jarry ubu roi 77

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antidrama, pročeci antidrame, književno dijelo od izzetne važnosti za poviejst svijetske književnosti i drame

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  • www.tv5monde.com/lf

  • 1Ubu roi

    5 ACTES

    CE DRAME EST DDI

    MARCEL SCHWOBAdonc le Pre Ubu hoscha la poire, dont fut depuis nomm par

    les Anglois Shakespeare, et avez de lui sous ce nom maintes bellestragdies par escript.

  • 2PersonnagesPRE UBU.MRE UBU.CAPITAINE BORDURE.LE ROI VENCESLAS.LA REINE ROSEMONDE.BOLESLAS : leur fils.LADISLAS : leur fils.BOUGRELAS : leur fils.LES OMBRES DES ANCTRES.LE GNRAL LASCY.STANISLAS LECZINSKI.JEAN SOBIESKI.NICOLAS RENSKY.LEMPEREUR ALEXIS.GIRON : Palotin.PILE : Palotin.COTICE : Palotin.CONJURS ET SOLDATS.PEUPLE.MICHEL FDROVITCH.NOBLES.MAGISTRATS.CONSEILLERS.FINANCIERS.LARBINS DE PHYNANCES.PAYSANS.TOUTE LARME RUSSE.TOUTE LARME POLONAISE.LES GARDES DE LA MRE UBU.UN CAPITAINE.LOURS.LE CHEVAL PHYNANCES.LA MACHINE DCERVELER.LEQUIPAGE.LE COMMANDANT.

  • 3Acte premierScne premire

    PRE UBU, MRE UBU

    PRE UBUMerdre.

    MRE UBUOh ! voil du joli, Pre Ubu, vous estes un fort grand voyou.

    PRE UBUQue ne vous assomje, Mre Ubu !

    MRE UBUCe nest pas moi, Pre Ubu, cest un autre quil faudrait assassiner.

    PRE UBUDe par ma chandelle verte, je ne comprends pas.

    MRE UBUComment, Pre Ubu, vous estes content de votre sort ?

    PRE UBUDe par ma chandelle verte, merdre, madame, certes oui, je suis content. On leserait moins : capitaine de dragons, officier de confiance du roi Venceslas,dcor de lordre de lAigle Rouge de Pologne et ancien roi dAragon, quevoulez-vous de mieux ?

    MRE UBUComment ! aprs avoir t roi dAragon vous vous contentez de meneraux revues une cinquantaine destafiers arms de coupe-choux, quand vouspourriez faire succder sur votre fiole la couronne de Pologne celledAragon ?

    PRE UBUAh ! Mre Ubu, je ne comprends rien de ce que tu dis.

  • 4MRE UBUTu es si bte !

    PRE UBUDe par ma chandelle verte, le roi Venceslas est encore bien vivant ; et mmeen admettant quil meure, na-t-il pas des lgions denfants ?

    MRE UBUQui tempche de massacrer toute la famille et de te mettre leur place ?

    PRE UBUAh ! Mre Ubu, vous me faites injure et vous allez passer tout lheure parla casserole.

    MRE UBUEh ! pauvre malheureux, si je passais par la casserole, qui te raccommoderaittes fonds de culotte ?

    PRE UBUEh vraiment ! et puis aprs ? Nai-je pas un cul comme les autres ?

    MRE UBU ta place, ce cul, je voudrais linstaller sur un trne. Tu pourrais augmenterindfiniment tes richesses, manger fort souvent de landouille et roulercarrosse par les rues.

    PRE UBUSi jtais roi, je me ferais construire une grande capeline comme celle quejavais en Aragon et que ces gredins dEspagnols mont impudemmentvole.

    MRE UBUTu pourrais aussi te procurer un parapluie et un grand caban qui te tomberaitsur les talons.

    PRE UBUAh ! je cde la tentation. Bougre de merdre, merdre de bougre, si jamaisje le rencontre au coin dun bois, il passera un mauvais quart dheure.

    MRE UBUAh ! bien, Pre Ubu, te voil devenu un vritable homme.

  • 5PRE UBUOh non ! moi, capitaine de dragons, massacrer le roi de Pologne ! pluttmourir !

    MRE UBU ( part.)Oh ! merdre ! (Haut.) Ainsi tu vas rester gueux comme un rat, Pre Ubu.

    PRE UBUVentrebleu, de par ma chandelle verte, jaime mieux tre gueux comme unmaigre et brave rat que riche comme un mchant et gras chat.

    MRE UBUEt la capeline ? et le parapluie ? et le grand caban ?

    PRE UBUEh bien, aprs, Mre Ubu ? (Il sen va en claquant la porte.)

    MRE UBU (seule.)Vrout, merdre, il a t dur la dtente, mais vrout, merdre, je crois pourtantlavoir branl. Grce Dieu et moi-mme, peut-tre dans huit jours serai-je reine de Pologne.

  • 6Scne II

    La scne reprsente une chambre de la maisondu Pre Ubu o une table Splendide est dresse.

    PRE UBU, MRE UBU

    MRE UBUEh ! nos invits sont bien en retard.

    PRE UBUOui, de par ma chandelle verte. Je crve de faim Mre Ubu, tu es bien laideaujourdhui. Est-ce parce que nous avons du monde ?

    MRE UBU (haussant les paules.)Merdre.

    PRE UBU (saisissant un poulet rti.)Tiens, jai faim. Je vais mordre dans cet oiseau. Cest un poulet, je crois. Ilnest pas mauvais.

    MRE UBUQue fais-tu, malheureux ? Que mangeront nos invits ?

    PRE UBUIls en auront encore bien assez. Je ne toucherai plus rien. Mre Ubu, vadonc voir la fentre si nos invits arrivent.

    MRE UBU (y allant.)Je ne vois rien.

    (Pendant ce temps le Pre Ubu drobe une rouelle de veau.)

    MRE UBUAh ! voil le capitaine Bordure et ses partisans qui arrivent. Que manges-tu donc, Pre Ubu ?

    PRE UBURien, un peu de veau.

    MRE UBUAh ! le veau ! le veau ! veau ! Il a mang le veau ! Au secours !

  • 7PRE UBUDe par ma chandelle verte, je te vais arracher les yeux.

    (La porte souvre.)

  • 8Scne III

    PRE UBU, MRE UBU, CAPITAINEBORDURE et ses partisans.

    MRE UBUBonjour, messieurs, nous vous attendons avec impatience. Asseyez-vous.

    CAPITAINE BORDUREBonjour, madame. Mais o est donc le Pre Ubu ?

    PRE UBUMe voil ! me voil ! Sapristi, de par ma chandelle verte, je suis pourtantassez gros.

    CAPITAINE BORDUREBonjour, Pre Ubu. Asseyez-vous, mes hommes. (Ils sasseyent tous.)

    PRE UBUOuf, un peu plus, jenfonais ma chaise.

    CAPITAINE BORDUREEh ! Mre Ubu ! que nous donnez-vous de bon aujourdhui ?

    MRE UBUVoici le menu.

    PRE UBUOh ! ceci mintresse.

    MRE UBUSoupe polonaise, ctes de rastron, veau, poulet, pt de chien, croupions dedinde, charlotte russe

    PRE UBUEh ! en voil assez, je suppose. Y en a-t-il encore ?

    MRE UBU (continuant.)Bombe, salade, fruits, dessert, bouilli, topinambours, choux-fleurs lamerdre.

  • 9PRE UBUEh ! me crois-tu empereur dOrient pour faire de telles dpenses ?

    MRE UBUNe lcoutez pas, il est imbcile.

    PRE UBUAh ! je vais aiguiser mes dents contre vos mollets.

    MRE UBUDne plutt, Pre Ubu. Voil de la polonaise.

    PRE UBUBougre, que cest mauvais.

    CAPITAINE BORDURECe nest pas bon, en effet.

    MRE UBUTas dArabes, que vous faut-il ?

    PRE UBU (se frappant le front.)Oh ! jai une ide. Je vais revenir tout lheure. (Il sen va.)

    MRE UBUMessieurs, nous allons goter du veau.

    CAPITAINE BORDUREIl est trs bon, jai fini.

    MRE UBUAux croupions, maintenant.

    CAPITAINE BORDUREExquis, exquis ! Vive la Mre Ubu.

    TOUSVive la mre Ubu.

    PRE UBU (rentrant.)Et vous allez bientt crier vive le Pre Ubu.

    (Il tient un balai innommable la main et le lance sur le festin.)

  • 10

    MRE UBUMisrable, que fais-tu ?

    PRE UBUGotez un peu.

    (Plusieurs gotent et tombent empoisonns.)

    PRE UBUMre Ubu, passe-moi les ctelettes de rastron, que je serve.

    MRE UBULes voici.

    PRE UBU la porte tout le monde ! Capitaine Bordure, jai vous parler.

    LES AUTRESEh ! nous navons pas dn.

    PRE UBUComment, vous navez pas dn ! la porte tout le monde ! Restez, Bordure.

    (Personne ne bouge.)

    PRE UBUVous ntes pas partis ? De par ma chandelle verte, je vais vous assommerde ctes de rastron. (Il commence en jeter.)

    TOUSOh ! Ae ! Au secours ! Dfendons-nous ! malheur ! je suis mort !

    PRE UBUMerdre, merdre, merdre. la porte ! je fais mon effet.

    TOUSSauve qui peut ! Misrable Pre Ubu ! tratre et gueux voyou !

    PRE UBUAh ! les voil partis. Je respire, mais jai fort mal dn. Venez, Bordure.

    (Ils sortent avec la Mre Ubu.)

  • 11

    Scne IV

    PRE UBU, MRE UBU, CAPITAINE BORDURE

    PRE UBUEh bien, capitaine, avez-vous bien dn ?

    CAPITAINE BORDUREFort bien, monsieur, sauf la merdre.

    PRE UBUEh ! la merdre ntait pas mauvaise.

    MRE UBUChacun son got.

    PRE UBUCapitaine Bordure, je suis dcid vous faire duc de Lituanie.

    CAPITAINE BORDUREComment, je vous croyais fort gueux, Pre Ubu.

    PRE UBUDans quelques jours, si vous voulez, je rgne en Pologne.

    CAPITAINE BORDUREVous allez tuer Venceslas ?

    PRE UBUIl nest pas bte, ce bougre, il a devin.

    CAPITAINE BORDURESil sagit de tuer Venceslas, jen suis. Je suis son mortel ennemi et je rpondsde mes hommes.

    PRE UBU (se jetant sur lui pour lembrasser.)Oh ! Oh ! je vous aime beaucoup, Bordure.

    CAPITAINE BORDUREEh ! vous empestez, Pre Ubu. Vous ne vous lavez donc jamais ?

  • 12

    PRE UBURarement.

    MRE UBUJamais !

    PRE UBUJe vais te marcher sur les pieds.

    MRE UBUGrosse merdre !

    PRE UBUAllez, Bordure, jen ai fini avec vous. Mais par ma chandelle verte, je juresur la Mre Ubu de vous faire duc de Lituanie.

    MRE UBUMais

    PRE UBUTais-toi, ma douce enfant.

    (Ils sortent.)

  • 13

    Scne V

    PRE UBU, MRE UBU, UN MESSAGER

    PRE UBUMonsieur, que voulez-vous ? fichez le camp, vous me fatiguez.

    LE MESSAGERMonsieur, vous tes appel de par le roi.

    (Il sort.)

    PRE UBUOh ! merdre, jarnicotonbleu, de par ma chandelle verte, je suis dcouvert, jevais tre dcapit ! hlas ! hlas ! !

    MRE UBUQuel homme mou et le temps presse.

    PRE UBUOh ! jai une ide : je dirai que cest la Mre Ubu et Bordure.

    MRE UBUAh ! gros P.U., si tu fais a

    PRE UBUEh ! jy vais de ce pas.

    (Il sort.)

    MRE UBU (courant aprs lui.)Oh ! Pre Ubu, Pre Ubu, je te donnerai de landouille.

    (Elle sort.)

    PRE UBU (dans la coulisse).Oh ! merdre ! tu en es une fire, dandouille.

  • 14

    Scne VI

    Le palais du roi.LE ROI VENCESLAS, entour de ses officiers ;

    BORDURE ; les fils du roi, BOLESLAS,LADISLAS et BOUGRELAS. Puis LE PRE UBU.

    PRE UBU (entrant.)Oh ! vous savez, ce nest pas moi, cest la Mre Ubu et Bordure.

    LE ROIQuas-tu, Pre Ubu ?

    BORDUREIl a trop bu.

    LE ROIComme moi ce matin.

    PRE UBUOui, je suis saoul, cest parce que jai bu trop de vin de France.

    LE ROIPre Ubu, je tiens rcompenser tes nombreux services comme capitainede dragons, et je te fais aujourdhui comte de Sandomir.

    PRE UBUO monsieur Venceslas, je ne sais comment vous remercier.

    LE ROINe me remercie pas, Pre Ubu, et trouve-toi demain matin la grande revue.

    PRE UBUJy serai, mais acceptez, de grce, ce petit mirliton.

    (Il prsente au roi un mirliton.)

    LE ROIQue veux-tu mon ge que je fasse dun mirliton ? Je le donnerai Bougrelas.

  • 15

    LE JEUNE BOUGRELASEst-il bte, ce Pre Ubu.

    PRE UBUEt maintenant, je vais foutre le camp. (Il tombe en se retournant.) Oh ! ae !au secours ! De par ma chandelle verte, je me suis rompu lintestin et crevla bouzine !

    LE ROI (le relevant.)Pre Ubu, vous estes-vous fait mal ?

    PRE UBUOui certes, et je vais srement crever. Que deviendra la Mre Ubu ?

    LE ROINous pourvoirons son entretien.

    PRE UBUVous avez bien de la bont de reste. (Il sort.) Oui, mais, roi Venceslas, tunen seras pas moins massacr.

  • 16

    Scne VII

    La maison du Pre Ubu.GIRON, PILE, COTICE, PRE UBU, MRE UBU,

    Conjurs et Soldats, CAPITAINE BORDURE.

    PRE UBUEh ! mes bons amis, il est grand temps darrter le plan de la conspiration.Que chacun donne son avis. Je vais dabord donner le mien, si vous lepermettez.

    CAPITAINE BORDUREParlez, Pre Ubu.

    PRE UBUEh bien, mes amis, je suis davis dempoisonner simplement le roi en luifourrant de larsenic dans son djeuner. Quand il voudra le brouter il tomberamort, et ainsi je serai roi.

    TOUSFi, le sagouin !

    PRE UBUEh quoi, cela ne vous plat pas ? Alors que Bordure donne son avis.

    CAPITAINE BORDUREMoi, je suis davis de lui ficher un grand coup dpe qui le fendra de latte la ceinture.

    TOUSOui ! voil qui est noble et vaillant.

    PRE UBUEt sil vous donne des coups de pied ? Je me rappelle maintenant quil apour les revues des souliers de fer qui font trs mal. Si je savais, je fileraisvous dnoncer pour me tirer cette sale affaire, et je pense quil me donneraitde la monnaie.

    MRE UBUOh ! le tratre, le lche, le vilain plat ladre.

  • 17

    TOUSConspuez le Pre Ubu !

    PRE UBUEh, messieurs, tenez-vous tranquilles si vous ne voulez visiter mes poches.Enfin je consens mexposer pour vous. De la sorte, Bordure, tu te chargesde pourfendre le roi.

    CAPITAINE BORDURENe vaudrait-il pas mieux nous jeter tous la fois sur lui en braillant etgueulant ? Nous aurions chance ainsi dentraner les troupes.

    PRE UBUAlors, voil. Je tcherai de lui marcher sur les pieds, il regimbera, alors jelui dirai MERDRE, et ce signal vous vous jetterez sur lui.

    MRE UBUOui, et ds quil sera mort tu prendras son sceptre et sa couronne.

    CAPITAINE BORDUREEt je courrai avec mes hommes la poursuite de la famille royale.

    PRE UBUOui, et je te recommande spcialement le jeune Bougrelas.

    (Ils sortent.)

    PRE UBU courant aprs et les faisant revenir.)Messieurs, nous avons oubli une crmonie indispensable, il faut jurer denous escrimer Vaillamment.

    CAPITAINE BORDUREEt comment faire ? Nous navons pas de prtre.

    PRE UBULa Mre Ubu va en tenir lieu.

    TOUSEh bien, soit.

    PRE UBUAinsi vous jurez de bien tuer le roi ?

  • 18

    TOUSOui, nous le jurons. Vive le Pre Ubu !

    FIN DU PREMIER ACTE

  • 19

    Acte IIScne premire

    Le palais du roi.VENCESLAS, LA REINE ROSE MON DE,BOLESLAS, LADISLAS et BOUGRELAS.

    LE ROIMonsieur Bougrelas, vous avez t ce matin fort impertinent avec MonsieurUbu, chevalier de mes ordres et comte de Sandomir. Cest pourquoi je vousdfends de paratre ma revue.

    LA REINECependant, Venceslas, vous nauriez pas trop de toute votre famille pourvous dfendre.

    LE ROIMadame, je reviens jamais sur ce que jai dit. Vous me fatiguez avec vossornettes.

    LE JEUNE BOUGRELASJe me soumets, monsieur mon pre.

    LA REINEEnfin, sire, tes-vous toujours dcid aller cette revue ?

    LE ROIPourquoi non, madame ?

    LA REINEMais, encore une fois, ne lai-je pas vu en songe vous frappant de sa massedarmes et vous jetant dans la Vistule, et un aigle comme celui qui figuredans les armes de Pologne lui plaant la couronne sur la tte ?

    LE ROI qui ?

    LA REINEAu Pre Ubu.

  • 20

    LE ROIQuelle folie. Monsieur de Ubu est un fort bon gentilhomme, qui se feraittirer quatre chevaux pour mon service.

    LA REINE et BOUGRELASQuelle erreur.

    LE ROITaisez-vous, jeune sagouin. Et vous, madame, pour vous prouver combienje crains peu Monsieur Ubu, je vais aller la revue comme je suis, sans armeet sans pe.

    LA REINEFatale imprudence, je ne vous reverrai pas vivant.

    LE ROIVenez, Ladislas, venez, Boleslas.

    (Ils sortent. La Reine et Bougrelas vont la fentre.)

    LA REINE et BOUGRELASQue Dieu et le grand saint Nicolas vous gardent.

    LA REINEBougrelas, venez dans la chapelle avec moi prier pour votre pre et vosfrres.

  • 21

    Scne II

    Le champ des revues.Larme polonaise, LE ROI, BOLESLAS,

    LADISLAS, PRE UBU, CAPITAINE BORDUREet ses hommes, GIRON, PILE, COTICE.

    LE ROINoble Pre Ubu, venez prs de moi avec votre suite pour inspecter lestroupes.

    PRE UBU (aux siens.)Attention, vous autres. (Au Roi.) On y va, monsieur, on y va.

    (Les hommes du Pre Ubu entourent le Roi.)

    LE ROIAh ! voici le rgiment des gardes cheval de Dantzick. Ils sont fort beaux,ma foi.

    PRE UBUVous trouvez ? Ils me paraissent misrables. Regardez celui-ci. (Au soldat.)Depuis combien de temps ne tes-tu dbarbouill, ignoble drle ?

    LE ROIMais ce soldat est fort propre. Quavez-vous donc, Pre Ubu ?

    PRE UBUVoil (Il lui crase le pied.)

    LE ROIMisrable !

    PRE UBUMERDRE. moi, mes hommes !

    BORDUREHurrah ! en avant ! (Tous frappent le Roi. Un Palotin explose.)

    LE ROIOh au secours ! Sainte Vierge, je suis mort.

  • 22

    BOLESLAS ( Ladislas.)Quest-ce l ? Dgainons.

    PRE UBUAh ! jai la couronne ! Aux autres, maintenant.

    CAPITAINE BORDURESus aux tratres ! ! (Les fils du Roi senfuient, tous les poursuivent.)

  • 23

    Scne III

    LA REINE et BOUGRELAS

    LA REINEEnfin, je commence me rassurer.

    BOUGRELASVous navez aucun sujet de crainte.

    (Une effroyable clameur se fait entendre au dehors.)

    BOUGRELASAh ! que vois-je ? Mes deux frres poursuivis par le Pre Ubu et ses hommes.

    LA REINEO mon Dieu ! Sainte Vierge, ils perdent, ils perdent du terrain !

    BOUGRELASToute larme suit le Pre Ubu. Le Roi nest plus l. Horreur ! Au secours !

    LA REINEVoil Boleslas mort ! Il a reu une balle.

    BOUGRELASEh ! (Ladislas se retourne.) Dfends-toi ! Hurrah, Ladislas.

    LA REINEOh ! Il est entour.

    BOUGRELASCen est fait de lui. Bordure vient de le couper en deux comme une saucisse.

    LA REINEAh ! Hlas ! Ces furieux pntrent dans le palais, ils montent lescalier.

    (La clameur augmente.)

    LA REINE et BOUGRELAS ( genoux.)Mon Dieu, dfendez-nous.

    BOUGRELASOh ! ce Pre Ubu ! le coquin, le misrable, si je le tenais

  • 24

    Scne IV

    LES MMES, la porte est dfonce, lePRE UBU et les forcens pntrent.

    PRE UBUEh ! Bougrelas, que me veux-tu faire ?

    BOUGRELASVive Dieu ! je dfendrai ma mre jusqu la mort ! Le premier qui fait unpas est mort.

    PRE UBUOh ! Bordure, jai peur ! laissez-moi men aller.

    UN SOLDAT avance.Rends-toi, Bougrelas !

    LE JEUNE BOUGRELASTiens, voyou ! voil ton compte ! (Il lui fend le crne.)

    LA REINETiens bon, Bougrelas, tiens bon !

    PLUSIEURS avancent.Bougrelas, nous te promettons la vie sauve.

    BOUGRELASChenapans, sacs vins, sagouins pays !(Il fait le moulinet avec son pe et en fait un massacre.)

    PRE UBUOh je vais bien en venir bout tout de mme !

    BOUGRELASMre, sauve-toi par lescalier secret.

    LA REINEEt toi, mon fils, et toi ?

  • 25

    BOUGRELASJe te suis.

    PRE UBUTchez dattraper la reine. Ah ! la voil partie. Quant toi, misrable !(Il savance vers Bougrelas.)

    BOUGRELASAh ! vive Dieu ! voil ma vengeance ! (Il lui dcoud la boudouille dunterrible coup dpe.) Mre, je te suis ! (Il disparat par lescalier secret.)

  • 26

    Scne V

    Une caverne dans les montagnes.Le jeune BOUGRELAS entre suivi de ROSEMONDE.

    BOUGRELASIci nous serons en sret.

    LA REINEOui, je le crois ! Bougrelas, soutiens-moi ! (Elle tombe sur la neige.)

    BOUGRELASHa ! quas-tu, ma mre ?

    LA REINEJe suis bien malade, crois-moi, Bougrelas. Je nen ai plus que pour deuxheures vivre.

    BOUGRELASQuoi ! le froid taurait-il saisie ?

    LA REINEComment veux-tu que je rsiste tant de coups ? Le roi massacr, notrefamille dtruite, et toi, reprsentant de la plus noble race qui ait jamais portlpe, forc de tenfuir dans les montagnes comme un contrebandier.

    BOUGRELASEt par qui, grand Dieu par qui ? Un vulgaire Pre Ubu, aventurier sorti onne sait do, vile crapule, vagabond honteux ! Et quand je pense que monpre la dcor et fait comte et que le lendemain ce vilain na pas eu hontede porter la main sur lui.

    LA REINEO Bougrelas ! Quand je me rappelle combien nous tions heureux avantlarrive de ce Pre Ubu ! Mais maintenant, hlas ! tout est chang !

    BOUGRELASQue veux-tu ? Attendons avec esprance et ne renonons jamais nos droits.

    LA REINEJe te le souhaite, mon cher enfant, mais pour moi je ne verrai pas cet heureuxjour.

  • 27

    BOUGRELASEh ! quas-tu ? Elle plit, elle tombe, au secours ! Mais je suis dans un dsert !O mon Dieu ! son cur ne bat plus. Elle est morte ! Est-ce possible ? Encoreune victime du Pre Ubu ! (Il se cache la figure dans les mains et pleure.) Omon Dieu ! quil est triste de se voir seul quatorze ans avec une vengeanceterrible poursuivre ! (Il tombe en proie au plus violent dsespoir.)

    (Pendant ce temps les mes de Venceslas, de Boleslas, de Ladislas,de Rosemonde entrent dans la grotte, leurs Anctres les accompagnentet remplissent la grotte. Le plus vieux sapproche de Bougrelas et lerveille doucement.)

    BOUGRELASEh ! que vois-je ? toute ma famille, mes anctres Par quel prodige ?

    LOMBREApprends, Bougrelas, que jai t pendant ma vie le seigneur Mathias deKnigsberg, le premier roi et le fondateur de la maison. Je te remets le soinde notre vengeance. (Il lui donne une grande pe.) Et que cette pe que jete donne nait de repos que quand elle aura frapp de mort lusurpateur.

    (Tous disparaissent, et Bougrelas reste seul dans lattitude de lextase.)

  • 28

    Scne VI

    Le palais du roi.PRE UBU, MRE UBU, CAPITAINE BORDURE

    PRE UBUNon, je ne veux pas, moi ! Voulez-vous me ruiner pour ces bouffres ?

    CAPITAINE BORDUREMais enfin, Pre Ubu, ne voyez-vous pas que le peuple attend le don dejoyeux avnement ?

    MRE UBUSi tu ne fais pas distribuer des viandes et de lor, tu seras renvers dici deuxheures.

    PRE UBUDes viandes, oui ! de lor, non ! Abattez trois vieux chevaux, cest bien bonpour de tels sagouins.

    MRE UBUSagouin toi-mme ! Qui ma bti un animal de cette sorte ?

    PRE UBUEncore une fois, je veux menrichir, je ne lcherai pas un sou.

    MRE UBUQuand on a entre les mains tous les trsors de la Pologne.

    CAPITAINE BORDUREOui, je sais quil y a dans la chapelle un immense trsor, nous ledistribuerons.

    PRE UBUMisrable, si tu fais a !

    CAPITAINE BORDUREMais, Pre Ubu, si tu ne fais pas de distributions le peuple ne voudra paspayer les impts.

  • 29

    PRE UBUEst-ce bien vrai ?

    MRE UBUOui, oui !

    PRE UBUOh, alors je consens tout. Runissez trois millions, cuisez cent cinquantebufs et moutons, dautant plus que jen aurai aussi !

    (Ils sortent.)

  • 30

    Scne VII

    La cour du palais pleine de peuple.PRE UBU couronn, MRE UBU, CAPITAINE

    BORDURE, LARBINS chargs de viande.

    PEUPLEVoil le Roi ! Vive le Roi ! hurrah !

    PRE UBU (jetant de lor.)Tenez, voil pour vous. a ne mamusait gure de vous donner de largent,mais vous savez, cest la Mre Ubu qui a voulu. Au moins promettez-moide bien payer les impts.

    TOUSOui, oui !

    CAPITAINE BORDUREVoyez, Mre Ubu, sils se disputent cet or. Quelle bataille !

    MRE UBUIl est vrai que cest horrible. Pouah ! en voil un qui a le crne fendu.

    PRE UBUQuel beau spectacle ! Amenez dautres caisses dor.

    CAPITAINE BORDURESi nous faisions une course.

    PRE UBUOui, cest une ide. (Au Peuple.) Mes amis, vous voyez cette caisse dor,elle contient trois cent mille nobles la rose en or, en monnaie polonaise etde bon aloi. Que ceux qui veulent courir se mettent au bout de la cour. Vouspartirez quand jagiterai mon mouchoir et le premier arriv aura la caisse.Quant ceux qui ne gagneront pas, ils auront comme consolation cette autre,caisse quon leur partagera.

    TOUSOui ! Vive le Pre Ubu ! Quel bon roi ! On nen voyait pas tant du tempsde Venceslas.

  • 31

    PRE UBU ( la Mre Ubu, avec joie.)coute-les ! (Tout le Peuple va se ranger au bout de la cour.)

    PRE UBUUne, deux, trois ! Y tes-vous ?

    TOUSOui ! oui !

    PRE UBUPartez !

    (Ils partent en se culbutant. Cris et tumulte.)

    CAPITAINE BORDUREIls approchent ! ils approchent !

    PRE UBUEh ! le premier perd du terrain.

    MRE UBUNon, il regagne maintenant.

    CAPITAINE BORDUREOh! il perd, il perd ! fini ! cest lautre !

    (Celui qui tait deuxime arrive le premier.)

    TOUSVive Michel Fdrovitch ! Vive Michel Fdrovitch !

    MICHEL FDROVITCHSire, je ne sais vraiment comment remercier Votre Majest

    PRE UBUOh ! mon cher ami, ce nest rien. Emporte ta caisse chez toi, Michel ; etvous, partagez-vous cette autre, prenez une pice chacun jusqu ce quilny en ait plus.

    TOUSVive Michel Fdrovitch ! Vive le Pre Ubu !

    PRE UBUEt vous, mes amis, venez dner ! Je vous ouvre aujourdhui les portes dupalais, veuillez faire honneur ma table !

  • 32

    PEUPLEEntrons ! Entrons ! Vive le Pre Ubu ! cest le plus noble des souverains !

    (Ils entrent dans le palais. On entend le bruit de lorgie qui se prolongejusquau lendemain La toile tombe.)

    FIN DU DEUXIME ACTE

  • 33

    Acte IIIScne premire

    Le palais.PRE UBU, MRE UBU

    PRE UBUDe par ma chandelle verte, me voici roi dans ce pays. Je me suis dj flanquune indigestion et on va mapporter ma grande capeline.

    MRE UBUEn quoi est-elle, Pre Ubu ? car nous avons beau tre rois, il faut treconomes.

    PRE UBUMadame ma femelle, elle est en peau de mouton, avec une agrafe et desbrides en peau de chien.

    MRE UBUVoil qui est beau, mais il est encore plus beau dtre rois.

    PRE UBUOui, tu as eu raison, Mre Ubu.

    MRE UBUNous avons une grande reconnaissance au duc de Lituanie.

    PRE UBUQui donc ?

    MRE UBUEh ! le capitaine Bordure.

    PRE UBUDe grce, Mre Ubu, ne me parle pas de ce bouffre. Maintenant que je naiplus besoin de lui il peut bien se brosser le ventre, il naura point son duch.

    MRE UBUTu as grand tort, Pre Ubu, il va se tourner contre toi.

  • 34

    PRE UBUOh ! je le plains bien, ce petit homme, je men soucie autant que deBougrelas.

    MRE UBUEh ! crois-tu en avoir fini avec Bougrelas ?

    PRE UBUSabre finances, videmment ! que veux-tu quil me fasse, ce petit sagouinde quatorze ans ?

    MRE UBUPre Ubu, fais attention ce que je te dis. Crois-moi, tche de tattacherBougrelas par tes bienfaits.

    PRE UBUEncore de largent donner. Ah ! non, du coup ! vous mavez fait gcherbien vingt-deux millions.

    MRE UBUFais ta tte, Pre Ubu, il ten cuira.

    PRE UBUEh bien, tu seras avec moi dans la marmite.

    MRE UBUcoute, encore une fois, je suis sre que le jeune Bougrelas lemportera, caril a pour lui le bon droit.

    PRE UBUAh ! salet ! le mauvais droit ne vaut-il pas le bon ? Ah ! tu minjuries, MreUbu, je vais te mettre en morceaux.

    (La Mre Ubu se sauve poursuivie par le Pre Ubu.)

  • 35

    Scne II

    La grande salle du palais.PRE UBU, MRE UBU, OFFICIERS et SOLDATS,

    GIRON, PILE, COTICE, NOBLES enchans,FINANCIERS, MAGISTRATS, GREFFIERS.

    PRE UBUApportez la caisse Nobles et le crochet Nobles et le couteau Nobles et lebouquin Nobles ! ensuite, faites avancer les Nobles.

    (On pousse brutalement les Nobles.)

    MRE UBUDe grce, modre-toi, Pre Ubu.

    PRE UBUJai lhonneur de vous annoncer que pour enrichir le royaume je vais faireprir tous les Nobles et prendre leurs biens.

    NOBLESHorreur ! nous, peuple et soldats !

    PRE UBUAmenez le premier Noble et passez-moi le crochet Nobles. Ceux qui serontcondamns mort, je les passerai dans la trappe, ils tomberont dans lessous-sols du Pince-Porc et de la Chambre--Sous, o on les dcervlera. (AuNoble.) Qui es-tu, bouffre ?

    LE NOBLEComte de Vitepsk.

    PRE UBUDe combien sont tes revenus ?

    LE NOBLETrois millions de rixdales.

    PRE UBUCondamn ! (Il le prend avec le crochet et le passe dans le trou.)

  • 36

    MRE UBUQuelle basse frocit !

    PRE UBUSecond Noble, qui es-tu ? (Le Noble ne rpond rien.) Rpondras-tu, bouffre ?

    LE NOBLEGrand-duc de Posen.

    PRE UBUExcellent ! excellent ! Je nen demande pas plus long. Dans la trappe.Troisime Noble, es-tu ? tu as une sale tte.

    LE NOBLEDuc de Courlande, des villes de Riga, de Revel et de Mitau.

    PRE UBUTrs bien ! trs bien ! Tu nas rien autre chose ?

    LE NOBLERien.

    PRE UBUDans la trappe, alors. Quatrime Noble, qui es-tu ?

    LE NOBLEPrince de Podolie.

    PRE UBUQuels sont tes revenus ?

    LE NOBLEJe suis ruin.

    PRE UBUPour cette mauvaise parole, passe dans la trappe. Cinquime Noble, qui es-tu ?

    LE NOBLEMargrave de Thorn, palatin de Polock.

  • 37

    PRE UBUa nest pas lourd. Tu nas rien autre chose ?

    LE NOBLECela me suffisait.

    PRE UBUEh bien ! mieux vaut peu que rien. Dans la trappe. Quas-tu pigner, MreUbu ?

    MRE UBUTu es trop froce, Pre Ubu.

    PRE UBUEh ! je menrichis. Je vais faire lire MA liste de MES biens. Greffier lisezMA liste de MES biens.

    LE GREFFIERComt de Sandomir.

    PRE UBUCommence par les principauts, stupide bougre !

    LE GREFFIERPrincipaut de Podolie, grand-duch de Posen, duch de Courlande, comtde Sandomir, Comt de Vitepsk, palatinat de Polock, margraviat de Thorn.

    PRE UBUEt puis aprs ?

    LE GREFFIERCest tout.

    PRE UBUComment, cest tout ! Oh bien alors, en avant les Nobles, et comme je nefinirai pas de menrichir je vais faire excuter tous les Nobles, et ainsi jauraitous les biens vacants. Allez, passez les Nobles dans la trappe. (On empileles Nobles dans la trappe.) Dpchez-vous plus vite, je veux faire des loismaintenant.

    PLUSIEURSOn va voir a.

  • 38

    PRE UBUJe vais dabord rformer la justice, aprs quoi nous procderons auxfinances.

    PLUSIEURS MAGISTRATSNous nous opposons tout changement.

    PRE UBUMerdre. Dabord les magistrats ne seront plus pays.

    MAGISTRATSEt de quoi vivrons-nous ? Nous sommes pauvres.

    PRE UBUVous aurez les amendes que vous prononcerez et les biens des condamns mort.

    UN MAGISTRATHorreur.

    DEUXIMEInfamie.

    TROISIMEScandale.

    QUATRIMEIndignit.

    TOUSNous nous refusons juger dans des conditions pareilles.

    PRE UBU la trappe les magistrats ! (Ils se dbattent en vain.)

    MRE UBUEh ! que fais-tu, Pre Ubu ? Qui rendra maintenant la justice ?

    PRE UBUTiens ! moi. Tu verras comme a marchera bien.

  • 39

    MRE UBUOui, ce sera du propre.

    PRE UBUAllons, tais-toi, bouffresque. Nous allons maintenant, messieurs, procderaux finances.

    FINANCIERSIl ny a rien changer.

    PRE UBUComment, je veux tout changer, moi. Dabord je veux garder pour moi lamoiti des impts.

    FINANCIERSPas gn.

    PRE UBUMessieurs, nous tablirons un impt de dix pour cent sur la proprit, unautre sur le commerce et lindustrie, et un troisime sur les mariages et unquatrime sur les dcs, de quinze francs chacun.

    PREMIER FINANCIERMais cest idiot, Pre Ubu.

    DEUXIME FINANCIERCest absurde.

    TROISIME FINANCIERa na ni queue ni tte.

    PRE UBUVous vous fichez de moi ! Dans la trappe les financiers ! (On enfourne lesfinanciers.)

    MRE UBUMais enfin, Pre Ubu, quel roi tu fais, tu massacres tout le monde.

    PRE UBUEh merdre !

  • 40

    MRE UBUPlus de justice, plus de finances.

    PRE UBUNe crains rien, ma douce enfant, jirai moi-mme de village en villagerecueillir les impts.

  • 41

    Scne III

    Une maison de paysans dans les environs de Varsovie.PLUSIEURS PAYSANS sont assembls.

    UN PAYSAN (entrant.)Apprenez la grande nouvelle. Le roi est mort, les ducs aussi et le jeuneBougrelas sest sauv avec sa mre dans les montagnes. De plus, le PreUbu sest empar du trne.

    UN AUTREJen sais bien dautres. Je viens de Cracovie, o jai vu emporter les corpsde plus de trois cents nobles et de cinq cents magistrats quon a tus, et ilparat quon va doubler les impts et que le Pre Ubu viendra les ramasserlui-mme.

    TOUSGrand Dieu ! quallons-nous devenir ? le Pre Ubu est un affreux sagouinet sa famille est, dit-on, abominable.

    UN PAYSANMais, coutez : ne dirait-on pas quon frappe la porte ?

    UNE VOIX (au-dehors.)Cornegidouille ! Ouvrez, de par ma merdre, par saint Jean, saint Pierre etsaint Nicolas ! ouvrez, sabre finances, corne finances, je viens chercherles impts ! (La porte est dfonce, le Pre Ubu pntre suivi dune lgionde Grippe-Sous.)

  • 42

    Scne IV

    PRE UBUQui de vous est le plus vieux ? (Un Paysan savance.) Comment te nommes-tu ?

    LE PAYSANStanislas Leczinski.

    PRE UBUEh bien, cornegidouille, coute-moi bien, sinon ces messieurs te couperontles oneilles. Mais, vas-tu mcouter enfin ?

    STANISLASMais Votre Excellence na encore rien dit.

    PRE UBUComment, je parle depuis une heure. Crois-tu que je vienne ici pour prcherdans le dsert ?

    STANISLASLoin de moi cette pense.

    PRE UBUJe viens donc te dire, tordonner et te signifier que tu aies produireet exhiber promptement ta finance, sinon tu seras massacr. Allons,messeigneurs les salopins de finance, voiturez ici le voiturin phynances.(On apporte le voiturin.)

    STANISLASSire, nous ne sommes inscrits sur le registre que pour cent cinquante-deuxrixdales que nous avons dj payes, il y aura tantt six semaines la SaintMathieu.

    PRE UBUCest fort possible, mais jai chang le gouvernement et jai fait mettredans le journal quon paierait deux fois tous les impts et trois fois ceuxqui pourront tre dsigns ultrieurement. Avec ce systme jaurai vite faitfortune, alors je tuerai tout le monde et je men irai.

  • 43

    PAYSANSMonsieur Ubu, de grce, ayez piti de nous. Nous sommes de pauvrescitoyens.

    PRE UBUJe men fiche. Payez.

    PAYSANSNous ne pouvons, nous avons pay.

    PRE UBUPayez ! ou ji vous mets dans ma poche avec supplice et dcollation du couet de la tte Cornegidouille, je suis le roi peut-tre !

    TOUSAh, cest ainsi ! Aux armes ! Vive Bougrelas, par la grce de Dieu roi dePologne et de Lituanie !

    PRE UBUEn avant, messieurs des Finances, faites votre devoir.

    (Une lutte sengage, la maison est dtruite et le vieux Stanislas senfuitseul travers la plaine. Le Pre Ubu reste ramasser la finance.)

  • 44

    Scne V

    Une casemate des fortifications de Thorn.CAPITAINE BORDURE enchan, PRE UBU.

    PRE UBUAh ! citoyen, voil ce que cest, tu as voulu que je te paye ce que je te devais,alors tu tes rvolt parce que je nai pas voulu, tu as conspir et te voilcoffr. Cornefinance cest bien fait, et le tour est si bien jou que tu dois toi-mme le trouver fort ton got

    CAPITAINE BORDUREPrenez garde, Pre Ubu. Depuis cinq jours que vous tes roi, vous avezcommis plus de meurtres quil nen faudrait pour damner tous les saintsdu Paradis. Le sang du roi et des nobles crie vengeance et ses cris serontentendus.

    PRE UBUEh ! mon bel ami, vous avez la langue fort bien pendue. Je ne doute pas quesi vous vous chappiez il en pourrait rsulter des complications Thorn aientjamais lch quelquun des honntes garons quon leur avait confis. Cestpourquoi, bonne nuit, et je vous invite dormir sur les deux oneilles, bienque les rats dansent ici une assez belle sarabande.

    (Il sort. Les Larbins viennent verrouiller toutes les portes.)

  • 45

    Scne VI

    Le palais de Moscou.LEMPEREUR ALEXIS et sa Cour, BORDURE

    LE CZAR ALEXISCest vous, infme aventurier, qui avez coopr la mort de notre cousinVenceslas ?

    BORDURESire, pardonnez-moi, jai t entran malgr moi par le Pre Ubu.

    ALEXISOh ! laffreux menteur. Enfin, que dsirez-vous ?

    BORDURELe Pre Ubu ma fait emprisonner sous prtexte de conspiration, je suisparvenu mchapper et jai couru cinq jours et cinq nuits cheval traversles steppes pour venir implorer Votre gracieuse misricorde.

    ALEXISQue mapportes-tu comme gage de ta soumission ?

    BORDUREMon pe daventurier et un plan dtaill de la ville de Thorn.

    ALEXISJe prends lpe, mais, par Saint Georges, brlez ce plan, je ne veux pasdevoir ma victoire une trahison.

    BORDUREUn des fils de Venceslas, le jeune Bougrelas, est encore vivant, je ferai toutpour le rtablir.

    ALEXISQuel grade avais-tu dans larme polonaise ?

    BORDUREJe commandais le 5e rgiment des dragons de Wilna et une compagniefranche service du Pre Ubu.

  • 46

    ALEXISCest bien, je te nomme sous-lieutenant au 10e rgiment de Cosaques, etgare toi si tu trahis. Si tu te bats bien, tu seras rcompens.

    BORDURECe nest pas le courage qui me manque, Sire.

    ALEXISCest bien, disparais de ma prsence.

    (Bordure sort.)

  • 47

    Scne VII

    La salle du Conseil dUbu.PRE UBU, MRE UBU, CONSEILLERS DE FINANCES

    PRE UBUMessieurs, la sance est ouverte et tchez de bien couter et de vous tenirtranquilles Dabord, nous allons faire le chapitre des ensuite nous parleronsdun petit systme que jai imagin pour faire venir le beau temps et conjurerla pluie.

    UN CONSEILLERFort bien, monsieur Ubu.

    MRE UBUQuel sot homme.

    PRE UBUMadame de ma merdre, garde vous, car je ne souffrirai pas vos sottises. Jevous disais donc, messieurs, que les finances vont passablement. Un nombreconsidrable de chiens bas de laine se rpand chaque matin dans les rues etles salopins font merveille. De tous cts on ne voit que des maisons brleset des gens pliant sous le poids de nos phynances.

    LE CONSEILLEREt les nouveaux impts, monsieur Ubu, vont-ils bien ?

    MRE UBUPoint du tout. Limpt sur les mariages na encore produit que 11 sous, etencore le Pre Ubu poursuit les gens partout pour les forcer se marier.

    PRE UBUSabre finances, corne de ma gidouille, madame la financire, jai desoneilles pour parler et vous une bouche pour mentendre. (clats de rire.) Ouplutt non ! Vous me faites tromper et vous tes cause que je suis bte ! Mais,corne dUbu ! (Un Messager entre.) Allons, bon, qua-t-il encore celui-l ?Va-t-en, sagouin, ou je te poche avec dcollation et torsion des jambes.

    MRE UBUAh ! le voil dehors, mais il y a une lettre.

  • 48

    PRE UBULis-la. Je crois que je perds lesprit ou que je ne sais pas lire. Dpche-toi,bouffresque ce doit tre de Bordure.

    MRE UBUTout justement. Il dit que le czar la accueilli trs bien, quil va envahir testats pour rtablir Bougrelas et que toi tu seras tu.

    PRE UBUHo ! ho ! Jai peur ! Jai peur ! Ha ! je pense mourir. pauvre homme queje suis. Que devenir, grand Dieu ? Ce mchant homme va me tuer. SaintAntoine et tous les saints, protgez-moi, je vous donnerai de la phynanceet je brlerai des cierges pour vous. Seigneur, que devenir ? (Il pleure etsanglote.)

    MRE UBUIl ny a quun parti prendre, Pre Ubu.

    PRE UBULequel, mon amour ?

    MRE UBULa guerre ! !

    TOUSVive Dieu ! Voil qui est noble !

    PRE UBUOui, et je recevrai encore des coups.

    PREMIER CONSEILLERCourons, courons organiser larme.

    DEUXIMEEt runir les vivres.

    TROISIMEEt prparer lartillerie et les forteresses.

    QUATRIMEEt prendre largent pour les troupes.

  • 49

    PRE UBUAh ! non, par exemple ! Je vais te tuer, toi, je ne veux pas donner dargent.En voil dune autre ! Jtais pay pour faire la guerre et maintenant il fautla faire mes dpens. Non, de par ma chandelle verte, faisons la guerre,puisque vous en tes enrags, mais ne dboursons pas un sou.

    TOUSVive la guerre !

  • 50

    Scne VIII

    Le camp sous Varsovie.

    SOLDATS et PALOTINSVive la Pologne ! Vive le Pre Ubu !

    PRE UBUAh ! Mre Ubu, donne-moi ma cuirasse et mon petit bout de bois. Je vaistre bientt tellement charg que je ne saurais marcher si jtais poursuivi.

    MRE UBUFi, le lche.

    PRE UBUAh ! voil le sabre merdre qui se sauve et le croc finances qui ne tientpas ! ! ! Je nen finirai jamais, et les Russes avancent et vont me tuer.

    UN SOLDATSeigneur Ubu, voil le ciseau oneilles qui tombe.

    PRE UBUJi tou tue au moyen du croc merdre et du couteau figure.

    MRE UBUComme il est beau avec son casque et sa cuirasse, on dirait une citrouillearme.

    PRE UBUAh maintenant je vais monter cheval. Amenez, messieurs, le cheval phynances.

    MRE UBUPre Ubu, ton cheval ne saurait plus te porter, il na rien mang depuis cinqjours et est presque mort.

    PRE UBUElle est bonne celle-l ! On me fait payer 12 sous par jour pour cette rosseet elle ne me peut porter. Vous vous fichez, corne dUbu, ou bien si vous me

  • 51

    volez ? (La Mre Ubu rougit et baisse les yeux.) Alors, que lon mapporteune autre bte, mais je nirai pas pied, cornegidouille !

    (On amne un norme cheval.)

    PRE UBUJe vais monter dessus. Oh ! assis plutt ! car je vais tomber. (Le cheval part.)Ah ! arrtez ma bte. Grand Dieu, je vais tomber et tre mort ! ! !

    MRE UBUIl est vraiment imbcile. Ah ! le voil relev. Mais il est tomb par terre.

    PRE UBUCorne physique, je suis moiti mort ! Mais cest gal, je pars en guerre etje tuerai tout le monde. Gare qui ne marchera pas droit. Ji lon met dans mapoche avec torsion du nez et des dents et extraction de la langue.

    MRE UBUBonne chance, monsieur Ubu.

    PRE UBUJoubliais de te dire que je te confie la rgence. Mais jai sur moi Je livre desfinances, tant pis pour toi si tu me voles. Je te laisse pour taider le PalotinGiron. Adieu, Mre Ubu.

    MRE UBUAdieu, Pre Ubu. Tue bien le czar.

    PRE UBUPour sr. Torsion du nez et des dents, extraction de la langue et enfoncementdu petit bout de bois dans les oneilles.

    (Larme sloigne au bruit des fanfares.)

    MRE UBU (seule.)Maintenant, que ce gros pantin est parti, tchons de faire nos affaires, tuerBougrelas et nous emparer du trsor.

    FIN DU TROISIME ACTE

  • 52

    Acte IVScne premire

    La crypte des anciens rois de Polognedans la cathdrale de Varsovie.

    MRE UBUO donc est ce trsor ? Aucune dalle ne sonne creux. Jai pourtant biencompt treize pierres aprs le tombeau de Ladislas le Grand en allant le longdu mur, et il ny a rien. Il faut quon mait trompe. Voil cependant : ici lapierre sonne creux. luvre, Mre Ubu. Courage, descellons cette pierre.Elle tient bon. Prenons ce bout de croc finances qui fera encore son office.Voil ! voil lor au milieu des ossements des rois. Dans notre sac, alors,tout ! Eh ! quel est ce bruit ? Dans ces vieilles votes y aurait-il encore desvivants ? Non, ce nest rien, nous. Prenons tout. Cet argent sera mieux laface du jour quau milieu des tombeaux des anciens princes. Remettons lapierre. Eh quoi ! toujours ce bruit. Ma prsence en ces lieux me cause unetrange frayeur. Je prendrai le reste de cet or une autre fois, je reviendraidemain.

    UNE VOIX (sortant du tombeau de Jean Sigismond.)Jamais, Mre Ubu !

    (La Mre Ubu se sauve affole emportant lor vol par la porte secrte.)

  • 53

    Scne II

    La place de Varsovie.BOUGRELAS et SES PARTISANS, PEUPLE et SOLDATS,

    puis GARDES, MRE UBU, LE PALOTIN GIRON.

    BOUGRELASEn avant, mes amis ! Vive Venceslas et la Pologne ! le vieux gredin de PreUbu parti, il ne reste plus que la sorcire de Mre Ubu avec son Palotin. Jemoffre marcher votre tte et rtablir la race de mes pres.

    TOUSVive Bougrelas

    BOUGRELASEt nous supprimerons tous les impts tablis par laffreux Pre Ubu.

    TOUSHurrah ! en avant ! Courons au palais et massacrons cette engeance.

    BOUGRELASEh ! voil la mre Ubu qui sort avec ses gardes sur le perron !

    MRE UBUQue voulez-vous, messieurs ? Ah ! cest Bougrelas.

    (La foule lance des pierres.)

    PREMIER GARDETous les carreaux sont casss.

    DEUXIME GARDESaint Georges, me voil assomm.

    TROISIME GARDECornebleu, je meurs.

    BOUGRELASLancez des pierres, mes amis.

  • 54

    LE PALOTIN GIRONHon ! Cest ainsi ! (Il dgaine et se prcipite faisant un carnagepouvantable.)

    BOUGRELAS nous deux ! Dfends-toi, lche pistolet.

    (Ils se battent.)

    GIRONJe suis mort !

    BOUGRELASVictoire, mes amis ! Sus la Mre Ubu !

    (On entend des trompettes.)

    BOUGRELASAh ! voil les Nobles qui arrivent. Courons, attrapons la mauvaise harpie !

    TOUSEn attendant que nous tranglions le vieux bandit !

    (La Mre Ubu se sauve poursuivie par tous les Polonais. Coups de fusilet grle de pierres.)

  • 55

    Scne III

    Larme polonaise en marche dans lUkraine.

    PRE UBUCornebleu, jambedieu, tte de vache ! nous allons prir, car nous mouronsde soif et sommes fatigu. Sire Soldat, ayez lobligeance de porter notrecasque finances, et vous, sire Lancier, chargez-vous du ciseau merdreet du bton physique pour soulager notre personne, car, je le rpte, noussommes fatigu.

    (Les soldats obissent.)

    PILEHon ! Monsieuye ! il est tonnant que les Russes napparaissent point.

    PRE UBUIl est regrettable que ltat de nos finances ne nous permette pas davoir unevoiture notre taille ; car, par crainte de dmolir notre monture, nous avonsfait tout le chemin pied, tranant notre cheval par la bride. Mais quand nousserons de retour en Pologne, nous imaginerons, au moyen de notre scienceen physique et aid des lumires de nos conseillers, Une voiture vent pourtransporter toute larme.

    COTICEVoil Nicolas Rensky qui se prcipite.

    PRE UBUEt qua-t-il, ce garon ?

    RENSKYTout est perdu, Sire, les Polonais sont rvolts, Giron est tu et la Mre Ubuest en fuite dans les montagnes.

    PRE UBUOiseau de nuit, bte de malheur, hibou gutres ! O as-tu pch cessornettes ? En voil dune autre ! Et qui a fait a ? Bougrelas, je parie. Doviens-tu ?

    RENSKYDe Varsovie, noble seigneur.

  • 56

    PRE UBUGaron de ma merdre, si je ten croyais je ferais rebrousser chemin toutelarme. Mais, seigneur garon, il y a sur tes paules plus de plumes quede cervelle et tu as rv des sottises. Va aux avant-postes mon garon, lesRusses ne sont pas loin et nous aurons bientt estocader de nos armes, tant merdre qu phynances et physique.

    LE GNRAL LASCYPre Ubu, ne voyez-vous pas dans la plaine les Russes ?

    PRE UBUCest vrai, les Russes ! Me voil joli. Si encore il y avait moyen de senaller, mais pas du tout, nous sommes sur une hauteur et nous serons en butte tous les coups.

    LARMELes Russes ! Lennemi !

    PRE UBUAllons, messieurs, prenons nos dispositions pour la bataille. Nous allonsrester sur la colline et ne commettrons point la sottise de descendre en bas. Jeme tiendrai au milieu comme une citadelle vivante et vous autres graviterezautour de moi. Jai vous recommander de mettre dans les fusils autant deballes quils en pourront tenir, car 8 balles peuvent tuer 8 Russes et cestautant que je naurai pas sur le dos. Nous mettrons les fantassins pied aubas de la colline pour recevoir les Russes et les tuer un peu, les cavaliersderrire pour se jeter dans la confusion, et lartillerie autour du moulin ventici prsent pour tirer dans le tas. Quant nous, nous nous tiendrons dansmoulin vent tirerons avec le pistolet phynances par la fentre, en traversde porte nous placerons le bton physique, et si quelquun essaye dentrer,gare au croc merdre ! ! !

    OFFICIERSVos ordres Sire Ubu, seront excuts.

    PRE UBUEh ! cela va bien, nous serons vainqueurs. Quelle heure est-il ?

    LE GNRAL LASCYOnze heures du matin.

  • 57

    PRE UBUAlors, nous allons dner, car les Russes nattaqueront pas avant midi.Dites aux soldats, seigneur Gnral, de faire leurs besoins et dentonner laChanson Finances.

    (Lascy sen va.)

    SOLDATS et PALOTINSVive Pre Ub, notre grand Financier ! Ting, ting, ting ; ting, ting, ting ; ting,ting, tating !

    PRE UBUO les braves gens, je les adore. (Un boulet russe arrive et casse laile dumoulin.) Ah ! jai peur, Sire Dieu, je suis mort ! et cependant non, nai rien.

  • 58

    Scne IV

    LES MMES, UN CAPITAINE, puis LARME RUSSE.

    UN CAPITAINE (arrivant)Sire Ubu, les Russes attaquent.

    PRE UBUEh bien, aprs, que veux-tu que jy fasse ? ce nest pas moi qui le leur ai dit.Cependant, Messieurs des Finances, prparons-nous au combat.

    LE GNRAL LASCYUn second boulet.

    PRE UBUAh ! je ny tiens plus. Ici il pleut du plomb et du fer et nous pourrionsendommager notre prcieuse personne. Descendons.

    (Tous descendent au pas de course. La bataille vient de sengager. Ilsdisparaissent dans des torrents de fume au pied de la colline.)

    UN RUSSE (frappant.)Pour Dieu et le Czar !

    RENSKYAh ! je suis mort.

    PRE UBUEn avant ! Ah, toi, Monsieur, que je tattrape, car tu mas fait mal, entends-tu sac vin ! avec ton flingot qui ne part pas.

    LE RUSSEAh ! voyez-vous a. (Il lui tire un coup de revolver.)

    PRE UBUAh ! Oh ! Je suis bless, je suis trou, je suis perfor, je suis administr, jesuis enterr. Oh, mais tout de mme ! Ah ! je le tiens. (Il le dchire.) Tiens !recommenceras-tu, maintenant !

    LE GNRAL LASCYEn avant, poussons vigoureusement, passons le foss, la victoire est nous.

  • 59

    PRE UBUTu crois ? Jusquici je sens sur mon front plus de bosses que de lauriers.

    CAVALIERS RUSSESHurrah ! Place au Czar !

    (Le Czar arrive accompagn de Bordure dguis.)

    UN POLONAISAh ! Seigneur ! Sauve qui peut, voil le Czar !

    UN AUTREAh ! mon Dieu ! il passe le foss.

    UN AUTREPif ! Paf ! en voil quatre dassomms par ce grand bougre de lieutenant.

    BORDUREAh ! vous nayez pas fini, vous autres ! Tiens, Jean Sobiesky, voil toncompte. (Il lassomme.) dautres, maintenant ! (Il fait un massacre dePolonais.)

    PRE UBUEn avant, mes amis ! Attrapez ce bltre ! En compote les Moscovites ! Lavictoire est nous. Vive lAigle Rouge !

    TOUSEn avant ! Hurrah ! Jambedieu Attrapez le grand bougre.

    BORDUREPar saint Georges, je suis tomb.

    PRE UBU (le reconnaissant.)Ah ! cest toi, Bordure ! Ah mon ami. Nous sommes bien heureux ainsi quetoute la compagnie de te retrouver. Je vais te faire cuire petit feu. Messieursdes Finances, allumez du feu. Oh ! Ah ! Oh ! Je suis mort. Cest au moinsun coup de canon que jai reu. Ah mon Dieu, pardonnez-moi mes pchs.Oui, cest bien un coup de canon.

    BORDURECest un coup de pistolet charg poudre.

  • 60

    PRE UBUAh ! tu te moques de moi ! Encore ! la pche ! (Il se rue sur lui et ledchire.)

    LE GNRAL LASCYPre Ubu, nous avanons partout.

    PRE UBUJe le vois bien, je nen peux plus, je suis cribl de coups de pied, je voudraismasseoir par terre. Oh ! ma bouteille.

    LE GNRAL LASCYAllez prendre celle du Czar, Pre Ubu.

    PRE UBUEh ! jy vais de ce pas. Allons ! sabre merdre, fais ton office et toi,croc finances, ne reste pas en arrire. Que le bton physique travailledune gnreuse mulation et partage avec le petit bout de bois lhonneur demassacrer, creuser et exploiter lEmpereur moscovite. En avant, Monsieurnotre cheval finances ! (Il se rue sur le Czar.)

    UN OFFICIER RUSSEEn garde, Majest !

    PRE UBUTiens, toi ! Oh ! ae ! Ah ! mais tout de mme.Ah ! monsieur, pardon, laissez-moi tranquille. Oh ! mais, je nai pas faitexprs !

    (Il se sauve. Le Czar le poursuit.)

    PRE UBUSainte Vierge, cet enrag me poursuit ! Quai-je fait, grand Dieu ! Ah ! bon, ily a encore le foss repasser. Ah ! je le sens derrire moi et le foss devant !Courage, fermons les yeux.(Il saute le foss. Le Czar y tombe.)

    LE CZARBon, je suis dedans.

    POLONAISHurrah ! le Czar est bas !

  • 61

    PRE UBUAh ! jose peine me retourner ! Il est dedans. Ah ! cest bien fait eton tape dessus. Allons Polonais, allez-y tour de bras, il a bon dos lemisrable ! Moi je nose pas le regarder ! Et cependant notre prdiction sestcompltement ralise, le bton physique a fait merveilles et nul douteque je ne leusse compltement tu si une inexplicable terreur ntait venuecombattre et annuler en nous les effets de notre courage. Mais nous avonsd soudainement tourner casaque, et nous navons d notre salut qu notrehabilet comme cavalier ainsi qu la solidit des jarrets de notre cheval finances, dont la rapidit na dgale que la stabilit et dont la lgret fait laclbrit, ainsi qu la profondeur du foss qui sest trouv fort propos sousles pas de lennemi de nous lici prsent Matre des Phynances. Tout ceci estfort beau, mais personne ne mcoute. Allons ! bon, a recommence !

    (Les Dragons russes font une charge et dlivrent le Czar.)

    LE GNRAL LASCYCette fois, cest la dbandade.

    PRE UBUAh ! voici loccasion de se tirer des pieds. Or donc, Messieurs les Polonais,en avant ! ou plutt, en arrire !

    POLONAISSauve qui peut !

    PRE UBUAllons ! en route. Quel tas de gens, quelle fuite, quelle multitude, commentme tirer de ce gchis ? (Il est bouscul.) Ah ! mais toi ! fais attention, outu vas exprimenter la bouillante valeur du Matre des Finances. Ah ! il estparti, sauvons-nous et vivement pendant que Lascy ne nous voit pas. (Il sort,ensuite on voit passer le Czar et lArme russe poursuivant les Polonais.)

  • 62

    Scne V

    Une caverne en Lituanie (il neige).PRE UBU, PILE, COTICE

    PRE UBUAh ! le chien de temps, il gle pierre fendre et la personne du Matre desFinances sen trouve fort endommage.

    PILEHon ! Monsieuye Ubu, tes-vous remis de votre terreur et de votre fuite ?

    PRE UBU.Oui ! je nai plus peur, mais jai encore la fuite.

    COTICE ( part.)Quel pourceau.

    PRE UBUEh ! sire Cotice, votre oneille, comment va-t-elle ?

    COTICEAussi bien, Monsieuye, quelle peut aller tout en allant trs mal. Parconsquent de quoye, le plomb la penche vers la terre et je nai pu extrairela balle.

    PRE UBUTiens, cest bien fait ! Toi, aussi, tu voulais toujours taper les autres. Moijai dploy la plus grande valeur, et sans mexposer jai massacr quatreennemis de ma propre main, sans compter tous ceux qui taient dj mortset que nous avons achevs.

    COTICESavez-vous, Pile, ce quest devenu le petit Rensky ?

    PILEIl a reu une balle dans la tte.

    PRE UBUAinsi que le coquelicot et le pissenlit la fleur de leur ge sont fauchs parlimpitoyable faux de limpitoyable faucheur qui fauche impitoyablement

  • 63

    leur pitoyable binette, ainsi le petit Rensky a fait le coquelicot ; il sest fortbien battu cependant, mais aussi il y avait trop de Russes.

    PILE et COTICEHon, Monsieuye !

    UN CHOHhrron !

    PILEQuest-ce ? Armons-nous de nos lumelles.

    PRE UBUAh, non ! par exemple, encore des Russes, je parie ! Jen ai assez ! et puiscest bien simple, sils mattrapent ji lon fous la poche.

  • 64

    Scne VI

    LES MMES, entre UN OURS.

    COTICEHon, Monsieuye des Finances !

    PRE UBUOh ! tiens, regardez donc le petit toutou. Il est gentil, ma foi.

    PILEPrenez garde ! Ah ! quel norme ours : mes cartouches !

    PRE UBUUn ours ! Ah ! latroce bte. Oh ! pauvre homme, me voil mang. Que Dieume protge. Et il vient sur moi. Non, cest Cotice quil attrape. Ah je respire.

    (LOurs se jette sur Cotice. Pile lattaque coups de couteau. Ubu serfugie sur un rocher.)

    COTICE moi, Pile ! moi ! au secours, Monsieuye Ubu !

    PRE UBUBernique ! Dbrouille-toi, mon ami pour le moment, nous faisons notre PaterNoster. Chacun son tour dtre mang.

    PILEJe lai, je le tiens.

    COTICEFerme, ami, il commence me lcher.

    PRE UBUSanctificetur nomen tuum.

    COTICELche bougre !

    PILEAh ! il me mord ! O Seigneur, sauvez-nous, je suis mort.

  • 65

    PRE UBUFiat volontas tua.

    COTICEAh ! jai russi le blesser.

    PILEHurrah ! il perd son sang.

    (Au milieu des cris des Palotins, lOurs beugle de douleur et Ubucontinue marmotter.)

    COTICETiens-le ferme que jattrape mon coup-de-poing explosif.

    PRE UBUPanem nostrum quotidianum da nobis hodie.

    PILELas-tu enfin, je nen peux plus.

    PRE UBUSicut et nos dimittimus debitoribus nostris.

    COTICEAh ! je lai.

    (Une explosion retentit et lOurs tombe mort.)

    PILE et COTICEVictoire !

    PRE UBUSed libera nos a malo. Amen. Enfin, est-il bien mort ? Puis-je descendre demon rocher ?

    PILE (avec mpris.)Tant que vous voudrez.

    PRE UBU (descendant.)Vous pouvez vous flatter que si vous tes encore vivants et si vous foulezencore la neige de Lituanie, vous le devez la vertu magnanime du Matredes Finances, qui sest vertu, chin et gosill dbiter des patentres

  • 66

    pour votre salut, et qui a mani avec autant de courage le glaive spirituelde la prire que vous avez mani avec adresse le temporel de lici prsentPalotin Cotice coup-de-poing explosif. Nous avons mme pouss plus loinnotre dvouement, car nous navons pas hsit monter sur un rocher forthaut pour que nos prires aient moins loin arriver au ciel.

    PILERvoltante bourrique.

    PRE UBUVoici une grosse bte. Grce moi, vous avez de quoi souper. Quel ventre,messieurs ! Les Grecs y auraient t plus laise que dans le cheval de bois,et peu sen est fallu, chers amis, que nous nayons pu aller vrifier de nospropres yeux sa capacit intrieure.

    PILEJe meurs de faim. Que manger ?

    COTICELours !

    PRE UBUEh ! pauvres gens, allez-vous le manger tout cru ? Nous navons rien pourfaire du feu.

    PILENavons-nous pas nos pierres fusil ?

    PRE UBUTiens, cest vrai. Et puis il me semble que voil non loin dici un petit boiso il doit y avoir des branches sches. Va en chercher, Sire Cotice.

    (Cotice sloigne travers la neige.)

    PILEEt maintenant, Sire Ubu, allez dpecer lours.

    PRE UBUOh non ! Il nest peut-tre pas mort Tandis que toi, qui es dj moiti manget mordu de toutes parts, cest tout fait dans ton rle. Je vais allumer dufeu en attendant quil apporte du bois.

    (Pile commence dpecer lours.)

  • 67

    PRE UBUOh, prends garde ! il a boug.

    PILEMais, Sire Ubu, il est dj tout froid.

    PRE UBUCest dommage, il aurait mieux valu le manger chaud. Ceci va procurer uneindigestion au Matre des Finances.

    PILE ( part.)Cest rvoltant. (Haut.) Aidez-nous un peu, Monsieur Ubu, je ne puis fairetoute la besogne.

    PRE UBUNon, je ne veux rien faire, moi ! Je suis fatigu, bien sr !

    COTICE (rentrant.)Quelle neige, mes amis, on se dirait en Castille ou au ple Nord. La nuitcommence tomber. Dans une heure il fera noir. Htons-nous pour voirencore clair.

    PRE UBUOui, entends-tu, Pile ? hte-toi. Htez-vous tous les deux ! Embrochez labte, cuisez la bte, jai faim, moi !

    PILEAh, cest trop fort, la fin ! Il faudra travailler ou bien tu nauras rien,entends-tu, goinfre !

    PRE UBUOh ! a mest gal, jaime autant le manger tout cru, cest vous qui serezbien attraps. Et puis jai sommeil, moi !

    COTICEQue voulez-vous, Pile ? Faisons le dner tout seuls. Il nen aura pas, voiltout. Ou bien on pourra lui donner les os.

    PILECest bien. Ah, voil le feu qui flambe.

  • 68

    PRE UBUOh ! cest bon a, il fait chaud maintenant. Mais je vois des Russes partout.Quelle fuite, grand Dieu ! Ah ! (Il tombe endormi.)

    COTICEJe voudrais savoir si ce que disait Rensky est vrai, si la Mre Ubu estvraiment dtrne. a naurait rien dimpossible.

    PILEFinissons de faire le souper.

    COTICENon, nous avons parler de choses plus importantes. Je pense quil seraitbon de nous enqurir de la vracit de ces nouvelles.

    PILECest vrai, faut-il abandonner le Pre Ubu ou rester avec lui ?

    COTICELa nuit porte conseil. Dormons, nous verrons demain ce quil faut faire.

    PILENon, il vaut mieux profiter de la nuit pour nous en aller.

    COTICEPartons, alors.

    (Ils partent.)

  • 69

    Scne VII

    PRE UBU parle en dormant.Ah ! Sire Dragon russe, faites attention, ne tirez pas par ici, il y a du monde.Ah ! voil Bordure, quil est mauvais, on dirait un ours. Et Bougrelas quivient sur moi ! Lours, lours ! Ah ! le voil bas ! quil est dur, grand Dieu !Je ne veux rien faire, moi ! Va-ten, Bougrelas ! Entends-tu, drle ? VoilRensky maintenant, et le Czar ! Oh ! ils vont me battre. Et la Rbue. Oas-tu pris tout cet or ? Tu mas pris mon or, misrable, tu as t farfouilldans mon tombeau qui est dans la cathdrale de Varsovie, prs de la Lune.Je suis mort depuis longtemps, moi, cest Bougrelas qui ma tu et je suisenterr Varsovie prs de Vladislas le Grand, et aussi Cracovie prs deJean Sigismond, et aussi Thorn dans la casemate avec Bordure ! Le voilencore. Mais va-ten, maudit ours. Tu ressembles Bordure. Entends-tu,bte de Satan ? Non, il nentend pas, les Salopins lui ont coup les oneilles.Dcervelez, tudez, coupez les oneilles, arrachez la finance et buvez jusqula mort, cest la vie des Salopins, cest le bonheur du Matre des Finances.(Il se tait et dort.)

    FIN DU QUATRIME ACTE.

  • 70

    Acte VScne premire

    Il fait nuit. LE PRE UBU dort. Entre LA MREUBU sans le voir. Lobscurit est complte.

    MRE UBUEnfin, me voil labri. Je suis seule ici, ce nest pas dommage, mais quellecourse effrne traverser toute la Pologne en quatre jours ! Tous les malheursmont assaillie la fois. Aussitt partie cette grosse bourrique, je vais lacrypte menrichir. Bientt aprs je manque dtre lapide par ce Bougrelas etces enrags. Je perds mon cavalier le Palotin Giron qui tait si amoureux demes attraits quil se pmait daise en me voyant, et mme, ma-t-on assur,en ne me voyant pas, ce qui est le comble de la tendresse. Il se serait faitcouper en deux pour moi, le pauvre garon. La preuve, cest quil a t coupen quatre par Bougrelas. Pif paf pan ! Ah ! je pense mourir, Ensuite donc jeprends la fuite poursuivie par la foule en fureur. Je quitte le palais, jarrive la Vistule, tous les ponts taient gards. Je passe le fleuve la nage, esprantainsi lasser mes perscuteurs de tous cts la noblesse se rassemble et mepoursuit. Je manque mille fois prir, touffe dans un cercle de Polonaisacharns me perdre. Enfin je trompai leur fureur, et aprs quatre jours decourses dans la neige de ce qui fut mon royaume jarrive me rfugier ici. Jenai ni bu ni mang ces quatre jours, Bougrelas me serrait de prs Enfinme voil sauve. Ah ! je suis morte de fatigue et de froid. Mais je voudraisbien savoir ce quest devenu mon gros polichinelle, je veux dire mon trsrespectable poux. Lui en ai-je pris, de la finance. Lui en ai-je vol, desrixdales. Lui en ai-je tir, des carottes. Et son cheval finances qui mouraitde faim : il ne voyait pas souvent davoine, le pauvre diable. Ah ! la bonnehistoire. Mais hlas ! jai perdu mon trsor ! Il est Varsovie, ira le chercherqui voudra.

    PRE UBU (commenant se rveiller.)Attrapez la Mre Ubu, coupez les oneilles !

    MRE UBUAh ! Dieu ! O suis-je ? Je perds la tte. Ah ! non, Seigneur !

    Grce au ciel jentrevois.Monsieur le Pre Ubu qui dort auprs de moi.

  • 71

    Faisons la gentille. Eh bien, mon gros bonhomme, as-tu bien dormi ?

    PRE UBUFort mal ! Il tait bien dur cet ours ! Combat des voraces contre les coriaces,mais les voraces ont compltement mang et dvor les coriaces, commevous le verrez quand il fera jour : entendez-vous, nobles Palotins !

    MRE UBUQuest-ce quil bafouille ? Il est encore plus bte que quand il est parti. qui en a-t-il ?

    PRE UBUCotice, Pile, rpondez-moi, sac merdre ! O tes-vous ? Ah ! jai peur.Mais enfin on a parl. Qui a parl ? Ce nest pas lours, je suppose. Mordre !O sont mes allumettes ? Ah ! je les ai perdues la bataille.

    MRE UBU ( part.)Profitons de la situation et de la nuit, simulons une apparition surnaturelleet faisons-lui promettre de nous pardonner nos larcins.

    PRE UBUMais, par saint Antoine ! on parle. Jambe-dieu ! Je veux tre pendu !

    MRE UBU (grossissant sa voix.)Oui, monsieur Ubu, on parle, en effet, et la trompette de larchange quidoit tirer les morts de la cendre et de la poussire finale ne parlerait pasautrement ! coutez cette voix svre. Cest celle de saint Gabriel qui nepeut donner que de bons conseils.

    PRE UBUOh ! a, en effet !

    MRE UBUNe minterrompez pas ou je me tais et cen sera fait de votre giborgne !

    PRE UBUAh ! ma gidouille ! Je me tais, je ne dis plus mot. Continuez, madamelApparition !

    MRE UBUNous disions, monsieur Ubu, que vous tiez un gros bonhomme !

  • 72

    PRE UBUTrs gros, en effet, ceci est juste.

    MRE UBUTaisez-vous, de par Dieu !

    PRE UBUOh ! les anges ne jurent pas !

    MRE UBU ( part.)Merdre ! (Continuant.) Vous tes mari, Monsieur Ubu.

    PRE UBUParfaitement, la dernire des chipies !

    MRE UBUVous voulez dire que cest une femme charmante.

    PRE UBUUne horreur. Elle a des griffes partout, on ne sait par o la prendre.

    MRE UBUIl faut la prendre par la douceur, sire Ubu, et si vous la prenez ainsi vousverrez quelle est au moins lgale de la Vnus de Capoue.

    PRE UBUQui dites-vous qui a des poux ?

    MRE UBUVous ncoutez pas, monsieur Ubu ; prtez-nous une oreille plus attentive.( part.) Mais htons-nous, le jour va se lever. Monsieur Ubu, votre femmeest adorable et dlicieuse, elle na pas un seul dfaut.

    PRE UBUVous vous trompez, il ny a pas un dfaut quelle ne possde.

    MRE UBUSilence donc ! Votre femme ne vous fait pas dinfidlits !

    PRE UBUJe voudrais bien voir qui pourrait tre amoureux delle. Cest une harpie !

  • 73

    MRE UBUElle ne boit pas !

    PRE UBUDepuis que jai pris la cl de la cave. Avant, sept heures du matin elle taitronde et elle se parfumait leau-de-vie. Maintenant quelle se parfume lhliotrope elle ne sent pas plus mauvais. a mest gal. Mais maintenantil ny a plus que moi tre rond !

    MRE UBUSot personnage ! Votre femme ne vous prend pas votre or.

    PRE UBUNon, cest drle !

    MRE UBUElle ne dtourne pas un sou !

    PRE UBUTmoin monsieur notre noble et infortun cheval Phynances, qui, ntantpas nourri depuis trois mois, a d faire la campagne entire tran par la bride travers lUkraine.Aussi est-il mort la tche, la pauvre bte !

    MRE UBUTout ceci sont des mensonges, votre femme est un modle et vous quelmonstre vous faites !

    PRE UBUTout ceci sont des vrits, ma femme est une coquine et vous quelle andouillevous faites !

    MRE UBUPrenez garde, Pre Ubu.

    PRE UBUAh ! cest vrai, joubliais qui je parlais. Non, je nai pas dit a !

    MRE UBUVous avez tu Venceslas.

  • 74

    PRE UBUCe nest pas ma faute, moi, bien sr. Cest la Mre Ubu qui a voulu.

    MRE UBUVous avez fait mourir Boleslas et Ladislas.

    PRE UBUTant pis pour eux ! Ils voulaient me taper !

    MRE UBUVous navez pas tenu votre promesse envers Bordure et plus tard vous laveztu.

    PRE UBUJaime mieux que ce soit moi que lui qui rgne en Lituanie. Pour le momenta nest ni lun ni lautre. Ainsi vous voyez que a nest pas moi.

    MRE UBUVous navez quune manire de vous faire pardonner tous vos mfaits.

    PRE UBULaquelle ? Je suis tout dispos devenir un saint homme, je veux tre vqueet voir mon nom sur le calendrier.

    MRE UBUIl faut pardonner la Mre Ubu davoir dtourn un peu dargent.

    PRE UBUEh bien, voil ! Je lui pardonnerai quand elle maura rendu tout, quelle aurat bien rosse, et quelle aura ressuscit mon cheval finances.

    MRE UBUIl en est toqu de son cheval ! Ah ! je suis perdue, le jour se lve.

    PRE UBUMais enfin je suis content de savoir maintenant assurment que ma chrepouse me volait. Je le sais maintenant de source sre. Omnis a Deo scientia,ce qui veut dire : Omnis, toute ; a Deo, science ; scientia, vient de Dieu.Voil lexplication du phnomne. Mais madame lApparition ne dit plusrien. Que ne puis-je lui offrir de quoi se rconforter. Ce quelle disait taittrs amusant. Tiens, mais il fait jour ! Ah ! Seigneur, de par mon cheval finances, cest la Mre Ubu !

  • 75

    MRE UBU (effrontment.)a nest pas vrai, je vais vous excommunier.

    PRE UBUAh ! charogne !

    MRE UBUQuelle impit.

    PRE UBUAh ! cest trop fort. Je vois bien que cest toi, sotte chipie ! Pourquoi diablees-tu ici ?

    MRE UBUGiron est mort et les Polonais mont chasse.

    PRE UBUEt moi, ce sont les Russes qui mont chass : les beaux esprits se rencontrent.

    MRE UBUDis donc quun bel esprit a rencontr une bourrique !

    PRE UBUAh ! eh bien, il va rencontrer un palmipde maintenant. (Il lui jette lours.)

    MRE UBU (tombant accable sous le poids lours.)Ah ! grand Dieu ! Quelle horreur ! Ah ! je meurs ! Jtouffe ! il me mord !Il mavale ! il me digre !

    PRE UBUIl est mort ! grotesque. Oh ! mais, au fait, peut-tre que non ! Ah ! Seigneur !non, il nest pas mort, sauvons-nous. (Remontant son rocher.) Pater nosterqui es

    MRE UBU (se dbarrassant.)Tiens ! o est-il ?

    PRE UBUAh ! Seigneur ! la voil encore ! Sotte crature, il ny a donc pas moyen dese dbarrasser delle. Est-il mort, cet ours ?

  • 76

    MRE UBUEh oui, sotte bourrique, il est dj tout froid. Comment est-il venu ici ?

    PRE UBU (confus.)Je ne sais pas. Ah ! si, je sais ! Il a voulu manger Pile et Cotice et moi jelai tu dun coup de Pater Noster.

    MRE UBUPile, Cotice, Pater Noster. Quest-ce que cest que a ? il est fou, ma finance !

    PRE UBUCest trs exact ce que je dis ! Et toi tu es idiote, ma giborgne !

    MRE UBURaconte-moi ta campagne, Pre Ubu.

    PRE UBUOh ! dame, non ! Cest trop long. Tout ce que je sais, cest que malgr monincontestable Vaillance tout le monde ma battu.

    MRE UBUComment, mme les Polonais ?

    PRE UBUIls criaient : Vivent Venceslas et Bougrelas. Jai cru quon voulaitmcarteler. Oh ! les enrags ! Et puis ils ont Rensky !

    MRE UBUa mest bien gal ! Tu sais que Bougrelas a tu le Palotin Giron !

    PRE UBUa mest bien gal ! Et puis ils ont tu le pauvre Lascy !

    MRE UBUa mest bien gal !

    PRE UBUOh ! mais tout de mme, arrive ici, charogne ! Mets-toi genoux devant tonmatre (il lempoigne et la jette genoux), tu vas subir le dernier supplice.

    MRE UBUHo, ho, monsieur Ubu !

  • 77

    PRE UBUOh ! oh ! oh ! aprs, as-tu fini ? Moi je commence : torsion du nez,arrachement des cheveux, pntration du petit bout de bois dans les oneilles,extraction de la cervelle par les talons, lacration du postrieur, suppressionpartielle ou mme totale de la moelle pinire (si au moins a pouvait luiter les pines du caractre), sans oublier louverture de la vessie natatoireet finalement la grande dcollation renouvele de saint Jean-Baptiste, le touttir des trs saintes critures, tant de lAncien que du Nouveau Testament,mis en ordre, corrig et perfectionn par lici prsent Matre des Finances !a te va-t-il, andouille ?

    (Il la dchire.)

    MRE UBUGrce, monsieur Ubu !

    (Grand bruit lentre de la caverne.)

  • 78

    Scne II

    LES MMES, BOUGRELAS se ruantdans la caverne avec ses SOLDATS.

    BOUGRELASEn avant, mes amis ! Vive la Pologne !

    PRE UBUOh ! oh ! attends un peu, monsieur le Polognard. Attends que jen aie finiavec madame ma moiti !

    BOUGRELAS (le frappant.)Tiens, lche, gueux, sacripant, mcrant, musulman !

    PRE UBU (ripostant.)Tiens ! Polognard, solard, btard, hussard, tartare, cafard, cafard,mouchard, savoyard, communard !

    MRE UBU (le battant aussi.)Tiens, capon, cochon, flon, histrion, fripon, souillon, polochon !

    (Les Soldats se ruent sur les Ubs, qui se dfendent de leur mieux.)

    PRE UBUDieux ! quels renfoncements !

    MRE UBUOn a des pieds, messieurs les Polonais.

    PRE UBUDe par ma chandelle verte, a va-t-il finir, la fin de la fin ? Encore un ! Ah !si javais ici mon cheval phynances !

    BOUGRELASTapez, tapez toujours.

    VOIX AU-DEHORSVive le Pre Ubu, notre grand financier !

  • 79

    PRE UBUAh ! les voil. Hurrah ! Voil les Pres Ubus. En avant, arrivez, on a besoinde vous, messieurs des Finances !

    (Entrent les Palotins, qui se jettent dans la mle.)

    COTICE la porte les Polonais !

    PILEHon ! nous nous revoyons Monsieuye des Finances. En avant, poussezVigoureusement gagnez porte, une fois dehors il ny aura plus qu se sauver.

    PRE UBUOh ! a, cest mon plus fort. O comme il tape.

    BOUGRELASDieu ! je suis bless.

    STANISLAS LECZINSKICe nest rien, Sire.

    BOUGRELASNon, je suis seulement tourdi.

    JEAN SOBIESKITapez, tapez toujours, ils gagnent la porte, les gueux.

    COTICEOn approche, suivez le monde. Par consquent de quoye, je vois le ciel.

    PILECourage, sire Ubu.

    PRE UBUAh ! jen fais dans ma culotte. En avant, cornegidouille ! Tudez, saignez,corchez, massacrez, corne dUbu ! Ah ! a diminue !

    COTICEIl ny en a plus que deux garder la porte.

    PRE UBU (les assommant coups dours.)Et dun, et de deux ! Ouf ! me voil dehors ! Sauvons-nous! suivez, lesautres, et vivement !

  • 80

    Scne III

    La scne reprsente la province de Livonie couverte de neige.LES UBS et LEUR SUITE en fuite.

    PRE UBUAh ! je crois quils ont renonc nous attraper.

    MRE UBUOui, Bougrelas est all se faire couronner.

    PRE UBUJe ne la lui envie pas, sa couronne.

    MRE UBUTu as bien raison, Pre Ubu.

    (Ils disparaissent dans le lointain.)

  • 81

    Scne IV

    Le pont dun navire courant au plus prs sur laBaltique. Sur le pont le PRE UBU et toute sa bande.

    LE COMMANDANTAh ! quelle belle brise.

    PRE UBUIl est de fait que nous filons avec une rapidit qui tient du prodige. Nousdevons faire au moins un million de nuds lheure, et ces nuds ont cecide bon quune fois faits ils ne se dfont pas. Il est vrai que nous avons ventarrire.

    PILEQuel triste imbcile.

    (Une rise arrive, le navire couche et blanchit la mer.)

    PRE UBUOh ! Ah ! Dieu ! nous voil chavirs. Mais il va tout de travers, il va tomberton bateau.

    LE COMMANDANTTout le monde sous le vent, bordez la misaine !

    PRE UBUAh ! mais non, par exemple ! Ne vous mettez pas tous du mme ct ! Cestimprudent a. Et supposez que le vent vienne changer de ct : tout lemonde irait au fond de leau et les poissons nous mangeront.

    LE COMMANDANTNarrivez pas, serrez prs et plein !

    PRE UBUSi ! Si ! Arrivez. Je suis press, moi ! Arrivez, entendez-vous ! Cest ta faute,brute de capitaine, si nous narrivons pas. Nous devrions tre arrivs. Oh !oh, mais je vais commander, moi, alors ! Pare virer ! Dieu vat. Mouillez,virez vent devant, virez vent arrire. Hissez les voiles, serrez les voiles, labarre dessus, la barre dessous, la barre ct. Vous voyez, a va trs bien.Venez en travers la lame et alors ce sera parfait.

    (Tous se tordent, la brise frachit.)

  • 82

    LE COMMANDANTAmenez le grand foc, prenez un ris aux huniers !

    PRE UBUCeci nest pas mal, cest mme bon ! Entendez-vous, monsieur lquipage ?amenez le grand coq et allez faire un tour dans les pruniers.

    (Plusieurs agonisent de rire. Une lame embarque.)

    PRE UBUOh ! quel dluge ! Ceci est un effet des manuvres que nous avonsordonnes.

    MRE UBU et PILEDlicieuse chose que la navigation.

    (Deuxime lame embarque.)

    PILE (inond.)Mfiez-vous de Satan et de ses pompes.

    PRE UBUSire garon, apportez-nous boire.

    (Tous sinstallent boire.)

    MRE UBUAh ! quel dlice de revoir bientt la douce France, nos vieux amis et notrechteau de Mondragon !

    PRE UBUEh ! nous y serons bientt. Nous arrivons linstant sous le chteaudElseneur.

    PILEJe me sens ragaillardi lide de revoir ma chre Espagne.

    COTICEOui, et nous blouirons nos compatriotes des rcits de nos aventuresmerveilleuses.

    PRE UBUOh ! a, videmment ! Et moi je me ferai nommer Matre des Finances Paris.

  • 83

    MRE UBUCest cela ! Ah ! quelle secousse !

    COTICECe nest rien, nous venons de doubler la pointe dElseneur.

    PILEEt maintenant notre noble navire slance toute vitesse sur les sombreslames de la mer du Nord.

    PRE UBUMer farouche et inhospitalire qui baigne le pays appel Germanie, ainsinomm parce que les habitants de ce pays sont tous cousins germains.

    MRE UBUVoil ce que jappelle de lrudition. On dit ce pays fort beau.

    PRE UBUAh ! messieurs ! si beau quil soit il ne vaut pas la Pologne. Sil ny avaitpas de Pologne il ny aurait pas de Polonais !Et maintenant, comme vous avez bien cout et vous tes tenus tranquilles,on va vous chanter

    LA CHANSON DU DCERVELAGE

    Je fus pendant longtemps ouvrier bniste,Dans la rudu Champ dMars, dla paroissde Toussaints.Mon pouse exerait la profession dmodiste, Et nous navions jamais manqu de rien. Quand le dimanchsannonait sans nuage, Nous exhibions nos beaux accoutrements Et nous allions voir le dcervelage RudlEchaud, passer un bon moment.Voyez, voyez la machintourner,Voyez, voyez la cervellsauter,Voyez, voyez les Rentier trembler ;(CHUR) : Hourra, cornes-au-cul, vive le Pre Ubu !

    Nos deux marmots chris, barbouills dconfitures, Brandissant avec joides poupins en papier, Avec nous sinstallaient sur le haut dla voitureEt nous roulions gament vers lchaud.

  • 84

    On sprcipite en foule la barrire, On sfichdes coups pour tre au premier rang ; Moi je mmettais toujours sur un tas dpierres Pour pas salir mes godillots dans lsang.Voyez, voyez la machintourner,Voyez, voyez la cervellsauter,Voyez, voyez les Rentiers trembler ;(CHUR) : Hourra, cornes-au-cul, vive le Pre Ubu !

    Bientt ma femme et moi nous somms tout blancs dcervelle, Les marmots en boulottnt et tous nous trpignons En voyant lPalotin qui brandit sa lumelle, Et les blessurs et les numros dplomb. Soudain jperois dans lcoin, prs dla machine, La gueuldun bonzqui nmrevient qu moiti. Mon vieux, que jdis, je rconnais ta bobine, Tu mas vol, cest pas moi qui tplaindrai.Voyez, voyez la machintourner,Voyez, voyez la cervellsauter,Voyez, voyez les Rentiers trembler ;(CHUR) : Hourra, cornes-au-cul, vive le Pre Ubu !

    Soudain jme sens tirer la manchpar mon pouse :Espcdandouill, quellmdit, vl lmoment dte montrer : Flanque-lui par la gueule un bon gros paquet dbouse, Vl lPalotin justle dos tourn. - En entendant ce raisonnment superbe, Jattrapsus lcoup mon courage deux mains Jflanque au Rentier une gigantesque merdre Qui saplatit sur lnez du Palotin.Voyez voyez la machintourner,Voyez, voyez la cervellsauter,Voyez, voyez les Rentiers trembler ;(CHUR) : Hourra, cornes-au-cul, vive le Pre Ubu !

    Aussitt jsuis lanc par-dessus la barrire, Par la foule en fureur je me vois bouscul Et jsuis prcipit la tte la premire Dans lgrand trou noir dous quon nrevient jamais. Voil cque cest qudaller spromner ldimanche

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    RudlEchaud pour voir dcerveler, Marcher lPinc-Porc ou bien lDmanch-Comanche, On part vivant et lon revient tud.Voyez, voyez la machintourner,Voyez, voyez la cervellsauter,Voyez, voyez les Rentiers trembler(CHUR) : Hourra, cornes-au-cul, vive le Pre Ubu !

    FIN

  • 86

    Ubu enchan

    5 ACTES

    AUX PLUSIEURS MAITRES QUI AFFERMIRENT

    SA COURONNE QUAND IL TAIT ROI UBU ENCHAIN

    OFFRE LHOMMAGE DESES FERS

    Pre Ubu. Cornegidouille ! nous naurons point tout dmoli si nousne dmolissons mme les ruines ! Or je ny vols dautre moyen que

    den quilibrer de beaux difices bien ordonns.

  • 87

    PersonnagesPRE UBU.MRE UBU.ELEUTHRE.PISSEDOUX.PISSEMBOCK.LORD CATOBLEPAS.JACK : son domestique.FRRE TIBERGE.LES TROIS HOMMES LIBRES.SOLIMAN : sultan des Turcs.LE VIZIR.LE GELIER.DVOTES.LE PRSIDENT.JUGES.AVOCATS.GREFFIERS.HUISSIERS.GARDES.POLICIERS.DMOLISSEURS.ARGOUSINS.LE DOYEN DES FORATS.FORATS.PEUPLE.

  • 88

    Acte premierScne premire

    PRE UBU, MRE UBU

    PRE UBU savance et ne dit rien.

    MRE UBUQuoi ! tu ne dis rien, Pre Ubu. As-tu donc oubli le mot ?

    PRE UBUMre Ubu ! je ne veux plus prononcer le mot, il ma valu trop dedsagrments.

    MRE UBUComment, des dsagrments ! Le trne de Pologne, la grande capeline, leparapluie

    PRE UBUMre Ubu, je ne tiens plus au parapluie, cest trop difficile manuvrer,jaurai plus tt fait, par ma science en physique, dempcher de pleuvoir !

    MRE UBUSotte bourrique ! les biens des nobles confisqus, les impts perus prsde trois fois, mon aimable prsence ton rveil dans la caverne de lours, lepassage gratuit sur le navire qui nous ramena en France, o, par la vertu de cebienheureux mot, tu vas tre nomm quand il te plaira Matre des Finances !Nous voici en France, Pre Ubu. Est-ce le moment de ne plus savoir parlerfranais ?

    PRE UBUCornegidouille, Mre Ubu, je parlais franais quand nous tions en Pologne ;cela na pas empch le jeune Bougrelas de me dcoudre la boudouille,le capitaine Bordure de me trahir de la faon la plus indigne, le Czar defaire peur mon cheval phynances en se laissant sottement tomber dansun foss, les ennemis de tirer, malgr nos recommandations, du ct denotre prcieuse personne ; lours de dchirer nos palotins, bien que nouslui parlassions latin de sur notre rocher, et vous, madame notre pouse, dedilapider nos trsors et les douze sous par jour de notre cheval phynances !

  • 89

    MRE UBUOublie comme moi ces petites misres. Mais de quoi vivrons-nous si tu neveux plus tre Matre des Finances ni roi ?

    PRE UBUDu travail de nos mains, Mre Ubu !

    MRE UBUComment, Pre Ubu, tu veux assommer les passants ?

    PRE UBUO non ! ils nauraient qu me rendre les coups ! Je veux tre bon pourles passants, tre utile aux passants, travailler pour les passants, Mre Ubu.Puisque nous sommes dans le pays o la libert est gale la fraternit,laquelle nest comparable qu lgalit de la lgalit, et que je ne suis pascapable de faire comme tout le monde et que cela mest gal dtre gal tout le monde puisque cest encore moi qui finirai par tuer tout le monde, jevais me mettre esclave, Mre Ubu !

    MRE UBUEsclave ! mais tu es trop gros, Pre Ubu !

    PRE UBUJe ferai mieux la grosse besogne. Et vous, madame notre femelle, allez nousprparer notre tablier desclave, et notre balai desclave, et notre crochetdesclave, et notre bote cirer desclave, et vous, restez telle que vous tes,afin que chacun voie nen pas douter que vous avez revtu votre beaucostume de cuisinire esclave !

  • 90

    Scne II

    Le Champ-de-MarsLES TROIS HOMMES LIBRES, LE CAPORAL

    LES TROIS HOMMES LIBRESNous sommes les hommes libres, et voici notre caporal. Vive la libert, lalibert, la libert ! Nous sommes libres. Noublions pas que notre devoir,cest dtre libres. Allons moins vite, nous arriverions lheure. La libert,cest de narriver jamais lheure jamais, jamais ! pour nos exercicesde libert. Dsobissons avec ensemble Non ! pas ensemble : une, deux,trois ! le premier un, le deuxime deux, le troisime trois. Voil toutela diffrence. Inventons chacun un temps diffrent, quoique ce soit bienfatigant. Dsobissons individuellement au caporal des hommes libres !

    LE CAPORALRassemblement !

    (Ils se dispersent.)Vous, lhomme libre numro trois, vous me ferez deux jours de salle depolice, pour vous tre mis, avec le numro deux, en rang. La thorie dit :Soyez libres ! Exercices individuels de dsobissance Lindisciplineaveugle et de tous les instants fait la force principale des hommes libres. Portez arme !

    LES TROIS HOMMES LIBRESParlons sur les rangs. Dsobissons. Le premier un, le deuxime deux,le troisime trois. Une, deux, trois !

    LE CAPORALAu temps ! Numro un, vous deviez poser larme terre ; numro deux, lalever la crosse en lair ; numro trois, la jeter six pas derrire et tcherde prendre ensuite une attitude libertaire. Rompez vos rangs ! Une, deux !une, deux !

    (Ils rassemblent et sortent en vitant de marcher au pas.)

  • 91

    Scne III

    PRE UBU, MRE UBU

    MRE UBUPre Ubu, Pre Ubu, que tu es beau avec ta casquette et ton tablier. Cherchemaintenant quelque homme libre, afin dessayer sur lui ton crochet et tabrosse cirer, et dentrer au plus vite en tes nouvelles fonctions.

    PRE UBUEh ! jen vois trois ou quatre qui se sauvent par l-bas.

    MRE UBUAttrape-s-en un, Pre Ubu.

    PRE UBUCornegidouille ! je ne demande pas autre chose ! Cirage des pieds, coupagedes cheveux, brlure de la moustache, enfoncement du petit bout de boisdans les oneilles

    MRE UBUEh ! tu perds la tte, Pre Ubu ! Tu te crois encore roi de Pologne.

    PRE UBUMadame ma femelle, je sais ce que je fais, et vous, vous ignorez ce que vousdites. Quand jtais roi, je faisais tout cela pour ma gloire et pour la Pologne ;et maintenant je vais avoir un petit tarif daprs lequel on me paiera : torsiondu nez, 3 fr. 25 par exemple. Pour une somme moindre encore, je vous feraipasser par votre propre casserole.

    (La Mre Ubu senfuit.)Suivons tout de mme ces gens, afin de leur faire nos offres de service.

  • 92

    Scne IV

    PRE UBU, LE CAPORAL, LES TROIS HOMMES LIBRES

    (Le Caporal et les Hommes libres dfilent quelque temps ; le Pre Ubuleur embote le pas.)

    LE CAPORALPortez arme !

    (Le Pre Ubu obit avec son balai.)

    PRE UBUVive larmerdre !

    LE CAPORALArrtez, arrtez ! ou plutt, non ! Dsobissants, ne vous arrtez pas !

    (Les Hommes libres sarrtent, le Pre Ubu se dtache.)Quelle est cette nouvelle recrue, plus libre que vous tous, qui a invent unmaniement darme que je nai jamais vu, depuis sept ans que je commande :Portez arme !

    PRE UBUNous avons obi, Monsieur, pour remplir nos devoirs desclave. Jai fait :portez arme.

    LE CAPORALJai expliqu bien des fois ce mouvement, mais cest la premire que je levois excuter. Vous savez mieux que moi la thorie de la libert. Vous prenezcelle de faire mme ce qui est ordonn. Vous tes un plus grand hommelibre, Monsieur ?

    PRE UBUMonsieur Ubu, ancien roi de Pologne et dAragon, comte de Mondragon,comte de Sandomir, marquis de Saint-Grgeois Actuellement, esclave, pourvous servir, Monsieur ?

    LE CAPORALLe Caporal des hommes libres, Pissedoux mais, quand il y a des dames,le marquis de Granpr Rappelez-vous, je vous prie, quil convient de ne medonner que mon titre, mme sil vous arrive davoir me commander, carje vous reconnais sergent pour le moins, par le savoir.

  • 93

    PRE UBUCaporal Pissedoux, on sen souviendra, monsieur. Mais je suis venu dansce pays pour tre esclave et non pour donner des ordres, quoique jaie tsergent, comme vous dites, quand jtais petit, et mme capitaine de dragons.Caporal Pissedoux, au revoir.

    (Il sort.)

    LE CAPORALAu revoir, comte de Saint-Grgeois. Escouade, halte !

    (Les Hommes libres se mettent en marche et sortent de lautre ct.)

  • 94

    Scne V

    LEUTHRE, PISSEMBOCK

    PISSEMBOCKMa petite leuthre, nous sommes, je crois, un peu en retard.

    LEUTHREMon oncle Pissembock

    PISSEMBOCKNe mappelle donc pas ainsi, mme quand il ny a personne ! Marquis deGrandair, nest-ce pas un nom plus simple, comme on en peut juger cequil ne fait pas retourner les gens ? Et puis tu peux bien dire, tout court :Mon oncle.

    LEUTHREMon oncle, cela ne fait rien que nous soyons en retard. Depuis que vousmavez obtenu remploi

    PISSEMBOCKPar mes hautes relations.

    LEUTHRE De cantinire des hommes libres, jai retenu quelques mots de leur thoriede la libert. Jarrive en retard, ils ne boivent pas, ils ont soif et comprennentdautant mieux lutilit dune cantinire.

    PISSEMBOCKAinsi, ils ne te voient jamais, et il serait beaucoup plus intelligent de ne pasvenir du tout, rtir quotidiennement ton oncle au grand soleil de ce champde manuvres.

    LEUTHREMon oncle Piss Mon oncle, qu cela ne tienne, que ne restez-vous chezvous ?

    PISSEMBOCKCe ne serait pas convenable, ma nice. Ma petite leuthre, il ne faut paslaisser les hommes libres prendre trop de liberts. Un oncle, sil nempche

  • 95

    rien, est une pudeur vivante. On nest pas une femme libre, on est unenice. Jai dj ingnieusement exig, quoique lusage de ce pays libre soitdaller tout nu, que tu ne sois dcollete que par les pieds

    LEUTHREEt vous ne machetez jamais de bottines.

    PISSEMBOCKJe crains moins dailleurs les hommes libres que ton fianc, le marquis deGranpr.

    LEUTHREQuoique vous donniez un bal en son honneur, ce soir Que son nom estbeau, mon oncle !

    PISSEMBOCKCest pourquoi, chre enfant, je te fais souvenir avec quelque insistance quilest malsant de mappeler devant lui

    LEUTHREPissembock, je noublierai pas, mon oncle.

  • 96

    Scne VI

    LES MMES, PRE UBU

    PRE UBUCes militaires ne sont pas riches, cest pourquoi jaimerais mieux servirdautres personnages. Eh ! cette fois, je dcouvre une jeune personnecharmante, qui a une ombrelle de soie verte et une dcoration rougeque lui porte un monsieur respectable. Tchons de ne pas leffrayer. Cornegidouille ! de par ma chandelle verte, ma douce enfant, je prends lalibert, votre libert de vous faire mes offres de service. Torsion du nez,extraction de la cervelle non, je me trompe : cirage des pieds

    LEUTHRELaissez-moi.

    PISSEMBOCKVous rvez, Monsieur, elle a les pieds nus.

  • 97

    Scne VII

    LES MMES, puis MRE UBU

    PRE UBUMre Ubu ! apporte le crochet cirer et la bote cirer et la brosse cirer,et viens me la tenir solidement par les pieds !

    (A Pissembock.)Quant vous, Monsieur !

    LEUTHRE et PISSEMBOCKAu secours !

    MRE UBU (accourant.)Voil ! Voil ! Pre Ubu. Je tobis. Mais que fais-tu avec ton attirail chaussures ? Elle na pas de chaussures.

    PRE UBUJe veux lui cirer les pieds avec la brosse cirer les pieds. Je suis esclave,cornegidouille ! Personne ne mempchera de faire mon devoir desclave.Je vais servir sans misricorde.Tudez, dcervelez !

    (La Mre Ubu tient leuthre. Le Pre Ubu se prcipite surPissembock.)

    MRE UBUQuelle brutalit stupide ! La voil vanouie maintenant.

    PISSEMBOCK (tombant.)Et moi, je suis mort !

    PRE UBU (cirant.)Je savais bien que je les ferais tenir tranquilles. Je naime pas que lon mefasse du tapage ! Je nai plus qu leur rclamer le salaire qui mest d, quejai honntement gagn la sueur de mon front.

    MRE UBURveille-la pour quelle te paye.

    PRE UBUO non ! Elle voudrait me donner un pourboire, sans doute ; je ne rclame quele juste prix de mon travail ; et puis, pour viter toute partialit, il faudrait

  • 98

    ressusciter le bonhomme que jai massacr, et ce serait trop long ; et enfinje dois, en bon esclave, prvenir ses moindres gestes. Eh ! voici le porte-finance de la jeune dame et le portefeuille du monsieur. la poche !

    MRE UBUTu gardes tout, Pre Ubu ?

    PRE UBUCrois-tu que je vais gaspiller le fruit de mon travail te faire des cadeaux,sotte chipie ?(Lisant des papiers.) Cinquante francs cinquante francs mille francsMonsieur Pissembock, marquis de Grandair.

    MRE UBUJe veux dire : vous ne lui laissez rien, Monsieur Ubu ?

    PRE UBUMre Ubu ! ji vous pche ave