inra magazine n°20 - mars 2012

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Le dossier du mois "L'eau, de la terre au verre" donne des exemples de recherche pour mesurer et réduire l'impact des activités humaines sur la pollution des eaux. Également à la une de ce nouveau numéro : l'Inra engagé dans le plan national de réduction des pesticides, la santé des enfants dans l'assiette des parents et la recherche comme objet de recherche.

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INRAN20 - mARs 2012

Alimentation Agriculture Environnement

magazine

w horizons LInra engag dans le plan national de rduction des pesticides w recherches La sant des enfants dans lassiette des parents w reportage La recherche comme objet de recherche

w dossier

Leau,

de la terre au verre

wsommaire03w horizonsLInra engag dans le plan national de rduction des pesticides Recherche, formation, exprimentation : tierc gagnant pour le partenariat agricole Regarder le pass en se tournant vers lavenir

Chers lecteurs,

C

06w recherches& innovationsTuberculose, paratuberculose : des agents trs spciaux Varits vgtales tolrantes aux herbicides, opportunits et risques pour les agriculteurs La sant des enfants dans lassiette des parents Fin des quotas laitiers, quelles consquences ?

13w dossier

Leau, de la terre au verre

25w reportageFrissons dans les bls La recherche comme objet de recherche Quand lInra prend le chemin des coliers

32w impressions 34w regardInnover dans la tradition

oncilier les performances conomiques, sociales et environnementales de lagriculture est plus que jamais une priorit de lInra. Inscrite dans le document dorientation 2010-2020, elle structure le dispositif de recherche, au travers notamment des schmas stratgiques de nombreux dpartements et de plusieurs programmes pluridisciplinaires. Elle se traduit aussi par un engagement sans faille dans le plan national Ecophyto 2018 qui vise rduire de 50%, si possible, lusage des pesticides lhorizon 2018. Dans le cadre de ce plan, lInra dveloppe des recherches cibles sur des verrous en matire de protection des cultures, ainsi quun systme dinformation sur les systmes de production conomes en pesticides. Ce systme dinformation a vocation slargir au-del de la seule dimension des phytosanitaires et constituera ainsi un outil partag sur les systmes agricoles innovants et durables dans les trois dimensions de lconomique, du social et de lenvironnement. Cest dans cette perspective quil y a deux ans maintenant, lInra a cr le Groupement Relance Agronomique (GIS RA), avec le ministre en charge de lAgriculture et les partenaires de la formation et du dveloppement. Ce groupement a pour objectif de coordonner entre ses membres les actions de recherche, dexprimentation et de formation sur les systmes de production agricole et les innovations en ce domaine. Relever le dfi de la durabilit de lagriculture est possible mais ncessite que tous les acteurs unissent leurs efforts dans le cadre dun partenariat renforc, chacun occupant sa place dans le respect de la diversit des enjeux et des approches. Ainsi, les possibilits de boucles de progrs seront multiplies.

Herv Guyomard

INSTITUT NATIONAL DE LA RECHERCHE AGRONOMIQUE 147 rue de lUniversit 75338 Paris Cedex 07

www.inra.frDirectrice de la publication : Marion Guillou. Directeur ditorial : Jean-Franois Launay. Directeur de la rdaction : Antoine Besse. Rdactrice en chef : Pascale Mollier. Rdaction : Laurent Cario, Brigitte Cauvin, Catherine Foucaud-Scheunemann, Evelyne Lhoste, Sylvia Marion, Ccile Poulain, Flavian Raynaudon, Grard Simonin, Anas Tibi. Photothque : Jean-Marie Bossennec, Julien Lanson, Christophe Matre. Couverture : Photo : goodluz - Fotolia.com. Maquette : Patricia Perrot. Conception initiale : Citizen Press - www.citizen-press.fr. Impression : Imprimerie CARACTERE. Imprim sur du papier issu de forts gres durablement. Dpt lgal : mars 2012.

Renseignements et abonnement : [email protected] Inra magazIne n20 mars 2012

ISSN : 1958-3923

LInra engag dans le plan national de

rduction des pesticidesgalement la conception dune base de donnes informatique pour rassembler les rsultats. Les exprimentations menes lInra depuis plus de dix ans bls rustiques Rennes, gestion des adventices Dijon, vergers Gotheron, vigne Couhins, etc. - dont certaines sont reprises dans Ecophyto 2018 - permettent de dfricher le terrain et dviter les fausses pistes, poursuit Christian Huyghe. Il est important de continuer collecter des rsultats dans toutes les rgions de France car ce qui marche ici ne marche pas ailleurs. Cest le rle de la recherche que dexplorer des solutions adaptes chaque contexte . LInra simplique dans la coordination entre les diffrentes formes de partenariats avec le monde agricole au travers du GIS Relance agronomique (voir article suivant). LInstitut coordonne aussi de grands projets europens, Endure et Pure , pour la mise en uvre de la protection intgre travers lEurope. Au total, des actions passes, prsentes et futures qui marquent lengagement de lInra dans la conception de nouveaux systmes de culture durables. Pascale Mollier

Inra / Inra Dijon UMR Agrocologie

dshERbagE mCanIQuE

R

En rponse la directive europenne 2009/128/CE, la France sest dote dun plan daction national, appel Ecophyto 2018, qui vise rduire de 50% lutilisation des pesticides si possible lhorizon 2018. LInra est partie prenante de cette dmarche, ayant inscrit la recherche de systmes agricoles durables dans ses axes prioritaires.

duire de 50% lutilisation des pesticides ncessiterait de convertir toute lagriculture franaise en production intgre (voir encadr), telle tait une des conclusions de ltude Ecophyto R&D, parue en 2010, pilote par lInra avec de nombreux partenaires (1). Mme si cette simulation comportait des limites mthodologiques assumes, elle donne une bonne ide de lampleur de la tche, analyse Christian Huyghe, directeur scientifique adjoint Agriculture de lInra. Si une telle volution est envisageable aujourdhui, cest que de nombreux acteurs sy sont dj engags depuis des annes... y compris la recherche . Aprs lexpertise collective Pesticides, agriculture et environnement (2005) et ltude Ecophyto R&D qui ont donn aux pouvoirs publics des lments de rflexion, lInra poursuit son engagement en participant au plan Ecophyto 2018 de plusieurs manires : par la recherche, par lexprimentation, par la structuration des partenariats.

LInstitut simplique dans les axes de recherche dfinis dans Ecophyto 2018, par exemple, llaboration dindicateurs dimpact des pesticides plus intgratifs que ceux dont on dispose actuellement. Mais au-del, cest une rorganisation de son dispositif de recherche que lInra a progressivement conduit pour mieux traiter la question de la rduction des intrants en agriculture : cration en 2000 dun dpartement interdisciplinaire consacr la protection des plantes, mise en uvre ds 1987 de programmes de Protection intgre des cultures et en 2011, dun mtaprogramme plus intgratif encore de Gestion durable de la sant des cultures qui associe les sciences sociales aux sciences agronomiques. LInra sinvestit dans deux grands dispositifs prvus dans le plan : dune part, des fermes pilotes (plus de 2 000 exploitations), dautre part, des dispositifs exprimentaux (une vingtaine) qui permettent de tester des solutions plus radicales. LInra prend en charge

La production intgre consiste substituer aux systmes intensifs cohrents qui ont prvalu dans les annes 70-80, des systmes tout aussi cohrents, mais bass sur une autre logique : la prvention, pour limiter les traitements. Il sagit de crer des conditions dfavorables aux pathognes et dutiliser le potentiel dautorgulation de lcosystme, par une combinaison de pratiques complmentaires : varits rsistantes, ajustement de la fertilisation azote, lutte biologique, diversification des cultures, voire introduction de nouvelles cultures et donc de nouvelles filires... La protection intgre , moins globale, consiste appliquer une ou plusieurs de ces pratiques aux systmes conventionnels.(1) www.inra.fr/l_institut/expertise/expertises_realisees

+dinfos

Oweb : www.inra.fr/les_recherches/l_inra_engage_dans_

agriculture ; Christian Huyghe, DS agriculture adjoint ; Philippe Lucas, charg de mission auprs du DS agriculture [email protected]

Ocontacts : Herv Guyomard, Directeur scientifique (DS)

ecophyto_2018

Inra magazIne n20 mars 2012

w horizons3

w horizons

Recherche, formation, exprimentation

tierc gagnant pour le partenariat agricolelAPCA. Pour Herv Guyomard, le partage de linformation est un point capital. Le GIS RA doit permettre de mutualiser les connaissances et de construire une base collective de donnes sur les systmes de culture, les pratiques et les innovations en agriculture . Identifier les verrous Dans laxe de travail recherche anim par Christian Huyghe (Inra), le GIS cherche identifier les verrous lever pour concevoir et faciliter ladoption de nouvelles pratiques. Il explore les initiatives venant de la recherche, du dveloppement, mais aussi des agriculteurs eux-mmes. Cet axe a notamment mis en lumire deux questions cls : lanalyse du plafonnement des performances en productions vgtales comme en productions animales, et le couplage animal-vgtal lchelle des territoires. Ce dernier sujet est linterface des champs de rflexion des GIS Grandes cultures et Elevages demain . Il fait cho plusieurs programmes de recherches transdisciplinaires de lInra. Les disciplines biologiques et agronomiques sont concernes tout autant que les sciences humaines.

Inra / Michel Meuret

L

Le groupement dIntrt scientifique Relance agronomique (gIs Ra) a t cr il y a deux ans pour renforcer la coopration entre la recherche, la formation et le dveloppement agricole. des clairages sont apports, avec quelques exemples de ralisations.

agriculture est confronte un triple dfi, alimentaire, nergtique et environnemental. Les systmes de production doivent voluer vers une agriculture haute valeur conomique et sociale, prservant les ressources et valorisant lenvironnement. Lors du Salon de lAgriculture 2010, Guy Riba, alors vice-prsident de lInra, soulignait la ncessit de tendre vers un changement radical des pratiques agricoles . Il ajoutait aussitt : chaque acteur na quune efficacit limite, cest donc tout le systme de recherche-formation-dveloppement que nous remobilisons en lanant, avec nos partenaires, le Groupement dIntrt Scientifique Relance Agronomique . Avec lagronomie - au sens large - au cur de sa dmarche, ce GIS (1) joue un rle de carrefour stratgique. Son objectif : laborer, reprer et diffuser plus efficacement les pratiques innovantes et durables vers les exploitations et les filires de production. Pour cela, il recherche les synergies entre les partenaires ; il coordonne les processus de

dcision dactions long terme ; il participe limplication plus troite dagriculteurs, eux-mmes sources dinnovation. Son prsident est Herv Guyomard, directeur scientifique Agriculture lInra, et son vice-prsident, Jo Giroud, secrtaire gnral de

Partenaires actuels du GIs Relance Agronomique Membres fondateurs :- Ministre de lAgriculture (Direction gnrale de lenseignement et de la recherche) - Inra - AgroParisTech - Acta, le rseau des instituts des filires animales et vgtales - APCA, Assemble permanente des chambres dagriculture - Onema, Office national de leau et des milieux aquatiques

Membres associs :- Coop de France - Rseau Trame - Rseau Agriculture Durable-CIVAM Le GIs est ouvert dautres partenaires et plusieurs demandes dadhsion sont en cours dexamen.

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ARTICULER LEs PRojETsDes Groupements dIntrt scientifique par thmatiques :- Biotechnologies vertes - Agenae - Sol

Des Units mixtes TechnologiquesExemples dUMT :

- Production intgre des cultures lgumires (PICleg) - Elevages demain - Systmes de production de grande culture hautes performances conomiques et environnementales (GCHP2E) En construction : - Fruits (2012) - Pisciculture demain (2012) - Viti

par filires :

- Gestion gntique et gnomique des populations bovines (G3) - Protection des abeilles dans lenvironnement (PRADE) - Connaissance et gestion des missions de protoxyde dazote par les cultures (GES N20)...

ressources naturelles et sur les milieux. Lobjectif est daboutir un maillage des nombreux dispositifs existants : units exprimentales de lInra, sites des instituts techniques ou des chambres dagriculture, rseaux dagriculteurs, etc. Diffuser les rsultats Le GIS veut assurer une plus grande visibilit des programmes multipartenaires, faciliter la connaissance mutuelle entre rseaux et mettre en commun leurs productions : ouvrages (2), guides pratiques, outils daide la dcision Une journe de restitution des rsultats de R&D obtenus dans le cadre de lappel doffres du CASDAR (3) sera organise tous les ans, la premire ayant eu lieu en novembre 2011. Les rsultats sont publis dans la revue en ligne de lInra Innovations agronomiques . Le site Internet fait la liaison entre les partenaires et rend les actions et rsultats accessibles pour tous les acteurs de lagriculture, de lenvironnement et du dveloppement territorial. l Brigitte Cauvin

Des Rseaux mixtes TechnologiquesExemples de RMT :

Le dispositif ECoPHYTo

- Elevages et environnement - Dveloppement de lagriculture biologique - Systmes de culture innovants...

Le GIS RA agit en interaction avec des dispositifs dj construits en multipartenariat et engags long terme : GIS thmatiques, GIS ddis une filire de production, UMT et RMT (1) pour ne citer que les principaux (2). Le GIS est galement en relation avec le plan ECOPHYTO 2018 lanc par le ministre en charge de lAgriculture (3).(1) Les units mixtes technologiques (UMT) rassemblent sur un mme site des partenaires de la recherche et du dveloppement autour dun programme prcis pour une dure de trois cinq ans. Les rseaux mixtes technologiques (RMT), plus larges, peuvent associer en plus des acteurs du conseil et de la formation (Acta, chambres dagriculture, tablissements denseignement), et des professionnels. Les UMT et les RMT sont issus de la Loi dorientation agricole de 2006. (2) Autres dispositifs ou dmarches multipartenaires impliqus : agro-transfert, GIS rgionaux, plates-formes technologiques et exprimentales, groupes filires, programmes Pour et sur le dveloppement rgional... (3) Ecophyto : http://agriculture.gouv.fr/ecophyto

Complter la formation Le GIS RA se dploie galement dans un axe ddi la formation des acteurs qui jouent un rle cl dans la transformation des pratiques agricoles : conseillers, enseignants, exprimentateurs, animateurs de bassins... Il sagit dinventorier les formations existantes, den proposer de nouvelles et de mieux diffuser lensemble. Pour Thierry Dor (AgroParisTech), qui anime cet axe : si lagronomie est au cur des formations, elles doivent aussi imprativement prendre en compte les volutions des mtiers . En 2011, une formation Conseiller demain en agronomie a t propose par AgroParisTech et Rsolia (centre de formation de lAPCA) en lien avec le RMT Systmes de culture innovants et avec lappui de lInra. Plusieurs groupes de travail ont t mis en place, notamment sur la dynamique du

changement, la mixit des publics en formation, et, en lien avec lOnema, la formation des animateurs daires dalimentation de captage deau. Coordonner les exprimentations Dans laxe exprimentation anim par Philippe Vissac (Acta), le GIS vise une meilleure prise en compte des aspects systmiques, avec des exprimentations conduites sur des chelles despace et de temps largies. Il sagit didentifier des lieux pour des exprimentations dites de rupture et de comprendre les mcanismes dappropriation par les agriculteurs. Autre point important, lharmonisation des protocoles exprimentaux qui permettra des interprtations croises cohrentes et la mise en relation des donnes avec dautres sources dinformations, par exemple sur les

(1) Un Groupement dIntrt Scientifique est une structure souple qui fdre des partenaires, des comptences et des moyens autour dun projet commun. (2) Par exemple, aux ditions Educagri et en codition avec Quae : - Repenser la protection des cultures, innovations et transitions , P. Ricci, S. Bui, C. Lamine, 2012. - Elevage et environnement , S. Espagnol, P. Leterme, 2010. - Transitions vers lagriculture biologique , S. Bellon, C. Lamine, 2010. - Conseil et dveloppement en agriculture, quelles nouvelles pratiques ? , C. Compagnone, C. Auricoste, B. Lmery, 2009. - Systmes de culture innovants et durables, quelles mthodes pour les mettre au point et les valuer ? , R. Reau, T. Dor, 2008. (3) Appel doffres du Compte daffectation spciale dveloppement agricole et rural , (CASDAR), journe 2011 : www.inra.fr/ciag/revue/volume_17_ novembre_2011

+dinfosOweb :

Site web du GIS Relance Agronomique www.gis-relance-agronomique.frOcontact :

[email protected], secrtaire gnrale du GIS Relance Agronomique

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w horizons

Regarder le pass en se

tournant vers lavenirLe comit histoire a t cr en 2005 pour recueillir et mettre disposition les lments dune histoire de la recherche agronomique lInra et au Cirad. son nouveau prsident nomm en 2011, Egizio Valceschini, prsente les principales volutions quil souhaite impulser cette mission pas comme les autres.

initial un deuxime cercle plus diversifi. Il sagit de rajeunir le comit et dimpliquer davantage des chercheurs des sciences biotechniques sintressant lhistoire de leur discipline ou de leur dpartement. Les adhrents ce second cercle se runiront une fois par an pour un colloque thmatique. Une plus grande ouverture aux chercheurs du Cirad vise, en outre, mieux couvrir la dimension internationale de la recherche agronomique. La valorisation des travaux du comit passe aussi par le dveloppement des moyens de diffusion. Nous allons avoir un espace sur le prochain site web de lInra destination du grand public mais aussi un site ddi aux professionnels. Quelle est votre mission comme prsident du comit Histoire ? Egizio Valceschini : Ma mission est de rationaliser les trois champs daction de ce comit, cr en 2005, savoir les productions du comit Histoire en tant que telles pour promouvoir les travaux bibliographiques sur lhistoire de la recherche agronomique, lenrichissement du fonds Archorales et la prservation des archives scientifiques. Je navais pas dide prconue du comit Histoire quand jai t nomm sa tte par la direction gnrale. Jai dailleurs consacr la premire partie de mon mandat consulter les membres du comit pour bien en comprendre les activits. Ensuite, nous avons collectivement dfini ses missions et labor une stratgie cinq ans, avec en ligne de mire le 70e anniversaire de lInra en 2016. Quelles nouvelles actions le comit va-t-il entreprendre ? E. V. : Un de nos objectifs prioritaires est daccrotre notre visibilit. Cela passe par une nouvelle organisation et un largissement du collge Quelles sont les solutions trouves pour larchivage scientifique ? E. V. : LInra a sign avec les Archives Nationales une convention pour crer un groupe de travail commun qui a pour but dlaborer une charte darchivage de lInra , destination des centres rgionaux. Par ailleurs, le comit Histoire souhaite favoriser une meilleure valorisation des archives orales constitues par le fonds Archorales, soit prs de 350 entretiens raliss depuis sa cration en 1995, dont plus de 120 publis. Archorales est n de lide que, de nombreuses personnes partant la retraite, il fallait en garder une mmoire, grce leurs tmoignages, sans se reposer uniquement sur larchivage documentaire, incomplet et difficile mettre en uvre. Aujourdhui, on veut dpasser cet objectif originel de mmoire et faire dArchorales un vritable fonds scientifique. Pour linstant on stocke les entretiens raliss, il faut les rendre exploitables - par exemple en les indexant - pour les chercheurs, historiens, sociologues des sciences mais aussi

prospectivistes. Nous voulons mener ce projet avec des historiens ou des chercheurs en sciences sociales, et nous cherchons des partenaires qui pourraient tre intresss par la valorisation de ce fonds, comme par exemple la Maison des Sciences de lHomme de Dijon avec qui nous sommes en contact par lintermdiaire des quipes de sociologie de lInra. Quapporte la recherche historique lInra ? E. V. : Mon ide est que regarder le pass la lumire des proccupations prsentes de la socit permet de mieux penser les orientations futures de la recherche. Je vais vous donner un exemple partir du travail engag en 2010 par le comit Histoire sur La reprsentation de la prairie dans la pense agronomique du 20e sicle en France ; travail qui rejoint une rflexion plus vaste sur lmergence de lagro-cologie dans la science agronomique. Dans les annes 50, tout un pan de lagronomie visait liminer ou homogniser les prairies et un autre sest au contraire interrog sur lintrt de cultiver les prairies pour maintenir la diversit de la flore au service, par exemple, des AOC fromagres. Rtrospectivement, on retrouve la question trs actuelle de la biodiversit. Lanalyse historique est importante pour clairer les choix de recherche et la manire de les mener. Cela peut aussi inciter les nouvelles gnrations de chercheurs creuser leur bibliographie, qui remonte rarement au-del de dix ans, et donner une plus grande profondeur historique. Pour chaque objet de recherche, on peut apporter une mise en perspective historique et mieux raisonner nos choix actuels. l Propos recueillis par Antoine Besse

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Inra / Christophe Matre

Tuberculose, paratuberculose

LE nom dE myCobaCTRIE provient de laspect des colonies, qui voquent des moisissures.

L

Les mycobactries sont lorigine de maladies graves chez lhomme et lanimal, tuberculose, lpre, etc. Les difficults que soulve ltude de ces bactries particulires ont incit les chercheurs se runir en un mycoclub, fond en 2010 par lInra de Tours et lInstitut Pasteur de Lille.

es mycobactries constituent une famille de bactries trs tendue dont certaines infectent le poumon ou lintestin, et sont lorigine de la paratuberculose (1) bovine, de la tuberculose humaine et bovine et de la lpre. En France, la paratuberculose bovine progresse avec un impact conomique lev. La rmergence de la tuberculose bovine menace notre statut trs prcieux de pays indemne de tuberculose. Chez lhomme, cette maladie est encore responsable aujourdhui de deux millions de morts par an dans le monde. Mme si la connaissance de ces redoutables agents pathognes progresse, les moyens de lutte (diagnostic, vaccin ou antibiotiques) sont insuffisants. Le Mycoclub est n de la ncessit de rassembler la communaut scientifique clate des mycobactriologistes europens. La deuxime runion de ce club, organise par lInra Tours (2), a runi 150 chercheurs francophones, tmoignant du dynamisme et de la comptitivit de cette communaut sur le plan international. Des bactries paresseuses Pour Nathalie Winter et Franck Biet, chercheurs lInra de Tours (3) : les

mycobactries pathognes sont des bactries croissance lente, ce qui les rend trs difficiles cultiver. Lisolement dune souche partir dun prlvement peut durer plusieurs mois. Pour les bacilles de la tuberculose, il faut de plus travailler en laboratoire confin. Enfin, les milieux de culture sont trs spcifiques, il nen existe pas par exemple pour Mycobactrium leprae, lagent de la lpre . Longtemps en retard par rapport dautres bactries pathognes, ltude des mycobactries bnficie aujourdhui des progrs de la gntique et de limagerie. Avec le squenage du gnome de nombreuses mycobactries, les chercheurs disposent doutils gntiques pour muter, ou dlter les gnes et tudier ainsi leurs fonctions. On peut galement suivre le dveloppement de bactries recombinantes fluorescentes ou luminescentes dans les modles animaux ou cellulaires. Enfin, des structures comme la plate-forme dinfectiologie exprimentale du centre de Tours offre la possibilit, unique en France, dexprimenter sur les ruminants. mais trs efficaces Les mycobactries ont dploy un arsenal labor pour rsister aux dfenses de

lhte, explique Nathalie Winter. Elles vivent trs bien lintrieur dun macrophage qui est pourtant la cellule cl pour liminer les agents pathognes intracellulaires. Elles sont incroyablement sophistiques, et ce parce quelles sont l depuis la nuit des temps : on a des signes dinfection par Mycobacterium tuberculosis chez les plus anciennes momies. Elles ont volu avec lhte et ont t capables de sadapter tous les systmes de dfense de lhte en fabriquant de nouvelles molcules dans leur paroi . Nathalie Winter sintresse la tuberculose, avec lobjectif damliorer les stratgies de lutte et de diagnostic. Elle tudie la rponse immunitaire inne lors de linfection ou bien lors de la vaccination par le Bacille de Calmette Gurin (BCG), le seul vaccin actuellement disponible chez lhomme . Les travaux de Franck Biet visent amliorer le diagnostic chez lanimal : nous cherchons dune part distinguer les bactries pathognes entre elles, dautre part les diffrencier des bactries environnementales. Nous avons ainsi dcouvert un antigne spcifique de Mycobactrium paratuberculosis. Pour cette dernire, nous cherchons aussi des antignes qui permettent de distinguer les animaux vaccins des animaux infects afin de concevoir de nouveaux vaccins . En effet, les animaux produisent globalement les mmes anticorps dans les deux cas, ce qui pose des problmes de diagnostic. Par ailleurs, le vaccin contre Mycobactrium paratuberculosis nest plus disponible en France depuis 2001, quoiquencore utilis dans dautres pays europens. l Laurent Cario(1) Infection intestinale chronique, aussi appele maladie de Johne. (2) Avec le soutien de partenaires rgionaux : cluster de recherche en infectiologie de la rgion Centre, et nationaux : Inserm/Aviesan et industriels (Novartisvaccins, Sanofi-Pasteur, Transgene, Genoscreen, Adiagen). (3) Unit mixte de recherche Infectiologie et sant publique (UMR ISP).

Inra / Maggy Grayon

+dinfosOcontacts :

[email protected] [email protected]

Inra magazIne n20 mars 2012

& innovations7

des agents trs spciaux

w recherches

w recherches

& innovations

Varits vgtales tolrantes aux herbicidesopportunits et risques pour les agriculteurs

depuis 2010, de nouvelles varits de tournesol et de colza, capables de rsister lapplication dun herbicide, sont en cours dautorisation en France. Les ministres en charge de lagriculture et de lEcologie ont demand au CnRs et lInra de raliser un tat des lieux des connaissances scientifiques permettant dvaluer les consquences agronomiques, environnementales et socio-conomiques de ces cultures dites tolrantes un herbicide (Th).

En

n France, les cultures de mas tolrantes aux herbicides ont t autorises en 2000, le tournesol en 2010 et le colza est en cours dautorisation explique Michel Beckert, directeur de recherche lInra de Clermont-Ferrand et lun des deux coordinateurs de cette expertise scientifique collective. En deux ans, les tournesols TH reprsentent dj 11% de la sole franaise de tournesol, soit 80 000 hectares en 2011. Ces varits TH sont non transgniques, tolrantes des herbicides slectifs par ailleurs dj utiliss pour les crales (voir encadr). Aux Etats-Unis, prcurseurs en la matire, ladoption a t rapide et massive : cultives depuis la fin des

annes 1990, les varits transgniques tolrantes lherbicide RoundUp ont conquis en moins de dix ans 80% des surfaces cultives de coton et de soja. Ladoption des VTH en betterave sucrire a t encore plus rapide, atteignant 98% des surfaces en deux ans ! Des conomies court terme Des enqutes ralises auprs dagriculteurs nord-amricains ont mis en vidence que leur principale motivation dans le choix dune VTH est la possibilit de raliser des conomies dans la gestion des adventices. En effet, lagriculteur remplace le programme de dsherbage classique par

lutilisation dun seul herbicide : le RoundUp, moins cher que les autres herbicides, et dont la flexibilit dutilisation aprs la leve de la culture permet de scuriser le dsherbage et de gagner du temps. De plus, la culture de VTH facilite la simplification du travail du sol et notamment le non-labour, qui permet galement de rduire le temps de travail et fait parfois lobjet dincitations financires. Une augmentation de la consommation dherbicides moyen terme Les volutions de consommations dherbicides aux Etats-Unis montrent que dans les premires annes de

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: L. Jung / CETIOM

culture, les quantits dherbicide appliques en culture TH sont plus faibles quen culture non-TH. Cet avantage des cultures TH se rduit nanmoins au cours du temps, jusqu devenir parfois dfavorable dans le cas du soja et du coton. En cause, lapparition de nouvelles difficults de dsherbage (adaptation de la flore adventice qui devient rsistante lherbicide) qui conduisent lagriculteur augmenter de manire prventive et/ou curative les doses et le nombre dherbicides appliqus dans sa parcelle. Le dveloppement spontan de plantes rsistantes est un phnomne gnral, connu pour toutes les classes dherbicides. Yves Dessaux, directeur de recherche au CNRS, lautre coordinateur de lexpertise, prcise que des populations rsistantes aux herbicides sont apparues chez plus de 200 espces et dans toutes les classes dherbicides. Ces populations peuvent acqurir pour certaines des rsistances multiples . Des impacts sur la biodiversit lis lefficacit du dsherbage En termes deffets environnementaux, les quelques tudes existantes montrent que les impacts des VTH sur la biodiversit semblent principalement tre fonction de lefficacit du dsherbage, gnralement plus performant en culture TH, qui rduit la flore

mode dobtention dune VTHLa prsence de plantes adventices qui entrent en comptition avec la culture est lun des principaux facteurs qui jouent sur le rendement. Depuis la mise au point des herbicides de synthse dans les annes 1950, llimination de ces plantes indsirables repose majoritairement sur la slectivit des herbicides, cest--dire leur capacit liminer toutes les adventices sans prjudice pour les plantes cultives. Laction herbicide est base sur des perturbations du mtabolisme fortement pnalisantes voire ltales pour lorganisme-cible. A lheure actuelle, une vingtaine de modes daction herbicide sont connus et exploits par les industries phytosanitaires. Devant la difficult dcouvrir de nouveaux modes daction capables dliminer le spectre dadventice le plus large possible sans affecter la culture, les industriels ont cherch ds les annes 1980 modifier les caractristiques des varits pour les rendre tolrantes lapplication dun herbicide dj existant et faciliter la mise en uvre du dsherbage chimique. Trois mthodes ont ce jour t utilises pour obtenir des VTH pour les principales espces de grandes cultures : la slection de variants tolrants existant dans la nature, ou induits au laboratoire par mutagense, ou encore lintroduction de gnes de tolrance dans les lignes dintrt par transgense. Environ 95% des VTH cultives dans le monde ont t obtenues par transgense. Celles qui font lobjet dinscriptions au Catalogue franais sont issues de la variabilit naturelle ou de la mutagense.

adventice et se rpercute sur lensemble de la chane trophique. Par ailleurs, ladoption des VTH peut entraner lemploi accru dun faible nombre de molcules sur des surfaces plus grandes, entranant une teneur plus leve de ces molcules dans les eaux.

Accompagner linnovation pour un usage durable

g INTERVIEw

Philippe Chemineau, directeur de la Dlgation lExpertise scientifique collective, la Prospective et aux Etudes .

Quels enseignements la profession retire-t-elle de lexpertise ? Philippe Chemineau : De nombreux semenciers, des firmes phytopharmaceutiques et le CTPS taient prsents lors du compte rendu de lexpertise. On espre que les industriels se sont saisis des conclusions pour mieux circonscrire leur recherche aux bonnes cibles de slection. Nos rflexions sur laccompagnement des agriculteurs dans une utilisation durable des VTH seront, jespre, prises en compte par la profession et les instituts techniques. Quen a retir lInra ? Quelles sont les questions poses la recherche lissue de lexpertise ? P. C. : Nous avons dans lide de crer un modle de prdiction sur lapparition de rsistances. Que cela soit pour les VTH ou pour toute autre innovation en cours dadoption sur notre territoire, cette expertise nous donne des clefs pour assurer leur suivi et in fine leur prennit. Plus gnralement, nous nous sommes interrogs sur le processus de transfert dune innovation et les conditions de leur maintien. Lexpertise a confirm la ncessit dacqurir une plus grande approche systmique dans nos recherches. Cela nous interroge par exemple sur les comptences intgrer dans les recherches : les VTH font-elles partie de la recherche en agro-cologie ?

Les VTH dans le contexte franais Les varits de tournesols et de colzas TH dveloppes en France sont associes des herbicides dj trs employs, do un risque accru dapparition de rsistances spontanes chez les adventices-cibles. Sajoute le risque inhrent ces varits, savoir la possibilit de transfert du caractre TH des adventices compatibles sexuellement. Cest pourquoi lexpertise conclut lintrt dune utilisation de ces VTH limite dans le temps et lespace, dans le cadre de bonnes pratiques agronomiques, associant des moyens de dsherbage mcaniques et des rotations diversifies. Se pose alors la question de mesures daccompagnement pour inciter ces bonnes pratiques. l Ccile Poulain et Anas Tibi

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w recherches

& innovations

La sant des enfantsdans lassiette des parentsfacteurs dobsit que sont les excs alimentaires, la sdentarit et le stress. Or, lobsit est le principal facteur de risque pour les maladies mtaboliques (diabte, maladies cardio-vasculaires), ce qui explique pourquoi les bbs de petit poids sont plus prdisposs que dautres aux maladies chroniques. Dis-moi ce qua mang ta mre Des lapines nourries avec un rgime hypergras avant leur pubert et tout au long de leur gestation donnent naissance des lapereaux de faible poids. Au moment du sevrage, ces petits ont retrouv un poids normal mais par la suite, ils deviennent obses comme leur mre. On observe donc que lembryon malnutri en garde des squelles pour la vie. Quelle forme prennent-elles au niveau cellulaire ? Quadvient-il si un adulte dispose dun rgime plthorique alors quil a t malnutri pendant son dveloppement ? Ces questions sont dautant plus cruciales quaujourdhui, plus de 25% des franaises dbutent leur grossesse en tat de surcharge pondrale et/ou de malnutrition protique. Corinne Cotinot, directrice de lunit de Biologie du dveloppement et de la reproduction (1), est convaincue que comprendre comment lenvironnement de lembryon affecte son dveloppement ds les premires heures, permettra de mieux contrler les caractristiques morphologiques et physiologiques de ladulte . Les travaux de lquipe de Pascale Chavatte-Palmer, dans la mme unit, illustrent limportance de lalimentation aprs la naissance : des lapereaux issus de lapines obses deviennent obses sils sont nourris par leur mre (lait hypergras) mais gardent un poids normal sils sont allaits par des lapines non obses dont le lait est moins riche. A terme, on pourrait prodiguer des conseils alimentaires aux futurs parents, identifier des biomarqueurs pour dpister les enfants risque, voire dvelopper des rgimes ou des traitements permettant de corriger la programmation ftale.

Benjamin Earwicker / stock.xchng

a lheure o le mode de vie occidental gnre une pidmie dobsit quaucune mesure de sant publique ne semble pouvoir enrayer, un nouveau domaine de recherche explore lorigine ftale des maladies chroniques lies au surpoids. on sait maintenant que lalimentation des deux parents avant la conception puis celle de la mre pendant la grossesse impriment des marques sur les gnomes des cellules reproductrices, puis de lembryon, marques qui affectent durablement sa sant.

U10

n nombre croissant dtudes chez lhomme et chez lanimal confirment que ds les premiers instants de la vie, des facteurs environnementaux dltres peuvent prdisposer certaines maladies chroniques chez ladulte. Ainsi

lorsquun embryon est malnutri, son dveloppement est altr. Le bb sera trs gros ou au contraire de petit poids. Dans ce dernier cas, il rattrapera son retard de croissance si lalimentation postnatale est adapte. Mais il restera plus sensible aux

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Lalimentation peut programmer nos gnes La notion de programmation ftale veut que, pendant des priodes critiques de la vie prnatale, lexpression du gnome du ftus soit entrave par des changements dans son environnement nutritionnel, hormonal ou autre. Les filles de femmes obses ne naissent pas obses mais elles ont plus de chances de le devenir et de dvelopper un diabte ou une hypertension que celles issues de femmes de poids normal. Elles vont ainsi leur tour influencer le dveloppement de leurs enfants. Lquipe de Claudine Junien (1) montre que chez les rongeurs cette transmission la gnration suivante dpend de lalimentation : lorsque lon soumet des souris un rgime hypergras ds le sevrage, 80% dentre elles deviennent obses alors que 20% restent minces. Lorsque ces femelles obses sont croises avec un mle normal et alimentes pendant la gestation avec un rgime quilibr, 43% de leur descendance restent minces, au lieu des 20% de la gnration prcdente. Le facteur de rsistance lobsit a donc volu dune gnration lautre. Des effets transmissibles de gnration en gnration Alors que lon pensait que les facteurs gntiques jouaient un rle important vis--vis de lobsit, des donnes rcentes montrent que la part que lon peut attribuer lhrdit nest que de lordre de 10 15%. Des mcanismes pigntiques (sur les gnes) sont galement impliqus. Les marques pigntiques naffectent pas la squence de lADN gnomique, mais sa conformation et celle des

Lenvironnement maternel influe sur les descendantsF1 (ftus) F0 (mre)- Alimentation maternelle - Stress physiques et psychologiques (dpressions...) - Substances toxiques (tabac, alcool...) - Perturbateurs endocriniens Modifications pigntiques des cellules somatiques

Parfois, modifications pigntiques des cellules germinales entranant une transmission la gnration suivante : F2

Daprs Dunn et al. Horn Behav 2010

protines qui lentourent. Ces marques agissent comme des interrupteurs en empchant /permettant lexpression des gnes sur lesquels elles sont apposes. Ainsi, elles programment les caractristiques morphologiques et physiologiques de lembryon puis du ftus et de ladulte. Or, lalimentation ou dautres facteurs environnementaux peuvent les perturber (voir schma). De plus, ces perturbations peuvent atteindre toutes les cellules du ftus, y compris parfois ses cellules reproductrices (ovules ou spermatozodes). Ces marques sont normalement effaces aprs la fcondation, mais certaines persistent et permettraient ainsi un caractre acquis par le parent porteur de sexprimer chez lenfant.

Pas dgalit entre les sexes vis--vis de lalimentation maternelle ! Dans les expriences prcdentes, les souris mles et femelles rpondent diffremment aux rgimes alimentaires de la mre. Ainsi, si on normalise lalimentation de souris obses pendant la gestation, elles donnent naissance plus de petits rsistants lobsit, lesquels sont majoritairement des femelles ! Ltude de lexpression de lensemble des gnes exprims dans le placenta de ftus de souris mles ou femelles pendant la gestation montre quils nutilisent pas les mmes rseaux de gnes pour sadapter leur environnement nutritionnel. l Evelyne Lhoste(1) Lunit mixte de recherche Biologie du dveloppement et reproduction associe lInra - centre de Jouy-en-Josas - et lcole nationale vtrinaire dAlfort. http://www4.jouy.inra.fr/bdr

Lpigntique relance le dbat sur les mcanismes volutifsLamarck (1744-1829) dfendait une thorie de lvolution base sur la possibilit de transmettre la descendance ladaptation dun organisme son environnement (hrdit des caractres acquis). Pour Darwin au contraire (1809-1882), ce sont les individus les mieux adapts lenvironnement qui sont slectionns. Le rle de lpigntique dans la transmission remet-elle sa thorie en question ? Pour Thomas Heams de lUMR Inra-AgroParisTech Gntique animale et biologie intgrative, la rponse est non. Darwin na jamais exclu la possibilit dune hrdit des caractres acquis. Pour lui ctait une force secondaire, la force primordiale tant le mcanisme de variation-slection : la variabilit repose sur un mcanisme inn (on dirait aujourdhui gntique), accompagn dune slection des formes les plus adaptes. Cest cette combinaison qui fait toute loriginalit de sa thorie..

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& innovations

Fin des quotas laitiersquelles consquences ?Le laboratoire dEtudes et de recherches conomiques (LERECo) du centre angers-nantes, en collaboration avec lInstitut de llevage, a dvelopp un modle mathmatique de type bioconomique permettant de simuler les consquences de labandon des quotas laitiers lhorizon 2015. Ce modle rvle que de nombreuses exploitations laitires franaises seront en mesure daugmenter leurs volumes de production cots fixes constants. Interview de Vincent Chatellier, directeur du LERECo.

savoir un dsengagement de la puissance publique dans la rgulation des marchs agricoles. Lajustement de loffre de lait la demande ne sera donc plus arbitr par des rgles administratives strictes fixes par les pouvoirs publics, mais par les entreprises de la transformation laitire au travers dun systme de contractualisation. Ce passage dune rgulation publique une rgulation prive va influencer lvolution du secteur laitier au fil des prochaines dcennies. A lchelle europenne, la fin des quotas est susceptible dengendrer une augmentation des volumes de production, une baisse du prix du lait et une concentration de loffre dans certains bassins laitiers. Dans louest de la France, lavenir du secteur laitier dpendra pour beaucoup de la comptitivit des industries laitires sur les marchs europens et internationaux et de la capacit de ces exploitations obtenir des gains de productivit (production de lait par emploi) tout en respectant les normes environnementales. En quoi consiste votre modle bioconomique ? V. C. : Le modle (1) cherche optimiser le revenu des exploitations laitires tout en tenant compte dun ensemble de contraintes quelles soient zootechniques, agronomiques, environnementales, structurelles et rglementaires. Dans un contexte de forte volatilit, ce modle intgre galement les risques lis aux variations de prix. Il a t appliqu quatre types dexploitations reprsentatives des systmes laitiers de louest de la France. Il prsente diffrentes stratgies productives ralistes en tenant compte des interactions entre les productions animales et vgtales, des principales lois de rponse biologique et de la saisonnalit de la production agricole.

Quelles sont les stratgies dadaptation possibles pour les exploitations laitires franaises ? V. C. : Plusieurs facteurs peuvent permettre le dveloppement de la production dans les exploitations laitires : lamlioration de la productivit animale (gntique, systmes alimentaires), la modification de la structure des assolements (recul des crales au profit des cultures fourragres) et loptimisation de la production fourragre (choix des cultures, vitesse des rotations, etc.). Au final, ce modle permet, par exemple, dvaluer lintrt de diminuer les surfaces en crales au profit de la production laitire, en fonction des prix de march de chaque produit et en tenant compte de la hausse significative du prix des intrants (engrais, nergie, etc.). Il donne aux dcideurs publics une vision anticipe de ladaptation possible des exploitations laitires au nouveau contexte. l Flavian Raynaudon et Sylvia Marion(1) Modle dvelopp dans le cadre du projet Laitop du programme PSDR (Pour et sur le dveloppement rgional) Grand-Ouest.

Inra / Vincent Chatellier

+dinfosOrfrences :

Que signifie la fin des quotas laitiers ? Vincent Chatellier : La suppression du rgime des quotas laitiers en 2015 constituera une nouvelle tape importante dans lvolution de la Politique Agricole Commune (PAC). Elle sinscrit dans la logique qui prvaut depuis plusieurs annes, 12 Inra magazIne n20 mars 2012

- Lelyon B., Chatellier V., Daniel K. (2011). Phasing out milk quotas: a bioeconomic model to analyse the impact on French dairy farms. In: The common Agricultural Policy after the Fishler reform. Editions Publishing Limited (England), pp 393-416. - Lelyon B., Chatellier V., Daniel K. (2011). The impact of decoupling and price variation on dairy farmers strategy. In: Disaggregated impacts of CAP reforms. Editions OCDE, pp 111-131.Ocontacts :

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Leau,de la terre au verre

L William Beaucardet Delphimages / Fotolia.com

es socits humaines ont, vis--vis de leau, trois exigences majeures : la qualit, la quantit et la prservation des milieux aquatiques. Ce dossier donne des exemples de recherche pour mesurer et rduire limpact des activits humaines sur la pollution des eaux. Trois secteurs dactivits sont abords : lagriculture, les industries agroalimentaires et les eaux uses. De la nature jusqu nos verres et assiettes, puis au-del de notre vier, retraons le parcours de leau potable.

Inra / Jean Weber

1 Eaux des champs, eaux des villesComme tous les secteurs de lactivit humaine, lagriculture a besoin de leau qui circule dans la nature. LInra se penche en particulier sur le cycle de leau et sur deux sources de pollution lies lactivit agricole : les nitrates et les pesticides.

A

vec ses 2 000 milliards de m3 deau souterraine, ses pluies relativement abondantes et son rseau hydrographique trs dense, la France ne manque pas deau. Les prlvements deau pour lensemble des activits humaines slvent 32 milliards de m3 deau par an, dont 6 milliards seulement sont rellement consomms, car les secteurs de lnergie, de lindustrie et de leau domestique recyclent leau prleve hauteur de 90%. Au contraire, lagriculture restitue trs peu deau au sol car la majeure partie de la ressource absorbe par les plantes svapore depuis la surface des feuilles par vapotranspiration. Lactivit agricole reprsente donc 12% des prlvements deau mais plus de 40% des volumes rellement consomms.

Pas de manque deau en France, mais vigilance de mise Cependant, toutes les rgions franaises ne sont pas loges la mme enseigne. Certaines rgions, Bretagne, Massif central, ont une faible capacit en ressources souterraines, du fait de la prsence dun socle cristallin. En Bretagne, lalimentation en eau potable dpend essentiellement des retenues deau de surface, dont le barrage dArzal, qui alimentera bientt prs du tiers de la population. Sur le pourtour mditerranen, le climat est dune part, plus sec et, dautre part, sujet de violents orages. Enfin, dans un grand quart sud-ouest du pays, laugmentation des surfaces irrigables et le dveloppement de la culture du mas ncessitent de grandes quantits deau. Les arrts prfectoraux de

Dans le monde Depuis 1950, la population mondiale a tripl et la consommation deau a t multiplie par six. La consommation dun Europen est en moyenne de 500 litres deau par jour, contre 10 litres par jour pour certains Africains. Le besoin en eau potable est valu 20 litres par jour (OMS). 1/3 de la population mondiale manque deau (ONU, UNESCO). On dnombre 5 millions demorts chaque anne cause de la mauvaise qualit des eaux (diarrhes infantiles, cholra).

II

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restriction deau pour lirrigation ou les usages domestiques sont l pour rappeler que leau est une ressource prcieuse... Outre la quantit, il est ncessaire de prserver la qualit de leau, donc didentifier les sources de pollution, tche difficile tant le parcours de leau dans le sol est complexe. Depuis son entre dans le bassin versant (voir schma) jusquau point de sortie, appel exutoire, leau suit des chemins multiples : elle ruisselle, sinfiltre dans le sol, rejoint les nappes qui peuvent dborder et alimenter les rivires. Ce faisant, elle change de composition chimique et transporte des polluants, sous forme dissoute ou particulaire (nitrates, phosphore, pesticides, mtaux lourds, micropolluants mergents, etc. voir tableau). LInra tudie notamment les principaux polluants dorigine agricole : les nitrates et les produits phytosanitaires, dont les voies de circulation sont trs diffrentes. Les nitrates sont trs solubles dans leau, mais diffusent lentement et vont en grande partie dans les nappes, alors que les pesticides sont majoritairement entrans par les ruissellements de surface. Les chercheurs de lInra ont construit des modles pour tudier le transfert de ces polluants dans les eaux.

Excs de nitrates difficiles rsorber Les chercheurs de lInra de Rennes sintressent aux nitrates dans les bassins versants de Bretagne. Nos travaux ont abouti des rsultats surprenants, explique Patrick Durand, le directeur de lunit SAS (1). Alors quon pensait quen Bretagne, le temps de transfert des nitrates dans le sol tait court, du fait de la relative raret des nappes souterraines, nous avons montr quau contraire, il est en moyenne de cinq ans, avec de grandes variations, de quelques mois dix ans. Cela signifie que lazote apport un instant et un endroit donns, par les engrais ou les rejets animaux, peut mettre plusieurs annes avant dapparatre dans les rivires. En corollaire, les taux de nitrates mesurs dans les cours deau sont le rsultat de nombreuses annes de pratiques agricoles . Au fil des ans, les nitrates se sont accumuls dans les nappes, et ressortent progressivement dans les rivires. La concentration de nitrates dans les bassins versants bretons tudis est en moyenne de 35 mg/L, mais peut aller jusqu 70 mg/L alors que la norme est de 50 mg/L pour leau potable et quil faudrait viser 10 mg/L pour limiter le dveloppement des algues vertes dans les bassins vulnrables.

modliser pour guider les pratiques agricoles Grce aux connaissances hydrologiques accumules, les chercheurs de Rennes ont construit un modle qui permet dtablir un bilan des entres et des sorties dazote lchelle dun bassin versant dans diffrents scnarios de pratiques agricoles (voir schma). Construit partir de mesures relles, il a le mrite de quantifier les flux dazote (volatilisation, minralisation, etc.), en fonction de nombreux paramtres propres chaque bassin : climat, nature du sol, rseau hydrographique, etc. Le modle, appel TNT2, montre que la stratgie qui consiste diminuer les apports azots doit saccompagner dans certains cas dune modification profonde des systmes de culture ou des amnagements du paysage. Les gestionnaires de leau se sont appuys sur les rsultats de notre modle dans ltablissement du plan national Algues vertes poursuit Patrick Durand (2). Les choses commencent samliorer en Bretagne, mais les taux de nitrates continuent daugmenter dans dautres rgions, comme le Bassin parisien et les Pays de Loire, o les temps de transfert plus longs ont retard la prise de conscience .

Les principaux polluants des eaux en FranceType de polluantPesticides (herbicides,

Limite tolre dans leau potable*0,1 microgramme par litre par substance 0,5 pour le total des substances mesures (1) 50 mg/L 5 mg/L de P2O5 1 mg/L pour le cuivre 5 mg/L pour le zinc Existence de normes Pas de normes dans les eaux, certains ltat de trace, difficiles doser

Impact sant/environnementImpacts sur la sant bien connus dose leve, ltude en dose chronique Possiblement cancrigne (classification internationale) (2) Eutrophisation des eaux (3) Eutrophisation des eaux Dangereux pour la sant : cadmium, chrome, cuivre, mercure, plomb, zinc Effets divers : atteintes du systme nerveux, cancers... Effets mal connus

OrigineChamps cultivs Usages non agricoles (jardins) et dsherbage (routes, voies ferres)

insecticides, fongicides)

Nitrates Phosphore Elments traces mtalliques (4) Polluants organiques connus Polluants organiques mergents

Engrais azots, effluents dlevage Eaux uses des villes, engrais, effluents dlevage Installations industrielles, dchets, effluents dlevage et sols agricoles (5) Industries chimiques : hydrocarbures, polychlorobiphnyles (PCB), hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) Industries chimiques, pharmaceutiques, cosmtiques : rsidus de mdicaments, retardateurs de flamme, antioxydants, etc.

*Les normes de potabilit sont tablies Bruxelles pour lEurope. Elles sont fondes sur des tudes mdicales, avec de grandes marges de prcaution. (1) Les normes de qualit environnementales actuelles ne sont pas respectes pour 11% des points en cours deau et sur 18% des points en eaux souterraines (bilan IFEN 2007). (2) Lien de cause effet non tabli. Etudes pidmiologiques contradictoires quant une corrlation avec les cancers de lestomac. (3) Excs de nutriments responsable de la prolifration des algues vertes, du dveloppement de phytoplancton toxique et de lasphyxie des eaux douces ou littorales. (4) Frquemment dsigns par mtaux lourds dans le langage courant, car ce sont de gros atomes. (5) Cuivre et zinc sont utiliss comme complments alimentaires pour les porcs et comme fongicides en agriculture biologique.

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III

w dossier

Bilan azot dun bassin versantLe bassin versant est lobjet dtude de prdilection des hydrologues, cest la zone gographique qui alimente un point donn du cours deau, appel exutoire, et qui permet dtablir des bilans.

DPT ATMOSPHRIQUE

VOLATILISATION

(+13, +13, +13)

(-11, -9, -8)

Fixation symbiotique(-11, +11, +15)MINRALISATION NETTE

LGUMINEUSES

(+11, +28, +17)

HAIES, BOIS

(-14, +13, -10)

NAPPES

(-11, +3, +1)

Stock

APPORTS AGRICOLES

Engrais des cultures, effluents dlevage : pturage, bovins, porcs...(163, 123, 100)ZONES HUMIDES

Dnitrification(-14, -12, -10)

CULTURES(-126, -121, -103)

EXUTOIRE (RIVIRE)(30, 18, 15)

INRA -

Conception graphique : Lattitude 49, www.lattitude49.com

Chiffres en noir (en kg dazote/ha/an) : situation dun bassin versant breton en 1997-98, avec un excdent dazote assez marqu. Chiffres en vert : situation dix ans aprs avec une diminution de 25% des apports azots (-40 kg dazote/ha/an). La rivire a perdu seulement lquivalent de 12 kg dazote/ha/an. Chiffres en rouge : situation si on diminue encore les apports azots de 13%. Cette nouvelle rduction (-23 kg dazote/ha/an) a trs peu dimpact sur la rivire (-3 kg dazote/ha/an) car la baisse dapports se rpercute au niveau des cultures (crales, etc.) qui captent et exportent moins dazote (-18 kg dazote/ha/an), du fait prcisment dun dficit dazote. Il importe donc de mieux cibler les actions sur les pratiques les plus risque, notamment les rotations qui laissent les sols peu couverts en automne et les retournements de prairies mal grs ce qui implique des changements dans les systmes de production. La conception de nouveaux systmes trs faibles fuites dazote fait partie des nouveaux dfis auxquels la recherche agronomique est confronte.

Les pesticides cerns Les chercheurs de lInra de Montpellier tudient le transfert des pesticides dans les paysages viticoles. Ils ont construit un modle de simulation appel Mhydas qui permet, entre autres, de prvoir les risques de contamination des eaux dans diffrents scIV Inra magazIne n20 mars 2012

narios de pratiques culturales. Les chercheurs ont ralis rcemment une perce significative en montrant que le coefficient de partage sol/eau des pesticides varie en fonction du temps. Ce coefficient est dterminant car il permet de connatre la proportion de pesticides solubilise dans leau et celle

fixe sur les particules du sol. Il est donn comme un paramtre fixe pour chaque produit par le fabricant en conditions de laboratoire. Mais en conditions relles, il varie avec les cycles humectation-dessication du sol imposs par le climat. Une valeur plus juste de ce paramtre, obtenue en combinant des exprimentations

en laboratoire et des observations des flux de pesticides sur des parcelles pendant plusieurs annes, nous permet damliorer considrablement la capacit prdictive du modle , estime Jrme Molnat, directeur de lunit LISAH (3). Le modle sert de base au dveloppement dun outil daide la dcision dans le cadre dun partenariat avec des socits prives. Destin aux socits dingnierie agri-environnementale et aux gestionnaires de territoire (services de ltat, services techniques des collectivits territoriales...), cet outil aidera valuer leffet sur la qualit de leau des pratiques de traitement phytosanitaires (produits utiliss, pratiques alternatives par enherbement, etc.) et guider ladoption de nouvelles pratiques moins polluantes. Cette initiative a t couronne par le prix Hydroinnovation 2011 dans le cadre du salon Hydrogaa destin aux professionnels de leau. Les atouts du paysage Certains lments du paysage permettent dagir sur la qualit de leau. Ainsi, les zones humides, situes en bordure des cours deau, captent une partie des nitrates, qui sont consomms par la biomasse bactrienne lorsquil ny a plus doxygne (processus de dnitrification). Ces zones permettent aussi une rtention des lments trace mtalliques et une dgradation des pesticides. LUMR SAS a dvelopp une mthode permettant de reprer les zones humides potentielles par des indices topographiques : surface collectrice, pente, position par rapport au ruisseau. Des amnagements peuvent amliorer le potentiel purateur de ces zones tampons, en permettant une circulation lente des eaux pour laisser le temps aux micro-organismes du sol de consommer dabord loxygne, puis les nitrates. Ou en crant une vgtation dense pour piger les pesticides et les mtaux lourds. Convoites pour plusieurs usages peu compatibles entre eux - fonction tampon, rserves de biodiversit, drainage pour tre cultives - ces zones sont protges et doivent faire lobjet dune gestion concerte parfois difficile. Autres lments du paysage, les fosss modifient les flux de pesticides en limitant la propagation du ruissellement et en favorisant linfiltration dans les nappes. Lexprimentation numrique permet l encore de pallier limpossibilit dexprimenter sur le

Pour une vision intgre des territoiresLurbanisation et le changement climatique sont les deux principales menaces sur les ressources en eau et les terres agricoles. Les dcideurs manquent dune vision intgre et dynamique de leur territoire. Pour cela une dmarche intgrative appele Astuce & Tic* a t dveloppe. Elle est base sur une architecture logicielle qui interconnecte des modles dj prouvs dcrivant chacun diffrentes composantes du territoire. Rsultat : quinze LA CRAU est la seule steppe aride dEurope dont le soussol est gorg deau, grce ses prairies irrigues depuis indicateurs, prsents sous le 16e sicle. Ces prairies produisent aussi lunique foin forme dautant de cartes et AoP de France. de graphiques, qui permettent dvaluer les ressources en eau (potabilit, renouvellement de la nappe, rupture des approvisionnements, etc.), les sols (maintien de la fertilit, impermabilisation, etc.) et la production agricole. Le modle intgr peut ensuite donner lvolution de ces indicateurs selon diffrents scnarios construits partir dune analyse socio-conomique et juridique des enjeux et des contraintes. Applique la plaine de La Crau (60 000 ha), la dmarche montre quen douze ans, plus de 1 600 ha de terres agricoles et naturelles ont t urbaniss. Fabienne Trolard (unit Inra GSE) analyse les rsultats : lhorizon 2030, suivant un scnario raliste, 14% des surfaces de prairies irrigues disparatraient sous la pression de lurbanisation. De plus, la disponibilit en eau pour lirrigation diminuerait de 30% pour des raisons climatiques. Or, cest la partie non consomme de leau dirrigation qui renouvelle 80% la nappe de La Crau, qui alimente plus de 300 000 habitants en eau potable et toute lindustrie. Ceci entranerait une diminution du niveau des nappes de 1,5 13 m, risquant dasscher les marais classs NATURA 2000, provoquant la remonte du biseau sal et privant 50% de ce territoire deau potable ! * Projet Astuce &Tic (2008-2011), FUI-Rgion PACA, men dans le cadre du ple de comptitivit Gestion des risques et vulnrabilit des territoires des rgions PACA et Languedoc-Roussillon. Les partenaires sont des entreprises : G2C, MEED SA, Orange Labs et des laboratoires de recherches : UMR CEREGE (AMU, CNRS, IRD, Collge de France), UR Inra GSE (Gochimie des sols et eaux), Aix-en-Provence et UMR (Inra-UAPV) EMMAH (Environnement mditerranen et modlisation des agrohydrosystmes), Avignon.

terrain et de dessiner des rseaux de fosss optimaux au regard de critres environnementaux. Enfin, les bandes enherbes rduisent le passage des pesticides dans les cours deau. Les rsultats de lUMR LISAH montrent toutefois la difficult actuelle davoir des prconisations gnrales pour linstallation de tels dispositifs en raison de la complexit des processus en jeu, de la diversit des situations agropdoclimatiques et des lacunes sur la connaissance du devenir des pesticides retenus en surface ou infiltrs. Le principal moyen de diminuer les concentrations de nitrates et de pesticides dans leau reste de rduire leur apport. LInra consacre de nombreuses recherches cet objectif et met disposition les rsultats des

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exprimentations menes depuis les annes 90 tant en grandes cultures quen vergers ou vignes. Plusieurs rapports rcents dexpertises et dtudes consacrs ces problmatiques : 2012 : Les flux dazote lis aux levages ; 2010 : cophyto R&D ; 2005 : Pesticides, agriculture et environnement (4) proposent un clairage sur les voies de rduction de ces intrants.(1) UMR Sol Agro et hydrosystme spatialisation, Inra, Agrocampus Rennes. (2) Le SDAGE Loire Bretagne fixe des objectifs de rduction de 30% au moins des flux de nitrates lhorizon 2015 dans les huit baies prioritaires de Bretagne. SDAGE : Schma directeur damnagement et de gestion des eaux, document qui donne les orientations et un cadre juridique la gestion de leau pour chaque bassin. (3) UMR LISAH : Laboratoire dtude des interactions Sol - Agrosystme - Hydrosystme, Inra, IRD, Montpellier SupAgro. (4) www.inra.fr/l_institut/expertise/expertises_realisees

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V

Inra / Fabienne Trolard

w dossier

Yuri Arcurs / Fotolia.com

2 Les industries agroalimentaires

entre deux eaux

un litre deau consomm par litre de lait transform. Vingt litres par kilo de salade ensache. Leau, essentielle pour le nettoyage et la dsinfection des produits alimentaires, doit tre conomise. Parfois indsirable dans les aliments, elle doit aussi tre contrle : 25% de lnergie consomme par lindustrie laitire est utilise pour concentrer le lait. a la croise de la thermodynamique et de lindustrie, les chercheurs de lunit sTLo, (science et technologie du lait et de luf), de lunit gmPa, (gnie et microbiologie des procds agroalimentaires) et de lunit PIhm, (Processus aux interfaces et hygine des matriaux), optimisent les procds industriels pour conomiser eau et nergie.

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eau, cest le je taime moi non plus des industries agroalimentaires. Utile tout au long de la chane de transformation, cest aussi un constituant important de laliment. Cest grce et cause de leau que se dveloppent les bonnes comme les mauvaises bactries. Sa prsence est indispensable aux moisissures la surface du camembert. Elle donne galement sa texture la confiture : lie au sucre, leau nest pas disponible pour les bactries. Mais sa teneur et sa disponibilit doivent tre absolument matrises, pour assurer simultanment le maintien des qualits du produit et sa bonne conservation. Extraire leau Les industries agroalimentaires dpensent argent et nergie pour rduire au maximum cette eau, telle lindustrie laitire qui consacre 25% de

son nergie scher les diffrentes fractions issues du lait. Extraire leau est aussi un moyen plus conomique pour transporter le produit. Les industries agroalimentaires ont dvelopp de nombreux procds pour conserver les aliments. Il sagit denlever leau en limitant la dnaturation des proprits organoleptiques du produit. La principale technique utilise pour dshydrater les produits laitiers est lvaporation sous vide suivie dun schage par pulvrisation. Le schage consiste pulvriser, dans une chambre de schage, le lait en gouttes de 50 100 m dans un air denviron 200C. Ces gouttes passant trs rapidement dans la chambre, leur temprature varie entre 45C et 90C maximum, ce qui affecte peu les proprits de laliment , dcrit Genevive Gsan-Guiziou, directrice de recherche lunit STLO : cest une mthode efficace pour prserver les

produits biologiques car elle ne demande pas des traitements haute temprature et elle permet un stockage de poudres temprature ambiante. Mais il faut pouvoir adapter la technique la varit et la complexit des fractions concentres scher. Pour gagner en productivit, il est devenu ncessaire de comprendre les procds de concentration par membrane et lvaporation ainsi que le schage pour moduler les paramtres en se basant sur les proprits physico-chimiques et thermodynamiques des produits . Lunit STLO sest ainsi penche sur les conditions de schage du lait. En collaboration avec la laiterie de Montaigu, lInra a mis au point en 2005 une mthode couple un logiciel qui simule les paramtres du schage en fonction de la disponibilit en eau, du type de tour de schage et des conditions climatiques.

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Pierre Schuck, ingnieur de recherche, dtaille : commercialis auprs des industries laitires depuis 2008, ce logiciel augmente la productivit du schage de 5 25%. Cest une vraie conomie dnergie pour ces entreprises : les principaux groupes laitiers mondiaux en sont aujourdhui quips. Plus de 10% du volume de lait mondial transitent ainsi par notre logiciel de schage ! Dans la mme veine, lunit GMPA a dvelopp le logiciel LyOptM pour amliorer les performances de la lyophilisation. Ce procd dshydrate trs basse temprature les produits de haute valeur ajoute comme les protines, cellules, micro-organismes ou mdicaments. Ce logiciel optimise les variables opratoires (temprature et pression) en fonction du produit et de lquipement de lyophilisation. Il permet dconomiser jusqu 30% dnergie explique Stphanie Passout, enseignante chercheur. Depuis sa commercialisation en 2009, sept licences ont t vendues des industries pharmaceutiques. Economiser leau de nettoyage Pour Thierry Benezech, directeur de recherche PIHM : leau dans les industries agroalimentaires est un rel enjeu de recherche. Il est ncessaire de rduire sa consommation au maximum tout en respectant la qualit du produit, dans un contexte de ressource et dnergie de plus en plus tendu . Les industries agroalimentaires font partie des plus gros consommateurs industriels avec leurs fortes exigences

Concevoir une chane de production durableLInra va inaugurer en mars 2012 une plateforme dAnalyse multicritre de la durabilit au centre de Rennes. Impliquant sept dpartements de recherche, cette plateforme regroupera et structurera des mthodes disponibles pour lanalyse et lvaluation de la durabilit des systmes de production et de transformation des produits agricoles. Ces mthodes se baseront en particulier sur les travaux raliss sur lACV, analyse du cycle de vie, qui value les impacts environnementaux dun produit, dun procd ou dun service mais intgreront galement les enjeux conomiques et sociaux afin daller vers une Analyse de la durabilit du cycle de vie. Des outils de calcul et bases de donnes seront dvelopps et mis la disposition des ingnieurs et scientifiques de lInra et de leurs partenaires.

en volume mais aussi en qualit : leau au contact des aliments se doit dtre potable, voire mme avec une exigence de puret suprieure. Les industries - tous secteurs confondus reprsentent dailleurs prs de 20% de leau consomme dans le monde. Les industries agroalimentaires utilisent notamment de leau comme transport hydraulique le long de la chane de transformation, mais aussi comme agent de nettoyage. Pour Genevive Gsan-Guiziou, en industrie laitire, le nettoyage peut prendre cinq heures par jour et gnre une part importante des effluents rejets en station. Pour un litre de lait trait, on produit en moyenne un litre deffluents, mais selon le type de produit laitier fabriqu on peut atteindre jusqu six huit litres deau par litre de lait mis en uvre ! . Mais la svrit croissante de la rglementation sur la mise en dcharge et lpandage des effluents industriels, ainsi que llvation de la taxe sur les

optimiser les procds pour conomiser leau20 litres deau sont ncessaires pour produire, du champ jusqu lassiette, 1 kg de salade ensache prte tre consomme ! Essentielle pour le nettoyage et la dsinfection, leau doit tre rationalise. Economiser leau en respectant la qualit du produit ncessite dtudier les modes de contamination des salades le long de la chane alimentaire. Nous nous intressons aux tapes allant de la rception lusine au conditionnement, tapes particulirement critiques en termes dutilisation massive deau et deau de javel. Cette dernire conduit la formation de composs organochlors cancrignes explique Thierry Bnzech, directeur de recherche PIHM, (Processus aux interfaces et hygine des matriaux) et coordinateur du programme europen de recherche Susclean. Regroupant une vingtaine de partenaires de huit pays europens dont dix industriels, ce programme examine les nouvelles stratgies de lavage et de dsinfection. Il concevra des machines plus hyginiques pour les industries de transformation de fruits et lgumes frais. Ces stratgies permettront de rduire la consommation en eau et de limiter lutilisation deau de javel. Ce programme, qui dbute en mars 2012 pour une fin prvue en 2015, listera galement les meilleures techniques disponibles pour lapplication de la Directive europenne PRIP, Prvention et rduction intgres de la pollution.

rejets depuis les annes 2000, psent sur ces industries gourmandes en eau et fortement productrices deffluents. Genevive Gsan-Guiziou prcise : malgr ces charges qui augmentent pour les industriels, les oprations de nettoyage des quipements alimentaires sont encore largement conduites de manire empirique, bien que la situation se soit amliore. Cela entrane une surconsommation deau et de produits chimiques . LInra travaille sur cette problmatique de rduction des effluents des industries agroalimentaires depuis les annes 90. Genevive Gsan-Guiziou observe : on rflchit plus gnralement concevoir et conduire des procds pour rduire les volumes deau ou de produits chimiques consomms, tout en maintenant la productivit et la scurit alimentaire des produits. Le nettoyage des installations membrane, trs utilises dans lindustrie mais difficiles nettoyer, sera un des enjeux de ces prochaines annes ! Les oprations membrane font partie des rares oprations de transformation utilisant des solutions de nettoyage complexes usage unique, ce qui conduit de fortes consommations de produits chimiques et deau (1,25 5,0 m 3 deau par 100 m2 de membrane et par opration). Leur nettoyage peut mme tre un verrou dans la mise en place de nouveaux procds et llaboration de nouveaux produits . En sinscrivant dans une dmarche dcoconception (voir encadr ci-dessus), lInra a notamment cherch optimiser le nettoyage de lignes de production en proposant des outils daide la dcision (capteurs, traceurs, traitements de donnes) pour aider la conception et la gestion des quipements industriels. Une exprimentation sur une chane de strilisation de crme dessert chocolate a ainsi conduit des rductions par deux du volume et de la charge des effluents.Inra magazIne n20 mars 2012 VII

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3 En eaux troublesCest un enjeu environnemental et de sant publique majeur. Les eaux uses sont devenues lun des principaux vecteurs de micropolluants - et de pathognes - vers le milieu naturel. dans les stations dpuration, des chercheurs de lInra de narbonne tentent de comprendre le devenir des micropolluants dans les eaux et les boues. dautres, en avignon, sintressent au devenir de ces eaux uses dans lenvironnement. dautres encore, Thonon, ont tudi les impacts de diverses pollutions mais aussi de perturbations beaucoup plus anciennes sur les lacs alpins. Tous cherchent modliser le devenir des pollutions dans lcosystme pour anticiper, voire mme prvoir leur volution en raction des perturbations dorigine naturelle ou anthropique.

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oires, grises... Elles sont plus de 7 milliards de m3 deaux uses dorigine domestique, industrielle et pluviale prendre chaque anne la direction des stations dpuration franaises. Une succession de dispositifs, dpendant de la nature des eaux uses et du type de pollutions traiter, permettent den extraire polluants (carbone, azote, phosphore) et pathognes. Les eaux traites sont ensuite rejetes pour la majeure partie dentre elles dans le milieu naturel, le reste tant recycl pour diffrents usages, notamment pour lagriculture, les industries ou les espaces verts. La France nest, selon Pierre Renault, directeur de recherche lunit dAvignon Environnement mditerranen et modlisation des

agro-hydrosystmes (EMMAH), en comparaison des pays de lUnion europenne, ni bonne, ni mauvaise lve en matire de traitement de ses eaux uses. Elle se situe dans la moyenne mais doit encore faire quelques efforts pour tre parfaitement en rgle avec la directive europenne de 1991 relative au traitement des eaux uses. Mieux traiter et mieux rutiliser : cest pour nous un norme enjeu de recherche en termes denvironnement, de sant publique et dconomie. La France est encore une privilgie pour son accs leau, mais le rchauffement du climat crera des dsquilibres hydriques dans les rgions mditerranennes. Elles devront mieux grer et accrotre le recyclage de leurs eaux . La France ne recycle que 2% de ses eaux uses, contre 5% au total dans

le monde. Pour comparaison, Isral rutilise - principalement pour son irrigation - plus de 70% de ses eaux uses. Mais il nest pas le seul. Chypre souhaite par exemple, dans les cinq dix prochaines annes rutiliser 100% de ses eaux uses. Et certaines villes sessayent mme les recycler en eau potable comme en Namibie, en Australie, ou Singapour. La goutte qui fait dborder la vase Le traitement des eaux uses repose sur llimination des polluants majeurs, micro-organismes et matires organiques biodgradables et nutriments comme lazote ou le phosphore Mais, avec plus de 110 000 substances chimiques dj mises sur le

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march en Europe, le suivi des polluants dans les stations dpuration est une gageure Une circulaire de 2010 exige dailleurs la surveillance des micropolluants dans les stations dpuration, mais nimpose pas encore de limites de rejet. A partir de lexamen de donnes cotoxicologiques, les scientifiques ont identifi de nouvelles substances dites mergentes, pour lesquelles on ne sait pas valuer la persistance et la dangerosit sur lenvironnement. Ce sont des micropolluants organiques susceptibles davoir une action toxique des concentrations infimes dans un milieu donn, comme les hormones, les nouveaux pesticides, les produits pharmaceutiques et cosmtiques et autres composs de grande consommation. Les stations dpuration, souvent non conues pour liminer les micropolluants organiques, sont ainsi un point de convergence et de dissmination vers les milieux aquatiques. Les concentrations de rsidus mdicamenteux peuvent atteindre plusieurs centaines de microgrammes

par litre dans les effluents et les eaux rsiduaires, et se retrouver des concentrations de quelques nanogrammes dans les eaux superficielles, souterraines et de consommation (voir schma). Les rendements dlimination des polluants par les stations dpuration oscillent entre 30% et 99%, avec des concentrations dans les rejets entre 100 ng/L (1 ng = 1 milliardime de g) et 1 ou 2 g/L (1 g = 1 millionime de g). On retrouve ces polluants dans les rivires, des concentrations de quelques ng/L ou dizaines de ng/L, et de manire moins frquente mais aux mmes concentrations, dans les eaux souterraines. Y compris dans les primtres de captage de leau potable. Comme un poison dans leau On a estim que, dans le cas du paractamol par exemple, sur lensemble dune vie un adulte buvant de leau potable consommerait peine lquivalent dun cachet. Quasi rien. Mais quid du cocktail infinitsimal ingr sur toute une vie ? Quels impacts de

ces trs faibles concentrations sur les cosystmes aquatiques et ltre humain ? Il est aujourdhui trs difficile de mesurer ce risque : les scientifiques sinquitent de ces effets cocktail , cest--dire des effets synergiques des mlanges. Selon Dominique Patureau, directrice de recherche lunit LBE, laboratoire de biotechnologie de lenvironnement de Narbonne, qui travaille sur les mcanismes dlimination des micropolluants au cours du traitement des eaux et des rsidus solides, il existe aujourdhui beaucoup de donnes mais souvent parcellaires sur la concentration en micropolluants dans les eaux uses et sur leur devenir aprs rejet dans les cosystmes recepteurs. Peu tudi jusqu prsent, le comportement des micropolluants et autres substances mergentes dans les eaux et dans les boues est devenu lun de nos principaux domaines de recherche... Et cela intresse. Les acteurs de leau nous sollicitent de plus en plus sur cette question . Les chercheurs de lunit ont notamment tudi le devenir des strognes,

Trajet des eaux uses et de leurs micropolluantsMicropolluants ng-g/L

Industries

Eaux brutes...

Concentration en micropolluants : ng-g/L

Station dpuration industrielle

Boues

g-mg/Kg

Nappes souterraines, riviresMicropolluants ng-g/L

Domestique

Eaux brutes...

Station dpuration urbaine

Micropolluants ng-g/L

Agriculture

Pluies, irrigation, pesticides, nitrates...

Micropolluants ng/L

Station de traitement des eaux

La concentration en micropolluants dans les eaux brutes (ng-g/L) diminue lors de son passage en station dpuration. Rejets dans lenvironnement, les micropolluants restants sont alors dilus dans les hydrosystmes pour atteindre quelques ng-g/L. Ces polluants se retrouveront, plus tard, dans les stations de traitement des eaux des concentrations de lordre du ng/L (1 milliardime de gramme par litre).

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hormones sexuelles utilises dans les pilules contraceptives entre autres, rejets dans les eaux domestiques, et lvolution de leur activit endocrinienne sur le milieu. Un perturbateur endocrinien dsigne en effet toute molcule mimant les proprits des hormones et agissant sur lquilibre hormonal despces vivantes. Pour Dominique Patureau : le taux de biodgradation des strognes dans les stations dpuration atteint les 90%. On en retrouve 2% dans les eaux traites et 4% dans les boues, soit une concentration de quelques nanogrammes. Cependant, mme ces infimes quantits, on mesure des activits de perturbateurs endocriniens. Il y a bien sr des phnomnes de dilution dans les rivires, mais par exemple quid de ltiage, lorsque le dbit du cours deau est son point le plus bas ? Lunit EMMAH travaille quant elle sur le devenir des pathognes - bactries et virus - des eaux uses dans lenvironnement. Pour Pierre Renault : les pathognes non limins par les stations dpuration et rejets dans le milieu peuvent entraner des intoxications alimentaires : comme des pidmies lies aux coquillages par exemple, mais galement des cas ponctuels dintoxication par les eaux potables. Nous avons notamment eu un cas en 2000 dans le Lot o un millier de personnes avaient t atteintes de gastroentrites : en cause la prsence de bactries et de virus dans les eaux, lie une mauvaise chloration au captage Et en 2002 en Isre, des gastroentrites dorigine virale dues une combinaison de facteurs : le dysfonctionnement dune station

dpuration, linondation du primtre de protection dun captage cause des fortes pluies et le mauvais tat du puits de captage . En France, les helminthes et les protozoaires ne posent pas trop de problmes, mais les bactries et les

Les boues, sujet de rechercheLes boues issues des stations dpuration reprsentent en France une production de 900 000 tonnes de matire sche par an, soit 1 million de tonnes de matire brute. Elles sont pandues pour plus de la moiti dans les champs, ce qui reprsente 5% de la surface agricole franaise. Lunit LBE, laboratoire de biotechnologie de lenvironnement, sintresse particulirement aux boues, le sujet pauvre de la recherche sur les micropolluants. Les boues peuvent tre charges en micropolluants : parmi les substances limines plus de 30% par des systmes conventionnels de traitement des eaux, 65% sont simplement transfres aux boues ! Lunit tudie leur devenir au cours des procds de traitement des boues en dnouant les interactions complexes sorption-localisation-(bio)dgradation explique Dominique Patureau, directrice de recherche dans lunit. En troite collaboration avec des chercheurs des units EGC et PESSAC de Grignon, nous nous intressons notamment au devenir des polluants dans les champs, leur accumulation ou leur transfert dans les eaux ou dans les vgtaux. Nous suivons une multitude de micropolluants de faible teneur depuis la production, le traitement des boues jusqu leur utilisation sur sols agricoles et cherchons comprendre/modliser leur devenir en plein champ. Cela permet dvaluer leur accumulation ou leur mobilit dans le sol, les plantes et les eaux et destimer potentiellement leur impact cotoxicologique .

virus sont lgion sous les microscopes. Une vraie soupe dans les eaux uses. On pourrait citer, entres autres, Escherichia Coli, des salmonelles, des lgionnelles, Vibrio cholerae, Campilobacteres Beaucoup plus rsistants mais rarement surveills dans les eaux uses, les virus peuvent devenir un problme de sant publique. Alors quil faut 104 bactries pour commencer tre malade, moins de dix virus peuvent suffire nous infecter. Dautant plus quun virus peut rester infectieux quelques semaines alors quune bactrie peut tre vite dgrade dans son environnement par les rayons solaires explique Pierre Renault Dans notre unit et en collaboration avec diffrentes units notamment la nouvelle TGU dAgro-cologie de Dijon, nous travaillons particulirement sur les virus et bientt les bactries antibiorsistantes. Nous avons commenc un travail exprimental sur le devenir du virus Mengo dans le sol et dans latmosphre, un virus proche de lhpatite A sans en avoir le pouvoir infectieux. Comprendre le devenir du virus dans lair est fondamental pour valuer les risques des systmes

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daspersion des eaux uses en irrigation. Dans le sol, les virus peuvent se dplacer sur de grandes distances. On travaille galement sur les chargements en matire minrale et organique des eaux uses et leurs impacts sur les caractristiques du sol, comme la salinit . Ltat des eaux sest amlior Les cosystmes aquatiques voluent sous leffet de changements naturels ou de perturbations anthropiques. Si la perturbation ne dpasse pas les seuils dirrversibilit et si elle est temporaire, lcosystme pourra revenir un tat dquilibre proche de son tat antrieur. Cest la rsilience, cest-dire la capacit de lcosystme rsister des perturbations et revenir un nouvel tat dquilibre dynamique. Le temps de rsilience des cosystmes lacustres est trs diffrent dun lac lautre. Plus les systmes sont vastes et profonds, plus le temps de rsidence des eaux est long et plus linertie est grande. Ce temps dpend bien sr de la concentration de la charge polluante. Plusieurs dizaines dannes ont t ncessaires par exemple au lac Lman et au lac du Bourget (dont le temps de rsidence des eaux est de onze ans et sept ans respectivement) pour revenir leur tat dquilibre aprs lapparition dune pollution dans leurs eaux , explique Isabelle

ADN, preuve ultimeLunit CARRTEL de Thonon prospecte, par des approches palolimnologiques, les archives sdimentaires du lac Lman. Elle y traque lADN des restes des communauts passes (plancton : diatomes, cyanobactries). Grce ces observations, nous pouvons remonter lhistoire du lac et de son cosystme sur des centaines dannes. Nous avons pu suivre ainsi les rponses des populations lacustres face aux perturbations dorigine anthropique et naturelle et mesurer la manire dont elles reviennent un tat dquilibre. Cest une chelle de temps suffisamment importante pour comprendre les interactions entre lhomme et le milieu. Nous pouvons par cette approche mettre en vidence des effets de seuil et tudier la capacit et la vitesse de rsilience des systmes , explique Isabelle Domaizon, charge de recherche dans lunit. Ces outils, couplant lanalyse molculaire et la palolimnologie (squenage classique, squenage massif et PCR quantitative) seront dclins dans dautres systmes lacustres. Cette dmarche est notamment propose dans le cadre dun projet europen Biodiversa (projet Bio-REAL), qui intgre les sites dtudes de Norvge, Sude et Autriche. Il sagirait, terme, de prdire la rponse des systmes planctoniques face des volutions diverses du lac (usages du bassin versant, changements climatiques, introduction despces).

Domaizon, charge de recherche lunit CARRTEL, Centre alpin de recherche sur les rseaux trophiques des cosystmes limniques. En fonctionnement depuis les annes soixante, lobservatoire de lInra sur les grands lacs pri-alpins suit lvolution du milieu lacustre sur le long terme. Il dcortique les mcanismes et les interactions multiples qui orchestrent lcosystme et son volution dans le temps. Lunit, en partenariat troit avec luniversit de Savoie et lIRSTEA de

Lyon, sest intresse rcemment au devenir des polychlorobiphnyles (PCB) dans les lacs. Malgr leur interdiction en 1987, les PCB, drivs chlors cotoxiques, cancrignes et persistants, sont encore susceptibles dtre prsents dans la chane trophique. Largement utiliss entre les annes trente et les annes quatre-vingt dans de nombreux produits comme les isolants, liquides de refroidissement, plastiques, adhsifs et peintures, ils ont contamin de nombreux cours deau. Peu biodgradables, ils se

Collection dchantillons (prlvements eau, phytoplancton, etc.) conserve au Centre alpin de recherche sur les rseaux trophiques des cosystmes limniques (CARRTEL).

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Inra / Christophe Matre

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sont accumuls dans lenvironnement. Leur interdiction il y a plus de vingt ans, a stopp la pression de pollution directe. Mais on les dtecte toujours dans les sdiments des lacs. Nous essayons de comprendre la remobilisation des PCB des sdiments vers le milieu qui peut entraner une contamination des macro-invertbrs benthiques. A leur tour, ils peuvent tre ingrs par des poissons qui accumulent les PCB dans leurs cellules graisseuses jusquau consommateur final. Quelques alertes ont ponctuellement t lances pour interdire la consommation de certaines espces et tailles de poissons lorsque lon dtectait une contamination significative au regard des seuils europens , analyse Isabelle Domaizon. Lobservatoire a examin les changements de concentration en phosphates et tudi leurs consquences cologiques dans le lac Lman depuis cinquante ans. Et, bonne nouvelle, ltat des eaux sest amlior ! Leutrophisation du lac a augment jusque dans les annes 80 cause de rejets domestiques riches en phosphates notamment utiliss dans les lessives. Avec linterdiction de lusage des phosphates dans les lessives et le

Inra / Mal Dugu

wLA LYmNE DEs TANGs (Lymnaea stagnalis) : espce modle pour ltude des effets reprotoxiques des produits chimiques sur les mollusques. Adultes en cours daccouplement.

dveloppement gnralis des traitements des eaux uses, incluant des techniques de dphosphatation dans les stations dpuration, la source de pollution sest largement tarie. En

Rglementer la source les perturbateurs endocriniensAvant dautoriser la vente dun produit phytopharmaceutique, doit-on sassurer quil na aucun impact sur la reproduction de lhomme et des populations animales, aquatiques ou terrestres ? Le critre perturbateur endocrinien peut-il tre pris en compte dans lvaluation du risque dun pesticide avant sa mise sur le march ? Est-ce un critre dexclusion pertinent ? Comment lvaluer ? Un test in vitro peut-il prdire les effets in vivo sur un organisme intact (selon la dfinition mme dun perturbateur endocrinien) ? Ces controverses, cruciales pour lavenir de lutilisation des pesticides - et de beaucoup dautres substances chimiques (composs industriels, produits pharmaceutiques, cosmtiques) - agitent scientifiques, industriels et pouvoirs publics depuis la publication de la nouvelle Directive europenne (EC 1107/2009) sur lvaluation des produits phytopharmaceutiques. Lunit Ecologie et sant des cosystmes (ESE) de lInra a lanc en janvier 2012 deux programmes de recherche (CREOLE et MODENDO) soutenus par lAnses. Il sagit dlaborer une mthode de cri