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44 Journal Suisse des Entrepreneurs No 14 17. 07. 2013
La nouvelle loi sur les travailleurs détachés durcit la responsabilité
de l’entrepreneur contractant pour les manquements des sous-trai-
tants qui lui succèdent et l’étend aux actes des sous-traitants na-
tionaux. Dès le début, la Société Suisse des Entrepreneurs avait tiré
la sonnette d’alarme quant à ces répercussions. Le «Journal Suisse
des Entrepreneurs» a discuté de ces nouveautés avec le Professeur
Hubert Stöckli de l’Université de Fribourg.
Comme chacun le sait, la révision de la loi sur les travailleurs détachés in-
troduit un nouveau système de responsabilité. Pourquoi cette disposition
relative à la responsabilité s’applique-t-elle maintenant également aux
entreprises nationales?
Il est vrai que la disposition relative à la responsabilité, qui se trouve à l’article 5
de la loi nouvelle loi sur les travailleurs détachés (nLDét), s’applique également
aux cas dans lesquels l’employé d’un sous-traitant national agit contre l’entre-
preneur contractant. Il s’agit en effet d’un résultat surprenant lorsque l’on pense
que nous avons à faire à la loi sur les travailleurs détachés qui régit la situation
des employés étrangers détachés en Suisse. D’un point de vue systématique, il
est certes étonnant que la loi sur les travailleurs détachés règle aussi la respon-
sabilité dans les états de fait internes; il n’y a toutefois aucun doute quant au
fait que le nouveau droit conduit précisément à cette situation juridique. À cet
égard, les procès-verbaux de la consultation parlementaire ne permettent pas
d’aboutir à une autre conclusion. Il y fut argumenté que le but était d’éviter une
discrimination contraire à l’accord sur la libre circulation. Il y a peut-être du vrai
là-dedans. On a toutefois surtout renforcé encore une fois la protection des
travailleurs, y compris nationaux, dans la mesure
où ceux-ci peuvent agir non seulement contre leur
employeur, mais également contre l’entrepreneur
contractant.
La lettre de la nouvelle disposition prévoit que
l’entrepreneur contractant est solidairement
responsable avec tous les sous-traitants qui lui
succèdent dans la chaîne contractuelle. Dans ce
contexte, que signifie exactement une respon-
sabilité «solidaire»?
D’un point de vue juridique, la responsabilité qu’in-
troduit l’article 5 de la nouvelle loi sur les travailleurs
détachés ne constitue pas du tout une responsabilité
solidaire mais une responsabilité pour le préjudice
non couvert; d’un point de vue fonctionnel, cela cor-
respond à un cautionnement simple. L’hypothèque
légale des artisans et entrepreneurs connaît depuis
peu également cette construction juridique de cau-
tionnement légal. Il faut bien sûr admettre que
l’art. 1 al. 2 2e phrase et l’art. 5 al. 2 nLDét parlent
expressément de la responsabilité «solidaire» de
l’entrepreneur contractant. Jusqu’à présent, la loi sur
les travailleurs détachés prévoyait effectivement une
responsabilité solidaire. Si je n’admets pas cela pour
le nouveau droit – en divergence avec la lettre de
la loi – c’est parce que l’entrepreneur contractant
est responsable uniquement et seulement «dans la
mesure où le sous-traitant a été poursuivi préala-
blement en vain ou ne peut être poursuivi» (art. 5
al. 2 nLDét). La cascade de responsabilités que crée
l’introduction de cette condition va à l’encontre de
l’idée d’une responsabilité solidaire.
D’après vous, le champ d’application peut-il
être juridiquement délimité de façon précise?
En ce qui concerne le champ d’application de la nou-
velle responsabilité, la pratique va devoir composer,
d’une manière ou d’une autre, avec les nombreux
flous que comporte la règlementation légale. En fait
notamment partie la délimitation entre le gros et le
second œuvre.
La responsabilité pour le sous-
De quoi s’agit-il?
Le 14 décembre 2012, le Parlement a adopté la modification de la loi sur
les travailleurs détachés dans le domaine de la «responsabilité pour le sous-
traitant». Depuis son entrée en vigueur le 15 juillet 2013 et rien que dans le
secteur de la construction, environ 6500 entreprises sont soumises à ce nou-
veau système de responsabilité, en tant qu’entrepreneur contractant ou en-
treprise sous-traitante. La nouvelle réglementation impose des exigences plus
élevées aux entrepreneurs contractants et aux sous-traitants. Elle engendre
ainsi plus de charges que les prescriptions précédentes car l’obligation ne se
limite plus uniquement à un accord contractuel de respect des conditions mi-
nimales. Un entrepreneur contractant qui ne veut pas courir de risque de
responsa bilité doit dorénavant demander à ses sous-traitants de lui rendre
vraisemblable le respect des conditions minimales de salaire et de travail au
moyen de documents.
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Sous la loupe ������������������������
Les notions d’«entrepreneur contractant» et de
«sous-traitant» employées dans le nouvel arti-
cle sont-elles définies de façon suffisamment
claire?
Tout d’abord, en ce qui concerne la notion d’«entre-
preneur contractant», le nouveau droit parle expres-
sément d’«entrepreneur total, général ou principal».
On peut déduire de cette expression que le légis-
lateur pensait probablement à tous les contrats qui
doivent être qualifiés de contrats d’entreprise. Mais
qu’en est-il des innombrables cas dans lesquels le
contrat de l’entrepreneur contractant comporte d’au-
tres éléments qui empêchent de le qualifier de «pur»
contrat d’entreprise et qui le transforment en con-
trat innommé? Il en va par exemple ainsi lorsque
le même contrat convient de la vente d’un im -
meu ble, de la confection d’un ouvrage et contient
d’autres prestations en relation avec l’exploitation
du bâtiment.
Ensuite, quant à la notion de «sous-traitant», on
peut se demander si elle comprend les monteurs
d’échafaudage dont le contrat n’est d’après la doc-
trine majoritaire – mais non le Tribunal fédéral – pas
un contrat d’entreprise, mais un contrat empreint
d’éléments du contrat de bail. Se pose également
la question de savoir si les entreprises de transport
sont des sous-traitants au sens de la loi sur les tra-
vailleurs détachés. Si l’on voulait aller encore plus
loin, on devrait également prendre en considération
les contrats avec des planificateurs qui s’engagent,
à l’image d’un entrepreneur total, à assumer des
fonctions de planification. De tels contrats peuvent
juridiquement aussi bien être des contrats d’entre-
prise.
traitant – ce qui nous attend
Hubert Stöckli est directeur de l’Institut pour le droit suisse et international de la construction. Photo: uni fr
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Sous la loupe ����������������������
La responsabilité s’étend-t-elle uniquement au
non-respect des salaires minimaux ou sa portée
est-elle plus large?
Il n’est pas nouveau que l’entrepreneur contractant
assume la responsabilité pour toutes les conditions
minimales de travail et de salaire énumérées à l’art. 2
nLDét. Cela valait déjà sous l’ancien droit. Puisque
l’art. 2 nLDét mentionne également la «sécurité au
travail», il peut arriver, le cas échéant, que l’entre-
preneur contractant doive aussi répondre des suites
d’un accident de travail lorsque, non pas lui, mais un
sous-traitant, employeur du lésé, a violé les prescrip-
tions relatives à la sécurité au travail. Il est intéressant
de savoir que la Suisse est allée plus loin sur ce point
que nos pays voisins l’Allemagne et l’Autriche; ceux-
ci ont renoncé à étendre la responsabilité de l’entre-
preneur contractant aux suites des accidents de tra-
vail lors de la transposition de la directive européenne
sur le détachement des travailleurs. En marge, on
peut noter que cette responsabilité créée par la loi
sur les travailleurs détachés pourrait intéresser l’as-
surance accident sociale; après les accidents de tra-
vail, elle est souvent à la recherche de quelqu’un
contre qui se retourner.
En fait, qui a qualité pour agir?
A qualité pour agir l’employé du sous-traitant qui a
violé les conditions de salaire et de travail minimales
ancrées à l’art. 2 nLDét. L’employeur fautif peut se
trouver n’importe où dans l’enlacement des contrats
ou dans la chaîne contractuelle; la responsabilité de
l’entrepreneur contractant ne requiert pas que celui-
ci soit lié contractuellement avec l’employeur fautif.
À mon avis, les associations ou les syndicats ne
sont pas légitimés à agir. L’art. 11 nLDét leur accorde
certes un droit d’action indépendant, mais il se limite
à la constatation judiciaire d’«une infraction à la pré-
sente loi» (on pense ici à la loi sur les travailleurs
détachés). Je pars du principe que cette action en
constatation ne peut pas être dirigée contre l’entre-
preneur contractant car celui-ci n’a pas l’obligation
de veiller au respect de la loi sur les travailleurs déta-
chés. Certes, l’entrepreneur contractant qui néglige
cette surveillance perd la possibilité d’apporter la
preuve de sa diligence comme le lui permet l’art. 5
al. 3 nLDét et doit ensuite assumer une responsa-
bilité. Toutefois, il ne s’agit là justement pas d’un de-
voir d’agir dont on pourrait faire constater la viola-
tion par une action indépendante. En ce qui concerne
le droit d’agir des organisations prévu à l’art. 11 LDét,
on peut par ailleurs noter que celui-ci ne s’applique
pas dans les relations avec les sous-traitants natio-
naux, car le devoir de respecter les conditions mini-
males de salaire et de travail ne découle pas pour eux
de la loi sur les travailleurs détachés.
L’entrepreneur contractant devrait être respon-
sable uniquement «dans la mesure où le sous-
L’intervenant
Le Professeur Dr. Hubert Stöckli (1966) a accom-
pli ses études de droit de 1988 à 1992 à l’Univer-
sité de Fribourg. En 1994, il a obtenu son brevet
d’avocat et de notaire dans le canton de Zoug.
En 1994/95, il a effectué un Master of Compa-
rative Law à l’University of Alabama Law School.
En 1999, il a soutenu sa thèse en droit privé des
cartels. De 1999 à 2001, il a exercé la profession
d’avocat et a rédigé des travaux de recherche en
droit des obligations et des marchés publics. De
2001 à 2006, il fut Professeur associé à la chaire
de droit civil et de droit commercial. En 2006,
il acheva sa thèse d’habilitation, venia legendi,
intitulée «Das Synallagma im Vertragsrecht», en
droit civil et droit économique. Depuis le 1er oc-
tobre 2006, Hubert Stöckli est titulaire de la
chaire de droit civil et de droit commercial de
l’Université de Fribourg et directeur de l’Institut
universitaire pour le droit suisse et international
de la construction.
« A mon avis, les associations ou les syndicats ne sont pas légitimés à agir.»
PMA 1/1 querA 15874
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Sous la loupe ������������������������
traitant a été poursuivi préalablement en vain
ou ne peut être poursuivi». Quand ce critère
est-il rempli?
La réponse à cette question est déterminante pour
savoir si la nouvelle responsabilité de l’entrepreneur
contractant aura une importance pratique à l’avenir.
Aujourd’hui, on ne peut y apporter une réponse
exhaustive qui englobe toutes les situations de fait
possibles. Il est toutefois presque sûr qu’il n’est pas
suffisant que le travailleur ait envoyé sans succès
un rappel à son employeur. Inversement, l’employé
pourra se tourner vers l’entrepreneur contractant s’il
est en mesure de produire un acte de défaut de
biens définitif.
La nouvelle réglementation prévoit que l’entre-
preneur contractant peut s’exonérer de sa res-
ponsabilité s’il prouve avoir accompli son de-
voir de diligence lors de chaque sous-traitance
de travaux. Comment l’entrepreneur contrac-
tant peut-il accomplir son devoir de diligence?
Il s’agit également d’une question centrale pour la
pratique; d’autant plus que sa réponse influence la
quantité de travail administratif supplémentaire que
devront assumer les entrepreneurs contractants et
les sous-traitants.
L’ordonnance du Conseil fédéral sur les travailleurs
détachés en Suisse fournit des points de rattache-
ment qui concrétisent les mesures que les entrepre-
neurs contractants doivent prendre dans ce cadre.
À mon avis, un entrepreneur qui respecte les exi-
gences correspondantes de l’ordonnance sur les tra-
vailleurs détachés en Suisse devrait dans tous les cas être exonéré de toute
responsabilité s’il était de bonne foi. En d’autres termes et inversement, cela
signifie que la responsabilité d’un entrepreneur contractant qui produit tous les
documents demandés par l’ordonnance sur les travailleurs détachés en Suisse
peut tout de même être engagée si l’employé peut prouver que celui-ci n’était
en fait pas de bonne foi ou ne pouvait pas l’être en raison des circonstances.
Il s’agit d’un principe juridique général qui s’applique ici aussi. Une difficulté
en relation avec les exigences de diligence de l’art. 5 nLDét est qu’elles ne se
limitent pas aux rapports avec les sous-traitants en relation contractuelle directe
avec l’entrepreneur contractant. Au contraire, ils s’étendent aux relations avec
tous les sous-traitants qui succèdent à l’entrepreneur contractant dans la «chaine
contractuelle».
L’entrepreneur contractant assume donc un grand risque potentiel de responsa-
bilité. La question de savoir si ce risque peut être maîtrisé par la mise en œuvre
de moyens raisonnables n’est pas encore claire. L’ancien droit limitait le devoir de
l’entrepreneur à «obliger contractuellement les sous-traitants à respecter la pré-
sente loi». Il est certain que cette mesure contractuelle ne suffit plus avec le nou-
veau droit. Accessoirement seulement, je me pose ici la question de ce qu’il en
est – si la responsabilité de l’entrepreneur contractant est engagée – de la cou-
verture par son assurance responsabilité civile d’entreprise. Au vu du fait que la
couverture de base ne comprend que les dommages aux personnes et aux biens,
il faudra opérer une distinction entre les actions pour dumping salarial et actions
en dommages et intérêts en cas d’accidents de travail.
Interview: Massimo Diana, Patrick Hauser
Le Prof. Dr. Hubert Stöckli et Roger Bieri, avocat, MLaw, ont écrit un article relatif à la responsabilité selon la nouvelle loi sur les travailleurs détachés qui est paru le 24 juin 2013 dans la revue en ligne «Jusletter».
« Il faudra opérer une distinction entre les actions pour dumping salarial et actions en dommages et intérêts en cas d’accidents de travail.»
MBT 1/4 querL 150310