journal d'un caprice

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Voici les premières pages du Journal d'un Caprice - un roman interactif pour iPad réalisé par Kenza Boda

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Page 1: Journal d'un Caprice
Page 2: Journal d'un Caprice
Page 3: Journal d'un Caprice

Ému et camé.

Il plane dans l'évidence. L'œil de l'anticyclone : il est peut-être en plein dedans. Insolent. Brut. Parfait.

Écrire, pourquoi pas. Le doigt monte au hublot. Il y trace ses lettres, comme un dieu qui s’ennuie.

" Tommy Malem ? " La fumée s'élève du bouquet de frites chaudes, dans

une main d'hôtesse. Échantillon de fast-food salvateur. Tommy y jette deux doigts - un vrai paquet de blondes brûlantes. Quelques petites clopes d'or salé volent la vedette aux rayons du soleil frigide, de l’autre côté du double vitrage. Tommy les fait glisser dans sa bouche une à une - des instants comptés, sur le fil

d'une croisière hallucinée.

Page 4: Journal d'un Caprice

Il y a deux ans, il s'était retrouvé ici. On fêtait l'anniversaire de cette femme, quelque part aux Tuileries. Elle brillait d'un éclat étrange, sage, comme un indice. Il aurait tout brûlé pour ses pupilles, ses baies noires aigres-douces écloses sous l'emprise des stupéfiants. De celles que l'on sait responsables du crime sans les dénoncer jamais. Des bises d'adieu, il a gardé l’empreinte de ses lèvres peintes, musquées. Aujourd'hui, elle n'est plus qu’une couleur, un contact fantôme. La trace, le goût et le crime. C’est tout ce qui lui reste d’elle, capitale des fous : une syncope sans préliminaires.

Paris. C’est cela qu’il vient retrouver, ici. Quelque chose qui pourrait le hanter enfin - une fausse note, un petit traumatisme.

Page 5: Journal d'un Caprice

Il sait pourquoi Paris l’appelle, pourquoi elle a écrit, il connaît la raison qui les hante, et pourtant. Tout n’est qu’un énième voyage de A à B - qui sait, d'XY à XX. Voir une femme, c’est toujours cela qui compte, plus que le prétexte qu’elle a fourni, ou le gage qu’elle vous inflige. Elle veut qu'il vienne à l'aveuglette, pour chercher autre chose que ce qu'il a laissé. Quelque chose de moins grave, de plus imparfait.

Un rêve, une drogue, un sort. C’est pour cela qu’elle a écrit. Pour l’attirer dans son paradis d'imparfaite.

Il la tient dans sa main, au fond du jean. L’avion tremble et il la retient, au plus proche de sa cuisse, comme si ses mots pouvaient glisser au premier choc. C’est elle, qui l’a poussé au décollage. De temps à autre, il sort ses lignes du silence, comme un enfant qui lit la même histoire dont il connaît les pièges par cœur.

Page 6: Journal d'un Caprice

PARIS2 JUILLET

TOMMY

JE ME SUIS SAUVÉE SANS TOI.

JE CROYAIS QUE C'ÉTAIT POSSIBLE, NE PLUS SE CONNAÎTRE. JE TE CONNAIS TROP ENCORE. UN PEU TROP DE TOI, À ME PERDRE.

JE NE SAIS PAS SI C’EST TOI QUI ME MANQUES,OU LA LIBERTÉ EFFROYABLE, MA DOUCEUR FAVORITEQUAND JE QUITTAIS CE LIT, LA NUIT, QUE JE ME DÉROBAIS, NUE - CETTE SENSATION D’EFFROI.

C’EST ENCORE LE GOÛT DE CETTE PLAGE.APRÈS LA MER, LES PEAUX SENTENT LE VIN GLACÉ.

CE N’ÉTAIT PEUT-ÊTRE PAS LA PLAGE. C’ÉTAIT PEUT-ÊTRE AILLEURS. ET SI C’ÉTAIT AILLEURS, CE SERAIT TOUJOURS ÇA, TOUJOURS CETTE MÊME CHOSE, DES LAMBEAUX DE VIE PARTANT SOUS NOS RESPIRATIONS.

J'AI FAIT UN VOEU, HIER. JE VEUX QUE TU ME RECONNAISSES, ET QUE TU M'APPELLES MONA - AU - MILIEU - D'UNE - RUE.

TOMMY, TU N'AS PAS DE RAISON DE PENSER. ET MOI JE N'AURAI PAS DE PENSÉE RAISONNABLE. JE SUIS LOVÉE COMME UNE CHATTE, DANS MA VIE CAPRICIEUSE.PARIS, MA CACHETTE - C'EST LÀ QUE MON VOEU S'EXÉCUTE.IL NE FAUT PAS QUE LE TEMPS NOUS RECONNAISSE.

TU ME RENCONTRERAS PAR HASARD.

Page 7: Journal d'un Caprice

L'atterrissage est moins violent chaque fois. Il prend goût au son de l'air lacéré, à l'abri des flancs ouatés du charter. La terre est là, déjà. Tanger-Paris. Quelques heures de vol n'ont pas suffi à l'en rapprocher. Il porte encore l'odeur de sa planque, abandonnée sous le coup d'un vertige, sous le coup d'une lettre. Une lettre, dernier fragment de ce journal, qu'elle égrène et marque à son adresse, sous le sceau de chaque enveloppe. Celle-ci se distingue au milieu de toutes, palpable, et pourtant vacillante, comme s'il manquait le

point final.

Page 8: Journal d'un Caprice

Il n’a pas le temps d’atteindre le lit. L'air musqué l’enveloppe, s'élevant des parois veloutées de l'hôtel, il sombre. Déjà, un souvenir infime, une empreinte, se matérialise sous la trame de l'ombre. C'est là.

Il se souvient vaguement. Un rêve incompréhensible

qui le quitte, entre l’ombre et la conscience. Elle arrive par spasmes, à la vitesse du sang pulsé - sûrement, son parfum est irrécupérable. Un extrait fumé qui l’habite encore,

Page 9: Journal d'un Caprice

Tu es déjà parti,

Je sais. Il est étrange de se retrouver dans le vide. Ici, hier encore, ta vie s’étalait en un paysage intimement modelé. Tes formes, tes choses, démises de l’ordre du visible, s’enlisent et se démènent à l’intérieur de toi pour ne pas disparaître.

Un souvenir t’entête comme un mauvais par-fum, une absence acide : ce manque, plus réel que l’espace dont tu as chassé ta trace. Il n’y a pas assez de ça, ici. Un peu trop de toi. Pas assez de moi. La chambre claire vibre sous la clameur des objets per-dus. Elle reste leur cachette, leur royaume inson-dable. Tu les lui laisses, ces traces, ces inspirations d’un espace, en gage de reconnaissance à quatre murs qui en savent trop. Tu es sorti de ta boîte, enfin.

Maintenant qu’elle est désertée par toi, elle a retrouvé la beauté de son genre, libre et crue, ou cette inestimable disponibilité. C’est cela, une maison à l’état brut, un cœur de béton que n’importe qui peut faire battre. En la quittant, tu apprécies ce sentiment de lui ôter la vie, avant sa

a

Page 10: Journal d'un Caprice