lacs italiens - la douceur de vivre

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WEEK-END ITALIE 21 20 Célébrés dès le XVIII e siècle par le gotha des lettres et de la musique, les villas du lac de Côme, les châteaux des Borromées sur les îles du lac Majeur ou le Sacro Monte du lac d’Orta exercent toujours sur le voyageur une séduction inaltérable. TEXTE DANIELLE TRAMARD - PHOTOS JEAN-BAPTISTE RABOUAN Étagée sur un promontoire du lac de Côme, la villa del Balbianello, XVII e , porte son regard dans toutes les directions. Son dernier occupant, un alpiniste et explorateur du pôle, l’a léguée, avec les collections qu’elle renferme, à une fondation. LACS ITALIENS LA DOUCEUR DE VIVRE

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Célébrés dès le XVIIIe siècle par le gotha des lettres et de la musique, les villas du lac de Côme, les châteaux des Borromées sur les îles du lac Majeur ou le Sacro Monte du lac d’Orta exercent toujours sur le voyageur une séduction inaltérable.

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WEEK-ENDITALIE

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Célébrés dès le XVIIIe siècle par le gotha des lettres et de la musique,les villas du lac de Côme, les châteaux des Borromées sur les îles du lac Majeur ou le Sacro Monte du lac d’Orta exercent toujours surle voyageur une séduction inaltérable.

TEXTE DANIELLE TRAMARD - PHOTOS JEAN-BAPTISTE RABOUAN

Étagée sur un promontoire du lac de Côme, la villa del Balbianello, XVIIe, porte son regard dans toutes les directions. Son dernier occupant, un alpiniste et explorateur du pôle, l’a léguée, avec les collections qu’ellerenferme, à une fondation.

LACS ITALIENSLA DOUCEUR DE VIVRE

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WEEK-ENDITALIE

LE MONT SACRÉ, « THÉÂTRE DE MONTAGNE »,ÉTAIT UN PROJET DE LA CONTRE-RÉFORME

POUR FAIRE BARRIÈRE AU PROTESTANTISME

Le Sacro Monte qui domine le lac d’Orta est dédié à François d’Assise. Chacune des vingt chapelles illustre un épisode de la vie du saint avec la vivacité et le réalisme d’une BD sculptée.

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Beauté absolue qui mérite bienson nom d’Isola Bella, l’île élèveses terrasses baroques peupléesde statues. À l’arrière-plan, lesmontagnes du lac Majeur lui forment une corolle.

ISOLA BELLA PORTE LE NOM DE CELLE À QUIELLE FUT DÉDIÉE, ISABELLE, ÉPOUSE DU

COMTE CHARLES III BORROMÉE

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Lacs Italiens

Bellagio, charmant village et jonction entre les deux

branches du lac de Côme, fut témoin des amours de Franz

Liszt avec Marie d’Agoult.

P as question de distribuer des prix d’excellence. Tous sont beaux

et suscitent l’admiration. Disons simplement que, pour le

paysage, le lac de Côme est incomparable et les villas serties

sur ses rives des trésors. Que le lac Majeur, plus subtil, para-

doxalement plus modeste et familial, semble plus aristocratique encore par

l’omniprésence des Borromées qui l’ont doté de châteaux impressionnants

et d’îles paradisiaques. Quant au lac d’Orta, qui ne leur est inférieur que par

la taille, c’est une perle cachée. Qui connaît le lac d’Orta ? Une élite, éprise de

son mont Sacré empreint de spiritualité souriante. Nous les avons vus en mai,

saison magnifique où rhododendrons, azalées et camélias exhalent leurs

couleurs dans un vert vert, un vert sybarite nourri, ravivé par les pluies. Car

il pleut dans cette région du nord de l’Italie et du sud des Alpes. D’où la

vigueur d’une végétation prolifique.

Le lac de Côme, éblouissant avec ses pentes poudrées de vert glissant dans

l’eau qu’elles colorient à leur image. Ce sont des lacs glaciaires dont la croûte

translucide, en descendant, a raboté les pentes. Sa forme ? Un Y inversé dont

la base est au nord, la jonction des deux branches à Bellagio et les deux

extrémités au sud, à Côme et Lecco.

La ville de Côme, capitale de la soie à laquelle son économie est liée, possède

une cathédrale (1396-1700) digne d’intérêt : sur sa façade au gothique lom-

bard dépouillé, deux statues, Pline l’Ancien et Pline le Jeune, nés à Côme ;

flancs Renaissance ; coupole baroque. Deuxième étape, la presqu’île de

Bellagio, bourg ravissant entouré de villas, de jardins tombant dans le lac.

Ceux de la Villa Serbelloni, de la Villa Melzi, si bien décrite par Stendhal. La

Villa Marguerita, stores verts et blancs, appartenait à la famille Ricordi, et

Verdi y a composé une partie de la Traviata.

La Villa Carlotta, 1690, l’une des plus anciennes du lac, est précédée d’un

escalier de pierre. Les superlatifs ne sont pas excessifs : élégance, raffine-

ment, caractère… Ici, plus que la demeure blanche, à clocher et horloge

marquant l’heure, abritant aujourd’hui un musée aux belles pièces, dont le

chef-d’œuvre de Canova, Amor et Venus, en marbre recouvert de cire pour

imiter le grain de la peau, c’est le jardin qui captive le visiteur. Il déambule,

charmé, dans une allée de citronniers, orangers, pamplemoussiers, puis entre

un mur de camélias, des coussins d’azalées et une pelouse dévalant jusqu’au

lac. Une orgie de couleurs, fleurs éclatant dans le vert du feuillage. L’été, une

brume romantique se répand et noie un paysage de châtaigniers et de chênes

verts. Quel peintre ferait mieux ? Monet, ici, serait devenu fou !

La Villa del Balbianello connut la sobriété monastique, puis la pompe cardi-

LA VILLA DEL BALBIANELLO CONNUT LA SOBRIÉTÉMONASTIQUE AVANT LA POMPE CARDINALICE

VILLA CRESPIL’extravagante Né près d’Orta, Cristoforo Benigno Crespi, négociant en coton,fit construire cette villa de style mauresque qu’il offrit en cadeaude mariage à sa femme. Il fallut vingt ans aux artisans qu’il fitvenir de Bagdad pour venir à bout, en 1879, des plafonds à motifgéométrique, des dentelles de stuc blanc ou coloré, des parquetsétoilés, des salles de bains à arc mauresque, en fer à cheval, au-dessus de la baignoire, gages d’un style arabe authentique.Sans oublier l’entrée, élevée sur deux étages, murs en craie minutieusement sculptée, parfois dorée. Surtout, dès l’extérieur,le regard s’attache sur le minaret à dôme en oignon évoquant unemosquée dressée dans le ciel italien. Aujourd’hui, le propriétaireet chef, Antonino Cannavacciuolo, deux étoiles Michelin, a assorti cette luxuriance orientale de lustres de Murano, lits à baldaquin, fauteuils de style, mousselines aux fenêtres et tapis-serie précieuses, en soie. Quant au chef, il accorde sa préférenceaux saveurs de la cuisine méditerranéenne.

Villa Taranto PARADIS BOTANIQUE

Le capitaine Neil McEacharn, un Écossais féru de botanique,lit dans une gazette qu’une villa est à vendre sur le lac Majeur. Il rachète les bois alentour, constitue un domaine de20 hectares et commence en 1931 des travaux d’aménagement.En 1952, il ouvre son jardin botanique, longuement mûri, au public. À sa mort, en 1964, il y est enterré. Un itinéraire de 7 km permet de découvrir un ensemble de jardinsdifférents, un bassin couvert qui abrite la plante aquatiqueVictoria Amazonica aux immenses feuilles flottantes et desvariétés de fleurs inconnues jusqu’alors en Europe. Atout majeur, la terre est acide, comme partout dans la région.

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Trésors de la cathédrale de Côme(1396-1700), le retable central etla Fuite en Égypte, de BernardinoLuini, élève de Léonard de Vinci.

Le minaret de la Villa Crespi (1879), devenue hôtel de charme du lac d’Orta, construite dans le style

mauresque par des artisans de Bagdad.

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Un certain comte Frizoni achète une villa à Bellagio,« perle du lac » de Côme, emplit la demeure d’objetsprécieux dignes de sa condition et sème à l’extérieurbalustrades, balcons et colonnes. Cette demeure patricienne devient, en 1872, par l’adjonction de deuxailes, un grand hôtel. Les hôtes titrés y affluent mal-gré les prix élevés auxquels s’ajoute, ô surprise, la location des bougies ! « En 1918» raconte GianfrancoBucher, le propriétaire actuel qui vit sur place et im-prime sa marque d’élégante simplicité, «mon grand-père tombe amoureux de Bellagio et achète l’hôtel.Enclave suisse, il accueille pendant la Seconde Guerremondiale des réfugiés juifs dont des peintres qui,pour prix de leur séjour, offriront des œuvres.» Ainsi,

au premier étage, les grandes toiles de Biasi. Dans lesalon d’apparat, un Pleyel à queue sur lequel Lisztcomposa trois Sonnets de Pétrarque. Aujourd’hui,dans la grande maison à façade ocre baignée de soleil,le voyageur retrouvera le décor qui a toujours fait soncharme : plafonds à grotesques, murs à fresques, lustres en Murano, meubles anciens, tapis persans,trompe-l’œil et, la nuit, dormira dans la fraîcheur dedraps en lin sous des couettes bibendum gonfléesd’importance… Certaines chambres impressionnentpar leur raffinement. Nous leur avons préféré une plusmodeste, table de toilette à discret motif floral, se-crétaire peint sur lequel était posé un bouquet de rho-dodendrons. Un oiseau chantait par la fenêtre ouverte.

Et le chef ? Ettore Bocchia, une étoile Michelin, aprèsavoir travaillé avec le professeur Davide Cassi, un physicien de Parme, introduit en Italie la cuisine moléculaire qu’il utilise pour sublimer le goût. Ainsisa glace « Fior di latte », à l’azote liquide et fruitsrouges flambés, spectaculaire. Il compose une cuisinetraditionnelle, ses légumes provenant du potager d’unagriculteur, sauf les aubergines, tomates et citronsgorgés du soleil de Sicile. Rien d’étonnant si un certain acteur américain, qui possède une villa sur lelac, vient y dîner… Autre signe qui ne trompe pas : la fidélité du personnel qui revient chaque année,l’hôtel fermant en hiver, et l’attachement d’hôtes quiont goûté à son aimable hospitalité.

GRAND HÔTEL VILLA SERBELLONI - Un charme authentique et discret

UNE ORGIE DE COULEURS, FLEURS ÉCLATANT DANS LE VERT DU FEUILLAGE. MONET, ICI, SERAIT DEVENU FOU

nalice avant que la famille Visconti ne l’achète et entoure la partie sur le lac

d’une balustrade en pierre. Le duc de Milan la vendit et elle passa finalement

aux mains de Guido Monzino, entrepreneur milanais et explorateur des pôles.

C’est la villa telle qu’il l’a aménagée que l’on visite. À l’intérieur, moult tableaux

et autres objets de prix. Ne pas manquer, de part et d’autre de la loggia, la

salle des cartes et la bibliothèque aux quatre mille ouvrages sur la montagne

et les expéditions polaires. Du lac, perspective géométrique scandée de

terrasses, de statues, la villa elle-même étant étagée sur plusieurs niveaux.

Étape du Grand Tour, entre la Suisse et Florence, le lac Majeur est, d’évidence,

borroméen avec ses îles, châteaux et jardins dont le souvenir fait chavirer

l’âme : Isola Bella, Isola Madre, Rocca di Angera…

Seigneurs du lac Majeur, les Borromées s’enrichirent, à l’origine, dans le

commerce d’étoffes de laine avant de devenir banquiers. À la fin du XIVe

siècle, ils vinrent à Milan dont les Visconti étaient les seigneurs. Les Visconti

leur donnèrent des fiefs et, par la suite, d’autres terres autour du lac Majeur

jusqu’à créer un État dans le duché de Milan.

Leurs châteaux et palais peuplent les rives et les îles du lac. Début XVIe, ils

acquièrent Isola Madre, font aménager des terrasses, apporter la terre qui ne

couvre pas plus de 25 cm par endroits. Un cyprès du Cachemire déraciné par

une tornade en 2006, événement rare au pays de la douceur de vivre, et

redressé par des grues a repris goût à la vie ! Le château, solide construction

rectangulaire à deux étages, est meublé XVIIe-XVIIIe, ce qui restitue l’atmo-

sphère et le style de vie de l’époque. Salles des Saisons, des Poupées, des

marionnettes en bois, porcelaine et tissu, petit théâtre conçu, début XIXe, par

le décorateur de la Scala, à Milan. Dans le jardin romantique, épais, touffu, des

L’atrium du Grand Hôtel Majestic(1870), au bord du lac Majeur, élèvesur quatre étages ses galeries et colonnes de marbre blanc.

La cime du parc Mottarone offreune vue des plus romantiques sursept lacs dont, ici, le lac Majeur.

GRAND HÔTEL MAJESTIC Un havre de sérénité Construit en 1870 sur une presqu’île de la rive ouest du lac Majeur, à Pallanza, cet établissement à l’atmosphère élégante,à l’écart des foules, a séduit hier Debussy, Arturo Toscanini oul’actrice Eleonora Duse. Il reçoit aujourd’hui, pour de longs séjours, des hôtes amoureux de calme et de discrétion. Ils apprécient le jardin, la plage de sable et l’accès direct au laccomme la vue sur les îles Borromées et les montagnes environ-nantes. Le hall de réception, atrium à colonnes de marbre blancsur quatre étages, précède une longue suite de salons auxfresques à demi effacées, sièges de style vénitien ou fauteuilsCassina des années 1940, donnant sur une terrasse, le jardin anglais, la pelouse et l’eau. Un endroit propice à la contempla-tion, le soir, ou aux conversations amicales à voix basse, non loindu bar. Parquet, lustres en bronze et lampes Art Déco meublentles chambres, classiques. L’îlot San Giovanni, avec son châteaudes Borromées, est rattaché à l’hôtel par une jetée de bois…

À fleur d’eau, la Villa Serbelloni, maison patricienne entourée de jardins, contemple le lac de Côme et ses pentes frottées de vert.

Mottarone MONT AVEC VUE

Une route de montagne, ombragée d’arbres et bordée de cesbelles villas anciennes au milieu de jardins de paradis, s’élèvedes bords du lac Majeur jusqu’au parc du Mottarone (1 491 m)dont la forêt de châtaigniers va se dépouillant jusqu’à la cimearrondie et dénudée, s’arrêtant aux points de vue de plus enplus étendus à mesure que l’on s’élève. Du sommet, que l’ongagne à pied par une courte mais raide pente, une vue éblouis-sante s’offre au regard : le mont Rose, les Alpes, sept lacs – leslacs Majeur, d’Orta, Mergozzo, Varese, Monate, Comabbio,Biandronno –, la ville de Milan et le début des Apennins. Unpetit effort pour une grande récompense.

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faisans japonais, tête rouge, ailes blanches, gorge et calotte noires, des paons

très cabotins faisant la roue et poussant des cris perçants. Rhododendrons,

azalées, camélias s’épanouissent dans une explosion de couleurs dont nul ne

se lasse, toutes les nuances du rouge, du mauve, étant représentées.

Isola Bella porte le nom de celle à qui elle fut dédiée, Isabelle, épouse du

comte Charles III Borromée qui fit construire une villa et un petit jardin. Son

fils Vitalien VI a édifié le palais et le jardin en forme de bateau dont la poupe,

magnifique, descend en gradins vers le lac ou le palais par dix terrasses

soutenues par des murs de verdure et portant vers le ciel pyramides effilées

et sculptures en mouvement sur de hautes colonnes. Une balustrade en pierre

court au bord de l’eau. Jardin baroque (1600) où l’architecture est plus

importante que la végétation. Sur ces jardins scénographiques, des acteurs

venaient donner des représentations, rôles tenus aujourd’hui par des paons

blancs. L’étage d’apparat du palais — salles de bal, salons, chambre où

Bonaparte dormit en 1797 — se visite. La famille, qui passe toujours ici le mois

de septembre, habitait l’étage supérieur en été. À la proue, un escalier

monumental, inachevé.

Nietzsche commença Ainsi parlait Zarathoustra sur les rives du lac d’Orta aux

deux trésors cachés : l’île San Giulio et le Sacro Monte. L’île de San Giulio fut

évangélisée en 390. L’église romane (fin XIe-début XIIe) fut entièrement peinte

à fresque du XIVe au XVIIIe siècles. Autour du château fort de l’évêque — Orta

fut capitale d’une enclave épiscopale — occupé aujourd’hui par des moniales

bénédictines, un sentier de silence et de méditation fort bucolique.

Le Sacro Monte, mont sacré, jalonné par vingt chapelles, s’élève dans

un parc naturel dont les essences furent choisies par l’architecte, un père

MAI, SAISON MAGNIFIQUE OÙ LES FLEURS EXHALENT LEURSCOULEURS DANS UN VERT SYBARITE AVIVÉ PAR LA PLUIE

Construite en 1568 pour un cardinal lettré par Pellegrino Pellegrini, le meilleur architecte del’époque, la villa fut embellie au cours des siècles parses propriétaires successifs. Dont un marquis quiépouse une danseuse de l’opéra de Milan. Laquelle,devenue veuve, se remarie, fait dessiner la célèbreallée baroque à degrés et, craignant que son généralde mari ne s’ennuie dans cette élégante retraite, élever des fortifications afin qu’il puisse jouer à laguerre… Caroline de Brunswick, future reine d’Angle-terre, lui donne le nom d’Este en souvenir d’un lointainancêtre. Le baron Ciani, en 1856, fait construire uneseconde villa, le pavillon de la Reine, petite sœur dela maison du Cardinal. En 1873, toutes deux seront

converties en hôtel. N’oublions pas une auguste locataire, Maria Feodorovna, impératrice douairièrede toutes les Russies. Eugène de Beauharnais, vice-roi d’Italie, avait une villa toute proche.Ces préliminaires posés, entrons. Traversant la villa depart en part, le hall éclairé de lustres vénitiens, fau-teuils de style en haie d’honneur. Il donne sur les sa-lons, puis la terrasse ombragée, puis le lac. Un escalier en marbre à deux volées monte vers les étages. « Le changement, c’est de ne pas changer », tellepourrait être la devise de la villa d’Este. La gouvernantetient l’inventaire des antiquités présentes dans chaquechambre : meubles luisants, souvent à pieds griffus ouornés d’un cygne courbant le col en un mouvement

gracieux, comme il convient au style Napoléon III, lustre scintillant en verre de Murano, étoffes en bellesoie de Côme. Celle qui nous accueillit une nuit ? Au mur, une grande toile de femme tenant un petitchien, taille fine, bustier révélant les seins gonflés. Surune autre, un homme de science, pierre à l’annulaire,rouge comme son pourpoint à jabot blanc, montre dudoigt une fiole; derrière lui, sur une étagère, des ouvrages de pharmacopée. Lourds rideaux bleus àabeilles rouges, chaises Empire comme le ciel de lit àlyre et barre ouvragée sur laquelle est jeté un drapébleu. Avec sa vaisselle armoriée, ses salons de récep-tion, harmonie de bleu et or, la villa d’Este, grand moment de civilité, attend toujours l’Empereur.

VILLA D’ESTE - L’aristocrate du lac

IL PICCOLO LAGO Le chef philosopheAu bord du petit lac de Mergozzo, à quelques kilomètres de larive occidentale du lac Majeur, au pied des monts, c’est un restaurant discret et délicieux, deux étoiles Michelin, comme onles aime. Plats locaux légers, service attentif et bienveillant,cadre étincelant. De la salle à manger, très raffinée, le regard sepose sur la pelouse que lèche l’eau frémissante, les oies,blanches sur l’herbe d’un vert insolent, les toits rapprochés d’unvillage. Un énorme camélia frôle la vitre. Nous gardons le souve-nir ébloui d’une entrée légère, évanescente comme un soupir :un flan de Bettelmatt, fromage de vache uniquement produit surles alpages d’une petite vallée au nord du Piémont, le val Formazza. Puis viendra le sandre au jus d’orange et épices orien-tales, la crème de polenta blanche… Pain et gressini pétris surplace. Philosophe, le chef, Marco Sacco, affiche ce qui le guidesur la vitre de la cuisine ouverte : « Reprendre le passé, lui donner une forme dans le présent, le projeter dans le futur. »

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Les terrasses d’Isola Bella, côté palais, paon blanc faisant la roue, illustre le jardin baroque propice aux représentations théâtrales.

Marco Sacco, chef étoilé Michelin, dont la cuisine subtile, goûteuse et

légère, laisse un souvenir inoubliabledans notre mémoire gustative.

La Villa d’Este (XVIe), au bord du lac de Côme, inspira poètes et musi-ciens. Verdi y aurait composé sa Traviata et Bellini, Norma.

La Rocca di Arona L’ÉPOPÉE DES BORROMÉES

Au-dessus de la ville d’Arona, porte d’entrée du lac Majeur,s’élevait une forteresse des Borromées qui commandait, aveccelle d’Angera, sur l’autre rive, la défense du lac. Napoléon lafit détruire au motif que, entre des mains ennemies, elle serait une menace. En échange, il fit construire la route duSimplon, qui relie Milan au col éponyme. Premier fief des Bor-romées, ce bastion a vu les débuts de leur histoire comme sei-gneurs du lac Majeur. Ici est né, en 1538, saint Charles Borromée. En son honneur, une statue creuse de 23 m de hautfut fondue en 1698. Gustave Eiffel l’aurait examinée pour avoirune idée de la structure de sa future tour.

© VILLA D’ESTE/DR

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CHÂTEAUX, PALAIS ET JARDINS DES BORROMÉES PEUPLENT LES RIVES ET LES ÎLES DU LAC MAJEUR

capucin. Le Sacro Monte, «théâtre de montagne», catéchisme en action, était

un projet de la Contre-Réforme pour faire barrière au protestantisme. Il

illustre la vie du Christ, de la Vierge ou d’un saint et comporte toujours un

puits, pour rafraîchir les pèlerins. La région en compte sept en Piémont, deux

en Lombardie, le plus ancien à Varallo, dès 1495.

À la demande des habitants d’Orta qui l’ont financé, celui-ci raconte la vie de

saint François d’Assise, de sa naissance à sa mort. Les travaux durèrent deux

siècles, de la fin du XVIe à la fin du XVIIIe. La vingtième chapelle, l’une des

premières réalisées, raconte la canonisation du saint en 1228 : le pape

Grégoire IX remettant la bulle papale au père général des franciscains en

présence d’ambassadeurs, cardinaux et évêques. Imaginez, pour décrire cette

scène vivante, animée, au lieu d’une peinture, quarante-quatre statues,

certaines sortant des murs, dans un joyeux tohu-bohu ! Statues en terre cuite

peinte, poussiéreuses, expressives : bouche ouverte en conversation

mondaine ou marquant l’ébahissement, main au front du penseur, mains

jointes en prière. S’ils parlaient, cela ferait un beau raffut ! Le plafond n’est pas

plus tranquille avec une fresque à la gloire du Poverello. Le spectateur, car

c’est bien de cela qu’il s’agit dans ce « théâtre de montagne », regarde,

derrière une grille en bois à ouverture ovale pour poser son visage. De la

terrasse devant l’église, au sommet du mont sacré, vue sur l’île qui mérite

bien, par sa forme oblongue, le nom de «prunelle de Dieu».

Laissons Stendhal conclure : «Que dire du lac Majeur, des îles Borromées, du

lac de Côme sinon plaindre les gens qui n’en sont pas fous.» Permettons-nous

un codicille : le lac d’Orta, qu’il n’avait sans doute pas vu.

Angera MUSEO DELLA BAMBOLA

Ce musée des poupées dans un château fort des Borromées,sur le lac Majeur, est une merveille. Poupées en bois articulé,en cire, en porcelaine, de toutes tailles et conditions, pay-sannes mais surtout grandes dames reflétant la mode dutemps : taille haute Empire, taffetas et dentelles, crinoline,traîne, poupée japonaise à obi, garde-robe débordant d’unemalle, secrétaire miniature… Dans un château fort à lourdesportes, banc de pierre devant les fenêtres, sol à grossesbriques rouges ou noires, donjon, tour médiévale, créneaux àqueue-d’aronde. Avec la forteresse d’Arona, il formait un sys-tème défensif contrôlant tout le sud du lac Majeur.

L’impérieuse forteresse médiévale d’Angera gardait le lac Majeur. Les Borromées y ont installé un attachant musée de la Poupée.

Fondé en 1990, ce musée privé justifie amplement sontitre de musée didactique de la soie. D’autres, notamment en Asie, s’étendent sur l’élevage et la transformation du cocon. Celui-ci, créé par une asso-ciation d’amis de la soie, présente le cycle complet defabrication. Côme, capitale de la soie à laquelle son économie estliée et d’où provient 80 % de la soie européenne, im-porte de Chine le fil écru et exporte le produit fini. L’éle-vage du vers à soie se faisait autrefois à domicile. «Monarrière-grand-mère faisait grandir le ver dans son cor-sage avant de le déposer sur une feuille de mûrier »,raconte notre cicérone, Carlotta Bianchi. Tirage du fil,machines pour fabriquer les lisses en coton, les combes

et cartons perforés, ourdissoir pour préparer la chaîne,autant d’opérations complexes devenues limpides ici. Le passage de l’artisanat à l’industrie, avec introductionde la machine utilisée à Côme jusqu’au début du XXe siè-cle, est représenté dans la salle de tissage par deux métiers : l’un, jacquard, une méthode introduite vers1820 en Italie, à cartons perforés lus par une machine,par ordinateur aujourd’hui, et un métier à « double ratière » avec lecture du patron à lattes en bois, pourles rayures ou les petits motifs, tels ceux des cravates.Viennent ensuite la salle des mesures physiques, le laboratoire de chimie, la teinturerie – effectuée débutXXe dans une cuve à partir d’un mélange d’eau trèschaude et de couleur, aujourd’hui à haute pression dans

une machine fermée –, la salle de l’impression à lamain. L’impression industrielle fut introduite vers 1830et se poursuit, cadres et rouleaux remplaçant lesplanches utilisées jusqu’à la fin de la Seconde Guerremondiale. Apprenez également que le fil est composéde deux protéines, 75 % de fil, 25 % de séricine, unecolle naturelle utilisée en cosmétique et qui s’assouplitsous l’eau chaude. Si l’on ajoute du savon de Marseilleà l’eau, la séricine disparaît. Il est donc possible de« laver » la soie écrue qui devient ainsi une étoffe perméable et peut alors être colorée.Une visite vraiment « didactique », qui ouvre des perspectives nouvelles sur cette matière précieuse,douce et fluide comme l’eau du lac.

MUSEO DIDATTICO DELLA SETA - La soie, fluide comme l’eau

SANTA CATERINA En signe de gratitudeC’est un petit monastère accroché à la roche, à la verticale desflots du lac Majeur. Avec une église entièrement décorée àfresque correspondant aux différentes époques de construction.Car cet endroit plein de charme est le fruit de miracles donnantlieu, en ces âges très chrétiens, à la construction de sanctuairesen remerciement. Vers 1450, les trois chapelles, la première avecle tombeau de Sainte Catherine, la deuxième dédiée à la Vierge,la troisième à Saint Nicolas, furent réunies. Pénétrant dansl’église, noter les plafonds de hauteur décroissante et les troischapelles latérales dont la façade regardait le lac. Celle à gauchede l’autel présente des fresques du XIVe, presque effacées maisriches et détaillées. Au fond de l'église, la copie du tombeau dela sainte et la chapelle des Rochers rappelant la chute de pierresmiraculeusement arrêtée sur le toit. Vous ne croiserez pas de religieux. Les derniers dominicains ont quitté le site, géré aujourd’hui par des laïcs suivant la règle de Saint Benoît.

WEEK-ENDITALIE

Les chapelles de Santa Catarina, à l’aplomb du lac Majeur, abritentde précieuses fresques de la renaissance lombarde (XVIe siècle).

La place principale du village de San Giulio d’Orta, ancienne enclaveépiscopale, d’où partent les petits

bateaux vers l’île éponyme.

Guide pratique pages 86-87