la place hierarchie des normes

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LA PLACE DE LA CONVENTION COLLECTIVE

DANS LA HIERARCHIE DES NORMES

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BIBLIOTHÈQUE D' OUVRAGES DE DROIT SOCIAL Fondée par

Paul DURAND t Professeur à la Faculté de Droit

et des Sciences Economiques de Paris

Dirigée par G.H. CAMERLYNCK Professeur à la Faculté de Droit

et des Sciences Economiques de Paris

TOME XXII

LA PLACE E LA CONVENTION COLLECTIVE

DANS LA HIERARCHIE DES NORMES

PAR

Nikitas ALIPRANTIS Docteur en Droit

Avocat au Barreau d'Athènes

Préface de

Hélène SINAY Professeur à la Faculté de Droit

et des Sciences Politiques de Strasbourg

PARIS LIBRAIRIE GENERALE DE DROIT ET DE JURISPRUDENCE

R. PICHON ET R. DURAND-AUZIAS 20 et 24, Rue Soufflet (5e)

1980

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ISBN 2.275.01104.8

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OUVRAGES PARUS DANS LA MÊME COLLECTION

TOME 1. — Jacques A. GAU, docteur en droit: Le régime de Sécurité sociale des Etudiants, 1960. TOME 2. — Michel VOIRIN, docteur en droit: Les organes des caisses de Sécurité sociale et leurs pou-

voirs. Epuisé. TOME 3. — Danièle DURIN, docteur en droit: Des recours des caisses de Sécurité sociale en matière

d'accidents. Epuisé. TOME 4. — Toshio YAMAGUCHI, docteur en droit: La théorie de la suspension du contrat de travail et

ses applications pratiques dans le droit des pays membres de la Communauté européenne, 1963.. TOME 5. — Maurice COHEN, docteur en droit: Le statut des délégués du personnel et des membres des

comités d'entreprise. Epuisé. TOME 6. — Jean-Paul DORLY, docteur en droit: Les réquisitions personnelles, 1965. TOME 7. — Robert SAVY, docteur en droit: La Sécurité sociale en agriculture dans les pays de la

Communauté Economique Européenne, 1965. TOME 8. — Félix PIPPI, docteur en droit: De la notion du salaire individuel à la notion de salaire social,

1966. TOME 9. — Maurice COHEN, docteur en droit: Le statut des représentants du personnel après la loi du

18 juin 1966, 1967. TOME 10. — Marios PANAYOTOPOULÔS, docteur en droit: Le contrôle judiciaire du licenciement

dans le droit des pays membres de la Communauté Economique Européenne et celui de la Grèce, 1969.

TOME 11. - Louis MELENNEC, médecin du travail, et Jean JUTTARD, directeur adjoint de la Caisse primaire d'assurance maladie du Calvados: Traité de la réparation des accidents du travail, 1970.

TOME 12. — Bernard SOINNE, docteur en droit: L ' analyse juridique du règlement intérieur de l'Entre- prise, 1970.

TOME 13. — Alain LE BAYON, docteur en droit: Notion et statut juridique des cadres de l' entreprise privée, 1971.

TOME 14. — Guy POULAIN, maître-assistant à la Faculté de droit de Strabourg: La distinction des contrats de travail à durée déterminée et indéterminée, 1971.

TOME 15. — Christian MAUGEY, docteur en droit: Les moyens juridiques de la participation dans l' en- treprise en France et aux Etats-Unis, 1971.

TOME 16. - Yves SAINT-JOURS, docteur en droit, maître-assistant à 1' Université de Paris-I: La faute dans le droit général de la Sécurité sociale, 1972.

TOME 17. — H. Francois KOECHLIN, professeur à l'Institut d'économie appliquée aux affaires de 1' Université des sciences juridiques, politiques et sociales de Strasbourg: L' aspect juridique des relations du travail, 1972.

TOME 18. - Melitta BUDINER, docteur en droit: Le droit de la femme à l' égalité de salaire et la con- vention n' 100 de l' Organisation internationale du travail, 1975.

TOME 19. — Georges DOLE, docteur en sciences sociales du travail: Les ecclésiastiques et la Sécurité sociale en droit comparé, 1976.

TOME 20. - Alain RAMIN, docteur en droit: Le lock-out et le chômage technique, 1977. TOME 21. — Renée JAILLET, docteur en droit, chef de service à la Direction du personnel d' Electricité

de France et du Gaz de France: La faute inexcusable en matière d'accident du travail et de ma- ladie professionnelle, 1980.

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PREFACE

Personne n' avait, jusqu' ici, analysé les interférences entre le Droit du Travail et la Théorie Générale du Droit. C' est à cette étude, neuve et riche, que se livre Monsieur Nikitas Aliprantis.

En s' inspirant essentiellement de Kelsen et de sa théorie des normes, l' auteur envisage la place de la Convention Collective dans la hiérarchie des normes. La Convention Collective avait jusqu' alors fait /' objet d'études de droit positif ou d'études sociologiques, mais jamais un auteur ne l' avait abordé sous l' angle en quelque sorte 'philosophique'. C' est donc une belle œuvre que nous présente M. A liprantis qui renouvelle totalement les données doctrinales. Son apport à la science juridique nous apparaît précieux, plus même, fondamental.

A partir de la théorie kelsenienne, Monsieur Aliprantis recherche d'abord si, en elle-même, la convention collective est une norme, non pas une norme par délégation de la loi, mais une norme 'en soi'. Et il conclut en estimant qu' il y a réception de l' ordre socio-professionnel par V ordre étati- que sans pour autant privilégier, dans leurs conflits, /' un ou l'autre ordre juridique. Pour articuler cette norme sur les autres, l'auteur fait état d'une double hiérarchie, hiérarchie selon le conditionnement des normes, hiérarchie selon la force juridique de celles-ci.

Et c' est après avoir 'posé' la convention collective en tant que norme, que M. Aliprantis la confronte aux normes d'autorité (règles internationales, constitution, lois, décrets) et aux normes de création privée (contrats de travail, usages, règlement intérieur, mesures de direction patronales).

Cette analyse en profondeur est tout à fait originale et neuve au sein de la doctrine française. L'auteur au surplus laisse présager un riche avenir à la convention collective. Son imagination créatrice lui inspire des clauses iné- dites, non encore inscrites dans les conventions collectives, telles par exemple les clauses relatives à la participation des salariés à l' entreprise ou les clauses soit de restriction du pouvoir de direction, soit au contraire d'élargissement du pouvoir patronal. Ainsi le travail de M. Aliprantis présente-t-il l' incontestable mérite d'avoir irrigué la matière des conventions collectives grâce à la Théorie

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x

Générale du Droit. Cette jonction de la théorie kelsenienne et du Droit positif s' avère particulièrement féconde. Car la pensée fondamentale aboutit à des résultats pratiques. De /' abstraction même jaillit la création — in concreto — de clauses insoupçonnées et novatrices. Saluons un tel alliage, inhabituel en notre discipline. Qu' il soit la prémisse d' une série de recherches scientifiques inspirées du même esprit.

Hélène SINAY Professeur à la Faculté de Droit

et des Sciences Politiques de Strasbourg

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REMERCIEMENTS

Le présent ouvrage reprend essentiellement le texte de notre thèse de Do- ctorat d'Etat, présentée et soutenue devant la Faculté de Droit et des Scien- ces Politiques de Strasbourg. L' étude doit beaucoup aux encouragements constants et aux conseils de Madame le Professeur Hélène Sinay qui a acce- pté de la diriger et à qui nous désirons exprimer publiquement notre profonde gratitude.

Nous voudrions aussi remercier le Président de 1' Université de Toulouse 1 Monsieur Michel Despax, Messieurs les Professeurs Gérard Lyon-Caen (Pa- ris I), François Babinet (Strasbourg III) et Jean-Claude Javillier (Bordeaux I), ainsi que Monsieur Guy Poulain, Chargé de Conférences (Strasbourg III), pour leur présence parmi le Jury et leurs utiles observations.

Nous tenons également à remercier nos amis MM. Philippe Marchessou, Claude Witz et Mme Françoise Anastopoulos pour leurs conseils stylisti- ques. Nos remerciements vont tout particulièrement à Mme Marie-France Papandréou qui a bien voulu assumer la tâche ingrate de la lecture du ma- nuscript.

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PRINCIPALES ABREVIATIONS AP Arbeitsrechtliche Praxis (recueil allemand de jurisprudence

du droit du travail créé en 1954 par Hueck - Nipperdey - Dietz)

Arch. phil. dr. Archives de philosophie du droit BAG Bundesarbeitsgericht (Tribunal fédéral allemand du travail) Bull. Bulletin des arrêts des Chambres civiles de la Cour de Cas-

sation Bull. crim. Bulletin des arrêts de la Chambre criminelle de la Cour de

Cassation Cah. dr. europ. Cahiers de droit européen Cass., Ass. Plén. Arrêt de 1' Assemblée Plénière de la Cour de Cassation CJCE. Cour de Justice des Communautés Européennes Cons. d' Et. Arrêt du Conseil d' Etat Crim. Arrêt de la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation C. tr. Code du travail D. Recueil Dalloz D.S. Recueil Dalloz - Sirey Dr. ouvr. Droit ouvrier Dr. soc. Droit social Gaz. Pal. Gazette du Palais Id.(em) Du même auteur Inf. Ch. d' Entr. Informateur du Chef d'Entreprise J.C.P. Jurisclasseur périodique, la Semaine juridique (revue) Liais. soc. Liaisons sociales (périodique) Loc. cit. A 1' endroit précité Op. cit. ouvrage précité préc. précité Rec. Recueil des Arrêts de la Cour de Justice des Communautés

Européennes Rev. dr. publ. et sc. pol. Revue du droit public et de la science politique Rev. int. tr. Revue internationale du travail Rev. int. dr. comp. Revue internationale de droit comparé R.P.D.S. Revue pratique de droit social Rev. trim. dr. civ. Revue trimestrielle de droit civil Rev. trim. dr. europ. Revue trimestrielle de droit européen Soc. Arrêt de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation

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A Marion

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PLAN SOMMAIRE PREFACE 1 INTRODUCTION 1

PREMIERE PARTIE: LA CONVENTION COLLECTIVE DE TRAVAIL, NORME AU SEIN DE L' ORDRE JURIDIQUE 7

TITRE PREMIER: LES RELATIONS PROFESSIONNELLES COLLECTIVES DU TRAVAIL EN TANT QU' ORDRE JURIDIQUE 7

CHAPITRE PREMIER — Exposé des tentatives de construction ... 9 CHAPITRE II — Essai de construction de l' ordre juridique socio-

professionnel à partir de la théorie normativiste 13 TITRE II: L' ORDRE JURIDIQUE SOCIO-PROFESSIONNEL ET

V ORDRE ETATIQUE 27 CHAPITRE PREMIER — L' explication théorique du pouvoir

normateur collectif 28 CHAPITRE II — La convention collective et la hiérarchie des

normes 39 CHAPITRE III — L'incidence sur la convention collective de la

conception unitaire des normes 66 DEUXIEME PARTIE: LA CONVENTION COLLECTIVE DE

TRAVAIL PAR RAPPORT AUX NORMES ISSUES D' AUTORITES PUBLIQUES 81

TITRE PREMIER: CONVENTIONS COLLECTIVES ET REGLES INTERNATIONALES DU TRAVAIL 85

CHAPITRE PREMIER — Les conventions collectives et les conventions internationales du travail 87

CHAPITRE II — Les conventions collectives et les normes communautaires européennes 92

TITRE II: CONVENTIONS COLLECTIVES ET PRINCIPES CONSTITUTIONNELS 96

CHAPITRE PRELIMINAIRE — Remarques sur les libertés vues notamment du côté de leurs titulaires ................. 97

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CHAPITRE PREMIER — La liberté de négociation collective et le pouvoir législatif 107

CHAPITRE II — Les conventions collectives et la liberté syndicale 114 CHAPITRE III — Les conventions collectives et la liberté de grève 128 CHAPITRE IV — Les conventions collectives et la participation

à la gestion des entreprises 165 TITRE III: CONVENTIONS COLLECTIVES ET LOIS 173

CHAPITRE PRELIMINAIRE - Sens et portée de l' article L. 132-1 alinéa 2 du Code du travail 173

CHAPITRE PREMIER — Matières propres au droit du travail ... 180 CHAPITRE II — Matières débordant le domaine du droit du

travail 213 TROISIEME PARTIE: LA CONVENTION COLLECTIVE DE

TRAVAIL PAR RAPPORT AUX NORMES DE CREA- TION PRIVEE 241

TITRE PREMIER: CONVENTIONS COLLECTIVES ET USAGES ... 243 CHAPITRE PREMIER — Conventions collectives et usages

professionnels 245 CHAPITRE II — Conventions collectives et usages d'entreprise . 225

TITRE II: CONVENTIONS COLLECTIVES ET CONTRATS DE TRAVAIL (Y COMPRIS LE REGLEMENT INTERIEUR) 260

CHAPITRE PREMIER — Portée de l' effet normatif de la convention collective sur les contrats de travail 261

CHAPITRE II — Etendue et limites du pouvoir collectif social par rapport aux contrats de travail 284

TITRE III: CONVENTIONS COLLECTIVES ET POUVOIR DE DIRECTION DE L' EMPLOYEUR 303

CHAPITRE PREMIER — Modification du pouvoir de direction par voie conventionnelle 305

CHAPITRE II — Conflits entre conventions collectives et mesures de direction 313

CONCLUSION GENERALE ... ï>,.... v ..% 318 BIBLIOGRAPHIE lV. ' .1 INDEX ALPHABETIQUE DES MA TIËRf:l.,''''; .................. TABLE DES MATIERES .......................................

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INTRODUCTION

La vocation première du droit du travail est de semer l'inquiétude. Inquié- tude morale et intellectuelle à la fois. Pour ne nous en tenir qu' à la seconde, il est certain que cette branche du droit amène inéluctablement à des interroga- tions de base touchant les fondements même de 1' ordre et de la science juridiques. Les conventions collectives sont 1' exemple par excellence de cette particularité majeure du droit du travail. Elles obligent, en effet, à remonter aux 'notions juridiques premières'.

Cette étude, consacrée aux problèmes de base des conventions collectives de travail, ne fera pas exception à cette nécessité du droit du travail. Elle remontera à quelques notions premières, telles que 1' ordre 0' ordonnan- cement) juridique, la norme, la hiérarchie des normes. Elle ne le fera cependant pas dans le but de préciser la 'nature juridique' de la convention collective de travail, comme 1' avait fait la doctrine du début du siècle, peût - être à 1' excès, lorsque cette institution n' en était encore qu' à ses balbutie- ments. Certes, ce problème qui n' a pas trouvé jusqu' à présent une solution satisfaisante(l) renaît périodiquement de ses cendres comme un autre Phénix et sera également abordé dans ce travail. Mais ce sera plutôt avec l'intention de lui donner le coup de grâce.

Aujourd' hui les conventions collectives, quoiqu' on dise parfois, sont devenues adultes et leurs problèmes de base sont, par conséquent, autres. L' un de ces problèmes concerne les conventions collectives dans leur aspect dynamique de la négociation collective et de ses règles. Celles-ci font-elles partie d'un ordre juridique qui leur est propre? L' enjeu de cette question nous paraît d'importance car jusqu' à présent la négociation collective, et plus généralement les relations professionnelles collectives ont fait 1' objet

(1) Cf. A. ROUAST, 'La nature et l' efficacité de la convention collective de travail', Droit social, 1960, p. 639 et s., surtout p. 643.

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d'analyses de la part de sociologues. Or, si on pouvait concevoir ces rela- tions comme un ordre juridique en soi, cela permettrait de les étudier dans une optique rigoureusement juridique, et non plus sociologique. Une telle conception est-elle possible?

Le second problème — ou plutôt ensemble de problèmes — de base que po- sent aujourd' hui les conventions collectives est celui de leurs rapports avec les divers moyens publics et privés de réglementation des relations du travail(2). Ce problème n' a plus trait à 1' appartenance des conventions col- lectives à un ordre juridique propre, mais est lié à leur place dans 1' ordre juridique étatique. L' articulation des conventions collectives avec les autres moyens de réglementation des relations du travail (c' est-à-dire avec les normes du droit du travail) continue à poser des questions délicates(3). Elle implique surtout la solution des conflits entre les unes et les autres. Ces con- flits apparaissent le plus souvent dans les cas où tant la convention collective que l' autre norme ont compétence concurrente pour réglementer la matière concernée, mais où les réglementations qu' elles édictent s' avèrent incom- patibles. Plus rares sont les conflits résultant du fait qu' une seule des normes a compétence en la matière: ces derniers conflits mettent en jeu 1' étendue du pouvoir normateur collectif.

Les problèmes de 1' articulation des conventions collectives avec les multi- ples normes du droit du travail (les règles internationales, constitutionnelles, légales, administratives, les usages, le contrat de travail, jusqu' aux mesures d' exercice du pouvoir de direction) sont aujourd' hui les problèmes les plus brûlants du droit des conventions collectives, non seulement en France mais également dans d ' au t res pays(4). Pour bien les poser et les résoudre il faut, toutefois, éclaircir certaines notions fondamentales dont nous avons parlé au

début de cette introduction et en premier lieu celle de la hiérarchie des

normes juridiques. Il faut également essayer de mettre en place une théorie unitaire de toutes les normes du droit du travail pour pouvoir, ensuite, exa-

miner leurs rapports avec les conventions collectives.

Pour maîtriser les multiples problèmes de notre thèse nous avons utilisé la doctrine normativiste du droit et surtout celle de Kelsen. En effet, 1' arsenal

(2) Le terme 'sources du droit du travail' est à cet égard trop étroit, au moins dans son accep- tion classique.

(3) Cf. M. DESPAX, Conventions collectives de travail, t. VII du Traité de Droit du travail publié sous la direction de G.H. Camerlynck, Paris, 1966, n°43, p.64.

(4) Cf. pour l' Allemagne fédérale K. ADOMEIT, Rechtsquellenfragen im Arbeitsrecht, Munich, 1969, p. 121.

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conceptuel de cette doctrine nous a paru, à cet égard, d'une énorme fécon- dité.

La référence à la pensée kelsenienne est en soi révélatrice de la méthode que nous avons suivie dans ce travail. Nous avons essayé d' y appliquer rigoureusement la méthode juridique. L' apport énorme des sciences sociales risque, en effet, de faire perdre au juriste 'travailliste' 1' approche spécifique- ment juridique des problèmes. Il ne s' agit pas, bien sûr, ici de mettre en ques- tion 1' ouverture nécessaire du juriste vers les sciences sociales et surtout la sociologie. Mais ceci dit, le juriste est appelé à bien 'fondre', comme dans une fonderie, les multiples éléments sociologiques, économiques et autres que lui procurent les sciences en question. En ce sens notre travail se veut un essai de réhabilitation de 1' analyse juridique et c' est avec plaisir que nous con- statons que cette vue est conforme à celle d'auteurs travaillistes tout à fait é- niments(5).

Mais retour à 1' analyse juridique ne signifie pas retour au formalisme juridique. Le conceptualisme formaliste s' est longtemps cru le représentant authentique de la pensée juridique mais il serait faux de croire qu' il est mort de nos jours. Il survit dans la façon de poser et de résoudre maints problèmes. Sans vouloir anticiper sur les résultats de notre recherche nous citerons ici deux exemples pris du droit des conventions collectives: les con- séquences qu' on tire en général de la nature juridique de la convention col- lective et les effets qu' on rattache au débat sur l'incorporation de la conven- tion dans le contrat de travail.

Ici encore Kelsen nous a aidé à bien distinguer le plan de la théorie (de l' analyse en termes de théorie générale du droit) et le plan de la dogmatique du droit, c' est-à-dire le plan auquel se posent les problèmes juridiques prati- ques(6). Le premier poursuit un pur but de connaissance alors que le second a des incidences sur des positions ou situations juridiques. Le travail sur des concepts est indispensable dans le cadre de l' analyse théorique mais il court rapidement le danger de devenir formaliste lorsqu' il se transpose dans la domaine de la dogmatique.

La notion de convention collective de travail retenue dans ce travail est plus large que la notion légale de celle-ci. Elle comprend ce que l' on pourrait appeller aspect statique et aspect dynamique de la convention collective de

(5) G. LYON-CAEN, 'La crise actuelle du droit du travail', in: Le droit capitaliste du travail, ouvrage collectif, Presses universitaires de Grenoble, Grenoble, 1980, p.259.

(6) H. KELSEN, 'Juristischer Formalismus und reine Rechtslehre', Juristische Wochenschrift, 1929, p. 1723 et s.

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travail(7). Le premier aspect (ou contenu) est classique et correspond aux élé- ments légaux de sa définition. Il saisit la convention collective comme un acte (écrit) conclu entre un ou plusieurs syndicats représentatifs et organisations patronales (ou un employeur isolé), acte portant sur les conditions de travail et les garanties sociales des salariés. Cet aspect de !a convention collective est aussi qualifié de normatif. Le second aspect — 1' aspect 'dynamique' — in- clut les stipulations écrites qui concernent les conditions dans lesquelles se créerait le contenu statique ou d' autres règles dynamiques.

A la lumière des remarques précédentes nous pouvons donc préciser que le terme 'convention collective de travail' désignera les stipulations apparte- nant aux espèces indiquées et passées par écrit entre un ou plusieurs syn- dicats représentatifs et une ou plusieurs organisations patronales (ou un employeur isolé) et concernant directement ou indirectement le travail salarié. Nous n' exigerons pas, toutefois, que dans chaque texte signé figurent des stipulations tant statiques que dynamiques.

La convention collective étant ainsi définie, il convient de 1' étudier d' abord par rapport à 1' ordre (ou ordonnancement) juridique en tant qu' ensemble de normes juridiques. Ainsi que nous 1' avons déjà signalé, il est nécessaire d' analyser les notions fondamentales et les problèmes généraux avant d'étudier 1' articulation de la convention collective avec les diverses normes prises isolément. Cette analyse fera donc 1' objet de la première partie de cet ouvrage

Les diverses normes juridiques peuvent soit émaner d'autorités publiques soit être de création privée. Sur la base de cette distinction classique nous en- visagerons séparément les rapports de la convention collective avec chacune des deux catégories de normes du droit du travail. Ce sera r objet des deux autres parties de la thèse. Première Partie: La convention collective de travail, norme au sein de

l' ordre juridique. Deuxième Partie: La convention collective de travail par rapport aux

normes issues d' autorités publiques. Troisième Partie: La convention collective de travail par rapport aux

normes de création privée.

(7) Nous tenons à signaler que les termes 'statique' et 'dynamique' ne coïncident pas avec ce que O. Kahn-Freund a appelé 'institutional or dynamic bargaining' par opposition au 'contractual or static bargaining' (O. KAHN-FREUND, Labour and the Law, 2e éd., Londres, 1977, p. 52 et s. avec des références). Cette dernière distinction exprime la dif- férence entre la négociation institutionnalisée et la négociation par contact direct. Par con séquent, la distinction de 1' éminent travailliste regretté est liée à la méthode de la négocia- tion alors que celle proposée dans le texte a trait au contenu de la convention collective.

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PREMIERE PARTIE

LA CONVENTION COLLECTIVE DE TRAVAIL, NORME AU SEIN DE L' ORDRE JURIDIQUE

La convention collective de travail présente un aspect dynamique, celui de la négociation collective. Cette dernière obéit dans chaque pas à des règles particulières, qui contribuent à donner aux relations collectives du travail leurs traits caractéristiques. Mais au-delà des particularités des différents pays, est-il possible de concevoir la convention collective comme apparte- nant à un ordre juridique propre aux relations professionnelles collectives? C' est la premiere interrogation de la présente partie, interrogation à laquelle il convient de donner une réponse affirmative. Nous verrons, en effet, que la conception d'un ordre juridique socio-professionnel est possible. Une fois repéré, cet ordre devra d'abord être analysé dans sa structure interne, donc par rapport à lui-même. C'est ce que nous essaierons de faire dans le premier titre de la présente partie.

L' ordre juridique socio-professionnel entretient nécessairement des rap- ports avec l' ordre étatique. Si, pour la construction de 1' ordre socio- professionnel, c' est 1' aspect dynamique de la convention collective qui est décisif, pour 1" analyse des rapports de cet ordre avec 1' ordre étatique, c' est l'aspect statique classique de la convention collective qui passe au premier plan. L' ensemble des problèmes que posent ces rapports seront étudiés dans le second titre de la présente partie.

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TITRE PREMIER

LES RELATIONS PROFESSIONNELLES COLLECTIVES DU TRAVAIL

EN TANT QU' ORDRE JURIDIQUE

La convention collective de travail est un acte dont le contenu historique- ment premier et toujours essentiel porte sur les conditions de travail des salariés. C' est ce 'noyau normatif' de la convention collective de travail qui a été à l'origine des préoccupations majeures de la doctrine dès le début du XXe siècle. Ce qui signifie que la doctrine juridique a envisagé la convention collective comme un acte déjà conclu et portant essentiellement sur les condi- tions de travail. Par là même elle a négligé ce qui suppose, précède et entoure le noyau de la convention collective de travail.

Le présupposé logique et sociologique le plus important de la convention collective est la négociation et ses règles. En effet, avant de se mettre d' ac- cord sur les conditions de travail, les 'antagonistes sociaux' s' accordent sur le fait de négocier et sur maints autres points qui tendent à organiser leurs relations et leur activité de négociateurs. Tout cela constitue le cadre dans le- quel sont fixées les conditions normatives de travail. Or, contrairement aux sociologues qui se sont déjà penchés sur les règles du jeu social(1), la doctrine juridique n'a pas encore pris en main ces phénomènes(2). C'est M. G. Lyon - Caen qui a attiré 1' attention sur cette carence de 1' analyse juridique et a demandé avec persistance une théorie de la négociation collective «opposée à celle du contrat»(3). Ainsi qu'il l'a pertinemment fait remarquer, «le Droit est déficient qui ignore pratiquement les règles de la négociation»(4). Et encore:

(1) V. notamment D.WEISS, Relations industrielles, Paris, 1973, p. 133 et s. (2) V. néanmoins deux premières approches précieuses, mais qui ne prétendent pas faire la

théorie juridique de la négociation collective: G. ADAM, J.D. REYNAUD, M. VER- DIER, La négociation collective en France, Paris, 1972; M.-D. CRUEGE, Le concept contractuel et les négociations collectives, thèse Paris I, 1974 (multigr.).

(3) G. LYON-CAEN, 'Le rôle des principes généraux du droit civil en droit du travail (première approche)', Revue trimestrielle de droit civil, 1974, p. 229 et s., (p. 241).

(4) Ibidem, p. 241.

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«Les procédures et les institutions de l'autonomie, négligées par les juristes, devront être progressivement analysées, comprises, qualifiées, critiquées: commissions paritaires d'interprétation et de conflits ; rendez-vous, avenants et protocoles, etc... Un droit de la négociation permanente serait plus néces- saire qu'un droit de la convention collective»(I).

Or la négociation collective et, plus généralement, les relations qui se nouent entre les protagonistes sociaux au-delà de la fixation du noyau nor- matif de la convention collective ne peuvent être saisies juridiquement que si on englobe ces phénomènes dans un cadre conceptuel rigoureux. Faire la théorie juridique de la négociation collective, entendue comme le préalable du noyau normatif de la convention collective, implique que l'on puisse la saisir comme un tout et exprimer ce 'tout' en termes juridiques.

Sans poser, certes, le problème en termes de théorie juridique de la négociation collective, certains auteurs ont pressenti, dès le début du siècle, la nécessité de saisir juridiquement ce qui suppose et sous-tend la convention collective proprement dite. Leurs efforts constructifs ne peuvent pas être con- sidérés comme réussis, mais, précisément pour cette raison, ils illustrent bien les difficultés que comporte l' élaboration de la théorie juridique en question. Il convient donc de les passer en revue (Chapitre I), avant d'exposer notre propre essai d' une théorie juridique de la négociation collective et, plus généralement, des relations professionnelles collectives du travail (Chapitre II).

(5) Ibidem, p. 242.

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CHAPITRE PREMIER

EXPOSE DES TENTATIVES DE CONSTRUCTION

Des tentatives de saisir le préalable de la convention collective de travail proprement dite ont été faites en France et à 1' étranger.

En France on trouve déjà l'amorce d'une construction dans la thèse de A. Rouast. Celui-ci, partant de la notion de nécessité commune, affirme qu' «il y a un droit résultant de cet état collectif de nécessité, un droit qui n'est pas conventionnel, mais antérieur à la volonté... C'est le droit collectif... droit qui s'impose aux individus soumis au même état de nécessité, et crée entre eux un lien, le lien collectif, les constituant en collectivité»(l). Cette collectivité est définie comme «un groupement organisé d'individus unis par un lien de solidarité nécessaire qui résulte d'un état de fait d'origine sociale et économi- que»' . A propos de l'analyse de M. Rouast, on peut remarquer que celui-ci n'envisage que la collectivité des salariés et laisse dans l'ombre le côté patronal et surtout les relations qui se nouent entre les acteurs sociaux. Pour rendre compte de ces dernières, cet auteur revient à la notion de contrat. Ainsi que G. Gurvitch l'a bien relevé dans sa terminologie particulière, «M. Rouast n'indique pas quelle est la nature de la totalité qui préexiste aux ac- cords des parties dans la convention collective de travail...»(3); «il explique par l'idée du droit social le caractère obligatoire de la convention collective pour chacune des parties séparées, mais non leurs liaisons réciproques...»(4).

L'effort constructif de M. Rouast est donc resté à mi-chemin. Plus tard, d'autres auteurs ont franchi le pas et ont tenté de saisir comme un tout les relations collectives des acteurs sociaux. Mais leurs tentatives sont révé- latrices des risques que représente une telle entreprise, risques dont l' un est celui de la déviation idéologique et l'autre celu: du sociologisme. Le premier risque consiste à concevoir les relations qui se nouent entre les

(1) A. ROUAST, Essai sur la notion juridique de contrat collectif dans le droit des obliga- tions, Paris, 1909, p. 96 - 97.

(2) Ibidem, p. 101. (3) G. GURVITCH, Le temps présent et /' idée du droit social, Paris, 1932, p. 34. (4) Ibidem, p. 35.

Page 25: LA PLACE HIERARCHIE DES NORMES

acteurs sociaux comme constituant une unité organique dont les uns et les autres seraient les membres. Ce serait là une conception déformant la réalité, puisqu'elle aboutirait à masquer l'antagonisme irréductible des acteurs sociaux. C'est dans ce sens que nous parlons de déviation idéologique. Le se- cond risque — celui du sociologisme — consiste à confondre méthode juridi- que et méthode sociologique. La plupart des auteurs qui ont tenté de saisir de manière unitaire les relations des acteurs sociaux encourent la critique au double titre signalé.

En France la construction en question a été tentée dans le sillage de la théorie d'institution d'Hauriou. Ainsi E. Gounot, appliquant dans sa thèse restée célèbre(5) cette théorie aux conventions collectives, a conçu ces der- nières comme la charte d'une institution. L' institution serait l' établis- sement industriel ou une branche entière de l' èconomie, conçus comme «un organisme collectif, un corps unitaire pourvu d'organes...»(6). Les organes de ce corps unitaire seraient précisément les parties de la convention collective. Ainsi la branche ou l'établissement industriels, érigés en institution, engloberaient dans une unité organique les antagonistes sociaux!

En Allemagne c'est le concept de communauté (Gemeinschaft) qui a été utilisé pour exprimer l'unité que constitueraient les protagonistes sociaux. Le grand théoricien O.v.Gierke a exprimé le plus fortement cette idée(7). Il a entendu la communauté comme une unité collective des 'associés' (Kol- lektive Einheit der Verbundenen)(8). Selon lui, c'est elle qui produit la conven- tion collective et est titulaire du pouvoir normateur collectif.

La notion de communauté est employée également par le premier théori- cien allemand des conventions collectives, H. Sinzheimer, dans un ouvrage fondamental(9). Dans cet ouvrage le concept ne semble pas avoir de connota- tion idéologique, puisqu'il désigne le résultat plutôt que le préalable de la con- vention collective. Mais comme le révèle un article ultérieur, cet auteur faisait sienne la conception de la communauté de Gierke(1O). Au demeurant, il faut

(5) E. GOUNOT, L' autonomie de la volonté. Contribution à l' étude critique de /' in- dividualisme juridique, Paris, 1912.

(6) Ibidem, p. 290; cf. p. 312, 315. (7) O.v. GIERKE, 'Die Zukunft des Tarifvertragsrechts', Archiv für Sozialwissenschaft und

Sozialpolitik, vol. 42, 1917, p. 820 et s. (8) Ibidem, p. 832. (9) H. SINZHEIMER, Ein Arbeitstarifgesetz. Die Idee der sozialen Selbstbestimmung im

Recht, Munich - Leipzig, 1916, p. 39. Nous reviendrons plus tard sur les idées de cet auteur.

(10) 'Über einige Grundfragen des Arbeitstarifrechts' (1929) publié de nouveau dans ses arti- cles et discours complets (H. SINZHEIMER, Arbeitsrecht und Rechtssoziologie, gesam- melte Aufsâtze und Reden, Francfort s.M.- Cologne, 1976, vol. I, p. 255 et s., p. 264).

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bien noter qu' en Allemagne l'idée de communauté englobant dans une unité les protagonistes sociaux n'a pas été suivie par la doctrine, sauf rares exce- ptions(1l) .

Dans l'ordre des constructions chargées d'une idéologie déformante il faut, enfin, citer la conception du juriste suisse R. BOOS(12). Lui aussi affirme la nécessité de reconnaitre l'association de production (Productionsverein) d'une branche industrielle comme le foyer qui englobe les organisations syn- dicales antagonistes et précède la convention collective de travail.

Si les auteurs énumérés jusqu'ici encourent la critique de déviation idéologique, consciente ou inconsciente, il est par contre un autre dont l'ef- fort constructif est exempt de toute critique de ce genre. Il s'agit de G. Gur- vitch qui a eu également le mérite d'avoir recherché le plus systématiquement «la totalité juridique antérieure et supérieure à la convention (collective)»03', en accord avec ses prémisses de la notion de droit social(14). D'après lui

«... les parties contractantes (à la convention collective) doivent non seule-

ment représenter chacune en elle-même un foyer de droit social intérieur, mais encore l'une et l'autre être soumises en commun par avance à un ordre

du droit social plus large qui correspond à une totalité englobante»05'. Si l'on

peut être d'accord avec Gurvitch dans la façon dont il pose le problème, on

ne saurait le suivre dans la réponse qu'il y apporte. Quelle est, en effet, selon

lui la totalité juridique englobante à laquelle participent les antagonistes sociaux? C'est «la communauté industrielle inorganisée», objective et sous-

jacente, et non la superstructure organisée de celle-ci(l6). Les antagonistes

sociaux participent à cette totalité, mais ils «ne constituent pas les organes d'une même organisation»07'. Soutenir le contraire ce serait «fausser com-

plètement les faits de la vie juridique, aussi bien que de la vie économi- que...»08'.

(11) Une telle exception: W. BOGS, 'Autonomie und verbandliche Selbstverwaltung im modernen Arbeits - und Sozialrecht', Recht der Arbeit (revue), 1956, p. 1 et s. (p.5). Criti- quant la conception de cet auteur, Nikisch la qualifie de construction arbitraire (A. NIKISCH, Arbeitsrecht, vol. II, Tübingen, 1961, p. 215, note 35).

(12) R. BOOS, Der Gesamtarbeitsvertrag nach schweizerischem Recht, Munich - Leipzig, 1916, notamment p. 210 et s.

(13) G. GURVITCH, Le temps présent et /' idée du droit social, préc., p. 33. (14) G. GURVITCH, L' idée du droit social. Notion et système du Droit Social, Histoire

doctrinale depuis le XVI le siècle jusqu' à la fin du XIXe siècle, Paris, Sirey, 1931, p. 15 et s. (Il y analyse la notion de totalité comme élément du droit social).

(15) G. GURVITCH, Le temps présent et /' idée du droit social, préc., p. 33. (16) Ibidem, p. 41. (17) Ibidem, p. 42, haut de page. (18) Ibidem, p. 41.

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G. Gurvitch a eu certainement le mérite de ne pas avoir ménagé les mystifications idéologiques de la réalité sociale. Mais la réponse qu'il donne au problème qui nous occupe dans ces lignes ne peut que surprendre. Car «la communauté industrielle sous-jacente et inorganisée» est manifestement une notion sociologique et non pas juridique. L'identification — et donc la confu- sion — de la méthode juridique et de la méthode sociologique, qui parcourt toute l'œuvre de Gurvitch, apparaît ici de manière frappante. C'est cette con- fusion que nous avons qualifiée de sociologisme. Au demeurant le sociologisme est une critique que l'on peut adresser à cet auteur autant qu'à ceux dont nous venons de rejeter les conceptions en tant qu' idéologies défor- mantes. Car qu'est-ce que l'institution (Gounot), ou la communauté organi- que (v. Gierke) ou, enfin, l'association de production (Boos) sinon des catégories sociologiques?

Pour conclure on peut dire que les tentatives faites par le passé pour saisir juridiquement ce qui précède et englobe la convention collective proprement dite ont échoué, car elles n'ont pas pu dépasser le stade de la sociologie. A cela s'ajoute le fait que la plupart d'entre elles faussaient ou ignoraient la réalité, à savoir l'antagonisme irréductible entre le patronat et les organisa- tions syndicales des salariés. Nous pensons néanmoins que l'élaboration d'une théorie juridique générale des relations collectives professionnelles englobant les préalables de la convention collective proprement dite et notamment la négociation collective est possible. Mais pour ce faire, c'est dans une tout autre voie qu'il faut s'engager.

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CHAPITRE II

ESSAI DE CONSTRUCTION DE L' ORDRE JURIDIQUE SOCIO PROFESSIONNEL A PARTIR DE LA THEORIE

NORMATIVISTE

C' est la notion d'ordre juridique qui constitue à notre avis le concept nécessaire pour saisir juridiquement les relations qui se nouent entre les protagonistes sociaux. Il faut, en d'autres termes, que l'on puisse concevoir les relations professionnelles collectives comme un ordre juridique. L' é- laboration de la théorie générale de ces relations ne peut se faire qu' à cette condition.

La difficulté de cette entreprise va de pair avec 1' emploi aujourd' hui généralisé et, à vrai dire, gratuit du concept de 1' ordre juridique. M. Franceskakis a bien noté récemment le succès, en France, de ce concept pour ajouter que ce n' est pas le signifiant mais le signifié qui importe: «C' est bien, en effet, quant au fond que la vérification doit être menée»(l).

SECTION 1

NOTION D' ORDRE JURIDIQUE DANS LA THEORIE NORMATIVISTE

Aussi étrange que cela puisse paraître a priori, c' est dans la théorie nor- mativiste de Kelsen et des auteurs qui se situent dans son sillage que nous puiserons 1' outil conceptuel nécessaire pour saisir juridiquement la négocia- tion collective et, plus généralement, tout ce qui englobe la convention collec- tive proprement dite. C' est à 1' aide de cette théorie que nous essaierons, en particulier, de concevoir les relations professionnelles collectives comme un ordre juridique. Il faut noter ici que Kelsen a été parmi les premiers(2), sinon

(1) Ph. FRANCESKAKIS, Introduction à la traduction française de 1' ouvrage de S. ROMANO, L' ordre juridique, Paris, 1975, p. XIV (traduction de L. François et P. Gothot).

(2) Il faut pourtant mentionner le juriste italien Romano dont l' ouvrage principal, paru déjà en 1918, était consacré à l' ordre juridique.V. note précédente. Cf. N. BOBBIO, Teoria dell' ordinamento giuridico, Turin, 1960, p. 5 et s.

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le premier, à mettre au centre de la théorie du droit la notion de 1' ordre juridique à côté de celle de normes. Ainsi qu' il le souligne lui-même, «tous les problèmes du droit, tous les problèmes juridiques doivent être posés et doi- vent être résolus comme des problèmes relatifs à un ordre»(3).

Quel est le trait qui permet, avant tout, de repérer un ordre juridique?(4).

§ 1 — Les normes de structure, base de P ordre juridique. Pour bien saisir la conception kelsenienne de 1' ordre juridique, il faut avoir

en vue le fait — mis en lumière par Kelsen — que le droit est réglé par une catégorie particulière de normes, précisément les normes qui règlent la créa- tion du droit(5). C' est par référence à cette catégorie de normes que se définit avant tout 1' ordre juridique. En effet, selon Kelsen, «1' ordre juridique est un système de normes ... qui sont unies les unes aux autres par le fait que la création de chacune des normes qui appartient au système est réglée par une autre norme du système et en dernière analyse, par sa norme fondamen- tale»(6). Cette définition fait apparaître clairement que ce sont les normes qui règlent la création d' autres normes qui permettent d' identifier un ordre juridique. En quoi consistent-elles exactement? Pour s' en rendre compte il faut les distinguer des normes qui règlent directement la conduite humaine, c' est-à-dire qui imposent des obligations (ou accordent des droits). Il con- vient d'insister sur cette distinction, insuffisamment faite en France dans le cadre de 1' analyse de la pensée normativiste, entre normes de conduite et normes sur la création juridiqué7).

(3) KELSEN, Théorie pure du droit, 2e éd., traduction française par Ch. Eisenmann, Paris, 1962, p. 253 in fine - 254.

(4) M. P. Amselek a récemment consacré un article très critique sur la conception kelsenien- ne de l' ordre juridique (P. AMSELEK, 'Réflexions critiques autour de la conception kelse énne de l' ordre juridique', Revue du Droit public et de la science politique, 1978, p. 5 et s.). Ne pouvant pas discuter à fond ses opinions dans le cadre de ce travail, nous nous bornerons, le cas échéant, à quelques remarques ponctuelles.

(5) KELSEN, Théorie pure du droit, préc., p. 96, p. 229, p. 370. (6) KELSEN, op. cit., p. 314. (7) Cf. la distinction entre normes primaires et normes secondaires, faite par H. L. A.

HART, Le concept de droit, traduit de l' anglais par M. van de Kerchove, Facultés uni- versitaires de Saint - Louis, Bruxelles, 1976, Chapitres III et V, notamment p. 104 - 105. On sait que Hart est un des auteurs qui se situent dans le sillage de Kelsen.

Sur la distinction v. également N. BOBBIO, 'Nouvelles réflexions sur les normes primaires et secondaires', in: La règle de droit, éd. par Ch. Perelman, Bruxelles 1971, p. 104 et s.; K. ADOMEIT, Rechtsquellenfragen im Arbeitsrecht, préc., p. 72; N. ALIPRANTIS, 'In der Nachfolge Kelsens: Ermâchtigungsnormen, Verhaltensnormen und die Struktur der Rechtsordnung', in: Actes du 9e Congrès Mondial de Philosophie du droit et de Philosophie sociale, Bâle, 1979 (à paraître).

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Les normes qui règlent la création d' autres normes ont reçu plusieurs noms, tous identiques: normes habilitantes, normes de compétence(8), normes de structure(9); c' est cette dernière expression que nous préférons. Elles ont cette caractéristique commune de conférer des pouvoir juridiques, à savoir des pouvoirs de créer d'autres normes. Elles s' enchaînent et aboutis- sent à la norme fondamentale (Kelsen) ou règle de reconnaissance (Hart). Les normes de structure sont hiérarchisées et c' est l' ensemble hiérarchisé des normes de structure qui fait l'épine dorsale de l'ordre juridique(' 0). Car ce sont ces normes qui établissent 1' unité, élément primordial d' un ordre juridique. En d' autres termes les normes de conduite, aussi nombreuses soient-elles, ne peuvent pas constituer, en elles-mêmes, un ordre. C' est à P aide des normes de structure, à commencer par la norme fondamentale, que 1' on peut repérer 1' existence d'un ordre juridique. Les normes de struc- ture constituent ainsi le préalable logique et sociologique des normes de con- duite.

Au demeurant, pour qu' il y ait un ordre juridique, il n' est pas nécessaire qu' il existe plusieurs étages superposés de normes de structure. A la limite il suffit pour cela — à côté des normes de conduite — d'une seule norme de structure, à savoir d'une norme fondamentale. Kelsen lui-même le rappelle à propos des ordres primitifs qu' il qualifie de juridiques et qui ne connaissent en général qu' une seule norme de structure, à savoir la norme fondamentale qui institue la coutume comme fait créateur de normes(ll).

La norme fondamentale — cette précision nous paraît nécessaire — n' est

(8) Ainsi R. CAPITANT, Introduction à 1' étude de l' illicite, t. I, L'impératif juridique, Paris, 1928, p. 146 et s.

(9) Ainsi N. BOBBIO, Teoria dell' ordinamento giuridico, préc., p. 23. (10) P. AMSELEK (article précité, p. 11) affirme, contrairement à Kelsen, que la relation

hiérarchique n' est pas une relation de norme à norme, mais de norme à acte créateur de norme; il reproche donc à Kelsen de confondre «norme et acte normateur, norme juridi- que et acte juridique» (ibidem). Mais ce reproche méconnaît qu' un acte dans son aspect factuel, c' est-à-dire en tant qu' il se déroule dans le temps et dans 1' espace, n' est pas 1' objet de connaissance juridique spécifique. Ce qui constitue un tel objet c' est la signification objective d'un acte, c' est-à-dire la norme (KELSEN, Théorie pure, préc., p. 2 - 3). En effet, la norme n' est pas autre chose que la signification objective d'un acte (v. p. ex. KELSEN, op. cit., p. 62). Lorsqu' on dit que les actes juridiques 'posent' ou 'créent' des normes, on exprime simplement par une image cette idée que ces actes ont pour sens ou signification des normes (KELSEN, op. cit., p. 10). Par conséquent ce sont bien les normes (de structure) qui sont hiérarchisées (cf. récemment, M. TROPER, 'La pyramide est toujours debout! Réponse à Paul Amselek', Revue du Droit public et de la science politique, 1978, p. 1523).

(11) KELSEN, op. cit., p. 260 in fine; cf. p. 379.

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rien d'autre que la première norme de structure «qui fonde et scelle 1' unité de ce système de création»(l2) qu' est 1' ordre juridique. Elle n' est pas différente des autres normes de structure, en dépit de quelques formulations ambiguës de Kelsen(13). Ainsi que Kelsen lui-même 1' exprime clairement à d'autres endroits, la norme fondamentale «ne contient rien d'autre que 1' institution d' un fait créateur de normes ...»(14); elle «se borne... à poser une règle con- formément à laquelle les normes d ' u n système doivent être créées»(15). Ainsi

entendue la norme fondamentale n' est pas seulement une norme logique-

ment supposée, mais son existence est empiriquement vérifiable. Puisque la

norme fondamentale fonde la validité d ' u n ordre juridique, sa propre validité ne saurait être simplement supposée; elle est une question de fait relative à

son existence, ainsi que le note pertinemment M. Hart(Ifl).

Pour conclure nous dirons qu' un ensemble de normes de conduite, s'il est

nécessaire, n' est jamais suffisant pour constituer un ordre juridique. Celui-ci n' existe que lorsqu' on peut repérer, à côté des normes de conduite,

un ensemble hiérarchisé de normes de structure, de normes qui règlent la création d 'autres normes, ensemble aboutissant à la norme fondamentale. A

la limite 1' existence de la seule norme fondamentale suffit, à côté des normes

de conduite, pour constituer un ordre juridique. La naissance de la norme

fondamentale détermine, en quelque sorte, la naissance d ' u n ordre juridique.

Les développements précédents laissent apparaître qu' il peut y avoir des

ordres juridiques autres que celui de 1' Etat. Car rien n' exclut qu' on repère une norme fondamentale et des normes de structure en dehors de 1' Etat.

Cela est-il compatible avec la théorie kelsenienne?

§ 2 — Kelsen et le rejet du monisme étatique.

On serait peut-être tenté de nous objecter que la notion de 1' ordre juridi-

que que nous venons d 'esquisser va à 1' encontre du caractère étatique du

droit qui serait une thèse centrale de la doctrine kelsenienne. Le maître vien-

nois n' a-t-il pas, en effet, insisté plus que quiconque sur l' indentité du Droit

(12) KELSEN, op. cit., p. 229 in fine. (13) KELSEN exprime également le contenu de la norme fondamentale dans une formule qui,

bien qu' abrégée, est tout à fait contestable. D' après cette formule la norme fondamen- tale serait la norme selon laquelle «on doit se conduire de la façon que la Constitution prescrit» (KELSEN, op. cit., p. 266). Cette formulation est contestable car elle laisse croire que la norme fondamentale est une norme de comportement; elle ne fait pas ap- paraître son caractère en tant que norme de structure.

(14) KELSEN, op. cit., p. 259. (15) KELSEN, op. cit., p. 260. (16) H.L.A. H ART, Le concept de droit, préc., chapitre VI, p. 127 et note (p. 293).

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et de l' Etat? N' a-t-il pas par là reconnu que 1' Etat a le monopole de la créa- tion du droit et n' est-il pas alors défenseur du monisme étatique?

Nous ne croyons pas que cette objection soit fondée. A notre avis, il y a même là un malentendu qu' il s' agit de dissiper. Si Kelsen défend l'identité du Droit et de 1' Etat c' est parce qu' il se veut le détracteur des théories idéologiques, surtout idéalistes du Droit qui se représentent 1' Etat comme un 'être' (Wesen) distinct du Droit(l7). C' est donc le dualisme de 1' Etat et du Droit, et uniquement celui-ci, que combat Kelsen, ce dualisme qui affirme que l' Etat conditionne le Droit en même temps qu' il le présuppose("). Par contre, rien ne permet de soutenir que Kelsen est partisan du monisme étati- que. Il prend même clairement position contre lui: «En tant qu' organisation politique, 1' Etat est un ordre juridique. Mais tout ordre juridique n' est pas un Etat ... l' Etat est un ordre juridique relativement centralisé»(l9).

On peut donc conclure que Kelsen n' est pas partisan du monisme étatique et qu' il ne concidère pas comme incompatible avec sa conception de 1' ordre juridique le fait d'affirmer 1' existence d'ordres juridiques non étatiques(20). Lui-même cite d'ailleurs comme exemples de tels ordres, les ordres primitifs et l' ordre international(21). Certes, Kelsen n' a pas étendu ses recherches

dans la direction des ordres juridiques non étatiques en général. Il n' a cepen- dans jamais prétendu que sa théorie expose des résultats définitifs. Il a même

affirmé le contraire dans la Préface de la seconde édition de sa Théorie pure

du Droit: «... une théorie générale du droit est toujours exposée au risque que

les concepts fondamentaux qu' elle a élaborés n' appréhendent pas la totalité

des phénomènes juridiques ... il n' y faut voir (dans sa théorie) qu' une

entreprise qui a besoin d' être poursuivie, par voie de compléments et d' améliorations de toute nature»(22).

Nous ne pensons donc pas violer la pensée kelsenienne en abandonnant le monisme étatique et en affirmant, en conséquence, la possibilité d'existence d'ordres juridiques non étatiques. Ceci d'autant plus que notre position ne signifie point adhésion inconditionnelle aux thèses du pluralisme juridique(23).

(17) KELSEN, op. cit., p. 377. (18) KELSEN, op. cit., p. 377 - 378. (19) Op. cit., p. 378 in fine - p. 379 (souligné par nous). (20) Selon Kelsen, 1' existence de sanctions organisées est, au moins pour 1' époque moderne,

un des éléments de l' ordre juridique (KELSEN, op. cit., p. 46). Nous reviendrons sur ce point infra, p. 24 et s.

(21) KELSEN, op. cil., p. 3 79. (22) Op. cit., Préface, p. XIV. (23) Sur le pluralisme juridique en général v. J. CARBONNIER, Sociologie juridique, 2e éd.,

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Notre relation avec le courant pluraliste n' est, en effet, que d' ordre méthodologique. En d'autres termes, nous ne voyons en lui qu' un instru- ment permettant d' appréhender et d' analyser les ordres extra-étatiques d' après une méthode rigoureusement juridique(24).

En utilisant la théorie pluraliste comme simple moyen d 'analyse et de con-

naissance juridiques, nous évitons deux dangers qui guettent cette théorie. D' abord, le sociologisme qui est inhérent à toutes les variantes du

pluralisme juridique. Ensuite, le mélange de la théorie juridique et des

postulats politiques. Ce mélange est fréquent dans des courants pluralistes très variés allant du conservatisme communautaire(25) au socialisme liber-

taire, voire anarchisant(26). Le point commun de tous ces courants c' est qu' ils entendent, à partir du pluralisme, régler des problèmes de rapports entre

l'ordre étatique et les ordres extra-étatiques. Notre position soutient au con-

traire qu' on ne saurait prétendre résoudre de tels problèmes à partir de la

théorie pluraliste. En particulier, on ne saurait affirmer a priori que les ordres

extra-étatiques sont autonomes par rapport à 1' Etat. En ce sens notre posi-

tion se veut une thèse de la théorie pure du droit.

Ces précisions données, nous essaierons, à partir des prémisses théoriques

déjà exposées, de démontrer qu' il est bien possible de concevoir les relations

professionnelles collectives du travail comme un ordre juridique.

S E C T I O N II

APPLICATION DE LA NOTION NORMATIVISTE

D' O R D R E JURIDIQUE AUX RELATIONS PROFESSIONNELLES COLLECTIVES DU TRAVAIL

Pour ce faire, il convient de remonter brièvement jusqu' à 1' aube des rela-

Paris, 1978, p. 208 et s. En Italie ce fut Santi Romano le représentant le plus éminent du pluralisme juridique.

Son ouvrage précité sur 1' ordre juridique a exercé et continue d' exercer une influence considérable sur les auteurs italiens. En ce qui concerne les auteurs non italiens également influencés par S. Romano citons L. FRANÇOIS, Introduction au droit social, Faculté de Droit, Liège, 1974, notamment p. 98 et s.

(24) En ce sens également G. GIUGNI, Introduzione allo studio dell' autonomia collettiva, 2e éd., Milan, 1977, p. 52.

(25) V. en Allemagne notamment O. v. GIERKE, Deutsches Privatrecht, t. 1, Allgemeiner Teil und Personenrecht, Leipzig, 1895, p. 119 et s.

(26) En France, on le sait, c' est G. Gurvitch qui a été le représentant le plus éminent de cette variante du pluralisme. Cf. J. CARBONNIER, Sociologie juridique, 2e éd. Paris, 1978, p. 122 - 124.

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tions collectives de travail. On sait qu' au XIXe siècle les conditions de travail étaient fixées sur le plan individuel du contrat de travail, c' est-à-dire en fait imposées par 1' employeur. Par ailleurs, les groupements de salariés, gagnés par le mysticisme révolutionnaire, refusaient au moins en France, tout contact avec '1' ennemi de classe'. Ils fixaient parfois unilatéralement les conditions de travail auxquelles les employeurs 'devaient' embaucher les salariés et ces derniers 's' obligeaient' à ne pas accepter des conditions autres que celles précisées par le groupe(27). Toutefois, même dans le climat de lutte de l' époque et surtout à partir de la fin du XIXe siècle, les syndicats entrèrent en contact avec les employeurs, ne serait-ce que pour fixer les nouvelles conditions de travail à 1' issue d'une lutte ouvrière réussie. Ainsi prirent naissance les premières conventions collectives de travail.

§ 1 — La norme fondamentale de 1' ordre socio-professionnel. En analysant ces actes à la lumière de 1' appareil conceptuel de la théorie

normativiste, il convient d'abord de constater que leur contenu essentiel, à savoir la fixation des conditions de travail, constitue des normes de conduite, puisqu' il impose des obligations et accorde des droits. Ce qui importe toutefois davantage aux fins de notre démonstration c' est que, par la conclu- sion même de conventions collectives, les antagonistes sociaux reconnais- saient ce procédé comme mode de création des normes de conduite précitées, c' est-à-dire comme mode de fixation des conditions de travail. En d'autres termes, les premières conventions collectives supposaient une norme en vertu de laquelle 1' entente collective se substituait au schéma individuel des rap- ports de travail. Au début, certes, la reconnaissance par les antagonistes sociaux du procédé collectif était accidentelle. Le nouveau procédé portait cependant en lui la virtualité de son utilisation répétée. En effet, une fois né, ce mode de création de normes de conduite était susceptible d'intervenir même pour 1' avenir. C' est ce qui s' est passé dans la réalité. Peu à peu les négociations se multiplièrent et s' enrichirent. Lorsqu' une convention collec- tive prenait fin, les groupements antagonistes étaient de moins en moins enclins à mettre en doute le procédé lui-même, malgré leur opposition sur le fond, sur les nouvelles conditions de travail. Ainsi, même si les négociations sur le fond échouaient, la négociation collective en tant que procédé demeurait reconnue. Une sorte d'équilibre collectif s' établit avec le temps autour de cette reconnaissance, au moins comme tendance. Finalement, «quelque part dans le temps» — le moment varie selon les pays — les an- tagonistes sociaux ont reconnu le procedé collectif comme le mode typique

(27) M. LEROY, La coutume ouvrière, t. I, Paris, 1913, p. 150.

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de fixation des conditions dè travail. Voilà la norme fondamentale de 1' ordre juridique des relations collectives professionnelles: la norme qui institue le procédé collectif comme fait créateur de normes de conduite, la norme par la- quelle les antagonistes ont reconnu réciproquement la convention collective de travail comme mode typique de création future de normes. Cette norme implicite que l' on pourrait appeller norme de reconnaissance est le présup- posé logique et sociologique du contenu normatif des conventions collectives de travail. Elle est la pierre angulaire de 1' ordre juridique socio-professionnel. En tant que norme fondamentale elle est originaire, elle ne se rattache à aucune autre norme, en particulier à aucune norme étatique qui reconnaît l' autonomie privée (art. 1134 du Code civil), non pas pour cette raison historique que l' article 1134 du Code civil n' envisage que le contrat individuel("), mais parce que le procédé de la convention collective de travail est reconnu par les antagonistes sociaux comme mode caractéristique de réglementation des rapports individuels de travail. Il porte en lui l' exigence de son utilisation répétée dans le futur. Par contre les contrats civils n' ont pas ce caractère, ils ne sont pas voués à être repris de façon constante dans le futur. Ainsi qu' on l' a très bien fait remarquer, «le contrat n' est pas, au moins dans ses formes codifiées, un instrument d'organisation permanente du pouvoir sociabp9). Il est significatif, sous l' aspect qui nous intéresse ici, que la tendance à l' utilisation répétée et continue de l' entente collective est parfois prise en compte par le droit étatique. C' est cela le sens de la recon- naissance légale d'un droit à la négociation collective, droit qui a évidem- ment comme corollaire une obligation de négocier(lo). Pourrait-on imaginer, à propos d' un contrat de droit civil, que la loi en fasse un instrument à utilisation répétée de manière constante?

§ 2 — Les autres normes de structure de l' ordre socio-professionnel. La norme fondamentale de l' ordre juridique socio-professionnel, à laquel-

le nous nous sommes arrêté jusqu' à présent, n' est pas la seule norme de structure de cet ordre. Avec le temps se greffe sur elle une multitude d'autres

(28) Voir A. RIEG, Convention collective, nO 2, in: Encyclopédie juridique Dalloz, Répertoire de droit civil.

(29) G. GIUGNI, Introduzionè allo studio dell' autonomia collettiva, préc., p. 108. (30) Sur le droit à la négociation collective v. M. DESPAX, Conventions collectives, t. VII du

Traité de Droit du Travail publié sous la direction de G. H. Camerlynck, Paris, 1966, Mise à jour 1974, p. 9. Pour une étude comparative v. N. ALIPRANTIS, 'La nature et les agents de la négociation collective. Evolutions caractéristiques dans les pays européens occidentaux', Revue internationale de droit comparé, 1979, p. 779 et s.

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normes de structure que 1' on peut se représenter comme les murs extérieurs de l' édifice que constitue 1' ordre juridique socio-professionnel. Le nombre de ces normes dépend du degré d'évolution de 1' ordre socio-professionnel. Elles sont évidemment plus nombreuses dans les pays où 1' on met 1' accent sur les aspects procéduraux de la négociation collective (exemple-type l' Angleterre) ou encore dans les pays qui connaissent un système élaboré et rigide de normes de négociation périodique, mis en place par les antagonistes sociaux (exemple-type 1' Allemagne fédérale).

Quelles sont les normes de structure de 1' ordre socio-professionnel? En ayant sous les yeux la situation française, nous en tenterons une classifica- tion qui n' est évidemment pas exhaustive. Ce faisant, nous sommes con- scients de la part d'arbitraire inhérent à toute classification de ce genre qui tend à saisir dans des schémas des phénomènes fluides par excellence.

Le tronc des normes de structure est constitué par les normes liées à la négociation collective proprement dite, d'une part, et les normes concernant l'administration des accords collectifs, d'autre part. Nous analyserons suc- cessivement ces deux grandes catégories de normes.

A. Normes liées à la négociation collective proprement dite. A l' intérieur de cette catégorie nous pouvons distinguer des: a) normes instituant des procédures de révision ou de modification des

conventions collectives. Au niveau national des branches professionnelles, les conventions collectives extensibles créent des commissions paritaires à caractère permanent, à l' instar de la négociation institutionnalisée anglaise ou belge. Au demeurant les normes de ce type organisent la révision par con- tacts directs entre les sujets collectifs. Il faut également citer dans ce cadre les accords, formels ou informels, écrits ou oraux, qui prévoient un calendrier de rencontres ou portent sur des questions de procédure (ordre du jour).

b) normes créant des commissions paritaires de conciliation collective. c) normes instituant l'arbitrage des conflits négociables. Ces clauses sont

rares aujourd' hui en France. d) normes créant des organes communs auxquels est accordée une parcel-

le de pouvoir normateur. Telles sont par exemple les normes créant des com- missions paritaires ayant la mission concrète d' établir les qualifications professionnelles ou les normes de 1' accord interprofessionnel du 10 février 1969, - tel que modifié par 1' avenant du 21 novembre 1974(31) — qui in-

(31) V. le texte dans Droit social, n° spécial-juin 1975, 'La sécurité de l' emploi et du salaire', p. 21 et s.

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stituent les commissions paritaires de 1' emploi, au moins dans la mesure où ces commissions sont habilitées à établir les listes de stages et les conditions ! du maintien de la rémunération des salariés.

e) normes de renvoi à d'autres niveaux de négociation, c' est-à-dire invi- tant les sujets collectifs des niveaux inférieurs à négocier sur certains problèmes (cas de la mensualisation). La norme de renvoi peut d'ailleurs être implicite, ainsi lorsqu' il s' agit d'un accord-cadre ayant besoin pour sa mise en œuvre de conventions collectives conclues aux échelons inférieurs (cas de 1' accord interprofessionnel du 17 mars 1975 sur les conditions de travail(32»).

f) normes concernant le recours à la grève en rapport avec la négociation collective. Ces normes ne figurent pas seulement dans les quelques 'clauses de paix sociale' incluses dans des conventions collectives. Elles englobent également des normes non écrites qui n' en sont pour autant pas moins ac- ceptées par les antagonistes sociaux, encore que le côté patronal le fasse bon gré mal gré. Ces dernières normes sont difficilement repérables mais leur exi- stence peut être considérée comme certaine: elles font partie des 'règles du jeu social' actuellement en vigueur en France. Nous estimons qu' une telle norme est celle qui admet le recours à la grève pendant la durée d'une con- vention collective, en vue de la modification de celle-ci, et ce lorsqu' il n' exi- ste pas de clause de paix sociale(33).

B. Normes concernant l' administration des conventions collectives.

Ce sont les normes instituant des organq> communs en vue de suivre l' ap-

plication de la convention collective, de se saisir des difficultés pouvant surgir

de son application, et même de 1' appliquer dans certains cas particuliers.

Selon que 1' activité de ces organes communs est à prédominance juridique

ou de fait, on peut, à 1' intérieur de cette catégorie, distinguer des: a) normes créant des commissions paritaires ayant une mission principale-

ment juridique. Nous qualifions leur mission de «juridique», parce que ces commissions énoncent en fin de compte comment doivent être entendues et

appliquées les stipulations de 1' accord. Telles sont essentiellement les clauses instituant des commissions d ' interprétat ion et/ou d'application de la con-

vention collective. L ' importance de ces commissions va en s' accroissant en

France actuellement et quelques auteurs voient en elles les précurseurs de la

(32) V. le texte de 1' accord suivi des commentaires de la C.F.D.T. qui, de même que la C.G.T., ne 1* a pas signé, dans: c.f.d.t. / pratique syndicale, Conditions de travail: le dos- sier des négociations, Paris, 1975, p. 5 et s.

(33) V. infra, 2ème Partie, Titre II, Chap. III.

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négociation permanente(34). Significatifs à cet égard sont 1' accord national sur la durée du travail et les accords sur la mensualisation dans la métal- lurgie. Mais force est de constater qu' on est (encore?) loin de l' administra- tion conjointe généralisée des conventions collectives à 1' instar du modèle anglais. S'il est indéniable qu' une évolution vers le système anglais mettrait en cause la distinction entre conflits d'interprétation et conflits économiques, c' est faire preuve de réalisme que de considérer cette distinction comme valable à l' heure actuelle. Cette distinction est d' ailleurs conforme à la volonté des antagonistes sociaux eux-mêmes qui distinguent clairement les procédures de révision ou de modification des conventions collectives de cel- les de leur interprétation.

Aux commissions d'interprétation et d' application des conventions col- lectives est conférée parfois compétence de liquider également les litiges in- dividuels mettant en jeu les stipulations de la convention collective; même à ce titre elles doivent être mentionnées ici(35). Sous cet aspect on peut les rap- procher des commissions paritaires auxquelles est confié 1' arbitrage des litiges individuels (assez rares en France).

Enfin, dans la même catégorie des normes il faut, nous semble-t-il, com- prendre les clauses de certains accords d'entreprise créant des commissions paritaires de qualification dont la fonction consiste à évaluer les postes de travail dans l' entreprise(36). Le travail de ces commissions est à cheval entre 1' activité juridique et 1' activité de fait. Cette dernière activité mérite d'être analysée plus en détail.

b) normes instituant des commissions paritaires ayant une mission de fait. Les faits sur lesquels se penchent ces commissions sont divers. Le plus sou- vent il s' agit de faits précis (commissions du coût de vie ou encore commis- sions de l' emploi dans la mesure où elles étudient la situation de 1' emploi), mais il se peut que les faits qu' examine la commission ne soient pas précisés dans l' accord (ainsi par exemple 1' article 50 de 1' accord Renault du 6 février 1975 créant une commission d'étude). Dans cette dernière hypothèse les commissions servent surtout à ce que les parties signataires maintiennent les contacts entre elles pendant la durée de 1' accord (cf. 1' accord Renault précité). Leur travail est préparatoire par rapport à la négociation propre- ment dite.

(34) G. ADAM, J.D. REYNAUD, J. M. VERDIER, La négociation collective en France, préc., p. 86 et s.; Y. DELAMOTTE, 'Les tendances récentes de la négociation collective en France', Revue internationale du travail, 1971, p. 392 et s.

(35) V. infra, 2éme Partie, Titre III, Chap. II, Section II. (36) Ces commissions sont à distinguer de celles qui établissent les qualifications dans les

branches et dont il a déjà été question.

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Les normes de structure de 1' ordre socio-professionnel que nous venons d' énumérer correspondent en grande partie, mais pas en totalité, à ce que les juristes dogmatiques appellent les clauses obligatoires de la convention collective. Elles ne coïncident pas totalement avec ces dernières pour la sim- ple raison d'abord qu' elles ne prennent pas toujours la forme de 'clauses conventionnelles'; elles peuvent résulter d'accords informels et non écrits ou encore être implicites. Ensuite, dans la mesure où elles organisent des procé- dures intéressant les parties au contrat de travail, elles peuvent avoir un effet normatif et donc ne pas être des clauses obligatoires (telles par exemple les normes instituant des commissions de conciliation individuelle).

Toutefois, ce qui intéresse le plus dans le contexte retenu ici c' est que la qualification de la plupart des normes de structure de 'clauses obligatoires' ne les saisit que partiellement. En effet, en les qualifiant ainsi, les juristes dogmatiques montrent qu' ils n' ont d' autre perspective que celle du droit étatique. Car cette dénomination, en se reférant au droit commun des obliga- tions, n' a en vue que les sanctions prévues par le droit étatique pour la violation des obligations. Or les normes de structure disposent d' un support propre de mécanismes sanctionnateurs. C' est ce que nous essaierons de dé- montrer par la suite, car 1' existence de sanctions socialement organisées est, selon Kelsen, un élément nécessaire de la notion d' ordre juridique.

§ 3 — Les moyens sanctionnateurs de l' ordre socio-professionnel. Nous avons déjà repéré '1' acte de naissance' de 1' ordre socio-profession-

nel dans la norme élémentaire de reconnaissance, par laquelle les an- tagonistes se reconnaissent mutuellement comme agents de négociation col- lective et reconnaissent le procédé collectif comme mode typique de fixation des conditions de travail. Nous avons également indiqué qu' autour de cette norme fondamentale se crée un équilibre collectif. Or cet équilibre est troublé lorsqu' un des agents de la négociation refuse à un moment donné de négocier. Le refus de négocier n' est autre chose que la mise en cause de la norme fondamentale de reconnaissance et est ressentie comme telle par l' agent de négociation adverse. Dans une telle hypothèse, ce dernier aura recours à 1' action directe et notamment, s' agissant de syndicats de salariés. à la grève.

Voilà donc une autre fonction de la grève, celle d'être un moyen sanction- nateur du non respect de la norme de reconnaissance; et non pas seulement de cette dernière. Car en fait la grève est susceptible de se déclencher pour sanctionner la violation de toute autre norme de structure. Il en est ainsi lors- que la partie patronale esquive 1' application d'une norme de structure, en é- vitant par exemple d' envoyer ses représentants à 1' une des commis-

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ISBN 2.275.01104.8

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