guinée : le temps de la justice

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GUINÉE : LE TEMPS DE LA JUSTICE ? Mai 2015 / N°659f RAPPORT

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Rapport

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  • GUINE : le temps de la justice ?

    Mai

    201

    5 /

    N6

    59f

    RappoRt

  • 2 / Titre du rapport FIDH

    Photo de couverture : Rencontre entre les reprsentants des victimes du 28 septembre 2009 et de la socit civile avec le Bureau du Procureur de la CPI au sige de lOGDH, le 20 fvrier 2014. FIDH

  • FIDH Guine : le temps de la justice ? / 3

    Introduction ---------------------------------------------------------------------------------------------- 4

    Partie I. tat de la lutte contre limpunit ------------------------------------------------------------ 6 Affaire du 28 septembre 2009 ----------------------------------------------------------------------- 6 Affaire des tortures lescadron mobile de Hamdallaye : pourquoi le procs na-t-il pas lieu ? 18 Laffaire des rpressions de janvier et fvrier 2007 -------------------------------------------- 22

    Partie II. Vers la mise en place dune commission vrit contribuant au processus de rconciliation nationale ? ------------------------------------------------------------------------- 26

    Conclusion : Empcher un nouveau cycle de violences en luttant contre limpunit -------- 31

    Recommandations ------------------------------------------------------------------------------------ 32

  • 4 / Guine : le temps de la justice ? FIDH

    Introduction Lanne 2015 est-elle celle de tous les dangers pour la Guine ? La pandmie dEbola est peine contenue que les populations, gravement prouves par les plus de 2 340 victimes du virus et par ses importantes rpercussions conomiques, doivent affronter une lection prsidentielle majeure. Le pays doit prouver quil peut lire successivement deux prsidents de faon dmocratique et ancrer un peu plus la jeune dmocratie guinenne dans une certaine stabilit politique.

    Pourtant, la Guine connat depuis plusieurs semaines des violences caractre politique qui la replongent dans ses vieux dmons et rappellent que si les militaires ne sont plus au pouvoir, ils nont toujours pas t jugs pour les crimes les plus graves commis au cours des dernires dcennies : massacre du 28 septembre 2009, rpressions des manifestations de janvier et fvrier 2007, tortures de 2010, purges et rpressions de 1985, ou encore les dizaines de morts surve-nues au cours des manifestations qui ont prcd les lections lgilslatives de septembre 2013. Les victimes attendent encore la vrit et la justice tandis que les auteurs prsums de ces crimes demeurent impunis, mme sils noccupent plus les plus hautes responsabilits.

    Car si aucun procs pour les crimes du pass mme rcent ne sest encore tenu, la peur a chang de camp et 14 militaires ou dignitaires des rgimes prcdents sont inculps ou dtenus dans le cadre de plusieurs instructions judiciaires, notamment celle concernant le massacre du stade du 28 septembre en 2009.

    Sous limpulsion des victimes, des associations qui les soutiennent telles que la FIDH et lOGDH, ainsi que sous la pression permanente de la Cour pnale internationale (CPI), les enqutes sur les crimes les plus graves commis en 2009 et 2010 ont connu depuis un an des avances aussi tardives quinespres, laissant entrevoir pour la premire fois depuis 5 ans la possibilit que les prsums responsables de ces crimes rpondent de leur actes devant une Cour dassises en Guine.

    Plusieurs militaires qui occupaient de hautes responsabilits au moment des faits, tels que le colonel Claude Pivi, chef de la scurit prsidentielle, le lieutenant-colonel Moussa Tiegboro Camara, ministre charg des Services spciaux, de la lutte antidrogue et du grand banditisme, ou encore lancien gouverneur de Conakry, le commandant Skou Resco Camara, ont t suspendus, dmis ou carts de leurs fonctions officielles et loigns de leurs hommes. Un sisme pour la Guine o, quelques annes plus tt, ils taient des faiseurs de rois et taient craints autant pour leur rle au sein dune arme toujours tente par le pouvoir que pour leurs personnalits emportes.

    La restructuration de larme a, en outre, permis de limiter linfluence politique de ses lments les plus radicaux et tente de la circonscrire ses missions rgaliennes dans un esprit rpublicain sans que lon puisse encore totalement lcarter de ses tentations et de son pass putschiste.

    Les rformes entreprises par le gouvernement, notamment sur ladministration de la justice, le processus de rconciliation nationale et la gestion du secteur minier, sont en train de produire des effets positifs mme si elles ont t engages trop tardivement, ne sont pas encore ache-

  • FIDH Guine : le temps de la justice ? / 5

    ves pour nombre dentre elles et auront des impacts limits en raison de la dsorganisation persistante de ltat, des contraintes financires imposes par une gestion plus transparente des comptes publics, de la crise sanitaire dEbola et son impact humain et conomique important, ainsi que des tensions politiques lies lorganisation des lections prsidentielle et locales.

    Les conditions dans lesquelles les prochaines lections se tiendront sont aussi importantes que le strict respect des chances elles-mmes. Les stratgies qui tendraient retarder la date du scrutin prsidentiel ou ne pas garantir les conditions dune lection libre et transparente plongeraient le pays dans linconstitutionnalit ou la contestation des rsultats. Les acteurs politiques doivent faire preuve de responsabilit pour viter que la Guine ne replonge dans un nouveau cycle de violences politiques, avec son lot de victimes. Ils risqueraient de devoir en rpondre non seulement face lHistoire mais aussi devant la justice.

  • 6 / Guine : le temps de la justice ? FIDH

    I. tat de la lutte contre limpunit Affaire du 28 septembre 2009

    Prs de six ans aprs les faits, la justice guinenne enqute toujours sur le massacre commis en 2009 au stade du 28 septembre et sur les crimes en lien avec cet vnement perptrs au cours des semaines qui ont suivi.

    Le 28 septembre 2009, lensemble des partis politiques, des organisations syndicales et de la socit civile manifestaient contre lannonce du prsident putschiste, le capitaine Dadis Camara, de se prsenter llection prsidentielle. Vers 10 heures, les brets rouges de la garde prsidentielle, soutenus par des gendarmes et des miliciens, ont fait irruption au stade du 28 septembre et ont ouvert le feu sur les manifestants qui y taient runis. Certains ont t poignards, dautres violemment agresss et un grand nombre de femmes y ont t violes. Cette rpression sanglante sest poursuivie en dehors du stade et au cours des jours suivants1.

    Selon le rapport de la Commission denqute internationale sur la Guine mandate par le Secrtaire gnral des Nations unies quelques semaines aprs les faits, le bilan de ces vne-ments slve, au minimum, 156 morts, 49 personnes portes disparues et 109 victimes de viols et autres violences sexuelles. Les commissaires prcisent quil sagit dune estimation basse et que le nombre de victimes est trs probablement plus lev.

    La Guine a ratifi le Statut de Rome le 14 juillet 2003, donnant comptence la Cour pnale internationale (CPI) sur les crimes de guerre, crimes contre lhumanit et gnocide commis sur son territoire ou par ses ressortissants depuis le 1er octobre 2003. Aprs avoir reu des

    communications sur les vnements de 2009, le Bureau du Procureur (BdP) de la CPI a ouvert un examen prliminaire le 14 octobre 2009, afin de dterminer si des crimes de la comptence de la Cour avaient t commis. Pendant la phase dexamen prliminaire, le BdP value si un tat a la volont ou la capa-cit de mener vritablement bien des enqutes et poursuites concernant des crimes de la comptence de la CPI. Si cela savre ne pas tre le cas, le Procureur peut dcider douvrir une enqute et demander la dlivrance de mandats darrt.

    1. Rapport de la FIDH et lOGDH, 1 an aprs le massacre du 28 septembre 2009 : nouveau pouvoir, espoir de justice ?, septembre 2010, consultable sur https://www.fidh.org/La-Federation-internationale-des-ligues-des-droits-de-l-homme/afrique/guinee-conakry/1-an-apres-le-massacre-du-28.

    Les manifestants

    fuient le stade

    du 28 septembre

    aprs que les forces

    de lordre ont

    ouvert le feu,

    le 28 septembre

    2009 DR

  • FIDH Guine : le temps de la justice ? / 7

    En fvrier 2010, quelques jours avant la venue en Guine de Mme Fatou Bensouda, alors Procureure adjointe la CPI, le Procureur gnral prs la Cour dappel de Conakry avait saisi trois magistrats instructeurs des faits du 28 septembre qui ont alors ouvert une information judiciaire contre Aboubacar Diakit alias Toumba et tous autres .

    Ds mai 2010, la FIDH et lOGDH se sont constitues parties civiles dans cette procdure, aux cts de 67 victimes et des associations de victimes, afin de contribuer lexercice de la justice et la consolidation de ltat de droit en Guine. Au cours des cinq dernires annes, la FIDH et lOGDH ont men des actions daccompagnement des victimes du massacre du stade.

    Au total, le pool de juges dinstruction, lequel est compos de trois juges chargs denquter sur ces crimes a entendu plus de 400 victimes et tmoins. La grande majorit des victimes qui interviennent en tant que parties civiles sont reprsentes par le collectif davocats constitu davocats guinens et internationaux membres du Groupe daction judiciaire (GAJ) de la FIDH. ce jour, 11 personnes sont inculpes dont plusieurs sont places en dtention provisoire ou sous contrle judiciaire dans lattente de la tenue dun procs.

    Aprs un dmarrage difficile et des ralentissements prolongs, notamment causs par les lec-tions prsidentielles et lgislatives tenues en 2010 et en 2013, les enqutes progressent et ltat des lieux de la procdure la veille des chances lectorales de 2015 est globalement positif.

    Au cours des premires annes suivant louverture de linformation judiciaire, le rythme des enqutes tait particulirement lent, le nombre dinculpations faible, mais surtout, ces inculpations se limitaient aux personnes nommment vises par le rquisitoire introductif, le lieutenant Toumba, et ses subordonns directs. Linstruction ne refltait pas les responsabilits, la chane de commandement et limplication relle de lensemble de la hirarchie du Conseil

    Des victimes du

    massacre au stade,

    le 28 septembre 2009

    DR

  • 8 / Guine : le temps de la justice ? FIDH

    national pour la dmocratie et le dveloppement (CNDD) dans le massacre commis au stade le 28 septembre et dans les exactions commises au cours des jours et semaines qui ont suivi.

    Ce nest que plus de deux ans aprs louverture de linformation judiciaire que les premires inculpations parmi les plus hauts responsables de la junte militaire du CNDD sont interve-nues. Au cours des annes 2012 et 2013, le lieutenant-colonel Moussa Tiegboro Camara, ministre dtat charg de la lutte contre la drogue et le grand banditisme au moment des faits2, le colonel Claude Pivi, ministre de la Scurit prsidentielle3 et le colonel Abdoulaye Chrif Diaby, ministre de la Sant4, tous viss parmi les prsums responsables dans le rapport de la Commission denqute des Nations unies, ont enfin t auditionns et inculps.

    Si ces premiers rsultats taient jugs encourageants, lefficacit des enqutes menes par les juges dinstruction tait compromise par labsence de ressources matrielles adquates et par un manque de soutien politique manifeste.

    Face cette inertie du systme, la FIDH et lOGDH ont mis en uvre une stratgie multi-dimensionnelle daction combinant des activits de plaidoyer auprs des autorits nationales et des diplomaties trangres, un soutien aux victimes et aux associations de victimes et un rle toujours plus actif dans les enqutes menes par les juges du pool. Les avocats du Groupe daction judiciaire de la FIDH ont ainsi mis en uvre une stratgie judiciaire consistant renforcer et nourrir le dossier de linstruction, en multipliant les demandes dauditions de victimes, en versant au dossier des lments de preuves et en formulant des demandes dactes pour que les juges accomplissent les investigations ncessaires la manifestation de la vrit.

    Par ailleurs, les activits engages par le ministre de la Justice, M. Cheik Sacko, depuis sa nomination lan dernier, ont permis de donner corps la volont du gouvernement de rformer et moderniser le secteur de la justice. Le ministre a ainsi pris linitiative dune refonte de lorganisation judiciaire et des principaux codes, lois et rglements, de mme quil a ritr plusieurs reprises ses engagements en faveur de la lutte contre limpunit.

    Cette volont politique renouvele, conjugue aux efforts de nos organisations, semble sur le point de changer la donne. Sagissant de laffaire du 28 septembre, le ministre a raffirm loccasion de lAssemble des tats parties au Statut de la CPI que les engagements pris par la Guine envers le Bureau du Procureur de la CPI seraient honors et que la procdure en cours dboucherait, dans les meilleurs dlais, sur la tenue dun procs.

    Dans son rapport sur ses activits menes en matire dexamen prliminaire en 2014, le Bureau du Procureur indiquait que : Au vu des renseignements disponibles, le Bureau a conclu quil existait une base raisonnable permettant de croire que des crimes contre lhumanit ont t

    2. Communiqu de la FIDH et de lOGDH, Nouvelle inculpation dun ancien ministre la veille du troisime anniversaire du massacre du 28 septembre 2009 , 21 septembre 2012, consultable sur https://www.fidh.org/La-Federation-internationale-des-ligues-des-droits-de-l-homme/afrique/guinee-conakry/Guinee-Nouvelle-inculpation-d-un-12206 ; voir galement la note de position de la FIDH et de lOGDH Lutte contre limpunit : des avances remarques, des actes attendus , septembre 2012, disponible sur https://www.fidh.org/IMG/pdf/rapguinee596f.pdf.3. Communiqu de la FIDH et de lOGDH, Le colonel Claude Pivi inculp dans laffaire du 28 septembre 2009 : un grand pas pour la justice guinenne , 28 juin 2013, consultable sur https://www.fidh.org/La-Federation-internationale-des-ligues-des-droits-de-l-homme/afrique/guinee-conakry/guinee-affaire-du-28-septembre-2009-le-colonel-claude-pivi-inculpe-135894. Communiqu de la FIDH et de lOGDH, Avance majeure dans laffaire du 28 septembre 2009 avec linculpation dun ministre en exercice , 8 fvrier 2012, consultable sur https://www.fidh.org/La-Federation-internationale-des-ligues-des-droits-de-l-homme/afrique/guinee-conakry/Guinee-Avancee-majeure-dans-l

  • FIDH Guine : le temps de la justice ? / 9

    commis au stade national de Conakry le 28 septembre 2009 et les jours suivants, savoir : le meurtre vis larticle 7-1-a ; lemprisonnement ou dautre forme de privation grave de libert, viss larticle 7-1-e ; la torture vise larticle 7-1-f ; le viol et autres formes de violence sexuelles, viss larticle 7-1-g ; la perscution vise larticle 7-1-h ; et la disparition force de personnes vise larticle 7-1-i.

    Le Bureau est en train danalyser la recevabilit de la situation fonde sur lvaluation de la complmentarit, consistant dterminer si de vritables actions ont t menes au niveau national. La Procureure a reconnnu que des progrs significatifs avaient t raliss pouvant indiquer une volont et capacit de la Guine, et a encourag les autorits guinennes poursuivre leurs efforts en matire denqutes, tout en soulignant le besoin de poursuivre ces progrs dans les meilleurs dlais et de sintresser plus particulirement aux crimes sexuels et bass sur le genre.

    Alors que linformation judiciaire connat des dveloppements attendus depuis longtemps, celle-ci pourrait bientt toucher sa fin. Llection prsidentielle, dont le premier tour est toujours prvu pour le 11 octobre 2015, constitue une chance majeure pour le pays mais parasite lchancier dun procs pourtant historique pour la Guine. Pour assurer le respect des engagements pris par ltat lgard des victimes, qui attendent que justice leur soit rendue, les lections prsidentielles et locales doivent se tenir dans le plus grand respect du principe de sparation des pouvoirs. Le dossier du 28 septembre ne doit tre lobjet daucune instrumentalisation par les partis politiques.

    La Procureure de

    la CPI, Mme Fatou

    Bensouda, avec

    les associations

    de victimes, la FIDH

    et lOGDH en mai

    2012.

    FIDH

  • 10 / Guine: le temps de la justice ? FIDH

    I. Vers une clture de linformation judiciaire en 2015 ?

    A/ Lacclration des enqutes

    La raffirmation par les autorits politiques guinennes de leur volont de mener bien cette affaire, conjugue la mobilisation constante de la FIDH, de lOGDH et des avocats du GAJ a eu pour consquence que les enqutes menes par les juges du pool saisis du dossier ont rcemment pris un nouvel lan et que des avances significatives ont t enregistres au cours du dernier trimestre de lanne 2014.

    Ces rsultats ont t atteints grce une mobilisation continue de nos organisations et des avocats du GAJ en faveur des victimes quils reprsentent et par une stratgie judiciaire active visant consolider le dossier de linstruction.

    Un soutien continu aux victimes et aux associations qui les reprsentent

    La participation active des victimes a sans aucun doute contribu au renforcement de lins-truction et faire en sorte que des tapes importantes, en terme didentification des auteurs prsums, soient franchies par les juges.

    En mai 2010, trois mois aprs louverture de linstruction, une premire mission de la FIDH sest rendue Conakry pour accompagner les victimes du massacre du 28 septembre devant la justice. Une centaine dentre elles avait dj t entendue par les juges du pool en charge du dossier mais aucune navait pu se constituer partie civile dans la procdure.

    Les victimes rencontres au cours de cette premire mission, peu ou pas informes de lobjet et du droulement de linstruction judiciaire ouverte, manifestaient un sentiment de dfiance lgard de la justice guinenne et des juges en charge de cette instruction. Lactivation de la justice nationale tait mme perue par certaines dentre elles comme un second contre feu ayant pour objet de mettre labri le rgime5.

    La FIDH et lOGDH ont alors souhait runir les victimes et les associations qui les reprsentent dans le but de construire avec elles une coalition et les bases dune stratgie commune daction judiciaire afin dtablir la vrit, demander justice et obtenir rparation. Cest la raison pour laquelle la FIDH et lOGDH se sont constitues parties civiles aux cts des associations de victimes et ont ensuite constitu un pool davocats bnvoles, nationaux et internationaux, chargs daccompagner et de dfendre les victimes lors de leurs dpositions devant les juges dinstruction. Aujourdhui, plusieurs centaines de victimes ont t accompagnes devant les juges par ces avocats mandats par nos organisations.

    Une tape importante a t franchie le 30 avril 2013, avec linculpation et le placement en dtention provisoire dun gendarme, qui aurait, le 28 septembre, avec deux autres lments de la gendarmerie, viol une femme dans lenceinte du stade6. Accompagne par les avocats du

    5. Voir Rapport de la FIDH et lOGDH 1 an aprs le massacre du 28 septembre 2009 : nouveau pouvoir, espoir de justice ? , septembre 2010, consultable sur https://www.fidh.org/La-Federation-internationale-des-ligues-des-droits-de-l-homme/afrique/guinee-conakry/1-an-apres-le-massacre-du-28, p. 32 et 33.6. Voir Affaire du 28 septembre: un gendarme arrt et inculp pour viol , 7 mai 2013, consultable sur https://www.fidh.org/La-Federation-internationale-des-ligues-des-droits-de-l-homme/afrique/guinee-conakry/guinee-affaire-du-28-

  • FIDH Guine: le temps de la justice ? / 11

    GAJ, cette femme a russi dpasser ses craintes pour se constituer partie civile et dnoncer lun de ses violeurs quelle avait pu identifier. Depuis sa dposition, cette victime bnficie de mesures de scurit mises en place par nos organisations.

    Cest donc grce la participation active des victimes la procdure que, pour la premire fois dans cette affaire et dans lhistoire de la justice guinenne, un lment des forces armes a t mis en cause en tant quauteur direct de violences sexuelles.

    Un rle actif des parties civiles dans les enqutes

    Les avocats du Groupe daction judiciaire (GAJ) ont galement jou un rle actif dans les enqutes en versant au dossier de linstruction des lments de preuve et en soumettant rgulirement des demandes sollicitant les juges aux fins de procder des actes utiles la manifestation de la vrit. La plupart de ces demandes ont t excutes par les juges du pool et ont permis daboutir des rsultats satisfaisants, allant dans le sens dune plus grande prcision et exhaustivit des enqutes.

    Les activits conduites par les avocats du GAJ, soutenues par les activits de plaidoyer menes par les reprsentants de la FIDH et de lOGDH, ont port leurs fruits au cours du dernier trimestre de lanne 2014 et des premiers mois de lanne 2015. Au cours de cette priode les actes denqute se sont multiplis un rythme acclr puisquen seulement quelques mois trois nouvelles inculpations ont t prononces, plusieurs tmoins cls ont t entendus et une dizaine de victimes supplmentaires ont pu tre auditionnes par les juges du pool.

    Cette acclration illustre une volont indniable de parvenir une clture de linformation judiciaire dans les meilleurs dlais et laisse prsager quun procs du 28 septembre pourrait se tenir dans un futur proche.

    Parmi les trois nouvelles inculpations figure celle de lancien numro deux du CNDD, le gn-ral Mamadouba Toto Camara, alors ministre de la Scurit publique et de la Protection civile. Nommment vis dans le rapport de la Commission denqute des Nations unies, il est prsum responsable des exactions commises par les forces de police places sous son commandement le 28 septembre. Deux autres individus prsents sur le terrain le 28 septembre 2009 ont aussi t inculps, dont ladjoint du colonel Tiegboro, qui tait aux cts de ce dernier le jour du massacre.

    Plusieurs personnes ont galement t entendues en qualit de tmoins et, selon lapprciation que feront les juges du pool de ces dpositions, certaines dentre elles seraient susceptibles dtre inculpes au cours des prochains mois. Il sagit, entre autres, de M. Fodba Isto Keira, ministre de la Jeunesse et des Sports et directeur du stade du 28 septembre au moment des faits et de M. Oumar Sanoh, ancien chef dtat-major gnral des armes. Compte tenu du rle central de ce dernier dans le dploiement du dispositif de scurit le 28 septembre, son audition tait particulirement attendue.

    Figure galement parmi ces tmoins le capitaine Sory Cond, membre du secrtariat dtat charg de la lutte contre la drogue et du grand banditisme au moment des faits. Il comptait parmi les subordonns du colonel Tiegboro et tait lun de ses chefs de patrouille le 28 septembre.

    septembre-2009-un-gendarme-arrete-et-inculpe-pour-13244.

  • 12 / Guine: le temps de la justice ? FIDH

    Enfin, le capitaine Ibrahima Sanoh, alors en charge de la planification au Camp Alpha Yaya et prsent au camp le 28 septembre et les semaines suivantes, a galement pu tre entendu. Cest notamment dans lenceinte du Camp Alpha Yaya que de nombreuses personnes avaient t arbitrairement dtenues au cours des jours et des semaines qui avaient suivi le massacre. Ces personnes, dont un grand nombre ont t portes disparues, y avaient t victimes dactes de tortures et de traitements dgradants et inhumains. Celles qui ont pu tre libres moyennant de fortes sommes rclames par les militaires leurs familles ont rapport y avoir t victimes ou tmoins de viols, dactes de torture et dexcutions sommaires.

    Plus rcemment encore, les juges du pool ont pu entendre des victimes dont la participa-tion avait t, jusque-l sans succs, plusieurs reprises sollicite. Il sagit notamment de M. Lounceny Fall, actuel ministre des Affaires trangres, et de M. Cellou Dalein Diallo, prsident de lUFDG. Ces personnalits figuraient parmi les leaders politiques prsents au stade le 28 septembre. la fois tmoins privilgis des vnements mais aussi victimes des violences qui sy sont droules, la participation de MM. Fall et Diallo la procdure en cours tait, sinon incontournable, tout au moins dune importance capitale.

    La lumire que ces reprsentants des Forces Vives peuvent apporter sur les ngociations qui ont eu cours avec la haute hirarchie de la junte militaire du CNDD en amont de la manifesta-tion, puis sur les rles jous par certains des inculps prsents au stade, contribuera sans nul doute la manifestation de la vrit. La participation de ces personnalits envoie par ailleurs un signal politique fort. En se constituant parties la procdure, ceux-ci donnent en exemple leur confiance en la capacit de la justice guinenne de mener cette procdure son terme.

    B/ Une volont politique mobilise et soutenue par des activits de plaidoyer

    Nos organisations ont dune part efficacement rempli leur rle daccompagnement des victimes devant la justice, mais elles ont aussi, grce une action continue et soutenue de plaidoyer auprs des autorits guinennes et internationales, contribu maintenir une dynamique visant ce que la Guine se conforme aux engagements pris envers le Bureau du Procureur de la CPI pour que se tienne en Guine un procs du 28 septembre.

    Par ailleurs, le mouvement lanc par les autorits nationales pour une rforme en profondeur de la justice a constitu un moteur puissant dans lacclration du travail des juges du pool en charge du dossier du 28 septembre et, de manire plus gnrale, dans les travaux de construction dun tat de droit en Guine. Au cours de lanne 2014 un certain nombre de mesures particu-lirement attendues ont t prises en faveur de la modernisation et de la professionnalisation de la magistrature guinenne.

    En 2010, au moment de louverture de linformation judiciaire, le Premier ministre de tran-sition, M. Jean-Marie Dor sexclamait : lorgane de ltat le plus pourri, cest la justice. Compltement pourrie ! 7 Si un long chemin reste encore parcourir avant que la justice ne rponde pleinement aux attentes des Guinens et de la socit civile nationale et internationale,

    7. Propos tenus devant les chargs de mission de la FIDH et de lOGDH en mai 2010. Voir Rapport de la FIDH et lOGDH, 1 an aprs le massacre du 28 septembre 2009 : nouveau pouvoir, espoir de justice ?, septembre 2010, consultable sur https://www.fidh.org/La-Federation-internationale-des-ligues-des-droits-de-l-homme/afrique/guinee-conakry/1-an-apres-le-massacre-du-28, p.17.

  • FIDH Guine: le temps de la justice ? / 13

    force est de constater que des dispositions allant dans le sens dun assainissement du pouvoir judiciaire et dun meilleur fonctionnement de la justice ont t adoptes.

    Dune part, sous limpulsion du nouveau ministre de la Justice, M. Cheik Sacko, le Conseil Suprieur de la Magistrature qui avait t institu par la loi organique du 23 dcembre 1991 a enfin t, prs de vingt-cinq annes plus tard, mis sur pied. Conu pour permettre le contrle des activits des magistrats dans le cadre de lexercice de leurs fonctions, tout en les prservant dingrences de nature empiter sur leur indpendance, sa cration constitue une avance considrable pour le renforcement de lautorit judiciaire. Dans le respect du principe de sparation des pouvoirs, ce nouvel organe devrait permettre de renforcer le professionnalisme et lintgrit de la magistrature dans son ensemble.

    Par ailleurs, une augmentation massive des salaires des magistrats a t dcide. Le montant des salaires tait en effet un niveau tel quil tait illusoire desprer que tous les magistrats sen satisfassent sans user de leurs fonctions pour obtenir illgalement des sources de revenus complmentaires. Ainsi, lalignement des salaires des magistrats sur le cot de la vie, coupl la mise en place du Conseil Suprieur de la Magistrature, devrait permettre dendiguer le phnomne de corruption qui gangrnait la justice guinenne.

    Enfin, dans le cadre des efforts entrepris pour assurer lindpendance des magistrats, des mesures ont galement t prises pour mettre fin la sdentarit de fait des juges du sige et du parquet. Le mouvement de rotation des magistrats a ainsi repris en 2014, permettant de limiter le risque de partialit et de corruption.

    Le lancement de ce mouvement de fond pour la modernisation de la justice a constitu un catalyseur pour lacclration des travaux denqute mens par les juges du pool. Avec pour souci dassurer la continuit du travail effectu sur le dossier du 28 septembre et de ne pas compromettre le calendrier visant clore dans les meilleurs dlais linformation judiciaire, les trois juges du pool sont les seuls magistrats guinens navoir pas pris part au mouvement de rotation lanc lan dernier.

    Davantage soutenus par le gouvernement, ceux-ci bnficient dornavant dune plus grande autorit et de ressources matrielles adquates. titre dexemple, les convocations adresses par les juges du pool taient encore lan dernier communiques par la voie administrative. Cette procdure tait dune lenteur considrable et bien souvent les destinataires de ces convocations ny donnaient pas suite, sans quaucune mesure de contrainte ne puisse efficacement tre prise par les juges. Cette procdure a t aujourdhui abandonne, au profit des convocations par voie dhuissier, beaucoup plus efficaces.

    Sur la scne internationale, le ministre de la Justice a raffirm plusieurs reprises que les engagements pris par la Guine, notamment envers le Bureau du Procureur de la CPI, seraient tenus. En particulier, lors de la dernire Assemble des tats parties au Statut de la CPI, en dcembre 2014 New York, le ministre a fait tat dune volont daboutir un procs en 2015. Le dialogue stratgique instaur entre la FIDH, les avocats du GAJ et les reprsentants du Bureau du Procureur de la CPI a en effet contribu permettre la Procureure de la CPI doprer un suivi rgulier des dveloppements de linformation judiciaire. Mme Fatou Bensouda sest elle-mme rendue Conakry plusieurs reprises pour rappeler aux reprsentants de ltat que, faute de parvenir un procs dans le dossier du 28 septembre, le Bureau du Procureur reprendrait

  • 14 / Guine: le temps de la justice ? FIDH

    la main sur le dossier. Concrtement, conformment au principe de complmentarit, laffaire serait juge recevable par la Chambre prliminaire de la CPI si la Guine navait pas la volont ou tait dans lincapacit de mener vritablement bien lenqute et dclencher les poursuites.

    Grce lacclration du rythme des enqutes et au soutien politique dont bnficient dsormais les juges du pool, il est dsormais raisonnable de penser que le procs du 28 septembre aura bien lieu en Guine. Comme le disait dj Mme Bensouda en 2010, la Guine peut aussi devenir un exemple, si les Guinens jugent les principaux responsables de ces crimes atroces ; cela servira la paix et la rconciliation nationale 8. En effet, il sagit ici dune opportunit pour la Guine de dmontrer la communaut internationale sa capacit juger elle-mme les auteurs du massacre au stade et de simposer comme exemple en termes de mise en uvre du mcanisme de complmentarit avec la Cour pnale internationale.

    II. Un procs hautement symbolique

    Un procs du 28 septembre, qui soit quitable et respectueux des droits des victimes, rev-tirait une dimension symbolique forte puisquil signalerait concrtement la fin dune culture dimpunit en Guine et jetterait des bases plus saines pour la construction dun tat de droit. Ce nest dailleurs que si ces conditions sont remplies que la CPI se dessaisira de laffaire.

    La perspective dune clture de linformation judiciaire avant la fin de lanne 2015 constitue donc un nouvel espoir pour les victimes, qui attendent depuis longtemps dj que justice leur soit rendue. Il est par consquent impratif que ce procs rponde aux attentes de ces victimes et de la socit civile guinenne. Celles-ci souhaitent que toute la lumire soit faite sur les vnements dont elles ont eu souffrir, que les principaux responsables de ces vnements rpondent de leurs actes et que leurs voix soient entendues au cours des dbats.

    Pour ce faire, les autorits judiciaires doivent, avant de prononcer la clture de linformation judiciaire, combler les lacunes et corriger les insuffisances qui la fragilisent. Dans la pers-pective de la tenue dun procs, elles devront ensuite assurer aux victimes une place centrale dans la procdure.

    A/ Les grands absents

    Sil est vrai que linformation judiciaire a considrablement progress, des lacunes subsistent, au premier chef desquelles labsence de lex-prsident Dadis Camara et de son aide de camp Toumba Diakit. Viss par la Commission denqute des Nations unies comme deux des princi-paux responsables du massacre au stade et des exactions commises au cours des semaines qui ont suivi, la tenue dun procs du 28 septembre en leur absence risquerait den diminuer la porte. Toumba Diakit

    La tenue dun procs du 28 septembre comme aboutissement de linformation judiciaire ouverte contre Toumba et tous autres mais auquel le principal intress, Toumba Diakit, nassisterait pas, pose un problme majeur plusieurs titres. En premier lieu, les victimes sont

    8. Voir Rapport de la FIDH et lOGDH, 1 an aprs le massacre du 28 septembre 2009 : nouveau pouvoir, espoir de justice ?, septembre 2010, consultable sur https://www.fidh.org/La-Federation-internationale-des-ligues-des-droits-de-l-homme/afrique/guinee-conakry/1-an-apres-le-massacre-du-28, p. 34.

  • FIDH Guine: le temps de la justice ? / 15

    en droit dattendre que lun des principaux responsables des massacres rponde de ses actes devant la justice. Par ailleurs, son absence menace dempcher que toute la lumire soit faite sur les vnements, notamment concernant la phase de prparation de la rpression qui a eu lieu le 28 septembre. Elle engendrerait le risque que les responsabilits de certains des inculps ne parviennent pas tre tablies, ou quelles ne soient pas restitues dans leur totalit.

    En effet, ds les premires semaines qui ont suivi la commission des massacres au stade, lensemble de la junte militaire du CNDD sest accord dsigner le lieutenant Toumba Diakit comme lunique et seul responsable des exactions commises. Ainsi, le prsident de la commission nationale qui avait t mise en place par le CNDD pour enquter sur les crimes du 28 septembre dclarait que le lieutenant Toumba Diakit aurait agi sans ordre de sa hirarchie, de faon totalement indpendante, et que les crimes commis au stade auraient exclusivement t commis par ses hommes. Les conclusions de la Commission denqute nationale, peu crdibles, diffraient en tous points de celles de la Commission mandate par les Nations unies qui, si elle mettait galement en cause Toumba Diakit, excluait la possibilit quil ait agi seul.

    Or, force est de constater que la version des faits selon laquelle Toumba Diakit aurait agi seul en dsobissant aux instructions donnes persiste, puisque la plupart des inculps anciens membres du CNDD semploient pour leur dfense lui imputer lentire responsabilit des vnements. Afin dviter une stratgie de dfense qui se bornerait dsigner un bouc missaire absent, ce qui amoindrirait la qualit des dbats et affaiblirait la voix des victimes, la version des faits du lieutenant Toumba Diakit doit absolument pouvoir tre confronte celles donnes par les autres inculps et tout doit tre mis en uvre par le gouvernement pour garantir sa prsence au procs.

    Le lieutenant Toumba Diakit a rcemment publiquement affirm sa volont dtre entendu sur les faits par les juges du pool et, le cas chant, de participer son procs. Il demande en contrepartie que sa scurit soit assure en Guine. Avant que la clture de linformation ne soit prononce, il convient que le gouvernement guinen fasse tout son possible pour lui accorder des garanties de scurit adquates pour quil puisse tre entendu par les juges du pool et participer son procs.

    Moussa Dadis Camara

    Dadis Camara a, lui, dabord cherch nier, puis minimiser son rle dans le massacre du stade du 28 septembre en accusant successivement lopposition, puis une faction incontr-lable de larme et enfin son aide de camp, Toumba Diakit. Au cours de son audition par la Commission denqute internationale, il a attribu son aide de camp et aux hommes placs sous le commandement de celui-ci la responsabilit directe et entire des crimes commis au stade. Cest la suite de cette audition, en dcembre 2009, que Toumba Diakit a tent de lassassiner, avant de prendre la fuite.

    En janvier 2010, aprs son hospitalisation au Maroc, Dadis Camara sest rfugi au Burkina Faso. Il y a sign avec le prsident intrimaire Skouba Konat et le mdiateur de la crise guinenne, Blaise Compaor, alors prsident du Burkina Faso, un accord de sortie de crise prvoyant, entre autres, le maintien en convalescence de Dadis Camara Ouagadougou, capitale du Burkina Faso.

  • 16 / Guine: le temps de la justice ? FIDH

    Bien quil nait pas encore t formellement mis en cause par les juges du pool en charge du dossier, il a dj pu tre entendu en qualit de tmoin par les autorits judiciaires du Burkina-Faso. Cette audition faisait suite deux commissions rogatoires internationales dont la premire, mise en 2011, tait reste sans rponse. La seconde, adresse la justice burkinab dbut 2013 a finalement donn suite mais, faute dune coopration judiciaire efficace, il aura fallu aux juges dinstruction guinens attendre plus dun an avant de recevoir une copie du procs-verbal daudition de Dadis Camara.

    Si laudition en qualit de tmoin de lancien chef de la junte constitue en soi une avance, il devrait cependant, comme tous les autres piliers du CNDD, tre inculp et interrog sur le fond. En effet, en tant que chef des forces armes le prsident Camara avait lultime pouvoir de commandement sur toutes les forces de scurit engages le 28 septembre. Pour autant, aprs les vnements au stade, M. Dadis Camara na rien fait pour faire cesser la commission des crimes, ni le jour mme, ni les jours suivants. Il na jamais non plus pris aucune sanction ou dclench une quelconque procdure disciplinaire lencontre des responsables des exactions, notamment ceux de ses subordonns impliqus directement dans les excutions sommaires, les crimes sexuels, les viols ou autres arrestations arbitraires.

    Il est esprer que le changement de gouvernement au Burkina-Faso permettra damliorer la mise en uvre des conventions dentraide judiciaire internationale et que lex-prsident Moussa Dadis Camara pourra tre inculp en vue dtre extrad vers la Guine pour participer au procs du 28 septembre. Sa rcente dmission de larme, le 20 mars, pourrait signifier quil souhaite revenir dans le jeu politique guinen. Une telle dmarche ne pourra se faire sans quil sexplique devant la justice de son pays au cours du procs du 28 septembre.

    B/ Des insuffisances persistantes

    Une enqute renforcer

    Si lensemble des rsultats auxquels sont parvenus les juges dinstruction en charge du dossier est trs encourageant, lenqute pnale prsente encore des zones dombre qui devraient tre claircies dans la perspective dune clture de linformation judiciaire et pour que le procs du 28 septembre puisse se tenir dans les meilleures conditions.

    Des actes denqute devraient tre raliss pour apporter des informations supplmentaires quant au sort des disparus et aux circonstances prcises dans lesquelles certains actes de violence ont t perptrs aprs le massacre au stade. En effet, certaines victimes ont rapport avoir t arrtes puis dtenues dans des camps militaires et y avoir subi des tortures et des viols rptition. Un grand nombre de ces personnes arbitrairement dtenues dans les camps ont ensuite disparu. Si les juges du pool ont pu runir un certain nombre dinformations rela-tives aux vnements qui se sont produits aux camps Alpha Yaya et Kundara, ces lments sont insuffisants et ne permettent pas de rendre compte de lampleur des violences qui y ont t commises. Par ailleurs, sagissant des camps de la CMIS et de lescadron mobile n 2 de Hamdallaye, aucun lment tangible ne figure encore au dossier.

    Davantage dinformations relatives la gestion de la crise sanitaire et lentreprise de destruction des preuves qui a t mise en place immdiatement aprs les vnements au stade du 28 septembre sont galement ncessaires la manifestation de la vrit. En vue de

  • FIDH Guine: le temps de la justice ? / 17

    minimiser lampleur du massacre, les morgues ont t vides de leurs cadavres et les registres des tablissements hospitaliers ont t falsifis. Ces faits permettent de mettre en lumire limplication de la plus haute hirarchie du CNDD dans la gestion criminelle des vnements et leur volont de dissimulation des crimes. Les juges du pool doivent donc pouvoir accder aux lments de preuve matriels pertinents et entendre le personnel hospitalier prsent dans les principaux hpitaux de Conakry le 28 septembre 2009.

    Enfin, les charges pesant contre les inculps doivent continuer dtre prcises, au besoin par lorganisation de confrontations judiciaires ou de nouveaux interrogatoires sur le fond.

    Des dtentions provisoires rgulariser

    La FIDH et lOGDH avaient dj dnonc avec proccupation en 2012 le caractre abusif de certaines dtentions provisoires, mme au motif de garantir lordre public9. En effet, le Code de procdure pnale guinen limite 12 et 24 mois la dure de la dtention prventive, selon la qualification de linfraction. Quelles que soient les infractions retenues par les juges dinstruction, les dlais sont, pour un certain nombre de cas, dores et dj dpasss.

    Nos organisations esprent que lentre en vigueur du nouveau Code de procdure pnale qui prvoit des mesures de contrle judiciaire permettra de rgulariser cette situation. Les efforts entrepris par la Guine pour transposer dans son droit interne les dispositions des conventions internationales auxquelles elle est partie ne peuvent saccommoder dune violation grave des droits lmentaires des prsums responsables, quelle que soit la gravit des crimes quils sont supposs avoir commis.

    Le droit de ne pas tre dtenu arbitrairement tant un principe intangible des instruments nationaux, rgionaux et internationaux des droits de lHomme auxquels ltat guinen est partie, il convient de procder, dans les plus brefs dlais, leur placement sous un rgime de contrle judiciaire strict.

    C/ Assurer une place centrale aux victimes

    Le procs du 28 septembre constituera un vnement sans prcdent puisque quelques quatre cent personnes, victimes des crimes les plus graves, sont aujourdhui constitues parties civiles. En cette qualit elles devront pouvoir exercer tous les droits qui leur sont reconnus en tant que parties la procdure.

    Un certain nombre dentre elles la fois victimes et tmoins des faits devront pouvoir tre entendues. Or, une participation effective des victimes a comme corollaire la ncessit de leur accorder une protection consquente. Le droit dtre protg contre dventuelles reprsailles est en effet fondamental. Ainsi, les victimes qui sexposeront en venant sexprimer au cours du procs devront pouvoir bnficier de mesures de protection telles que le huis clos pour les audiences sensibles.

    Par ailleurs, compte tenu du trs grand nombre de viols et autres violences sexuelles commis

    9. Voir la note de position de la FIDH et de lOGDH, Lutte contre limpunit : des avances remarques, des actes attendus , septembre 2012, disponible sur https://www.fidh.org/IMG/pdf/rapguinee596f.pdf, p. 8.

  • 18 / Guine: le temps de la justice ? FIDH

    au stade du 28 septembre, et au cours des semaines qui ont suivi, lextrme vulnrabilit de certaines victimes devra galement tre prise en compte par la Cour dassise. En effet, compa-ratre devant la justice est un exercice difficile, et particulirement pour les victimes dabus sexuels. Pour elles, cela signifie accepter dvoquer des vnements traumatiques, parfois vcus comme honteux et stigmatiss socialement. La Cour devra donc sassurer, entre autres, que les interrogatoires et notamment ceux conduits par les avocats de la dfense, vitent toute tentative de harclement ou dintimidation.

    Enfin, aprs avoir entendu les diffrentes parties au procs et avec laide, si possible, dexper-tises, la Cour devra pouvoir valuer le prjudice subi par les victimes. Bien que, compte tenu de lampleur et de la gravit des crimes commis, il sagisse dun travail extrmement difficile, cette difficult ne doit pas justifier que la question soit occulte. Sur la base des demandes formules par les parties civiles, des mesures de rparation pertinentes, et la mesure de la gravit des prjudices subis, doivent pouvoir tre ordonnes par la Cour lissue du procs.

    Pour ce faire, une rflexion doit avoir lieu en amont afin de surmonter lventuelle insolvabi-lit des coupables et envisager que des fonds publics puissent complter le financement des mesures de rparation. linstar du Statut de Rome qui prvoit un fonds daffectation spciale au profit des victimes, un mcanisme similaire doit pouvoir tre mis en place dans le contexte guinen pour les victimes du 28 septembre.

    Une rflexion commune doit donc tre mene en ce sens avec tous les acteurs pertinents : les associations de victimes en premier lieu, mais aussi les autorits politiques guinennes, les reprsentants des Nations unies en Guine, et tous les bailleurs de fonds impliqus dans la lutte contre limpunit. Il sagira de dterminer la forme que pourraient prendre ces rpa-rations, qui devront tre en tout tat de cause tre conformes aux principes fondamentaux et directives internationales en la matire10, et de rflchir la manire la plus adquate den faire bnficier toutes les victimes des vnements afin de leur permettre de mieux faire face leurs difficults, matrielles ou psychiques.

    Affaire des tortures lescadron mobile de Hamdallaye: pourquoi le procs na-t-il pas lieu?

    Le 18 mai 2012, aux cts de 16 victimes dactes de torture, la FIDH et lOGDH ont dpos une plainte avec constitution de partie civile auprs du Tribunal de Premire Instance de Conakry II Dixinn pour des faits particulirement reprsentatifs des pratiques arbitraires et violentes exerces lencontre des jeunes loccasion des troubles politiques qui secouent priodiquement la Guine11.

    10. Voir notamment les Principes fondamentaux et directives concernant le droit un recours et rparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de lhomme et de violations graves du droit international humanitaire , disponible sur http://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/RemedyAndReparation.aspx11. Voir La FIDH et lOGDH engagent une nouvelle tape dans la lutte contre limpunit , 18 mai 2012, disponible sur https://www.fidh.org/La-Federation-internationale-des-ligues-des-droits-de-l-homme/afrique/guinee-conakry/Guinee-La-FIDH-et-l-OGDH-engagent.

  • FIDH Guine: le temps de la justice ? / 19

    En janvier 2010, les personnes accompagnes par nos organisations avaient t arrtes, arbi-trairement dtenues et tortures lEscadron de la gendarmerie mobile n 2 de Hamdallaye. Toutes ces personnes mettaient en cause plusieurs hauts responsables politiques et militaires en fonction lpoque des faits. Il sagit de lancien gouverneur de la ville de Conakry, M. Skou Resco Camara, de lancien chef dtat-major du rgime de transition, M. Nouhou Thiam et du commandant Aboubacar Sidiki Camara dit De Gaulle , ancien chef de la scurit prsiden-tielle, dcd lan dernier, quelques mois aprs la fin de linformation judiciaire.

    Selon les tmoignages concordants des victimes, alors que De Gaulle aurait lui-mme procd aux arrestations et conduit les plaignants lEscadron de la gendarmerie mobile, MM. Nouhou Thiam et Skou Resco Camara, prsents sur les lieux, auraient assist aux sances de tortures supervises par De Gaulle et donn des instructions pour que celles-ci se poursuivent. Linformation judiciaire est termine depuis plusieurs mois. Le 18 octobre 2014, lun des prvenus, Aboubacar Sidiki Camara dit De Gaulle est mort en dtention de maladie. Nos organisations attendent donc aujourdhui que la Chambre de mise en accusation soit saisie dans les plus brefs dlais. Une fois les charges confirmes, la prochaine tape sera la tenue dun procs qui aurait dj du tre organis depuis plusieurs mois.

    I. Les faits

    Le samedi 23 octobre 2010, pendant lentre-deux tours de llection prsidentielle qui devait porter M. Alpha Cond au pouvoir, le cortge de M. Skouba Konat, prsident de la Rpublique par intrim, parcourait la ville de Conakry. Alors quil passait au carrefour des Concasseurs, le cortge a fait lobjet de jets de pierres par des individus hostiles au prsident.

    Aprs le passage du cortge, des membres de la garde prsidentielle sont revenus vers le carre-four Concasseur. De manire totalement arbitraire et particulirement violente, seize citoyens guinens, passants ou commerants travaillant dans des ateliers situs sur le carrefour, ont t arrts et conduits lEscadron de la gendarmerie mobile n 2 de Hamdallaye o ils ont t torturs pendant plusieurs heures, avant dtre relchs deux jours plus tard.

    Les gendarmes ont apport un banc dune longueur de trois mtres et quelques et ils nous ont appel un un et toute personne qui passait tait oblige de se coucher sur le banc. Les gendarmes dchiraient les caleons que nous portions. Deux gendarmes tiennent les mains, un se couche sur la tte et deux autres tenaient nos pieds. De Gaulle ensuite donnait des ordres de nous administrer 100 coups sur les fesses. Au mme moment trois gendarmes se plaaient droite et deux autres se mettaient gauche ; ce sont ces derniers qui nous bastonnaient lun aprs lautre une grande vitesse. Un autre gendarme mettait du sable sur nos dos ; certains dentre nous tombaient dans le coma.

    Tous les plaignants subissent encore aujourdhui les squelles de ces actes de tortures. Tous font tat dun sant physique et psychique dgrad, certains mme dune incapacit de travail. Ils souhaitent que justice soit rendue et obtenir rparation pour les dommages quils ont subis.

  • 20 / Guine: le temps de la justice ? FIDH

    II. La procdure judiciaire

    Quelques jours aprs le dpt de la plainte avec constitution de partie civile, un rquisitoire introductif a t pris par le Procureur de la Rpublique aux fins dinformer lencontre de M. Nouhou Thiam, ancien chef dtat-major gnral des armes, M. Skou Resco Camara, ancien gouverneur de la ville de Conakry, et le commandant Aboubacar Sidiki Camara dit De Gaulle , aujourdhui dcd.

    Au cours de linformation judiciaire, lensemble des plaignants ont t entendus dans le cadre dauditions de parties civiles. Ils ont ainsi eu loccasion de ritrer de manire prcise et concordante les faits dont ils avaient t victimes et leurs mises en cause des personnes vises par la plainte.

    Entre fvrier et juillet 2013, M. Skou Resco Camara, M. Nouhou Thiam et M. Sidiki Camara ( De Gaulle ) ont tous les trois t inculps pour avoir Hamdallaye, le 23 octobre 201012 :

    Dans des runions ou lieux publics, profr des menaces tendant favoriser la prdominance dune race ou dune ethnie au sein de la Rpublique ;

    Commis dans lexercice de leurs fonctions des crimes et dlits darrestation, de squestration et de dtention arbitraire, avec cette circonstance quils ont t accompagns de tortures corporelles, de violences volontaires par des personnes dpositaires de lautorit publique, dactes de racisme et de forfaiture ;

    De stre rendu complice de crimes et dlits commis par des militaires brets rouges et des gendarmes en donnant des instructions pour commettre ces crimes et dlits.

    Il ont ensuite tous t placs sous contrle judiciaire.

    Le 26 juin 2014, lissue de linformation judiciaire, le Procureur de la Rpublique a pris un rquisitoire de transmission de pices au Procureur gnral prs la Cour dappel de Conakry, afin quil soit statu sur la mise en accusation des inculps.

    Huit mois plus tard, les parties civiles sont toujours dans lattente dune audience devant la Chambre daccusation aux fins de statuer sur la mise en accusation de M. Nouhou Thiam et de M. Skou Resco Camara.

    Le mouvement de rotation des magistrats, lanc lan dernier, bien que ncessaire, a paralys les activits judiciaires pendant plusieurs mois. Aujourdhui la veille dune refonte des Codes pnal et de procdure pnale et du vote dune loi portant rorganisation judiciaire, lensemble de la procdure pnale guinenne est sur le point dtre rnove. En particulier, dans le cadre des travaux portant sur la rforme du Code de procdure pnale, il est examin la possibilit que soit supprime la Chambre de mise en accusation et que soit introduite une Chambre de contrle de linstruction. Les magistrats sont aujourdhui dans lexpectative et les dossiers peinent avancer. Toutefois, si ces raisons sont valables, elles ne doivent nanmoins pas justifier un immobilisme total et les activits des magistrats doivent se poursuivre. Nos organisations attendent donc que des actes soient poss afin quun procs soit organis dans les meilleurs dlais.

    12. Voir Guine : inculpation du Commandant Skou Resco Camara, gouverneur de Conakry , 15 fvrier 2013, disponible sur https://www.fidh.org/La-Federation-internationale-des-ligues-des-droits-de-l-homme/afrique/guinee-conakry/Guinee-Inculpation-du-Commandant-12900 ; voir galement Guine : inculpation de lancien chef de la garde prsidentielle dans laffaire des tortures de 2010 , 1er aot 2013, disponible sur https://www.fidh.org/La-Federation-internationale-des-ligues-des-droits-de-l-homme/afrique/guinee-conakry/guinee-inculpation-de-l-ancien-chef-de-la-garde-presidentielle-dans-l-13750.

  • FIDH Guine: le temps de la justice ? / 21

    III. Une tape importante dans la lutte contre limpunit

    Dans cette procdure, plusieurs responsables politiques et militaires du plus haut niveau ont t inculps et dmis de leurs fonctions. Il y a encore peu de temps de telles mises en cause auraient t impensables. En particulier, nos organisations se flicitent de constater que le gouvernement a pris acte des procdures judiciaires en cours et na offert aucun chappatoire aux personnes inculpes.

    Ainsi, quelques mois aprs son inculpation, par un dcret prsidentiel en date du 19 mars 2014, le commandant Skou Resco Camara a t dmis de ses fonctions de gouverneur de la ville de Conakry. Comme lavait alors dclar Me Patrick Baudouin, responsable du Groupe daction judiciaire de la FIDH et avocat des victimes : Bien que le limogeage du commandant Skou Resco Camara ne soit pas en lien direct avec la procdure judiciaire en cours, il constitue nanmoins un signal positif pour le bon exercice de la justice.13

    Nanmoins, nos organisations demeuraient cette poque proccupes par des informations faisant tat de sa possible nomination auprs dune reprsentation diplomatique de la Guine ltranger. Une telle nomination aurait loign M. Resco Camara du territoire guinen et naurait pas permis de garantir sa reprsentation devant les Juges. Ceci aurait constitu un trs mauvais signal pour la justice nationale14. Or, cette nomination nest jamais intervenue et M. Skou Resco Camara est maintenu sur le territoire national et sous contrle judiciaire dans lattente de son procs, confirmant ainsi les avances enregistres par la Guine en termes de lutte contre limpunit.

    Il nen demeure pas moins que la lutte contre limpunit se matrialise aussi par des actes concrets, visibles et symboliques. En ce sens, et alors que la procdure est clture depuis de longs mois, lorganisation et la tenue de ce procs devient dautant plus urgente que les violences politiques se multiplient lapproche des chances lectorales et les soupons de partialit se font toujours plus vifs. Un tel procs mettrait fin toutes ces rumeurs.

    13. Dmis de ses fonctions, le commandant Skou Resco Camara doit rpondre de ses actes , 21 mars 2014, disponible sur https://www.fidh.org/La-Federation-internationale-des-ligues-des-droits-de-l-homme/afrique/guinee-conakry/14998-guinee-demis-de-ses-fonctions-le-commandant-sekou-resco-camara-doit.14. Voir Affaire des tortures de 2010 : les parties civiles demandent le placement sous contrle judiciaire de Skou Resco Camara et la tenue rapide du procs , 25 avril 2014, disponible sur https://www.fidh.org/La-Federation-internationale-des-ligues-des-droits-de-l-homme/afrique/guinee-conakry/15239-guinee-affaire-des-tortures-de-2010-les-parties-civiles-demandent-le.

    Le gouverneur de

    Conakry, Sekou Resco

    Camara, au tribunal

    de Dixinn, lors de

    son inculpation

    le 14 fvrier 2013

    DR

  • 22 / Guine: le temps de la justice ? FIDH

    Laffaire des rpressions de janvier et fvrier 2007

    Le 10 janvier 2007, sous lautorit dclinante du prsident Lansana Cont, une grve gnrale avait t dcrte par les principaux syndicats du pays. Lappel a t largement suivi et les manifestations organises sur lensemble du territoire ont t brutalement rprimes par les forces de lordre. Le bilan total de la rpression slve des centaines de morts, de blesss, de victimes de viol, et des pillages.

    Pendant plus de cinq annes, ces graves violations des droits humains nont fait lobjet daucune enqute officielle aboutie, ni daucune procdure judiciaire, qui auraient permis de faire la lumire sur lune des plus violentes rpressions politiques qua connue la Guine. Si une Commission denqute nationale avait bien t charge denquter sur les crimes commis au cours de cette vague de rpression, celle-ci navait jamais pu terminer et remettre son rapport et les auteurs des crimes commis navaient jamais t inquits.

    Le 18 mai 2012, La FIDH et lOGDH ont alors dpos plainte avec constitution de parties civiles contre toute personne ayant commis, entre janvier et fvrier 2007, les crimes dhomi-cide volontaire, tentative dhomicide volontaire, coups, blessures, violences volontaires ayant entrain la mort sans intention de la donner et acte arbitraire portant atteinte la libert individuelle ou la Loi fondamentale et toute autre infraction que linformation permettra de rvler contre les victimes15.

    Une information judiciaire est aujourdhui en cours. Compte tenu de lampleur et de la gravit des crimes commis, mener cette procdure son terme constitue pour la justice guinenne un enjeu et un dfi important. Au-del de la procdure en cours, le caractre particulirement gnralis de cette vague de rpression politique, qui fait cho toutes celles quont connu les Guinens depuis lindpendance du pays, doit trouver sa place dans le processus de rconciliation nationale.

    I. Les faits

    Le 10 janvier 2007, les diffrents syndicats ont appel une grve pour protester contre la corruption, la mauvaise gouvernance et la dtrioration des conditions de vie. Si les manifes-tations se sont droules dans un premier temps dans le calme, la tension a progressivement mont et les violences ont atteint leur paroxysme le 22 janvier, lorsqu loccasion dune manifestation pacifique, les forces de lordre ont ouvert le feu sur les manifestants, causant ainsi la mort dune dizaine de personnes.

    Ces exactions se sont poursuivies jusquau 23 fvrier, date laquelle lAssemble nationale a refus la prolongation de ltat de sige qui avait t dcrt par le prsident Cont. Le bilan de la rpression de janvier et fvrier est particulirement lourd et slve environ 200 morts et des centaines de blesss.

    15. Voir La FIDH et lOGDH engagent une nouvelle tape dans la lutte contre limpunit , 18 mai 2012, disponible sur https://www.fidh.org/La-Federation-internationale-des-ligues-des-droits-de-l-homme/afrique/guinee-conakry/Guinee-La-FIDH-et-l-OGDH-engagent.

  • FIDH Guine: le temps de la justice ? / 23

    Jusquen mai 2012, date laquelle la FIDH et lOGDH ont entrepris daccompagner devant la justice les victimes des exactions et leurs ayants-droits, aucune enqute srieuse navait t initie, les auteurs et donneurs dordre de ces exactions navaient jamais t inquits et limpunit tait totale.

    II. La procdure judiciaire

    Les actions entreprises par la FIDH et lOGDH en faveur des victimes et des associations de victimes du 28 septembre ont suscit un espoir de justice parmi les personnes victimes des violences de la rpression de 2007. Cest pourquoi, sollicites en ce sens par ces victimes, nos organisations ont recueilli les tmoignages de celles qui souhaitaient initier une action judiciaire aux cts de nos organisations.

    Ainsi, le 18 mai 2012, la FIDH et lOGDH, aux cts de 50 victimes de la rpression de janvier-fvrier 2007, ont dpos une plainte conjointe avec constitution de partie civile. Celle-ci a t rapidement suivie par louverture dune information judiciaire. Accompagnes par les avocats de la FIDH et de lOGDH, une trentaine de ces victimes ont t entendues par le Juge dins-truction en charge du dossier. Nos organisations ont galement procd au versement au dossier de pices utiles ltablissement des faits et lidentification des principaux responsables.

    Les prsums responsables des graves violations des droits de lHomme commises en janvier et fvrier 2007 sont principalement issus des forces de lordre (arme, brets rouges, gendarmerie, rangers et police nationale) et dans certains cas de ladministration centrale ou locale. Le rle

    Manifestations

    Conakry,

    fvrier 2007.

    DR

  • 24 / Guine: le temps de la justice ? FIDH

    du capitaine Claude Pivi, du lieutenant-colonel Moussa Tiegboro et mme de Dadis Camara est voqu. Ainsi, lors de sa rencontre avec les magistrats de la Commission denqute, le capitaine Moussa Dadis Camara a affirm que lors des vnements de janvier 2007, il tait au pont du 8 novembre, ce qui laisse supposer quil dispose dinformations importantes qui pourraient contribuer la manifestation de la vrit.

    Toutefois, au-del de la difficult inhrente la conduite denqutes sur des crimes de cette ampleur plusieurs annes aprs les faits, les investigations judiciaires se heurtent galement la rticence de certains tmoins qui, par manque de confiance en limpartialit et lindpendance de la justice, prfrent ne pas prendre part la procdure en cours.

    En effet, le 14 avril 2014, le juge dinstruction en charge du dossier a convoqu lancienne Secrtaire gnrale de la Confdration Nationale des Travailleurs de Guine, Mme Rabiatou Srah Diallo, pour son audition en qualit de tmoin des vnements du 22 janvier 2007 la Bourse du Travail. Bien que Mme Diallo se soit rendue au cabinet du Juge dinstruction, celle-ci na pas souhait, sans doute par crainte, rapporter sa version des vnements. De faon gnrale, cette convocation a suscit mfiance et raidissement chez les responsables syndicaux acteurs de la grve sociale de 2007.

    Cest la raison pour laquelle, au cours de la mission politique de la FIDH effectue du 10 au 17 juin 2014, Mme Souhayr Bel Hassen a rencontr Mme Diallo Dakar afin dchanger sur les enjeux de sa convocation et sur limportance des tmoignages des anciens responsables syndicaux pour lenqute en cours. La mission de la FIDH a par ailleurs rencontr le Secrtaire gnral de lUnion Syndicale des Travailleurs de Guine (USTG), M. Louis MBemba

    Les victimes

    des rpressions

    de janvier et

    fvrier 2007

    accompagnes

    de leurs avocats

    (GAJ), septembre

    2012.

    FIDH

  • FIDH Guine: le temps de la justice ? / 25

    Soumah, afin de sentretenir en vue dune collaboration plus troite et plus mme de favoriser lavancement des procdures en cours. Dans cette perspective, il a t dcid dorganiser une runion technique dchanges dinformations entre le bureau de lOGDH et les reprsentants des principaux syndicats du pays lorigine de la grve sociale de 2007.

    Le dpt de cette plainte constitue un pas important pour les victimes, de mme quun challenge pour la justice guinenne. Lidentification, linculpation et le procs des responsables et des meneurs de cette rpression constituent pour elles un enjeu fondamental16.

    Le dpt de cette plainte, ensemble avec les autres procdures engages par la FIDH et lOGDH, constituent des avances importantes dans la lutte contre limpunit en Guine. Le chantier de construction de ltat de droit guinen est au demeurant loin dtre achev puisque ces avances manquent encore tre pleinement consacres par la tenue des procs, la condamnation des responsables et la rparation des victimes.

    Par ailleurs, compte tenu de lampleur des crimes commis en Guine au cours des dernires dcennies, la lutte contre limpunit ne peut se limiter une approche univoque strictement judiciaire. Elle seule ne pourrait rendre pleinement compte de lensemble des tenants et abou-tissants conduisant la rptition des actes de violences politiques au fil des rgimes successifs.

    Cest la raison pour laquelle nos organisations militent pour la mise en place dune Commission vrit, justice et rconciliation dont le mandat serait totalement articul avec les procdures judiciaires en cours, de manire promouvoir une approche plus globale, plus proche des citoyens, et donc plus efficace pour mener une lutte contre limpunit aux effets durables.

    16. Voir Rpressions de 2007 : 7 ans aprs, les victimes demandent justice , 21 avril 2014, disponible sur https://www.fidh.org/La-Federation-internationale-des-ligues-des-droits-de-l-homme/afrique/guinee-conakry/14504-guinee-repressions-de-2007-7-ans-apres-les-victimes-demandent-justice.

  • 26 / Guine: le temps de la justice ? FIDH

    II. Vers la mise en place dune Commission vrit contribuant au processus de rconciliation nationale?

    Au-del des affaires criminelles les plus rcentes que la FIDH et lOGDH ont pu porter devant la justice, cest aussi lensemble de lhistoire de la Guine, depuis son indpendance au moins, qui est marque par de graves violations des droits humains.

    Les innombrables crimes commis au camp Boiro, la rpression de 1985, celle des manifestations de janvier et fvrier 2007, le massacre au stade du 28 septembre 2009, les actes de torture de novembre 2010 ou encore les morts de tous bords au cours des manifestations encore de nos jours, sont autant dpisodes qui illustrent un cycle ininterrompu de violences politiques en Guine. Pour que ce cycle soit enray, les racines de cette violence doivent tre mises en lumire et analyses dans le cadre dun processus de rconciliation nationale. Les Guinens qui en ont t victimes doivent tre entendus, obtenir rparation et voir que des garanties de non-rptition de crimes similaires sont mises en place.

    Pourtant, si certains des auteurs de ces crimes sont toujours vivants et pourraient rpondre de leurs actes devant la justice, dautres ont disparu. La justice elle seule ne pourra donc pas panser les plaies toujours ouvertes des survivants et de leurs familles. Pour faire clater la vrit, rendre justice aux victimes et les rtablir dans leurs droits, il est par consquent ncessaire de mettre en place un processus et un organe charg de mener bien cette qute de vrit, synonyme dapaisement pour la socit.

    Bien que la mise en uvre dun tel processus soit inscrite lagenda du gouvernement depuis 2011 et que cette volont semble partage par lensemble de la classe politique guinenne, le projet peine tre concrtis. Une Commission provisoire charge de mener une rflexion sur la manire dont jeter les bases du processus de rconciliation avait t mise en place en aot 2011.

    lissue dun sminaire de rflexion organis en dcembre de la mme anne, et selon une prconisation de la FIDH et de lOGDH, il avait t convenu dorganiser une campagne de consultations sur lensemble du territoire. Ces Consultations nationales, comme celles ralises au Togo, doivent permettre la fois de sensibiliser et consulter les populations sur lobjet, le mandat et la composition dune future Commission vrit. Le projet sest nanmoins rapidement

  • FIDH Guine: le temps de la justice ? / 27

    trouv paralys et le lancement des Consultations nationales, initialement prvu en 2012, a t report danne en anne.

    Ce nest seulement que le 25 mars 2015 que les Consultations nationales ont finalement t lances17. Lobjet de ces consultations est de recueillir les demandes des Guinens, de prendre en compte leurs exigences en vue dinstituer une Commission vrit conforme leurs attentes. Le Haut Commissariat aux Droits de lHomme (HCDH) des Nations unies supervise les aspects logistiques de cette campagne en mettant en place des points focaux dans les trente-trois prfectures de Guine et dans les cinq communes de Conakry. Sadressant lensemble des Guinens, un site Internet ddi permettra galement la participation de la diaspora guinenne. La FIDH, lOGDH et leurs organisations partenaires souhaitent pour leur part accompagner les victimes et la socit civile dans leur participation et leur apport aux Consultations et la future Commission.

    Ces consultations devront permettre aux citoyens de rpondre aux questions suivantes : Quand faire commencer cette qute de vrit ? Depuis la colonisation, lindpendance, plus rcemment encore ? quelle rconciliation cette Commission devra-t-elle essayer de contribuer : des citoyens entre eux, des communauts entre elles, ou plus certainement de la rconciliation des citoyens avec ltat guinen ? Autant de questions sur lesquelles la population guinenne est appele rflchir et doit se prononcer pour engager un processus rellement collectif et inclusif.

    17. Voir Lancement des consultations nationales en Guine : poser les bases de la rconciliation , 30 mars 2015, disponible sur https://www.fidh.org/La-Federation-internationale-des-ligues-des-droits-de-l-homme/afrique/guinee-conakry/guinee-lancement-des-consultations-nationales-poser-les-bases-de.

    Lancement officiel

    des consultations

    nationales,

    le 25 mars 2015.

    Peace Building

    Fund

  • 28 / Guine: le temps de la justice ? FIDH

    Les personnes consultes sont galement invites exprimer leurs vues sur le mandat et le fonctionnement de la future Commission. Lexprience de la FIDH en matire de mcanisme dtablissement de la vrit lui permet nanmoins de prconiser que cette Commission devra imprativement rpondre des critres de comptence et dindpendance : impartialit, ind-pendance politique, confiance des populations et comptences professionnelles.

    Les Consultations nationales doivent galement permettre de recueillir les avis de la popula-tion sur la composition de la future Commission. Autrement dit, quels seraient les profils des personnes exclure (militaires, politiciens, autres ?) et celles inclure pour avoir la confiance des populations. Dans cette optique, une formation pluridisciplinaire, runissant des histo-riens, des mdecins, des juristes ou des sociologues, lesquels seraient capables dapporter des rponses circonstancies aux problmes qui seront soulevs par les victimes, pourrait tre envisage et propose dans le cadre des consultations. Une telle formation permettrait aux commissaires de replacer les rcits des victimes dans leur contexte historique et sociologique, faire des propositions en termes de sant publique pour les victimes de violence et mettre des recommandations au gouvernement pour des rformes lgislatives et institutionnelles. Ces recommandations constitueront les bases dune rforme de ltat et la mise en place de garde-fou garantissant au citoyen que les moyens de ltat ne seront plus utiliss pour commettre de telles violations des droits humains contre eux.

    Les Guinens devront tout particulirement tre consults sur la place que la justice devrait selon eux tenir au sein de cette commission. La place quoccupe la justice dans les processus de rconciliation nationale est et doit toujours rester centrale. Comme lcrivait Louis Joinet dans son rapport du 2 octobre 1997 la Commission des droits de lHomme de lONU, il

    Monseigneur Vincent

    Coulibaly, archevque

    de Conakry, Mme

    Souhayr Belhassen,

    prsidente dhonneur

    de la FIDH, M. Florent

    Geel, responsable du

    Bureau Afrique de

    la FIDH, M. Abdoul

    Gadiry Diallo, membre

    du Bureau excutif de

    lOGDH, juin 2014.

    FIDH

  • FIDH Guine: le temps de la justice ? / 29

    nest pas de rconciliation juste et durable sans que soit apporte une rponse effective au besoin de justice ; le pardon, acte priv, suppose en tant que facteur de rconciliation que soit connu de la victime lauteur des violations et que ce dernier ait t en mesure de manifester son repentir ; en effet, pour que le pardon puisse tre accord, il faut quil ait t demand 18. En revanche, larticulation spcifique entre les pouvoirs de la Commission vrit et la comptence des juridictions nationales varie dun pays et dune commission lautre. Si dans certains pays les commissions vrit ont t dotes dun pouvoir quasi-judiciaire de poursuites, dans dautres, les responsables ntaient pas cits publiquement mais les victimes avaient la possibilit de porter plainte contre les auteurs prsums.

    Compte tenu des procdures en cours dans les affaires du 28 septembre 2009 et des rpressions de janvier et fvrier 2007, dans lesquelles un nombre important de victimes sont dj consti-tues parties civiles, une articulation originale entre le processus dtablissement de la vrit et la justice doit tre dfinie et mise en uvre. Ces deux affaires constituent des vnements marquants dans lhistoire guinenne et devront, paralllement aux procdures judiciaires en cours, avoir toute leur place dans le processus dtablissement de la vrit. linverse, la Commission devra permettre toutes les autres victimes de violences politiques de dnoncer les violations graves de leurs droits fondamentaux et, quand elles le souhaitent, de saisir la justice pour que les auteurs de ces violations soient poursuivis. En tout tat de cause, le droit inalinable des victimes ester en justice ne saurait tre limit ou contraint au nom de la rconciliation nationale.

    Les rles respectifs que joueront la Commission vrit et les institutions judiciaires nationales devront donc faire lobjet dune rflexion en amont afin de parvenir aux objectifs communs de vrit, justice, de rconciliation nationale et de transition vers un tat de droit. La lutte contre limpunit fait partie intgrante dune rconciliation effective et durable. De mme, le droit des victimes saisir la justice pour que les auteurs de violations graves de leurs droits soient poursuivis est fondamental et participe aux garanties de non-rptition.

    Au terme de la campagne de consultations, la FIDH et lOGDH, en partenariat avec le HCDH, organiseront un sminaire de haut niveau runissant des experts de la justice transitionnelle afin de faciliter le partage dexprience et mener une rflexion de fond sur la manire dont concrtement mettre en place la Commission souhaite par les Guinens telle quelle se dgagera des rsultats des consultations.

    Il sagira, dans le cadre de ce sminaire, en sinspirant de la cinquantaine de commissions vrit qui ont t organises travers le monde, de rflchir sur les modalits de mise en uvre pratiques les plus adaptes au contexte guinen. Il sagira par exemple de proposer la cration de sous-commissions thmatiques, les unes charges dexaminer des pisodes prcis de lhistoire guinenne, les autres charges de mener les enqutes, dentendre les victimes ou encore de formuler des recommandations au gouvernement, en termes de rparations et garanties de non-rptition.

    Les possibilits sont multiples, elles devront en tout tat de cause reflter au plus prs les attentes des Guinens et rpondre au mieux leurs aspirations en termes de vrit et de justice. Cest en tant au plus prs des citoyens et en rpondant au mieux leurs demandes quil sera possible de mettre en place un processus permettant davancer sur le long chemin de la rconciliation nationale permettant aux Guinens denvisager ensemble un avenir apais.

  • 30 / Guine: le temps de la justice ? FIDH

    Le rle que joueront les consultations est cet gard particulirement important. Cest la raison pour laquelle, si nos organisations se rjouissent du lancement de la campagne de Consultations nationales, elles sinquitent aussi de ce que les tensions politiques relatives aux lections prvues en cette fin danne puissent en affecter lefficacit et la crdibilit. Pour que ces consultations puissent effectivement jeter les bases dun processus de rconciliation solide, il est impratif quelles puissent se drouler de manire pacifique et labri des enjeux politiques marquant cette anne lectorale. Toute instrumentalisation au service de clivages partisans et communautaires ne pourrait quen saper lefficacit et la crdibilit et par la suite vicier lensemble du processus.

  • FIDH Guine: le temps de la justice ? / 31

    Conclusion : Empcher un nouveau cycle de violences en luttant contre limpunit

    Alors que le procs du 28 septembre pourrait bientt avoir lieu, quune rforme en profondeur de la justice est en cours et que les consultations nationales, aprs plusieurs annes dattente, viennent tout juste dtre lances, llection prsidentielle prvue en cette fin danne 2015 a dj commenc agiter le pays et engendr des violences qui ont fait plusieurs morts et des dizaines de blesss219.

    Le risque est grand que lensemble des efforts fournis au cours des dernires annes pour promouvoir la construction dun tat de droit ne soient balays par une nouvelle spirale de violence de nature politique. De telles violences ne pourraient que dcrdibiliser une nouvelle fois la justice et les institutions guinennes. Elles dcourageraient les citoyens guinens qui ont plac leurs espoirs dans les rformes et procdures judiciaires en cours et risqueraient dinstiller une certaine forme de fatalisme qui ne rendrait que moins crdibles ensuite la poursuite des rformes, la tenue des procs et la rconciliation nationale.

    Que les campagnes lectorales puissent se drouler dans des conditions normales au cours des prochains mois et que les voix des partis dopposition puissent se faire entendre sans heurts sont par consquent des conditions indispensables pour que les avances enregistres et prsentes dans le prsent rapport puissent se concrtiser et sinscrire dans la construction dun tat de droit solide.

    Nos organisations appellent donc lensemble des acteurs politiques appuyer les rformes institutionnelles, les procdures judiciaires en cours et le processus de rconciliation nationale dsormais en marche, lesquels doivent permettre, au-del des lections et quel quen soit le rsultat, de renforcer ltat guinen et de restaurer la confiance des citoyens dans les institu-tions qui les reprsentent.

    19. Voir Le gouvernement et les partis dopposition doivent renouer le dialogue et empcher un nouveau cycle de violences , 17 avril 2015, disponible sur https://www.fidh.org/La-Federation-internationale-des-ligues-des-droits-de-l-homme/afrique/guinee-conakry/le-gouvernement-et-les-partis-d-opposition-doivent-renouer-le.

  • 32 / Guine: le temps de la justice ? FIDH

    Recommandations

    Au gouvernement guinen de:

    Garantir en toutes circonstances lintgrit physique et morale des personnes manifestant pacifiquement et sabstenir de tout recours disproportionn la force conformment aux Principes de base des Nations unies sur les recours la force et lutilisation des armes feu par les responsables de lapplication des lois, et, le cas chant, engager des poursuites contre les agents de ltat qui se seraient rendus responsables de telles violations des droits humains ;

    Garantir la libert de manifestation conformment aux dispositions de larticle 10 de la Constitution, aux articles 9 et 11 de la Charte africaine des droits de lHomme et des Peuples et de larticle 21 du Pacte international sur les droits civils et politiques (PIDCP) ;

    Poursuivre le dialogue avec les leaders des partis dopposition de manire assurer que llection prsidentielle prvue fin 2015 se tienne conformment aux dispositions constitutionnelles et nengendre pas de nouvelles violences ;

    Fournir tous les moyens ncessaires aux autorits judiciaires pour que les procdures judiciaires, notamment sur laffaire du massacre du stade du 28 septembre en 2009, puissent effectivement aboutir la poursuite et au jugement de tous les responsables prsums des crimes viss dans un dlai raisonnable ;

    Cooprer au mieux avec la Cour pnale internationale et en particulier avec le Bureau du Procureur, qui mne depuis octobre 2009 un examen prliminaire sur la situation guinenne et les vnements autour du massacre du stade du 28 septembre 2009 ;

    Organiser le procs des responsables prsums des actes de tortures perptrs en novembre 2010 Hamdallaye, avant la tenue de llection prsidentielle ;

    Garantir, dans le cadre des rformes en cours, la transposition dans la lgislation nationale des dispositions et engagements pris par la Guine aux niveaux rgional et international notamment la Charte africaine des droits de lHomme et des Peuples, le Statut de Rome portant cration de la Cour pnale internationale, le Protocole additionnel la Charte africaine des droits de lHomme et des Peuples sur les droits des femmes en Afrique, la Convention des Nations unies sur llimination de toutes discriminations lgard des femmes, et la Charte africaine de la Dmocratie, des lections et de la Gouvernance ;

    Faire une dclaration conformment larticle 34.6 du Protocole relatif la Charte africaine des droits de lHomme et des Peuples en vue dautoriser les individus et les organisations non gouvernementales (ONG) introduire des requtes directement devant la Cour ;

    Garantir la tenue de consultations nationales transparentes et inclusives sur la mise en place dune Commission vrit indpendante et fonctionnelle, en cartant toute instrumentalisation au service des clivages partisans et communautaires.

    Aux partis dopposition de :

    Renforcer le dialogue avec le gouvernement pour permettre le respect des dispositions constitutionnelles la tenue des lections prvues dans un contexte pacifique ;

    Exercer la libert de manifestation conformment aux dispositions de larticle 10 de la Constitution, aux articles 9 et 11 de la Charte africaine des droits de lHomme et des

  • FIDH Guine: le temps de la justice ? / 33

    Peuples et de larticle 21 du Pacte international sur les droits civils et politiques (PIDCP) dans les limites des dispositions lgislatives rgissant le maintien de lordre public ;

    Garantir le caractre pacifique des manifestations organises sous la responsabilit des partis politiques ;

    Veiller sabstenir de toute dclaration pouvant tre interprte comme un appel la violence contre les forces de lordre ;

    Enjoindre par des appels publics les militants exercer leur droit manifester de manire pacifique et respectueuse de lordre public ;

    Appuyer les efforts engags par les autorits politiques et judiciaires nationales en faveur de la lutte contre limpunit des auteurs des crimes les plus graves ;

    Soutenir la campagne de consultations nationales et la mise en place dans les meilleurs dlais dune Commission de rconciliation indpendante et fonctionnelle.

    Aux diplomaties trangres et aux organisations intergouvernementales de :

    Favoriser et soutenir le dialogue politique entre le gouvernement et les partis doppo-sition pour que lapproche des lections prsidentielles nengendre pas un nouveau cycle de violences ;

    Soutenir la mise en place dun Observatoire des manifestations indpendant et impartial pour toute la dure au moins de la priode lectorale ;

    Soutenir la lutte contre limpunit et la tenue dun procs du 28 septembre conform-ment aux engagements pris par ltat guinen envers les victimes et la communaut internationale ;

    Participer une rflexion sur la manire dont les victimes des vnements du 28 septembre pourraient bnficier de mesures de rparation pour les prjudices quelles ont subis ;

    Soutenir la campagne de consultations nationales et la mise en place dans les meilleurs dlais dune Commission vrit indpendante et fonctionnelle.

  • 34 / Guine: le temps de la justice ? FIDH

    Cette publication a t labore avec laide de lUnion europenne. Le contenu de la publication relve de la seule responsabilit de la FIDH et ne peut aucunement tre considr comme refltant le point de vue de lUnion europenne.

  • Gardons les yeux ouverts

    tablir les faitsdes missions denqute et dobservation judiciaireDepuis lenvoi dun observateur judiciaire un procs jusqu lorganisation dune mission internationale denqute, la FIDH dveloppe depuis cinquante ans une pratique rigoureuse et impartiale dtablissement des faits et des responsabilits. Les experts envoys sur le terrain sont des bnvoles.La FIDH a mandat environ 1 500 missions dans une centaine de pays ces 25 dernires annes.Ces actions renforcent les campagnes dalerte et de plaidoyer de la FIDH.

    soutenir la socit civiledes programmes de formation et dchangesEn partenariat avec ses organisations membres et dans leur pays, la FIDH organise des sminaires, tables rondes... Ils visent renforcer la capacit daction et dinfluence des dfenseurs des droits de lHomme et accrotre leur crdibilit auprs des pouvoirs publics locaux.

    mobiliser la communaut des tats un lobbying permanent auprs des instances intergouvernementalesLa FIDH soutient ses organisations membres et ses parte-naires locaux dans leurs dmarches au sein des organi-sations intergouvernementales. Elle alerte les instances internationales sur des situations de violations des droits humains et les saisit de cas particuliers. Elle participe llaboration des instruments juridiques internationaux.

    informer et dnoncerla mobilisation de lopinion publiqueLa FIDH alerte et mobilise lopinion publique. Communiqus et confrences de presse, lettres ouvertes aux autorits, rapports de mission, appels urgents, web, ptitions, campagnes La FIDH utilise ces moyens de communication essentiels pour faire connatre et combattre les violations des droits humains.

    LOrganisation guinenne des droits de lHomme et du Citoyen (OGDH) a t cre en 1990 par des universi-taires, des tudiants et des avocats. Les objectifs de lOGDH sont la promotion, la protec-tion et la dfense des droits de lHomme travers des campagnes de formation et la dnonciation des viola-tions des droits de lHomme dans le pays.

    LOGDH organise des sminaires sur la protection des droits de lHomme lintention des responsables chargs de lappli-cation des lois (magistrats, officiers de police judiciaire, rgis-seurs des prisons), des hommes de mdia et des cadres de ladministration du territoire. LOGDH excute un programme de formation danimateurs en droits de lHomme pour la sensibilisation des citoyens en zone rurale sur leurs droits. Elle a galement mis en place quatre Centres tmoins dInformation en Droits de lHomme (CIDH)

    Tougu, Teliml, Kouroussa et Mandiana pour aider les citoyens se prendre en charge en cas de violation de leurs droits. Par ailleurs, depuis sa cration, lOGDH est particuli-rement active dans le recueil de tmoignages de victimes et dans leur accompagnement devant les autorits judiciaires guinennes. LOGDH est membre de la Fdration internationale des ligues des droits de lHomme (FIDH), de lUnion interafricaine des droits de lHomme (UIDH) et a le statut dobservateur auprs de la Commission africaine des droits de lHomme et des peuples (CADHP). Elle est rcipiendaire du prix Baldwin de la paix 2001 aux tats-Unis.

    B.P : 2476 - Immeuble Abdoulaye BALDE-Rue DI 523 Bvd Bellevue DI.536 face Belvdre - 3me tageTl. : (00224) 664 23 97 71 / (00224) 68 39 97 85Mail : [email protected]

    Imprimerie de la FIDH - Dpt lgal Mai 2015 - FIDH (d. franaise) ISSN 2225-1790 - Fichier informatique conforme la loi du 6 janvier 1978 (Dclaration N330 675)

    Directeur de la publication : Karim LahidjiRdacteur en chef : Antoine BernardAuteurs : Florent Geel, Mathilde ChiffertCoordination : Florent Geel, Clmence BectarteDesign : Stphanie Geel

    FidH - Fdration internationale des ligues des droits de lHomme17, passage de la Main-dOr - 75011 Paris - FranceCCP Paris : 76 76 ZTl : (33-1) 43 55 25 18 / Fax: (33-1) 43 55 18 80www.fidh.org

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