le juge administratif rempart de protection

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    LE JUGE ADMINISTRATIF, REMPART DE PROTECTION

    DES CITOYENS CONTRE LADMINISTRATION

    EN AFRIQUE NOIRE FRANCOPHONE ?

    Voici plus de cinquante ans quaprs avoir abrit certaines manifestations du miracle que

    constitue la soumission de ladministration au contrle du juge1, les Etats africains francophones

    subissent lpreuve de lentreprise de rgulation du cours de la puissance publique. Legs en effet dun

    colonisateur soucieux non seulement de profits et de commerce marchands, mais aussi dassimilation et

    de transposition de ses rgles, principes, institutions et valeurs, la justice administrative recueillie et

    pratique depuis lors doit tenir le pari de disqualifier larbitraire des gouvernants et dassurer

    corrlativement la protection juridictionnelle des citoyens.

    Tant lenracinement de lorgane que lessor de son rle sont devenus incontestables dans le

    paysage juridictionnel africain. Car sen tenir la parution des recueils nationaux comments de

    grandes dcisions de la jurisprudence administrative 2, et une production doctrinale montrant un

    intrt davantage soutenu sur le sujet, on serait tent de dire, tel lalchimiste les yeux rivs sur les

    transformations en cours dans lathanor, que la matire prend forme .

    Au fil du temps, lide dun amnagement dune justice administrative sest donc impose en

    contrepartie du caractre ingalitaire des rapports juridiques qui stablissent entre ladministration et les

    personnes prives. Dans le principe, lintervention du juge administratif visera soumettre

    ladministration au respect des rgles qui rgissent lexercice de ses pouvoirs, contenir les privilges

    dans les limites que leur assigne la rgle de droit, et permettre aux administrs soit de paralyser une

    1 Lexistence mme dun droit administratif relve en quelque sorte du miracle , crivait Prosper WEIL dans son "Que

    sais-je", Le Droit administratif, PUF, n 1152, p. 3. On songe galement aux nombreux litiges ns dans les dpendances coloniales, et dont le rglement a permis au Conseil dEtat franais, dlaborer dimportantes rgles du rgime administratif. La 1

    re dition des Grands Arrts de la Jurisprudence Administrative (G.A.J.A) de 1956 annotait 114 arrts dont

    certains ont t rendus partir des faits survenus dans les possessions coloniales franaises en Afrique ; on citera, larrt Botta de 1904 ( propos dun receveur des contributions en Algrie), larrt Tomaso Grecco de 1905 propos dune course de taureaux en Tunisie, qui a introduit une responsabilit de la puissance publique au titre des activits de police, larrt Socit Commerciale de lOuest Africain ou Bac dEloka (1921) du Tribunal des Conflits, larrt Robert de Lafreygre, le requrant tant chef de service aux chemins de fer de Madagascar (1923), larrt Couitas, galement de 1923, larrt Etablissements Vezia de 1935, larrt Compagnie maritime dAfrique orientale de 1944, larrt Syndicat gnral des Ingnieurs-conseils de 1959, larrt Marcar (Mougamadou sadagnetoullah ) de 1935 ; voir Bernard PACTEAU, Colonisation et justice administrative in Jean MASSOT (dir.), Le Conseil dEtat et lvolution de loutre-mer franais du XVII

    e sicle 1962, Dalloz, 2007, Coll. Thmes et Commentaires, p. 49 et suiv.

    2 Voir entre autres, Guillaume PAMBOU TCHIVOUNDA, Les grandes dcisions de la jurisprudence administrative du Gabon,

    Pedone, 1994 ; Jacques Mariel NZOUANKEU, Les grandes dcisions de la chambre administrative sngalaise, Tome 1, Publications de la RIPAS, 2

    e d. 1984 ; Martin BLEOU et Francis WODIE, La chambre administrative de la Cour suprme et sa

    jurisprudence, Economica, 1981 ; Salif YONABA, Les grandes dcisions de la jurisprudence burkinab, droit administratif, Coll. Prcis de droit burkinab, 2004 ; du mme auteur, La pratique du contentieux administratif en droit burkinab de lindpendance nos jours, Presses universitaires de Ouagadougou, 2008 ; Ahmed Tidjani BA, Droit du contentieux administratif burkinab, Coll. Prcis de droit burkinab, 2007 ; Jean du Bois de GAUDUSSON, La jurisprudence administrative des Cours Suprmes en Afrique , in Grard CONAC et Jean du Bois de GAUDUSSON (dir.), Les Cours Suprmes en Afrique, La jurisprudence administrative, vol 3, Economica, 1988 ; Recueil (non annot) des Arrts de la Chambre administrative de la Cour Suprme de la Rpublique Centrafricaine (1982-1995), d. Giraf et Agence intergouvernementale de la francophonie, 2000. Outre les recueils, la production doctrinale est tout aussi foisonnante ; pour les plus rcentes couvrant lensemble des Etats africains francophones, voir entre autres : Placide MOUDOUDOU, Les tendances du droit administratif dans les Etats dAfrique francophone , Revue Juridique et Politique, n1, 2010, p. 43 97 ; Ydoh Sbastien LATH, Les caractres du droit administratif des Etats africains de succession franaise, vers un droit administratif africain francophone ? RDP, n5, 2011, p. 1254 1288.

  • 2

    activit administrative irrgulire, soit dobtenir une certaine compensation pour les prjudices quelle a

    pu leur causer. Jean-Marie AUBY et Roland DRAGO diront que le contentieux administratif remplit

    donc une fonction de protection des administrs contre ladministration. Il met les individus mme de

    prserver, dans la mesure prvue par la rgle de droit, leurs droits et intrts lencontre des exigences

    de laction administrative3.

    La finalit ainsi assigne au contentieux administratif en tant que mcanisme de protection des

    liberts publiques, appel par ses perfectionnements exprimer une conception librale de la socit a

    parfois t discute ; car le contrle dvolu un juge sur laction administrative peut ne rvler quune stratgie politique susceptible de fournir un exutoire lgal aux mcontentements dont tout rgime

    autoritaire redoute la fermentation4. Une autre fonction du contentieux administratif sera de servir

    dinstrument devant concourir une plus forte affirmation du pouvoir hirarchique en sassurant la garantie de la docilit de lensemble de ladministration. On verra alors dans le redressement par le juge des irrgularits administratives, le moyen dobliger les diverses autorits administratives au respect des rgles tablies par les autorits places la tte du corps politique. A cet gard, le contrle de la lgalit

    des actes administratifs constitue un des procds les plus efficaces pour mettre fin linobservation de ces rgles, et il joue un certain rle prventif en menaant ladministration de nouvelles sanctions en cas de renouvellement de lillgalit 5.

    On comprend qu la lumire de ces justifications varies du contentieux administratif, certains auteurs aient pu conclure que le droit administratif africain tait un droit engag, consistant beaucoup

    plus en une technique de rationalisation de laction administrative, destine assurer son efficacit, sa rigueur, sa cohrence au service des fins dtermines au sommet quen un contrepoids au profit des droits individuels

    6.

    Ces remarques, reconnat Alain BOCKEL, sont gnrales et mriteraient dtre nuances. La situation peut varier selon les pays, selon limportance et la ralit du contrle juridictionnel de ladministration ; elle peut varier aussi selon les secteurs de laction des pouvoirs publics7. La propension gnraliser lide que les Etats africains francophones nauraient connu quun droit administratif dexception, port valoriser les prrogatives de puissance publique, au lieu de les limiter8 est la consquence des choix oprs dans les annes 1970.

    Conscutivement, lquation se rvle dune simplicit aveuglante ; dans un contexte politique et institutionnel autoritaire domin par un parti unique ou caractris par une idologie marxiste-lniniste

    9,

    le droit ne paratrait pas en mesure de donner la socit une assise librale. Ce nest pourtant pas un moindre contraste que de constater que mme dans les rgimes unanimitaires et monopartisans, ou

    encore dans ceux qui se rclamaient du marxisme-lninisme, le choix de donner un juge

    ladministration na pas t remis en cause, et quune jurisprudence, sans toutefois se distinguer par la profusion, se construisait. Mme sous la dictature du proltariat et du parti unique au Bnin de 1985

    1989, la Chambre administrative de la Cour Suprme a t saisie de 111 recours soit une moyenne de

    27 28 par an10. A lchelle des Etats africains francophones, un bilan dress par le Professeur Jean du

    3 Jean-Marie AUBY et Roland DRAGO, Trait de contentieux administratif, LGDJ, 3

    e d. 1984, vol. 1 p. 15.

    4 Jean RIVERO, Droit administratif, Prcis Dalloz, 13

    e d. p. 299.

    5 Jean-Marie AUBY et Roland DRAGO, op cit, p. 16.

    6 Alain BOCKEL, Droit administratif, NEA, 1978, coll. Manuels et Traits, n 2, p. 36. ; Placide MOUDOUDOU, Les tendances

    du droit administratif dans les Etats dAfrique francophone , op cit, p. 46. 7 Alain BOCKEL, op cit, p. 37.

    8 Placide MOUDOUDOU, op cit, p. 46.

    9 Jean du Bois de GAUDUSSON, Trente ans dinstitutions constitutionnelles et politiques : points de repre et

    interrogations , Afrique Contemporaine, n 164, octobre-dcembre 1992, p. 52. 10

    Voir la communication de M. Andr LOKOSSOU, Conseiller la Chambre administrative du Bnin lors du sminaire dchanges et de perfectionnement consacr au Contentieux administratif et lEtat de droit , Marrakkech 14-21 dcembre 1996, Agence de la Francophonie, p. 215.

  • 3

    Bois de GAUDUSSON montre que ds les annes 1960, la justice administrative tait bien sollicite

    tant aux fins dannulation quaux fins de rparation11.

    Ces donnes ne revtent pas quun simple intrt historique ; elles montrent quen dpit de la

    faiblesse des saisines, et sauf certaines hypothses dclipse, le juge administratif nen a pas moins

    continu exercer son office sur recours des citoyens persuads de pouvoir obtenir la reconnaissance

    juridictionnelle de leurs droits. Il ne saurait donc tre question de nantiser ou de dvaloriser12

    luvre

    accomplie au motif quelle serait insuffisante ou imparfaite ; elle renferme incontestablement des acquis

    susceptibles de contribuer une meilleure intelligence du contentieux dans une vision densemble.

    Lintrt renouvel dune rflexion sur la protection des citoyens par le juge administratif merge des transformations rcentes ayant affect la plupart des Etats africains francophones. Les

    constitutions fondatrices de ce quil a t convenu dappeler le renouveau dmocratique des annes 1990

    13 ont cr les conditions dune modernisation politique et sociale par la conscration du pluralisme

    politique, la reconnaissance et la garantie des droits et liberts, laffirmation des principes de lEtat de droit

    14. Le statut des gouvernants sen est trouv valoris en consquence des procdures de dsignation rendues moins occultes et du corollaire de la responsabilit. Les citoyens pour leur part, longtemps

    contraints lunanimisme, cherchent dans le renouveau dmocratique fond sur lidologie des droits de lhomme, les moyens dexercer leurs droits et liberts dans leur plnitude, rsolus quils sont combattre tout pouvoir politique cens maner de leur libre choix, et qui voudrait leur opposer, selon la

    11

    Au Gabon, la Chambre administrative a rendu de 1963 1984 inclus, 247 arrts ; au Bnin, ce sont 333 arrts qui ont t rendus de 1962 1984. Au Niger, lactivit contentieuse sest rduite deux arrts de 1960 1974 et trois depuis 1974. En Rpublique centrafricaine, aprs une longue priode de lthargie, la Chambre administrative de la Cours Suprme a rendu cinq arrts depuis 1982 mais aucun ne porte sur le fond. Au Tchad, la Chambre administrative et financire a rendu 17 arrts de 1969 1976. La Chambre administrative de Cte dIvoire a rendu depuis 1963, 63 arrts au titre du contentieux dexcs de pouvoir et 9 dcisions de cassation, soit une soixantaine en 1980 ; au Sngal, ce sont 106 arrts au titre du contentieux de lannulation qui ont t rendus de 1960 1980 ; voir, Jean du Bois de GAUDUSSON, La jurisprudence administrative des Cours Suprmes en Afrique , op cit, p. 7. 12

    Il suffit de se reporter aux recueils annots de jurisprudence cits supra, et labondante production doctrinale suscite par le sujet pour sen convaincre. Sur chacun des pays africains, et entre autres, voir, Guy Jean Clment MEBIAMA, Lvolution du droit administratif congolais , Revue Juridique et Politique, n 2, 2008, p. 209 266 ; Demba SY, Le juge sngalais et la cration du droit administratif , in Dominique DARBON et Jean du Bois de GAUDUSSON (dir.), La cration du droit en Afrique, Karthala, 1997, p. 401 ; Max REMONDO, Le Droit administratif gabonais, LGDJ, 1987 ; Placide MOUDOUDOU, Droit administratif congolais, lHarmattan, 2003 ; Alain Serges MESCHERIAKOFF, Le Droit administratif ivoirien, Economica, 1982 ; Joseph-Marie BIPOUN-WOUM, Recherches sur les aspects actuels de la rception du droit administratif dans les Etats dAfrique noire dexpression franaise : le cas du Cameroun ; RJPIC, n3, 1972, p. 361 et suiv ; Ahmed Salem OULD-BOUBOUTT, Existe-t-il un contentieux administratif autonome en Mauritanie ? Rflexions propos dune dcision jurisprudentielle rcente , Penant, n 786 787, 1985, p. 58 et suiv ; Djedjro Francisco MELEDJE, Droit administratif et dcentralisation en Cte dIvoire , Communication lAtelier des acteurs cls de la Konrad Adenauer Stiftung sur Le Droit administratif et la dcentralisation en Afrique francophone , Dakar, Sngal, 18-19 fvrier 2010 ; Ibrahim SALAMI, Le recours pour excs de pouvoir : contribution lefficacit du procs administratif au Bnin (1990-2010) , Revue Bninoise des Sciences Juridiques et Administratives, n 25, 2011, p. 95 et suiv ; Csaire Foed S. KPENOUHOUN, Contribution lEtude du contentieux administratif au Bnin : 1990-2010, Thse pour le Doctorat en Droit Public, Universit Cheick Anta Diop, Dakar, janvier 2012. 13

    Gourmo L, Quelques rflexions sur la dmocratisation en Afrique , Mlanges Patrice GELARD, Montchrestien, 1999, p. 421 et suiv., Thodore HOLO, Dmocratie revitalise ou dmocratie mascule ? Les constitutions du renouveau dmocratique dans les Etats de lespace francophone africain : rgimes juridiques et systmes politiques , Revue bninoise des sciences juridiques et administratives, n 16, 2006, p. 17 et suiv. 14

    LEtat de droit implique en effet que la libert de dcision des organes de lEtat soit, tous les niveaux, limite par lexistance des rgles, dont le respect est garanti par lintervention dun juge ; voir Jacques CHEVALLIER, LEtat de droit et transformations, Les doctrines de lEtat de droit , Cahiers franais, n 288, octobre-dcembre 1998, p. 8 ; cf. en outre, Les Constitutions africaines, tome 1 et tome 2 ; textes rassembls par Jean du Bois de GAUDUSSON, Grard CONAC et Christine DESOUCHES, Bruylant-Bruxelles, la documentation franaise ; Grard CONAC, Les processus de dmocratisation en Afrique , in Grard CONAC (dir.), LAfrique en transition vers le pluralisme politique, Economica, 1993, pp. 11-41 ; Koffi AHADZI-NONOU, Les nouvelles tendances du constitutionnalisme africain, Afrique Juridique et Politique, juillet-dcembre 2002, vol.1 p. 39 et suiv.

  • 4

    formule de Georges BURDEAU, une autorit discrtionnaire. Enfin, le juge administratif retrouve dans

    ce renouveau politique, institutionnel et idologique, une position minente sans prcdent. Outre les

    pouvoirs qui sont traditionnellement attachs sa fonction de par les ressources de linterprtation15, il conquiert une redoutable prrogative, celle de faire prvaloir sur habilitation constitutionnelle, les ordres

    juridiques suprieurs sur la loi interne au sens formel au titre du contrle de conventionnalit16

    .

    Dans une telle configuration redessine par les nouvelles constitutions des annes 1990, et qui

    laisse voir une mutation de la vie politique et sociale au sein des Etats africains francophones, lobjet de la prsente tude sera de tenter dapporter des lments de rponse la question que voici : dans quelle mesure le juge administratif africain garantit-il la protection du droit aux citoyens contre

    ladministration ?

    Le problme ainsi pos dborde la question de la disponibilit ou de lexistence dun juge de

    laction administrative puisque cette existence remonte lpoque coloniale17. Il faudrait donc sattacher

    plutt montrer comment est organise cette protection pour finalement sinterroger sur le point de

    savoir si lobjectif ultime, les intrts des citoyens sont prservs par le juge.

    Il importera de rvaluer la fonction protectrice de la justice administrative la lumire de la

    mutation ds la fin du XIXe sicle du droit administratif peru non plus comme un droit de privilge

    pour ladministration mais comme un dispositif de protection des droits des administrs. Si lon admet

    donc que le remarquable essor du droit et du contentieux administratifs est inspir par le souci de donner

    aux administrs des garanties contre larbitraire, de poser des bornes lexercice du pouvoir

    administratif, il devient instructif dapprhender au regard des standards modernes de protection fournis

    par le droit compar les garanties procdurales mises en uvre dans la protection juridictionnelle de

    ladministr travers le recours pour excs de pouvoir et le recours de plein contentieux.

    Non moins instructif sera le travail de vrification de la part faite ladministr dans le procs. Il

    sagira de savoir si le juge administratif africain a pris conscience du fait que le requrant qui est

    lorigine du recours na pas pour but de contribuer llaboration des rgles gnrales, mais dobtenir

    de lui, lavantage positif que ladministration lui a refus tort ; non pas llaboration du droit, mais la

    satisfaction de son droit. La prise en considration de la personne du requrant sera la traduction

    concrte de cette prise de conscience.

    Le croisement de ces angles dapproche permettra dopposer les modalits de la protection

    juridictionnelle la finalit de celle-ci et de montrer que si cette protection se trouve garantie dans ses

    modalits (1re

    partie) elle apparat en revanche comme perfectible dans sa finalit (2e partie).

    15

    Jacques CHEVALLIER, Les interprtes du Droit , in Paul AMSELEK (dir.), Interprtation et Droit, Bruylant-Bruxelles, 1995, p. 115 et suiv. 16

    Outre linvocabilit devant le juge des stipulations des traits constitutifs des organisations dintgration (droit communautaire), la plupart des nouvelles constitutions africaines intgrent les conventions internationales relatives aux Droits de lhomme dans leurs dispositions et les considrent comme partie intgrante. Ds lors, ces conventions prennent place dans le bloc de lgalit auquel se rfre le juge administratif dans son contrle de laction administrative. Le juge peut tre ainsi amen sur ce fondement exercer un contrle de conventionnalit de la loi en cas de contrarit et carter cette dernire ; certaines constitutions africaines linstar de celle du Togo du 14 octobre 1992 prvoient par ailleurs, lexception dinconstitutionnalit ; voir Jean du Bois de GAUDUSSON, Grard CONAC, Christine DESOUCHES, Les Constitutions africaines, op cit. 17

    La France avait cr par un dcret du 14 octobre 1920, un Conseil du contentieux administratif, anctre des juridictions administratives modernes, dans chacune de ses dpendances. Un autre dcret du 13 dcembre 1944 les supprimera pour crer un Conseil du contentieux unique pour toute lAfrique occidentale franaise. Au Togo, territoire sous tutelle, cest un dcret du 23 novembre 1954 qui organisa le Conseil du contentieux administratif, lequel sera transform par une loi du 3 mars 1958 en Tribunal administratif ; voir, Ahmed Tidjani BA, Droit du contentieux administratif burkinab, op cit, p. 23 et suiv.

  • 5

    PREMIERE PARTIE

    UNE PROTECTION JURIDICTIONNELLE GARANTIE DANS SES MODALITES

    A linverse du droit administratif franais base essentiellement jurisprudentielle18, le droit

    administratif des Etats africains francophones a un fondement principalement, sinon exclusivement

    lgislatif19

    . On aurait alors pu craindre que les fondements lgislatifs du droit administratif africain

    eussent consist en la seule protection de ladministration, et conduit le juge orienter ce droit sur des

    bases dominante autoritaire. Bien au contraire, port par un souci de perfectionnement de lEtat de

    droit le juge a su promouvoir dans le cadre des deux grandes voies de droit que constituent le recours

    pour excs de pouvoir20

    et le recours de pleine juridiction21

    un contrle mnageant dune part

    ladministration des espaces de libert en labsence desquelles sa paralysie serait nocive lintrt

    gnral, et dautre part, fixant des limites sans lesquelles, les citoyens seraient dpourvus de toute

    garantie. On sen aperoit travers linterprtation constructive de la demande du requrant (A) et le

    souci de rquilibrer la position des parties dans la conduite du procs (B).

    A- LINTERPRETATION CONSTRUCTIVE DE LA DEMANDE DU REQUERANT

    Le juge administratif africain exerce ce pouvoir dinterprtation lgard de lacte introductif

    dinstance tout en le conciliant avec les principes fondamentaux qui rgissent linstance administrative.

    Une telle interprtation permet au juge de porter remde des irrecevabilits (1) ou, jouant sur

    lordonnancement complet des cas douverture, il parvient retenir une lecture souvent favorable au

    requrant du fondement de la demande (2).

    1- La rduction des causes dirrecevabilit

    Les deux grandes voies de droit que sont le recours pour excs de pouvoir et le recours de plein

    contentieux dans ses lments les plus caractristiques tels que le contentieux des contrats et celui de la

    responsabilit22

    permettent de mieux situer la marge de manuvre du juge.

    De faon gnrale, dans un cas comme dans lautre, le juge sestime fond suppler ce quil

    estime tre une rdaction maladroite de lobjet de la demande pour faire produire celle-ci un effet

    utile ; ce sera le cas, lorsquinvit censurer une illgalit, il estimera que lacte qui nest ni sign et 18

    Voir les ouvrages classiques de droit administratif dont entre autres : Ren CHAPUS, Droit administratif gnral, Tome 1, Montchrestien, 15

    e d., 2001 ; Yves GAUDEMET, Droit administratif, LGDJ, 18

    e d., 2005 ; Pierre DELVOLVE, Le Droit

    administratif, Dalloz, Prcis, 21e d., 2006.

    19 Ydoh Sbastien LATH, Les caractres du droit administratif des Etats africains de succession franaise op cit, p. 1265 ;

    Jean-Marie BIPOUM WOUM, Recherches sur les aspects actuels de la rception du Droit administratif dans les Etats dAfrique noire dexpression franaise : le cas du Cameroun , RJPIC, 1972, pp. 359 et ss. ; Alain BOCKEL, Le contrle juridictionnel de ladministration , in Les Institutions administratives des Etats francophones dAfrique noire, Centre dEtudes juridiques comparatives de lUniversit de Paris I, Economica, 1979, pp. 197 et suiv. ; du mme auteur, Recherche dun droit administratif en Afrique francophone , Revue Ethiopiques, octobre 1978, n 16, pp. 66 et ss. 20

    Il sagit pour le juge dans le cadre de ce recours de statuer en droit sur la validit dun acte administratif ; cf. Emmanuel LANGAVANT et Marie-Christine ROUAULT, Le contentieux administratif, op cit, p. 48. 21

    Ce type de recours amne le juge administratif statuer sur les droits des parties, quil apprcie en fait et en droit et pour lesquels il jouit des pouvoirs les plus tendus. Il peut condamner ladministration verser des indemnits ; voir Emmanuel LANGAVANT et Marie-Christine ROUAULT, ibid. 22

    Edouard LAFERRIERE, Trait de la juridiction administrative et des recours contentieux, Berger-Levrault, 1887-1888 ; rd. LGDJ, 1989 ; Ren CHAPUS, Droit du contentieux administratif, Montchrestien, 10

    e d. P. 185 ; Roland DRAGO et Jean-Marie

    AUBY, Trait du contentieux administratif, t. II, 3e d. LGDJ, 1984, p. 79-81 ; Andr HEILBRONNER, Recours pour excs de

    pouvoir et recours de plein contentieux , D. 1953, p. 183 ; Stphane DOUMBE-BILL, Recours pour excs de pouvoir et recours de plein contentieux, A propos de la nouvelle frontire , AJDA 1993, p. 3.

  • 6

    qui ne porte pas de nom, doit tre considr comme inexistant et entraine une disqualification du

    recours pour excs de pouvoir en dclaration de nullit 23

    ; ou encore il redressera lobjet de la

    demande en considrant que lintroduction de rparations financires dans son recours donne ce

    dernier le caractre de recours de plein contentieux soumis lobligation de recours pralable avant

    tout contentieux 24

    . Les rgles de comptences, souvent dordre public, rservent la juridiction

    administrative suprme, le jugement en premier et dernier ressort de lexcs de pouvoir des autorits

    excutives25

    , les juridictions de fond tant juges de droit commun du contentieux indemnitaire ; dans ce

    cas, le juge statue sur les conclusions tendant lannulation de lacte et soulve pour le surplus des

    conclusions, lexception de recours parallle26.

    En excs de pouvoir, le juge interprte les conditions de recevabilit avec libralisme pour le

    requrant. Sagissant de la rgle de la dcision pralable qui fait obligation au plaideur, pralablement

    tout recours contre ladministration, de solliciter delle une dcision sur la prtention quil se propose de

    soumettre au juge27

    lirrecevabilit nest pas oppose pour dfaut de dcision pralable lorsque le

    demandeur na pu produire la dcision attaque ds lors qu au regard de lensemble des circonstances

    de laffaire, le juge peut tablir lexistence dune dcision contre laquelle le recours est recevable28. De

    mme, linstar de son homologue franais29, le juge administratif africain admet que le dfaut de

    dcision administrative est couvert par la rponse au fond de ladministration dans le cadre de la

    discussion contradictoire devant lui. Ce correctif apparait de faon explicite la lecture des motivations

    des arrts tendant relever le requrant du chef dirrecevabilit tir de labsence de dcision parallle :

    attendu que de jurisprudence constante, labsence de dcision pralable rend le recours irrecevable ;

    attendu cependant que, lorsque ladministration rpond aux prtentions des requrants, sa rponse

    constitue la rponse pralable explicite liant le contentieux30

    . Ce libralisme procde dun emprunt

    manifeste la jurisprudence administrative franaise qui, en dehors des hypothses dcrites, admet la

    recevabilit dune requte laquelle la dcision attaque nest pas jointe si celle-ci na t ni notifie ni

    publie et si ladministration refuse den donner copie31. Labsence de production nest pas une fin de

    non-recevoir souleve doffice par le juge, qui doit inviter le requrant rgulariser le pourvoi32. Le

    requrant peut encore demander au juge des rfrs, dordonner, sil y a urgence, ladministration de

    produire la dcision33

    .

    Relativement lacte fondant la crance du requrant, le souci de rduire les fins de non-recevoir

    est aussi manifeste dans le plein contentieux. En matire contractuelle, notamment dans le contentieux

    23

    CE Sngal, Arrt n 0058, ASC DIAL DIOP du 27. 04. 1994, Rec., n 1, juillet 1998, p. 62. 24

    CS (CA) Burkina Faso, Arrt n 018 du 08. 02. 2000 ; Aff. OUOBA Tianiagou Lucien c/ Etat Burkinab, indit. 25

    Tel est par exemple le cas au Bnin, art. 35 de la loi n 2004-07 du 23 octobre 2007 portant composition, organisation, fonctionnement et attributions de la Cour Suprme ; voir sagissant du Sngal, Oumar GAYE et Mamadou Seck DIOUF, Le Conseil dEtat et la pratique du recours en annulation, Dakar, d. 2001 ; cest galement le cas au Togo ; voir art. 125 de la Constitution du 14 octobre 1992 rvise par la L.C. du 31 dcembre 2002. 26

    CS (CA) du Sngal, 4 mai 1977, Abdoulaye BA c/ Rgie des Chemins de fer du Sngal, in Oumar GAYE et Mamadou Seck DIOUF, op cit, p. 49. 27

    Raymond GUILLIEN, Dcision pralable et distinction des contentieux Mlanges Stassinopoulos, 1974, p. 259 28

    Voir CS (CA) du Togo, ordonnance n 2008-01/CA/du 03 janvier 2008, Affaire : Chambre nationale des huissiers du Togo c/ le garde des sceaux, ministre de la justice, et notre article Une arlsienne dans le prtoire du juge de lexcs de pouvoir : retour sur les effets de lacte administratif occulte crateur de droits , Revue Togolaise des Sciences Juridiques, Juillet-Dcembre 2011, n 0001, p. 76 et suiv. 29

    CE, 25 mars 1936, Toussaint, Rec., 376. 30

    CS (CA) Burkina Faso, 10. 08. 1993, Mme Valentino et vingt autres ; voir Salif YONABA, Les grandes dcisions, op cit, p. 137. 31

    CE, 4 janvier 1957, Messin, Rec., p. 10. 32

    CE, 26 novembre 1982, Le Berre, req. n 34974. 33

    CE, 23 fvrier 1979, S. A., Sirugue, Rec., p. 85.

  • 7

    de la commande publique, le Conseil dEtat gabonais affirme que La lgislation en vigueur en matire

    dexcution de la dpense publique exige une commande (convention) de lEtat, une facture pro forma,

    des factures certifies et surtout un procs verbal de rception des travaux 34

    . Sur cette base, la Haute

    juridiction rejette la demande tendant faire condamner lEtat gabonais payer au requrant la somme

    de 51.050.255 francs majore de 100.000.000 de francs titre de dommages-intrts au motif qu en

    labsence de tels documents au dossier, la demande de la socit Batimaq est insuffisamment

    justifie 35. Cette apparente rigueur conduit galement carter la demande en rparation dun

    requrant qui, ne prsentant aucune convention le liant lEtat argue que les travaux ont t faits dans

    lurgence et que par ailleurs, dans la pratique commerciale quotidienne, les contrats peuvent avoir

    simplement une forme verbale 36

    . Mais il arrive aussi souvent que le juge retienne quau vu des pices

    du dossier et notamment les factures et les diverses correspondances changes par les

    administrations consacrent leffectivit et le montant des travaux raliss et, partant, du service fait par

    le requrant au profit de ladministration, que la crance tant ainsi justifie, il y a lieu de faire droit

    la demande prsente 37

    .

    Dans le contentieux de la responsabilit de la puissance publique, laide que le juge cherche

    apporter au requrant ne lempche pas dexciper dune irrecevabilit tire de la rgle de la prescription

    quadriennale, selon laquelle le crancier dune personne publique ne dispose que dun dlai de quatre

    ans compter du 1er

    janvier suivant la naissance de sa crance, pour en rclamer le paiement la

    personne publique dbitrice38

    . Dans un obiter dictum dune remarquable porte pdagogique, le Conseil

    dEtat gabonais fait application de cette rgle dans une des motivations dont les termes mritent dtre

    rappels : Considrant que ladministration, qui poursuit un but dintrt gnral, ne saurait

    saccommoder de la remise en cause systmatique ou permanente de son action par les usagers du

    service public ; Que ds lors, le particulier qui sestime ls par le fonctionnement de lAdministration,

    doit, pour obtenir un droit rparation, engager son action dans un dlai raisonnable, compatible avec

    le souci de prservation de lintrt gnral ; do il suit quil doit se mettre en instance devant

    ladministration ds quil a connaissance du fait gnrateur de son dommage, la prescription courant

    partir du 1er

    janvier de lanne suivant le fait dommageable pour steindre le 31 dcembre de la

    quatrime anne 39. Ainsi entendue, la rgle nen amnage pas moins une marge de manuvre tant

    lgard du juge qu celui des autorits administratives ; car si celles-ci ne peuvent y renoncer, les

    cranciers peuvent en revanche tre relevs de tout ou partie de la prescription40

    . En France, le Conseil

    dEtat a dcid que lexception de dchance quadriennale nest pas dordre public, et quil nappartient

    donc pas au juge de la soulever doffice41.

    Cest le contentieux de lexcs de pouvoir qui offre loccasion de mieux percevoir leffort du

    juge tendant porter remde aux irrecevabilits lies lexpiration des dlais. Le juge administratif 34

    CE Gabon, 25 juin 2010 Socit Bitamaq c/ Etat gabonais , Rpertoire n 31.09.10. 35

    Ibid. 36

    CE Gabon, 28 mai 2010, Ets Roc Sculaire c/ Etat gabonais ; Rpertoire n 26.09.10. 37

    CE Gabon, 25 juin 2010, Limza Construction c/ Etat gabonais, Rpertoire n 32.09.10 ; dans le mme sens, CE Gabon, 25 juin 2010, Gabonaise de Menuiserie et Btiment c/Etat gabonais, Rpertoire n 34.09.10. 38

    Charles DEBBASCH, Jean-Claude RICCI, Contentieux administratif, op cit, p. 229 ; Ren CHAPUS, Droit du contentieux administratif, op cit, p. 681 ; Olivier GOHIN, Contentieux administratif, Litec, 5

    e d., 2007, p. 221.

    39 Le requrant qui estimait avoir t victime dune radiation abusive des forces de police nationale a saisi le Conseil dEtat

    aux fins dobtenir rparation du prjudice rsultant pour lui de cette viction ; cf., CE Gabon, 30 avril 2010, Moutikali Jean-Robert c/ Etat gabonais, Rpertoire n 16. 09-10. 40

    CE 31 janvier 1996, Laplaud et autres, Rec., p. 1082. Sont contestables par la voie du recours pour excs de pouvoir les refus de relever les cranciers des personnes publiques (notamment en raison de leur situation) de la prescription encourue ; voir Ren CHAPUS, Droit du contentieux administratif, op cit, p. 681. 41

    CE 25 janvier 1985, Commune de Sanary-sur-Mer et de Bandol, DA 1985, n 133.

  • 8

    bninois tient compte de la parution irrgulire du journal officiel pour retenir que le requrant na pu

    alors introduire son action que du jour o il a eu connaissance de ce texte ; quil chet en consquence

    de dcider que son recours est recevable 42. Le mme juge tenant compte dune promesse de rglement

    amiable non tenue de lautorit administrative et de ltat squellaire en particulier neurologique,

    psychiatrique, urologique et diabtique grave du requrant43, admet la recevabilit dun recours

    exerc largement hors dlai (soit plus de deux ans aprs le recours administratif pralable). La forclusion

    nest galement pas encourue lorsque ladministration, par des promesses qui ne seront pas tenues laisse

    entrevoir des perspectives de rglement lamiable44 ou encore quand elle ngocie lexcution de la

    dcision illgale moyennant une compensation45

    .

    Ce pragmatisme du juge bninois, engag privilgier lintrt du requrant46, se retrouve dans

    les autres pays africains, notamment en Cte dIvoire o des faits de guerre peuvent dsormais fonder

    un relvement de forclusion47

    , au Niger o la Chambre administrative de la Cour Suprme dcide quun

    recours prmatur, par le seul souci pour le requrant de ne pas rater la rentre universitaire doit tre

    dclar recevable 48

    .

    Lintrt agir des requrants est aussi largement entendu. Alors que le recours de plein

    contentieux tend la reconnaissance dun droit subjectif, et est rserv au titulaire de ce droit, le recours

    pour excs de pouvoir, recours objectif, exige seulement du requrant quil ait intrt lannulation.

    Cela veut dire que la dcision attaque doit avoir une incidence sur sa situation personnelle, qui se

    trouvera amliore si elle disparat49. Linterprtation souple de cette notion permet au juge bninois

    dadmettre quune personne ayant achet une parcelle de terrain pour son fils justifie dun intrt

    suffisant pour contester la lgalit du permis dhabiter dlivr une autre personne sur ladite parcelle50.

    Tout comme la circonstance que le Chef de lEtat et son premier Ministre appartiennent la mme

    personne morale, (principe de lunit de lEtat) na pas paru faire obstacle ce que le juge nigrien

    reconnaisse lintrt du premier contester la lgalit des dcrets dicts par le second51, une telle

    solution pouvant sexpliquer que faute dun lien de subordination hirarchique entre les deux autorits,

    lintrt agir se trouve tre dict par la dfense de la lgalit52.

    42

    CS (CA) Bnin, Arrt n 8, du 21 juin 1994, Zokpe Albert c/ Etat bninois, Rec., 1994, p. 96. 43

    CS (CA) Bnin, Arrt n 40, du 20 septembre 2001, Lucien NAGNONHOU c/ Etat bninois. 44

    CS (CA) Bnin, Arrt n 25, du 24 octobre 1997, Stphane Franois Djossinou AHOUANDJINOU c/ Ministre des Finances, Rec., 1997, p. 180. 45

    CS (CA) Bnin, Arrt n 62, du 07 octobre 1999, ARABA Houdozin c/ Prfet de lOum, Rec., 1999, p. 244. 46

    Ibrahim D. SALAMI, Le recours pour excs de pouvoir : contribution lefficacit du procs administratif au Bnin, 1990-2010 , Revue Bninoise des Sciences Juridiques et Administratives, N 25, 2011, p. 95 et suiv. 47

    CS (CA) Cte dIvoire, Arrt n 13 du 19 avril 2006, Tiad LAMA c/ Ministre de la Fonction Publique, indit. 48

    CS (CA) Niger, Arrt 94-9/A, du 06 octobre 1994, Maman Abdou Aboubacar c/ Doyen de la FSEJ, Revue Nigrienne de Droit, n 00, 1999, p. 142 146 ; voir galement pour un recours prcoce jug recevable au Bnin, CS (CA), Arrt n 36, du 06 juillet 2000, ALOMA Jonas c/ Prfet de lAtlantique, Rec. 2000, p. 141. 49

    Jean RIVERO, Droit administratif, op cit, p. 307. 50

    CS (CA) Bnin, Arrt n 73, du 16.11.2000, GANGBAZO Justine c/ Prfet de lAtlantique, Rec., 2000, p. 249. 51

    CS (CA) Niger, Arrt n 96-08/A, du 14.02.1996, Prsident de la Rpublique c/ Premier Ministre, Rec., n 31, 1996, p. 290. Voir de ce point de vue la motivation de larrt : Considrant ainsi que le Premier Ministre, quelques nobles que puissent tre ses intentions, ne saurait sarroger de pouvoir quaucun texte ne lui confre ; que cest donc lgitimement que le Prsident de la Rpublique, dont les intrts se trouvent menacs par lintervention dactes pris par une autre autorit qui na point comptence pour les prendre, agit en vue de faire cesser le trouble ainsi caus ; que largument tir du dfaut dintrt agir du requrant ne saurait non plus tre retenu ; CS (CA), Arrt n 96-08/A, du 14.02.1996, Prsident de la Rpublique c/ Premier Ministre, Rec., n 31, 1996, p. 290. 52

    Jean-Francois LACHAUME et Hlne PAULIAT, Les grandes dcisions de la jurisprudence, Droit administratif, Puf, coll. Thmis, 2007, p. 691.

  • 9

    Le libralisme observ dans lexamen des conditions de recevabilit gagnera encore en efficacit

    sil trouve un prolongement dans la technique de la rgularisation ; car un requrant attend du juge la

    solution du diffrend qui loppose ladministration. Une dcision dirrecevabilit, quels quen soient

    les motifs, est perue par les administrs comme un dni de justice53

    .

    En tenant compte de la nature de la formalit, lirrecevabilit ne devrait tre souleve doffice

    par le juge que dans le cas o le demandeur, dabord invit rgulariser son recours, sest abstenu de

    donner suite cette invitation. Un exemple de cette technique est fourni par la Chambre administrative

    de la Cour suprme du Niger qui, dans une espce, relve que le requrant ayant t invit justifier de

    laccomplissement des formalits des articles 127 et 133 de loi 90-10 du 13 juin 1990, savoir lexigence

    du recours administratif pralable et la production de la dcision attaque, considrant que deux

    correspondances lui ont t adresses sans quil fasse les diligences ncessaires dclencher la

    procdure ; considrant que cette omission na pas t rpare par le requrant 54

    Le travail dclaireur de la volont du requrant que le juge sestime fond entreprendre ne

    sarrte pas lexamen des conditions de recevabilit de la demande ; celle-ci renferme des cas

    douverture qui nchappent pas au pouvoir dinterprtation du juge.

    2. Lapprciation du fondement juridique de la demande

    Devant le juge administratif, lexamen au fond de la requte est conditionn par un certain nombre

    dlments : les parties doivent prsenter des conclusions qui contiennent dune part, lobjet de la

    demande, c'est--dire ce que demande le requrant, ses prtentions, le rsultat quil attend (lannulation

    dun acte administratif, une somme dargent) ; dautre part les moyens de fait et de droit, c'est--dire

    largumentation sur laquelle elles se fondent pour justifier leur demande, dmontrer et expliquer le bien-

    fond de lobjet de cette demande. Les moyens invoqus sont fonds sur une ou plusieurs causes

    juridiques 55

    ; la cause juridique est couramment dfinie comme le fondement juridique de la demande en

    justice56

    . Elle est un groupement de moyens opr pour des raisons de logique57. En France, cest en

    matire contractuelle que le Conseil dEtat a commenc par faire application de la notion de cause58 ; par la

    suite, la thorie de la cause a fait une entre remarque dans le contentieux de lannulation par la clbre

    dcision Socit Intercopie59

    . La difficult de distinguer les moyens de la cause vient daprs Charles

    DEBBASCH et Jean-Claude RICCI, de ce que ces deux lments concourent un mme but : fonder la

    53

    Voir Grard CONAC, Le juge et la construction de lEtat de droit en Afrique , Mlanges Guy Braibant, Dalloz, 1996, p. 117 ; Alain BOCKEL, Le juge et ladministration en Afrique noire. Introduction ltude du problme , Annales Africaines, 1971-1972, pp. 9 et ss. ; Alban COULIBALY, La rnovation de la justice en Afrique : le rle de la justice dans la construction de lEtat de droit , RJPIC, janvier-avril 1999, n 1, pp. 50 et ss. 54

    CS (CA) Niger, Arrt n 93-9/A, du 11.11.1993, Rec., n 28, 1993, p. 211. 55

    Franois COLLY, Aspects de la notion de cause juridique de la demande en justice dans le contentieux administratif de pleine juridiction , RFDA, 3 (5), sept-oct. 1987, p. 787. 56

    Jacques MOREAU, La cause de la demande en justice dans le contentieux de la responsabilit administrative extra-contractuelle Mlanges Stassinopoulos, Athnes 1974, p. 77 et suiv. 57

    Charles DEBBASCH, Jean-Claude RICCI, Contentieux administratif, op cit, p. 343 ; Franois COLLY, op cit, p. 787, estime que Thoriquement la notion de cause juridique de la demande constitue lune des pices permettant dappliquer le principe de limmutabilit de linstance . Ce principe signifie que les lments constitutifs de linstance contentieuse dtermins par les parties tels que lobjet et la cause de la demande, ne peuvent pas tre modifis aprs lengagement du processus contentieux. Ainsi, partir dun moment donn, le lien juridique cr entre demandeur et dfendeur ne peut plus tre modifi ; il est en quelque sorte cristallis . Il convient en effet que le cadre du litige port devant le juge soit clairement et nettement fix et ne puisse tre modifi ou tendu par la suite au gr de linspiration des parties et de leurs avocats 58

    Ibid ; 59

    CE Sect. 20 fvrier 1953, Socit Intercopie, Rec., 88.

  • 10

    demande. La cause fonde directement lobjet de la demande. Les moyens ne peuvent ltablir qu travers

    la cause. Aussi les qualifie-t-on de causa remota de lobjet par opposition la cause, causa proxima60.

    Dans le plein contentieux, les causes juridiques correspondent aux principes divers sur lesquels

    peuvent se fonder les recours ; ce sera par exemple le cas dune demande dindemnit fonde sur

    limprvision, la nullit ou la violation dun contrat ; la faute de service ou le risque en matire de

    responsabilit. En revanche, depuis la jurisprudence de principe Socit Intercopie de 1953, deux causes

    juridiques ont t distingues dans le contentieux de lexcs de pouvoir : la lgalit externe

    (lincomptence et le vice de forme ou de procdure) et la lgalit interne (la violation de la loi et le

    dtournement de pouvoir)61

    .

    Quoique la notion de cause elle-mme soit rare dans les dcisions des juridictions

    administratives africaines62

    , les requrants ne fondent pas moins leurs recours sur les diffrents

    fondements juridiques relevant du plein contentieux ou de lexcs de pouvoir, et susceptibles de faire

    triompher leurs prtentions.

    Dans le contentieux de lannulation, et notamment en excs de pouvoir, des moyens de lgalit

    externe sont invoqus et des annulations prononces sur leur fondement. Ainsi, mane dune autorit

    incomptente et encourt lannulation de par sa gravit la sanction inflige un fonctionnaire en

    dtachement par le directeur de linstitution daccueil, une telle sanction ne pouvant maner que de

    ladministration de tutelle63. La mme sanction est prononce pour violation des rgles de procdure

    lorsque dans lexercice de la police concernant les difices menaant ruine, le Prfet sans une mise en

    demeure du maire se substitue lui pour prendre directement la mesure concerne64

    ; ou encore lorsque

    le ministre de la dfense, au lieu de placer un gendarme objet de poursuites pnales en position de non

    activit par mesure de discipline, soit jusqu son jugement, soit jusqu ce quune dcision de non-lieu

    intervienne en sa faveur, le raye dfinitivement des effectifs de larme65.

    La jurisprudence relative aux recours fonds sur les moyens de lgalit externe est anime par

    deux ides : accorder des garanties aux administrs dans un but de concertation et permettre galement

    ladministration dtre bien informe ; viter dannuler tout acte entach dun vice de forme ou de

    procdure pour ne pas se voir reprocher un formalisme pointilleux66

    . Cest pourquoi, linstar du

    Conseil dEtat franais, le juge administratif africain distingue les formalits substantielles, dont la

    60

    Charles DEBBASCH, Jean-Claude RICCI, Contentieux administratif, op cit, p. 314. 61

    Olivier GOHIN, Contentieux administratif op cit, p. 234. 62

    Non seulement la notion elle-mme y est rare sinon inexistante, mais encore les auteurs sintressant la matire ne lvoquent presque pas. Il est vrai quen France, la notion ne se distinguant pas par une grande cohrence surtout dans le plein contentieux, une partie de la doctrine propose son abandon au moins dans ce type de contentieux ; voir larticle de Franois COLLY, op cit, p. 800 ; et pour lensemble du contentieux administratif, Mathilde SAUSSEREAU, La cause de la demande a-t-elle encore une place en contentieux administratif ? Lapport de la procdure civile la rflexion , RDP, n 2, 2003, p. 630 et suiv. 63

    CS (CA) Burkina Faso, 24 juin 1994, ROUAMBA Julien; voir Salif YONABA, Les grandes dcisions , op cit, p. 149. 64

    CE Sngal, Arrt n 0023, du 17.08.2000, Bada DIOUF et autres c/Etat du Sngal, Rec., n 2, mars 2001, p. 47. 65

    CS (CA) Niger, Arrt n 95-003/A, 08.04.1995, Rec., n 30, 1995, p. 270. 66

    Emmanuel LANGAVANT, Marie-Christine ROUAULT, Contentieux administratif, Masson, 1987, p. 233 ; Ren DEGNI-SEGUI, Le contrle sur ladministration ivoirienne par la voie du recours pour excs de pouvoir , in Grard CONAC (dir.) Les Cours suprmes en Afrique, Economica, 1988, T. III, pp. 145 et ss. ; Thodore HOLO, Le contrle de la lgalit et la protection des administrs au Bnin , Revue Bninoise des Sciences Juridiques et Administratives, 1985, n 5, pp. 403 et suiv. ; Guy Jean Clment MEBIAMA, Lvolution du droit administratif congolais , RJP, 2008 n 2, pp. 209 et ss. ; Demba SY, Prs de deux sicles de justice administrative au Sngal : entre continuit et changement , Revue Droit crit, 2006, n 5, numro spcial, pp. 181 et ss. ; du mme auteur, Lvolution du droit administratif sngalais , EDJA, octobre-novembre-dcembre 2005, n 67, pp. 39 et ss.

  • 11

    mconnaissance par lacte entranera lannulation, de celles qui sont accessoires, dont la

    mconnaissance ny conduira pas67 ; de sorte que le juge sngalais aprs avoir conclu lirrgularit

    entachant une mesure du ministre du travail opposant tort la tardivet un recours hirarchique, dcide

    que cette irrgularit peut cependant tre rpare, lautorit tant en mesure en lespce de prendre

    une dcision de mme contenu sans violation de la chose juge 68

    ; consquemment, le juge renvoie

    laffaire devant la mme autorit pour y tre nouveau statu69.

    Le juge prserve les intrts des requrants sans toutefois paralyser indment laction

    administrative. La mme logique est en uvre lorsque sont invoqus devant lui les moyens de lgalit

    interne que sont la violation de la loi ainsi que le dtournement de pouvoir70

    . Mais avant de fournir des

    indications sur les diffrentes hypothses qui font intervenir le juge au titre des recours fonds sur ces

    moyens, il y a lieu de faire remarquer le travail de purification de lordre juridique effectu par le juge

    administratif africain, souvent amen entreprendre un travail de conciliation entre noncs lgislatifs

    ou rglementaires et principes jurisprudentiels, contribuant ainsi prserver la hirarchie des normes.

    Les juges ont t souvent confronts des cas dans lesquels les requrants sur le fondement du principe

    dgalit des agents publics devant le service public, invoquent le bnfice davantages irrgulirement

    procurs dautres agents, ladministration nayant pu corriger dans les dlais requis lerreur gnratrice

    davantages. Laide que le juge tente dapporter au requrant afin dviter quil soit victime de sa

    mconnaissance des rgles de droit nira pas jusqu lapplication sans discernement de ladage error

    communis facit jus ; aussi le juge bninois dcide que sil est vrai quen droit administratif, lerreur

    dans certains cas et aprs un dlai de deux mois devient un acquis en application du principe de

    lintangibilit des effets individuels de lacte administratif ou principe des droits acquis au maintien des

    situations individuelles dfinitives, il est aussi certain que personne ne peut allguer du fait quune

    erreur ait profit dautres pour rclamer lapplication ou le bnfice de lacte erron 71. Le juge

    burkinab se range aussi cet avis ; le principe dgalit ne doit pas tre entendu en mconnaissance des

    lois72

    .

    Ce travail de clarification de lordonnancement juridique se nourrit de lexamen des moyens de

    lgalit interne, ceux-l qui critiquent le contenu objectif (la violation de la loi) ou subjectif de lacte (le

    dtournement de pouvoir)

    La violation de la loi, aspect objectif des moyens de lgalit interne renferme la violation directe

    de la rgle de droit, lerreur de droit, lerreur relative aux motifs73. La violation directe de la rgle de

    droit se rencontre lorsque lacte attaqu porte atteinte la hirarchie des normes. Tout acte administratif

    dont le contenu est incompatible avec une norme suprieure en donne une illustration74

    . Le juge

    administratif africain prononce de nombreuses annulations de ce chef ; ainsi dun dcret qui apporte des

    67

    Ibid. ; Magloire ONDOA, Le droit administratif franais en Afrique francophone : Contribution ltude de la rception des droits trangers en droit interne , RJP, 2002, n 3, pp. 287 et ss. 68

    CE (Sngal), Arrt n 0013, 27-10-1993, SONAGRAINES c/Etat du Sngal, Rec., n 1, juillet 1998, p. 20. 69

    Ibid ; 70

    Ren CHAPUS, Droit administratif, op cit, p. 1011 et suiv. ; Gilles LEBRETON, Droit administratif, Dalloz, 2009, 5e d., p. 485

    et suiv. ; Jean RIVERO, Droit administratif, op cit, p. 320 et suiv. 71

    CS (CA) Benin, Arrt n 86/CA, 24.02..1994, ELET Michel c/Ministre du Travail et des affaires sociales, Rec., 1994, p. 64. 72

    CS (CA) Burkina Faso, Arrt n 15, du 26.08. 1983, KABORE Seydou et autres ; voir Salif YONABA, Les grandes dcisions de la jurisprudence burkinab, op cit, p. 103 ; voir aussi faisant application de la maxime Lex specialia generalibus derogant, CS (CA) Benin, Arrt, n 2/CA, du 04.05.1995, GBETI Thodore c/Prfet de lOueme, Rec., 1995, p. 80. 73

    Jean-Franois LACHAUME, La violation de la rgle de droit , Rpertoire Contentieux administratif, Dalloz, 2009, pp. 1 74. 74

    Gilles LEBRETON, Droit administratif, op cit, p. 491 ; Georges VEDEL, Pierre DELVOLVE, Droit administratif, Puf, Tome 2, 11

    e d., p. 305.

  • 12

    innovations la loi75

    ; dun arrt du ministre de la fonction publique pris en mconnaissance dune

    ordonnance76

    ; de la violation du principe dgalit rsultant du refus oppos par le Ministre de la

    fonction publique une demande de reclassement77

    . Est aussi invoque lerreur de droit ; cette-fois-ci la

    violation porte sur les motifs de droit qui ont abouti ladoption de lacte. Cest parfois une fausse

    interprtation de la loi ; elle peut aussi consister fonder une dcision sur un texte qui nest pas

    applicable. Cest le cas, lorsque lautorit administrative nomme dans le corps des sous-officiers

    dhygine des agents relevant de la fonction publique en se fondant sur un dcret applicable aux seuls

    agents titulaires du Diplme de lEcole des Techniciens du Gnie Sanitaire (section sous-officiers de

    lhygine)78. Par le contrle de lerreur relative aux faits, le juge contrle la matrialit des faits79, la

    qualification des faits ouvrant la voie au contrle de lerreur manifeste dapprciation80 et enfin le

    contrle de ladquation de la dcision aux faits. Ce dernier contrle dit maximum constitue le degr le

    plus pouss de contrle. Il ne sagit plus seulement de dire si les faits taient de nature justifier une

    dcision, mais de dterminer exactement si la mesure est bien celle qui pouvait tre prise81

    .

    La dernire critique susceptible dtre porte sur lacte administratif au titre des moyens de

    lgalit interne est le dtournement de pouvoir ; ce vice entache lacte administratif lorsque son auteur

    la pris dans un but psychologique qui ntait pas celui prvu par les textes82. En France, il a t soutenu

    que le dtournement de pouvoir est en voie de marginalisation voire de disparition ; cest que la preuve

    du dtournement de pouvoir est difficile apporter dans la mesure o ce que le requrant doit prouver

    est lintention psychologique de lauteur de lacte83. Malgr tout, la censure du dtournement de pouvoir

    reste larme ultime du juge administratif lorsquil veut sanctionner des attitudes particulirement

    scandaleuses de ladministration et quil nexiste pas dautre titre de sanction84. Lexamen de la

    jurisprudence administrative montre quen Afrique les requrants linvoquent et obtiennent souvent des

    annulations sur son fondement85. On peut penser quaussi longtemps que le juge pourra faciliter la tche

    au requrant, dans ltablissement de la preuve, ce moyen continuera dtre invoqu par les justiciables.

    Si dans le contentieux de lexcs de pouvoir le demandeur dfend le Droit, le plein contentieux

    lui fournit loccasion dinvoquer son droit ; au titre de ce dernier type de contentieux, les requrants

    saisissent le juge davantage sur le terrain de la responsabilit contractuelle et de la responsabilit

    extracontractuelle pour acte ou fait dommageable.

    75

    CE Sngal, Arrt n 0073, du 27.07.1994, Abdoulaye Lath DIOUF c/Etat du Sngal, Rec., n 1, 1998, p. 80. 76

    CS (CA) Benin, Arrt n 4/CA, du 05.05.1994, AGNIKPE Nicolas c/Ministre du Travail et des Affaires sociales, Rec., 1994, p. 69 77

    CS (CA) Niger, Arrt n 96/4/A, du 17.04.1996, Rec., n 31, 1996, p. 314. 78

    CE Sngal, Arrt n 0042, du 26.01.1994, Alla NGOM et autres c/Etat du Sngal, Rec., 1998, n1, p. 49. 79

    CE Sngal, Arrt n 140, du 26.06.1996, Al Path NDIAYE c/Etats du Sngal, Rec., n1, 1998, p. 113 ; CE Sngal, Arrt n 0012, du 29.06.2000, Association nationale des handicaps moteurs du Sngal c/Etat du Sngal, Rec., n 2, 2001, p. 28 ; CE Sngal, Arrt n 0041 du 26.01.1994, Cooprative des boulangers du March Zinc Bokk Jom c/ Etat du Sngal, Rec., n 1, 1998, p. 51 ; CE Sngal, Arrt n 0011, du 25.06.1997, Consortium dEntreprise (CDE) c/ Etat Sngal, Rec., n 1, 1998, p. 126. 80

    CE Sngal, Arrt n 0026, du 24.11.1993, Socit Industrielle Moderne des Plastiques Africaines dite SIMPA S.A. c/ Etat du Sngal, Rec., n 1, 1998, p. 35 ; CE Sngal, Arrt n 0122 du 30.08.1995, Senhgane NDIAYE c/ Etat du Sngal, Rec. n 1, 1998, p. 102; CE Sngal, Arrt n 0009 du 25.06.1997, Parti Dmocratique Sngalais c/ Etat du Sngal, Rec. n 1, 1998, p. 123 ; CE Sngal, Arrt n 0004 du 29.04.1998, Salif FALL c/ Etat du Sngal, Rec. n 2, 2001, p. 2. 81

    Ren CHAPUS, Droit administratif, op cit, p. 1048. 82

    Gilles LEBRETON, Droit administratif, op cit, p. 486. 83

    Ibid. 84

    Ibid. 85

    CS CA (Niger), Arrt n 96-12/A du 10.04.1996, Rec., n 31, 1996, p. 306 ; CE Sngal, Arrt n 0026 du 24.11.1993, Socit Industrielle Moderne des Plastiques Africaines dite SIMPA c/ Etat du Sngal, Rec., n 1, 1998, p. 35.

  • 13

    Les administrations africaines ne sont hlas pas toujours promptes payer le prix des fournitures,

    prestations ou services dcoulant des divers marchs conclus par elles. Cest donc au juge administratif

    que sadressent les contractants pour obtenir non seulement le paiement de leurs crances mais aussi la

    condamnation de lEtat des dommages et intrts ; ainsi ; le Conseil dEtat gabonais, dans une srie de

    dcisions, tout en faisant droit la requte prsente par le requrant jugera sur la demande de

    dommages et intrts quen privant lEntreprise LIMZA Construction de son d depuis plusieurs

    annes, lEtat gabonais lui a occasionn un prjudice certain que le Conseil dEtat arbitre

    souverainement la somme de cinq millions (5.000.000) de francs CFA 86

    . On rencontre de semblables

    situations devant les juges burkinab87

    ou centrafricain88

    sans lintervention desquels les crances des

    cocontractants nauraient pu tre constates et leurs paiements exigs de ladministration peu prompte

    se conformer ses obligations contractuelles.

    Le contentieux de la responsabilit extracontractuelle tout aussi foisonnant permet aux citoyens

    dobtenir rparation des prjudices causs par un fait ou une ngligence de ladministration ou par une

    dcision illgale ; le juge est appel examiner des recours fonds sur les divers chefs de responsabilit

    les plus courants savoir la faute prsume, le risque, la responsabilit sans faute fonde sur la rupture

    de lgalit devant les charges publiques89 ; constitue donc une faute ouvrant droit rparation, le fait

    davoir priv le requrant de son traitement non seulement pendant la dure de sa dtention prventive

    mais encore jusqu sa retraite alors mme quil na fait lobjet ni dune sanction disciplinaire, ni dune

    sanction pnale90

    ; lest galement le dfaut dentretien ou mauvais entretien des voies publiques91 ;

    rparation sera aussi due la Sage-femme qui, manipulant une bouteille doxygne reoit un jet qui lui

    brle le visage alors que ltat dfectueux de la bouteille avait t signal la hirarchie92 ; les ayants-

    cause de dame AZIHOUNGBA Pauline atteinte mortellement par un coup de feu tir par des militaires

    la poursuite dun vad de prison obtiendront rparation sur le terrain du risque93 ; le risque ( dfaut de

    rfrence un texte explicite) fondera le recours dun fonctionnaire ayant perdu la vue par suite de la

    manipulation au cours de sa priode dactivits de produits pharmaceutiques94. Enfin le refus dexcuter

    86

    CE Gabon, Arrt du 25 juin 2010, Aff : LIMZA Construction c/Etat gabonais, Rpertoire n 32/09-10 ; galt du mme jour, CE Gabon, Aff. Gabonaise de Menuiserie et Btiment c/Etat gabonais, Rpertoire n 34/09-10. 87

    CS Burkina Faso (CA), 14 mai 1996 (1re

    espce), 27 fvrier 1998 (2e et 3

    e espces), Entreprise burkinab de construction,

    peinture et carrelage (Ebcpc) c/Ecole nationale des rgies financires (Enaref), voir Salif YONABA, Les grandes dcisions de la jurisprudence burkinab, op cit, p. 181 et suiv. 88

    CS (CA), Rpublique Centrafricaine, 13 juillet 1989, Aff. Faraba Emile c/Etat centrafricain ; 20 octobre 1992 Aff. Bangue Michel c/Ministre de lEconomie et des Finances ; voir Franois NANARE, La jurisprudence du Conseil dEtat centrafricain , Revue administrative, n spcial, 6, 1999, p. 62 et suiv. 89

    Jean RIVERO, Droit administratif, op cit, p. 337 ; Lara KARAM-BOUSTANY, Laction en responsabilit extracontractuelle devant le juge administratif, LGDJ, 2007 ; B. DELAUNY, La faute de ladministration, LGDJ, 2007. 90

    CE Gabon, Arrt du 30 avril 2010, Aff : DEACK ELEWAGNE Florentin c/Etat gabonais, Rpertoire n 22/09-10. 91

    CS (CA) Burkina Faso, 10.04. 1970, (1re

    espce), 08. 05. 1970 (2e espce), Aff : SAWADOGO Vincent c/Commune de Bobo-Dioulasso ; voir Salif YONABA, Les grandes dcisions, op cit, p. 44. 92

    CS Bnin (CA), Arrt n 5/CA du 23 mars 1999, DOGUE Mathilde ne DANDOKA c/Ministre de la sant publique, in Samson DOSSOUMON, Contentieux administratif au Bnin et au Togo, Presses de lImprimerie Presse Indpendante (IPI) Godomey, 2007, p. 84 et suiv. 93

    CS Bnin (CA), Arrt n 35/CA du 23 mai 1999, in Samson DOSSOUMON, ibid, p. 85. 94

    CS (CA) Burkina-Faso ; la chambre administrative au regard de certificats mdicaux et de rapports dexpertise produits dans le dossier, admettra la responsabilit de lEtat et le condamnera indemniser ; voir, (CS/CA. Arrt n 2 du 13 juillet 1993, Bationo Pascal c/Etat Burkinab ; cf. Venant OUEDRAOGO, communication au sminaire dEchanges et de Perfectionnement organis sur le thme Le contentieux administratif et lEtat de Droit , op cit, p. 219).

  • 14

    une dcision la condamnant constitue une faute susceptible dengager la responsabilit de

    ladministration 95

    A travers les diffrentes espces qui lui sont soumises tant en excs de pouvoir quen plein

    contentieux, le juge administratif africain sefforce de rduire les causes dirrecevabilit et daccueillir

    des moyens ressortissant lordonnancement complet des cas douverture. A cet gard, il a t observ

    que dans le contentieux de pleine juridiction dsormais en expansion96

    , le juge retient la responsabilit

    de ladministration sans toujours prciser la nature du fait dommageable (faute, sans faute ou risque)97.

    On y verra, son souci de ne pas compliquer la tche au requrant sur le terrain de la cause juridique de la

    demande surtout dans ce type de contentieux.

    Ce travail dorthopdie juridique selon la formule du Prsident Raymond ODENT98 est

    manifeste, on la soulign, travers linterprtation de la demande c'est--dire de lacte introductif

    dinstance ; il sera davantage affirm dans la marche du procs.

    B- LE REEQUILIBRAGE DES PARTIES DANS LA CONDUITE DU PROCES

    Tant en France que dans les Etats africains francophones lingalit des personnes en cause reste

    une caractristique de linstance, et explique certains traits distinctifs du procs administratif. La

    procdure y est essentiellement inquisitoire car conduite par le juge99

    . Ce rle accru du juge permet de

    rtablir dans le procs administratif une galit fausse par la prsence dun justiciable public. Ce sont

    les manifestations de ce travail de rquilibrage des positions respectives des parties dans le

    droulement du procs administratif en Afrique quil importe prsent de saisir dans deux directions ;

    savoir dans la recherche de la preuve (1) et dans lapplication du principe du contradictoire (2).

    95

    CS (CA) Bnin, Arrt n 53/CA du 28 septembre 2000, AMOUSSOU Yaovi Antoine c/Ministre des Finances, Rec., anne 2000, Tome 2, p. 413 420. 96

    Ydoh Sbastien LATH, Les caractres du droit administratif des Etats africains de succession franaise, vers un droit administratif africain francophone , op cit, p. 255 et suiv. ; Les recherches menes dans le cadre de la prsente tude ont montr que sur un chantillon de 36 arrts rendus entre 2009 et 2010 par le Conseil dEtat gabonais, 34 ressortissent au contentieux indemnitaire (contrats et responsabilit) et deux seulement sont relatifs au recours pour excs de pouvoir soit un pourcentage de 94 % darrts rendus sur la priode en plein contentieux. 97

    Arrt cit, CS (CA) Burkina-Faso, 13 juillet 1993, Bationo Pascal c/Etat Burkinab. 98

    Formule rappele par Charles DEBBASCH, Linterprtation par le juge administratif de la demande des parties , op cit., p. 3085. Sur lvolution du plein contentieux notamment le contentieux contractuel, voir par exemple, le cas du Sngal : Moustapha NGAIDE, La loi n 2006-16 du 30 juin 2006 modifiant le Code des obligations de lAdministration ou le renouveau du droit des contrats administratifs au Sngal , Droit sngalais-Revue de lAssociation sngalaise de droit pnal, novembre 2007, n 6, pp. 1 et ss. ; Mayacine DIAGNE, Les nouvelles tendances du droit des contrats administratifs au Sngal , RJP, 2009, n 1, pp. 102 et ss. 99

    Il est vari quavec la rforme du code de procdure civile franais le juge civil est devenu aussi un juge interventionniste. Linstitution de magistrats instructeurs dots de pouvoirs tendus de direction et de contrle de linstance (notamment, les juges ou conseillers de la mise en tat) symbolise le caractre largement inquisitorial de la procdure civile ; voir, Ren CHAPUS, Loffice du juge : contentieux administratif et nouvelle procdure civile , EDCE 1977-1978, n 29, p. 11-65.

  • 15

    1- La recherche de la preuve

    La preuve est la cl du procs. De ses rigueurs ou de ses souplesses dpendent les perspectives

    concrtes de laction en justice. La possibilit pour les administrs dobtenir la garantie de leurs droits

    devant le juge administratif est donc directement fonction de la capacit de celui-ci protger leurs

    chances travers les rgles qui gouvernent ladministration de la preuve100

    En principe les rgles dadministration de la preuve devant le juge administratif africain

    obissent au droit commun de la preuve, c'est--dire quen particulier, elles sont soumises la rgle

    actori incumbit probatio. Comme devant les juridictions judiciaires, la charge de la preuve incombe

    au demandeur101

    . La justification de cette rgle se trouve dans le pouvoir dinitiative du demandeur. La

    personne qui met une prtention en justice, pour la voir satisfaire doit fournir la preuve. La

    consquence de la rgle actori incumbit probatio est damener le rejet de la prtention du demandeur

    si celle-ci ne parait pas suffisamment tablie ; la rgle ne fait pas peser toute la preuve sur le demandeur,

    mais seulement le risque de labsence ou de linsuffisance dlments de nature tablir la conviction

    du juge 102

    . Le juge burkinab jugera ainsi qu attendu que, malgr sa prtention davoir pay aux

    lieu et place de ladministration, des sommes dargent dont la charge incombait celle-ci, CABORET

    Clment nest recevable en sa demande quautant quil tablit la ralit de ce paiement, quil nen

    rapporta pas la preuve, et quil chet surseoir statuer quant prsent de ce chef jusqu ce quil

    sexcute 103. Le requrant nayant pas t en mesure de prsenter une preuve valable lappui de son

    recours, sa prtention sexpose tre rejete.

    Mais dans le procs administratif, a-t-il t soulign, lingalit des parties en cause est

    particulirement marque. Gnralement, cest ladministration qui dtient les moyens de preuve dont le

    requrant a besoin. Ce dernier peut difficilement en obtenir connaissance. Le demandeur sur lequel

    psent les charges essentielles de la preuve se trouve donc tre la personne la plus dfavorise. Le juge

    va ds lors concevoir sa mission comme devant concourir rtablir lgalit dans linstance. Ds que le

    requrant invoque des arguments suffisamment prcis lappui de son recours sans cependant fournir la

    preuve, le juge administratif va user de ses pouvoirs dinstruction pour rechercher la vrit ; les pouvoirs

    dont le juge est investi attnuent alors la porte du principe qui fait peser la charge de la preuve sur le

    requrant. En consquence, le juge administratif nestimera pas ncessaire que le requrant fasse la

    preuve entire des faits quil allgue. Il exigera simplement que le demandeur apporte des lments de

    nature faire penser que la dcision de ladministration nest peut-tre pas justifie. Les lments

    apports par le requrant doivent faire natre le doute dans lesprit du juge. Cest dans cette mesure que

    la charge de la preuve incombe au requrant. Cette attitude du juge est conforme la logique des

    preuves en justice : actori incumbit probatio. Il est normal que ce soit au requrant dapporter la

    preuve de la violation du droit dont il se plaint 104

    Dans cette acception de charge de la preuve, le juge exigera simplement du requrant quil

    apporte une argumentation srieuse lappui de ses allgations ou quil se prvale de prsomptions

    srieuses rsultant de sa requte. Une fois le commencement de preuve apport le juge administratif va

    100

    Ahmed Tidjani BA, Droit du contentieux administratif burkinab, op cit, p. 359. 101

    Ibid. 102

    Charles DEBBASCH, Jean-Claude de RICCI, Contentieux administratif, op cit, p. 396. 103

    Voir Ahmed Tidjani BA, Droit du contentieux administratif burkinab, op cit, p. 359. 104

    Charles DEBBASCH, Jean-Claude RICCI, Contentieux administratif, op cit, p. 398 ; Jean-Philippe CULSON, Loffice du juge et la preuve dans le contentieux administratif, LGDJ, 1970, coll. Bibl. Droit public , t. 101 ; Bernard PACTEAU, Preuve : Rpertoire de contentieux administratif, Dalloz ; Alain PLANTEY, Franois-Charles BERNARD, La preuve devant le juge administratif, Economica, 2003 ; galt, La preuve devant le juge administratif , JCP, 1986, I, 3245.

  • 16

    consentir contribuer la recherche de la preuve, sengageant ainsi percer le voile qui entoure laction

    administrative.

    En France, cest par son pouvoir inquisitorial que le juge va modifier de manire essentielle la

    position de ladministration en exigeant delle quelle contribue linstruction, faute de quoi les

    prtentions du requrant seront considres comme tablies. Alors mme que la possibilit pour le juge

    dadresser des demandes dexplications ou de documents aux parties linstance ntait prvue par

    aucun texte, le juge se lest reconnue dans sa jurisprudence Couespel du Mesnil105 travers ce que lon a

    appel les injonctions dinstruction en vertu desquelles il lui appartient dexiger de

    ladministration comptente la production de tous documents susceptibles dtablir sa conviction et de

    permettre la vrification des allgations du requrant . Cette jurisprudence reprise depuis106

    ouvre au

    juge le droit de prescrire ladministration de lui communiquer tous dossiers, pices, documents,

    rapports au vu desquels ont t prises les dcisions attaques ou, plus gnralement, de nature

    permettre dapprcier la lgalit de ces dcisions107.

    Si ladministration refuse de satisfaire ce qui est demand, ou ny satisfait pas dans le dlai

    imparti, ou y satisfait incompltement, son attitude sera sanctionne ; les allgations du requrant seront

    tenues pour fondes.

    Le juge administratif africain quelques rares exceptions prs108

    fait siennes ces solutions ; la

    chambre administrative de la Cour Suprme du Burkina-Faso jugera qu attendu que ce mme

    directeur savre totalement incapable dexposer en quoi consistait exactement ladite erreur technique

    de bornage layant amen confondre ab initio 2 lots contige n 2 et 2 bis, quinvit formellement par

    le magistrat instructeur sexprimer sur ce point au cours de la procdure, il ne daigna pas donner la

    moindre rponse ; que lon ne peut accorder une quelconque valeur ses dires faute de preuve 109 ; le

    juge bninois adopte une dmarche comparable dans une espce juge le 15 fvrier 1974 o il dclara :

    considrant que, malgr toutes les investigations (demandes au Ministre de la Sant, consultation du

    dossier administratif du requrant), il na pas t possible de connaitre la date laquelle

    MAOUIGNON a reu notification de la dcision et du titre daffectation attaqus ; quil appartient

    ladministration de prouver la date de notification de lacte querell, faute de quoi le dlai prescrit par

    la loi ne court pas contre le requrant 110

    Ce pouvoir inquisitorial qui permet de compenser linfriorit de la partie prive dans le procs

    administratif nest pas circonscrit au contentieux de lexcs de pouvoir ; en plein contentieux, lorsquil

    rsulte de lexamen du dossier que les allgations du requrant sont srieuses et prcises, le juge fait

    droit ses prtentions comme la jug le Conseil dEtat gabonais dans une espce o il retient que

    considrant que, faute davoir fourni la preuve du versement au requrant de son d au titre de

    105

    CE sect. 1er

    mai 1936, Couespel du Mesnil, Rec., p. 485 106

    CE Ass. 28 mai 1954, Barel, Rec., p. 308. 107

    CE 20 novembre 1968, Ministre des armes et Anger, Rec., p. 581 ; 25 octobre 2000, Mme Cucicea-Lamblot, AJDA 2001, p. 284 ; 21 dcembre 1960, Vicat-Blanc, Rec. P. 1022 ; 22 fvrier 1986, Deloste, Rec., p. 47 ; Sect. 26 janvier 1968, Soc. Maison Genestal, Rec., p. 62. 108

    Pour une des rares situations dans lesquelles face des allgations srieuses et prcises le juge ne recourt pas ses injonctions dinstruction, voir Cour Suprme, (CA) du Togo, ordonnance n 2008-01/CA du 03 janvier 2008, Affaire Chambre nationale des huissiers du Togo, cite supra, et notre article Une arlsienne dans le prtoire du juge de lexcs de pouvoir , op cit, 109

    CS (CA) Burkina-Faso, 13 novembre 1970, BALIMA Noufou c/Rpublique de Haute-Volta, arrt n 35, voir, Ahmed Tidjani BA, Droit du contentieux administratif burkinab, op cit, p. 363. 110

    CS (CA) Bnin, Arrt du 15 fvrier 1974, Docteur Gilbert MAOUIGNON c/Ministre de la Sant Publique, Ministre de lconomie et des Finances, cit par Samson DOSSOUMON, Contentieux administratif au Bnin et au Togo, op cit, p. 109.

  • 17

    lindemnit concerne lEtat gabonais, conformment aux dispositions du dcret n

    589/PR/MFPRA/MFEBP-CP du 11 juin 1997 susvis, doit tre condamn lui payer la somme

    correspondant la priode considre)111

    Que ce soit en matire dactes ou en matire de faits112, lintervention active du juge dans le

    procs administratif est une ncessit ; elle contribue allger les difficults dune preuve quon ne peut

    transfrer en rgle gnrale ladministration pour ne pas dnaturer les principes fondamentaux de toute

    instance et quon ne peut maintenir sous son aspect absolu la charge du demandeur peine de valider

    automatiquement toutes les formes de laction administrative113. Si ces pouvoirs inquisitoriaux du juge

    sexercent presque toujours lgard de la personne publique, cest justement en raison de la

    personnalit des parties en cause et de leur position respective dans linstance. On peut ds lors

    estimer que matre de la conduite du procs, le juge administratif saura donner toute sa porte cet autre

    principe fondamental de protection des administrs que constitue le principe du contradictoire.

    2- Le contrle du respect du principe du contradictoire

    Le juge administratif en Afrique sestime tenu de faire respecter par ladministration et de

    respecter lui-mme le principe du contradictoire.

    Dans le premier cas, il contrle si le droit de ladministr dtre inform et entendu a t respect

    avant lintervention dune dcision administrative dfavorable. En Afrique, lintrt du principe se

    manifeste surtout dans lhypothse des sanctions ; il bnficie de par les dispositions statutaires aux

    fonctionnaires qui ne peuvent se voir infliger une sanction quaprs avoir t mis mme de discuter les

    griefs retenus contre eux. Cest surtout lgard des administrs que le contrle de lapplication du

    principe rvle un effort de construction tel quon lobservera dans une espce juge par la chambre

    administrative de la Cour Suprme de la Haute Volta aujourdhui Burkina-Faso. Le requrant, chef de

    village de son tat contestait la lgalit dun arrt de rvocation de ses fonctions de chef de village, pris

    sur la base des calomnies rpandues par ses adversaires et dun rapport prescrit par le Ministre de

    lintrieur alors quil na aucun moment t averti des menaces qui pesaient sur lui, ni entendu lors des

    auditions pralables au rapport lincriminant. Dans ses observations en rponse, la dfenderesse

    soutenait que le principe audi alteram partem quon lui reprochait davoir viol ne concerne que les

    fonctionnaires de jure et que le requrant de par sa qualit de chef de village ne saurait prtendre au

    bnfice dun tel principe114. La Cour rejeta une telle argumentation en dcidant quil rsulte des

    principes gnraux du droit applicables mme en labsence de texte quune sanction ne peut tre

    prononce sans que lintress ait t mis en mesure de prsenter utilement sa dfense ; quil sagit l

    dune obligation gnrale et absolue simposant ds que la mesure envisage revt un caractre certain

    de gravit 115

    .

    Puis, de faon plus pdagogique, la Cour retint quattendu quavant de prendre une sanction,

    lautorit administrative doit dfrer aux trois obligations ci-aprs : aviser lintress de son intention

    de le sanctionner, lui communiquer sur sa demande les griefs retenus son encontre et motivant les

    111

    CE Gabon, Arrt du 25 juin 2010, Aff. : Jean Victorien NZENGUE c/Etat gabonais, Rpertoire n 28, 09-10 112

    Les procds de vrification en matire de faits consistent organiser des procdures pour la constatation des faits ; ce sont, lexpertise, la visite des lieux, lenqute, la vrification dcriture, linterrogatoire ; ils ne sont pas inconnus du juge administratif africain ; voir par exemple pour une expertise, CE Gabon Arrt du 26 juin 2009, Aff. : Herv Patrick OPIANGAH c/Etat Gabonais, Rpertoire, n 36/08/09. 113

    Charles DEBBASCH, Jean-Claude RICCI, Contentieux administratif, op cit, p. 402. 114

    Salif YONABA, Les grandes dcisions de la jurisprudence burkinab, op cit, p. 57 115

    Ibid.

  • 18

    poursuites, lui permettre de faire connatre ses moyens de dfense devant les organes comptents 116

    .

    Larrt de rvocation du Chef de village fut annul tout comme le fera le Conseil dEtat sngalais saisi

    dune mesure de rvocation dun agent non fonctionnaire de lEtat. Le Conseil nonce en effet que

    considrant quavant toute sanction, lagent non fonctionnaire doit tre mis mme de prsenter

    ses explications sur les faits qui lui sont reprochs ; considrant comme le fait souligner le requrant,

    que cette procdure na pas t respecte puisque ni lInspection gnrale dEtat qui a constat son

    absence et propos son licenciement, ni le ministre de la modernisation de lEtat nont invit BADIANE

    fournir des explications sur son absence, ni enjoint celui-ci de reprendre son poste 117

    .

    Les juridictions administratives africaines vont, dans lapplication du principe et son corollaire le

    respect des droits de la dfense, au-del des hypothses prvues par les textes pour consacrer en la

    matire un vrai principe gnral du droit ; il serait souhaitable que lobligation stende tous les actes

    dont ldiction est susceptible dtre claire par la procdure contradictoire118.

    Le second cas dapplication du principe du contradictoire apparat lorsque le juge se voit tenu de

    lobserver lui-mme au cours de linstance. La particularit du procs administratif qui oppose comme

    cest gnralement le cas un particulier la puissance publique noffre pas de choix possible cet gard.

    Cest par lorganisation de la contradiction que lon peut le mieux remdier lingalit naturelle des

    parties dont la justice ne peut saccommoder. La meilleure des protections des parties dans une instance

    crivent Charles DEBBASCH et Jean-Claude RICCI, est celle qui rsulte de linformation. Si par des

    procdures appropries, les parties sont mises au courant des actes du juge, en mme temps que de ceux

    des parties adverses, elles peuvent organiser leur dfense. Linformation doit donc servir la garantie des

    droits de la dfense119. Ce souci dassurer linformation la plus complte des justiciables travers

    lorganisation de la contradiction se dgage de la lecture des arrts des juridictions administratives

    africaines. Sont gnralement viss, non seulement les textes, mais aussi les mmoires changs entre

    les parties, les communications adresses aux parties par le juge,120

    et au besoin, les mises en demeure de

    produire adresses aux parties et restes sans suite121

    . Il est vident que les diffrentes communications

    entre les parties ou entre celles-ci et le juge doivent se faire sous la direction de ce dernier, qui nhsitera

    pas en tant que de besoin recourir ses pouvoirs inquisitoriaux. Parce que, comme dans tout procs,

    largumentation dune partie devant tre pleinement connue de son adversaire et discute par lui, le

    principe du contradictoire fait galement partie devant les juridictions administratives des principes

    gnraux du droit, et le Conseil dEtat franais la rang au nombre des garanties essentielles des

    justiciables122

    .

    A ce point des rflexions, on retiendra que ce nest pas une moindre conqute que de voir

    perdurer luvre cinquantenaire que reprsente la soumission de ladministration en Afrique au droit et

    au juge. Les justiciables en conflit avec la puissance publique peuvent en appeler un juge qui, par son

    statut, par les procdures quil suit, a pour mission de rsoudre au moyen dune dcision prise

    116

    Ibid. 117

    CE Sngal, Arrt n 0135 du 24-04-1996, Soulye BADIANE c/Etat du Sngal, Rpertoire n 1, juillet 1998, p. 111. 118

    Le Conseil dEtat franais tend le respect du principe du contradictoire tous les actes dont ldiction est susceptible dtre claire par la procdure contradictoire ; voir CE Sect. 7.12.2001 Soc. Ferme de Rumont, RFDA, 2002, p.46. 119

    Charles DEBBASCH, Jean-Claude RICCI, Contentieux administratif, op cit, p. 355. 120

    Ce sont des rgles de forme et de procdure auxquelles se conforment les juridictions dont les dcisions ont t consultes. 121

    Pour un exemple de mise en demeure adresse ladministration et reste sans suite, voir, CS Bnin, Arrt n 8/CA du 21.06.1994, ZOKPE Albert c/Etat bninois, Rec., 1994, p. 96. 122

    CE Ass. 12 octobre 1979, Rassemblement des nouveaux avocats de France, Rec., p. 370 ; CE Ass. 5 juillet 1985, Confdration gnrale du travail, Rec., p. 217.

  • 19

    contradictoirement dans le respect des droits de la dfense et de lgalit des parties tous les litiges qui

    lui sont soumis. Lexamen des modalits techniques de lintervention du juge montre les efforts

    accomplis pour donner lide de protection des citoyens un certain contenu ; mais celui-ci est-il

    incontestable ? le juge de ladministration est-il parvenu mobilier lensemble des rouages

    institutionnels, procduraux et contentieux au service du citoyen ? Dans un contexte politique et

    idologique caractris par les rfrences lEtat de droit et la dmocratie123, le juge dont le statut se

    trouve consquemment rehauss ne doit pas perdre de vue la finalit ultime poursuivie par le citoyen qui

    le saisit : faire en sorte qutant au commencement, il soit aussi la fin de cette dialectique de la

    franchise et de lasservissement au droit qui domine lensemble du rgime administratif124. Or ce

    compte l, bien des voies restent encore explorer pour faire du juge un authentique auxiliaire du

    requrant en procs avec la puissance publique.

    123

    Martin MANKOU, Droits de lhomme, Dmocratie et Etat de Droit dans la Convention de Lom IV , Penant, Mai - Aot 2001, pp. 221 239 ; Maurice KAMTO, Lnonc des droits dans les Constitutions des Etats francophones , Rvue juridique africaine, 1991, n2 et 3, p. 23 et suiv. ; Albert BOURGI, Lvolution du constitutionnalisme en Afrique : du formalisme leffectivit , RFDC, 52, 2002, p. 721 et suiv. 124

    Franois BURDEAU, La complexit nest-elle pas inhrente au droit administratif ? , Cls pour le sicle, Dalloz 2000, p. 417 et suiv.

  • 20

    DEUXIEME PARTIE

    UNE PROTECTION JURIDICTIONNELLE PERFECTIBLE DANS SA FINALITE

    Loptimisme qui renat en doctrine au sujet de la part prise par le juge dans la liaison par le droit

    de laction administrative125 marque larrimage progressif des Etats africains de lespace francophone au

    principe de lEtat de droit ; mais, ainsi que le rappelle le professeur Etienne PICARD, pour pouvoir

    demeurer tel et plus encore laisser se dployer son principe de dveloppement, lEtat de droit et ses

    tenants ses juges en tout premier lieu- ne doivent pas le faire fonctionner comme une mcanique

    purement formelle, un agencement de rouages dont le fondement et la fin, le sens et la valeur se

    perdraient dans lalgbrose de son langage technique : les droits fondamentaux de lhomme doivent

    rester sa rfrence constante 126. De ce point de vue, leffort accompli par le juge africain pour garantir

    les liberts individuelles contre les atteintes ventuelles de lEtat tout en accordant celui-ci les moyens

    ncessaires lexercice de sa mission reste affect dun certain nombre de dficiences.

    Ce sont donc tout la fois les questions de lefficacit, de leffectivit et de lefficience de la

    justice administrative127

    qui sous-tendront ce renforcement de la protection du requrant envisager

    dans la recherche de la solution juridictionnelle (A) et travers la construction de la dcision du juge

    (B).

    A- UNE PROTECTION RENFORCER DANS LA RECHERCHE DE LA SOLUTION

    JURIDICTIONNELLE

    Avant mme que le juge naccepte dexaminer le recours dont le plaideur la saisi, se pose pour

    celui-ci un certain nombre de difficults propres le dissuader de poursuivre linstance sil nest gure

    persvrant : lloignement gographique de la juridiction administrative128, lexigence dun recours

    administratif pralable129

    , les conditions de dlai130, la consignation dune caution131 sont autant de

    125

    Placide MOUDOUDOU, Les tendances du droit administratif dans les Etats dAfrique francophone , op cit, p. 43 et suiv. ; Ydoh Sbastien LATH, Les caractres du droit administratif des Etats africains de succession franaise, vers un droit administratif africain francophone ? , op cit, p. 1254 et suiv. 126

    Etienne PICARD, LEtat de droit en tant quil implique un contentieux administratif , in Le Contentieux administratif et lEtat de droit, Actes du sminaire dchanges et de perfectionnement, Agence de la francophonie, Marrakkech, 14-21 dcembre 1996. 127

    La justice doit tre efficace, c'est--dire tout la fois de qualit, bien entendu, mais galement effective, terme qui dsigne la qualit de ce qui se traduit en actes rels , et efficiente, dans lacception du terme qui vient de langlais et qui dsigne la ralisation dobjectifs en optimisant les moyens mis disposition ; voir Jean-Marc SAUVE, Le juge admini