le journal : mauthausen, les images

8
LE JOURNAL EXPOSITION ÉDITO Plus de dix années d’expériences, de contributions et de relations de tous ordres avec les associations du monde de la Résistance et de la Déportation, les historiens, les enseignants ou les médias, viennent de s’écouler pendant lesquelles la fréquentation du Musée n’a cessé de croître. En 2004, elle appro- che des 30 000 visiteurs ! Même si ces résultats sont encourageants, l’envie reste forte d’améliorer toujours plus la qualité de la relation du Musée avec ceux qui le fréquentent. C’est la raison pour laquelle paraît aujourd’hui un premier numéro du Journal du MRDI : un nouveau trait d’union destiné à enrichir encore, à partir de l’actualité la plus vive de la vie du Musée, les relations qui l’unissent à ceux qui y viennent. Natu- rellement, l’exposition temporaire du moment y occupe une place majeure. L’ex- périence d’une bonne quinzaine d’autres en dix ans et presque autant de publi- cations, de cycles de conférences et d’échanges, ont montré en effet que ce sont ces expositions qui ont fait pro- gressé le Musée, élargi son audience et accru sa fréquentation. Après la pause qui vient d’être marquée, avec Jochen Gerz et sa recherche sur le concept de monument commémoratif, le temps des anniversaires reprend. Ceux de la libération des camps de déportation et de la capitulation de l’Allemagne nazie mobilisent, en ce printemps 2005, N°1 AVRIL 2005 - LE JOURNAL DU MRDI 1945-2005 SOIXANTIÈME ANNIVERSAIRE DE LA LIBÉRATION DES CAMPS

Category:

Documents


1 download

DESCRIPTION

Journal du Musée de la Résistance et de la Déportation

TRANSCRIPT

Page 1: Le Journal : Mauthausen, les images

LE JOURNAL

EXPOSITION

ÉDITOPlus de dix années d’expériences, decontributions et de relations de tousordres avec les associations du monde dela Résistance et de la Déportation, leshistoriens, les enseignants ou lesmédias, viennent de s’écouler pendantlesquelles la fréquentation du Musée n’acessé de croître. En 2004, elle appro-che des 30 000 visiteurs ! Même si cesrésultats sont encourageants, l’enviereste forte d’améliorer toujours plus laqualité de la relation du Musée avec ceuxqui le fréquentent. C’est la raison pourlaquelle paraît aujourd’hui un premiernuméro du Journal du MRDI : un nouveautrait d’union destiné à enrichir encore,à partir de l’actualité la plus vive dela vie du Musée, les relations quil’unissent à ceux qui y viennent. Natu-rellement, l’exposition temporaire dumoment y occupe une place majeure. L’ex-périence d’une bonne quinzaine d’autresen dix ans et presque autant de publi-cations, de cycles de conférences etd’échanges, ont montré en effet que cesont ces expositions qui ont fait pro-gressé le Musée, élargi son audience etaccru sa fréquentation.

Après la pause qui vient d’être marquée,avec Jochen Gerz et sa recherche sur leconcept de monument commémoratif, letemps des anniversaires reprend. Ceux dela libération des camps de déportationet de la capitulation de l’Allemagnenazie mobilisent, en ce printemps 2005,

N°1 AVRIL 2005 - LE JOURNAL DU MRDI

1945-2005

SOIXANTIÈME ANNIVERSAIRE

DE LA LIBÉRATION DES CAMPS

Page 2: Le Journal : Mauthausen, les images

tout le potentiel du Musée. Deux exposi-tions sont programmées consécutivementdans ce cadre. La première, Mauthausen,les images, présente, pour la premièrefois en France, une partie des archivesphotographiques emportées par les resca-pés espagnols à la libération du camp.Composées surtout des photos prises parles SS eux-mêmes, mais aussi de cellesde Francesc Boix, l’un des déportés cata-lans qui décident de s’emparer de cesphotos, ces documents donnent une visionnouvelle de l’univers concentrationnaire,celle que les Nazis voulaient en donneret conserver. On ne s’étonnera pas desavoir que ces photos constituèrent despreuves lorsque Francesc Boix les pro-duisit et les commenta au procès deNuremberg (du 20.11.45 au 01.08.46). Onpourra se demander, par contre, pourquoi,si longtemps inédites, elles n’avaientpas encore été montrées en France. Noussommes vivement reconnaissants à l’équipedu Musée d’histoire de la Catalogne etnotamment à Margarida Sala, qui lesconserve et les a déjà montrées en Espa-gne, grâce à l’Amicale espagnole des res-capés de Mauthausen, de nous permettrede les présenter enfin à Grenoble.

Encore fallait-il, pour compléter ceregard sur l’arme terrible de répressionet d’extermination que fut la déporta-tion, donner à voir d’autres réalités etcelle, bien sûr, du génocide des Juifs.Grâce au Centre culturel juif de Greno-ble, une autre exposition, Et tu leraconteras à tes enfants traitera desméthodes d’enseignement de la Shoah enIsraël. Réalisée par le Centre éducatifYad Layeled, cette exposition sera pré-sentée en novembre. Au-delà de ces deuxprésentations, un ouvrage, Déportés del’Isère et un film dont le tournage adéjà permis de constituer une cinquan-taine d’heures de témoignages filmés etautant d’archives éminemment précieuses,permettront bientôt de reconsidérer laprésentation de la Déportation, au seindu Musée. Ainsi va ce Musée qui s’enri-chit et se transforme au gré de sesrecherches et de ses expositions tempo-raires, au nom des valeurs de la Résis-tance et pour la société qu’il sert.

L’équipe du Musée de la Résistance et de la Déportation de l’Isère

E ntre les 2 et 3 mai 1945, lorsque l’encadrement SS de Mau-thausen fuit le camp, à l’approche de l’armée américaine,

quelques déportés espagnols affectés au service d’identifica-tion s’emparent des archives photographiques du camp. Unmillier de négatifs réalisés pour la plupart sur de la pelliculede 35 mm, sont ainsi subtilisés, emmenés en Espagne et conser-vés par l’Amicale de Mauthausen jusqu’à ce qu’elle les déposeau Musée d’Histoire de la Catalogne, en 1996.

Prises entre 1941 et 1944, sans autre précision de date, ces pho-tos de la construction des nombreux bâtiments du camp, del’exploitation des carrières, des visites officielles (celle d’Himm-ler, notamment, en avril 1941) et de la hiérarchie du camp, com-posent une vision d’ensemble de l’univers concentrationnairede Mauthausen et de son principal Kommando, Gusen. Unevision aseptisée, quasi clinique, réalisée sans doute par lesNazis à des fins de propagande, tant pour faire peser la menacede l’internement auprès de la population du Reich, que pourtémoigner du bien fondé de l’existence des camps. Rapprochéescependant des faits attestés par les archives écrites et des témoi-gnages avérés, ces photos disent l’horreur glacée de l’effroya-ble machine conçue par les Nazis pour asservir jusqu’àl’épuisement et la mort une partie de l’humanité. FrancescBoix, l’un des déportés qui eurent l’initiative de s’en emparer etles montra au procès de Nuremberg, prit aussi lui-même denombreuses photographies à la libération du camp. C’est dansces deux ensembles qu’ont été sélectionnées les photos de l’ex-position Mauthausen, les images. ■

Pendant la Guerre d’Espagne,l’effondrement du front deCatalogne oblige le gouvernementfrançais, en janvier 1939, à ouvrirla frontière aux civils et auxcombattants républicains quifuient leur pays. Dans l’urgenceet la plus grande improvisation,de vastes camps sont établis surles plages d’Argelès-sur-Mer et de Saint-Cyprien pour les accueillir. En avril1940, 70 000 Espagnols sont incorporés dans les Compagnies de travailleursétrangers et 15 000, dans la Légion étrangère et les bataillons de marche.Ces derniers, dirigés dans l’est et le nord de la France, sont employés à destravaux du génie. Mais lors de la campagne de France de mai-juin 1940, lesAllemands capturent 10 000 d’entre eux. Ces prisonniers, répartis dansdifférents camps, en France et en Allemagne sont rapidement séparés desautres car bien qu’ils portent l’uniforme bleu azur, ils n’auront pas le mêmesort que leurs camarades français. Les Nazis, en effet, les déportent. Isoléssur le plan international, ces républicains espagnols deviennent des apatridessans protection. Les SS créent pour eux la catégorie des Rote Spanier (rougesespagnols), marqués du triangle bleu frappé du S de Spanier. Le 6 août 1940,un premier convoi de 392 Espagnols arrive au camp de Mauthausen et d’autresencore totalisant 2 300 arrivés pour cette même année puis, en 1941, 4 700.

MAUTHAUSEN, LES IMAGES

L’EXPOSITION15 avril - 31 octobre 2005

Le Barcarès, Pyrénées-Orientales, février 1939.Construction du camp. L’Illustration, 4 mars 1939,n° 5009. Photo. J. Clair-Guyot

LES RÉPUBLICAINS ESPAGNOLS À MAUTHAUSEN

Page 3: Le Journal : Mauthausen, les images

PAGES 2 ET 3 - LE JOURNAL DU MRDI

MAUTHAUSEN

M authausen serait-il à la déportationpolitique ce que Auschwitz est

à l’extermination des Juifs d’Europe ? L’idée, quoiqu’il en soit est fréquemmentémise. Construit, en 1938, en Haute Autriche,près de Linz, après le rattachement de l’Autriche au Reich (Anschluss), le camp a fonctionné jusqu’aux derniers jours de la guerre, début mai 1945. Durant ces sept années, au moins 230 000 déportés yont été détenus et 118 000 y ont perdu la vie.

Un camp de catégorie III, réservé aux « irréductibles »

Premier camp de la nébuleuse concentrationnaire nazieconstruit hors d’Allemagne, Mauthausen est aussi l’un deceux où les conditions de détention sont les plus effroyables.Classé en catégorie III, les Nazis le considèrent comme uncamp de concentration modèle dans le « traitement » des indi-vidus considérés comme « irréductibles ». Le travail haras-sant dans les carrières dont l’exploitation est source derevenus pour les SS, les mauvais traitements, la sous-alimen-tation, ajoutés à l’entreprise constante de déshumanisation,

entraînent la mort des déportés par épuisement ou maladieen quelque mois seulement. À Gusen, l’un des camps quidépendent de Mauthausen, le taux de mortalité dépasse 80 %et approche 100 % au château d’Hartheim, centre d’euthana-sie et d’expérimentations médicales. Plusieurs chambres àgaz et des crématoires complètent le dispositif du camp cen-tral et de certains camps annexes, pour éliminer les dépor-tés malades ou trop affaiblis. Les prisonniers de guerresoviétiques et les Juifs transférés d’Auschwitz sont particu-lièrement maltraités.

BRÈVES…■ Les contributions du musée

En cette période de commémora-tions, les collectivités territorialestravaillant sur la mémoire de laSeconde Guerre mondiale sont de plusen plus nombreuses. Le Musée de laRésistance et de la Déportation del’Isère, centre de ressources sur lapériode, leur apporte une aide docu-mentaire, en mettant à dispositionson fonds photographique. Il aideégalement à la contextualisation his-torique de ces travaux basés sur lamémoire.

En 2004-2005, les communes deSeyssins et Seyssinet ont organiséune collecte de témoignages auprèsde leurs habitants contemporains dela période. Il s’agissait d’appréhen-der différentes expériences de vie,à travers la vie quotidienne maisaussi l’engagement dans la Résis-tance et la déportation de certains.Ce travail trouvera son prolongementen juin prochain dans la parution d’unouvrage et la présentation d’uneexposition. Les enregistrementssonores seront ensuite conservésdans la phonothèque du Musée.

Une autre initiative, celle de la com-mune de La Tronche devrait aboutir,à l’occasion des journées du patri-moine 2005, à un parcours dans deslieux ayant marqué les habitants pen-dant la guerre.

■ L’exposition itinérante« L’Isère libérée »

Composée de onze panneaux et dufilm « Comme un vent de liberté »,cette exposition sur la Libération del’Isère continue de circuler avec suc-cès dans le département. Elle peutêtre demandée en l’échange d’unegarantie quant à son assurance, auMusée (tél. 04 76 42 38 53).

« Nous étions tous camarades au camp et j'y ai eu de très bons amis.

Les différences d'origine ne jouaient aucun rôle, nous étions

tous de pauvres bougres, des matricules, et nous serrions

les coudes. Que ce soient Dobias, le Tchèque, Pedro, Salvador,

Manuel, Recas ou Ruiz, les Espagnols, Iwaschiewitcz, Tchitaieff,

Livinec, Channel, Fischer...Nous étions tous des amis. Nous

formions un seul groupe, partageant les bons et les mauvais jours,

une cigarette, un morceau de pain…Et nous avons tenu le coup.

Nous avons résisté pour pouvoir être libres un jour, pour pouvoir

dire aux autres ce qu'est un camp de concentration, pour révéler

ce que les Nazis furent capables de faire.»Docteur Robert Zarb (1921-2003).Membre du mouvement Combatà Grenoble, il est arrêté par la Gestapo, en février 1943et déporté en avril à Mauthausen.

Entrée principale du camps. Fonds Amicale de Mauthausen.Coll. Musée d’histoire de laCatalogne.

Page 4: Le Journal : Mauthausen, les images

L’escalier aux 186 marches qui conduisait à la carrière du Wiener Graben, mai 1945. Fonds Amicale de Mauthausen. Coll. Musée d’histoire de la Catalogne

Arrivée de prisonniers soviétiques en octobre 1941. Fonds Amicale de Mauthausen. Coll. Musée d’histoire de la Catalogne.

Devant les tours de l’entrée après la libération du camps, mai 1945. Fonds Amicale de Mauthausen. Coll. Musée d’histoire de la Catalogne.

Mai 1945, rescapés conduits en camion

à Linz pour y prendrel’avion qui

les ramènera dans leur pays d’origine.

Fonds Amicale de Mauthausen.

Coll. Musée d’histoirede la Catalogne.

À partir de 1943, les premiers revers essuyés par l’armée d’Hit-ler, tant en URSS qu’en Afrique, et les besoins croissants demain d’œuvre pour l’industrie de guerre allemande influentnotablement sur le fonctionnement du camp. De 1943 à 1945,Mauthausen constitue le point central d’un réseau d’une cin-quantaine de camps annexes dont les plus importants sontGusen, Ebensee ou Loibl-Pass. Ses kommandos (groupes dedéportés qui travaillent à l’extérieur du camp principal) four-nissent de la main d’œuvre aux industrie de Vienne, de Linzet de la moitié orientale de l’Autriche.

Des déportés issus de l’Europe entière

Dès sa création, en août 1938, le camp de Mauthausen détientdes antinazis autrichiens puis des Allemands, amenés deDachau dont plus de la moitié sont des prisonniers de droitcommun. Le déclenchement de la guerre en 1939 puis l’occu-pation successive de plusieurs états européens, provoquentl’internationalisation des déportés. En 1940, arrivent les pre-miers convois de Tchèques, de Polonais et de républicainsespagnols. Les soldats soviétiques, capturés pendant l’inva-sion de l’URSS, connaissent le même sort et subissent un« traitement spécial » qui confine à l’assassinat. À partir dela fin 1942, le développement des mouvements de résistanceen Europe et l’intensification de la répression entraînent uneaugmentation des effectifs. Les convois se succèdent :Français, Belges, Yougoslaves, Italiens, Grecs,Albanais, Hongrois…

À partir de 1944, une organisation de résistance est mise pro-gressivement en place par des déportés qui occupent des pos-tes clés dans l’organisation du camp central. Le rôle descommunistes y est prépondérant. En février 1945, plusieurscentaines de détenus soviétiques condamnés à une mort cer-taine se révoltent. Quatre cent cinquante d’entre eux tententde s’évader mais seront repris et exécutés. Dix-sept parvien-nent à s’échapper.

Les semaines qui précèdent l’effondrement du systèmeconcentrationnaire et du Reich sont les plus difficiles. Mau-thausen reçoit une partie de l’encadrement et des déportésdes camps menacés par l’avancée des Alliés, Auschwitz, Sach-senhausen, Ravensbrück… Les déportés s’entassent alors dansdes conditions dramatiques : 20 000 d’entre eux meurentdans le seul mois d’avril 1945. Aussi est-ce un spectacle dedésolation que découvrent les premiers soldats américainsqui pénètrent dans le camp, le 5 mai 1945.

Au total, vingt-deux nationalités se sont côtoyées durant lessept années de fonctionnement du camp. Cette diversité faitde Mauthausen, à l’instar d’Auschwitz, un lieu de mémoireeuropéen comme en témoignent les nombreux mémoriauxnationaux présents sur le site actuel. ■

Page 5: Le Journal : Mauthausen, les images

PAGES 4 ET 5 - LE JOURNAL DU MRDI

C’ est en août 1942 que la déportation commence à deve-nir une réalité dans ce département. Du 16 au 22, plus

d’une centaine de Juifs, travailleurs forcés, incorporés dansles Groupements de travailleurs étrangers (GTE), sont ache-minés avec leurs familles vers l’Isère depuis le Rhône, l’Ardè-che ou le Jura et internés au Centre de séjour surveillé de FortBarraux. Le Gouvernement de Vichy vient en effet de prendrelibrement l’initiative d’arrêter les Juifs étrangers de la Zonenon occupée pour les remettre aux autorités allemandes. C’estce qu’il fait le 26 août 1942 en mobilisant toutes les forces depolice et de gendarmerie. En Isère, plus de quatre cents Juifsétrangers sont arrêtés et regroupés soit à la caserne Bizanet,à Grenoble, soit, si elles ont été arrêtées dans les arrondisse-ments de Vienne et de La-Tour-du-Pin, au centre de Vénissieux(Rhône). Après un premier « criblage », une centaine des Juifsdétenus à la caserne Bizanet est transférée à Vénissieux, demême que la majorité de ceux qui sont détenus à Fort Bar-raux. De là, les Juifs raflés dans la région sont dirigés versDrancy puis déportés à Auschwitz. Le 2 septembre 1942, lesraflés du 26 août sont presque tous convoyés de Drancy à Aus-chwitz et d’août 1942 à février 1943, la police française pour-suit les rafles et les arrestations de Juifs pour les diriger versles camps d’internement du sud de la France (Gurs, Rivesal-tes…) avant de les livrer aux Allemands qui les déporteront.

Quand l’armée allemande occupe Grenoble, à partir du 8 sep-tembre 1943, tous les Juifs, y compris ceux qui sont français,sont pourchassés. Et de février à mars 1944, tandis que le SSAloïs Brunner, responsable en France du règlement de la ques-tion juive, fait capturer, depuis Grenoble, plus de 400 Juifs,l’intensité de la répression antisémite atteint son comble.Poursuivies par les miliciens, ces persécutions dureront jus-qu’à la veille de la Libération.

La déportation devient ainsi l’arme la plus redoutable de larépression allemande. Toute personne suspectée de Résis-tance est le plus souvent expédiée au camp d’internement deCompiègne, puis envoyée de là dans l’un des nombreux campde concentration, Buchenwald, Dachau, Mauthausen ou Dora.Selon l’expression même d’Adolf Hitler, les déportés, hom-mes et femmes, sont destinés à disparaître in Nacht und

Nebel, « dans la Nuit et le Brouillard ». Les travaux forcés, lafaim, les privations, les maladies, les expérimentationspseudo-médicales, viendront à bout d’un grand nombre d’en-tre eux. Les Grenoblois en font la cruelle expérience le11 novembre 1943, lorsque plusd’un millier de jeunes manifes-tants, commémorant l’Armis-tice pour exprimer leur rejet del’occupant, sont arrêtés. Prèsde quatre cents d’entre euxsont alors déportés.

Les Allemands usent également de rafles en représailles auxattaques de la Résistance. Ainsi à Grenoble, place Vaucanson,le 23 décembre 1943, à la suite de l’exécution d’un lieutenantallemand mais aussi parce que policiers et miliciens espèrenttrouver là des réfugiés juifs fortunés, les Allemands raflentprès de 200 personnes et en déportent une centaine, dont40 Juifs. Le 4 janvier 1944, douze hommes sont arrêtés auMûrier, accusés d’avoir tiré sur une sentinelle allemande. Cinqd’entre eux périssent en déportation. Le 31 janvier, à la suited’un attentat contre une colonne allemande, quai Claude-Ber-nard à Grenoble, la Wehrmacht arrête une trentaine de per-sonnes et les déporte. Pierre Benielli, l’un des résistants,responsables départementaux du NAP (Noyautage des admi-nistrations publiques) en fait partie. Le 18 février, suite à unattentat contre le chef de la Gestapo à Vizille, quinze person-nes soupçonnées d’appartenir à la Résistance sont déportées.Le 7 mai, quatre cents Allemands cernent les villages de Beve-nais, Longechenal et La Frette. Une dizaine de personnes estdirigée sur les camps, dont l’un des responsables de la Résis-tance en Chartreuse, Roger du Marais. Le 8 juillet, suite à uneopération de la Résistance à la gare de St-André-le-Gaz, treizepersonnes sont fusillées, dix sont déportées dont sept nereviendront pas. D’autres arrestations, qui conduiront encorenombre d’Isérois à la déportation, apparaissent encore dansles archives jusqu’à l’été 1944. Elles atteignent encore unparoxysme en juillet, durant les opérations de « nettoyage »du Vercors. ■

LA DÉPORTATION, SON IMPACT EN ISÈRE

Le bilan des déportations en Isère estestimé à 2 600 : 1 000 Juifs, environ, dont moins de 7 % revinrent et quelque1 600 autres, résistants, raflés et « droit commun » dont moins de la moitié survécurent.

Note du commissariat central au préfet de l’Isère, l’informant de la rafle de la place Vaucanson.

Fonds Arch. dép. Isère, coll. MRDI.

Caserne Hoche, Grenoble. Arrestations du 11 novembre 1943.Fonds Amicale des Déportés du 11 novembre, coll. MRDI.

Page 6: Le Journal : Mauthausen, les images

C herchant à expliquer pourquoi les estima-tions des déportés arrêtés en Isère

variaient de 1 146 (Dr Batailh) à 3 057 (JeanPaquet), l’équipe du MRDI a dû se rendre à l’évi-dence : un nouveau recensement s’imposait. Lafusion des sources disponibles, celle des listesdressées par Simone Benielli pour Combat,conservées au MRDI, celle du Dr Batailh, conser-vées aux Archives départementales de l’Isèreet le fichier de la Fédération nationale desdéportés, internés et résistants patriotes del’Isère, conservé au MRDI et dûment analysépar des membres de l’Association des amis de laFondation pour la mémoire de la Déportation,ont constitué la base de ce nouveau dénombre-ment. Encore fallait-il en recouper les donnéesavec celles des arrestations ayant été suiviesde déportations. Tel fut le travail accompli parOlivier Vallade et Christèle Joly pour les dépor-tés en camps de concentration et par Tal Brutt-mann pour les déportés juifs. En effet,l’intention fut de prendre en compte l’ensem-ble des déportations, celle des résistants, desraflés et des « droit commun », d’une part, celledes Juifs d’autre part. Dans l’un et l’autre cas,

les données relatives à des situations différen-tes ne pouvaient apparaître suivant les mêmescritères. C’est la raison pour laquelle elles fontl’objet de deux chapitres distincts, même si l’ontrouve, à la fin de l’ouvrage, un index alphabé-tique de tous les noms de déportés, quelle quesoit la circonstance de leur déportation.

Par ailleurs, les listes de déportés ont été éta-blies selon la chronologie des arrestations. Cettedisposition permet notamment de ne pas mélan-ger les noms des « droit commun » à ceux desrésistants et des raflés. Cependant, et pour qu’au-cune confusion ne subsiste, le nom des dépor-tés de droit commun apparaît sur un fond grisé.

Si la publication des listes des déportés étaitl’objectif premier, il apparut aussi nécessairede les accompagner, outre des indicationsméthodologiques qui présidèrent à leur réali-sation, d’un certain nombre de développements.Aussi fut-il décidé, au-delà des répertoires desnoms de victimes, de rappeler les principauxévénements ayant entraîné des déportations,d’évoquer le trajet de quelques uns de ces dépor-tés et de traiter enfin de leur retour. ■

D u 25 janvier au 3 avril 2005, vingt-trois anciens dépor-tés, arrêtés en Isère pour la plupart, ont témoigné devant

la caméra, à la demande du Musée. Plus de cinquante heuresd’enregistrements ont été ainsi rassemblées et intégrées, dés-ormais, dans ses collections. Ces hommes et ces femmes, res-capés d’Auschwitz-Birkenau, Buchenwald, Dora, Mauthausen,Dachau ou Flossenbürg, répondent, soixante ans après, à desquestions essentielles : Comment ont-ils vécu leur retour à laliberté ? Quel accueil ont-ils reçu ? Quand et comment ont-ilscommencé à parler de ce qu’ils avaient vécu ? Quels enseigne-ments en tirent-ils et quel rôle attendent-ils de leur témoi-gnage vis à vis des jeunes générations ? Au-delà de récits déjàrecueillis sur les circonstances de leurs déportations et leursexpériences concentrationnaires, ces témoins se retrouventautour d’objectifs communs : la lutte contre l’oubli et le néga-tionnisme, le combat des totalitarismes, quels qu’ils soient,et la défense de la dignité humaine.

C’est dans l’objectif de rendre de tels témoignages accessiblesau plus large public que l’équipe du Musée de la Résistanceet de la Déportation a conçu ce film. Après Comme un vent de

liberté, réalisé en 2004 en prolongement de l’exposition L’Isère

libérée, ce deuxième film de 26 minutes constitue l’autre voletd’un diptyque sur les vécus en Isère de la fin de la Seconde

Guerre mondiale. Fondé sur le témoignage et l’usage de docu-ments d’archives, les deux réalisations ont été volontairementconfiées à Michel Szempruch, de l’Association Repérages, afinde garantir l’unité de traitement de l’ensemble. Comme à l’ha-bitude au Musée, une équipe scientifique d’historiens spécia-lisés, enseignants pour une part, en a conseillé la réalisation.Sa diffusion touchera en priorité les collèges et autres établis-sements scolaires du département. ■

DÉPORTÉS DE L’ISÈRE…L’OUVRAGE

LE FILM

DÉPORTÉS DE L’ISÈRE, 1942, 1943, 1944…

Publié aux Presses universitaires deGrenoble, collection « Résistances ».Ouvrage collectif coordonné par Jean-Claude Duclos et Jacques Loiseau, réunissant les contributions de Philippe Barrière,Tal Bruttmann, Gil Emprin, Chrystèle Joly et Olivier Vallade.Préfaces d’André Vallini et de Michel Destot.Avant-propos de Denis Peschanski 350 pages, 500 photographies et une carte de Nora Esperguin. Contributions : Section de l’Isère des amis de la Fondation pour la mémoire de la Déportation, Commission communale d’enquêtessur les spoliations de biens juifs (Ville de Grenoble), Archivesdépartementales de l’Isère, Officenational des anciens combattants de l’Isère et Association des Amis du Musée de la Résistance et de la Déportation de l’Isère.Prix de vente : 30 €

Grenoble, juin 1945, rue Félix-Poulat. Manifestation de déportés.Au premier plan, en fauteuil roulant, René Burggraff. Fonds Georges Burggraf, coll. MRDI.

Page 7: Le Journal : Mauthausen, les images

BRÈVES…■ Germaine Tillion Itinéraire et engagements d’une ethnologue

L’exposition dans laquelle est notam-ment évoquée la résistance et ladéportation à Ravensbrück de cettefemme d’exception est présentée auMusée dauphinois jusqu’au 8 mai 2005.www.musee-dauphinois.fr

■ Le Congrès national de l’association des Amisde la Fondation pour lamémoire de la Déportation

Il se tiendra à Grenoble les 20, 21 et22 mai prochain. Prolongeant dans cha-que département l’action de la Fonda-tion, présidée par Marie-José Chombartde Lauwe, des sections d’amis contri-buent au travail de mémoire sur laDéportation et l’internement, à satransmission et à sa défense. La sectionde l’Isère des Amis de la Fondation pourla mémoire de la Déportation (AFMD) estl’une des plus actives de France. En marge des séances de travail qui réu-niront les 150 délégués territoriaux,deux manifestations sont ouvertes aupublic.Le samedi 21 maiDe 16 h 30 à 18 h 30 : Les Entretiens de l’AFMDAuditorium du Musée de GrenoblePlace LavaletteProjection du documentaire « Dépor-tés de l’Isère » suivie d’une confé-rence sur la transmission de lamémoire de la déportation par Jean-Claude Duclos, conservateur en chefdu Musée et Olivier Vallade, historien. L’entrée est gratuite.À 20 h 30 : Là-bas, représentation théâtrale parla compagnie « Histoires d’Argile »CRDP11, av. Général-Champon à Grenoble À partir de témoignages de rescapés descamps, et dans la tradition de la trans-mission orale, Claudie Rajon conte cequ’a été la déportation.Entrée :plein tarif, 10 € ; tarif réduit, 5 €. Réservations : Yves Eveno, Tél./Fax : 04 76 17 14 26 ;Agnès Vacilotto, Fax : 04 76 43 09 89

C’ est de la mémoire de la Shoah dont il sera question dans la prochaineexposition présentée au Musée, en novembre 2005, et plus particuliè-

rement de sa transmission aux plus jeunes. Réalisée par le Beit Lohamei Haghe-

taot (Maison des combattants du ghetto), elle en retrace l’histoire, depuis sacréation, en 1949, dans le kibboutz du même nom, par des combattants juifsrescapés du ghetto de Varsovie. La Maison des combattants du ghetto fut ainsile premier Musée, en Israël et dans le monde, consacré à la vie et à la résis-tance des Juifs pendant la Shoah. Il accueille en son sein depuis 1995, unMémorial-Centre éducatif, Yad Layeled, conçu pour le public scolaire et dédiéau million et demi d’enfants juifs, victimes de la Shoah.

« Et tu le raconteras à tes enfants » met l’accent sur le devoir de mémoire, letémoignage comme maillon dans la chaîne des générations, l’art en tant qu’ex-pression de résistance morale et spirituelle et la solidarité à travers la figureemblématique du Docteur Janusz Korczak, humaniste et pédagogue.

Pour davantage d’informations : site de la Maison des combattants du ghettowww.gfh.org.il

« ET TU LE RACONTERAS À TES ENFANTS »

LA PROCHAINE EXPOSITION DU MUSÉE

PAGES 6 ET 7 - LE JOURNAL DU MRDI

A PARAÎTRE…

L’Isère en Résistance

Paraît aux Éditions du Dauphiné Libéré, le 29 avril. Comparabledans sa forme à Grenoble en Résistance, publié en 2004, cetouvrage collectif de 200 pages, 400 illustrations et 27 cartes,coordonné par Jean-Claude Duclos, propose une nouvelle synthèsede l’histoire de la Résistance sur l’ensemble du territoire dépar-temental : Vercors, Oisans et Matheysine, Grésivaudan, Trièves,Bas-Dauphiné, Vienne, Grenoble. Prix de vente : 17 €

Le Cahier n° 1 de la Maison des Droits de l’Homme

Destiné à restituer les réflexions menées lors des Rencon-tres de la Maison des Droits de l’Homme depuis le lancementdu projet en 2001 jusqu’au forum des associations en octo-bre 2003 autour de la question « Quelle Maison des Droits del’Homme voulons-nous ? », la collection des Cahiers de laMaison des droits de l’Homme rassemble les actes de cesconférences. Ce premier numéro présente les interventionsde la première saison : des origines des Droits de l’Hommedans les Alpes dauphinoises (Bruno-Marie Duffé, Jean-Clément Martin et Martial Mathieu), le rôle du témoignage

dans la construction de la mémoire collective (Janine Altounian et Anne-Marie Granet), la commémoration comme repère temporel et spatial pour nos socié-tés (Philippe Dujardin). Prix de vente : 12 €

MAISONDES DROITSDE L’HOMME

N°1janvier2005

les cahiers dela

Avant-propos de Robert Badinter

Page 8: Le Journal : Mauthausen, les images

LA JOURNÉE NATIONALE DE LA DÉPORTATION

DIMANCHE 24 AVRIL 2005

MRDI 14, rue Hébert à Grenoble

■ à 10 h 30 et 17 h :Projections du film « Déportés de l’Isère »,26 minutes

■ à 14 h 30 :Visite de l’exposition« Mauthausen, les images » en compagnie de Jean-Claude Duclos,conservateur du musée

■ Les rencontres autour de l’exposition Mauthausen,les imagesElles se déroulent auxArchives départementales de l’Isère2, rue Auguste-Prudhomme à Grenoble.

LA DÉPORTATION FRAGMENTÉE.LA CONSTITUTION DE LAMÉMOIRE DE LA DÉPORTATIONEN FRANCE

18 MAI 2005 ■ 18 H 30

Comment se structurent dès le retour des camps, lesassociations des rescapés ?Quelles sont leurs valeurs ?Comment interviennent-ellesdans le débat public ?

Par Olivier Lalieu,historien, responsable de l’aménagement des lieux de mémoire et des projetsexternes au Centre deDocumentation juivecontemporaine (CDJC),Mémorial de la Shoah.

ENTRE MÉMOIRE ET OUBLI :L’INTERNEMENT DES TSIGANES EN FRANCE :1915-1919 / 1938-1946

28 MAI 2005■ 20 H

Conférence proposée en partenariat avecl’association des Amis du MRDI Emmanuel Filhol,enseignant-chercheur àl’Université de Bordeaux 1,membre du Centre derecherches tsiganes de l’Université Paris V,évoquera les stades de la longue persécution dont les Tsiganes ont étévictimes en France, accordant une place à deux d’entre eux qui sontinternés à Fort Barraux en 1944, avant de mourir en déportation.

AUSCHWITZ, 60 ANS APRÈS

22 SEPTEMBRE 2005 ■ 18 H 30

Rencontre avec Annette Wieviorka,historienne, directrice de recherches au CNRS, auteur de nombreux articles et ouvrages sur la Shoah et sa mémoire, autour de son dernier ouvrage« Auschwitz, 60 ans après »(Éditions Robert Laffont,2005).

AGNÈS HUMBERT, LE PARCOURS D’UNERÉSISTANTE DÉPORTÉE

6 OCTOBRE 2005 ■ 18 H 30

Agnès Humbert, résistante de la première heure, au seindu réseau Musée de l’Homme,est arrêtée, en 1941 puisdéportée dans les prisonsnazies.Dès son retour, elle raconteson engagement résistant et sa déportation dans un livre « Notre guerre.Souvenirs de résitance »,réédité en 2004.

Par Julien Blanc,agrégé d’histoire qui prépareactuellement une thèse sur le réseau du Musée del’Homme.

ÊTRE ENFANT DE RESCAPÉ

20 OCTOBRE 2005 ■ 18 H 30

Georges Snyders, résistant et juif a connu l’enferd’Auschwitz et sera lepremier prisonnier de ce campde la mort à être libéré parl’armée soviétique. De sonexpérienceconcentrationnaire, il neparlera jamais à son fils.Comment grandir avec l’imaged’un père martyr revenud’Auschwitz ? Comment mettre des mots sur le non-dit ?

Par Jean-Claude Snyders,ancien élève de l’Écolenormale supérieure, enseignant et écrivain.

Directeur de la publication :Jean-Claude Duclos

Coordination : Cécile Vargas

Rédaction : Jean-Claude Duclos, Jacques Loiseau, Cécile Vargas, Olivier Cogne, Anne-Sophie Pico

Conception, réalisation : Nathalie Gremeaux-Tragni

Crédit photographique : Musée d’Histoire de la Catalogne, Amicale espagnole de Mauthausen, Musée de la Résistance et de la Déportation de l’Isère

Imprimeur : Imprimerie des Deux-Ponts

Tirage : 5 000 exemplaires

Dépôt légal à parutionISSN en cours

Musée de la Résistance et de la Déportation de l’Isère

Ouvert tous les jours, de 9h à 18h, du 1er septembre au 30 juin(sauf mardi, de 13 h 30 à 18 h et samedi,dimanche de 10 h à 18 h) et 10 h à 19 h,du 1er juillet au 31 août (sauf mardi, de 13 h 30 à 19 h).

14, rue Hébert - 38000 GrenobleTél. 04 76 42 38 53 - Fax 04 76 42 55 89www.resistance-en-isere.fr

L’entrée dans les musées départementaux est gratuite.

AGENDA…

LE JOURNAL DU MRDI - NUMÉRO 1 - AVRIL 2005