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REPRISE D’UN MYTHE TRAGIQUE AU XXEME SIECLE LA MACHINE INFERNALE, Jean COCTEAU, 1934 Cocteau reprend le mythe d’OEdipe qui tente en vain d’échapper à son destin. RAPPEL : pour pouvoir apprécier dans quelle mesure l’oeuvre rompt ou continue la tradition de la tragédie, il faut connaître un peu l’histoire de la tragédie ( théâtre de l’Antiquité et siècle classique). Voir pour cela les petites fiches HDA lues en classe. CONTINUITE : RUPTURE : Reprise du mythe : la mythologie a inspiré les pièces des dramaturges de l’Antiquité ( Sophocle par exemple) et du siècle classique. Cocteau s’inscrit dans cet héritage de la tragédie en reprenant le mythe d’OEdipe. - Liberté prise avec le mythe ( par exemple, le Sphinx donne la réponse à OEdipe). - Influence de la psychanalyse. Freud a utilisé le personnage d’OEdipe pour expliquer les pulsions et désirs inconscients de l’homme. - Influence du contexte historique : entre les deux guerres, apparaît l’inquiétude de l’homme face à son destin. Fonction de la tragédie : la tragédie instruit le spectateur, elle le fait réfléchir à la part de tragique propre à l’existence humaine. Ici, il y a une mise en scène de l’aveuglement de l’homme face à son destin - Beaucoup d’humour, - Fantaisie des costumes, - Traitement particulier du personnage de la mère, attirée par les jeunes garçons ou de Tirésias surnommé « Zizi ». Forme : - Reprise d’une voix qui annonce le destin avant chaque acte, on renoue avec la tradition du choeur antique. - Le dernier acte réécrit l’OEdipe-Roi de Sophocle. - Alors que le choeur, personnage collectif et anonyme, exprimait les réactions et les émotions de la communauté chez Sophocle, la Voix chez Cocteau commente l’action avec distance ( voir les deux extraits a. et b.) - Cocteau prend l’histoire bien plus tôt que Sophocle. C’est le propre même des mythes d’être racontés, repris, modifiés. Cocteau renouvelle le traitement de ce sujet de tragédie, mais il montre aussi la pérennité du mythe. Extrait a. SOPHOCLE, OEdipe-Roi SOPHOCLE a écrit OEdipe –Roi tragédie qui raconte la fin de l’histoire d’OEdipe, OEdipe est roi et pour délivrer sa ville ravagée par le peste il enquête sur le meurtre de Laïus. LE CHOEUR : Ah ! je souffre de maux sans nombre. Tout mon peuple est en proie au fléau, et ma pensée ne possède pas d'arme qui nous permette une défense. […]L'un après l'autre, on peut voir les Thébains, pareils à des oiseaux ailés, plus prompts que la flamme indomptable, se précipiter sur la rive où règne le dieu du Couchant. Et la Cité se meurt en ces morts sans nombre. Nulle pitié ne va à ses fils gisant sur le sol : ils portent la mort à leur tour, personne ne gémit sur eux. Epouses, mères aux cheveux blancs, toutes de partout affluent au pied des autels, suppliantes, pleurant leurs atroces souffrances. SOPHOCLE, OEdipe-Roi (strophe et antistrophe 2, vers 168 à 189). Extrait b. COCTEAU, La Machine Infernale Pour que les dieux s'amusent beaucoup, il importe que leur victime tombe de haut. Des années s'écoulent, prospères. Deux filles, deux fils compliquent les noces monstrueuses. Le peuple aime son roi. Mais la peste éclate. Les dieux accusent un criminel anonyme d'infecter le pays et ils exigent qu'on le chasse. De recherche en recherche et comme enivré de malheur, Oedipe arrive au pied du mur. Le piège se ferme. Lumière est faite. Avec son écharpe rouge Jocaste se pend. Avec la broche d'or de la femme pendue, Oedipe se crève les yeux. Regarde, spectateur, remontée à bloc, de telle sorte que le ressort se déroule avec lenteur tout le long d'une vie humaine, une des plus parfaites machines construites par les dieux infernaux pour l'anéantissement mathématique d'un mortel. Jean Cocteau (1889-1963), La Machine infernale, Prologue « La Voix »

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Page 1: LA MACHINE INFERNALE - Académie d'Aix-Marseille · LA MACHINE INFERNALE , Jean COCTEAU, 1934 Cocteau reprend le mythe d’Œdipe qui tente en vain d’échapper à son destin. RAPPEL

REPRISE D’UN MYTHE TRAGIQUE AU XXEME SIECLE LA MACHINE INFERNALE , Jean COCTEAU, 1934

Cocteau reprend le mythe d’Œdipe qui tente en vain d’échapper à son destin. RAPPEL : pour pouvoir apprécier dans quelle mesure l’œuvre rompt ou continue la tradition de la tragédie, il faut connaître un peu l’histoire de la tragédie ( théâtre de l’Antiquité et siècle classique). Voir pour cela les petites fiches HDA lues en classe.

CONTINUITE : RUPTURE : Reprise du mythe : la mythologie a inspiré les pièces des dramaturges de l’Antiquité ( Sophocle par exemple) et du siècle classique. Cocteau s’inscrit dans cet héritage de la tragédie en reprenant le mythe d’Œdipe.

- Liberté prise avec le mythe ( par exemple, le Sphinx donne la réponse à Œdipe).

- Influence de la psychanalyse. Freud a utilisé le personnage d’Œdipe pour expliquer les pulsions et désirs inconscients de l’homme.

- Influence du contexte historique : entre les deux guerres, apparaît l’inquiétude de l’homme face à son destin.

Fonction de la tragédie : la tragédie instruit le spectateur, elle le fait réfléchir à la part de tragique propre à l’existence humaine. Ici, il y a une mise en scène de l’aveuglement de l’homme face à son destin

- Beaucoup d’humour,

- Fantaisie des costumes,

- Traitement particulier du personnage de la mère, attirée par les jeunes garçons ou de Tirésias surnommé « Zizi ».

Forme :

- Reprise d’une voix qui annonce le destin avant chaque acte, on renoue avec la tradition du chœur antique.

- Le dernier acte réécrit l’Œdipe-Roi de Sophocle.

- Alors que le chœur, personnage collectif et anonyme, exprimait les réactions et les émotions de la communauté chez Sophocle, la Voix chez Cocteau commente l’action avec distance ( voir les deux extraits a. et b.)

- Cocteau prend l’histoire bien plus tôt que Sophocle.

C’est le propre même des mythes d’être racontés, repris, modifiés. Cocteau renouvelle le

traitement de ce sujet de tragédie, mais il montre aussi la pérennité du mythe. Extrait a. SOPHOCLE, Œdipe-Roi SOPHOCLE a écrit Œdipe –Roi tragédie qui raconte la fin de l’histoire d’Œdipe, Œdipe est roi et pour délivrer sa ville ravagée par le peste il enquête sur le meurtre de Laïus. LE CHOEUR : Ah ! je souffre de maux sans nombre. Tout mon peuple est en proie au fléau, et ma pensée ne possède pas d'arme qui nous permette une défense. […]L'un après l'autre, on peut voir les Thébains, pareils à des oiseaux ailés, plus prompts que la flamme indomptable, se précipiter sur la rive où règne le dieu du Couchant. Et la Cité se meurt en ces morts sans nombre. Nulle pitié ne va à ses fils gisant sur le sol : ils portent la mort à leur tour, personne ne gémit sur eux. Epouses, mères aux cheveux blancs, toutes de partout affluent au pied des autels, suppliantes, pleurant leurs atroces souffrances. SOPHOCLE, Œdipe-Roi (strophe et antistrophe 2, vers 168 à 189).

Extrait b. COCTEAU, La Machine Infernale Pour que les dieux s'amusent beaucoup, il importe que leur victime tombe de haut. Des années s'écoulent, prospères. Deux filles, deux fils compliquent les noces monstrueuses. Le peuple aime son roi. Mais la peste éclate. Les dieux accusent un criminel anonyme d'infecter le pays et ils exigent qu'on le chasse. De recherche en recherche et comme enivré de malheur, Oedipe arrive au pied du mur. Le piège se ferme. Lumière est faite. Avec son écharpe rouge Jocaste se pend. Avec la broche d'or de la femme pendue, Oedipe se crève les yeux. Regarde, spectateur, remontée à bloc, de telle sorte que le ressort se déroule avec lenteur tout le long d'une vie humaine, une des plus parfaites machines construites par les dieux infernaux pour l'anéantissement mathématique d'un mortel. Jean Cocteau (1889-1963), La Machine infernale, Prologue « La Voix »

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Photo de l’acte II légendée par l’auteur, en couverture de la revue Les Annales (13 avril 1934).

QUELQUES SITES SUR LA MACHINE INFERNALE :

http://www.jeancocteau.net/index.php

http://www.regietheatrale.com/index/index/thematiques/auteurs/cocteau/jean-cocteau-4.html

http://cocteau.biu-montpellier.fr/index.php?id=245

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LIENS AVEC D’AUTRES ŒUVRES du XXEME SIECLE.

De nombreux auteurs ont écrit des tragédies au XXème siècle - Ils reprennent les mêmes mythes que dans les tragédies de l’Antiquité ( par ex. Œdipe,

Antigone, Electre ) - Pourquoi s’intéressent-ils à ces histoires anciennes ?

C’est parce que ces histoires anciennes expriment une certaine angoisse : angoisse de l’homme face à la mort, face à son destin. Le contexte historique explique ce sentiment que la vie est tragique : on sort d’une guerre meurtrière (14-18) pour aller vers une autre (39-45), on est horrifié par la cruauté de l’homme ( nazisme).

- Ces tragédies montrent la folie des hommes et leur aveuglement. Souvent le rôle des Dieux est atténué. Ce ne sont plus les Dieux qui rendent le destin des hommes tragiques mais la nature même des hommes

ANTIGONE, Jean ANOUILH, 1944 Antigone s’oppose à la Loi. Le roi Créon, son oncle, a interdit d’enterrer le frère d’Antigone. Antigone brave cet interdit. La pièce est jouée en 1944, pendant l’Occupation : à cette époque des Résistants s’opposent à la loi et combattent le Régime de Vichy. Les costumes rappellent ceux de l’époque.

An

LA GUERRE DE TROIE N’AURA PAS LIEU, Jean GIRAUDOUX, 1936 Les personnages sont des Troyens : ils se demandent s’ils vont rendre Hélène qui a été enlevée et éviter la guerre. Les spectateurs savent que la guerre de Troie a eu lieu. La pièce montre l’incapacité des hommes à éviter la guerre. Elle est écrite entre les 2 guerres mondiales.

Photo de Doisneau, 1944.