la vie trepidante de frederic dard

20
http://www.lexpress.fr/culture/livre/la-vie- trepidante-de-frederic-dard-dit-san- antonio_896730.html La vie trépidante de Frédéric Dard, dit San-Antonio Actualité Culture Livres Par Tristan Savin , publié le 04/06/2010 à 07:00 Ecrivain français le plus lu de la seconde moitié du XXe siècle avec quelque 200 millions d'exemplaires, il fut aussi le plus prolifique, produisant plus de 250 romans. Dix ans après sa disparition, le 6 juin 2000, le forçat des lettres revient en librairie... Qui se cache dans l'ombre du truculent San-Antonio? Il s'appelait Frédéric Charles Antoine Dard. Ses amis se contentaient de Frédéric. Charles fut l'un de ses nombreux pseudonymes. Quant à Antoine, c'était le prénom de son alter ego, autoproclamé "premier flic de France", le célèbre commissaire... San-Antonio. Il s'est longtemps cherché à travers l'écriture. Et s'est trouvé en rencontrant le succès. Moins connu que son héros, il en a fait son double de papier, lui a prêté ses pensées les plus malsaines, les plus obscènes, les plus délirantes, allant jusqu'à faire

Upload: mirela-misca

Post on 09-Jul-2016

224 views

Category:

Documents


3 download

TRANSCRIPT

Page 1: La Vie Trepidante de Frederic Dard

http://www.lexpress.fr/culture/livre/la-vie-trepidante-de-frederic-dard-dit-san-antonio_896730.html

La vie trépidante de Frédéric Dard, dit San-Antonio

Actualité

 

Culture

 

Livres

 Par Tristan Savin, publié le 04/06/2010 à 07:00

Ecrivain français le plus lu de la seconde moitié du XXe siècle avec quelque 200 millions d'exemplaires, il fut aussi le plus prolifique, produisant plus de 250 romans. Dix ans après sa disparition, le 6 juin 2000, le forçat des lettres revient en librairie... Qui se cache dans l'ombre du truculent San-Antonio?

Il s'appelait Frédéric Charles Antoine Dard. Ses amis se contentaient de Frédéric. Charles fut l'un de ses nombreux pseudonymes. Quant à Antoine, c'était le prénom de son alter ego, autoproclamé "premier flic de France", le célèbre commissaire... San-Antonio. Il s'est longtemps cherché à travers l'écriture. Et s'est trouvé en rencontrant le succès. Moins connu que son héros, il en a fait son double de papier, lui a prêté ses pensées les plus malsaines, les plus obscènes, les plus délirantes, allant jusqu'à faire ajouter une mention sur son passeport : "Dard, dit San-Antonio". 

Né le 29 juin 1921 à Jallieu (aujourd'hui Bourgoin-Jallieu), Isère, "Dard est issu d'un milieu à la fois bourgeois par son père et paysan par sa mère", indique son biographe François Rivière. Après un accouchement à domicile difficile, ses parents, Francisque et Joséphine, lui découvrent un bras gauche inerte, déformé. "Un enfant affligé d'une telle malformation devient idiot ou supérieurement intelligent", aurait prophétisé un médecin. 

Page 2: La Vie Trepidante de Frederic Dard

Il s'en confiera plus tard à son ami Albert Benloulou, qui fut son éditeur au Fleuve Noir : "Les autres enfants ne voulaient pas jouer avec lui... Il était considéré comme handicapé. Par la suite, son bras, il faisait plus que le dissimuler : il l'occultait." La fille aînée de Frédéric, Elisabeth Dard, confirme : "Son épaule atrophiée était un gros complexe. Je ne l'ai jamais vu torse nu. En vacances, il se baignait avec une chemise. Mais cela ne l'a pas empêché de séduire les femmes." 

Le romancier est le rejeton d'une lignée de libertins. Son grand-père paternel, Séraphin, dilapida l'héritage familial et divorça tôt. Francisque est un drôle de père, farceur, bon buveur et... coureur. "Mon grand-père était un vrai queutard", confie Patrice Dard, le fils de Frédéric. Il a déclaré un jour à papa : "Je fais l'amour tous les soirs." Devenu adulte, le romancier considérera son propre père comme un enfant, selon sa fille Joséphine. "C'était un peu une famille d'éclopés", résume Rivière. 

La rate au court-bouillonFrancisque Dard dirigeait une petite entreprise de chauffage - une "fumisterie" disait-on en ce temps-là. "Il a pris en pleine figure la crise de 29, raconte aujourd'hui Françoise Dard, veuve de l'écrivain. La faillite était une honte, à l'époque. Les huissiers sont venus, ont saisi les meubles... Frédéric était un enfant aimé, mais subissant la faillite." L'entrepreneur déchu se retrouve simple ouvrier chez De Dietrich et Frédéric est confié à sa grand-mère. 

1921 

Naissance à Jallieu (Isère) 

1940 

La Peuchère, son premier roman 

1942 

Mariage avec Odette Damaisin 

1944 

Naissance de Patrice Dard, puis d'Elisabeth en 1948 

Page 3: La Vie Trepidante de Frederic Dard

1949 

Réglez-lui son compte !, premier San-Antonio 

1964 

L'histoire de France vue par San-Antonio (2,5 millions d'exemplaires à ce jour) 

1965 

Tentative de suicide 

1968 

Remariage avec Françoise de Caro et installation en Suisse 

1970 

Naissance de Joséphine Dard et adoption d'Abdel 

1983 

Enlèvement de Joséphine 

1991 

Adaptation au cinéma de La vieille qui marchait dans la mer (avec Jeanne Moreau) 

2000 

Mort à Bonnefontaine (Suisse) 

L'enfant ballotté assiste à des querelles familiales et à de pitoyables scènes d'ivrognerie. Il fait l'apprentissage de la misère, dort dans le lit de sa grand-mère, doit se laver dans l'évier. Une scène le marque particulièrement : il aperçoit un jour un unijambiste, obèse, prenant un bain de pied avec une chaussette punaisée sur sa jambe de bois. L'écrivain s'en souviendra au moment de créer le personnage de Bérurier. 

Page 4: La Vie Trepidante de Frederic Dard

Quant à Félicie, la mère de San-Antonio, "c'est un mélange de sa mère et de sa grand-mère" à en croire le fils aîné de l'écrivain, qui poursuit désormais les aventures du commissaire. 

"J'écrivais avant de savoir écrire", racontera plus tard Frédéric Dard. "Ma grand-mère me lisait des contes pour enfants, ces contes qui comprennent quatre lignes dans une page, écrites très gros, et quand elle avait cessé de lire, je prenais une feuille de papier et je reconstituais les caractères que je savais chargés de l'histoire qu'elle venait de me conter." 

A l'école, élève plutôt moyen (l'orthographe n'est pas son fort), timide, complexé par son bras - et la situation financière de sa famille -, il se réfugie dans le mutisme. Cette manière de fuir la société par la pensée, il l'aura tout au long de sa vie. "Il y avait du fatalisme, de la déprime et de la tristesse en lui, juge François Rivière. Il n'était pas drôle tout le temps. Il s'exprimait par anecdotes. Il lâchait des vannes effroyables sur les gens. Il pouvait rester trois jours sans parler. Il trouvait le monde et la vie merdiques." 

Heureux hasard, sa grand-mère Claudia aime la lecture, en tous genres : feuilletons, classiques, illustrés. Elle lui transmet ses engouements pour Les misérables, Balzac, Zévaco, lui permet de dévorer Bibi Fricotin et Les Pieds Nickelés. "Il m'a toujours dit qu'il était devenu romancier grâce à elle", se souvient Françoise. Rivière en est convaincu : "Sa grand-mère était la femme de sa vie." 

Joséphine Dard rêve de faire de son fils un comptable et l'envoie dans une école commerciale réputée de Lyon, La Martinière. Il entame des romans dans ses cahiers d'écolier, s'essouffle vite, se tourne vers la nouvelle, en adresse une au Journal de Mickey. "Bonne Maman" est une grande lectrice de faits divers sanglants et lui communique son penchant pour le morbide. Une visite au musée de la Police de Lyon, où s'entassent les crânes d'assassins et les fioles d'empoisonneurs, le marque particulièrement. 

J'ai essayé, on peut !Il confie à son père son désir de vivre de sa plume. Francisque, lui-même porté sur la poésie, ne s'y oppose pas. Un oncle garagiste sert d'intermédiaire pour contacter Marcel Grancher, auteur célèbre dans la région et éditeur du luxueux magazine Le Mois à Lyon. En octobre 1937, Grancher engage Frédéric Dard comme stagiaire. D'abord simple garçon de course, à sa grande déception, il peut

Page 5: La Vie Trepidante de Frederic Dard

au moins se prévaloir du titre de journaliste pour rencontrer un écrivain qu'il admire, de passage à Lyon pour une conférence : Georges Simenon. En janvier 1939, Grancher permet à son protégé de rédiger ses premiers articles, sous forme de billets d'humeur et de critiques littéraires. 

Enfin salarié, le jeune homme au visage lunaire et aux yeux clairs peut faire sa déclaration d'amour à Odette Damaisin. "Nous nous sommes rencontrés dans le tramway, quand j'avais 14 ans, lui quinze, se souvient-elle. On ne se parlait pas, c'était interdit à l'époque. Et il était tellement timide. Le jour où il m'a adressé la parole, il bredouillait." 

A la même période, Dard découvre un auteur dont le style le marquera, Louis-Ferdinand Céline. Bien plus tard, Frédéric Beigbeder aura cette formule : "Frédéric Dard est un Céline qui aurait aimé les Juifs." 

L'approche imminente de la guerre l'angoisse. Et il ne trouve pas d'éditeur pour La Peuchère, le premier roman qu'il parvient à achever. On peut y lire, en exergue : "J'ai rédigé cette longue nouvelle à dix-sept ans - c'est donc demander beaucoup d'indulgence au lecteur. Je la dédie à mon père, qui fut mon premier public." L'édition originale de ce roman, édité l'année suivante, par souscription, se négocie aujourd'hui autour de 2 000 euros. 

"En 1942, il est venu demander ma main, comme promis, poursuit Odette. Il venait de publier La Peuchère, il me l'avait envoyée et m'avait adressé des vers superbes : "Mon coeur est un violon que tu pinces de tes doigts..."" Le mariage est célébré en octobre, le voyage de noces se déroule à Marseille (guerre oblige) et le couple emménage à la Croix-Rousse. "Il gagnait bien sa vie, à Lyon. Le mandat envoyé pour une nouvelle équivalait à un mois de mon salaire d'institutrice. Tout ce que Frédéric écrivait était publié." Il fait paraître un amusant conte pour enfants, Cacou, l'histoire d'un oeuf qui n'en fait qu'à sa tête, et se voit décerner le prix Lugdunum pour son romanMonsieur Joos. Fier de cette première distinction, il la précise sur sa carte de visite. 

A la naissance de son fils Patrice, en 1944, l'écrivain nage dans le bonheur. Mais le contexte historique gâche sa tranquillité d'esprit. Selon Benloulou, "l'épuration l'a marqué. La bestialité, la vacherie, les règlements de comptes, ce qu'il appelait "l'ère du con roi"... Pendant l'Occupation, Dard n'a pas vraiment fait de résistance mais il a porté des plis. Il a vu Lacombe Lucien en personne, il a été témoin de

Page 6: La Vie Trepidante de Frederic Dard

vengeances dans une cour d'école : une file à gauche, une file à droite... Ça l'a hanté." 

Du mouron à se faireDès la fin de la guerre, Frédéric Dard s'associe avec un imprimeur lyonnais et crée les Editions de Savoie, dont il confie la gestion à Odette. "Nous cherchions des auteurs du domaine public, comme Balzac, pour lequel nous avons réalisé un bel ouvrage illustré. Les éditions marchaient très bien. Puis il s'est dit : "A nous Paris !""  

Une petite annonce permet d'échanger l'appartement de Lyon contre une maison près de la capitale et le couple débarque par hasard aux Mureaux, en 1949, un an après la naissance d'un deuxième enfant, Elisabeth. "Nous sommes partis avec un peu d'argent, Frédéric avait des recommandations, il était un peu connu sur Lyon, mais les éditeurs parisiens l'ont découragé. Sa mère envoyait un billet chaque vendredi. L'un d'eux n'est pas arrivé et nous nous sommes retrouvés sans rien à manger, à part quelques carottes et de la farine. Alors Frédéric a dit à Patrice : "Nous allons faire comme les Anglais, nous allons manger des carottes tous les jours !"" 

Dans l'immédiat après-guerre, l'espionnage est à la mode, Gallimard vient de lancer sa Série Noire et Boris Vian fait scandale, sous le nom de Vernon Sullivan, avec J'irai cracher sur vos tombes. "Dard a été influencé par l'argot de la Série Noire et celui d'Albert Simonin, analyse Rivière. Et il avait remarqué que des Anglais, comme James Hadley Chase - qu'il a connu - écrivaient des romans noirs pseudo-américains..."  

Odette se souvient très bien de la naissance du mythe : "Nous cherchions des idées pour nous en sortir et j'ai conseillé à Frédéric d'écrire un roman à la manière de Peter Cheyney. Il a commencé par chercher un nom d'auteur à consonance américaine et a étalé la carte des Etats-Unis. Son doigt est tombé sur la petite ville de San Antonio." 

On a souvent pris cette histoire pour une légende mais Patrice Dard confirme : "C'est vrai, il me l'a racontée. Il a failli recommencer car il trouvait que ça ne sonnait pas anglais." Le héros, agent des services spéciaux, a cette particularité : il est également écrivain... 

Page 7: La Vie Trepidante de Frederic Dard

Réglez-lui son compte !, premier titre signé San-Antonio, ne se vend pas et termine chez un soldeur parisien du nom de... Pinaud. L'agent littéraire de Jean Bruce (créateur d'OSS 117) achète par hasard un exemplaire et le fait lire à Armand de Caro, directeur et cofondateur des récentes éditions Fleuve Noir. Celui-ci contacte Dard et lui commande une suite. Laissez tomber la fille est un échec, tout comme les romans noirs écrits pour l'éditeur lyonnais Jacquier sous divers pseudonymes : Frédéric Charles, Fréderick Anthony, Max Beeting, Verne Goody ou... Kill Him. 

Les salauds vont en enferCe n'est pas avec San-Antonio que nous avons commencé à manger à notre faim, se souvient Odette, c'est grâce au théâtre." En 1950, Frédéric Dard adapte La neige était sale de Simenon. La pièce est un triomphe mais Dard se fâche avec le père de Maigret, celui-ci ayant eu la maladresse de déclarer publiquement : "Je n'ai pas d'adaptateur." La pièce révèle un jeune acteur, Daniel Gélin. "Il a été remplacé par Robert Hossein, qui est alors entré dans notre vie, poursuit Odette. C'était son seul vrai ami. Il avait une chambre chez nous. Nous recevions beaucoup d'acteurs à l'époque : Michèle Morgan, Jeanne Moreau..." Dard adapte ensuite Jésus-la-Caille, de son ami Francis Carco, et entame une longue et fructueuse collaboration avec Hossein pour le théâtre du Grand Guignol. Ils signent ensemble Les salauds vont en enfer, une pièce sartrienne encensée par la presse, qui lance Roger Hanin. "Le théâtre lui a appris l'art du dialogue", analyse Rivière. 

Elisabeth Dard revoit cette période avec ses yeux d'enfant : "Le souvenir le plus ancien que je conserve, c'est mon père débordant d'imagination dans un magasin de jouets. Il a réussi à nous convaincre, mon frère et moi, de prendre un petit ours en peluche à la place d'un vélo. Pour nos parents, c'était encore la période des vaches maigres. Après, quand il a enfin eu les moyens, il gâtait tout le monde, il donnait de l'argent aux clochards, il offrait sa cravate toute neuve à un ami si celui-ci la trouvait jolie..."  

Armand de Caro a du flair et persiste à réclamer des San-Antonio. Après l'échec de la pièce L'homme traqué, Dard lui en fournit quatre en 1953, puis cinq... Et les tirages s'envolent, atteignant les cinquante mille exemplaires. "A l'époque, précise François Rivière, il écrit ses 20 à 30 feuillets quotidiens. Il ne pouvait pas se

Page 8: La Vie Trepidante de Frederic Dard

passer d'écrire. Et il a réalisé qu'il lui fallait forger son propre style, créer un truc à lui : ça a été le côté voyou." 

Frédéric Dard continue, en parallèle, de produire sous son vrai nom des romans plus classiques à vocation littéraire, sans que la critique fasse le rapprochement. Pour Benloulou, "recenser ses livres est impossible : il utilisait plein de pseudos, sur lesquels les spécialistes s'écharpent. Quand c'était léché, il signait Dard, pour les livres alimentaires, c'était Tartempion." Selon son fils Patrice, "San-Antonio, c'était alimentaire, au début. Son objectif, c'était le Goncourt ou le Nobel". Albert Benloulou ne dit pas autre chose : "Il a été frustré, il rêvait de la couverture blanche de Gallimard. San-Antonio l'a colonisé de l'intérieur." A la fois lucide et provocateur, Dard déclarera plus tard à son biographe, avec son accent lyonnais : "Si j'avais le Goncourt, mes tirages s'effondreraient." Rivière en est convaincu : "Ce qu'il voulait, c'était vendre un maximum de livres, c'était sa philosophie. Il y avait une revanche sociale, en partie." 

En 1957, Dard se rend en pèlerinage au Texas, dans la ville de San Antonio. "Il a envoyé des cartes postales aux libraires", s'amuse sa fille Joséphine. Odette l'accompagnait : "Il a improvisé un voyage en Greyhound, depuis New York. Aussitôt arrivé à San Antonio, il a loué une belle américaine. Nous avons sympathisé avec un cow-boy et découvert qu'il s'agissait d'un curé !" 

Vingt ans avant de tirer à 800 000 exemplaires, l'enfant pauvre de Jallieu connaît déjà l'ivresse du succès. "L'argent entrait à flots, commente Odette. Il achetait des voitures, des fourrures." Il se fait construire une maison bourgeoise aux Mureaux, achète un chalet au bord du lac d'Aiguebelette, dans lequel il installe un saloon. Et le handicapé côtoie les stars. Juliette Gréco l'invite à son mariage, il fréquente Marina Vlady, rencontre Sofia Loren à Rome, fait venir Pierre Brasseur et Gérard Oury au cinéma des Mureaux, organise un grand cocktail chez Maxim's pour le lancement du Standinge selon Bérurier. Robert Hossein lui conseille de continuer le théâtre, d'arrêter San-Antonio. Mais, confie la première épouse de l'écrivain, "on s'aime le temps d'une pièce et après on ne se voit plus... Il en souffrait". 

Un os dans la noceAlbert Benloulou se souvient de leurs conversations : "Il me le disait lui-même : "J'ai travaillé comme une vache." Il acceptait tout : scénarios, théâtre, préfaces, sollicitations... Quand on a trop à faire, on prend sur le temps de sommeil. A cette

Page 9: La Vie Trepidante de Frederic Dard

époque, il buvait, il s'engueulait avec sa femme et son fils, il a fait le grand écart et ça fait mal au milieu." Sa fille Elisabeth a beaucoup souffert pendant cette période : "Il parlait souvent de sa mort, ça l'obsédait. Il se sentait coupable de tout. Pourtant, il n'a pas eu grand-chose à se reprocher. Il n'était pas si drôle au quotidien, il était taciturne, mélancolique, les yeux dans le vague à écrire dans sa tête." 

Malgré l'immense succès (son plus gros à ce jour) de L'histoire de France vue par San-Antonio, vendue à un million d'exemplaires, l'auteur tente de se suicider fin septembre 1965. "Break down pour Frédéric Dard", titre un journal local. Elisabeth avait alors dix-sept ans : "Mes parents se sont disputés après une soirée arrosée. Ma mère a entendu du bruit dans le grenier. Elle est montée, a hurlé et a demandé à la bonne d'apporter immédiatement un couteau. J'ai vu mon père pendu. Il a passé huit heures dans le coma. Il disait que c'était un accident..."  

Outre le surmenage, le drame semble avoir une autre origine : Frédéric entretient, depuis quelque temps, une liaison passionnelle avec la fille de son éditeur, Françoise de Caro, de vingt et un ans sa cadette. Selon elle, "il a culpabilisé toute sa vie d'avoir quitté son épouse". Après une cure de repos, le romancier est suivi par un psychiatre, qui lui recommande une sorte de bromure - mais, racontent ses proches, "il a laissé l'ordonnance". Son analyse, il préfère la faire par écrit. Il raconte son suicide dans C'est mourir un peu, texte sincère, à vocation littéraire, qui ne trouve pas son public, déception supplémentaire. 

L'"accident" laisse des séquelles. "Il m'a confié avoir des pertes de mémoire", raconte son fils Patrice. "Il était fatigué", conclut Odette, ajoutant, avec lucidité : "Ma période a été la période Frédéric Dard. Notre histoire s'est terminée avec Monsieur Carnaval." Une opérette écrite par Charles Aznavour et Frédéric Dard. 

Elle déclarera plus tard à François Rivière, non sans humour : "Son contrat d'édition a eu raison de notre contrat de mariage." 

Les souris ont la peau tendreFrédéric Dard épouse Françoise de Caro en 1968. "Sa nouvelle femme a mis de l'ordre dans sa vie", commente Benloulou. L'écrivain lui dédie l'un de ses romans : "A Françoise, mon ange gardien." Leur fille Joséphine voit le jour deux ans plus tard. Et ils adoptent Abdel, un Tunisien handicapé alors âgé de 12 ans. 

Page 10: La Vie Trepidante de Frederic Dard

Pour l'écrivain, la famille compte plus que tout. Il écrit chaque jour à sa fille Elisabeth. "Les récits de ses voyages étaient cocasses, c'était du San-Antonio, de la littérature", se souvient-elle. En effet, peu de pères écrivent en ces termes : "A bord, le je ne sais plus combien. Voilà huit jours que je n'ai pas revu le moindre lopin de terre et que je christophecolombe. [...] Cet Atlantique de mes choses ressemble à ma vie, en plus mouvant mais en moins émouvant." Papa poule, il a de l'amour à revendre. "Il était toujours inquiet pour ses enfants. Quand je traversais la rue, il me faisait un signe de croix dans le cou, avec son pouce", se souvient Elisabeth. Il écrira, plus tard, un déchirant Lamento à Joséphine, qu'il fera tirer à cent exemplaires, sans en parler à sa petite dernière, avec la recommandation suivante : "A lire après ma mort." 

Auteur comblé, il est traduit en italien, japonais, anglais, danois, grec, finlandais... En Russie, il se retrouve édité par un ancien agent du KGB. Comment expliquer un tel succès ? Pour Benloulou, "Frédéric Dard, c'est la France". L'intéressé ne dit pas autre chose : "Bérurier, c'est mon côté franchouillard, c'est la France que je connais, que j'ai connue. C'est tellement vrai qu'à tout moment on me dit : votre Béru, c'est bien Untel ou tel autre ? Tout le monde a son Bérurier en réserve." 

Malgré cela, la mort continue à le hanter. Il écrit, dans La sexualité, en 1971 : "Puisque notre destin commun est de finir dans un trou, fasse le Ciel qu'il ait du poil autour !" Il est désormais installé en Suisse romande, loin des mondanités du monde du théâtre, de la dramaturgie. La montagne l'apaise, lui rappelle son Dauphiné natal. En authentique Lyonnais, il aime la bonne chère, les grands vins. Il se délecte de griottes au kirsch, de saucisses injectées de marc de Savoie. Il s'autorise plus de loisirs, pêche la truite dans les torrents, réunit ses enfants à Noël dans son chalet de Gstaad (baptisé San-Antonio) et passe l'été en Espagne, à Marbella, face à la mer, dans sa résidence agrémentée de deux terrasses et d'une piscine sur le toit. Mais Dard n'est pas un millionnaire comme les autres. D'après son ami Benloulou, "à Marbella, il était en liaison avec le cosmos. Il passait ses soirées à regarder les étoiles filantes". 

Il fait profiter ses proches de sa fortune. Il octroie une pension à son père, qui se pique à son tour d'écriture et dont il préface et édite à ses frais un recueil de poèmes. Selon François Rivière, "il a entretenu son père jusqu'à la fin. Il faisait travailler sa soeur et son beau-frère dessinateur. Il a racheté une boutique de farces et attrapes, à Lyon, pour l'offrir à sa mère. C'est devenu un petit musée

Page 11: La Vie Trepidante de Frederic Dard

dédié à San-Antonio." Pour son fils aîné Patrice, "c'était le protecteur du clan. Sorti de cela, il y avait l'écriture, le reste n'existait pas. Il s'intéressait au Tour de France, à la boxe, au tennis, aux grands prix automobiles... Mais pendant qu'il regardait la télévision, il écrivait, c'était presque pathologique." Elisabeth confirme : "Il gambergeait en permanence." 

Il fait lire chaque nouveau chapitre à sa femme : "Je lui faisais des remarques avec beaucoup de diplomatie, il les suivait ou non." Il lui faut soutenir le rythme qu'il s'est lui-même fixé : quatre romans par an. Tous ses proches s'accordent là-dessus : c'était un grand travailleur. Il disait : "Il y a l'amour et le travail." Ses filles se souviennent avec précision du rituel de l'écrivain : "Chaque matin, il s'habillait, se cravatait, comme s'il allait au bureau, il ne sortait presque jamais. Il écrivait tous les jours, il avait une discipline stricte. Les bruits de la maison ne le dérangeaient pas, il était plongé dans l'écriture et ne faisait pas atten-tion au reste. Sa IBM était usée d'un côté, à un endroit précis, à cause de son bras mort." 

Ceux qui ont vécu auprès de lui se souviennent, comme d'une petite musique familière, du crépitement de sa fameuse machine à écrire, devenue le symbole de sa réussite. Pour remercier son épouse de son soutien, il lui fait un cadeau des plus originaux : il casse la boule en plastique avec laquelle il a écrit ses romans et apporte les morceaux à un orfèvre, pour en faire un collier. Françoise découvre alors, au milieu des décorations d'or pur, des lettres disposées de manière à former le mot "amour". 

Ménage tes méningesJamais à court d'idées, il prend soin de les noter dans un carnet, ou sur des bouts de papier. Sa femme trouva, dans ses affaires, un coin de nappe déchiré dans un restaurant, sur lequel il avait écrit : "Je suis sans nouvelles de moi." Dard ne s'arrête jamais, y compris pendant les vacances en famille. "Un jour, se souvient Elisabeth, l'une de nous a dit "bouge ton pied que je voie la mer", il l'a noté et c'est devenu un titre." Quant à "la vieille qui marchait dans la mer", elle a bel et bien existé : "Nous l'avons vue à la Guadeloupe, dans l'eau, accompagnée de son garçon de plage." Françoise témoigne : "Tout lui servait, un repas, une discussion... Après, on retrouvait cela dans ses livres." François Rivière a analysé ce phénomène en profondeur : "Il a caché plein de choses dans ses textes et notamment dans les jeux de mots. Son oeuvre est truffée de références à sa vie

Page 12: La Vie Trepidante de Frederic Dard

privée. Ce sont des romans à clés. Il se foutait en rogne quand on disait qu'il écrivait un livre en cinq minutes." 

Albert Benloulou en est convaincu, "il a écrit la seule chronique de son époque, il n'y a pas d'équivalent. C'était un démiurge, il inventait des personnages. Comme Hergé avec le professeur Tournesol. On en parlait parfois et il blaguait : "La différence entre Tintin et Milou, c'est que Milou n'a pas de chien." Frédéric a inventé des personnages jusqu'au bout, comme le chien Salami. Il pensait en permanence à ses textes." 

Après avoir créé "le Vieux" (alias "le vioque"), l'inspecteur Pinaud (ou Pinuche) et bien sûr "l'ineffable Bérurier" flanqué de sa femme Berthe (dite "la gravosse"), Dard s'inspire de la malicieuse petite Patricia, fille de sa soeur Janine, pour le personnage de Marie-Marie. 

"C'était un polygraphe, un fou d'écriture, souligne Rivière. Il faisait un pied de nez permanent à la littérature classique. Il aurait pu être parolier, il était doué pour plein de choses. Je ne lui fais qu'un seul reproche, c'est d'avoir, en tant qu'écrivain, négligé certains de ses talents. Il aurait dû échapper au Fleuve Noir." 

Pour l'éditeur Albert Benloulou, "San-Antonio, c'était du pouet-pouet, du poil à gratter, et c'est devenu une oeuvre littéraire. Des critiques comme Bernard Pivot et Jérôme Garcin l'ont remarqué... Et quand Philippe Sollers lui a déclaré "le grand écrivain, c'est vous", Frédéric m'a appelé le lendemain : il se demandait si c'était sincère ou si Sollers se foutait de sa gueule. Il n'était jamais dupe." 

Pour Garcin, "il assimilait jeux de mots, calembours, néologismes et catachrèses à une thérapie quotidienne". Le premier confrère à reconnaître le talent de Frédéric Dard fut Jean Cocteau, dans un courrier adressé à "mon cher commissaire" en 1956 : "Votre vermotisme est une merveille de grâce." Plus tard, l'académicien Jean Dutourd salue sa "patte breughelienne" et tente de le faire admettre sous la Coupole. Dard lui savonne la planche en se moquant régulièrement des immortels dans ses romans. 

Difficile de cerner le caractère d'une pareille grande gueule, d'un homme à la fois fanfaron et touchant, pétri de tendresse pour l'humanité, qui effraie les bourgeois avec ses titres provocateurs et ses couvertures érotiques mais désarme les téléspectatrices d'Apostrophes avec son regard candide. Ses proches lui

Page 13: La Vie Trepidante de Frederic Dard

reconnaissent sa générosité sans bornes, son attention aux autres, sa fidélité en amitié. "Il m'a offert son pull en cachemire", se souvient un photographe débarqué chez lui en chemisette. "C'était l'ami le plus généreux, le plus gentil, le plus loyal, le plus émouvant que j'aie connu dans la société littéraire où la pingrerie et l'infidélité sont monnaie courante", écrit Jérôme Garcin. Selon Benloulou, l'un de ses rares défauts était l'inconstance. "Si une jolie femme entrait dans la pièce, il ne s'occupait plus de vous. Il était excessif - en tout - mais pas longtemps." 

Pour François Rivière, "il avait la larme facile, il était émotif et sentimental, très gentil, parfois un peu naïf. Mais il était violent quand il se mettait en colère. Il lui est même arrivé de casser la gueule à un flic !" Joséphine Dard confirme : "Il était bagarreur, il démarrait au quart de tour." D'après son fils Patrice, "il aurait voulu être comme le commissaire San-Antonio". 

Au quotidien, raconte Françoise, "il se mettait en colère quand on lui apprenait une mauvaise nouvelle. Il fallait trouver un bouc émissaire". Il lui arrivait de s'emporter à tout moment : "Un beau jour, il a décidé de ne plus skier, a jeté ses skis par la fenêtre et a crié : "Vous croyez que Sartre skie, lui ?"" Dernier détail, propre à l'écrivain perfectionniste : "Ça l'horripilait quand on oubliait le trait d'union à San-Antonio ou si on faisait une faute de liaison en disant : "San t'Antonio"... Le quotidien l'emmerdait", conclut son fils Patrice. 

Il écrivait : "L'intelligence, c'est la tolérance. Elle ne doit s'insurger que contre la connerie." Puis le fatalisme le gagnait : "La chasse aux cons est un safari sans espoir." 

Les prédictions de NostrabérusEn 1983, Frédéric Dard s'attelle à un nouveau hors-collection, Faut-il tuer les petits garçons qui ont les mains sur les hanches ?. Pour ce roman différent des San-Antonio, il imagine l'histoire d'un écrivain - un certain... Charles Dejallieu - dont la belle-fille, Dora, se fait kidnapper. Ironie cruelle du sort, peu de temps après, le 23 mars, sa propre fille, Joséphine, est victime d'un rapt dans leur propriété du Paradou, dans la banlieue chic de Genève (voir notre interview, p. 34). 

Après deux jours de cauchemar, et de rebondissements dignes d'un San-Antonio, il retrouve Joséphine puis récupère la rançon un mois plus tard. Elisabeth a appris l'enlèvement de sa soeur à la télévision : "J'appelais papa tous les jours et

Page 14: La Vie Trepidante de Frederic Dard

j'ai senti qu'il se passait quelque chose... Pour lui, c'était abominable. Mais il n'a pas eu d'envie de vengeance, il a été clément avec le ravisseur. Ce qui comptait, c'était de revoir sa fille vivante." Selon Albert Benloulou, "l'enlèvement de sa fille a entraîné une culpabilité". C'est aussi le sentiment de François Rivière, qui évoque une prémonition et écrit, dans Frédéric Dard ou la vie privée de San-Antonio: "Il craint d'avoir attiré sur lui, comme un paratonnerre attire le feu du ciel, la vengeance du sort attisée par le roman auquel il travaillait quelques heures encore avant le drame. Ce livre dans lequel il imaginait en toute innocence le rapt d'une fillette." L'écrivain et critique littéraire Jérôme Garcin précise : "Il est mentalement décédé, en mars 83, quand Joséphine, son "soleil de minuit", a été chloroformée et enlevée, en Suisse, par un détraqué." 

La même année, un nouveau personnage apparaît dans les aventures du commissaire San-Antonio : le Président, sosie de Tino Rossi, sous les traits duquel le lecteur reconnaît immédiatement François Mitterrand. "Il est tombé sous le charme de Mitterrand", conclut Rivière. Sa femme Françoise se souvient : "Ils se voyaient souvent à l'Elysée. Et Frédéric a invité Mitterrand à déjeuner chez Guy Savoy. Il n'était pas mitterrandiste mais l'homme cultivé, l'animal politique, le fascinait." Il ne le ménage pas dans ses romans. Pourtant, fidèle en amitié, Dard publie une lettre ouverte dans Le Nouvel Observateurpour défendre le président, alors en pleine crise d'impopularité. 

Politiquement, Dard serait à rapprocher de la tradition des écrivains anarchistes de droite, comme Léo Malet ou Antoine Blondin. "Il était plutôt de droite car il croyait à la méritocratie", pense son fils Patrice. "Mais il a signé le registre de condoléances à la mort de Georges Marchais, précise Françoise. Il me l'avait caché, il n'était pas gérable." 

Le romancier se définissait lui-même ainsi : "Je suis terriblement franchouillard. Quand je vois mon meilleur copain, Robert Hossein, chargé de toutes les steppes de l'Asie, il a des hordes de loups qui traversent son âme sans arrêt, et moi je suis l'épicier du coin avec le crayon sur l'oreille." 

La fin des haricotsAlbert Benloulou, aujourd'hui mandataire de la famille Dard, dont il gère les droits, a rencontré Frédéric en 1987, quand les Presses de la Cité ont repris Fleuve Noir : "Je ne l'avais pas beaucoup lu mais il m'impressionnait. Nous nous étions fixé

Page 15: La Vie Trepidante de Frederic Dard

un défi : faire aussi bien avec ses livres grands formats. Et il m'a dit : "J'adore les gens qui se prennent les pieds dans le tapis." Nous nous sommes tapés dans l'oeil en récitant en choeur une tirade des Misérables sur un trottoir... Nous sommes devenus potes, et les amis, c'est comme les taxis : quand il pleut, il n'y en a pas beaucoup. On se téléphonait chaque matin, pour parler du Tour de France, de politique, de la famille - qui était très importante pour lui - mais aussi de religion. Il était croyant, pas respectueux mais craintif. Il avait peur, s'il allait trop loin, de se prendre une enclume le lendemain. Mais il ne croyait pas à sa postérité. Il considérait l'orgueil comme un péché." 

Selon sa fille Joséphine, il était profondément mystique. Rivière tempère : "Il avait une foi du charbonnier qui venait de sa grand-mère." Pour Elisabeth Dard, "il n'était pas pratiquant mais très croyant. Il voulait qu'on ait une bonne moralité : être bon, généreux, tolérant, faire son devoir, ne pas faire de mal..." Dard réalise un livre d'entretiens avec monseigneur Mamie, évêque de Fribourg. Celui-ci devient un ami, lui offre des images pieuses avec lesquelles il décore son chalet. Il organise une audience privée avec Jean-Paul II, au Vatican, à laquelle l'auteur de San-Antonio se rend avec ses filles. 

En 1993, il est le premier écrivain à avoir droit à son propre dictionnaire. Réalisé par trois étudiants en lettres, le volumineuxDictionnaire San-Antonio recense les quinze mille mots, noms et expressions inventés de toutes pièces ou détournés du langage argotique par le seul écrivain français, depuis Rabelais, à avoir créé un langage qui lui soit propre. "A la fin de sa vie, ajoute Albert Benloulou, il vivait ce drame intérieur : peut-on continuer à écrire, passé un certain âge ? Il y avait l'exemple de Simenon, mort après avoir arrêté Maigret. Comme Molière, il faut mourir en scène. San-Antonio, c'était sa chaîne. Il a voulu le tuer plusieurs fois. Il a fait sa traversée du désert au pas de course." 

Pour François Rivière, "il n'était pas vraiment jaloux de son héros : il est devenu San-Antonio. Il racontait sa propre vie, faisait des clins d'oeil, citait son vieux copain Paul Bocuse. La différence, c'est que San-Antonio est un play-boy avec des cheveux. L'un soutenait l'autre". 

A force de poursuivre les aventures du trépidant commissaire, le coeur du romancier faiblit. "La veille de sa première opération, se souvient Elisabeth, il nous a récité La Fontaine : "Un riche laboureur, sentant sa mort prochaine, fit venir ses enfants..." On était tous morts de rire, c'était merveilleux." Force de la

Page 16: La Vie Trepidante de Frederic Dard

nature, Frédéric Dard survit à plusieurs interventions. Puis il confie l'écriture de son dernier roman à son fils. 

"Il avait parfaitement organisé sa succession, poursuit Elisabeth. Il n'y a pas eu de déchirements grâce à lui, c'était ça son héritage." Mais il voulait le moins de monde possible à son enterrement. Sa famille a dû nier quelques jours sa disparition, pour respecter son voeu. 

Il avait fait graver, sur sa tombe : "Frédéric Dard, dit San-Antonio". L'enfant de Jallieu a expliqué pourquoi en 1999, dans le documentaire Cette mort dont je parlais, sa dernière apparition devant une caméra : "Parce que San-Antonio, c'est moi !" Sa fille Joséphine se souvient de ses derniers mots, prononcés le 6 juin 2000 dans son bureau de Bonnefontaine, parmi ses livres, entouré de sa famille : "Aimez-vous."