchessou, Procdures fiscales, Ed. Dalloz, 1998, 3019 P.-M. Gaudemet, Rflexions sur les rapports du juge et du fisc, Mlanges offerts Marcel Waline, L.G.D.J. 1974 p. 128 et s.20 Cette distinction issue de la Loi des 6-11 septembre 1790 est codifie larticle L 199 du LPF: le juge administratif est comptent en matire dimpts directs et de taxes sur le chiffre daffaires et assimiles, alors que le juge judiciaire est comptent en matire de droits denregistrement et de contributions indirectes. De plus, le juge rpressif peut avoir statuer sur les sanctions fiscales loccasion de lexamen quil excute pour les sanctions pnales.21 G. Gest, La dualit de juridiction fiscale in Le juge fiscal, Economica, 1988, p. 51-63

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    8- Si ce dernier prcepte reste vrai, il nen reste pas moins que les sanctions fiscales ont acquis une certaine autonomie par rapport aux impositions: cest sous langle de cette autonomie qui est gnratrice de nouvelles rgles que nous nous intresserons aux sanctions fiscales. Le juge se livre naturellement aussi un contrle du champ dapplication et de la runion des conditions de fond des sanctions, mais ce type de contrle na pas de spcificit par rapport loffice traditionnelle du juge, de sorte quil ne sera pas abord ici. Deux facteurs sont lorigine de cette volution de la conception des sanctions fiscales.

    - Tout dabord, il y a la Loi qui est venue simplifier et rationaliser les sanctions fiscales: il sagit dun processus ancien puisque la premire loi de simplification des pnalits fiscales date du 27 dcembre 196322 ; la loi 87-502 du 8 juillet 1987 a perptu et complt ce mouvement. Le lgislateur continue ponctuellement de le faire au travers des lois de finances, spcialement quand il supprime des pnalits23 (bien que le lgislateur ait plus tendance ajouter des sanctions que den retrancher), de sorte que ce mouvement a permis deffacer sensiblement les diffrences de rgime et donc les diffrences de traitement. On obtient aujourdhui un systme aux distinctions plus claires, mais dont la complexit et la mconnaissance que les contribuables en ont est encore dplore par une partie de la doctrine24 . La loi est venue aussi accorder une plus grande protection au contribuable: il sagit surtout des lois intervenues pour augmenter lexigence de motivation des sanctions et de respect du contradictoire.

    - Le second facteur ayant entran cette autonomie des sanctions fiscales est linfluence du Conseil constitutionnel25 et de la CEDH qui ont eu loccasion de se prononcer directement sur les sanctions fiscales en claircissant leur nature et dont les jurisprudences se compltent. Tout dabord, le Conseil sest prononc sur la nature des sanctions fiscales dans cinq dcisions (n82-155 DC du 30 dcembre 1982, n87-237 DC du 30 dcembre 1987, n 89-268 DC du 29 dcembre 1989, n90-265 DC du 28 dcembre 1990 et n97-395 DC du 30 dcembre 1997 26 ) o il rappelle dans chacune delles quen vertu de larticle 8 de la DDHC et des principes fondamentaux reconnus par les lois de la Rpublique une peine ne peut tre inflige qu la condition que soient respects les principes de lgalit des dlits et des peines, le principe de ncessit des peines, le principe de non rtroactivit de la loi rpressive dincrimination plus svre, ainsi que le respect des droits de la dfense. Il apprhende le domaine des sanctions fiscales en affirmant que le respect de ces principes stend toute sanction ayant la nature dune punition mme si elle est prononce par une autorit non juridictionnelle. Ensuite, la CEDH a fait entrer de plain-pied la Convention europenne des droits de lhomme dans le domaine des sanctions fiscales dans un arrt Bendenoun c/ France27 en les assimilant la qualification daccusations en matire pnale qui conditionne lapplication de larticle 61 ainsi rdig: Toute personne a le droit ce

    22 Loi n-63-1316 du 27 dcembre 1963 portant harmonisation des procdures , dlais et pnalits fiscales, JO, 29 dcembre 196323 Par ex. suppression de la majoration de 3% pour dfaut de paiement dune chance dun impt mensualis par la loi de finances rectificative pour 2000 du 21 dcembre 200024 J. Paultre de Lamotte, prcit note 1325 L. Philip, Lvolution rcente de la jurisprudence constitutionnelle en matire fiscale, Dr. fisc. 1998, n23 p. 73026 Dcision n82-155 DC du 30 dcembre 1982, JO 31 dcembre 1982, p. 3995, Recueil DC 1982, p. 88; Dcision n87-237 DC du 30 dcembre 1987, Recueil DC p.66, Dr. fisc. 1998 n1-2 , comm . 5, RJF 3/1988, n334; Dcision n 89-268 DC du 29 dcembre 1989, RJF 2/1990 n195, Dcision n90-265 DC du 28 dcembre 1990, RJF 2/1991 n213 ; Dcision n97-395 DC du 30 dcembre 1997, JO 31 dcembre 1997, p. 19313, Procdures 4/1998, n108, p. 2427 CEDH 24 fvrier 1994, n 3/1993/398/476, aff. Bendenoun c/France, RJF 4/1994 n503, p.279, chron. G. Goulard RJF 6/1994, p.383; Dr. fisc. 1994, n21-22 comm. 989, chron. J.-P. Le Gall et L. Grard, p. 878; PA 11 mai 1994, n56, p.21, note J.-F. Flauss

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    que sa cause soit entendue quitablement, publiquement et dans un dlai raisonnable par un tribunal indpendant et impartial, tabli par la loi, qui dcidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractre civil, soit du bien-fond de toute accusation en matire pnale, dirige contre elle. Il rsulte de ces deux jurisprudences quon reconnat aux sanctions fiscales une nature particulire qui les rapprochent singulirement des normes rpressives.

    9- Le juge a intgr ces dispositions protectrices quelles soient dorigine lgale ou jurisprudentielle, et va aussi lui mme contribuer augmenter cette protection car il a lui aussi pris conscience de la dimension rpressive des sanctions fiscales. Cette prise de conscience a t dcrite par Ph. Derouin28 comme un bouleversement radical de la conception traditionnelle: dans la pnalit fiscale, ce nest plus le fiscal qui prdomine, cest la pnalit. En cela, ce phnomne confirme lopinion de P. M. Gaudemet qui estimait quil appartenait plus gnralement au juge daugmenter la fermet de son contrle en matire fiscale, ce qui dpendait largement de sa propre volont. En ce qui concerne les sanctions fiscales, le juge a tir les consquences de la nature de celles-ci et a augment la protection du contribuable en suivant deux axes:

    - en accordant des garanties de procdure par le respect des droits de la dfense aux sanctions fiscales en gnral, ce qui fera lobjet de la premire partie

    - en faisant application des principes directeurs des normes pnales, ce qui sera trait en seconde partie.

    Lobjectif de ce mmoire est dexposer en suivant ces deux axes lensemble des solutions que le juge de limposition a dgag, en appuyant sur les ventuelles divergences qui peuvent exister entre les deux ordres de juridiction, ce qui permettra danalyser la qualit de la protection offerte ainsi au contribuable, et ainsi examiner dventuelles lacunes pour tenter une prospective sur les volutions possibles.

    28 Ph. Derouin, Lapport du droit pnal au rgime juridique des sanctions fiscales PA 6 octobre 1993 n120, p. 70-73

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    PREMIERE PARTIE: LA VOLONT DU JUGE FRANAIS DTENDRE LES GARANTIES DUN PROCS QUITABLE AUX SANCTIONS FISCALES.

    10- Le juge constitutionnel a rappel la ncessit pour les lois relatives aux sanctions fiscales de respecter les droits de la dfense, en particulier en censurant deux lois faisant rfrence aux rgles de recouvrement des sanctions sur des droits de timbre (dcisions n89-268 DC et 90-285 DC prcites) pour violation de ce principe. Cest surtout cette jurisprudence qui a servi de fondement au juge franais, la Convention a eu un rle plus subsidiaire car lvolution de la question tait trs avance quand le juge franais a reconnu son applicabilit, ce qui motive le fait que ltude des problmes relatifs lapplication de la Convention seront abords dans la seconde partie o elle a des implications dterminantes. Mais aujourdhui la Convention apparat comme un facteur complmentaire de protection des droits de la dfense.

    Sous lexpression de respect des droits de la dfense, on regroupe de nombreux principes qui visent assurer la garantie dun procs quitable. La doctrine saccorde pour dire que cette notion est plus large que le simple respect du contradictoire: selon G. Wiederkehr29, ces principes sont diviss en deux catgories qui rpondent chacune un objet diffrent. Certains ont pour objet direct lquit dans le procs avec au centre le principe du contradictoire, alors que les autres ouvrent une possibilit de contrle et constituent ainsi une protection indirecte. Il faut souligner les interactions entre ces deux catgories de principe: en effet, les rgles qui donnent une possibilit de contrle sont de nature favoriser la discussion par la suite.

    Dans le domaine de la fiscalit, plusieurs de ces principes sont dj garantis par les rgles gnrales dorganisation judiciaire (par exemple: limpartialit du juge, lexistence de voies de recours contre la dcision de ladministration ou du juge, le droit de se faire assister et reprsenter par un avocat...). Mais force est de constater quen matire de sanctions fiscales, lapplication du respect des droits de la dfense tait dficiente, de sorte que J. Turot30 a pu affirmer quelles constituaient depuis longtemps une zone de transit. Cette carence de protection a suscit une rponse lgislative sur laquelle sest greffe une certaine exigence dans le contrle du juge, qui renforce cette protection mais dont les solutions peuvent parfois apparatre timores. Ici, le juge a permis lamlioration du contrle de la motivation de la sanction (Titre premier) qui se rpercute sur lapplication du principe du contradictoire (Titre second).

    29 G. Wiederkehr, Droits de la dfense et procdure civile D. 1975, I, p.36 30 J. Turot, Pnalits fiscales: une zone de transit du droit administratif RJF 4/92 p.263-267

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    Titre premier: La motivation des sanctions fiscales

    11-De manire gnrale, la motivation rend possible la mise en lumire des violations des droits des justiciables en ce quelle permet tout dabord au contribuable dtre inform des lments qui ont t retenus contre lui pour appliquer une sanction, mais elle donne aussi loccasion au juge dexercer un contrle sur la dcision dfavorable au contribuable. De ce point de vue, la motivation des pnalits donne par ladministration a le mme objet que la motivation des dcisions par le juge. Dans sa dcision du 17 janvier 1989, le Conseil constitutionnel a mentionn la motivation des dcisions de lautorit administrative parmi les garanties affrentes au respect des droits de la dfense. La motivation des sanctions fiscales a une origine lgale: effectivement, la loi du 11 juillet 197931 impose la motivation des dcisions individuelles dfavorables aux administrs. Mais pour cela, la question pralable est celle de la nature de sanction de la mesure prise. En effet, le Conseil constitutionnel (dcision n82-155 DC du 30 dcembre 1982) et la CEDH dans son arrt Bendenoun c/ France ont pos la ncessit de distinguer les pnalits selon leur objet et ont rserv lapplication des rgles protectrices relatives la nature des sanctions fiscales quaux mesures ayant un caractre de punition et non aux mesures de rparation, ce qui pose le problme de la nature de lintrt de retard (Chapitre second). Mais pour mieux comprendre ce problme, il faut dabord tudier le rgime applicable aux sanctions proprement dites (Chapitre premier).

    Chapitre premier: La motivation des pnalits ayant un caractre de punition

    Section I: Lunification du rgime de la motivation 12-Il y a eu unification du rgime de la motivation des sanctions fiscales car cette obligation qui

    est ne sous limpulsion du lgislateur a t tendue par le juge, avant que le premier ne vienne perfectionner le rgime de la motivation par de nouvelles interventions, de sorte quaujourdhui on peut dire que le principe de la motivation des pnalits fiscales possde un contenu trs tendu.

    1: La soumission des sanctions lobligation de motivation 13- Le texte fondateur de lobligation de motiver les sanctions fiscales est la loi du 11 juillet 1979

    qui renverse le principe jurisprudentiel selon lequel il ny a pas de motivation sans texte en droit administratif. Avant cette loi, ladministration ntait oblige de motiver ses dcisions que dans le cas o un texte lgislatif ou rglementaire limposait expressment. Ce texte introduit une obligation gnrale de motivation des dcisions dfavorables aux administrs dans le cadre dune politique damlioration des relations entre ladministration et les administrs. Cest pourquoi larticle premier de cette loi dispose que les personnes physiques ou morales ont le droit dtre informes sans dlai des motifs des dcisions individuelles dfavorables qui les concernent. A cet effet, doivent tre motives les dcisions qui infligent une sanction.

    Ds lors se pose la question de savoir si les sanctions fiscales entrent dans le champ de cette loi. La volont du lgislateur de soumettre les sanctions fiscales ce texte gnral ressort clairement des

    31 Loi n79-587 du 11 juillet 1979 relative la motivation des actes administratifs et lamlioration des relations entre lAdministration et le public, J.O. 12 juillet 1979, p.1711

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    dbats parlementaires32 ce qui est confirm par une circulaire du Premier ministre du 10 janvier 198033

    qui prcise que les sanctions fiscales sont concernes par la loi. Il faut remarquer que ladministration a alors rapidement intgr cette nouvelle obligation car elle sy soumet dans une instruction administrative de 198034 , en prconisant aux agents de ladministration dindiquer la motivation des sanctions fiscales dans une lettre jointe la rponse aux observations du contribuable.

    2: Lintgration jurisprudentielle de cette nouvelle obligation 14- La jurisprudence sest prononc pour une application large des dispositions lgales en

    indiquant dans un arrt SA Pessac Automobiles du 13 octobre 198635 que lavis de mise en recouvrement doit comporter une motivation soit en lui mme, soit sapproprier une motivation qui a figur dans un document prcdemment notifi au contribuable. En lespce, le juge dcide la rduction de pnalits en prononant lirrgularit au regard de la loi du 11 juillet 1979 dun avis de mise en recouvrement qui ne respectait pas ces conditions. Les conclusions du commissaire du Gouvernement qui retiennent lintention du lgislateur de soumettre les sanctions fiscales cette obligation de motivation plaident donc en faveur de lapplication de la loi en retenant quil serait, au regard de linstruction administrative de 1980, mal venu de juger maintenant infonds les efforts louables de lAdministration des impts pour se plier la loi. Si la rduction des pnalits a t nanmoins dcide en lespce, cest parce que dans les faits le problme avait surgi entre le moment de la promulgation de la loi et celle de son application effective par les diffrentes composantes de ladministration qui ont pris connaissance de linstruction du 6 fvrier 1980 quaprs un certain temps, de sorte que les pnalits navait pas t motives. Pour viter le spectre des consquences budgtaires de lannulation des sanctions intervenues pendant cette priode, le lgislateur a adopt une loi36 codifie larticle L 80 D selon laquelle les dcisions notifies avant le 31 dcembre 1986 sont rputes rgulirement motives, dans la mesure o la motivation des pnalits figure dans une lettre de motivation antrieure au titre dimposition. Cette validation rtroactive des sanctions a t effectue sous couvert de combler le vide juridique rsultant de labsence effective de mention des sanctions fiscales dans la loi du 11 juillet 1979: larticle L 80 D y fait maintenant clairement rfrence.

    3: Ltendue matrielle de la motivation 15- Cet arrt du 13 octobre 1986, sil accepte bien le principe de la soumission des sanctions

    fiscales la loi de 1979, prcise aussi ltendue matrielle de cette obligation, ce qui soulve par ailleurs une controverse sur le critre de distinction des pnalits ayant un caractre de sanction; controverse au centre de laquelle se trouve le problme de lintrt de retard et dont les solutions seront abordes par la suite. Il ressort cependant des conclusions du commissaire du Gouvernement que le lgislateur a entendu donner lobligation de motivation la porte la plus large: le juge a eu loccasion de globaliser la ncessit de motiver les dispositions ayant un caractre de sanction. Ainsi il a t dcid par exemple que doivent tre motives les pnalits de larticle 1729 du CGI (majoration pour mauvaise foi et manoeuvres

    32 Dclaration du Garde des Sceaux JO, Dbats AN, 2me sance du 25 avril 1979, p. 305433 JO, 14-15 janvier 1980, Dr. fisc. 1980 n 10, comm. 54834 Instruction administrative du 6 fvrier 1980, BODGI, 13 L-1-8035 CE, 13 octobre 1986, n 44 193, SA Pessac Automobiles, RJF 12/1986 n 1141 p. 692, Concl B. Martin Laprade Dr. fisc. 1987, n 19-20, comm. 99636 Loi n 86-1318 du 30 dcembre 1986, art. 42-II

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    frauduleuses) dans un arrt Braun du Conseil dEtat du 22 fvrier 198937 , la pnalit pour abus de droit (CE 10 novembre 1993 Gianoli38 ) ou la pnalit de larticle 1728 en cas de taxation doffice pour dfaut de dclaration (CE 17 fvrier 1992 M. et Mme Vermeersch39 ). La Cour de cassation ne sest prononce que rarement sur lapplication de la loi de 1979, mais sa position reprend nanmoins les mmes solutions que le Conseil dEtat et vrifie si la sanction a t motive40 .

    16- Il reste que certaines pnalits crent des problmes originaux de motivation: cest le cas de la pnalit de 100% de larticle 1763 A du CGI. Quand ladministration procde un redressement du bnfice dune socit soumise lIS, elle doit en vertu de larticle 117 du CGI inviter la socit lui fournir, dans un dlai de trente jours, toute indication complmentaires sur les bnficiaires de ces sommes qui sont considres comme des distributions occultes. En cas de refus ou dfaut de rponse, la pnalit de larticle 1763 A sapplique irrvocablement avec solidarit des dirigeants sociaux. Si le Conseil dEtat a jug quen tant que sanction, cette pnalit devait tre motive41, le moment o cette motivation doit intervenir a t prcise par un arrt Agostinelli du 26 janvier 200042 qui dcide que la motivation doit tre indique aprs le fait gnrateur de la pnalit quand linfraction est constitue, cest dire lexpiration du dlai de trente jours pendant lequel la socit doit fournir ces renseignements ladministration. En revanche, il ressort de la jurisprudence du Conseil dEtat par un arrt Colomer43 que la pnalit na pas tre motive envers les personnes solidairement responsables de son paiement aprs mise en recouvrement: il sagit ici des dirigeants de la socit. En effet, si ladministration nest tenue de motiver la sanction quenvers la socit et non envers ses dirigeants, cest parce quelle considre que ceux-ci ne se voient pas infliger personnellement une sanction et ne bnficient donc pas des garanties accordes la socit qui est personnellement touche par la sanction.

    4 Les exigences procdurales A) Les exigences formelles

    17- La jurisprudence est alle dans le sens de laugmentation de la protection du contribuable en ce qui concerne la constatation des pnalits. Elle prcise ainsi dans larrt Vermeersch que les sanctions ne peuvent tre mises en recouvrement que si elles ont t constates dans un acte interruptif de prescription. Linstruction administrative du 6 fvrier 1980 ne faisait obligation ladministration de faire connatre la motivation que par lettre au contribuable. Il faut alors se rfrer la liste de larticle L 189 du LPF qui numre les diffrents moyens dinterrompre la prescription en incluant particulirement la notification dun redressement, la notification dun procs verbal, une reconnaissance du contribuable ou tout moyen issu du droit commun. Cette solution a t rendue conformment celle donne par deux arrts de 1983 et 198444 dont la solution constituait un revirement avec la jurisprudence antrieure: elle a pour objectif dassurer ladministration que le contribuable a bien t en mesure de prendre connaissance

    37 CE 22 fvrier 1989, n70252, Braun, RJF 4/1989 n44438 CE 10 novembre 1993, n 62445, Gianoli, RJF 1/1994 n68 concl. O. Fouquet p.1139 CE 17 fvrier 1992, n58299, Vermeersch, RJF 4/1992 n503; concl Ph. Martin Dr. fisc. 1992, n 45, comm.211740 Cass. com., 10 fvrier 1998, n385, pourvoi n96-12062 (rejet), Cass. com. 24 mars 1998, n762, pourvoi n96-12062 (cassation), indits41 CE 18 dcembre 1992, n81659 et 84596, SARL Manufacture Mzinaise de liges et bouchons, Dr. fisc. 1990, n10, comm.130742 CE 9me et 8me s.-sec., n 168923, M. Agostinelli, concl. G. Goulard, Dr. fisc. 2000, n44, comm.846, p.147243 CE 6 mai 1996, n134415, M. Colomer, Dr. fisc. 1996, n38, comm.1130, concl J Arrighi de Casanova, RJF 6/1996 n 734, chron. S. Austry44 CE 5 dcembre 1983, n35478: RJF 2/1984 n213 (1re espce); CE 15 fvrier 1984, n33643, RJF 4/1984, n481

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    des griefs qui ont t retenus contre lui, mais elle est aussi un obstacle ce que le contribuable puisse ventuellement se prvaloir de lexception de prescription pour obtenir dcharge des pnalits. Cette solution sest prennise depuis et a t raffirme en particulier dans un arrt ministre c/Ruiz du Conseil en date du 29 dcembre 199745 o il a t jug quune lettre recommande avec accus de rception est un acte interruptif de prescription de droit commun et peut donc valablement contenir la motivation de la sanction.

    B) Le moment de la motivation 18- Il reste prciser le moment o la motivation doit intervenir car il est vident que plus celle-ci

    est porte tt la connaissance du contribuable, plus celui-ci est en mesure de se dfendre. Elle doit selon larticle L 80D tre porte la connaissance au plus tard lors de la notification du titre excutoire. Il faut ici distinguer deux situations: si la sanction est issue dune procdure de vrification contradictoire, la motivation doit figurer sur la notification de redressement, dans les autres cas elle doit tre indique au plus tard lors de la notification de lavis dimposition ou de lavis de mise en recouvrement de limpt concern.

    Ces rgles rgissent en fait les dispositions minimales auxquelles doit se conformer ladministration. Le lgislateur est venu augmenter la protection par larticle 112 de la loi n92-1376 du 30 dcembre 1992 portant loi de finances pour 1993 et modifiant larticle L.80 D en instaurant lobligation de porter la sanction envisage la connaissance du contribuable au moins trente jours avant la notification du titre excutoire, et ce pour quil puisse faire ses observations afin de respecter une procdure contradictoire. Cest pourquoi les problmes affrents cette loi seront traits dans le titre consacr ce principe. On se bornera ici rappeler les solutions applicables la motivation. Cette disposition ne concerne que les sanctions qui ne constituent pas laccessoire dune imposition (cest dire qui ne sont pas calcules en proportion de limpt mis la charge du contribuable) ou sanctionnent une infraction dont la qualification est fonde sur lapprciation du comportement du contribuable.

    Ainsi de la rdaction de larticle L 80 D dcoulait deux rgimes: certaines sanctions devaient faire lobjet dune motivation pralable alors que les autres ne pouvaient tre motives que lors de la mise en recouvrement. Cependant, une modification de larticle L80 D par larticle 26-I de la loi 99-1173 du 30 dcembre 199946 impose maintenant les mmes rgles pour toutes les sanctions en tendant toutes les pnalits le bnfice du dlai de trente jours accord par la loi de 1993, ce qui rgle cette distorsion entre pnalits. Un arrt du 27 dcembre 200047 fixe lentre en vigueur de cette procdure au premier janvier 2001 pour lensemble des sanctions fiscales, ce qui veut dire qu ce jour toutes les sanctions doivent respecter les mmes rgles quant au moment de la motivation.

    Section II: Le contrle de la qualit de la motivation

    1: Les conditions de validit de la motivation stricto sensu

    45 CE 9me et 8me s.-sec., 29 dcembre 1997, n 158032, ministre c/Ruiz RJF 2/1998 n173, p.11346 Loi n99-1173 du 30 Dcembre 1999 portant loi de finances rectificative pour 1999, Dr. fisc. 2000, n4, comm.4447 Arrt du 27 dcembre 2000, JO 29 dcembre 2000, Dr. fisc. 2001, n4, comm.48 p.215

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    19- En adoptant la loi du 11 juillet 1979, les parlementaires ont accord une grande importance au contenu de la motivation: les snateurs ont en particulier soulign que les dcisions se contentant dexprimer des motifs trop gnraux ne pourront tre considres comme motives. Il sagit ds lors dtudier les qualits que doit revtir la motivation, car celles-ci conditionnent la validit de la sanction qui faute de cela serait alors annule par le juge comme tant irrgulire au regard de la loi du 11 juillet 1979. En ce qui concerne la qualit de la motivation, on peut dire que le juge se livre un contrle exigeant. En effet, il ressort de la jurisprudence que la motivation doit tre suffisante cest dire que ladministration doit prciser les conditions de droit et de fait qui la fonde (CE 5 mars 1997 ministre c/St immobilire La Perdrix Rouge48 ). Le caractre suffisant de la motivation relve de lapprciation souveraine des juges du fond. Il a t dcid que ne rpondent pas cette exigence une motivation standard des pnalits de mauvaise foi invoquant seulement le caractre grave et rpt des infractions (CE 20 novembre 1995 ministre c/Adnet49 ) sans faire rfrence aux circonstances particulires de laffaire (CE 15 octobre 92 Transports J.J. Lefbure50 ). Ladministration ne doit pas donner de motivation strotype qui se bornerait rappeler les tapes de la procdure: cest spcialement le cas de la pnalit de larticle 1763 A du CGI pour laquelle ladministration ne peut se contenter de rappeler la procdure de larticle 117 du CGI51 . Il incombe bel et bien ladministration de se livrer une analyse des faits retenus contre le contribuable et en dduire la pnalit adquate et son fondement textuel, puis de se les approprier pour en faire la motivation de la sanction. Ainsi il a t jug que la rfrence de graves carences constates dans la tenue de la comptabilit et des omissions de recettes releves lors du contrle constituait une motivation suffisante (CE 8 novembre 1989 Gruffat52 ). Ces exigences marquent le soucis du juge de pouvoir avoir une pleine apprciation des faits car il doit pouvoir se substituer ladministration dans cette apprciation lorsquil doit contrler la motivation.

    2: Les conditions de validit de la motivation par rfrence 20- On a vu que dans larrt SA Pessac Automobile, le juge administratif a admis la motivation

    par rfrence mais celui-ci ne stait alors pas expressment prononc sur les conditions de sa validit. Le juge administratif la fait dans un arrt Tournier du 7 dcembre 199453 en jugeant que la motivation par rfrence doit comporter certaines qualits. La lecture des conclusions du commissaire du Gouvernement nous apprend que le juge procde par transposition avec les rgles du contentieux gnral qui nadmet la validit de la motivation par rfrence que si le document de rfrence est lui mme motiv, si lauteur de la dcision dclare sen emparer et si le document de rfrence est repris dans la dcision ou joint celle-ci. Une lettre de motivation des pnalits peut donc se borner se rfrer la notification de redressement seulement, mais il faut que celle-ci comporte effectivement lindication des lments caractrisant la sanction. En lespce, la Cour dappel commet une erreur de droit si elle relve que la motivation est donne dans le document de rfrence mais quelle ne recherche pas si ce document est lui-mme suffisamment motiv. Ainsi, mme si cette technique de motivation par rfrence est accepte,

    48 CE 9me et 8me s.-sec. 5 mars 1997, n 80362, ministre c/ St immobilire la Perdrix Rouge, RJF 4/1997, n307, p.23149 CE 9me et 8me s.-sec., 20 novembre 1995, n127836 et 127835 ministre c/Adnet, RJF 1/1996 n66, p.46, concl. F. Loloum, BDCF 1/1996 p. 6050 CE 9 octobre 1992, n95209, Transports J.J. Lefbure, n95209, RJF 12/92, n 167851 CE 9me et 8me s.-sec., n 168923, M. Agostinelli, prcit note 4252 CE 8 novembre 1989, n 66008, Gruffat, RJF 1/1990 n4853 CE, 8me et 9me s.-sec, 7 dcembre 1994, n122147, M et Mme Tournier, concl. J Arrighi de Casanova, Dr. fisc. 1995, n7 comm.312 p. 363

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    elle ne peut pas tre dfavorable au contribuable car ladministration aura quand mme d fournir une motivation conforme lensemble des dispositions qui viennent dtre dcrites.

    Chapitre second: Lintrt de retard est-il une sanction?

    Section I Le caractre de rparation pcuniaire empche lassimilation une sanction

    21- Nous tudierons ici le problme de la nature de lintrt de retard sous langle de lobligation de motivation des sanctions qui offre un prisme dtude intressant, mais ce problme est sous-jacent lensemble des solutions qui seront dcrites dans ce mmoire: en effet, cest la question de sa nature juridique qui conditionne lapplication de ces solutions lintrt de retard.

    1: Les caractristiques de lintrt de retard 22- Lintrt de retard mis en place par la Loi du 8 juillet 1987 se caractrise tout dabord par sa

    gnralit. En effet, en ce qui concerne les impts et taxes recouvrs par la Direction gnrale des impts, les rgles de calcul de lintrt de retard (Art. 1727-A du CGI) sont les mmes quil sagisse des intrts dassiette (Art. 1727 du CGI54 ) qui sont dus raison du dfaut ou des insuffisances de dclaration, ou des intrts de recouvrement (Art. 1731 du CGI ) qui sont dus en cas de retard dans le paiement. Ceci se retrouve notamment dans le fait que le lgislateur a retenu un taux dintrt unique, quelque soit limpt concern. En revanche, pour les droits recouvrs par les comptables du Trsor (Art. 1761 du CGI ), le taux dintrt est le taux lgal et le point de dpart de lintrt de retard est le douzime mois suivant la date limite du paiement.

    23- Cependant, lautre caractristique remarquable de lintrt de retard rside dans le fait quil est conu comme une rparation pcuniaire au profit de lEtat raison du prjudice provenant de la non-perception des sommes dues et non comme une sanction. Il reprsente en quelque sorte le prix du temps. Cette conception est souligne par le texte de loi lui-mme qui retient que lintrt est d indpendamment de toute sanction et affirme bien son caractre rparateur (art 2-1-a). Ladministration a fait sienne cette interprtation dans plusieurs instructions administratives55 pour lapplication des rgles que lon va dcrire.

    2: Les consquences du caractre rparateur de lintrt de retard 24- Au regard de la loi de 1979 sur la motivation des dcisions dfavorables aux administrs,

    cette obligation ne pesant que sur les mesures qui sont des sanctions, le caractre de rparation implique que lintrt de retard na pas tre motiv. De plus, cette solution entrane des consquences au niveau de la prescriptions des intrts. Nanmoins certaines incertitudes sont apparues avec larrt SA Pessac Automobiles prcit du 13 octobre 1986 qui avait annul les pnalits pour dfaut de motivation. Ces incertitudes taient dues au systme de sanction alors en vigueur qui prvoyait dans lancienne rdaction

    54CGI, art.1727 al 1: le dfaut ou linsuffisance dans le paiement ou le versement tardif de lun des impts, droits, taxe, redevances ou sommes tablis ou recouvrs par la Direction gnrale des impts donnent lieu au versement dun intrt de retard qui est du indpendamment de toute sanctions.55 Instruction 6 mai 1988, 13 N-3-88, n2, Dr. fisc. 1988, n25, Instr. 9488; Note 20 novembre 2000, BODGI 13 n-7-00, Dr. Fisc. 2000, n49, Instr. 12534

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    de larticle 1733-1 du CGI lapplication de pnalits de mauvaise foi ou dune indemnit de retard due non pas pour rparer le prjudice pcuniaire de lEtat, mais pour la fois sanctionner le comportement du contribuable et rparer le prjudice. De plus, il sagissait un intrt forfaitaire et non calcul prorata temporis . Alors quen principe le juge qui estimait que la mauvaise foi ntait pas tablie dcidait normalement la substitution des indemnits de retard, ici la substitution navait pas t prononce par le juge, ce qui pouvait laisser penser quelles navaient pas t appliques parce quelles ntaient pas motives non plus. Il faut rappeler que le commissaire du Gouvernement avait affirm quil ny avait pas lieu de distinguer entre les pnalits et quelles devaient tre motives dans tous les cas. La doctrine sest donc interroge sur le point de savoir sil fallait globaliser cette solution contraire la jurisprudence antrieure et donc si elle tait extensible aux intrts de retard proprement dits. Mais cette globalisation na pas eu lieu car cette solution a t ignore par les arrts suivants.

    25- En ce qui concerne la motivation de lintrt de retard, cest par un arrt Grisoni de Plnire du Conseil dEtat du 9 novembre 198856 que le Conseil dEtat semble sarrter sur le caractre de rparation de lintrt de retard en raffirmant sa jurisprudence antrieure larrt Pessac Automobiles et en abandonnant implicitement celle-ci. Le commissaire du Gouvernement retient que la dcision du Conseil constitutionnel du 30 dcembre 1982 et la loi du 8 juillet 1987 qui reconnat aux intrts de retard le caractre de rparation pcuniaire rendent impossible la conception de lintrt de retard comme sanction. Sil ne se prononce pas expressment sur le sujet, cet arrt contient cependant comme solution implicite quen tant que rparation pcuniaire, lintrt na pas tre motiv. Cette solution a t formule un an plus tard dans un arrt Urbahn du 25 octobre 198957 qui rejette la demande dun contribuable qui voulait obtenir la dcharge de lintrt de retard en raison de labsence de motivation de celui-ci. Depuis le Conseil maintient cette ligne jurisprudentielle (CE 4 avril 1997 St Kingroup58 ).

    De son cot, la Cour de cassation sembla dans un premier temps ne pas avoir admis le caractre de rparation pcuniaire dans un arrt de la Chambre commerciale du 10 mars 199859 o elle a jug que les intrts de retard courent partir du moment o linfraction qui motive lapplication de lintrt est constitue, ce qui semble signifier que la Cour considre que lintrt de retard est une sanction car elle rprime un comportement. Mais prsent, la Cour a clairement rejoint lanalyse du Conseil dEtat en affirmant que lintrt de retard na pas le caractre dune sanction60 . Cette position a t confirme dans un arrt du 18 mai 199961 o elle reconnat son caractre de rparation pcuniaire dans un des attendus de lespce: les intrts de retard ne constituent pas des pnalits mais une dette ne du seul fait du retard pris....

    26- Une difficult est ne nanmoins du fait que le Conseil a fait rfrence dans larrt Grisoni la notion dapprciation du comportement du contribuable pour discriminer les sanctions et les rparations pcuniaires. Ainsi une partie de la doctrine a pens que les sanctions fiscales qui nimpliquait pas dapprciation du comportement du contribuable par ladministration navait pas tre motives, ce

    56 CE Pln. 9 novembre 1988, n 68965, Grisoni, RJF 2/1989, n179; concl. B. Martin Laprade, Dr. fisc. 1989, n27, comm. 136057 CE 9me et 8me s.-sec., 25 octobre 1989, n 64737 Urbahn, RJF 12/1989, n1427, p. 73658 CE 4 avril 1997, n144211, St Kingroup, RJF 5/1997 n42459 Cass. Com. 10 mars 1998 SCI Cauhape, n96-14481, Dr. fisc. 1998, n30, comm. 71960 Cass. com 6 octobre 1998, n96-19382, Sofon, Dr. fisc. 1998, n48, comm.105961 Cass. com 18 mai 1999, n 97-13661, SA Vidrace, Dr. fisc. 2000, n13, comm. 276

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    qui impliquait quil fallait reprendre toutes les sanctions du LPF et analyser si elles prenait en compte ce comportement et de l en dduire leur nature. Cette conception a t abandonne aprs que le Conseil dans son arrt Vermeersch montre que la distinction des sanctions fiscales se fait par lobjet de la sanction cest dire par le caractre punitif ou rparateur de la mesure. Le Conseil en dduit que si lintrt de retard na pas tre motiv, en revanche les majorations de 10 ou 25% de lancien article 1733 du CGI ayant un caractre punitif doivent ltre. Les conclusions du Commissaire du gouvernement montrent bien que le maintien du critre fond sur labsence dapprciation du comportement du contribuable pour dfinir les mesures rparatrices aurait des consquences tranges, en ce sens que malgr leur caractre objectif, il tait inquitable de laisser certaines pnalits tre considres comme des rparations pcuniaires et abaisser la protection du contribuable alors que ce caractre ne dcoule que de leur application automatique. A ce jour, le caractre de rparation na t reconnu qu lintrt de retard. Le juge sest par la suite prononc par exemple sur le caractre punitif de la pnalit de larticle 1763 A, et ce contrairement la thse soutenu par le ministre qui y voyait une rparation pcuniaire62 .

    27- Cette solution accompagne celle retenue par la jurisprudence du Conseil dEtat dans ces diffrents arrts relatifs la prescription des intrts. En effet, la diffrence des pnalits qui ont un caractre de sanction et qui selon larrt Vermeersch ne peuvent tre mises en recouvrement que si elles ont t constates dans un acte interruptif de prescription, lintrt de retard ne fait pas lobjet dune interruption de prescription particulire63 . En effet, le prjudice de lEtat subsiste tant que les sommes dues ne sont pas recouvres. On peut alors rsumer lensemble de ces solutions en ces termes: lintrt de retard tant une rparation pcuniaire na pas tre motiv et ne fait pas lobjet de la prescription.

    Le caractre de rparation pcuniaire de lintrt de retard ne semble pas tre remis en cause par la jurisprudence depuis lors. Nanmoins le terrain de la contestation sest dplac sur le terrain du taux de lintrt de retard en sappuyant justement sur le caractre de rparation pcuniaire de ce dernier, ce qui suppose son acceptation.

    Section II: La remise en cause du taux de lintrt de retard

    1: La conception administrative du taux dintrt de retard 28- Afin de comprendre les raisons de cette contestation du taux dintrt, il faut tout dabord voir

    comment celui-ci est conu. Lors des dbats sur la Loi de 87, une controverse64 stait fait jour entre les dputs et le gouvernement propos du taux de lintrt de retard. Les dputs faisaient valoir les propositions de la commission Aicardi cest dire un taux dintrt bas sur le taux dintrt bancaire major de deux points. Le gouvernement imposa le taux fixe de 0,75% par mois, soit 9% par an. A lpoque, le taux dinflation tait plus lev que le taux dintrt lgal, de sorte que des dputs se sont mus du fait que des contribuables fraudeurs avait de ce point de vue intrt frauder en finanant leur trsorerie aux frais de lEtat. Le gouvernement se rserva alors la possibilit de changer le taux dintrt si cet tat de fait devait se perptuer.

    62 CE 8me et 9me s.-sec., n 184214 et 184215, ministre c/ SARL Clinique Mozart (1re espce) et ministre c/ SARL Ambulances centrales (2me espce), RJF 8-9/1998, n942, concl. G. Bachelier, BDCF 4/1998, n92, p. 9563 CE Pln. 9 novembre 1988, n 68965, Grisoni, prcit note 5664 JO AN 4 juin 1987, p. 1846 et s.

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    Nanmoins la doctrine65 se montra plus critique envers le taux dintrt en faisant remarquer quavec la baisse de linflation et du taux dintrt lgal66 survenue au milieu des annes 90, le diffrentiel entre taux dintrt de 9% par an et le taux dintrt lgal constituait une sanction supplmentaire du contribuable. Ainsi en 2000, le taux dintrt lgal tait fix 2,74%, ce qui porte la diffrence avec lintrt de retard 6,26 points: lintrt de retard reprsente donc plus de 3,2 fois le taux dintrt lgal. Cette diffrence se rvlait dautant plus choquante quen cas de remboursement par lEtat de sommes indues, larticle L 208 du LPF prvoit que cest lintrt au taux lgal qui est appliqu pour rparer le prjudice pcuniaire du contribuable. Des considrations de justice fiscale plaident donc pour lalignement des taux. Cette contestation a fait cho auprs des dputs qui ont activement soumis le problme par lintermdiaire de questions au gouvernement, dont le nombre reste assez considrable au demeurant67 . Ces questions dont la rdaction est similaire demandent si en raison des critiques exposes par la doctrine une rvision du taux dintrt de retard est ds lors prvue.

    29- Le gouvernement rpondit68 chaque fois quil ntait pas envisag de rformer le taux de lintrt de retard en avanant tout dabord le cot de lopration en cette priode de faible taux dintrt qui slverait trois milliards de francs. Le gouvernement rappela que lintrt de retard est une rparation pcuniaire et non une sanction. Ensuite, deux arguments sont avancs: tout dabord, il y a la reconnaissance de la part du gouvernement du caractre de mesure prventive par ladoption dun taux proche de celui pratiqu par les banques, et ce pour viter la tentation du contribuable de grer sa trsorerie au frais de lEtat. Il reste que cette conception de mesure de dissuasion rapproche trangement le taux dintrt dune sanction. Le second argument est tir de la volont de ne pas compliquer les rgles de calcul en adoptant un taux unique plutt quun taux fluctuant, conformment la politique de simplification des rgles de procdure fiscale.

    30- Lensemble de cette position est critiquable car cette conception de lintrt de retard cadre mal avec celle de rparation pcuniaire. On peut stonner tout dabord que le prjudice qui sous-tend cette rparation soit valu 9% par an, alors quen cas de contestation, le contribuable peut demander le sursis de paiement en vertu des articles L 277 et suivants du LPF: cest alors lintrt lgal qui prend le relais. Or, entre ces deux cas le prjudice pcuniaire de lEtat na pas chang puisque les sommes dues ne sont toujours pas recouvres. Il apparat aussi curieux que le gouvernement ne prenne pas en compte que le diffrentiel entre les deux taux est susceptible de jouer contre lui en cas de remonte de linflation et des taux comme cela a t le cas lors de ladoption de la loi et comme cela sest produit en 1991 (10,26%), 1992 (9,69%) et 1993 (10,40%), danger qui serait vit avec un taux dintrt de retard variable.

    65 X.., Il faut baisser le taux de lintrt de retard BF Lefebvre 6/1998, p.344-34566 Evolution du taux dintrt lgal: 1991: 10,26%; 1992: 9,69%; 1993: 10,40%; 1994: 8,40%; 1995: 5,42%; 1996: 6,65%; 1997: 3,87%; 1998: 3,36%; 1999: 3,47%; 2000: 2,47%; 2001: 4,26% 67 B. Boutemy et E. Meier, Intrts de retard: rendez Csar ce qui est Csar (Matthieu 22,21)... mais pas plus ( TGI Paris, 6 juillet 2000), Dr. fisc. 2001, n3 p.133, note 2 pour les rfrences cites68 Rep. min. n22611 et 23401 MM. Boisserie et Paill, JO AN, 22 fvrier 1999, p. 1064; Rep. min. co. fin. et ind. n 19072 Mme A.-M. Idrac, JO AN 23 novembre 1998, p. 6392, Procdures 6-1999, n 173, p. 24

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    On peut ensuite douter de la ralit du danger reprsent par des contribuables qui prfreraient luder leurs obligations fiscales plutt que de souscrire un crdit bancaire juste en considration du taux de lintrt de retard. En effet, le cot du crdit suit celui de linflation et du taux dintrt lgal, de sorte que lon peut trouver de nos jours des taux infrieurs au taux de 9%. Par contre, il est vrai quen cas de forte remonte des taux bancaires, si ceux-ci dpassent le taux dintrt de retard et que celui-ci reste fixe, alors les contribuables auront intrt frauder. Il faut souligner cependant la dangerosit dune telle politique car, outre les autres sanctions fiscales, ce comportement est susceptible de tomber sous lincrimination de fraude fiscale de larticle 1741 du CGI, sans compter les mesures non pcuniaires que ladministration fiscale peut mettre en oeuvre, par exemple, la mise en cessation des paiements dune entreprise. Dun autre cot, les contribuables de bonne foi doivent aussi acquitter lintrt de retard alors quils nont pas eu la volont de frauder: pour eux, le taux de lintrt de retard apparat comme une vritable sanction.

    De plus, cette conception de lintrt de retard comme mesure prventive apparat superflue au regard du reste de larsenal des sanctions qui sont mieux mme de dissuader la fraude en ce quelles visent prvenir et rprimer un large panel de comportements. Enfin, en ce qui concerne les rgles de calcul avec un taux fluctuant, on peut penser quelles ne seraient pas dune complexit extrme au regard dautres rgles du CGI, de sorte quon peut dire que seul le cot de lopration motive rellement le maintien du taux actuel de lintrt de retard.

    2: La position du juge sur le taux dintrt 31- Cette position reflte toujours ltat desprit actuel du gouvernement, de sorte que ne pouvant

    esprer de rponse lgale ce problme, les contribuables se sont tourns vers le juge. Or de ce ct, il existe ce jour un jugement du TGI Paris du 6 juillet 200069 qui tout en faisant sienne largumentation du gouvernement donne satisfaction son demandeur en permettant la rduction du taux dintrt de retard au taux dintrt lgal. Le raisonnement du tribunal est le suivant: lintrt de retard est par nature une rparation pcuniaire dont lunique but est dindemniser lAdministration de la non perception de sommes dues par le contribuable. Le prjudice que subit lEtat du non-recouvrement des sommes qui lui sont dues est fix par le taux dintrt lgal dont lobjet est de mesurer ce prjudice, le diffrentiel entre celui-ci et le taux dintrt de retard est donc constitutif dune sanction. En tant que sanction, ce diffrentiel doit tre motiv comme le prvoit la loi de 1979 et en absence de motivation en lespce, il se doit dtre annul. On retrouve ici un raisonnement similaire celui qui a t donn dans larrt Vermeersch en ce que le juge analyse lobjet de la sanction pour en dduire son caractre. Les consquences immdiates de ce jugement concerne donc lobligation pour ladministration de motiver ce diffrentiel: il semble trs difficile ds lors de trouver quelle motivation peut tre apporte, moins dimaginer que le contribuable a, comme lexprimait le gouvernement, voulu grer sa trsorerie aux frais de lEtat. Mais ce caractre de sanction reconnu lintrt de retard peut avoir des consquences par ailleurs: en effet, on peut en dduire notamment quil est susceptible de faire lobjet dune rduction lors dune transaction, car les transactions portent sur les pnalits qui sont analyses comme des sanctions70 .

    69 TGI Paris, 6 juillet 2000, n 99-20096 et 99-20097, Mme Dalloz-Furet, Dr. fisc. 2001, n3, comm. 3370 Th. Lambert, La transaction fiscale: une pratique autant quun droit prcit note 11

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    Il faut signaler la fragilit de la solution qui vient du fait que ce jugement novateur a t contredit par deux arrts rcents de la Cour dappel de Paris ( CA Paris 30 mars 2001 SCI Nicky71 et 26 avril 2001 SA Unilever France) selon lequel rien ne soppose ce que lintrt de retard soit plus lev que lintrt lgal, sous rserve dun intrt fix un taux usuraire qui est prohib. Lapplication de lintrt de retard dorigine lgale doit lemporter sur lintrt lgal fix par voie rglementaire: par consquent, le diffrentiel entre ces taux nest pas une sanction puisquil rsulte de la volont lgislative et la demande de modulation qui est faite par le contribuable doit tre rejete.

    32- En ce qui concerne lvolution de cette question, on peut naturellement esprer que sous linfluence de leur conseils, les contribuables fassent rebondir la question dans les annes qui viennent. Mais la rponse sera plus srement politique: en effet, outre les dputs, on compte de nombreuses initiatives politiques tendant aligner le taux de lintrt de retard avec le taux dintrt lgal: ainsi, on peut citer le Rapport dinformation de la Commission des finances de lAN sur la fraude et lvasion fiscale du 6 octobre 199872 qui propose de rduire le taux dintrt, ainsi quune proposition du Mdiateur de la Rpublique73 prconisant une refonte complte du systme. De mme, les snateurs ont lors des discussions des lois de finances pour 1999 et 2000 soumis des amendements qui vont dans ce sens, mais qui nont pas t retenus. Mais ces tentatives ne semblent pas perturber le gouvernement qui sen tient toujours sa position initiale. Il reste en dfinitive que le caractre inquitable qui vient de cette solution devrait trouver une rponse (et le sacrifice budgtaire correspondant) au regard de la volont politique damliorer les relations entre administration et administrs, en les mettant de ce point de vue sur un pied dgalit.

    Lapplication des rgles concernant la motivation est en elle-mme protectrice des droits du contribuable. Mais la raison dtre de la motivation des dcisions est de renforcer le principe du contradictoire en favorisant la discussion .

    Titre second: Le respect du principe du contradictoire

    33- Le principe du contradictoire permet que tout lment de nature exercer une influence sur lissue du litige soit soumis lexamen et la libre discussion des parties. Il a t reconnu par la doctrine comme un principe intangible, consubstantiel au procs et par la jurisprudence comme un principe gnral du droit, avant dtre promu comme principe constitutionnel dans une dcision du 22 avril 199774

    comme tant au nombre des rgles gnrales de procdure qui simposent, mme en labsence de texte exprs, toutes les juridictions. Limportance accorde au principe du contradictoire aurait pu faire penser que son application naurait pas pos de problmes en matire de sanctions fiscales: on va voir

    71 CA Paris 1re ch. B., 30 mars 2001, n00-4250, SCI Nicky, Dr. fisc. 2001, n28, comm. 669, p. 110872 Doc AN, Rapport dinformation n1105 de la Commission des finances de lAN sur la fraude et lvasion fiscales, 6 octobre 1998, Dr. fisc.1998, n 46-47, p.1438 et s.73 Proposition n98-R018, Mdiateur de la Rpublique, 6 octobre 199874 CE 21 fvrier 1968 Ordre des avocats prs la Cour dappel de Paris: le principe du contradictoire est au nombre des rgles gnrales de procdure qui simposent, mme en labsence de texte exprs, toutes les juridictions, cette formule a t reprise par le Conseil constitutionnel dans la dcision n97-389 DC, JO 25 Avril p.6271

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    quil nen est rien. En effet, ltendue du principe du contradictoire est limite par le fait que le juge a longtemps refus de contrler son application lors de la procdure administrative (chapitre premier). Aprs cela, il faudra voir le contenu de ce principe et les problmes particuliers quil engendre devant le juge (chapitre second).

    Chapitre premier: Lapplication du principe du contradictoire lors de la procdure administrative

    Section I: Le refus du juge de faire respecter une procdure contradictoire

    1: Une solution traditionnelle du juge franais 34- La question du contrle de lapplication du principe du contradictoire pendant la procdure

    dtablissement des sanctions a t marque pendant longtemps par une position de principe du juge qui est reste fige. En effet, la question sest pose de savoir si le juge devait contrler le respect du principe du contradictoire avant la mise en recouvrement de limpt, ce que la loi ne prvoyait pas. Cette question a t tranche dans un arrt dAssemble du 27 avril 1979 SA Yacht Motors Corporation75. La requrante soutenait quelle navait pas t mise mme de discuter des griefs formuls contre elle en violation du principe du contradictoire. Si comme on la vu le principe du contradictoire simpose mme en labsence de texte exprs, le lgislateur peut par contre trs bien manifester la volont expresse de ne pas appliquer le principe du contradictoire, le problme de droit tait donc de savoir si le lgislateur a manifest une telle volont en matire de sanctions fiscales. Le Conseil dEtat a jug que le lgislateur avait entendu exclure lobligation pour ladministration de suivre une procdure contradictoire pour ltablissement des pnalits fiscales quelque soit la nature de celles-ci, rejetant par consquent les prtentions de la socit.

    Cet arrt a t rendu sur ce point sur conclusions contraires du commissaire du Gouvernement B. Martin Laprade qui rappelle que le bnfice des droits de la dfense sapplique toute personne laquelle une autorit disposant de pouvoirs de puissance publique entend infliger une mesure ayant le caractre dune sanction, principe issu de larrt de Section Dame veuve Trompier-Gravier du 5 mai 194476 . Ce caractre de sanction est manifeste dans les sanctions fiscales qui ont pour objet de punir une attitude ou un comportement. En raison de leur gravit et en labsence de volont expresse du lgislateur, il fallait appliquer le principe du contradictoire aux sanctions fiscales. La position inverse prise par la jurisprudence parat curieuse car larticle 1736 du CGI sur lequel se fonde le juge nexclu pas expressment le droulement dune procdure contradictoire, mais se borne rappeler que les pnalits fiscales sont constates par ladministration. On pressent dans cette jurisprudence une volont du juge de ne pas soumettre ladministration des obligations qui seraient selon lui de nature paralyser son action. Toutefois, le raisonnement de cet arrt et son interprtation de la volont lgislative sont lorigine dune nombreuse jurisprudence ritrant ce refus.

    2: La confirmation de cette jurisprudence au regard des fondements postrieurs

    75 CE Assemble, 27 avril 1979, n 7309 SA Yacht Motors Corporation, RJF 6-1979 n 366 p. 218, concl. B. Martin Laprade p.19276 CE Sec. 5 mai 1944, Dme Vve Trompier-Gravier, GAJA, p.272, D. 1945, p.110

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    35- Linterprtation de la volont du lgislateur a t mise en avant quand le juge a eu se prononcer sur la validit de labsence dapplication du contradictoire au regard de textes entrs en vigueur postrieurement. Tout dabord, au regard de la loi de 1979, le Conseil a jug que lobligation de motiver la sanction nentrane en aucun cas louverture dune procdure contradictoire (CE 21 avril 198977 ). Cest le cas aussi en ce qui concerne lapplication de larticle 8 du dcret n83-1025 du 28 novembre 1983 faisant obligation ladministration dinformer le destinataire quil peut prsenter des observations crites sur la dcision motive prise son encontre. Cette disposition est lorigine dune divergence de jurisprudence entre les cours administratives dappel de Nancy et Nantes dune part et dautre part les autres cours, divergence qui montre quune partie des juges tait insatisfaite de la solution de larrt dAssemble. On peut rsumer les termes de la controverse en prcisant les positions respectives. Pour la CAA de Nancy, larticle 8 du dcret est applicable et oblige ladministration suivre une procdure contradictoire78 . A linverse, un arrt de la CAA de Paris 79 avait notamment jug que larticle L 80 D en sa rdaction de 1986 qui ne prvoyait pas lapplication dune procdure contradictoire faisait obstacle lapplication du dcret car le lgislateur avait entendu soustraire le dbat contradictoire des sanctions fiscales. Si le texte vis dans ce dernier arrt pour fonder la dcision nest pas le mme puisque lobligation de motivation est inscrite dans larticle L 80 D, en revanche cest bien le mme raisonnement que dans larrt Yacht Motors dont il sagit.

    36- Cette controverse a pris fin quand le Conseil dEtat80 a censur larrt Adnet de la Cour de Nancy. Il ressort des conclusions que le raisonnement de larrt Yacht Motors est toujours maintenu: larticle 1736 exclut expressment la procdure contradictoire et ds lors larticle 8 du dcret du 28 novembre 1983 nest pas applicable car contraire la loi. Toutefois, cet arrt se prononce aussi sur linvocabilit dune instruction du 4 juin 198481 prise sur le fondement de larticle 8 du dcret de 1983 qui a tent dimposer ladministration une procdure contradictoire en prcisant que le contribuable devait bnficier dun dlai de trente jours pour prsenter ses observations: cette instruction a t juge illgale comme contraire larticle 1736, ce qui explique pourquoi le contribuable est insusceptible de sen prvaloir sur le fondement de larticle premier du dcret du 28 novembre 1983 qui prvoit que tout intress peut se prvaloir des instructions publies, sous rserve quelles ne soient pas illgales.

    Cette non-exigence dune procdure contradictoire tait dsormais bien installe dans la jurisprudence du Conseil dEtat qui avait confirm la jurisprudence Yacht Motors dans larrt Sovemarco82 et lavis St dexpertise comptable du Languedoc - SARL Cara-Cara83 . Cependant ces arrts mentionnent bien le fait que cette solution ne concerne plus que les pnalits prononces avant 1994 en raison de lentre en vigueur de la loi n92-1376 du 30 dcembre 1992 portant loi de finances pour 1993, loi dont le contenu sera abord par la suite, mais cette solution peut encore tre applique en raison de la dure du dlai de reprise de ladministration et celle parfois trs longue des contentieux.

    77 CE 21 avril 1989, n89657, RJF 6/1989, comm.71078 CAA Nancy 9 avril 1991, n89-1188, Adnet, RJF 10/1991 n126379 CAA Paris 12 mars 1991, n89-664, SARL Moreau, RJF 5/1991 n64480 CE 20 novembre 1995, n127836 et 127835, ministre c/Adnet, RJF 1/1996 n66, concl F. Loloum BDCF 1/1996, p. 6081 Instr. 4 juin 1984, 13 A-1-84, n 24 s.82 CE 18 mars 1994, n68799 et 70814, SA Sovemarco-Europe, RJF 5/1994, n532, concl. J. Arrighi de Casanova, p. 29083 Avis CE 31 mars 1995, n 164911 et 165321, SA St dexpertise comptable du Languedoc - SARL Cara-Cara, RJF 5/1995, n621, concl J. Arrighi de Casanova, p.236

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    3: Apprciation de ces solutions 37- En ce qui concerne cette jurisprudence pour les pnalits prononces avant 1994, on peut dire

    que si celle-ci est peu protectrice des droits du contribuable, elle se fonde en outre sur une interprtation hasardeuse de la volont du lgislateur. Le juge a par ailleurs anantit la soumission de ladministration linstruction de 1984, ce qui a priv les contribuables dune garantie laquelle ladministration consentait se soumettre. Une partie de la doctrine a soulev la contrarit du systme franais la jurisprudence du Conseil constitutionnel et larticle 63 de la CEDH qui tend donner des garanties spcifiques de procdure parmi lesquelles se trouve le principe du contradictoire. Mais dune part, lpoque le Conseil dEtat a fait valoir que larticle 6 dans son ensemble tait inapplicable la matire fiscale, dautre part il ressortait des jurisprudences respectives du Conseil et de la Cour de cassation que le principe du contradictoire ne sapplique que devant les juridictions84 . Ladministration ntant pas une juridiction, lapplication de la contradiction est fonction du bon vouloir de cette dernire. Cest pourquoi le juge na pas sanctionn cette lacune, car il considrait alors que le systme mis en place tait suffisamment protecteur des droits du contribuable.

    Section II: Lintervention du lgislateur pare le manque de protection jurisprudentiel

    1: Les modifications effectues par la loi de 1993 38- Il ressort des conclusions du commissaire du Gouvernement des arrts Sovemarco et ministre

    c/Adnet notamment que le juge se devait dintgrer les dispositions lgales nouvelles sur le caractre contradictoire de la procdure: cet intgration ressort des considrants de ces arrts qui montrent qu partir de lentre en vigueur de larticle 112 de la loi de finances pour 1993, ladministration devrait changer ses habitudes. Les modifications de larticle L 80 D par la loi de 1993 ont permis de combler pour partie la dficience du contradictoire en permettant aux contribuables de pouvoir prsenter leur observations pour les sanctions concernes par cette rforme. En effet, le dlai de trente jours prvu par le texte doit permettre aux contribuables de prsenter leurs observations. Cette disposition est limite par le fait que cette obligation est rserve aux sanctions qui ne constituent pas laccessoire dune imposition ou sanctionnent une infraction dont la qualification est fonde sur lapprciation du comportement du contribuable. De toute manire, lintrt de retard qui est une rparation pcuniaire nest pas concern par cette disposition. Mais ainsi, sur la distinction entre sanctions et mesures rparatrices prconise par le Conseil constitutionnel sest greffe une seconde distinction et donc un autre rgime.

    La premire difficult a alors t de distinguer les pnalits selon leur caractre: une trentaine de sanctions qui prsentent un caractre objectif et automatique restent exclues de cette disposition parmi lesquelles on trouve les majorations pour dfaut ou retard de dclaration de larticle 1728 du CGI ou la majoration de 5% pour paiement tardif de limpt prvue larticle 1731 du CGI. Il reste nanmoins que

    84 En ce qui concerne la juridiction judiciaire: Cass. Crim. 28 janvier 1991, n 90-81526, Lavigne, Dr. fisc. 1991, n21-22, comm. 1160, RJF 4/1991, n528, p. 304; en ce qui concerne la juridiction administrative: CE 15 avril 1992, n65563, Hade et Cie, RJF 6/1992, n855

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    la distinction entre pnalits non accessoires ou celles qui se fondent sur le comportement du contribuable dune part et dautre part celles qui ont une application automatique ou nemportent pas dapprciation du contribuable reste dlicate effectuer. Ainsi les majorations qui viennent dtre cites ont en effet un caractre automatique, mais elles ont bien pour objet de rprimer un comportement qui est celui de ne pas souscrire une dclaration ou de sacquitter de sa dette fiscale avec retard. Le fondement de cette distinction vient de la dcision du Conseil constitutionnel du 29 dcembre 1989 prcite: le commentateur de cette dcision la RJF avait soulign quil ne pouvait sagir que dune tendance et en effet le Conseil ny a plus fait rfrence par la suite. La doctrine a bien montr labsurdit qui pouvait dcouler de lapplication de ce critre85 : une amende de 25 F pour dfaut de production ne constituant pas laccessoire dune imposition mritait plus de protection quune pnalit de 80% calcule en proportion de limpt qui naurait pas suivre cette procdure. La fragilit du fondement de cette distinction, la difficult de la mettre en application et surtout le manque de justification dappliquer cette distinction militaient pour un changement de la loi.

    2: Les modifications de la loi de 1999 39- Selon certains auteurs86 , cest sans doute la raffirmation par le Conseil constitutionnel de la

    ncessit de respecter les droits de la dfense et laffirmation quil incombe aux services de lEtat chargs dappliquer les dispositions du LPF et du CGI de respecter ces droits, contenue dans la dcision du 30 dcembre 1997 prcite qui a suscit une modification de larticle L80 D par larticle 26-I de la loi 99-1173 du 30 dcembre 1999 prcit qui impose la motivation de toutes les sanctions ce qui rgle cette distorsion entre pnalits. Larticle L. 80D dispose maintenant que les sanctions fiscales ne peuvent tre prononces avant lexpiration dun dlai de trente jours compter de la notification du document par lequel lAdministration a fait connatre au contribuable ou redevable concern la sanction et les motifs qui la sous-tendent. Comme en matire de motivation larrt du 27 dcembre 2000 fixe lentre en vigueur de cette procdure au premier janvier 2001 pour lensemble des sanctions fiscales. La rforme de 1999 prfigure la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leur relations avec ladministration87 , qui a pour objet de reprendre les dispositions de larticle 8 du dcret du 28 novembre 1983 et de leur donner valeur lgislative. Cette loi prvoit que les dcisions individuelles qui doivent tre motives en vertu de la loi de 1979 ne doivent nintervenir quaprs que la personne intresse eut t en mesure de prsenter des observation crites, voire orales le cas chant. Ainsi, cest maintenant la loi elle-mme qui consacre lobligation de suivre une procdure contradictoire. Ladministration a pris acte de cette obligation nouvelle dans une instruction administrative du 8 janvier 200188 .

    3: Apprciation des solutions 40- La question qui se pose maintenant est de savoir si le systme mis en place est suffisamment

    protecteur des droits du contribuables. En fait, on ne peut pas dire que le dlai de trente jours donn au contribuable constitue vritablement lengagement dune procdure contradictoire. Dune part, parce que la dcision dinfliger une sanction est dj prise par ladministration quand elle est porte la connaissance du contribuable, il semble difficile dessayer de la faire revenir sur sa dcision. Dautre

    85 P.-E. Spitz, Sanctions fiscales et droits de la dfense, RFFP 1993, n42, p. 193-20286 M. Sieraczeck-Abitan, Le respect des droits de la dfense en matire de sanctions fiscales, Nouvelles fiscales 15 dcembre 2000, n838, p.22-2687 Loi n2000-321 du 12 avril 2000, JO 13 avril 2000, p. 564688 Instr. Adm. du 8 janvier 2001 relative aux sanctions fiscales, BOI 13-L-1-01, Dr. fisc. 2001, n6, comm.12555

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    part, si les observations peuvent tre prises en compte, ladministration nest pas tenue dy rpondre: les parlementaires ont soutenu que ladministration apporte une rponse par son silence quand elle maintient ou abandonne la sanction, ce qui est assimilable de fait une procdure contradictoire. Cette conception est contestable pour plusieurs raisons. Tout dabord il nest pas sr que ladministration reconnaisse ses torts dans tous les cas. De plus, en cas de maintien de la sanction, il importe que le contribuable soit mis mme de connatre les raisons qui motivent ladministration si on veut que la procdure soit rellement contradictoire. Sinon, on ne peut pas savoir si ladministration a pris en compte ces observations, ce qui rduit nant lutilit de pouvoir les prsenter. C'est pourquoi soumettre ladministration a une obligation de motiver sa dcision serait de nature parfaire lapplication du contradictoire. Au regard de lattitude passe du juge sur ce principe, on peut srieusement douter quil dcide de passer outre la volont du lgislateur en imposant ladministration une obligation de rpondre.

    41- Malgr ces avances, on peut sinterroger pour savoir sil est possible, outre ces critiques, de favoriser encore davantage le principe du contradictoire car prsenter ses observations nquivaut pas pouvoir discuter avant la dcision du principe de la sanction. En matire de procdures contradictoires de redressement, cette conception est dommageable du point de vue des relations entre ladministration et le contribuable, car elle peut accentuer un sentiment darbitraire, alors que par ailleurs dans la procdure de contrle le dialogue est encourag entre les deux parties. Il faut sinterroger ici sur les obstacles pratiques qui empchent une application plus pousse du principe du contradictoire et du contrle du juge. On peut faire valoir que la discussion du principe dune sanction est de nature dtriorer les relations entre le vrificateur et le contribuable, alors que ces relations peuvent dj tre tendues par ailleurs: il ny a nanmoins pas dobstacle pratique ce que le principe dune sanction puisse tre discut pendant le contrle. Ladministration pourrait au moins informer le contribuable sur les sanctions qui sont envisages au vu du dossier du contribuable. Ainsi, si le contrleur hsite entre deux sanctions, si par exemple il pense appliquer des sanctions pour mauvaise foi ou pour manoeuvres frauduleuses, le contribuable pourrait faire valoir ses arguments ce qui serait de nature faire mieux accepter la sanction et pourrait peut-tre rduire par la suite le nombre des contentieux relatifs aux sanctions.

    Chapitre second: Le contenu du principe du contradictoire devant le juge

    Section I: Le respect des rgles de preuve

    42- Il sagit ici de voir les problmes spcifiquement poss par les sanctions dans lapplication du principe du contradictoire. La loi oblige le juge faire observer et observer lui-mme pendant laudience le principe du contradictoire, et ce sous le contrle ventuel des juges dappel et de cassation. Pour le juge, faire observer le principe du contradictoire signifie quil vrifie si les parties se sont bien acquittes de nombreuses obligations formelles, mais aussi quil doit veiller au caractre contradictoire des procdures de preuve et notamment faire respecter les rgles relatives la charge de la preuve89 . Le respect de la charge de la preuve pendant linstance est important car celui qui en a la charge en possde aussi le risque, ce qui signifie quil peut voir sa prtention rejete sil ne la prouve pas. En matire de

    89 G. Couchez, Procdure civile Ed. Sirey, 9me Ed., n 243

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    sanctions, ces rgles ont t dans lensemble aise faire respecter par le juge. En effet, il a reconnu trs tt lobligation pour ladministration de toujours supporter la charge de la preuve des agissements du contribuable, spcialement quand il sagit dtablir la mauvaise foi de ce dernier90 . Cette charge incombe ladministration mme quand la loi fait peser sur le contribuable la charge de prouver le mal-fond des impositions sur le fondement des articles L 191 et suivants du LPF, en cas dirrgularit dans sa comptabilit ou de procdure forfaitaire notamment. Cette solution nest quune application du principe de respect de la prsomption dinnocence: le lgislateur a dailleurs consacr cette jurisprudence par la loi n77-1453 du 29 dcembre 1977 et celle du 8 juillet 1987 qui sont codifies larticle L 195 A du LPF.

    43- Le juge a ensuite t confront au problme de larticulation des rgles ainsi tablies avec celles rgissant la force probante des procs-verbaux tablis par ladministratio