george tyrrell et henri bremond - alfred firmin loisy

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ALFRED LOISY GEORGE  TYRRELL ET HENRI BREMOND PARIS LIBRAIRIE  EMILE  NOURRY J. THIÉBAUD, SUCCESSEUR ,2,  RUEDES ÉCOLES, 62 1936 Tousdroitsréservés  pour tous pays

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George Tyrrell et Henri Bremond - Alfred Firmin Loisy

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  • ALFRED LOISY

    GEORGE TYRRELL

    ET

    HENRI BREMOND

    PARIS

    LIBRAIRIE EMILE NOURRYJ. THIBAUD, SUCCESSEUR,2, RUEDESCOLES,62

    1936Tousdroitsrservspourtouspays

  • AVANT-PROPOS

    Le plus grand crivain ecclsiastique de notre

    pays tait entr l'Acadmie franaise le 22 mai

    1924, sur la recommandation de Maurice Bar-rs, qui mourut avant cette rception solen-nelle. Un tel succs de Henri Bremond, carc'est de lui qu'il s'agit, aurait pu semblerd'autant plus surprenant que sa carrire dans

    l'Eglise avait tait dnue de tout prestigeofficiel. Non seulement il n'tait pas car-

    dinal, comme l'est aujourd'hui Mgr Baudrillart,mais il n'aurait jamais pu l'tre ; et bien qu'ileut l'amiti de quelques vques,il n'tait, maconnaissance, chanoine honoraire d'aucunecathdrale. C'est qu'il pouvait beaucoup pa-ratre compromettant, ayant t compromisdans l'affaire du modernisme par ses relationsintimes avec George Tyrrell, le plus combatifde tous les modernistes, et par le rle qu'ilavait assum dans les funrailles religieuses deson ami, qui avait bien pu tre nanti des der-r

  • VI AVANT-PROPOS

    niers sacrements, mais qui n'en tait pas moinsmort dans l'excommunication, sans avoir faitamende honorable l'Eglise romaine, qu'ilavait grivement offense dans ses dernierscrits.

    Ainsi l'Acadmie s'avouait indulgente ce

    pass suspect, et c'est peine si M. HenryBordeaux, dans sa rponse au discours de

    Bremond, fit une allusion, que sans doute il

    jugeait discrte et spirituelle, la mise l'In-dex d'un petit livre dlicieux sur sainte Chantai : Sainte Chantai, dont vous remanierez un

    jour l'histoire. Remanier Sainte Chantai ?Ne savez-vous pas, Monsieur, que ce livre par-fait n'est pas susceptible d'amlioration, et

    qu'il n'a t censur qu'en haine de l'auteur,pour couvrir le ridicule de la suspense a divi-nis fulmine contre Bremond aprs les fun-railles de Tyrrell ? Vous pourriez trouver dansune bibliothque de Ceffonds (Haute-Marne)un exemplaire du livre condamn, avec cetteddicace : 1, vitande, ad vitandum. Hommagecordial de l'auteur . Non, vraiment, Bremondn'avait aucun motif de remanier cette histoire,et il n'en avait pas la moindre envie.

    D'autres indices donnent penser que l'Aca-dmie, tout en acceptant Bremond, pourrait

  • AVANT-PROPOS VII

    n'avoir pas suffisamment apprci le haut ca-ractre de sa personnalit religieuse, non plusla solidit de sa thse concernant le prtenduquitisme de Fnelon, ni la profonde signifi-cation de la philosophie qui va se dveloppantdans les volumes de l'Histoire littraire du sen-timent religieux en France, et l'on peut diredans l'uvre entire de Henri Bremond. Sathorie gnrale du mysticisme rejoint en effetl'histoire et la philosophie des religions, selon

    que les plus rcentes dcouvertes et les meil-leurs travaux scientifiques permettent de re-construire cette histoire et d'difier cette phi-losophie, qui ne doit pas tre seulement unethorie de la religion, mais une doctrine dela vie spirituelle en son intgrit, c'est--dire d'une vie intellectuelle normalement ap-puye sur les forces conjointes de la religion,de la morale et de l'esthtique. On ne regretterajamais trop que Bremond lui-mme, qui avaitsi bien prpar la conclusion de ce grand dbatsur le prtendu quitisme de Fnelon, c'est--dire sur le mysticisme, n'ait pas eu le tempsde la formuler avec cette pntration, cettedlicatesse de nuances, cette largeur de vues,

    qui s'panouissaient dans son uvre mesure

    qu'elle avanait.

  • VIII AVANT-PROPOS

    Notre petite tude ne saurait tre exhaustive,elle ne prtend pas tre un livre savant, ni

    remplacer en quoi que ce soit le complmentdont il vient d'tre parl; c'estplutt, ettoutsim-

    plement, le tmoignage d'un ami sur une vie quitoucha de bien prs la sienne, sur une uvredontil s'est, comme tant d'autres, nourri. Nousaurons deux mots sur l'affaire Tyrrell, o Bre-mond se trouva impliqu ; deux mots sur Du-chesne et l'loge qu'a d faire de lui Bremonden entrant l'Acadmie franaise ; deux motssur le prtendu quitisme de Fnelon ; deuxmots sur la philosophie religieuse qu'tait entrain d'laborer Bremond.

    L'auteur, qui a conserv les lettres qu'il a

    reues de lui, ne manquera pas de les utiliser.Bien qu'il ne soit rien, pas mme acadmicien,il se permettra parfois, c'est--dire souvent, de

    contredire, avec autant de respect que de sin-crit, ces Messieurs de l'Acadmie.

    i

  • 1GEORGE TYRRELL

    ET HENRI BREMOND

    CHAPITRE PREMIER

    TYRRELL ET BREMOND

    George Tyrrell tait n Dublin le 6 fvrier1861 ; il est mort Storrington (Sussex), le 15 juil-let 1909. Elev dans l'anglicanisme, il entra dansle catholicisme, et, simultanment, au noviciat, ou,plus exactement, sous la direction de la Compagniede Jsus, Londres, vers la fin de 1879. Henri Bre-mond, n le 31 juillet 1865, Aix-en-Provence, estmort le 17 aot 1933, Arthez-d'Asson (Basses-Pyrnes). Lui aussi, lev dans un collge catholi-que, Aix, est entr de fort bonne heure au novi-ciat de la Compagnie. Ses relations avec Tyrrellont commenc dans l't de 1898, par un changede lettres dont Bremond eut l'initiative, aprs avoirlu dans le priodique publi par les Jsuites an-

    glais, The Month, quelques articles de Tyrrell qui

  • 2 TYRRELLET BREMOND

    l'avaient frapp. Ainsi naquit entre eux une amiti

    qui devait grandir et durer jusqu' la mort de Tyr-rell inclusivement. A cette date de 1898, Tyrrelltait en pleine activit littraire ; Bremond aussiavait dj publi divers articles, notamment dansles Etudes (revue des Jsuites franais), mais iltait encore professeur dans un collge des Jsuites Lyon. C'est l que le baron von Hiigelx, person-nage bien connu dans l'histoire du modernisme

    catholique, vint faire sa connaissance en mars1899. A la fin de la mme anne, Bremond tait

    Paris, dsormais ttach la rdaction des Etudes.Ceci dit pour fixer nos attentions, venons aux

    faits qui spcialement nous intressent.

    1

    Bremond et Tyrrell se lirent d'autant plus faci-lement qu'ils traversaient alors la mme crise de

    conscience, diversement nuance selon le temp-rament naturel de ces puissantes personnalits.Les premires lettres de Bremond Tyrrell n'ont

    1. Une lettre moi adresse par von Hgel, le 20 oc-tobre 1897, montre que mon correspondant tait, ds cetemps-l, en relations avec Tyrrell (voir Mmoires, I,480). La premire lettre que j'ai reue de von Hiigel est du30 avril 1893 ; la premire de Bremond, du 26 mai 1901 ;la premire de yrrell, du 20 novembre 1902 (aprsUEvangile et VEglise).

  • TYRRELLET BREMOND 3

    pas t conserves, niais on a les rponses de Tyr-rell, o s'accusent les proccupations communesaux deux amis.

    Pour Tyrrell, la question qu'il se posait lui-mme avant 1898 tait de savoir si l'Eglise vou-drait s'lever la hauteur de sa mission envers l'hu-

    manit, et il pensait pouvoir en garder l'esp-rance; mais, maintenant, il se demandait plutt sila Compagnie de Jsus serait la hauteur de lamission qui lui incombait l'gard de l'Eglise. Cen'est pas que le premier problme ft cens r-solu : de tels problmes, quand on les a envisagsune fois srieusement, l'on donne sa vie entire.Mais Tyrrell s'arrtait une certitude de fond au-tour de laquelle il laborait certaines dtermina-tions provisoires, indfiniment perfectibles. Le se-cond problme ne comportait pas de solution ind-termine ni de longs dlais: la Compagnie seraitou ne serait pas dispose l'volution que Tyrrellconsidrait comme ncessaire. Dans une longuelettre Bremond, du 20 septembre 1899 1, il dve-

    1. Reproduite dans le grand ouvrage de Miss MaudeD. Petre, Autobiography alld Life of GeorgeTyrrell (1912),II, 73-75. Il va sans dire que, pour tout ce qui concerneTyrrell, nous renvoyons le lecteur ce livre. Miss Petrea publi aussi un choix de lettres (GeorgeTyrrell's Letters,1920), qui forme un utile complment de la biographie.Mditer, par exemple, cette boutade, dans une lettre Bremond (26 janvier 1902) : Peut-tre l'Eglise, commeson Matre, doit-elle mourir et ressusciter.

  • 4 TYRRELLET BREMOND

    loppe successivement les deux problmes, et l'on

    peut constater qu'il n'est aucunement press de

    quitter la Compagnie; au contraire, il est dcid y rester aussi longtemps qu'il y jouira d'unelibert suffisante pour des publications qu'il en-tend produire, avec la prudence qui convient, envue de l'largissement progressif des ides et del'action catholiques.

    Sur les dispositions de Bremond, nous ne som-

    mes, l'heure prsente, renseigns qu'indirecte-ment, c'est--dire par les rponses de Tyrrell seslettres. Il semble vident toutefois que, pour le

    principal, Bremond s'accorde avec Tyrrell sur la

    position des problmes, mais avec cette nuance ca-

    ractristique, d'aprs laquelle sera dtermine laconduite de sa vie: qu'il peroit, quant au prsent,des difficults insurmontables une transforma-

    tion, qui serait d'ailleurs indispensable, soit dansles dispositions et tendances de l'Eglise romaine,soit dans celles de la Compagnie, et qu'il seraitmoins contraire l'ide d'abandonner celle-ci. Lefait est pourtant que, suivant, au moins provisoi-rement, la mme ligne que Tyrrell, il prononait, le2 fvrier 1900, les vux qui l'engageaient enversl'Ordre religieux o il tait entr.

    Etant donne cette notice prliminaire, nousn'avons pas suivre dans le dtail la conduite de

  • TYRRELLET BREMOND 5

    nos hros, et nous dirons seulement, avant d'envenir l'objet propre du prsent chapitre, com-ment l'un et l'autre accueillirent celles de mes pu-blications qui ont une place dans les origines dumodernisme franais, et d'abord L?Evangile et

    l'Eglise.Bremond, qui avait suivi, en 1901-1902, mes

    cours sur les Paraboles vangliques l'Ecole desHautes Etudes, m'crivait, le 13 novembre 1902 :

    Que je vous remercie de tout ce que vous avez mis dansce petit livre! Grand Dieu! quand je songe ces lamen-tables classes de thologie que j'ai subies pendant quatreans 1 oui, quatre ans! Voil pourtant la seule faonde comprendre les choses; il faudra bien qu'ils y vien-nent; mais nous ne verrons pas cela. Enfin, je me de-mande comment ils feront, cette fois, pour vous accuserde germaniser et protestantiser outrance. Je n'ai rienvu de plus fort contre le protestantisme; et certes, nospauvres rfutateurs de Harnack restaient si misrables.Nous allons voir ce qu'ils diront, mais je sens bien quevous avez raison de faire comme s'ils n'existaient pas.

    Le cher baron de Hgel va passer de bons moments.

    De mme Tyrrell (20 novembre 1902) :

    Ce qui m'a plu spcialement dans VEvangile et l'Egliseest la faon dont vous avez rendu bienfaisante, au lieu denuisible, la position assez dconcertante de J. Weiss (DiePredigt Jesu vomReiche Gottes). Comme tant peut-trela seule rponse adquate au Wesen der Christenthums deHarnack, votre livre peut, je crois, chapper aux attaques

  • 6 TYRRELLET BREMOND

    jalouses de ceux qui gardent la clef de la science, ne vou-lant pas entrer eux-mmes, ni permettre aux autres d'en-trer..[ Vous avez beaucoup d'admirateurs sincres, bienqu'enchans et timides, dans la Compagnie. Je ne pensepas que l'attitude, mme de celle-ci, soit tout fait hos-tile, quoique, naturellement, elle soit dtermine parexpdient et opportunisme, plutt que par un intrtquelconque de vrit ou de religion. J'imagine que les col-lectivits sont des agences toujours immorales, ou tout aumoins non-morales. Oculi omnium in te sperant. Votreuvre est trop profondment enracine dans l'intelligenceet la sympathie publiques pour tre extirpe par quelquetempte que ce soit d'opposition ecclsiastique.":

    Le 4 janvier 1904, aprs la condamnation de

    cinq de mes livres (IJ Evangile et l'Eglise, Autourd'un petit livre, etc.) par le Saint-Office, et avant

    que l'affaire ft disciplinairement rgle1, Bre-mond m'crivait de Londres :

    En vrit, la chose tait plus redoutable de loin. Elleparat, en soi, maintenant si insignifiante, tout comme undcret qui rglerait le nombre des cierges la grand-messe. Mais enfin, pour vous, la chose ne sera pas allesans mille tracas, sans parler du bavardage des journa-listes et des assauts des donneurs de conseils, et du l-chage des prudents. Mais j'espre que vous aurez pu, toutde mme, mesurer le terrain gagn depuis que vous avezd quitter l'Institut catholique. Ce serait, c'est enfantin,maintenant plus que jamais, d'esprer qu'on pourra orga-niser un mouvement de recul. Comme je suis d'une sant

    1. Ceux que cette affaire intresse peuvent se reporter Mmoires, II, 299-352.

  • TYRRELLET BREMOND 7

    assez misrable, je n'ai pu lire l'Autour que lentement, etje ne vous ai pas encore crit combien j'avais got etadmir ce petit livre. Nous sommes plusieurs ici, je nedis pas dans la maison, le mettre trs haut. Tyrrellvous en aura parl sans doute; je sais qu'il l'a beaucoupaim.Que de bien vous nous ferez encore! Car enfin on

    n'imaginera pas une condamnation antcdente et a-priori. Et, entre parenthse, comme tout ira mieux, etcomme on se lassera des condamnations, le jour o, pai-siblement, tous les penseurs catholiques imprimeront cequ'ils pensent, ce qu'ils savent, tout prts d'ailleurs s'incliner devant une mesure disciplinaire, et recommen-cer le lendemain. Ce sera peut-tre mme le plus grandpoint de gagn, cette brche au terrible prjug qui fai-sait croire tant d'honntes gens qu'ils devaient se sou-mettre aveuglment ds qu'une Congrgation a parl,et que, dans l'Eglise, il n'y a pas de milieu entre la sou-mission aveugle, impossible, videmment, et larvolte.

    Bien que Bremond n'ait jamais cru, en somme,au succs du mouvement moderniste, il sembles'tre fait, cette heure, quelque illusion sur le

    prochain avenir et n'avoir pas prvu la froce r-

    pression qui, en 1907 et les annes suivantes, de-

    vait, au moins en apparence, tout craser.

    Permettez-moi de vous rappeler, en cas de besoin, queFnelon a fait trs formellement das rserves sur la con-damnation du quitisme.

    A ce trait l'on reconnat l'homme qui, en 1910,crira l'Apologie pour Fnelon.

  • 8 TYRRELLET BREMOND

    Le Baron (von Hgel) n'a vcu que pour vous depuis lecommencement de l'orage. C'est beaucoup que d'avoirde tels amis, et cela doit consoler des perfidies et de l'inin-telligence de tant d'autres. Pour moi, je voudrais que monadhsion ait plus de valeur, mais je vous assure qu'elleest remplie d'admiration et de sincre affection.

    Ces sentiments taient simplement, profond-ment vrai-s. L'honneur de ma vie, sa grande rcom-

    pense, est qu'ils ont dur. Au surplus, ce qu'onvient de lire aidera-t-il comprendre ce que Bre-mond a t, aussi bien et d'abord, pour GeorgeTyrrell. Celui-ci m'crivait, de Richmond, le 12 oc-tobre 1903, aprs rception de ma rcente littra-ture :

    Je vous suis immensment redevable pour vos prcieuxdons, et plus encore pour les expressions qu'ils contien-nent de sympathie et d'amiti. Je me suis attach d'abord Autour d'unpetit livre, comme tant videmment le seulqui affecte profondment votre destin dans la pniblecrise prsente. Il est trs courageusement fort et hardi,mais aucunement irrit ou amer. Il offre sans aucun doutemaint prtexte facile ces critiques obtus et malveillantsauprs desquels, dans le pass, vous avez inutilementdpens beaucoup de bont et de dlicate considration:cci sunt et duces ccorum. Mais, comme dfense objecti-vement valable de L'Evangile et l'Eglise, il parat, monhumble jugement, tout fait convaincant et irrfutable.

    Au sujet du gros volume sur le Quatrime Evan-

    gile, qu'il n'avait pas encore eu le temps d'tudier,Tyrrell me disait :

  • TYRRELLET BREMOND 9

    Lorsque je lus pour la premire fois votre essai sur lesujet dans les Etudes bibliques,

    la seconde dition, qui parut au commencementde 1901, et qui contenait un article sur l'Evangilejohannique,

    il y a quelques annes, je sentis que j'tais arriv unecroise des chemins. Plus tard je dcouvris que de ces che-mins un seul tait ouvert et praticable, et qu'un travailde reconstruction radicale tait la condition unique deprservation pour le catholicisme d'un chacun. Chaquejour de rflexion et d'tude accrot cette conviction etaussi montre que des pertes et appauvrissements appa-rents ont t des gains rels en richesse spirituelle et reli-gieuse.

    Nul besoin de dire que nos hommes gs ne veulentpas vous lire, et que nos hommes jeunes ne le peuvent.Mais toutes les fois que je prte ces derniers vos ouvra-ges, ils sont absorbs comme l'eau par un sol aride. Ceciest le meilleur signe de la rdemption qui vient. Le vieilenseignement tombe dans des oreilles insensibles; incons-ciemment, si ce n'est consciemment, les hommes jeunessont avec nous, et par consquent l'avenir. Il y a seule-ment deux jours, un de nos hommes les plus capables,pour qui votre nom tait une maldiction, emporta de machambre vos Etudes dans un esprit d'hostile curiosit.Comme il est d'esprit foncirement honnte, le rsultatfut un complet bouleversement1 de toute son attitude.Bien que fcheuse, l'opposition des vques, en ce temps,ne peut que servir d'annonce et de rclame votre ensei-gnement. C'est chose trange qu'ils ne s'en aperoivent

    1. En franais dans le texte.

  • 10 TYRRELLET BREMOND

    pas. Un sagace diteur amricain me demandait derni-rement d'crire pour lui un livre qui serait condamn: cequi prouve la valeur marchande de telles condamnations.Peut-tre quelques dfinitions et condamnations absur-des feront-elles plus pour nous qu'un certain degr detolrance politique et feinte.

    Tyrrell aussi s'illusionnait sur le proche avne-ment de la rdemptionn. Le rgne de Pie X tait

    commenc; Bremond nous a parl de la censuredont mes livres furent l'objet la fin de dcembre1903. Je n'oserai pas dire que cette condamnationtait absurde, mais elle tait terriblement aveu-gle , et il ne semble pas, je l'avoue humblement,qu'elle ait boulevers personne. Les grandsactes contre le modernisme, le Dcret Lamentabilisane exitu et l'Encyclique Pascendi dominici gre-gis, retards probablement par les embarras de la

    politique religieuse en France, n'ont t fulmins

    qu'en 1907, et ils furent suivis d'autres mesurescoercitives, sans qu'une raction srieuse se soit

    produite dans le catholicisme contre leur triom-

    phante irrationabilit. Mais il nous faut coupercourt et revenir nos amis Bremond et Tyrrell,dont le sort est la seule chose qui soit ici d'intrt

    pour nous.Au commencement de 1904, Bremond obtint,

    dans les formes canoniques, la rupture des liens

    qui l'attachaient la Compagnie de Jsus. Le fait

  • TYRRELLET BREMOND 11

    vaut d'tre not, parce que notre public et mmenos publicistes franais, peu verss dans les secretsde la religion et les subtilits du droit canonique,s'imaginent volontiers que Bremond ne sera sortide la Compagnie que pour quelque mfait dtermi-nant une censure, en sorte que sa sortie aurait t

    plutt une expulsion. Or, il n'en est rien. Bremond,dont il est inutile de rappeler maintenant les dis-

    positions intimes, avait introduit une requte au-

    prs du Gnralat; et la requte, aprs un examen

    que nous devons supposer bienveillant, fut agredans les conditions prvues par le droit, c'est--dire que Bremond, relev de ses engagementsenvers la Compagnie, devenait un ecclsiastiqueincorpor au clerg du diocse dont il tait origi-naire, savoir l'archidiocse d'Aix-en-Provence.Du reste, il s'agissait d'une incorporation de droit,plutt nominale; en fait, Bremond, qui avait desressources personnelles, tait, autant dire, un

    prtre libre, dans la mesure o peut l'tre un

    prtre dans l'Eglise romaine, adonn aux tudes

    qui lui convenaient et pourvoyant aux publicationscorrespondant ce genre d'tudes.

    Tout autre fut bientt la situation de Tyrrell.Sans entrer dans les dtails d'une histoire qui est

    parfaitement expose par Miss Petre en son grandouvrage, disons que ce notable moderniste se ren-

  • 12 TYRRELLET BREMOND

    dit suspect par certaines publications, spciale-ment par des crits anonymes ou pseudonymesdont quelques-uns taient distribus sous le man-

    teau, et que, au moment o il ngociait aussiavec le Gnralat dans les mmes conditions queBremond, il se trouva gravement compromis parun article du Corriere della Sera (31 dcembre

    1905), o taient reproduits des extraits d'une Lettre confidentielle un ami professeur d'An-

    thropologie , attribue un Jsuite anglais .

    Tyrrell n'avait pas t averti de cette publication.Mais, le journal paraissant Milan, l'Archevquedu lieu en rfra immdiatement au Gnral des

    jsuites, c'tait alors le P. Martin, qui de-manda des explications Tyrrell, puis bientt une

    rtractation, juge ncessaire dans l'intrt de la

    Compagnie. Une ngociation assez confuse s'en-

    gagea, au terme de laquelle Tyrrell, qui ne voulait

    pas donner la rtractation dans les termes absoluso elle lui tait impose, fut, par lettre du Gnral

    (1er fvrier 1906), exclu de la Compagnie et dclar

    suspens a divinis; il pouvait tre admis la commu-

    nion, mais il n'avait pas le droit de dire la messe.De plus, s'il tait renvoy, il n'tait pas, pourautant, scularis, ne pouvant l'tre que par unedcision de la Congrgation des Evques et des

    Rguliers, et encore fallait-il qu'il trouvt un

  • TYRRELLET BREMOND 13

    vque dispos le prendre. Si bien que, sans mau-vais jeu de mots, ce suspens se trouvait, en ralit,suspendu entre la Compagnie de Jsus, qui le rpu-diait, tout en conservant certains droits sur lui,et la perspective, d'ailleurs peu engageante pourlui, d'une scularisation, qui, par la mauvaisevolont des autorits romaines, ne devait jamaisvenir.

    Cette situation plutt singulire fut complique,le 22 octobre 1907, par une excommunication sui

    generis, on pourrait dire une excommunication

    larve, pour l'usage des Anglais, que lui signifia,au nom du Pape, Mgr Amigo, actuellement encore

    Evque de Southwark, en punition de deux articles,trs vifs de ton, publis dans le Times (30 septem-bre et 1er octobre 1907) contre l'Encyclique Pas-cendi. Dsormais Tyrrell tait priv des sacre-ments , et son cas rserv au Souverain Pontife.On n'a jamais pu savoir quelle diffrence il y avaitentre cette privation des sacrements et l'excom-munication proprement dite; sans doute avait-onvoulu mnager les oreilles britanniques, peut-treaussi Tyrrell lui-mme, qui avait, en ce temps-l,le verbe trs haut. On lit dans sa rponse l'Ev-

    que de Southwark (27 octobre 1907) :

    Si mon crime est d'avoir protest publiquement, aunom du catholicisme, contre un document non seulement

  • 14 TYRRELLET BREMOND

    destructif de la seule dfense possible du catholicisme,de tout motif de soumission, dans les limites convenables, l'autorit ecclsiastique, un document qui constituele plus grand scandale pour les milliers de ceux qui,comme moi-mme, ont t amens ou retenus dansl'Eglise par l'influence du Cardinal Newman et de la tho-logie mystique des Pres et des Saints, pour une telleprotestation je suis absolument et pour toujours imp-nitent. Je ne puis pas mentir, et, pour moi, dans toutesles circonstances, le silence aurait t le plus ignoble desmensonges et une lche trahison de l'Eglise, dont le ser-vice a t le but unique de ma vie.

    Voil donc ce qu'il pensait, et il le disait. Sa

    position canonique, si tant est qu'on la puissequalifier ainsi, demeura inchange, traversdiverses pripties, jusqu' la fin.

    II

    Depuis le printemps de 1906, Tyrrell avait s-

    journ frquemment Storrington, village du Sus-

    sex, et d'abord comme hte des religieux Prmon-

    trs, dont le Prieur exerait les fonctions de cur

    catholique ; aprs l'excommunication, il fut reu Mulberry House, chez Miss Petre; il y taitrevenu depuis le 1er juillet 1909, quand, le mardi6 juillet, au soir, il prouva les premires atteintesdu mal qui devait l'emporter. Le 7, une para-

  • TYRRELLET BREMOND 15

    lysie du ct gauche se manifesta, avec un tatintermittent de demi-conscience ; le jeudi 8, lesmdecins diagnostiqurent le mal de Bright auterme de son dveloppement, et, la paralysie aug-mentant, les priodes de demi-conscience se mu-rent en inconscience complte, la difficult de

    parole en impossibilit d'articuler des mots dansles intervalles de lucidit. C'est pourquoi Miss Pe-

    tre, le vendredi 9 juillet, au matin, envoya un tl-

    gramme von Hgel, qui arriva de Londres

    Storrington le soir du mme jour.Vu l'tat du malade et devant la perspective

    d'une mort prochaine, Miss Petre et von Hgelestimrent que les consolations de la religiontaient dues leur ami, mais qu'il fallait carterde son lit d'agonie les sollicitations importunes et

    superflues de prtres trop zls qui seraient inca-

    pables de comprendre la situation morale du mori-bond et le respect qui tait d cette agonie. Ilsmandrent donc un prtre du diocse de South-

    wark, nomm Dessoulavy, qui vint en effet Stor-

    rington le samedi 10 juillet, dans la matine. Aprsavoir confr avec von Hgel, le prtre vit Tyrrell,qui semblait tre dans un tat de parfaite lucidit ;le malade changea mme, en cette occasion, avecMiss Petre, quelques mots empreints d'une cer-taine gaiet. On peut croire que Miss Petre, par

  • 16 TYRRELL ET BREMOND

    une longue habitude de sa conversation, le com-

    prenait au mouvement de ses lvres. Toujoursest-il que le prtre, laiss seul avec lui, n'entendit

    qu'une foule de mots inintelligibles et, pour finir,lui donna une absolution conditionnelle.

    Nos tmoins ne disent pas pourquoi cette abso-lution fut conditionnelle. A ne considrer que lesformes normales de la confession des pchs, unmoribond qui se trouve dans l'impossibilit phy-sique d'numrer ses fautes, mais qui manifeste l'vidence par toute son attitude la bonne vo-lont de satisfaire aux exigences du droit et dela liturgie, est tout fait digne d'absolution. Mais,dans le cas de Tyrrell, la privation des sacrementstait considre Rome comme une excommu-nication vritable, dont l'absolution tait rserveau Souverain Pontife; d'o il rsultait que, l'abso-lution sacramentelle tant lie celle de la cen-

    sure, le confesseur ne pouvait absoudre Tyrrellque sous rserve ou condition, savoir que les dis-

    positions de ce pnitent seraient juges suffisantes

    par les autorits suprieures pour que ft level'excommunication. Ainsi la condition pourvoyaitTyrrell d'une absolution hypothtique, mais ellecouvrait le confesseur du ct de Rome. C'est pr-cisment sur la condition ainsi comprise que surgirabientt, comme nous l'allons voir, le refus oppos

  • TYRRELLET BREMOND 17

    2

    aux amis de Tyrrell, quand ils demanderont pourlui l'honneur des funrailles catholiques. Revenons

    auprs du lit d'agonie.Tyrrell, comme soulag, avait paru mieux dans

    l'aprs-midi du samedi 10; mais la journe dudimanche fut trs mauvaise, et, le matin du lundi

    12, l'tat du malade empira tellement que Miss

    Petre, craignant que le confesseur, averti, ne ptarriver temps, manda le Prieur de Storringtonpour administrer l'extrme-onction. Le Prieur

    vint, fut instruit par Miss Petre de ce qui s'taitfait le samedi matin, et aussitt accomplit lesrites. Il adressa au moribond une parole d'adieu ;mais Tyrrell ne semblait pas avoir le moindre sen-timent de ce qui se passait. La dglutition parais-sant impossible, le Prieur ne donna pas le Viatique ;il fut entendu qu'on l'avertirait dans le cas o

    Tyrrell serait en tat de recevoir cette communion

    suprme; mais l'amlioration requise ne se pro-duisit pas. Il n'en reste pas moins que le Prieur, encette heure solennelle, ne traitait pas Tyrrell enexcommuni. De plus, nous devons constater queles derniers sacrements de l'Eglise catholique ontt donns Tyrrell par des prtres dment quali-fis pour ce ministre dans le diocse de South-wark. Et tout cela se passait avant l'arrive deBremond.

  • 18 TYRRELLET BREMOND

    Prvenu aussi par un tlgramme de Miss Petre,Bremond fut Storrington dans l'aprs-midi dece mme lundi 12 juillet. Il tait l au mme titre

    que von Hgel, dans les mmes sentiments queMiss Petre. Ils taient l tous trois, galementconvaincus que cette me, gnreuse jusque dansses illusions, n'avait rien craindre de la justiceternelle. Ils n'taient pas l en convertisseurs,car ils taient tous trois persuads que Tyrrelln'avait pas dnonc des maux imaginaires, soitdans l'Eglise, soit dans la Compagnie de Jsus. Ilssavaient bien que Tyrrell avait t violent dans sesdiscours et qu'il avait compt presque sur des ca-

    tastrophes qui amneraient la rforme, la rgn-ration de l'Eglise ; mais ils savaient aussi quel'effort des hommes, born dans ses perspectives,n'est que peu peu second par la force des cho-ses. Ils comprenaient, ils sentaient que ce n'est

    pas un crime d'annoncer l'avnement du rgne deDieu et la catastrophe imminente, parce que, si le

    rgne s'opre par des bonds plus ou moins rvo-

    lutionnaires, il ne se ralise pas d'un seul coup; ilsle comprenaient, ils le sentaient, parce que, s'il yavait l un crime, le plus grand des criminels quiaient paru sur la terre aurait t le Christ. Les

    agissements de Rome ne les touchaient pas

    fond, n'taient pas une lumire pour leurs mes.

  • TYRRELLET BREMOND 19

    Ils estimaient que des arrangements disciplinairessuffiraient pour mnager la paix dans le prsent etrserver les chances de l'avenir.

    Bremond donc s'installa au chevet de Tyrrell,o il fut presque constamment, avec Miss Petre,jusqu'au dernier moment. Tyrrell eut, dans cet

    aprs-midi, un instant de lucidit qui lui permit dereconnatre la prsence de son ami. Le rle eccl-

    siastique de Bremond, en ces jours de douleur, seborna la rcitation de quelques prires et l'ab-solution in extremis dans les temps o le moribondsemblait prs de s'teindre. Le soir du mercredi14 juillet, au milieu d'extrmes douleurs, Tyrrell,dans un clair de conscience, reconnut encore MissPetre et Bremond. Ce fut le dernier regard de son

    intelligence et de son cur. L'agonie se prolongeajusqu'au jeudi 15 juillet, neuf heures du matin,o Tyrrell rendit doucement le dernier soupir.Etaient prsents: Miss Petre, Bremond et deux

    garde-malades.Il ne s'agissait plus maintenant que de pourvoir

    aux funrailles selon le rite catholique. Mais von

    Hgel et Miss Petre rsolurent, afin de prvenir lesfaux bruits qui pourraient tre mis en circulation,d'adresser la presse une lettre o seraient exacte-ment relats les faits accomplis dans la semaine

    coule, principalement en ce qui touchait la r-

  • 20 TYRRELLET BREMOND

    ception des derniers sacrements. Leur inquitudesemble avoir t veille surtout par l'interventiond'un Jsuite anglais, qu'on ne pouvait compterparmi les amis intimes de Tyrrell, et qui, s'tant

    prsent dans l'aprs-midi du lundi 12, avait re-nouvel sa visite le lendemain. Miss Petre l'avaitd'abord interrog sur ses intentions et n'avaitobtenu qu'une rponse vasive; elle n'avait pasrefus de l'introduire auprs du mourant, mais en

    y restant elle-mme. Dans les deux occasions,Tyrrell tait en tat de complte inconscience. Maiscette visite d'exploration avait paru suspecte, et bon droit; car elle donna lieu presque aussitt,dans la presse catholique d'Italie, des informa-tions successives, et contradictoires, quitaient galement fausses. Les deux amis, Bre-mond n'eut pas de part, semble-t-il, leur dcision,et le fait est que son tmoignage ne pouvait tre

    allgu propos des derniers sacrements, quiavaient t confrs par d'autres avant son arrive Storrington, les deux amis donc rdigrent, lesoir du 15 juillet, une lettre qui parut le lendemaindans le Timey et le Daily Mail (16 juillet 1909).

    Touchant les dispositions personnelles de Tyr-rell, on y pouvait lire, sous la garantie propre du

    Baron, qui pensait volontiers arithmtiquement,que :

  • TYRRELLET BREMOND 21

    1 Le Pre Tyrrell voulait recevoir tous les sacrementsde l'Eglise;

    2 qu'il voulait tre profondment contrit pour tous etchacun des pchs ou excs dont il se serait rendu cou-pable, soit en autres matires, soit au cours de (sa) pol-mique, mais

    3 qu'il ne voulait pas recevoir les sacrements au prixd'une rtractation de ce qu'il avait dit et crit en toutesincrit et qu'il regardait encore comme tant la vrit.

    La contrition ne devait pas tre tellement profonde , et l'on doit reconnatre que le troi-sime point en retirait la presque totalit de son

    objet. De plus, il parat probable que les amis de

    Tyrrell n'avaient pas prvu l'effet que produi-rait ce troisime point sur les autorits ecclsiasti-

    ques, Rome n'admettant jamais qu'on n'acceptepas intgralement et sans rserve ses jugements etcondamnations. Ils pensaient que Tyrrell, ayantreu les derniers sacrements selon les rgles, avaitdroit aux funrailles catholiques ; et ils estimaientaussi que, l'assiette morale de la conscience de

    Tyrrell tant sans flure, le troisime point, otait affirm un droit de cette conscience, ne pou-vait crer d'obstacle leur dsir. Sans doute ou-bliaient-ils que le droit de la conscience indivi-

    duelle, sa vrit et sa sincrit sont une monnaie

    qui n'a pas cours sur le march de l'orthodoxie.

  • 22 TYRRELLET BREMOND

    Rome n'allait pas tarder le leur signifier assez du-rement.

    Peut-tre n'est-il pas inutile de noter que lesvolonts de Tyrrell, exprimes dans son testament,taient la fois plus claires et moins prcises quece qu'on vient de lire. Le testament, dat de Rich-

    mond, 27 mars 1905, Tyrrell appartenant encore la Compagnie de Jsus, institue Miss Petre lga-taire des papiers, manuscrits, droits d'auteur, etc.Un premier codicille, rdig Storrington, 27 aot

    1907, attribue la mme ce que Tyrrell possdeen argent et effets personnels. Enfin un second

    codicille, crit le 1er janvier 1909, dans la perspec-tive de la mort, se rapporte directement notre

    sujet 1 :

    Si je dcline le ministre d'un prtre catholique romain mon lit de mort, c'est que je ne veux pas fournir lamoindre base la rumeur d'une rtractation, par moifaite, des principes catholiques que j'ai dfendus contreles hrsies vaticanes. Si aucun prtre ne veut me donnerla spulture, que l'on m'enterre en complet silence. Si unmonument est rig sur ma tombe, qu'on y mette que jefus prtre catholique, et qu'on y grave l'emblme usuel,calice et hostie. Sans explications ni commentaires.

    Ici Tyrrell, sous l'excommunication, prvoitqu'il pourrait n'avoir ni prtre pour l'assister au

    1. Voir le texte intgral de tous ces documents dansMiss Petre, Life of G. T., II, 433-435.

  • TYRRELLET BREMOND 23

    dernier moment, ni sacrements, ni funrailles ca-

    tholiques ; il n'en veut aucun prix, si cela devaittre la rcompense d'une rtractation. Et donc le

    premier point de von Hgel est rellement impli-qu dans le codicille; le second point ne peut ytre suppos que si on le rduit un minimum, si peu de chose, que le codicille jugeait inutile d'enfaire mention; quant au troisime point, ce n'est

    qu'une paraphrase dilue et adoucie de la dcla-ration essentielle du codicille touchant la rtracta-tion que Tyrrell ne ferait jamais.

    A la premire nouvelle de la mort de Tyrrell,et instruit de ce qui s'tait pass pour les derniers

    sacrements, l'Evque de Southwark n'avait pasde parti pris contre l'octroi des funrailles catho-

    liques ; mais, quand il eut pris connaissance de lalettre adresse aux journaux par Miss Petre et von

    Hgel, conformment aux instructions qui avaientd lui tre adresses de Rome aussitt qu'on yavait connu le danger o se trouvait Tyrrell, il

    crivit, ds le 16 juillet, Miss Petre que, si leP. Bremond ou le P. Dessoulavy ne pouvaient luiassurer par crit que le P. Tyrrell a fait une rtrac-tation formelle, il ne pourrait permettre des fun-railles catholiques . En mme temps, il tlgra-phiait au Prieur de Storrington : Pas de fun-railles catholiques, moins de rtractation atteste

  • 24 TYRRELLET BREMOND

    en crit par un prtre. A une instance de MissPetre il rpond (le 19 juillet) : Si l'affirmation duBaron von Hgel dans votre lettre aux journauxest exacte, les funrailles catholiques sont impos-sibles, moins que Tyrrell n'ait fait quelque r-tractation verbale ou crite, qui puisse tre pu-blie. Mme rponse au Prieur de Storrington,qui, consquent avec sa propre attitude dans la

    question des sacrements, avait sollicit l'autorisa-tion de funrailles catholiques sans solennit.Notons que Bremond se trouvait mis en cause,parce que, dans la lettre aux journaux, il taitmentionn comme ayant reu du moribond unesorte de confession par signes et lui ayantdonn une dernire absolution 1.

    Inutile de nous arrter aux dmarches pnibleset sans rsultat que firent ensemble de divers

    cts, notamment l'archevch de Westminster,Miss Petre et Bremond, pour tourner la difficult.Bremond avait beau protester devant les reprsen-tants de l'administration archipiscopale que nul

    prtre sur la terre n'aurait voulu demander dertractation un malade dans l'tat o tait Tyr-rell. C'tait vrai, mais cela ne dtruisait pas le

    tmoignage de von Hgel touchant la volont

    1. Dtails emprunts la relation de Miss Petre, op.cit., II, 436-438, 435.

  • TYRRELLET BREMOND 25

    antcdente de non-rtractation. L'Archevqueen personne, Cardinal Bourne, sollicit directe-ment par Miss Petre, se retranchait derrire l'Ev-

    que de Southwark1. Visiblement, la consignevenue de Rome pesait sur tout ce monde, qui,laiss lui-mme, se serait montr moins intransi-

    geant. il fallut se rsigner inhumer Tyrrell dansle cimetire paroissial (anglican) de Storrington :Miss Petre et un parent du dfunt, M. William

    Tyrrell, aujourd'hui Lord Tyrrell, qui fut am-bassadeur de Grande-Bretagne Paris, ache-trent un terrain, et l'inhumation put se faire le21 juillet.

    Mais une question dlicate se posait: on n'allait

    pas enterrer un tel dfunt sans prires; car Tyrrell,s'il n'tait pas orthodoxe, prtendait bien trechrtien et catholique ; il avait voulu mourir, iltait mort, muni des sacrements de l'Eglise. Troisfois insens celui qui oserait soutenir que ce grandesprit, ce cur gnreux et vaillant, si profon-dment religieux, n'aurait pas t en son heure

    dernire, sincre avec lui-mme, et devant ses

    amis, et devant son ternit. On ne pouvait dpo-ser dans la tombe ses restes mortels sans diresur lui les prires qu'il avait souhaites, sans direde lui, en termes dignes de lui, ce qu'il avait voulu

    1. Op. cit., II, 438-439.

  • 26 TYRRELLET BREMOND

    tre et ce qu'il avait t. Miss Petre nous raconte

    que, chez les catholiques, dans la vieille Angle-terre, quand les rites funbres ne pouvaient s'ac-

    complir dans leur solennit traditionnelle, un pr-tre, s'il en tait un prsent, rcitait simplement les

    prires; dfaut de prtre, un laque s'acquittaitde cette fonction, et mme, dfaut d'un homme,une femme s'en chargeait. Dans le cas donn, un

    prtre tait l, Henri Bremond 1.

    Certes, s'il accepta ce rle sans hsitation, il ne

    l'accepta pas la lgre, ni sans en avoir comprisle risque, ni sans en avoir entour de certaines

    prcautions l'accomplissement. Le programme deces funrailles fut d'avance rgl par lui en accordavec le P. de la Fourvire, ce Prieur de Storring-ton, qui avait administr l'extrme-onction

    Tyrrell, et qui tait le reprsentant officiel de

    l'Eglise catholique en cette localit. Le P. de laFourvire jugeait naturel et convenable qu'il yet des prires en forme prive; et il estimait op-portun que Bremond, et Bremond seul, parlt,pour que ces funrailles ne tournassent pas enmanifestation contre le catholicisme romain.

    Ainsi fut fait. Avant le dpart, Bremond expli-qua, en termes choisis, aux amis prsents, Miss

    1. Op.cit., II, 441.

  • TYRRELL ET BREMOND 27

    Petre numre une quarantaine de personnes,ce qui allait se passer. Il s'excusait de prendre seulla parole :

    Parce que nous devons viter le moindre soupon demanifestation. Ses amis d'une autre Eglise comprendrontnotre dsir, et leur prsence silencieuse sera la plus hauteforme de sympathie.

    Cela dit, on s'en fut au cimetire de Storrington.Bremond lut dans son brviaire les prires ordi-naires de la spulture, moins l'absoute, jetaquelques gouttes d'eau bnite, puis il pronona le

    plus beau discours qu'il ait fait de sa vie. Ajou-tons que le plus froce des thologiens du Saint-Office n'y aurait pas pu trouver un mot repren-dre. Bremond y allait de toute son me:

    Vous voyez la place que nous avons affectueusementchoisie pour lui, parce qu'une autre place nous tait refu-se. Vous voyez la place. Il tait accoutum de s'yplaire, et maintes fois, quand il vivait au Prieur, il venaitl, rcitant son brviaire dans l'alle mme auprs delaquelle on a creus sa tombe. Comme vous voyez, celle-ciest mi-chemin entre les deux Eglises, celle en laquelleil est mort, et l'autre en laquelle il tait n.

    Et cela continuait ainsi, comme une musiquecleste, Bremond disant les sentiments de Tyrrellpour l'Eglise anglicane, et le lien plus fort quil'avait retenu dans l'Eglise romaine. Ses confidentsde chaque heure savent que, pour lui,

  • 28 TYRRELLET BREMOND

    L'Eglise catholique romaine, comme telle, tait la plusancienne et la plus vaste corporation d'exprience chr-tienne collective, la plus stricte approximation qui ftralise de l'idal, encore lointainement distant, d'uneEglise catholique. Il s'attachait l'Eglise de sa conver-sion avec la mme conviction, profondment enracine,et avec le mme amour qu'il s'attachait l'Evangile et la divine personne de Notre-Seigneur.

    A l'appui de cette assertion venait une citationdu livre que Tyrrell laissait peu prs achev, LeChristianisme la croise des chemins 1. Et pourfinir, un adieu touchant ce mort au nom de tousses amis, grands et petits ; car Tyrrell aimait leshumbles.

    Il faut lire le discours en anglais, dans le livrede Miss Petre 2.

    C'tait vraiment un geste magnifique ; Bremondavait parl, on peut dire aussi qu'il avait agi, enhonnte homme, en chrtien, en catholique, en

    prtre.Mais Rome n'aurait pas t Rome si elle avait

    laiss impuni cet acte sublime. Trois jours aprs, le24 juillet, l'Evque de Southwark tlgraphiaitau Prieur de Storrington :

    Ne permettez- pas Bremond de dire la messe.

    1. Christianitjt at the Cross Roads (1909). Il existe uneexcellente traduction franaise par J. Arnavon (1911).

    2. Op.cit., II, 443-446.

  • TYRRELLET BREMOND 29

    Ainsi Bremond, son tour, tait frapp de sus-

    pense a divinis, la censure tant promulgue parl'Evque de Southwark, mais la leve de cettecensure tant rserve au Pape.

    III

    Le coup n'tait pas fait pour surprendre gran-dement Bremond, ni pour l'mouvoir profond-ment, ni pour l'inciter se ruer dans la soumission.Il n'tait que de laisser passer l'orage et d'attendre,pour ngocier avec l'autorit, qu'elle et eu le

    temps de savourer elle-mme, dans la mesurede ses moyens, la ridicule inanit d'une condam-nation si peu justifie.

    Environ trois semaines aprs la fulmination decette censure, le 18 aot, Bremond m'crivait enme remerciant d'abord pour l'envoi de ma pre-mire leon d'ouverture au Collge de France, eten voquant le souvenir de notre ami commun :

    C'est une grande joie pour moi de vous voir si allgre,- triste joie aussi, quand je songe que notre pauvre Tyr-rell n'est plus l pour la partager et pour travailler deson ct. Je lui ai prch souvent sur le thme que vousme dites, car j'ai toujours t beaucoup plus sceptiqueque lui sur le rsultat de cette campagne. Mais enfin, rienne se perd, et je suis persuad que cette vie, si courte etsi odieusement perscute, n'aura pas t vcue en vain.

  • 30 TYRRELLET BREMOND

    Aprs un mot sur le livre posthume que j'aimentionn plus haut, et qui doit paratre en octo-

    bre, il me dit l'tat de son affaire, encore pendante Rome.

    Je n'ai pas dit aux journaux, mais je dois vous dire vous, que Merry del Val, sans attendre une seule explica-tion de moi, m'a suspendu a divinis.

    On conoit que, dans ces conditions, Bremondsoit rest sur l'expectative. Mais on ne voit pasbien pourquoi Rome a t si presse d'agir et avecun tel emportement. Ce ne peut tre que sur des

    renseignements fautifs, reus d'Angleterre, et ilest bien invraisemblable que l'Evque de South-wark en ait t l'unique auteur; car l'Evque n'a

    pas pu, n'a pas voulu prsenter Bremond comme

    ayant la responsabilit principale dans la non-rtractation de Tyrrell, ni comme ayant t gran-dement coupable dans l'affaire des funrailles.Mais n'oublions pas le P. Pollen, ce Jsuite l'atti-tude singulire, qui avait voulu voir Tyrrell dans

    l'aprs-midi du 12 juillet et le matin du 13. Celui-

    l, certainement, tait venu en service command,non de la part de l'Evque de Southwark, mais dela part de Rome, afin de procurer, autant que fairese pouvait, la rtractation formelle du plus turbu-lent des modernistes et du plus redout. Rome,

  • TYRRELLET BREMOND 31

    c'est--dire Merry del Val et la Compagnie de

    Jsus, tenait beaucoup se parer de cette r-

    tractation, pourvu qu'on en et recueilli le moin-dre indice. Or l'indice manqua, et la lettre de MissPetre aux journaux, du 15 juillet, ne permettaitpas de l'inventer. Bremond tait arriv Stor-

    rington avant le P. Pollen. Nous ne savons pas ce

    que celui-ci avait mis dans son rapport. Mais ladconvenue aura t grande Rome, et l'on tomba,osons le dire, bras raccourcis, sur Bremond,n'osant toucher Miss Petre, une femme, ni von

    Hiigel, avec lequel Merry del Val tait d'enfanceen relations. D'ailleurs, il fallait un prtre pourporter la responsabilit de la non-rtractation, etl'on avait pris Bremond. Ajoutons que von Hgeln'a tenu dans toute l'affaire, sauf pour la lettre aux

    journaux, qu'un rle assez effac; il a pu conseillerMiss Petre, mais son extrme surdit le rendait denulle assistance auprs du moribond. Reprenonsnotre lecture :

    Cela est mieux ainsi. Car ils se sont pris leur proprepige, et je crois qu'ils en sont, d'ores et dj, fort gns.Je n'ai pas voulu perdre mes avantages en laissant la dis-cussion s'garer sur la question du modernisme. Ils saventbien que, si Tyrrell avait t pleinement conscient, je nel'aurais pas tourment. Mais enfin, il ne l'tait pas, etBenigni lui-mme aurait t oblig d'agir comme j'aiagi.

  • 32 TYRRELLET BREMOND

    Mgr Benigni tait comme qui dirait le chef de la

    police du Cardinal Merry del Val. Bremond estime

    que Benigni n'aurait pas pu obtenir davantage du

    malade; car il n'aurait peut-tre pas craint de letourmenter. Tyrrell, remarque Bremond, n'tait

    pas pleinement conscient . Miss Petre, la finde sa lettre aux journaux, disait :

    Le 12, son intime ami, l'abb Bremond, arriva et euten un moment de vraiment claire conscience (qu'avaitTyrrell), ce soir-l, l'occasion de lui parler, recevant la con-fession qu'il pouvait exprimer par signes, et lui donnantune dernire absolution. Il l'assista aussi jusqu' son toutdernier moment.

    Nonobstant les apparences, la conscience vrai-ment claire, dont parle Miss Petre, n'quivaut pasau pleinement conscient de Bremond; mais les

    gens de Rome ont pu s'y tromper. En tout cas, ils

    pensaient srement que, si peu conscient que ftle malade, on aurait d l'attaquer sur l'article dela rtractation, au risque de lui rompre la tte etd'avancer son trpas. C'est ce qu'ils appellent : tout tenter pour sauver une me. Le fait est queTyrrell, ayant reconnu Bremond, avait conscienced'tre devant celui qui lui parlait, et du sens reli-

    gieux de cette prsence; mais, incapable de s'ex-

    primer nettement et avec suite, de soutenir et desuivre une conversation, il tait pareillement in-

  • TYRRELLET BREMOND 33

    3

    capable d'envisager l'ide d'une rtractation et

    d'agrer une telle ide aussi bien que de la rejeter.Bremond s'exclame :

    La bizarre ide qu'ils se font d'une rtractation !

    C'est sans doute qu'ils n'y mettent pas l'ombrede psychologie, n'ayant pas grand souci ni mmeconnaissance de ce que nous entendons par l. Ils

    ignorent ce que peut tre une conviction person-nelle, acquise par l'exprience, sur un objet quel-conque, qu'il s'agisse de science ou de religion. Ilsse persuadent que l'on emmagasine simplementdes ides changeables, qui peuvent, sans aucunembarras ni rpugnance de leur possesseur, treincontinent dmnages et remplaces par d'au-tres sur l'injonction des suprieurs ecclsiastiques.Au commencement de 1904, quand, somm de mertracter sous la menace de l'excommunication

    majeure, je rpondais Merry del Val, au Cardi-nal Richard, au Pape lui-mme, que je ne pouvaisainsi renouveler toute ma fourniture intellectuelleet morale ni dtruire en moi-mme le fruit de mes

    travaux, ils taient saisis d'une stupeur indigne,devant une rsistance inexplicable pour eux, si cen'tait par l'effet du plus orgueilleux enttement.Ecoutons Bremond :

    A moins de me faire un procs de tendance, et je ne

  • 34 TYRRELLET BREMOND

    les suivrai pas, ils seront obligs de reconnatre que leurpremire ide d'un complot moderniste tait plus sottequ'un conte de nourrice.

    Si nous l'entendons bien, on aurait d'abord cru Rome que les amis de Tyrrell s'taient concerts

    pour lui pargner une rtractation ; aprs quoi,s'autorisant des sacrements reus, ils auraientvoulu obtenir l'octroi des funrailles catholiques,afin de pouvoir soutenir ensuite que les actes

    pontificaux contre le modernisme, n'ayant qu'uneporte disciplinaire, n'exigeaient pas une obis-sance inconditionne. C'est tout au plus si von

    Hgel, comme nous le dirons plus loin, a eu pardevers lui quelque arrire-pense de ce genre, maisl'ide du complot concert tait aussi absurde quele dit Bremond. En l'attaquant sur le fait du mo-

    dernisme, l'on se flattait peut-tre de le mettre au

    pied du mur, le contraignant la rtractation ou la rvolte. Or Bremond n'tait point moderniste ;il djoua la manuvre, j'allais dire le complot deses hauts ennemis, en vitant toute discussion surla matire et en adhrant simplement aux con-damnations portes dans le Dcret Lamentabili etdans l'Encyclique Pascendi, o avait t dnonceet fltrie, en 1907, l'hrsie moderniste. Bremond

    laissait, d'ailleurs, leurs auteurs la responsabilitde ces documents officiels, qui ne l'intressaient pas.

  • TYRRELLET BREMOND 35

    Reste la question des funrailles. Ici encore je suissolide, ayant dclar que nous ne faisions qu'une crmo-nie prive, et que je n'agissais pas comme prtre parois-sial. Tout au plus peuvent-ils condamner la forme deprires choisie et l'eau bnite. Ils sont juges de ce choix,et je me suis soumis sur ce point leur sentence, mais detelle faon qu'ils n'auront pas envie de faire trophe decette soumission.

    On remarquera que, dans cette apologie, Bre-mond se tait sur l'approbation sans rserve que leP. de la Fourvire, Prieur de Storrington, avaitdonne au programme des funrailles. Il aimamieux garder pour lui seul la responsabilit de sesactes et ne pas associer ses ennuis un homme

    d'Eglise qui, dans l'occasion, s'tait montr rai-sonnable et conciliant. Au milieu de ces chicanes,qui l'exaspraient un peu, aprs les lignes queje viens de citer, il y a dans sa lettre un motvif sur ses perscuteurs, il n'tait soutenu quede son propre courage. Dans une lettre du 5 sep-tembre 1925, rappelant l'aventure de 1909, ilm'crivait :

    J'ai dit souvent que le prtre franais tait dans unecondition infrieure celle des animaux, sur qui veille aumoins une Socit protectrice. Nos dfenseurs naturels, lesOrdinaires, nous abandonnent. Je me rappele les lamen-tations de Mgr Bonnefoy (l'Archevque d'Aix) au lende-main de l'enterrement deTyrrell. Il me disait: Vous tesinnocent comme l'enfant qui vient de natre; mais tai-

  • 36 TYRRELLET BREMOND

    sons-nous, attendons, laissons passer. Ainsi toujours.D'un autre ct, il nous est impossible de nous adresser la Ligue des Droits de l'Homme.

    Sans doute; mais c'est que, depuis la loi de

    sparation, et en vertu mme de cette loi, l'indiff-rence des pouvoirs publics y aidant, les Evquesne sont plus, au regard de Rome, que des pionssur un chiquier, pions qu'elle entend bien fairedanser ou sauter son gr. S'adresser, pour tous

    renseignements, Mgr Andr du Bois de la Ville-

    rabel, ancien archevque de Rouen et successeurde S. E. le Cardinal Baudrillart au sige archi-idal de Mlitne.

    Je crois , concluait Bremond, dans sa lettredu 18 aot 1909, que tout va s'arranger ; maisavec eux on n'est jamais sr. En effet, rien n'taitencore termin le 2 novembre, o il me disait :

    Ma lettre de soumission, condition de la fin de cetteabsurde suspense, s'est gare en route. Bon prtexte de nouveaux retards, qui ont permis la Croix et autresfeuilles de recommencer m'injurier.

    L'affaire pourtant se termina quand il eut

    sign, le 5 novembre, la formule suivante :

    Dans des sentiments de pleine et sincre soumission l'autorit ecclsiastique, et par l'entremise de Sa Gran-deur Mgr l'Evque de Southwark, l'abb Bremond d-clare regretter et condamner tout ce qu'il a fait et dit de

  • TYRRELLET BREMOND 37

    rprhensible aux funrailles du P. Tyrrell. Il dclare, enoutre, adhrer sans rserve toutes les doctrines del'Eglise, et notamment aux enseignements contenus dansle Dcret Lamentabili et dans l'Encyclique Pascendi.

    Plusieurs se sont tonns, mme scandaliss,que Bremond ait pu signer ce papier; c'est peut-tre qu'ils ne s'taient pas mis sa place et qu'ilsavaient mal compris le texte. A ne regarder que la

    lettre, cette dclaration parat plus que singu-lire : dsaveu de la noble action accomplie pourles funrailles de Tyrrell; adhsion pleine et en-tire une doctrine et des documents sur les-

    quels il n'est pas de catholique intelligent qui nefasse beaucoup de rserves; nul homme comp-tent n'ignore que Lamentabili et Pascendi enfer-ment les tudes religieuses dans un programmeabsurde. Mais cela prouve simplement qu'un lan-

    gage absurde tait indispensable pour lier uneconversation utile, c'est--dire une conversa-tion qui ne ment pas droit une rupture, avecles auteurs responsables des actes pontificaux etde l'adhsion de Bremond.

    Si l'on considre en elles-mmes les exigencesromaines, parfaitement ineptes, on trouverait na-turel qu'un esprit vulgaire s'exclamt, en pleinelibert de langage: La garde meurt et ne se rend

    pas, - ou bien l'quivalent. Mais tout homme

  • 38 TYRRELLET BREMOND

    de sain jugement accordera qu'un prtre, s'adres-sant au Pape ou son reprsentant, doit garder lesformes d'un langage respectueux ; s'il se trouve

    que l'esprit de ce haut personnel j'entends le

    Pape et son entourage soit tel que l'on perdeson temps lui parler raison, et si ce prtre veutvivre et mourir dans la communion de l'Eglise, ilsuffit pour justifier son discours devant les hon-ntes gens que la teneur en laisse transparatre suf-fisamment la porte vritable.

    Ainsi les paroles: soumission l'Eglise , signi-fient que l'auteur de la dclaration veut vivre etmourir dans l'Eglise laquelle il est attach parun sincre sentiment de foi. Il dit son regret de ce

    qu'il a fait de reprhensible aux funrailles de

    Tyrrell ; mais, comme sa conscience ne lui reprocherien, il se trouve ne rien condamner, sauf de me-nues erreurs de liturgie, s'il en a commis quel-qu'une. L'adhsion aux doctrines de l'Eglise s'en-tend de la substance des choses; quant Lamenta-bilis et Pascendi, il les respectera comme une

    discipline qui, en fait, ne le concerne pas. Quicon-que prendra le temps d'y rflchir, s'apercevra sans

    peine que la plupart des catholiques un tant soit peuintelligents et cultivs de nos jours le sont dans cesconditions-l. Ajoutons qu'on n'a pas lieu de s'ex-

    pliquer avec des personnes qui ne veulent pas

  • TYRRELLET BREMOND 39

    d'explications et qui commandent l'aveuglette.On les traite comme les gens ide fixe, leur disantce qu'il leur plat d'entendre, et l'on reste en facede soi-mme avec la facult de penser ce que l'on

    peut et de vouloir ce que l'on doit.Von Hgel, qui s'tait tenu quelque peu

    l'cart de cette bagarre, ne s'interdisait pas d'en

    philosopher. Il m'crivait, le 30 octobre 1909 :

    Pas pour un moment je n'ai cru, en aidant faire ceque j'tais persuad tre les volonts foncires de notreami, que nous avions ainsi un arrangement que notreOfficialit actuelle accepterait. Notre acte ne demandait,je crois, pas moins de courage, et cela a essuy (a eu pourrsultat) pas moins d'ennuis, pour Bremond directement,pour Miss Petre et moi plus indirectement, que si j'taisvenu Ceffonds veiller l'excution de vos volonts fon-cires et que celles-ci auraient t: nulle prire ou cr-monie quelconques. Je me croirais certainement aussioblig respecter des dcisions pour mon esprit fort at-tristantes, que je me sentais li faire ce que notre cherTyrrell avait indiqu de vouloir.

    M'est avis que, dans l'hypothse envisage mon sujet par le Baron, celui-ci aurait pu, sansencourir le moindre blme des autorits ecclsias-

    tiques, pourvoir mon enterrement civil, puisqu'ilse serait ainsi conform la sentence qui m'enlvetout droit la spulture ecclsiastique. Mais lebon Baron, tout philosophe qu'il ft, et peut-treparce que philosophe, n'aimait pas de s'tre

  • 40 TYRRELLET BREMOND

    tromp. Dans la circonstance, il me parat avoirinstinctivement corrig ses souvenirs d'aprs lesvnements intervenus. Lorsque fut rdige lalettre du 15 juillet, il estimait que la spultureecclsiastique ne serait pas plus refuse que nel'avaient t les sacrements, et il caressait en lui-mme cette ide, que, par la concession de la s-

    pulture ecclsiastique, serait attest le caractre

    purement disciplinaire des actes pontificaux quicondamnaient le modernisme. Cette combinaison

    logique tant ruine, il se persuada qu'il en avaitds l'abord prvu l'chec. La soumission de Bre-mond le consterna. Dans une lettre du 31 dcem-bre 1909, o il rcapitulait les joies et les tristessesde l'anne coule, il me disait :

    J'tais assez rsign ce qu'il demandt pardon pource qui aurait pu tre contraire la discipline en les fun-railles (de Tyrrell) et le discours, quoique, en toutesces choses, H. Bremond suivt fidlement les directionscrites du Prieur de Storrington, qui loua en deux bonsjournaux la tenue de Bremond comme irrprochable.C'tait et c'est l'acceptation, sans rserve , de Lamen-tabili et de Pascendi, qui me rvolte; et c'est, sans aucundoute, cela prcisment, que Rome tient. Enfin la res-ponsabilit pour ces insincrits pnibles et dshono-rantes est bien plus avec Rome qu'avec ceux qui luicdent.

    Tout cela est bel et bon. Mais von Hgel en par-

  • TYRRELLET BREMOND 41

    lait bien son aise. Bremond ne lui avait pas de-mand pour sa soumission un programme en trois

    points dont le troisime, exprimant la rserve ,aurait annul les deux premiers. Et bien fit-il ;car von Hgellui-mme, s'il avait t la place de

    Bremond, se serait abstenu de formuler la dite

    rserve, parce qu'elle conduisait ce que par-des-sus tout il voulait viter, la rupture complte etdfinitive avec l'Eglise romaine.

    Il me serait permis de passer sous silence le ju-gement, plus ridicule encore qu'odieux, qui a t

    port sur Tyrrell par certains critiques improvisset navement convaincus de leur supriorit : selon

    eux, Tyrrell aurait fini par n'tre qu'un tacticiensans foi ni conviction, qui aurait jongl avec lesides religieuses pour le plaisir, n'ayant plus de

    religion. Bien que j'aie dj fait sommairement

    justice1 de cette opinion peu qualifiable, je crois

    rpondre aux intentions de Bremond en y reve-nant aujourd'hui pour en dmontrer plus claire-ment la foncire inanit.

    Et donc M. Flix Sartiaux, faisant, le 23 octo-bre 1926, devant la Socit Ernest Renan, l'loged'Albert Houtin, qui tait mort le 28 juillet,signalait, parmi les indits laisss par le dfunt,une Vie de Tyrrell, conue d'aprs une mthode

    1. Dans Mmoires, III, 508-510.

  • 42 TYRRELLET BREMOND

    nouvelle, qui donnait des rsultats imprvus. Sar-tiaux disait hardiment :

    Les historiens de Tyrrell exposent doctement, discu-tent, commentent les ides religieuses qu'il a exprimesdans ses livres, sans se demander dans quelles circons-tances ces livres ont t crits et dans quelle mesure ilsreprsentent l'expression de sa pense. Houtin a procdtout autrement. Il a voulu d'abord connatre l'homme,les buts qu'il poursuivait, ses croyances vritables. Etlorsqu'on a lu la documentation originale que Houtin arassemble et mise en uvre, les propos que Tyrrelltenait dans l'intimit, sa correspondance la plus person-nelle, son autobiographie, on constate que Tyrrell pour-suivait, en crivant, des buts particuliers, qu'il ne croyaitgure aux doctrines qu'il exposait, qu'il n'adhrait niaux croyances catholiques et chrtiennes, ni mme audisme. Quel singulier exercice constitue, dans ces condi-tions, l'exgse de ses commentateurs *!

    Il y a quelque chose de plus singulier encore :c'est l'assurance de Sartiaux, qui sait probable-ment ce qu'il veut dire, mais qui, de toute vi-

    dence, ne sait ni de qui ni de quoi il parle. Leshistoriens de Tyrrell ne sont pas innombrables ; le

    principal est Miss Petre, dont l'ouvrage, dit en

    1912, contient dans son tome Ier, comme docu-ment de base, YAutobiographie. Houtin n'aconnu cette autobiographie que par la publication

    1. Etude publie dans A. Houtin, Ma Vie laque(1928), 377.

  • TYRRELLET BREMOND 43

    de Miss Petre; et Miss Petre a lu l'autobiographieen manuscrit, l'on peut dire sur la copie originale,l'uvre, qui recouvre les vingt-trois premiresannes de la vie de Tyrrell (1861-1884), et fut rdi-

    ge en 1901, n'ayant pas t destine la publi-cit. Miss Petre a eu sa disposition des centainesde lettres dont un choix a t publi part; maiselle a utilis la collection pour la partie de la bio-

    graphie qui a t rdige par elle-mme, elle citeconstamment ces lettres ; quant aux crits publispar Tyrrell, elle en indique l'occasion particulireet l'objet ; elle ne spcule pas autrement sur leur

    contenu; elle marque leur place dans la vie del'auteur. Ajoutons que Miss Petre a vcu de lon-

    gues annes en intimit avec Tyrrell, et que,dans les derniers temps, Tyrrell a t son hte.

    Houtin, en dehors de ce qu'il a pu emprunter aux

    publications de Miss Petre, disposait de trois ou

    quatre entretiens avec Tyrrell; quant aux let-

    tres, relativement peu nombreuses, qu'il avait

    reues, Miss Petre les a eues en communication, etelle a fait citation de quelques-unes. Etant donncet tat de choses, on peut dire que la notice gran-diloquente de Sartiaux est superficielle, radicale-ment fausse et vide de sens.

    La personnalit religieuse de Tyrrell dpassait de

    beaucoup, sans qu'ils s'en soient douts le moins du

  • 44 TYRRELLET BREMOND

    monde, les facults d'apprciation de juges tels queHoutin et Sartiaux. Nous pouvons entendre sur ce

    sujet Bremond, que j'avais inform du manifestelu la Socit Ernest Renan. Il m'crivait de Pau,le 11 novembre 1926 :

    Rien ne m'tonne de ce pauvre Houtin. Une fois deplus, il n'a rien compris. Le moment venu, peut-treserait-il bon de rectifier, et nul ne pourrait le faire avecplus d'autorit que vous. Mais comment expliquer cesrigides ce qu'est une pense vivante, qui n'est pas qu'unepense, et qui se cherche, voluant constamment, allantbravement aux extrmes. Au fond, je crois, un mysti-cisme fondamental, moins conscient, et qui n'avait rien dece que nous appelons dvotion. Trs pntr, avec cela,et c'est assez dans l'ordre, de sacramentalisme. Quandnous tions Fribourg, en 1905, c'tait une souffrancepour lui de ne plus dire la messe. Et son got, des der-nires annes, pour l'anglicanisme, s'expliquait aussi parl. Le besoin de rites, d'une Eglise, romaine ou non. Aveccela, et pas malgr, une tendance trs forte au pan-thisme, mais combattue comme tentation. Et puis, unechose que Houtin et ceux qui lui ressemblent ne com-prendront jamais, le dsir, irlandais, d'un ct, etchrtien, de l'autre, d'aller aussi loin que possible dansla voie des concessions, surtout lorsqu'il s'agissait decalmer des inquitudes. Presque tous ses crits anonymes,

    ainsi la lettre au professeur1, des tentes provisoi-

    1. La Lettre un Professeur d'Anthropologie, dont il at parl plus haut, p. 12.C'est le titre de la traductionfranaise (1908). La lettre, avec une introduction, desnotes et un pilogue, avait t publie par Tyrrell lui-mme, sous le titre A much abused Letter, la fin de1906.

  • TYRRELLET BREMOND 45

    res, Omnibus omnia factus. Il est trs certain que la plu-part des solutions tentative qu'il proposait ainsi ne l'int-ressaient dj plus lorsqu'il les produisait. Et un aban-don ptulant avec le premier venu. Je lui faisais des sc-nes quand nous sortions de quelque soire moderniste oil avait parl ou des agits, ou des nigauds, ou desintrigants, comme il vous aurait parl vous-mme.He was wild. L'autobiographie, si belle, me semble-t-il,prte aux contre-sens les plus absurdes. F. Maturin, trsnoble nature, le seul prtre qui ait eu le courage d'as-sister avec moi aux funrailles, ds qu'il eut parcourul'autobiographie, n'a plus voulu entendre parler de Tyr-rell. Je pense que vous savez l'origine de cet crit: il vou-lait tout bonnement se faire connatre une personne,

    qui voulait se mettre sous sa direction. Cela revient dire: Voil qui je suis. Vous voyez bien qu'il faut vousadresser ailleurs. Encore une fois, le moyen, non pas deleur expliquer, mais de leur faire comprendre, que cetinexplicable est plus sincre et religieux que l'eau clairede tant d'esprits !

    Miss Petre, de son ct, m'crivait, le 13 novem-bre 1926 :

    Dire que Tyrrell poursuivait (en crivant) des buts par-ticuliers est grotesquement le mconnatre. Son dfauttait. l'oppos: le manque de plan dfini, la promptitude suivre l'impulsion et la lumire du moment. Mais, par-dessous et travers tout, rien qu'un dvouement total la religion, un dvouement plus fort, la vrit, quesa conviction, et si fort, qu'il estimait sa vie de nulle va-leur sans cela. Naturellement il s'adaptait sa compa-gnie ; c'tait un de ses excs. Et Houtin aurait aisementobtenu de lui, en matires religieuses, toutes les assertions

  • 46 TYRRELLET BREMOND

    ngatives qu'il souhaitait, sans jamais (pour autant)comprendre l'homme avec lequel il conversait.

    Ces deux tmoignages me semblent suffisantspour dterminer le caractre vrai de George Tyr-rel. Je tiens grand honneur de les avoir reus, etje m'en voudrais d'y ajouter un seul mot. Le lec-teur intelligent et sans parti pris n'aura pas be-soin de mes commentaires x.

    1. Le mme lecteur est averti que, pour mnager Hou-tin et Sartiaux, qui, pendant longtemps m'ont t des amisassidus, aussi pour la propret de mon papier, je m'abs-tiens d'examiner critiquement les calomnieuses et rpu-gnantes notices concernant Bremond, les modernistes engnral et moi-mme, qui se lisent dans l'uvre posthumede Houtin, Ma Vie laque (supr. cit.), 142-144, 155-161,233-263. Sur la crise mentale dont me parat avoir ttravaill Albert Houtin dans ses dernires annes,l'on peutvoir Mmoires,III, 503-506.

  • CHAPITRE II

    UN DISCOURS ACADMIQUE

    Louis Duchesne, directeur de l'Ecole franaised'archologie Rome, membre de l'Acadmie

    franaise, protonotaire apostolique, chanoine ho-noraire de Paris, professeur honoraire l'Institut

    catholique du mme lieu, etc., etc., tait mort Rome le 21 avril 1922. Dans sa lettre date du1er mai, Bremond me disait :

    Barrs m'crit qu'il faut, sans hsiter, poser ma can-didature au fauteuil Duchesne. J'hsite pourtant avantde faire le saut. Mais, si c'est l'heure du destin, pourquoine pas essayer? On ne sait jamais; mais j'ai l'impressionque, heureux ou non, je ne serais pas trop ridicule.

    Ridicule, non. A ne considrer que les titres lit-

    traires, Bremond pouvait prtendre l'Acadmieautant que personne en France. La question quenous aurions d peut-tre nous poser d'abord au-rait t de savoir si le succs tait souhaitable.Nous n'y songemes point alors, n'tant pas -mme de peser exactement le pour et le contre.

  • 48 UN DISCOURSACADMIQUE

    Peu auparavant nous avions agit ensembled'autres projets. Devant l'immense perspectivequ'ouvraient devant lui les premiers volumes deson histoire du mysticisme franais, Bremond au-rait souhait avoir quelque part une chaire autourde laquelle il aurait pu grouper des disciples quibientt deviendraient des collaborateurs : excel-lente ide, qni, si elle avait t ralise, aurait tbien plus riche de consquences vraiment utiles

    que l'entre l'Acadmie franaise. Mais les son-

    dages effectus de divers cts avaient t infruc-tueux : pour les tablissements catholiques dehaut enseignement, Facult de Thologie catho-

    lique de Strasbourg, Institut catholique de Paris,Bremond semblait indsirable ; du ct des ta-

    blissements de l'Etat, l'intrt n'tait pas bienveill ni l'intelligence bien ouverte sur l'histoiredu mysticisme, et l'on tait plutt dconcert quesduit par le zle de Bremond pour Fnelon contreBossuet dans l'affaire du quitisme. Aprs tout,l'Acadmie tait une faon de tribune, et l'on

    pouvait esprer, bien que l'exemple mme de Du-chesne prouvt l'insuffisance de cette garantie, queson prestige serait une protection contre les chas-seurs d'hrsie. Mais, l'usage, l'Acadmie devaitse rvler plutt comme un lieu de reprsentationplus ou moins artificielle, non de libre enseigne-

  • UN DISCOURSACADMIQUE 49

    4

    ment, et l'uvre de Bremond ne fut garantiecontre des censures ineptes que par le courage etla prudence de son auteur.

    1

    Le premier acte officiel d'un membre de notre

    grande Acadmie est l'loge public de son prd-cesseur, de la carrire de celui-ci et de ses travauxlittraires. Ordinairement, la tche n'est pas trs

    complique, car il s'agit de retracer une vie sans

    mystre et des crits qui ont eu quelque succs, enassaisonnant de pointes lgres un bloc de louangesdlicates. On est indulgent pour les grands soldats,sauveurs de la patrie, et on ne leur demande pas de

    rhtorique. Le cas d'un Pasteur reu par un Renan,o deux philosophies gnrales de l'univers et dela vie se sont affrontes en termes courtois, est

    exceptionnel.Celui de Bremond louant Duchesne, et reu

    par un romancier des plus catholiques, semblerait, premire vue, ne pas sortir de l'ordinaire ; il tait,au contraire, des plus difficiles. Un ecclsiastiqueclbrant un autre ecclsiastique sous la bndic-tion d'un fidle de leur Eglise, n'est-ce pas del'harmonie prtablie ? Dans la ralit, il s'agis-sait d'un matre de la psychologie religieuse, his-

  • 50 UN DISCOURSACADMIQUE

    torien original et pntrant, objectif et sympathi-sant, du haut mysticisme, et d'un historien mi-nent de l'Eglise ancienne, grand tombeur de l-

    gendes et dnicheur de faux saints, dont on pou-vait se demander comment il accordait sa scienceavec la foi de l'Eglise : beau thme d'une tude

    approfondie sur l'harmonie ou l'incompatibilitde la science et de la religion dans une consciencede prtre au xxe sicle.

    L'acadmicien catholique Etienne Lamy, quiavait reu Duchesne lui-mme le 14 janvier 1911,s'en tait tir en plaidant doucement la cause de latradition contre la critique pour ce qui concernait

    l'apostolicit de nos Eglises, et en saluant dansl'historien du christianisme le crateur d'une nou-velle apologtique. Bremond allait-il tomber dansce genre superficiel, blmer la critique, si discrte-ment que ce ft, et exalter l'apologiste, qui, en

    fait, n'avait pas exist ? Il se trouverait con-damn d'avance, s'il voulait tre tout fait sin-

    cre, heurter les sentiments des acadmiciens

    professionnellement catholiques ; et il ne froisse-rait pas moins les sentiments des rationalistes ab-

    solus, en signalant chez Duchesne un genre de

    religiosit qui avait restreint sur certains points lalibert coutumire de sa critique.

    C'est que l'Acadmie franaise, en sa partie

  • UN DISCOURSACADMIQUE 51

    conservatrice et catholique, ne saurait tre consi-dre comme une maison de nouveauts. Le jourmme de sa rception, 22 mai 1924, Bremond, lui

    aussi, fut discrtement blm par M. Henry Bor-

    deaux, pour avoir, aprs Duchesne, mis de ct la

    lgende provenale concernant Lazare et ses surs,venus de Palestine, dans une barque sans agrs,apporter les premiers l'Evangile en Gaule. Voicicomment la chose est prsente par le pieux ro-mancier :

    L'aventure de mer tenta un jour Mgr Duchesne. Ainsile voyons-nous guettant sur la Mditerrane un frleesquif, qui de l'Orient vient sans rames et sans voiles pourtenter d'aborder aux ctes de Provence. De quel butinl'embarcation tait-elle charge? Elle portait, comme cesbarques d'oranges qui laissent un sillage de parfums, deslgendes tisses d'or. Le naufrage tait d'importance.Mais, pendant l'opration, la flottille de saint Pierre avaitpass. Car, somme toute, il faut bien que les disciples deJsus aient travers la mer pour vangliser votre paysnatal. Que n'tiez-vous l, Monsieur, pour assister leurdbarquement? Vous n'auriez pu rsister au plaisir dednombrer Marthe et Marie-Madeleine.

    L'on ne saurait mettre en termes plus galantsdes contre-vrits plus naves. C'est grande mer-veille que l'on puisse encore, en notre temps, au

    pays de Renan, soutenir l'historicit de pareillesfables. Duchesne a ruin bien d'autres lgendesapparemment plus recommandes que celle-l,

  • 52 UN DISCOURSACADMIQUE

    dont il est bien permis de dire qu'elle n'est pasmieux garantie en sa substance que les mirifiquesaventures de Cendrillon ou celles de Peau-d'Ane.Mais il n'est pas indiffrent de noter que ces fan-taisies sont honores officiellement dans le plushaut sanctuaire des lettres franaises. On aurait

    pu cependant, la rigueur, y apprendre, - cartout le monde aujourd'hui peut savoir - quel'Evangile, en son premier ge, ne fut gure portqu'aux endroits, d'ailleurs assez nombreux, surtoutdans le pourtour de la Mditerrane orientale, oil existait des colonies juives, et que, d'aprs les

    tmoignages les plus authentiques et les plus expli-cites, la foi vanglique ne fut pas introduite dansles Gaules en ces premiers temps, la plus anciennecommunaut chrtienne qui ait t fonde chez

    nous, elle le fut par des chrtiens d'Asie,tant celle de Lyon, dont l'origine ne semble pasremonter beaucoup plus haut que le milieu dusecond sicle. L'apostolicit des Eglises de Francen'est qu'un pieux roman tardivement et fictive-ment invent. Mais peut-tre l'Acadmie estime-t-elle encore que le premier vque de Paris, De-

    nys, qui fut martyris au me sicle, est identique Denys l'Aropagite, converti de saint Paul, etauteur des crits, composs vers l'an 500 parun chrtien noplatonicien, qui ont t attribus

  • UN DISCOURSACADMIQUE 53

    par une fiction littraire ce Denys. Toujours est-il que l'Acadmie franaise, en sa partie raction-naire et catholique, n'tait pas dispose s'assimi-ler la critique de Duchesne ni la psychologie mys-tique de Bremond. Sur ces deux points l'on peutdire qu'elle s'en est tenue jusqu' nos jours latradition du moyen ge et Bossuet.

    En ce qui regarde Bremond, notre monde univer-sitaire et ce qu'on appelle le grand public n'taient

    gure mieux prpars que l'Acadmie. Un rationa-lisme un peu sec, plutt hostile la mystique chr-tienne et toute mystique, y rgnait encore. Lc'tait la personnalit de Bremond qui serait

    incomprise, et sa faon d'interprter la religiositde Duchesne. Comme reprsentant qualifi decette mentalit strictement intellectualiste, on

    peut citer le critique littraire Paul Souday, qui,dans le Temps du 24 mai 1924, o il rendait comptede la rception acadmique de Bremond, appr-ciait assez durement son uvre mystique et sa

    faon d'interprter, soit l'uvre historique, soitla religiosit de Duchesne. Bremond avait ditdans son discours :

    La critique pure est un mythe, la table rase, tant van-te dans le Discours de la Mthode,une chimre. Plus ru-dit que Bossuet, Gibbon ne parat pas plus rfractaire quelui ces obscures consignes qu'labore notre me pro-

  • 54 UN DISCOURSACADMIQUE

    fonde et qui, bien qu' notre insu, commandent les prin-cipales dmarches de notre esprit. L'ide de sa grandeHistoire a jailli en lui, Rome, pendant que les moinesdchausss marmottaient leurs litanies dans le temple deJupiter . Demain Gibbon viendra aux documents, maisil sait ds aujourd'hui o ces documents le mneront: ilracontera l'agonie de la civilisation vritable, Decline andFall, le triomphe de la Barbarie, c'est--dire du christia-nisme. Comme il lui plaira. Mais c'est l une vue de pote,

    de philosophe peut-tre, mais pas de critique. Renanfait de mme. Avant d'aborder les Evangiles, il tient lefil conducteur: Dieu n'intervient pas, ne peut pas inter-venir dans les choses de ce monde; ce serait l un miracle,et il n'y a pas de miracle. Mgr Duchesne partait d'uneconviction du mme ordre, mais toute contraire. Assur-ment il ne se faisait pas du miracle l'image enfantine quiprovoquait jadis la verve facile des incroyants. Il n'taitpas de ceux qui, pour donner sa vraie porte une scnede martyre, veulent que du cou sanglant de la victimes'chappe un ruisseau de lait. Mais chez lui, en revanche,quelle intelligence srieuse, profonde, du miracle chr-tien par excellence: l'Homme-Dieu ressuscit, vivant,agissant dans l'Eglise, et modifiant ainsi, par une inter-vention constante, l'ordre naturel des choses!. PourDuchesne (l'histoire de l'Eglise) est avant tout l'histoired'une religion, c'est--dire d'une vie spirituelle, combat-tue sans doute, mais miraculeusement persistante etindfiniment propage, vie tout intime, la vrit, maisd'autant plus relle, et que l'historien de l'Eglise doittoujours se rendre prsente, sous peine de ne rien en-tendre aux vnements qu'il raconte.

    De l vient, rcompense infaillible, l'extrme valeurapologtique de cette histoire, qui n'est pas une apolo-gie.

  • UN DISCOURSACADMIQUE 55

    Et voil que Paul Souday, soulev, lui aussi, parl'instinct et la consigne de son me profonde, semet vocifrer contre Bremond :

    Qu'il parle pour lui! C'est bien l sa mthode, et ill'avoue, que dis-je? il s'en vante assez! Mais il ne con-nat pas les savants. Se figure-t-il que Gibbon ignoraitl'histoire du christianisme et de l'empire avant d'entre-prendre son ouvrage, et que Renan n'avait jamais lu lesEvangiles avant de commencer d'crire la Viede Jsus ?.Les intuitions des savants et penseurs de gnie sont lersultat et la rcompense de patientes tudes, d'unelongue gestation intellectuelle. Le fil conducteur quiguidait Gibbon ou Renan dans la rdaction de leurs u-vres, ils l'avaient conquis par des annes de travail et demditation pralables.

    Mgr Duchesne n'et pas accept ce point de vue. Jeme souviens qu'il m'a dit un jour: Vous avez raisoncontre le pragmatisme de Bourget. La vraie doctrine del'Eglise est intellectualiste. Mis part les principes dudogme, qu'il ne discutait pas, Mgr Duchesne conce-vait l'histoire avec la mme absence de prvention et lamme soumission aux faits qu'un Gibbon ou un Renan.Son Histoire ancienne de l'Eglise est un chef-d'uvrede clairvoyance et d'objectivit. C'est bien pourquoi ellea scandalis tant de fidles et encouru les foudres ro-maines.

    Pour finir, Souday accable Bremond d'un griefnonc dans la rponse de Henry Bordeaux :

    Il a montr qu'en se privant de M.Bremond, les Jsui-tes l'avaient gard demi; il a parl de revanche desJsuites propos de certains de ses livres. Cela est sen-

  • 56 UN DISCOURSACADMIQUE

    sible dans tout ce que M. Bremond a crit sur Port-Royal,et aussi sur Bossuet, trop ami des Port-royalistes et tropgallican.

    Sur ce grief imaginaire, nous reviendrons dans le

    chapitre spcial qui sera consacr l'affaire du

    quitisme .Pour le principal du rquisitoire, on dirait que

    Bremond et Souday sont aux antipodes l'un de

    l'autre, alors que leur opposition tient pour une

    large part ce que Souday n'a pas compris Bre-

    mond, et qu'il n'a pas non plus trs exactement

    compris Duchesne. Bremond n'a pas soutenu queGibbon n'avait pas tudi l'histoire du christia-nisme et de l'empire quand il eut l'intuition qui lui

    parut clairer toute cette histoire, ni que Renann'avait pas lu les Evangiles quand il crivit la Viede Jsus. Bremond a voulu dire et il a dit que cesdeux hommes, qui ne furent ni l'un ni l'autre demdiocres historiens, ont eu l'un et l'autre, unmoment donn, le sentiment trs net d'un prin-cipe qui tait, ou qu'ils crurent tre, la clef del'histoire qu'ils s'efforaient de construire. Rienn'est plus vraisemblable ; et sans doute Bremondlui-mme aurait-il pu nous dire, et je crois bien

    qu'il nous dira ici, quel moment lui est apparule principe essentiel de sa religion, par lequel s'estclaire pour lui l'histoire du mysticisme. On peut

  • UN DISCOURSACADMIQUE 57

    croire que Souday n'avait jamais fait pareille exp-rience.

    Il va sans dire que Bremond jugeait errone l'in-tuition de Gibbon. Cette intuition n'tait pas tout fait fausse en ce qui regarde la part, d'ailleursaccessoire et secondaire, qu'eut le christianismedans l'affaiblissement et l'effondrement de l'em-

    pire romain; mais elle tait essentiellement faussedans son postulat gnral, savoir, qu'une culture

    qui aurait reprsent le capital accumul de la v-rit humaine aurait t ruine par le christianismeau profit de la barbarie. Le christianisme apportaitau monde un principe de vrit morale qui tait

    suprieur la culture antique, et il a sauv decelle-ci ce qui en pouvait tre utilement conserv.

    Cela, Gibbon ne l'a pas vu, ni Souday. Bremondavait parfaitement raison de penser que la critiquepure est un mythe, et aussi l'historien purementobjectif; l'historien n'est objectif que dans lamesure o il connat et comprend exactement les

    tmoignages, et aussi compte tenu des principesgnraux, quels qu'ils soient, d'aprs lesquels ilcroit pouvoir et devoir interprter les faits cons-tats.

    Ceci pos, j'avouerai en toute simplicit au lec-teur ingnu que les lignes concernant Renan mesemblent avoir t htivement conues et ajoutes

  • 58 UN DISCOURSACADMIQUE

    peut-tre dans le discours pour l'dification desauditeurs et lecteurs catholiques. Si Bremondavait pris le temps de rflchir, il n'aurait pas dit

    que la ngation du miracle, au sens o on l'en-tend communment, c'est--dire, le miracle ma-

    gique, tait fondamentale dans la philosophiede Renan et dominait son histoire des origineschrtiennes. L'intuition o Renan a pens perce-voir le principe de tout le progrs humain, c'estson ide de la science comme source unique de la

    vrit, et la ngation du miracle, bien que coor-donne ce principe, aura t plutt, comme il ledit lui-mme, une consquence de ses recherches.

    Et pour ce qui est de Duchesne, Souday, qui,dcidment, tait un peu trop ferm la psycho-logie religieuse, a nglig de nous dire commentDuchesne accommodait sonchef-d'uvre de clair-

    voyance et d'objectivit avec les principes du

    dogme, qu'il ne discutait pas . Est-ce que YHis-toire ancienne de l'Eglise ne concernait pas ces principes indiscuts du dogme, ou ces prin-cipes du dogme indiscut ? A quoi correspon-dait, dans la conscience de Duchesne, cette mise

    part des principes dogmatiques ? Etait-ce simpleattitude d'un ecclsiastique soucieux de correction

    professionnelle, pour n'attirer pas sur lui les con-damnations de l'Eglise, comme l'ont murmur

  • UN DISCOURSACADMIQUE 59

    certains ennemis cachs de Duchesne, et commel'ont affirm certains nergumnes qui ne mesurent

    pas la porte de leurs assertions gratuites ? Oubien derrire cette attitude, qui n'est pas con-

    testable, n'y avait-il pas une relle conviction, ouun profond sentiment, et de quel caractre ? Entoute hypothse, n'y avait-il pas, dans l'uvre de

    Duchesne, surtout dans l'Histoire ancienne de

    l'Eglise, une adaptation ncessaire de l'exposhistorique cette attitude, ou bien une influence

    plus intime de cette conviction et de ce sentimentsur l'expos historique, moins, ce qui est pos-sible, et ce qui est plutt la vrit, que toutesces causes ne soient intervenues simultanmentdans le travail de l'historien ? Ces questions, pour-tant si importantes, Souday, disciple de Voltairebien plus que de Renan, n'a pas eu seulementl'ide de les poser.

    Bremond se les est srement poses lui-mme,et nous en aurons bientt la preuve; mais, dansson discours, il ne les pose pas; il a sa faon, pluttsommaire, de les rsoudre, en substituant auxdiscussions particulires qui n'auraient pas t leur place en une occasion si solennelle et devantun auditoire mal prpar les comprendre, unegrande conception religieuse de l'histoire ecclsias-

    tique en son premier ge, cette histoire ayant t

  • 60 UN DISCOURSACADMIQUE

    comme l'action incessante, visible pour la foi, vri-fiable dans une large mesure pour l'observateur sans

    parti pris, du Christ immortel dans son Eglisegrandissante. Nous sommes loin de Paul Souday,un peu trop loin peut-tre. Et ici encore j'avoueraiau lecteur ma perplexit grande. En relisant lediscours en vue de la prsente tude, je fus tout

    surpris de la trouver nouvelle, cette doctrine philo-sophico-historique, et de n'y point reconnatre Du-chesne. Quand je dis nouvelle, entendons-nous, carla doctrine existe ailleurs ; mais je ne me souve-nais pas de l'avoir vue toute forme dans l'Histoireancienne de l'Eglise. Bremond l'en avait-il dduite

    par voie d'interprtation, je n'oserais l'affirmer ;ou bien aurait-il voulu donner une traduction,ad usum Academiae, des sentiments religieuxqu'il savait avoir exist chez Duchesne, on pourraitle supposer, et cette seconde hypothse serait com-

    patible avec la premire. La description de la doc-trine pourrait tre ad usum Academiae, mais ellen'aurait pas t rattache sans motif VHistoireancienne de l'Eglise. Je ne puis donc que renvoyer,pour vrification, le lecteur comptent, cet ou-

    vrage, qui est d'une lecture captivante. Pour ma

    part, je dirai, sans malice aucune, que Bremondaurait t quelque peu empch de nous rvler le

    jour o Duchesne aurait eu l'intuition du principe

  • UN DISCOURSACADMIQUE 61

    qui, si nous en croyons Bremond lui-mme, sup-porterait sa thorie apologtique.

    Et maintenant voyons sur documents toute la

    peine que Bremond s'est donne pour construireson discours.

    II

    Ds le 25 avril 1923, six jours aprs l'lection,rpondant en hte mes flicitations, en

    proie toutes les sauterelles de la Bible, photo-graphes, reporters, visites, etc., etc. - il medisait :

    Le discours est un gros morceau. J'ai envie de les dce-voir en restant parfaitement grave, le contraire exac-tement du discours Duchesne sur Mathieu.

    Les, c'est l'Acadmie elle-mme, surtout ceux deses membres qui n'avaient pas vot pour lui,entre autres le Marchal Foch, dont de bonnesmes avaient su inquiter la conscience au dernier

    moment, et les malveillants du dehors.

    Dfinition et histoire de l'esprit critique. Grandcouplet, face M. de Meaux. sur Richard Simon.

    Bremond a bientt renonc cette digressionsur la critique biblique, mais il a gard assez

    longtemps l'ide de la prsenter sous une autreforme.

  • 62 UN DISCOURSACADMIQUE

    L'ironie qui l'accompagne quasi ncessairement, et lestyle.

    J'entends que l'ironie accompagne souvent la

    critique, et que le style de Duchesne en tait tout

    pntr. Le fait est qu' cet gard, il avait pris pourmatre Voltaire. Sur ce point je suis document,car il m'a plusieurs fois recommand ce modle,auquel je dois dire, pour l'dification du lecteur,que j'ai toujours prfr Fnelon, celui du Tl-

    maque; mais celui-l n'est pas moins quitiste quecelui des Maximes des Saints.

    Psychologie de la soumission Rome, etc., etc.

    Cela s'entend de la soumission de Duchesne la mise l'Index de l'Histoire ancienne de VEglise,et aussi bien de son romanisme en gnral, qui taitune particularit de sa religion.

    Mme sujet repris, avec une certaine ampleur,dans la lettre du 9 mai 1923 :

    Je vais me mettre au discours, et malheureusementj'ai peu de temps devant moi, et vous tes loin. - Quede problmes!

    Je suis bien dcid ne pas refaire son propre discourssur Mathieu, qui avait dplu par son ironie un peu ap-puye, et d'ailleurs un peu facile. Je serai peu prsconstamment srieux.

    Le savant et l'crivain. Je voudrais tout ramener, -more patrum- une dfinition vivante de l'esprit critique,en esquissant, ce propos, l'histoire, quasi toute fran-

  • UN DISCOURSACADMIQUE 63

    aise, de la naissance de cet esprit: ce qui me ramnerait votre Renan du Collge de France, qui a ravi Ana-tole France.

    Bremond a en vue le petit discours, sur Renan

    enseignant