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Q U E S A I S - J E ?

La police technique et scientifique

C H A R L E S DIAZ

Contrôleur général de la police nationale

Deuxième édition mise à jour

6e mille

Page 3: La Police technique et scientifique

ISBN 2 13 055166 1

Dépôt légal — 1 édition : 2000 2 édition mise à jour : 2005, mai

© Presses Universitaires de France, 2000 6, avenue Reille, 75014 Paris

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I N T R O D U C T I O N

« Nous sommes nés à quêter la vérité ; il appartient de la posséder à une plus grande puissance. »

Michel de Montaigne, Essais, III, 8.

La dénomination de « police technique et scienti- fique » recouvre l'ensemble des connaissances, des méthodes et des moyens techniques ou scientifiques de constatation, de recherche, d'examen et d'analyse visant à l 'administration de la preuve dans le procès pénal.

Elle s'applique plus précisément au champ d'action des services de police et de gendarmerie spécialisés dans la mise en œuvre de ces procédés et qui appor- tent en permanence leur assistance aux enquêteurs comme aux magistrats du parquet ou de l'instruction.

S'écartant de la criminologie en ce qu'ils se consa- crent à une « étude concrète et fonctionnelle du crime » et non à une approche des phénomènes cri- minels et de leurs causes, les travaux de police tech- nique et scientifique constituent un volet original de la mission de police judiciaire qui consiste, selon l'article 14 du Code de procédure pénale, d 'une part à « constater les infractions, en rassembler les preu- ves et en rechercher les auteurs » ; d 'autre par t et lorsqu'une information est ouverte, à « exécuter les délégations des juridictions d'instruction et déférer à leurs réquisitions ».

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Ce concours à la mission de police judiciaire est d'abord le fait de la police technique qui est notam- ment chargée de fixer l'état des lieux où se sont pro- duits les crimes et délits, de rechercher et de recueillir les traces et les indices utiles à la manifestation de la vérité, d'exploiter par des méthodes comparatives les éléments découverts et d'identifier, enfin, les malfai- teurs impliqués dans les faits en recourant à tous les moyens techniques disponibles.

Sans être exclue de plusieurs des domaines d'action précités et agissant toujours, elle aussi, dans les cadres définis par le législateur en matière de procédure pé- nale, la police scientifique se dédie plus particulière- ment à l'étude effective en laboratoire des traces et in- dices directs ou indirects que tout individu porte en lui, abandonne ou recueille sur les lieux où se manifeste son comportement criminel. Son domaine d'activité est celui de la criminalistique, discipline com- posite se plaçant au carrefour de sciences matérielles dont elle applique les acquis les plus récents pour éclairer la Justice dans la reconstitution du fait crimi- nel et dans l'identification de ses auteurs.

Cette « intrusion de la science dans le crime », pour reprendre l'expression d'un romancier anglo-saxon, conduit les spécialistes de la police technique et scien- tifique à mettre en œuvre des outils et des procédés ex- trêmement variés qui tiennent des mathématiques, de la microscopie, de la physique, de la chimie, de la bio- logie, de l'informatique ou encore de la toxicologie.

La médecine légale, axée, quant à elle, sur les as- pects judiciaires touchant à l'appréciation du dom- mage physique, à la maladie et au corps humain, ne se confond pas en France avec la police technique et scientifique, notamment pour des raisons historiques qui ont amené cette branche de la médecine à

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connaître dans l'Hexagone un développement spéci- fique. L'un et l'autre de ces secteurs demeurent toute- fois proches et bien souvent imbriqués.

La « police technique et scientifique », dans son ac- ception d'aujourd'hui forgée à partir du champ de compétence revenant par un décret interministériel de mars 1992 au Conseil supérieur de la police technique et scientifique, dépasse désormais le cadre des moyens traditionnels propres à l'identification des délin- quants. Elle englobe maintenant les ressources de la documentation criminelle, c'est-à-dire tous les outils manuels et les supports informatiques alimentés et ex- ploités en vue d'identifier et de rechercher l'auteur d'un crime ou délit, mais aussi, par exemple, de con- tribuer à la découverte d'objets signalés volés ou de permettre un rapprochement entre des infractions commises par de mêmes auteurs en différents points du territoire national.

Considérée un temps comme un secteur d'activité s'intéressant surtout aux homicides, aux crimes de sang, la police technique et scientifique intervient pourtant dans les enquêtes les plus diverses, que celles-ci aient trait au terrorisme, au trafic de stupé- fiants, aux agressions sexuelles, à la délinquance éco- nomique et financière, au banditisme, aux faux docu- ments ou faux moyens de paiement.

Avec le développement, depuis 1995, d'une police technique de proximité, elle est aussi de plus en plus présente sur les lieux de cambriolage, de vol de voi- ture, de dégradation et destruction de biens.

La police technique et scientifique n'est jamais là pour « désigner un coupable ». À l'occasion de leurs travaux, de cette grande variété de cas d'espèce qu'ils sont amenés à traiter chaque jour, ses spécialistes se contentent de constater des faits, d'interpréter objecti-

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vement des résultats et de les soumettre à l'autorité judiciaire. Sans parti pris, ils travaillent ainsi « à charge », comme « à décharge », leurs conclusions pouvant aussi bien innocenter un suspect malgré ses propres déclarations ou des témoignages qui l'acca- blent (et le cas n'est pas rare) que confondre le crimi- nel ou confirmer ses aveux circonstanciés, c'est-à-dire accompagnés de précisions matérielles vérifiables quant au déroulement des faits.

A ce devoir d'impartialité s'ajoute un devoir de maîtrise de technologies et de sciences en constante évolution. La police technique et scientifique n'a rien, et son histoire récente en fait foi, d'un domaine figé. Électronique, informatique, transmission à distance de données et d'images, microscopie de pointe, biologie moléculaire ou rayons laser entrent désormais de façon courante dans l'arsenal de ses experts.

Parce qu'il lui faut nécessairement être en phase avec les mutations techniques qui transforment nos modes de vie et réveillent l'imagination des malfai- teurs ; parce que la preuve scientifique se doit d'être établie avec les moyens les plus efficaces et les plus sûrs du moment, la police technique et scientifique est tenue de s'adapter et de progresser sans trêve. Il y a dès lors fort à parier que les évolutions sociales et les avancées technologiques de tous ordres que va enre- gistrer à son tour ce XXI siècle ne manqueront pas de se propager en elle, de l'enrichir, voire d'en redessiner considérablement les contours.

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Chapitre 1

DES ORIGINES À NOS JOURS

1. - Les pionniers

1. Une histoire récente. - Lorsque le roman poli- cier fait son apparition, dans la seconde moitié du XIX siècle, sous la plume d'Émile Gaboriau ou celle d'Arthur Conan Doyle, le père de Sherlock Holmes, l'enquête criminelle est loin de disposer dans la réalité des moyens d'investigation techniques ou scientifiques que lui prête déjà la fiction. Il n'existe alors, en France comme à l'étranger, aucun service de police spécialisé dans la recherche, le recueil et l'exploitation des traces indiciales susceptibles de constituer des preuves maté- rielles dans le procès pénal.

Travaillant depuis 1808 sous l'empire du Code d'instruction criminelle, policiers et gendarmes de l'Hexagone demeurent attachés au témoignage hu- main et à l'aveu comme sources essentielles de preuve dans leurs procédures judiciaires. La science n'entre dans l'enquête que par le biais d'experts privés, des médecins, anatomistes, chimistes ou armuriers auxquels font appel les magistrats dès lors qu'ils sont « présumés, par leur art ou leur profes- sion, capables d'apprécier la nature et les circons- tances du crime ou délit » (C. instr. crim., art. 43) et à même de donner un avis motivé « à partir de constatations matérielles ou techniques qu'ils auront faites ».

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Appelées à agir dans ce cadre, plusieurs personnali- tés scientifiques françaises vont marquer le siècle par leur contribution au progrès des recherches dans le domaine médico-légal ou dans celui de l'étude des poi- sons. Tel est le cas du médecin Mathieu-Joseph Bona- venture Orfila (1787-1835), l'un des plus illustres pion- niers de la toxicologie, ou encore des professeurs et légistes Ambroise Tardieu et Alexandre Lacassagne. Tel est aussi le cas du P Paul Brouardel qui obtient du Conseil général de Paris, le 14 mai 1881, l'éta- blissement dans la capitale « d'une salle d'autopsie, d'un laboratoire de chimie, de physiologie et de mi- crographie affectés aux recherches médico-légales [ainsi] qu'une salle de préparations anatomiques desti- nées à être conservées ».

2. L'identification des récidivistes. - Une tout autre préoccupation que l'examen technique du crime ab- sorbe dans les années 1880 l'énergie des services de police. Il s'agit de l'identification des délinquants d'habitude que les théories du médecin turinois Cesare Lumbroso (1836-1909) sur le criminel-né, exposées en 1876 dans L'uomo delinquente, montrent plus que jamais du doigt. Depuis l'abolition par une loi du 31 août 1832 de la marque au fer rouge des condam- nés, la police des grandes agglomérations connaît en effet de plus en plus de difficultés à établir l' « identité judiciaire » des malfaiteurs professionnels qu'elle ar- rête et qui s'efforcent de dissimuler leur véritable état civil pour échapper aux rigueurs de la loi sanctionnant la récidive. C'est ce problème de l'identification des ré- cidivistes qui va être à l'origine de la naissance puis de l'essor, sur le plan mondial, de la police technique.

À Paris où il se pose plus qu'ailleurs, ce problème reste principalement combattu, à l'époque, à l'aide de

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méthodes héritées de François Vidocq (1775-1857), cet ancien bagnard à qui la sûreté de la capitale doit sa création en 1811. Ainsi utilise-t-on, pour déterminer l'identité des détenus, des inspecteurs « physiono- mistes » ou des indicateurs recrutés dans la pègre dont l'efficacité tient beaucoup à la prime de 10 F offerte par le préfet de police à l'occasion de toute identifica- tion d'un repris de justice.

Au-delà de ces pratiques, la police parisienne dis- pose de fichiers d'un considérable volume pour favo- riser l'identification des récidivistes. Ils sont toutefois inefficaces. Dirigés par le commissaire Gisquet, les « sommiers » de la préfecture de police recèlent en 1879 des informations sur plus de 5 millions d'individus, mais leur classement strictement alpha- bétique interdit toute recherche sérieuse à partir d'un signalement. Un autre fichier, consacré, lui, à la seule signalisation des détenus, fonctionne en paral- lèle. Fort de 80 000 fiches cartonnées, il est consulté chaque jour par une dizaine d'inspecteurs qui n'en tirent que peu de chose tant les indications réperto- riées sont imprécises.

Dès 1819, un nommé Huvet, employé à la rédaction du bureau des prisons, a bien tenté d'améliorer ce fond documentaire parisien en proposant au préfet de police l'établissement d'une « galerie de portraits des perturbateurs de la société » obtenue grâce à un « physionotrace », appareil permettant d'enregistrer la « projection donnée par les contours de l'ombre que fait le corps sur un plan lorsqu'il est placé entre ce plan et un point lumineux ». L'idée de ce fichage en « ombre chinoise » restera sans lendemain. Mais le principe consistant à compléter le signalement écrit par l'image va, lui, s'imposer quelques décennies plus tard avec l'invention de la photographie.

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C'est dans les années 1840 qu'on fixe pour la pre- mière fois grâce à ce nouveau procédé les traits d'un détenu dans une prison de Bruxelles. Très vite, la po- lice parisienne adopte cette « photographie signalé- tique » qui est annexée à chaque fiche manuscrite. Ce- pendant, la photographie en question n'étant soumise à aucune règle d'uniformité, le résultat en est le plus souvent un portrait artistique du détenu, inexploitable à des fins d'identification. Telle est la situation que découvre le jeune Alphonse Bertillon (1853-1914) lorsque, en mars 1879, il est embauché par la préfec- ture de police comme commis auxiliaire aux écritures, chargé de dresser à longueur de journée des fiches si- gnalétiques de détenus sur la base de renseignements fournis par des inspecteurs. En quelques années, l'homme va révolutionner le monde policier en intro- duisant les premières méthodes techniques d'identi- fication judiciaire et de traitement de la scène du crime.

3. Bertillon et l'anthropométrie judiciaire. - Fils du D Louis-Alphonse Bertillon, directeur de la statistique à la préfecture de la Seine et co-fondateur en 1859 de l'École d'anthropologie, Alphonse Bertillon passe son enfance au contact de sommités de cette science tels le P Pierre Paul Broca (1824-1880), le naturaliste Jean- Louis Armand de Quatrefages (1810-1892) ou bien en- core son grand-père maternel, Achille Guillard, mathé- maticien de renom. Il lui en reste une « frénésie du pied à coulisse et des mesures » appliquée en particulier au squelette humain. Élève médiocre, Bertillon ébauche en 1874 des études de médecine qui tournent court mais qui suscitent chez lui un regain d'intérêt pour les mensurations de l'ossature humaine à propos des- quelles une loi scientifique énoncée par le statisticien belge Lambert Quételet (1796-1874) affirme qu'il n'en

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existe pas sur Terre de complètement identiques pour deux personnes données.

Faute d'être entré dans une carrière, Alphonse Ber- tillon se résout en 1879 à occuper un emploi obscur à la préfecture de police où on l'accepte sur la recom- mandation de son père. Là, il établit des mois durant des fiches signalétiques de malfaiteurs tout en se lan- çant bientôt dans la conception d'un système de re- connaissance des récidivistes totalement novateur et fondé sur les postulats de la loi de Quételet.

Partant de là, Bertillon imagine un « signalement anthropométrique » propre à chaque détenu et com- portant neuf de ses mesures osseuses : taille, envergure, buste, longueur et largeur de la tête, longueur du mé- dius, de l'auriculaire, de la coudée, du pied et de l'oreille. Les chiffres ainsi obtenus sont reportés sur une fiche d'identité qui, grâce à des critères de sélection (19 683 divisions possibles), peut être retrouvée au mi- lieu de milliers d'autres dès lors que l'on aura affaire au même individu déjà signalisé par son squelette.

En 1882, après avoir à plusieurs reprises tenté sans succès de convaincre le préfet de police de l'efficacité de sa méthode, Alphonse Bertillon obtient l'autori- sation de l'expérimenter durant trois mois sur les déte- nus du Dépôt parisien. Le 20 février 1883, quelques jours avant l'échéance du délai accordé, Bertillon réussit la première identification anthropométrique, celle d'un nommé Léon Durand, déjà fiché par ses soins pour une tentative de vol de bouteilles.

4. Vers une police technique. - L'anthropométrie judiciaire poursuit donc sa route. En 1883, elle dé- bouche sur 49 identifications, puis 241 en 1884 et 1187 en 1887. Le 1 juillet de cette année-là est officielle- ment créé le « service d'identification des détenus »

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à la finalité des systèmes. Ils sont, à ce titre, concernés par plusieurs des dispositions particulières prévues par la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.

Ces dispositions portent aussi bien sur les condi- tions de déclaration et d'exploitation des fichiers que sur le contenu de ces fichiers, les conditions d'accès à ce contenu et les mesures de sécurité prises en conséquence.

1. Les dispositions applicables.

A) La loi du 6 janvier 1978. - La loi Informatique et l i b e r t é s d u 6 j a n v i e r 1 9 7 8 é n o n c e d a n s s o n a r t i c l e 1

que « l'informatique doit être au service de chaque ci- toyen (...) [et] ne doit porter atteinte ni aux droits de l'homme, ni à la liberté privée, ni aux libertés indivi- duelles ou publiques ».

Contrairement à d'autres pays telle la Hollande, par exemple, où une loi spécifique aux fichiers de po- lice a été adoptée et complétée en février 1991 par un arrêté d'exécution, la loi française de 1978 s'applique, elle, à tous les fichiers, dont les fichiers de police et de gendarmerie.

Ainsi, l'article 15 de la loi précise que, « hormis les cas où ils doivent être autorisés par la loi, les traite- ments automatisés d'informations nominatives opérés pour le compte de l'État (...) sont décidés par un acte réglementaire pris après avis motivé de la Commission nationale de l'informatique et des libertés » (CNIL).

La demande d'avis adressée à cette fin à la CNIL in- dique les caractéristiques, la finalité et la dénomina- tion du traitement, le service chargé de sa mise en œuvre, le service auprès duquel s'exerce le droit d'accès du citoyen, les catégories de personnes qui

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peuvent consulter les informations enregistrées, les données nominatives traitées, leur origine et leur durée de conservation ainsi que leur destinataire, les rapprochements et interconnexions, les dispositions de sécurité prises et si le traitement est destiné à l'expédition d'informations nominatives à l'étranger. Par ailleurs, la loi autorise « pour des motifs d'intérêt public » (art. 31, al. 3) une dérogation à l'interdiction faite aux fichiers « de mettre ou de conserver en mé- moire informatique (...) des données nominatives qui, directement ou indirectement, font apparaître les ori- gines raciales ou les appartenances syndicales ou les mœurs des personnes ». Cette exception ne peut toute- fois être faite que sur proposition ou avis conforme de la CNIL par décret en Conseil d'État.

B) La loi du 18 mars 2003. - Longtemps tenus à ce « régime d'autorisation préalable », les traitements au- tomatisés d'informations nominatives mis en œuvre par la police ou la gendarmerie dans le cadre de leur activité de police judiciaire bénéficient désormais, en vertu de l'article 21 de la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, d'un principe de reconnaissance générale qui n'en reste pas moins assorti d'un cer- tain nombre de règles.

Celles-ci concernent aussi bien la finalité des fichiers ( « faciliter la constatation des infractions à la loi pé- nale, le rassemblement des preuves de ces infractions et la recherche de leurs auteurs » ) que l'accès aux infor- mations (ouvert aux policiers, gendarmes et autres per- sonnels - dont les douaniers - spécialement habilités ainsi qu'aux magistrats du parquet et de l'instruction - pour les recherches relatives aux infractions dont ils sont saisis) ou encore le contrôle des applications (exercé par le procureur de la République compétent).

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L'article 22 de la loi du 18 mars 2003 modifie, par ailleurs, l'article 39 de la loi Informatique et libertés en faisant prévaloir le principe d'un droit d'accès indirect du citoyen (via la CNIL) aux traitements intéressant « la sûreté de l'État, la défense ou la sécurité publique ». L'acte réglementaire de création du fichier peut néan- moins prévoir un accès direct auprès du gestionnaire lorsque la communication des informations « ne met- trait pas en cause les fins assignées [au traitement] ».

Enfin, la loi du 18 mars 2003 admet la consultation des fichiers de police ou de gendarmerie d'essence ju- diciaire dans le cadre de certaines enquêtes adminis- tratives (candidats à des emplois publics ou privés re- levant du domaine de la sécurité ou de la défense notamment) dont la liste est fixée par décret en Con- seil d'État. Elle autorise également, sous certaines conditions, la transmission des données personnelles gérées par la police et la gendarmerie à des organismes de coopération internationale en matière de police judiciaire ou à des services de police étrangers.

2. Le curseur « informatique-sécurité-libertés ». - Entrant pour la grande majorité d'entre elles dans la catégorie des fichiers nominatifs gérant les données sensibles visés à l'article 31 de la loi de 1978, les appli- cations de documentation criminelle, communes ou non à la police et à la gendarmerie, ont donné lieu, pour leur conformité de mise en œuvre, à de longs échanges avec la CNIL (voir notamment, à ce sujet, les rapports annuels d'activité de l'autorité indépen- dante). Ces débats, justifiés par « la difficulté pour une démocratie de positionner le curseur à juste dis- tance » entre les enjeux que recouvre le triptyque « in- formatique-sécurité-libertés » ont longtemps placé les fichiers de police dans une instable situation

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d'existence, sans toutefois jamais déboucher sur une impasse.

Ainsi la CNIL a-t-elle émis un avis conforme en préalable au décret du 8 avril 1987 créant le fichier automatisé des empreintes digitales, puis sur le projet de décret interministériel relatif au fichier des per- sonnes recherchées (délibération du 9 juin 1992) ou encore sur le décret du 9 novembre 1995 portant ap- plication des dispositions de l'article 31 de la loi de 1978 aux fichiers mis en œuvre par la direction générale de la gendarmerie nationale. En chaque oc- casion néanmoins, la Commission a fait valoir des exigences touchant en particulier à la pertinence (in- térêt, mise à jour...) et à la durée de conservation des données, à la finalité du système et à son con- trôle (interne et externe) de même qu'au droit d'accès des citoyens aux informations les concernant (accès direct pour le FAED, indirect pour le FPR sauf pour certaines fiches). Ce sont ces préoccupations encore que l'on retrouve au centre des débats longs de près de quinze ans concernant le système de trai- tement des infractions constatées, dont la mise en œuvre sera finalement autorisée par un décret du 5 juillet 2001.

Nées en réaction à ce passé et dans le souci affirmé de veiller à l'efficacité opérationnelle des outils de sécurité, les dispositions introduites par la loi du 18 mars 2003 accordent un statut particulier aux fichiers automatisés de police et de gendarmerie, mais sans toutefois les écarter du champ de compé- tences de la CNIL. Ce nouveau dispositif reste d'une lecture difficile et dans l'attente d'être clarifié quant à toutes ses implications.

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DÉFIS ET PERSPECTIVES

Domaine d'activité où peut-être plus qu'ailleurs la prospective est régulièrement bousculée par le verdict du futur, la police technique et scientifique a enregis- tré dans la seconde moitié du XX siècle de si profonds changements quant à son organisation, à son champ de compétences, à ses méthodes et à ses moyens, qu'elle en a rendu anachronique sa loi fondatrice de novembre 1943, finalement abrogée par la loi sur la sécurité quotidienne du 15 novembre 2001.

Les avancées scientifiques et technologiques (ré- centes, pour certaines) qui lui donnent son visage d'aujourd'hui déterminent dans une large mesure vers quoi vont tendre ses efforts de demain. Asseoir, renfor- cer, améliorer l'acquis, cela suppose d'abord la pour- suite de toute une série d'actions entreprises sur les plans humain et matériel pour accroître la qualité et la fiabilité des travaux présidant à l'administration de la preuve : conditions de protection, de recherche, de re- cueil et de prélèvement des traces et indices sur le ter- rain, assurance qualité des études et analyses en labo- ratoire, formation initiale et continue des spécialistes.

Cela veut dire aussi s'attacher à étendre et à perfec- tionner les collections de référence qui permettent aux experts de tirer les meilleurs résultats des méthodes comparatives. La montée en puissance du fichier auto- matisé des empreintes digitales et du fichier national automatisé des empreintes génétiques en est le plus fort exemple. Cela suppose l'essor de dispositifs et de moyens fiables et adaptés à un recueil massif et au traitement en conséquence des échantillons rassemblés

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comme le montre déjà l'utilisation en laboratoire d'appareils « automates » capables de réaliser en peu de temps un grand nombre d'opérations telles que l'extraction d'ADN et sa quantification.

Le développement de collections centrales sur les explosifs, sur les armes à feu ou dans le domaine des polices de caractères dactylographiés ou des pigments et liants des peintures d'automobile participe aussi de cette préoccupation.

La police technique et scientifique est également tenue de s'adapter sans cesse aux évolutions tech- niques qui sont susceptibles de lui offrir de nouvelles potentialités. C'est le cas des progrès de la téléma- tique avec l'exemple des appareils « Identix » grâce auxquels l'empreinte digitale n'est plus prélevée sur une personne par l'encre et le papier mais par scan- nérisation de la main. Le traitement de l'image « à plat » ou en trois dimensions, ainsi que la biométrie, c'est-à-dire la reconnaissance des personnes par ana- lyse de leurs caractéristiques notamment physiques (forme du visage, empreinte de la main, morphologie générale, etc.), ouvrent également de notables pers- pectives d'identification à distance appliquées aux fi- chiers de recherche comme à l'exploitation d'images enregistrées.

Autre centre d'intérêt pour les experts crimina- listiques sont les évolutions génératrices de nou- veaux comportements criminels (fraude informatique, contrefaçons numériques, criminalité écologique, etc.) sur lesquels doit être éclairée la Justice. L'essor d'un service de l'informatique et des traces technolo- giques au sein de la sous-direction de la police tech- nique et scientifique, l'activité des départements « informatique-électronique » et « signal-image-pa- role » au cœur de l'Institut de recherche criminelle de

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la gendarmerie montrent que ces secteurs font bien aujourd'hui l'objet d'une attention particulière.

Celle-ci s'est traduite aussi par des réalisations ori- ginales tels le logiciel PARC d'aide à la reconnaissance des caractères dactylographiés ou imprimés et le logi- ciel « Sarbacane » qui permet de diffuser par téléma- tique aux services de police des avis de recherches accompagnés de photographies.

De telles innovations qui se sont accompagnées de l'ouverture par la police et la gendarmerie de sites in- temet de recherches à destination du grand public sont le produit de réflexions, de recherches appliquées, d'expérimentations. Elles se mènent trop souvent en- core de façon éparse en France et dans le monde entier autour des sujets de police technique et scientifique. Cette parcellisation des connaissances peut, sur le plan national, être limitée dans ses effets par la naissance, sous l'égide du Conseil supérieur de la police technique et scientifique, d'un réseau télématique de partage d'informations propre aux différentes composantes institutionnelles concernées, associant même en cer- tains domaines des organismes extérieurs comme le CNRS ou d'autres centres et instituts scientifiques spé- cialisés. Sur le plan international, les échanges qui se font à travers le Réseau européen des instituts de police scientifique regroupant plus de 40 pays du continent sont déjà notables mais restent à se développer dans la conduite d'actions conjointes de recherche appliquée.

Ce domaine est un indispensable vecteur de pro- grès en criminalistique où son essoufflement dans le passé a toujours été synonyme d'affaiblissement des moyens d'enquête. Parmi les pistes qu'explore de nos jours la recherche appliquée, la « reconnaissance vocale » et les « traces olfactives » sont des plus prometteuses.

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L'identification d'une personne par les caractéristi- ques de sa voix peut être d'une importance primordiale dans une affaire judiciaire où les enquêteurs disposent d'un échantillon vocal du criminel (revendication d'un attentat, demande de rançon...). Aussi la recherche en ce domaine consiste-t-elle à cerner et à répertorier les multiples variables qui individualisent la voix humaine (registre, rythme, phonétique, linguistique) de manière à pouvoir par la méthode comparative, en étalonnant, fractionnant et radiographiant les échantillons au moyen de l'informatique, exclure ou confondre un suspect.

Bien que l'étude des particularités de la voix soit bien avancée, grâce notamment aux travaux de gran- des sociétés commerciales sur la « serrure vocale » (ou- verture de portes, mise en service d'appareils par le son d'une voix) ou sur le « dialogue interactif » (entre une personne et son ordinateur, sa voiture), l'identification du locuteur n'offre pour sa part et à l'heure actuelle que des garanties de reconnaissance allant, selon les cas d'espèce (nature et qualité des enregistrements), de 75 à 90 %. Elle est déjà un précieux outil d'orientation, pas encore un mode de preuve incontestable.

L'odeur, un nouvel allié des enquêteurs, tel est l'autre pari que de son côté se propose de soutenir la recherche sur les traces olfactives dont les possibles applications en criminalistique ne manquent pas : dé- tection et caractérisation de stupéfiants, d'explosifs, d'accélérants incendiaires, preuve de la présence d'une personne ou d'un cadavre en un lieu donné.

Ici encore, le terrain a été défriché par des travaux du secteur privé ou parapublic touchant à la méde- cine, à l'industrie agro-alimentaire et chimique, à l'environnement et aux transports en commun. Cer- tains pays comme la Hongrie, la Pologne, les Pays-Bas

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exploitent désormais dans l'enquête des méthodes de détection, de capture et d'analyse des traces odorantes humaines.

Émises par l'organisme, les traces d'odeur ne sont rien d'autre que des molécules spécifiques que toute personne laissera derrière elle, dans son environne- ment immédiat, sans pouvoir les détruire ni en maî- triser la sécrétion. Toute la difficulté en police tech- nique et scientifique tient une nouvelle fois dans la caractérisation certaine de ces traces et la valeur qu'accorderont les tribunaux aux procédés employés dans ce but et à leurs résultats. D'ores et déjà, le ser- vice central d'identité judiciaire procède, à l'aide de tissus spéciaux et suivant un strict protocole, à des prélèvements sur la scène de crime de traces odo- rantes. Conservées avec soin, ces traces peuvent être ensuite comparées avec l'odeur corporelle d'un sus- pect en utilisant non pas un appareil sophistiqué, mais l'odorat développé de chiens spécialement en- traînés pour cela. Dénommé « odorologie », ce pro- cédé a été utilisé dans 52 affaires en 2003.

De grandes batailles d'experts dans le passé (de l'affaire Jeanne Weber surnommée « l'ogresse de la Goutte-d'Or » à l'affaire Marie Besnard) ont mis en exergue tout le poids de la preuve matérielle dans le procès pénal et toute l'exigence de fiabilité qui s'y attache. Nul doute que demain nous réserve déjà d'autres débats de cette nature. Nul doute que c'est dans cette contradiction, loin d'une « dictature de la science sur le prétoire », mais forte de la rigueur et de la qualité de son action, que la police technique et scientifique est appelée à dessiner son avenir.

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B I B L I O G R A P H I E

OUVRAGES

Bertillon Alphonse, Identification anthropométrique, Impr. Melun, 1885. Bertillon Suzanne, Vie d'Alphonse Bertillon, Gall imard, 1940. Buquet Alain, L'expertise des écritures, Presses d u CNRS, 1990. Charp ier Frédéric, Au cœur de la PJ. Enquête sur la police scientifique, Flam-

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Fombonne Jacques, L'exercice de la police technique et scientifique par la gendarmerie nationale, thèse, 1994.

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Police nationale - France : www.interieur.gouv.fr (rubrique « police natio- nale »).

Avis de recherches police nationale - France : http://193.252.228.130 Gendarmerie nationale - France : www.defense.gouv.fr (rubrique missions/

police judiciaire). European Network of Forensic Science Institutes : www.enfsi.org Société canadienne des sciences judiciaires : www.csfs.ca American Academy of Forensic Sciences : www.aafs.org

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