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CLEFS CEA - N° 49 - PRINTEMPS 2004 77 Parmi les multiples façons dont le Soleil exerce son influence sur la vie des habitants de la Terre, et dont certaines – par exemple dans ses conséquences magnétiques dans la haute atmosphère – ne sont qu’évoquées dans ce numéro, la chaleur et la lumière qu’il dispense sont les plus évidentes. Une influence dont les Terriens perçoivent le caractère fondamentalement bénéfique, du moins à l’échelle des quelques milliards d’années pendant lesquelles l’astre va lentement brûler ses réserves. Cela ne les empêche pas de s’inquiéter, pour l’avenir proche, d’un réchauffement climatique exagéré, imputable au relâchement incontrôlé de gaz à effet de serre dans leur atmosphère. Pour évaluer les conséquences de ce phénomène, dont l’homme a lui-même contribué à accélérer le mouvement, la connaissance de l’ensemble des facteurs qui ont affecté les climats dans le passé est déterminante. Elle permet de mieux prévoir vers quoi évoluera la concentration du dioxyde de carbone dans l’atmosphère terrestre. Il ne s’agit là que de l’un des domaines dans lequel les chercheurs du CEA, forts de leurs compétences acquises par et pour le nucléaire – le marquage isotopique n’étant qu’un exemple parmi d’autres – obtiennent des résultats significatifs, dont certains sont présentés ou évoqués dans ce troisième chapitre. Dans l’usage quasi direct des rayonnements solaires, c’est notamment le cas des développements visant à repousser, autant que faire se peut, les limites technologiques du photovoltaïque, objectif qui s’inscrit dans un développement volontariste des énergies renouvelables en général. Les travaux du CEA dans ce domaine seront traités de manière plus approfondie dans un prochain numéro de Clefs CEA consacré aux Nouvelles technologies de l’énergie. Dans des utilisations de l’énergie solaire non moins prometteuses, c’est la photosynthèse dont des équipes s’emploient à décrypter les mécanismes afin, le cas échéant, de domestiquer ce processus essentiel qui a permis la production d’oxygène dans l’atmosphère et l’apparition de nouvelles formes de vie. Dans quel but? Par exemple, produire directement de l’hydrogène à partir de l’énergie solaire et de l’eau, ou encore aider à la dépollution de sols chargés en métaux lourds via la phytoremédiation. Autant de recherches pour lesquelles l’interdisciplinarité n’est pas un vain mot: biologistes, chimistes, généticiens et physiciens y mettent en commun leurs visions des choses. Enfin, ces missions majeures que sont pour le CEA la compréhension et la maîtrise des effets sur l’homme et son environnement des rayonnements, surtout ionisants, a conduit ses chercheurs à contribuer activement à l’élargissement des connaissances sur l’action des rayons solaires. Aussi bien lorsque cette action est bienfaisante, ce qu’elle est a priori, quand les ultraviolets aident notamment à la synthèse de vitamines, ou quand elle devient délétère, quand une exposition trop intense ou des défauts génétiques viennent dérégler la machine cellulaire ou submerger ses capacités naturelles d’autoréparation. III. LE SOLEIL ET LES TERRIENS Lever de Soleil dans l’Himalaya, au Népal. Après avoir bénéficié de l’oxydation photosynthétique de l’eau et subi les variations climatiques depuis son apparition sur Terre, l’homme commence juste à avoir une influence significative sur l’effet de serre qui conditionne la part d’énergie solaire que sa planète conserve pour se “maintenir au chaud”. Goodshoot

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Page 1: III. LE SOLEIL ET LES TERRIENS - CEA - Accueil · 2015. 9. 10. · 78 CLEFS CEA - N°49 - PRINTEMPS 2004 Le Soleil et les Terriens L’influence du Soleil sur le climat des planètes

CLEFS CEA - N° 49 - PRINTEMPS 2004 77

Parmi les multiples façons dont le Soleil exerce son influence sur la vie des habitants de laTerre, et dont certaines – par exemple dans ses conséquences magnétiques dans la hauteatmosphère – ne sont qu’évoquées dans ce numéro, la chaleur et la lumière qu’il dispense sontles plus évidentes. Une influence dont les Terriens perçoivent le caractère fondamentalementbénéfique, du moins à l’échelle des quelques milliards d’années pendant lesquelles l’astre valentement brûler ses réserves. Cela ne les empêche pas de s’inquiéter, pour l’avenir proche,d’un réchauffement climatique exagéré, imputable au relâchement incontrôlé de gaz à effet deserre dans leur atmosphère. Pour évaluer les conséquences de ce phénomène, dont l’homme a lui-même contribué à accélérer le mouvement, la connaissance de l’ensemble des facteursqui ont affecté les climats dans le passé est déterminante. Elle permet de mieux prévoir versquoi évoluera la concentration du dioxyde de carbone dans l’atmosphère terrestre.Il ne s’agit là que de l’un des domaines dans lequel les chercheurs du CEA, forts de leurscompétences acquises par et pour le nucléaire – le marquage isotopique n’étant qu’unexemple parmi d’autres – obtiennent des résultats significatifs, dont certains sont présentésou évoqués dans ce troisième chapitre.Dans l’usage quasi direct des rayonnements solaires, c’est notamment le cas des développementsvisant à repousser, autant que faire se peut, les limites technologiques du photovoltaïque, objectifqui s’inscrit dans un développement volontariste des énergies renouvelables en général. Les travauxdu CEA dans ce domaine seront traités de manière plus approfondie dans un prochain numérode Clefs CEA consacré aux Nouvelles technologies de l’énergie.Dans des utilisations de l’énergie solaire non moins prometteuses, c’est la photosynthèse dont des équipes s’emploient à décrypter les mécanismes afin, le cas échéant, de domestiquer ce processus essentiel qui a permis la production d’oxygène dans l’atmosphèreet l’apparition de nouvelles formes de vie. Dans quel but? Par exemple, produire directement de l’hydrogène à partir de l’énergie solaire et de l’eau, ou encore aider à la dépollution de solschargés en métaux lourds via la phytoremédiation. Autant de recherches pour lesquellesl’interdisciplinarité n’est pas un vain mot: biologistes, chimistes, généticiens et physiciens y mettent en commun leurs visions des choses.Enfin, ces missions majeures que sont pour le CEA la compréhension et la maîtrise des effetssur l’homme et son environnement des rayonnements, surtout ionisants, a conduit seschercheurs à contribuer activement à l’élargissement des connaissances sur l’action desrayons solaires. Aussi bien lorsque cette action est bienfaisante, ce qu’elle est a priori, quandles ultraviolets aident notamment à la synthèse de vitamines, ou quand elle devient délétère,quand une exposition trop intense ou des défauts génétiques viennent dérégler la machinecellulaire ou submerger ses capacités naturelles d’autoréparation.

III. LE SOLEIL ET LES TERRIENS

Lever de Soleil dans l’Himalaya, au Népal. Après avoir bénéficié de l’oxydation photosynthétique de l’eau et subi les variationsclimatiques depuis son apparition sur Terre, l’homme commence juste à avoir une influence significative sur l’effet de serre qui conditionne la part d’énergie solaire que sa planète conserve pour se “maintenir au chaud”.

Goodshoot

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Le Soleil et les Terriens

L’influence du Soleil sur le climat des planètes telluriques tient à la fois à l’évolution del’astre lui-même, à leur position par rapport à lui et à la composition de leur atmosphère.Sur Terre, l’activité humaine s’ajoute aux facteurs géologiques pour influencer le climat de manière accélérée.

Le Soleil a rendez-vous avec la Terre

Une Terre bleue et différente

La température au sol des planètes telluriques qui nepossèdent pas ou peu d’atmosphère est essentielle-ment déterminée par leur position par rapport auSoleil. Mercure, par exemple, la plus proche du Soleil,voit son sol dardé de plein fouet par ses rayons, enre-gistrant des températures diurnes de 430 °C, alorsque les températures nocturnes descendent à -100 °C.Et pas moyen pour elle de lutter contre les fortscontrastes saisonniers : nul océan pour en adoucirles variations sur sa surface burinée ! Que dire de nosdeux proches voisines, Mars et Vénus ? Mars, la pluséloignée, a probablement connu des périodes plusfastes qu’aujourd’hui, où elle ne dispose plus que

d’une atmosphère très ténue de gaz carbonique etoù les températures oscillent entre + 20 °C le jour et- 140 °C la nuit. Son climat a sans doute beaucoupchangé. D’abord parce que l’obliquité de l’axe de rota-tion de Mars peut varier, plus que celle de la Terre,dont la Lune réduit drastiquement le débattement.Ensuite parce que, comme sur Terre, la présence degaz à effet de serre (GES) et surtout du dioxyde decarbone, jusqu’à 2·105 pascals (2 bars) dans sa primejeunesse, a permis à la planète de connaître un climat plus clément. Le cas de Vénus est différent :son atmosphère très dense et riche en GES l’a trans-formée en enfer avec des températures de 470 °C ausol ! Entre ces deux planètes, la Terre, dont les tempé-ratures au sol permettent la présence d’eau sous ses

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Vue de l’espace, la Terre mérite son surnom

de planète bleue.

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trois phases, dispose d’océans, parfois de calottes deglace et, très présente dans son atmosphère, de vapeurd’eau, principal gaz à effet de serre. Seule la Terre,jusqu’à preuve du contraire, héberge la vie. Est-ce dûà sa position privilégiée par rapport au Soleil, plusproche de lui que Mars-la-froide et plus éloignée queVénus-la-fournaise ?

Une histoire plus tourmentée qu’on ne le pensait…

En fait, l’histoire climatique de toutes ces planètesest très liée à l’évolution du Soleil lui-même. Or, celui-ci n’a pas toujours été aussi éclatant qu’aujourd’hui.Dans son enfance, le soleil était plus “pâle” d’envi-ron 20 %. Il y a encore 800 millions d’années (Ma),par exemple, son rayonnement était plus faible, del’ordre de 6%, du niveau “nominal”qu’il a lentementatteint. Une telle faiblesse de la part de l’astre autourduquel elles gravitent aurait dû être fatale aux jeunesTerre, Mars et Vénus, conduisant inéluctablementà des températures négatives. Or il n’en a rien été :le dégazage du manteau en vapeur d’eau, dioxydede carbone, méthane et autres GES a permis à cesplanètes de connaître, en leur jeune âge, un climat

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bien plus clément. Par la suite, leurs climats se sontdifférenciés. Mars et Vénus ont connu les avatars quel’on sait, sans doute après des périodes climatiquesmoins extrêmes. Quant à la Terre, n’a-t-elle évoluésous ce même Soleil qu’entre des climats chauds,comme ceux du Crétacé où s’épanouirent les

Image de Vénus (en fausses couleurs) obtenue grâce aux données du radar de la sonde Magellan.

Simulation de Mars telle que la planète aurait puapparaître au paroxysmed’un relativement récent âge glaciaire. (Avec l’autorisation deNature Publishing Group ;Nature vol. 426, n° 6968.)

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dinosaures, et de grandes glaciations comme cellesdu Quaternaire que l’homme de Néandertal a connuesen Europe (figure 1) ?On pense aujourd’hui que non. Non seulement le cli-mat de notre planète a varié avec de très longues pério-des chaudes comme l’Archéen,le Carbonifère,le Crétacésans la présence de calottes de glace, et quelques raresépisodes plus froids (représentant moins de 10% del’histoire climatique de la Terre) où ces calottes ontexisté,comme la limite Permo/Carbonifère,l’Ordovicienet le Quaternaire dans lequel nous vivons.Mais la Terrea sans doute été en très grande partie, voire complète-ment,englacée au moins deux fois au Néoprotérozoïque,il y a 800 millions d’années.

La Terre blanche, scénario catastrophe?

Les premiers modèles climatiques développés dans lesannées soixante, en particulier par le Russe Budyko,étaient basés sur l’utilisation par le système Terre del’énergie solaire incidente et par sa conversion enrayonnement infrarouge, en tenant compte des pro-priétés de surface et des caractéristiques dynamique etthermique de l’atmosphère. En ont été issus à partirde la fin des années 60 des modèles à une,deux ou troisdimensions dits d’équilibre énergétique (Energy BalanceModels). C’est en s’appuyant sur leurs résultats queBudyko démontra que si la Terre avait été totalementgelée, elle le serait encore! En effet, le pouvoir réflé-chissant de notre planète (albédo) est aujourd’hui de0,3, ce qui signifie grossièrement que 70% seulementde l’énergie du Soleil est utilisable pour servir decombustible à l’océan et à l’atmosphère pour redistri-buer et évacuer l’énergie reçue; 30% du rayonnementsolaire est réfléchi et n’entre pas dans le système.L’albédod’une Terre “blanche”entièrement gelée (les continentsétant recouverts de glace et les océans d’une épaissecouche de banquise) serait au moins deux fois plusélevé (0,6),ce qui signifie que seulement 40% de l’énergiesolaire serait utilisable. Pour sortir la Terre de cetteléthargie profonde,il faudrait une énergie considérable,en l’occurrence un Soleil 1,25 fois plus puissant que

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Le Soleil et les Terriens

La Terre a connu sa dernière glaciation il y environ 20 000 ans (à droite). A-t-elle été complètement englacée il y a 750 millions d’années ?

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Figure 1.Évolution des températures terrestres à travers les âgesgéologiques.

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l’actuel, ce qui est absurde : donc la Terre n’avait puconnaître un englacement total,C.Q.F.D.Ce paradigmedura près de trente ans et ne fut radicalement remis encause que récemment.

Le dioxyde de carbone, élément majeur

Car il manquait un élément majeur dans le beauraisonnement de Budyko: le dioxyde de carbone. Eneffet, notre planète est vivante au sens géologique,contrairement à la Lune ou Mars où toute activitévolcanique a cessé.Si un englacement global s’y produit,cela va aussi avoir des conséquences sur le cycle du car-bone à l’échelle géologique. La première étant que siles émissions volcaniques terrestres et sous-marinescontinuent, le dioxyde de carbone est stocké dansl’atmosphère,celui-ci n’ayant plus de “puits”à sa dispo-sition. Et si la glaciation dure longtemps (quelquesmillions d’années), sa concentration atteint des tauxfaramineux et ses propriétés de gaz à effet de serre vontpermettre la débâcle.Non seulement le dioxyde de car-bone, particulièrement via sa teneur atmosphérique,a pu contrecarrer la faiblesse d’un Soleil jeune, mais ilva également pouvoir réguler le climat de la Terre.À l’échelle géologique, il n’est pas le seul à détenir ceprivilège. La tectonique des plaques qui, depuis desmilliards d’années, modifie inlassablement le visagede notre planète, détermine aussi ses climats. Nousverrons que ces deux “régulateurs”de l’activité solaireont également des liens étroits.Même si les quatre premiers milliards d’années del’histoire climatique de notre planète sont moins bienconnus que les 600 derniers millions d’années (lePhanérozoïque) – eux-mêmes beaucoup moins bienconnus que les deux derniers millions d’années (leQuaternaire) –, une constatation est frappante. Dansun contexte de Soleil jeune et moins puissant, la Terrea connu pendant ces quatre milliards d’années desclimats chauds, avec de rares glaciations : un premierépisode froid à 2,4 millions d’années et un secondentre 800 et 600 millions d’années. Or, ces glaciationsne sont pas, a priori, liées aux variations de l’énergiesolaire, mais aux changements de composition del’atmosphère terrestre.Les chercheurs pensent ainsi que l’émergence de la viesous forme bactérienne a provoqué l’augmentationde la teneur en oxygène de l’atmosphère terrestre etl’oxydation du méthane, puissant gaz à effet de serre.L’atmosphère, devenant ainsi moins riche en GES trèsefficaces, aurait permis aux températures du sol dechuter et de produire une glaciation massive dite“huronienne”,dont de nombreuses traces géologiquessont disponibles. Le second épisode de glaciation seproduisit bien plus tard, alors que l’atmosphère ter-restre ressemblait beaucoup plus à celle d’aujourd’hui.Une hypothèse permet cependant d’expliquer cetteglaciation, qui se situe dans un contexte géologiqueparticulier. C’est en effet la période où un super-continent Rodinia, formé à 1,1 milliard d’années, vacommencer à se déliter en plus petits fragments, entre800 et 750 millions d’années, essentiellement en zonetropicale (figure 2).Cet événement important à l’échellegéologique pour le climat de la Terre va égalementavoir un impact majeur sur le taux de CO2 atmosphé-rique. Tous ces petits continents vont subir érosiondes roches et altération des sols et, ainsi, piéger des

quantités énormes de CO2 qui vont être transportéesau fond des océans. Cela va entraîner une baisse de lateneur en CO2 de l’atmosphère, qu’il est possibled’évaluer à l’aide d’un modèle climat/carbone à1000 ppm (parties par million), et donc une dimi-nution considérable de l’effet de serre de l’atmosphère,ce qui expliquerait les traces de glaciation. Reste àcomprendre pourquoi cette dernière a pu être globale.

Des glaciations précambriennes à cellesdu Phanérozoïque

Un premier paradoxe des glaciations précambriennestant huronienne que néoprotérozoïque apparaît : lepaléomagnétisme permet de savoir qu’elles ont eulieu à basse latitude, alors que toutes les glaciations,depuis 530 millions d’années, se situent toujoursà haute latitude, ce qui est parfaitement cohérentavec la distribution d’énergie solaire en fonction deslatitudes (figure 3). Mais d’autres paradoxes autourde ces glaciations du Néoprotérozoïque n’ont cessé

Figure 2.Simulations du climat terrestre avant et après la fragmentation du supercontinent Rodinia, il ya respectivement 800 et 750 millions d’années. Les premiers résultats montrent que le modèles’équilibre à une teneur en gaz carbonique (pCO2) respectivement de 1 800 ppm et 500 ppm,soit une température globale moyenne qui passe dans le même temps de 10,2 °C à 2 °C. Avant la fragmentation, une position tropicale des continents ne semble pas être une conditionsuffisante à la formation de calottes de glace continentale, même si le climat est relativementfroid. Après l’éclatement du Rodinia, la configuration (continents plus petits et plus dispersés)apparaît très favorable au déclenchement d’une glaciation importante (N.B. ces simulations ne prennent pas en compte les phénomènes volcaniques qui, par l’altération plus rapide desbasaltes, vont produire une glaciation globale).

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Le Soleil et les Terriens

d’intriguer géologues et géophysiciens ces trentedernières années.Le premier de ces paradoxes est le retour de ce qu’onappelle les “BIF”(de l’anglais Banded Iron Formations,formations de fer rubané), qui avaient disparu à2,4milliards d’années,lorsque l’oxygène de l’atmosphèreet de l’océan permettait l’oxydation et la dissolutiondu fer. Pourquoi y aurait-il eu vers 800 Ma un retourà un océan anoxyque (pauvre en oxygène) ? Uneseconde énigme est l’observation de variations de lateneur en carbone 13, l’isotope lourd stable ducarbone. Enfin, dernier caractère spectaculaire de cesglaciations, les indices de glaciation : les tillites (untype de moraine glaciaire), sont surmontées d’uneépaisse couche de carbonate, comme on en trouveaujourd’hui dans les mers chaudes du globe.Paul Hoffman,professeur à Harvard,a pour la premièrefois donné, en 1994, avec la théorie de la “snowballEarth”, un cadre conceptuel susceptible d’expliquertous ces paradoxes. En effet, une glaciation globalepermettait à la fois de comprendre le retour des “BIF”dans un océan recouvert d’une épaisse couche de ban-quise et très peu oxygéné, et les variations du carbone13 liées à un arrêt total du cycle du carbone.Le dioxydede carbone émis par les volcans se serait trouvé emma-gasiné dans l’atmosphère jusqu’à ce qu’à la suite d’un“méga-effet de serre” la débâcle se produise et que laTerre se réchauffe, produisant par une érosion trèsrapide due à de très fortes précipitations un enfouis-sement de carbonate produisant les “cape carbonate”qui surmontent les sédiments glaciaires.L’histoire climatique de la terre dans les centaines demillions d’années qui vont suivre, avec un Soleil ayantatteint une puissance proche de celle que nous connais-sons aujourd’hui, va être rythmée essentiellement parla tectonique des plaques. Dès le début du vingtièmesiècle, lorsque Alfred Wegener exposa sa théorie de ladérive des continents,son beau-père Wladimir Koppenproduisit les premières cartes climatologiques asso-ciées à ces dérives en latitude. Ainsi, il y a 300 millionsd’années, une très forte glaciation eut lieu dansl’hémisphère Sud, lorsque le sud du supercontinent

Gondwana occupait une position polaire.Les traces decette glaciation se retrouvent en Afrique, en Amériquedu Sud, en Inde, en Australie et dans l’Antarctique(figure 3). En fait, les périodes de glaciation qui néces-sitent qu’un continent occupe une position polaire sontplutôt rares et ce sont les périodes chaudes, sans tracede glaciation, qui dominent ces 530 derniers millionsd’années.Le paysage va changer avec l’englacement pro-gressif de l’Antarctique, à la fin du Tertiaire, et celui duGroenland plus récemment, il y a 3 millions d’années.

Variation des paramètres orbitaux

Le Soleil n’est donc plus,depuis le Cambrien, le moteurdes changements climatiques à l’échelle géologique.Au Quaternaire, la variation des paramètres orbitauxde la Terre constitue l’horloge séculaire du climat denotre planète. Paradoxalement, cette ère va être bercéepar les variations de ces paramètres, qui déterminentla quantité d’insolation parvenant du Soleil au som-met de notre atmosphère et vont avoir des conséquencesclimatiques extrêmes.À des échelles de temps de dizai-nes de milliers d’années, les calculs de mécanique célestemontrent que l’excentricité de l’orbite de la Terre variede 0 à 0,6 avec des périodes de 100000 et 400000 ans,que l’obliquité varie de +/-1 ° autour de 23,5 °, avecune période de 41000 ans,et qu’enfin la précession deséquinoxes varie également, avec des fréquences de19000 et 23000 ans(1) (figure 4). Ces calculs, qui por-tent sur plusieurs millions d’années, ont été réaliséspar Jacques Laskar, de l’Institut de mécanique célesteet de calcul des éphémérides (Bureau des longitudes),et André Berger, professeur à Louvain-la-Neuve. Ilsavaient été initiés dès 1940 par un scientifique serbe.Milutin Milankovitch avait eu l’intuition géniale derapprocher la baisse d’insolation estivale aux hauteslatitudes de l’hémisphère Nord, due aux variationsséculaires des paramètres orbitaux et qui se pro-duisait environ tous les 100 000 ans, de l’occurrence

Figure 3.Évolution des températures moyennes de l’air sur la Pangée entre le Permo Carbonifère (il y a 295 millions d’années, à gauche)et le Permo Trias (250 millions d’années, à droite). Au Carbonifère, ces températures sont très négatives dans le sud du Gondwana (hautes latitudes de l’hémisphère Sud), compatibles avec l’existence d’une grande calotte de glace.

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(1) Les deux derniers effets créent des différencesd’éclairement respectivement de 15 et 65 W/m2.

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de phases glaciaires très importantes recouvrantd’immenses calottes de glace le nord de l’Europe etde l’Amérique du Nord.Cette théorie ne fut réellementprise au sérieux que lorsque les premiers forages marinsmirent en évidence des variations climatiques qui seproduisaient précisément aux fréquences de variationdes paramètres orbitaux. Plus tard, les modèles trèssophistiqués démontrèrent que des variations assezfaibles de l’insolation au sommet de l’atmosphèrepouvaient être amplifiées par le système Terre (atmos-phère-océan-biosphère-cryosphère) de manière à faire

basculer le climat d’une phase interglaciaire, commela nôtre, à un climat glaciaire correspondant à unebaisse de niveau marin de 120 mètres.

L’homme, facteur de déséquilibre profond,prend la main

Il y a environ 200 ans commençait la révolution indus-trielle en Europe, qui s’étendit au reste du monde,provoquant une augmentation sans précédent desbesoins en énergie de la population des Terriens, qui,

Figure 4.Les paramètres orbitaux de la Terre varient, qu’il s’agisse de l’excentricité de son orbite (en haut, au milieu), de l’obliquité de sonaxe de rotation (en haut, à droite) ou de la précession des équinoxes.

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soleil

solstice d’été22 juin

périodicités (milliers d’années)

solstice d’été22 juin

équinoxe de printemps21 mars

équinoxe d’automne23 septembre

équinoxe d’automne23 septembre

équinoxe de printemps21 mars

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solstice d’hiver22 décembre

solstice d’hiver22 décembre

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Le Soleil et les Terriens

globalement,ont été multipliés par 2,3 entre1900 et2000.La plus grande partie de cette demande a été satisfaitepar la combustion de carbone fossile. L’écorce terrestrerecèle en effet de vastes réserves de charbon, d’hydro-carbures liquides et de gaz naturel qui se sont forméesau long de l’histoire de la Terre et ont une grande inertievis-à-vis des changements qui affectent ses enveloppessuperficielles. Aujourd’hui, la demande d’énergiemondiale est de 400 EJ (exajoules = 1018 joules). Lecharbon a dominé jusqu’en 1950 mais sa contributiona baissé pour atteindre 27 %, au profit de celle dupétrole (40 %), et plus récemment du gaz naturel(23 %). La génération d’énergie par les centralesnucléaires représente environ 7 %, soit 30 EJ.Or, l’extraction de carbone fossile et sa combustionpour en tirer de l’énergie sont la cause de rejets deCO2 dans l’atmosphère. Le CO2 est un gaz à effet deserre, qui capte le rayonnement infrarouge thermiqueémis par la Terre vers l’espace pour le réémettre danstoutes les directions, ce qui réchauffe l’atmosphèreet la surface des océans et des continents. Le CO2 estprésent à l’état de traces dans l’atmosphère (0,03 %),mais il absorbe dans un large domaine du spectreinfrarouge entre 2 µm et 20 µm. Sa teneur est passéede 280 ppm il y a 200 ans à 360 ppm actuellement,soit un bond de 30 %, pour atteindre les niveaux lesplus élevés des derniers 25 millions d’années(2).L’amplitude de l’augmentation du CO2 enregistréedepuis 1800 est comparable à celle qui a été obser-vée lors de la dernière déglaciation, lorsque le climats’est réchauffé de 4 °C. Par contre la vitesse d’augmen-tation du CO2 est beaucoup plus importante, etn’a sans doute pas d’équivalent dans l’histoire duQuaternaire.Pour comprendre une telle augmentation, il fautajouter aux rejets de CO2 fossile ceux qui sont dusà la déforestation et aux changements d’usage dessols, et prendre en compte la réabsorption d’unepartie de l’excès de CO2 par l’océan et la végétation.Depuis environ quarante ans, on a pu observer quela moitié seulement des émissions anthropiquess’accumule dans l’air en créant un supplément d’effetde serre. La dissolution dans l’océan, par simple effetde solubilité et de mélange des masses d’eau, et la

séquestration de carbone par les écosystèmesterrestres, plus mystérieuse car on n’en connaît pasencore tous les processus, sont des alliés précieuxpour limiter l’effet de serre et le changementclimatique. Sans ces deux puits de carbone, le CO2

augmenterait deux fois plus rapidement.

Le grain de sable dans la machineclimatique

Si, comme c’est probable, le CO2 venait à doubler dansle futur proche, chaque région de la surface du globerecevrait en moyenne 4 W/m2 supplémentaires, unequantité somme toute modeste comparée aux quelque242 W/m2 reçus du Soleil(3). Ce petit surplus d’énergiejoue pourtant le rôle du grain de sable qui détraque lamachine climatique. Comme on a vu que dans le passéune faible perturbation orbitale de l’énergie reçue duSoleil avait pu, à travers un jeu de rétroactions etd’amplifications du système climatique, faire apparaîtreou disparaître d’immenses calottes de glace, on peutanticiper que la faible perturbation induite par leCO2 émis par l’homme va avoir des conséquencesimportantes sur le climat. Un doublement du CO2,voire une augmentation, à effet radiatif équivalent,d’autres gaz à effet de serre encore plus “réchauffants”,comme le méthane CH4 (20 fois l’effet du CO2 sur unedurée de 100 ans) ou l’oxyde nitreux N2O (200 foisl’effet du CO2) provoque une augmentation des tempé-ratures de 1,5 à 6 °C. Ce réchauffement est calculé pardes modèles numériques complexes mettant enéquation bon nombre de mécanismes d’amplificationde la perturbation du CO2, via les changements nonlinéaires de circulation des océans et de l’atmosphère,de l’albédo des surfaces continentales, de la vapeurd’eau, des nuages et de l’étendue de la glace de mer. Lesmodèles numériques du climat sont faits pour calculeraux échelles régionales non seulement la températuremoyenne, mais aussi sa variabilité et celle d’autres

(2) Une teneur de 1 ppm correspond à une molécule de CO2

pour un million de molécules d’air.

(3) Globalement, le flux solaire (I = 1 365 W/m2) interceptépar la Terre (rayon R) d’albédo � est de � R2 I (1-�), soit parunité de surface T = 242 W/m2.

Icebergs dansl’Antarctique. L’évolution

de la banquise est l’une des grandes

questions que pose aux climatologues

le réchauffement de la planète. P

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L’extraction de carbone fossile et sa combustion pour en tirer de l’énergie sont la cause de rejets dans l’atmosphère de CO2,dont la moitié s’accumule dans l’air en créant un supplément d’effet de serre.

variables climatiques, en particulier les précipitations.Toutefois, pour se rendre compte de la robustesse duréchauffement à l’équilibre pour un doublement duCO2, il suffit d’appliquer la formule d(�T4)/�T4

= 4 W/m2 / 242 W/m2 pour obtenir un “ordre degrandeur” de + 1,2 °C, valeur qui ne tient pas comptedes amplifications par le système climatique. Ce n’estpas tant la valeur moyenne du réchauffement associéà une augmentation du CO2 qui est inquiétante – aprèstout la Terre en a vu d’autres au cours de son histoiretourmentée –, mais sa vitesse comparée aux facultésd’adaptation des écosystèmes et des sociétés humaines.Un des impacts les plus importants du réchauffementconcerne les modifications régionales des régimesdes pluies, et leurs conséquences sur l’agriculture etles ressources en eau en général. Il faut aussi prendreen compte les événements extrêmes (canicules, pluiesdiluviennes, tempêtes…) et une déstabilisationdes conditions d’existence bioclimatique des écosys-tèmes, qui pourrait avoir des effets importants parexemple sur la dispersion des maladies à vecteur, oul’augmentation du régime des feux.

L’ère du dioxyde de carbone est-elle inéluctable?

Si l’on calcule qu’il reste dans l’écorce terrestre environ 10 000 pétagrammes de carbone fossile (1 Pg= 1015 g), leur combustion totale dans l’atmosphèreentraînerait une augmentation des concentrations de5000 ppm! En réalité, l’océan absorbera une grandepartie du CO2 émis.À l’équilibre,on peut même calculerque 85% d’une perturbation du contenu en CO2 del’atmosphère se retrouvera in fine (en quelques siècles)dans l’océan, induisant une teneur asymptotique dansl’air de 0,15 � 5000 = 750 ppm.Toutefois,au cours des

prochaines décennies, période transitoire pendantlaquelle nous allons continuer à utiliser du carbonefossile pour produire de l’énergie, le réservoir de car-bone océanique ne va pas immédiatement se mettreen équilibre avec l’atmosphère, et nous risquons deconnaître au XXIe siècle un “pic”de CO2 bien plus élevéque 750 ppm,avec à la clé des climats bien plus chaudsque l’actuel. On se rend compte aussi que 15% de laperturbation du CO2 atmosphérique due à l’utilisa-tion des énergies fossiles est plus ou moins irréversible,et nous conduira dans quelques siècles à un climatdurablement plus chaud. Il se peut, en outre, quependant la période transitoire où les concentrationsde CO2 passeront par un pic, le climat dépasse un “seuilde stabilité” et change véritablement d’état, avec parexemple un mode de circulation océanique différentde l’actuel.Le climat des prochains millénaires va doncse jouer au XXIe siècle et dépendra de notre capacité àlimiter, voire à réduire les teneurs de l’atmosphère enCO2. Les scénarios futurs pour les émissions de car-bone fossile vont de 20 PgC par an en 2100,pour le casle plus “polluant”, à 3 PgC par an pour le scénario leplus “environnemental”.Pour stabiliser le CO2 en 2050à un niveau proche du doublement, il faudra passerpar la trajectoire basse à 3 PgC par an. Cela montre enquelque sorte que l’humanité a devant elle deux futurs:l’un verra le CO2 augmenter et le climat changer pourrendre notre planète moins habitable, l’autre le verrastabilisé, voire réduit, et l’effet de serre atténué, faisantécho à la citation de Saint-Exupéry: «On n’hérite pasde la terre de ses ancêtres, on l’emprunte à ses enfants.»

> Gilles Ramstein et Philippe CiaisLaboratoire des sciences du climat et de l’environnement (CEA-CNRS)

CEA centre de Saclay

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Le Soleil et les Terriens

Premiers organismes capables de réaliser la photosynthèse, les cyanobactériesapparurent dans l’océan primordial du Précambrien il y a plus de trois milliards d’années.En utilisant l’énergie solaire, elles produisirent de l’oxygène qui s’accumula lentement,entraînant une véritable “révolution dans l’évolution”. L’enrichissement en oxygène de l’atmosphère primitive conduisit à la création de la couche d’ozone, qui protège la Terredes rayonnements solaires ultraviolets, et provoqua des modifications du climat et de la composition de la croûte terrestre. Ces changements ont permis une colonisation des continents par de nouvelles formes de vie animale et végétale. Les végétaux, quifabriquent leur matière organique à partir de substances minérales qu’ils puisent dans le sol ou dans le milieu aquatique, sont capables de se développer dans les endroitsles plus reculés du globe et même sur des sols pollués.

La photosynthèse est le processus biologique misen œuvre par les plantes, les algues et certaines

bactéries pour convertir l’énergie lumineuse enénergie chimique indispensable aux espèces vivantes(encadré E, Le processus de photosynthèse, p. 90). Lapartie photophysique du processus correspond àl’absorption de l’énergie solaire par les chlorophylles,le colorant vert des feuilles des végétaux. Au sein de lacellule végétale, les chlorophylles sont portées par desprotéines membranaires et sont organisées en réseauxcollecteurs, les antennes, pour que, d’une part, le plusgrand nombre de photons puissent être absorbés etque, d’autre part, les chlorophylles excitées électroni-quement par l’absorption d’un photon transfèrentcette excitation de proche en proche vers une chloro-phylle spécialisée P (figure 1), à qui l’environnementprotéique confère des propriétés particulières. Dans

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La photosynthèse, une chimie verte enclenchéepar l’énergie solairePhotosynthèse et production d’oxygène

Du soleil, de l’eau et du gaz carbonique,voici les quelques ingrédients dont se contentent les organismesphotosynthétiques. Des recherchesvisant à mieux comprendre lesmécanismes physiques et chimiques à la base du très haut rendement de la photosynthèse, cette chimie vertequi alimente le monde vivant, ont pourobjectifs principaux la mise au point de systèmes photosynthétiques artificiels et la production d’hydrogène,vecteur énergétique du futur.

Fermenteur de culture de cyanobactéries servant aux études biophysiques sur la photosynthèse. L’intensité de la lumière à laquelle ces organismes sont exposésaugmente au fur et à mesure du cycle de croissance. Le liquide est centrifugé pourrécupérer les cellules. Les enzymes photosynthétiques intéressantes seront isoléeset purifiées grâce à l’utilisation de détergents. Des organismes mutants peuventégalement être cultivés.

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son état excité, cette chlorophylle P doit se débar-rasser d’un électron. Il se produit donc une réactionphotochimique donnant naissance à deux espècesradicalaires de charges opposées et extrêmementréactives. Ces radicaux sont ensuite utilisés dans desréactions chimiques qui nécessitent l’injection d’unequantité importante d’énergie.La vie sur Terre est basée sur la chimie du carbone,dont la source est le gaz carbonique ou dioxyde decarbone (CO2). Pour devenir utilisable dans lesréactions biologiques, il doit être “énergisé”, c’est-à-dire qu’il doit emmagasiner des électrons e- et desprotons H+ pour compenser les charges négatives.Les électrons à haute valeur énergétique sont ceuxoriginellement cédés par la chlorophylle P. Pour quele système fonctionne, il est indispensable que Précupère chaque électron donné.Les organismes photo-synthétiques ont résolu ce problème très tôt dansl’histoire de l’évolution, il y a plus de trois milliardsd’années, en développant une astuce qui a changé lemonde : ils ont pris les électrons à l’eau.

L’apparition de l’oxygène sur Terre: un cataclysme écologique

Prendre des électrons à l’eau (H2O) a eu pour consé-quence de produire du dioxygène (O2) et des protons.Pendant une longue période, après l’apparition de laphotosynthèse, la concentration d’O2 dans l’atmo-sphère est restée très faible en raison de la forte capa-cité des minéraux à le piéger. Cet événement dansl’histoire de la Terre est clairement enregistré dansdes couches géologiques riches en oxyde de fer (Fe2O3)jusqu’à environ - 2,5 milliards d’années(1). Aprèssaturation des minéraux en oxygène, celui-ci s’estalors répandu dans l’atmosphère avec des consé-quences majeures. Jusqu’à cette période, la quantitéd’oxygène rencontrée par les espèces vivantes étaittrès faible. Les quantités issues de la photosynthèseétaient d’un tout autre ordre de grandeur, au pointde devenir un poison pour les espèces vivantes àson contact. Pour celles qui ont survécu, la présenced’O2 a été mise à profit dans un nouveau processusénergétique : un type de respiration avec O2 commeaccepteur terminal des électrons. Les moléculescarbonées riches en énergie produites par la photo-synthèse sont devenues le combustible,et le déchet O2

le comburant. Ce type de respiration, d’un bonrendement énergétique, a favorisé le développementd’organismes multicellulaires puis de formes vivantesplus complexes. Sous l’effet du rayonnement ultra-violet (UV) solaire, l’apparition d’O2 a eu commeconséquence l’accumulation d’ozone dans les couchessupérieures de l’atmosphère, protégeant ainsi lesespèces vivantes des effets dommageables des radicauxlibres engendrés par le rayonnement UV. Ce filtrenaturel anti-UV permit pour la première fois à la viede sortir “au grand air”. Ce sont les espèces photo-synthétiques qui sont responsables de la création etdu maintien des conditions nécessaires à la vie surTerre, telle que nous la connaissons. Pareille réussitetient au peu de besoins : du soleil, de l’eau et du gazcarbonique.

Il n’est pas exagéré de dire que l’apparition del’oxydation photosynthétique de l’eau est l’événementle plus important vécu par notre planète. Elle a pro-duit, et continue de produire, l’oxygène que nousrespirons. Elle a permis le développement de formesvivantes multicellulaires et a modifié les caractéris-tiques physico-chimiques de la Terre.

L’apport de l’énergie photosynthétiquedans le développement humain

La photosynthèse reste la principale source d’énergiepour l’homme. Notre nourriture vient de l’agri-culture, dont seule la photosynthèse autorise ledéveloppement, soit directement (végétaux), soitindirectement (viande d’herbivores). L’énergiefossile dérive entièrement d’anciens organismesphotosynthétiques. La biomasse constitue égale-ment une source importante d’énergie. Comprendreles mécanismes physiques et chimiques à la basedu très haut rendement de la photosynthèse permettra d’imaginer des systèmes artificiels photo-catalytiques efficaces.

Les mécanismes au cœur de l’enzyme

La photochimie chlorophyllienne, le transfert desélectrons et l’oxydation de l’eau ont lieu dans lamême enzyme : l’enzyme productrice d’oxygène,un complexe appelé photosystème II ou centreréactionnel PSII ou encore eau-plastoquinone

(1) Voir le site :http://www.ac-montpellier.fr/ressources/99/99en0328.html

Expérience de résonance paramagnétique électronique (RPE)à champ magnétique intense pour l’étude des radicaux libresen photosynthèse et en biologie. Elle permet de caractérisertrès précisément les espèces radicalaires formées lors des réactions photochimiques se produisant au cœur du photosystème II, l’enzyme productrice d’oxygène.

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Les cyanobactéries sont à l’origine de l’oxygèneplanétaire. Elles illustrent l’extrême adaptabilitédes organismes photosynthétiques. La cyanobac-térie thermophile Thermosynechococcus elongatus(T. elongatus) est particulièrement intéressante.Elle a été découverte à Beppu au Japon dans unesource chaude. Dans cette espèce, l’enzyme pro-ductrice d’oxygène (photosystème II, PSII) est beau-coup plus stable que celle des plantes, bien qu’ellelui soit pratiquement identique. Très récemment,son génome a été entièrement séquencé. Cettecyanobactérie est considérée comme étant sem-blable aux premiers organismes qui ont acquis lacapacité d’oxyder l’eau. L’enzyme a peu changé aucours de l’évolution.Cette cyanobactérie peut être cultivée sur boîte etson ADN manipulé. Des techniques appropriéesd’ingénierie des protéines ont permis d’établir unprotocole de purification de l’enzyme PSII. C’est uncomplexe membranaire d’environ 300 kDa (1 dalton= 1,66·10-27 kg) avec au moins 17 sous-unités. Ilcontient au moins 13 cofacteurs(1) actifs dans letransport des électrons et plus de 35 chlorophylles.La stabilité du PSII purifié est tout à fait favorableà la réalisation d’expériences d’enzymologie danslesquelles des contraintes biochimiques extrêmespeuvent être mises en œuvre pour piéger des étatsintermédiaires dans les réactions clés de l’oxydationde l’eau. La structure tridimensionnelle de cetteenzyme a été récemment élucidée.Ainsi, parce que l’on connaît son génome, parceque son enzyme PSII est facilement manipulable,et parce que l’on en connaît la structure tridi-mensionnelle, la cyanobactérie T. elongatus est unorganisme de choix pour les recherches sur laphotosynthèse.

Les cyanobactéries, des organismes de choix pour les recherches sur la photosynthèse

1

En (a), source chaude à Beppu, au Japon, dans laquelle a été trouvée la cyanobactérie T. elongatus. Ses cellules

peuvent croître sur boîte de Pétri et en milieu liquide (b). En (c), vues transversale et longitudinale par microscopie

électronique d’une cellule. De forme très allongée, elle estremplie de membranes lipidiques qui portent les protéines

contenant les chlorophylles et les autres protéinesimpliquées dans la machinerie énergétique (encadré E,Le processus de photosynthèse, p. 90). En (d), structure

du cœur du PSII obtenue par cristallographie par rayons X.L’enzyme productrice d’oxygène contient plus de vingt

protéines différentes. Les deux sous-unités centrales (D1 etD2) renferment tous les cofacteurs importants et sont le

siège des réactions photochimiques et catalytiques.

(1) Cofacteurs : petites molécules organiques ou ionsinorganiques liés à une protéine, participant à sa structureet le plus souvent nécessaires à son activité. Dans le photosystème II, les principaux cofacteurs impliquésdirectement ou indirectement dans le transfert desélectrons sont des chlorophylles, des phéophytines,des plastoquinones, des ions manganèse et calcium.

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oxydoréductase (encadré 1). Cette enzyme verte estconstituée d’une association de plus de vingt protéines enfouies dans une membrane lipidique.Toutes les réactions photochimiques importantesprennent place dans deux de ces protéines dans lesquelles se trouvent les chlorophylles spécialiséeset les pigments nécessaires à la séparation des charges (figure 1).

CLEFS CEA - N° 49 - PRINTEMPS 200488

Le Soleil et les Terriens

Le mécanisme se déroule ainsi : la chlorophylle estexcitée par la lumière et,dans les quelques millionièmesde millionième (10-12) de seconde suivants, une sépa-ration de charges se produit. La chlorophylle excitéea donné un de ses électrons à une autre molécule, unephéophytine qui est une chlorophylle sans atome demagnésium dans son centre. La paire formée, c’est-à-dire le pigment avec un électron supplémentaire et

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la chlorophylle ayant perdu le sien, contient prati-quement toute l’énergie de la lumière. Si ces espèceschargées étaient seules, elles réagiraient entre elles.L’électron reviendrait sur la chlorophylle et l’éner-gie lumineuse absorbée serait réémise sous forme dechaleur ou de lumière de plus faible énergie, c’est-à-dire plus rouge : c’est le phénomène de fluorescence.Au lieu de cela, les pigments donneurs et accepteursd’électrons sont positionnés dans la protéine de façonà ce que les charges positives et négatives migrent ensens opposé tout au long de la chaîne des transpor-teurs d’électrons. Dans les quelques millionièmes(10-6) de seconde qui suivent la séparation de char-ges, les réactions de transfert d’électron se produi-sent et les deux charges (la positive et la négative) seretrouvent dans des régions distantes de la protéineà l’opposé l’une de l’autre. Cet état est stable quelquessecondes et contient encore la moitié de l’énergielumineuse excitatrice. Cette énergie est d’environ 1 électronvolt stocké par photon. Étonnamment, laplupart de ces réactions fonctionnent encore à latempérature de l’hélium liquide, - 269 °C, presquele plus froid qu’il est possible d’atteindre. Cette apti-tude que possède une partie du système à fonction-ner à une température aussi extrême ne présenteaucun intérêt dans la nature, mais a été d’une aidecapitale pour le physicien et le chimiste dans l’étudede l’enzyme.Le pourcentage de l’énergie solaire stockée parl’enzyme n’est pas mauvais pour une cellule photo-voltaïque qui effectue à la fois de la chimie et del’électronique à l’état solide. L’oxydation de l’eaurequiert l’extraction de quatre électrons de deuxmolécules d’eau et donne naissance à quatre protonset une molécule d’oxygène gazeux. Or, la séparationdes charges photo-induite engendre une seule chargepositive capable, en principe, d’arracher seulementun électron à l’eau. Pour que l’oxydation de l’eau aitlieu, il faut donc quatre séparations de charges pourproduire les quatre charges positives. Le photosys-tème II s’est développé pour stocker ces quatre char-ges positives. Pour cela, il utilise un groupe de quatreions manganèse associés à un ion calcium (Mn4Ca)(figure 2). Ces métaux constituent aussi le site defixation des deux molécules d’eau : le site catalytiquede l’enzyme. Le mécanisme réactionnel dans le siteactif reste très mal connu et de nombreux efforts derecherche sont mis en œuvre pour son élucidation.

Approfondir les connaissances de l’étape catalytique

Des décennies de recherches en biologie, en chimieet en physique dans des dizaines d’universités et centresde recherche, souvent parmi les plus prestigieux dansle monde, ont fourni une vision détaillée de l’enzymeproductrice d’oxygène. L’identification des différentspartenaires, des protéines aux pigments, a nécessitédes études de biochimie, de biologie moléculaire etde spectroscopie. Ces mêmes disciplines, avec l’aidede la modélisation moléculaire, de considérationssur l’évolution et plus récemment de la cristallographietridimensionnelle par rayons X,ont apporté les infor-mations structurales. Le modèle mécanistique dutransfert des électrons et de l’oxydation de l’eau découled’études spectroscopiques détaillées et de mesures

Figure 1.Réactions photochimiques et catalytiques se déroulant au cœur du photosystème II. La lumière est absorbée par les chlorophylles (Chl et P dans les protéines D1 et D2). L’une d’elles, ChlD1

, donne un électron à une phéophytine Pheo, formant une paire de radicauxde charges opposées (Chl+, Pheo-). La paire de chlorophylles P cède un électron à Chl+ et Pheo-

en transfère un à la plastoquinone PQA. Les transferts d’électrons suivants conduisent à l’oxydation du complexe Mn4Ca et à la réduction de la seconde plastoquinone PQB. Il fautnoter qu’une tyrosine, un des vingt acides aminés constituant les protéines, a un rôle detransporteur d’électrons dans cette séquence : en effet, la tyrosine TyrZ donne un électron à P+ et oxyde ensuite le complexe Mn4Ca. En fin de séquence, la plastoquinone PQB doublementréduite fixe deux ions H+ et quitte le PSII pour diffuser dans la membrane sous la forme PQH2.

Figure 2.Structure cristallographique de la tyrosine TyrZ et du sitecatalytique Mn4Ca oxydé de l’enzyme (Ferreira et al., Science,2004, sous presse). Bien que cette structure représente une avancée remarquable dans la connaissance duphotosystème II, elle ne permet ni d’expliquer comment l’eauest oxydée, ni de définir les positions des deux moléculesd’eau avant leur oxydation. Cette figure illustre unehypothèse où les molécules d’eau seraient susceptibles de se lier au calcium et au manganèse adjacent. Cette hypothèseimplique que la tyrosine TyrZ pourrait arracher les électronset les protons à l’eau dans l’étape catalytique. L’oxydation de la tyrosine ne peut se faire que si elle éjecte son proton.C’est l’histidine (un acide aminé) voisine qui le capture.

tyrosine

histidine

2 H2O

complexe Mn4O4Ca● H● O● Mn● Ca

PQA

Fe

PQB

PheoD2

PheoD1

PD1PD2

ChlD2

Mn4

TyrZ

2 H2O

D1 D2

2 H+

PQ

PQH2

O2 + 4 H+

TyrD

ChlD1

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CLEFS CEA - N° 49 - PRINTEMPS 200490

Le Soleil et les Terriens

La photosynthèse est le processusbiologique par lequel l’énergie

solaire est utilisée par des cellules vivan-tes pour leurs besoins énergétiques. Cephénomène très complexe est réalisépar les plantes mais aussi par les algueset par de nombreuses bactéries. Parmices dernières, les cyanobactéries (voirencadré 1, p. 88) mettent en œuvre lemême type de photosynthèse que lesplantes et les algues, qui les rend capa-bles d’oxyder l’eau et de dégager del’oxygène. Ces organismes photosyn-thétiques sont autotrophes : ils synthé-tisent leur matière organique à partir desubstances minérales qu’ils puisent dansle sol ou dans le milieu aquatique (eauet sels minéraux). Une formulation sym-bolique de cette photosynthèse dite oxy-génée est la suivante:n [CO2 (gaz carbonique) + H2O (eau)]+ énergie solaire w (CH2O)n (glucide)+ n O2 (oxygène).L’ensemble des étapes de la photosyn-thèse se déroule dans les chloroplastes,organites internes aux cellules végéta-les. Les chloroplastes, de même que lescyanobactéries, contiennent des mem-branes spécialisées dans lesquelles setrouvent toutes les structures molé-culaires nécessaires aux premières éta-pes de la photosynthèse. Ces membranessont organisées en structures fermées(sortes de vésicules aplaties nomméesthylakoïdes dans les chloroplastes).La lumière solaire visible est absorbéepar des molécules colorées: principa-lement des chlorophylles, le pigmentuniversel de la photosynthèse, et diver-ses molécules qui diffèrent selon lesorganismes (caroténoïdes, phycobilines, phycocyanines…). Ces pigments photo-récepteurs sont fixés sur des protéines,

elles-mêmes incluses pour la plupartdans la membrane photosynthétique. Cesprotéines et leurs pigments sont asso-ciés en vastes ensembles regroupantenviron 300 chlorophylles, et appelésphotosystèmes. Chaque photosystèmeest organisé autour d’une zone centrale,le centre réactionnel, dont le cœur estune paire spécialisée de moléculesde chlorophylle. Seule cette paire estchimiquement réactive. Elle reçoit, sousforme d’excitation électronique, l’éner-gie des photons solaires captés parl’ensemble des pigments du photo-système. Ces derniers ont donc une fonc-tion d’antenne collectrice et une fonctionde transfert d’énergie électronique. Ainsiexcitée, la paire “spéciale” de chloro-phylles est capable de transférer unélectron à une succession de sites accep-teurs et donneurs d’électrons présentsdans le centre réactionnel. Elle est doncnommée “donneur primaire” d’électrons.Les transferts d’électrons sont préci-sément organisés au sein de la mem-brane photosynthétique pour aboutir,d’une part, à la réduction chimiqued’un composé, le nicotinamide adéninedinucléotide phosphate (NADP+), par uneenzyme, la NADP-réductase (aussi appe-lée FNR), et, d’autre part, au stockagede protons H+dans l’espace intérieur desthylakoïdes. Le potentiel d’énergie chi-mique résultant de cette différence deconcentrations des protons entre les deuxfaces de la membrane photosynthétiqueest utilisé par une protéine membranaire,l’ATP-synthase, pour synthétiser del’adénosine triphosphate (ATP), dontl’hydrolyse ultérieure libérera de façoncontrôlée l’énergie chimique ainsistockée. Au total, l’énergie des photonssolaires est convertie en deux formes

d’énergie chimique, dans le NADP+ réduit(NADPH) et dans l’ATP.Les organismes photosynthétiques capa-bles de dégager de l’oxygène possèdentdeux types bien distincts de photosys-tèmes, appelés I et II. Associés dans lamême membrane photosynthétique, ilscouplent énergétiquement leurs deuxréactions photochimiques sur la chaînede transferts d’électrons qui va de l’oxy-dation de l’eau en oxygène à la synthèsede NADPH et d’ATP. Ils travaillent ainsiénergétiquement en série (figure).Le photosystème II, PSII, a un donneurprimaire d’électrons nommé P680 (cettepaire de chlorophylles absorbant lalumière à 680 nm). Le départ photo-induitd’un électron laisse le P680 porteur d’unecharge positive, donc dans un état oxydé.Pour ramener le P680+ à son état neutreet permettre un nouveau cycle photochi-mique, va s’opérer au niveau de PSII uneétape majeure de la photosynthèse, laphotolyse de l’eau:2H2O (eau) w O2 (oxygène) +4H+ (protons)+ 4 e- (électrons).Les électrons issus de la photolyse del’eau sont transférés jusqu’au P680, et del’oxygène gazeux est libéré. Les électronsarrachés au P680 circulent jusqu’auphotosystème I, PSI, par une suite deréactions d’oxydoréduction faisant inter-venir des transporteurs d’électrons liésau cœur du PSII (voir Photosynthèse etproduction d’oxygène). Ils quittent le PSIIsous la forme de plastoquinones double-ment réduites PQH2 qui diffusent dans lamembrane, et transfèrent ce pouvoirréducteur à un cytochrome membranaire(cyt b6f) puis à une plastocyanine Pc, petiteprotéine soluble contenant du cuivre.Quand l’électron transmis par le PSIIpar l’intermédiaire de la plastocyanine

Le processus de photosynthèseE

3 H+

ATP-synthasePSI

4 H+ + O22 H2O

cyt b6f

Fd

FNR

NADP+ NADPHADP + Pi ATP

PSII

Pc

PQ

Figure.Les étapes membranaires du processus de photosynthèse se déroulant chez les plantes vertes, les algues et les cyanobactéries.

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biophysiques et,en ce qui concerne le complexe Mn4Ca,de contributions de la chimie inorganique.Il apparaît que la partie photochimique de l’enzymeest mieux connue que la chimie réalisée par le sitecatalytique. L’arrangement structural des métaux qui le constituent vient seulement d’être publié enfévrier 2004. Ceci est un progrès considérable maisqui ne règle pas la question parce que la résolutionn’est pas parfaite, et il existe de nombreux argumentsforts en faveur d’un changement de structure ducomplexe Mn4Ca au cours du stockage des quatrecharges positives. Un travail important reste donc àaccomplir avant de connaître les structures ducomplexe Mn4Ca dans ses différents états d’oxydation.Néanmoins, avec la publication de cette premièrestructure du site actif, le sujet entre dans une nou-velle ère : celle dans laquelle les spectroscopistes etbiologistes moléculaires peuvent se focaliser sur lacompréhension du mécanisme chimique basé surla structure tridimensionnelle. De plus, avec cettestructure, les chimistes, dont le but est de mettre aupoint des catalyseurs biomimétiques, vont trouverune nouvelle source d’inspiration.

Optimiser les recherchesavec deux objectifs majeurs

Pourquoi continuer les recherches en photosynthèse?Tout d’abord, la photosynthèse joue le premier rôledans la création et le maintien de la biosphère. Elleest aussi à l’origine de l’apport d’énergie au mondevivant. Par ailleurs, les recherches dans ce domaineconstituent un moteur pour la biophysique en général(encadré 2).De plus,ce domaine a fourni un paradigme

Éclairement d’un échantillon de photosystème II, l’enzyme productrice d’oxygène.L’utilisation de la basse température permet de piéger un état intermédiaire de la réactionphotochimique.

atteint le PSI, il remplace l’électron perdupar le donneur primaire P700 de cephotosystème qui a également été excitéindirectement par un deuxième photon.L’électron cédé par le PSI va suivre unechaîne de transporteurs au sein du cen-tre réactionnel, pour être finalementtransféré à une ferrédoxine Fd, petiteprotéine contenant du fer. L’électron estalors transmis à la NADP-réductase, quiréduit le NADP+ en NADPH.L’énergie chimique ainsi produite par lesprocessus membranaires de la photo-synthèse, qui viennent d’être décrits, varendre possibles les réactions de synthèsede molécules organiques (dont celles deglucides) au sein de la cellule. Ces réac-tions, qui exigent un apport d’énergie etse déroulent en phase aqueuse, formentle cycle de Calvin.Cette dernière étape de la photosynthèsemet en œuvre l’ATP et le NADPH engen-drés par les réactions membranaires. Laréaction principale de la fixation ducarbone, dans laquelle un atome de car-bone inorganique est converti en carboneorganique, se déroule ainsi : le CO2

atmosphérique réagit avec un sucre, leribulose 1,5-diphosphate ou RuBP, et del’eau pour donner deux molécules de 3-phosphoglycérate. Cette réaction defixation du carbone est catalysée parune enzyme volumineuse, la ribulosediphosphate carboxylase ou Rubisco. Lesautres étapes du cycle aboutissent à larégénération du RuBP. Pour chaque molé-cule de CO2 convertie en glucide, troismolécules d’ATP et deux de NADPH sontconsommées. L’équation globale du cyclede Calvin est donc la suivante:3 CO2 + 9 ATP + 6 NADPH + eau w gly-céraldéhyde 3-phosphate + 8 Pi (phos-phate inorganique) + 9 ADP (adénosinediphosphate) + 6 NADP+.Le glycéraldéhyde 3-phosphate va setransformer en saccharose et en amidon,qui constituent des réserves d’énergie descellules végétales.La Rubisco est une enzyme bifonction-nelle, également capable de fixer l’oxy-gène O2. Cette réaction donne naissanceà du 2-phosphoglycolate, qui n’entre pasdans le cycle de Calvin. Elle paraît doncinutile pour la plante. Elle déclenche unprocessus complexe appelé photorespi-ration, qui a pour but de consommer le 2-phosphoglycolate. Certains végétaux,tel le maïs, ont développé des structuresfoliaires et des voies biochimiques quiconcentrent le CO2 près de la Rubisco etlimitent ainsi son utilisation de l’oxygène.

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Une recherche pluridisciplinaire

Dans le monde entier, le développement de nouvelles méthodes biophysiquesa souvent été associé aux recherches en photosynthèse. Ceci estparticulièrement vrai pour la spectroscopie cinétique rapide d’absorptionaprès des flashes laser, certaines spectroscopies dans l’infrarouge et laspectroscopie vibrationnelle en général, et les spectroscopies de résonancemagnétique. Le Service de bioénergétique du centre de Saclay a joué unrôle majeur dans l’étude de la biophysique de la photosynthèse et estinternationalement renommé pour toutes ces méthodes. Sa force vient,d’une part, de l’utilisation synergique de toute la gamme des techniquesbiophysiques centrées sur un problème particulier et, d’autre part, de samaîtrise à la fois du “bio” et du “physique” dans le terme biophysique. Enfait, il regroupe non seulement des physiciens mais aussi des physico-chimistes, des biochimistes, des biologistes moléculaires et desphysiologistes. Outre les chercheurs du CEA, des chercheurs du CNRS(Centre national de la recherche scientifique), de l’Inra (Institut national dela recherche agronomique), de l’Université, ainsi que de nombreuxchercheurs étrangers travaillent ensemble sur ce sujet fascinant.Les nouvelles spectroscopies développées en association avec les recherchesen photosynthèse ont été largement mises à profit dans d’autresprogrammes de recherche. Les recherches au centre de Saclay sur desthèmes comme la réparation de l’ADN, la production d’hydrogène, les stressoxydants, les processus impliqués dans le vieillissement et certainesmaladies bénéficient toutes de l’expertise acquise en photosynthèse. Malgréla diversification, ces dernières années, des sujets de recherche, dontcertains ont connu un succès remarquable, la photosynthèse continued’être le moteur de la recherche biophysique à Saclay.

Remerciements à Renée Gobin, Diana Kirilovsky,Miwa Sugiura, Jean-Marc Verbavatz, Sun Un, Marc Lutz et Pierre Legrain.

(2) Puits de carbone : présent dans notre environnement sous diverses formes, le carbone est stocké dans l’atmosphère,l’océan, les sols, la végétation et les animaux. Il fait l’objet de nombreux échanges entre ces compartiments.La biomasse et l’océan qui absorbent le carbone sont appeléspuits de carbone.

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Le Soleil et les Terriens

pour les protéines membranaires (prix Nobel en1988), pour la théorie du transfert des électrons (prixNobel en 1992), pour la chimie des acides aminés àl’état radicalaire, pour la chimie des complexesmultinucléaires à base de manganèse et pour lacatalyse oxydante de l’eau. L’importance de laphotosynthèse en agriculture ne se situe pas seulementà un niveau fondamental, mais concerne égalementl’effet des herbicides. L’enzyme photosystème II estla cible de nombreux herbicides commerciaux etson fonctionnement peut représenter une étapelimitante dans la croissance des plantes. En outre,la photosynthèse est au cœur de préoccupationsécologiques comme les puits de carbone(2) ou leblanchiment des coraux dû au réchauffement desocéans. Il ne s’agit ici que de quelques exemples.Le CEA s’intéresse plus particulièrement à la photo-synthèse comme source d’énergie, avec deux objectifsmajeurs : le “photobiohydrogène”, c’est-à-dire laproduction d’hydrogène par les organismes photo-synthétiques, et le développement de systèmes photo-synthétiques artificiels.Chez certaines espèces photosynthétiques, les électronsextraits de l’eau, qui normalement servent à réduirele CO2 en sucres, peuvent être utilisés pour réduire lesions H+ en hydrogène gazeux (H2). À Grenoble, au seinde l’Institut de biologie structurale Jean-Pierre Ebel(CEA/CNRS/Université Joseph Fourier), travaillentdes experts mondiaux de l’enzyme qui produitl’hydrogène. Le Service de bioénergétique de Saclay

est spécialisé dans l’enzyme oxydant l’eau et tous lesprocessus qui participent à la migration des électronsriches en énergie vers le site où ils seront utiliséspar l’enzyme productrice d’hydrogène. Le CEA deCadarache abrite des experts du métabolisme végétalet d’autres aspects physiologiques de ces processus.Des efforts sont en cours pour coordonner et optimiserles recherches afin de mieux comprendre commentdes espèces photosynthétiques tirent parti de l’énergielumineuse pour fabriquer de l’hydrogène et del’oxygène à partir de l’eau.Le Service de bioénergétique de Saclay collaboreégalement avec un laboratoire de chimie inorganiquede l’Université d’Orsay, un Laboratoire de recherchecorrespondant (LRC) du CEA, sur la mise au pointde systèmes photosynthétiques artificiels mimantle système biologique. Le but ultime est le déve-loppement de catalyseurs “photoactivables” etréalisant l’oxydation de l’eau et la productiond’hydrogène. L’étude en parallèle du modèlebiologique et de systèmes chimiques en mettant enœuvre de nouvelles méthodes physiques est le meilleuratout dans cette recherche. Il est envisageable que leprocessus biologique qui fournit l’énergie au mondevivant et qui est à l’origine des énergies fossiles puisseêtre utilisé comme une source d’hydrogène, le vecteurénergétique du futur.

> A. William Rutherford et Alain BoussacService de bioénergétique

URA CNRS 2096Direction des sciences du vivant

CEA centre de Saclay

Mise en place d’un échantillon pour l’étude par spectroscopiede résonance paramagnétique électronique (RPE) ducomplexe Mn4Ca du photosystème II. L’échantillon estmaintenu dans le spectromètre RPE à une température de - 269 °C, température de l’hélium liquide.

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(1) Rapport n° 2979 de l’Assemblée nationale. Les effets des métaux lourds sur l’environnement et la santé, par GérardMiquel (avril 2001).

(2) Biotope : ensemble d’éléments caractérisant un milieuphysico-chimique déterminé et uniforme qui héberge uneflore et une faune spécifiques.

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La phytoremédiation ou quand le Soleil aide à dépolluer les solsGrâce à la photosynthèse, rendue possible par la lumière du Soleil, les plantes ont pucoloniser de nombreux territoires. Cette formidable biodiversité permet aux plantesde pousser sur des sols très variés, y compris fortement contaminés en métauxlourds toxiques pour la santé humaine. D’où l’idée d’utiliser les plantes pourdépolluer les sols contaminés. Cette technique est appelée phytoremédiation.

Sélection d’une plantetransgénique exprimant legène d’intérêt YCF1 grâce àl’utilisation de ses propriétésde résistance à un marqueurde sélection. Des étudesvisent à doter certainesplantes d’une capacité accrued’accumulation des métauxlourds.C

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L’impact des activités industrielles et agricoles surl’environnement ne cesse de croître depuis la révo-

lution industrielle. Alors que de nombreuses molécu-les organiques peuvent être dégradées,les métaux lourdscontaminant les sols et les eaux posent un problème desanté humaine, notamment du fait de leur entrée dansla chaîne alimentaire. En temps normal, ces métauxlourds sont naturellement fixés dans les roches, maisles activités humaines affectent leurs répartitions et leursformes physico-chimiques. Ainsi, si une partie desmétaux lourds se retrouve directement dans les sols etles eaux, l’essentiel est d’abord émis dans l’atmosphèrepuis dispersé parfois très loin de la zone d’émission.Un récent rapport parlementaire(1) indique que lesrejets de métaux lourds en France sont de deux types:physiques et atmosphériques.Les rejets physiquesconcer-nent essentiellement le plomb et, dans une moindremesure, le cadmium. Ils sont dus aux activités métal-lurgiques et minières ainsi qu’au sort des produits enfin de vie tels que les batteries d’automobiles chargéesen plomb (75000 tonnes/an).Les rejets atmosphériquestouchent tous les métaux et représentent des massesimportantes qui se chiffrent par dizaines (mercure,arsenic, cadmium), par centaines (chrome) ou parmilliers de tonnes (plomb).

La plante, une pompe à nutriments et à polluants

L’idée simple de la bioremédiation, c’est-à-dire l’utili-sation d’organismes vivants tels que les bactéries,champignons ou plantes pour aider à “nettoyer”l’environnement, ne date pas d’aujourd’hui. Le casdes plantes est particulièrement intéressant. Grâce àla photosynthèse (encadré E, Le processus de photo-synthèse, p. 90), les végétaux n’ont besoin d’assimilerque des substances minérales du sol pour vivre,la sourcecarbonée étant tirée de l’atmosphère sous forme de gazcarbonique. Doués d’autonomie, ces organismes sontcapables de coloniser assez rapidement de nombreuxbiotopes(2) et, au sein d’un sol, d’explorer de grandessurfaces contaminées,et ceci en profondeur.Cette stra-tégie de phytoremédiationest écologique et économiquepar opposition aux stratégies classiques d’excavation etde traitement chimique des sols. La phytoremédiation

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Le Soleil et les Terriens

bénéficie du fait que la plante, véritable usine photo-chimique dont les panneaux solaires seraient les feuilles,se comporte comme une pompe à éléments nutritifs(nutriments) minéraux et métaux lourds. Grâce à lalumière du Soleil, la photosynthèse se déroule dans lesfeuilles pour casser les molécules d’eau provenant dusol et libérer dans l’atmosphère de l’oxygène tandis quel’hydrogène se fixe au gaz carbonique absorbé par lafeuille pour donner des sucres. L’énergie issue de cessucres et le flux d’évapotranspiration(3) de la plante per-mettent au végétal d’extraire du sol les nutriments miné-raux nécessaires, et ainsi indirectement de concentrercertains métaux lourds tels que le cadmium, le plomb,le chrome, l’arsenic… Cette singulière propriété desplantes est liée au mécanisme d’acquisition racinairedes nutriments du sol indispensables au dévelop-pement du végétal. L’acquisition de ces nutriments sefait au travers de transporteurs membranaires, desprotéines spécialisées et ancrées dans les membranes,dont la sélectivité n’est pas parfaite.Ainsi,deux cationshomologues (aux propriétés physico-chimiquesproches) comme l’ion calcium Ca2+ et l’ion cadmiumCd2+ peuvent être “confondus”par la plante qui chargealors indifféremment le Ca2+, métal indispensable à lavie, ou le Cd2+, toxique environnemental.

Comment la plante piège le polluant et le rend moins toxique

Une fois introduit dans la cellule végétale, le métallourd va développer une toxicité liée à sa faiblesolubilité, à son pouvoir oxydant et/ou à sa faculté àremplacer des métaux biologiques. La parade mise

en œuvre par les plantes au cours de l’évolution consisteà rendre plus solubles ces métaux en modifiant leurforme chimique, en les associant à des peptides(glutathion, phytochélatines…), puis à déplacer lescomplexes ainsi créés à l’aide d’autres transporteursdans un compartiment où ils seront piégés et où leurtoxicité sera moindre : la vacuole. La vacuole, trèsgrande vésicule entourée d’une membrane unique etoccupant jusqu’à 90% du volume cellulaire, sert unpeu de “poubelle” à la cellule végétale. Les transpor-teurs de métaux lourds localisés sur la membranevacuolaire utilisent de l’énergie issue de l’hydrolysede l’ATP, ce qui permet d’accumuler davantage detoxiques dans la vacuole que ne l’autoriserait unesimple diffusion. Ce processus est nommé hyper-accumulation. Après récolte des plantes contaminéeset incinération en conditions contrôlées, les métauxrecueillis sont recyclés ou éliminés.

Accroître les capacités d’accumulation de la plante

Certaines plantes possèdent naturellement des pro-priétés accumulatrices de métaux lourds, mais leurbiomasse reste souvent limitée du fait de la toxicitédes métaux lourds accumulés. Pour contourner ceproblème, une stratégie vise à conférer, par géniegénétique,des propriétés d’hyper-accumulation à desplantes à forte biomasse (tabac, moutarde, peuplier).En préalable à cette étape, il est nécessaire d’identifierdes gènes capables d’offrir à une plante des proprié-tés d’hyper-accumulation. Un exemple récent de lamise en évidence d’un tel gène vient d’être décrit dansle cadre d’une collaboration entre l’Université de Zurichen Suisse, celle de Pohang en Corée et le CEACadarache(4). Pour ce faire, le gène codant pour letransporteur de cadmium le mieux caractérisé chezles eucaryotes(5), YCF1 de la levure, a été introduit etsur-exprimé dans la plante modèle en génétique,Arabidopsis thaliana. Les plantes transgéniques ainsiobtenues expriment en grande quantité le transpor-teur YCF1, notamment au niveau de la membranevacuolaire (figure). Ces plantes développent unecapacité de résistance accrue lors d’une exposition auplomb et au cadmium et accumulent davantage demétaux lourds que les plantes contrôles. Ces résultatsprometteurs montrent le rôle des transporteurs dansla compartimentation des polluants, un des facteursjusqu’ici limitants pour l’amélioration des propriétésde phytoremédiation chez les végétaux. La transposi-tion de cette technologie à des plantes à forte biomassecomme le peuplier est en cours d’évaluation.

> Cyrille ForestierDirection des sciences du vivant

CEA centre de Cadarache

(4) W. Y. Song, E. J. Sohn, E. Martinoia, Y. J. Lee, Y.Y. Yang,M. Jasinski, C. Forestier, I. Hwang, Y. Lee, Engineeringtolerance and accumulation of lead and cadmium intransgenic plants, in Nat. Biotechnol. 21, 8, pp. 914-919, 2003.

(5) Eucaryotes : organismes vivants composés d’une ou de nombreuses cellules possédant un noyau et un cytoplasmedistincts. La lignée des eucaryotes inclut toutes les formes de vie à l’exception des bactéries, de certaines alguesinférieures et des virus.

(3) Évapotranspiration : de l’eau s’évapore par les stomates desfeuilles, pores microscopiques par où entre le gaz carbonique.Cette perte d’eau crée une force de succion qui fait remonterdes racines davantage de sève (formée essentiellement d’eau etd’éléments minéraux).

Figure.Sur un sol contaminé par 50 µM (micromole par litre) de cadmium, les plantes contrôlesse développent peu. Les métaux lourds sont essentiellement localisés dans le cytoplasmede la cellule où ils exercent une toxicité chimique importante (a). En (b), les plantestransgéniques sur-exprimant le transporteur YCF1 se développent mieux et accumulentdavantage de métaux lourds qui sont stockés dans la vacuole de la cellule.

a b

xénobiotique(métaux lourds)

xénobiotique(métaux lourds)

plantes contrôles50 µM cadmium

plantes YCF150 µM cadmium

xénobiotique

cellulevégétale

xénobiotique xénobiotique

séquestrationintracellulaire

vacuole

ATP

cytoplasme

YCF1

CEAcompartiment extracellulaire

xénobiotique

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Le rayonnement solaire est aussi indispensable à la vie des Terriens qu’il peut êtredangereux pour leur santé, en cas d’excès d’exposition ou de défaillance des mécanismesnaturels de protection et de réparation.

Le Soleil, indispensable mais dangereux ami

l’organisme.La composante ultraviolette de la lumièresolaire est en effet le cancérigène le plus répandu denotre environnement (figure 2).James Cleaver a remar-qué pour la première fois,en 1968,que les cellules pro-venant de la peau de malades souffrant de xerodermapigmentosum (xp) étaient incapables de réparer leslésions provoquées par les rayonnements ultraviolets.C’était la première association d’une maladie humaineà un mécanisme défectueux de réparation de l’ADN.Par la suite,de nombreuses observations ont confirméet élargi les connaissances sur la réponse des celluleshumaines aux dommages produits par une grandevariété d’agents chimiques et physiques, en particulierdans les cellules de patients atteints de maladies associéesà des anomalies chromosomiques ou avec une grandeincidence de cancer.

La peau et les yeux, principales interfacesentre l’organisme et le rayonnement solaire

Les 2 m2 de la peau humaine jouent un rôle impor-tant comme barrière de protection face à l’environ-nement.De plus, la peau est impliquée dans la réponseimmunitaire, le contrôle de la température du corps

Au cœur du Soleil, des réactions thermonu-cléaires de fusion de l’hydrogène en hélium

provoquent la formation de la couronne solaire etune émission constante de différents types de rayon-nements. Après environ huit minutes de voyage,ces derniers rencontrent la magnétosphère, le bou-clier formé par le champ magnétique terrestre quiprotège notre planète des particules ionisées duvent solaire. Lors de la traversée de l’atmosphère,une partie des rayonnements électromagnétiquesest ensuite absorbée par les gaz qui la composent(oxygène, azote, gaz carbonique, ozone) ou par lesnuages. Seule une fraction du spectre solaire arriveà la surface de la Terre et nous atteint : elle est cons-tituée de trois types de rayonnements électroma-gnétiques : les infrarouges, aux longueurs d’ondecomprises entre 780 et 3 000 nanomètres (nm), lesvisibles, entre 400 et 780 nm, et les ultraviolets(UV), entre 100 et 400 nm (figure 1).

Des effets positifs pour l’homme, à dose limitée

Présents bien avant l’apparition de la vie sur Terre,les rayonnements solaires ont permis la sélection desorganismes dotés de différents systèmes cellulaireset moléculaires capables, d’une part, d’utiliser aumieux leur énergie et, d’autre part, d’éliminer lesdommages qu’ils induisent. Une exposition à duréelimitée a de nombreux effets bénéfiques pour notresanté. La synthèse cutanée de vitamine D est favori-sée par les ultraviolets, permettant une concentra-tion de calcium adéquate et la formation correcte dutissu osseux. Elle a contribué de façon importante àl’évolution des vertébrés. De plus, les rayonnementssolaires sont de loin le signal externe le plus déter-minant pour l’alternance veille-sommeil, parmi d’au-tres rythmes journaliers.En parallèle, des organes protecteurs comme la peauet plusieurs systèmes très efficaces de protectionchimique (équilibre redox et molécules capables depiéger les radicaux dangereux) et biochimique (pro-téines et enzymes du métabolisme et de la répara-tion de l’ADN) ont été sélectionnés pour faire face auxdommages produits par le métabolisme cellulaire etpar des agents de nature chimique ou physique de l’en-vironnement comme les rayonnements solaires.Malgré ces mécanismes de défense très sophistiqués,la surexposition volontaire ou accidentelle à ces rayon-nements peut avoir de lourdes conséquences pour tout

Figure 1.Spectre des rayonnements électromagnétiques solaires arrivant sur la surface de la Terre.Comparaison entre les rayonnements avant pénétration dans l’atmosphère et au niveau de la mer (O3 indique l’absorption des rayonnements UV ou visibles par l’ozone, H2O par l’eauet CO2 par le dioxyde de carbone).

100

0

4

8

12

16

20

24

300 600 900 1200

longueur d’onde (nm)

inte

nsité

rel

ativ

e

1800 2400 3000

visible proche infrarouge

corps noir5600 K

hors atmosphère

au niveau de la mer

UV

CO2

O2

O2

O3

H2O ( )

O2

O3

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Le Soleil et les Terriens

et la réception de divers signaux externes. Le renou-vellement continuel de ses différentes couches luipermet d’assurer ses fonctions d’organe vital. Lesrayonnements solaires affectent différemment cescouches avec des effets variables selon la quantitéd’énergie déposée (figure 3).La deuxième cible, l’œil humain, est particulièrementréceptive aux rayonnements solaires d’une longueurd’onde comprise entre 400 et 780 nm et de ce faitappelés rayonnements visibles.Les rayonnements UV,invisibles pour l’œil, peuvent être particulièrementdangereux.

Pathologies associées aux excès de rayonnement solaire

Personne n’est à l’abri des maladies des yeux causéespar les rayonnements. En effet, l’exposition chro-

nique à des doses importantes d’UV sans protectionpeut, à la longue, conduire à la cécité. Plus de 99 %des rayonnements UV sont absorbés par les struc-tures antérieures de l’œil. Très peu arrivent à la rétinesensible à la lumière (figure 4). Bien que la compo-sante UV des rayonnements solaires soit inutile pourla vision humaine, il est vraisemblable que les UVabsorbés par les yeux contribuent aux changementsrelatifs au vieillissement et à un certain nombre demaladies typiques comme les cataractes (opalescencedu cristallin), première cause de cécité dans le monde.L’organisation mondiale de la santé (OMS) estimeque 20 % des 20 millions de cas de cécité par cata-racte seraient dus au Soleil, les pays les plus affectésétant ceux situés le long de l’équateur. En France,100 000 nouveaux cas annuels pourraient être dusaux ultraviolets.La protection, surtout chez les enfants(casquettes et lunettes de soleil) est indispensable

La magnétosphère de la Terre (lignes bleues)

protège la planète des particules ionisées qui constituent le vent

solaire (lignes blanches).

Figure 2.Les rayonnements solaires ne sont qu’une partie des différents types de rayonnements électromagnétiques qui entourentl’homme à tout moment dans sa vie quotidienne, depuis les rayons cosmiques et les rayons X des radiographies dans les hautesfréquences du spectre jusqu’aux micro-ondes des fours et les ondes courtes de la radio dans les basses fréquences.

ESA

rayonsgamma

grandes fréquencespetites longueurs d’onde

petites fréquencesgrandes longueurs d’onde

100 200 315

spectre des rayonnements électromagnétiques

rayons X

visibleultraviolets infrarouges

C B A

ultra-violet

lumière visible

infra-rouge

micro-ondes

rayonnementradio

3000---//--760-780--//--400280

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Les conséquences les plus graves sont les modificationsde l’ADN,molécule qui véhicule toutes les informationsnécessaires à la vie des cellules et de l’individu. Lesultraviolets créent des liaisons nouvelles entre despyrimidines adjacentes qui se trouvent normalementdans sa structure (figures 5 et 6). Ces changementspresque imperceptibles peuvent avoir des conséquencesconsidérables pour la cellule, conduire dans certainscas à sa destruction ou, dans d’autres cas, générerdes cellules cancéreuses. Fort heureusement, nousdisposons de plusieurs systèmes capables de réparerces lésions avec une précision remarquable.Le principalmécanisme mis en jeu permet de reconnaître etd’exciser le fragment d’ADN contenant le dimère depyrimidine, puis de le resynthétiser correctement.Cette voie de réparation appelée réparation par excisionde nucléotides lésés et resynthèse (système NER, pour

pour prévenir ces effets. Ce type de mesure simplepeut aussi aider à la prévention du cancer de la peau,dont 80 000 nouveaux cas apparaîtraient chaqueannée en France. Le mélanome malin, induit par lesultraviolets, est une des formes de cancer les plusredoutables et une des plus couramment diagnosti-quées. Il était responsable de 666 décès en 1980 et de4 825 en 2000. Ces effets on conduit à fixer la limitede dose pour l’exposition professionnelle journalièreaux rayons ultraviolets incidents sur la peau ou l’œilà 30 J/m2 efficaces. Cette dose correspond au dixièmede la dose moyenne causant un érythème chez lessujets caucasiens(1). L’érythème, ou “coup de soleil”,est le principal signe clinique d’une expositionprolongée aux ultraviolets. Cette brûlure se produitaprès une exposition de 10 minutes à 6 heures selonl’altitude, l’heure du jour et d’autres paramètrescomme l’épaisseur de la couche d’ozone, la couver-ture nuageuse et la sensibilité inhérente à chaque typede peau. Une personne ayant une peau très claire(correspondant au phototype I(2)) présente un légercoup de soleil après seulement 10 minutes d’expo-sition en plein soleil alors qu’une personne de photo-type IV peut s’exposer une heure sans rougir.

Pourquoi les rayonnements solairespeuvent-ils être si dangereux?Les rayonnements UV apportent de l’énergie auxmolécules composant nos cellules, modifiant leurcomposition chimique. Les différentes altérations ainsicréées activent toute une série de voies métaboliquesdestinées à neutraliser ces dommages moléculaires.

Figure 3.Effets des rayonnementssolaires sur les différentescouches de la peau humaineen fonction des différentesrégions spectrales.

Figure 4.Absorption des rayonnements solaires par les différents composants de l’œil. Les chiffresindiquent, pour les longueurs d’onde des rayonnements ultraviolets, les pourcentagesd’énergie absorbés par ces constituants.

corpsvitré

iris

érythème

éner

gie

tran

smis

e (e

n %

)

longueur d’onde en nanomètres

brûlure

épiderme

derme

hypoderme

visibleUV-C

100

100 280 315 400 760 1400 10600

315280 400

10% 20% 32%

5% 21% 17% 8%

77% 65% 65% 28%

760-780 1400 3000 106

UV-B UV-A IR-A IR-B IR-C

lésionsphotosensibles brûlure

érythème,vieillissement

accéléré,cancer

accentuationpigmentation

(taches)

lésions photo-chimiques de l’ADN

1 36 16

2 6

1 48 142 52 12

45

92

100 < 280

-BU

V-A

300

320

340

360

3734

rétinecristallin

humeur aqueuse

cornée

long

ueur

d’o

nde

(nm

)

(1) Caucasien : type ethnique correspondant aux individus de type européen à la peau blanche.

(2) Phototype : néologisme désignant les caractères d’un individu et de sa peau vis-à-vis de la lumière. Il existequatre grands phototypes qui dépendent principalement de la pigmentation de la peau par la mélanine et de la densitédes mélanocytes.

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Le Soleil et les Terriens

nucleotide excision repair) s’est remarquablementconservée au cours de l’évolution, de la bactérie àl’homme (figure 7, p. 100).

Les conséquences biologiques des faillesdu système NER

La caractérisation moléculaire de cette voie a montréqu’elle est à la base de la protection contre la cancé-rogenèse imputable aux rayonnements solaires. Chezl’homme,parmi tous les systèmes de réparation iden-

Figure 5.Représentation

de la déformation de la structure de l’ADN

provoquée par les rayonnements

ultraviolets. Les dimèresde thymine ainsi formés

peuvent générer desmutations dans le

matériel génétique avecde lourdes conséquences

pour l’individu.

Figure 6.Exemples de structures de dimères de thymine générés par les rayonnements solaires.

séquence bipyrimidique T-T

dimère

sucre

bases

O

O

O

O O

O

O O

O

O O

O

O OO

OO

H

H

CH3N

N

dimère de thymines (cyclobutane) photoproduit (6-4) de thymines

123 4 5

6

O

O

O

O

O

O

P

O

O

P O

O

P

O

H

H

CH3N

N12

3 4 56

O

O

H

HN

N

165 4 3

2

O

O

H

H

CH3 CH3

N

N12

3 4 56

O

O

O

H

H

H

CH3

CH3

OHN

N

NN12

3 4 56

123

45 6

UV UV

C

A

A

A

A

A

G

G

C

T

T

T

T

T

tifiés à ce jour, le système NER joue un rôle central enraison de son ample spectre de reconnaissance desdommages. Il est composé de deux voies majeures : leNER global du génome, système de surveillance de laprésence des distorsions dans la totalité de la molé-cule d’ADN, et le NER couplé à la transcription, quiélimine spécifiquement les dommages de l’ADN quibloquent l’élongation des ARN transcrits par les ARNpolymérases.Le système NER est la principale défensecontre les effets génotoxiques du rayonnement solaire,mais aussi d’une grande quantité de substances chi-miques cancérigènes. Dans certaines maladies héré-ditaires provoquant une grande susceptibilité aurayonnement solaire, des mutations qui inactiventdes protéines impliquées dans le système NER sontsystématiquement rencontrées. Trois pathologiesprincipales sont liées à des défauts dans les gènesdu système : le xeroderma pigmentosum (xp), le syn-drome de Cockayne et la trichothiodystrophie(TTD). Tous les malades présentent une déficiencedans la réparation de l’ADN et, dans le cas parti-culier du syndrome xp, l’hypersensibilité au soleilaccompagnée d’une incidence des cancers de la peauchez ces malades 1 000 fois supérieure à celle desindividus normaux. Cette maladie est présente par-tout mais son incidence peut varier de 1 cas sur250 000 personnes en Europe et aux États-Unis jus-qu’à 1 sur 40 000 au Japon. Les malades présententune peau anormalement parcheminée, squameuseet pigmentée, des atteintes particulières du tissuoculaire (paupières, conjonctive et cornée), ainsique des problèmes neurologiques. Ils développentun cancer de la peau en moyenne dès l’âge de 8 ans,50 ans plus tôt que la population des États-Unis engénéral. Chez eux, le système NER est partiellementou totalement inactivé. Au niveau moléculaire, celase traduit par l’altération de protéines participantau complexe NER comme la protéine XPC capablede reconnaître les lésions de l’ADN ou la protéineXPA participant à l’association des autres protéi-

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nes du complexe. Des modifications dans la struc-ture de ces protéines peuvent bloquer la recon-naissance des lésions ou empêcher la formation ducomplexe de réparation. De ce fait, les dimères depyrimidine aberrants subsistent et diminuent lafidélité du processus de réplication de l’ADN,conduisant à la formation des mutations. Ce pro-cessus peut aboutir à l’inactivation de certains gènesqui assurent la stabilité du génome et provoquer uneffet “boule de neige”. À long terme, ceci conduit àune augmentation constante du nombre des muta-tions produites et au cancer. C’est cette mutagenèseexacerbée des cellules cancéreuses qui est à la basede l’évolution génétique permettant la progressiontumorale.

Réponse cellulaire aux rayonnementssolaires

Une responsabilité majeure du CEA concerne la maî-trise des effets des rayonnements ionisants sur l’homme.C’est pourquoi les pouvoirs publics lui ont confié lamission de caractériser les mécanismes d’action desrayonnements sur l’ADN, les cellules et les tissus. Cesconnaissances doivent permettre d’évaluer précisémentet scientifiquement les risques liés à l’industrie nucléaire.Au Département de radiobiologie et radiopathologie,à Fontenay-aux-Roses, le laboratoire de génétique de laradiosensibilité a en charge d’identifier et de caractéri-

ser les gènes du métabolisme de l’ADN impliqués dansla radiosensibilité cellulaire et de préciser les effets bio-logiques produits par l’inactivation des gènes de répa-ration de l’ADN. Cette recherche fondamentale faitappel à des approches expérimentales complémentai-res, in vivo chez l’homme et chez les rongeurs, ex vivodans des cultures cellulaires, et caractérise les méca-nismes moléculaires de la réplication et de la répara-tion du matériel génétique. Autant de connaissancesqui sont primordiales pour comprendre les bases molé-culaires de la mutagenèse et prédire une éventuelle évo-lution vers la cancérogenèse.Paradoxalement, la toute première réponse aux rayon-nements UV, non ionisants, semble indépendantedu système de réparation de l’ADN qui sera ulté-rieurement mis en œuvre. Que le système NER soitdéficient ou non, l’irradiation des cellules provoquede manière similaire l’accumulation de la protéinep53, gardienne du génome, ainsi que l’activationmassive de nombreux gènes et protéines de la réponseaux ultraviolets, comme l’ont confirmé de nombreuseséquipes dans le monde. Les chercheurs du CEA ontdonc été amenés à postuler que, en dehors de leurincapacité à réparer l’ADN, les cellules des maladesxp sont aussi affectées dans d’autres voies métaboliquesimportantes pour la formation des cancers.

Une nouvelle voie de signalisationdes dommages radio-induits identifiée

En étroite collaboration avec le Dr Alain Sarasin(Institut Gustave Roussy, Villejuif), ils ont analyséles différences qui existent entre l’expression desgènes dans des cellules provenant de malades xp etde donneurs normaux. Un gène appelé KIN17 a ainsiété identifié, codant pour une protéine du complexede réplication de l’ADN. Son expression estaugmentée 16 heures après irradiation par les UV.Fait intéressant, ce phénomène est diminué, voireinexistant, dans certaines cellules provenant desmalades xp. Conservé de la levure à l’homme, le gèneKIN17 code pour une protéine de la famille dite “àdoigt de zinc”, localisée dans certaines zones du noyaucellulaire. Une fraction de cette protéine est associéeà l’ADN chromosomique et fait partie d’un complexede haut poids moléculaire essentiel pour saréplication. L’expression de ce gène augmente aprèsune irradiation ionisante ou ultraviolette.En revanche, d’autres gènes de la réponse auxrayonnements ont une expression augmentée aprèsexposition aux UV dans les cellules xp, quel que soitle statut du système de réparation NER (figure 7).Les fibroblastes primaires de malades xp, déficientspour les protéines XPA ou XPC, sont incapablesd’activer le gène KIN17 après exposition aux UV.Cependant, cette incapacité disparaît dès lors quel’ADN du gène XPC normal est introduit dans cesfibroblastes primaires (lignées établies à partir d’unemétastase d’un malade xp). Ces cellules “complé-mentées pour XPC” récupèrent un système deréparation NER fonctionnel et un taux de survienormal après irradiation aux UV. La détection de laprotéine kin17 révèle que les cellules complémentéespour la protéine XPC présentent une augmentationet une relocalisation nucléoplasmique de cetteprotéine similaire à celle observée dans les cellules

L’introduction du gène XPC normal dans des cellules des malades xp sensibles aux rayonnements solaires leur permet de récupérer la capacité à réparer l’ADN et de répondre à l’irradiation aux ultraviolets par l’activationd’un système de type SOS. Le nombre et l’intensité de lacoloration des foyers intranucléaires augmentent dans les cellules irradiées (en haut) par rapport aux cellules non irradiées (en bas) indiquant l’accumulation de la protéine kin17, protéine de réponse aux rayonnements qui fait partie du complexe de réplication de l’ADN.

CEA

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Le Soleil et les Terriens

normales. Les protéines XPA ou XPC, en dehors deleur rôle dans le système de réparation NER,participent donc à une voie de signalisation desdommages aboutissant notamment à l’augmentationde l’expression de certains gènes, dont KIN17.Ce modèle cellulaire permet ainsi de préciserl’importance de cette voie de signalisation dans ledéveloppement de tumeurs radio-induites et aussid’évaluer la contribution de cette réponse auxrayonnements dans la prévention de la cancéro-genèse.

> Jaime F. AnguloDirection des sciences du vivant

CEA centre de Fontenay-aux-Roses

Figure 7.Modèle du mécanisme de réparation de l’ADN par excision des nucléotides et resynthèse(NER) selon Hoeijmakers, Nature, 2001, vol. 411, pp. 366-374 (avec l’autorisation de Nature).

NER global NER couplé à la transcription

lésions dues aux UV

génome

C

3’5’

I

II

G GTFIIH TFIIH

TFIIHXPG

CSATFIIHXPG

autres

3’5’

XPC-hHR23BARN polymérase

d’élongation POL II

CSB

Pol II

ADN transcrit

G

G

RPA

ERCC1-XPF

XPARPA

facteurs de réplication

RPA

AF

ATFIIH

TFIIH

III

IV

V

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Matière première “gratuite” mais énergie encore relativementcoûteuse à collecter et à utiliser ; l’énergie solaire dispose en dépit de ses limitations intrinsèques d’un potentiel énorme que les progrèstechnologiques tentent encore d’élargir, particulièrement dans la filièrephotovoltaïque.

L’énergie solaire: un importantpotentiel à concrétiser

CEA

/Cou

lon

Installation d’essai enextérieur de panneauxsolaires en siliciumpolycristallin, gérée par leGenec au centre de Cadarache(Bouches-du-Rhône) du CEA.

L’énergie solaire est une ressource relativement bienrépartie géographiquement. Son potentiel théo-

rique, énorme, représente plusieurs milliers de fois laconsommation énergétique mondiale actuelle. Del’équateur jusqu’aux zones de latitude 45° nord ousud,ce potentiel est intéressant tout au long de l’année.Au-delà, la saisonnalité devient plus marquée, et si laressource demeure importante en été, des solutionsd’appoint deviennent nécessaires l’hiver.

L’énergie solaire thermique: une forte marge de progression

La première manière de valoriser l’énergie solaireconsiste à l’utiliser pour des applications thermiques,c’est-à-dire pour le chauffage de l’eau sanitaire ou deslocaux. Pour ces utilisations, on utilise le plus souventdes capteurs vitrés : ils produisent l’effet de serrerecherché, en laissant les rayons lumineux du Soleiltraverser la vitre tout en évitant que la chaleur se dissipetrop facilement.Les rendements obtenus sont de l’ordre

de 50% aux températures visées. Quatre mètres carréspermettent de répondre aux besoins en eau chauded’une famille de quatre personnes, pour un montantmoyen de 3 500 €, et douze à vingt mètres carrésassurent le chauffage d’une maison individuelle. Unchauffage d’appoint est nécessaire pour les périodesclimatiques les plus défavorables et, en moyenne, uneinstallation de chauffage solaire procure sur l’année untaux de couverture des besoins de l’ordre de 50 à 60%,donc une économie sur la facture.De tels capteurs thermiques produisent annuellementde 200 à 800 kWh par m2, selon les besoins et les modesd’utilisation. Les valeurs les plus basses correspondentà des usages épisodiques d’eau chaude sanitaire àtempérature élevée (supérieure à 55 °C), les plus fortesétant obtenues dans le cas de chauffage continu à bassetempérature.Pour ce type d’application,souvent appelée“plancher solaire direct”, le fluide caloporteur issudes capteurs est injecté directement dans le plancherdes bâtiments à une température de 25 à 30°. Cetteconception conduit, d’une part, à des habitations très

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Le Soleil et les Terriens

confortables, d’autre part, à une des meilleures renta-bilités technico-économiques.Le développement du marché européen a été relati-vement stagnant dans les années 80, suite à denombreuses contre-références, liées à un manque deformation des installateurs. Mais l’introduction denouveaux concepts comme la garantie de résultatssolaires et l’activité des marchés allemands, autrichienset danois au cours de la décennie 90 ont permis undécollage notable. Le taux d’équipement par habitantest ainsi de respectivement 264 m2 et 203 m2 pour millehabitants en Grèce et en Autriche. L’Allemagne et leDanemark suivent avec respectivement 51 et 44 m2. LaFrance arrive en dixième position avec 4 m2, loinderrière la moyenne européenne actuelle de 26 m2 pourmille habitants. Le plan Soleil, lancé depuis trois ans,a relancé les ventes, notamment en métropole.Pour donner une idée des perspectives envisagées,l’objectif de la Commission européenne fixé dansle Livre blanc sur l’énergie, indiquait un cumul de100 millions de m2 installés en Europe pour 2010.Par ailleurs, l’ESTIF (European Solar Thermal IndustryFederation) estime le potentiel européen à 3 ou 4 m2

par habitant, soit 100 fois la moyenne actuelle. Un teltaux d’équipement représenterait 6% de la consom-mation finale d’énergie en Europe.La marge de progression est donc forte, et les solu-tions pour une intégration facile et économique dessystèmes dans le neuf comme dans l’ancien encore àdévelopper.

L’électricité solaire thermodynamique:une certaine maturité

Lorsque l’on concentre le rayonnement solaire au foyerd’un concentrateur optique, il est possible d’atteindredes températures élevées. Ce principe, connu depuisl’Antiquité,utilise des capteurs paraboliques,cylindro-paraboliques, ou des centrales dites “à tour”, dont unemultitude d’héliostats orientables réfléchissent l’éner-gie solaire sur une chaudière unique située sur unetour. Il permet le réchauffement de fluides calopor-teurs dans une gamme de températures allant de 250à 800 °C.Ceux-ci viennent ensuite chauffer de la vapeurd’eau, qui entraîne un turboalternateur, comme dansles centrales thermiques conventionnelles.Des unités prototypes de l’ordre de quelques dizainesde kW à une dizaine de MW ont été construites à

travers le monde au cours des deux décennies passées.Dans les Pyrénées, la centrale Thémis a fonctionné audébut des années 80. Le plus grand développementcommercial a toutefois été réalisé par la société LuzSolar, qui a construit dans les années 80 trois centra-les à capteurs cylindro-paraboliques totalisant unepuissance électrique nominale de 354 MWe, et four-nissant au réseau près de Los Angeles une électricitévalorisée principalement pendant les périodes de pointedes après-midi d’été.Malgré la faillite du constructeur il y a dix ans, cescentrales n’ont cessé d’être exploitées et de voir leurproductivité s’améliorer; elles témoignent maintenantde la maturité de cette filière avec des prix de revientde l’électricité autour de 10 à 12 cents le kWh.Un potentiel d’amélioration de 20 à 30% reste envi-sageable, notamment via la production directe devapeur dans les capteurs, et l’optimisation des miroirset du revêtement sélectif. En Europe, l’Allemagne etl’Espagne mènent conjointement des recherches surces thèmes, et une première réalisation de 50 MW està l’étude dans la province d’Almeria.Dans le cadre des facilités financières offertes par leFonds pour l’Environnement Mondial,des réalisationssont à l’étude dans plusieurs pays tels que l’Égypte,l’Inde et le Brésil.

L’électricité solaire photovoltaïque: la course au rendement

Une autre manière de valoriser l’énergie solaire consisteà utiliser la conversion directe de la lumière en élec-tricité. C’est l’effet “photovoltaïque”, obtenu dansdes matériaux particuliers dits semi-conducteurs,et par lequel chaque photon de lumière incidentepermet de mettre en mouvement un électron, pro-duisant ainsi un courant électrique (encadré F,Comment transforme-t-on l’énergie solaire enélectricité ?, p. 103). Le matériau le plus utilisé est lesilicium, très abondant sur la planète, pour fabriquerdes cellules solaires, que l’on assemble ensuite enmodules ou panneaux solaires.Les rendements obtenus usuellement lors de cetteconversion sont compris entre 10 et 20 %, selonqu’il s’agisse de silicium amorphe, microcristallin,multicristallin ou monocristallin. Encore faut-ilpréciser le produit dont on parle : une cellule faite enlaboratoire avec du silicium de grande pureté et desprocédés sophistiqués pourra atteindre 25 % derendement, ce qui se rapprochera de la limite théoriquede 33% pour une cellule à simple jonction. Son prixde revient sera alors tel que son usage sera réservéà des niches de marché particulières, comme parexemple les voitures électriques dont les concepteurssouhaitent remporter la célèbre course solaireaustralienne Darwin-Adelaïde.En fabrication industrielle de grande série, le rende-ment moyen, c’est-à-dire incluant tous les aléas, avecdu silicium cristallin sera moins élevé, généralementcompris entre 14 et 16%. Par contre, le prix de revientsera beaucoup plus faible, de sorte que le prix de l’élec-tricité produite sera plus intéressant, et c’est ce critère-là, plus que tout autre, qui intéresse l’utilisateur.L’électricité “solaire photovoltaïque” est en généralutilisée de deux manières différentes, soit pour lafourniture d’électricité en sites isolés, soit pour

Eyew

ire

Inc.

Une des trois installations solaires thermodynamiques à capteurs cylindro-paraboliques construites dans lesannées 80 par Luz Solar en Californie.

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l’injection d’électricité sur un réseau électrique.La pre-mière application est la plus ancienne, et la plus répan-due au regard des millions de systèmes installés à traversle monde.Elle a commencé dès les années soixante pourles satellites,où les modules solaires photovoltaïques sesont imposés face à la plupart des autres alternatives,pour des questions de poids et de fiabilité.Les premières applications terrestres se sont répanduesdans les années 70 et 80, essentiellement pour desbesoins professionnels (stations météorologiques,relaisde télécommunication, balisages maritime et aérien,protection cathodique),puis pour des applications liéesà l’électrification rurale,comme l’éclairage domestique,l’audiovisuel et le pompage de l’eau.Les dernières années ont permis une montée en puis-sance du nombre de réalisations, avec une croissanceannuelle supérieure à 20% depuis vingt ans: en France,90% des balises maritimes sont ainsi équipées et,dansles pays en développement, la plupart des stations detélécommunications ou les relais hertziens utilisentcette source d’énergie.Les programmes d’électrificationrurale se réalisent maintenant par tranches de plusieursmilliers ou dizaines de milliers de systèmes.La caractéristique principale de cette premièrecatégorie d’application de l’électricité solaire photo-voltaïque est qu’elle nécessite l’utilisation de batte-ries lorsque le besoin d’électricité n’est pas en phaseavec la ressource solaire.Le marché potentiel correspondant est gigantesque,face aux deux milliards d’habitants qui n’ont pas accès

A. G

onin

/CEA

Cellules photovoltaïques en silicium monocristallin sur un bloc de mesure de réponsespectrale au centre CEA de Grenoble. Après métallisation par sérigraphie et recuit, les cellulessont testées en relevant leur débit de courant à chaque longueur d’onde de la gammespectrale solaire.

L’effet photovoltaïque utilisédans les cellules solaires

(elles-mêmes regroupées enmodules puis en panneaux)pour convertir directement lesrayons solaires en électricitéimplique la production et letransport de charges élec-triques positives et négativessous l’effet de la lumière dansun matériau semi-conducteur.Le silicium a été choisi pourses propriétés électroniques,caractérisées par la présencede quatre électrons sur sacouche périphérique (colonne IV dutableau de Mendeleïev). Dans le sili-cium solide, chaque atome est lié àquatre voisins, et tous les électrons dela couche périphérique participent auxliaisons. Si un atome de silicium estremplacé par un atome de la colonneV (phosphore par exemple), un desélectrons ne participe pas aux liaisons;il peut donc se déplacer dans le réseau.Il y a conduction par un électron, et lesemi-conducteur est dit dopé de type n.

Si au contraire un atome de siliciumest remplacé par un atome de lacolonne III (bore par exemple), ilmanque un électron pour réaliser tou-tes les liaisons, manque qu’un électronpeut venir combler. On dit alors qu’il ya conduction par un trou, et le semi-conducteur est dit dopé de type p. Lesatomes tels que le bore ou le phosphoresont des dopants du silicium.Lorsqu’un semi-conducteur de type nest mis en contact avec un semi-

conducteur de type p, lesélectrons en excès dans lematériau n diffusent dans lematériau p. La zone initiale-ment dopée n devient chargéepositivement, et la zone initia-lement dopée p devient char-gée négativement. Il se créedonc un champ électriqueentre les zones n et p, qui tendà repousser les électrons dansla zone n, et un équilibre s’éta-blit. Une jonction a été créée,et, en ajoutant des contactsmétalliques sur les zones n et

p, c’est une diode qui est obtenue.Lorsque cette diode est éclairée, lesphotons sont absorbés par le maté-riau et chaque photon donne naissanceà un électron et à un trou (on parle depaire électron-trou). La jonction de ladiode sépare les électrons et les trous,donnant naissance à une différencede potentiel entre les contacts n et p,et un courant I circule si une résis-tance est placée entre les contacts dela diode (figure).

F

contact sur zone p

contact sur zone n

absorption des photons

zone dopée p génération

des porteurs

collecte desporteurs

I

zone dopée n

Comment transforme-t-on l’énergie solaire en électricité?

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Le Soleil et les Terriens

à l’électricité. Les atouts essentiels du solaire sur cemarché sont sa fiabilité exceptionnelle – les modulesles plus vendus, à base de silicium cristallin, fontmaintenant couramment l’objet de garanties de l’ordrede vingt ans, pour des durées de vie escomptées supé-rieures – ainsi que l’absence des coûts de distributioninhérents aux solutions techniques conventionnelles,que ce soit l’utilisation de groupes électrogènes ali-mentés par énergies fossiles (diesel, essence ou gaz),ou l’extension d’un réseau électrique principal jusqu’aulieu d’utilisation, dont la rentabilité est peu élevéequand les besoins sont faibles.La seconde application est plus récente,mais elle béné-ficie d’un taux de croissance encore plus rapide, entre30 et 40% par an. Il s’agit de transformer directementle courant continu des modules photovoltaïques en

courant alternatif. L’électricité ainsi produite “au fil duSoleil” est soit consommée sur place soit injectée dansle réseau selon l’optimisation recherchée.L’intérêt éco-nomique et l’engouement actuel sur cette applicationviennent du fait que l’électricité peut être vendue à unecompagnie de distribution d’électricité, qui, dans cer-tains cas,peut proposer des tarifs de rachat intéressantspour contribuer à l’émergence de cette filière.Ce “couplage” au réseau peut se faire de façon centra-lisée avec des centrales photovoltaïques de quelquesmégawatts comme celles réalisées aux États-Unis aumilieu des années 80.L’approche la plus courante actuel-lement utilise le caractère “réparti” de la ressource etse décline en réalisations “domestiques” de quelqueskilowatts, que l’on appelle les “toits solaires” : lesprécurseurs en la matière ont été la Suisse et l’Allemagneà la fin des années 80. Quelques opérations ou pro-grammes de démonstration ont eu lieu au cours desannées 90,et ont montré la faisabilité de maisons indi-viduelles avec 30 ou 40 m2 de capteurs photovoltaïques,qui deviennent autonomes sur un bilan annuel, lasurproduction d’été compensant la sous-productiond’hiver.À l’heure actuelle,des programmes importantssont menés au Japon et en Allemagne principalement,ces pays ayant installé environ 100000 systèmes chacun,pour des puissances cumulées respectives de 450 et300 MW. Le Japon prévoit 4,8 GW en 2010 et 40 GWen 2020 sur ces applications.Toutes applications confondues, l’EPIA (EuropeanPhotovoltaic Industry Association) a établi un scénarioqui semble conservatif par rapport aux ambitions japo-naises,arrivant à un marché mondial annuel de 54 GWen 2020,et montrant les possibilités de créer 2,3 millionsd’emplois dans le monde.Si à cette période,et même avec de tels chiffres de crois-sance, la part de l’électricité solaire photovoltaïquerestera inférieure à 1% de la consommation mondiale,son potentiel à terme,c’est-à-dire après quelques décen-nies supplémentaires, est bien supérieur, comme lemontre une étude récente de l’AIE (Agence interna-tionale de l’énergie) : l’utilisation de 40% des surfacescouvertes par des bâtiments existants conduit selon lespays à produire de 20 à 60% de leur consommation

Face avantreprésentant la grille

de contact et la coucheantireflet de cellules

photovoltaïques ensilicium multicristallin

fabriquées parPhotowatt.

Installation de panneaux solaires par Total au Maroc dans le cadre d’un programme d’électrification rurale.

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Page 29: III. LE SOLEIL ET LES TERRIENS - CEA - Accueil · 2015. 9. 10. · 78 CLEFS CEA - N°49 - PRINTEMPS 2004 Le Soleil et les Terriens L’influence du Soleil sur le climat des planètes

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Vue d’artiste du satelliteeuropéen Envisat en orbite.L’utilisation des modulessolaires photovoltaïquespour les satellites acommencé dès les annéessoixante, s’imposant dans ce secteur pour des questions de poids et de fiabilité.

ESA

électrique actuelle, sans la moindre emprise supplé-mentaire au sol. Pour la France, qui ne faisait pas par-tie du domaine de l’étude, une interpolation entrel’Espagne, l’Italie et l’Allemagne, permettrait d’envi-sager une disponibilité de 200 TWh, soit 40% de laconsommation électrique actuelle.L’enjeu est donc loin d’être marginal et justifie unepolitique de développement volontariste.Pour l’instant,et comme dans le cas du solaire thermique, le tauxd’équipement par Français est 10 fois inférieur à celuide l’Allemagne et 15 fois à celui du Japon.La croissance du marché va de pair avec une baisse desprix. Les prix de vente en gros des modules sur le mar-ché international se situent actuellement autour de 3€le watt. L’observation des prix et des volumes de ventesur les vingt dernières années montre une diminutionrégulière, correspondant à une division des prix pardeux tous les dix ans.La projection vers le futur conduitainsi à un prix de l’ordre de 1,60 €W en 2010.Pour un système photovoltaïque couplé au réseau dequelques kW, le prix de revient pour l’usager, installa-tion et onduleur compris, est de l’ordre du double duprix du module sortie usine, soit entre 5 et 6 €W.Autre élément contribuant à cette baisse des prix, larecherche reste incontournable pour mettre en placeles solutions technologiques qui permettront cettediffusion à grande échelle. Au niveau des matériauxde base, le spectre étudié s’étend du silicium actuel(cristallin ou amorphe) à d’autres candidats quipermettraient la réalisation de films minces et éven-tuellement flexibles tels que le CIS (diséléniure de cui-vre et d’indium), voire même des semi-conducteursorganiques, à base de plastiques polymères.

Certains laboratoires commencent même à appro-fondir de nouveaux concepts qui pourraient amenerà des rendements supérieurs: les cellules tandem à troisou quatre jonctions approchent d’ores et déjà des 40%.Au-delà,des travaux préliminaires ont montré que desdispositifs innovants à bande métallique intermédiaire,pour utiliser les photons de faible énergie, ou desconcepts dits à “porteurs chauds” ou à “puits quan-tique” pouvaient atteindre des efficacités théoriques de l’ordre de 80%.Au niveau des systèmes, les axes de recherche doiventporter sur le stockage de l’électricité, qui représenteune part très importante des coûts complets, la conver-sion de l’énergie, ainsi que sur la gestion de ces systè-mes énergétiques: il s’agit de présenter à l’usager uneinterface conviviale, proposant des scénarios de fonc-tionnement basés sur une analyse prédictive de la pro-duction et de la consommation,et délivrant des signauxd’alerte en cas de dysfonctionnement.

> Philippe MalbrancheGenec

Direction de la recherche technologiqueCEA centre de Cadarache

POUR EN SAVOIR PLUSLes travaux du CEA dans le domaine del’énergie solaire seront approfondis dans le prochain numéro de Clefs CEA, consacré aux Nouvelles technologies de l’énergie.