flaubert - bouvard et

406
  Flaubert, Gustave (1821-1880). Bouvard et Pécuchet : oeuvre posthume. 1891. 1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numériques d'oeuvres tombées dans le domaine public provenant des collections de la BnF.Leur réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 : *La réutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source. *La réutilisatio n commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par réutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produits élaborés ou de fournitur e de service. Cliquer ici pour accéder aux tarifs et à la licence 2/ Les contenus de Gallica sont la propriété de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques. 3/ Quelques contenus sont soumis à un régime de réutilisation particulier. Il s'agit : *des reproductions de documents protégés par un droit d'auteur appartenant à un tiers. Ces documents ne peuvent être réutilisés, sauf dans le cadre de la copie privée, sans l'autorisation préalable du titulaire des droits. *des reproductions de documents conservés dans les bibliothèques ou autres institutions partenair es. Ceux-ci sont signalés par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothè que municipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisat eur est invité à s'informer auprès de ces bibliothèques de leurs conditions de réutilisati on. 4/ Gallica constitue une base de données, dont la BnF est le producteur, protégée au sens des articles L341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle. 5/ Les présentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica sont régies par la loi française. En cas de réutilisation prévue dans un autre pays, il appartient à chaque utilisateur de vérifier la conformité de son projet avec le droit de ce pays. 6/ L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions d'utilisation ainsi que la législation en vigueur, notamment en matière de propriété intellectuelle. En cas de non respect de ces dispositions, il est notamment passible d'une amende prévue par la loi du 17 juillet 1978. 7/ Pour obtenir un document de Gallica en haute définition, contacter [email protected].

Upload: psaiani

Post on 12-Jul-2015

98 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 1/405

 

Flaubert, Gustave (1821-1880). Bouvard et Pécuchet : oeuvre posthume. 1891.

1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numériques d'oeuvres tombées dans le domaine public provenant des collections de la

BnF.Leur réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978 :

*La réutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source.

*La réutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par réutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produits

élaborés ou de fourniture de service.

Cliquer ici pour accéder aux tarifs et à la licence 

2/ Les contenus de Gallica sont la propriété de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques.

3/ Quelques contenus sont soumis à un régime de réutilisation particulier. Il s'agit :

*des reproductions de documents protégés par un droit d'auteur appartenant à un tiers. Ces documents ne peuvent être réutilisés, sauf dans le cadre de la copie privée, sansl'autorisation préalable du titulaire des droits.

*des reproductions de documents conservés dans les bibliothèques ou autres institutions partenaires. Ceux-ci sont signalés par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothèque

municipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisateur est invité à s'informer auprès de ces bibliothèques de leurs conditions de réutilisation.

4/ Gallica constitue une base de données, dont la BnF est le producteur, protégée au sens des articles L341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle.

5/ Les présentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica sont régies par la loi française. En cas de réutilisation prévue dans un autre pays, il appartient à chaque utilisateur

de vérifier la conformité de son projet avec le droit de ce pays.

6/ L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions d'utilisation ainsi que la législation en vigueur, notamment en matière de propriété intellectuelle. En cas de non

respect de ces dispositions, il est notamment passible d'une amende prévue par la loi du 17 juillet 1978.

7/ Pour obtenir un document de Gallica en haute définition, contacter [email protected].

Page 2: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 2/405

RELIURESERREEAbsencedémargesintérieures

VALABLEPOURTOUTOUPARTIEDU

DOCUMENTREPRODUIT

NNsiMtMpMUeMe CotweftuTessupétieuteet intérieute

manquantes

Page 3: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 3/405

'i?Tp~~Tîrn ~ f̀~l;~AN~ rjB<u,uiiJË<Jt~

Page 4: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 4/405

MADANEBOVARY,mœurs de province. ËmTJOKBËnNmvs,suivie des Réquisitoire, Plaidoirie et Jugement du PMCÈsan'ENTËA t'ACTEnadevant le Tribunal

correctionnelde

Paris (Audiences des 3i janvier et 7 février 1857).. i voi.

SAÏtAMMBO, ëDmoN D~MiTtVE avec documents nou- `-

veaux. 1 vo!.

LA TENTATION DE SAINT ANTOINE. Édition déa-nitive.A. Ivot,

~0!S CONTES(Un cœur simple. La légende de Saint. JaMea.it'BospitaUer.–Merodias). (6"miUe). ivot.

L'&ttrCATÏON SENTÏMENTALE.Histoire d'un jeune homme(éditiondéanitive). ivoï.

LETTRES DE 6USTAVE FLAUBERTA 6EORGE SAND,pré.cédées d'une étude, par Gur DBMAUPASSANT(3<mMe) i vol.

PAR LU CHAMPSET PARLES BREVES(Voyage en Bretagne),

suivi de mélanges inédits (3*mille) i vol.BOUVARDET PECUCHET (œuvre posthume, nouvelle édi-

tion). ivdL

CORRESPONDANCE(tomes 1 et N) (3emUIe). 2 vûi.

LB CANDIDAT, Comédie en 4 actes, in-i6. 2 ip~

ChMet'ufut.–Typ&gMpMeetStéréetypteA.Nt~MM.

OUVRAGES DU MEME AUTEUR

PUBMËS DA~S LA BIBUOTHÈQUB CHARPENTIER

A 3 & 50 le volume.

Page 5: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 5/405

BOUVARDETPECUCHETCEUVREPOSTHUME

GUSTAVEFLAUBERT

PARISBIBLIOTHÈQUE CHARPENTIER

ii, MB M OBENBLM, ii

1 i89i

Page 6: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 6/405

<

BOUVARDETPECUCHET

1

Commeil faisaitune chaleur de trente-trois de-grés, le boulevardBourdon se trouvait absolumentdésert.

Plusbas lecanal Saint-Martin,fermépar les deuxécluses, étalait en ligne droite son eau couleurd'encre.Il

yavaitau milieuun bateau

pleinde

bois,et sur la berge deux rangs de barriques.Au delàdu canal, entre les maisonsque séparent

des chantiers, le grand cielpur se découpaiten pla-ques d'outremer, 'et sous la réverbérationdu soleil,les façadesblanches, les toits d'ardoises, les quaisde granit éblouissaient.Unerumeur confusemontaitauloin dans Fatmosphèretiède; et tout semblaiten-gourdi par Ie~désœuvrement du dimanche et latristesse des jours d'été.

Deuxhommesparurent.

L'un venait de la Bastille, l'autre du Jardin desPlàntes. Le plus grand, vêtu de toile, marchait le

Page 7: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 7/405

2 BOUVARD ET P&CUCMKT.

chapeauen arrière, le gilet déboutonnéet sà cravf.ieà la main. Le plus petit, dont le corps disparaissaitdans une redingote marron, baissaitla tête sousunecasquetteà visière pointue.

Quandils furent arrivés au milieu du boulevard,ils s'assirent, à la même minute, sur le mêmebanc.

Pour s'essuyer le front, ils retirèrent leurs coiSu"

res, quechacun

posaprèsde soi et le

petithomme

aperçut, écrit dans le chapeau de. son voisin Bou-vard pendant que celui-ci distinguait aisémentdansla casquetteduparticulier en redingotelemotPécuchet.

« Tiens, » dit-il, « nous avons eu la mômeidée, celle d'inscrire notre nom dans nos couvre-chefs.

MonDieu, oui, on pourrait prendre le mien àmonbureau 1

C'est commemoi, je suis employé.»

Alorsils se considérèrent.L'aspectaimable de Bouvard charmade suite Pé-cuchet.

Ses yeuxbleuâtres, toujoùrsentre-clos,souriaientdans son visage coloré.Un pantalon à grand-pont,qui godait par le bas sur des souliers de castor,moulait son ventre, faisaitbouffersa chemise à laceinture et ses cheveuxblonds,frisésd'eux-mêmesen boucles légères, lui donnaient quelque chosed'enfantin.

Il poussait du bout des lèvres une espèce de sif-

flementcontinu.L'air sérieuxde PécuchetfrappaBouvard.Onauraitdit qu'il portait une perruque, tant les

Page 8: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 8/405

B.OUVARD ET fÉCUCUET. 3

mèches gàrnissant son cr~ne élevé étaient plates etnoires. Sa figure semblait tout on proul, à causedu nez qui descendait très bas. Ses  jambes prisesdans des tuyaux de las~ing manquaient de propor-tion avecla longueur du buste et il avait une voixforte, caverneuse.

Cette exclamation lui échappa « Comme on se-rait bien à la campagne »

Maisla banlieue, selon Bouvard, était assom-mante par le tapage dès guinguettes. Pécuchet

pensait de môme. Il commençait néanmoins à seeentir fatigué de la capitale, Bouvard aussi.

Et leurs yeux erraient sur des tas de pierres àbâtir, sur l'eau hideuse où une botte de paille flot-

tait, sur la cheminée d'une usine se dressant à l'ho-

rizon des miasmes d'égout s'exhalaient. Ils se tour*nèrent de l'autre côté. Alors ils eurent devant euxles murs du Grenier d'abondance.

Décidément(et Pécuchet

enétait surpris)

on avaitencore plus chaud dans la rue que chez soi (

Bouvard l'engagea à mettre bas sa redingote. Lui.il se moquait du qu'en dira-t-on1

Tout à coup un.ivrogne traversa en zigzag le trot-toir et, à propos des ouvriers, ils entamèrent uneconversation politique. Leurs opinions étaient lesmêmes,, bien que Bouvardfût peut-être plus libéral.

Un bruit de ferrailles sonna sur le pavé dans untourbillon de poussière c'étaient trois calèches deremise qui s'en allaient vers Bercy, promenant une

mariée avec son bouquet, des bourgeois en cravateblanche, des dames enfouies ju~u'aux aisselles dansleur jupon, deux ou trois petites filles, un collégien.

Page 9: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 9/405

.4 BOUVARÛ ET PÉCUCHET.

La vue de cette noce amena Bouvardet Pécuchetàparler des femmes, qu'ils déclarèrent frivoles, aca-riâtres, têtues. Malgré cela, elles étaient souventmeilleures que les hommes d'autres fois, ellesétaient pires. Bref, il valait mieux vivresans ellesaussi, Pécuchet était restécélibataire.

« Moi, je suis veuf, » dit Bouvard, « et sans

enfantsC'est peut-être un bonheur pour vous? Mais

la solitude à la longue était bien triste. »

Puis, au bord du quaiparut une fillede joie avecun soldât.Blême, les cheveuxnoirs et marquée depetite vérole, elle s'appuyaitsur le bras du militaire,en'traçant des savates et balançant les hanches. w

Quand elle fut plus loin, Bouvardse permit une jénexion obscène. Pécuchet devint très rouge, etsans doute pour 's'éviter de répondre, lui désignadu regard un prêtre qui s'avançait.

L'ecclésiastique descendit avec lenteur l'avenuedes maigres ormeaux jalonnant le trottoir, et Bou-vard, dès qu'il n'aperçut plus le tricorne, se déclarasoulagé, car il exécrait les jésuites. Pécuchet, sansles absoudra, montra quelque déférence pour lareligion.Cependant le crépuscule tombait, et des per-siennes en face s'étaient relevées. Les passants de-vinrent plus nombreux. Sept heures sonnérent.

Leurs paroles coulaient intarissablement, les re-

marquessuccédantaux anecdotes, les

aperçus phi.losophiques aux considérations individuelles. Ilsdénigrèrent le corpsdes ponts et chaussées,ta régiedes tabacs, le commerce,les théâtres, notre marine

Page 10: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 10/405

BOUVARD ET PÉCUCHET. JH

et tout le genre humain, comme des gens qui ontsubi de grands déboires.Chacunen écoutant l'autre

retrguvait des parties de lui-même oubliées. Etbien qu'ils eussent passé l'âge desémotionsnaïves,ils éprouvaientun plaisir nouveau, une sorte d'é-panouissement, le charme des tendresses à leurdébut.

Vingt foisils s'étaient

levés,s'étaient rassis

etavaient fait la longueur du boulevard, depuis l'é-cluse d'amont jusqu'à l'écluse d'aval, chaque foisvoulants'en aller, n'en ayant pas la force, retenuspar une fascination.

Ils se.quittaient pourtant, et leurs mains étaient jointes, 'quand Bouvarddit tout à coup «.Ma foi!isi nous dînions ensemble?

J'en avais l'idée » reprit Pécuchet, « mais je n'osais pas vous le proposer M»

Et il se laissa conduire, en face de l'Hôtel de

Ville, dans un petit restaurant où l'on serait bien.Bouvard commandale menu.Pécuchet avait peur des épices comme pouvant

lui incendier le corps. Cefut l'objet d'une discus-sionmédicale.Ensuite, ils glorifièrentles avantagesdes sciences que de choses à connaître, que derecherches. si on avaitle temps Hélas1le gagne-pain l'absorbait et ils levèrent les bras d'étonne-ment, ils faillirent s'embrasser par-dessus la tableen découvrantqu'ils étaient tous les deux copistes,Bouvarddans une maisonde commerce, Pécuchet

au ministère de la marine ce qui ne l'empêchaitpas de consacrer, chaque soir, quelques momentsà l'étude. Il avait noté des fautes dans l'ouvrage

Page 11: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 11/405

 € BOUVARD ET PECUCHET..

de M. Thiers, et il parla avecles plus grands res-pectsd'un certain Dumouchel, professeur.

Bouvardl'emportaitpar d'autres côtés. Ss chaînede montre en cheveuxet la manière dont il battaitla remolade décelaient le roquentin plein d'expé-rien.ce,et il mangeait, le coin de la serviette dansl'aisselle, en débitant des choses qui faisaient rire

Pécuchet. C'étaitun rire particulier, une seule notetrès basse, toujours la même poussée à de longsintervalles.Celuide Bouvardétait continu sonore,découvraitses dents, lui secouait les épaules, et lesconsommateursà la porte s'en retournaient.

Le repas fini, ils allèrent prendre le café dansf1un àutre établissement. Pécuchet, :*ncontemplant~les becs de gaz, gémit sur le débordementdu luxe,puis, d'un geste dédaigneux, écarta les journaux.Bouvardétait plus indulgent à leur endroit. Il ai-mait tous les écrivainsen général et avait eu dans

sa jeunesse des dispositionspour être acteur.U voulut faire des tours d'équilibre avec une

queue de billard et deux boules d'ivoire, commeen exécutaitBarberou, un de ses amis. Invariable-ment elles tombaient, et, roulant sur le plancherentre les jambes des personnes, allaient se perdreau loin. Le garçon, qui se levaittoutes les foispourles chercher à quatre pattes sous les banquettes,unit par se plaindre. Pécuchet eut une querelleavec lui le limonadier survint, il n'écouta pas sesexcuses et mômechicanasur la consommation.

Il proposa ensuite de terminer la soirée paisible-ment dans son domicile, qui était tout près, rueSaint-Martin.

Page 12: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 12/405

BOUVARD KTt'ËCUCHET. ?

A peine entré, il endossa une manière do cami-soleen indienneet fit les honneurs de son apparte-ment.

Un bureau de sapin,placéjuste dans le milieu,incommodaitpar ses angles; et tout autour, sur desplanchettes,sur les trois chaises, sur le vieux fau-teuil et dans les coinsse trouvaient pèle-mêleplu-sieurs volumes de l'EncyclopédieRoret, le Manuel

du magnétiseur, un Fénelon, d'autres bouquins,avec des tas de paperasses, deux noixde coco. di-verses médailles, un bonnet turc et des coquillesrapportées du Havre par Dumouchel.Une couchade poussière veloutait les murailles,autrefois pein-tes en jaune. La brosse pour les soutiers traî-nait au bord du lit, dontles draps pendaient. Onvoyaitau plafondune grande tache noire produitepar la fumée de la lampe.

Bouvard,à cause de l'odeur sans doute, demandala permissiond'ouvrir la fenêtre.

« 1 es papiers s'envoleraient » s'écria Pécu-chet, qui redoutait, en plus, les courantsd'air.

Cependantil haletait dans cette petite chambre,chaufféedepuis le matin par les ardoisesde la toi-ture..

Bouvardluî dit« Avotreplace,j'ôterais ma nanello1

-Commentl »Et Pécuchetbaissa la tête, s'effrayant à l'hypo-

thèse de ne plus avoirson gilet dosanté.« Faites-moi la

conduite, reprit Bouvard,« l'air extérieurvous rafraîchira. »EnËhPécuchetrepassases bottesen grommelant

Page 13: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 13/405

8 bOtJVARD ET PÉCUCHET.

« Vous m'ensorcelez, ma parole d'honneur! » Et,malgré la distance, il l'accompagnajusque chezlui,au coin dela ruede Béthune, en facele pont delaTourneIIe.

La chambra de Bouvard, bien cirée, avec des ri-deauxde percale et des meubles en acajou,jouis-sait d'un balcon ayant vue sur la rivière. Les deuxornements

principauxétaient 'un

porte-liqueursau

milieu de la commode,et, le long de la glace, desdaguerréotypes représentant des amis une pein-ture à l'huile occupaitl'alcôve.

«Mononcle » dit Bouvard.Et leflambeau qu'il tenait éclairaun monsieur. <Des favoris rouges élargissaient son visage sur-~

monté d'un toupet frisant par la pointe..Sa hautecravate, avec le triple col de la chemise, du giletde velours et de l'habit noir, l'engonçaient. On avaitCguré des diamants sur le jabot. Ses yeux étaient

bridés aux pommettes, et il souriait d'un petit airnarquois.Pécuchetne put s'empêcher de dire

« Onle prendrait plutôt pour votre père 1C'estmon parrain, » répliqua Bouvardnégli-

gemment, àjoutant qu'il s'appelait de ses nomsdebaptême François-Denys-Bartholomée.Ceuxde Pé-cuchet étaient Juste-Romain-Cyrille,– etils avaientle même'âge quarante-sept ans. Cettecoïncidenceleur fit. plaisir, mais les surprit, chacun ayant crul'autre beaucoup moins  jeune. Ensuite, ils admi-

rèrent 'la Providence, dont les combinaisonspar-fois sont merveilleuses.Car enfin, si .nousn'étions pas sortis tantôt

Page 14: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 14/405

BOUVARDET PÉCUCHET. 9.

t.

pour nous promener, .nous aurions pu mourir avantde nous connaître) 1»

Et s'étant donné l'adresse de leurs patrons, ils sesouhaitèrent une bonne nuit.

«N'allez pas voir les dames H cria Bouvarddans l'escalier.

Pécuchet descendit les marches sans répondre ala gaudriole.

Le lendemain, dans la cour de MM. Descambosfrères tissus d'Alsace, rue liautefeuilie, 92, uneVoixappela

« Bouvard MonsieurBouvard »Celui-cipassa la tête par les carreaux et reconnut

Pécuchet, qui articula plus fort« Je ne suis pas malade Je l'ai retirée 1Quoidonc ?Elle 1dit Pécuchet, en désignant sa poitrms.,

Tous les propos de la journée, avec la tempéra-ture de l'appartement et les labeurs de la diges'ion,l'avaient empoché de dormir, si bien que, n'y tenantplus, il avait rejeté loin de lui sa flanelle. Le matin,il s'était rappelé son action, heureusement sans con-

séquence, et il venait en instruire Bouvard, qui, parlà, fut placé dans son estime à une prodigieuse hau-teur.

Il était le fils d'un petit marchand et n'avait-pasconnu sa mère, morte très jeune. On l'avait, àquinzeans, retiré de pension pour le mettre chez unhuissier. Les gendarmes y survinrent, et le patronfut

envoyéaux

galèreshistoire farouche

quilui

causait encore de l'épouvante. Ensuite, il avait es-sayé de plusieurs états: élève en pharmacie, maître

Page 15: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 15/405

BOUVARD BT PÉCUCHET.iO

d'études, comptable sur un des paquebots de lahaute Seine. Enfin, un chef de division,séduit par

son écriture l'avait engagé commeexpéditionnairemais la conscience d'une instruction défectueuse,avec les besoins d'esprit qu'elle lui donnait, irritaitson humeur et il, vivait complètement seul, sansparents, sans maîtresse. Sa distraction était, le di-

manche, d'inspecterles travaux

publics.Les plus vieux souvenirs de Bouvardle repor-taient sur les bords de la Loire, dans une courdeferme. Un homme, qui était son oncle, l'avait em-mené à Paris pour lui apprendre le commerce.Asamajorité, on lui versa quelques mille francs.Alorsil avait pris femme et ouvert une boutique de con-fiseur. Sixmois plus tard, son épouse disparaissait

en emportantla caisse.Les amis, la bonne chère, etSurtout la paresse; avaient promptementachevé samine. Mais il eut l'inspiration d'utiliser sa belle

main et depuis douze ans, il se tenait dans lamême place, chez MM. Descambosfrères, tissus,rue HautefeuiUe,92. Quant à son oncle, qui autre-fois lui avait expédié comme souvenir le fameuxportrait, Bouvard ignorait même sa résidence etn'en attendait plus rien. Quinzecents livres de re-venu et ses gages de copiste lui permettaient d'al-ler, tous les soirs, faire un somme dans un esta-minet.

Ainsi :leurrencontre avaiteu l'importanced'uneaventure. Ils s'étaient, tout de suite, accrochéspar

des fibres secrètes. D'ailleurs, comment expliquerles sympathies? Pourquoi telle particularité, telleimperfection, indifférenteou odieuse dans celui-ci

Page 16: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 16/405

BOUVARDET PÉCUCHET. u

enchante-t-elle dans celui-là? Ce qu'on appellecoup de foudre est vrai pour toutes tes passons.Avantla fin dela semaine, ils se tutoyèrent.

Souvent,ilsvenaient se chercherà leur comptoir.Dèsque l'un paraissait, l'autre fermait son pupitre,et ils s'en allaientensemble dans les rues. Bouvardmarchaità grandes enjambées, tandisque Pécuchet,multipliant les pas, avecsa redingote qui lui battait

les talons, semblait glisser sur des roulettes. Demême leurs goûts particuliers s'harmonisaient.Bouvard fumaitla pipe, aimaitle fromage,prenaitrégulièrement sa demi-tasse. Pécuchet prisait, nemangeait au dessert que des confitureset trempaitun morceau de sucre dans le café. L'un était con-fiant, étourdi, généreux l'autre discret, méditatif,économe.

Pour lui être agréable, Bouvardvoulut iaire &ireà Pécuchetla connaissancede Barberou. C'étaitunancien commis voyageur, actuellement boursier,très bon enfant, patriote, ami des dames, et quiaffectaitle langage faubourien.Pécuchet le trouvadéplaisant et il conduisitBouvardchez Dumouchel.Cet auteur (car il avait publié une petite mnémo-technie) donnait des leçons de littérature dans unpensionnat de jeunes personnes, avaitdes opinionsorthodoxeset la tenue sérieuse. Il ennuya Bouvard.

Aucun des deu~ n'avait cachéà l'autre son opi-nion. Chacunen reconnut la justesse. Leurshabitu-des changèrentet, quittant leurpension bourgeoise,ilsfinirent

pardiner ensemble tous lesjouK.

ï!s faisaientdes réue&ionssur les piècesde théâtredont on parlait, sur le gouvernement,la chertédes

Page 17: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 17/405

t2 BOUVARD ET PÉCUCHET.

vivres,les fraudes du commerce.Detemps à autre,l'histoire du Collier ou le procès de Fualdès reve-nait dans leurs discours et puis, ils cherchaientlescausesde la Révolutiou.

Ils fanaient le long des boutiques de bric-à-brac.Ils visitèrent le Conservatoiredes Arts et Métiers,Saint-Denis,les Gobelins,les Invalideset toutes lescollections

publiques.Quand on demandait leur passeport, ils faisaientmine de l'avoirperdu, se donnant pour deux étran-gers, deux Anglais.

Dans les galeries do Muséum,ils passèrent ave<~ébahissement devant les quadrupèdes empaillés~avec plaisir devant les papillons, avec indifférencedevant les métaux les fossilesles firent rêver, laconchyliologieles ennuya. Ils examinèrentlesserreschaudespar les vitres, et frémirenten songeant quetous ces feuillagesdistillaientdes poisons.Cequ'ils

admirèrentdu

cèdre,c'est

qu'onl'eût

rapportédans

un chapeau.Ils s'efforcèrent att Louvre de s'enthousiasmer

pour Raphaël-A la grande bibliothèque,ils auraientvouluconnaître le nombre exactdes volumes

Une fois, ils entrèrent au cours d'arabe du Col-lège de France, et le professeur fut étonnéde voirces deux inconnus qui tâchaient de prendre desnotes. Grâce à Barberou, ils pénétrèrent dans lescoulissesd'un petit théâtre. Dumouchelleur procu-ra des billets pour une séance de l'Académie. Ils

s'informaient des découvertes,lisaient les prospec-ts, et, par cette curiosité,leur intelligence se déve<loppa. Au fond d'un horizonplus 'ointain chaque-

Page 18: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 18/405

BOUVARD ET PECUCHET. 13

 jour, ils apercevaient des chosesà la fois confuseset merveilleuses.

En admirant un vieux meuble, ils regrettaient don'avoir pas vécu à l'époque où il servait, bien qu'ilsignorassent absolument cette époque-la. D'après decertains noms, ils imaginaient des pays d'autant plusbeaux qu'ils n'en pouvaient rien préciser. Les ou-

vrages dont les titres étaient pour eux inintelligi-bles leur semblaient contenir un mystère.Et ayant plus d'idées, ils eurent plus de souffran-

tes. Quand une malle-poste les crokait dans les rues,ils sentaient le besoin de partir avec elle. Le quaiaux Fleurs les faisait soupirer pour la campagne.

Un dimanche ils se mirent en marche dès le ma-tin, et, passant par Meudon, Bellevue, Suresnes,Auteuil, tout lo long du jour, ils vagabondèrententre tes vignes, arrachèrent des coquelicots aubord des champs, dormirent sur l'herbe, burent du

lait, mangèrent sous les acacias des guinguettes, etrentrèrent fort tard, poudreux, exténués, ravis. Ilsrenouvelèrent souvent ces promenades. Les lende-mains étaient si tristes, qu'ils finirent par s'en

priver.`La monotonie du bureau leur devenait odieuse.

Continuellement le grattoir et la' sandaraque, lemême encrier, les mêmes plumes et les mêmescompagnons Les jugeant stupides, ils leur par-laient de moins en moins. Cela leur valut des ta-quineries. Ils arrivaient tous les jours après l'heure,

et reçurent des semonces.Autrefois, ils se trouvaient presque heureux

mais leur métier les humiliait depuis qu'ils s'esti-

Page 19: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 19/405

i4 BOUVARDET PÉCUCHET.

maient davantage, et ils se renforçaient dans cedégoût, s'exaltaient mutuellement, se g&taient.Pécuchetcontractala brusquerie de Bouvard, Bou-vard prit quelque chose de la morosité de Pécu-chet.

« J'ai envie de me faire saltimbanque sur lesplaces publiques Mdisait l'un.

« Autant être chiffonnier a s'écriait l'au-tre. ·

Quelle situation abominable Et nul moyen d'ensortir Pas mêmed'espérance

Un après-midi (c'était le 20 janvier i839), Bou-vard étant à soncomptoirreçut une lettre, apportéepar le facteur.

Sesbras se levèrent,sa tête peu à peu se renversaitet il tomba évanouisur le carreau.

Les commis se précipitèrent, on lui ôta sa cra-vate. Onenvoyachercher un médecin.Mrouvritles

yeux puisaux

questions qu'onlui faisait

« Ah c'est que. c'est que. un peud'air me soulagera. Non laissez-moi1 permet-tez a

Et malgré sa corpulence, il courut tout d'une ha-leine jusqu'auministèrede la marine, se passant lamain sur le front, croyant devenir fou, tâchant deS3calmer.

tl fit demanderPécuchet.Pécuchetparut.

« Mononcle est mort j'hérite I

Pas possible »Bouvard montra les ligues suivantes

Page 20: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 20/405

BOUVARD ET PÉCUCHET. ~5

ÉTUDE DE MoTARDIVEL. NOTAIRE.

<f Savigny-en-Septaine, t4 janvier t839.

» Monsieur, t

» Je vous prie de vous rendre en mon étude,

pour y prendre connaissancedu testament de votrepère naturel, M. François-Denys-BartholoméeBou-vard, ex-négociantdans la ville de Nantes, décédéen cette communele 10 du présent mois. Ce tes-tament contient en votre faveur une dispositiontrès importante.

» Agréez,Monsieur,l'assurancedemes respects.

» TARDIVEL,notaire. »

Pécuchet futobligé

de s'asseoir sur une bornedans la cour. Puis il rendit le papier en disantlentement

« Pourvu. que ce ne soit pas. quelquefarce!1

Tu crois que c'est une farce Mreprit Bouvardd'une voix étranglée, pareille à un râle de mori-bond.

Maisle timbre de la poste, le nom de l'étude encaractères d'imprimerie, la signature du notaire,tout prouvait l'authenticité de la nouvelle et ilsse

regardèrent avec un tremblementdu coin de

la buuuheet une larme qui roulait dans leurs yeuxfixes.

Page 21: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 21/405

t6 BOUVARDETPËCCCHET.

L'espaceleur manquait. Ils allèrent jusqu'à l'Arcde Triomphe, revinrent par le bord de l'eau, dé-passèrent Notre-Dame.Bouvard était très rouge. Hdonnaà Pécuchet des coups de poing dans le dos,et pendantcinq minutes, déraisonnacomplètement.

Ils ricanaient malgré eux. Cet héritage, biensûr, devait se monter.

« Ah ce serait trop beau n'en parlonsplus. »

Us en reparlaient. Rien n'empêchait de deman-der tout de suite des explications. Bouvardécrivitau notaire pour en avoir.

Le notaire envoya la copie du testament, lequelse terminait ainsi 1

« En conséquence,je donne à François-Denys-Bartholomée Bouvard, mon fils naturel reconnu,la portion de mes biens disponible par la loi. M

Le bonhomme avait eu ce fils dans sa jeunesse,mais il l'avait tenu à l'écart

soigneusement,le

faisant passer pour un neveu et le '.eveu l'avaittoujours appelé mon oncle, bien que sachant àquoi s'en tenir. Vers la quarantaine, M. Bouvards'était marié, puis était devenu veuf. Ses deux filslégitimes ayant tourné contrairement à ses vues,un remords l'avait pris sur l'abandon où il laissaitdepuis tant d'années son autre enfant. Il l'eûtmême fait venir chez lui, sans l'influence de sacuisinière.Elle le quitta, grâce aux manœuvresdela famille, et, dans.son isolement, près de mourir,il voulut

réparerses torts en

léguantau fruit

deses premières amours tout ce qu'il pouvait de safortune. Elle s'élevaità la moitié d'un million, ce

Page 22: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 22/405

BOUVARD E~ PECUCHET. i7

qui faisaitpour le copiste deuxcent cinquantemillefrancs. L'aîné des frères, M. Étienne, avaitannoncéqu'il respecterait le testament.

Bouvard tomba dans une sorte d'hébétude. Ilrépétait à voix basse, en souriant du sourire pai-sible des ivrognes « Quinze mille livres derente » et Pécuchet, dont la tête pourtant était

plusforte, n'en .revenait

pas.Ils furent secoués brusquement par une lettrede Tardivel. L'autre fils, M. -Alexandre,déclaraitson intention de régler tout devant la justice, 'etmême d'attaquer le legs s'il le pouvait, exigeantau préalable scellés, inventaire, nomination d'unséquestre, etc. 1 Bouvarden eut une maladie bi-lieuse. A peine convalescent,il s'embarqua pourSavigny, d'où il revint, sans conclusion d'aucunesorte et déplorant ses frais de voyage.

Puis ce furent des insomnies, des alternativesde colère et

d'espoir,d'exaltation et d'abattement.

Enfin, au bout de six mois, le sieur Alexandre s'a-paisant, Bouvardentra en possessionde l'héritage.

Son premier cri avait été « Nousnous reti-rerons à la campagne H et ce mot qui liaitson ami à son bonheur, Pécuchet l'avait trouvétout simple. Carl'union de ces deux hommes étaitabsolueet profonde.. 1

Maiscommeil ne voulaitpoint vivre aux crochetsde Bouvard, il ne partirait pas avant sa retraite.Encoredeux ans n'importe Il demeura inflexible

et la chosefut décidée.Pour savoir où s'établir, ils passèrent en revuetoutesles provinces.LeNordétait fertile, mais trop

Page 23: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 23/405

BOUVARD ET PÉCUCHET.i8

froid le Midienchantpur par son climat, mais in-commode vu les moustiques, et le Centre, fran-chement. n'avait rien de curieux. LaBretagne leuraurait convenu, sans l'esprit cagot des habitants.Quant aux régions de l'Est, à cause du patois ger-manique, il n'y fallait pas songer. Maisil y avaitd'autres pays. Qu'était-ce, par exemple, que leForez, le

Bugey,le Roumois? Les cartes de

géo-graphie n'en disaient rien. Dureste, que leur mai-son fût dans tel endroit ou dans tel autre, l'impor-tant c'est qu'ils en auraient une.

Déjà.ils se voyaient en manches de chemise, aubord d'une plate-bande, émondant des rosiers, dtbêchant, binant, maniant de la terre, dépotant destulipes. Ils se réveilleraient au chant de l'alouettepour suivre les charrues, iraient avec un paniercueillir des pommes, regarderaient faire le beurre,battre le grain, tondre les moutons, soigner les

ruches,et

sedélecteraient au

mugissementdes

vaches et à la senteur des foins coupés. Plus d'é-critures plus de chefs 1 plus même de terme à

payer1 Car ils posséderaient un domicileà euxet ils mangeraient les poules de leur basse-cour,

les légumes de leur jardin, et dtneraienten gar-dant leurs sabots!– « Nousferons tout ce qui nousplaira nous laisserons poussernotre barbe »

Ils s'achetèrent des instruments horticoles, puisun tas de choses quipourraient peut-être servir ?,icties qu'une botte à outils (ilen faut toujours.dans

une maison), ensuite des balances, une chaîned'ar-penteur, une baignoire en, cas qu'ils ne fussentmatades, un thermomètre et même un baromètre

Page 24: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 24/405

BOUVARD ETPËCUCHET. i9

« système Gay-Lnssac » pour des expériences de

physique, si la fantaisie leur en prenait. il ne se-rait pas mal, non plus (car on ne peut pas toujourstravailler dehors), d'avoir quelques bons ouvragesde littérature, et ils en cherchèrent, fort em-barrassés parfois de savoir si tel livre était vraiment« un livre de bibliothèquea. Bouvard tranchait la

question.« Eh! nous n'aurons pas besoin de biblio-thèque.

D'ailleurs j'ai la mienne, )' disait Pécuchet.D'avance, ils s'organisaient. Bouvard emporterait

ses meubles. Pécuchet sa grande table noire; ontirerait parti des rideaux et avec un peu de batteriede cuisine ce serait bien suffisant.

Ils s'étaient juré de taire tnnt cela, mais leur fi-

gure rayonnait. Aussi leurs collègues les trouvaientdrôles. Bouvard, qui écrivait étalé sur son pupitre

etles coudes en dehors pour mieux arrondir sa bâ-tarde, poussait son espèce de sifflement tout en

clignant d'un air matin ses lourdes paupières. Pé-cuchet, juché sur un grand tabouret de paille, soi-

gnait toujours les jambages de sa longue écriture,mais en gonflant les narines, pinçait les lèvres,

comme s'il avait peur de lâcher son secret.Après dix-huit mois de recherches, ils n'avaient

rien trouvé. Ils firent des voyages dans tous les en-virons de Paris, et depuis Amiens jusqu'à Évreux,et de Fontainebleau  jusqu'au Havre, Ils voulaient

une campagne qui fût bien la campagne, sans tenu*précisément à un site pittoresque, mais un horizonborné les attristait.

Page 25: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 25/405

20 BOUVARD ET PÉCUCHET.

!!s fuyaientle voisinagedes habitationset redou*taient pourtant la solitude.

Quelquefoisils se décidaient, puis craignant de serepentir plus'tard, ils changeaient d'avis, l'endroitleur ayant paru malsain, ou exposé au vent demer, ou trnp près d'une manufactureou d'un aborddifficile..

Barberoules sauva.Il connaissaitleur rêve, et un beau jour vint leur

dire qu'on lui avait parlé d'un domaine, à Chav~-gnolles, entre Caen et Falaise. Cela consistait enune ferme de trente-huit hectares, avec une ma-dère de: châteauet un jardin en pleinrapport.

Ils se transportèrent dansle Calvados.et ils furententhousiasmés.Seulement, tant de la ferme que dela maison (l'une ne serait pas vendue sans l'autre),on exigeait cent quarante-trois mille francs. Bou-vard n'en donnaitque cent vingtmillet

Pécuchet combattit son entêtement, le pri~ decéder, en~n déclara qu'il compléterait le surplus.C'était toute sa fortune, provenantdu patrimoinedesa mère et de ses économies.Jamais il n'en avaitsoufflé mot, réservant ce capital pour une grandeoccasion.

Tout fut payé vers la fin de 1840, six moisavantsa retraite.

Bouvard n'était plus copiste. D'abord, il avaitcontinué ses fonctionspar défiancede l'avenir, maiss'en était démis une fois certain de l'héritage. Ce-

pendant il retournait volontierschezles MM.Des-cambos, et la veille de son départ il offrit un punchtout le comptoir.

Page 26: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 26/405

BOUVARD ET PÉCUCHET. 21

Pécuchet, au contraire, fut maussade pour sescollègues, et sortit, le dernier jour, en claquantlaporte brutalement.

Il avait à surveiller les emballages, faire un tasde commissions, d'emplettes encore, et prendrecongé de Dumouchel

Lb professeur lui proposa un commerceépisto-

laire, oùil le

tiendraitau courant de la

littératureet après desfélicitationsnouvelles, lui souhaita unebonne santé.

Barberou se montra plus sensible en recevant'l'adieu de Bouvard.Il abandonna exprès une partiede dominos,promit d'aller le voirlà-bas, commandadeux anisetteset l'embrassa.

Bouvard, rentré chez lui, aspira sur son balconune large boufféed'air en se disant «Enfin. » Leslumièresdes quais tremblaientdans l'eau, le roule-ment des omnibus au loin s'apaisait. Il se rappela

des jours heureux.passés dans cette grande ville,despique-niquesau restaurant, des soirsau théâtre,les commérages de sa portière, toutes ses habi-tudes et. il sentit une défaillancede comr, unetristessequ'il n'osaitpas s'avouer.

Pécuchet, jusqu'à deuxheures du matin, se pro-mena dcns sa chambre. Il ne reviendrait plus làtant mieux1 et cependant, pour laisser quelquechosede lui, il grava son nom sur le plâtre de lacheminée.

Le plus gros du bagage était parti dès la veille.

Les instrumentsde jardin, les couchettes,les mate-las, les tables, les chaises, un caléfacteur, la bai-gnoire et trois fûts de Bourgogne iraient par la

Page 27: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 27/405

BOUVARDET PÉCUCHET.2S

Seine, jusqu'au Havre.et de là seraient expédiéssurCaen, où Bouvardqui les attendraiUes ferait parve-nir à Chavignolles.

Maisle portrait de son père, les fauteuils, la caveà liqueurs, les bouquins, la pendule, tous les objetsprécieux furent mis dans une voiture de déména-gementqui s'achemineraitpar Nonancourt,Verneuilet Falaise.Pécuchetvoulut

l'accompagner.11s'installa auprès du conducteur, sur la ban-quette, et, couvert de sa plusvieilleredingote, avecun cache-nez,des mitaineset sa chancelièrede bu-reau, le dimanche-20mars, au petit jour, il sortit dela capitale.

Le mouvementet la nouveautédu voyagel'occu-pèrent les premières heures. Puis les chevauxseralentirent, ce qui amena des disputesavecle con-ducteuretie charretier. Ilschoisissaientd'exécrablesauberges, et, bien qu'ils répondissent de tout, Pé-

cuchet, par excès de prudence, couchait dans lesmêmes gîtes.Le lendemain,on repartait dès l'aube et la route,

toujours la même. s'allongeait en montant jusqu'aubord de l'horizon. Lesmètres de caillouxse succé-daient, les fossésétaient pleins d'eau, la campagnes'étalaitpar grandes surfaces d'un vert monotoneetfroid, desnuages couraientdans le ciel, de temps àautre la pluie tombait. Le troisième jour, des bour-rasques s'élevèrent. Labâche du chariot, mal atta-chée, claquaitau vent comme la voile d'un navire.

Pécuchet baissait la figure sous sa casquette, etchaque fois qu'il ouvrait sa tabatière, il lui fallait,pour garantir sesyeux, se retourner complètement.

Page 28: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 28/405

BOUVARD ET PÉCUCHET. 23

Pendant les cahots, il entendait osciller derrière luitout son bagage et prodiguait les recommandations.

Voyant qu'elles ne servaient à rien, il changea de

tactique ilfit le bon enfant, eut des complaisancesdans les montées pénibles, il poussait à la mue avecles hommes il en vint jusqu'à Jeu? payer le gloriaaprès les repas. Deslors, ils filèrent plus lestement,si bien

qu'auxenvirons de Gauburge l'essieu se

rompit et le chariot resta penché. Pécuchet visitatout de suite l'intérieur les tasses de porcelainegisaient en morceaux. Il leva les bras, en grinçantdes dents, maudit ces deux imbéciles et la journéesuivante fut perdue à cause du charretier qui se

grisa mais il n'eut pas la force de se plaindre, la

couped'amertume étant remplie.Bouvard n'avait quitté Paris que !e surlendemain,

pour diner encore une fois aveu Barberou. Il arrivadans la cour des messageries à la dernière minute,

puisse réveilla devant la cathédrale de

Rouenil

s'était trompé de diligence.Le soir, toutes les places pour Caen étaient rete-

nues ne sachant que faire, il alla au théâtre desArts, et il souriaità ses voisins, disant qu'il était re-tiré du négoce et nouvellement acquéreur d'un do-maine aux alentours. Quand il débarqua le vendredià Caen, ses ballots n'y étaient pas. Il les reçut le di-mancheet les expédia sur une charrette, ayant pré-venu le fermier qu'il les suivrait de quelques heures.

A Falaise, le neuvième jour de son voyaye, Pécu-

chet prit un cheval de renfort, et jusqu'au coucherdu soleil ou marcha bien. Au delà de Bretteville,ayant quitté la grand'route, il s'engagea dans un

Page 29: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 29/405

24 BOUVARD ET PÉCUCHET.

cheminde traverse,croyantvoirà chaqueminute le.pignonde ChavignoIIes.Cependantles ornières s'.effa-çaient elles disparurent, et ils se trouvèrent aumilieu des champs labourés. La nuit tombait. Quedevenir? Enfin Pécuchet abandonnale chariot, et,pataugeant dans la,boue, s'avança devant lui à ladécouverte. Quand il approchait des fermes/les

chiens aboyaient. Il criait de toutes ses forces pourdemander sa route. On ne répondait pas. II avaitpeur et regagnait le large. Toutà coup deux lan-ternes brillèrent. Il aperçut un cabriolet, s'élançapourle rejoindre. Bouvardétait dedans.

Mais où pouvait être la voiture de déménage- <ment? Pendant une heure ils la hélèrent daoj lesténèbres. Enfin elle se retrouva, et ils arrivèrentChavignolles.

Un grand feu de broussailleset depommes de pinflambaitdans la salle. Deux couvertsy étaientmis.

Lesmeublesarrivéssur la charrette encombraientlevestibule.Rien ne manquait. Ils s'attablèrent.

On leur avait préparé une soupe à l'oignon, unpoulet, du' lard et des œufs durs. La vieillefemmequi faisaitla cuisinevenait de' temps à autre s'infor-mer de leurs goûts. Ilsrépondaient « Oh très bon,très bon » et le gros pain difficile à couper, lacrème, les noix, tout les délecta.Le carrelageavaitdes trous, les murs suintaient. Cependantilsprome-naiènt autour d'eux un regard de satisfaction, enmangeant sur la petite table où brûlait une chan-

dellesLeursfiguresétaient rougies par le grand air.Ils,tendaient leur ventre ils s'appuyaient sur ledossierde leur chaise, qui en craquait, et ils se ré-

Page 30: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 30/405

BOUVARDETPÉCUCHET. 25

pétaient « Nousy voilà donc quel bonheur il mesemble que c'est un rêve 1»

Bienqu'il fût minuit, Pécuchet eut l'idée de faireun tour dans le jardin. Bouvard ne s'y refusa pas.Ils prirent la chandelleet, l'abritant avec un vieux

 journal, se promenèrentle long des plates-bandes.Ils avaient plaisir &nommer tout haut les légu-

mes « Tiens, des carottes Ah des choux »Ensuite ils inspectèrent les espaliers. Pécuchettâcha de découvrirdes bourgeons. Quelquefoisunearaignée fuyait tout à coup sur le mur, et les deuxombresde leur corps s'y dessinaient agrandies,enrepétantleursgestes. Lespointesdes herbes dégout-telaientde rosée.La nuit était complètementnoire, ettout se tenait immobile dans un grand silence, unegrande douceur. Au loinun coqchanta.

1

Leurs deux chambres avaient entre elle~ unepetite porte que le papier de la tenture masquait.

En la heurtant avec une commode, on venait d'en.faire sauter les clous.Ils la trouvèrent béante. Ce.futune surprise.

Déshabilléset dans leur lit, ils bavardèrent quel-quetpmps, puis s'endormirent, Bouvardsur le dos,la bouche ouverte, tête nue Pécuchet sur le flancdroit, les genoux au ventre, affublé d'un bonnet decoton,et tous les deux ronflaient sous le clair de la.tune, qui entrait par les fenêtres.

Page 31: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 31/405

n

Quellejoie. le Ipndnmainen se réveillante Hou-vard lu'na une pipe et J'écuchethuma une prise,qu'ils déciarcrent ta meilleure de leur existence.Puis ils se mirentà la croisée, pour voir le paysage.

Onavait en face de soi les champs, à droite une Jgrange, avec le clocherde l'église et à gauche unrideau depeupliers..

Deux allées principales, formant ia croix, divi-saient le jardin en quatre morceaux.Les !6gumesétaient comprisdans les plates-bandes, où se dres-

saient,de

placeen

place,des

cyprèsnains et des

quenouilles. D'uncôté une tonnelle aboutissaitaunvigneau de l'autre un mur soutenait les espaliersst une claire-voie,dansle fond, donnaitsur la cam-pagne. Il y avait au delà du mur, un verger, aprèsla charmille,un bosquet; derrière la claire-voie,unpetit chemin.

Ils contemplaientcet ensemble, quand un hommeà chevelure grisonnante et vêtu d'un paletot noirlongea le sentier, en raclant avecsa canne tous lesbarreaux de la claire-voie.La vieille servante leur

apprit quec'étaitM.

Vaucorbeil,un docteur fameuxdans l'arrondissement.Lesautres notablesétaient: le comtede Faverges,

Page 32: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 32/405

ÏtOtJVABD ET fËCUCMET. 37

autrefois député, et dont on citait les vacheriesile maire, M.Foureau,qui vendaitdu bois, du plâtre,toute espèce de choses M. Marescot le notairel'abbé Jeufroy, et M" veuve Dordin,vivantde sonrevenu. Quant à elle, on l'appelait la Germaine,a cause de feu Germain son mari. Kile faisait des

 journées; mais aurait vou'u passer au service deces messieurs. Ils

l'acceptèrent,et

partirent pourleur ferme, située à un kilomètre de distance.Quand it&entrèrent dans la cour, le fermier,

maure Couy, vociféraitcontre un garçon et la fer-mière, sur un escabeau, serrait entre ses jambesun dinde qu'elle empâtait avecdes gobes de farine.L'homme avait le front bas, le nez fin, le regarden dessous, et les épaules robustes. La femmeétaittrès blonde, avec les pommettes tachetéesde son,et cet air de simplicitéque l'on voit aux manantssur le vitrail des églises.

Dans lacuisine,

des bottes de chanvre étaientsuspendues au plafond. Trois vieux fusils s'éche-

lonnaient sur lahaute cheminée.Un dressoir chargéde faïences à fleurs occupait le milieu de la mu-raille et les carreaux en verre de bouteille jetaientsur les ustensiles de fer-blanc et de cuivre rougeune lumière blafarde.

Les deux Parisiens désiraient faire leur inspec-tion, n'ayant vu la propriété qa'une fois, sommai-rement. MaîtreGouyet son épouse les escortèrentet la kyrielle des plaintes commença.

Tous les bâtiments, depuis la charretterie jusqu'àla bouillerie, avaient besoin de réparations. Mau-rait fallu construire une succursale pour les fro<

Page 33: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 33/405

.28 BOUVARD ET PÉCUCHET.

mages, mettre aux barrières des ferrementsneufs,relever les hauts-bords, creuser la mare et replan-ter considérablement de pommiers dans les troiscours.

Ensuite on visita les cultures maître Gouylesdéprécia.Ellesmangeaient trop defumier, les char-rois étaient dispendieux impossible d'extraire les

cailloux, la mauvaise herbe empoisonnaitles prai-ries et ce dénigrement de sa terre atténua leplaisir que Bouvardsentait à marcher dessus.

Ils s'en revinrent par la cavée, sous une avenuede hêtres. La maison montrait, de ce côté-là, sacour d'honneur et sa iaçade.

Elle était peinte en blanc, avec des réchampi?de couleur jaune. Le hangar et le cellier, le fournil

et~le bûcher faisaient en retopr deux ailes plusbasses. La cuisine communiquait avec une petitesalle. On rencontrait ensuite'le vestibule, une

deuxièmesalle plus grande, et le salon.Les quatrechambres au premier s'ouvraient sur le corridorqui regardait la cour. Pécuchet en prit une pourses collections la dernière fut destinée à la bibiio-thèque et comme ils ouvraient les armoires, ilstrouvèrent d'autres bouquins, mais n'eurent pas lafantaisie d'en lire les titres. Le plus pressé, c'étaitlé jardin.

Bouvard, en passant près de la charmille, dé-couvritsous les branchesune dame en plâtre. Avecdeux doigts, elle écartait sa jupe, les genouxpliés,

la tête sur l'épaule, comme craignant d'être sur-prise. « Ah pardon ne vous gênez pas a>aet cette plaisanterieles amusa tellement, que, vingt

Page 34: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 34/405

BOUVARDETP&CHCHET. 29

fois par jour, pendant plus de trois semaines ilsla répétèrent.Cependant les bourgeois de Chavignolles dési-

raient les connaître on venait les observer parla claire-voie. Ils en bouchèrent les ouvertures avec jes planches. La population fut contrariée.

Pour se garantir du soleil, Bouvard portait sur

tête un mouchoir noué en turban, Pécuchet sacasquette et il avait un grand tablier avec unepoche par devant, dans laquelle ballottaient unsécateur, son foulard et sa tabatière. Les. bras nus,et côte à côte, ils labouraient, sarclaient, émon-daient, s'imposaient des tâches, mangeaient le plusvite possible mais allaient prendre le café sur la

vigneau, pour jouir du point de vue.S'ils rencontraient un limaçon, ils s'approchaient

de lui, et l'écrasaient en faisant une grimace ducoin de la bouche, comme pour casser une noix. ils

ne sortaient pas sans leur louchet, et coupaient endeux les vers blancs, d'une telle force que je ferde l'outil s'en enfonçait de trois pouces.

Pour se délivrer des chenilles, ils battaient lesarbres, à grands coups de gaule, furieusement.

Bouvard planta une pivoine au milieu du gazonet des pommes d'amour qui devaient retombercomme des lustres, sous l'arceau de la tonnelle.

Pécuchet &t creuser devant la cuisine un largetrou, et le disposa en trois compartiments, onil fabriquerait des composts qui feraient pousser

un tas de choses dont les détritus amèneraientd'autres récoltes procurant d'autres engrais, tout

cela indéfiniment, et il rêvait au bord de la

fosse, apercevant dans l'avenir .des montagnes

Page 35: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 35/405

BOUVARD ET PÉCUCHET.30

de fruits, des débordements de fleurs, des ava-lanches de légumes. Maisle fumier de cheval siutile pour !e$coucheslui manquait. Les cultivateursn'en vendaientpas les aubergistes en refusèrent.Enfin, après beaucoup de recherches, malgré lesinstancesde Bouvard, et abjurant toute pudeur, ilprit le parti « d'aller lui-mêmeau crottin »

C'est au milieu de cetteoccupationque

M" Bor-din, un jour, l'accostasur la grande route. Quandelle l'eut complimenté,elle s'infurma de son ami.Les yeux noirsde cette personne, très brillantsbienque petits, ses hautes couleurs, son aplomb (elleavait même un peu de moustache), intimidèrentPécuchet.Il répondit brièvement et tourna le dos

impolitesseque b!âmaBouvard.Puis les mauvais jours survinrent, la neige, les

grands froids. Ils s'instaltèrent dans la cuisine, etfaisaient du treillage; ou bien parcouraient les

chambres, causaientau

coindu

feu, regardaient lapluie tomber.Dèsla mi-carême,ils guettèrent le printemps, et

répétaient chaque matin « Tout part » Maislasaisonfut tardive,et ils consolaientleur impatience,en disant « Tout va partir, »

Usvirent ennn lever les petits pois. Les aspergesdonnèrentbeaucoup. La vigne promettait.

Puisqu'ilss'entendaient au jardinage, ils devaientréussir dans l'agriculture et l'ambition les pritde cuttiver leur ferme. .Avecdu bon sens et de

l'étude ils s'en tireraient, sans aucun doute.D'abord, il fàHaitvoir comment on opérait chezles autres; et ils rédigèrent une lettre, où ils de-

Page 36: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 36/405

3tBOUVARUET PÉCUCHET.

mandaient&M.de Faverges l'honneur de visiter sonexploitation.Le comte leur donna tout de suite unrendez-vous.

Après une heure de marche, ils arrivèrent surle versant d'un co'eau qui domine la vaDéedel'Orne. La rivière coulaitau fond, avec des sinuosi-tés. Des blocs de grès rouge s'y dressaientde place

en place, et des roches plus grandes formaient auloin comme une falaise surplombant la campagne,couvertede blés mûrs. Kn face, sur l'autre colline,la verdure était si abondante, qu'elle cachait lesmaisons.Des arbres la divisaienten carrésinégaux,se marqnant au milieu de l'herbe par des lignes.plus sombres.

L'ensemble du domaineapparut tout à coup. Destoits de tuiles indiquaient la ferme. Le château àfaçade b anche se trouvait sur la droite, avecunbois au delà, et une pelouse descendait jusqu'à la

rivière, où des platanes alignés yéuétaient leurombre.

Les deux amis entrèrent dans une luzerne qu'onfanait. Hesfemmesportant des chapeauxde paille,des marmottes d'indienne ou desvisièresde papier,soulevaientavecdes râteaxx le foin laissépar terre;et à l'autre bout de la plaine, auprès des meules,on jetait des hottes vivementdansune longue char-rette, attelée de trois chevaux.M.le comte s'avançasuivi de son régisseur.

Il avaitun costumede basin, la taille raide et lesfavoris en côtelette, l'air à la fois d'un magistratet d'un dandy. Les traits de sa ngure, même quandil parlait, ne remuaient pas.

Page 37: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 37/405

BOUVARD ET PÉCUCHET.32

Les premières politesses échangées, il exposason système relativementauxfourrages on retour-nait les andains sans les éparpiller; les seules de-vaientêtre coniqueset les bottes faites immédiate-ment sur place, puis entassées par dizaines.Quantau râteleur anglais, la prairie était trop inégalepour un pareil instrument.

Une petite fille, les pieds nus dans des savates,et dont le corps se montrait par les déchirures desa robe, donnait à boire aux femmes, enversantducidre d'un broc qu'elle appuyait contre 'sa han-che. Le comte demanda d'où venait cette enfant;on n'en savait rien. Les faneuses l'avaient recueil-lie pour les servir pendant la moisson.Il haussales épaules et, tout en s'éloignant, proféra quel-ques plaintes sur l'immoralitédenos campagnes.

Bouvardfit l'éloge de sa luzerne. Elle était assezbonne, en effet,,malgré les ravages de la cuscuteles futurs agronomes ouvrirent les yeux au motcuscute. Vu le nombre de ses bestiaux, il s'appli-quait aux prairies artificielles c'était d'ailleurs unbon précédent pour les autres récoltes, ce qui n'apas toujours lieu avec les racines fourragères.

« Cela du moins me paraît incontestable. »Bouvardet Pécuchet reprirent ensemble

« Oh incontestable. »Ils étaient sur la limite d'un champ soigneuse-

ment ameubli un chevalque l'on conduisait à lamain traînait un large coffremonté sur trois roues.

Sept coutres, disposésen

bas,ouvraient

parallèle-ment des raies fines, dans lesquelles le grain tom-bait par des tuyaux descendant jusqu'au sol.

Page 38: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 38/405

BOUVARDET PÉCUCHET. 33

« Ici, dit le comte, je sème des turneps. Le

turnep est la base de ma culture quadriennale. »Et il entamait la démonstration du semoir. Mais

un domestique vint le chercher. On avait besoinde lui au château.

Son régisseur le remplaça, homme à figure cha-fouine et de façons obséquieuses.

Il conduisit«

ces messieurs»

vers un autrechamp, où quatorze moissonneurs, la poitrine nueet les jambes écartées, fauchaient des seigles. Lesfers sifflaient dans la paille qui S3versait à droite.Chacun décrivait devant soi un large demi-cercle,et tous sur la même ligne, ils avançaient en même

temps. Les deux Parisiens admirèrent leurs braset se sentaient pris d'une vénération presque re"

ligieuse pour l'opulence de la terre.Ils longèrent ensuite plusieurs, pièces en jabour.

Le crépuscule tombait, des corneilles s'abattaient

dans les sillons.Puis ils rencontrèrent 1e troupeau. Les moutons,ça et là, pâturaient et' onentendait leur continuelbroutement. Le berger, assis sur un tronc d'arbre,tricotait un bas de laine, ayant son chien près delui.

Le régisseur aida Bouvard et Pécuchet à franchirun échalier, et ils traversèrent deux masures, oùdes vaches ruminaient sous les pommiers.

Tous'iës bâtiments de la ferme étaient contiguset occupaient les trois côtés de la. cour. Le travail

s'y faisait à la mécanique, au moyen d'une tur-'bine, utilisant un ruisseau qu'on .avai~ exprès dé-tourné.. Des bandelettes de cuir allaient d'un toit

Page 39: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 39/405

BOUVARD ETP&CUCtïËT.34

dans l'autre, et au milieu du fumier une pompede fer manœuvrait.

Le régisseur fit observer dans les bergeries d&petites ouvertures à ras du soi, et dans les cases

aux cochons,desportes ingénieuses,pouvantd'elles-mêmes se fermer.

La grange était voûtée comme une cathédraleavec des arceauxde briques reposant sur des mursde pierre.

Pour divertir les messieurs, une servante jetadevant les poules des poignées d'avoine. L'arbredu pressoirleur parut gigantesque, et ils montèrentdans le pigeonnier. La laiterie spécia!ement lesémerveilla.Desrobinets dans les coins fournissaientassez d'eau pour inonder les daiïes et en entrant,une fraîcheur vous 'surprenait. Des  jarres brunes,alignées sur des claires-voies, étaient pleines delait jusqu'aux bords. Des terrines moins profondescontenaient dé la crème. Les

painsde beurre se

suivaient, pareils aux tronçons d'une coionnè de.cuivre, et de la mousse débordait les seaux defer-blanc, qu'on venait de poser par terre. Maisle bijou de la ferme, c'était la beuverie. Des bar-reaux da.bois scellés perpendiculairement danstoute sa longueur.la divisaient en deux sectionsla première pour le bé!ail, la seconde pour!e ser-vice. On y voyait &peine, toutes les meurtrièresétan', closes. Lesbœufs mangeaient, attachésà deschaÎMttes, et leurs corps exhaiàient une chaleur

que le plafondbas rabattait. Maisquelqu'un donna"du jour, un Stct d'eau tout s coup se répandit dansla rigolequi bordaitles rateUers.Desmugissements

Page 40: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 40/405

BOUVARDETPECUCHET. 3S

s'élfvèrent les cornesfaisaientcommeun cliquetisde bâtons. Tous les boeufsavancèrentleurs muflesentre tes barreaux et buvaient lentement.

Lesgrandsattelages entrèrent dans la couret despoulains hennirent. Au rez-de-chaussée, deux outrois lanternes s'allumèrent, puis disparurent. Lesgens detravailpassaienten traînant leurs sabotssur

les cailloux,et la clochepour le soupertinta.Les deuxvisiteurss'en allèrent.Tout cequ'ils avaientvu les enchantait leur déci-

sionfut prise. Dèsle soir, ils tirèrent de leur biblio-thèque les quatre volumes de la maison Rustique,se firent expédier le cours de Gasparinet s'abon-nèrent à un journal d'agriculture.

Pour se rendre aux foiresplus commodément,ilsachetèrent unecarrioleque Bouvardconduisait.

HabUlésd'une btouse bleue, avec un chapeau àlarges bords, des guêtres jusqu'aux genoux et un

bâton de maquignonà la main, ils rôdaient autourdes bestiaux, questionnaient les laboureurs et nemanquaient pas d'assister à tous les comicesagri-coles.

Bientôt ils fatiguèrent maître Gouyde leurs con-seils, déplorant principalement son système de

 jachères. Maisle fermier tenait à sa routine. Mde-manda la remise d'un terme sous prétexte de lagrêle. Quantaux redevances, il n'en fournitaucune.Devantles réclamations les plus justes, sa femmepoussait des cris. Enfin, Bouvarddéclarason iuten-

tionde'ne pas renouvelerlebail.Dès lors maure Gouy épargna les fumiers, laissapousser les mauvaises herbes, ruina le, fonds et il

Page 41: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 41/405

BOUVARD ET PÉCUCHET.36

s'en alla d'un air farouchequiindiquait desplans devengeance.

Bouvard avait pense que 20,000 francs, c'est-à-dire plus de quatre fois le prix du fermage, suffi-raient au début. Sonnotaire de Parisles envoya.

Leur exploitationcomprenait quinze hectares encourset prairies, vingt-trois en terres arableset cinqen friches situéessur un monticule couvertde cail-

lpuxet qu'on appelaitla Butte.Ils se procurèrent tous lesîastrumentsindispen-

sables, quatre chevaux,douzevaches,sixporcs, centsoixante moutonset, commepersonnel, deuxchar-retiers, deux femmes, un berger de plus, un gre~chien.

gros

Pour avoir~outde suite de l'argent, ils vendirentleurs fourrages on les paya chez eux l'or des na"poléons comptés sur le coffre à l'avoineleur parutplusreluisantqu'un autre, extraordinaireet meilleur.

Au mois de novembre ils brassèrent du cidre..C'était Bouvard qui fouettait le chevalet Pécuchet,monté dansl'auge, retournaitle marcavecunepelle.

Ils haletaient en serrant la vis, puchaient dàns lacuve, surveillaientles bondes, portaient de lourdssabots, s'amusaient énormément.

Partant de ce principequ'on ne sauraitavoirtropde blé, ils supprimèrent la moitié environ de leursprairies artificielles et, comme ils n'avaient pasd'engrais, ils se servirent de tourteaux qu'ilsenter-rèrent sans les concasser,si bien quele rendementfut

pitoyable.<

L'année suivanteils firent les semaillestrès dru.Desoragessurvinrent. Les épisversèrent.

Page 42: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 42/405

BOUVARD ET PÉCUCHET. 37

3

Néanmoins, ils s'acharnaient au froment et ilsentreprirent,d'épierrer laButte. Unbanneau empor-tait les cailloux. Tout le long de l'année, du matin

 jusqu'au soir, par la pluie, par le soleil, on voyaitl'éternel banneau avecie même hommeet le mômecheval, gravir, descendreei remonter la petite col-line. QuelquefoisBouvardmarchaitderrière, faisant

deshaltesà mi-côtepour s éponger le front.Ne se fiant à personne, ils traitaient eux-mêmes

lesanimaux,leur admmisLralentdes purgations,desclystères.

Degravesdésordres eurent lieu. La fillede hasse-courdevint enceinte. Ils prirent des gens mariésles enfantspullulèrent, les cousins, les cousines,lesoncles, les belles-sœurs une horde vivait à leursdépens, et ils résolurent de coucherdansla fermeà.tourde rôle.

Maisle soirils étaient tristes. La malpropreté de

la chambre les offusquait,-et Germaine,qui ap-portait les repas, grommelait à chaque voyage. Onles dupait,de toutes les façons. Les batteurs engrange fourraien' du blé dans leur cruche à boire.Pécuchet en surpnt un, et s'écria, en le poussant.dehors par tesépaules

« Misérable tu es la honte du villagequi t'a;vunaître H

Sa personne n'inspirait aucun respect. D'ail-leurs, il avait,des remords à encontre du jardin.Toutson

tempsne serait

pasde t-rop

pourle tenir

-en bon ctat. Bouvard s'occuperait de la ferme.Us en délibérèrent: et cet arrangement iut dé-cidé. 9

Page 43: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 43/405

MMM~MM1ST! d~Hj~M

fnL~prsmM~omt~r.de~opB~SjpRug~es.Bécuahet) ieai&ti~on~tpwBe.nae, ~a ~ue~ pp~g~h~eme Ma~a.ssi&,~redou~ ta~MP~~j~M~a~houMMfde.~raie;to~~t~ <~ch~ t)s np~nt¡.j<(itjeu<pc~w~~9MtMQ~~pi~~)~~t&tes&v~ j~femUe~. ~a$M~e,.M ~PP~<BïsfMittage$<)~tM8$y8.fp~9tew~!S~~{~Qr~e~

greffes e~,a&i~n<oWQ) ~O~Mt~icS'h~~pt~!)~ag}M8e,~]~Qiq~e~8Q~[)iL,aj~tMtie$ ~~jRsJ~ooïNme~seo~~jëë~R~amas d'onguent pour les recouvrir! tëvia

~g~~Q~fpM jeu~,h;I,pr§B~e jb~BC~~W~eaip~c~~ï~~s~~Sj~t~~r

s~s.<)At MesuBOq~~ ~er~sa~t~t~~M q~~Mb~t~ec~u~~e~ui~~ia~~a~pH~X~eQ~lesd~s~p~~s~~rachait la pomme de l'arrosoir et ver~.t ~R~~u~MSettTp~t.) Jnatc~ aM~t0!'a) a~M

-<j~tt,~o~a) ~acm~nps~) d~jlat~e~~tpe~M~ jpiaa~m~u~-f~te~~~~t~Mh~j e~e~a~pesb'tn~rMn~B~~t<; l~Mb ~8We8!eu~%n4B~W~fït~~è~ti ~~a~td~uq~s~ ~fS~sespeuts pots. Pour se reposa~j~;s~§e~

 j~B9~B& c~M~ e~~9rs,pr%j~ ,embel-.lissements. « a-t~sn'uv-M~axaitjB~~u ~§j~ujt!)~d~u~~§m~ de

g~'M~nMP~~S~~s~yM~~ ~8 M~PWll~u~~~nta)}ies<~u~s<~8 ~TC~mm~4ë5~~n~. c~8v~de ~Qd'or.o~g ~3~Q~e~8a~B~t ~aJ~tP~M~s~t)p~< ~WabondaLQcede couleurs jaunes. ,)

Page 44: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 44/405

B&ovAa~< <:f .f&c~ea~~t 3~

~a~1&~o&6hë~tm~ahï!'dat~a~vos~fma!gfô'e~'réchaudsde feuiHèsmortes~'B~~l&S}ch&~sîs''pemi~et!S&~iëa!éloges'Ëar&0{u~6ë&,ial'!ne'poussa 'q~edesv~g&taNona-ra~Sques.ïJesf~o&tures'~e rep~i~t

 j'éat'fpas~~es) ~B'és 'se dé~l~M~~ a~desm'aMo~es'~s'aff~'les 'di~i~s~~nt' 'le'btanc dans:I~fa '~in~ :te&~8~is~M'CQ~'anB{'dësoia~on~Le

vebt/sai~jët~r~aà' 'lea~ambs'dea<~icét~Ji~â~&Md~ace!de~4a''g~doihe'saisit'ttqx~'&aisie~s~'ie'dô~~dë~im~~MMt~M~as~ .i~oc'n <)-;u:<u;).:<)

Hmanqu~'Ie~;c~ôïi~s~t~Me8~!e9t 'àw~t~ [et~u~~SON &<û'~a~~q~'U'a~it'iroU~t éle~r(~'sHttà~&qtMt~Â~rès'dé~ ~ûs'~ aï'tichatMfP~!à~tt'pepdû& ïies ~hdt~<&'éoMbiôt~U-Sn~ t~~tô~, ï'tHïa ~es~espéinaQ~~I ~~tio~issact~là~ta~ Ëm~'pa~t~ë ~eN~eux'~tf'a'bael~ïaenM~tc8b~tS~ N'~pô~a ~ê~h~dc'~at~~èjpM*'séderun monstre, .~tittu'~i')

HsaÈM<aê~~t'Mfsemblaït ti~tte~ùmm!~d~aM~I~è~@Li~MM<NaM'~')Hnq~j~'oontuU Jt'/ ~~laa ~5~M!he~d~'p~ï~8pi's~aMét68')[!as&t&e~

assiettesremplies de~teM'eda~'qu~eRf6uSt~aM~!sà)C!~a&@9!~<.ësJib~es&~<M~<'aMï~c6t.~ei~e!6~~de~ ~at.n~ ~~ï~~M~~ï~~à~Mu~antstttMtËpha~be(a~ta~c~s~<~M')~ par~u~S~t~~sf~~t&ta~i~pda~~Td~ b4!K9ja~n~ MS~p~gta~StS~ ~Bdë~Ïrûi~~ ehotsi6!un sur chaque bras, ~ïppt~aia!teN'àuiBâs~set!'dè~q~l~@~~gp!lap~gï~sRuc~d~ï!~@'bo~~i~)~6a!'8~ISieH~cei'c~:u&69p~&<popB'3es'empe~ep'tte:~'n~r!ï0âa"eoat'aefid~.~bttnt~i'aldaf~a~itia.i~,'s'~eratt, enlevait avec son môueMé'~a'b~am&'de~

Page 45: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 45/405

BouvARD R'jr psc~t.-sr40

cloches, et si des nuages paraissaient,il apportaitvivementdes pai)!a<!sons.

La nuit, il n'en dormaitpas. Plusieurs fois mêmeil se releva; et pieds nus dans ses bottes. <;nchemise, grelottant, il traversait tout le jardin pouraller meure sur les bâchesla couverture de son lit.

Les cantaloups mûrirent. Au premier, Bouvard

fit !a grimace. Le second ne fut pas meilleur, letroisièmenon plus; Pécuchettrouvait pour chacunune excusenouvelle, jusqu'au dernier qu'il jeta parla fenêtre, déclarantn'y rien comprendre.

En effet, commeil avaitcultivéles uns près desautres des espèces différentes, les sucrins s'étaientconfondus.avec les maraîchers, le gros Portugalavec le grand Mongol, et le voisinage despommes d'amour complétant l'anarchie, il enétaitrésulté d'abominables mulets qui avaient le goût decitrouille.

AlorsPécuchet se tourna vers les fleurs. Il écri-vit à Dumouchelpour avoir des arbustes avec desgraines, acheta une provision de terre de bruyère~et se mit à l'oeuvrerésolument.

Maisil planta des passiSores& l'ombre, des pen-sées au so!eit,couvritde fumier les jacinthes, arrosales lysaprès leur floraison,détruisit les rhododen-drons par des excèsde rabattage, stimulalesfuchsias.avecde la colle-forte, et rôtit un grenadier, enl'ex-posantau feu dans la cuisine.

Aux approches du froid, il abrita les églantiers

sous des dômes de papiers forts enduits de chan-dc)le celafaisait comme des pains de sucre tenusen l'air par des bâtons.

Page 46: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 46/405

BOUVARC ET PÉCUCHET.

Les tuteurs des dahliasétaient gigantesques;et on apercevait, entre ces lignes droites, les ra-meauxtortueux d'un sophora japonica qui demeu-rait immuable, sans dépérir, ni sans pousser.

Cependant, puisque les arbres les plus raresprospèrent dans les jardins de la capitale, ils de-vaient réussir à Chavignolles;et Pécuchet se pro-

cura le lilas des Indes, la rose de Chine et l'eu-calyptus, alors dans la primeur de sa réputation.Toutes ses expériencesratèrent. Hétait chaque foisfor~étonné.

Bouvard, comme lui, rencontrait des obstacles.Ilsse consultaientmutuellement, ouvraientun livre,passaientà un autre, puisne savaientque résoudredevantla divergencedes opinions.

Ainsi pour la marne, Pu\is la recommande lemanuelRoretla combat.

Quant au plâtre, malgré l'exemple de FranMin,

Riéfelet M. Kigaud n'en paraissent,pas enthousias-més.Les jachères, selon Bouvard, étaient un préjugé

gothique. Cependant Leclercnote les cas où ellessontpresque indispensables. Gasparincite un Lyon-nais qui, pendant un demi-siècle,a cultivédes cé-réalessur le même champ celarenverse la théoriedes assolements.Tull exalteles labours au préjudicedes engrais; et voilàle major Beetsonqui supprimeles engraisavec les labours1

Pour se connaître aux signés du temps, ils étu-

dièrent les nuagesd'après la classificationde Luke-Ho\vard. Ils contemplaient ceux qui s'allongentcomme des crinières, ceux qui ressemblent à des

Page 47: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 47/405

BjONMjMM 'ET K'&OH\fW~43

Mes,'ce~~b~ pr6M~rait''pMr~d<6~'t~nt~n~ Men~ge~t&i&hant' 'de'~st~uer të&~ni~M'd~ ciMu~}ë~§~atuë des~c~!hu'tus';Mes"for)tnëS)'6Ïïang~~entavant qu''Hs"6'&sse'nttro!Ï~~nô~i'T' )'~<'~o baromètre"îe's' ~oaï~a,~'ië ~H~mA~~e'<a'&p-

p~n&!tr~~tilNTe&~uf&~t à ~)q~teht4tïi~~sëM Bô~par ~'Qfp~ë~ëTouraiH~e~c~

s~aa~s~~oëal dë~ï~ïitër~ b~'do'~nî~së';t~'aû Tond'pa~ ~Sxe,agHef  aux~aie~tfa~eë 'aë 'ïa''t~è~M~â ~at~SpMr~pM~aëtoujours, contredit la sangsue. Ils en ïNitent't~o~~~à~ëc 'éBt~~I~TMte~ies'quatM <~s;c&mpbE-tei'éBt'<ii6e~én)nt'èht." t'n t

~Apï~s f6frëe''n!6M!tâtïdns,"Bb!ï~ï'a~ecohaut'~i).s'était trompé. Son'doMàh~~igeai~ J& ~~de'~u~fare',~e sy~tènïéinten~ eï'il aventura ~e'q~ luirestait de capitauxdisponible~;~tfen~ïaiHb'fpancSt'"Ëxcité'pai- Pécuchet, iî'ëut'Ie dëiire d~l'ien~àis.D&nis!a &<sse~aa~~dmpoët~ fureat~~atas~és dë&branchages, du sang, des Loyaux,des p!umes,tout'ce"~u 'p'ou~aît~dé6bù<'r!F.'Ë 'emp!<yya.'i&)Iiquburifetge, te Hziersuisâë, 'I~)éssivë,~des'hareBgSiSaurs;dU varech~'de~ 'coiSohs, ? ~ëni!' dû' guah0,t&chad'en Mriqùer, -ët, po~saBt~~aiu hou~aesp~ncipes, ne'tôMràh'pas!K perdit'i'unne.~ asappriïRà Te~Me'ax~d'aisan~ës.~n apportai dans~aëour'des~'cadavres 'd~nin~aux,"donBil ~.HMitsesterres. Leurs charognes 'Dépecées~pârse<a~ent-ià

ca~pagneJBoudardso~riaK'sun~tMeMda cet~ &n-

Ïëc'Ïîoh. Une~pompe~in~iëë'daiï~~s? tohïbBrëa~t~ac~Mtdu purin~snr'ies'rôcoltes:'A~eux~quïavaientra!r~bû~é,~M"disait<: .c.-t'i-j ~h ~'i'tf.oj

Page 48: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 48/405

ttMJtVARC: TS-D~É(SM:n<:<f)'

-9M~oJ~StC'~td~~y'!e'e~t ~a l'ot*~ a~n'un c.JEtil regrettaifde'nîavbir pasonewe] pids de <u-<

m&~fNeu.rëu~es'payë oùi.l'dn'~rouve~es grottesBataceMë?p~ne~c~xcréments~oiseaux~)! t¡n~cB'Izà'~b'chôH~'il'avmQe!mé8ï0(~e,"et'}e .b!~

se venditfort ma~'&)'caused~sbd odettp~Une~hoseétrtmge~c'eMtqùeia Butte, èBËu,.ép!eiT~e,'~dn~aitHiolBs'tpt'autpefois~i' ~i' i"

i~!<CNttiho!]t)d~i!'ënoav~ep~oa' maMpiet. achetaumadaHËcataupGttiHaume','u~extir~ateup.'Va<cour~udi sepicSr~anglaist'e~grande~sratrë de 'MaHueude Dombasie,maisle charretiefïâdénig~a:'.tb-~wAppMhd~à't''ew servir" .) 'Jt'ct'-!f~i-E~~bi'en'montrez*-moi~H' .);h!")Ii.iMs)ayai~de!moQ~er,se:tyontp&H,eMespaysansKbanaie~tt-t ~i~ J ) ~i")~j/)-ti~.J Jama~tUne'pùt'Iesastreindreiau'cdmmàndementdë)Ja!ctnobeJSan&'cêsseil cnait derrière''6~ cou-'rait d'un

endroit ~~utre;notaHiaès! observationssupi un catepiBt~.donnaitdes'réhdez-youp;~'y pen-sait plus, –et sa-itôtebouiHonnaittdSdées~indus-trieU'es.,ïLse"pBomëttai.t~deiCuMver' lenpâvot~ ienvue dejt'opium,!et isarioutFastFagale,qu'i~ rendraitsoHa;Lenom-de w.'eafeidësjEamiUeâM.):/ .)' t.i~n! engraisser, plus vite 'ses'bc~u~iljleB .sai~gnaH!tou~ïiesquiBze~<MN')i. t'')n'f'!) )';<.):

tl.in~'tuai aucun'dp ses~cochdnset .tep~gorgeaUd'avoine salée. Bientôt la porcherief&ittcop'étroite.'Ils::ej<MbaMassaientila)cpur~ défonçaient iles!clÔL6u-

r~iBtofdaientilemoBde.):))h

.) -i!~i.]-'<"1

sBuraïttle~~candeschaleurs,ving~-einq'mMUons'semi~eut~-touruej:;et, pe~dettenip&après~crevèrent.!

Page 49: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 49/405

BOUVARD ET P&CUCHEf.44

La même semaine, trois bœufsexpiraient,consé-quence des phlébotomiesde Bouvard.

Il imagina,pourdétruire les mans, d'enfermerdespoulesdans une cageà roulettes, quedeux hommes

poussaient derrière la charrue ce qui ne man-qua point de leur briser les pattes.

H fabriqua de la bière avec des feuilles de petit-chêne et la donna aux moissonneurs en

guisede

cidre. Desmaux d'entraiUesse déclarèrent.Les en-fants pleuraient, les femmes geignaient, les hom-mes étaient furieux.Ils menaçaient tous de partir,et Bouvardleur céda.

Cependant,pour les convaincrede l'innocuité fieson breuvage, il en absorba devant eux plusieursbouteilles, se sentit gêné, mais cacha ses douleurssousun air d'enjouement. JIfitmôme transporterlamixture chez lui. Ii en buvaitle soir avecPécuchet,et tous deux s'efforçaientde la trouverbonne. D'ail-

leurs,il nefallaitpas qu'elle fût perdue.Les coliques de Bouvard devenant trop fortes,Germainealla chercher le docteur.

C'était un hommesérieux, à front convexe,et quicommençapar enrayer son malade. La cholérinedemonsieurdevait tenir à cette bière dont on parlaitdans le pays.Il vouluten savoirla composition,etiablâma en termes scientifiques, avec des hausse-ments d'épaules. Pécuchet, qui avait fourni la re-cette, fut mortiSé.

En dépit des chaulages pernicieux, des binages

6~drgnéset des échardonnagesintempestifs, Bou-vard, iannée suivante, avait devantlui une bellerécolte de froment Il imagina de la dessécher par

Page 50: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 50/405

BOUVARf ET PÉCUCHET. 4S

3.

la fermentation, genre hollandais, système Clap-Mayer c'est-à-dire qu'il ]a fit abattre d'un seul

coup et tasser en meutes, qui seraient démolies dès

que ]e gaz s'en échapperait, puis exposées au grandair après quoi, Bouvardse retira sans la moin-dre inquiétude.

Le lendemain, pendant qu'ils dinaient, ils enten-

dirent sous la hetrée ]e battement d'un tambour.Germaine sortit pour voir ce qu'il y avait maisl'homme était déjà loin. Presque aussitôt, la clochede l'église tinta violemment.

Une angoisse saisit Bouvard et Pécuchet. Ils selevèrent, et, impatients d'être renseignés, s'avan-cèrent tôte nue du côté de Chavignolles.

Unevieille femme passa. Elle ne savait rien. Ilsarretè'fnt un petit garçon, qui répondit:

« Je crois que c'est le feu »»Et le tambour continuait à battre, la cloche tintait

plus fort. Ennn, ils atteignirent les premières mai-sonsdu village. L'épicier leur cria de loin« Le feu est chez vous M»

Pécuchet prit le pas gymnastique et il disait àBouvard, courant du même train à son côté

« Une. deux une, deux M en mesure,commeles chasseurs deVincennes.

La route qu'ils suivaient montait toujours le ter-rain, en pente, leur cachait l'horizon. Ils arrivèrenten haut, près de la Butte et, d'un seul coupd'œil, le désastre leur apparut.

Toutes les meules, ça et là, flambaient commedes volcans, au milieu de la plaine dénudée, dansle calme du soir.

Page 51: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 51/405

BOUVARDEa')PÉCAtCitJ':T.~6

II y avait, autoaf'da Jas plus grande, trois centspersonnes, peut-être et sous les~opdresde M.yott-rëau, Iemau'e,.emécharpe tricolore, des .gars.avecSes percheset descrocsttraient.;Ia:paille du;sommet,aSnde préserverJe reste.. ) r, r

Bouvard, dans son empressement,faillit renvec~ser M'"Bordtn,.qui se.]t<roM.vaitHLPuis, apercevant

mndeses valets, Uraccabïad'injures pourae l'avoirÏMts:averti.Le valet, au contraire,, par excësde.~te,avait d'abordcouruà Jamaison, a;l'6g)[ise,puis chezMonsieur,et était revenupac,l'autre route.Bouvard perdait ktôte* Ses domestiquesrentou-

raient, parlant &ïa.ois, et u défendaitd'abattre.l~meules, suppliait qu'on je. ~ecour&t<exigeait dersau, réclamait des pompiers)

–« Est-ce que .nousen avons:!M;;s'écria~9maiM. ),

« C'est devotre &ut)e!~reprit:Bouvard..Il s'emportaït,proféra des chosesinconvenantes,

et tous admirèrent la jpatiencQde.M, Foureau, (puétait brutal cependant, .comme l'indiquaient sesgrdsseslèvres;etsa m&chp~pede bouledogue..

La chaleur,desmeul;es devint,sij~orte, qu'pn.~9pouvaitplus en approcher. S.o,uslesi!ammesdévo-rantes la paille se.tordait.Ave.cctes crépita~on~s

graine de bIé.yQus~c~g!aJLent,Ia;,ngure,comme,des jgrains de pipmb,,Puisla:meu]~es~crou~ai~parterr~en,un,Iarge;brasier,d'où s'envolaientdes étmçeHes;;et des moires ondulaient.surce,t,t~

ma~se,rop:ge,m~~rait dans jte~, aKernane.esde8~~puleu~desparties.rpsescomme, du yermiUçn,,)~~ d'autre~ brunescomme du sang caillé. La nuit était,venue, J~ven~

Page 52: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 52/405

BOU~AB~MTtB~~CNKT~

sbufftai~ des. tourbillonsde.fuméeenveloppaient!a~foute. Une*ûammèche~de.temps à.autre~passaitsur.lecieinoir.) 'o

Bouvard contemplaitl'incendie en pleupant dou-.cément. ~es~yeux:disparaissaientsous .leurs pau-piÈrcs~gonuées,et il. avait tout.Je visage ~cocameélargi-parla:douleur.' M~Bo?din~en jouant avecles

franges de.son .châle..vert, l'appelait « PauvreMonsieurM,tâchait de :le..consoler. Puisqu'on n'ypouvaitrien, dldevait se &nreune,raison..Pécuchet nj&!pleurait pas. Tr~s.pâle,,ou plutôtlivide, la touche ouverte et les .cheveuxcolléspar!a sueur.froide,!il se~jtenait ~l'écart, dans ses r6-flexions.Mais le eure~ survenu tout .à ,coup~mur-.mura d'~ne'v~x câline: ,,> i; r:

'«Aalquet. malheur, véritablement; c'est Meniacheux'Soyezs&r.~ue-jeparticipe !?.

'l.es~autres n'aSectaient aucunetristesse..Ils cau-

saientien ïsquriaut. ~a main étendue devant les.flammes,tfn.vieu~ramassa des brins qui/brûlaientpouc allumer sa ;:pipe*:Desenfants.) se mirent àdanser. lUnpoli~soas'écria même que c'était bienamusant. :r,

«~Cui<H'~st beau, l'amusement repritPécu-chet, qui venaitderentendce.. ~rj. n'Le feu diminua~les tas s'abaissèrect.,et une heure

après, il ne restait plusque des cendres~ ~santsurla plainedes marquesjroades,~t noires.. Alors.onseretira~). ft.t~)" j~,

:M~t'~BoïdÎQ-t <?I'abb&t~.eufMy,,repQndu~!ren~

MM:BouvatdfetPécuchetjusqu; leur(douncilQ. ).Pendantla route,.;)l~,yeuv& jadressa~i.sQni,Y,pis~n

Page 53: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 53/405

BOUVARD ET PâCtfCHET..t8

des reproches fort aimables sur sa sauvagerie, etl'ecclésiastiqueexprimatoute sa surprise de n'avoirpu connaître jusqu'à présent un de ses paroissiensaussi distinguo.Seu! à seul, ils cherchèrentla causede l'incendie,

et, au lieu de reconnaître avec tout le monde quela paille humide s'était enflammée spontanément,

ils soupçonnèrent) une vengeance. Elle venaitsans doute de maître Gouyou peut-être dutaupier.Sixmois auparavant, Bouvard avait refusé ses ser-vices, et même soutenu dans un cercle d'auditeursque son industrie étant funeste, le gouvernementladevrait interdire. L'homme; depuis ce temps-là,rô-dait aux environs.Il portait sa barbeentière, et leursemblait effrayant, surtout le soir, quand il. appa-raissait au bord des cours en secouant sa longueperchegarnie de taupessuspendues.

Le dommage était considérable, et, pour se re-

connaîtredansleursituation, Pécuchet, pendanthuit jours, travailla les registres de Bouvard, qui luiparurent « un véritable labyrinthe ». Après avoircouationné le journal, la correspondance et legrand-Jivrecouvert de notes au crayon et de ren-vois, il reconnut la vérité pas de marchandisesàvendre, aucun effet à recevoir, et en caisse; zéro.Le capital se marquaitpar un déficitde trente-troismille francs.

Bouvardn'en voulutrien croire, et plus de vingtfois ils recommencèrent les calculs. Ils arrivaient

toujours à la même conclusion. Encore deux ansd'une agronomie pareille, leur fortune y passaitLe seul remède était de

vendre.

Page 54: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 54/405

BOUVARD ET PÉCUCHET. 49

Au moins fallait-il consulter un notaire. Là dé-marche était trop pénible Pécuchet s'en chargea.

D'après l'opinion de M. Marescot, mieux valaitne point faire d'affiches. Il parlerait de la ferme àdes clients sérieux et laisserait venir leurs proposi-tions.

a Très bien, dit Bouvard, on a du tempsdevant soi. » Il allait

prendreun fermier, ensuite

on verrait. « Nous ne serons pas plus malheureuxqu'autrefois seulement nous voilà forcés à des éco-nomies. »

Elles contrariaient Pécuchet à cause du jardi-nage, et quelques jours après, il dit

« Nous devrions nous livrer exclusivement 'tl'arboriculture, non pour le plaisir, mais comme

spéculation. Une poire qui revient à trois sols est

quelquefoisvendue dans la capitale jusqu'à des cinqet sixfrancs Des jardiniers se font avec des abri-

.cots vingt-cinq mille livres de rentes! A Saint-Pétersbourg, pendant l'hiver, on paye le raisin un

napoléon la grappe C'est une belle industrie, tuen conviendras Et qu'est-ce que ça coûte? dessoins, du fumier, et le repassage d'une serpette! »»

Mmonta tellement l'imagination de Bouvard, que,tout do suite, ils cherchèrent dans leurs livres unenomenclature de plants à acheter, et, ayant choisides noms qui leur paraissaient merveilleux, ils s'a-dressèrent a un pépiniériste de Falaise, lequel s'em-

pressa de leur fournir trois cents tiges dont il ne

trouvait pas le placement.Ils avaient fait venir un serrurier pour les tuteurs,un quincaitlier pour les raidisseurs, un charpentier

Page 55: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 55/405

R~VA~D, ~~C;UC~r,S9

pour les supporta Les,,forgea des, arbres étaientd'avance dqssinôes..Des mprcea~x..de latte sur lemur Ëguraient .des candélabres,Deux poteaux &chaque bout;de~'plates-bandes~umdaienthori~onjtalementdes nls de fe.r; et.dansle;verger~ des cer~ceaux indiquaient la structure des vases, des])ayguettes en cône. cette des pyramides,si,biep qu'en

privant chezeux, oncroyaitvoir j!espièces de que!~que machineinconnue oula carcassed'un feu <~ar-~ce.. J

Les trous étant creusés, ils coupèrent l'exirén~de toutes les. racines, bonnes pu mauvaises, et~esenfouirent dans un compost. Six mois âpres, J~eBplants étaient morts~ Nouvelles commandesau ppiniériste, et plantations Douveîlesdans;des trou9encoreplus profonds.Maisia.p.tuie, détrempant ~eles greSes d'eUes-mémes~s'enterrèreni. et ~sarbress'an't'anchirent. ¡'

~e printemps venu,Pécuchetse mit la tail}e despoiriers. Il, n'abattit pas les Sèches, respecta.,ïeslambourdes, et, s'obstinant vouloir coucher d'é~querre. les duchesses qui devaient former,les cor-dons.unilatéraux,il les cassaitou les.arracha~tinva-riablement. Quant auxpêchers,. n~'embrpuiUadanslessur-mëres, les sous-mëreset,les deuxièmessous-tmères. Desvides,et des pleins,seprésentaienttou,-yoursoù i!:n'en .fanait pas, ~timpossibled'obtenirsur l'espalier un rectangle pài'4it,avçc six branches

droite~et.six4 gauche,nonconipr~s.,Ies,deuxpr;n-

cipales, le tout formant une,,beHe..arête.,de~pp~son. .i; ~).ti. f 

Bouvardtâcha de .conduh'Q~le~~a.bricptiersils .s~

Page 56: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 56/405

BOttiVARDiET.fÈCUCH~T.! !U,révoltèrent.Il rabattit leurs troncs à ras dusol au-cunne repoussa. Les cerisiers, auxquelsil avait faitdes entailles,produisirentde la gomme.

D'abord ils taillèrent .très; long,ce qui éteignaittes yeuxde la base, puis trop court, ce qui amenaitdes gourmands; et souvent ils hésitaient, ne sa-chant pas distinguer, les, boutons li bois des bou-

tons à fleurs. Ils s'étaient réjouis d'avoirdes fleursmais ayant reconnu,leur faute, ils en arrachaientles trois quarts pour fortifierle reste. ,¡,

Incessammentils parlaient dela sève;et du cam-bium, du palissage,du cassage,de 1'éborgnage.Ilsavaient, au milieu de leur salle à.manger, dans uncadre,la listede leurs élevés,avecun numéro quise répétait dansle jardin, sur un petit morceaudebois, aupied de l'arbre. ¡

Levés desl'aube, ils travaillaient jusqu'à la nuit,le porte-joncà la ceinture. Pa.c les froides matinées

de printemps, Bouvard gardait sa veste de tricotsous sa blouse, Pécuchet.sa vieille redingote soussa serpillière, et les igens qui passaient le long delaclaire-~Yoïelesentendaient tousser dans le brouil-lard.

QuelquefoisPécuchetlirait de sa .poche son ma-nuel et il ~n-étudiait ,un paragraphe,debout,ave~sa bêche auprèsde lui, dansla pose du jardinier qmdécoraitle frontispice.du livre.;Cette:ressemblancele flatta même beaucoup.Il e~ GoncutfDiusestimepour l'auteur.~ -t;

''Bouvard était cqntinuelleiment,juché, snr unehaute échelle devant les pyramides..IJn~our,!il ûitpria d'un etourdissemeat -< et ~'psaat pics des-

Page 57: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 57/405

S2 BOUVARD ET PÉCUCHET.

cendre cria pour que Pécuchet vînt à son se-cours.

Enfin des poires parurent et le verger avait des

prunes. Alors ils emptoyèrent contre les oiseauxtous les artifices recommandés. Maisles fragmentsde glace miroitaient à éblouir, la cliquette du mou"lin vent les réveillait pendant la nuit et les

moineaux perchaient sur le mannequin. Ils enfirent un second, et même un troisième, dont ilsvarièrent le costume, inutilement.

Cependant, ils pouvaient espérer quelques fruits.'Pécuchet venait d'en remettre la note à Bouvard;quand tout à coup le tonnerre retentit et la pluietomba, une pluie lourde et violente. Le vent,par intervalles, secouait toute la surface de l'espa-lier. Les tuteurs s'abattaient l'un après l'autre,et les malheureuses quenouilles en se balançantentre-choquaient leurs poires.

Pécuchet surpris par l'averse s'était réfugié dansla cahute. Bouvard se tenait dans la cuisine. Ils

voyaient tourbillonner devant eux des éclats debois, des branches, des ardoises et les femmesde marin qui, sur la côte, à dix lieues de là, regar-daient la mer, n'avaient pas l'œil plus tendre et lecœur plus serré. Puis, tout à coup, les supports etles barres des contre-espaliers, avec le treillage,s'abattirent sur les plates-bandes.

Quel tableau quand ils firent leur inspection Lescerises et les prunes couvraient l'herbe entre les

gréions qui fuudaieut. Le:) passe-colmar étaientperdus, comme le Bési-des-vétérans et les Triom-phes-de-Jordoigne. A. peigne s'U restait parmi les

Page 58: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 58/405

BOUVAimMi'PÉCUCHET. S3

pommesquelques bons-papas, et douzeTétons-de-Vénus, toute la récolte des pêches, roulaientdans les flaques d'eau, au bord des buis déra-cinés.

Aprèsle dîner, où ils mangèrent fort peu, Pécu-chet dit avec douceur

«Nous ferions bien de voira la ferme, s'il n'est

pas arrivéquelque chose?Bah pour découvrir encore des sujets detristesse

Peut-être car nous ne sommes guère fa-vorisés. »

Et ils se plaignirent de la Providence et de lanature.

Bouvard, le coude sur la table, poussait sa pe-tite susurration, et, comme toutes les douleursse tiennent, les anciens projets agricoles lui re-vinrent a la mémoire, parUcutierement la fcule-

rie et un nouveau genre de fromages.Pécuchet respirait bruyamment et tout en sefourrant dans les narines des prises de tabac, ilsongeaitque si le sort l'avait voulu, il ferait main-tenant partie d'une société d'agriculture, brilleraitauxexpositions,serait cité dans les journaux.

Bouvard promena autour de lui des yeux cha-grins.

« Ma foi j'ai envie de me débarrasser detout cela pour nous établir autre part 1

Comme tu voudras,» dit Pécuchet.

Et un instant après« Les auteurs nous recommandent de suppri-mer tout canal direct. La sève, par là, se trouve

Page 59: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 59/405

ï~ i~ Mu ?Tr §~F~<!

e<~rar!ee~oU')M'b!'e j~~Rt~ ~<bien, porter .~aud~&it~qu. n~eû<,j,pa~~de.~uit~Ce.pendan~ceaKqn~on ta~het.~u, n.~fu:~

 jamais en produisent, de moins gros, c'est v~a}.a~ais,'de~uatSa~Quraa~c~!S~pn!m~n.la raison et non seu!emen~a.q,uq (~pp~fécta.m~des~BMn~jp~ma~, ~nc.ore,chaque

individu, suivant le cUmat,.Ja,~emp~ratura~n ~.a&de. choses o~ e~ ,~r~qrs.e~ (tue~espoiravons-nousd'aucun succès où b6ne6ce?M.j~{~

,ou~rdluij~P~.D~~t~,K jj;) M- u)-i'« Tu verras dans Gssparinque !e b6ne5c~;n~

peu~d~paasjer.;ûdi,x~e.dn)cas~al~,Dpnc 00;f~itmieux de placer ce capital dans use maison,,jd~banque.AUi~out~de.<q!~n%e.an~pM! l'~cumnia-ti~n,'des, in~ret~op ~u! 10, doub!e, s'è~fbméi~e.mp~rament,i~ .);t,. :t.i~H..~P.6cacbet.sa~I~~9'i ;in"tr ,i'M.ij.v

« L'arbo~cultq't'e. po~a~bien.~re.unQbla-rgue~).t'< hi-!<t)(m,'f[i'td.th-).) .ii:i:)1.'t -T Commel'a~Konoï~e !«!)) ~pHqoa~0~4~):)En$uite,'ils s~ccus~ent,d'a~oiri ~t6,trop~.a)m,M-.

tMux;:t&ti;s rôsp~rent,4e~ïnénager:désor~na~peine etiJteuc,,argent! U~~m:QtBdag~nde:tempstj~au~Fesu~aHiaU)iveï'gern~S!.coB,t!~resp~)ter&~urpntt

proscritset ils neremplaceraientpas les arbres m~~00 abat!3ng.ia'ai~)~l aUaitvsepr~sen,te,r,d~s,,inier-valles fort 'vU.aia~~)à!,mpinsj.dei,~tr~e jtipus~autres qui jceataj~ntjd~bou~M~menjt~endEe ?

Pécuchet Et plusieurs 6pfE6~t.)~tf~8er?an,t~dcs&ibp~ede matib.~ïnatijq~es.pq~vard-l~i,dc'nnaij~desconsaHs.~ls p'ai~ivaMnt~ien~iS~Msanjt,) ~eu~.

Page 60: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 60/405

BO~V.APPt ~j~G~~t'~

reusement qu~a trouv~eniL,~nsJt,eur,Jb)bl!p~&qupl'ouvrage de Bp! Mtitutô~l' J~<t!M~th~i' ~1"')'j'. )~i) ~);)-t.t"t,

.auteur les ~v!~ .e~~e. ~pit6 ~e g~res~ y;a,,d'aboi, I~.gepre,m~~coHque 'et rotnaptiqu~, qmsa ~n.a! p~ des !prtelle$, ~d~rujtnes~. de$tombeaux,et un « ex-voto à la vierge, 'indiquait

p!apeoù. un,,se!gneMriest.jtoïpb~.aoHS~le.~erd~maesa5~0p .compose}e .g.ewe;.t6~btQavec~desrop&suspepdu~ de~.arbre~ fracassas,,des cabanesiaceadiées, Je .genre. e~ot~e,00, ) plantant d~Cte~e~ du JPérpu« pourfaire,naître,,des, souvenirsa un.co!o~.pu~~nvoyageur,H.e gepre grave(loitoCFrir,commeErïueBonviIIe,;untemplea. iap~noso~phM.I~es ob~UsqueseUesarcsde~ioBtiphecaractë-risent le .genre .ïnajestueu~ ,de ,la m.q~seet, des

grottes,.le genre' mystérieux un~ac,,le,gepre rê-veur. i Hy a mêmele genre,fantas~que,.dontle plusrN

beau specunen'se yoyaJLtnaguère daBsun Jardinwurtembergeois carpn,y ~encpntra~succe~sjtyerment un .sanglier~u.n:ermi;te, .plusieurs sépuJcres,.et une,barque.se-détachant.d'elle-n)eine,<lurivage~pour vous cpndu~ dans u~,bpud,oJLr,o~désuets.d'eau vo.usinond~ent.quand, qn se posait.sur,' lesopha. J~u~).

~~evant,cet, ,hor~oni..de.imeEye~}les,~,pMvard.etPécucheteurentpomn~e~n éMomssen~eQt,.ILegen!~~ntas~queleur~arut~éseryÉ auxprmoes. ~~emplpà~atphitosoph!?(Ser.ai.tencpnthrant,L'e~votp -ala

madone n~u?aibpas..de.,p~t~attpn,,vu le manquadt'assassins,,et~itao.t.pis,ppur;tIe~jColpns.et les voya-.~eur~ Jes plan!t.es~a;m6ricainesiCp~ent ~rop~~cher.

Page 61: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 61/405

BOUVARD MrPÉCUOtET.S6

Mais!es rocs. étaient possibles, comme ]es arbresfracassés, les immortelles et la mousse; et dansun enthousiasme progressif. après beaucoup de tâ-tonnements. avec l'aide d'un seul vatetet pour unesomme minime, ils se fabriquèrent une résidence

qui n'avait pas d'analogue dans tout le départe-ment.

La charmille ouverteça

et là donnaitjour

surlebosquet, rempli d'aXées sinueuses en façon de la-

byrinthe. Dansle mur de t'espath'r, ils avaient voulufaire un arceau sous lequel on découvrirait la pers-pective. Comme le chaperon ne pouvait se tenirsuspendu, il en était résulté une brèche énorme,avec des ruines par terre.

Ils avaient sacrifié les asperges pour bâtir à la

place un tombeau étrusque, c'est-à-dire un quadri~latère en plâtre noir, ayant six pieds de hauteur, etl'apparence d'une niche à chien. Quatre sapinettes

aux angles flanquaient ce monument, qui serait sur-monté par une urne et enrichi d'une inscription.Dans l'autre partie du potager, une espèce de

RiaUoenjambait un bassin, offrant sur ses bords des

coquilles de moules incrustées. La terre buvaitl'eau,n'importe Il se formerait un fond de glaise qui laretiendrait.

La cahute avait été transformée en cabane rus-tique, grâce à.des verres de couleur.

Au sommet du vigneau, six arbres équarris sup-portaient un chapeau de fer-blanc à pointes retrous-

sées, et le tout signifiait une pagode ehino'se.Ils avaient été sur les rives de l'Orne choisir desgranits, les avaient cassés, numérotés, rapportés

Page 62: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 62/405

BOUVARD ET PËCUCBET. S7

eux-mêmesdans une charrette, puis avaientjoint lesmorceauxavecdu ciment, en lesaccumulanttes unspar-dessuslesauL'es et au milieu du gazonse dres-sait un rocher, pareil à une gigantesquepommedeterre.

Quelquechose manquait au delà pour compléterl'harmonie. Ils abattirent le plus gros ti'ieul de lacharmille

(auxtrois

quartsmort, du

reste),et lecou-

chèrent dans toute la longueur du jardin, de tellesorte qu'on pouvait le croire apportépar un torrentourenversé par la foudre.

Labesognefinie, Bouvard,qui était sur le perron,criade loin:

« Ici on voit mieux)1Voitmieux ». fut répété dansl'air.

Pécuchetrépondit« J'y vais 1Yvais

Tiens,un écho

-Écho! »Le tiileul, jusqu'alors, l'avait empêché de se pro-

duire, et il étaitfavorisépar la pagode, faisantfaceàla grange, dont le pignon surmontait la char-mille.

Pour essayer l'écho, il-<s'amusaient à lancer des,mots plaisants Bouvard en hurla de polissons,d'obscènes.

Il avaitété plusieurs foisà Falaise, sous prétextad'argent a recevoir,et il en revenaittoujoursavecde

petits paquetsqu'il enfermaitdanssa commode.Pécu-chetpartit un matinpour se rendre à Bretteville,etrentrafort tard, avecunpanierqu'il cachasoussonlit.

Page 63: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 63/405

~WA'~E~pMMa'~?

~en~mMn~ son'~evè~Bbu~rd fùt'~rp~.~s.~e'u~~rëm~Ts î~ ~'la~rà'Ud'àbé'~quî'MÈenodre~~t~enï'~pnëriquës, avaient-dâ'~forrnèp~on~~MtùW~në~aëûx~ht~de'porc~laine nguraient le bec et les yeux. Pécuchet s'~tai~t

)ë~'de~i'auM,"etj' t~Maht'~etre~eM~e~ il

~'vait~!ê'~~aeù~"h~rës'&"Ïa'n~s~e des-appe~~

'dt'ces~es'Du~~u~iëï~ "K'J'uis~~6~aut~'dèi~erericëù~I&~as~u~Rë~ëà~~&~i<i~e9'e~b'es,!d~cylindres, des cerfs ou des'à~U)!s~~a)rs!:rieMti'~~a!aK%s~c)tf~aï~'I<Ef't'e'cbnnû~eë'de'<~ahdséloges. ~t'

Sous prétexte d'avoir ouBuë~à~ecKe,'Mentraînason compag~d~ i~MyrMth'e/'ca~'il'a~àit-pro-6té de l'absence de Pécuchet p~r~'M~Bsi,quelque chosede sublime. 'v

La porte deschampsétaitrecouverted~tNetouche

de p)atre, sur laquelles'aiignaie~Peït'~e~~d~e-einqcents fourneauxde pipes, représentant oB~Abd-e!'-KMër~~e~e~ J~P~Bï~a, .pte~ de%Ne~'at'6~ës~<v~ f' ~) .M!

-M~ «6!Co~~)?<i a~ïë!mpaiie~~? ~§a~Je croisbien f M .o!thn

M~-W~s~e~'êM~a, ~eaïHras~F~nno~.MCMnMba~tus'1'~ a~tist~a~'i~ èt~at-f'I~b~aind'être applaudis, etBouvardsongeaà oMpc~g~aiid

~S~~l t~FcfB'?.6eM ~ua~nfq ~J-~t;fjvs11eb~my~~M~as~gM~a~'Pëcu~h'e~as te~M:'<h'

'8~8 J~o~t~~i~e~Tm&'tg~~a'rp~~ufuxf ~9.}<Ba'<BR~'poart~'t~PdéoM~t!'f  MJ)hBqjt)~

'~B~Q~~il6'b~âîëa~~âys,~s'8è~t@&~a~'à.

Page 64: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 64/405

BO~'R'D' 'M~C'~R'E~

l'gcarh~but'oa'd~ ~a'r~ir-d~ 1'6~c~MâMr~acceptalëtjfri~ïta~oh,~'~{if<9'e~aomte F~v~fge~'appelédans la capitale pour a!Mtë&Ils''86 !ra&ath~ëtit'~r~~Hù~?, sô~'fa'~u~ j~

Beijatube, rauB~iàtë~ '~hûieù'< ich~!&~isîeùx!,aë~it cÙ~M <~rM~p~Hfùbrn~sa!t'Uït"ghr-~66'eëhM~~âit'~ë~d4'i!a'aMe'dë''bass~coui-<

MatiMn~ 's~v~te~6'1!H~ BdrdiH;6ddTa!t'aus8hÏM'8~i~e'h'ët)të~ la~ni~'êtd~ g~<lé!otM6r~ôtles deux propriét.a~tëibë'a~MpMi~cë~~Mie~d~nt~u~âvf~ ~a

Bitte! ~h-êta~f~ Jâ''R6t!!&é~poU~MMdttfe~a~d~têr~ui~ le 'a; 'rë'T@t~a'ÉOUt&ad~~e~ ~n~Tàë!Mênt''a~M'lF~fëah, 'à~e~~n~n~e~'elo~~ ~"Q~ët~a~ ~'bfa~ sa

femme,qui marchaitpéniblement en s'abpit&nt'~H~s'ôn'~m~n'~Dt''aè~am~~o~S~ s~a'~er-~ê ~t~b~nët~e' Bë~hpt~M!']~

a~n~b~MBë '?~8 ~ë~e~M:'L&!cM~'d'pr de sa montre lui battait sur la~~tri~aapMHM~s~î§~if~ë&s~ë~~ma~~9mes'a~4ni-~~gÜ~s3BHtt~fk)S'èsYdij\¡*nffiaffis~~)\i\Jé1f.,'tes'~d~4ni-~~n~irë'L'ënm~Wn~aÏrê'~n~an~m~

 îa't~lor~~dân%~a~eâr'bfaêier~~téL~ï~a~ lu~~m~M~4~?~"Hoii

Le salon ~~ë'~B%W~4a~r''d~aKÏ~MP ~ë&i~ d~Ë~t~~d~m~n<qe''M~~deI~~râi~~H~~Èë~~e~~n~ë~I~u?!p~i~~e~ ~u~it'a~ë~ ~&~~neB'Ié'p~rë~mta~ba%~

~~M'~coa~e~Msamt~mMer'îà'~u~roacKë\'le~~U~~ëh pèt~ d'e~M~saârë'mi-mettesajbM ~'aiSs~a~ôr:~Hë~.in~é'&~

t

Page 65: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 65/405

60 BOUVARDETPÊCUCUEf.

trouvaientune ressemblanceavecsonfils,et M"'Bor-din njouta, en regardant Bouvard,qu'il avaitda êtreun fort bel; homme.

Après une heure d'attente, Pécuchet annonçaqu'on pouvait passerdans la salle.

Les rideaux de calicot blanc à bordure rougeétaient, comme ceux du salon, complètementtirés

devant les fenêtres, et le soleil, Iraversantia toile,  jetait unelumière blondesur le lambris, qui avaitpour tout ornement un baromètre.

Bouvard plaça les deux dames auprès de lui;Pécuchetle maireà sagauche, lecuré à sa droite, etl'on entama leshuîtres. Ellessentaient la vase. Bou-vard fut désolé, prodigua les excuses, et Pécuchetse leva pour aller dans la cuisine faire une scèneàBeljambe.

Pendant tout le premier service, composé d'unebarbue entre un vol-au-ventet des pigeons en com-

pote, la conversationroula sur la manière de fa-briquer le cidre.Après quoi on en vint aux mets digestes ou in-

digestes. Le docteur, naturellement, fut consulté.Il jugeait les choses avec scepticisme,comme unhomme qui a vu le fondde la science, et cependantne toléraitpas la moindre contradiction.

En même temps que l'aloyau, on servit du bour-gogne. il était trouble. Bouvard,attribuant cet acci-dent au rinçage de la bouteille, en fit goûter troisautressans plusde succès,puis versadu Saint-Julien,

trop jeune évidemment, et tous les convives seturent. nurel souriait sans discontinuer; les paslourdesdu garçonrésonnaientsur les dalles.

Page 66: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 66/405

M~KA)~ 4~ ~Rc~t~a

~y~f j A

M" Y~p~Mb c~~e~tjt~ ~te~aitt~~u~t~e~Ja~ ~jg~)}, 4~aitgardé un mutisme absolu. BouYayd~DjB~ac~aNt)~~~l'-M'~j~PW~~ ~RC~j'J/< Ma.vs,jama~c~ (Teprit~~'9tP~/t')''<- /.L'J.t ~"f   ,0tj.n;i Jf: !~ff:u. ~i.t

M.Marescot,quandil habitait P;a~,M; {rq~cn-j~q~j~s~,? ,r~qTr.o! ;~li '.t. .<

~M4~nSp~ -)~y~ ~~aue~u~, pa~i~: ~(.~PW.. ~r4~f~ps~).~)~ jnsa'.tf;~'f' nQUaj~/ .ttïo'j '') ,?!h'in~ot~e~i ~m~ ~rj~oid~ a~at~J~.~C~'ë Utfjn'i:)! in~fhVM."if')f.3 tff'h;' "f'iif'ipirt«.~a ~je~e~~s~se~f;aj~t~a!ff~S4R~~M~J~ei~~M~t~iMc!M~ ~i~t-~8Su~<§~)~a~t t~u$~ ~P t~a~j~

tagM~~gP~~q-cJ

.u.Lf.i ~t'p~bncs jh.'?, ,~[

.Ot~a~fi~~MR~~f!m-~ ,s[f~ ff<<.j<)h<} j~nE~t~e .yo~ ~s: ,)~Bta'R~i~I~j% ~ouva'ut:)'' a'i~i'n~hh) ,x~ .~)' 'tt!n/ .t~~e&;i~~Mtj<t~S~ït~iS~~a)s:~r9~

Comment pas mêmela pièce de~~UaSt?.)~pHMe~e~ c~t~ra~à~jt~j~a~pan~ ~a-dame)BetdtB' ouu jaû-~jnafie:~~i~<j j') &'f~v

La v~uverépliqua en minaudant .e~ms'<t' pp~toa~i~~~nM<; BQ~~f~i8nt'opfoï'6éat:jn:0))'i<R:)f~in .qu:) m~qJ't C(!n~af~i';o~Oh

patNrMi~pe~~t~iiiat~adHr.~9)'!m

iaf ;4t-i.t-J'e:<n~ËS8a~.a~Ht..pa$!t!3-uj" ~)-~j'Bah.Mif'~us.t.'e'tnbJBa~aiex:.h'L' j;.j~j.r:l

Page 67: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 67/405

C2 BOUVARD ET P&CUCHET.

Essayonstout de même », dit Bouvard.Et il la baisasur les deux joues, aux applaudisse-

ments de la société.Presque aussitôt on débouchale champagne, dont

les détonations amenèrent un redoublement de

 joie. Pécuchetfit un signe, les rideauxs'ouvrirentetle jardin apparut.

C'était, dans le crépuscule,quelque chosed'effra-yant. Le rocher, commeune montagne, occupait legazon,le tombeaufaisaitun cube aumilieudes épi-nards, la pont vénitien un accent circonflexepar-dessus les haricots, et la cabane, au delà, unegrande tachenoire, car ils avaient incendié son toitde paille pour la rendre plus poétique. Les ifs, enforme de cerfs ou de fauteuils, se suivaient jusqu'àl'arbre foudroyé,qui s'étendait transversalementdela charmille à la tonnelle, où des pommes d'amourpendaient comme.desstalactites. Untournesol, ça et

là,étalait son

disque jaune.La

pagode chinoise,peinte en rouge, semblait un phare sur le vigneau.Les becs des paons,frappés par le soleil, se renvo-yaient des feux,et derrière la clairevoie, débarras-sée de ses planches, la campagne toute plate termi-nait l'horizon.Devant l'étcmnement de leurs convives, Bou-vard et Pécuchet ressentirent unp véritabte jouis-sance.. t

M. Bordin'surtout admira les paons mais leombeau no fut pas compris,ni la cabaneincendiée,

ni le mur en ruines. Puis chacun, à tour de rôle,passa sur le pont. Pour emplir le bassin, BouvardetPécuchet avaient charrié de Peau pendant toute b

Page 68: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 68/405

BOUVARDET PECUCHET. 63

matinée. Elle avait fui entre les pierles dn fond,mal jointes, et de la vase les recouvrait.

Tout en se promenant, onse permit,des critiques:« A votre place j'aurais fait cela. Les petits poissonten retard. Ce coin, franchement, n'est paspropre. /vec une taille pareille, jamais vousn'obtiendrezde fruits. »

Bouvardfut obligé de répondre qu'il se moquaitdesfruits.Commeon longeait la charmille, il dit d'un air

finaud:« Ah voila une personneque nous dérangeons;

milleexcuses M»La plaisanterie ne fut pas relevée.Tout le monde

connaissaitI&dame en plâtre.Enfin, aprèsplusieurs détours dansle labyrinthe,

on arrivadevantla porte aux pipes. Des regards destupéfaction s'échangèrent. Bouvard observait,le

visage de ses hôtes, et impatient de connattreleur opinion: « Qu'en dites-vous? »M°"Bordinéclatade rire. Tousfirent commeelle,

M.le curé poussait une sorte de gloussement, Hureltoussait, le docteur en pleurait, sa femmefut prised'un spasme nerveux, el, Foureau, homme sansgêne, cassaun Abd-el-Kaderqu'il mitdans sa poche,commesouvenir.

Quandon futsortide la'charmille, Bouvard,pourétonner son monde avecl'écho, cria de toutes sesforces

« Serviteur MesdamesNRienpas d'écho.Celatenait à des réparations fai-tesàla grange, le pignon et la toiture étant démolis.

Page 69: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 69/405

B~W~ 'ÈT~~VcW~?

.t~ cat&f)l~~h'i<sdr~~nB&ut~std~Ma8M~Mallaient comn~Mieer'ttOChpiap~déëo&MM~)!{Mavî~~t'b,)'d~ï't'i~peIacJ!M)r8~oie,t.~&~&ttMe'~[aii~'t'é~a~da~~ .f'):' ~:i a~.ifJE'f&-)j;hj'nJuv~<l~t)nt BfiatgM'ët'MM~'nwacoih ~anMoja' ron~~at~beaû~n~s~B~bte'~ sans (dm~is&~Ioa~~noire taitiee ça brosse 66<U'tMt'aictUaA~bMi~eiB

~~a'6< 'it'~Mt&~Mqoi: u~ ~Me{~e'i<!m'uf'aLe maire et l'abbé Jeufroy l'avaient. toukj~QtM~~cON~ti.it.Qhteaoiaa tBfc~Ms~ttjtîc~'CtMigR~s.

« Allons, Gjrju cloi~nez-vons M,dit J~t~M~M8af~'0&'f!~jdemantie)pM)~Bup~<(t<e.w i!~ ,¡

Moi l'aumône H, s'écria l'hun~BMfje~sp!~<thj~aMa~SBpt'aas/Ia!~guat-ret ) Atï-~MqjM~jrelpvede l'hôpital. i'asd'ouvc9~!(}~[UJthU~8)j)as~!B~?

 ja'<$~t)t'<i'~h:hata&Ha)~'Huj.f' <)t!j~<f~{~)'i)p. ,{uh!of.' Sa're sd'll<M)~ôpiB to)~)a~?<. t!ea/ ~e~tpMD~~.tp'jtesihahclica,/il!BQnsidjac~J~ jbow~9PJ~ ~M'

M~~Msoiiq'deMtghupiiîe&y.4.a ~t~e~St~v~~l'absinUtCet IcË f&èMF&s~tbutstttp~~xi$~N~(~eo~~0 6t' datcrdpaiô SQ)Dav6ta)th(~nB~S~Yte~~Watf~s.~s!HÈwcs~!à~s~t~<~bM~!oatiieo~M~décp~w~ !<?~Ë<;ivo~.M!ha!graBdtteic~tqtï)potWpi%t~p~!p~R~'d~nô"iuauftsang!tantd. sen.Qb~U~1)iQn~~8~(~)~sa~'?Mr~st~J[àfd~éN~ui~<{) fjd/. nnj), .en~

Bouvard, pour en Bnir, a!!acherch~M~BM'bûïtte.it'te~'i~t v~ibotBd:)ëab~t~T~~SM~t,

~m~dtepàrQbdaas i~iaNdiMs~ etb<g8~'M~<\t{)Easuit.e on blâma M. Bouvard. Detcifcs 6ot~~

~ance; favorisaient )e ~sr~es! iMité~&rdM~oo~ t d~)aoR.jardiiai,lp~& ,d~fe~jdapè~~i-jfMMiërehh~tJ~.Hi ~)~)t~')~fi ~d

Page 70: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 70/405

DOUVAHDET PÉCUCHET. 63

4.

Foureau exaltait le gouvernement, Hurel ne voyaitdans le monde que la propriété foncière. L'abbé

Jeufroy se plaignit de ce qu'on ne protégeait pasla religion. Pécuchet attaqua les impôts. M" Bordincriaitpar intervalle « Moi, d'abord, je déteste la

République », et le docteur se déclara pour le pro-grés. « Car enfin, monsieur, nous avons besoin de

réformes. Possible » répondit Foureau,«

maistoutes ces idées-là nuisent aux affaires. Je mefichedes affaires » s'écria Pécuchet.

Vaucorbeil poursuivit. « Au moins, donnez-nous l'adjonction des capacités. » Bouvard n'allait

pas jusque-là.« C'est votre opinion ? » reprit le docteur,

« Vous êtes toisé Bonsoir et je vous souhaite un

déluge pour naviguer dans votre bassinMoiaussi, je m'en vais », dit un moment après

M. Foureau et désignant sa poche où était l'Abd-el-

Kader « Si j'ai besoin d'un autre, je reviendrai. »Le curé, avant de partir, confia timidement à Pé-cuchetqu'il ne trouvait pas convenabte ce simulacrede tombeau au milieu des légumes.I!urei, en se re-tirant, salua très bas la compagnie. M.Marescotavaitdisparu après le dessert. jM°*°Bordin recommença te détail de ses corni-

chons, promit une seconde recette pour les prunesà l'eau-de-vie, et fit encore trois tours dans la grandeallée mais, en passant près du tilleul, le bas de sarobe s'accrocha, et ils l'entendirent qui murmurait:

« MonDieu quelle b&tiseque cet a:'L:'c oJusqu'à minuit, les deux amphitryons, sons lu !on-

nelle, exhalèrent leur ressentiment.

Page 71: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 71/405

BOUVARDETPÉCUCHET.66

Sans doute, on pouvait reprendre dans le dînerdeuxou trois petites chosespar-cipar-là et cepen-dant les convivess'étaient gorgés commedes ogres,preuve qu'il n'était pas si mauvais. Mais pour le

 jardin, tant de dénigrementprovenaitdelaplusnoire jalousie et s'échauOanttous les deux:

« Ah! l'eau manque dans le bassin Patience,

on y verra jusqu'à un cygne et des poissons1Apeine s'ils ont remarqué la pagodePrétendreque lesruinesnesontpaspropres

estune opiniond'imbécileEt le tombeau une inconvenance? Pourquoi

inconvenance? Est-ce qu'on n'a pas le droit jd'eaconstruire un dans son domaine? Je veuxmême m'yfaireenterrer

Ne parle pas de ça » dit Pécuchet.Puisils passèrent en revueles convives.

« Le médecin m'a l'air d'un joli poseur t

As-tu observé le ricanement de Marescot de-vant le portrait?Quel goujat que M.le maire Quandon dïno

dansune maison, que diable on respecte les curio-sités.

M""Bordin ?dit Bouvard.« Eh c'est une intrigante Laisse-moi tran-

quille. »Dégoûtés du monde, ils résolurent de ne plus

voir personne, de vivre exclusivement chez eux,pour euxseuls.

Et ils passaient des jours dans la cave à enleverle tartre desbouteilles,revernirent tous les meubles,encaustiquèrent les chambres chaque soir, en re-

Page 72: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 72/405

BOUVARD ET P&CUCHËT. 67

gardantle boisbrûler, ils dissertaientsur lemeilleur

systèmede chauffage.Ilstâchèrent par économiede fumer des jambons,

do couler eux-mêmes la lessive. Germaine, qu'ilsincommodaient, haussait les épaules. A l'époquedesconfitures,elle selâcha, et ils s'établirentdans lefournil.

C'étaitune ancienne buanderie, où il y avait,sousles fagots, une grande cuve maçonnée excellentepour leurs projets, l'ambition leur étant venue defabriquerdes conserves.

Quatorzebocaux furent emplis de tomates et depetitspois ils en lutèrent les bouchons avec de lachauxviveet du fromage, appliquèrentsur les bordsdes bandelettes de toile, puis les plongèrent dansl'eaubouillante.Elles'évaporaitils en versèrent dela froide la différencede température ut éclaterlesbocaux.Troisseulementfurent sauvés.

Ensuite ils se procurèrent de vieilles boîtes àsardines, y mirent des côtelettesde veau et les en-foncèrentdans le bain-marie. Ellessortirent rondescommedes ballons le reiroidissementles aplatirait.Pour continuer l'expérience, ils enfermèrent dansd'autres boites des œufs, dela chicorée,du homard,une matelotte, unpotage–et ils s'applaudissaient,comme M. Appert, « d'avoir fixéles saisons» depareillesdécouvertes, selon Pécuchet, l'emportaientsurles exploitsdes conquérants.

Ilsperfectionnèrentles acharsde M""Bordin, enépiçantle vinaigre avec du poivre et leurs prunes

à l'eau-de-vie étaient bien supérieures Ils obtin-rent par la macération des rata&asde framboiseet

Page 73: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 73/405

BOUVARDET FÈCUCHËT.68

d'absinthe. Avecdu miel et de l'angélique dans untonneau de Bagnols, ils voulurent faire du vin de

Malaga e!.ils entreprirent également la confectiond'un cl ampagne 1 Lesbouteilles de chablis, coupéesde moût, éclatèrent d'elles-mêmes. Alors il ne don.terent plus de la réussite.

Leurs études sedéveloppant,

ilsen

vinrentàsoupçonner des fraudes dans toute les denrées ali-

mentaires.Ils chicanaient le boulanger sur la couleur de son

pain. Ils se firent un ennemi de l'épicier, en luisoutenant qu'il adultérait ses chocolats. Ils se trans-~portèrent a Falaise, pour demander du jujube,et sous les yeux même du pharmacien, soumirentsa pâte à l'épreuve de l'eau. Elle prit l'apparenced'une couenne de lard, ce qui dénotait dela géla-tine.

Après ce triomphe, leur orgueil s'exalta. Ils ache-tèrent le matériel d'un distillateur en faillite~t bientôt arrivèrent dans la maison, des tamis,des barils, des entonnoirs, des écumoires. deschausses et des balances, sans compter une sébile àboulet et un alambic tête-de-maure, lequel exigeaun fourneau réuecteur, avec une hotte de chemi-née.

Ils appnrent comment on clarifie le sucre, et lesdiSerentes sortes de cuites, le grand et le petitperlé, le soufflé. le boulé, le morve et le caramel.

Maisil leur tardait d'employer l'atambic; et ils abor-dèrent les liqueurs fines, en commençant par l'a-nisette. Le liquide presque toujours entraînait aveclui les substances, ou bien elles se collaient dans le

Page 74: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 74/405

-v~p'M.1 6UVAitb E'r PE UCHJ!:T.

~autres~o?s~!s~'6tâSnnrH~s~ïe~<~sa~utbur'd'elles'~ratia~~a'ssm~"ae~î~6r~uisàien~i'c's" ni~ra~'ëv'an~ènt~r~ee"pointu,~p'oetdn~ peh~aMnt"~u-u~6u~t I~~î~t~s~ërjHës' ~aï- ta~Bté~t~ (i~ï'e''M~~ë~ë'î)bu!b~!r'a&]~'M'~M!e'St;dM~

M'iê~~e~~c~~m~d~u~~ëM'~s~~~ii,' juc! ')) fni.h f.ït.(f~yuut-!n,)Iii[rf Ln~hp~S~a~t~j~ -ii~o~ ~?~-ment que sa chemise et son pantalon tiré jusqt~Mt~Me'Té%Mn~c' sëS ~<~es~6~1!ë~~ais,~~i'ë6h)~e) an~o~ëh~ M'MjUHaït-~ai~Ti~~W~~ùrtn~o~'ë~~a~ f~ ~'&i'o

~P~het~'aMo~a!ïf~' c~ïni~bbHe'a~~'s&g~ë'~No~s6~'ùhë~ê~e~è'~ë~n~~a~~es' 'in~ëh% ~è~~dns~ërâ?ën~'<;bM~des~genstrès sérieux, occupé§'dë'ëMsës~t'i'Ms.

'ËNSn ~is re~rënt~u~fbnberto~'s's''autre's~~s'm~m~ae~brM~coïn~'da~ ib '~u~nié~ ? M~6&~mMë"dhn~

le~apa~uitH'~ ~~e~Om~~ans'M encreuse?ae ra~Dfc~~tnnie 'âan~ ~espe~;) dN'ca!~n~

~~cû~ ~~nie ~ans~ l~rattt~ànfBu~f'ët"6HeserM't ~Grëé'n r~e'4~ëc~u''Do!s~~s~ït'ia~M~so~'qijef-n~~I~Ir~'6~~ëfë~ar''a'un~M~ë~të~)oNgtempsche~ ~idefeiï~m&ëïrâina~o~e'

'Mtont~~ d~ ta~aru~eMdans,Ie&trois bocauxdp conserves.Les tomate~~!~e~spoïs'M'mr~ t-d1é\HHi~é~il~redu bou~tge~~r~e -p'r~etne'au~ou~~ë~~

Page 75: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 75/405

BOUVAUD ET PÉCUCHET.70

tourmenta. Pour essayer les méthodes nouvelle?,ils manquaientd'argent. Leur ferme lesrongeait.

Plusieurs fois, des tenanciers s'étaient offerts,Bouvard n'en avait pas voulu. Mais'son premiergarçoncultivaitd'après ses ordres, avecune épargnedangereuse, si bien que les récoltes diminuaient,tout périclitait, et ils causaient de leurs embarras,

quandmaître

Gouyentra dans le

laboratoire,es-

corté de sa femme qui se tenait en arrière, timide-ment.

Grâceà toutes les façonsqu'elles avaient reçues,les terres s'étaient améliorées, et il venait pouïreprendre la ferme. H la déprécia. Malgrétous learstravaux, les bénéfices étaient chanceux bref, s'illa désirait, c'était par amourdu payset regretd'aussibons maîtres. Onle congédia d'une manière froide.Il revint le soirmême.

Pécuchet avait sermonné Bouvard ils allaient

Séchir. Gouydemandaune diminutionde fermageet comm3 les autres se récriaient, il se mit à beu-gler plutôt qu'à parler, attestant le bon Dieu, énu-mérant ses peines, vantant ses mérites. Quand onle sommait de dire son prix, il baissait la tête aulieu de répondre. Alors,sa femme, assiseprès de laporte avec un grand panier sur les genoux, recom-mençaitles mêmes protestations, en piaillantd'unevoix aigue commeune poule blessée.

Enfin le bail fut arrêté aux conditionsde troismille francs par an, un tiers de moins qu'autre-

fois.Séance tenante, maître Gouy proposa d'acheterle matériel, et les dialoguesrecommencèrent.

Page 76: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 76/405

BOUVARD ET PÉCUCHET. 7i

L'estimation des objets dura quinzejours. Bou-vard s'en mourait de fatigue. Hlâcha tout pour unesomme tellement dérisoire, que Gouy, d'abordécarquillales yeux, et s'écriant « Convenu'», luifrappa dansla main.

Après quoi, les propriétaires, suivant l'usage,offrirent de casserune croûte à la maison, et Pécu-

chetouvritune bouteille de son malaga, moins pargénérositéqua dans l'espoir d'en obtenir des éloges.Maisle laboureur dit en rechignant

« C'est commedu sirop de réglisse, »Et sa femme, « pour se faire passer le goût »,

réclamaun verre d'eau-de-vie.Unechose plus grave les occupait Tousles élé-

ments de la « Bouvarine » étaient enfin rassem-blés.

Ilsles entassèrent dansla cucurbite, avecde l'al-cool, aUumèreit le feu et attendirent. Cependant

Pécuchet,tourmentépar la mésaventuredu malaga,prit dans l'armoire les boîtes de fer-blanc, fit sauterlecouverclede la première, puis de la seconde, dela troisième. Il les rejetait avec fureur et appelaBouvard.

Bouvardferma le robinet du serpentin pour seprécipiterversles conserves.La désiHusionfut com-plète. Les tranches de veau ressemblaient à dessemelles bouillies. Un liquide fangeux remplaçaitle homard. Onne reconnaissaitplus la matelotte.Des champignons avaient poussé sur le potage,

et une intotérableodeur empestaitle laboratoire.~Tout à coup, avec un bruit d'obus, l'alambicéclata en vingt morceaux qui bondirent jusqu'au

Page 77: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 77/405

M B~A~M~~Wâ

pM~d<PY~J~e~a~mt~NM~J~ !J~)~fJ!mf%.){IJl~J'~Jâ~r ~~$ ~rt!~c~l'I`~tnid~2ïp~9~t~ ~~jr~f~s6p~ai~9"ya: HB~?.~ ~<

La force de la vapeur avaitr~~J~m~

~~p~fJHlt,1P.acu~WA~~i~ro.tfflll.w ,flflP¡1o~R:Maud~~P~

Y m~ ~~cu~~e~uv~~ ~~h~fA~

c~apitqan~f(,~j~(n jj; lattJuYn.n~t;-) :)U

ino'u'j'So

-j~~e~~M~ ~~M.~?~

~~<~YS~$~-~W4f~P~~ret. Pendant.»RYJYM4,~1ftPtIlm~~1P~W1.JN ~"20~,)a~~ret. Pendantd~a~posture, n'o§a~ B~9n~?~P~e~(de ~~mi ~m' ~ss~d~s

s

pa.1Q~I¿Wrecouvrer ay.\Æ\dWJ1,nP,l\\~S~8Hajd(q,{tn~.:fI. Spurent recouvrer la .g~Sr~e~and&~q~I~T~ J~~j~M~ ~)~d~~ ~M~ Xn~i~ Mh~nnon qu'ils avaient manqué périr. Pécuchet'~nn~PM*ic~.~s~jtj-fu~)~ MBf)inMé~t.'nn ~1,

~tjau~Deu~~e~nousn~~on~~C~MRM ~'tUtnavRëôm~t 'mq 9in~nr)["i) Judoua~~T;)Ju)j'' jn ,ônnfd-T3'iab eoJ)f"!?"t!')'tk~m!'i H')p['ti'tqs& ,9(.tn~a3 ~i ')b ëim) .'nmniu'iq ninb 'j(:))'jju'' 9l

cioqtj~ Ja ~u~J'i 3:~j JMie~t t:~Itl .~n)''n~iù'nBi,î''i~vuuS

Ot! ~«''q.Nitnoq'i9ë jfb . )9nidm ef ~nn;)'J h')Hvno8.

-i[tu:r.tu~.n<)c'n)!i~'b ~.1 .c!')v'tdëno) s')) s')' i.'jJfqi~Ttq

{!9b ë .tnthi jj fnaeë' t' : { 't iav o~ ë~f~' ftHU ;t o~iq

~JLi!q~~)~~x~Ë'! ei'iUjui n'U .<")i!!)ij~) <f!-imô.'

.ujici'tt~tn B) '<f)!q iiC~itjrutu.)') ai; u'' .)) 'tr.,)(uJ ai.

~~ioq 9) 'u)? ~tiuq Jn~~vjs <-ffun~ii;.t;j~J.') <:3U

.t'")tn<"h:! <t{Jrj!J-«i')! 'itf'ho ':)~h:)!ii~ u.'n' J9

;nitft'!ti.t ,i!t'd' t'tt'td .~t' 'i; .<j'h" t. :tHuï'

.tH'i~itJ. ht"'uh!(i ):j.< ~iUJt: )" i!j~

Page 78: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 78/405

5

ni

Pour savoirla chimie, ils se procurèrent le coursdeRegnault et apprirent d'abord « que les corpssimplessont peut-être composés».

Onles distingue en métalloïdes et en métaux,différencequi n'a « rien d'absolu?, dit l'auteur. Demêmepour les acideset les bases, « un corpspou-vant se comporter à la manière des acides ou desbases, suivantles circonstance';».

La notation leur parut baroque. Les propor-tions multiples troublèrent Pécuchet.

« Puisqu'une molécule de A, je suppose, se

combineavec plusieurs parties de B, il me sembleque cette molécule doit se diviseren autant de par-ties mais si ellese divise, elle cesse d'être l'unité,la molécule primordiale. Enfin, je ne comprendspas.

Moinon plus Mdisait Bouvard.Et ils recoururentà un ouvrage moins difficile,

celuide Girardin,où ils acquirent la certitude quedixlitres d'air pèsent cent grammes, qu'il n'entrepas de plomb dans les crayons,.que le diamantn'est

quedu carbone.

Ce qui les ébahit par-dessus tout, c'est que laterre, commeélément,n'existe pM,

Page 79: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 79/405

BOCVARD ET PÉCUCHET.74

ï!s paisirent la manœuvre du chalumeau, l'or,l'argent, la lessive du tinge, t'étamage des casse-roles puis, .sans !e moindre scrupule, Bouvard etPécuchet se lancèrent d.tns la chimie organique.

Quelle merveille que de retrouver chez les êtresvivants les mômes substances qui composent lesBtineraux. Néanmoins ils éprouvaient une sorted'humiliation à i'tdce

queleur individu contenait

du phosphore comme les allumettes, de l'albuminecomme les blancs d'œul'), du gaz hydrogène commeles réverbères.

Après les couleurset les corps gras, ce fut le tourde la fermentation. <

Ktte les conduisit aux acides, et la loi de~

équivalents les embarrassa encore une fois. Ilstâchèrent de l'élucider avec la théorie des atomesce qui acheva de les perdre.

Pour entendre tout cela, selon Bouvard, il auraitfallu des instruments.

La dépense était considérable, et ils en avaient

trop fait.Mais le docteur Vaucorbeil pouvait, sans doute,

les éclairer.Ils se présentèrent au moment de ses consultations.

« Messieurs, je vous écoute quel est votremal ? »

Pécuchet répliqua qu'ils n'étaient pas malades, etayant exposé le but de leur visite

« Nous désirons connaître premièrement l'a-

tomicité supérieure.Le médecin rougit beaucoup, puis les blâma devouloir apprendre la chimie.

Page 80: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 80/405

BOUVARD ET PÉCUCHET. 75

« Je ne nie pas son importance, soyez-ensûrs 1 mais actuellement, on la fourre partout. Elleexerce sur la médecine une action déplorante, a

Et l'autorité de sa parole se renforçait au spec-tacle des choses environnantes

Du diachylum et des bandes traînaient sur lacheminée. La boite chirurgicale posait au milieu du

bureau, des sondes emplissaient une cuvette dansun coin, et il y avait contre le mur la représenta-tion d'un écorché.

Pécuchet en fit compliment au docteur.« Ce doit être une belle étude que l'anato-

mie? »M. Vaucorbeil s'étendit sur le charme qu'il éprou-

vait autrefois dans les dissections; et Bouvarddemanda quels sont les rapports entre l'intérieur dela femme et celui de l'homme.

Afin de le satisfaire~le médecin tira de sa biblio-

thèque un recueil de planches anatomiques.a Kmportez-les1 Vousles regarderez chezvous

plus a votre aise 1»Le squelette les étonna par la proéminence de sa

mâchoire~ les trous de ses yeux, la longueur ef-

frayante de ses mains. Un ouvrage explicatif leurmanquait ils retournèrent chez M. Vaucorbeil,et,grâce au manuel d'Alexandre Lauth, ils apprirentles divisions de la charpente, en s'ébahissant de

l'épine dorsale, seize fois plus forte, dit-on, que si leCréateurl'eût Mt droite. Pourquoi seizelois, pré-

cisértent?les métacarpiens désolèrent Bouvard; et Pé-

cuchet, acharné sur le crâne, perdit courage devant

Page 81: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 81/405

BOUVARD ET PÉCUCHET.76

le sphénoîdf, bien qu'il ressemble à une « selleturque ou turquesque».

Quant aui articulations, trop de ligaments lescachaient, et ils attaquèrent les muscles.

Maisles insertions n'étaient pas commodesà dé-couvrir, et, parvenusaux gouttières vertébrales,ils y renoncèrent complètement,

Pécuchet dit alors« Si nousreprenions la chimie, ne serait-ce quepour utiliser le laboratoire ?u

Bouvardprotesta,et il crut se rappeler que Fonfabriquait à l'usage des pays chauds des cadavrespostiches.

Barberou, auquel il écrivit, lui donna là-dessusdes renseignements. Pour dix francs par mois, onpouvaitavoirun des bonshommesdeM<Auzoux,etla semainesuivante, le messager de Falaisedéposadevantleur grille une caisseoblongue.

Ilsla transportèrent dansle fournil, pleins d'émo-tion. Quandles planches furent déclouées, la pailletomba, les papiers de soieglissèrent, le mannequinapparut.

Il était couleur de brique, sans chevelure',sanspeau, avec d'innombrables mets bleus, rouges et'blancs le bariolant. Celane ressemblaitpoint à uncadavre, mais à une espèce de joujou, fort vilain,très propre, et quisentait le vernis.

Puis ils enlevèrent le thorax,et ils aperçurent lesdeux

poumons, pareilsà deux

éponges;le cœur

tel qu'un gros œuf; un peu de côté par derrière, lediaphragme,les reins, toutle paquet des entrailles.

«Ala besogne Hdit Pécuchet,

Page 82: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 82/405

BOUVARD ET PÉCUCHET. 77

La journée et le soir y passèrent.Ils avaientmis des blouses, commefontles cara-

bins dans les amphithéâtres, et, à la lueur d~ troischandelles,ils travaillaientleursmorceauxde carton,quandun coup de poingheurta la porte. « Ouvrez »

C'étaitM.Foureau, suividu garde champêtre..Les maîtres de Germaines'étaient plu à lui mon-

trer le bonhomme. Elle avait couru de suite chez

l'épicier pour conter la chose, et tout le villagecroyait maintenant qu'ils recélaient dans:leurmai-son un véritable mort. Foureau, cédant à la rumeutpublique, venait s'assurer du fait des curieux setenaient dans la cour.

Le mannequin, quand il entra, reposait sur leflanc, et les muscles de la faceétant décrochés,l'œilfaisait une sailliemonstrueuse, avait quelquechose

d'effrayant.« Quivous amène? » dit Pécuchet.Foureaubalbutia« Rien, rien du tout. MEt, prenant une des pièces sur la table« Qu'est-ceque c'est? »

Le buccinateur», répondit Bouvard.Foureau se tut, mais souriait d'une façon nar-

quoise, jaloux de ce qu'ils avaientun divertissementau-dessus de sa compétence.

Les deux anatomistes feignaient de poursuivreleurs investigations.Les gens, qui s'ennuyaient surle seuil, avaient pénétré dans le fournil, et commeon

se poussaitun peu, la table trembla.« Ahc'est trop fort s'écria Pécuchet « dé-barrassez-nousdu publie1 »

Page 83: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 83/405

BOUVARDETP&CUCHET.7S

Le garde champêtre fit partir les curieux.« Très bien » dit Bouvard, nous n'avons besoin

de personne. »Foureau comprit l'allusion, et lui demanda s'ils

avaient le droit, n'étant pas médecins, du détenirun

objet pareil? Il allait, du reste, en écrire au préfet.Quel pays on n'était pas plus inepte, sauvage

et rétrograde. La comparaison qu'ils firent d'eux-mêmes avec les autres les consola ils ambition-naient de souffrirpour la science.

Le docteur aussi vint les voir. Il dénigra le man-

nequin comme trop éloigné de la nature, mais pro-Cta de la circonstance pour faire une leçon. <

Bouvard et Pécuchet furent charmés, et, sur leurdésir, M. Yaucorbeil leur prôta plusieurs volumesde sa bibliothèque, affirmant toutefois qu'ils n'i-raient pas jusqu'au bout.

Ils prirent en note, dans le Dictionnaire de

Sciences médicales, les exemples d'accouchement,de longévité, d'obésité et de constipation extraordi-naires. Que n'avaient-ils connu le fameux Canadiende Beaumont, les polyphages Tarare et Bijou, lafemme hydropique du département do l'Eure, lePiémontais qui allait à la garde-robe tous les vingt

 jours, Simon de Mirepoix, mort ossifié, et cet an-cien maire d'Angoulême, dont le nez pesait troislivres

Le cerveau leur inspira des réilexions philoso-phiques. Us distinguaient fort bien dans l'intérieur

le M/~MM: /Me~J~ composé de deux lamclles, et laglande pinéa!c, qui ressemble à un petit pois rouge;mai:}il y avait des pédoncules et dos vcutricuiest

Page 84: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 84/405

NOUVAKD ET PECUCHET. ':9

des arcs, des piliers, des étages, des ganglions et deslibres de toutes sortes, et le foramen de Pacchioni,et le corps de Paccini, bref un amas inextricable, de

quoi user leur existence.

Quelquefois, dans un vertige, ils démontaient

comptctement le cadavre, puis se trouvaient em-barrassés pour remettre en place les morceaux.

Cette besogneétait

rude, aprèsle

déjeunersur-

tout, et ils ne tardaient pas à s'endormir, Bouvard,le menton baissé, l'abdomen en avant, Pécuchet,la tête dans les mains, avec ses deux coudes sur latable.

Souvent, à ce moment-là, M. Vaucorbeil, qui ter-minait ses premières visites, entr'ouvrait la porte.

« Kh bien, les confrères, comment va l'anato-mie?

Parfaitement », répondaient-ilsAlors il posait des questions pour le plaisir de

les confondre.Quand ils étaient las d'nn organe, ils passaient àun autre, abordant ainsi et délaissant tour à tour lecœur, l'estomac, l'oreille, les intestins, car le bon-homme en carton les assommait, malgré leursefforts pour s'y intéresser. Enfin le docteur les sur-prit comme ils le reclouaient danssa boite.

« Bravo je m'y attendais. »On ne pouvait à leur âge entreprendre ces études,et le sourire accompagnant ces paroles les blessa

profondément.

De quel droit les juger mcupubles? Est ce que I&science appartenait à ce monsieur, comme s'il étaitlui-mêmeun personnage bien supérieur?Y

Page 85: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 85/405

BOUVARB ET PÉCUCHET.80

Donc, acceptant son défi, ils allèrent jusqu'àBayeuxpoury acheter des livres.

Cequi leur manquait, c'étaitla physiologie,et unbouquiniste leur procura les traités de Richerandetd'Adelon,célèbresà l'époque.

Tous les lieux communssur les âges, les sexesetles tempéraments leur semblèrentde la plus haute

importance ilsfurent bien aisesde savoirqu'il y adans le tartre des dents trois espècesd'animalcules,que le siège du goût est sur la langue, et la sensa-tion de la faim dans l'estomac.

Pour en saisir mieux les fonctions, ils regret-taient de n'avoir pas la faculté de ruminer, commuel'avaient eueMontègre,M.Gosse,etle frèrede Bérard,et ils mâchaient avec lenteur, trituraient, insali-vaiènt, accompagnantde la pensée le bol alimen-taire dans leurs entrailles, le suivaient mente jus-qu'à ses dernières conséquences,pleins d'un scru-

puleméthodique,d'une attentionpresquereligieuse.Afin de produire artificiellementdes digestions,

ils tassèrent de la viande dansune fiole où était lesuc gastrique d'un canard, et ils la portèrent sousleurs aissellesdurant quinzejours, sans autre résul-*~tque d'infecter leurs personnes.

On les vit courir le long de la grande route.revêtus d'habits mouillés et à l'ardeur du soleil.C'était pour vérifier si la soif s'apaise par l'appli-cation de l'eau sur i'épiderme. Ils rentrèrent hale-tants et tous les deux avecun rhume.

L'audition, la phonation, la vision furent expé-diées lestement; mais Bouvards'étala sur la géné-ration. `

Page 86: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 86/405

BOUVARD ET PECUCHET. 8i

Les réserves de Pécuchet, en cette matière,l'avaient toujours surpris. Son ignorance lui parutsi complète, qu'il le pressa de s'expliquer, et Pécu-chet, en rougissant, finit par faireun aveu.

Des farceurs, autrefois, l'avaient entraîné dansune mauvaisemaison, d'où il s'était enfui, se gar-dant pour la femme qu'il aimerait plus tard. Une

circonstanceheureuse n'était jamais venue, si bienque, par faussehonte, gêne pécuniaire, craintedesmaladies, entêtement, habitude, à cinquante-deuxans, et malgré le séjour de la capitale, il possédaitencoresa virginité.

Bouvardeut peine à le croire, puis il rit énor-mément, mais s'arrêta en apercevant des larmesdansles yeux de Pécuchet car les passions ne luiavaientpas manqué, s'étant tour à tour épris d'unedanseuse de corde, de la belle-sœur d'un archi-tecte, d'une demoiselle de comptoir, enfin d'une

petite blanchisseuse, et le mariage allait même seconclure,quand il avait découvert qu'elle était en-ceinte d'un autre.

Bouvardlui dit« Il y a moyen toujours de réparer le temps

perdu. Pas de tristesse, voyons.Je me charge. situ veux. »

Pécuchet répliqua, en soupirant, qu'il fallaitplusy penser et ils continuèrent leur physiologie.

Est-il vrai que la surface de notre corps dégageperpétueiïement une vapeur subtile? La preuve,c'est que le poids d'un homme décroît à chaqueminute. Si chaque jour s'opère l'addition de ce quimanqueet la soustractionde ce qui excède, lasantû

Page 87: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 87/405

DOUVAK!)RTP&CUCUET.83

se maintiendra en parfait équi)ibre. Sanctorius, l'in-venteur de cette loi, employa un demi-siècle à pe-ser quotidiennement sa nourriture avec toutes ses

excrétions, et se pesait lui-même, ne prenant de re-lâche que pour écrire ses calculs.

Ils essayèrent d'imiter Sanctorius. Maiscommeleur balance ne pouvait les supporter tous les deux,

ce fut Pécuchet qui commença.Il retira ses habits, ann de ne pas gêner la per-

spiration, et il se tenait sur le plateau, com-

plètement nu, laissant voir, malgré la pudeur, sontorse très long, pareil à un cylindre, avec des jam-bes courtes, les pieds plats et la peau brune. A sescôtés, sur une chaise, son ami lui faisait la lecture.

Des savants prétendent que la chaleur animale se

développe par les contractions musculaires, et qu'ilest possible en agitant le thorax et les membres pel-viens da hausser la température d'an bain tiède.

Bouvard alla chercher leur baignoire, et quandtout fut prêt, il s'y plongea, muni d'un thermo-mètre.

Les ruines de la distillerie, balayées vers le fondde l'appartement dessinaient dans l'ombre un vaguemonticule. On entendait par intervalles le grignot-tement des souris unevieille odeur de plantes aro-

matiques s'exhalait, et se trouvant là fort bien,ils causaient avec sérénité.

Cependant Bouvard sentait un peu de fraîcheur.«

Agitetes membres Mdit Pécuchet.

Il les agita, sans rien changer au thermomètre,« c'est froid décidément.

Je n'ai pas chaud, non plus », reprit Pécuchet

Page 88: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 88/405

BOUVARE ET PÉCUCHET 8~

saisi lui-même par un frisson. « Mais agite tesmembres pelviens agite-les! H.

Bouvardouvrait les cuisses, se tordait les flancs,balançait son ventre, soufflait comme un cachalot,

puis regardait le thermomètre, qui baissait tou- jours « Je n'y comprendsrien Je me remuepourtant 1

Pas assez »Et il reprenait sa gymnastique.Elle avait duré trois heures, quand une fois en-

coreil empoigna!e tube.« Comment douze degrés Ah bonsoir j&

me retire »Un chien entra, moitié dogue, moitiébraque, le

poiljaune, galeux, la languependante.Quefaire?pas de sonnettes et leur domestique

était sourde. Ils grelottaient, maisn'osaient bouger,dansla

peurd'être mordus.

Pécuchet crut habile de lancer des menaces, enroulant desyeux.

Alorsle chien aboya; et il sautait autour delabalance, où Pécuchet,se cramponnant aux cordesetpliantles genoux,tâchaitde s'éleverle plushaut pos-sible.

« Tu t'y prends mal», dit Bouvard et il se mità faire des risettes au chien en proférant des dou-ceurs.

Le chien, sans doute, les comprit. Il s'efforçaitde

le caresser, lui cullaitsespattes sur les épaules, leséraûait avecses ongles.« Allons maintenant 1voilàqu'il a emportéma

culotteM»

Page 89: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 89/405

BOUVABD ET P&C~CHET84

H se couchadessus et demeura tranquille.· Enfin, avec les plus grandes précautions, ils se

hasardèrent, l'un à descendre du plateau, l'autre àsortir dela baignoire et quandPécuchetfutrha-billé, cette exclamationlui échappa

« Toi, mon bonhomme, tu servirasà nos expé-riences. »

Quellesexpériences?On pouvaitlui injecter du phosphore,puisrenfer-.mer dans une cave pour voir s'il rendrait dufeuparles naseaux. Maiscomment injecter ? et du reste,on ne leur vendraitpas du phosphore.

Ils songèrent à l'enfermer sous une clochepneu-matique, à lui faire tespirer des gaz, à lui donnerpour breuvage des poisons. Tout cela peut-être neserait pas drôle Enfin, ils choisirent l'aimantationdé l'acier par le contactde la moelle épinière.

Bouvard, refoulantson émotion; tendait sur une

assiette des aiguilles à Pécuchet, qui les .plantaitcontre les vertèbres. Elles se cassaient, glissaient,tombaientpar terre ilen prenait d'autres, etlesen-fonçaitvivement,au hasard. Le chien rompitses at-taches, passa commeun boulet de canonpar les car-reaux, traversala cour, le vestibule et se présentadans la cuisine.

Germaine poussa des cris en le voyant tout en-sanglanté, avecdes ficellesautour des pattes.

Ses maîtres, qui le poursuivaient, entrèrent aumôme tnmcni. Il &1un bond et disparut.

Lavieilleservanteles apostropha.C'est encore une de vos bûtises, j'ca suis

sûre Et ma cuisine, elle est propre Ça le

Page 90: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 90/405

BOUVARD ET PECUCHET 85

renJra peut-êtreenragé Onen fourre en prison quine vousvalent pas »»

Ilsregagnèrent le laboratoire, pour éprouverlesaiguilles.

Pas une E~atiirala moindre limaille.Puis, l'hypothèsede Germaineles inquiéta. Il pou

vaitavoirla rage, revenir à l'improviste,se précipi-

ter sur eux.Le lendemain, ils allèrent partout aux informa-tions, et pendantplusieurs années, ils se détour-naient dans la campagne, sitôt qu'apparaissaitunchienressemblant à celui-là.

Les autres expérienceséchouèrent.Contrairementaux auteurs, les pigeons qu'ils saignèrent, l'esto-macplein ou vide, moururent dans le même espacede temps. Des petits chats enfoncéssousl'eau péri-rent au bout de cinq minutes et une oie, qu'ilsavaientbourrée de garance, offritdespériostesd'une

entièreblancheur.Lanutrition les tourmentait.Commentse fait-il qùe le môme suc produise des

os,du sang, dela lympheet des matières excrémen-tielles? Maison ne peut suivre les métamorphosesd'un aliment. L'homme qui n'use que d'un seulest chimiquementpareil à celui qui enabsorbeplu-sieurs. Vauquelin,ayant calculé toute )achauxcon-tenue dansl'avoined'une poule, en retrouva davan-tage dans les coquillesde ses œufs. Donc, il se faitune création de substance. De quellemanière? on

n'en saitrien.Onne sait même pas quelle est luforce du coeur.Dorelli,admetcollequ'il faut pour soulier un poids

Page 91: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 91/405

BOUVARD ET PÉCUCHET86

de cent quatre-vingt mille livres, et Kiell l'évalue àhuit onces environ, d'où ils conclurent que la physio-logie est (suivant un vieux mot)le roman de la mé-decine. N'ayant pu la comprendre, ils n'y croyaientpas.

Un mois se passa dans le désœuvrement. Puis ils

songèrent à leur jardin.L'arbre mort, étalé dans le milieu, était gênant

ils l'équarrirent. Cet exercice les fatigua. Bouvardavait, trèssouvent, besoinde faire arranger ses outilschezle forgeron.

Un jour qu'il s'y rendait, il fut accosté par'unhomme portant sur le dos un sac de toile, et qui lui

proposa des almanachs, des livres pieux, des mé-dailles bénites, enfin le Manuel de la santé, parFrançois Raspail.

Cette brochure lui plut tellement, qu'il écrivit àBarberou de lui envoyer le

grandouvrage. Barberou

l'expédia, et indiquait, dans sa lettre, une pharma-cie pour les médicaments.

La clarté de la doctrine les séduisit. Toutes les af-fections proviennent des vers. Ils gâtent les dents,creusent les poumons, dilatent le foie, ravagent lesintestins, et y causent des bruits. Ce qu'il y a demieux pour s'en délivrer, c'est le camphre. Bouvardet Pécuchet l'adoptèrent. Ils en prisaient, ils en

croquaient et distribuaient des cigarettes, des fla-cons d'eau sédative et des pitules d'aloès. Ils entre-

prirentmême la cure d'un bossu.

C'était uu enfant qu'its avaient rencontré un  jourde foire. Sa mère, une mendiante, l'amenait chezeux tous les matins. Ils frictionnaient sa bosse avec

Page 92: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 92/405

BOUVARD ET P&CUCHKT 87

de la graisse camphrée, y mettaient pendant vingtminutes un cataplasme de moutarde, puis la recou-vraient de diachylum, et pour être snr$ qu'il revien-drait, lui donnaient a déjeuner.

Ayant l'esprit tendu vers les helminthes, Pécuchetobservasur la joue de M°"Bordinune tache bizarre.Le docteur, depuis longtemps, la traitait par les

amers ronde au début comme une pièce de vingtsols, cette tache avait grandi, et formait un cerclerose. Ils voulurent l'en guérir. Elle accepta, mais

exigeait que ce fut Bouvard qui lui fit les onctions.Elle se posait devant la fenêtre, dégrafait le haut deson corsage et restait la joue tendue, en le regar-dant avec un œil qui aurait été dangereux sans la

présence de Pécuchet. Dans les doses permises et

malgré i'eu'ioi du mercure ils administrèrent du ca-lomel. Un mois plus tard, M""Bordin était sauvér

Elle leur fit de la propagande, et le percepi-~<1

descontributions, le secrétaire de la mairie, le mairelui-même, tout le monde dans Chavignolles suçaitdes tuyaux de plume.

Cependant le bossu ne se redressait pas. Le per-cepteur lâcha la cigarette, elle redoublait ses étouf-fements. Foureau se plaignit des pilules d'aloèsqui lui occasionnaient des hémorroïdes, Bouvardeut d"s mauy ~'estomac et Pécuchet d'atroces mi-

graines Ils 1 .dirent confiance dans Raspail, maiseurent soin de n'en rien dire, craignant de dimi-nuer leur considération.

Et ils montrèrent beaucoup de zèle pour la vac-cine, apprirent à saigner sur des feuilles de chou,firentmôme l'acquisition d'une paire de lancettes.

Page 93: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 93/405

BOUVARD ET PÉCUCHET88

Ils accompagnaientle médecin chezles pauvres,puis consultaientleurs livres.

Les symptômes notés par les auteurs n'étaientpas ceuxqu'ils venaient de voir. Quant aux noms~esmaladies, du latin, du grec, du français,une bi-garrure de toutes les langues.

On les compte par milliers, et la classification

linnéenne est bien commode,avecses genres et sesespèces; mais comment établir les espèces? Alorsils s'égarèrent dans la philosophiedela médecine.

Ils rêvaient sur l'archée de Van Helmont, le vita-lisme, le Brownisme, l'organicisme demandaientau docteur d'où vient le germe de la scrofule,versquel endroit se porte le miasme contagieux, et lemoyen, danstousles cas morbides, de distinguerlacause de ses effets.

« La cause et l'effet s'embrouillent, » répon-dait Vaucorbeil.

Son manque de logiqueles dégoûta, etilsvisi-tèrent les malades tout seuls, pénétrant dans lesmaisons,sous prétexte de philanthropie.

Au fond des chambres,sur de sales matelas, re-posaient des gens dont la ngure pendait d'un côté,d'autres l'avaient bouffieet d'un rouge écarlate, oucouleurde citron, oubien violette, avecles narinespincées, la bouche tremblante, et des râles, deshoquets, des sueurs, desexhalaisons de cuir et devieuxfromage.

Ils lisaientlesordonnances

deleurs médecins,

etétaient fort surpris que les calmants soientparfoisdes excitants, les vomitifs des purgatifs, qu'unmême remède convienne à des affectionsdiverses,

Page 94: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 94/405

BOUVARD ET PECUCHET 89

et qu'une maladies'en aille Sousdes traitementsop-posés.

Néanmoins ils donnaient des conseils, remon-taient le moral, avaientl'audace d'ausculter.

Leurimagination travaillait.Ils écrivirentau Roi,pour qu'on établît dans le Calvadosun institut degarde.-malades,dont ils seraientles professeurs.

Ils setransportèrent

chez lepharmacien

deBayeux(celuide Falaise leur en voulait toujours àcausede son jujube), et ils l'engagèrent à fabri-quer commeles Anciensdesjo~a~M'y~o?*~ c'est-à-dire des boulettes de médicaments, qui, à forced'être maniées, s'absorbent dans l'individu.

D'aprèsce raisonnement qu'en diminuant la cha-leur on entrave les phlegmasies, ils suspendirentdans son fauteuil, aux poutrelles du plafond, unefemmeaoëctée de méningite, et ils la baïa'nçaientàtour'de bras, quand le marir survenant les nanqua

dehors.Enfin, au grand scandale de M. le curé, ilsavaientpris la mode nouvelled'introduire des ther-momètresdans les derrières.

Une fièvre typhoïde se répandit aux environsBouvarddéclara qu'il ne s'en mêlerait pas. Maislafemmede Gouy,leur fermier, vint gémir chsz eux.Son homme était malade depuis quinze jours, etM.Vaucorbeille négligeait.

Pécuchetse dévoua.Tacheslenticulairessurlapoitrine, douleursaux ar-

ticulations,ventre ballonné, langue rouge, c'étaienttous les symptômesde la dothienentérie. Serappe-lantlemotdeRaspailqu'enôtantla dièteonsupprime

Page 95: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 95/405

HO~VAtU' HT fËCUCHKT90

la fièvre,il ordonnadesh'nutions, un peude viande.Toutà couple docteur parut.

Son maladeétait en train de manger, deux oreil-lers derrière le dos, en.re la fermière et Pécuchetqui le forçaient.

Il s'approcha du lit, et jeta l'assiette parla fe-nêtre, en s'écriant

« C'estun véritablemeurtrePourquoi?iVous perforez l'intestin, puisque la fièvrety-

phoïde est une altération de sa membrane follicu-laire.

Pas toujours »1

Et une dispute s'engagea sur la nature de nèvres.Pécuchet croyaità leur essence.Vaucorbeilles fai-sait dépendre des organes: « Aussi j'éloigne toutce quipeut surexciter1

Maista diète affaiblitle principe vital

Qu'est-ce que vous me chantez avec votreprincipevital? Commentest-il ? qui l'a vu?»

Pécuchets'embrouilla.« D'ailleurs, » disait le médecin, « Gouyne veut

pas de nourriture. »Le malade fit un geste d'assentiment sous son

bonnet de coton.« N'importe il en a besoin 1

Jamais son pouls donne quatre-vingt-dix-huitpulsations.

Qu'importent les pulsations Et Pécuchet

nomma ses autorités.« Laissonsles systèmes ))dit le docteur.Pécuchetcroisales bras.

Page 96: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 96/405

BOUVARD ET PÉCUCHET 9t

« Vous êtes un empirique, alors?–Nullement! mais en observant.

Et si on observe mat ? »nVaucorbeil prit cette parole pour une allusion à

l'herpès de M' Bordin, histoire clabaudée par laveuve, et dont le souvenir l'agaçait.

« D'abord, il faut avoir fait de la pratique.

Ceux quiont révolutionné la science

n'en fai-saient pas Van Heimont, Boerbave, Broussais lui-même. »

V~ucorbeil,sans répondre, se pencha vers Gouy,et haussant la voix

« Lequel de nous deux choisissez-vouspour mé-decin? »

Le malade, somnolent, aperçut des visages encolère, et se mit à pleurer.

Sa femme non plus ne savait que répondre carl'un était habile mais l'autre avait peut-être un

secret?« Trèsbien » dit Vaucorbeil, « puisque vous ba-lancezentre un homme nanti d'un diplôme. »Pécuchetricana. « Pourquoi riez-vous?

C'est qu'un diplôme n'est pas toujours un ar-

gument »Le docteur était attaqué dans son gagne-pain,

dans sa préroeative, dans son importance sociale.Sa colère éctata

« Nousle verrons quand vous irez devant les tri-bunaux pour exercice illégal dAla médecine » Puis,

se tournant vers la fermière « Faites-le tuer parmonsieur, tout à votre aise, et que je sois pendu si

 je reviens jamais dans votre maison »

Page 97: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 97/405

BOCVABPET PECUCHET~2

Et il s'enfonça sousla hêtrée, en gesticulant Avecsa canne.

Boudard, quand Pécuchet rentra, était lui-mêmedans une grande agitation.

Il venait de recevoir Foureau, exaspéré par seshémorroïdes. Vainement avait-il soutenu qu'ellespréservent de toutes les maladies.Foureau, n'écou-tant

rien,l'avait menacé de

dommageset intérêts.

Il en perdait la tête.Pécuchetlui contal'autre histoire, qu'il jugeaitplus

sérieuse, et fut un peu choqué de son indiffé-rence. 1

Gouy, le lendemain, eut une douleur dans l'ab-domen. Cela pouvait tenir à l'ingestionde la nour-riture. Peut-être que Yaucorbeil ne s'était pastrompé? Un médecin,après tout, doit s'y connaître1et des remords assaillirent Pécuchet.Il avait peur,d'être homicide.

Par prudence, ils congédièrentle bossu. Mais, àcause du déjeuner lui échappant, samère cria beau-coup. Ce n'était pas la peine de lés avoirfaitvenirtous les jours de-Barnevalà Chavignollesf 

Foureau se calma et Gouyreprenait des forces.A.présent, la guérison était certaine: un tel succèsenhardit.Pécuchet.

« Si nous travaillionsles accouchements,gvecunde ces mannequins.

Assez dé mannequins1Cesontdes demi-corpsen peau, inventéspour

les élèves sages-femmes.Il me semble que je re-tournerais le foetusMaisBouvardétait las de la médecine.

Page 98: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 98/405

BOUVARD ET PÉCUCHET ~3

« Les ressorts de la vie nous sont cachés,les af-fectionstrop nombreuses, les remèdes probléma-,tiques, et on ne découvredans les auteurs au-'cune définitionraisonnable de la santé, de la ma-ladie,de la diathèse, ni même du pus a»

Cependanttoutes ces lecturesavaient ébranléleurcervelle.

Bouvard,à l'occasiond'un rhume, se figura qu'il <commençaitune fluxionde poitrine. Dessangsuesn'ayantpas affaiblile point de côté, il eut recours àun vésicatoire,dont l'action se porta sur 1m reins.Alors,il secrut attaqué dela pierre.

Pécuchet prit une courbature à l'élagage de lachr.rmille,et vomitaprèsson dîner, ce quil'effrayabeaucoup puis, observantqu'il avaitle teint un peu

  jaune, suspectaune maladie de foie, se demandait.« Ai-je desdouleurs? »Etfinitpar en avoir.

S'attristant mutuellement, ils regardaient leurlangue, se tâtaient le pouls, changeaient d'eau mi-nérale, se purgeaient, et redoutaientle froid, lachaleur, le vent, la pluie, les mouches, principale-mentles courants d'air.

Pécuchetimaginaque l'usage de la pri~ était fu-neste. D~ailleurs,un éternûment occasionneparfoisla rupture d'un anévrisme, et il abandonnalatabatière. Par habitude, il y plongeait les doigts;tpuis, tout à coup, se rappelait son imprudence.

Commele cafénoir secoueles nerfs. Bouvardvou-

lut renoncer à la demi-tasse mais il dormaitaprèsses repas et avaitpeur en se réveillant, car le som-meil prolongé est une menace d'apoplexie.

Page 99: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 99/405

BOUVARD KT PECUCHET9~.

Leur idéal était Cornaro, ce gentilhomme véni-tien, qui, à force de régime, atteignit une extrêmevieillesse. Sans l'imiter absolument, on peut avoirles mêmes précautions, et Pécuchet tira do sa bi-Miothèque un Manuel d'hygiène, par le docteurMorin.

Comment av-aient-ilsfait pour vivre jnsque-là ?

Les platsqu'ils aimaient s'y trouvent défendus. Ger-maine, embarrassée,ne savaitplus que leur servir.Toutesles viandesont des inconvénients.Lebou-

din et la charcuterie, le hareng saur, le homardetle gibier sont « réfractaires ». Plus un poisson,estgros, plus il contient de gélatine, et, par consé-quent, est lourd. Leslégumes causentdes aigreurs,le macaroni donnedes rêves, les fromages, « consi-dérés généralement, sont d'une digestiondifficile».Unverre d'eau le matin est « dangereux Chaqueboisson ou comestible étant suivi d'un avertisse-

ment pareil, ou bien de ces mots « mauvaisgardez-vousde l'abus ne convient pas à tout

le monde 1» Pourquoimauvais? où est l'abus?commentsavoirsi telle chosevousconvient?2

Quelproblèmeque celui'du déjeuner Ils quittè-rent lecaféau lait, sur sa détestable réputation, etensuite le chocolat; carc'est « un amas de subs-tances indigestes ». Restait donc le thé. ~iais« lespersonnesnerveuses doiventse l'interdire c'"nplète-ment M. Cependant Decker, au XVII" siècle, enprescrivaitvingt décalitrespar jour, afinde nettoyerles marais du pancréas.

Cerenseignement ébranlaMorindansleur estime,d'autant plus qu'il coud.Muuotoutes les cuiS'mc'

Page 100: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 100/405

BOUVARD ET PËCUCUHT 95

chapeaux, bonnets et casquettes, exigence qui ré-voltaPécuchet.

Alors ils achetèrent le traité de Becquerel, où ilsvirentque le porc est en soi-même « un bon ali-ment, » le tabac d'une innocence parfaite, et le caféaindispensable aux militaires ».

Jusqu'alors ils avaient cru à l'insalubrité des en-droits humides. Pas du tout Casper les déclaremoinsmortels que les autres. Onne se baigne pasdans la mer sans avoir rafraîchi sa peau. Bégin veut

qu'on s'y jette en pleine transpiration. Le vin puraprès la' soupe passe pour excellent à l'estomac.

Levyl'accuse d'altérer les dents. Enfin, le g~letdeflanelle,cette sauvegarde, ce tuteur de la santé, ce

palladiumchéri de Bouvard et inhérent à Pécuchet,sans ambages ni crainte de l'opinion, des auteurs ledéconseillentaux hommes piéthoriques et sanguins.

Qu'est-ce donc que l'hygiène?« Vérité en

deçàdes

Pyrénées,erreur au

delà», affirmeM. Levy, et Becquerel ajoute qu'ellen'estpas une science.

Alors ils se commandèrent pour leur dîner deshuîtres, un canard, du porc auxchoux, de la crème,un Pont-1'Ëvêque et une bouteitle de Bourgogne.Cefut un affranchissement, presque une revanche,

et ils se moquaient de Cornaro 1Fallait-ilêtreimbécilepour se tyranniser comme lui Quellebas-sesseque de penser toujours an prolongement desonexistence La vie n'est bonue qu'à la conditiond'en

 jouir. ,t« Encore un morceau?-Je veuxbien.

Page 101: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 101/405

96 BOUVARD ET PÉCUCHET

Moide même1

Ala santé1A la tienne 1Et fichons-nousdu reste »

Ils s'exaltaient.Bouvardannonçaqu'il voulaittrois tasses de café,

bien qu'il ne fût pas un militaire. Pécuchet, la cas-

quette sur les oreilles, prisait coup sur coup, éter<nuait sans peur et, sentant le besoind'un peu dechampagne, ils ordonnèrent à Germained'aller desuite au cabaret leur en acheter une bouteille. Levillageétait trop loin. Ellerefusa. Pécuchetfu~indi-gné

« Je vous somme, entendez-vous je voussommed'y courir. »

Elle obéit, mais en bougonnant, résolue à lâcherbientôt ses maîtres, tant ils étaient incompréhensi-bles et fantasques.

Puis, commeautrefois,ils allèrent prendre le glo-ria sur le vigneau.La moissonvenait de unir, et des meules, ac

milieu des champs, dressaient leurs masses noiressur la couleur de la nuit bleuâtre et douce. Lesfermes étaient tranquilles. On n'entendait mêmeplusles grillons. Toutela campagnedormait. Ils di-géraient en humant la brise, qui rafraîchissaitleurspommettes.

Le.ciel, très haut, était couvertd'étoiles les unesbrillantpar groupes,d'autres à là file,ou bien seules

à des intervalles éteignes. Une zone de poussièrelumineuse, allant du septentrion au midi, se bifur-

quait au-dessus de leurs têtes. II yavait eu~ô ces

Page 102: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 102/405

DOCVARD ET PÉCUCHET 97

6

clartésde grands espaces vides, et le nrmamentsemblaitune mer d'azur, avecdes archipels et des

 îlots.« Quellequantité t Ms'écria Bouvard.« Nous ne voyons pas tout » reprit Pécuchet.

« Derrièrela voie lactée, ce sont les nébuleuses audelàdes nébuleuses, des étoilesencore la plus voi-

sineest séparéede nous par trois cents billions demyriamètres.»11avaitregardé souvent dans le télescope de la

place Vendômeet se rappelait les chiffres.« Le Soleilest un millionde foisplus gros quela

Terre,Siriusa douzefoisla grandeur du soleil, descomètesmesurent trente-quatre millionsde lieues1

C'està rendre fou, » dit Bouvard.Il déplora son ignorance, et même regrettait de

n'avoirpas été, dans sa jeunesse, à l'Ecolepolytech-nique.

AlorsPécuchet, le tournant vers la Grande-Ourse,lui montra l'étoile polaire, puis Cassiopée,dont laconstellationforme un Y, Véga de la Lyre, toutescintillante,et, au bas de l'horizon, le rouge Alde-baran.

Bouvard, la tête renversée, suivait péniblementlestriangles, quadrilatères et pentagones qu'il fautimaginerpour se reconnaître dans le ciel.

Pécuchetcontinua« La vitesse de la lumière est de quatre-vingt

millelieues dans une seconde. Un rayon dela voie

iactéemet six siècles à nous parvenir. Si bienqu'uneétoile, quand on l'observa peut avoir dis-paru. Plusieurs sont in~~Heil~ d'autres ne

'-A

Page 103: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 103/405

98 BOUVARD ET PÉCUCUET

reviennent jamais et elles changent de posi-tion tout s'agite, tout passe.

Cependantle Soleilest immobile1On le croyaitautrefois. Maisles savants, au-

 jourd'hui, annoncentqu'il se précipitevers la cons-tellation d'Hercule »

Celadérangeaitles idées de Bouvard, et, après

une minute de réuexion« La science est faite suivant les donnéesfour-nies par un coin de l'étendue. Peut-être ne con-vient-ellepas à tout Je reste qu'on ignore, qui estbeaucoup plus grand, et qu'on ne peut décou-vrir. »

Us parlaient ainsi, debout sur le vigneau, à lalueur desastres, et leurs discoursétaient coupésparde longs silences.

Enfinils se demandèrents'il y avait des hommesdans les étoiles. Pourquoipas? Et comme la créa-

tion est harmonique, les habitants de Sirius de-vaient être démesurés, ceux de Mars d'une taillemoyenne, ceux de Vénus très petits. A moins queoe ne soit partout la même chose. Il existe là-hautdes commerçants, des gendarmes on y trafique,on s'y bat, on y détrône desrois.

Quelques étoilesfilantes glissèrent tout à coup,décrivant sur le ciel comme la parabole d'unemonstrueuse fusée.

« Tiens,dit Bouvard,voilàdes mondesqui dispa-raissent. »

Pécuchet reprit« Si le nôtre, àson tour, faisait la cànrtoie,Iescitoyens des étoilesne seraient pas plus émus que

Page 104: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 104/405

BOUVARDET P&CUCHET 99

nousne le sommes maintenant. Depareilles idéesvousrenfoncentl'orgueil.

Quelest le but de tout cela?Peut-être qu'il n'y a pas de but.Cependant. »

Et Pécuchet répéta deux ou trois fois « cepen-dant » sans trouver rien de plus à dire.

« N'importe, je voudrais bien savoir commentl'universs'est fait.<:eladoit être dans Buffon, » répondit Bou-

vard,dont les yeuxse fermaient.« Je n'en peux plus,je vais me coucher. »Les Époques <~ la nature leur apprirent qu'une

comète, en heurtant le soleil, en avaitdétachéuneportion, qui devint!a terre. D'abord les pô)es s'é-taient refroidis.Toutes lés eaux avaient enveloppéle globe elles s'étaient retirées dans les cavernespuis les continents se divisèrent, les animaux et

l'hommeparurent.Lamajesté de la créationleur causaun ébahisse-mentinûni commeelle.

Leur tête s'élargissait. Ils étaient fiers de réflé-chirsur de si grandsobjets.

Les minéraux ne tardèrent pas à les fatiguer, etils recoururent, commedistraction,aux N<M'Nt<MMMdeBernardinde Saint-Pierre.

Harmonies végétales et terrestres, aériennes,aquatiques, humaines, fraternelles et même con-

 jugales, tout y passa, sans omettreles invocations

à Vénus,aux Zéphyrs et aux Amours. Ils s'éton-naient que les poissons eussent des nageoires, lesoiseaux des ailes, les semences une enveloppe

Page 105: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 105/405

iOO BOUVARDET PÉCOCHET

pleins de cette philosophiequi découvre dans lanature des intentions vertueuses et la considèrecomme une espèce de saint Vincent de Paul tou-

 jours occupé à répandre des bienfaits 1Ils admirèrent ensuite ses prodiges, les trombes,

les volcans, les foretsvierges, et ils achetèrent l'ou-vrage deM. Deppingsur les ~c~ et ~c<K~Mde

la nature en .Fh~cc. Le Cantal en possède trois,l'Hérault cinq, la Bourgogne deux, pas davantage,tandis que le Dauphiné compte à lui seul jusqu'àquinze merveilles. Mais bientôt on n'en trouveraplus. Les grottes à stalactitesse bouchent, les mon-tagnes ardentes s'éteignent, les glacières na~ur~Uess'échauffent, et les vieux arbres dans lesquels ondisaitla messetombent sousla cognéedes niveleursou sont en train de mourir.

Puis leur curiositése tourna vers les bêtes.Us rouvrirent leur Buffon et s'extasièrent devant

les goûts bizarresde certainsanimaux.Maistous les livresne valantpas une observationpersonnelle, ils entraient dans les cours et deman-daient aux laboureurs s'ils avaientvu destaureauxse joindre à des juments, les cochons rechercherles vaches,et les mâles des perdrixcommettreentreeux des turpitudes.

« Jamaisd" la vie. »Ontrouvait même ces questions un peu drôles

pour des messieursde leur âge.Ilsvoulurent tenter des alliancesanormales.

~a moins difficileest celle du bouc et de la bre-bis. Leur fermier ne possédait pas de bouc, unevoisineprêta le sien, et I'.époquedu rut étant venue~

Page 106: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 106/405

BOUVARDET PÉCUCHET iOi

fi.

Usenfermèrent les deux bêtes dans le pressoir, ense cachantderrière les futailles, pour que l'événe-ment pût s'accompliren paix.

Chacuned'abo~i mangea. son petit tas de foin,puiselles ruminèrent; la brebis se coucha, et elleb&Laitsans discontinuer, pendant que le bouc, d'a-

plombsur ses jambes torses, avecsa grande barbe

et ses oreilles pendantes, fixait sur eux ses pru-nelles, qui luisaient dans l'ombre.Enfin, le soir du troisième jour, ils jugèrent con-

venablede faciliterla nature mais le bouc, se re-tournant contre Pécuchet, lui flanqua un coup decornesau bas du ventre. La brebis, saisie de peur,se mit à tourner dans le pressoir commedans unmanège. Bouvardcourut après, se jeta dessuspourla retenir, et tomba par terre avec des poignéesdelainedans les deuxmains.

lls renouvelèrent leurs tentatives sur des poules

et un canard, sur un dogue et une truie, avecl'es-poirqu'il en sortirait des monstres, ne comprenantrienà la questionde l'espèce.

Ce mot désigne un groupe d'individus dontlesdescendants se reproduisent; mais des animauxclasséscomme d'espèces diBërentespeuvent se re-produire,et d'autres, comprisdansla même, en ontperdu lafaculté.

Ilsseflattèrentd'obtenirlà-dessusdes idéesnettesen étudiant le développementdes germes, et Pécu<

chetécrivit à Dumouchelpour avoirun microscope.Tour à tour ils mirent sur la plaque de verre des

cheveux,du tabac, des ongles,unepatte de mouchemais i}s ava;ent oublié la goutte d'eau indispon-

Page 107: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 107/405

BOUVARD ET PÉCUCHET103

sable c'était, d'autres fois, la petite lamelle, et ilsse poussaient,dérangeaientl'instrument puis, n'a-percevant'que du brouillard, accusaientl'opticien.Us en arrivèrentà douter du microscope.Les décou-vertesqu'on luiattribue ne sont peut-être pas si po-sitives?

Dumouchel,en leur adressant la facture, les pria

de recueillir à son intention des ammonites et desoursins, curiositésdont il était toujours amateur, etfréquentes dans leur pays. Pour les exciter à la

géologie, il leur envoyaitles « Lettres » de Ber-trand avec le « Discoursde Cuvier» surles révolu-tionsdu globe. <

Après ces deux lectures, ils se figurèrent leschosessuivantes

D'abord une immense nappe d'eau, d'où émer-geaient des promontoires tachetés par des lichens,et pas un être vivant,pas un en. C'étaitun monde

silencieux,immobileet nu; puis delonguesplantesse balançaientdans un brouillard qui ressemblaitàlavapeurd'une étuve. Unsoleiltout rouge surchauf-fait l'atmosphère humide. Alors des volcansécla-tèrent, les rochesignées jaillissaientdes montagnes,et la pâte des porphyreset des basaltes, qui coulait,sengea. Troisièmetableau dans des mers peupro-fondes, des î!es de madrépores ont surgi un bou-quet de palmiers,de place en place, les domine.Il ya des coquillespareillesà des roues de chariot, destortues qui ont trois mètres, des lézardsde soixante

pieds des amphibies allongent entre les roseauxleur col d'autruche à mâchoire de crocodile desserpentaail~ss'envolent. I~n&n,sur les grandsconti"

Page 108: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 108/405

BOUVARD ET PÉCUCHET -!03

nents, de grands mammifèresparurent, les membresdifformescommedes pièces de bois mal équanies,le cuir plusépaisque des plaquesdebronze, ou bienvelus,lippus, avec des crinièreset des défensescon-tournées.Des troupeaux de mammouthsbroutaientles plaines où fut depuis l'Atlantique; le paléothé-rium, moitié cheval, moitié tapir, bouleversaitdeson

grouinles fourmilières de

Montmartre,et le

cervusgiganteus tremblait sousles châtaigniersà lavoixde l'ours des cavernes, qui faisait japper danssa tanière le chien de Beaugency, trois fois hautcommeun loup.

Toutesces époques avaientété séparées les unesdes autres par des cataclysmes,dont le dernier estnotre déluge. C'étaitcommeune féerieen plusieursactes,ayant l'hommepour apothéose.

Ils furent stupéfaits d'apprendre qu'il existait surdes pierres des empreintes de libellules, de pattes

d'oiseaux et, ayant feuilletéun des manuels Roret,ils cherchèrentdes fossiles.Une après-midi, commeils retournaient des si-

lexau milieu de la grande route, M. le curé passa,et, lesabordant d'une voix pateline

« Ces messieurs s'occupent de géologie? Fortbien. v

Caril estimait cette science. KUeconfirmel'auto-rité des Écritures en prouvant le déluge.

Bouvardparla des coprolithes,lesquels sont desexcrémentsde botes, pétrinés.

L'abbé Jeufroy parut surpris du fait après tout,s'ilavaitlieu, c'était une raison de plus d'admirer laProvidence.

Page 109: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 109/405

BOUVARD ET PÉCUCHET404

Pécuchet avoua que leurs enquêtes jusqu'alorsn'avaientpas été fructueuses et cependant les en-virons de Falaise, commetous les terrains jurassi-ques, devaientabonderen débrisd'animaux.

« J'ai entendu dire, » répliqua l'abbé Jeufroy,« qu'autrefois on avait trouvéà Yillersla mâchoired'un

éléphant.» Dureste, un de ses

amis,M.Larso-

neur, avocat, membre du barreau de Lisieuxet ar-chéologue,leur fournirait peut-être des renseigne-ments Il avaitfait une histoire de Port-en-Bes~noù était notée la découverted'un crocodile.

Bouvardet Pécuchet échangèrent un coup d\éule même espoirleur était venu et malgréla chaleur,ilsrestèrent deboutpendant longtemps,à interrogerl'ecclésiastique, qui s'abritait sous un parapluiedecotonbleu. Il avait le bas du visageun peu lourd,avecle nezpointu, souriait continuellement,ou pen-

chait Ja tôte en fermantles

paupières.Laclochede l'église tinta l'angelus.« Bien le bonsoir, messieurs1 Vous permettez,

n'est-ce pas?2Recommandéspar lui, ils attendirent durant

trois semaines la réponse de Larsoneur.Enfin ellearriva.

L'hommede Villers qui avait déterré la dent demastodontes'appelait LouisBbche les détailsman-quaient. Quant &son histoire, elle occupaitun desvolumesde l'Académie Lexovienne,et il.no prêtait

point son exemplaire,dans la peur de dépareiller lacollection. Pource qui était de l'alligator, on l'avaitdécouvertau mois de novembre 1825, sous lajh-laise des Hachettes, à Sainte-Honorine, près de

Page 110: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 110/405

BOUVARD ET P&CUCUET i05

Port-en-Bessin, arrondissement de Bayeux. Sui-vaientdes compliments.

L'obscuritéenveloppantle mastodonteirrita le dé-sir de Pécuchet. Il aurait voulu se rendre tout desuiteà Villers.

Bouvardobjectaque, pour s'épargner un déplace-ment peut-être inutile, et à coup sûr dispendieux,ilconvenaitde

prendredes informations, et ils écri-

virentau maire de l'endroit une lettre, où ils lui de-mandaient ce qu'était devenu un certain LouisBIoche.Dans l'hypothèse de sa mort, ses descen-dantsou collatérauxpouvaient-ils les instruire sursa précieuse découverte? Quandil la 6t, à quelleplacede la commune gisait ce documentdes âgesprimitifs?Avait-ondes chances d'en trouver d'ana-logues?Quelétait, parjour, le prix d'un homme etd'unecharrette?

Et ils eurent beau s'adressera l'adjoint, puis au

premierconseiller

municipal,ils ne

reçurentde Vil-

lersaucunenouvelle.Sansdouteles habitantsétaient jalouxdeleurs fossiles? Amoins qu'ils ne lesvendis-sentaux Anglais.Le voyagedesHachettesrut résolu.

Bouvardet Pécuchet prirent la diligence de Fa-laisepour Caen.Ensuiteune carriole les transportade Caenà Bayeux de Bayeux ils allèrent &pied

 jusqu'à Port-en-Bessin.Onne les avaitpastrompés. Lacôte des Hachettes

offraitdes caillouxbizarres, et, sur les indicationsde l'aubergiste, ils atteignirent la grève.

Lamaréeétantbasse, elledécouvraittousnésgalets,avecuneprairie degoëmonsjusqu'auxbordsdes nots.Desvallonnementsherbeuxdécoupaientla falaise

Page 111: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 111/405

BOUVARD ET PÉCUCHETi06

composéed'une terre molleet brune et qui, se dur-cissant, devenait, dans ses strates inférieures, unemuraille!de pierre grise. Des filets d'eau en tom-baient sans discontinuer, pendant que la mer, auloin, grondait. EDe semblait parfois suspendrescnbattement; et on n'entendait plus que le petit bruitdes sources.

Ils titubaientsur des herbesgluantes, ou bien ilsavaientà sauter des trous. Bouvards'assit près durivage, et contemplales vagues, ne pensant à rien,fasciné,inerte. Pécuchetle ramenavers la côte pourlui faire voir un ammoniteincrusté dans la roche,commeun diamant dans sa gangue. Leurs angless'y brisèrent, il aurait falludes instruments, la nuitvenait d'ailleurs. Le ciel était empourpré à l'occi-dent et toute la plage couverted'une ombre. Aumi-lieu desvarechspresquenoirs, les ûaquesd'eau s'é-largissaient.La mer montait,vers eux; il était temps

de rentrer.Le lendemaindès l'aube, avec une pioche et un

pic, ils attaquèrent leur. fossile dont l'enveloppeéclata. C'était un « ammonitesnodosusM,rongéparles bouts, maispesant bien seizelivres; et Pécuchet,dans l'enthousiasme,s'écria « Nous ne pouvonsfaire moins que de l'our'r à Dumouchel »

Puisils rencontrèrent des éponges, des tcrébra-tules, des orques, et pas de crocodile A son défaut,ils espéraient une vertèbre d'hippopotameoud'ich-thyosaure,n'importe quelossementcontemporaindu

déluge, quand ils distinguèrentà hauteur d'homme,contre la falaise,des contoursqui figuraientie ga!hcd'un poissongigantesque.

Page 112: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 112/405

BOUVARD ET PÉCUCHET 407

Ils délibérèrent sur les moyens de l'obtenir.Bouvardle dégagerait par le haut, taudis que Pé-

cuchet, en dessous, démolirait la roche pour le fairedescendre doucement, sans t'abîmer.

Comme ils reprenaient haleine, ils virent au-dessus de leur tête, dans la campagne, un douanieren manteau, qui gesticulait d t'a air de commande-

ment.« Eh bien quoi ûche-nous la paix » Etilscon-

tinuèrent. leur besogne Bouvard sur la pointe desorteils, tapant avec sa pioche Pécuchet, les reins

pliés creusant avec son pic.Maisle douanier reparut plus bas, dans un vallon,

en multipliant les signaux ils s'en moquaient bienUncorps ovalese bombait sous la terre amincie, et

penchait, allait glisser.Un autre individu, avec un sabre, se montra tout

à coup.« Vospasseports ? »»C'étaitle garde champêtre en tournée, et au même

moment survint l'homme de la douane, accouruparune ravine.

« Empoignez-les père Morin ou la falaise vas'écrouler 1

C'est dans un but scientifique, » répondit Pé-cuchet.

Alors une masse tomba, en les frôlant de si près,tous les quatre, qu'un peu plus ils étaient morts.

Quand lapoussière

futdissipée,

ils reconnurentun mât de navire qui s'émietta sous la botte du doua-nier.

Bouvarddit en soupirant

Page 113: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 113/405

108 BOUVARD ET P&CUCHET

Nousne faisionspas grand mal 1Onne doit rien fairedans leslimitesdu Génie?»

reprit le garde champêtre.« D'abordqui êtes-vous, pour que je vousdresse

procès? »Pécuchetse rebiffa, criantà l'injustice.« Pas de raisons suivez-moi u

Dèbqu'i!sarrivèrent sur le port, une foulede ga-mins les escorta. Bouvard,rouge commeun coque-licot, affectaitun air digne Pécuchet, trèspâle, lan-çait des regards furieux et ces deux étrangers, por-tant des caillouxdans leurs mouchoirs,n'avaient pasbonne, figure. Provisoirement, onles colloquadansl'auberge, dont le maître, sur le seuil, barrait l'en-trée. Puis le maçon réclama ses outils. Ils lespayèrent, encore des frais et le garde champ&trene revenait paspourquoi ? Enfin un monsieur, quiavait la croix d'honneur, les délivra et ils s'en al<

lèrent, ayant donnéleurs noms, prénoms et demi"cite, avec l'engagement d'être à l'avenir plus cir-conspects.

Outre un passeport, il leur manquait bien deschoses, et, avant d'entreprendre des explorationsnouvelles, il consultèrent le Guide' ~M~oya~eïa*~o/o~M<?par Boné.11faut avoir, premièrement, unbon havre-sac de soldat, puis une chaîne d'arpen-teur, une lime, des pinces, une boussole et troismarteaux, passésdans une ceinture qui se dissimulesous la

redingoteet « vous

préserveainsi de cette

apparenceoriginale,que l'on doitéviteren voyage)'.Comme bâton, Pécuchet adopta franchemeut let'Atonde touriste, haut de sixpieds, à longue pointe

Page 114: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 114/405

BOUVAHDKTPÉCUCHET. <c%

<

de fer. Bouvardpréférait une canne-parapluie, ou

parapluie-polybranches,dontle pommeause retire,pour agraferla soie, contenueà part dans un petitsac.Ils n'oublièrent pas de forts souliers avec desguêtres.chacunIldeuxpaires de bretelles, à causede la transpiration» et, bien qu'on ne puisse « sppresenter partout en casquette », ils recutèrent de-

vantla dépense « d'un de "eschapeauxqui se ptieni,et quiportent le nom du chapelierGibus,leur inven-teur ».

Le même ouvragedonne des préceptes de con-duite « Savoirla langue du pays que l'onvisitera»,ilslasavaient. « Garderune tenue modeste», c'étaitleur usage. « Ne pas avoir trop d'argent sur soi »,rien de plus simple. Enfin, pour s'épargner toutessortesd'embarras,il est bon de prendre « la qualitéd'ingénieur 1 »

« Eh bien nousla prendrons

Ainsi préparés,ils

conr.mencerentleurs courses,étaientabsentsquelquefoispendant huit jours, pas~-saientleur vie au grand air.

Tantôt, sur les bords de l'Orne, ils apercevaient,dansune déchirure, des pans de rocs dressant leurs.lamesobliquesentre des peuplierset des bruyères,oubien ils s'attristaient de ne rencontrer le long d~cheminque des couchesd'argile. Devantun paysage,iisn'admiraientni la série des plans, ni la rofon-deur des lointains, ni les ondulationsde la ver-dure, mais ce qu'on ne voyaitpas, le dessous, la

terre et toutes les collines étaient pour eux encoreunopreuve du déluge. A lamaniedu délugesuccédacelledes blocs erratiques. Les grossespierres seules

Page 115: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 115/405

BOUVARD ET PÉCUCHET.4i0

dans les champsdevaientprovenirde glaciers dispa-rus, et il~cherchaientdes moraineset desfatuns.

Plusieursfoison les prit pour des porte-balles,vuleur accoutrement, et quand ils avaient réponduqu'ils étaient « des ingénieurs », une crainte leurvenait: l'usurpation d'un titre pareil pouvait leurattirer des désagréments.

A la fin du jour, ils haletaient sous le po:ds deleurs échangions, mais intrépides, les rapportaientchezeux. H y en avait le long des marches, dansl'escalier, dansles chambres, dans la salle, dans lacuisine, et Germainese lamentait sur la quantité depoussière.

Cen'était pas une mince besogne, avant de collerles étiquettes, que de savoir les nomsdes rochesla variétédes couleurs et du grenu leur faisaitcon-fondrel'argile avecla marne, le granit et la gneiss,le quartz et le calcaire.

Et puis la nomenclature les irritait. Pourquoi de-vonien,cambrien, jurassique, comme si les terresdésignées par ces mots n'étaient pas ailleurs qu'enDevonshire,près de Cambridge,et dans le Jura?Impossiblede s'y reconnattre ce qui est systèmepourl'un est pour l'autre un étage, pour un troisièmeune simpleassise. Les feuilletsdes couchess'entre-mêlent, s'embrouillent mais Omaliusd'Ilalloyvousprévientqu'il ne faut pas croireaux divisionsgéolo-giques.

Cettedéclarationles soulagea, et quandilseurent

vu des catcairesà polypiers dansla plaine de Caen,des philladesà Balleroy, du kaolin à Saint-Biaise,de l'oolithe partout, et cherchéde la houille à Car-

Page 116: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 116/405

BOUVARDET PËCUCHEt*. iH

tigny et du mercure à la Chapelle-en-Juger, prèsSaint-Lô,ils décidèrentune excursionpluslointaine,un voyageau Havre pour étudier le quarto pyroma-que et l'argilede JKimmeridge.

A peine descendusdu paquebot, ils demandèrentle chemin qui conduit sous les phares des éboule-ments l'obstruaient, il était dangereux de s'y

hasarder.Un loueur de voituresles accostaet leur offritdespromenades au; environs Ingouvitie, Octeville,Fécamp,Lillebonne, « Rome~'il le fallait».

Sesprix étaientdéraisonnables,maisle nomdeFé-camples avaitfrappés en se détournantun peu surlaroute, on pouvaitvoir Ëtretat,et ilsprirent lagon-dole de Fécamp pour se rendre au plus loin d'a-bord.

Dans la gondole, Bouvardet Pécuchet urent laconversationavec trois paysans, deux bonnes fem-

mes.un séminariste, et n'hésitèrent pas à se. quali-fierd'ingénieurs.On s'arrêta devant le bassin. Ils gagnèrent la fa-

laise,et cinq minutes après la frôtèreht pour éviterune grandeflaqued'eau avançantcommeun golfe,au milieudu rivage. Ensuite, ils virent une arcadequi s'ouvrait sur une grotte profonde; elie étaitsonore, très chaire,parei)te&une église, avecdescolonnes de haut en bas et un tapis de varechtoutle long de ses dalles.

Cet ouvrage de la nature les étonna, et, conti-

nuant leur chemin en ramassant des coquilles,ilss'élevèrent à des considérations sur Fungtue dumonde.

Page 117: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 117/405

~12 BOUVARDKT PÈCUCUKT.

Bouvard penchait vers !e neptunisme; Pécuchet,au contraire, était plutonien.

Le fen central avaitbrisé la croûte du globe, sou-levé les terrains, fait des crevasses. C'est commeune Bter intérieure ayant son flux et reflux, sestempêtes; une mince pellicule nous en sépare.On ne dormirait pas si l'on songeait&tout ce qu'ily a sous nos talons. Cependantle feu central dimi-nue et le soleit s'affaiblit, si bien que la terre un

  jour périra de refroidissement. Kl!edeviendra sté-rile tout le bois et toute la houille se seront con-vertis en acide carbonique, et aucunêtre ne~pourrasubsister.

« Nous n'y sommes pas encore, » dit Bou-vard.

« Espérons-le,» reprit Pécuchet.N'importe, cette fin du monde,si lointainequ'elle

fût,les

assombrit, et,côte à

côte,ils marchaient

silencieusementsur ies galets.La falaise,perpendiculaire,touteblanoheet rayée

en noir. çà et I&,par des lignes de silex, s'en allaitvers l'horizon, telle que la courbe d'un rempartayant cinq lieues d'étendue. Unvent d'est, âpre etfroid, soufflait.Le ciel était gris, la mer verd&treet comme enflée. Du sommet des roches, desoiseaux s'envotaient, tournoyaient, rentraient vitedans leurs trous. Quelquefoisune pierre, se déta-chant, rebondissait de place en place avant de

descendre jusqu'à eux.Pécuchet poursuivaita.haute voixses pensées:« A moins que la terre ne soit anéantie par un

1cataclysme Onignore la longueur de notre période.

Page 118: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 118/405

BOUVAMBET PÈCUCUET. i~

Lefeu central n'a qu'à déborder.Pourtant it diminue.Cela n'empoche pas ses explosions d'avoir

produit l'e Julia, le Montc-Nuovo,bien d'autresencore. » Bouvardse rappelait avoir lu ces détailsdansBertrand.

« Maisde pareils bouleversements n'arrivent pasen

Europe.Mille excuses,témoincelui de Lisbonne.Quantà nos pays, les minesde houille et depyritemartialesontnombreuseset peuvent très bien, en sedécom-posant,former les bouchesvolcaniques.Les volcans,d'aiDeurs,éclatent toujoursprès de la mer. M

Bouvard promena sa vue sur les flots, et crutdistinguer au loin une fumée qui montait vers leciel.

«Puisque l'!Ie Julia, » reprit Pécuchet, « a dis-paru, des terrains produits par la même cause au-ront

pcut-ctrele même sort. Un Hot de

l'Archipelestaussi important que la Normandie,et mêmequel'Europe.»

Bouvardse figura l'Europe engloutie dans unabîme.

« Admets, dit Pécuchet, qu'un tremblement deterre ait lieu sous la MMche les eaux se ruentdansl'Atlantique les côtes dela France et de l'An-gleterre, en chancelantsur leur base. s'inclinent, serejoignent,et v'lan1 toutl'entre-deuxest écrasé.»

Aulieu de répondre, Bouvard se mit à marcher

tellementvite, qu'il fut bientôt à cent pas de Pécu-chet. Étant seul, l'idée d'un cataclysmele troubla.Il n'avait pas mangé depuis le matin: ses tempesbourdonnaient.Tout à couple sol lui parut tressail-

Page 119: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 119/405

«4 POUV~nBET PÉCUCHEr.

lir et la falaise, a~-dessus de sa tête. pencherpar le sommet. A.ce moment, une phue de graviersdéroba d en haut.

Pécuchet t'aperçut qui détalait avec violence,comprit sa terreur, cria deloin

« Arrête arrête la périoden'est pasaccomplie.»Et, pour le rattraper, il faisaitdes sauts énormes,

avecson b&tondetouriste,

tout en vociférant« Lapérioden'est pas accomplie la période n'est

pas accomplie MBouvard,en démence,courait toujours. Le para-

pluiepotybranchestomba, les pans de sa redingotes'envotaient,le havre-sacballottaita sondos. C'étaitcommeune tortue avecdes ailes qui aurait galopéparmi les roches une plusgrossele cacha.

Pécuchety parvinthoMd'haleine, nevit personne,puis retourna en arrière pourgagner les champs'parune « valleuse» que Bouvard avait prise, sans

doute.Ceraidillonétroit étai~taitlé à grandes marchesdansla falaise,de la largeur de deux hommes, etluisant comme de l'albâtre poli.

A cinquante pieds d'élévation, Pécuchet voulutdescendre. La merbattant son plein, il se remit à

grimper.Ausecondtournant, quand il aperçut le vide,la

peur le giaça.A mesurequit approchaitdu troisième,ses jambes devenaientmultes. Les couches de l'airvibraientautour de lui. une crampe le pinçait à l'é-

pigastre il s'assitparterre, les yeux fermés, n'ayantplus conscienceque des battements de son cœw

qui l'étouuaient puis il jeta son bâton de touriste,

Page 120: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 120/405

BOUVAB*)ET PECUCHET. ii5

et avecles genoux etles mains reprit sonascension.Maisles trois marteauxtenus à la ceinture lui en-traientdansle ventre les caillouxdont ses pochesétaientbourrées tapaient ses flancs la visière de sacasquettel'aveuglait; le vent redoublait de force.Enfinil atteignit le plateauet y trouva Bouvard, quiétait monté plus loin, par une valleuse moinsdifficile.

Unecharretteles recueillit. Ils oublièrentÉtretat.Le lendemain soir, au Havre, en attendant le

paquebot, ils virent au bas d'un journal, un feuil-letonintitulé De l'enseignementde la géologie.

Cet article, plein de faits, exposait la questioncommeelle était comprise à l'époque.

Jamaisil n'y eut un cataclysmecompletdu globe,mais la même espèce n'a pas toujours la mêmedurée,et s'éteint plus vite dans tel endroitque danstelautre. Desterrains de même âge contiennentdesfossiles

différents,comme des

dépôtstrès

éloignésen renferment de pareils. Les fougères d'autrefoissontidentiques aux fougères d'à présent. Beaucoupdezoophytescontemporainsse retrouvent dans lescouches\es plus anciennes. En résumé, les modi-Scation~actuelles expliquent les bouleversementsantérieurs. Les mêmes causes agissent toujours, laNaturene fait pas de sauts, et les périodes, affirmeBrongniart,ne sont après tout que des abstractions.

Cuvier  jusqu'à présent leur avait apparu dansféclat d'une auréole, au sommet d'une science in-

discutable.Elle était sapée. La Créationn'avait plusla même discipline, et leur respect pour ce grandliommèdiminua.

Page 121: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 121/405

BOUVAttDET PÉCUCHET.ii6

Par des biographies et des extraits, ils apprirentquelque chosedes doctrines de Lamarcket de Geof-

froy Saint-llilaire.Tout cela contrariait les idées reçues, l'autorité

de l'Ëgtisa.Bouvard en éprouva comme l'allègement d'un

 joug brisé.

« Je voudraisvoir, maintenant, ce-que le citoyenJeufroy me répondrait sur le déluge »Ils le trouvèrent dans son petitjardin, où il atten-

dait les membres du conseil de fabrique, qui de-vaient se réunir tout à l'heure, pour l'acquisitiond'une chasuble. <

« Cesmessieurs souhaitent. ?Un éclaircissement,s'il vous plaît, f 

Et BouvardcommençaQue signifiaientdans la Genèse, « l'abtme qui se

rompit et « les cataractes du ciel ? Car un abîme

ne se rompt pas, et le ciel n'a point de catarac-tes 1L'abbé ferma les paupières, puis répondit qu'il

fallait, distinguer toujours entre le sens et la lettre.Des choses qui d'abord vous choquent, deviennentlégitimes en les approfondissant.

« Très bien mais comment expliquer la pluiequi dépassaitles plus hautes montagnes, lesquellesmesurent deuxlieues y pensez-vous,deux lieuesJune épaisseurd'eau ayant deuxlieues ?

Et le maire, survenant, ajouta « Saprelotte,quel

bain 1»« Convenez,dit Bouvard,que Moïseexagèredia-blement. »

Page 122: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 122/405

BOUVARD ETPMCUCHKT. in

1.

Le curé avait lu Donald, et répliqua « J'ignoreses motifs c'était, sans doute, pour, inspirer uneffroisalutaire aux peuples qu'il dirigeait d

Enfin cette masse d'eau, d'où venait-elle ?Que sais-je L'air s'était changé en pluie,

commeil arrivetous les jours. »Par la porte du jardin, on vit entrer M. Girbal,

directeurdes contributions, avecle capitaineHeur-

teaux, propriétaire et Beijambel'aubergiste don-naitle bras à Langlois, l'épicier, qui marchait pé-niblementà cause de son catarrhe.

Pécuchet, sans souci d'eux, prit la parole« Pardon, monsieur Jeufroy. Le poids de l'atmos-

phère, la sciencenous le démontre, est égalà celuid'une massed'eau qui ferait autour du globeune enveloppede dix mètres.

Par conséquent, si tout l'air condensé tombaitdessusà l'état liquide, il augmenterait bien peu lamasse des-eauxexistantes.»

Et les fabriciens ouvraient de grands yeux, écou-taient.

Le curé s'impatienta.« Nierez-vousqu'on ait trouvé deo coquillessur

lesmontagnes? Qui les y a mises, sinon le déh~e ?Ellesn'ont pas coutume, je crois, de pou~pr toutesseules dans ta terre comme des caroUcs MHt cemotayant faitrire l'assemblée, il ajouta en p!nçantleslèvres « A moins que ce ne soit encoreune desdécouvertesde la science? »»

Bouvardvoulut répondre par le soulèvementdes

montagnes, la théorie d'Klicde Beaumunt.« Connaispas répondit l'abbé.

Page 123: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 123/405

BOCVAHD ET PÉCUCHET.i<8

Foureau s'empressa de dire « Il est de Caen Jel'ai vuune foisà la PréfectureH»

« Mais'si votre déluge, repartit Bouvard, avaitcharrié des coquilles, on les trouverait brisées à lasurface, et non à des profondeurs de trois centsme:res quelquefois.,

Le prêtre se rejeta sur la véracitédes Écritures,la tradition du

genrehumain, et' les animaux dé-

couverts dans la glace, en Sibérie.Cela ne preuve pas que l'homme ait vécu en

même tempsqu'eux LaTerre, selonPécuchet, étaitconsidérablementplus vieille.

« Le Delta du Mississi;iiremonte<i des dizainesde milliers d'années. L'époque actuelle en a centmille, pour le moins. Les listes de Manéthon. ?

Le comte de Favergess'avança.Tous firent silence.à son approche.« Continuez, je vous prie Que disiez-vous?

Cesmessieursmequerellaienta, répondit.Fabbo.« A propos de quoi?Sur la sainte écriture, monsieur le comtew

Bouvard, de suite, allégua qu'i's avaient droit,comme géologues, à discuter religion.

« Prenez garde, dit le comte vous savezle mot,cher monsieur un peu de scienceen éloigne,beau-coup y ramené, a Et d'un. ton à la fois hautain etparternel <~Croyez-moivous y reviendrez vousy reviendrez

Peut-être 1 mais que penser d'un livre, où l'on

prétend que la lumière a été créée avant le soleil,commesi le soleil n'était pas la seule causede. lalumière

Page 124: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 124/405

BOUVARDETP&CUCHET. 119

« Vous oubliez celle qu'on appelle boréale », ditl'ecclésiastique.

Bouvard, sans répondre à l'objection, nia forte-mentqu'elle ait pu être d'un côté, et les ténèbresdel'autre, qu'il y ait eu un soir et un matin, quandlesastresn'existaient pas, et que les animauxaientapparutout à coup, au lieu de se former par cristal-lisation.

Commeles alléesétaient trop petites, en gesticu-lant, on marchait dans.les plates-bandes. Languisfut pris d'une quinte de toux. Le capitaine criait« Vousêtes des révolutionnaires »

Girbal « La paix la paix » Le prêtre « Quelmatérialisme Foureau « Occupons-nousplutôtdenotre chasuble1»

« Non Laissez-moiparler 1 » Kt Bouvard, s'é-chauS'ant,alla jusqu'à dire que l'homme descendaitdusinge1

Tous les fabriciensseregardèrent,

fort ébahis,etcommepour s'assurer qu'ils n'étaient pas des sin-ges.

Bouvard reprit: « En comparant le fœtus d'unefemme, d'une chienne, d'un oiseau, d'une gre-nouille.

AssezMoi je vais plus loin 1 » décria Pécuchet

< l'homme descend des poissons! MDesrires écla-tèrent. Maissans se troubler: « le Telliamed!unlivrearabe

Allons, messieurs,en séance!Et on entra dans la sacristie.Les deux compagnonsn'avaientpas roulé l'abbe

Page 125: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 125/405

BOUVARD ET PÉCUCHET.t20

Jeufroycommeils l'auraient cru –aussi Pécuchetlui ttouva-t-i)« le cachetdu jésuitisme H.

Sa lumière boréale les inquiétait cependant ilsla cherchèrent dans le manuel de d'Orbigny.

C'estune h pothèse pour expliquer commentlesvégétaux fossilesde la baie de Bauln ressemblentaux plantes équatoriales.On suppose, à !a place du

soleil, un grand foyer lumineux, maintenant dis-paru, et dont les aurores boréalesne sont peut-êtreque les vestiges.

Puis un doute leur vint sur la provenance del'Homme, et, embarrassés, ils songèrent à yau-corbeil. <

Ses menaces n'avaient pas eu de suites. Commeautrefois, il passait le matin devant leur grille, enraclant avec sa canne tous les barreaux l'un aprèsl'autre.

Bouvardl'épia, et, l'ayant arrêtée dit qn'il vou-

lait lui soumettre un point curieuxd'anthropologie.« Croyez-vousque le genre humain descendedes poissons??

Quellebêtise!l'lutôt des singes, n'est-ce pas?Directement,c'est impossible M»

A qui se fier?Carenfin, le docteur n'était pas uncatholique1

Ils continuèrent leurs études, maissans passion,étantlas de l'éoeèneet du miocène,du Mont-Jurillo,de l'ile Julia, des mammouthsde Sibérie et des fos-

siles invariablement comparés~dans tous les au-teurs, à « des médailles qui sont des témoignagesauthentiques », si bien qu'un jour Bouvard jeta son

Page 126: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 126/405

BOUVARD ET PECUCHET. i2i

havresacpar,terre, en déclarantqu'il n'irait pas plusloin.

Lagéologieest trop défectueuse Apeine connais-sons-nousquelques endroits de l'Europe. Quantaureste,aveclefond desOcéans,on l'ignoreratoujours.

Enfin, Pécuchetayant prononcé le mot de règneminéral

« Je n'y crois pas, au règne minéral puisquedesmatières organiques ont pris part à la formationdu silex, de la craie, de l'or peut-être Le diamantn'a-t-il pas été du charbon? la houille un assem-blage de végétaux? En la chauffantà je ne saisplus combien de degrés, on obtient de la sciure debois, tellement que tout passe, tout croule, tout setransforme.La création est faite d'une manière on-doyante et fugace mieux vaudrait nous occuperd'autrechose »»

Hse coucha sur le dos et se mit &sommeiller,

pendant que Pécuchet, la tête basse et un genoudansles mains, se livrait à ses réflexions.Unelisière de mousse bordait un chemin creux,

ombragé par des frênes, dont les cimes légèrestrembtaient des angéliques, des menthes, des la-vandes exhalaient des senteurs chaudes, épicéesl'atmosphère était lourde et Pécuchet, dans unesorte d'abrutissement, rêvait aux existencesinnom-brableséparses autour de lui, auxinsectes qui bour-donnaient, aux sources cachées sousle gazon, à lasève des plantes, aux oiseauxdans leurs nids, au

vent, aux nuages, à toute la nature, sans chercherà découvrir ses mystères, séduit par sa force,perdu dans sa grandeur.

Page 127: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 127/405

BOUVARDET fÉCUCHET.i22

« J'ai so!f  dit Bouvard en se réveillant.Moi de même! Je boirais volontiers quelque

chose f C'est facile», reprit un homme qui passait,

en manches de chemise,avecune planche sur l'é-paule.

Et ils reconnurent ce vagabond, à qui Bouvardautrefoisavaitdonné un verrede vin. Il semblaitde

dix ans plus jeune, portait les cheveuxen accroche-cœur, la moustachebien cirée, et dandinaitsa tailled'une façonparisienne.

Aprèscent pas environ,il ouvrit la barrière d'unecour, jeta sa planche contre un mur, et les fit en-trer dans une haute cuisine.

« Mélie es-tu là, Melie? aUne jeune niïe parut; sur son commandement,

alla « tirer de la boisson et revint près de la tableservir cesmessieurs.

.Sesbandeaux, de la couleurdes blés,dépassaientun béguin de toile gmse. Tous ses pauvres vête-

ments descendaientle long de son corps sansun pliet, le nez droit, les yeux bleus, elle avait quelquechosede délicat, de champêtreet d'ingénu.

« Elle est gentille, hein dit le menuisier,pendant qu'elle apportaitdes verres. Si on ne jure-rait pas une demoiselle,costuméeen paysanne! etrude à l'ouvrage, pourtant l'auvre pet't cœur,va! quand je serai riche, je t'épouserai!

Vous dites toujours des bêtises, monsieur

Gorju », répondit-elled'une voix

douce,sur un ac-

cent traînard.Un valetd'écurievint ~rendre de l'avoinedans ua

Page 128: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 128/405

BOUVARDET PÉCUCHET. i23

vieuxcoffre,et laissa retomber le couverclesi bru-talementqu'un éclat de boisen jaillit.

Gorju s'emportacontre la lourdeur de tous « cesgars de la campagne H, puis, à genoux devant lemeuble,il cherchaitla place du morceau. Pécuchet,en voulantl'aider, distingua sousla poussière desfiguresde personnages.

C'étaitun bahut de la Renaissance,avecune tor-sadeen bas, des pampres dans les coins, et des co-lonnettesdivisaientsa devantureen cinq comparti-ments. Onvoyaitau milieu Vénus-Ânadyomènede-bout sur une coquille, puis Hercule et Omphale,Samsonet Dalila, Circéet ses pourceaux, les fillesde Lothenivrantleur père tout cela délabré, rongédemites, et môme le panneau de droite manquait.Gorjuprit une chandelle pour mieux faire voir àPécuchetceluide gauche,qui présentait,sous l'arbreduParadis, Adamet Évedans une posture fort indé-

cente.Bouvardégalement admirale bahut.« Si vous y tenez, on vous le céderait a bon

compte. »Ushésitaient, vulesréparations.Gorjupouvait les faire, étant de son métier cbe-*

niste.« Allons 1 Venez1 »

Et ilentraîna Pécuchetversla masure, où M' Cas-tillon.la maîtresse, étendait du linge.

Métie,quand elle eut lavéses mains, prit sur le

bord de la fenêtre son métier à dentelles,s'assit enpleinelumière, et travailla.

Lelinteaude la porte l'encadrait. Les fuseauxse

Page 129: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 129/405

BOUVAR!) ET PÈCUCUHT.<24

débrouillaient sous ses doigts avec t;n claquementde castagnettes.Sonprofil restait peuchô.

Bouvard la questionna sur ses parents, sur sonpays, les gagesqu'on lui donnait.

KHeétait de Ouistreham,n'avait plus de famille,gagnait une pistolepar mois enun, elle lui pluttellement. qu'il désira la prendre à son servicepouraiderla vieille Germaine.

Pécuchet reparut avec la fermière, et pendantqu'ils continuaient leur marchandage,Bouvardde-mandatout bas & Gorju si la petite bonne consenti-rait à devenirsa servante.

Parbleu!Toutefois, dit Bouvard,il faut que je consulte

monami.Eh bien, je ferai en sorte mais n'en parlez

pas à cause de la bourgeoise. »I.o marché venait de se conclure, moyennant

trente-cinq francs. PourJe

raccommodageon

s'en-tendrait.A peine dans la cour, Bouvarddit son intention

relativementà Mé!ie.Pécuchets'arrêta (afinde mieux réuôchir),ouvrit

sa tabatière, huma une prise, et, s'étant mouché« Au fait, c'est une idée! mon Dieu, oui!1

pourquoi pas? D'ailleurs, tu esle maître HDixminutes après, Gorju se montra sur le haut-

bord d'un fossé, et !és interpellant« Quandfaut-ilqueje vous apporte le meuble?

  j–- DemainEt pour l'autre question, êtes-vousdécidés?Convenu » répondit Pécuchet.

Page 130: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 130/405

Sixmoisplus tard, ilsétaientdevenusdesarchéo-logues et leur maison ressemblaita un musée.

Unevieillepoutre de bois se dressait dans le ves-tibule. tes spécimens de géo!ogie encombraientl'escalier;et une chaîneénormes'étendait par terretoutle long du corridor.

Ils avaient décroche la porte entre les deuxchambresouilsne couchaientpas et condamnét'en-trée extérieure de la seconde, pour ne faire de cesdeux piècesqu'un même appartement.

Quandon avaitfranchi le seuil, on se heur!aitàune auge de pierre (un sarcophagegauo-romain),puisles yeux étaient Irappéspar dela quincaillerie.

Contre !e mur en face, une bassinoire dominaitdeuxchenetset une plaquede foyerqui représentaitun moinecaressantune bergère. Surdes planchettestout autour, on voyait des flambeaux,des serrures,des boulons, des écrous. Le sol disparaissaitsousdes tessons de tuiles rouges. Une table au milieuexhibaitles curiositésles plus rares la carcassed'unbonnetde Cauchoise,deuxurnes d'argile, ~es mé-

d&iHes,une fiolede verre opalin. Untau~fuiien ta-pisserieavaitsur son dossier un trianglede guipure.Un morceaude cotte de mailles ornait la cloisonà

IV

Page 131: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 131/405

BOUVARD BT P&CUCnM.<26

droite et en-dessous, des points maintenaient ho~rizontalementune hallebarde, pièceunique.

La seconde chambre, où l'on descendait pardeux marches, renfermait les anciens livres ap-portés de Paris, et ceux qu'en arrivant ils avaientdécouverts dans une armoire. Les vantaux enétaient retirés. lis l'appelaient la bibliothèque.

L'arbregénéalogique

do la famille Croixmarooccupait seul tout le reverg do la porte. Sur !clambris en retour, la figure au pastel d'une dameen costume Louis XVfaisait pendant au portraitdu père Bouvard. Le chambranlede la glace avaitpour décoration un sombrero de feutre noi~, etune monstrueuse galoche, pleine de feuilles, lesrestes d'un nid.

Deuxnoix de coco (appartenant & Pécuchet de-puis sa jeunesse) flanquaientsur la cheminée untonneau de faïence, que chevauchait un paysan.

Auprès,dans une corbeillede

paille,il

yavait un

décime rendu par un canard.Devantla bibliothèquese carraitune commodeen

coquillages, avec des ornements de peluche. Soncouverclesupportait un chat tenant une souris danssa gueule, pétriScationde Saint-Allyre,unebotte à ouvrage en coquillesmémement~ et surcette botte, une carafe d'eau-de-vie contenait unepoire de bon-chrétien.

Maisle plus beau, c'était dans l'embrasurede lafenêtre, une statue de saint Pierre Sa main droite

couverte d'un gant. serrait la clef du Paradis, decouleur vert-pomme. Sa chasuble, que des fleursde lis agrémentaient, é~ait bleu-ciel, et sa tiare

Page 132: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 132/405

~OCVAHBET PÉCUCHET. 127

très  jaune, pointuecomme une pagode. n avait les joues fardées, da gros yeux ronds, la bouchebé-ante, le nez de travers et en trompette. Audessuspendait un baldaquin fait d'un vieux tapis où l'ondistinguait deux amours dans un cercle de roses,et à ses pieds, commeune colonne,se levaitun potà beurre, portant ces mots en lettres blanches surun fond chocolat « Exécutédevant s. A. R. Mon-

seigneur le duc d'Angoutcme, à Koron, le 3 oc-tobre i8i7. »

Pécuchet, de son lit, apercevait tout cela en en-filade et parfois même i! allait jusque dans lachambre do Bouvard, pour allonger la perspective.

Une place demeurait vide en face de la cottedemailles, celle du bahut renaissance.

U n'était pas achevé, Gorjuy travaillaitencorevarlopantles panneaux dans le fournil, et les ajus-tant, les démontant.

Aonze heures,il

déjeunait causait ensuite avecMé!io,et souvent ne reparaissait plus de toute la journée.

Pour avoir des morceauxdans le genre du meu-ble, Bouvard et Pécuchet s'étaient mis en campa-gne. Ce qu'ils rapportaient ne convenait pas. Maisilsavaient rencontré une foulede chosescurieuses.Le goût des bibelots leur était venu, puis l'amourdu moyen âge.

D'abord ils visitèrent les cathédrales et leshautesnefs se mirant dans l'eau des bénitiers, les

verrerieséblouissantescommedes tentures de pier-reries, les tombeaux au f!fBddes chape!!es.!e jourincertaindes cryptes, tout, jusqu'à la fraîcheur des

Page 133: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 133/405

<28 BOUVARHNTP&CUCHET.

murailles, leur causa un frémissement de plaisir,une émotion religieuse.

Bientôt ils furent capables de distinguer las

époques et dédaigneux des sacristains, ils di-saient « Ah une abside romane 1 Cela est duxn° siècle voilàque nous retombonsdans le flam-boyant »»

t.s tâchaient de comprendre les symboles scul-ptés sur les chapiteaux, comme les deux griffonsde Marignybecquetantun arbre en neurs. Pécuchetvit une satire dans les chantres à mâchoire gro-tesque qui terminent les ceintures do Feugerolles;

et pour l'exubérance de l'homme obscène cou-vrant un des meneaux d'Hérouville, cela prouvait,suivant Bouvard, que nos sïenx avaient chéri lagaudriole.

Ilsarrivèrent à.ne plus tolérer la moindre marquede décadence. Tout était de la décadence et ils

déploraient le vandalisme,tonnaient contre le badi-geon.

Maisle style d'un monument ne s'accorde pastouj urs avec la date au on lui suppose. Le pleincintre, au xm*siècle, domine encoredans la Pro-vence. L'ogiveest peut-être fort ancienne et desauteurs contestent 1antériorité du roman sur le go-thique. Cedéfautde certitudè les contrariait.

Aprèsles églisesils étudièrent les châteaux-forts.Ceuxde Domfrontet de Falaise.Ils admiraient sousla porte les rainures de la herse, et parvenus au

commet, ils voyaient d'abord toute la campagne,puis les toits delà ville, les rues s'entrecroisant, descharrettes sur la place, ~desfemmes au lavoir. Le

Page 134: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 134/405

IIOUVARD ET PÉCUCHET. 129

mur dévalait&pic jusqu'auxbroussaillesdes douveset ils palissaient en songeant que des hommes

avaientmonté là, suspendus à des échelles. Ils seseraient risqués dans les souterrains mais Bouvardavaitpour obstacleson ventre, et Pécuchet la craintedes vipères.

Ilsvoulurent connaître les vieuxmanoirs,Curcy,BuIIy, Fontenay, Lemarmion, Argonge. Parfoisà

l'angle des bûtiments~derrière le fumier se dresseune tour cartovingienne.Lacuisinegarnie de bancsen pierre, fait songer à des ripailles féodales.D'autresont un aspect exclusivementfarouche,avecleurstrois enceintesencorevisibles,des meurtrièressous l'escalier, de longues tourelles a pans aigus.Puis on arrivedans un appartement, où une fenêtredu temps desValois,ciseléecommeun ivoire,laisseentrer le soleilqui chauffesur le parquet des grainsde colza

répandus.Des

abbayesservent de

granges.Les inscriptionsdes pierres tombales sont elfacées.Au milieu des champs, un pignon reste deboutet du haut en bas est revêtu d'un lierre que le ventfait trembler.

Quantitéde chosesexcitaientleurs convoitises,unpot d'étain, une boucle de strass, des indiennes àgrands ramages. Le manque d'argent les retenait.

Par un hasardprovidentiel,ils déterrèrentà Balle-roy, chez un étameur, un vitrail gothique et il futassezgrand pour couvrir, près du fauteuil, la partie

droite de la croisée jusqu'au deuxièmecarreau. Ledueher de Chavignollesse montraitdansle lointain,produisant un effet sptendidc.

Avecun bas d'armoire. Uorju fabriqua un prie-

Page 135: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 135/405

BOUVARDKTPÉCUCHET.~0

Dieupour mettre sousle vitrail, car il Battaitleurmanie. Elleétait si forte qu'ils regrettaient des mo-numents sur lesquels on ne sait rien du' toutcommela maison de plaisancedes évoquesde Séez.

« Bayeux, df, M. de Caumont, devait avoir unthéâtre. » Us en cherchèrent la place inutilement.

Le vi)!a!fedeMontrccycontientun pré célèbrepardes trouvaillesde médailles qu'on y a découvertes

autrefois.Uscomptaienty faireune belle récolte. Legardien leur en refusa l'entrée.

J!s ne furent pas plus heureux sur la communica-tion qui existait entre une citerne de Falaise et lefaubourg de Caen.Des canards qu'on y avait intrp-duits, reparurent à Vaucelies,en grognant « Cah,can, can M,d'où est venu le nom dela ville.

Aucune démarche ne leur coûtait, aucun sacri-nce.

A l'auberge de Mesnil-Villement,en i8i6, M.Ga-leron eut un déjeuner pour la somme de quatresols. Ils y firent le même repas, et constatèrent

'avec sarprise que les chosesne se passaient plus.commeça 1

Quelest le fondateurde l'abbaye de Sainte-Anne?Existe-t-ilune parenté entre Mann Onfroy,qui im-porta, au xn" siècle, une nouvellesorte de pomme,et Onfroy,gouverneur d'liastings, à l'époque dela conquête? Comment se procurer « l'astucieusei'ythoni~e, ? Comédie en vers d'un certain

Dutjrezor,faite à Bayeux, et actuellement des plusrares? SousLouis

XIV,Hérambert

Dupaty~ouDu-

pastis Hérambortcomposa UBtouvrage,qui n'a ja-mais paru, plein d'anecdotessur Argentan il s'a-

Page 136: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 136/405

BOUVARDET PÉCUCHET. i3i

gissaitderetrouvercesanecdotes.Quesont devenusles mémoires autographes de M' Dubois de laPierre, consultés pour l'histoire inédite de Laigle,par Louis Dasprès, desservant de Saint-Martin?Autant de problèmes, de points curieux àéclair-cir.

Maissouventun faibleindice metsur la voied'unedécouverteinappréciabie.

Donc.ils revêtirent leurs blouses, afinde ne pasdonnerl'éveil,-et, sousl'apparencede colporteurs,ils se présentaient dans les maisons, demandantàacheterde vieuxpapiers. Onleur en vendit des tas.C'étaientdescahiersd'école, des factures,d'anciens

 journaux, rien d'utile.Enfin, Bouvardet Pécuchets'adressèrent a Larso-

neur.Il était perdu dans le celticisme, et, répondant

sommairementà leurs questions, en fit d'autres.Avaient-ilsobservéautour d'eux des traces de la

religiondu chien, comme on en voit &Montargisetdes détailsspéciaux,sur les feuxde la Saint-Jean,les mariages, les dictons populaires, etc.? M lespriaitmômede recueillir pour lui quelques-unes deceshachesen silex. appeléesalors des ec/Aa?et quelesdruidesemployaientdans « leurscriminelsholo-caustesa.

Par Gorju,ils s'en procurèrentune douzaine, luiexpédièrentla moins grande, les autres enrichirentle muséum.

Ils s'y promenaient avec amour, le balayaient

eux-mêmes,en avaientparlé à toutes leurs connais-Scmces.

Page 137: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 137/405

BOUVARD ET PÉCUCHET.i32

Uneaprès-midi,M""Bordinet M.Marescotse pré-sentèrent pour le voir.

Bouvardles reçut, et commençala démonstration

par le vestibule.La poutre n'était rien moins que l'ancien gibet

de Falaise, d'après le menuisier qui l'avait vendue,lequel tenait ce renseignement de son grand-père.

La grosse chaîne, dans le corridor,provenait des

oubliettes du donjon de Torteval.Elle ressemblait,suivant le notaire, auxchaînesdes bornesdevantlescours d'honneur. Bouvard était convaincu qu'elleservait autrefoisà liar les captifs,etil ouvritla portede la première chambre.

« Pourquoi toutescestuiles? a s'écriaM""Botrdin.Pour chaufferles étuves mais un peu d'ordre,

s'ilvous plaît. Ceciest un tombeau découvert dansune auberge où on l'employaitcommeabreuvoir.

EnsuiteBouvardprit les deuxurnes pleines d'uneterre qui était de la cendre humaine, et il approchade ses yeux la noie, afin de montrer par quelle mé-thode les Romainsy verraient des pleurs.

« Maison ne voit chez vous que des choseslu-gubres 1»

Effectivementc'était un peu sérieux pour uuedame, et alôrsil,tira d'un cartonplusieurs monnaiesde cuivre, avec un denier d'argent.

M' Bordin demanda au notaire quelle sommeaujourd'hui cela pourrait valoir.

La cottede maillequ'il examinaitlui échappa des

doigtsdesanneauxse

rompirent.Bouvarddissimula

son mécontentement.n eut même l'obligeancede décrocher la halle-

Page 138: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 138/405

T90UVARDETP&CUCNET. 433

barde,et, se courbant, levant les bras, battant dutalon,il faisaitmine de faucherles jarrets d'un che-val, de pointer commeà la baïonnette, d'assommerun ennemi. La veuve, intérieurement, le trouvaitun rude gaillard.

Ellefut enthousiasméepar la commodeen coquil-lages.Le chat de Saint-AJUyreTétonna beaucoup,lapoire dansla carafeun peu moins puis, arrivant

à la cheminée« Ah voilàun chapeauqui auraitbesoin de rac-commodage.»

Troistrous, des marques de balles, en perçaientles bords.

C'étaitceluid'un chefdevoleurssousle Directoire,Davidde La Bazoque,pris en trahisonet tué immé-diatement.

« Tantmieux, on a bien fait » dit M""Bordin.Marescotsouriait devant les objets d'une façon

dédaigneuse. Il ne comprenait pas cette galochequiavaitété l'enseigned'un marchandde chaussures,ni pourquoi letonneau de faïence,un vulgairepichetde cidre, et le Saint-Pierre, franchement, é~aitla-mentableavec sa physionomied'ivrogne.

M* Bordinfit cette remarque« Il a dû vouscoûter bon, tout de mêmef 

Oh pas trop, pas trop. »Uncouvreur d'ardoises l'avait donné pour quinze

francs.Ensuite elle Marna,vu l'inconvenance,le décolle-

tagede la dameen

perruque poudrée.« Oùest le mal? repritBouvard,quand en possèdequelquechose de beau.

Page 139: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 139/405

<S~ BUVARDETPÉCUCHET.

M il ajouta plus bas« Commevous, je suis sûr. »Le notaire leur tournait le dos, étudiant les bran~

ehes de la familleCroixmare.Elle ne répondit rien,maissemità jouer avecsa longuechaînede montre.Ses seinsbombaientle taffetasnoir de son corsage,et, les cilsun peu rapprochés,ellebaissaitlementon,<M)mmeune tourterelle qui se rengorge puis, d'un

air ingénua Comments'appelaitcette dame?2« Onl'ignore c'est une maîtressedu Régent,vous

savez,celui qui a fait tant defarces.Je crois bien; les mémoiresdu temps. »

Et le notaire, sans finir sa' phrase, déploracet

exempled'un prince entraîné par ses passions.a Maisvousêtes tous commeça ?Les deux hommes se récrièrent, et un dialogue

~'ensuivit sur les femmes, sur l'amour.. Marescotaffirma qu'il existe beaucoup d'unions heureuses;parfoismême, sans qu'on s'en doute, on a près desoi ce qu'il faudrait pour son bonheur. L'allusion~tait directe. Lesjouesdela veuves'empourprèrentmais, se remettant presque aussitôt

« Nous n'avons plusl'âge des folies, n'est-ce pas,monsieur Bouvard?1

Eh eh moi, je ne dis pas ça. »Et il offrit son bras pour revenir dans l'autre

chambre..a Faitesattentïbnauxmarches.Trèsbien. Mainte-

nant, observezle vitrail.»

Ony distinguaitun manteaud'écarlate et les deux-ailesd'un ange. Tout le reste se perdait -sousles

Page 140: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 140/405

BOUVARD ET PÉCUCHET. 135

plombsqui tenaient en équilibre les nombreusescassuresdu verre. Le jour diminuait, des ombresrallongeaient, M" Bordinétait devenuesérieuse.Bouvard s'éloignaet reparut auubléd'une couver-

ture de laine, puis s'agenouilla devantle prie-Dieu,.lescoudesen dehors, la facedansles ma:n~ lalueurdusoleil tombant sur sa calvitie et il avait cons-ciencede cet effet, caril dit

« Est-cequeje p'ai pas l'air d'unmoine du moyenâge? »

Ensuite il leva le front obliquement, les yeuxnoyés, faisant prendre sa figure une expressionmystique.Onentendit dans le corridorla voixgravedePécuchet

«N'aiepas peur, c'est moi. »Etil entra la tête recouverte d'un casque un pot

defeu à oreillons pointus.Bouvardne quitta pas le prie-Dieu. Les deux

autresrestaientdebout.

Uneminute se passa dansl'ébahissement.

M" Bordinparut un peu froide à Pécuchet. Ce-pendantil voulut savoir si onlui avait tout mon-tré.

« Il mesemble. aEt désignantla muraille«Ah pardon, nous auronsici un objet que l'on

restaure en ce moment. »Laveuveet Marescotse retirèrent.Les deux amis avaient imaginé de feindre une

concurrence.Ils allaient en coursesl'un sansl'autre,lesecondfaisant des ou'i't:ssupcr.eures a ce..es uupremier. Pécuchet venait d'obtenir le casque.

Page 141: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 141/405

436 BOUVABDETPÉCUCHET.

Bouvardl'en félicitaet reput des éloges à proposde la couverture.

Méiie,avec des cordons, l'arrangea en manièredefroc. Ils lé meltaient à tour de rôle pour recevoirles visites.

Ils eurent cellesde Girbal, de Foureau, du capi-taine lleurteaux, puis de personnes inférieuresLanglois,Detjambe,leurs fermiers, jusqu'aux ser-vantes des voisins et chaque fois ils recommen-çaient leurs explications, montraient la place oùserait le bahut, atJecLmentoe ta modestie, récla-maient de l'indui~ence pour l'encombrement.

Pécuchet,ces jours-là, portait le bonnet de zouave

qu'il avait autrefoisà Paris, l'estimant plus en ~rap-port avec le milieu artistique. A un certainmoment,il se coiffaitdu casqueet le penchait sur la nuque,afin de dégager son visage. Bouvard n'oubliait.pasla manœuvre de la hallebarde enfin, d'un coup

d'œH,ils se demandaient-sile visiteur méritait

quel'on fit « le moinedu moyen âge ».Quelleémotion quand s'arrêta devant leur grille

la voituredeM.de Faverges 11n'avait qu'un motàdire. Voicila chose

Hurel, sonhomme d'affaires, lui avaitappris que,cherchant partout des documents, ils avaientachetéde vieuxpapiers à la ferme de la Aubrye.

Rien de plus vrai.N'y avaient-ils pas découvertdeslettres du baron

de Gonneval,ancienaidede camp du duc d'Angou-

ïome,et

quiavait

séjournéà

la Aubrye? Ondési-

rait cette correspondancepour des intérêts de fa-mille.

Page 142: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 142/405

BOCTANPETP CUCHET.137

$.

Ellen'était pas chez eux, maisils détenaient unechosequi l'intéressait,s'il daignaitles suivre jusqu'àleur bibliothèque.

Jamaispareilles bottes vernies n'avaient craquédansle corridor. EUesse heurtèrent contre le sarco-phage.Il faillitmômeécraser plusieurs tuiles, tournale fauteui!,descenditdeux marches, et parvenusdansla seconde chambre, ils lui firent voir sous le

baldaquin,devant le saint Pierre, le pot à beurreexécutéà Noron.Bouvardet Pécuchetavaientcru que la date, quel-

quefois,pouvaitservir.Le gentilhomme,par politesse, inspecta leur mu-

sée.H répétait « Charmant très bien1 » tout en sedonnantsur la bouchede petits coups avecle pom-meau de sa badine, et, pour sa part, il les remer-ciait d'avoirsauvécesdébns dn moyenâge, époquedefoi religieuse et de dévouementschevaleresques.Il aimaitle progrès,et se fût livré, commeeux, àces

études intéressantes mais la politique, le conseilgénéral, l'agriculture, un véritable tourbillon l'endétournait.

« Après vous; toutefois, on n'aurait que desglanes,car bientôt vousaurez pris toutesles curiosi-tésdu département.

Sans amour-propre, nous le pensons », ditPécuchet.

Cependanton pouvait en découvrirencore à Cha-vignolles,par exemple il y avaitcontre le mur ducimetière,dans la ruelle, un bénitier enfouisousles

herbesdepuisun tempsimmémorial.Ils furent heureux du renseignement, puiséchan-

Page 143: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 143/405

BOUVARDKTPÉCUCHET.<'3S

gèrent un regard signifiant« est-ce la peine? « mais

déjà le comte ouvraitla porte.Mélie,qui se trouvait derrière, s'enfuit brusque-

ment.Commeil passait dansla cour, il remarquaGorjo

en train de fumer sa pipe, les bras croisés.« Vous employez ce garçon? Hum! un jour

d'émeute je

nem'y

ûeraispas.

»Et M. de Faverges remontadansson tilbury.Pourquoileur bonne semblait-elle en avoirpeur?Ils la questionnèrent, et elle conta qu'elle avait

servidans sa ferme. C'étaitcette petite fillequi ver-saitàboireauxmoissonneursquandilsétaientvenus,deux ans plus tôt. On l'avait prise commeaide auchâteau et renvoyée« par suite de fauxrapports ».

Pour Gorju, que lui reprocher?H était fort habileet leur marquait infinimentde considération.

Le lendemain, dès l'aube, ils se rendirent au ci.

metière.Bouvard,avecsa canne, tâfaà la place indiquée.Un corpsdur sonna. Ils arrachèrent quelques ortieset découvrirentune cuvetteen grès, un font baptis-mal où des plantespoussaient.

Oun'a pas coutume cependant d'enfouirles fontsbaptismaux hors des églises.

Pécucheten fit un dessin, Bouvardla description,et ils envoyèrent le toutà, Larsoneur.

Sa réponse futimmédiate.« Victoire, mes chers confrères Incontestable-

ment c'est une cuve druidique. »Toutefoisqu'ils y prissent garde Lahache était,douteuse, et autant pour lui quepour eux-mêmes

Page 144: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 144/405

BOUVARDET PÉCUCHET. i39

il leur indiquaitune série d'ouvrages à consulter.Larsoneur confessait en post-scriptum son envie

doconnaîtrecettecuve,cequiaurait lieu, à quelques jours,quand il foraitte voyagedela Bretagne.

Alors Bouvard et Pécuchet se plongèrent dansl'archéologieceltique.

D'après cette science, les anciens Gaulois, nos

aïeux,adoraient hirk et Kron,TaranisËsus.Nétatem-nia, ïo Cielet la Terre, le Vent, les Eaux, et pardessus tout, le grand Teutatès, qui est le Saturnedes païens. Car Saturne, quand il régnait enPhénicie, épousa une nymphe nommée Anobret,dontil eut un enfant appelé ~cûd, et Anobret alestraits de Sara,Jetld fut sacrifié(ouprès de l'être)CommeIsaac doncSaturne est Abraham,d'oùilfaut conclure que la religion des Gauloisavait lesmômesprincipesque celle desJuifs.

Leur sociétéétait fortbien organisée.Lapremière

classe de personnes comprenait le peuple, la no-blesseet le roi, la deuxièmeles jurisconsultes, etdansla.troisième, la plus haute, se rangeaient, sui-vantTaille.pied,« les diversesmanières de philoso-phes », c'est-à-dire les Druidesou Saronides, eux.mêmesdivisésen Eubages,Dardeset Vates.

Les .uns prophétisaient, les autres chantaient,d'autres enseignaient la Botanique, la Médecine,l'Histoireet la Littérature, bref  « tous les arts deleur époque M.Pythagore et Platon furent leursélèves. Jl.sapprirent la métaphysiqueaux Grecs, la

sorcellerieaux Persans, l'aruspicineaux Étrusques,et, aux Romains,rétamage du cuivreet le com-

mercedes jambons.

Page 145: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 145/405

440 BOUVARDET PECUCHET.

Maisde ce peuple, qui dominait l'ancien monde,il ne reste que des pierres, soit toutesseules. ou pargroupes de trois, ou disposéesen gateri<M,ou for-mant des enceintes.

Bouvardet Pécuchet, pleins d'ardeur, étudièrentsuccessivementla pierre du Post à Ussy,la Pierre-CoupléeauGuest,la Pierre du Darier,prèsdel'Aigle,

d'autres encoreTousces blocs, d'une égaleinsignifiance,les en-Tiuyèrentpromptement et un jour qu'Usvenaientde voir le menhir du Passais, ilsallaients'en retour-ner, quand leur guide les mena dans un bois dehêtres, encombrepar des massesde granit pareilles

 jitdes piédestauxou à de monstrueusestortues.Laplusconsidôrahieest creuséecommeun bassin.

Undosbords se relève, et dufond partent deuxen-tailles qui descendent jusqu'à terre c'était pourl'écoulement du sang, impossible d'en douter Le

hasardne fait pas de ceschoses.Les racinesdes arbres s'entreme!a!entaces soclesabruptes. Un peu de pluie tombait au loin, lesnoconsde brume montaient, commede grands fan-tômes. H était facited'imaginer sous les feuillagesles prêtres en tiare d'or et en robe blanche, avecleurs victimes humaines, les bras attachés dans ledos, et, sur le bord de la cuve, la druidesseob-servant te ruisseau rouge, pendant.qu'autour d'ellela foulehurlait, au tapage des cymbaleset des buc-<ins faits d'une come d'auroch.

Tout de suite, leur plan fut arrêté.Et une nuit, par un clair de lune, ils prirent le

chemindu cimetière, marchantcomme des voleurs,

Page 146: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 146/405

JBOCVARDET PÉCUCHET. ~t

dans l'ombre des maisons. Les persiennes étaientcloseset les masures tranquilles pas un chien n'a-boya.

Gorjules accompagnait;ils se mirenta l'ouvrage.Onn'entendait que le bruit des caillouxheurtés parlaboche qui creusait le gazon.

Le voisinage des morts leur était désagréablel'horloge de l'égiise poussaitun râ!e continu, et la

rosacede son tympanavait l'air d'un œil épiant lessacrilèges.Enfin,ils emportèrent la cuve.

Lelendemain, ils revinrentau cimetièrepour voirles traces de l'opération.

L'abbé, qui prenait Jefrais sur sa porte, les priade lui faire l'honneur d'une visite et les ayant in-troduits dans sa petite salle, il les regarda singu-lièrement.

Aumilieu du dressoir,entre les assiettes,il yavaitune soupière décoréede bouquets jaunes.

Pécuchetla vanta, ne sachantque dire.« C'est un vieuxRouen, » reprit le curé, « un

meuble de famille. Les amateurs le considèrent,M.Marescotsurtout. »

Pour lui, grâce à Dieuil n'avait pas l'amour descuriosités et commeils semblaientne pas com-prendre, il déclarales avoiraperçus lui-mêmedéro-bantle font baptismal.

Les deux archéologues furent très penauds, bal-butièrent. L'objet en questionn'était plus d'usage.

N'importe ils devaientle rendre.Sans doute

Mais,aumoins.

qu'onleur

permîtde

faire venir un peintre pour le dessiner.« Soit, messieurs. w

Page 147: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 147/405

BOUVARD ET PÉCUCHET.~3

Entre nous, n'est-cepas? a dit Bouvard,« sousf  le sceaude laconfessionM»

L'ecetésiastiquo,ensouriant, lesrassm'ad'ungeste.Cen'était pas lui qu'ils craignaiant, mais plutôt

Larsoneur. Quand il passerait par Chavignolles,ilaurait envie de la cuve, et ses bavardages iraient

 jusqu'aux créées du gouvernement. Par prudence,ils la cachèrentdans le

fournil, puisdansla

tonnelle,dans lacahute, dansune armoire. Gorjuétait las dela trimballer.

La possession d'un tel morceau les attachaitaucelticismede la Normandie.

Ses origines sont égyptiennes Séez, dans Iq dé-partement de l'Orne, s'écrit parfoisSaïs, commelaville du Delta. Les Gaulois juraient par le taureau,importation du boeuf Apis. Le nomlatin deBeiïo-castes, qui était celuides gens de Bayeux, vient deBeli Casa, demeure, sanctuaire de Bélus. Bétuset

Osiris, même divinité. « Rien ne s'oppose, ditMangou dela Londe, « à ce qu'Uy ait eu, près deBayeux, des monuments druidiques M. « Cepays, » ajoute M.Roussel, « ressemble au pays oùles Égyptiens bâtirent le temple de Jupiter-Am-mon ». Donc,il y avaitun temple, et qui enfermaitdes richesses. Tous les monuments celtiques enrenferment.

En 1713, relate dom Martin, un sieur IIéribelexhuma, aux env'rons de Bayeux, plusieurs vasesd,'argile pleins d'ossements, et conclut (d'après

la tradition et les autorités évanouies)que cet en-droit, une nécropole, était le mont Faunus, où l'ona enterré le Veau d'or.

Page 148: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 148/405

BOUVARD ET PÉCUCHET. i43

Cependantle Veaud'or. fut brûlé et avalô &moinsque la Bible no se trompe

Premièrement, où est le mont Faunus? Les au-teurs ne l'indiquent pas. Les indigènes n'en saventrien. tl aurait fallu se livrer& des fouilles, et,dansce but, ils envoyèrent à M. le préfet une pé-titionqui n'eut pas de réponse.

Peut-être que le mont Faunus a disparu, et que

ce n'était pas une colline, mais un tumulus? Quesignifiaientles tumulus?

Plusieurs contiennent des squelettes ayant la po-sitiondu fœtus dans le sein de sa mère. Cela veutdire que le tombeau était pour eux commeune se-condegestation les préparant à une autre vie. Doncle tumulus symbolise l'organe femelle, commelapierre levée est l'organe mâle.

En effet, où il y a des menhirs, un culte obscènea persisté. Témoince qui se faisaità Guérande,&Chichebouche,au Croisic,à Livarot.Anciennement,lestours, les pyramides, les cierges, les bornesdesroutes, et même les arbres avaient la significationde phallus, et pour Bouvard et Pécuchet, toutdevint phallus. Ils recueillirent des palonniers devoiture,des jambes de fauteuil, des verrousde cave,despilons de pharmacien.Quandon venait les voir,ils demandaient a A qui trouvez-vous que celarassemble? » puis confiaientle mystère, et, sil'on se récriait, ils levaient de pitié les épaules.

Unsoir qu'ils rêvaient aux dogmes des druidés,l'abbé se présenta, discrètement.

Tout de suite ils montrèrent le musée, en com-mençantpar le vitrail mais il leurtardait d'arriver

Page 149: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 149/405

i~ BOOVARU ET PÉCUCHET.

à un compartimentnouveau, celuides phallus.L'ec-clésiastiqueles arrêta, jugant l'exhibitionindécente.Il venait t'éctamer son fund baptismal.

Bouvard et Pécuchet implorèrent quinze joursencore, le temps d'en prendre un moulage.

« Le plus tôt sera le mieux, » dit l'abbe.Puis il causa de chosesindifférentes.Pécuchet, qui s'était absenté une minute, lui

glissa dans la main un napoléon.Le prêtre fit un mouvement en arrière.« Ah pour vos pauvres »Et M.Jeufroy, en rougissant, fourra la pièce d'or

dans sa soutane. iRendre la cuve, la cuve aux sacrifices jamais

de la vie Ils voulaient même apprendre l'hébreu,qui est la langue 'mère du celtique, à moins qu'ellen'en dérive 1 et ils allaient faire le voyage de laBretagne, en commençant par Rennes, où ilsavaient un rendez-vous avec Larsoneur, pour étu-

dier cette urne mentionnée dans les mémoires del'Académieceltique et qui paraît avoir contenu lescendres de la reine Artémise, quand'le maireentra, le chapeausur la tête, sans façon, en hommp.grossierqu'il était.

« Cen'est pâs tout ça, mes petits pères Ilfautlerendre

Quoi.donc1Farceurs je sais bien que vous le cachez »»

On les avait trahis.Us répliquèrent qu'ils le détenaient avec la per:

mission de monsieur le curé.« Nousallons voir. M

Page 150: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 150/405

BOCVARD ET PECUCHET. iM

9

Et,Foureau s'éloigna.Il revint, une heure après.« Le curé dit que non Venez vous expliquer.»Ilss'obstinèrent.D'abord, on n'avait pas besoinde ce bénitier,

qui n'était pas un bénitier. !)s le prouveraientparunefoule de raisons scientifiques.Puis, ils offrirentdereconnaître, dans leur

testament, qu'il apparte-nait à la commune.Ils proposèrentmême de l'acheter.« Et d'ailleurs, c'est mon bien1» répétait Pécu-

chet. Les vingt francs, acceptés par M. Jeufroy,étaientune preuve du contrat et s'il fallaitcom-

paraîtredevant le juge de paix, tant pis, il feraitunfauxserment 1

Pendant ces débats, il avait revu la soupière,plusieursfois et dans son âme s'était développéledésir,la soif de possédercette faïence. Si on voulait

laluidonner, il remettrait la cuve.Autrement, non.Par fatigue ou peur du scandale, M. Jeufroy lacéda.

Ellefut mise dans leur collection,près du bonnetdeCauchoise.La cuve décorale porche de l'égliseetils se consolèrentde ne plus l'avoir par cette idéeque les gens de Chavignollesen ignoraient la va-leur.

Maisla soupièreleur inspira le goût desfaïencesnouveausujet d'études et d'explorationsdans la cam-pagne.

C'était l'époque .où les gens distingués recher-chaientles vieuxplats de Rouen.Le notaire en pos-sédaitquelques-uns, et tirait de là commeune ré-

9

Page 151: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 151/405

~46 BOUVARD ET P&CtJCHET.

putation d'artiste, préjudiciableà son métier, maisqu'il rachetait par des côtés sérieux.

Quand il sut que Bouvard et Pécuchet avaientacquisla soupière, il vint leur proposer un échange.

Pécuchets'y refusa.« N'en parlons plus ? et Marescotexaminaleur

céramique.

Toutes les pièces accrochéesle long des mursétaient bleues sur un fond d'une blancheur mal-propre, et quelques-unesétalaientleur corned'à.bondanceaux tons vertset rougeâtres,plats àbarbe,assiettes et soucoupes, objets longtemps poursuiviset rapportéssur le coeur,dans le sinus de ~aredin-gote.

Marescoten et l'éloge, parla des autres faïences,de l'hispano-arabe, de la hollandaise, de l'anglaise,de l'italienne et les ayant éblouis par son érudi-tion « Si je revoyaisvotre soupière? M

Il la fit sonner d'un coupde doigt, puis contem-pla les deuxS peints sur le couvercle.« La marque de Rouen1 ditPécuchet.

Oh oh Rouen, à proprement parler, Savaitpas de marque. Quand on ignorait Moutiers,toutesles faïencesfrançaisesétaient de Nevers. De m6oMpour Rouen, aujourd'hui1 D'ailleursonl'imite dansla perfectionà Elbeuf.

Pas possible 1On imite bien les majoliques1Votre pièce n'a

aucune valeur, et j'allais faire, moi, une belle

-sottise »Quandle notaire eut disparu, Pécuchet s'abaissadans le fauteuil, prostré f 

Page 152: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 152/405

BOUVARD ET PÉCUCHET. i47

« Il ne fallait pas rendre la cuve, dit Bouvard,maistu t'exaltes tu t'emportes toujours.

Oui je m'emporte o, et Pécuchetempoignantlasoupière, la jeta loinde lui, contre le sarcophage.

Bouvard, plus calme, ramassa les morceaux, unà un;- et, quelque temps après, eut cette idée

« Marescot,par jalousie, pourrait tien s'être mo-

qué de nous1Comment?2Rien ne m'assure que !a soupière ne soit pas

!~rcrtique!tandis que les autres pièces, qu'il a faitsemblantd'admirer, sont fausses peut-être ?̀.'

Et la fin du jour se passa dans les mceriiiudes,lesregrets.

Ce n'était pas une raison pour abandonner levoyagedela Bretagne. Ils comptaientmêmeemme-ner Gorju,qui les aideraitdans leurs fouilles.

Depuisquelque temps, il couchait à la maison,

;;8nde terminer plus vitele raccommodagedu meu-ble. La perspective d'un déplacement le contraria,et commeils parlaient des menhirs et des tumulusqu'ilscomptaient voir « Je connais mieux, leurdit-il enAlgérie, dansle Sud, près des sources deBou-Mursoug,on en rencontre des quantités. ? liSimêmela descriptiond~untombeau,ouvertdevantlui, par hasard, et qui contenait un squelette,accroupicomme un singe, les deuxbras autour des

 jambes.Larsonour,qu'ils instruisirentdu fait, B'ea voulut

rien croire.Bouvardapprofonditla matière, et le relança.Commentse fait-ilque les monumentsdesGaulois

Page 153: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 153/405

BOUVARDET PÉCUCHET.i48

soient informas, tandis que ces mêmes Gauloisétaient civilisésau temps de Jules César? Sansdouteils proviennent d'un peuple plus ancien.

Unetelle hypothèse, selon Larsoneur, manquaitde patriotisme.

N'importe? rien ne dit que cesmonuments soientl'oeuvredes Gaulois. « Montrez-nousun texte M

L'académiciense fâcha,ne réponditplus et ilsen furent bien aises, tant les Druideslesennuyaient.S'ilsne savaientà quoi s'en tenir sur la céramique

et sur le celticisme,c'est qu'ils ignoraientl'histoire,particulièrementl'histoire de France.

L'ouvraged'Anquetilse trouvaitdans leur biblio-thèque maisla suite des rois fainéants les amusafort peu. La scélératessedes maires du palaisne lesindigna point et ils tâchèrent Anquetil, rebutéspar l'ineptie de ses réûexions.

Alors ils demandèrent à Dumouchel« quelle est la

meilleure Histoirede France».Dumouchelprit, en leur nom, un abonnement àun cabinet de lecture et leur expédia les lettresd'Augustin Thierry, avec deux volumes de M. deGenoude.

D'après cet écrivain, la royauté, la religion, etlesassembléesnationales, voilà « les principesa de lanation française, lesquels remontent aux Mérovin-giens. LesCarlovingiensy ont dérogé.LesCapétiens,d'accord avecle peuple, s'efforcèrentde les main-tenir. SousLouisXHI,le pouvoir absolu fut établi,

pour vaincrele Protestantisme,dernier effortde laFéodalité, et 89 est un retour versla constitutionde nos aïeux.

Page 154: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 154/405

POUVARD ET PÉCUCHET~ i49

Pécuchet admira ses idées.Elles faisaient pitié à Bouvard, qui avait lu Augus-

tin Thierry, d'abord« Qu'est-ce que tu me chantes, avecta nation fran-

çaise puisqu'il n'existait pas de France, ni d'as-semblées nationales et les Carlovingiensn'ont rien

usurpé du tout! et les rois n'ont pas affranchi lescommunes Lis toi-même. »

Pécuchet se soumit à l'évidence, et bientôt le dé-passaen rigueur scientifique Il se serait cru dés-honoré s'il avait dit, Charlemagne et non Karl leGrand, Clovisau lieu de Clodowig.

Néanmoinsil était séduit par Genoude, trouvanthabile de faire se rejoindre les deux bouts de l'his-toire de France, si bien que le milieu est du rem-

plissage et pour en avoir le cœur net, ils prirentla collectionde Bûchez et Roux.

Mais le pathos des préfaces, cet amalgame desocialismeet de catholicisme les écœura les détailstrop nombreux empêchaient de voir l'ensemble.

Ils recoururent à M. Thiers.C'était pendant i'été de I84S, dans le jardin sous

la tonnelle. Pécuchet, un peut banc sous te" pieds,lisaittout haut de sa voix caverneuse, sans fau~ue,ne s'arrêtant que pour plonger les doigts <l:m<sa ta-batière. Bouvardi'écoutait la pipe à la touche. les

 jambes ouvertes, le haut du panlalon dehoutunné.Des vieillards leur avaient parlé de 93 et des

souvenirs presque personnels animaient !f" ptates

descriptionsde l'auteur. Dans ce

tM<np~-)a.les

grandes routes étaient couvertesde soldats qui chan-taient la Marseillaise. Sur le seuil des por:cs, des

Page 155: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 155/405

~0 BOUVARD ET P&CUCHET.

femmes assisescousaient de la toile pour faire destentes. Quelquefoisarrivait unflutd'hommesen bon-net rouge, inclinantau bout d'une piqu~unetête dé-colcrée, dont les chevpuxppp~aicnf. Ln ~r'~ t:

bune de ia Conventiondominaitun nuage de pous-sière, où des visages furieux hurlaient des cris demort. Quandon passait au milieu du jour, près dubassin des Tuileries, on entendait le heurt de laguillotine, pareil à des coupsde mouton.

Et la bnse remuait lespampres dela tonnelle, lesorges mûres se balançaientpar intervalles,un merlesiHIait.En portant des regards autour d'eux, ils sa-vouraientcette tranquillité.

Queldommageque dès le commencement,on~'aitpu s'entendre Car si les royalistes avaient penséeommeles patriotes, si !a Coury avaitmis plus defranchise~et les adversairesmoins de violence,biendes malheursne seraient pas arrivés I

Aibrce de bavarderlà-dessus,

ils sepassionnèrent*Bouvard,esprit Hbera!et cœur sensible, fut consti-

tutionnel, girondin, thermidorien: Pécuchet,bilieuxet de tendancesautoritaires, se déclarasans-culotteet même Robespierriste.

Il approuvaitla condamnationdu roî, les décretsles plus violents,le culte de l'Être Suprême. Bou-vard préférait celuide la Nature. Il aurait sa'ué avecplaisirl'image d'une grosse femme, versant de sesmamellesà ses adorateurs, non pas de l'eau, maisdu chambertin.

Pour avoirplus de iaitsa~apDui de leurs argu-ments, ils se procurèrent d'autres ouvrages. Mont-gaillard, Prudhomme, Gallois, Lacretelle, etc. et

Page 156: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 156/405

BOUVARDET PÉCUCHET. i5~

les contradictionsdeces livresne les embarrassaientnullement.Chacunyprenait ce qui pouvait défendresacause.

Ainsi, Bouvard ne doutait pas que Danton eûtaccepté cent mille écus pour faire des motions quiperdraient la République, et selon PécuchetYergniaud aurait demandé six mille francs parmois.

« Jamaisde la vie Explique-moiplutôt pourquoila sœur de Robespierre avait une pension deLouisXVIII?

Pas du tout c'était de Bonaparte, et puisquetule prends comme ça, quel est le personnage quipeu de temps avant la mort d'Égalité eut avec luiune conférence secrète? Je veuxqu'on réimprime,dans les mémoires de la Campan, les paragraphessupprimés Le décèsdu dauphin me paraît louche.Lapoudrière de .Grenelleen sautant tua deux mille

personnesCause

inconnue, dit-on, quellebê-

tise a car Pécuchetn'était pas loin de la connaître,et rejetait tous les crimes sur les manœuvres desaristocrates,l'or de l'étranger.

Dansl'esprit de Bouvard, « montez au ciel, ûlsdesaint Louis», les viergesdeVerdunetles culottesen peau humaine étaient indiscutables. 11 acceptaitles listes de Prudhomme,un milliondevictimestout

 juste.Maisla Loire, rouge de sang depuis Saumur

  jusqu'à Nantes, dans une longueur de dix-huit

lieues, le fit songer. Pécuchetégalement conçut desdoutes, et ils prirent en méfianceles historiens.La.révolution est,, pour les uns, un événement

Page 157: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 157/405

BJCVARD ET PÉCUCHET.IS2

satanique. D'autresla proclamentune exceptionsu-blime. Les vaincus de chaquecôté, naturellement,sont des martyrs.

Thierrydémontre, à proposdesBarbares,combienil est sot de rechercher si tel prince fut bon ou futmauvais.Pourquoine pas suivrecette méthodedansl'examen des époquesplus récentes? Maisl'histoiredoitvenger la morale on est reconnaissant&Tacite

d'avoirdéchiréTibère. Après tout, que la reine aiteu des amants, que Dumouriezdès Valmyse propo-s&tde trahir, en prairialque ce soitla Montagneoula Girondequi ait commencé, et en thermidor lesJacobinsoula Plaine, qu'importe au développementdela Révolution,dont les origines sontprofondes etles résultatsincalculables?

Donc, elle devaits'accomplir, être ce qu'ellefut,mais supposezla fuite du Roisans entrave, Robes-pierre s'échappant ou Bonaparte assassiné, ha-sards

quidépendaient d'un

aubergistemoins scru-

puleux, d'une porte ouverte, d'une sentinelle en-dormie. et le train du mondechangeait.

Ils n'avaient plus, sur les hommeset les faits decette époque, une seule idée d'aplomb.

Pour la  juger impartialement,il faudraitavoirlutoutes les histoires, tous les mémoires, tous les

 journaux et toutes les pièces manuscrites, car de lamoindre omission,une erreur peut dépendrequi enamènera d'autres à l'infini. Ils y renoncèrent.

Maisle goût de l'histoireleur était venu,le besoinde

lavérité

pour elle-même.Peut-être est-elle plus facileà dccouvnrdans lesépoques anciennes? les auteurs, étant loio des

Page 158: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 158/405

BOUVARDET PÉCUCHET. 4M

9.

choses, doiventen parler sans passion. Et ils com'mencèrentle bon Rolhn.

« Quel tas de balivernes s'écria Bouvard,dèsle premier chapitre.

« Attends un peu », dit Pécuchet, en fouillantdansle bas de leur hib!iothèque,où s'entassaientleslivresdu dernier propriétaire,un vieux jurisconsulte,

maniaqueet bel

esprit;et

ayant déplacé beaucoupde romanset de pièces de ihé&tre,avecun Montes-quieu et des traductions d'Horace, il atteignit cequ'il cherchait l'ouvrage de Beaufortsur l'histoireromaine.

Tite-Liveattribue la fondationde Romeà Romu-lus. Salluste en fait honneur aux Troyens d'Ëuée.Coriolanmourut en exit selon Fabius Pictor, par lesstratagèmes d'Attius Tullus si l'on en croit Denys:Senèque affirme qu'Iloratius Codés s'en retournavictorieux,et Dionqu'il fut blessé à la jambe. Et La

Mothele Vayer émet des doutes pareils, relative-ment aux autres peuples.Onn'est pas d'accordsur l'antiquitédes Chaldéens,

le siècled'Homère,l'existencede Zoroastre,les deuxempires d'Assyrie. Quinte-Curcea fait des contes.Plutarque dément Hérodote.Nous aurionsde Césarune autre idée, si le Yercingétorixavait écrit sescommentaires.

L'Ilistoire ancienneest obscure par le défaut dedocuments. Ils abondent dans la moderne etBouvard et Pécuchet revinrent à la France, enta-

mèrent Sismondi.La succession de tant d'hommes leur donnaitenvie de les connaître plus profondément,de s'y

Page 159: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 159/405

BOUVARD ET PECUCHET.<S4

mêler. Ils voulaient parcouru les originaux. Gré*goire~de Tours, Monstre!et, Commines, tous ceuxdont les nomsétaient bizarres ou agréables.

Mais les événements s'embrouillèrent, faute desavoirles dates.

Heureusementqu'ilspossédaientlamnémotechniede Dumouchel,unin-<2 cartonné, aveccette épigra-

phe

« Instruire en amusant. »

Ellecombinaitlestrois systèmesd'Allevy,dePariaet de Fenaigle.

Allevytransformeleschiffresen figures, lenombre1 s'exprimantpar une tour, 2 par un oiseau, 3 parun chameau, ainsi du reste. Pâris frappe l'imaMna-tionau moyende rébus un fauteuil garni de clousà vis donnera Clou,vis Clovis et comme lebruit de la friture fait « rie, ric » des merlans dansune poêle rappelleront Chi!péric. Fenaigle divisel'universen maisons,qui contiennentdes chambres,

ayantchacunequatre paroisàneuf panneaux,chaquepanneauportant un emblème.Donc,le premier roidela première dynastie occupera dans la premièrechambrele premierpanneau. Unphare sur un montdira comment il s'appelait « Phar a mond » systèmeParis, et d'après le conseil d'Allevy, en plaçantau-dessus un miroir qui signifie4, un oiseau2, etun cerceau0, on obtiendra 420, datedel'avènementde ce prince.

Pour plus de clarté, ils prirent commebase mné-motechnique leur propre maison, leur domicile,

attachant à chacune de ses parties un fait distinct,et la cour, le jardin, les environs, tout le pays,n'avaient plus d'autre sens que de faciliter la mé-

Page 160: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 160/405

BOUVARDET P~COCBET. iSS

moire. Les bornages dans la campagne limitaientcertainesépoques, les pommiers étaient des arbresgénéalogiques,les buissons des batailles, le mondedevenaitsymbole. Ils cherchaient, sur les muns,des quantités de choses absentes, unissaient parles voir, mais ne savaient plus les dates qu'ellesreprésentaient.

D'ailleurs,les datesne sont pas toujours authen-

tiques. Ils apprirent, dans un manuel pour les col-lèges, que la naissance de Jésus doit ~tre reportéecinq ans plus tôt qu'on ne la met ordinairement,qu'ily avaitchezles Grecstrois manières de comp-ter les Olympiades,et huit chez les Latins de fairecommencerl'année. Autantd'occasionspour les.mé-prises, outre cellesqui résultent des zodiaques,.desères et des calendriersdifférents.

Et de l'insouciance des dates, ils passèrent audédain des faits.

Cequ'il

y a d'important, c'est laphilosophie

del'Histoire1

Bouvard ne put achever le célèbre discours deBossuet.

« L'aigle de Meauxest un ~rceur Il oublie hChine,lesIndes et l'Amérique maisila'soin denuusapprendre que Théodose était « la joie de l'u-bivers », qu'Abraham « traitait d'égal avec lesrois», et que la philosophie des Grecs descenddes Hébreux.Sa. préoccupation des Hébreuxtm~a-gace..»

Pécuchetpartagea

ct~teopinion,

et voulut luifairelire Vieo.

« Commentadmettre», objectaitBouvard,« que

Page 161: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 161/405

BOUVARD ET PECUCHET.1

i36

des fables soientplus vraies que les véritésdes his-toriens? »

Pécuchet tâcha d'expliquer les mythes, se per-dant dans la ~cM~zaNuova.

« Nieras-tule plan de la Providence?Je ne le connaispas » dit Bouvard.

Et ils décidèrent de s'en rapporter à Dumouchel.Le

professeuravoua

qu'ilétait maintenant dé-

routé en fait d'histoire.« Elle change tous les jours. Onconteste les rois

de Rome et les voyages de Pythagore. On attaqueBélisaire, GuillaumeTell et jusqu'au Cid, devenu,grâce aux dernières découvertes, un simple ban-dit. C'està souhaiter qu'on ne fasseplus de dééou-vertes, et même Hnstitut devrait établir une sortede canonprescrivant ce qu'il faut croire M»

il envoyait en post-scriptum des règles de cri-tiqueprises dans le cours de Daunou s

«Citer commepreuvele témoignagedes foules,mauvaises preuves elles ne sont pas là pour ré-

pondre.Rejeter les choses impossibles. Onfit voir à

Pausanias la pierre avaléepar Saturne.L'architecturepeut mentir, exemple l'arc du

Forum, où Titus est appelé !ë premier vainqueurdeJérusalem, conquiseavantlui par Pompée.

Les médailles 'trompent quelquefois. SousCharles~X, on battit des monnaiesavec le coin deHenriM.

Tenez en comptel'adresse des faussaires,l'in-térêt des apologisteset des calomniateurs.»Peu d'historiens ont travailléd'après ces règles,

Page 162: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 162/405

BOUVARDET PÉCUCHET. 1M

mais tous en vue d'une cause spéciale, d'une ré-

gion, d'une nation, d'un parti. d'un système, ou

pour gourmander les rois, conseiller le peupleoffrirdes exemplesmoraux.

Les autres, qui prétendent narrer seulement,ne valent pas mieux car on ne peut tout dire, ilfaut un choix. Maisdans le choix des documents,

un certain esprit dominera, etcomme il

varie,suivantles conditionsde l'écrivain, jamais l'histoirenesera fixée.

« C'est triste, pensaient-ils.Cependant,on pourrait prendre un sujet, épui-

ser les sources, en fairebien l'analyse, puis le con-denser dans une narration, qui serait commeunraccourcides choses,reflétant la vérité tout entière.Uneielle œuvresemblaitexécutableà Pécuchet.

« ~'eux-tuque nous essayionsde composer unehistoire?

Je ne demande pas mieux Maislaquelle?Effectivement,laquelle? MBouvards'était assis, Pécuchet marchait de long

en large dans le musée. Quandle pot à beurreIrappa ses yeux, et s'arrêtant tout à coup

« Si nous écrivionsla vie du duc d'Angoulême?–Mais c'était un imbécilerépliqua Bouvard.

Qu'importe Les personnagesdu second planont parfoisune influence énorme, et celui-làpeut-être. tenait le rouage des affaires.»

Les livres leur donneraient des renseignements,

etM. de Faverges en possédaitsans doute par lui-mêmeou par de vieux gentilshommesde ses amis.Ils méditèrent ce projet, le débattirent, et réso-

Page 163: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 163/405

BOUVARD ET PÉCUCHET.iS8

lurent enfinde passer quinzejours &!a bibliothèquemunicipale de Caen pour y faire des recherches.

Le bibliothécaire mit à leur dispositiondes his-toires générales et des brochures, avecune litho-phie coloriée représentant de trois quarts Mgr leduc d'AngouIeme.

Le drap bleu de son habit d'uniforme disparais-sait. sous les épaulettes, les crachats et le

grandcordon rouge de la Légion d'honneur. Un colletextrêmement haut enfermait son long cou. Sa têtepiriforme était encadrée par les frisons de sa che-velure et de ses minces favoris, et de lourdes pau-pières, un nez très fort et de grosses lèvres;don-naient à sa ngure une expressionde bjnté insigni-

fiante.Quandils eurent pris des notes, ils rédigèrent un

programmeNaissanceet enfance peu curieuses. Un de ses

gouverneursest

l'abbé Guénée,l'ennemi de Vol-

taire. A Turin, on lui fait fondre un canon, et ilétudie les campagnes de CharlesVIII. Aussi est-ilnommé, malgré sa jeunesse, coloneld'un régimentde gardes-nobles.

i7~7. Son mariage.1814. Les Anglais s'empârent de Bordeaux. Il

accourt derrière eux et montre sa personne auxhabitants. Descriptionde la personne du prince.

i8i3. Bonaparte le surprend. Tout de suite ilappelle le roi d'Espagne, et Toulon, sans Masséca,

était livréà l'Angleterre.Opérations dans le Midi. H est battu, maisrelâché sous la promesse de rendre les diamants

Page 164: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 164/405

BOUVARD ET PÉCUCHET. 459

de la couronne, emportés au grand galop par leroi, son oncle.

Après les Cent-Jours,il revient avec ses parentset vit tranquille. Plusieurs années s'écoulent.

Guerred'Espagne. Dèsqu'il a franchiles.Pyré-nées, la Victoiresuit partout le petit-filsde HenriIV.n enlève le Trocadéro, atteint les colonnesd'Her-cule, écraselesfactions, embrasseFerdinandet s'en

retourne.Arcsde triomphe,fleursque présentent les jeunesfilles,diners dans les préfectures, TeDeumdanslescathédrales.Les Parisienssontaucombledel'ivresse.Lavillelui offreun banquet. Onchantesur les théâ-tredes allusionsau héros.

L'enthousiasme diminue. Car en 1827, à Cher-bourg, un bal organisé par souscriptionrate.

Commeil est grand-amiral de France, il inspectela flotte, qui va partir pour Alger.

Juillet i830. Marmontlui apprend l'état des af-

faires. Alorsil entre dans une telle fureur qu'il sa-blessela main à l'épée du général.

Le roi lui confiele commandementde toutes lesforces.

Il rencontreauboisde Boulognedes détachementsde la ligne et ne trouvepasun seul mot à leur dire.

De Saint-Cloud,il voleau pont de Sèvres. Froi-deur des troupes. Ça ne l'ébranlé pas. La familleroyale .quitte Trianon. Il s'asseoit au pied d'unchêne, déploie une carte, médite, remonte à che-val,

passedevant

Saint-Cyret envoie aux élèves

desparoles d'espérance.A Rambouillet, les gardes du corps font leurs

fvUeux.

Page 165: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 165/405

BOUVARD ET PÉCUCHET.t.160

Il s'èinbarque, et pendant toute'la traversée estmalade. Fin de sa carrière.

Ondoi;ty relever l'importancequ'eurent les ponts.D'abord, il s'expose inutilement sur le pont del'Inn, il enlève le pont Saint-Esprit et le pont deLauriol à Lyon, les deux ponts lui sont funestes,et sa fortune expire devant le pont de Sèvres..

Tableaude ses vertus. Inutile de vanter son cou-

rage, auquel il joignait une grande politique. Caril offrit à chaquesoldat soixantefrancs pour aban-donner l'empereur, et en Espagne il tâcha de cor-rompre à prix d'argent les constitutionnels.

Sa réserve était si profonde qu'il consentit aumariage projeté entre son père et la reine d'Ecurie,à la formationd'un cabinetnouveauaprèsles ordon.nances, à l'abdicationen faveurde.Chambord,à toutce que l'on voulait.

La fermeté pourtant ne lui manquait pas. A

Angers,il cassa l'infanterie de la

garde nationalequi, jalouse de la cavalerieet au moyen d'une ma~noeuvre,était parvenueà lui faire escorte, tellementque Son Altesse se trouva.prise dans les fantassinsà en avoirles genoux comprimés. Maisil blâma lacavalerie,cause du désordre, et pardonnaà Fin&n-terie, véritable jugement de Salomon.

Sa piété se signalapar de nombreusesdévotions,et sa clémenceen obtenant la grâce du général De-belle, qui avaitporté les armes contrelui.

Détailsintimes, traits du prince

Au château de Beauregard,dans son enfance, ilprit plaisir, avecson frère, à creuser une pièce d'eauque l'en voitencore.'Unefois, il visitala casernedes

Page 166: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 166/405

BOUVARD JETPECUCHET. 161

chasseurs,demandaun verre de vin et le but à lasanté duroi.

Touten se promenant pour marquer le pas, Hserépétaità lui-même a Une, deux, une, deux, une,deux! ))

Ona conservéquelques-unsde ses motsAune députation de Bordelais « Ce qui me con-.

solede n'être pas à Bordeaux, c'est de me trouver

aumilieu de vousAuxprotestants de Nismes « Je suisbon catholi-

que, mais je n'oublierai jamais que le plus illustrede mes ancêtres fut protestant ».

Auxélèves de Saint-Cyr, quand tout est perdu« Bien, mes amis Les nouvelles sont bonnes Çavabien très bien1 »

Après,l'abdicationde CharlesX « Puisqu'ils neveulentpas de moi, qu'ils s'arrangent ))

Et en 1814, à tout propos, dans le moindre vil-lage « Plus de guerre, plusde conscription,plus de

droitsréunis )\ Son style valait sa parole. Ses proclamationsdé-

passenttout.La première du comte d'Artois débutait ainsi

«Français, le frère de voire roi est arrive »Celledu prince « J'arrive. Je suis le fis de vos

rois Vous êtes Français. »Ordre du jour daté de Bayonne Soldats,

 j'arrive1 >aUneautre en pleine défection « Continuezà

souteniraveclavigueur qui'convient

au sotdut )ran-gais,la lutte que vous avez commencée.La Francel'attendde vous »

Page 167: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 167/405

BOUVARD ET PÉCUCHET.~63

Dermcre &Rambouillet. « Le roi est entré enarrangement avec le gouvernement établi à Paris,et tout porte à croire que cet arrangement est surle point d'être conclu.Tout porte à croire étaitsublime.

« Une chose me chiffonne, dit Bouvard, c'estqu'on ne mentionne pas ses affairesdecoeur?H

Et ils notèrent enmarge

« Chercherles amoursdu prince M»

Au moment departir, le bibliothécairese ravisant,leur fitvoir un autre portrait du duc d'Angouléme.

Sur celui-là, il était en colonel de cuirassiers,de profil, l'œilencore plus petit, la bouche ouverte,avec des cheveuxplats, voltigeant.

Commentconcilier les deux portraits ? Avait-illes cheveuxplats, ou bien crépus, à moins qu'il nepoussât la coquetterie jusqu'à se fairefriser?

Questiongrave, suivant Pécuchet, car la cheve-

lure donnele

tempérament, le tempérament l'in-dividu.Bouvardpensait qu'on ne sait rien d'un homme

tant qu'on ignore ses passions et pour éclaircircesdeuxpoints, ils se présentèrentau château de Faver-ges. Le comte n'y était pas, cela retardait leur ou-vrage. Ilsrentrèrent chez eux, vexés.

La porte de la maisonétait grande ouverte, per-sonne dansla cuisine. Ils montèrent l'escalier etque virent-ilsau milieu de la chambre de Bouvard?M""Bordinqui regardaitde droite et de gauche.

-<Excusez-moi, dit-elle en s'efforçant de rire.Depuisune heure je cherche votre cuisinière, dont j'aurais besoin, pour mes confitures.»

Page 168: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 168/405

BOUVARD ET PECUCHET. i6~

Ils la trouvèrent dans le bûcher sur une chaise etdormant profondément. On la secoua. Elle ouvrit les

yeux.« Qu'est-ce encore ? Vous êtes toujours à me di-

guer avec vos questions »Il était clair qu'en leur absence M" Bordin lui en

faisait.

Germaine sortit de sa torpeur, et déclara une in-digestion.«Je reste pour vous soigner », dit la veuve.Alors ils aperçurent dans la cour un grand bonnet,

dont les barbes s'agitaient. C'était M°"*Castillon, lafermière. Elle cria « Gorju 1 Gorju »»

Et du grenier, la voix de leur petite bonne ré-pondit hautement

« Il n'est pas là »»Elle descendit au bout de cinq minutes, les pom-

mettes rouges, en émoi. Bouvard et Pécuchet lui

reprochèrent sa lenteur. Elle déboucla leurs guêtressans murmurer.Ensuite, ils allèrent voir le bahut.Ses morceaux épars jonchaient le fournil les

sculptures étaient endommagées, les battants rom-pus.

A ce spectacle, devant cette déception nouvelle,Bouvard retint ses pleurs et Pécuchet en avait untremblement.

Gorju, se montrant presque aussitôt, exposa 1&fait il venait de mettre le bahut dehors pour le

vernir, quand une vache errante l'avait jeté parterre.

« A qui la vache? dit Pécuchet.

Page 169: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 169/405

BOUVARDET PÉCUCHET.<64

Je ne saispas.Eh vous aviezlaissé la porte ouverte comme

tout à l'heure C'estdevotre faute M»

Ils y renonçaientdu reste depuis trop longtempsil les lanternait et ne voulaientplus de sa personneni de son travail.

Cesmessieurs avaient tort. Le dommage n'étaitpas si grand. Avanttrois semaines tout serait fini,et Gorju les accompagnajusque dansla cuisine, oùGermaine arrivait, en se trainant, pour faire ledîner.

Ils remarquèrent sur la table une bouteille deCalvados,auxtrois quarts vidée.

« Sans doute par vous dit Pécuchetà Gorju.Moi jamais. »

Bouvardobjecta« Vousétiezle seul hommedans la maison.

Eh bien, et les femmes? » reprit l'ouvrier,avec un clin d'œil

oblique.Germainele surprit:« Ditesplutôt que c'est moi

Certainementc'est vous1Et c'est moi peut-être qui ai démoli l'ar-

moiré a»

Gorju fit une pirouette.« ~fousne voyez donc pas qu'elle est saoule! »Alors ils se chamaillèrent violemment, lui pâle,

gouailleur, elle empourprée, et arrachantses touffesde cheveux gris sous son bonnet de coton. M" Bor-

din parlaitpour Germaine,Méiie

pour Gorju.La vieilleéclata.KSi ce n'est pas une abomination que vouspas-

`t

Page 170: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 170/405

BOUVARD ET PÉCUCHET. 165

siez des journées ensemble dans le bosquet, sanscompter la nuit! espèce de Parisien, mangeur debourgeoises qui vient chez nos maîtres pour leurfaireaccroire des farces o»

Les prunelles de Bouvards'écarquillèrent.« Quellesfarces t

Je dis qu'on se fichede vous1Onne se fiche

pasde moi » s'écria

Pécuchet,et, indigné de son insolence, exaspéré par les dé-boires, il la chassa qu'elle eût à déguerpir. Bou-vard ne s'opposa point à cette décision et ils seretirèrent, laissant Germainepousser des sanglotssur son malheur, tandis que M°"Bordintâchait dela consoler.

Le soir, quand ils furent calmes,ils reprirent cesévénements, se demandèrent qui avait bu le Cal-vados, commentle meuble s'était brisé, que récla-mait M" Castillon en appelant Gorju, et s'ilavait déshonoré Mélie?

« Nous ne savons pas, dit Bouvard, ce qui sepasse dans notre ménage, et nous prétendons dé-couvrir quels étaient les cheveuxet les amours duduc d'Angoulôme

Pécuchetajouta« Combiende questions autrement considérables,

et encore plus difficiles »»D'où ils conclurent que les faits extérieurs ne

sont pas tout. Il faut les comptéterpar la psycho-logie. Sans l'imagination, l'histoire est défectueuse.

« Faisonsvenir quelques romans historiques »»

Page 171: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 171/405

Ils lurent d'abord WalterScott.Cefut comme la surprise d'un monde nouveau.Leshommesdu passé qui n'étaient pour eux que

des fantômes ou des noms devinrent des êtresvi-vants,rois, princes, sorciers, valets, garde-chasses,moines, bohémiens, marchandset soldats, qui déli-bèrent, combattent, voyagent, trafiquent, mangentet boivent, chantentet prient, dansla salled'armesdes châteaux, sur le banc noir des auberges, parles rues tortueuses des villes, sous l'auvent des

échoppes,dans ie cloîtredes monastères.Des

paysages artistement composés entourent les scènescomme un décor de théâtre. On suit des yeux uncavalier qui galope le long des grèves. On aspireau milieu des genêts la fraîcheur du vent, la luneéclaire des lacs où glisse un bateau, le soleil faitreluire les cuirasses, la pluie tombe sur les huttesde feuillages. Sans connaître les modèles, ils trou-vaientces peintures ressemblantes,et l'illusionétaitcomplète. L'hiver s'y passa.

Leur déjeuner fini, ils s'installaientdans la petite

salle, aux deux bouts de la cheminée et en facel'un de l'autre, avec un livreà la main, ils lisaientsilencieusement.Qurnd le jourbaissait, ils allaient

v

Page 172: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 172/405

BOUVARD ET P&CCCHET. i67

se promener sur la grande route, dînaient en hâteet continuaientleur lecture dans la nuit. Pour segarantir de la lampe, Bouvardavait des conservesbleues Pécuchet portait la visière de sa casquetteinclinéesur le front.

Germaine n'était pas partie, et Gorju, de tempsà autre, venaitfouirau jardin, car ils avaient cédé

par indifférence, oubli des chosesmatérielles.Après WalterScott, AlexandreDumas les diver-tit à la manière d'une lanterne magique. Ses per-*unnages, alertes comme des singes, forts commedes bœufs, gais comme des pinsons, entrent etparlent brusquement, sautent des toits sur le pavé,reçoivent d'affreusesblessures dont ils guérissent,sontcrus morts et reparaissent. Il y a des trappessousles planchers, des antidotes, des déguisementset tout se môle, court et se débrouille, sans uneminute pour la réflexion. L'amour conserve de la

décence, le fanatismeest gai, les massacres fontsourire.Rendus difficilespar ces deux maîtres, ils ne

purent tolérer le fatras de Bélisaire, la niaiserie deNuma Pompilius, de Marchangy,du vicomted'Ar-lincourt.

`

La couleur de Frédéric Soulié (comme celle dubibliophileJacob) leur parut insuffisanteet M.Ville-main les scandalisa en montrant, page 85 de sonLascaris, une Espagnole qui fume une pipe, « unelongue pipe arabe a au milieudu XV siècle.

Pécuchet consultait la biographie universelle etentreprit de réviser Dumas au point de vue de lascierce.

Page 173: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 173/405

BOUVARO ET PÉCUCHET.168

L'auteur, dans les DpM.rDM~c, se trompe dedates. Le mariage du DauphinFrançoiseut lieu lei5 octobre 1S48,et non le 20 mars 4~9. Commentsait-i!(voir le ~aye </Mduc de Savoie)que Catherinede Médicis,après la mort de son époux, voulait re-commencerla guerre? Il est peu probable qu'on aitcouronné le duc d'Anjou, la nuit dans une église,

épisode qui agrémentela Dame de Jtfo~o~eaM.La

~M<?Margot, principalement, fourmilled'erreurs.Le duc de Nevers n'était pas absent. Il opina auconseil avant la Saint-Barthélémy,et Henri de Na-varre ne suivit pas la processionquatrejours après.Henri III ne revint pas de Pologne aussi cvite.

.D'ailleurs, combien de rengaines Le miracle deFaubépine, le balconde CharlesIX, les gants em-poisonnés de Jeanne d'AIbret, Pécuchet n'eut plusconfianceen Dumas.

Il perdit même tout respect pour Walter Scott,

à cause des bévues de son ()K<?M~MDM?'M'a?'<Lemeurtre de Féveque de Liège est avancé de quinzeans. La femme de Robert de Lamarck et~u Jeanned'Arschelet non Hamelinede Croy. LoinJ être tuépar un soldat, il fut mis à mort par MaxtmUien.et la figure du Téméraire, quand on trouva soncadavre, n'exprimait aucune menace, puistpielMloups l'avaient a. demidévorée.

Bouvardn'en continua pas moins Walter Scott,mais finitpar s'ennuyer de la répétition des me.neseffets.'L'héroïne, ordinairement, vit à la campagne

avec son père, et l'amoureux, on enfant ~é, estrétabli dans ses droits et triomphe de ses rivaux.ily a toujours un mendiantphilosophe, un châtelain

Page 174: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 174/405

BOUVARD ET PÉCUCHET. 469

tO

bourru, des jeunes fillespures, desvalets facétieuxet d'interminables dialogues, une pruderie bête,manque complet de profondeur.

En haine du bric-à-brac, Bouvard prit GeorgeSand.

Il s'enthousiasma pour les belles adultères et lesnoblesamants, aurait voulu être Jacques, Simon,

Bénédict,Lélio,et habiter Venise Il

poussaitdes

soupirs,ne savait pas ce qu'il avait, se trouvaitlui-mêmechangé.

Pécuchet,travaillantla littérature historique, étu-diaitles pièces de théâtre.

Il avala deux Pharamond, trois Clovis, quatreCharlemagne,plusieurs Philippe-Auguste,une foulede Jeanne d'Arc et bien des marquises de Pompa-dour, et des conspirationsde Cellamare.

Presque toutes lui parurent encore plus bêtesquelesromans. Caril existepour le théâtre une his-

toireconvenue, que rien ne peut détruire. LouisXInemanquera pas de s'agenouillerdevant les figu-rines de son chapeau; Henri IV sera constamment

 jovial;MarieStuart pleureuse, Richelieucruel, en-fin,tous les caractèresse montrent d'un seul bloc,par amour des idées simples et respect de l'igno-rance, si bien que le dramaturge, loin d'élever,abaisse au lieu d'instruire, abrutit.

CommeBouvardlui avait vanté GeorgeSand, Pé-cuchetse mit à lire C(~MMe/o,Foracc, .~M~a<,futséduit par la défensedes opprimés,le côté social

et républicain,les Jieses.Suivantliouvard, elles gâtaient la fictionet il de-mandaau cabinetde lecture des romans d'amour.

Page 175: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 175/405

470 BOUVARD ET PÈCUCHET.

A haute voix et l'un après l'autre, ils parcou-rurent la NouvelleHéloise, De~oA~c~Adolphe, Ou-~a. Mais les bâillementsde celui qui écoutaitga-gnaient son compagnon, dont les mains bientôtlaissaienttomber le livrepar terre.

Ils reprochaientà tous ceux-là de ne rien dire surle milieu, l'époque, le costume des personnages.Le cœur seul est

traité toujoursdu sentiment!

commesi le monde ne contfait pas autre chose.Ensuiteils tâtèrentdesromLashumoristiques,tels

que le VoyageaM~o!dema chambre, par Xavierde Maistre <S'OM~Z~TÏ~M/s,d'AlphonseKarr. Dansce genre de livres, on doitinterrompre la narrationpour parler de sonchien, de ses pantouflesou desamaîtresse. Un tel sans gêne d'abord les charma,puis leurparut stupide, car l'auteurefface sonœuvreen y étalant sa personne.

Par besoin de dramatique, ils se plongèrent dans

les romans d'aventures l'intrigue les intéressaitd'autant plus qu'elle était enchevêtrée, extraordi-naire et impossible. Ils s'évertuaient à prévoir lesdénouements, devinrent là dessus très forts, et selassèrent d'une amusette, indigne d'esprits sé-rieux.

L'oeuvrede Balzacles émerveilla, tout à la foiscomme une Babylone, et comme des grains depoussière sous le microscope. Dans les choses lesplus banales, des aspects nouveaux surgirent. Ilsn'avaient pas soupçonnéla vie moderne aussi pro-

fonde.« Quel observateur1s'écriaitBouvard.Moi je le trouve chimérique,finitpar dire Pé-

Page 176: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 176/405

BOUVARDET PËCBCHET. i7i

cuchet.Il croit aux sciences occultes, à la monar-cMe,à la noblesse, est éblouipar les coquins, vousremue les millions comme des centimes, et sesbourgeoisne sont pas des bourgeois,maisdes colos-ses.Pourquoigonfler ce qui est plat, et décrire tantde sottises Il a fait un roman sur la chimie, unautrb sur la Banque, un autre sur les machines à

imprimer. Commeun certain Ricard avait fait « lecocherde fiacre», « le porteur d'eau », « le mar-chandde coco». Nousen aurions sur tous les mé-tierset sur toutes les provinces,puis sur toutes lesvillesetles étages de chaque maisonet chaqueindi-vidu,ce qui ne seraplus de la littérature, mais de la

statistiqueoude l'ethnographie. »Peu importait à Bouvardle procédé. Il voulait

s'instruire, descendre plus avant dans la connais-sancedes moeurs.Il relut Paul de Kock,feuilleta devieuxermites de la Chausséed'Antin.

« Commentperdre son temps à des inepties pa-reilles,disaitPécuchet.

Maispar la .suitece sera fort curieux, commedocuments.

Va te promener avec tes documents Je de-mandequelquechose qui m'exalte,quim'enlève auxmisèresde ce monde1 »

Et Pécuchet,porté à l'idéal, tourna Bouvard, in-sensiblement,vers la tragédie.

Le lointain où elle se passe, les intérêts qu'on ydébatet la conditionde ses personnages leur impo-

saientcumutoun sentimentde grandeur.Un jour, Bouvardprit Athalie, et débitale songe

tellementbien, que Pécuchet voulutà son tour l'es-

Page 177: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 177/405

1 J2 BOUVARD Et PÉCUCHET.

sayer. Dèsla première phrase, sa voixse perdit dansune espèce de bourdonnement. Elle était monotoneet, bien que forte, indistincte.

Bouvard, plein d'expérience, lui conseilla, pourl'assouplir, de la déployer depuis le ton le plus bas

 jusqu'au plus haut, et de la replier, -.en émettantdouxgammes, l'une montante, l'autre descendante-et lui-même se livrait à cet exercice,le matio,dans son lit, couchésur le dos, selonle préceptedesGrecs. Pécuchet, pendant ce temps-là, travaillaitdela même façon leur porte était close et ils brail-laient séparément.

Cequi leurplaisaitde la tragédie,c'était l'emphase,lesdiscourssurla politique,lesmaximesdeperversité.

Ils apprirent par coeur'les dialogues les plus fa-meux de Racine et deVoltaire, et ils les décla-maient dansle corridor.Bouvard,commeau Théâtre-Français, marchaitla mainsur l'épauie de Pécucheten s'arrêtant par intervalles, et, roulant ses yeux,ouvrait les bras, accusait les destins. TIavait debeaux cris de douleur dans le Philoctète de LaHarpe, un joli hoquet dans Ga~c//c de ~e~y, etquand il faisait Denys,tyran de Syracuse,une ma-nière de considérerson uls en 1 appelant« Monstre,digne de moi » qui était vraiment terrible. Pécu-chet en oubliait son rôle. Les moyens lui man-quaient, non la bonne volonté.

Une fois, dans la C~o/K~ de Marmontel,il ima-gina de reproduire le sifflementde l'aspic, tel qu'a-vait dû le faire l'automate inventé

exprès parVau-

canson. Ceteffet manqué les fit rire jusqu'au soir.La tragédie tomba dans leur estime.

Page 178: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 178/405

BOUVARD ET PÉCUCHET. i73

)!

Bouvarden fut las le premier, et, y mettant delafranchise, démontra combien eUeest ariiucielle etpodagre, la.niaiseriede ses moyens, l'absurdité desconfidents.

Ils abordèrent la comédie, qui est l'école desnuances.Il faut disloquerla phrase, souligner lesmots, peser les syllabes.Pécuchet n'en put venir àboutet échouacomplètementdans Célimène.

Du reste, il trouvait les amoureux bien froids,les raisonneursassommants, les valets intolérable",Clitandre et SganareUe aussi faux qu'Egisthe etqu'Agamemnon.

Restait la comédie sérieuse, ou tragédie bour-geoise, celle où l'on voit des pères de famille dé-solés, des domestiques sauvant leurs maîtres, desrichards offrantleur fortune, des couturièresinno-centes et d'infâmes suborneurs, genre qui se pro-longe de Diderot jusqu'à Pixérécourt. Toutes cespiècesprêchant la vertu les choquèrent commetri-

viales.Le drame de i830 les enchanta par son mouve-

ment, sa couleur, sa jeunesse.'Ils ne faisaient guère de diSérence entre Victor

Hugo,Dumasou Bouchardy,et la diction ne devaitplus être pompeuse ou fine, mais lyrique, désor-donnée.

Un jour que Bouvardtâchait de faire comprendrea Pécuchetle jeu de FrédériGLemaïtre, M' Bordinse montra tout à coup avec son châle vert, et unvolumede

Pigault-Lebrun qu'elle rapportait,ces

messieurs ayant l'obligeance de lui prêter des ro-mans quelquefois.

Page 179: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 179/405

'i74 BOUVARD ET PËCUCHET.

(t Maiscontinuez » car elle était là depuis ùne

minute, et avait plaisir à les entendre.Ils s'excusèrent. Elle insistait.« Mon Dieu 1 dit Bouvard, rien ne nous em-

pêchePécuchetallégua,par faussehonte, qu'ilsne pou-'

vaient jouer à l'improviste, sans costume.

« Effectivement1 nous aurions besoin de nousdéguiser aEt Bouvardcherchaun objetquelconque,ne trouva

que le bonnetgrec et le prit.Commele corridor manquait de largeur, ils des-

cendirent dans le salon.. 1Des araignées couraient le long des murs et les

spécimens géologiques encombrant le soi avaientblanchide leur poussière le velours des fauteuils.On étala sur le moins malpropre un torchon pourque M°"Bordinpût s'asseoir.

Il fallait lui servir quelque chose de bien. Bou-vard était partisan de la Tourde A~/e. Mais Pécu-chet avait peur desrôles qui demandent trop d'ac-tion.

« Elle aimera mieux du classique1 jMe<& parexemple?

Soit.Bouvard conta le sujet. a C'est une reine,

dont le mari a, d'une autre femme, un fils. Klleestdevenuefolledu jeune homme, y sommes-nous?En route w»

`Oui, prince, je tabula, je brûle pour TMaÊe,Je l'aime t

Page 180: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 180/405

BOUVARD ET PÉCUCHET. i75

Et paylant au profil de Pécuchet, il admirait son

port, son visage,« cette tète charmante » se désolaitde ne l'avoir pas rencontré sur la flotte des Grecs;,aurait voulu se perdre avec lui dans le labyrinthe.

La mèche du bonnet rouge s'inclinait amoureu-sement, et sa voixtremblante, et sa figure bonneconjuraientle cruel de prendre en pitié sa flamme.

Pécuchet, en se détournant, haletait pour marquerde l'émotion.M"" Bordin, immobile, écarquillait les yeux,

commedevant les faiseurs de tours Mélieécoutaitderrièrela porte. Gorju,en manches de chemises,lesregardait par la fenêtre.

Bouvardentama la secondetirade. Son jeu expri-mait le délire des sens, le remords, le désespoir,etilse précipitasur le glaiveidéal de Pécuchet aveetant de violenceque, trébuchant dans les cailloux,il faillit tomber par terre.

« Ne faites pas attention Puis, Thésée arrive, etelle s'empoisonne1Pauvre femme » dit madame Bordin.

Ensuite ils la prièrent de leur désigner un mor-ceau.

Le choix l'embarrassait. Elle n'avait vu que troispièces Robert le Diabledans la capitale, le JeuneJtta~ à Rouen, et une autre à Falaise qui étaitbien amusante et qu'on appelaitla Brouette du Fï-Ha:y?'M~.

Enfin, Bouvard lui proposa la grande scène de

Tartufe, au troisième acte.Pécuchet crut une explicationnécessaire.:« Il faut savoir que Tartufe. »

Page 181: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 181/405

BOCVARDET y&CUCBET.t76

M°"Bordin l'interrompit. « On sait ce que c'est-qu'un Tartufe »

Bouvardeut désiré, pour un certain passage, unerobe.

« Je ne vois que la robe de moine», dit Pécuchet.N'importe mets-la1 »

H reparut avec elle, et un Molière.

Le commencement fut médiocre. MaisTartufevenantà caresserles genouxd'Elmire, Pécuchetpritnn ton de gendarme.

« ()MCfait là t'O~'CM<7M!? »Bouvard,bien vite, répliqua d'une voixsucrée,:« Je <<!<<*votre habit, ~'<;<(~eeMest ~:M//c~. »

Et il dardait ses prunelles, tendait la bouche, reni-flait,avaitun air extrêmementlubrique, finit mêmepar s'adresserà M' Bordin.

Lesregards decet hommela gênaient, et quandil s'arrêta, humbleet palpitant, elle cherchait pres-que une réponse.

Pécuchet eut recours au livr& « La déclarationest ~o:~<ïfait ya/tM~. »

« Ah oui », s'écria-t-elle, c'est un fier enjôleur.N'est-ce pas? » reprit GeramentBouvard.« Mais

en voilà une autre, d'un chic plus moderne. » Et,ayant défait sa redingote, il s'accroupit sur unmoellon,et déclama,la tête renversée

Des Nftmmci'de tes yeux inonde ma paupière.Chante-moi quelque chant, comme ps: Ma,le soir,

Tum'en

ohautais, ayottJea

p!euMdans ton osUnoir.

« Çame ressemble», pensa-t-aue.

Page 182: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 182/405

BOUVARD ET PÉCUCHET. i77

Soyons heureux) buvons) cnr la coupe est remplie,Car cotte heure est &nouaet le reste est folle1

Commevous êtes drôle1»Et elle riait d'un petit rire, qui lui remontait la

gorge et découvraitses dents.

N'est-ce pas qu'il est douxD'aimer, et de savoir qu'on vousaimeà genoux 7

Il s'agenouiUa.

« FinissezdoncH

Oh Mase-moï dormir et rater sur ton sein,Dona Sol, ma beauté, mon amour!

« Ici on entend les cloches, un montagnard lesdérange.

Heureusement1 carsanscela. » EtM°"°Bor-

din sourit, au lieu de terminer sa phrase. Le jourbaissait. Elle se leva.

Il avait plu tout à l'heure, et le chemin par hhetréen'étant pas facile,mieuxvalaits'en retournerpar les champs. Bouvardi'accompagnadans le jar-din, pour lui ouvrir la porte.

D'abord,ils marchèrent le long des quenouilles,sansparler. Hétait encore ému de sa déclamation,

et elle éprouvait au fond de l'âme comme unesurprise, un charme qui venait de la littérature.L'art, en de certaines occasions, ébranle les espritsmédiocres, et des mondes peuvent être révéléspar ses interprètes les pluslourds.

Page 183: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 183/405

BOUVARD ET PÉCUCHET.i1f8

Le soleilavait reparu, faisaitluire les feuilles, je-tait des tacheslumineuses dans les fourrés, ça et là.Trois moineaux avec de petits cris sautillaientsurle tronc d'un vieuxtilleulabattu. Uneépine en fleursétalait sa gerbe rose, des lilas alourdis se pen-chaient.

« Ah cela fait bien ? dit Bouvard,en humant

l'air à pleinspoumons.« Aussi, vous vousdonnezun mat1Cen'est pas quej'aie du talent, mais pour du

feu, j'en possède.On voit.M, reprit-elle et mettant un espace

entre les mots, « que vous avez. aimé. autrefois.Autrefois,seulement, vous croyez »»

Elles'arrêta.«Je n'en sais rien 1

Que veut-elledire ?» Et Bouvardsentait battreson cœur.

Uneflaqueaumilieudu sable, obligeantà un dé-tour, les fit monter sousla charmi!Ie.

Alors ils causèrentde la représentation.« Comments'appellevotredernier morceau?

C'esttiré de /ife?'M<~K,un drame.Ah » puis lentement, et se parlant à elle-

meme, ce doit être bienagréable, un monsieurquivous dit des chosespareilles, pour tout de bon.

Je suisà vosordres », repondit Bouvard.«Voua?

Oui moi1

QueUoplaisanteriePas lemoinsdu monde »

Et ayant jeté un regard autour d'eux, il la prit à

Page 184: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 184/405

BOUVARD ET PjÈCUCHET. i79

la ceinture, par derrière, et la baisa sur !a nuque,fortement.

Elle devint très pâle comme si elle allait s'éva-nouir, et s'appuya d'une main contre un arbre;puis, ouvrit les paupières, et secouala tête.

« C'est passé. »Illa regardait, avec ébahissement.

La grille ouverte, elle monta sur le seuil de lapetite porte. Une rigole coulait de l'autre côte. Elleramassa tous les plis de sa jupe, et se tenait au bord,indécise

« Voulez-vousmon aide ?Inutile.

Pourquoi ?Ah vousêtes trop dangereux1 M

Et, dans le saut qu'elle fit, son bas blanc parut.Bouvardse blâma d'avoirraté l'occasion. Uah elle

se retrouverait, et puis les femmes ne sont pas

toutes les mômes. JIfaut brusquer les unes, t'audacevousperd avec les autres. En somme, il était contentde lui, et s'il ne confia pas son espoir à Pécuchet,cefut dans la peur des observations, et nullementpar délicatesse.

A partir dece jour-là, ils déclamèrent devant Mé!ieet Gorju, tout en regrettant de n'avoir pas un théâtrede société.

Lapetite bonne s'amusait sans y rien comprendre,chahiedu langage, fascinée par le ron-ron des vers.Gorju applaudissait les tirades philosophiques des

tragédies et tout ce qui cta:t pour le peuple dans lesmetodrames si bien que, charmes de son goût,i~ pensèrent lui dotiner des tec.ons~pour en faire

Page 185: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 185/405

180 BOUVARD ET PJÊCUCHET.

plus tard un acteur. Cette perspective éblouissaitl'ouvrier.

Le bruit de leurs travauxs'était répandu. Vaucor-heilleur en parta d'une façonnarquoise. Générale-ment onles méprisait.

Ils s'en estimaient davantage. Ils se sacrèrentartistes. Pécuchet porta des moustaches, et Bouvard

ne trouvarien de mieux, avec sa mine ronde et sacalvitie,que de se faire « une tête à la Déranger oEnfin, ils résolurent de composer une pièce.Le difQciiec'était le sujet.Ils le cherchaient en déjeunant, et buvaient du

café,liqueur indispensableau cerveau,puis deuxoutrois petits verres. Ils allaient dormir sur feuriitaprès quoi, ils descendaientdansle verger, s'y pro-menaient, enfin sortaient pour trouver dehorsl'ins-

piration, cheminaientcôteà côte, et rentraient exté-nués.

Oubien, ils s'enfermaientà double tour. Bouvardnettoyait la tabte, mettait du pap!er devant lui.trempait sa plume et restait les yeux au plafond.pendant que Pécuchet, dans le fauteuil, méditait.les jambes droites et la tête basse.

Parfoisils sentaient un frisson et commele ventd'une idée aumomentde la saisir,elleavaitdisparu.

Maisil existedes méthodespour découvrirdessu- jets. Onprend un titre au hasard et un fait en dé-coule on développeun proverbe, on combinedesaventures en une seule. Pas un de ces moyensn'a-

boutit. Ils feuiHdèrentvainement des recueilsd'a-necdotes, plusieursvolumesdes causescélèbres, untas d'histoires.

Page 186: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 186/405

BOUVARD BT PÉCUCHET. ~Ëi

n

Et ils rbvaient d'être  joués à l'Odéon, pensaientauxspectacles, regrettaient Paris.

« J'étais fait pour être auteur, et ne pasm'enterre]*à la campagne disait Bouvard.

Moide même», répondait Pécuchet.Une illumination lui vint s'ils avaient tant do

mal, c'est qu'ils ne savaient pas les règles.Ilsles étudièrent, dans la Pratique du T~c~c par

d'Aubignac, et dans quelques ouvrages moins .dé-modés.On y débat des questions importantes Si la co-

médiepeut s'écrire en vers si la tragédie n'ex-cède point les bornes, en tirant sa fable de l'histoiBemoderne si les héros doivent être vertueuxquel genre de scélérats elle comporte jusqu'àquelpoint les horreurs y sont permises que lesdétailsconcourent à un seul but, que l'intérêt gran-disse, que la fin réponde au commencement, sansdoute J

Inventezdesressort"quipuissentm'attacher,

dit Boileau.Par quel moyen inventer des ressorts ?

Que dans tous vos disco<!<~la passion émueAitleohorchei.le coeur,l'échauTeetleremue.

Commentéchauffer le cœur?Doncles règles ne suffisent pas il faut, de plus,génie.

le génie ne suffit pas. Corneille, suivant l'Aea-'L'nuofrançaise, n'entend rien au théâtre. Geuuroy

Page 187: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 187/405

182 BOUVARDET PECUCHET.

dénigraVoltaire. Racinefut bafoué par Subligny.La Harperugissait au nom de Shakespeare.

La vieille critique les dégoûtant, ils voulurenconnattre la nouvelle, et firent venirles comptes-rendus de pièces dans les journaux.

Quel aplomb 1Quelentêtement Quelle impro-bité Des outrages à des chefs-d'œuvre,des rév~

rences faites à des platitudes et les âneries deceux qui passent pour savants, et la bêtise de!autres que l'on proclamespirituels1

C'est peut-être au public qu'ii faut s'en rapporter.Maisdes œuvres applaudies parfois leur déplai.

saient, et, dans les sifflées, quelque chose leuragréait.

Ainsi, l'opinion des gens de goût est trompeuseet le jugement de la fouleinconcevable.

Bouvardposa le dilemmeà Barberou. Pécuchet,de son côté, écrività Dumouchel.

L'ancien commis voyageur s'étnnna dn ramollis-sement causé par la province, son vieux Uouvardtournait à la bedelle, bref « n'y était ~'us du tout

Le théâtre est un objet de consommationcommeun autre. Celaentre dans l'articleParis. Unvaauspectaclepour se divertir. Ce qui est bien, c'est cequi amuse. ·

« Mais, imbécile,s'écria Pécuchet,ce qui t'amusen'est pas ce qui m'amuse, et les autres et toi-uismeS'enfatigueront plus tard. Si les piècessont absolu-ment écrites pour être jouées, comment se fait-i!

que les mo:eures soient to')jmn'slues? » Et il at-tendit la réponsede Uumouchei.

1Suivant le professeur, le fort immédiat d'une

Page 188: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 188/405

WOUVARDET PECUCHET, 483

pièce ne prouvait rien. Le Misanthrope et Athalietombèrent. Zaïre n'est plus comprise. Qui.parle au-

 jourd'hui de Ducange et de Picard? Et il rappelaittous tes grands succès contemporains, depuis Fan-tA<Mla Vielleuse.  jusqu'à Gaspardo le Pêcheur, dé-

plorait la décadence de notre scène. Elle a pourcausele méprisde là Iit!érature, ou plutôt du style.

Alors ils se demandèrent en quoi consiste préci-sémentle style ? et, grâce à des auteurs indiquéspar Dumouchel, ils apprirent le secret de tous ses

genres.Comment on obtient le majestueux, le tempéré,

le naïf, les tournures qui sont nobles, les mots quisont bas. C~~M se relève par <Ze!waM~.P'b?M~'ne

s'emploie qu'au figuré. Fièvre s'applique aux pas-sions. Vaillanceest beau en vers.

« Si nous faisions des vers? dit Pécuchet.Plus tard Occupons-nous de la prose d'abord.

On recommande formellement de choisir un clas-siquepour se mouler sur lui, mais tous ont leursdangers,et non seulement ils ont péché par le style,maisencore par la langue.

Une telle assertion déconcerta Bouvard et Pécu-chet et ils se mirent à étudier la grammaire.

Avons-nousdans notre idiome des articles déuniset indéfiniscomme en latin? Les uns pensent queoui,les autres que non. Ils n'osèrent se dcoder.''Le sujet s'accorde toujours a\cc le verbe, sauf 

lesoccasionsoù le sujet ne s'accorde pas.

N))))~(li~inct.inn,entre l'adjectif verbalet te participe présent mais l'Académie eu pose une['' )) conunodcà saisir.

Page 189: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 189/405

484 BOUVARDEf PÉCUCHET.

Ils furent bien aises d'apprendre que leur, pro.nom, s'emploiepour les personnes, mais aussi pourles choses, tandis que oü et ~i s'empioient pour leschoses et quelquefoispour les personnes.

Doit-ondire « Cettefemmea l'air bon » ou «l'airbonnea ? « une bûchede boissec » ou « de boissècheM a ne pas laisser de Mou « que de »

«une troupe de voleurssurvint, » ou « survmrentx ?Autres difficultés « Autour et à l'entour » dont

Racineet Boileaune voyaient pas la diS'erence« imposer » ou « en imposer M,synonymes chezMassilionet chez Voltaire « croasser Het « coas<ser », confonduspar Làfontaine,qui pourtant savaitreconnaître un corbeaud'une grenouille,

Les grammairiens, il est vrai, sont en désaccord.Ceux-ci voient une beauté, où ceux-làdécouvrentune faute. Ils admettent des principes dont ils re-

poussentles conséquences,

proclamentles consé-

quences dont ils refusent les principes, s'appuientsur la tradition, rejettent les maîtres, et ont des rsf-finements bizarres. Ménage, au lieu de lentillesetcassonade, préconise nentilles et castonade. Bou-hours, ~'<~c~M et non pas Aï&ro'cA~et M. Chap-sal les <M&de la M~c.

Pécuchet surtout fut ébahi par Jénin. Comment?des .z'ow~o~ vaudraitmieux que des AaHMei'(~des '<M'co~que des ~'M'o~, et, sous LouisXiY,on prononçait jRoK~eet monsieur de ZM~~ posrRomeet monsieur de Z.MMHe/ I

 jLittré leur porta le coup de grâce en si'Rrmaatque jamais ii n'y eut d'orthographe positive, et

qu'il ne saurait y en avoir.

Page 190: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 190/405

BOBVARD ET P&CUCHET. ~8S

Ils en conclurent que la syntaxe est une fantaisieetla grammaire une illusion.

En ce temps-là d'ailleurs, une rhétorique nou-velleannonçait qu'il faut écrire commeon parle etque tout sera bien, pourvuqu'on ait senti, observé.

Comme ils avaient senti et croyaient avoir ob-servé,ils se jugèrent capables d'écrire une pièce

estgênante par l'étroitesse du cadre, maisleromana plus de libertés. Pour en faire un, ils cherchèrentdansleurs souvenirs.

Pécuchetse rappela un de ses chefs de bureau,untrès vilain monsieur, et il ambitionnaitde s'envengerpar un livre.

Bouvard avait connu, à l'estaminet, un vieuxmaître d'écriture ivrogne et misérable. Rien neseraitdrôle comme ce personnage.

Aubout de la semaine, ils imaginèrent0' ~idrecesdeux sujets en un seul en denu' là,

passèrent aux suivants Une femme q. causele malheurd'une famille, une femme, ~n mariet soi, amant, une femme qui serait vertueusepardéfautde conformation,un ambitieux, un mau-vaisprêtre.

Ils tâchaient de relier à ces conceptions incer-tainesdes choses fournies par leur mémoire, re-tranchaient,ajoutaient.%Pecr~t était pour le sentiment et l'idée, Bou-vardp. l'image et la couleur et ils commen-çaientà ne plus s'entendre, chacun s'étonnant quel'autrefût si borné.

La science qu'on nomme esthétique, trancheraitpeut-êtreleurs différends. Un ami de Dumouchel,

Page 191: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 191/405

i86 BOUVARDET PÉCUCHET.

professeur de philosophie, leur envoya une listed'ouvragessur la matière. Ils travaillaientà part, etse communiquaientleurs réuexions.D'abord qu'est-ce que le beau ?

Pour Schelling, c'est l'infini s'exprimant par lefini pour Reid, une qualité occulte pour Jouf-

froy,un fait

indécomposable pourDe Maistre,ce'

qui plaît à la vertu pour le P. André, ce qui con-vient à la raison.

Et il existe plusieurs sortes de Beau un beaudans les sciences, la géométrie est belle un beaudans les mœurs, on ne peut nier que la mort deSocratene soit belle. Unbeau dansle règne animal.La beauté du chien consiste dans sou odorat. Uncochon ne saurait être beau, vu ses habitudesimmondes un serpent non plus, car il éveilleennous des idées de bassesse.

Lesfleurs,

lespapillons,

les oiseauxpeuvent

étr&beaux. Enfin la condition première du Beau, c'estl'unité dans la variété, voilàle principe.

« Cependant, dit Bouvard, deux yeux louchessont plus variés quedeuxyeux droits et produisentmoinsbon effet, ordinairement. »

Ils abordèrent la questiondu sublime.Certains objets sont d'eux-mêmes sublimes, le

fracas d'un torrent, des ténèbres profondes, unarbre battu par la tempête. Un caractèreest beauquand il triomphe, et sublime quand il lutte.

«Je comprends,dit Bouvard,le Beauest le Beau,elle Sublime le très Beau. » Commentles dis-

tinguer ?1« Aumoyendu tact, répondit Pécuchet.

Page 192: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 192/405

BOUVARD ET PÈCUCHET. i87..

Et.le tact, d'où vient-il ?2Dugoût 1Qu'est-ceque le goût ? »

Onledénnit,un discemementspécial,un jugementrapide, l'avantage de distinguer certains rapports.

« Enfinle goût c'est legoût, et tout celane dit

pasla manièred'en avoir. »

11faut observerles bienséances, mais les bien-séancesvarient, et si parfaiteque soitune œuvre,ellene sera pastoujoursirréprochable. Il y a pour-tantun Beau indestructible,et dont nous ignoronsleslois, car sa genèse est mystérieuse.

Puisqu'uneidée ne peut se traduire par trutes lesformes,nous devonsreconnaître des limitesentrelesarts, et, dans chacundes arts, plusieurs genresmaisdes combinaisons surgissent où le style det'&nentrera dans l'autre, sous peine de dévier dubut,de ne pas être vrai.

L'application trop exactedu Vrai nuit à la Beauté,et la préoccupationde la Beauté empêchele Vraicependantsans idéal pas de Vrai c'est pour-quoiles types sont d'une réalité plus continue quelesportraits. L'art d'ailleursne traite que la vrai-semblance, mais la vraisemblancedépend de quil'otserve, est une choserelative, passagère.

Ils se perdaient ainsi dans les raisonnements.Bouvard,de moinsen moins,croyait à l'esthétique.

« Si elle n'est pas une blague, sa rigueur se dé-montrerapar des exemples.Orécoute »

Etil lut une'note, qui lui avaitdemandébien desrecherches.

« Bouhours accuse Tacite de n'avoir pas la sim-plicitéque réclamel'Histoire.

Page 193: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 193/405

~8S BOUVARD ET P&CUCHET.

« M. Droz, un professeur, blâme Shakespearepour son mélange du sérieux et du bouffon.Ni-sard, autre professeur, trouve qu'André Chénierest,comme ~oète, au-dessous'du XVII' siècle. BIair,Anglais,déplore dans Virgilele tableau des Harpies.Marmontelgémit sur les licencesd'Homère. Lamotten'admet point l'immortalitéde ses héros. Vidas'in-

digne de ses comparaisons.Enfin, tous les faiseursde rhétoriques, de poétiques et d'esthétiques me

paraissentdes imbéciles1Tu exagères! » dit Pécuchet.

Des doutes l'agitaient, carsiles esprits médio-cres (comme observe Longin) sont incapables defautes, les fautes appartiennent auxma.ïtres,~etondevra les admirer? C'est trop fort! Cependantlesmaîtres sont les maîtres 1Ilauraitvoulu faire s'ac-corderles doctrines avecles oeuvres,les critiquesetles poètes, saisir l'essence du Beau et ces ques-tionsle travaillèrenttellement que sa bile en futre-muée.Il y gagna une jaunisse.

Elleétaità sonplushaut période,quand Marianne,la cuisinièredeM""Bordin,vintdemanderà Bouvardun rendez-vouspour sa maîtresse.

Laveuve.n'avaitpas reparu depuis la séancedra-matique. Était-ceune avance? Maispourquoil'in-termédiaire de Marianne? Et pendant toute lanuit, l'imaginationdeBouvards'égara.

Le lendemain, vers deuxheures, il se promenaitdans.le corridoret regardait de temps à autrepar la

fenêtre; un coup de sonnetteretentit. C'étaitle no-taire.

¡Il traversala cour, monta l'escalier, se mit dansle

Page 194: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 194/405

.BOUVARDET PÉCUCHET. i89

0.

fauteuil,et les premières politesses échangées, ditque,Jas d'attendre M"*Bordin, il avait pris les de-Mats.Elle désirait lui aeMter lesËcaUes.

Bouvardsentitcommeun refroidissemMtet passadansla chambre de Pécucnei.

Pécuchetne sut que répondre. Il était soucieux,M.Vaucorbeildevant vemr Toutà l'heure.

Ennn elle arriva. Son retard s'expliquaitpar l'im-portance de sa toilette un cachemire..un chapeau,desgants glacés, la tenue qui siea aux occasionssé<rieuses.

Après beaucoup d'ambages, elle demanda siïoille écusne seraient pas suffisants.

« Un acre Milleécus?  jamais ?Elle cligna ses paupières « Ah pour moiEt tous les trois restaient silencieux.M.de Faver-

gesentra.11tenait sous le bras, commeun avoué, une ser-

viettede maroquin, et en la posant sur la table« Ce sont des brochures Elles ont trait à la Ré-

forme question brûlante mais voici une chosequivous appartientsans doute » Et il tendit à Bou-vardle secondvolumedes Jlémoiresdu Diable.

Mélie,tout à l'heure, le lisaitdans la cuisine etcommeon doitsurveillerles moeursdeces gens-là, ilavaitcru bien faire en con&squantle livre.

Bouvardl'avait prêté à sa servante. On causaderomans.

M"'Bordinles aimaitquand ilsn'étaientpas lugu-bres.

« Les écrivains, dit M. de Faverges, Mouspei-gnentla viesousdescouleursMiteuses

Page 195: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 195/405

190 BOUVARDETP&CCCBET.

Il faut peindre objectaBouvard~Alors, on n'a plus qu'à suivre l'exempteHné s'agit pas d'exempte1Aumoins,conviendrez-vousqu'ils peuventtom-

ber entre lesmains d'une jeune fille.Moi j'en ai une.Charmante dit le notaire, en prenant la figure

qu'il avaitles jours de contrat de mariage.

Eh bien à cause d'elle, ou plutôt des per-sonnes qui l'entourent, je les prohibe dans mamaison, carle Peuple, cher monsieur

Qu'a-t-il fait le Peuple? dit v&ucorboil,pa<raissant tout a coup sur le seuil.

Pécuchet, qui avait reconnu sa voix, viïj~semêler à la compagnie.

« Je soutiens, reprit le comte,qu'il faut écarterdelui certaineslectures.»

Vaucorbeil répliqua. « Vous n~etosdonc paspour l'instruction ?

Si fait Permettez 1Quandtous les jou~ dit Marescot, on attaque

le gouvernement1–Ouest le mal?aEt le gentilhommeetio médecinse mirent à déni-

grer Louis-Philippe, rappelant l'affaire Pritchard,les loisde septembre contre la liberté de la presse.

« Etcelle du théâtre Hajouta Pécuchet.Marescotn'y tenait plus. « II va trop loin, votre

théâtre!1Pour cela joirous l'accorde dit 'le comte, des

pièces qui exaltent le suicideLe suicideest beau témoin CatonM,objecta

"Pécuchet. ,1~

Page 196: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 196/405

––BOBVARttBTPECUCHET. i9i

Sans répondre à l'argument, M. de Favergesstigmatisaces œuvres où l'on bafoueles choses lesplussaintes, la famille, la propriété, le mariage1

« Eh bien, et Molière? Mdit Bouvard.Marescot,homme de goût, riposta que Molière

ne passerait plus, et d'ailleurs était un peu sur-fait.

«Enfin,

ditle comte;

VictorHugo

a été sanspitié,oui sans pitié, 'pour Marie-Antoinette,en traînant

sur la claie le type de la reine dans le personnagedeMarieTudor1

Comment s'écria Bouvard, moi, auteur, je.n'aipas le droit.

Non, monsieur, vous n'avez pas le droit denous.montrerle crime sans mettre à côté un correc-tif,sans nous offrirune leçon. »

Vaucorbeiltrouvait aussique l'art devaitavoirunbut: viser à l'amélioration des masses « Chantez-

nousla science, nos découvertes, le patriotisme, »etil admirait CasimirDelavigne.M" Bordin vanta le marquis de Foudras. Le

notairereprit« Maisla langue, ypensez-vous?

La langue? comment?Onvousparle du style cria Pécuchet.Tr<.jves-

YOHsses ouvragesbien écrits?Sans doute, fort intéressants »

Il levales épaules et ellerougit sous l'imper-tinence.

Plusieursfois, M*"Bordin avait tâché de reveniràsonaffaire.Il était trop tard pour la conclure. Ellesortitau bras de Marescot.

Page 197: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 197/405

~92 BOTTARBET PCCUCB~T.

Le comtedistribua ses pamphlets, en recomman-dant de les propager.

Vaucorbeilallait partir, quand PéeucheU'Mreta.« Vousin'oubliez, docteur. »Samine jaune était lamentable, avec ses mous-

taches et ses cheveuxnoirs qui pendaient sous unfoulard mal attaché.

«Purgez-vous,')dit le médecin. Et lui donnant

deux petites claquescommeà un enfant « Tropdenerfs, trop artiste a

Cette familiarité lui fit plaisir. Elle le rassurait,et dès qu'ils furent seuls « Tu crois que ce n'est

pas sérieux ?Non bien sûr a

ïls résumèrent ce qu'ils venaient d'entendre. Lamoralité del'art se renferme, pour chacun, dans lecôté qui flatteses intérêts. On n'aime pas la littéra-ture.

Ensuite ils feuilletèrent lesimprimés

du comte.Tousréclamaientle suffrageuniversel.

« II me semble, dit Pécuchet, que nous auronsbientôt du grabuge? » Car il voyait tout en noir,peut-être à cause de sa jaunisse.,

Page 198: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 198/405

Y!

Dans la matinée du 25 février 1848, on apprit &Chavignolles,par un individu venant de Falaise,que Paris était couvert de barricades, et le lende-main la proclamationde la Républiquefut af&chéasur la mairie.

Ce grand événement stupéfiales bourgeois.Mais quand on sut que la Cour de cassation,ia

Cour d'appel, la Cour des Comptes,Je Tribunal decommerce, la Chambre des notaires, l'Ordre des

avocats,le Conseild'État, l'Université, les générauxetM.de la Rochejacqueleinlui-mêmedonnaientleuradhésionau gouvernement provisoire, les poitrinesse desserrèrent et commeà Paris on plantait desarbres de la liberté, le conseil municipal décidaqu'il en fallaità Chavignolles.

Bouvarden offritun, réjoui dans son patriotismepar le triomphe du peuple quant à Pécuchet, lachute de la royauté confirmait trop ses prévisionspour qu'il ne fût pas content.

Gorju, leur obéissantavec zèle, déplanta un des

peupliers qui bordaient la prairie au-dessus de laButte, et le transportajusqu'au « Pasde la Yaque»,M'entrée du bourg, endroit désigné.

Page 199: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 199/405

NOtJVARD ET PËCBCHET.04

Avantl'heure dela cérémonie,tous les troisatten-daient le cortège.

Un tambour retentit, une croixd'argent se mon-tra ensuite, parurent deux flambeauxque tenaientdes chantres, et M.le curé avecl'étole, le surplis, lachape et la barrette. Quatre enfants de choeurl'es-cortaient, un cinquièmeportrait le seau pour l'eau

bénite, et le sacristainle suivait.Ilmontasur le rebord de la fosseoù se dressait tepeuplier, garni de bandelettes tricolores. On voyaiten face le maire et ses deux adjoints, Beljambeet,Marescot,puis les notables, M. de Faverges, Vau-corbeil, Coulon,le juge de -paix,bonhommeanouresomnolente Heurtaux s'était coiBéd'un bonnet de.police,et AlexandrePetit, le nouvelinstituteur, avaitmis sa redingote, une pauvre redingote verte, celle-desdimanches.Les pompiers, que commandaitGir-'cal, sabre au poing, formaient un seul rang de

l'autre côtébrillaient les plaquesblanches de quel-ques vieux shakos du temps de Lafayette,cinq ousix. pas plus, la garde nationale étant tombéeep désuétude à Chavignolles.Des paysans et leurs!èmmes, des ouvriers des fabriques voisines, desgamins se tassaient par derrière et Placquevent,~egarde champêtre,haut dé cinqpieds huit pouces,les contenait du regard, en se promenant les brascroisés.

L'allocutiondu curé.fut comme celle des autresprêtres dans la mêmecirconstance.

Après avoir tonné contre les rois, il glorifialaRépublique.Ne dit-onpas la Républiquedes lettres,la République chrétienne? Quoi de plus innocent

Page 200: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 200/405

BOUVARD ET P&CUCHET. i93

que l'une, de plus beau que l'autre ? Jésus-Christformula notre sublime devise l'arbre du peuplec'étaitl'arbre dela croix. Pour que la religiondonneses fruits, elle a besoin de la charité, et, au nomde la charité, l'ecclésiastiqueconjura ses frères dene commettreaucun désordre, de rentre'' chezeux

paisiblement.

Puis, il aspergea l'arbuste, en implorantla béné-diction de Dieu. « Qu'il se développeet qu'il nousrappelle l'affranchissement de toute servitude, etcettefraternité plus bienfaisante que l'ombrage desesrameaux 1 Amen»

Des voix répétèrent ~ea/et, après un batte-mentde tambour, le clergé, poussant un TeDeum,reprit le chemin de l'église.

Sonintervention avait produit un excellenteffet.Les simplesy voyaient une promesse de bonheur,les patriotes une déférence, un hommage rendu &

leurs principes.Bouvard et Pécuchet trouvaient qu'on aurait dulesremercier poùr leur cadeau, y faire une allusion,toutau moins et ils s'en ouvrirentà Favergeset audocteur.

Qu'importaientde pareilles misères Vaucorbeilétait charmé de la Révolution, le comte aussi. Ilexécraitles d'Orléans.On ne les reverraït plus bonvoyageTout pour le peuple, désormais et, suivide Hurel, son factotum,il alla rejoindre M.le curé.

Foureau marchait la tête basse, entre le notaire

et l'aubergiste, vexé par la cérémonie, ayant pourd'une émeute et instinctivement il se retournaitversle garde champêtre, qui déplorait avecle capi-

Page 201: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 201/405

BOUVAHO fÉC~ ~HET.i9R

taine l'insuffisancede Girbalet la mauvaisetenue deses hommes

Des ouvriers passèrent sur !a route, en chantantla J~~M/~c. Gorju, au milieu d'eux,brandissaitune canne Petit les escortait,l'oeilanimé.«Je n'aime pas cela dit Marescot, on vocifère,

on s'exalte1Eh bon Dieu, reprit Coulon,il faut que jeu-

nesse s'amuse »Foureau soupira« Drôle d'amusement et puis la guillotine au

bout! »Il avait des visions d'échafaud,s'attendait à des

horreurs.-Cha,vignollesreçut le contre-coup des agitations

de Paris. Lesbourgeoiss'abonnèrent à des journaux.Le matin, on s'encombrait au bureau de la poste,et la directricene s'en fut pas tiréesansle capitaine,qui l'aidait quelquefois. Ensuite, on restait sur la

place, à causer.La première discussionviolente eut pour objetla

Pologne.Heurtaux et Bouvard demandaient qu'on la déli-

vrât.M. de Favergespensait autrement« De quel droit irions-nouslà-bas?C'étaitdéchat-

ner l'Europe contre nous. Pas d'imprudence »Et toutle monde l'approuvant,les deuxPolonais

se turent.Une autre fois, Vaucorbeildéfenditles cïrcntaires

de Ledru-RoHin.Foureau riposta par les 45centimes.

Page 202: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 202/405

BOUVARD ET PÉCUCHET. i97

« Maisle gouvernement, dit Pécuchet, avait sup-primél'esclavage.

Qu'est-ce que ça me fait, l'esclavage.Eh bien, et l'abolitionde la peine de mort, en

matière politique?Parbleu reprit Foureau, on voudrait tout

abolir.Cependant, qui sait? Les locatairesdéjà semontrentd'une

exigence1

Tantmieux les propriétaires,selonPécuchet,étaientfavorisés.Celuiquipossèdeun immeuble. M

Foureau et Marescotl'interrompirent, criant qu'ilétaitun communiste.

« Moi communiste HEt tous parlaient à la fois. Quand Pécuchetpro-~

posade fonderun club, Foureau eut la hardiesse derépondreque jamais on n'en verrait à Chayignolles.

EnsuiteGorjuréclamades fusilspour la garde na-tionale,l'opinionl'ayant désignécommeinstructeur.

Lesseulsfusils

qu'il y eût étaientceuxdes

pom-piers, Girbal y tenait. Foureau ne se souciaitpasd'en délivrer.

Gorjule regarda« Ontrouve pourtant queje sais m'en servir. aCaril joignait à toutes ses industries celledubra-

connageet souventM. le maire et l'aubergiste luiachetaientun lièvre ou un lapin.

« Maibi prenez-les » dit Foureau.Le soir même, on commençales exercices.C'était sur la pelouse, devant l'église. Gorju, en

bourgeronbleu, une cravateautour des reins, exé-cutaitles mouvementsd'une façonautomatique. Savoix, quand il commandait, étaitbrutale.

Page 203: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 203/405

BOUVARD ET PÉCUCHET.i98

« Rentrez les ventres »Et tout de suite, Bouvard,s'empêchant de respi-

rer, creusait son abdomen, tendaitla croupe.« On ne vous dit pas de faire un arc, nom de

Dieu aPécuchet confondait lesnies et les rangs, demi-

tour à droite, demi-tour à gauche mais le plus la-mentable était l'instituteur débileet de taille exi-

guë, avec un collier de barbe blonde, il chancelaitsousle poidsde son fusil, dont la baïonnette incom-modait ses voisins.

On portait des pantalonsde. toutes les couleurs,des baudriers crasseux, de vieux habits d'unifftrmetrop courts, laissant voir la chemisesur les flancset chacun prétendait « n'avoirpas le moyen de faireautrement ». Une souscription fut ouverte pourhabiller les plus pauvres. Foureau lésina, tandisque des femmes se signalèrent. M"*Bordin offrit5

francs, malgrésa haine de la

République.M. de

Favergeséquipa douzehommes et ne manquaitpasà la manœuvre.Puis il s'installait chezl'épicier etpayait des petits verres au premier venu.

Les puissants alors ûagornaient la basse classe.Tout passait après les ouvriers. Onbriguait l'avan-tage de leur appartenir. Ils devenaient des.nobles.

Ceux du canton,. pour la plupart, étaient tisse-rands d'autres travaitlaientdans les manufacturesd'indiennes ou à une fabrique de papiers, nonveHe-ment établie.

Gorjules faséinaitpar son bagout, leur apprenaitla savate,menaitboire les intimeschezM°"Cas6tlon.Maisles. paysans étaient plus nombreux, et les

1

Page 204: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 204/405

BOUVARD ET P&CUCHET. i99

 jours de marché, M. de Faverges se promenant surla place, s'informaitde leurs besoins, tâchait de lesconvertir à ses idées. Ils écoutaient sans répondre,commele père Gouy, prêt à accepter tout gouver-nement, pourvuqu'on diminuâtles impôts.

Aforce de bavarder, Gorju se fit un nom. Peut-être qu'on le porterait à l'Assemblée.M. de Favergesypensaitcommelui, tout en cher-

chant à ne pas se compromettre.Les conservateursbalançaiententre Foureau et Marescot.Maisle no-taire tenant à son étude, Foureau fut choisi unrustre, un crétin. Le docteurs'en indigna.

Fruit secdesconcours,il regrettait Paris, et c'étaitÏaconsciencede sa vie manquée qui lui donnait unair morose. Unecarrièreplus vasteallaitse dévelop-per quelle revanche Il rédigea une profession defoiet vint lalireàMM.Bouvardet Pécuchet.

Ils l'en félicitèrent leurs doctrines étaient lesmêmes.

Cependant,ils écrivaientmieux, connais-

saientl'histoire, pouvaientaussi bien que lui figurerà la Chambre. Pourquoi pas ? Maislequel devaitse présenter ? Et une lutte de délicatesse s'enga-gea.

Pécuchet préféraità lui-mêmeson ami.«Non,ça te revient tu as plus de prestance 1

Peut-être, répondait Bouvard,maistoi plus detoupet » Et, sansrésoudrela difficulté,ils dressè-rent des plans deconduite.

Cevertigedela députationenavaitgagné d'autres.Le

capitaine yrêvait sousson bonnet de police, touten fumantsa bouffarde, et l'instituteur aussi, dansson école, et-le curé aussi entre deux prières, telle-

Page 205: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 205/405

BOUVARDETPËCUCHEr.200

ment que parfoisilse surprenait les yeuxau ciel, entrain de dire

« Faites, .6 mon Dieu queje sois député HLe docteur, ayant reçu des encouragements, se

rendit chezIleurtaux, et lui exposales chancesqu'ilavait.

Le capitaine n'y mit pas de façons. Vaucorbeilétait connu sans doute, mais peu chéri de ses con-

frèreset spécialementdespharmaciens.Tousclabau-deraient contre lui le peuple ne voulaitpas d'unMonsieur ses meilleursmaladesle quitteraient; et,Ayantpesé ces arguments, le médecin regretta safaiblesse..

Des qu'il fut parti, Heurtauxalla voirPlacqueve~i.'Entre vieux militaires, on s'oblige. Maisle gardechampêtre, tout dévouéà Foureau, refusa net de leservir.

Le curé démontra à M. de Faverges que l'heuren'était pas venue. Il fallait donner à la Républiquele

temps de s'user.Bouvard et Pécuchetreprésentèrent à Gorjuqu'ilne serait jamais assezfort pour vaincre la coalitiondes paysans et des bourgeois, l'emplirent d'incerti-tudes, lui ôtèrent toute confiance.

Petit, par orgueil, avait laissé voirsondésir. Bel- jambe le prévint que, s'il échouait, sa destitutionétait certaine.

Enfin monseigneur ordonna au curé de se tenu-tranquille.

Doncil ne restaitque

Foureau.Bouvardet Pécuchetle combattirent, rappelant

ta m&uvaisevolonté pour les fusils, son opposition

Page 206: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 206/405

BOUVARDETPÉCUCHET. 201

au club, ses idées rétrogrades, son avarice, etmême persuadèrent à Gouyqu'il voulait rétablirl'ancien régime.

Si vague que fût cette chose-là pour lo paysan, ilrexécrait d'une haine accumulée dans l'âme deses aïeux, pendant dix siècles, et il tournacontre Foureau tous ses parents et ceux de safemme, beaux-frères,cousins, arrière-neveux, une

horde.Gorju, Vaucorbeil et Petit continuaientla démo-

lition de monsieur le maire et le terrain ainsi dé-blayé, Bouvardet Pécuchet,sans que personne s'endoutât, pouvaient réussir.

Ustirèrent au sort pour savoirqui se présenterait.Lesort ne trancha rien, et ils allèrent consulterlà-dessus le docteur.

Il leur apprit une nouvelle,Flacardoux,rédacteurdu Calvados,avaitdéclarésa candidature.La décep-tion des deux amis fut

grande: chacun,outre la

sienne, ressentait celle de l'autre. Mais la politiqueles échauffait.Le jour des élections,ils surveillèrentlesurnes. Flacardouxl'emporta.

M.le comtes'était rejeté sur la garde nationale,sans obtenir l'épaulette de commandant. Les Chavi-gnollaisimaginèrent de nommer Bel jambe.

Cettefaveur du public, bizarreet imprévue, cons-terna Heurtaux. Il avait négligé ses devoirs, sebornant à inspecter parfois les manoeuvres, etémettre des observations. N'importe II trouvait

monstrueuxqu'on préférâtun aubergiste à un anciencapitainede l'Empire,etil dit, aprèsl'envahissementdela Chambreau i5 mai « Siles grades militaires

Page 207: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 207/405

BOUVARDËT~ËCCCHET.202~

se donnent comme ça dans la capitale,je ne m'é-tonne plus dece qui arrive1 »

La réactioncommençait.v

Oncroyait aux purées d'ananas de Louis B!anc,au lit d'or dé Flocon,aux orgies royales de Ledru-RoUin,et commela provinceprétend'connaître toutce qui se passeà Paris,' les bourgeois de Chavignoi-

lesne doutaientpas;de ces inventions,et admettaient

les rumeurs les plus absurdes.M.de Faverges,un soir, vint trouverle curé pour

lui apprendrel'arrivée en Normandiedu comt~de'CRambord.

Joinville,d'aprèsFoureau, s~disposaitavecsesma-rins, àvous réduireles socialistes.Heurtauxai'8rmaïique prochainementLouisBonaparteserait consul.

Les fabriqueschômaient. Despauvrespar bandesnombreuses, erraient dans la campagne, t

Undimanche(c'était dans les premiers jours de

 juin), un gendarme, tout à coup, partit versFalaise.Les ouvriers d'AcqueviIle,Liffard, Pierre-Pont etSaint-Rémymarchaientsur Chavignolles.

'Les auven's se fermèrent, le conseil municipals'assembla, et résolut, pour prévenir des malheurs,qu'on neferait aucune résistance. La gendarmeriefut même consignée, avecl'injonctionde ne pas semontrer.

Bientôt on entendit comme un grondementd'orage. Puis !e chant des Girondinsébrania les car-reaux et des hommesbras dessus bras dessous,

débouchèrent par la rouie do Cpen, poudreux, easueur, dépenaillés. Ils emplissaient la place. Un..grand brouhaha s'élevait..

Page 208: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 208/405

'BOUVARD ETrËCUCHET. 203

Gorju et deux de ses compagnonsentrèrent danslasalle. L'un était maigre et à figure chafouineavecun gilet de tricot, dontles rosettes pendaient. L'au-tre noir de charbon, un mécaniciensans doute,

avait les cheveuxen brosse, de gros sourcils, etdes savatesde lisière. Gorju, commeun hussard~portaitsa veste sur l'épaule.

Tous les trois restaient debout, et les conseillers,

siégeantautour de la table couverted'un tapis bleu,les regardaient blêmes d'angoisse.« Citoyens dit Gorju, il nous faut de l'ouvra-

geh)Le maire tremblait la voixlui manqua.Marescotrépondit,à sa place, que le conseilavise-

rait immédiatement et les compagnonsétantsortis, on discutaplusieurs idées.

La première fut de tirer du caillou.Pour utiliser les cailloux, Girbalproposa un che-

min d'Anglevilleà Tournebu.

Celui de Dayeux rendait absolument le mêmeservice.

Onpouvaitcurer la mare ce n'était pas un travailsuffisant (ou bien creuserune secondemare maisà quelleplace?)

Langloisétait d'avis de faire un remblai le longdesMortins,en casd'inondation mieuxvalait,selonBeijambe,défricherles bruyères. Impossiblede rienconclure Pour calmer la foule, Coulondescen-dit sur le péristyle, et annonça qu'ils préparaientdesateliers do charité.

KLa charité? Merci » s'écria Gorju. « A bas lesaristos f~us voulonsle droit au travail ?

Page 209: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 209/405

BOUVARBNTPÉCUCHET.2M

C'étaitla question de l'époque, il s'en taisait unmoyen de gloire, on applaudit.

En se retournant, il coudoya Bouvard, que Pécu-chet avait entrainé jusque-là, et ils engagèrentune conversation.Rien ne pressait la mairie étaitcernée le conseil n'échapperaitpas.

« Oùtrouverde l'argent? » disait Bouvard.« Chez les riches 1 D'ailleurs, le gouvernement

ordonnerades travaux.Etsi on n'a pas besoinde travaux?Onen fera par avance1Maisles salaires baisseront riposta Pécuchet.

Quandl'ouvrage vient à manquer, c'est qu'il y a trop-de produits! et vous réclamezpour qu'oj~lesaugmente H

Gorju se mordait la moustache. « Cependant.avecl'organisation du travail.

Alorsle gouvernementsera le maître »Quelques-uns,autour d'eux,murmurèrent « Non1

non 1 plusdemaîtres »Gorju s'irrita. « N'importe 1 on doit fournir aux

travailleurs un capital, ou bien instituer lecrédit!

De quelle manière?2Ah je ne sais pas mais on doit instituer le

créditEn voila assez, dit le mécanicien, ils nous em-

bêtent, ces iarceurs-la. »Et il gravit le perron, déclarant qu'il enfoncerait

laporte.Placquevent l'y reçut, le jarret droit ûéchi, les

poings serrés « Avanceun peu

Page 210: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 210/405

BOUVARD ET PJÈCnCïtET. 2(~

Il

Lemécanicienrecula.Unehuée de la foule parvint dans la salle tous

selevèrent ayant envie de s'enfuir. Le secours deFalaise n'arrivait pas On déplorait l'absence deM. le comte.Marescottortillaitune plume. Le pèreCoulongémissait, Heurtaux s'emporta pour qu'onnt donner les gendarmes.

« Commandez-les dit Foureau.

Je n'ai pas d'ordres »Le bruit redoublait, cependant. La place était

couvertede monde et tous observaient le pre-mierétagedela mairie, quant à la croiséedu milieu,sousl'horloge, onvit paraître Pécuchet.

!1avaitpris adroitement l'escalier de service,etvoulantfairecommeLamartine, il semità haran-guer le peuple

« Citoyens M»Maissa casquette, son nez, sa redingote, tout son

individumanquaitde prestige.L'hommeau tricot l'interpella« Est-ce quevousêtes ouvrier?

Non.Patron, alors.Pas davantage.Eh bien, retirez-vousPourquoi? » reprit NèrementPëcuehet

Et aussitôt, il disparut dans l'embrasure, empoi-gné par le mécanicien. Goqu vint à son aide.

Laisse-le c'est un brave » Ils se colletaient.

Importes'ouvrit, et Marescotsur le seuil,

proclamala décisionmunicipale. Hurell'avait suggérée.Le chemin de Tournebu aurait un embranche-

Page 211: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 211/405

BOUVARD8r PECUCHET.--206

ment sur Angleville,et qui mèneraitau château deFaverges.

C'estun sacrinceque s'imposaitla communedanst'mtëret des travailleurs.

Ils se dispersèrent.En rentrant chezeux, Bouvardet Pécuchet eurent

les oreillesfrappées par des voix de femmes. Lesservanteset M""Bordinpoussaientdes exctamationa,

la veuvecriait plus fort, et à leur aspect« Ah c'est bienheureux depuis troisheures que je vousattends mon pauvre jardin plus une seuletulipe des cochonneriespartout sur le gazon Pasmoyen de le faire démarrer

Quicela?Le pere.Gouy »

I! étaitvenu avec une charrette de fumier. –etl'avait jetée tout à vrac au milieu de l'herbe. Illaboure maintenant! Dépêchez-vouspour qu'il fi-nisset

Je vous accompagne » dit Bouvard.Au bas des marches, en dehors, un cheval dans

les brancards d'un tombereau mordait une touffede lauriers-roses.Les roues, en frôlant les plates-bandes, avaient pilé les buis, cassé un rhododen-dron, abattu les dahtias, et des mottes de fumiernoir, commedes taupinières, bosselaient le gazon.Gouy le bêchait avecardeur.

Un jour M" Bordinavaitdit négligemmentqu'ellevoulaitle retourner. Il s'était mis à la besogne, etmalgré sa défensecontinuait.C'estde cette manièrequ'il entendait le droit au travail, les discours de-Gortului ayant tourné la cervelle.

Page 212: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 212/405

DOUVAKD ET PÉCUCHET. 207

Il ne partit que sur les menaces violentes deBouvard.

M"" Bordin, comme dédommagement, ne payapassa main-d'œuvreet garda le fumier. MlleetaUju-dicieuse l'épousedu médecin,et même celledu no-taire,bien que d'un rangsupérieur, la considéraient.

Les ateliers de charité durèrent une semaine.Aucuntrouble n'advint. Gorju avaitquitté le pays.Cependant la garde nationale était toujours sur

pied le dimanche une revue, promenades mili-tairesquelquefois, et chaque nuit des rondes.Ellesinquiétaient h village.

On tirait les sonnettes des maisons, par facétie;on pénétrait dans les chambres ou des épouxron-Caientsur le mômetraversin alors'on disait desgaudrioles, et le mari se levantallait vouscher-cherdes petits verres. Puis on revenait au corps-

de-garde,jouer un cent de dominos, on y buvaitdu cidre, on y mangeait du fromage, et le faction-naire qui s'ennuyait a la porte rentre-Minait àchaqueminute. L'indiscipline régnait, grâce à lamollessede Beljambe.

Quand éclatèrent les journées de Juin, tout lemondefut d'accord pour « voler au secours deParis», mais Foureau ne pouvaitquitter la mairie,Marescotson étude, le docteur sa clientèle. Girbalsespompiers, Il. de Faverges était Cherbourg.Beljambes'alita. Le capitainegrommelait <'Onn'a

pasvoulu de moi, tant pis o et Bouvard eut lasagessede retenir Pécuchet.Les ruudes dans la campagne furent étendues

plusloin.

Page 213: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 213/405

BOUVARDET PÉCUCHET.208

Des paniques survenaient, causées par l'ombred'une moule, ou les formes des branches unefois, tous tes gardes nationaux s'enfuirent. Sous leclair de la lune, ils avaient aperçu, dans un pom-mier, un homme avecuu fusil et qui les tenaiten joue.

Une autre fois, par une nuit obscure, la pa-

trouille, faisanthalte sous la hôtree, entendit qut,l-<m'undevantelle.

« Qui vive? H»Pas de réponse1Onlaissal'individucontinuer sa route, en le sui-

vant à distance, car il pouvaitavoir un pistolet ouun casse-tetc mais quand on fut dans le village,aportée des secours, les douze hommesdu peloton,tous a la fois se précipitèrent sur lui, en criant:« 'Vospapiers » Ils le houspillaient, l'accablaientd'injures. Ceuxdu corps de garde étaient sortis.

On l'y trama, et, a la lueur de lachandelle br&-lant sur le poêle, on reconnut enfin Gorju.

Un méchant patelot de lastiug craquait à sesépaules. Ses orteils se montraient par les trousde ses bottes. Des eraMureset des contusionsfai-saient saigner son visage. Il était amaigri prodi-gieusement, et roulait desyeux, commeun loup.

Foureau, accouru bien vite, lui demanda com-ment il se trouvaitsous la hetrôe, ce qu'il revenaitfaire à Chavignolles,l'emploi de son temps depuis<ixsemaines.

Çane les regardait pas. Il était libre.Placqueventle fuuula pour découvrir d~scar-

touches. On allait provisoirement le coffrer.

Page 214: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 214/405

BOUVARD ET PÉCUCHET. 209

o.

Bouvards'interposa.« Inutile reprit le maire. « Onconnatt vos

opinions.`

Cependant?.Ah prenez garde, je vousen avertisPrenez

garde. »Bouvardn'insista plus.Gorju alors se tourna vers Pécuchet « Etvous,

patron, vous ne dites rien ? »Pécuchetbaissala tête, comme s'il eût douté de

son innocence.Le pauvre diableeut un sourire d'amertume.« Je vous ai défendupourtant »Au petit jour, deux gendarmes l'emmenèrent à

Fa!aise.Hne fut pas traduit devantun conseil do guerre,

maiscondamné par la correctionnelleil trois moisdeprison, pour délit de paroles tendant au b~ute-versementde la société.

De Falaise, il écrività ses anciens maîtres de luienvoyerprochainement un certificat de bonne vieetmoeurs, et, leur signature devantêtre légaliséeparle maire ou par l'adjoint, ils préférèrent deman-derce petit serviceà Marescot.

Onles introduisit dans une salle& manger, quedécoraientdes plats de vieille faïence, une horlogede Bouleoccupait le panneau le plus étroit. Sur latabled'acajou, sans nappe, il y avaitdeuxserviettes,unethéière, des bols. M""Marescottraversal'appar-

tementdans un peignoir de cachemirebleu. C'étaitune Parisienne qui s'ennuyait à la campagne. Puisle notaireentra, une toque a la main, un journal de

Page 215: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 215/405

340 BOUVARDET PÉCUCHET.

l'autre et tout de suite, d'un air aimable, ilapposason cachet, bien que leur protègefdtunhomme dangereux.

« Vraiment,dit Bouvard,pourquelquesparoles!Quandla parole amène des crimes, cher mon-

sîa'ïr, permettezCependant, » reprit Pécuchet, « quelle dé-

marcationétablir entre les phrases innocenteset lescoupables? Telle chose défendue maintenant serapar la suite applaudie. Et il blâma la manière fé-roce dont on traitait les insurgés.

Marescotallégua naturellement la défense de lasociété, le salut public, loi suprême.

« Pardon dit Pécuchet, le droit d'un seul estaussi respectable que celui de tous et vous n'avezrien à lui objecter que la force, s'il retournecontre vous l'axiome. »

Marescot, au lieu de répondre, leva les sourcils

dédaigneusement.Pourvuqu'il continuâtà faire desactes, et à vivre au milieu de ses assiettes, danssonpetit intérieur confortable,toutes les injusticespou-vaient se présenter sans l'émouvoir. Les affairesleréclamaient. Il s'excusa.

Sa doctrine du salut public les avait indignés.Les conservateursparlaient maintenant comme Ro-bespierre.

Autre sujet d'étonnement Cavaignacbaissait. Lagarde mobile devint suspecte. Ledru-Rollins'étaitperdu, mêmedans l'esprit de Vaucorbeil.Les débats

sur la constitulionn'intéressèrent personne, et,eu 10 décembre,tousles ChavignollaisvotèrentpourBonaparte.

r

Page 216: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 216/405

BOUVARD ET P&CUCHEf. 2H t

Les six millions de voix refroidirent Pécuchet 6.l'encontredu Peuple, et Bouvardet lui étudièrentla questiondu suSrage universel.

Appartenant à tout le monde, il ne peut avoird'intelligence.Un ambitieuxle mènera toujours, lesautres obéiront comme un troupeau, les électeursn'étant pas même contraints de savoir lire c'estpourquoi, suivant Pécuchet, il y avait eu tant defraudesdans l'élection présidentielle.

« Aucune», reprit Bouvard « je croisplutôt à lasottisedu Peuple. Pense à tous ceuxqui achètentlaRevalesciere,la pommadeDupuytren, l'eau des châ-telaines, etc. Ces nigauds forment la masseélecto-rale, et nous subissons leur volonté. Pourquoi nepeut-onse faire, avecdes lapins, trois millelivresderente? C'est qu'une agglomérationtrop nombreuseestune cause de mort. De même, par le fait seul dela

foule,les

germesde bêtise

qu'ellecontient se

développentet il en résulte des effets incalculables.Ton scepticismem'épouvante » dit Pécuchet.

Plus tard, au printemps, ils rencontrèrent M. deFaverges,qui leur apprit l'expédition de Rome.Onn'attaqueraitpas les Italiens, mais il nous fallaitdesgaranties. Autrement notre influence était ruinée.Riende plus légitimeque cette intervention.

Bouvard écarquilla les yeux. « A propos de laPologne,vous souteniez le contraire?

Cen'est plus la même chose a Maintenant,il

s'agissaitdu pape.Et M. de Faverges, en disant « Nousvoulons,uousferuus, nous comptonsbien, s représentait ungroupe.

Page 217: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 217/405

BOOVARDETP&CUCBET.~13

Bouvard et Pécuchet furent dégoûtes du petitnombre comme du grand. La plèbe, en somme,valait l'aristocratie.

Le droit d'interventionleur semblaitlouche.Ilsencherchèrentles principesdansCalvo,Martens,Vatel;< et Bouvardconclut

a On intervient pour remettre un prince sur le

trône, pour affranchirun peuple, ou, par précaution,en vue d'un danger. Dansles deux cas, c'est un at-tentat au droit d'autrui, un abus de la force, uneviolence hypocrite 1

Cependant, dit Pécuchet, les peuples commeleshommes sont solidaires.

Peut-être » Et Bouvardse mit à rêver.Bientôtcommençal'expéditionde Rome.A l'intérieur, en haine des idées subversives,

l'élite des bourgeoisparisiens saccagea deux impri-meries. Le grand parti de l'ordre se formait.

Havait pour chefs dans l'arrondissement, M.lecomte, Foureau, Marescot,le aré. Tous les jours,vers quatre heures, ils se promenaient d'un bout àl'autre de la place, et causaient des événement&.L'affaire principale était la distribution des bro-chures. Les titres ne manquaient pas de saveurDieu le voudra le Pa~~CMa? Sortons ~4-~M <? allons-nous? Ce qu'il y avait de plusbeau, c'étaientles dialoguesen stylevillageois,avecdes jurons et des fautes de français, pour élever lemoraldes paysans. Par une loi nouvelle, le colpor-

tage se trouvait aux mains des préfets et on ve-Tïsii de fourrer Pfoadhon~Samie-Péîag'e; –im-mense victoire.

Page 218: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 218/405

BOUVARDNTP&CUCHET. 2i3

Les arbres de la liberté furent abattus générale-ment. Chavignollesobéit la consigne. Bouvardvitde ses yeux les morceaux de son peuplier sur unebrouette. Ils servirent à chaufferles gendarmeset on offritla soucheà M.le Curé qui l'avaitbéni

pourtant! quelledérision! <L'instituteur ne cacha pas sa manière de penser.Bouvard et Pécuchet l'en félicitèrent un jour

qu'ils passaientdevantsa porte.Le lendemain, il se présenta chezeux. A la fin de

la semaine, ils lui rendirent sa visite.Le jour tombait, les gaminsvenaientde partir, et

le maître d'école, en bouts de manche, balayait lacour. Sa femme, coifféed'un madras, allaitaitunenfant. Une petite fille se cacha derrière sa jupeun miochehideux jouait par terre, à ses pieds; l'eaudu savonnage qu'elle faisaitdans la cuisine coulaitaubasde la maison.

« Vousvoyez, dit l'instituteur, commele gouver-nementnous traite. » Et tout de suite, il s'en prit al'infâmecapital. Il fallait le démocratiser, affranchirla matière

Je ne demandepas mieux » dit Pécuchet.Au moins, on auraitdû reconnaître le droit à l'as-

sistance.« Encore un droit » dit Bouvard.N'importe le provisoire avait été mollasse, en

n'ordonnantpas la fraternité.« TAchezdonc de l'établir »Commeil ne faisait

plusclair, Petit commanda

brutalement à sa femme de monter un flambeaudans son cabiuet.

Page 219: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 219/405

BOUVARD ET P&CUCHET.2t4

Des épinglesËxaient aux murs de plaire ïes por-traits lithographiés des orateurs de la gauche. Un

casier avec des livresdominait un bureau de sapin.On avait pour s'asseoirune chaise, un tabouretetune vieillecaisseà savon il affectaitd'en rire. Maisla misère plaquait ses joues, et ses tempes étroitesdénotaient un entêtement de bélier, un in~aitable

orgueil.Jamaisil ne calerait.

« Voilàd'ailleursce qui me soutient 1»C'était un amas de journaux, sur une planche,et

il exposaen paroles fiévreusesles articlesde safoidésarmementdes troupes, abolitionde la magistra*ture, égalité des salaires, niveau moyenpar~lequelon obtiendraitl'âge d'or, sous la formede la Répu-blique, avecun dictateur à la tête, un gaillard pourvousmener ça, rondement 1

Puis il atteignit une bouteille d'anisetie et troisverres, afin de porter un toast au héros, à l'immor-

telle victime, au grand MaximilienlSur le seuil, la robe noire du curé parut.Ayant salué vivement la compagnie, il aborda

l'instituteur et lui dit presque à voixbasse« Notreaffairede Saint-Joseph,où en est-elle?

ïls n'ont rien donné, reprit le maître d'école.C'est de votre faute 1J'ai fait ce quej'ai putAh vraiment? »

Bouvard et Pécuchet se levèrent par discrétion.Petit les fit se rasseoir, et s'adressant au curé

« Est-ce tout?))»L'abbô Jeufroy hésita; puis, avec un sourirequitempérait sa réprimande.:

Page 220: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 220/405

BOUVARD ET PÉCUCHET. 2iS

On trouve que vous négligezun peu l'histoiresainte.

Oh l'histoire sainte reprit Bouvard.Quelui reprochez-vous,monsieur?

Moi,rien. Seulementil y a peut-être deschosesplus utiles que l'anecdote de Jonas et les roisd'Israël

Libre à vous »répliqua

sèchement leprêtre.Et, sans soucides étrangers, ou à caused'eux:

« L'heure du catéchismeest trop courte »»Petitlevales épaules.« Faites attention. Vous perdrez vos pension-

naires »Les dOfrancs par mois de ces élèves étaient le

meilleurdesa place. Maisla soutane l'exaspérait:« Tantpis, vengez-vous1

Unhommede moncaractèrene se vengepas,ditle prêtre, sans s'émouvoir. Seulement, je vous

rappelleque la loidu 15 mars nous attribuela

sur-veillancedel'instruction primaire.–Eh! je le sais bien, s'écria l'instituteur. Elle

appartientmême aux colonels de gendarmeriePourquoipas au garde champêtre1 ce serait com-met!»

Etil s'affaissasur l'escabeau, mordantson poing,retenantsa colère, suffoquépar le sent.intcntde sonimpuissance.

L'ecclésiastiquele toucha légèrement sur J'épaule.« Je n'ai pas voulu vous affliger, muBami Cal-

mez-vousUnpeu de raison'!« Voilà Pâques bientôt j'espère que vous don-nerezl'exempleen communiantavec les autres.

Page 221: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 221/405

2i6 BOUVARD ET PËCUCHET.

Ah c'est trop fort moi moi me soumettreàdepareil!esbôtia<!s!a»

Devantce blasphème,le curé pâlit. Ses prunellesfulguraient. Sa mâchoiretremblait:

« Taisez-vous,malheureux taisez-vous1« Et c'est sa femmequi soigne les linges del'é-

glise1

Eh bien quoi? Qu'a-t-ellefait?–Elle manquetoujoursla messe! Commevous,d'ailleurs 1

Eh on ne renvoie pas un maître d'écolepourÇa!1 1

Onpeut le déplacer » <Le prêtre ne parlaplus. Il était au fonddela pièce,

dans l'ombre.'Petit, la tête sur la poitrine, songeait.Ilsarriveraientà l'autre bout de la France, leur

dernier sou mangé par le voyage, et ils retrouve-rniRnt là-bas, sous des noms diSérents, le même

curé,le mêmerecteur, lemêmepréfet,tous, jusqu'auministre, étaientcommelesanneauxdesa chaîneac-cablante 11avaitreçudéjà nn avertissement,d'autresviendraient.Ensuite ? et dans une sorted'hallucina-tion, il sevitmarchantsur une grande route, unsacau dos, ceux qu'il aimaitprès de lui, la main tenduevers une chaise de poste

A ce moment-la, sa femme dans la cuisine futprise d'une quinte de toux le nouveau-nése mila vagiret le marmot pleurait.

« Pauvres enfants! » dit le prêtre d'une w~

douce.Le pèro alors éc!ntaen sanglots

1« Oui1oui tout~cc qu'on voudra

Page 222: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 222/405

2n

13

BOUVARD ET PÉCUCHET.

J'y compte », reprit le curé.Et, ayantfaitla révérence« Messieurs,bien lebonsoir M»Lemaître d'écolerestaitla figure dans les mains.

nrepoussaBouvard.« Non laissez-moi j'ai envie de crever je suis

unmisérable MLesdeux amis

regagnèrentleur

domicile,en se

félicitant de leur indépendance. Le pouvoir duclergéles effrayait.

Onl'appliquait maintenantà raffermirl'ordre so-cial.La Républiqueallaitbientôt disparaître.

Troismillions d'élscteursse trouvèrent exclusdusuffrageuniversel. Le cautionnementdes journauxfutélevé, la censure rétablie.On en voulait aux ro-mans-feuilletons.La philosophie classique était ré-putée dangereuse. Les bourgeois prêchaient ledogmedes'intérêts matérielset le peuple semblaitcontent.

Celuides campagnesrevenait à ses anciensmaî-tres.

M. de Faverges, qui avait des propriétés dansl'Eure,fut porté à la Législative,et sa réélection anconseilgénéraldu Calvadosétait d'avancecertaine.

H jugea bon d'offrirun déjeuner aux notables dupays.

Levestibuleoù ~?oisdomestiquesles attendaientpourprendre leurs paletots, le billard et les deuxsalonsen enfilade, les plantes dans des vases de la

Chine,les bronzes sur les cheminées,les baguettesd'or aux lambris, Iss rideaux épais, les larges fau-teuils,celuxeimmédiatementlesfrappacommeune

Page 223: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 223/405

BOUVAND ET PÉCUCHET.~t8

politesse qu'on leur faisait et en entrant dans tasalleà manger, au spectaclede la table couvertede

viandes sur des plats d'argent, avec la rangée desverresdevantchaqueassiette, leshors-d'œuvreçaetlà, et un saumonau milieu, tous les visages s'épa-alouirent.

Ils étaient dix-sept,y comprisdeuxforts cultiva-teurs, le sous-préfetde Bayeux et un individude

Cherbourg.M.de Favergespria ses hôtes d'excuserla comtesse,empêchée par une migraine et, aprèsdes compliments sur les poires et les raisins quiemplissaientquatre corbeillesauxangles, ilfutques-tion de la grande nouvelle le projet d'une descenteen Angleterrepar Changarnier.

Heurtaux la désirait comme soldat, le curé enhainedesprotestants,Foureaudansl'intérêt du com-merce.

« Vousexprimez,dit Pécuchet,des sentimentsdumoyenâge 1

arescot.-Le moyen âge avaitdu bon reprit Marescot.Ainsinos cathédrales

Cependant,monsieur, les abusN'importe, la Révolution ne serait pasarri-

vée 1.Ah la Révolution, voilà le malheur Hdit

l'ecclésiastique,en soupirant.«Maistout le mondey a contribué et (excusez-

moi, monsieurle comte) les nobles eux-mêmespar jour allianceavecles philosophes1

« Quevoulez-vous Louis XVIHalégalisé

laspo-Ration Depuisce temps-là.le régimeparlementaire

vous sapeles bases'a ilt

Page 224: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 224/405

BOUVARD ET PÉCUCHET. 2<9

Unroastbeefparut, et durant quelques minutesonn'entendit que le bruit des fourchetteset des mâ-choires,avec le pas des servantssar le parquet etces<ieuxmotsrépétés « Madère Sauterne »

La conversationfut reprise par le monsieur deCherbourg.Comments'arrêter sur le penchant del'abîme?

«Chezles Athéniens,))d!tMarescot,«chezles Athé-niens,aveclesquelsnous avonsdes rapports, Solonmâtales démocrates,en élevant le cens électoral.

Mieuxvaudrait,dit Hurel, supprimerla .Cham-bre tout le désordre vient de Paris.

Décentralisonsdit le notaire.Largement 1» reprit le comte.

D'après Foureau, la commune devait être mat-tresseabsolue,.jusqu'àinterdire sesroutes auxvoya-geurs,si e-Uele juge convenable.

Et pendantque les plats se succédaient,poule au

 jus, écrevisses, champignons, légumes en salade.,rôtisd'alouettes, bien des sujets furent traités: lemeilleursystèmed'impôts,lesavantagesdela grandeculture,l'abolition de la peine de mort le sous-préfetn'oublia pas de citer ce mot charmant d'unhommed'esprit « Quemessieursles assassinscom-mencent »

Bouvardétait surpris par le contrastedeschosesquil'entouraient aveccellesque l'on disait, carilsembletoujoursqueles parolesdoiventcorrespondreauxmilieux, et que les hauts plafonds soient faits

pourles grandes pensées. Néanmoins,il était rougeaudessert et entrevoyait les compotiers dans,unbrouillard.

Page 225: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 225/405

BOUVARPET PÉCUCHET.sao

Onavait pris des vinsde Bordeaux,de Bourgogneet de M&laga. M.de Fdverges qui connaissait sonmondant déboucher du Champagne.Les convivesen trinquant burent au succèsde l'élection, et il étsitplus de .trois heures, quand ils passèrent dans lafumoir, pour prendre le café.

'Unecaricaturedu C~~ca~ tratnait,sur une con-

sole,entre des numéros de

l't/tKue~cela représen-tait un citoyen, dont les basques de la redingotelaissaient voir une queue, se terminant par tin œil..Marescoten donna l'explication.Onrit beaucoup.

Us absorbaientdes liqueurs, et la cendre des ci"gares tombaitdansles capitonsdes meubles.L'abbé,voulant convaincreGirbal, attaqua Voltaire.'Coulons'endormit. M.de Favergesdéclara son dévouementpour Chambord. a Les abeilles prouvent la mo-narchie.

t

« Mais les fourmilières la République ? Du

reste, le médecinn'y tenait plus.« Vousavez raison.! dit le sous-préfet. La formedu gouvernementimporte peu 1

Avec la liberté 1 objectaPécuchet.Un uu~~ hommen'en a pasbesoin, répliqua

Foureau. Je ne fais pas de discoursmoi Je ne suispas journaliste et je vous soutiens que la Franceveut être gouvernéepar un bras de fera

Tous réclamaientun sauveur.Et en sortant, Bouvard et Pécuchet entendiren!

M. de Favergesqui disaita. l'abbéJeufroy

« Il faut rétablir Fobéissance.L'autorité se meur!si on la discute Le droit divin, il n'v a que ça1Parfaitement,monsieur le comte a

Page 226: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 226/405

DOCVAKnET PËCUCHKT. ~i

Les pMes rayons d'un soleil d'octobre s'allon-

geaientderrière les bois, un vent humide soufflait;et en marchantsur les feuilles mortes, ils respi-

raientcommedélivres.'fout ce qu'Us n'avaient pu dire s'échappa en

exclamations« Quelsidiots quelle bassesse Commentimagi-

ner tant d'entêtement D'abordque signifiele droit

divin? »L'amide Dumouchel,ce professeur qui les avaitéclairéssur l'esthétique,répondit àleur questiondansunelettresavante.

La théorie du droit divin a $té formulée sousCharlesII par l'AnglaisFilmer.

La voici« Le Créateurdonnaau premier homme la sou-

verainetédu monde. Elle fut transmise a ses des-cendants,et la puissance du roi émane de Dieu« il est son image, » écrit Bossuet. L'empire pater-

nelaccoutumeà la domination d'un seul. On a faitlesrois d'après le modèledes pères.» Lockeréfuta cette doctrine. Le pouvoirpaternel

se distingue du monarchique, tout sujet ayant lemêmedroit sur ses enfants que le monarquesur lessiens.La royautén'existeque parle choixpopulaire,

et même l'élection était rappelée dans la céré-moniedu sacre, où deux évêques, en montrant loroi,demandaient aux nobles et ac\  manants, s'ilsl'acceptaientpour tel.

» Doncle pouvoirvient du peTpIe. Il a le droit

« de faire tout ce qu'il veut, » dit Helvétius,« dechangera& constitution,» dit "Vatel,de se révolter

Page 227: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 227/405

BOUVARHET PÉCUCHET.823

contre l'injustice, prétendent (nlafey, !!otman, Ma-My, etc. et saint Thomasd'Aquinl'autoriseà Mdélivrer d'un tyran. Il est même, dit Jurieu, dis-pensé d'avoir raison. »

Ëtonnésdo l'axiome, ils prirent le <~oM~ ~M«?/ de Rousseau.

Pécuchet alla jusqu'au bout puis, fermant lesyeux et se renversantla tête, il en fit t'analyse.

« On suppose une conventionpar laquello l'iu-dividualiénasa liberté.

« Le Peuple, en tncme temps, s'engageait it )cdéfendre contre les inégahtës de la Kature, et larendait propriétaire des chosesqu'il détient.

« Oùest ta preuve du contrat?Nutto part et la communauté u*ofh'epas de

garantie. Les citoyens s'occuperont exctusivementde politique.Maiscommeil faut des métiers, nous-seau conseillel'esclavage.Les sciencesont perdu bgenre humain. Le théâtre est corrupteur, l'argentfuneste, et l'État doit imposer une religion~souspeine de mort. »

Comment se dirent-ils, voilàle pontife 4ola dé-mocratie1

Tous les rëibrmateurs l'ont copié, et ils seprocurèrent l~KMKe~ du socM/MMftpar Mo-rant.

Le chapitre premier expose la doctrine saint-si-monienne.

Ausommetle Père, à la fois pape et empereur.Abolitiondes héritages, tous les biens meubles et

immeubles composant un fonds social, qui seraexploitéhiérarchiquement.Les industrielsgouverne-

Page 228: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 228/405

BOUVARDET ï'ËCUCHKT. ~3

ront la fortune publique. Maisrien a craindre onam'apour chef Mcelui qui aime le plus )'.

II manque une chose, la femme. Del'arrivée delafemmedépend le salutdu monde.

Je ne comprendspas.Ni moi H»

Et ils abordèrent le fouriérisme.Tous les malheursviennent de la contrainte. Que

t'attractionsoit libre, et l'harmonies'établira.Notre Ameenferme douze passions principales

cinqégoïstes,quatre animiquos, trois distrilmtivcs.Ellestendent, les premières a l'individu, les sui-vantesaux groupes, les dernières aux groupes degroupes,ou séries, dont l'ensemble est la phalange,société do dix-huit cents personnes, habitant unratais. Chaque matin, des voitures emmènent lestravailleursdans la campagne, et les ramènent lesoir.Un porte des étendards,on se donne des fêtes,on mangedos gâteaux.Toutefemme, si elle y tient,

.possèdetroishommes le muri, l'amant et le géni-teur. Pour les célibataires, le bayadérisme est in-stitué.

« Çame va » dit Bouvard. Et il se perdit danslesrêves du monde harmonien.

Par la restauration des climatures, la terre de-viendraplus belle par le croisement des races, laviehumaine plus longue. On dirigera les nuagescommeon fait maintenant de la foudre, il pleuvralanuit sur les villes pour les nettoyer. Des navirestraverseront les mers polaires dégelées sous les

auroresboréales. Cartout se produitpar la conjonc-tiondes deuxfluidesmâle et femelle, jaillissantdes

Page 229: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 229/405

22~ BOUVARUET PECUCHET.

pôles, et les aurores boréales sontun symptôme durut dela planète, une émissionprolifique. « Celamapasse,» dit Pécuchet.

AprèsSaint-Simonet Fourier, le problème seré-duit à des questionsde salaire.

Louis Blanc, dans l'intérêt des ouvriers, veutqc'on abolisse le commerce extérieur; Lafarelle

qu'on imposeles machines un autre, qu'on dégrevales boissons,ou qu'on refasseles jurandes, ouqu'ondistribue des soupes. Proudhon imagine un tarituniforme, et réclame pour l'Ëtat le monopoledusucre.

« Tes socialistes,disait Bouvard, demandanttou- jours la tyrannie.

MaisnonSifait 1TuesabsurdetToi tu me révoltes! »

Ils firent venir les ouvragesdont ils ne connais-saient que lesrésumés. Bouvardnota plusieursen-tdroits, et les montrant

« Lis toi-môme 1Ils nous proposent commeexemple les Esséniens, les Frères Moraves,les jé-suites du Paraguay, et jusqu'aurégime des prisons.

» Chezles Icariens, 'e déjeuner se fait en vingtminutes, les femmesaccouchentà l'hôpital quantaux livres, défensed'en imprimer sans l'autorisationde la République.

MaisCabetest un idiot.

Maintenantvoilà du Saint-Simon les publi-cistessoumettront leurs travaux &un comité d'in-dustriels.

Page 230: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 230/405

BOUVARDET PECUCHET. 22S223

M.

Et du Pierre Leroux la loi forcerales citoyensà entendre un orateur.

Et de l'Auguste Comte les prêtres éduqnerontla jeunesse, dirigeront toutes les œuvresde l'esprit,et engageront le pouvoirà régler la procréation.»

Cesdocuments affligèrent Pécuchet. Le soir, audiner,il répliqua.

«Qu'ily ait, chez les utopistes,

des chosesridi-cules, j'en conviens; cependant ils méritent notre

amour.La hideur du mondeles désolait,et, pour lerendre plus beau, ils ont tout souffert. Rappelle-toiMorusdécapité,Campanellamis sept foisà la torture,Buonarottiavec une chaîne autour du cou, Saint-Simoncrevant de misère, biend'autres. Ils auraientpu vivre tranquilles maisnon ils ont marché dansleur voie,la tête au ciel, commedeshéros.

Crois-tuque le monde, reprit Bouvard, chan-gera, grâce aux théoriesd'un monsieur?

Qu'importe dit Pécuchet, il est temps de nepluscroupir dans l'égoïsme Cherchonsle meilleursystème1

Alors, tu comptesle trouver?CertainementtToi? »

Et, dans le rire dont Bouvardfut pris, ses épauleset son ventre sautaient d'accord. Plus rouge quetes confitures, avec sa serviette sous l'aisselle, ilrépétait

« Ah ah ah Hd'une façon irritante.

Pécuchet sortit de l'appartement, en faisant cla-querla porte.

Germainele héla par toute la maison, et on le

Page 231: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 231/405

S26 BOUVARB ET PECUCHET.

découvritau fonddû sa chambredans une bergère,sansfeu ni chandeUeet la casquettesur les sourcils.Il n'était pas malade,mais se livrait à ses réflexions.

La brouille étant passée, ils reconnurent qu'une.base manquait à leurs études l'économiepolitique.

Ils.s'enquirent del'offre et de la demande, du ca-pital et du loyer, de l'importation,de la prohibition.

Unenuit, Pécuchetfut réveillépar le craquementd'une botte dans le corridor.La veille, commed'ha-bitude, il avait tiré lui-même tous les verrous etil appelaBouvardqui dormait profondément.

Ilsrestèrent immobilessousleurs couvertures.Lebruit ne recommençapas.

Les servantesinterrogéesn'avaient rien entendu.Maisen se promenant dans leur jardin, ils remar-

quèrent au milieu d'une plate-bande, près de laclaire-voie, l'empreinte d'une semeUe et deuxb&tonsdu treillage étaient rompus. Onl'avait esca-ladé, évidemment.

JIfallait prévenir le garde champêtre.Commeil n'était pas à la mairie,Pécuchetse ren-

dit chezl'épicier.Quevit-il dans l'arrière-boutique, à côtéde PIae-

quevent, parmi les buveurs? Gorju Gorjunippécommeun bourgeois et régalant la compagnie.

Cetterencontre était insignifiante.Bientôt ils arrivèrent à la question du Progrès.Bouvardn'en doutait pas dans le domainescien-

tifique. Mais,en littérature, il est moins

clair;et si

le bien-être augmente,la splendeur de la vie a dis-paru.

Pécuchet pour le convaincre,prit un morceau de

Page 232: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 232/405

BOCVAROET PÉCUCHET. 22T

papier: « Je trace obliquement une ligne ondule.Ceux qui pourraient la parcourir, toutes les foisqu'elle s'abaisse, ne verraient plus l'horizon. Ellese relèvepourtant, et malgréses détours, ils attein.dront le sommet. Telle est l'image du Progrès. »

M""Dordinentra.C'étaitle 3 décembre i85i. Elle apportait le jour-

nal.

Ilslurentbienviteet côteà côte,l'appel aupeuple,la dissolutionde la Chambre,l'emprisonnementdesdéputés.

Pécuchet devint blême. Bouvard considérait laveuve.

« Comment?vousne dites rienQuevoulez-vousquej'y fasse?» Ils oubliaient

de lui offrirun siège. « Moiqui suis venue, croyantvousfaire plaisir Ah vous n'êtes guère aimablesaujourd'hui MEt elle sortit, choquéede leur impo-litesse.

La surprise les avait rendus muets. 'Puis ils al-lèrent dans le villageépandre leur indignation.

Marescot,qui les reçut au milieu des contrats,pensait différemment.Le bavardage de la Chambreétait fini, grâce au ciel.On aurait désormaisune po-litique d'affaires.

Beljambe ignorait les événements, et s'en mo-quait d'ailleurs.

Sous les halles, ils arrêtèrent Vaucorbeil.Le médecin était revenu de tout ça. « Vous

avezbien tort de voustourmenter »»Foureau passa près d'eux, en disant d'un air nar-

quois « Enfoncésles démocrates M Et le ex*

Page 233: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 233/405

228 BùCVARD ET PÊCUCKET.

pitaine, au bras de Girbal,criade loin « Vivel'em-pereur M

Mais Petit devait les comprendre, et, Bouvardayantfrappéau carreau/le maître d'école qui Hasaclasse.

Il trouvaitextrêmement drôle que Thiers fût enprison. Celavengeaitle peuple. « Ah aht mes-sieursles

députés,à votretour »

La fusilladesur les boulevardseut l'approbationde Chavignolles.Pasde grâce aux vaincus, pas depitié pour les victimes Dèsqu'on se révolte, onestun scélérat.

« Remercionsla Providence a disaitle curé~« etaprès elleLouis Bonaparte.Il s'entoure deshommesles plus distingués Lecomtede Faverges devien-drasénateur. »

Le lendemain, ils eurent la visitede PIacquovent.Cesmessieurs avaient beaucoupparlé. Il les en-

gageaità

setaire.

« Yeux-tu savoirmon opinion? dit Pécuchet.Puisqueles bourgeoissontféroces,les ouvriers

 jaloux, les prêtres serviles et que le Peuple enfinaccepte tous les tyrans, pourvu qu'on lui laisse lemuseau dans sa gamelle,Napoléona bien fait 1

qu'il le bâillonne, le foule et l'extermine ce nesera jamaistrop pour sa haine du droit, sa lâcheté,son ineptie, son aveuglement a

Bouvardsongeait « Hein, le Progrès quellebla-gue MIIajouta « Et la Politique,une belle saleté1

Cen'est pas une science,reprit Pécuchet.L'artmilitaire vaut mieux, on prévoitce qui arrive, nousdevrionsnous y mettre?1

Page 234: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 234/405

BOUVARDET P&CMCMET. 229

Ah merci répliqua Bouvard. Tout me dé-

goûte.Vendons plutôt notre baraque et allons « autonnerrede Dieu,chez les sauvages

Commetu voudras »Mélie,dansla cour, tirait de l'eau.La pompe en bois avait un long levier. Pour le

faire descendre, elle courbait les reins et onvoyaitalorsses bas bleus jusqu'à la hauteur de sonmollet.Puis, d'un geste rapide, ellelevait sonbrasdroit, tandis qu'elle tournait un peu la tête, etPécuchet,en la regardant, sentait quelque chosedetout nouveau, un charme, un plaisir infini.

Page 235: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 235/405

vu

Des jours tristes commençèrent.Ils n'étudiaient plus dans la peurdes déceptionsles habitants de Chavignofless'écartaient d'eux,iles journaux tolérés n'apprenaient rien, et leursolitude était profonde; leur déscouvremenbcom*plet.

Quelquefoisils ouvraient un Ïïvre, et le refer-maient à quoi bon? En d'autres jours, ils avaientl'idée de nettoyer le jardin, au bout d'un quartd'heure une fatigue les prenait ou de voir leurferme, ils en revenaient écœurés ou de s'occuper

de leur ménage, Germainepoussait des lamenta-tions ils y renoncèrent.

Bouvardvoulut dresser le cataloguedu muséum,et déclaracesbibelots stupides.

Pécuchetemprunta la canardière deLangloispourtirer des alouettesj l'arme, éclatant du premiercoup,'faillit le tuer.

Doncils vivaientdans cet ennui de la campagne,si lourd quand le cielblanc caresse de sa monotonieun :œur sans espoir. Onécoutele pas d'un hommeen sabots qui longe le mur, ou les gouttes de la

pluie tomber du to~tp!n-terre. De temps à autre,une feuillemorte vient

frôler la vitre, puis tournoie

Page 236: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 236/405

BOfVARDET P&CUCHET. 23i

s'en va. Des glas indistincts sont apportés par levent. Aufondde l'étable, une vachemugit.

Ils bâillaient l'un devant l'autre, consultaient lecalendrier,regardaient la pendule, attendaient lesrepas et l'horizon était toujours le même deschampsen face, &droite Féglise,à gaucheun rideaude peupliers leurs cimes se balançaient dans labrunie,

perpétuellement,d'un air lamentable

Deshabitudes qu'ils avaient tolérées, les faisaientsouffrir.Pécuchet devenait incommodeavec sa ma-nie de poser sur la nappe son mouchoir, Bouvardne quittaitplus la pipe, et causait en se dandinant.Descontestations s'élevaient, à propos des plats, oudela qualitédu beurre. Dansleur tôte-a-teteils pen-saient à des choses différentes.

UnévénementavaitbouleverséPécuchet.Deuxjours après l'émeutede Chavignolles,comme

il promenaitson déboire politique, il arrivadans un

chemin,couvert

pardes ormes

touffus,et il entendit

derrière son dos, une voix crier « Arrête »C'étaitM"" Castillon.Elle courait de l'autre côté,

sans l'apercevoir. Un homme qui marchait devantelle,se retourna. C'étaitGorju et ils s'abordèrentà une toise de Pécuchet, la rangée des arbres lessèparantde lui.

« Est-cevrai? dit-elle, tu vas te battre ? »Pécuchet se coula dans le fossé, pour enten-

dre« Ehbien oui, répliqua Gorju, je vaisme battre

Qu'est-ceque ça te fait?ïl le demande s'écria-t-olle en se tordant lesbras. Maissi tu es tué, mon amour 1 Ohreste MEt

Page 237: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 237/405

BOUVARD ET PÉCUCHET.232

sesyeuxbleus, plus encore que ses paroles, le sup-pliaient.

«Laisse-moitranquille je dois partir MElleeut un ricanement de colère.« L'autre l'a permis, hein? N'en parle pas a

I.levasonpoing fermé.« « Nonmonami, non 1 jeme tais, je ne dïarien. »

Et degrosses

larmes descendaient lelong

de ses joues dans les ruches de sa collerette.

Il était midi. Le soleilbrillait sur la campagne,couvertede blés jaunes. Toutau loin, la bâched'unevoiture glissaitlentement. Unetorpeur s'étalait dansl'air pas un cri d'oiseau, pas un bourdonnementd'insecte. Gorju s'était coupéune badine, et <enra-clait l'écorce.M*"Castillonne relevaitpas la tête.

Elle songeait, la pauvrefemme, à la vanité de sessacrifices,les dettes qu'elle avait soldées, ses enga-gementsd'avenir, sa réputation perdue. Au lieu de

se plaindre, elle lui rappela les premiers temps deleur amour~quand elle allait, toutes les nuits, le re- joindre dans la grange si bien qu'une fois sonmari,croyant à unvoleur,avaitlâché,parla fenêtre,un coup de pistolet. La balle était encore danslemur. « Dumoment que je t'ai connu, tum'as semblébeau commeun prince. J'aimetes yeux, ta voix,tadémarche, ton odeur1 » Elle ajouta plus bas « Jesuis en foliedeta personne1 »

II souriait, flatté dansson orgueil.Elle le prit à deux mains par les flancs, et la

tête renversée, commeen adoration.« Mon cher cœur mon cher amour mon âmema vie Voyons, parle, que veux-tu? Est-ce de

Page 238: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 238/405

BOUVARDET PÉCUCHET. 233

l'argent?Onen trouvera.J'ai eu tort je t'ennuyais tpardon et commande-toideshabitschezle tailleur,boisdu champagne, faisla noce, je te permets tout,

tout. » Elle murmura dans un effort suprême«Jusqu'àelle pourvu que tu reviennes à moi »)

Use pencha sur sa bouche,un bras autour de sesreins,pour l'empêcher de tomber, et elle balbu-

tiait<'Chercœur cher amour commetu

esbeau 1monDieu, que tu es beau H»Pécuchet immobile,et la terre du fossé à la hau-

teur deson menton, les regardait, en haletant.« Pas de faiblesse dit Gorju, je n'aurais qu'à

manquerla diligence on prépare un fameuxcoupde chien j'en suis Donne-moi dix sous, pourqueje paye un gloriaau conducteur. »

Elle tira cinq francs de sa bourse. « Tu me lesrendrasbientôt. Aie un peu de patience Depuis letemps,qu'il est paralysé songe donc! Et si tu

voulais,nous irions à la chapelle dela Croix-Janval,et là, mon amour, je jurerais, devant la sainteVierge,de t'épouser, dès qu'il sera mort 1

Eh il ne meurt jamais, ton mari ?Gorjuavait tourné les talons. Ellele rattrapa

etse cramponnantà ses épaules« Laisse-moi partir avectoi je serai ta domesti-

que Tu as besoin de quelqu'un. Maisne t'en vaspas ne me quitte pas La mort plutôt Tue-moi M

Ellese traînait à ses genoux, tâchant de saisir sesmainspour les baiser sonbonnet tomba,son peigne

ensuite, et ses cheveuxcourts s'éparpillèrent. Ilsétaient blancssous les oreilles, et commeelle leregardaitde bas en haut, toute sanglotante, avecses

Page 239: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 239/405

234 BOUVARDETP~CUCHMT.

paupières rouges et ses lèvres tuméfiées,nue exas-pération !e prit, il la repoussa.

« Arrière,la vieille Bonsoir »» ·

Quandellesefut relevée, ellearrachala croixd'orquipendaità son cou, et la jetant verslui

« Tiens canaille »»

Gorju s'éloignait, -en tapant avec sa badine lesfeuillesdes arbres.

M°"*CastiIIonne pleuraitpas. Lamâchoireouverteet les prunelles éteintes, elle resta sans faire unmouvement, pétriQéedansson désespoir n'étantplus un être, maisune choseen ruines.

Ce qu'il venait de surprendrefut, pour Pécuchet,commela découverted'un monde, toutun monde1

qui avaitdes lueurs éblouissantes,des floraisonsdésordonnées, des océans,des tempêtes, des trésors-et des abîmes d'une profondeur infinie uneffroi s'en dégageait, qu'importe 1Ilrêva l'amour,ambitionnait de J&sentir comme

elle,de

l'inspirercommelui.Pourtant il exécrait Gorju et, au corps de.

garde, avaiteu peine à ne pas le trahir.L'amantde M"' Castiltonl'humiliait par sa taille

mince, ses accroche-coeurségaux, sa barbe flocon-neuse, un air de conquérant, tandis que sa che-velure, à lui. se collaitsur son crâne commeuneperruque mouillée sontorse, danssa houppelande,ressemblaità un traversin, deuxcaninesmanquaientet sa physionomieétait sévère, ïl trouvaitle cielin-

 juste, se sentait ".ommedéshérité, et son ami nel'aimait plus. wlp.Bouvard l'abandonnait tous les soirs. Après la

Page 240: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 240/405

BOUVARÏ)ET PjÈCMCMET. 2~

mort de sa femme, rien ne l'eût emp&ched'en pren-dre une autre, et qui maintenantle dorlotterait,soigneraitsamaison.Ilétaittrop vieuxpoury songer.

Mais Bouvard se considéra dans la glace. Sespommettesgardaient leurs couleurs, sescheveuxfri-saient comme autrefois, pas une dent n'avait bou-gé, et, à l'idée qu'il pouvait plaire, il eut unretour de jeunesse. M" Dordin surgit dans s~ mé-

moire. Elle lui avait fait des avances, la premièrefois, lorsdel'incendiedes meules, la seconde,à leurdiner, puis dans le muséum, pendant la déclama-tion, et dernièrement elle était venue sans rancune,trois dimanches de suite. Il alla donc chez elle, ety retourna, se promettant dela séduire.

Depuisle jour où Pécuchet avait observéla petitebonne tirant de l'eau, il lui parlait plus souventet soit qu'ellebalayât le corridor, ou qu'elle étendîtle linge, ou qu'elle tournât les casseroles,il ne pou-vait se rassasier du bonheur de la voir, surprislui-même de ses émotions, comme dans l'adoles-cence.Il en avait les fièvreset les langueurs, etétait persécuté par le souvenir de M°"'Castillon,étreignant Gorju..

Il questionnaBouvard sur la manière dont les li-bertins s'y prennent pour avoirdes femmes.

« Onleur fait des cadeaux, on les régale au res-taurant.

Très bien Maisensuite?Il y en a qui feignentde s'évanouir,pourqu'on

les porte sur un canapé, d'autres laissent tomberparterre leur mouchoir.Les meiheurasvousdonnentun rendez-vous, franchement. » Et Bouvardse ré-

Page 241: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 241/405

236 BOUVARDET PÉCUCHET.

pandit en descriptions,'qai incendièrent l'imagina*·tion de Pécuchet, comme des gravures obscènes.<'La première règle, c'est de ne pas croire à cequ'elles disent. J'en ai connu qui, sous l'apparencede saintes, étaient do véritables Messalines Avanttout, il faut être hardi M»

Maisla hardiesse nese commande pas. Pécuchet,

quotidiennement, ajournaitsa

décision,était d'ail-

leurs intimidé par la présence de Germaine.'Espérant qu'eue demanderait son compte, il en

exigeaun surcroît de besogne, notaitles foisqu'elleétait grise, remarquait tout haut sa malpropreté,saparesse, et fit si bien qu'on la renvoya.

AlorsPécuchetfut libreAvec quelle impatience il attendait la sortie de

Bouvard Quelbattement de cœur, dès que la porteétait refermée 1

Mélie travaillait sur un guéridon, près de la fe-

nêtre,à la clarté d'une

chandellede

tempsà

autre,elle cassait sonfil avec ses dents, puis clignait lesyeux, pour l'ajuster dans la fente de l'aiguille.

D'abord, il voulutsavoirquels hommes lui plai-saient. Était-ce par exempleceuxdu genre de Bou-vard? Pas du tout elle préférait les maigres. Il osalui demander si elle avaiteu des amoureux? « Ja-mais »

Puis, se rapprochant, il contemplait son nez fin,sa bouche étroite, le tour de sa figure. Il lui adressades complimentset l'exhortait à la sagesse.

En se penchant sur elle, il apercevait dans soncorsage des formesblanchesd'où émanaitune tièdesenteur, qui lui chauffaitla joue. Unsoir, il toucha

Page 242: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 242/405

BOUVABH ETP&CCCHET ~37

deslèvresles cheveuxfollets de sa nuque; et il enressentit un ébranlement jusqu'à la moelledes os.Uneautre fois, il la baisa sur le menton, onse re-tenant de ne pas mordre sa chair, tant elle était sa-voureuse.E!lelui rendit son baiser. L'appartementtourna. Hn'y voyaitplus.

Hlui ~t cadeaud'une paire de bottines, et laré-galaitsouventd'un verre d'anisette.

Pourlui éviterdu mal, il se levaitde bonneheure,cassait le bois, allumait le feu, poussait l'attention

 jusqu'à nettoyer les chaussuresde Bouvard.Méliene s'évanouitpas, ne laissapas tomber son

mouchoiret Pécuchetne savait quoi se résoudre,sondésir augmentantpar la peur de le satisfaire.

Bouvardfaisaitassidûment la cour à M""Bordin.Elle le recevait,un peu sanglée danssa robe de

soie gorge-pigeon qui craquait commele harnaisd'un cheval, tout en maniant par contenance sa

longuechained'or.

Leurs dialogues roulaient sur les gens de Cha-vignolles« ou.« défunt son mari », autrefois huis-sierà Livarot.

Puis elle s'informa du passé de Bouvard, cu-rieusede connattre « sesfarcesde jeune homme »,sa fortuneincidemment, par quels intérêts il étaitliéà Pécuchet.

Il admirait la tenue de. sa maison, et, quand ildînait chez elle, la netteté du service, l'excellencede la'table. Une suite de plats' d'unesaveur pro-

fonde, que coupait par intervalles égaux un vieuxpomard, les menait jusqu'au dessert où ils étaientfort longtemps à prendre le café et M"" Bor-

Page 243: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 243/405

~38 BOUVARDET PÉCUCHET

din, en dilatant les narines, trempa! dans la sou-coupe sa lèvre charnue, ombrée légèrement d'unduvetnoir.

Un jour, elle apparut décolletée. Sesépaules fas-cinèrent Bouvard. Commeil était sur une petitechaisedevant elle, il se mit à lui passer les deuxmains le long des bras. Le veuvesefâcha.ïi ne re-

commença plus,, mais il se figurait des rondeursd'une amplitudeet d'une consistancemerveilleuse.Unsoir que lacuisinede Méliel'avait dégoûté, il

eut une joie en entrant dansle salondeM""Bordin.C'estlà qu'il aurait falluvivre1

Le globe dela lampe, couvert d'un papie? rose,épandait une lumière tranquille. Elle était assiseauprèsdu feu et sonpied passaitle bord de sarobe.Dèsles premiersmots, l'entretien tomba.

Cependantelle le regardait, les cils à demi fer-més, d'une manière langoureuse, avec obstination.

Bouvard n'y tint plus ?t s'agenouillantsurle parquet,il bredouilla « Je vous aime Marions-nous! »

M~ Bordin respira fortement, puis, d'un air in-génu, dit qu'il plaisantait sans doute, on allait semoquer, ce n'était pas raisonnable.Cettedéclarationl'étourdissait.

Bouvardobjectaqu'ilsn'avaientbesoinduconsen-tement de personne. « Qui vous arrête ? est-ce letrousseau? Notrelinge a une marque pareille, unF nous unirons nos majuscules. ')

L'argument lui plut. Maisune affairemajeurel'empêchaitde se décider avant la fin du mois. EtBouvardgémit.

t.

Page 244: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 244/405

POUVARDET PÉCUCHET 239

Elleeut la délicatessede le reconduire, escor-tée de Marianne,quiportait un falot.

Les deux amis s'étaient cachéleur passion.Pécuchet comptait voiler toujours son intrigue

avecla bonne. Si Bouvard s'y opposait, il remmè-nerait vers d'autres lieux, fût-ce en Algérie, oùl'existencen'est pas chèreMais rarement il formaitdeces hypothèses,plein de son amour, sanspenserauxconséquences.

Bouvardprojetait de faire du muséumla chambreconjugale,à moins que Pécuchet ne s'y refusât;alorsil habiteraitle domicilede son épouse.

Un après-midide la semaine suivante, c'étaitchezelle, dans son jardin, les bourgeonscommen-çaientà s'ouvrir, et il y avait, entre les nuées, degrandsespaces bleus elle se baissa pour cueillirdesviolettes, et dit, en les présentant:

« SaluezM°"'BouvardComment Est-cevrai?Parfaitementvrai. »

IIvoulutla saisirdans ses bras, elle le repoussa.« Quel homme » Puis, devenue sérieuse, l'a-vertitque bientôt elle lui demanderaitune faveur.

« Je vous l'accorde? »Ils fixèrent la signature de leur contrat à jeudi

prochain.Personne jusqu'au dernier moment n'en devait

riensavoir.a Convenu »Et il sortit les

yeuxau

ciel, légercommeun che-

vreuil.Pécuchetle matin du même jour s'était promis

Page 245: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 245/405

24$ BOCVAtU'ET P&CUCHET

de mourir, s'il n'obtenait pas les faveurs de sabonne etil l'avait accompagnéedans la cave,es-pérant'que les ténèbres lui donneraient de l'au-dace.

Plusieursfois, elle avait voulu s'en aller; maisilla retenait pour compter les bouteilles, choisir deslattes, ou voir le fond des tonneaux, celadurait de-

puislongtemps.EUese trouvait, en facedelui, sousla lumière dusoupirail,droite, les paupièresbasses, le coin de laboucheun peu relevé.

« M'aimes-tu?dit brusquementPécuchet.Oui je vousaime.Eh bien,ators, prouve-le-moi «

Et l'enveloppant du bras gauche, il commençadel'autre main à dégrafersoncorset.

« Vous allezmefairedu mal?Non mon petit ange N'aie paspeurSiM.Bouvard.Je ne lui dirai rien Soistranquille »

Un tas defagotsse trouvaitderrière. Elles'y laissatomber, les seinshors de la chemise, la tête renver-sée puis se cacha la ngure sous un bras etun autre eût comprisqu'elle ne manquaitpas d'ex-périence.

Bouvard,bientôt, arrivapour dîner.Le repas sefiten' silence,chacunayant peur dese

trahir, Mélieles servaitimpassible, comme d'habi-tude Pécuchet tournait les yeux, pour éviter les

~iens, tandisque Bouvard,considérantlesmurs, son-geait à des améliorations.Huit jours après, le jeudi,il rentrafurieux.

Page 246: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 246/405

BOUVARD ET PÉCUCHET 344

i4

« La sacréegarce 1Quidonc1

–M""Bordin.M»Et il conta qu'il avait poussé la démence jusqu'à

vouloiren faire sa femme mais tout était fini, de-puisun quart d'heure chezMarescot.

Elleavaitprétendu recevoir en dot les Fea~M,dont il ne pouvait disposer l'ayant, commela

ferme, soldéeen partie avecl'argent d'un autre.«Effectivement ditPécuchet.

Et moi qui ai eu la bêtise de lui promettreunefaveurà son choixt C'était celle-là, j'y aimisde l'entêtement si elle m'aimait, elle m'eûtcédé MLa veuve, au'contraire, s'était emportéeeninjures, avaitdénigré sonphysique,sa bedaine. «Mabedaine je te demandeun peu. »

Pécuchetcependantétaitsorti plusieursfois; mar-chaitles jambes écartées.

« Tu souffres?dit Bouvard.

Oh oui je souffre!»Et ayant fermé la porte, Pécuchet, après beau-

coup d'hésitations, confessa qu'il venait de se dé-couvrirune maladie secrète.

« Toi?Moi-même1Ah mon pauvre garçon qui te l'a donnée'?

Il devint encore plus rouge, et dit d'une voixen-'coreplus basse

« Cene peut être que Mélie? »Bouvarden demeura

stupéfait.Lapremière chose était de renvoyerla  jeaae pe"-sonne.

Page 247: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 247/405

BOUVA&DET PECUCHET.242

Elleprotesta d'un air candide.Le cas de Pécuchet était grave, pourtant mais,

honteux de sa turpitude, il n'osait voir le médecin.Bouvardimaginade recourir à Barberou.Ils lui adressèrent le détail de la maladie, pour

le montrer à un docteur qui la soignerait parcorrespondance.Barberou y mit du zèle, persuadé

qu'elleconcernait

Bouvard,et

l'appela vieuxroquen-tin, tout en le félicitant.«Amon âge disait Pécuchet, n'est-ce pas lugu-'

bre Maispourquoim'a-t-elle fait ça 2Tu lui plaisais.Elleauraitdû me prévenir.Est-ce que la passion raisonne a Et Bouvard

se plaignait de M* Bordin.Souvent, il l'avait surprise arrêtée devant les

Ecalles, dans la compagnie de Marescot,en confé-rence avec Germaine, tant de manœuvres pour

un peu de terre 1« Elleest avare Voilàl'explication! »Ils ruminaient ainsi leurs mécomptes, dans la

petite salle, au coindu feu.Pécuchet, tout en avalant ses remèdes, Bouvard,

en fuKM'ntdes pipes, et ils dissertaient sur lesfemmes.

« Étrange besoin, est-ceun besoin Elles pous-sent au crime, à l'héroïsme et à l'abrutissement.L'enfer sous un jupon, le paradis dansun baiser,ramage de tourterelle, ondulationsde serpent, griffe

de'chat. perfidiede la mer, variétéde la luneils dirent tous les lieux communsqu'ellesontfaitrépandre.

Page 248: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 248/405

BOUVARD ET PÉCUCHET. 2~

C'étaitle désir d'en avoirqui avait suspendu leuramitié.Un remords las prit. Plus de femmes,n'est-cepas ? Vivonssans elles1 Et ils s'embras-sèrent avecattendrissement.

Il fallait réagir et Bouvard,après la guérisonde Pécuchet, estimaque l'hydrothérapie leur seraitavantageuse.

Germaine,revenue dès ledépart

de l'autre, char-riait, tous les matins, la baignoiredansle corridor.

Lesdeuxbonshommes,nus commedes sauvages,selançaient de grands seaux d'eau, puis ilscou-raient pour rejoindreleurs chambres. Onles vitparla claire-voie; et des personnes furent scandali-sées.

Page 249: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 249/405

vin

Satisfaitsde leur régime, ils voulurent s'améliorerle tempéramentpar de la gymnastique..Et ayant pris le manuel d'Amoros,ils en parcou-

rurent l'atlas.Tous ces jeunes garçons, accroupis, renversés,

debout, pliant les jambes, écartant les bras~ mon-trant le poing, soulevantdes fardeaux, chevauchantdes poutres, grimpant,à des échelles,cabriolant surdes trapèzes,un tel déploiementde forceet d'agilitéexcitaleur envie.

Cependantils étaient centristesparles splendeurs

du gymnase,décrites dans la préface. Car jamaisilsne pourraient se procurer un vestibule pour leséquipages, un hippodrome pour les courses, unbassin pour la natation, ni une « montagne degloire», collineartificielle,ayanttrente-deuxmètresde hauteur.

Unchevalde voltige en bois avecle rembourrageeût été dispendieux, ils y renoncèrent; le tilleulabattu dansle jardin leur servit de mât horizontalet quandils furent habilesà le parcourir d'un boutà l'autre, pour en avoirun vertical, ils replantèrent

une poutrelle des contre-espaliers.Pécuchet gravit jusqu'au haut. Bouvardglissait, retombait toujours,finalement,y renonça.

Page 250: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 250/405

BOUVARDET PÉCUCHET. 245

<t.

Les« bâtons orthosométiques» lui plnrent davan-tage, c'est-à-dire deux manches à balai reliés pardeux cordes, dont la première se passe sous lesaisselles,la seconde sur les poignets et pendantdesheures, ilgardait cet appareil,le mentonlevé, lapoitrine'enavant,les coudesle long du corps.

Adéfaut d'altères, le charron tourna quatre mor-ceaux de frêne, qui ressemblaient à des

painsde

sucrese terminant èn goulot de bouteille. On doitporter ces massues à droite, à gauche,par devant,parderrière mais trop lourdes, elleséchappaientdeleurs doigts, au risque de leur broyer les jambes.N'importe,ils s'acharnèrent aux « mils persane .) etmêmecraignant,~u'eUesn'éclatassent,tous les soirs,ils les frottaient avec de la cire et un morceau de

drap.Ensuite, ils recherchèrentdes fosses. Quandils en

avaienttrouvé un à leur convenance,ils appuyaient

aumilijBUune

longue perche, s'élançaientdu

piedgauche, atteignaient l'autre bord, puis recommen-çaient.La campagne étant plate, on les apercevaitauloin et les villageoisse demandaientquellesétaientces deuxchosesextraordinaires,bondissantàl'horizon.

L'automne venu, ils semirent à la gymnastiquede chambre elle les ennuya. Que n'avaient-ilsletrémoussoir on fauteuil de poste, imaginé sousLouisXIV par l'abbé de Saint-Pierre. Commentétait-ceconstruit, où se renseigner? Dumo~hel ne

daignapas môme leur répondre.Aloi's, ils établirent dans le fournil une basculebrachiale.Sur deux pouliesvisséesau plafond, pas-

Page 251: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 251/405

BOUVARD ET PÉCUCHET.246

sait une corde, tenant une traverse à chaque bout.Sitôtqu'ils l'avaient prise, l'un poussait la terre deses orteils, l'autre baissait les bras jusqu'au niveaudu sol le premier, par sa pesanteur, attirait le se-cond qui, lâchantun peu la cordelette, montait àsontour en moinsde cinq minutes, leurs membresdégouttelaientde sueur.

Pour suivre les prescriptions du manuel, ils tâ-

chèrentde devenirambidextres, jusqu'à se priverdela main droite, temporairement. Ils firent-plus:Amorosindique les pièces de vers qu'il faut chanterdans les manœuvres, et Bouvard et Pécuchet, enmarchant, répétaient l'hymne n" 9 « Unroi,,un roi

 juste est un bien sur la terre. » Quand ils 'sebat-taient les pectoraux

« Amis, la couronneet la gloire, a etc. Au pasdecourse .1

A nous l'animal timidetAtteignons le cerf rapide <

Ouinoas vaincrons¡Courons courons! couronst

Et plus haletants que des chiens, ils ranimaientau bruitt de leurs voix.

Un côté de la gymnastiqueles exaltait son em-ploi commemoyende sauvetage.

Maisil aurait falludes enfants, pour apprendreàles porter dansdes sacs, et ils prièrent le maîtred'école dé leur en fournir quelques-uns.Petit objectaque les famillesse lâcheraient. Ilsse rabattirent surles secoursaux blessés. L'un

feignaitd'être

évanoui,et l'autre le charriaitdans une brouette, avectoutessortes de précautions.

Page 252: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 252/405

BOUVARD ET PÉCUCHET. 247

Quantaux escaladesmilitaires,l'auteur préconisel'échelle de Bois-Rosé, ainsi nommée du capitainequi surprit Fécampautrefois,en montant par la fa-laise.

D'aprèsla gravure du livre, ils garnirent debâton-netsun câble, et l'attachèrentsous le hangar.

Dèsqu'on a enfourchéle premier bâton, et saisile troisième, on jette ses jambes en dehors, pourque le deuxième qui était tout à l'heure contre lapoitrinese trouve juste sous les cuisses. Onse re-dresse, on empoignele quatrième et l'on continue.Slalgréde prodigieuxdéhanchements,il leur fut im-possibled'atteindre le deuxièmeéchelon.

Peut-êtrea-t-onmoinsde mal en s'accrochantauxlierres avec les mains, comme firentles soldatsdeBonaparteà l'attaque duFort-Chambray? et pourvousrendre capable d'une telle action, Amorospos-sède une tour dansson établissement.

Lemur en ruines pouvaitla remplacer. Ils en ten-

tèrent l'assaut.MaisBouvard,ayant retiré trop vite son pièd d'un

trou, eut peur et fut pris d'étourdissement.Pécuchet en accusa leur méthode: ils avaient

négligéce qui concerne les phalanges, si bienqu'ilsdevaientse remettre aux principes.

Ses exhortàtions furent vaines et, dans sonorgueilet sa présomption,il abordales échasses.

La nature semblaitl'y avoirdestiné, caril employatoutde suitele grand modèle, ayant des palettes à

quatre piedsdu

sol,et en

équilibre la-dessus,il

arpentaitle jardin, pareil à une gigantesquecigognequi sefût promenée.

Page 253: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 253/405

BOUVARDET PÉCUCHET.248

Bouvard,à la fenêtre, la vit tituber, puis s'abattred'un blocsur les haricotsdont les rames, en se fra-cassant, amortirent sa chute. On le ramassa couvertde terreau, les narines saignantes, livide, et ilcroyaits'être donné un effort.

Décidémentla gymnastiquene convenaitpas à deshommesde leur âge ils l'abandonnèrent, n'osaient

plusse mouvoirpar craintedes accidents, et ils res-

taient tout le long du jour assis dans le muséum, àrêver d'autres occupations.

Cechangement d'habitudes influasur la santé deBouvard.Ildevint très lourd, soufflaitaprès ses re-pas comme un cachalot, voulut se faire m~grir,mangea moins, et s'&uaiblit.

Pécuchet, également, se sentait « miné », avaitdes démangeaisonsà la peau et des plaques danslagorge. « Çane va pas, disait-il, ça ne va pas. »

Bouvardimaginad'aller choisirà l'auberge quel-

quesbouteillesde vin

d'Espagne,afin de se remon-

ter la machine.Commeil en sortait, le clercde Marescotet trois

hommes apportaient à Beljambeune grande tablede noyer « Monsieur» l'ecfremerciait beaucoup.Elle s'était partaitement conduite.

Bouvardconnut ainsi la modenouvelledes tablestournantes. Il en plaisantale clerc.

Cependant,par toute l'Europe, en Amérique, enAustralieet dans les Indes, des millions de mortelspassaient leur vie à faire tourner des tables, eton découvrait la manière de rendre les serins

pro-phètes, de donnerdes concertssans instruments, decorrespondreau moyen des escargots. La Presse,

Page 254: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 254/405

BOUVARD ETP&CUCMKT. 249

offrantavecsérieux cesbourdes aux public,le ren-forçaitdans sa crédulité.

Les esprits-frappeursavaientdébarqué au châteaudeFaverges,de là s'étaientrépandusdans le village,

et le notaire principalementles questionnait.Choquédu scepticismede Bouvard,il convia les

deuxamisà une soiréede tables tournantes.Était-ceun piège?M°*"Bordinsetrouveraitlà. Pé-

cuchet,seul, s'y rendit.Il y avaitcommeassistantsle maire, le percepteur,

le capitaine, d'autres bourgeois et leurs épouses,M""Vaucorbeil,M"' Bordineffectivement de plus,une ancienne sous-maîtresse de M"" Marescot,M""Laverrière, personne un peu louche avec descheveuxgris tombant en spirales sur les épaules,à.la façon de i83(L Dans un fauteuil se' tenait uncousinde Paris, costumé d'un habit bleu et l'airimpertinent.

Les deuxlampes

de bronze,l'étagère

decuriosités,desromances à vignette sur le piano, et des aqua-

rellesminuscules dans des cadres exorbitants fai-saienttoujours l'étonnement de Chavignolles.Maiscesoir-làles yeuxse portaientverslà tabled'acajou.Onl'éprouveraittout à l'heure, et elle avaitl'impor-tancedes chosesqui contiennentun mystère.

Douzeinvitésprirent place autour d'elle, les mainsétendues,les petits doigts se touchant. On n'enten-dait que le battement de la pendule. Les visagesdénotaientune attentionprofonde.

Aubout de dix minutes, plusieurs se plaignirentdefourmillementsdans les bras. Pécuchetétait in-

commodé.

Page 255: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 255/405

BOtLiYARDMTl'&CUCitt-i.2SO

t<Vouspoussez dit le capitaineà Foureau.Pas du tout 1Sifait i

Ah Monsieur »Le notaire les calma.A forcede tendre l'oreille, on crut distinguerdes

craquements de bois. Illusion Rien ne bougeait.L'autre jour, quand les familles Aubert et Lor-

meau étaient venuesde Lisieux et qu'on avaitem-prunté exprèsla tablede Beljambe,tout avaitsi bienmarché Mais celle-là aujourd'hui montrait un en-têtement Pourquoi?

Le tapis sans doutela contrariait, et on passadansla salle à manger. <

Le meublechoisi fut un large guéridonoù s'ins-tallèrent Pécuchet, Girbal, M' Marescot, et soncousin M. Alfred.

Le guéridon,qui avait des roulettes,glissaversladroite les opérateurs, sans déranger leurs doigts,suivirent son mouvement, et de lui-même il fit en-core deuxtours. Onfut stupéfait.

AlorsM. Alfredarticula d'une voixhaute« Esprit,comment trouves-tu ma cousine? xLe guéridon, en oscillant avec lenteur, frappa

neuf coups.D'après une pancarte, où le nombre des coups

se traduisait par des lettres, cela signifiait« char-mante ».' Desbravos éclatèrent.

Puis Marescot,taquinant MmeBordin, somma l'es-

pritde déclarer

l'âgeexact

qu'elleavait.

Le pied du guéridon retomba cinq<fois« Comment? cinqans s'écriaGirbal.

Page 256: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 256/405

BOCVAKDETPÉCUCHET. 2SI

Les dizaines ne comptent pas, » reprit Fou-feau.

La veuve sourit, intérieurement vexée.Les réponses aux autres questions manquèrent,

tant l'alphabet était complique. Mieuxvalait la plan-chette, moyen expéditif et dont M""Layerrière s'é-tait même servie pour noter sur un album lescommunications directes de Louis XII, Clémence

Isaure, Franklin, Jean-Jacques Rousseau, etc. Cesmécaniques se vendaient rue d'Aumale M. Alfreden promit une, puis s'adressant à la sous-maîtresse

« Maispour le quart d'heure, un peu de piano,n'est-ce pas ? Une mazurke »

Deux accords plaqués vibrèrent. Il prit sa cou-sine à la taille, disparut avec elle, revint. On étaitrafraîchipar le vent de la robe qui frôlait les portesen passant. Elle se renversait la tête, il arrondissaitson bras. On admirait la grâce de l'une, l'ait frin-

gant de l'autre et, sans attendre les petits fours,Pécuchet se retira, ébahi de la soirée.

Il eut beau répéter « Mais j'ai vu j'ai vu »Bouvard niait les faits et néanmoins consentit à ex-périmenter lui-même.

Pendant quinze jours, ils passèrent leurs après.midi,en facel'un de l'autres les mains sur une table,puis sur un chapeau, sur une corbeille, sur desassiettes. Tous ces objets demeurèrent immobiles

Le phénomène des tables tournantes n'en est pasmoins certain. Le vulgairo l'attribue à des esprits,Faraday au prolongement de l'action nerveuse,Chevreulà l'inconscience des efforts, ou peut-être,comme admet Ségouin, se dégage-t-il de l'assem-

Page 257: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 257/405

BOUVAR~ KTPÉCUCHI.T.SS2

blage des personnes une impulsion, un courantma-gnétique?

CettehypothèseSt rêver Pécuchet.H prit danssabibliothèquele « Guidedu magnétiseurpar Mon-tacabère, le relut attentivement,et initia Bouvard&

i

la théorie.Touslescorps animés reçoiventet communiquent

l'influencedes astres.Propriété analogue

à la vertudel'aimant. En dirigeantcette force on peut guérirles malades, voilà le principe. La science, depuisMesmer,s'estdéveloppée, mais ilimportetoujoursde verser le fluide et defaire des passes qui, pre-mièrement, doiventendormir.

« Eh bien, endors-moi dit Bouvard.Impossible, répliqua Pécuchet, pour subir

l'actionmagnétiqueet pour la transmettre, la foiestindispensable.?

Puis considérantBouvard

« Ah1 queldommage.Comment?Oui,si tu voulais,avecun peu de pratique,il

n'y aurait pas de magnétiseurcommetoi M»Caril possédait tout ce qu'il faut l'abord préve-

t~ant,une constitutionrobusteet un moralsolide.Cettefaculté qu'on venait de lui découvrirNatta

Bouvard.Il se plongea sournoisementdans Montaca-bere.

Puis, commeGermaineavaitdes bourdonnement?d'oreillesqui l'assourdissaient,il ditun soir d'un ton

négligé« Sion essayaitdu magnétisme? MElle ne s'y refusa pas. I! s'assit devant elle, lui

Page 258: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 258/405

BOUVARD ET PÉCUCHET. 253

15

pritles deux pouces dans ses mains et la regardacernent, commes'il n'eût fait autre chosede toute

vie.Labonne femme, une chaufferettesous les talons,

commençapar fléchirle cou ses yeux se fermèrentet, tout doucement, elle se mit a ronfler. Au boutd'uneheure qu'ils la contemplaient, Pécuchetdit à

voixbasse« Que sentez-vous?»Ellese réveilla.Plus tard sans doutela lucidité viendrait.Cesuccèsles enhardit, et, reprenant avecaplomb

l'exercicede la médecine,ils soignèrent Chamberlanlebedeau,pour ses douleursintercostales,Migrainele maçon, affecté d'une névrose de l'estomac, lamèreVarin, dont l'encéphaloïdesous la claviculeexigeait,pour se nourrir, des emplâtresde viandeetungoutteux,le père Lemoine,qui se tratnaitaubord

descabarets, un phtisique, un hémiplégique, biend'autres.Ils traitèrent aussi des corizaset des enge-lures.

Après l'exploration de la maladie, ils s'interro-geaientdu regard pour savoirquelles passes em-ployer,si ellesdevaientêtre à grands ouà petits cou-rants,ascendantesou descendantes, longitudinales,transversales,biditiges, triditiges ou même quindi-tiges.Quandl'un en avait trop, l'autre le remplaçait.Puis,revenuschezeux, ils notaient les observations~urle journal du traitement.

Leur?manières onctueuses captèrent le monde.Cependantonpréférait Bouvard,et sa réputationpar-vint jusqu'à Falaise, quand il eut guéri la Barbée, la

Page 259: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 259/405

BOUVARDET PÉCUCHET.254

filledupère Barbey,un anciencapitaineaulongcours.Ellesentaitcommeun clouà l'occiput,parlaitd'one

voi~trauque, restait souvent plusieurs jours sansmanger, puis dévoraitdu plâtre ou du charbon.Sescrises nerveuses, débutant par des sanglots, se ter-minaientdansun fluxde larmes et on avaitpratiquétous lesremèdes,depuisles tisanes jusqu'aux moxas,

si bien que, par lassitude,elle

acceptales offresdeBouvard.Quandil eut congédié la servante et pousséles

verrous, il se mit a frictionnersonabdomenen ap-puyantsurla place des ovaires.Unbien-être sema-

nifestapar des soupirs et des bâillements.'Hlui posaun doigt entre les sourcils au haut du nez toutà'coup elle devintinerte. Sionlevait ses bras, ilsre-tombaient sa tête garda les attitudes qu'il voulut,et les paupières à demicloses, envibrant d'un mou-vementspasmodique,laissaientapercevoirlesglobes

desyeux, qui roulaient avec lenteur ils se nxèrentdans les angles, convulsés.Bouvardlui demandasi elle souffrait elle répon-

dit que non ce qu'elle éprouvait maintenant? elledistinguaitl'intérieur de son corps.

« Qu'yvoyez-vous?Un ver.Quefaut-il pour le tuer ?

Son front se plissa« Je cherche. ~je ne peuxpas, je ne peuxpas.A la deuxièmeséance, ellese prescrivit un bouil-

!on d'orties à la troisième, de l'herbe au chat.Lesjcrises s'atténuèrent, disparurent. C'était vraimentcommeun miracle.

Page 260: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 260/405

BOUVARDET PÉCUCHET. 2S5

L'addigitationnasale ne réussit point, avec lesautres,et, pour amenerle somnambulisme,ils pro-

 jetèrentde construire un baquet mesmérien. DéjàmêmePécuchetavait recueillide la limaille et net-

toyéune vingtainede bouteilles,quand un scrupulel'arrêta.Parmiles malades, ilviendraitdespersonnesdusexe.

« Et que ferons-nous s'il leur prend des accèsd'érotismefurieux? »Celan'eût pas arrêté Bouvard mais à cause des

potinset du chantagepeut-être, mieux valait s'abs-tenir.Ils se contentèrent d'un harmonica et le por-taientaveceux dans les maisons, ce qui réjouissaitlesenfants.

Un jour que Migraineétait plus mal, ils y recou-rurent. Les sons cristallins l'exaspérèrent maisDeleuzeordonne de ne pas s'effràyerdes plainteslamusiquecontinua.

«Assez assez criait-il.Un peu de patience, » répétait Bouvard.Pécuchettapotaitplus vite sur les lames de verre,

et1 instrumentvibrait, etle pauvrehomme hurlait,quandle médecin parut attiré par le vacarme

« Comment.,encore vous? Ms'écria-t-il, furieuxdelesretrouver toujours chezses clients.

Ils expliquèrent leur moyenmagnétique.Alors iltonnacontre le magnétisme, un tas de jongleries,etdontles effetsproviennentde l'imagination.

Cependanton magnétisedesanimaux.Montacabère

l'affirme,et M. Fontaine est parvenu à magnétiserune lionne. Ils n'avaient pas de lionne, mais lehasardleur offritune autrebête.

Page 261: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 261/405

BOUVARD ET PÉCUCHET.2S6Carle lendemainà sixheures, un valetde charrue

vint leur dire qu'on les réclamait la ferme, pourune!vachedésespérée.

Ils y coururent.Les pommiers étaient en fleurset l'herbe, dansla

cour, fumait sous le soleil levant. Au bord de lamare, à demi couverte d'un drap, une vachebea-

glait, grelottantedes seauxd'eau

qu'onlui

 jetaitsur

le corps, et, démesurémentgon&ée,elle ressemblaità un hippopotame.

Sansdoute elle avaitpris du «venin Men pâturantdans les trèNes.Le père et la mère Gouy se déso-laient, car le vétérinaire ne pouvait ve~ir, et uncharronqui savaitdesmots contre l'enflure ne vou-lait pas se déranger mais ces messieurs dont labibliothèque était célèbre, devaient connaître unsecret.

Ayant retroussé leurs manches, ils se placèrent,

l'un devantles cornes, l'autre à la croupe, et avecdegrands eohrts intérieurs et une gesticulation fréné-tique, ils écartaientles doigtspour épandre surl'ani-mal desruisseaux de fluide, tandis que le fermier,son épouse, leur garçon et des voisins les regar-daient presque enrayés.

Les gargouillements que l'on entendait dans leventre de la vache provoquèrent des borborygmesau fond de ses entrailles. Elle émit un vent. Pécu-chet dit alors

« C'est une porte ouverte à l'espérance, un dé-

bouché, peutêtre. »Le débouchés'opéra, l'espérance jaillit dans untaquetde matières jaunes éclatantavecla forced'un

Page 262: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 262/405

BOUVARD ET PÉCUCHET. 257

obus.Lescœursse desserrèrent, la vache dégonna.Uneheure après, il n'y paraissaitplus.

C~n'étaitpasl'effetde l'imagination,certainement.Doncle fluidecontientune vertu particulière.Elleselaisseenfermer dans des objets où on ira la prendresansqu'ellese trouveaffaiblie.Untel moyenépargnedesdéplacements.Ils l'adoptèrent, et ils envoyaientà leurspratiques des jetons magnétisés, des mou-

choirsmagnétisés, de l'eau magnétisée, du painmagnétisé.

Puis,continuant leurs études, ils abandonnèrentlespassespour le systèmede Puységur, quiremplacelemagnétiseurpar un vieil arbre, au tronc duquelunecordes'enroule.

Un poirier dans leur masure semblait fait toutexprès.Ilsle préparèrent en l'embrassantfortementàplusieursreprises. Unbanc fut établi en dessous.Leurshabitués s'y rangeaientet ils obtinrent desré-sultatssi merveilleuxque, pour enfoncerVaucorbeil,ilsieconvièrentàune séance,aveclesnotablesdupays.

Pasun n'y manqua.Germaineles reçut dans la petite salle, en priant

«defaireexcuse», ses maîtres allaient venir.Detemps à autre, on entendait un coup de son-

nette.C'étaientdes maladesqu'elle intruduisait.ail-leurs.Les invités se montraient du coude les fe-nêtrespoussiéreuses, les taches sur le lambris, lapeintures'éraillant et le jardin était lamentabte.Duboismort partout Deux bâtons, devantla brèchedu

mur,barraient le

verger.Pécuchetse présenta t«A.vos ordres,Messieursa »

Page 263: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 263/405

BOUVARD NT PECUCHET.2S~

Et l'on vit au fond, sous le poirier d'Édouin,plu-sieurspersonnesassises.

Chamberlan,sans barbe, commeun prêtre, et ensoutaneIJede lasting avec une calotte de cuir, s'a-bandonnaità desfrissons occasionnéspar sa douleurintercostale Migraine,souffranttoujours de l'esto-mac, grimaçait près de lui. La mère Yarin, pour

cachersa tumeur, portait un châleà plusieurs tours.Le père Lemoine,pieds nus dans des savates,avaitses béquilles sous les jarrets, et la Barbée, en cos-tume des dimanches, était pâleextraordinairement.

De l'autre côtéde l'arbre, ontrouva d'antresper-sonnes une femme à figured'albinosépdngeaitlesglandes suppurantes de son cou. Le visage d'unepetite fille disparaissaità moitiésous des lunettesbleues. Unvieillard, dont une contracturedéformaitl'échiné, heurtait de ses mouvementsinvolontairesMarcel,une espèce d'idiot, couvertd'une blouseen

loqueset d'un pantalonrapiécé.Sonbec-de-lièvremalrecousulaissait voirses incisives,et deslingesembo-belinaient sa joue, tuméfiéepar une énormefluxion.

Toustenaient à la mainune ficelledescendantde1'arbre,et des oiseaux chantaient l'odeur du gazon

attiédi sproulait dans l'air. Le soleilpassaitentrelesbranches. Onmarchaitsur de lamousse.

Cependant les sujets, au lieu de dormir, ëcarqu!laient'leurs paupières.

« Jusqu'àprésent, ce n'est pas drôle, ditFoareau.Commencez, je m'éloigneune minute; »

Et il revint, en fumant dansun ÂM-ol-kader,restedernier dela porte aux pipes.Pécuchet se rappela un excellent moyende ma-

Page 264: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 264/405

BOUVARD ET PÉCUCHET. 259

gnétisation.Il mit dans sa bouche tous les nez desmaladeset aspiraleur haleinepour tirer à lui l'électricité, et en même temps Bouvardétreignaitl'arbre,danslebut d'accroîtrele fluide.

Le maçon interrompit ses hoquets, le bedeau futmoins agité, l'homme à la contracture ne bougeaplus. Onpouvait maintenant s'approcherd'eux, leurfairesubir toutes les

épreuves.Le médecin, avecsa lancette, piqua sousl'oreilleChamberlan,qui tressaillitun peu. Lasensibilitéchezlesautres fut évidente; le goutteuxpoussa un cri.Quantà la Barbée,elle souriaitcommedansun rêve,etun filetde sang lui coulaitsous la mâchoire.Fou-reau,pour l'éprouverlui-même,voulut saisirla lan-cette,et le docteurl'ayantrefusée,il pinça la maladefortement.Lecapitainelui chatouillales narines avecune plume, le [percepteurallait lui enfoncer une

épinglesousla peau.«

Laissez-ladonc,dit

Vaucorbeil,rien

d'étonnant,aprèstout une hystérique le diabley perdrait sonlatin J

Celle-là, dit Pécuchet, en désignantVictoire,lafemme scrofuleuse, est un médecin elle recon-naîtles affectionset indique les remèdes.»

Langloisbrûlait de la consultersur son catarrheiln'osa mais Coulon, plus brave, demandaquelquechosepour ses rhumatismes.Pécuchet lui mit la main droite dans la main

gauchede Victoire,et, les cilstoujoursclos, les pom-

mettesun peu rouges, les lèvres frémissantes,lasomnambule,après avoirdivagué,ordonnadu « va"mmbécumM.».

Page 265: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 265/405

260 BOMVARDRT P&CUCHKT.

Elleavait servià Bayeuxchezun apothicaire.Vau-corbeil en inféra qu'elle voulait dire « de l'albumgrsecummot entrevu,peut-être, dansla pharmacie.

Puis il aborda le père Lemoine, qui, selon Bou-vard, percevaitles objets à travers les corpsopaques.

C'étaitun ancien maîtred'écoletombédansla cra-pule.Descheveuxblancs s'éparpillaientautour de safigure,et, adossécontre l'arbre, les paumesouvertes,

il dormait en plein soleil, d'une façon majestueuse.Le médecin attacha sur ses,paupières une double

cravate,et Bouvard, lui présentant un journal, ditimpérieusement:

« Lisez »Il baissale front, remua les muscles de Sa face,

puis se renversa la tête et finitpar épeler« Cons-ti-tu-tion-nel.»Maisavec de l'adresseon fait glissertous lesban-

deauxCesdénégationsdu médecinrévoltaientPécuchet.

Ms'aventura jusqu'à prétendre que la Barbée pou-vaitdécrire ce qui se passaitactuellement dans sapropremaison.

« Soit, » répondit le docteur.Et, ayant tiré sa montre« Àquoi ma femme s'occupe-t-elle? »LaBarbéehésita longtemps puis, d'un air maus-

sade« Hem quoi? Ah j'y suis Ellecoud desrubans

à un chapeaude paille. »Yfucorbeil arracha une feuille de son

calepinet

écrivit un billet, que le clerc de Marescots'em-pressa de porter.

Page 266: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 266/405

BOUVARDET PËCUCHËt. 261

M.

La séanceétaitnnie. Lesmalades s'en allèrent.Bouvard et Pécuchet, en somme, n'avaient pa~

réussi.Celatenait-ilà la température ou&l'odeur dutabac, ou au parapluie de l'abbé Jeufroy, qui avaitunegarniture de cuivre, métalcontraireà l'émissionfluidique?

Vaucorbeilhaussa les épaules.

Cependantil ne pouvaitcontesterla bonne foi deMM.Deleuze, Bertrand, Mor'n, Jules Cloquet. Or,cesmaîtres affirmentque des somnambulesontpré-dit des événements, subi, sans douleur, des opéra-tions cruelles.~1

L'abbé rapporta des histoiresplus étonnantes.Unmissionnaire a vu des brahmanes parcounr unevoutela tête en bas, le Grand-Lamaau Thibet sefend les boyaux, pour rendre desoracles.

« Plaisantez-vous? dit le médecin.Nullement1

Allonsdonc Quellefarce »Et la question se détournant, chacun produisedesanecdotes.

« Moi, dit l'épicier, j'ai eu un chien qui était tou- jours malade quand le moiscommençaitpar un ven-dredi.

-Nous étions quatorzeenfants, reprit le juge depaix.Je suis né un 14, mon mariageeut lieu un i4etle jour de ma fête tombe un i4 1 Expliquez-moiça. »

Beljambeavait rêvé, bien des fois, la nombre des

voyageursqu'il aurait le lendemain à son auberge,et Petit conta le souper de Cazotte.Le curéalors fit cette rénexion

15.

Page 267: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 267/405

BOUVARD ET P&CUCHET.2<t2

«Pourquoinepasvoirladedans,toutsimplement.Les démons, n'est-ce pas? » dit Yaucorbeil..

L'abbé,au lieu de répondre, eut un signe de tête.Marescotparla de la Pythie de Delphes.« Sans aucun doute, des miasmes.

Ah le~miasmes, maintenantMoi,j'admets un fluide, reprit Bouvard.

Nervoso-sidéral,ajouta Pécuchet.Mais prouvez-le montrez-le votre fluideD'ailleurslesfluidessont démodés écoutez-moi,o

Vaucorbeilalla plus loin se mettre à l'ombre. Lesbourgeois le suivirent.

wSi vousditesà un enfant « Je suisun ~oup, jevaiste manger, » il se figureque vousêtes un loupet il a peur c'est doncun rêve commandépar desparoles. Demême le somnambuleacceptelesfantai-sies que l'on voudra. Il se souvientetn'imagine pas,obéit toujours, n'a que dessensationsquand il croit

penser. Decette manière, des crimes sontsuggéréset des gens vertueuxpourront se voir bêtes féroceset deveniranthropophages.»

On regarda Bouvard et Pécuchet. Leur scienceavaitdes périls pour la société.

Le clerc de Marescotreparut dans le jardin, enbrandissant une lettre de M"' Vaucorbeil.

Le docteur la décacheta, pâ~t et enfin lut cesmots

« Je coudsdesrubans à un chapeaude paille. »La stupéfactionempêchade rire.

« Une coïncidence,parbleu Çano prouverien. aEt commeles deux magnétiseursavaientun air de

triomphe, il se retourna sousla portepour leur dire

Page 268: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 268/405

BOUVARD ET PÉCUCHET. 263

« Ne continuez plus ce sont des amusementsdangereux,! »

Le curé, en emmenantson bedeau, le tança ver-tement.

« JÏtes-vousfou sans ma permission Des ma-nœuvresdéfendues par l'Eglise M»

Tout le monde venait de partir Bouvardet Pécu-chet causaient sur le vigneau avec l'instituteur,

quandMarceldébusqua du verger, la mentonnièredéfaite, et il bredouillait

« Guéri guéri Bonsmesssieurs1Bien 1 assez laisse-nous tranquillesÏAh bons messieurs, je vous aime serviteur s

Petit, hommede progrès, avait trou-vél'explicationdumédecin terre a terre, bourgeoise.La scienceest

un monopole aux mains des riches. Elle exclut lepeuple à la vieille analyse du moyen âge, il est

temps que succède une synthèse large et prime-sautière Laventé doit s'obtenir par le coeur,et, se

déclarant spiritiste, il indiqua plusieurs ouvrages,défectueux sans doute, mais qui étaient le signed'une aurore.

Ils se les firent envoyer.Le spiritismepose en dogme l'amélioratioufatale

de notre espèce.Laterre un jour deviendrale ciel,et c'est pourquoi cette doctrine charmait l'institu-teur. Sansêtre catholique, elle se réclame de saintAugustin et de saint Louis. AUan-Kardecpubliemême des fragments dictés par eux et qui sont auniveau des

opinions contemporaines.Elle est

pra-tique, bienfaisanteet nous ~vèle, commele téles-cope,les mondes supérieurs.

Page 269: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 269/405

BOUVARDET PÉCUCHET.264

Lesesprits, après la mort et dans l'extase, y sonttransportés. Mais quelquefois 'ils descendent surnotre globe, où ils font craquer les meubles, se mê-lent à nos divertissements,goûtent les beautés de lanature et les plaisirsdesarts.

Cependantplusieurs d'entre nous possèdent unetrompe aromale, c'est-à-dire derrière le crâne un

.longtuyau quimonte

depuisles cheveux

 jusqu'auxplanèteset nouspermet de converseravecles espritsde Saturne; les choses intangibles n'en sont pasmoins réelles, et dela terre auxastres, des astres ala terre, 'c'estun va-et-vient, une transmission, unéchange continu. <

Alorsle cœur de Pécuchet se gonûa d'aspirationsdésordonnées,et, quand la nuit était venue,Bouvardle surprenait à sa fenêtre contemplant ces espaceslumineux qui sont peuplésd'esprits.

Swedenborgy a fait de grands voyages. Car, en

moins d'un an, il a exploré Vénus,Mars, Saturne etvingt-troisfois Jupiter. De plus, il a vu à LondresJésus-Christ,il a vu saint Paul, il a vu saint Jean, il&vu Moïse, et, en d736, il a même vu le jugementdernier.

Aussinous donne-t-ildesdescriptionsdu ciel.Ony trouvedes fleurs, des palais, des marchéset

des églisesabsolumentcommecheznous.Les anges, hommes autrefois, couchent leurs

penséessur des feuillets,devisentdes chosesdu mé-

nage ou bien de matières spirituelles, et les emplois

ecclésiastiquesappartiennent à ceux qui, dans leurvie terrestre, ont cultivél'Écrituresainte.Quantà l'enfer, il est plein d'une odeur nauséa-

Page 270: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 270/405

BOUVARD ET PÉCUCHET. 265

bonde, avecdes cahutes, des tas d'immoudices,desfondrières,des personnesmal habillées.

Et Pécuchets'abîmait l'intellectpour comprendrece qu'il y a debeau dans cesrévélations.Ellesparu-rent à Bouvard le délire d'un imbécile. Tout cela

dépasseles bornes de la nature Quiles connaît ce-

pendant? Etils se livrèrentauxréflexionssuivantesDes bateleurs

peuventillusionnerune

fouleun

homme ayant des passions violentes en remuerad'autres maiscommentla seule volonté agirait-ellesur de la matière inerte? Un Bavarois, dit-on,mûritles raidns M.Gervaisa ranimé unhéliotropeun plus fort, à Toulouse, écarte les nuages.

Faut-il admettre une substance intermédiaireentre le mondeet nous? L'od, un nouvel impondé-rable, une sorte d'électricité, n'est pas autre chosepeut-être? Sesémissionsexpliquent la lueur que lesmagnétisés croient voir: les feuxerrants des cime-

tières, la formedes fantômes.Cesimages ne seraient done pas une illusion, etles dons extraordinairesdes possédés,pareilsà ceuxdes somnambules,auraientune causephysique?

Quellequ'en soit l'origine, il y a une essence,unagent secret et universel. Si nons pouvionsle tenir,on n'aurait pas besoinde la force, de la durée. Cequi demande des siècles se développerait en uneminute toutmiracle serait praticable et l'univers ànotre disposition.

La magie provenait de cette convoitiseétemelle

de l'esprit humain. Ona, ~ns doute, exagérésa va-leur, mais elle n'est pas un mensonge.Des Orien-taux qui connaissent exécutent des prodiges.

Page 271: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 271/405

BOUVARD BT PÉCUCHET.266

tous les voyageursle déclarent, et au Palais-RoyalM.Dupotettroubleavecsondoigtl'aiguilleaimantée.

Commuentdevenir magicien? Cette idée leur pa-rut folle d'abord, mais elle revint, les tourmenta,et ils y cédèrent, tout enaffectantd'en rire.

Unrégimepréparatoireest indispensable.Afinde mieux s'exalter, ils vivaientla nuit, jefl-

naient, et, voulant faire de Germaineun médiumplus délicat, rationnèrent sa nourriture. Elle se dé-dommageait sur la boisson, et but tant d'eau-de-viequ'elle acheva promptement de s'alcooliser.Leurspromenades dans le corridor la réveillaient. Elleconfondaitle bruit de leurs pas avec sesbqurdon-nements d'oreilles et les voix imaginaires'qu'elleentendait sortir desmurs. Un jour qu'elle avaitmis,le matin, un carrelet dans la cave, elle eut peur enle voyant tout couvert de feu, se trouva désormais

plus mal et finit par croire qu'ils lui avaient jeté unsort.

Espérantgagner des visions, ils se comprimèrentla nuque réciproquement, ils M firent des sachetsde belladone, enfinils adoptèrent la bottemagiqueune petite botte d'où s'élève un champignonhérisséde clouset que l'on garde sur le cœurpar le moyend'un ruban attachéà la poitrine. Tout rata maisilspouvaientemployerle cercle de Dupotet.

Pécuchet, avecdu charbon,barbouilla sur le solune rondelle noire afin d'y enclore les esprits ani-maux que devaient aider les esprits ambiants, et

heureux de dominerBouvard,il lui dit d'un air pon-tincal« Je te défiede le franchir1 »

Page 272: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 272/405

BOUVARD ETF&CUCHET. 267

Bouvardconsidéracette place ronde. Bientôtsoncoeurbattit, ses yeux se troublaient.

« Âh Unissons M»Et il sauta par-dessuspour.fuir un malaiseinex-

primable.Pécuchet, dont l'exaltationallait croissant, voulut

faireapparaîtreun mort.

Sousle Directoire,un homme, rue de l'Échiquier,montraitles victimesdela Terreur. Les exemplesderevenantssont innombrables. Quece soit une appa-rence,qu'importe il s'agit de la produire.

Plusle défunt nous touche de près, mieux il ac-court à notre appel mais il n'avait aucune reliquede sa famille, ni bague, ni miniature, pas un che-veu, tandis que Bouvardétait dans les conditionsàévoquerson père; et comme il témoignait de la ré-

pugnance,Pécuchetlui demanda« Que crains-tu?

Moi? Oh 1riendu tout Fais ce que tu vou-dras' MIls soudoyèrent Chamberlan,qui leur fournit en

cachetteune vieilletête de mort. Uncouturier leurtailladeux houppelandes noires, avec un capuchoncommeà la robe de moine. La voiture de Falaiseleur apporta un long rouleau dans une enveloppe.Puisils se mirent à l'œuvre, l'un curieuxde l'exécu-ter, l'autre ayant peur d'y croire.

Le muséum était tendu comme un catafalque.Troisflambeaux brûlaient au bord de la table pous-

séecontre le mur, sousle portrait du père Bouvardque dominait la tête de mort. Ils avaient mômefourré une chandelle dans l'intérieur du crâne,

Page 273: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 273/405

BOUVARDET PÉCUCHET.268

et des rayons se projetaient par les deux orbites.Au milieu, sur une chauuerette, de l'encens fu-

mait. Bouvard se tenait derrière; et Pécuchet, luitournant le dos, jetait dans l'âtre des poignées desoufre.

Avant d'appelerun mort, il faut le consentementdes démons. Or, ce jour-là étant un vendredi,

 jour qui appartient à Béchet on devaits'occuperde Béchet premièrement. Bow~d ayant salué dedroite et de gauche, néchi le ~lenton et levé lesbras, commença:

« Par Ëthaniel,Anazin,Ischyrps. »Il avaitoubliéle reste. <Pécuchet, bien vite, somua les mots, notés sur

un carton« tschyros, Athanatos,Adonaï,Sadal,Éloy, Mes-

siasos (la kyrielle était longue), je te conjure, jet'observe, je t'ordonne, ô Béchet H»

Puis baissant la voix« Oùes-tu, Béchet? Béchet Béchet Béchet »Bouvards'affaissadans le fauteuil, et il était bien

aise de ne pas voirBéchet,un instinct lui reprochantsa tentative comme un sacrilège. Oùétait l'âme deson père ? Pouvait-elle l'entendre? Si tout à coupelle allaitvenir ?

Les rideaux se remuaient avec lenteur, sous levent qui.eatrait par un carreaufêlé, et les ciergesbalançaient des ombressur le crâne de mort et surla figure peinte. Unecouleurterreuse les brunissait

également. Dela moisissuredévoraitles pommettes,les yeux n'avaientplus delumière, maisune flammebrillait au-dessus,dans les trous de la tête vide. Elle

Page 274: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 274/405

BOUVARD ET PÉCUCHET. 269

semblaitquelquefoisprendre la place de l'autre, po-ser sur le collet de laredingote, avoirses favoris ptla toile, à demi déclouée,oscillait, palpitait.

Peuà peu, ils sentirentcommel'effleurementd'unehaleine, l'approched'un être impalpable. Desgouttesdesueurmouillaientle frontde Pécuchet,et voilàqueBouvard se mit à claquer des dents, une crampelui serrait

l'épigastrele

plancher,commeune

onde,fuyaitsous ses talons le soufrequi brûlait dans lacheminéese rabattit à grosses volutes; des chauves-souris en même temps tournoyaient un cri s'éleva<– qui était-ce?2

Et ils ava.~ntsousleurs capuchonsdes figures tel-lement décomposéesque leur effroien redoublait,n'osant faireun geste ni même parler quand der-rière la porte ils entendirent des gémissementscommeceuxd'une âme en peine.

Enfin,ils se hasardèrent.

C'étaitleur vieille bonne qui, les espionnant parune fente de la cloison,avaitcru voirle diubte.et, àgenoux dans le corridor, elle multipliait les signesde croix.

Tout raisonnement fut inutile. Elle les quitta lesoir môme, ne voulant plus servir des gecs pa-reils.

Germainebavarda. Chamberlanperdit sa place, etil se forma contre euxune sourdecoalition entrete-nue par l'abbéJeufroy, MmeBordin et Fourcau.

Leur manière de vivre, qui n'était pas celle des

autres, déplaisait. Ils devinrent suspects et mêmeinspiraientune vague terreur.

Ce qui les ruina surtout dans l'opinion, ce fut

Page 275: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 275/405

270 BOUVARDET PÉCUCHET.

le choixde leur domestique. A défaut d'un autre,ils avaient pris Marcel.

Sonbec-de-lièvre,sa hideur et sonbaragouinécar-taient de sa personne. Enfant abandonné, il avaitgrandi au hasard dans les champs et conservaitde sa longue misère une faim irrassasiable. Lesbêtes mortes de maladie, du lard en pourriture, un

chien écrasé, tout lui convenait,pourvu que le mor-ceau fût gros, et il était doux commeun mouton,mais entièrement stupide.

La reconnaissancel'avait poussé às'oS'nr commeserviteurchezMM.Bouvardet Pécuchet et puis,les croyant sorciers, il espéraitdes gains extraordi-naires.

Dès les premiers jours, il leur confiaun secret.Sur la bruyère de Poligny, autrefois, un hommeavait trouvéun lingot d'or. L'anecdoteest rapportéedansles historiensde Falaise, ils ignoraientla suite

douzefrères, avantde partir pour unvoyage,avaientcaché douzelingotspareils, tout le long de la route,.depuisChavignolles jusqu'à Bretteville, et Marcelsupplia ses maîtres de recommencerles recherches.Ceslingots, se dirent-ils, avaient peut-être été en-fouis au moment de rémigration.

C'était le cas d'employerla baguette divinatoire.Lesvertus ensont douteuses.Ils étudièrentla ques-tion cependant, et apprirent qu'un certainPierreGarnierdonne, pour les défendre, desraisonsscien-tifiques les sources et les métaux projetteraientdes corpuscules en afSnitéavecle bois.

Celan'est guère probable. Qui sait pourtant ? Es-sayons t

Page 276: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 276/405

BOUVARD ET PÉCUCHET. 27i

Ils se taillèrent une fourchette de coudrier, etun matin partirent à la découvertedu trésor.

«II faudra le rendre, dit Bouvard.Ah non par exemple a

Apres troMheures de marche, une réflexion lesarrêta « La route de Chavignollesà Brettevilleétait-ce,l'ancienne, ou la nouvelle? Cedevait être

l'ancienne HBsrebroussèrent chemin, et parcoururent lesalentours, au hasard, le tracé de la vieilleroute n'é-tant pasfacileàreconnattre.

Marcelcourait de droite et de gauche, commeunépagneul en chasse. Toutes les cinq minutes, Bou-vard était contraint de le rappeler Pécuchetavan-çait pas à pas, tenant la baguette par les deuxbranches, la pointe en haut. Souventil lui semblaitqu'une force, et commeun cramponla tirait vers lesol, et Marcelbien vite faisait une entaille aux

arbres voisinspour retrouver la placeplus tard.Pécuchet cependant se ralentissait. Sa bouche

s'ouvrit, ses prunelles seconvulsèrent.Bouvardl'in~terpella, le secouapar les épaules il ne remua paset demeuraitinerte, absolument commela Barbée..

Puis il conta qu'il avait senti autour du cœurunesorte de déchirement, état bizarre, provenantde labaguette, sans doute et ilne voulaitplusy tou-cher.

Le lendemain, ils revinrent devant les marqueslaites aux arbres. Marcel avec une bêche creusait

des trous, jamais la fouille n'amenaitrien, et ilsétaient chaquefois extrêmementpenauds. Pécuchets'assit au bord d'un iossé et commeil rêvait,la tête

Page 277: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 277/405

BOUVARD ET PÉCUCHET.272

levée, s'efforçantd'entendre la voixdes esprits parsa trompe aromale, se demandant même s'il enavait une. il fixasesregards surla visièrede sa cas-quette l'extasede la veillele reprit. Elledura long-temps, devenait effrayante.

An-dessusdes avoines, dansun sentier, un cha-peau defeutre parut c'étaitM.Vaucorbeiltrottinant

sur sa jument. Bouvardet Marcelle hélèrent.Lacriseallaitfinir quand arrivale médecin. PourmieuxexaminerPécuchet,il lui soulevasa casquette

et apercevantun front couvert de plaques cui-vrées

«Ah ah fractus &c/~ ce sont des syphilidesmon bonhommesoignez-vous 1 diable1 ne badi-nons pas avecl'amour. »

Pécuchet,honteux, remit sa casquette, une sortede béret, bouffantsur une visièreen formede demi-lune, et dont il avaitpris le modèledans l'atlas d'A-

moros.Les paroles du docteur le stupéûèrent. Il y son-

geait, les yeux en l'air, et tout à coup futressaisi.Vaucorbeil l'observait, puis d'une chiquenaude

il'fit tomber sa casquette.Pécuchetrecouvrases facultés.« Je m'en doutais, dit le médecin, la visièrever-

nie vous hypnotise comme un miroir, et ce phéno-mène n'est pas rare chez les personnes qui consi-dèrent uncorpsbrillant avectrop,d'attention, »

Il indiqua commentpratiquer l'expériencesur des

poules, enfourcha sonbidet et disparut lentement.Une demi-lieue plus loin, ils remarquèrent unobjet pyramidajdresséà rhorizon_dans.unecourda

Page 278: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 278/405

BOUVARD ET P~COCHET. 273

ferme.Onauraitdit unegrappede raisin noir mons-trueuse, piquée de points rouges ça et là. C'était,suivantl'usage normand, un long mât garni de tra-verses où juchaient les dindes se rengorgeant ausoleil.

« Entrons. » Et Pécuchet aborda le fermier quiconsentità leur demande.

Avecdu blanc d'Espagne, ils tracèrent une ligneau milieudu pressoir, lièrent les pattes d'un dindon,puis l'étendirent à plat ventre, le bec posé surla raie. La bête ferma les yeux, et bientôt sem-bla morte. Il en fut de mêmedes autres. Bouvardlesrepassait vivement à Pécuchet, qui les rangeait decôtédès qu'elles étaient engourdies. Les gens de lafermetémoignèrent des inquiétudes. La maîtressecria, une petite fille pleurait.

Bouvarddétacha toutesles volailles.Ellesserani-maient, progressivement,mais on ne savaitpas les

conséquences. Aune

objectionun

peurêche de Pé-

cuchet le fermier empoigna sa fourche.« Filez, nom de Dieu ou je vouscrèvela pail-

lasse 1 »Ils détalèrent.N'importe le problèmeétait résolu l'extase dé-

pend d'une causematérielle.Qu'est donc h matière? Qu'est-ce que l'esprit ?

D'oùvient l'influence de l'une sur l'autre, et ré-ciproquement?*?

Pours'enrendre compte, ils firent desrecherches

dans Voltaire, dans Bossuet, dans Fénelon, etm6meils reprirent un abonnementà un cabinet delecture.

Page 279: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 279/405

274 BOUVARD ET P&CCCHET.

Lesmaîtres anciensétaient inaccessiblesparla lon-gueur des ouvres ou la difnculté de l'idiome, mais

.Jouffroy et Damiron les initièrent à la philosophiemoderne, et ils avaient des auteurs touchantcelle~u siècle passé.

Bouvard tirait ses arguments de Lamettrie, deLocke, d'tlelvétius Pécuchet, de M. Cousin,Tho-

mas Reidet Gérando.Le premier s'attachaità l'ex-périence, l'idéal était tout pour le second. Il yavaitde l'Aristotedans celui-ci, du Platon dans celui-là,

et ils discutaient.« L'âme est immatérielle! disaitl'un.

Nullement disait l'autre, la folie, le chloro-~forme, une saignéela bouleversentet puisqu'elle nepense pastoujours, elle n'est pointune substancene,faisantque penser.

Cependant, objecta Pécuchet, j'ai en moi-même quelque chose de supérieur à mon corps, et

qui parfoisle contredit.Un être dans l'être? l'homo <M'/  allonsdonc! Destendances différentesrévèlentdes motifsopposés.Voilà tout.

Maisce quelque chose, cette âme, demeureidentique sousles changementsdu dehors. Doncelleest simple, indivisibleet partant spirituelle

Si l'âme était simple, répliqua Bouvard, lenouveau-né se rappellerait, imaginerait commel'adulte. La pensée, au contraire, suit le développe-ment du cerveau. Quant à être indivisible,le par-

mm d'une rose, .uu l'&ppéti}d'un !cup, pas plu9qu'une volitionou une affirmationne se coupentendeux.

Page 280: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 280/405

BOUVARM ET PÉCUCHET. 275

–Ça n'y fait rien! dit Pécuchet, !'&me estexemptedes qualitésde la matière1

Admets-tu la pesanteur ? reprit Bouvard.Orsila matièrepeut tomber, elle peut de mômepenser.Ayanteu un commencement,notre âmedoit finir et,dépendante des organes, disparattre avec eux.

Moi, je la prétends immortelle Dieu ne peut

voufjir.Maissi Dieun'existe pas?Comment? » Et Pécuchet débita les tro~s

preuves cartésiennes a Primo, Dieu est comprisdansl'idée que nous en avons secundo, l'existencelui est possible; tertio, être fini, comment aurais-jeune idéede l'infini? et puisque nousavonscetteidée, elle nous vient de Dieu, doncDieuexiste M

II passaau témoignagede la conscience,à la tra-ditiondespeuples, au besoin d'un créateur.

« Quand je voisune horloge.

Oui1oui connu mais où est lepère de l'hor-loger?Il faut une causepourtant o

Bouvarddoutait des causes.« De ce qu'un phé-nomène succèdeà un phénomèneenconclutqu'il endérive. Prouvez-le!1

Maisle spectacle de l'univers dénote une in-tention, un plan

Pourquoi?Le mal est organisé aussi parfaite-ment que le bien. Le ver qui pousse dans la tôtedumoutonet lefaitmourir, équivaut,commeanatomie,

au mouton lui-même. Les monstruositéssurpassentles fonctions normales. Le corps humai?: pouvaitêtre mieuxbâti. Les troisquarts du globe .sont sté-

Page 281: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 281/405

BOCVARD ET PÉCUCHET.276

riles. LaiLune, ce lampadaire, ne se montre pastoujours Crois-tul'Océan destiné aux navires, etle bois des arbres au chauffagede nos maisons? »»

Pécuchet répondit:« Cependant l'estomac est fait pour digérer, la

 jambe pour marcher, l'oeilpour voir, bien qu'on aitdes dyspepsies, des fractures et des cataractes. Pasd'arrangements sans but Les effets surviennentactuellement, ou plus tard. Tout dépend des lois.Doncil y a des causesfinales. »

Bouvardimagina que Spinosapeut-être lui four-nirait des arguments, et ilécrività Dumouchelpouravoirla traductionde Saisset.

Dumouchelluienvoyaun exemplaire,appartenanta sonamile professeurVarelot,exiléau2 Décembre.

L'éthiqueles effrayaavecses axiomes, ses corol-laires. Ils lurentseulementlesendroitsmarquésd'uncoupde crayon, et comprirentceci

La substanceest cequi

est desoi, par soi,

sanscause, sans origine. Cettesubstance est Dieu.

Il est seul l'étendue, et l'étendue n'a pas debornes. Avecquoi la borner? »»

Mais,bien qu'ellesoit inûnie, elle n'est pas l'infiniabsolu, car elle ne contient qu'un genre de perlec-tion, et l'absolu les contient tous.

Scuvent ils s'arrêtaient, pour mieuxrénéchir. Pé-cuchet absorbaitdes prises de tabac et Bouvardétaitrouge d'attention.

« Est-ce que cela t'amuse?

Ou' sans doute va toujours»»

Dieuse développeen une infinitéd'attributs, quiexpriment,chacunà samanière, l'inunitédesonch'e.'

Page 282: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 282/405

BOUVARD ET PÉCUCHET. 277

<(!rt

Nous n'en connaissons que deux: l'étendue et la

pensée.De la pensée et de l'étendue découlentdes modes

innombrables,lesquelsen contiennent d'autres.Celui qui embrasserait, à la fois, toute l'étendue

et toute la pensée n'y verrait aucune contingence,rien d'accidentel, mais une suite géométrique determes,liés entre eux par des lois nécessaires.

« Ah ce serait beau Mdit Pécuchet.Doncil n'y a pas de liberté chez l'homme, ni

chezDieu.« Tu l'entends Ms'écria Bouvard.Si Dieu avait une volonté, un but, s'il agissait

pour une cause, c'est qu'il aurait un besoin, c'estqu'il manquerait d'une perfection. Il ne serait pasDieu.

Ainsi notre monde n'est qu'un point dans l'en-sembledes choses, et l'univers impénétrableànotre

connaissance,une

portiond'une inSnité d'u-

nivers émettant près du nôtre des modiGcationsinfinies. L'étendue enveloppe notre univers, maisest enveloppéepar Dieu,qui contient dans sa pen-sée tous les univers possibles, et sa pensée elle-même est enveloppéedans sa substance.

Il leur semblait être en ballon, la nuit, par unfroid glacial, emportés d'une course sans fin, versun abîmesans fond, et sansrien autour d'eux quel'insaisissable,l'immobile,l'éternel. C'étaittropfort.Ilsy renoncèrent.

Et désirant quelque chose de moins rude, ilsachetèrent le Cours de philusuphie, a l'usage desclasses, par M. Cuosnicr.

Page 283: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 283/405

278 BOUVARD ET PÉCUCHET.

L'auteur se demande quelle sera la bonne mé-thode, l'ontologiqueou la psychologique?

L&première convenait à l'enfance des sociétés,quand l'hommeportait son attention vers le mondeextérieur. Maisà présent qu'il la replie sur lui-même, « nous croyons la seconde plus scienti-Sque », et Bouvardet Pécuchet se décidèrent pourelle.

Le but de lapsychologieest d'étudier les faits quisa passent « au sein du moi» on les découvreenobservant.

« Observons1» Etpendant quinzejours, après ledéjeuner, habituellement, ils cherchaientdans leurconscience, au hasard, espérant y fairede gaandesdécouvertes,et n'en firent aucune, ce quiles étonnabeaucoup.

Un phénomèneoccupele moi, à savoirl'idée. Dequelle nature est-elle? Ona supposéque les objetsse mirent dans le cerveau et le cerveau envoieces images à notre esprit, qui nous en donne laconnaissance.

Maissi l'idée est spirituelle, commentreprésenterla matière? Delà, scepticismequant aux perceptionsexternes. Si elle est matérielle, les objets spirituelsne seraient pas représentés? De là scepticismeenfait de notions internes.

« D'ailleurs qu'on y prenne garde cette hypo-thèse nous mènera't à l'athéisme. »

Car une image étant une chose finie, il lui est

impossiblede représenter l'infini.« Cependant, objecta Bouvard, quand je songeà une forêt, à une personne, à un chien, je vois

Page 284: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 284/405

BOUVARDETPÉCUCHET. 279

cetteforêt, cettepersonne, ce chien. Doncles idéesles représentent. »

Et ils aborderontl'origine des idées.D'aprèsLocke, il y en a deux, la sensation, la

réflexion, et Condillacréduit tout à la sensa-tion.

Maisalors, la réflexionmanquera de base. Elleabesoind'un

sujet,d'un être

sentantet elle est im-

puissante à nous fournir les grandes vérités fonda-mentales Dieu,le mérite et le démérite, le juste,le beau, etc., notions qu'on nomme MMee~c'est-à-dire antérieures aux faits, à l'expérience, et univer-selles.

« Si elles étaient universelles, nous les aurionsdèsnotre naissance.

Onveut dire, par ce mot, des dispositionsàlesavoir, et Descartes.

TonDescartespatauge car il soutient que le

foetusles possèdeet il avoue dansun autre endroitquec'est d'une façonimplicite.»Pécuchetfut étonné.« Où cela se trouve-t-il?

Dans Gérando Et Bouvardlui frappalégère-ment sur le ventre.

Finis donc » dit Pécuchet. Puis venant àCondillac « Nospensées ne sont pas des métamor-phosesde la sensation Elle les occasionne,les meten jeu. Pour les mettre en jeu, il faut un moteur.Carla nntière, de soi-même, ne peut produire le

mouvement, et j'ai trouvé cela dans ton Vol-taire, » ajouta Pécuchet, en lui faisantune saluta-tionprofonde.

Page 285: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 285/405

BOUVARD ET PÉCUCHET.aso

Ils rab&chaientainsi les mômes arguments,chacun méprisant l'opinion de l'autre, sans le con-vaincrede la sienne.

Maisla philosophie les grandissaitdans leur es-time. Ils se rappelaientavecpitié leurspréoccupationsd'agriculture, de politique.

A présent le muséumles dégoutait. Ils n'auraient

pasmieux demandé

qued'en vendre les

bibelots,et ils passèrent au chapitredeuxième desfacul-tés del'âme.

On en compte trois, pas davantage Cellede sen-tir, cellede connaître, cellede-vouloir.

Dans la facultéde sentir, distinguons la sensibi-lité physique de la sensibilitémorale.

Les sensations physiques se classent naturelle-ment en cinqespèces,étantamenéespar les organesdes sens.

Les faits de la sensibilitémorale, au contraire, ne

doiventrien au

corps.«

Qu'ya-t-il de

communentre le plaisir d'Archimèdetrouvant les loisde lapesanteur et la voluptéimmonde d'Apiciusdévorantune hure de sanglier »»

Cette sensibilité morale a quatre genres, et sondeuxième genre, « désirs moraux », se divise encinqespèces, et les phénomènesde quatrièmegenre,« affection», se subdivisenten deux autres espèces,parmi lesquelles l'amour de soi, « penchant légi-time, sans doute, mais qui, devenu exagéré, prendle nom d'égoïsme ».

Dansla facuttéde connaître, se trouvela percep-tion rationnelle, où l'on trouve deux mouvementsprincipauxet quatres degrés.

Page 286: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 286/405

BOUVARD ET PÉCUCHET. 28i

<

L'abstractionpeut offrir des écueils aux intelli-gencesbizarres.

Lamémoirefait correspondreaveclepassécommelaprévoyanceavecl'avenir.

L'imaginationest plutôt une faculté particulière?< ~e~erM.

Tant d'embarras pour démontrer des platitudes,

le ton pédantesque de l'auteur, la monotoniedes tournures « Nous sommes prêts à le recon-naître, Loinde nous la pensée, interrogeonsnotre conscience», rétoge sempiternel de Dugald-Stewart, enfin tout ce verbiage, les écœura telle-ment,que sautant par dessus la facultéde vouloir,ilsentrèrent dans la logique.

Elle leur apprit ce qu'est l'anatyse, la synthèse,l'induction,la déductionet les causesprincipalesdenoserreurs.

Presquetoutes viennent du mauvais emploi des

mots.« Le soleil se couche, le temps se rembrunit,l'hiverapproche,» locutionsvicieuseset qui feraientcroireà des entités personnelles quand il ne s'agitque d'évènementsbien simples « Je me pouvionsdetel objet, de tel axiome,de telle vérité, » illusion1ce sontles idées, et pas du tout les choses, qui res-tentdansle moi, et la rigueur du langage exige « Jeme souviensde tel acte de mon esprit par lequel

 j'aiperçu cet objet, par lequel j'ai déduit cet axiome,par lequelj'ai admiscette vérité M.

Commele terme qui désigne un accidentne l'em-brasse pas dans tous ses modes, ils iâchëf'eut den'employerque des mots abstraits, si bien qu'au

Page 287: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 287/405

BOUVARD ET PÉCUCHET.282

lieu de dire « Faisons un tour, il est temps dedîner, j'ai la colique», ilsémettaient cesphrases:« Une promenade serait salutaire. Voici l'heured'absorber des aliments. J'éprouve un besoin

1

d'exonération.Une fois maîtresde la logique, ils passèrent en

revue les différentscritériums,d'abord celuidu sens

commun.Si l'individune peut rien savoir, pourquoi touslesindividus en sauraient-ils davantage? Une erreur,fut-elle vieille de cent rniDeans, par cela mêmequ'elle es: vieillene constituepas la vérité La fouleinvariablementsuit la routine.C'est,au contraire, lepetit nombre qui mène leprogrès.

Vaut-il mieux se fier au témoignagedes sens? Ilstrompent parfois, et ne renseignent jamais que surl'apparence Lefondleur échappe.

La raisonoffreplus de garanties, étant immuable

et impersonnelle, mais pour se manifester, il luifaut s'incarner. Alors la raison devient ma raison,une règle importe peu si elle est fausse. Rien neprouve que celle-làsoit juste.

On recommande de la contrôler avec les sens;maisils peuventépaissir les ténèbres. D'unesen-sation confuse, une loi défectueuse sera induite, etqui plus tard empêcherala vue nette des choses.

Reste la morale. C'est,faire descendre Dieuau ni-~au de l'utile, comme si nos besoins étaient lamesure de l'absolu i

Quant à l'évidence, niée par l'un, sfSrm~eparl'autre, elleest à elle-mcmeson critérium.M.Cousinl'a démontré.

Page 288: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 288/405

BOUVARD ET PÉCUCHET. 283

« Je ne vois plus que la révélation, dit Bouvard.Mais,pour y croire, il faut admettre deux connais-sancespréalables celledu corpsqui a senti',celle del'intelligencequi a perçu; admettre le sens et laraison,témoignageshumainset par conséquentsus-pects.»

Pécuchetréfléchit, se croisa les bras. « Maisnous

allons tomberdansl'abîmeeSrayantdu scepticisme,»Il n'effrayait, selon Bouvard, que les pauvrescervelles.

« Merci du compliment, répliqua Pécuchet. Ce-pendant il y a des faits indiscutables. On peutatteindrela vérité dans une certaine limite. »

Laquelle? Deux et deux font-ils quatre tou-

 jours?Le contenu est-il, en quelque sorte, moindrequele contenant? Queveut dire un à peu près duvrai,une fractionde Dieu, la partie d'une cho'divisible?2

Ah1 tu n'es qu'un sophistea Et Pe<vexé,bouda pendant trois jours.

Ils les employèrent à parcourir les tables de plu-sieursvolumes. Bouvardsouriait de temps à autre,

et renouant la conversation:« C'estqu'il est difficilede ne pas douter Ainsi,

pourDieu, les preuves de Descartes, de Kantet deLeibnitzne sont pas les mêmes,et mutuellement seru'uent. 1 création du monde par les atomes,ouparun es~ demeureinconcevable.

Je me sens à la fois matière et pensée t~/uten

ignorant ce qu'est l'une et l'autre.L'impénétrabilité, la solidité, la pesanteur me pa-

raissent des mystères aussi bien que mon âme,

Page 289: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 289/405

284 BOUVARD ET PÉCUCHET.

à plus forte raison l'uniou de Famé et du corps.Pour en rendre compte, Leibnitz a imaginéson

harmonie, Malebranchela prémotion, Cudwort-huamédiateur, et Bossuety voitun miracle perpétuel,ce qui est une bêtise un miracleperpétuel neseraitplus un miracle.

EffectivementH» dit Pécuchet.

Et tousdeuxs'avouèrentqu'ils étaientlas desphi-losophes.Tant de systèmes vous embrouillent. Lamétaphysiquene sert à rien. Onpeut vivresanselle.

D'ailleurs leur gêne pécuniaire augmentait. Ilsdevaient trois barriques de vin à Beljambe,douzekilogrammes de sucre à Langlois,cent ving~francsau tailleur, soixante au cordonnier.La dépenseal-lait toujours, et maître Gouyne payaitpas.

Ils se rendirent chez Marescot, pour qu'il leurtrouvât de l'argent, soit par la vente des Écalles,oupar une hypothèquesur leur ferme, ou en aliénant

leur maison, qui serait payée en rentes viagèresetdont ils garderaient l'usuiruit. Moyen imprati-cable, dit Marescot, mais une affaire meilleure secombinait et ils seraient prévenus.

Ensuite, ils pensèrent à leur pauvre jardin. Bou-vard entreprit l'émondage de la charmille,Pécuchetla taille de l'espalier. Marcel devait fouir lesplates-bandes.

Â.ubout d'un quart d'heure, ils s'arrêtaient, l'unfermait sa serpette, l'autre déposait ses ciseaux,etils commençaieat doucementà se promener Bou-

vard, à l'ombre des tilleuls, sans gilet, la poitrineen avant, les bras nus Pécuchet, tout le long dumur, la tête basse, les mainsdans le dos, la visière

Page 290: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 290/405

BOUVARDETPÉCUCHET. 285

de sa casquette tournée sur le cou par précautionet ils marchaient ainsi parallèlement, sans mêmevoirMarcel, qui se reposant au bord de la cahute,mangeait une chiffede pain.

Dan~cette méditation,des pensées avaientsurgi;ils s'abordaient,craignant deles perdre et la méta<physiquerevenait.

Ellerevenaitàpropos

de lapluie

etdusoleil,

d'ungravierdansleur soulier, d'une fleur sur le gazon,à propos de tout.

En regardant brûler la chandelle, ils se deman-daient si la lumière est dans l'objet ou dans notreœil.Puisque desétoilespeuvent avoir disparuquandleur éclat nous arrive,nous admirons,peut-être, deschosesqui n'existent pas.

Ayant retrouvé au fond d'un gUetune cigaretteRaspail,ils l'émiettèrent sur de Fsau et le camphretourna.

Voilà donc le mouvement dans la matière undegré supérieur du mouvementamèneraitla vie.Maissi la matière en mouvementsuffisaità créer

desêtres, ils ne seraient pas si variés. Caril n'exis-tait, à l'origine, ni terres, ni eaux, ni hommes, niplantes.Qu'estdonccettematièreprimordiale,qu'onn'a jamais vue, qui n'est rien des choses du monde,et qui les a toutes produites?

Quelquefoisils avaientbesoin d'un livre. Dumou-chel, fatigué de les servir, ne leur répondait plus,et ils s'acharnaient à la question,principalementPé-

cuchet.Son besoinde vérité deveuaitune soifardente.Ému des discours de Bouvard, il lâchait le spiri-

Page 291: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 291/405

286 BOUVARD ET PÉCUCHET.

tualisme, le reprenait bientôt pour le quitter, et s'é-criait, la tête dans les mains « Oh le doute ledoute j'aimerais mieuxle néant M»

Bouvardapercevait l'insuffisancedu matérialismeet tâchait de s'y retenir, déclarant, du reste, qu'ilen perdait la boule.

Ils commençaientdesraisonnementssur une base

solide elle croulait et tout à coup plus d'idéecemme une mouche s'envole, dès qu'on veut lasaisir.

Pendant les soirs d'hiver, ils causaient dans lemuséum, au coindu feu, en regardant les charbons.Le vent qui sifflait dans le corridorfaisait tremblerles carreaux,les massesnoires des arbres se balan-çaient, et la tristesse de lanuit augmentaitle sérieuxde leurs pensées.

Bouvard, de temps à autre, allait jusqu'au boutde l'appartement, puis revenait. Les flambeauxet

les bassines contre les murs posaient sur le sol desombres obliques et le Saint Pierre, vu de profil,étalait,au plafond,la silhouette de son nez, pareilleà un monstrueux cor de chasse.

Onavait peine à circuler entre les objets, et sou-vent Bouvard, n'y prenant garde, se cognait à lastatue. Avecses grosyeux,sa lippetombante, etsonair d'ivrogne, elle gênait aussi Pécuchet. Depuislongtemps, ils voulaients'en défaire, mais, par né-gligence,remettaient cela de jour en jour.

Unsoir au milieu d'une dispute sur la monade,

Bouvard%efrappa l'orteil au pouce de saintPierre,et tournant contre lui son irritation.« II m'embête, ce coco-là: flanquons-ledehors »

Page 292: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 292/405

BOUVARDETPÉCUCHET. 287

C'étaitdifncile par l'escalier. Ils ouvrirent la fe-nêtre, et Inclinèrent sur le bord, doucement.Pécu-chet à genoux tâchade souleverses talons, pendantqueBouvardpesait sur ses épaules. Le bonhommede pierre ne branlait pas ils durent recourir à lahallebarde,comme levier, et arrivèrent enfin àl'étendretont droit. Alors, ayant basculé, il piquadansle

vide,la tiare en

avant,un bruit matre-

tentit, et le lendemain ils le trouvèrent, cassé endouzemorceaux,dans l'ancien trou aux composts.

Une heure après, le notaire entra, leur apportantuae bonne nouvelle. Une personne de la localitéavanceraitmille écus, moyennant une hypothèquesurleur ferme et commeils seréjouissaient « Par-don elle y met une clause c'est que vous luivendrezles Écalles pour 1,800fr. Le prêt sera soldéaujourd'hui même. L'argent est chezmoi dans monétude. »

Ils avaientenvie de céder l'un et l'autre. Bouvardfinitpar répondre « MonDieu. soit 1Convenu » dit Marescot.Et il leur apprit le

nomde la personne, qui était M" Bordin.« Je m'en doutais 1» s'écria Pécuchet,Bouvard, humilié, se tut.Elleou un autre, qu'importait le principalétant

de sortir d'embarras.L'argent touché (celui des Écalles le serait plus

tard), ils payèrent immédiatement toutes les notes,et regagnaient leur domicile,quand au détour des

halles,le père Gouyles arrêta.Il allait chez eux, pour leur faire part d'un mal-heur. Le vent, la nuit dernière, avait jeté bas vingt

Page 293: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 293/405

BOUVARD ET PÉCUCHET.888

pommiers dans les cours, abattu la bouillerîe, en-levé le toit de la grange. Ils passèrent le reste det'après-midià constaterles dégâts, et le lendemain,avec le charpentier, le maçon et la couvreur.Lesréparations monteraient à i,800 francs, pour lemoins.

Puis le soir, Gouy se présenta. Marianne, elle-

même, lui avait conté tout à l'heure la vente desÉcalles. Une piè~e d'un rendement magnifique, àta convenance, qui n'avait presque pas besoin deculture, le meilleur morceau de toute la fermeet il demandaitune diminution.

Cesmessieurs la refusèrent. Onsoumitle pas au juge de paix, et il conclutpour le fermier. Làpertedes EcaUes,l'acre estimé 2,000 francs, lui faisaitun tort annuel de 70, et devantles tribunauxil ga-gnerait certainement.

Leur fortune se trouvaitdiminuée. Quefaire ? Et

bientôt commentvivre ?2Ils se mirent tous les deuxà table, pleins de dé-

couragement.Marceln'entendait rien à la cuisineson diner cette fois dépassalês autres. La souperes-semblait à de l'eau de vaisselle, le lapin sentaitmauvais, les haricots étaient incuits, les assiettescrasseuseset au dessert, Bouvardéclata, menaçantde lui casser tout sur la tête.

Soyons'philosophes, dit Pécuchet, un peumoins d'argent, les intrigues d'une femme, lama-ladresse d'un domestique, qu'est-ce que tout cela?1

Tu es tropplongé dans la matièreMais quand elleme gêne, dit Bouvard.Moi, je ne l'admets pas » repartit Pécuchet.

Page 294: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 294/405

BOUVARD ET P&CUCHET. 289

M

Il avaitlu dernièrement une analysede Berkeley,et ajouta

« Je nie l'étendue, le temps, l'espace, voire lasubstance car la vraie substance, c'est l'esprit per-cevantles qualités.

-Parfait, dit Bouvard;maisle monde supprimé,les preuvesmanqueront pour l'existencede Dieu. »

Pécuchetse récria, et longuement, bien qu'il eûtun rhume de cerveau, causé par l'iodure de po-tassium, et une fièvre permanente contribuaità sonexaltation. Bouvard s'en inquiétant, fit venirlemédecin.

Vaucorbeilordonnadu sirop d'orange avec l'io-dure, et pour plus tard desbains de cinabre.

« A quoi bon? reprit Pécuchet. Un jour oul'autrelaformes'en ira. L'essencene périt pas 1

Sans doute, dit le médecin, la matière est irdestructibleCependant.

Maisnon 1 mais non1 L'indestructible,

c'estl'être. Ce corps qui est là devant moi, le vôtre,docteur, m'empêche de connaître votre personne,n'estpour ainsi dire qu'un vêtement, ou plutôt unmasque.»

Yaucorbeille crut fou« Bonsoir Soignezvotre masque a »Pécuchetn'enrayapas. Il se procura une intr Juc'

tien à la philosophiehégélienne, et voulut l'expli-querà.Bouvard.

« Tout ce qui est rationnelest réel. Hn'y à même

de réel que l'idée. Les lois de l'esprit sont les loisde l'univers, la raison de l'homme est identique àcelledeDieu. »

Page 295: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 295/405

290 BOUVARD ET PÉCUCHET~

.Bonvardfeignait de comprendre.« Donc, l'absolu,c'est à la foisle sujet et t'objet,

l'anitô où viennent se rejoindre toutes les diffé-rences. iAinsi les contradictoires sont résulus.L'ombre permet la lumière, lefroid méiéau chaud

produitla température, l'organisme ne se maintientque par la destruction de l'organisme, partout un

principequi divise, un principequi enchatne. »Il étaient sur le vigneau et ie curé passa le longde la elairevoie,sonbréviaireà la main.

Pécuchet le pria d'entrer, pour finir devant luil'expositiond'Hegelet voir un peu ce qu'il en dirait.

L'homme à la soutane s'assit près d'eux, et Pécu.chet abordale christianisme.

« Aucune religion n'a établi aussi bien cettevérité « La nature n'est qu'un moment de l'idée a»

Un momentde 1idée murmura le prêtre, stu-péfait.

Mais oui 1 Dieu,en prenant une enveloppevi-sible, a montré sonunion consubstantielleavecelle.

Avecla nature ? oh 1 oh1Par son décès, il a rendu témoignageà l'es-

sence de la mort; donc, la mortétait en lui, faisait,%utpartie de Dieu. M

L'ecclésiastiquese renfrogna.« Pasdeblasphèmesc'était pour le salutdu genre

humainqu'il a enduré les souffrances.Erreur 1 Onconsidère la mort dans l'individu,

où elle est un mal sans doute, mais relativement

aux choses, c'est différent. Neséparez pas l'espritde la matièrei

Cependant, monsieur, avant la création.

Page 296: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 296/405

BOUVARB ET PÉCUCHET i9i

Mn'y a pas eu de création. Elle a toujoursexisté. Autrement ce serait un être nouveau s'a-

 joutant à la pensée divine, ce qui est absurde. »Le prêtre se leva, des affairesl'appelaient ailleurs.« Je me flatte de l'avoir rossé dit Pécuchet.

Encore un mot! Puisque l'existence du monde n'est

qu'un passage con:inuel de la vie à la mort, et de la

mort à la vie, loin que tout soit, rien n'est. Maistout devient, comprends-tu?Oui je comprends, ou plutôt non a»

L'idéalisme à la fin exaspérait Bouvard.« Je n'en veux plus le fameux co'y!<om'embête.

Onprend les idées des choses pour les choses elles-mémes. On explique ce qu'on entend fort peu au

moyen de mots qu'on n'entend pas du tout Subs-tance, étendue, force, matière et âme. Autantd'abstraction, d'imagination. Quant à Dieu, impossi-blede savoir comment il est, si même il est Autre-

fois, il causait le vent, la foudre, les révolutions. Aprésent, il diminue. D'ailleurs, je n'en vois pasl'utilité.

-Et la morale, dans tout cela 1Ah tant pis 1Elle manque de base,«enectîvement », se dit

Pécuchet.Et il demeura silencieux, acculé dans une impasse,

conséquence des prémisses qu'il avait lui-même

posées. Ce fut une surprise, un écrasement.Bouvardne croyait même plus à la matière.

Lacertitude que rien n'existe (sidéplorable qu'ellesoit) n'en est pas moins une certitude. Peu degens sont capables de l'avoir. Cette transcendance

Page 297: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 297/405

2M BouvAaDETP&CBcnEr.

leur inspirade l'orgueil, et ilsauraientvoulul'étaler:une occasions'offrit.

Un matin, en allant acheter du tabac, ils virentunattroupement devantla porte de Langlois. Onen-tourait la gondole de Falaise, et il était questiondeTouache, un galérien qui vagabondait dans le pays.Le conducteurJ'avait rencontré à la Croix-Verteentredeux

gendarmeset les

Chavignollaisexhalèrent

unsoupir dedélivrance.Girbalet le capitaine restèrent sur la place puis

arrivale juge de paix, curieux d'avoir des rensei-gnements, et M. Marescoten toque de velours etpantouflesde basane.

Langloisles invitaà honorer sa boutique de~eurprésence. Ils seraientplus àleur aise,et, malgré leschalands et le bruit de la sonnette, ces messieurscontinuèrent&discuterles forfaitsde Touache,

« MonDieu dit Bouvard,il avaitde mauvais ins-

tincts, voilàtoutOnen triomphepar la vertu,répliquale notaire.Maissi on n'a pas devertu? ?

Et Bouvardniapositivement ? libre arbitre.« Cependant,dit le capitaine,je peux faire ce que

 je veux je suis libre, par exemple, de remuer la{ambè.

Non, monsieur, car vous avezun motif pour laremuer M»

Le capitainecherchaune réponse, n'en trouva pas.MaisGirbaldécochace trait

« Un républicainqui parle contre la liberté c'estdrôle!Histoire de rire » dit Langlois.

Page 298: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 298/405

BOUDARD ET PÉCUCHET. 293

Bouvardl'interpella« D'oùvientque vousne donnezpas votre fortuue

auxpauvres? »uL'épicier, d'un regard inquiet, parcourut toute sa

boutique.« Tiens pas si bête ja la garde pour moi!

Si vous étiez saint Vincentde Paul, vous agi-riez différemment,puisque vous auriez son carac-

tère. Vous obéissez au vôtre. Donc vous n'êtes paslibre 1

C'est une chicane », répondit en chœurl'as-semblée.

Bouvard ne bronchapas, et désignant la balancesur le comptoir

« Elle se tiendra inerte, tant qu'un des plateauxsera vide.Demême, !a volonté et l'oscillationde labalanceentre deux poidsqui semblentégaux, Ggurele travail de notre esprit, quand il déHbëre sur lesmotifs, jusqu'au moment où le plus fort l'emporte,le détermine.

–Tout cela, dit f!irbal,ne fait rienpour Touacheet ne l'empêche pas d'être un gaillard joliment vi-cieux. »

Pécuchet prit la parole« Les vices sont ues propriétés de la nature,

commeles inondations, les tempêtes. »Le notaire l'arrêta, et se haussant à chaque mot

sur la pointe des orteils« Je trouvevotre système d'une immoralitécom-

plète. Il donne carrière à tous les débordements,excuse les crimes, innocente les coupables

Parfaitement,dit Bouvard.Le malheureuxcdi

Page 299: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 299/405

MtHfVAHUMi PËC~ UMt'.294

suit ses appétits est dans son droit, commel'hon-nête hommequi écoute laraison.

Ne défendezpas les monstres 1Pourquoimonstres? Quandil naît un aveugle,

un idiot, un homicide, cela nous paraîtdu désordre,commesi l'ordre nous était connu, comme sila na-ture agissaitpour une fin J

AlorsvouscontestezlaProvidence?Oui, je la conteste

Voyezplutôt l'histoire, s'écria Pécuchet. Rap-pelez-vous les assassinats de rois, les massacresde peuples, les dissensions dans les familles, lechagrin des particuliers. » <

Et en même temps »; ajouta Bouvard, car ilssuscitaient l'un l'autre, a cette Providence soigneles petits oiseaux et fait repousser les pattes desécrevisses. Ah t si vous entendez par Providenceune loi qui règle tout, je veuxbien, et encore 1

Cependant,monsieur », dit le notaire, « il y ades principes 1Qu'est-ce que vous me chantezUne science,

d'après Condillac,est d'autant meilleurequ'elle n'ena pas besoin Ils ne font que résumer des connais-sances acquiseset nousreportent vers ces nodons,qui, précisément,sont discutables.

Avez-vous comme nous », poursuivit Pécu-chet, « scrutée fouillé les arcanes de la méta-physique ?

Il est vrai, messieurs, il est vrai a »

Et la société se dispersa.MaisCoulon, les tirant à l'écart, leur dit d'un tonpaterne qu'il n'était pa~

dévot,certainement, et

Page 300: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 300/405

BOUVARDETPÉCUCHET. 295

mêmeil détestait les jésuites. Cependant il n'allaitpas si loin qu'eux Ohnon 1 bien~ûr et au coinde la place, ils passèront devant le capitaine, quirallumaitsa pipe en grommelant

« Je fais pourtant ce queje veux,nomde Dieu »Bouvardet Pécuchetproférèrenten d'autres occa-

sions leurs abominables paradoxes. Ils mettaienten doute la

probitédes

hommes,la

chasteté desfemmes, l'intelligence du gouvernement, le bonsensdu peuple, enfinsapaient les bases.

Foureau s'en émut et les menaça de la prison,s'ils continuaient de tels discours.

L'évidence de leur supériorité blessait. Commeils soutenaient des thèses immorales, ils devaientêtre immoraux des calomniesfurent inventées.

Alorsune faculté pitoyablese développadansleuresprit, cellede voir labêtise et de ne plus la tolérer.

Des chosesinsignifiantesles attristaient les ré-

clames des journaux, le profild'un bourgeois,unesotte réflexionentendue par hasard.En songeante ce qu'on disait dans leur village,

et qu'il y avait  jusqu'aux antipodesd'autres Cou!oa,d'autres Marescot, d'autres Foureau, ils sentaientpeser sur eux comme la lourdeur de toute la Terre.

Ils ne sortaient plus, ne recevaient personne.Un après-midi, un dialogue s'éteva dansla cour,

entre Marcelet un monsieur ayant un chapeau àlarges bords avec des conserves noires. C'était l'a-cadémicienLarsoneur. Ilne fut pas sans observer

un rideau entr'ouvert, des portes qu'on fermait. Sadémarcheétait une tentative de raccommodement,et il s'en alla furieux, chargeant le domestique de

Page 301: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 301/405

BOUVARD ET P&CCCHET.296

dire à ses mattres qu'il les regardait comme desgoujats.

Bouvardet Pécuchetne s'en soucièrent.Lemondediminuait d'importance ils l'apercevaient commedansun nuage, descendudeleurscerveauxsurleursprunelles.

N'est-ce pas, d'ailleurs, une illusion, un mauvaisrêve? Peut-être qu'en sommeles prospérités et les

malheurs s'équilibrent Maisle bien de l'espècene console pas l'individu.

« Et que m'importent les autres disait Pécu-chet.

Son désespoir affligeaitBouvard. C'était lui quil'avait poussé jusque-là, et le délabrement ~e leurdomicileavivaitleur chagrinpar desirritationsquo-tidiennes.

Pour se remonter, ils se faisaient des raisonne-ments, se prescrivaientdes travaux, et retombaientvite dans une

paresse plus forte,dans un décou-

ragement profond.A la fin des repas, ilsrestaient les coudessur la

table, à gémir d'un air lugubre. Marcelen écarquil-laitles yeux, puis retournait dans sa cuisine, où ils'empiffraitsolitairement.

Aumilieu de l'été, ils reçurent un billet de fairepart annonçant le mariage de Dumouchel avecM"' veuve Olympe-ZulmaPoulet.

« QueDieule bénisse1»Et ilsse rappelèrent le temps où lis étaiept heu-

reux.Pourquoine suivaient-ilsplus les moissonneurs?Oùétaient les jours qu'ils entraient dans les fermes,

Page 302: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 302/405

BUHYAKU ET PËÇUCHtEf. i

cherchantpartout desantiquités? Rien, maintenant1n'occasionneraitces heures si douces que remplisaientla distillerieou!a littérature. Unabîme les enséparait.Quelque chose d'irrévocableétait venu.

Ils voulurent faire, comme autrefois,une prome-nade dans les champs,allèrent très loin, se perdi-rent. Depetitsnuages moutonnaient dans le ciel, levent balançait les clochettes des avoines, le longd'un pré un ruisseau murmurait, quand tout à coupune odeur infecte les arrêta, et ils virent sur descailloux,entre desronces,la charogned'un chien.

Les quatre membres étaient desséchés.Le rictusde la gueule découvrait sous des babines bleuâ-tres des crocs d'ivoire à la place du ventre, c'étaitun amas de couleur terreuse, et.qui semblait pal-piter, tant grouillaitdessuslavermine. Elle s'agitait,frappée par le soleil, sous le bourdonnement desmouches, dans cette intolérableodeur, odeur &roceet commedévorante.

CependantBouvardplissaitle front et ies larmesmouilièrentses yeux.

Pécuchet dit stoïquement « Nousserons un jourcommeça an

L'idée de la mort les avaitsaisis.Ils en causèrent,en revenant.

Après tout, elle n'existe pas. Ons'en va danslarosée, daus la brise, dans les étoiles. On devientquelque chose de la sève des arbres, de l'éclat despierresfines, du plumagedes oiseaux. Onredonne à

la Nature cequ'elle v~usa prêté et le Néant qui estdevantnousn'a rien de plus affreuxque le Néantquise trouvederrière.

Page 303: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 303/405

BOUVARD ET PECUCHET.298

Ils tâchaient de l'imaginer sous la forme d'unenuit intense, d'un trou sans fond, d'un évanouisse-ment continu, n'importe quoi valaitmieuxque cetteexistencemonotone,absurde, et sans espoir.

Ilsrécapitulèrentleursbesoinsinassouvis.Bouvardavait toujours.désiré des chevaux, des équipages,les grands crus de Bourgogne, et de belles femmes

complaisantesdan~une habitation splendide. L'am-bition de Pécuchetétait le savoir philosophique.Or,le plus vaste.des problèmes, celui qui contient lesautres, peut serésoudreen une minute. Quand doncarriverait-elle? « Autanttout de suite en finir. »

« Commetu voudras,»dit Bouvard.Et ils examinèrentla question du suicide.Oùest le mal de rejeter un fardeau qui vous

écrase? et de commettreune action ne nuisant àpersonne? Si elle offensait Dieu, aurions-nous cepouvoir? Ce u'e~tpujntuneiâchet.e,bien qu'on dise,

et l'insolence est belle de bafouer, même à sondétriment, ce que les hommesestiment le plus.

Ils délibérèrentsur le genre-de mort.Le poisonfait souffrir.Pour s'égorger, il faut trop

de courage. Avecl'asphyxie,on se rate souventEnnn, Pécuchetmonta dans le grenier deuxcâbles

de la gymnastique. Puis, les ayant liésà la mêmetraverse du toit, laissa pendre un nœud coulant etavança dessous deux chaises pour atteindre auxcordes.

Cemoyen fut résolu.

Ils se demandaient quelle impressioncelacause-rait dans l'arrondissement, où iraient ensuite leuibibliothèque,leurs

paperasses,leurs collections.La

Page 304: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 304/405

.BOUVARD ET PÉCUCHET. 299

pensée de la mort les faisait s'attendrir sur eux-mômes. Cependantils ne tachaientpoint leur projet,et, à forced'en parler, s'y accoutumèrent.

Le soirdu 24 décembre,entre dix et onzeheures,ilsréfléchissaientdans le muséum, habillésdifférem-ment. Bouvardportait une blouse sur son gilet detricot; et Pécuchet, depuis trois mois, né quittait

plus la robe de moine, par économie.Comme ils avaient grand'faim (car Marcel, sortidès l'aube, n'avait pas reparu), Bouvardcrut hygié-nique de boireun carafond'eau-de-vie, et Pécuchetde prendre du thé.

En soulevantla bouilloire, il répandit de l'eausur le parquet.-

« Maladroit Ms'écriaBouvard.Puis, trouvant l'infusion médiocre, il voulut la

renforcerpar deux cuilleréesde plus.« Cesera exécrable, dit Pécuchet.

Pas du tout 1»Et chacuntirant à soi la boite, le plateau tomba

une des tassesfut brisée, la dernière dubeau serviceen porcelaine.

Bouvardpâlit. « Continue1 saccage1ne te gênepas »

« Grandmalheur, vraiment dOui un malheur,!Je la tenais de mon père dNaturel, ajouta Pécuchet en ricanant.Ah tu m'insultes 1

Non, mais je te fatigue 1 je le vois bien

avoue-le »Et Pécuchetfut pris de colère, ou plutôt de dé-

mence.Bouvardau~i. Ilscriaient à la fois tous !e&

Page 305: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 305/405

BOUVARD NT PÉCUCHET.~00

deux, l'un irrité par la faim, l'autre par l'ale)ol. Lagorge de Pécuchet,n'émettait plus qu'un râle.

« C'estinfernal, une vie pareille j'aime mieux!amort. Adieu M»

11prit le flambeau, tourna les talons, claqualaporte.

Bouvard,au milieu desténèbres, eut peine al'ou-

vrir,courut

derrière lui,arriva dansle

grenier.La chandelle était par terre, et Pécuchet deboutsur une des chaises,avec le câbledans sa main.

L'esprit d'imitation emporta Bouvard« Attends-moi1»Et il montaitsur l'autre chaise,quand, s'arrêtant

tout à coup« Mais. nous n'avonspas fait notre testament..

Tiens c'est juste. »Dessanglotsgonflaientleur poitrine. Ils semirent

à la lucarne pour respirer.

L'air était froid, et des astresnombreuxbrillaientdans le ciel, noir commede l'encre.La blancheur de la neige qui couvraitla terre se

perdait dansles brumesde l'horizon.Ils aperçurent de petites lumièresà ras du sol, et,

grandissant, se rapprochant, toutes allaientdu côtéde l'église.

Unecuriositéles y poussa.C'était la messe de minuit. Ces lumières prove-

naient deslanternesdes bergers. Quelques-uns,sousle porche, secouaientleursmanteaux.

Le serpent ronflait, l'encens fumait. Des verres,suspendus dans la longueur de la nef, dessinaienttrois couronnesde feux multicolores,et au bout de

1

Page 306: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 306/405

BOUVARD ET PÉCUCHET. 30i

la perspective, des deux côtés du tabernacle, desclergés géants dressaient des flammes rouges. Pardessus les têtes de la foule et les capelines desfemmes, au delà des chantres, on distinguait leprêtre, dans sa chasubled'or àsavoixaiguë répon-daient les voix fortes des hommes emplissant le

 jubé, et la voûte de boistremblaitsur ses arceauxde

pierre.Des

images, représentant le chemin dela croix, décoraientles murs. Au milieu du choeur,devant l'autel; un agneau était couché, les pattessousle ventre, les oreillestoutesdroites

La tiède température leur procura un singulierbien-être, et leurs pensées, orageusestout à l'heure,se faisaient douces, corame des vagues qui s'a-paisent.

Ils écoutèrentl'Evangile et le Credo, observaientles mouvementsdu prêtre. Cependantles vieux, les

 jeunes, les pauvressesen guenilles,les fermières en

haut bonnet, les robustes gars à blondsfavoris, touspriaient, absorbée dans là même joie profonde,ét

voyaientsur la paille d'une étable rayonner commeun soleil le corps de l'enfant-Dieu. Cette foi desautres touchait Bouvarden dépitde sa raison, et Pé-cuchetmalgré la dureté de son coeur.

Il y eut un silence tous les dos se courbèrent,et, au tintementd'une clochette,le petit agneaubêla.

L'hostie~utmontrée par le prêtre, au bout de sesdeux bras, le plus haut possible. Alors éclata unchant d'allégressequi conviaitle monde aux pieds

du Roides Anges. Bouvardet Pécuchet,involontai-rement, s'y mêlèrent, et ils sentaient comme uneaurorese lever dans leur âme.

Page 307: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 307/405

IX

Marcelreparut le lendemainà troisheures, la faceverte, les yeux rouges, une bigne au front, le pan-tatoudéchiré, empestantl'eau-de-vie, immonde.

Il avaitété, selonsa coutumeannuelle,à sixJieuesde là, près d'Iquevitle,faire le réveillon chez unami; et bégayantplus que jamais, pleurantevou-lant se battre, il implorait sa grâce, comme s'il eûtcommis un crime. Ses maîtres l'octroyèrent. Uncalmesingulierles portait à l'indulgence.

Laneige avaitfondutoutà coup, et ils se prome-

naient dansleur jardin, humant l'air tiède, heureuxde vivre.Était-cele Tiasardseulementqui les avait détour-

nés de la mort ? Bouvardse sentait attendri. Pécu-chet se rappela sa première communion et pleinsde reconnaissancepour la Force, la Causedont ilsdépendaient, l'idée leur vint de faire des lectures.pieuses.

L'Évangiledilata,leur âme, les éblouit commeunsoleil. Ils apercevaient Jésus, debout sur la mon-tagne, un bras levé, la foule en dessous l'écoutant

ou bien au bord du lac, parmi les Apôtres quitirent desfilets,-puis surl'ânesse, dans laclameurdes alieluia, la chevelureéventéepar lespalmes &é-

1

Page 308: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 308/405

BOUVARD ETP&CUCHET. 303

missantes, enfinau haut de la croix,inclinant satéte, d'où tombe éternellementune rosée sur lemonde. Cequi les gagna, ce qui les délectait, c'estla tendresse pour les humbles, la défense despauvres, l'exaltationdes opprimés Et danscelivreoù le ciel se déploie, rien de théologalau milieu detant de préceptes pas un dogme, nulle exigence

que la pureté du cœur.Quant aux miracles, leur jaison n'en fat pas sur-

prise dès l'enfance, ils les connaissaient. La hau-teur de saint Jean ravit Pécuchet et le disposa àmieux comprendrel'Imitation.

Ici plus de paraboles, de fleurs, d'oiseaux maisdes plaintes, un resserrement de l'âme sur elle-même. Bouvard s'attrista en feuilletant ces pages,quisemblentécrites parun temps debrume, au fondd'un cloître, entre un clocheret un tombeau.Notreviemortelle y apparaît si lamentablequ'il faut, l'ou-

bliant, se retourner vers Dieu et les deux bons-hommes, après toutes leurs déceptions, éprouvaientle besoind'être simples, d'aimer quelque chose, dese reposer l'esprit.

Ilsabordèrent l'Ecclésiaste, Isaïe, J~MeMaislaBibleles enrayait avecses prophètesàvoix

de lion, le fracasdu tonnerre dans les nues, touslessanglotsde la Géhenne, et son Dieu dispersant lesempires, commele vent faitdes nuages.

Ilslisaientcela le Dimanche,à l'heuredesvêpres,-pendantque la clochetintait.

Un jour, ils se rendirent à la messe, puis y re-tournèrent. C'étaitune distractionau bout de la se-maine. Le comte et la comtessede Favergesles sa-

Page 309: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 309/405

304 BOUVARD ET P&CUCMET.

luèrent de loin, ce qui fut remarqué. Le juge depaixlepr dit, en clignant de l'oBit « Parfait jevous approuve. » Toutes les bourgeoises, mainte-nant, leur envoyaientle pain bénit.

L'abbéJeufroyleur fit une visite ils la rendirenton se fréquenta et le prêtre ne parlait pasde reli-gion.

Ils furent étonnés de cette réserve, si bien quePécuchet,d'un air indtQ'érent,luidemandacomments'y prendre pour obtenirlafoi.

« Pratiquezd'abord. »Us se mirent à pratiquer, l'un avec espoir, l'autre

par défi, Bouvardétant convaincuqu'il ne serait ja-mais un dévot.Un mois durant, il suivit régulière*ment tous les ofEces,mais, à rencontre de Pécu-chet, ne voulutpas s'astreindre au maigre.

Était-ce une mesure d'hygiène? Onsait ce quevaut l'hygiène Uneaffairede convenances? A bas

les convenances Unemanquede soumissionenversl'Église? Il s'en fichait également 1 bref, déciaraitcette règle absurde, pharisaïque,et contraireà l'es-prit,del'Évangile.

Le vendredi-saint des autres années, ils man-geaient ce que Germaineleur servait.

biais Bouvard, cette fois, s'était commandé unbeafsteck.Ils'assit, coupala viande et Marcelleregardaitscandalisé,tandis que Pécuchetdépiautaitgravement sa tranchede morue.

Bouvardrestait la fourchetted'une main, le cou-

teau de l'autre. Enfin, se décidant, il monta unebouchée à ses lèvres.Tout a coupses mains trem-blèrent, sa grosse mine pâlit, sa tète se renversait.

v

Page 310: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 310/405

fOUVABPETf&CUCUET. 305

« Tu te trouvesmal?Non Mais et il fitun aveu. Par suite de

sonéducation(c'était plus fort que lui) il ne pouvaitmangerdu gras ce jour-là, dans la crainte de mou-rir.

Pécuchet, sans abuser de sa victoire, en profitapour vivre à sa guise.

Un soir, il rentra la figure empreinte d'une joiesérieuse,et, lâchant le mot, dit qu'il venait de seconfesser.

Alorsils discutèrentl'importancede la confession.Bouvard admettait celle des premiers chrétiens

qui se faisaiten public la moderne est trop facile.Cependant il ne niait pas que cette enquête surnous-mêmesne fût un élément de progrès, un le-vainde moralité.

Pécuchet, désireuxde la perfection, chercha sesvices les bouffées d'orgueil depuis longtemps

étaient parties. Son goût du travail l'exemptait dela paresse quanta. la gourmandise, personne deplus sobre. Quelquefoisdescolèresl'emportaient.

Il se jura de n'en plus avoir.Ensuite, il faudrait acquérir les vertus, première-

ment l'humilité, c'est-à-dire se croire incapablede tout mérite, indigne dela moirdre récompense,immoler son esprit, et se mettre tellement bas quel'on vous foule aux pieds commela boue des che-mins. Il était loin encore de ces dispositions.

Uneautrevertu lui manquait la chasteté. Car,

intérieurement, il regrettait Mélie,et le pastel de ladame en robe Louis XVle gênait avec son décolle-tage.

Page 311: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 311/405

BOUVAKnET f&CUCHET.306

Il l'enferma dans une armoire, redoubla do pu.~eur jusques à craindre de porter ses regards suriui-meme, et couchaitavec un cateçon,

Tant de soinsautourde la luxure ja développèrent.Le matin principatementil avait à sabir de grandscombats,commeen eurent saint Paul, saint Benoistet saint Jérôme, dans un âge fort avancé de suite,

ils recouraient des pénitences furieuses. La dou-leur est une expiation,un remède et un moyen, unhommage à Jésus-Christ.Tout amour veut des sa-criaces, et quel plus pénible que celui de notrecorps 1

AGnde se mortiner, Pécuchetsupprima le,petitverre après les repas, seréduisitàquatrepriser dansJa journée, par Jesfroidsextrêmesne mettait plusdecasquette.

Un jour, Bouvard, qui rattachait !a vigne, posaune échelle contre le mur de la terrasse près dela

maison, et, sans le vouloir, se trouva plongerdans la chambrede Pécuchet.Sonami, nu jusqu'au ventre, avecle martinet aux

habi's, se frappait les épaules doucement, puis s'a-nimant, relira sa culotte, cinglases fesses, et tombasur une chaise, hors d'haleine.

Bouvard fut troublécommeà la découverted'unmystère, qu'on né doit pas surprendre.

Depuisquelque temps, il remarquaitplus de net-teté bur tes carreaux, moins de trous aux serviettes,une nourriture meilleure changements qui

étaient dus à l'interventionde Reine, la servantedeM.le curé.Mêlant les choses de l'église &celles de sa cm-

Page 312: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 312/405

BOUVARDET P&CCCHET. 307

sine, forte commeun valet de charrue et dévouéebien qu'irrespectueuse, elle s'introdusait dans lesménages, donnait des conseils, y devcmit maî-tresse. Pécuchet se nait absolument à son expé-rience.

Unefois,elle lui amena un individureplet, ayantde petits yeuxà la chinoise, un nez en hecde vau-

tour. C'étaitM.

Houttman, négociant en articlesdepiété il en déballaquelques-uns,enfermés dansdesbottes, sousle hangar croix. médaitteset cha-pelets de toutes les dimensions, candélabres pouroratoires,autels portatifs, bouquetsde clinquant,etdes sacrés-cœursen carton bleu, des saint Josephàbarbe rouge, des calvairesde porcelaine. Pécuchetlesconvoita. Le prix seul t'arrêtait.

Gouttmanne demandaitpas d'argent. Il préféraitles échanges, et monté dans le muséum. il ot!ritcontre des vieuxferset tousles plombs, un stockde

ses marchandises.Ellesparurent hideusesà Bnuvard.Mais l'œil dePécuchet, les instances de Reine et le bagout dubrocanteur finirent par le convaincre. Quand il levitsi coulant. GouLtmanvoutut, en outre, lahalle-barde Bouvard,las d'en avoir démontré la ma-nœuvre,l'abandonna.L'estimationtota.eétant faite,cesmessieurs devaientencore cent francs. Ons'ar-rangea,. moyennant quatre billets à trois mois d'é-chéance, et ilss'applaudirentdu bon marché.

Leurs acquisitionsfurent distribuéesdanstous les

appartements. Une crèche remplie de foin et unecathédralede liège décorèrent le muséumU y eut sur la cheminée de Pécuchet un saint

Page 313: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 313/405

BOUVARDET PJÈCUCMET.308

Jean-Baptisteen cire le long du corridor, les por-traits des gloires épiscopates,et au bas de l'escalier,sous une lampe à chamottes, une suinte Vierge enmanteau d'azur et couronnéed'étoiles. Marcelnet-toyait ces splendeurs, n'imaginant au paradis riende plus beau.Que! dommage que le saint Pierre fût brisé, et

commeil aurait faitbiendans !e vestibule!Pécuchets'arrêtait parfois devant l'ancienne fosse aux com-posts, où t'on reconnaissait la tiare, une sandale,un bout d'oreille; tâchaitdes soupirs,puis continuaità jardiner, carmaintenant il joignaitles travauxma-nuels aux exercices religieux et bêchait la,terre,vêtu de la robe de moine, en se comparantà saintBruno. Ce déguisement pouvaitêtre un sacritôgeH y renonça.

Maisil prenait le genre ecclésiastique,sansdoutepar la fréquentation du curé. Il en avaitle sourire,

ia voix,et, d'un air frileux, glissait commelui dansses manches ses deux mains jusqu'aux poignets. Un jour vint ou le chant du coq t'importuna, les rosesl'écœuraient il ne sortaitplus ou jetait sur la cam-pagne des regards farouches.

Bouvardse laissa conduire au mois de Marie.Lesenfants qui chantaient des hymmes, les gerbes delilas, les festonsde verdurelui avaientdonnécommele sentiment d'une jeunesse impérissable. Dieusemanifestait à son cœur par la forme des nids,taclarté des sources, la bienfaisancedu soleil, et la

dévotionde son ami lui semblaitextravagante, fas-tidieuse.« Pourquoigémis-tu pendantiotepas ?p

Page 314: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 314/405

BOUVARD ET PÉCUCHm. 309

Nous devons manger en gémissant, réponditPécuchet,car l'homme, par cette voie, a perdu soninnocence,» phrase qu'il avait lue dans le Jtfa~MP~dit ~M'Mo'M~c,deux volumes in-i2 empruntés àM.Jeufroy, et il buvait de l'eau de la Salette, selivrait,portes closes, &des oraisons jaculatoires,espéraitentrer dans la confrériede Saint-François.

Pour obtenirle don de persévérance,il résolut dofaireun pèlerinageà la sainte Vierge.

Le choixdes )ocalités l'embarrassa. Serait-ce &Notre-Damede Fourrières, de Chartres,d'Embrun,deMarseilleou d'Auray? Celle de la Délivrande,plusproche, convenaitaussi bien.

« Tu m'accompagneras1J'aurais l'air d'un cornichon » dit Bouvard.

Aprèstout, il pouvait en revenir croyant, ne re-fusaitpas de l'être, et céda par complaisance.

Les pèlerinages doivent s'accomplirà pied. Mais

quarante-troiskilomètres seraientdurs et les

gon-doles n étant pas congrnentes à la méditation, ilslouèrentun vieux cabriolet,qui, après douzeheuresderoute, les déposa devant l'auberge.

Ils eurent une pièce deux lits, avecdeux com-modessupportant deuxpots à l'eau dans des petitescuvettes ovales,et l'hôtelier leur apprit que c'était« la chambre des capucinssous la Terreur. Onyavaitcaché la dame de la Délivrandeavec tant deprécautionque les bpns Pères y disaient la messeclandestinement.

Cela fitplaisir

àPécuchet,

et il lut tout haut unenotice sur la chapelle, prise en bas dans la cuisine.

Ellea été fondée au commencement du ïl" siècle

Page 315: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 315/405

BOUVARD ET PËCCCNtU'.3i0

par saint Regnobert,premier éveqnede L~ieux~oupar saint Ragnebert, qui vivait au VU",ou par Ro-bert le Magnifique,au milieu du X!

Les Danois, les Normandset surtout les protes-tantsl'ontincendiéeet ravagéeà différentesépoques.

Vers iii2, la statue primitive fut découverteparun mouton, qui, en frappantdu pied, dans un her-

bage, indiqual'endroit où elle était, et sur cette

place le comteBaudoin érigea un sanctuaire.Sesmiraclessont innombrables.Unmarchandde

Bayeux,captif chezles Sarrasins,l'invoqua ses ferstombentet il s'échappe. Unavaredécouvredans songrenier un troupeau de rats, l'appelleà son secourset les rats s'éloignent. Le contact d'une médailleayant effleuré son effigie fit se repentir au litdemort un vieuxmatérialistede VorsaUles.Elle renditla parole au sieur Adeline,qui l'avait perdue pouravoirblasphémé et, par sa protection,M.et M"' de

BecqueviMeeurent assez de force pour vivrechas-tement en état de mariage.Oncite, parmi ceux qu'elle a guéris d'affections

irrémédiables,M""de Palfresne, Anne Lirieux, Ma-rie Duchemin,FrançoisDufai, et M' de Jumillac,née d'Osseville.

Des personnages considérables l'ont visitéeLouisXI, LouisX11I.deuxfilles deGastond'0r)éans,le cardinal Wiseman, Samirrhi, patriarche d'An-tioche Mgr Véro'es, vicaireapostoliquede la Mant-chourie et l'archevêque de Quélen vint lui ren-

dre grâce pour la conversiondu prince de Talley-rand.« Elle pourra, dit Pécuchet,te convertiraussi »

Page 316: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 316/405

BOUVARD ET PÉCUCHET. 3ii

Bouvard,déjà couché, eut une sorte de grogné-ment et s'endormit toutà fait.

Le lendemain, à six heures, ils entraient dans lachapelle.

On en construisaitune autre des toiles et des

planches embarrassaient la nef, et le monument,destylerococo,déplut à Bouvard,surtout l'autel demarbre rouge, avecses pilastrescorinthiens.

La statue miraculeuse,dans une nicheà gauchedu chœur, est enveloppéed'une robe à paillettes lebedeausurvint, ayant pour chacun d'euxun cierge.Il le planta sur une manière de herse dominantlabalustrade, demanda trois francs, fit une révérenceet disparut.

Ensuite, ils regardèrent les ex-voto.Des inscriptions sur plaquestémoignent delare-

connaissancedes Sdè!es. Onadmire deux épées ensautoiroffertespar un ancien élèvede l'École poly-technique, des bouquets de mariée, desmédaillesmilitaires,des cœurs d'argent, et dans l'angle, auniveaudu sol, une forêt de béquilles.

Dela sacristiedébouchaun prêtre portant le saint-ciboire.

Quandil fut restéquelques minutesau basdel'au-tel, il monta lestroismarches. ditI'(~'e?MM~l'/M~oMetle Kyrie, que l'enfant de chœur à genoux récitatout d'une haleine.

Lesassistantsétaient rares, douzeou quinzevieil-les femmes. On entendait le froissement de leurs

chapeletsetle bruit d'un marteau

cognantdes

pier-res. Pécuchet, inclinésur son prie-Dieu, répondaitaux.4?MCM.Pendantl'élévation,ilsuppliaNotre-Dame

Page 317: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 317/405

3i~! aoUYAUDETPÉCUCHET.

delui envoyer une foi constante et indestructible.Bouvard,dansun fauteuil&ses côtés, lui prit son

Eucologe et s'arrêta aux litanies dela Vierge.Très pure, très chaste,vénérable,aimable,puis-

sante, clémente, tour d'ivoire, maison d'or, portedu matin. »

Ces mots d'adoration, ces hyperbolesremportè-rent vers celle

quiest célébrée

partant d'homma-

ges.Il la rêva comme on la figure dansles tableaux

d'église, sur unamoncellementde nuages, deschéru-binsà ses pieds,l'Enfant-Dieuà sa poitrine,–mèredes tendresses que réclament toutes les afNiçiionsde la terre, idéal de là femme transportée/dansle ciel car, sorti de ses entrailles, l'homme exalteson amour et n'aspire qu'à reposer surson cœur.

La messe étant nnie, ils longèrent les boutiquesqui s'adossentcontrele mur du côté de la place. On

yvoitdes

images,des

bénitiers,des urnes à

filetsd'or, des Jésus-Christen noixde coco,des chapeletsd'ivoire et le soleil, frappant les verres des cadres,éblouissaitles yeux, faisait,ressortirla brutalité despeintures, lahideur des dessins. Bouvard,qui; chezlui. trouvaitces choses abominables, fut indulgentpour elles. Il achetaune petite Viergeen p&tebleue.Pécuchet,commesouvenir,se contentad'un rosaire.

Les marchands criaient:« Allons allonspour cinq francs, pour trois

francs, pour soixante centimes, pour deux sols, ne

refusezpas Notre-Dame1 »Les deuxpèlerins flânaient sans rien choisir.Desremarques désobligeantess'élevèrent.

Page 318: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 318/405

BOUVARD ET PÉCUCHET. 313

)3

« Qu'est-ce qu'ils veulent, ces oiseaux-là'!Ils sontpeut-être des TurcsDes protestantsplutôt ?

Une grande fille tira Pécuchet parla redingoteun vieuxen lunettes lui posa la main sur l'épauletous braillaient à la fois puis, quittant leurs bara-ques, ils vinrentles entourer, redoublaient de solli-

citationset d'injures.Bouvardn'y tint plus.« Laissez-noustranquilles, nom de Dieu »Latourbe s'écarta.Maisune grosse femme les suivit quelque temps

sur la place et cria qu'ils s'en repentiraient.En rentrant à l'auberge, ils trouvèrent dans le

caféGouttman.Sonnégocel'appelait encesparages,et il causait avec un individu examinantdes borde-reaux sur la table devanteux.

Cetindividu avaitune casquettede cuir, un panta-

lon très large, le teint rouge et la taille fine malgréses cheveuxblancs, l'air à-la fois d'un officieren re-traite et d'un vieuxcabotin.

De temps à autre, il lâchait un juron, puis, surun mot de Gouttmandit plusbas,.secalmaitde suite,et passait à un autre papier.

Bouvard qui l'observait, au bout d'un quartd'heure, s'approchade lui.

« Barberou, je crois?Bouvard » s'écria l'homme S la casquette.Et ils

s'embrassèrent.

Barberou, depuis vingt ans, avait enduré touts3sortes de fortunes..GérantJ'uMjOaMs~c~mi! 3 d'assurances,diree-

Page 319: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 319/405

3t4 BOUVABD ET PÉCUCHET.

teur d'un parc auxhuîtres. « Je vous conteraicela; »)1enfin, revenu à son premier métier, il voyageaitpour une maison de Bordeaux, et Gouttman qui« faisaitle diocèse » lui plaçait des vins chez lesecclésiastiques « mais permettez dans uneminute, je suisà vousa»

IIavait repris ses comptes, quand, bondissantsur

la banquette «;Comment,deuxmille? »« Sansdoute1Ah elle est forte, celle-là1Vous dites?2Je dis que j'ai vu Hérambert, moi-même »,

répliquaBarberoufurieux..« La factureporte quatremilte; pas de blagues's

Le brocanteur ne perdit point contenance. « Ëbbien elle vous libère après? ?

Barberou se leva, et, à sa figure blême d'abord.puis violette, Bouvard et Pécuchet croyaient qu'ilallait étrangler Gouttman.

I)se rassit, croisa les bras. « Vous êtes une rudecanaille, convenez-en1 »

« Pas d'injures, monsieur Barberou; il y a destémoins prenezgarde 1

Je vousflanquerai un procèsTa1 ta 1 ta 1 » Puis, ayant bouclé son porte-

feuille, Gouttmausouleva le bord de son chapeau« Al'avantage MEtil sortit.

Barberou exposa les faits Pour une créance domille francsdoubléepar suitede manoeuvresusurai-pes, il avait livré à Gouttman trois mille francs devins. Cequi payerait sa dette avec mille francs debénénces; mais, au

contraire,il en devait trois

Page 320: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 320/405

BOUVARD ETJPËCUCHET. ~§

mille. Ses patrons le renverraient, on le poursui-vrait t « Crapule brigand sa!ejuif!1 et çadîne dans les presbytères D'ailleurs, tout ce quitouche à la calotte. M H déblatéra contre lesprêtres,et tapait sur la table avec tant de violencequela statuettefaillittomber.

« Doucementdit Bouvard.Tiens

Qu'est-ce que ça?» Et

Barberouayantdéfaitl'enveloppede la petitevierge ? Unbibelot dupèlerinage Avous? »

Bouvard,au lieu de répondre, sourit d'une ma-nière ambiguë.

« C'està moi dit Pécuchet.–Vous m'affligez, » reprit Barberou, « mais je

vous éduquerai là-dessus, n'ayezpaspeur » Etcommeon doitêtre philosophe, et que la tristessene sert à rien, il leuroffrità déjeuner.

Tous les trois s'attablèrent.

Barberou fut aimable, rappela le vieux temps,prit la taillede la bonne, voulut toiser le ventre deBouvard.Il irait chez eux bientôt, et leur apporte-rait un livre farce.

L'idéede sa visite les réjouissait médiocrement.Ils en causèrent dans la voiture,pendant une heure,au trot du cheval. Ensuite Pécuchetferm~les pau-pières. Bouvardse taisait aussi. Intérieurement, ilpenchaitversla religion.

M. Marescots'était présenté la veille pour leurfaireunecommunicationimportante. Marceln'en

savaitpas davantage.Le notaire ne put les recevoir que trois jours

après et de suite exposala chu~û.P<)urune

Page 321: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 321/405

316 BOUVARDETP&CUCHET.

rente de sept mille cinq cents francs, M* Bordint

proposaità M.Bouvardde lui acheterleur ferme.Ellela reluquait depuissa jeunesse, en connaissait

les tenants et aboutissants, défauts et avantageset ce désirétait commeun cancer qui la minait. Carla bonne dame, en vraie Normande,chérissait, par-dessus tout, lè bien, moins pour la sécuritédu ca-

pital que pour le, bonheur de fouler le sol vousappartenant. Dans l'espoir de celui-là, elle avaitpratiquédes enquêtes, une surveillance journalière,de longues économies, et elle attendait, avec im-patience, la réponse de Bouvard.

Il fut embarrassé,ne voulantpas quePécuchet un jour, se trouvât sans for;une mais il fallait saisirl'occasion, qui était l'enet du pèlerinage laProvidence, pour la seconde-fois,se.manifestait enleur faveur.

Ils offrirent les conditionssuivantes: La rente,

non pas de sept mille cinq cents francs, mais de sixmille serait dévolueau dernier survivant. Marescotfit valoirque l'un était faible de santé. Le tempéra-ment de l'autre le disposaità l'apoplexie,et M°"Bor-din signale contrat, emportéepar la passion.

Bouvardenresta mélancolique.Quelqu'undésiraitsa mort, et cette réflexionlui inspira des penséesgraves, des idées de Dieuet d'éternité.

Trois jours après. M. Jeufroyles invita au repas'de cérémoniequ'il donnaitune foispar an à des col-lègues.

Le diner commençavers deuxheures de l'après-midi, pour finirà onzeheures du soir.

Ony but du poiré, onj débita des' calembours.

Page 322: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 322/405

BOUVARD ET PÉCUCHET. 317

!<.

L'abbé Pruneau composa,séance tenante, un acrostiche, M.Bougon fit des tours de carte, et Cerpet

 jeune vicaire, chantaune petite romance qui frisaitla galanterie. Un pareil milieu divertit Bouvard.IIfutmoinssombrele lendemain.

Le curé vint le voir fréquemment. Il présentaitla Religion sous des couleurs gracieuses. Que ris-

que-t-on, du reste?- et Bouvardconsentitbientôtà s'approcherde la sainte table. Pécuchet, en mômetempsquelui, participerait au sacrement.

.Le grand jour arriva.L'église,à causedespremièrescommunions,était

pleine de monde. Les bourgeoiset les bourgeoisesencombraient leurs bancs, et le menu peuple se.tenait debout par derrière, ou dans le jubé, au-dessus dela porte.

Cequi allait se passer tout à l'heure était inexpli-cable, songeaitBouvard,mais la raison ne sufutpasà comprendre certaines choses. De tre~ grandshommesont admiscelle-là. Autantfaire commeeux.et, dans une sorte d'engourdissement, il ccutem-pîait l'autel, l'encensoir, les flambeaux,la tête unpeu vide, caril n'avait rien mangéeet éprouvaitunesingulière faiblesse.

Pécuchet, en méditantla Passiondo Jésus-Christ.s'excitait à des élans d'amour. Il aurait \oulu luioffrir son âme, celle des autres et les ravisse-ments, les transports, les illuminationsdes saints.tous les êtres, l'univers entier. Bienqu'il priât avec

ferveur, les diSérentesparties dpia messe lui sem-blèrent un peu longues.

Enfin, les petits garçons s'agenouilleront sur la

Page 323: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 323/405

BOUVARDETP&CUCHKT.3i8

première marche de l'autel, formant avec Jeurshabits une bande noire, que surmontaient inéga!o-ment des cheveluresblondesou brunes. Lespetitesfillesles remplacèrent,ayant, sous leurs couronnes,des voiles qui tombaient; de loin, on aurait dit unalignement de nuées blanchesau fondda chœur.

Puis ce fut le tour des grandespersonnes.La première du côté de l'évangitoétait Pécuchet,

mais trop ému, sans doute, il oscillaitla tête dedroite et de gauche. Le curé eut peine à lui mettrel'hostie dansla bouche, etil la reçut en tournant lesprunelles.

Bouvard,au contraire,ouvritsi largement ]~smâ-choires,que sa langue luipendait surlalèvrecommeun drapeau. En se relevant,il coudoyaM" Bordin.Leurs yeux se rencontrèrent. Elle souriait; sanssavoirpourquoi, il rougit.

AprèsM""Bordincommunièrentensemble M""de

Faverges, la comtesse,leur dame de compagnie, etun monsieur que l'on ne connaissaitpas à Chavi-gnolles.

Les deuxderniersfurent Placqueventet Petit, l'in-stituteur, quand tout à couponvit paraitreGorju.

Il n'avait plus de barbiche etil regagna sa place,les bras en croixsur la poitrine, d'une manièrefortédifiante.

Le curé -haranguales petits garçons. Qu'ils aientsoin plus tard de ne point faire comme Judas qùitrahit son

Dieu,et de conserver toujoursleur robe

d'innocence. Pécuchet regretta la sienne, mais onremuait des chaises les mères avaient hâte d'em-brasser leurs enfants. '~t

Page 324: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 324/405

BOUVARD ET PÉCUCHET. 3i&

Lesparoissiens,à la sortie,échangèrentdes félici-tations. Quelques-uns pleuraient. M' de Faverges,en attendant sa voiture, se tourna vers BouvardetPécuchetet présenta son futur gendre « M.lebaron de Mahurot, ingénieur MLe comte se plai-gnait dene pas les voir. II serait revenula semaineprochaine. « Notez-le1 je vous prie. » La calèche

étant arrivée, les damesdu château partirent, et lafoulese dispersa.Ils trouvèrent dans leur cour un paquet ait milieu

de l'herbe. Le facteur, commela maisonétait close,l'avait jeté par-dessusle mur. C'était l'ouvrage queBarberou avaitpromis jE-T-a~cM<~MC~ns~'cMM~tc,par LouisHerviou,ancien élève de l'Écolenormale.Pécuchet le repoussa. Bouvard ne désirait pas leconnaître.

On lui avait répété que le sacrement le transfor-merait durant plusieursjours, il guetta des u'trai-

sons dans sa conscience.I) était toujours le même,et un étonnement douloureuxle saisit.Comment! la chair de Dieuse môteà notre chair

et elle n'y cause rien Lapensée qui gouverne lesmondesn'éclaire pas notre esprit Lesuprême pou-voirnous abandonneà l'impuissance

M.Jeufroy, en le rassurant, lui ordonnale Caté-chismedel'abbé Gaume.

Au contraire, la dévotionde Pécuchet s'était dé-

veloppée. Il aurait voulu communiersous les deuxespèces,chantaitdes psaumesense promenantdans

le corridor, arrêtait les Chavignollaispour discuteret les convertir. Vaucorbeillui rit au nez, Girbalhaussa,les épaules et le capitainel'appela Tartufe.

Page 325: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 325/405

BOUVARPMi PÉCUCHET.380

0)) trouvait maintenant qu'ils allaient trop loin.Une excellentehabitude,c'est d'envisagerlescho.

ses comme autant de symboles. Si le tonnerregronde, figurez-vousle jugement dernier; devantun ciel sans nuages, pensez au séjour des bie heu-reux dites-vous dans vos promenades que chaquopas vous rapproche de la mort. Pécuchet observa

cette méthode. Quand it prenait ses habits, il son-geait à l'enveloppe charnelle dont la secondeper-sonne de la Trinité s'est revêtue, le tic-tac de l'IuM'-

loge lui rappelait les battements de son cœur, unepiqûre d'épingle les clousde la croix mais il eutbeau se tenir à genoux, pendant desheures, et mul-tiplier les jeunes, et se pressurer l'imagination, ledétachementde soi-mômene se faisaitpas impossi-ble d'atteindre à la contemplationparfaite.

Il recourut à des auteurs mystiques sainteThé-rèse, Jean de la Croix,Louisde Grenade, Simpoli,

et de plus modernes, Mgr Chaillot.Au I~eudes su-blimitésqu'il attendait, il ne rencontra que des pla-titudes, un style très lâche, de froides images etforce comparaisonstirées dé'la boutique des lapi-daires.

Il apprit cependantqu'il y a une purgation activeet une purgation passive,une vision interne et unevisionexterne, quatreespècesd'oraisons,neufexcel-lenées dans l'amour, six degrés dans l'humilité etquela blessure de l'âmene ditfèrepas beaucoupduvolspirituel.

Despoints l'embarrassaient.«Puisque la chairest maudite, commentse iaii-il

que l'on doive remercier Dieu pour le bienfait de

Page 326: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 326/405

BOUVARDET PÉCUCHET. 33!

l'existence? Queue mesure garder entre la crainteindispensable au salut. et l'espérance qui ne l'est

pas moins? Oùest le signe de lagrâce? etc. »Les réponses de M.Jeufroy étaient simptcs« Nevous tourmentezpas. Avouloir tout appro-

fondir,oncourt sur une pente dangereuse. HLe C<~<fcA!~<?de ~p~u~Mcc, par Gaume.avait

tellement dégoûté Bouvardqu'il prit !e vohune de

LouisHcr\'ieu. C'étaitun sommairede l'cx~gësemo-derne défendu par le gouvernement. Carberou,commarôpxbticain,l'avait acheté.

Il éveillados doutesdans l'esprit do Bouvard, etd'abord sur le péché originel. « Si Dieu a créél'homme peccable,il ne devait pas le puuir, et lemalest antérieur à la chutepuisqu'ily avaitdéjà desvolcans,des bctes féroces. Eoun ce dogme boule-versemes notions de justice

Quevoulez-vous?disait le curé, c'est une decesvéritésdont tout le monde est d'accord, sans qu'on

puisse en fournirde preuves et nous-mêmes,nousfaisons rejaillir sur les enfants les crimesde leurspères. Ainsi les moeurset les lois justifient ce décretdela Providence,que l'on retrouvedans lanature. »

Bouvardhocha la tête. Il doutait aussi de l'enfer.« Cartout châtimentdoit viserà l'améliorationdu

coupable,ce qui devient impossibleavecune peineétemeUe et combien l'endurent Songez donc,tous les anciens, les juifs, les musulmans, Jesido<[âtres,les hérétiques et les enfants morts sans bap-tême, ces enfants créés par Dieu,et dans quel but ?

pour les punir d'une faute qu'ils n'ont pas rom-mise!t

Page 327: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 327/405

S~S tOUVARR KT PËeuem:i\ 

Tc!!c est l'opinion de saint Augustin,ajoutalecuré, et saint Futgenee enveloppedaus la damna-tion jusqu'aux fœtus. L'Ëgtise, il est vrai, n'a riendécidéa cet égard. Unerematquepourtant: ce n'estpas Dieu,maisle pécheur qui se damne lui-même,et l'offense étant innnie, puisque Dieuest infini,lapunition doit être innnie. Kst-cetout, monsieur?

–ItXpuquM-moi la Trinité, dit Bouvard.

Avecplaisir. Prenons une comparaison lestrois eûtesdu triangle, ouptutôtnotre âme, qui con-tient être, connaîtreet vouloir ce qu'on appellefacultéchezl'homme, est personneen Dieu."Voitalemystère.

Maisles troiscôtesdu triangle no sontpas cha-cun le triangle; ces trois facultés de l'âme no fontpas trois âmes, et vos personnes dela Trinité sonttrois I)ieux.

BiasphemeAlors il

n'ya

qu'une personne,un

Dieu,une

substanceaQecteede trois manièresAdorons sans comprendre,dit le curé.Soit, » dit Bouvard.

Havait peur de passer pourun impie, d'être malvu au château.

Maintenantils y venaient trois fois la semaine,vers cinq heures, en hiver, et la tasse de thé les ré-chauffait.M. !e comte, par ses allures, « rappelaitle chicde l'anciennecour » )acomtesse,p!acideet'

grasse, montrait sur toutes chosesun grand discer-nement. M"*Yolande,leur fille, était « le type de ia jeune personne i'aage des keepsakes, et M" de

Page 328: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 328/405

BOUVARDET PÈCMCURT. 32~)

Koares,leur dame de compagnie,rcsscmMait&Pé-cuchet,ayant sonnez pointu.

La première fuis qu'ils eutrôrent dans te salon,elledéfendaitquelqu'un.

« Je vous assure qu'it est changé Soncadeaule

prouve.»

Cequelqu'unétait Gorju. n venaitd'oft't'ir auxfu-

tursépoux un pr!e-nieu gothique. Oa t'appo'ta. f.esarmesdes deux maisons s'y ~taiaicnt en t'cticf deccuieur.M. de Mahuroten parut content, et M""deNoareslui dit

« Vousvous souviendrezde mon prot~g~? HEnsuite elle amena deuxenfants, un gamin d'une

douzained'années, et sa stpur. qui en avait peut-êtredix. Par les trous de tours guenU!e<00 voyaitiem'smembres ronges de froid. L'un était chaussedevieillespantoufles, t'autre n'avait ptusqu'un sa.bot. Leurs fronts disparaissaientsous leurs chcve-

lures,etils regardaient,autour d'eux avec des pru-nellesardentes comme de jeunes ionp:!ctfarôs.

M°''de Noaresconta qu'elle.les avait t'cncontreslematinsurla grande route. Ptacqueventnc pouvaitfourniraucun detai).

Onleur demanda leur nom.« Victor,Victorine.

Oùétait leur père ?En prison.Kt avant, que faisait-il ?Rien.Leur pays?9Saint-Pierre.

Mais quel Saint-Pierre? ? »

Page 329: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 329/405

BOUVARD ET PECUCHET.32~

t.cs deux petits, pour toute réponse, disaient, enrcmnant:

MSaispas, sais pas. »Leurmère était morte, et ils mendiaient.M"°deNoaresexposacombienil serait dangereux

de !osabandonner elle attendrit la comtesse,piquad honneurle comte, fut soutenuepar Mademoiselle,

s'obstina, réussit. La femme du garde-chasse eaprendrait soin. On!eur trouverait de l'ouvrage plustard, et comme ils ne savaient ni lire ni ocrii'e,M* de Koaresleur donnerait e!!e-mcmedes leçons,aim de les préparer au catéchisme.

Quand M. Jeufroy venait au château, 10 allaitquorir les deux mioches; il tes interrogeait, puisfaisait une conférence où il mettait de la protec-tion, à.cause de l'auditoire.

Une fois qu'il avait discouru sur les patriarches,Bouvard, en s'en retournant avec lui et Pécuchetles dénigra Coftemcnt.

Jacob s'est distinguépar des filouteries,Davidparles meurtres, Salomonpajrses débauches.

L'abbé lui repondit qu'il fallait voirau delà. Lesacrifice d'Abruham est la figure de la PassioniJacob une autre figure du Messie,comme Joseph,commele serpent d airain, cummcMoïse.

« Croyez-vous,dit Buuvard, qu'il ait composéle

Pentateuque ?Oui, sans doute t

Cependanton

yraconte sa mort; même ob-

servation pour Josué, et quant aux Juges, l'auteurnous prévient qu'à l'époque dont il fait l'histoire,®Israël n'avait pasencore de rois. L'ouvrage fut donc

1

Page 330: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 330/405

BOCVAKDETPÉCUCHEf.32S

19

écritsous les Rois.Les prophètes aussi m'étonnent.ÏIvanier tes prophètes, maintenant tPas du tout mais leur esprit échauNe per-

cevaitJéhovah sous des formes diverses, celle d'unfeu,d'une broussaille,d'un vieillard, d'une colombe,etils n'étaient pas certains de la révélationpuisqu'ilsdemandent toujoursun signe.

Ah et vousavezdécouvertces belleschoses?.Dans Spinosa.»

A ce mot, le curé bondit.« L'avez-vouslu ?

Dieum'en garde 1Pourtant, monsieur, la science.Monsieur, on n'est pas savant si l'on n'est

chrétien. »La sciencelui inspiraitdessarcasmes« Fera-t-elle pousser un épi de grain, votre

science? Que savons-nous? » disait-il.

Maisil savaitque le mondea été créé pour nousilsavaitque les archanges sont au-dessus des anges,il savait que le corps humain ressuscitera tel qu'ilc'rut vers la trentaine.

~ou aplomb sacerdotal agaçait Bouvard, qui, parméfiancede Louis Ilervieu, écrività Varlot, et Pé-cuchet, mieux informé, demanda à.M. Jeufroy des.explicationssur l'Écriture.

Lessix jours de laGenèseveulentdire six grandesépoques.Le rapt des vasesprécieuxfait par les JuifsauxÉgyptiensdoit s'entendre des richessesintellec-

tuelles, les arts dont ils avaient dérobé le secret.Isaïene se dépouillapas complètement,~VMc~enlatin, s~BiÛantnu jusqu'aux.hamehes; ainsi Virgno

Page 331: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 331/405

BOUVARD ET PÉCUCHET. tconseillede se mettre nu pour labourer, et cetécri-vain n'eût pas donnéun précepte contraire à la pu-deur Ëzéchieldévorantun livre n'a rien d'extraor-dinaire ne dit-on pas dévorer une brochure,un

 journal ?Maissi l'on voitpartout des métaphores, que de-

viendront les faits ? L'abbé soutenait, cependant,

,qu'ils étaient réels.Cette manière de les entendre parut déloyalel1'Pécuchet. Il poussa plus loin ses recherches et ap-porta une note sur les contradictionsde la Bible.

L'Exodenous apprend que pendant quaranteansonfit des sacrificesdans le désert on n'en nttaucunsuivant Amoset Jérémie. Les Paratipomènes'etlelivre d'Esdras ne sont point d'accordsur le,dénom-brement du peuple. Dans le Deutéronome,Moïsevoit le Seigneurfaceà face d'après l'Exode,jamaisilne put le ~oir.Onest alors l'inspiration?2

« Motif de plus pour 1admettre, répliquait ensouriant M.Jeufroy. Les imposteurs ont besoin deconnivence,les sincères n'y prennent garde. 'Dansl'embarrasTecouronsa l'Eglise. Elleest toujoursin-faillible. M °

))e qui relève l'infaillibilité?Lesconciles de Bâle et de Constancel'attribuent

auxconciles.Maissouvent les concilesdiffèrent, té-moin ce qui se passa pour Athanase et pourAnusceux de Florence et de Latran, la décernent aupape. MaisAdrien VI déclare que le pape, comme

un autre, peut se tromper.Chicanes Tout cela ue fait rien à la permanence

du dogme.

Page 332: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 332/405

327BOUVARD ET PÉCUCHET.

L'ouvragede LoùisHervieuen signale les varia-tions le baptême, autrefois, était réservé pour lesadultes. L'extrême-onction ne fut un sacrementqu'au IX*siècle la présenceréelle a été décrétéeauVIII",le purgatoire reconnu au X~ l'ImmaculéeCon-ceptionest d'hier.

Et Pécucheten arriva à ne plus savoirque penser

de Jésus. Trois évangilesen font un homme. Dansun passage de saint Jean, il paraît s'égaler à Dieu,dans un autre, du même, se reconnattreson infé-rieur.

L'abbé ripostait, parla lettre duroiÀbgar, lesac-tes de Pilate et le témoignage des Sibylles « dont.le fondestvéritableM.Il retrouvaitla vierge dans lesGaules,l'annonced'un rédempteur en Chine,la Tri-Ditepartout, la croix sur le bonnet du grand lama,en Igyple au poing des dieux et même, il fitvoirune gravure, représentant un nilomètre, lequel

étaitun phallus, suiv nt Pécuchet.M.Jeufroy consultait secrètement son ami Pru-

neau, qui lui cherchaitdes preuves dans lesauteurs.Une lutte d'érudition s'engagea et fouetté parl'amour-propre, Pécuchetdevint transcendant, my-thologue.

Il comparaitla Viergeà Isis,l'eucharistieau homades Perses, Bacchusà Moïse,l'arche deNoéau vais-seau de Xithuros,ces ressemblancespour lui dé-montraient l'identitédes religions.

Maisil ne peut y avoir plusieursreligions, puis-qu'il n'y a qu'un Dieu) et quand il était à boutd'arguments, l'homme à la soutanes'écriait: « C'estun mystère!1»

Page 333: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 333/405

328 BOUVARDET PECUCHET.

Quesignitlece mot? Défautde savoir; très Men.Maiss'il désigne une chosedont le seul énoncé im-plique contradiction,c'est une sottise,et Pécuchetne quittait plus M. Jeufroy. Il lesurprenait dans son

 jardin, l'attendait an confessionnal,le relançait dansla sacristie.

Le prêtre imaginaitdes ruses pour le fuir.

Un  jour, qu'il était parti à Sassetot administrerquelqu'un, Pécuchetse porta au-devantde luisurlaroute, manièrede rendre la conversationinévitable.

C'étaitle soir vers la Rnd'août. Le cielécarlateserembrunit, et un gros nuage s'y forma, régulierdansle bas, avecdes volutes au sommet.

Pécuchet, d'abord, parla de chosesindin'érentespuis, ayant glissé le mot martyr:

« Combienpensez-vousqu'il y en ait eu ?Une vingtaine de millions, pour le moins.Leur nombren'est pas si grand, dit Origène.Origène, vous savez,est suspect

Un large coupdevent passa, inclinantl'herbe desfossés, et lesdeuxrangs d'ormeaux jusqu'au bout del'horizon.Pécuchet reprit « On classe dans les martyrs,beaucoup d'évoqués gaulois, tués en résistant auxBarbares, ce qui n'est plus la question.

Allez-vousdéfendreles empereurs? aSuivantPécuchet,on lesavaitcatomniés,« L'his-

toire de 1slégion thébaine est une fable.Je conteste

également Symphoroseet

ses sept fils,FéHcitéet

ses sept filles, et les septvierges d'Ancyre,condam-nées au viol, bien que septuagénaires,et les onzemille viergesde sainteUrsu)e, dont une compagne

Page 334: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 334/405

BOCVAR& ET PÉCUCHET. 329

s'appelait C~M~c~M' unnompris pour un chiffre;encoreplus les dix martyrs d'Alexandrie1

Cependant Cependant,ils se trouvent dansdes auteursdignes de créance. »

Des gouths d'eau tombèrent. Lecuré déployasonparapluie et Pécuchet,quand il fut dessous, osaprétendre que les catholiquesavaient fait plus de

martyrschezles

 juifs,lesmusulmans, les

protestantselles libres penseursque tous lasRomainsautrefois.L'ecctésiastiquese récria « Maison compte dix

persécutionsdepuisNéron jusqu'au CésarGalba!lEhbien 1 et les massacresdes Albigeois? et la

Saint-Barthélémy?et la révocation de l'édit deNantes?

Excèsdéplorablessans doute,mais vousn'allezpas comparerces gens-là à saint Étienne. saint Lau-rent, Cyprien, Polycarpe, une foule de mission-naires.

Pardon! je vous rappellerai Hypathie,Jérômede Prague, Jean Huss, Bruno, Vanini, Anne Du-bourg »

La pluie augmentait, et ses rayons dardaient sifort, qu'ils rebondissaientdu sol, commede petitesfusées btanches. Pécuchetet M.Jeun'oymarchaientavec lenteur serrés l'un contre l'autre, et le curédisait:

« Après des supplices abominables,.on les jetaitdans des chaudières1

–L'tnquisition employaitde mêmela torture, et

eUevousbrûtait très bien.On exposait les dames illustres dans les /M~a-M~/ 

Page 335: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 335/405

330 BOUVARDET PÉCUCHET.

Croyez-vousque les dragons de Louis XIVfussentsdécents?

Ktnotez que les chrétiens n'avaient rien faitcontrel'État1

Les Huguenotspas davantage 1»Le vent chassait, balayaitla pluie dans l'air. Elle

claquait sur les feuiHes, ruisselait au bord du

chemin, et le cid. couleur de boue, se confondaitavec les champsdénudés, lamoissonétant finie.Pasun toit. Auloin seulement, la cabaned'un berger.

Le maigre paletot de t'écuchet n'avait plus un filde sec. L'eau coulaille long de son échine, entraitdans ses bottes, dans ses oreilles, dans ses yeux,malgré la visière de la casquette Amoros le cure,en relevant d'un bras la queue de sa soutane, se dé-couvraitles jambes, et les pointes de son tricornecrachaient l'eau sur ses épaules comme des gar-gouiticsdecathédrale.

Il falluts'arrêter, et tournant le dos à la tempête,ils restèrent face à face, ventre contre ventre, entenant à quatre mains le parapluie qui oscillait.

M. Jeufroyn'avait pas interrompula défense descatholiques.

« Ont-ilscrucifiévosprotestants, commele furentsaint Siméon, ou fait dévorer un homme par deuxtigres, commeil advintà saint Ignace?2

-Mais comptez-vouspour quelque chose, tant defemmesséparées de leurs maris, d'enfants arrachésà leurs mères Et les exils des pauvres, travers la

neige, au milieu des précipices! On les entassaitdans les prisons à peine morts, on les tratnait surla claie,jt

Page 336: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 336/405

BOUVARD ET PECUCHET. 33i

L'abbéricana a Vousme permettrez de n'en riencroire Et nos martyrs à nous sontmoins douteux.SainteBlandinea été livréenue dans un filet à unevachefurieuse.SainteJulie périt assomméede coups.SaintTaraque, saint Probus et saint Andronic, onleura brisé les dents avec un marteau, déchiré lescôtesavec des peignes en fer, traversé les mainsavecdes clous

rougis, enlevéla peaudu crâne.

Vousexagérez,dit Pécuchet. Lamort desmar-tyrsétait en ce temps-làune amplificationde rhéto-rique1

Comment,de la rhétorique?Maisoui tandis que moi, monsieur, je vous

raconte de l'histoire. Les catholiques, en Irlande,éventrèrentdes femmesenceintespourprendre leursenfantsl

Jamais.Et les donnerauxpourceauxÏ

Allonsdonc1En Belgique,ils les enterraient toutes vivesQuelleplaisanterie 1On a leurs noms 1

Et quand môme, objecta le prêtre, en secouantdecolère son parapluie. Onne peut les appeler desmartyrs. Iln'y ena pas en dehors de l'Eglise.

Un mot, Si la valeur du martyr dépend de ladoctrine,comment servirait-il à en démontrer l'ex-cellence? M

La pluie se calmait; jusqu'auvillage ils ne parlè-

rent plus.Mais,sur le seuil du presbytère, l'abbé dit« Je vousplains véritablement, je vousplains i

Page 337: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 337/405

332 BOUVARDET PECUCHET.

Pécuchetconta de suite aBouvardson altercation.Elle lui avaitcauséune malveillanceanti-religieuse,et une heure après, assis devant un feu de brous-

«

sailles, ils lisaient le C~~ ~< Ces négationslourdes le choquèrent puis, se reprochart d'avoirméconnu peut-être des héros, il feuilleta, dans la

  j~o~ a~A~l'histoire des martyrs les plus illustres.

Quelles clameurs du peuple, quand ils entraientdansl'arène et si les lions et les jaguars étaienttrop doux, du geste et dela voixils les excitaient às'avancer. Onles voyaittout couvertsde sang, sou-

rire debout,le regard au ciel saintePerpétue renouases cheveuxpour ne pointparattreafuigée. Péct~chetse mit à réfléchir. La fenêtre était ouverte, la nuittranquille, beaucoup d'étoilesbrillaient. Il devaitsepasser dans leur âme deschosesdont nous n'avonsplus l'idée, une joie, un spasmedivin 1 EtPécuchetà force d'y rêver dit qu'il comprenaitcela, aurait

fait commeeux.« Toi?2

Certainement.Pas de blague Crois-tu, oui ounon i

–Je ne sais. »Il alluma une chandelle puis ses yeux tombant

sur le crucifixdansl'alcôve« Combiendemisérablesont recouru &celui-là »»Et après un silence« Onl'a dénaturé c'est la faute de Rome la po-

Ktiquedu Vatican »

MaisBouvard admirait l'Église pour sa magnifi-cence, et aurait souhaité au moyeu âge être uncardinal.

Page 338: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 338/405

BOUVARD ET PÉCUCHET. 333

<9.

« J'aurais eu bonne mine sous la pourpre, con-viens-en

La casquette de Pécuchet posée devant les char-bonsn'était passèchp encore. Tout en l'étirant, ilsentit quelque chosedans la doublure et une mé-daille de saint Josephtomba. Ils furent troublés, lefait leur paraissantinexplicable.

M°"de Noares voulutsavoir de Pécuchet s'il n'a-vaitpas éprouvé comme un changement, un bon-heur et se trahit par ses questions. Une fois, peu-dant qu'il jouait au billard, elle jtui avait cousu lamédailledans sa casquette.

Évidemment,elle l'aimait i13auraient pu sema-rier elle était veuve et il ne soupçonna pas cetamour, qui peut-être eût fait le bonheur de sa vie.

Bienqu'il se montrât plus religieux que M. Bou-vard, elle l'avait dédié à saint Joseph,dontle secoursest excellentpour les conversions.

Personne, commeelle,neconnaissaittous les cha-pelets et lesindulgencesqu'ils procurent, l'effet desreliques,les privilèges des eaux saintes. Sa montreétait retenue par une chaînette qui avaittouché auxliensde saLJ.Pierre.

Parmi ses breloques luisait uneperle d'or, àl'i-mitation de celle qui contientdansl'églised'Ailoua-gne une larme de Nôtre-Seigneur un anneau àsonpetit doigt enfermait des cheveuxdu curé d'Ajset commeelle cueillaitdes simplespour les malades,sa chambreressemblaità une sacristieet à une offi-cined'apothicaire. <

Sontemps se passait écriredes lettres, à visiterles pauvres,à dissoudredes concubinages,à répandre

Page 339: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 339/405

BOUVARDET PJ&CUCNiËT.334

des photographiesdu Sacré-Cœur. Un monsieurd~vait lui envoyerdo «la pâte desmartyrs », mélangede cire pascaleet de poussière humaine prise auxcatacombes,et qui s'emploiedans les casdésespérésen mouchesou en pilules.Elleenpt omità Pécuchet.

Il parut choqué d'un tel matérialisme.Le soir, unvaletdu châteaului apportaune hottée

d'opuscules,relatant des paroles pieuses du grand

Napoléon,des bons mots du curé dans les auberges,des morts effrayantesadvenuesà des impies. M"' deNoares savait tout celapar coeur, avec une innoitëde miracles.

Elle en contaitde stupides, des miracles sansbnt,comme si Dieules eût faits pour ébahir le monde.Sa grand'mère à elle-mêmeavaitserré dans une ar-moire des pruneaux couvertsd'un linge, et quandon ouvrit l'armoire un.an plus tard, on en vit treizesur la nappe, formant la croix.

« Expliquez-moicela. M

C'étaitson mot après ses histoires, qu'elle soute-nait avecun entêtementde bourrique, bonne femmed'ailleurs, et d'humeur enjouée.

Une fois pourtant « elle sortitde son caractèreBouvard lui contestait le miracle de PexHIa uncompotier où l'on avait caché des bogies pendantla Révolution~se dora de lui-mêmetout seul.

« Peut-être y avait-ilau fond un peu de couleur jaune provenantde l'humidité?

Maisnon 1 je vous répète que non La dorure'a pour cause le contact de l'Eucharistie.M

Et ette donnaen preuvel'attestation des éveques.C'est, disent-its, comme un bouclier, un. un

Page 340: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 340/405

BOCVAROET f&CfCHET. 33S

palladiumsur le diocèse de Perpignan. Demandezplutôtà M.Jeufroy ?o

Bouvardn'y tint plus, et, ayant repassé son LouisHervien,emmenaPécuchet.

L'ecclésiastiquefinissait de dtner. Reine oQ'ritdessièges, et, sur un geste, alla prendre deux pe-tits verresqu'elle emplit de Rosolio.

Après quoi, Bouvardexposa ce qui l'amenait.L'abbéne répondit pasfranchement.« Tout est possible à Dieu, et les miraclessont

une preuve dela religion.Cependantil y a deslois.Celan'y fait rien. Illes dérangepour instruire,

corriger.Que savez-vouss'il les dérange? répliqua Bou-

vard. Tant que la nature suit sa routine, on n'ypense pas; mais, dans un phénomène extraordi-naire, nous voyonsla main de Dieu.

Ellepeut y être, dit l'ecclésiastique, et quandun événementse trouvecertiSépar destémoins?

Les témoins gobent tout, car il y a de fauxmiracles M))

Leprêtre devintrouge« Sans doute. quelquefois.

Comment les distinguer des vrais? Et si lesvrais donnés en preuves ont eux-mêmesbesoin depreuves, pourquoienfaire? »

Reine intervint, et, prêchant commeson maître,dit qu'il fallait obéir.

« La vie est un passage, mais la mort est éter-nelle i

Bref, ajouta Bouvarden lampant le Rosolio,

Page 341: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 341/405

BOUVARDETPËCHCHET.336

les miracles d'autrefois ne sont pas mieux démon-très que les miraclesd'aujourd'hui des raisonsana"logucs défendent ceuxdes chrétienset despaïens. a

Le curé jeta sa fourchette sur la table.« Ceux-làétaient faux, encore un coup Pas de

miraclesen dehors de I'Ëg!iserTiens, se dit Pécuchet, même argument que

pour les martyrs la doctrine s'appuie sur les faitset les faitssur la doctrine. »M.Jeufroy, ayant bu un verre d'eau, reprit« Tout en les niant, vous y croyez.Le monde que

convertissentdouzepêcheurs, voilà, il me semble,un beau miracle 1

Pas du tout ? »Pécuchet en rendaitcompted'une autre manière.« Le monothéisme vient des Hébreux, la Trinité

des Indiens, le Logosest à Platon, la Viergemère àl'Asie. »

N'importe! M. Jeufroy tenait au surnaturel, nevoulaitpas que le christianismepût avoirhumaine-ment la moindreraisond'être, bien qu'il en vtt cheztous les peuples des prodromesoudes déformations.L'impiété railleuse du XVili"siècle, il l'eût tolérée;mais la critique moderne, avec sa politesse, l'exas-pérait.

« J'aime mieux l'athée qui blasphème, que lesceptique qui ergote M

Puis il les regarda d'un air de bravade, comme'pour les congédier.

Pécuchet s'en retourna mélancolique.fi avait es-péré l'accord de la foi et de la raison.

Bouvardlui fit lire ce passage de LouisHervieu

Page 342: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 342/405

BOUVARB ET P&CtCMET. 337

« Pour connaître l'aMmequi les sépare,opposezleurs axiomes

» La raison vous dit Le tout enferme la partie,et la foi Tous répond Par la substantiation, Jésuscommuniantavec ses apôtres, avait son corps danssa main, et sa tête dans sa bouche.

» Laraison Tousdit: Onn'est pas responsabledu

crimedes autres, et la foi vous répond Par le pé-ché originel.

» La raison veus dit Trois c'est trois, ot la foidéclareque Trois c'est un.

Msne fréquentèrent plus l'abbé.C'était l'époque de la guerre d'Italie.Les honnête? gens tremblaient pour le pape. On

tonnait contre Emmanuel.M" de Kuaresallait jus-qu'à lui souhaiter la mort.

Bouvardet Pécuchet ne protestaient que timide-ment. Quand la porte du saton tournait devant eux

et qu'ils se miraient en passant dans les hautesglaces, tandis quepar les fenêtres on apercevait lesallées, où tranchait, sur la verdure, le gi'~< rouged'un domestique, ils éprouvaient un plaisir: et leluxe du milieu les~adsaitindulgents aux parolesquis'y débitaient.

Le comte leur prêta tous les ouvrages de M deMaistre. 11en développait les principes devant uncercle d'intimes Hure!, le curé, le juge de paix, lenotaire et le baron, son futur gendre, qui venait de

tempsà jtutre

pour vingt-quatreheuresau château.

« Cequ'il y a d'abominable, disait le comte, c'estl'esp~t de 89 D'abord, on conteste Dieu ensuite,on discutele gouvernement; puis arrive la liberté.

Page 343: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 343/405

BOUVARBETPECUCHET.338

Liberté d'injures, do révolte, de jouissances, ouplutôt de pillage, sibien que la religionet le pouvoirdoivent proscrire les indépendants, tes hérétiques.Oncriera sans doute à la persécution,comme si lesbourreaux persécutaient les criminels. Je me ré-sume Point d'État sans Dieu! la loi ne pouvantêtre respectéeque si elledent d'en haut, et actuelle-ment il ne

s'agit pasdes

Italiens,mais de

savoirqui l'emportera de la révolution ou du pape, deSatan ou de Jésus-Christ.»

M. Jeufroy approuvait par des monosyllabes,Hurelavecun sourire, le juge de paixen dodelinantla tête. Bouvardet Pécuchetregardaient le plafondM" de Noares,la comtesseet Yolande travaillaientpour les pauvres, et M. de Mahurot, près de safiancée, parcourait les feuilles.

Puis il y avait des silences, où chacun semblaitplongé dans la recherche d'un problème. Napo-

léon 111n'était plus un sauveur, et mômeil donnaitun exempledéplorableen laissantauxTuilerieslesmaçonstravaillerle dimanche.

« Onne devrait pas permettre, » était la phraseordinairedeM.le comte. t

Économiesociale,beaux-arts,littérature, histoire,doctrines scientifiques, il décidait de tout, en saqualité de chrétien et de père de famille,et plût àDieu que le gouvernement, à cet égard, eût lamême rigueur qu'il déployait dans sa maison Lepouvoir seul est juge des dangers de la science;ré-

pandue trop largement elle inspire au peuple desambitions funestes. Il était plusheureux, cepauvrepeuple, quand les seigneurs et les évêques tempé-

Page 344: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 344/405

339BOCVAHBETP&CCCHET..

raient l'absolutisme du roi. Les industriels mainte-nant l'exploitent. Il vatomberen esclavage.

Ettousregrettaient l'ancienrégime Hurelparbas-sesse,Coulonpar ignorance,Marescotcommeartiste.

Bouvard, une fois chez lui, se retrempait avecLamettrie, d'Holbach, etc. et Pécuchet s'éloignad'une religion devenue un moyen degouvernement.M.de Mahurot avait communié

pourséduire mieux

« ces dames », et s'il pratiquait, c'était à cause desdomestiques.

Mathématicienet dilettante, jouant des valses surle piano et admirateur de Toptfer, il se distinguaitpar un scepticisme de bon goût. Ce qu'on rapportedes abus féodaux, de l'inquisition ou des jésuites,préjugés, et il vantaitle progrès, bien qu'il méprisâttout ce qui n'était pas gentilhommeou sorti de FË-colepolytechniquet

M. Jeufroy, de même, leur déplaisait.Il croyait

aux sortilèges, faisaitdes plaisanteriessur les idoles,affirmaitque tous les idiomes sont dérivés de l'hé-breu sa rhétoriquemanquaitd'imprévu invariable-ment, c'était le cerf aux abois, le miel et l'absinthe,l'or et le plomb, des parfums, des urnes, et l'âmechrétienne comparéeau soldat qui doit dire en facedu jpéchô « Tune passespas »

Pour éviter ses conférences,ils arrivaient au châ-teau le plus tard possible.

Un jour pourtant, ils l'y trouvèrent.Depuis une heure, il attendait ses deux élèves.

Tout à coup, M"' de Noaresentra.« La petite a disparu.J'amène Victor.Ah1le mal-heureux »

Page 345: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 345/405

BOUVARD ET PÉCUCHET.340

Elleavaitsaisi dans sa pocheun dé d'argent perdudepuis trois jours, puis suffoquéepar les sanglots

« Ce n'e?t, pas tout ce n'est pas tout Pendantqueje le grondais, il m'a montré son derrière M

Et avant que le comteet la comtesseaient riendit

« Du reste, c'est de ma faute pardonnez-moi ?

Elle leur avaitcachéque les deux orphelinsétaientles enfants de Touache, maintenant au bagne.Quefaire?Si le comte les renvoyait, ils étaient perdus, et

son actede charitépasseraitpour un caprice.M.Jeufroy ne fut pas surpris. L'hommeétant cor-

rompu naturellement, on doit le châtierpour l~a-méliorer.

Bouvardprotesta. La douceur valaitmieux.Maisle comte, encore une fois, s'étendit sur le

bras defer indispensableauxenfants commepourles

peuples. Cesdeux-laétaient pleinsdéviées lapetitefillementeuse, le gamin brutal. ( e vol, après tout,on l'excuserait; l'insolence, jamais l'éducation de-vant être fécoledu respect.

Donc, Sorel, le garde-chasse, administrerait au jeune homme une bonne fesséeimmédiatement.

M. deMahurot, qui avaità luidire quelque chose,se chargea de la commission. Il prit un fusil dansl'antichambreet appelaVictor, resté ~u milieu de lacour, la têtebasse

« Suis-moi 1»ditle baron.

Commela route pour allerchezle garde détour-nait peu de ChaviguuIIes,M. Jeu&oy, Bouvard etPécuchet l'accompagnèrent~

1.

Page 346: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 346/405

BOUVARD ET PÉCUCHET. 34i

Acent pas du château, il les pria de ne plus par-'ler tant qu'il longerait lebois.

Le terrain dévallait jusqu'au bord de la rivière,où se dressaientde grands quartiers de roches. Ellefaisait des plaques d'or sous le soleil couchant. Enface,lesverduresdes collinesse couvraientd'pmbre.Unair vif soufflait.

Deslapins sortirent de leurs terriers et broutaientle gazon..

Un coup de feu partit, un deuxième,un autre, etles lapins sautaient, déboulaient. Victor se jetaitdessus pour les saisir et haletait, trempé de sueur.

« Tu arranges bien tes nippes Mdit le baron.Sablouse, en loques,avaitdu sang.La vue du sang répugnait à Bouvard.Il n'admet-

tait pas qu'on en pût verser.M.Jeufroyreprit« Les circons!ances quelquefoisl'exigent. Si ce

n'estpas

lecoupable qui

donnelesien,

il fautceluid'un autre, vérité que nous enseigne la Rédemp-

tion. »SuivantBouvard,elle n'avait guère servi, presque

tous les hommesétant damnés, malgré le sacrificede Notre-Seigneur.

« Mais quotidiennement il le renouvelle dansl'Eucharistie.

Et le miracle, dit Pécuchet, se fait avec desmots, quelleque soit l'indignité du prêtre.

La est le mystère, monsieur. »

CependantVictorclouait ses yeux sur le fusil, tâ-chaitmême d'y toucher.« Abas les pattes »

Page 347: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 347/405

~PUVARDET PÉCUCHET.342

Et M. de Mahurotprit un sentier sous bois.L'ecclésiastique avait Pécuchet d'un côté, Bou-

vard de l'autre, et il lui dit« Attention, vous savezDebetur ~Me~M.MBouvardl'assura qu'il s'humiliaitdevant le Créa-

teur, maisétait indigné qu'on en fit un homme. Onredoute sa vengeance, on travaillepour sa gloire, ila toutes les vertus, un bras, un œil, une politique,une habitation. Notre Père, qui êtes aux cieux,qu'est-ce-que celaveut dire??»

Et Pécuchet ajouta« Le mondes'est élargi, la Terre n'en fait plus le

centre. Elle roule dans la multitude infinie de sespareils. Beaucoupla dépassent en grandeur, et &;erapetissement de notre globe 'prouve de Dieu unidéal plus sublime. »

Donc,la religion devait changer. Le paradis estquelque chosed'enfantin avec ses bienheureuxtou-

 jours contemplant,toujours chantant et

qui regar-dent d'en haut les tortures des damnés. Quand onsonge que le christianismea pour base une pomme1

Le curé se fâcha.« Niezla rCvélation,ce sera plus simple.

Commept voulez-vousque Dieu.ait parlé? ditBouvard.

Prouvezqu'il n'a pas parlé disait Jeufroy-Encore une ibis, qui vous l'affirme1-L'Eglise1Beautémoignage M»

Cettediscussion

ennuyait M.d~ Mahurot, et tout.enmarchant« Ecoutezdoncle curé, il en sait plusque vous »

Page 348: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 348/405

BOUVARD ET P&COCHET. 343

Bouvard et Pécuchet se firent des signes pourprendre un autre chemin, puis à la Croix-Verte

« Bien le bonsoirServiteurMdit le baron.

Tout cela serait conté à M. de Faverges, et peut-être qu'une rupture s'ensuivrait. Tant pis. Ils sesentaient mépriséspar cesnobles. Onne lesinvitait

 jamais à dtner, et ils étaient las de M" de Noares,

avecses continuellesremontrances.Ils ne pouvaientcependant garder leDe Af~M~'e,et une quinzaineaprès ils retournèrent au château,croyantn'être pas reçus.

Ils le furent.Toutela famillese trouvaitdans le boudoir, Hurel

y compris, et par extraordinaireFoureau.Lacorrectionn'avaitpoint corrigé Victor.Il refu-

sait d'apprendre son catéchisme,et Victorinepro-férait des mots sales.Bref, le garçoniraitaux JeunesDétenus, la petite fille dans un couvent.

Foureau s'était chargé des démarches, et il s'enallaitquand la comtesse le rappela.

On attendait M. Jeuh'oy pour fixer ensemble ladate du mariage,qui aurait lieuà la mairiebien avantde se faire al'église, aSndemontrer quel'on honnis-sait le mariage civil.

Foureau tâcha de le défendre. Le comteet Hurel.l'attaquèrent. Qu'était une fonctionmunicipaleprèsd'un sacerdoce et le baron ne se f&t pas crumarié s'il l'eût été seulement devant une écharpe

tricolore.« Bravo1 dit M.Jeufroy, qui entrait. Le mariageétant établi par Jésus.H

Page 349: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 349/405

344 BOUVARD ET P&CCCHET.

Pécuchet l'arrêta « Dans quel évangile Auxtemps apostoliques on le considérait si peu, queTertullien le compareà l'adultère.

Aht parexempte &–Mais oui et ce n'est pas un sacrement H faut

au sacrement un signe. Montrez-moile signe dansle mariage MIre curé eut beau répondre qu'il figu-rait l'alliance de Dieuavec l'Église. «Vousne com-prenez plus le christianisme et la loi.

–KHe en garde l'empreinte, dit M.de Favergessans lui, e!'e autoriseraitla polygamie »

Une voixrépliqua « Oùserait le mal? »C'était Bouvard,à demi cachépar un rideau.« Onpeut avoir plusieurs épouses, commetes pa-

triarches, les mormons,les musulmanset néanmoinsêtre honnête homme

–Jamais s'écria le prêtre, l'honnêteté consisteà rendre ce qui est dû. Nous devons hommageàDieu.Or,

quin'est

paschrétien, n'est

pashonnête

Autantque d'autres, » dit Bouvard.Le comte, croyantvoir dans cette repartie une at-

teinte à la religion, l'exalta. l<;l!eavait aSrancMlesesclaves.

Bouvardfitdès citationsprouvant le contraire.-Saint Paulleur recommanded'obéirauxmaîtres

comme à Jésus. –Saint Ambroisenommela servi-tude un don de Dieu.

-Le Lévitique,l'Exode et les concilesl'ont sanc-tionnée. Bossuet la' classe parmi le droit des

gens. –Kt monseigneur Bouvierl'approuve.Le comteobjectaque le christianisme,pas moins,avaitdéveloppéla civilisation.

Page 350: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 350/405

BOUVARDET PÉCUCHET. 34S

Etla paresse, enfaisantdelapauvretéunevertuCependant,monsieur, la morale de FËvangiie?Eh eh pas si morale Les ouvriers de la der-

nière heure,sont autant payés que ceux d<a pre-mière. Ondonne à celui qui possède, et on ,'etireceluiqui n'a pas. Quantau précepte de recevoirdessouffletssans les rendre et de se laisser voler, il en-

courageles

audacieux,les lâcheset les

coquins.»

Le scandaleredoubla, quandPécuchet eut.déparéqu'il aimait autant le Bouddhisme.

Le prêtre éclata de rire « Ah ah ah le Boud-dhisme!1»

M"*de Noares leva les bras « Le BouddhismeComment. le Bouddhisme!1 répétait le

comte.Leconnaissez-vous? dit Pécuchet&M.Jeufroy,

qui s'embrouilla.Eh bien, sachez-le! mieux que le. christia-

nisme, et avantlui, il a reconnu le néant des chosesterrestres. Ses pratiques sont austères, ses ndètesplus nombreuxque tous les chrétiens, et pour l'in-carnation, Vischnou n'en a pas une, mais neuf!Ainsi, jugez 1

Des mensongesde voyageurs,ditM°"de Noares.Soutenus par les francs-maçons, » ajouta le

curé.Et tous parlant à la fois « Allezdonc, continuez1Fort joli! Moi, je le trouve drôle. Pas pos-

sible. » Sibien que Pécuchet,exaspéré,déclara qu'il

seferaitbouddhiste« Vnns insultez des chrétiennes )<dit le baron.M' de Noaress'affaissadans un fauteuil. La eum-

Page 351: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 351/405

MOUVARD ET PÉCUCHET.346

tesse et Yolandese taisaient. Le comteroulait desyeux Hurel attendait des ordres. L'abbé, pour secontenir, lisait son bréviaire.

Cette vue apaisaM. de Faverges, et, considérantles deux bonshommes « Avant de blâmer l'Evan-gile, et quand on a des taches dans sa vie, il est cer-taines réparations.

Desréparations?–Des taches?2

Assez, messieurs vous devezme comprendreiPuis s'adressant à Foureau: « Soret est prévenu1Allez-y MEt Bouvardet Pécuchetse retirèrent sanssaluer.

Au bout de l'avenue, ils exhalèrent, tous lestrois, leur ressentiment « Onme traite en domes-tique », grommelaitFoureau, et les autres l'ap-prouvant,malgré le souvenir des hémorrhoïdes, 'ilavaitpour eux commede la sympathie.

Des cantonniers travaillaient dans la campagne.L'hommequi les commandaitse rapprocha, c'étaitGorju. Onse mit à causer. Hsurveillaitlecailloutagede la route, votée en i848~et devait cetteplace àM. de Mahurot,l'ingénieur.

« Celuiqui doit épouser M""de Faverges1 Voussortez de là-bas, sansdoute?

Pour la dernière fois1» dit brutalement Pécu-chet.

Gorjuprit un air naïf. « Une brouille? Tiens1tiens 1 »

Ets'ilsavaientpu voir sa mine, quandils eurentiuunié les talons, ils auraient comprisqu'il en uni-rait la cause.

Page 352: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 352/405

BOUVARD ET PÉCUCHET. 347

Unpeu plus loinils s'arrêtèrent devantun enclosde treillage, qui contenaitdesloges à chien, et unemaisonnette en tuiles rouges.

Victorineétait sur le seuil. Des aboiementsreten-tirent. Lafemmedu garde parut.

Sachantpourquoi lemaire venait,elle hélaVictor.Tout d'avance était prêt, et leur trousseau dans

deux mouchoirs que fermaient des épingles.«Bon voyage, leur dit-elle, trop heureuse de

n'avoir plus cette vermine »Était-ce leur faute, s'ils étaient nés d'un père

forçat? Au contraire, ils semblaient très doux, nes'inquiétaient pas même de l'endroit où on les me-'nait.

Bouvard et Pécuchet les regardaient marcherdevant eux.

Victorinechantonnait des parolesindistinctes, sonfoulardau bras, commeune modiste qui porte uncarton. Elle se retournait

quelquefois,et

Pécuchet,devant ses frisettes blondeset sa gentille tournure,regrettait de n'avoir pasune enfant pareille. Élevéeen d'autres conditions, elle serait charmante plustard Quel bonheur que de la voir grandir, d'en-tendre tous les jours son ramage d'oiseau, quand ille voudrait de l'embrasser, et un attendrisse-ment. lui montant du cœur aux lèvres, humecta sespaupières, l'oppressaitun peu. <

Victor,commeun soldat, s'était mis son bagagesur le dos. Il sifflait, jetait despierres aux corneilles

dansles sillons,allait sousles arbres pour se couperdes badines. Foureau le rappela; et Bouvard, enle retenant par la main, Jouissait de sentir dans.la

Page 353: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 353/405

BOUVARD ET P&CUCBMT.348

sienneces doigts d'enfant robusteset vigoureux. Lepauvrepetit diable ne demandait qu'à se développerlibrement, commeune fleuren plein air et ilpour-rirait entre des murs, avec des leçons, des puni-tions, un tas de bêtisesBouvard fut saisi par unerévoltede la pitié, une indignation contre le sort,une de cesrages où l'on veut détruire le gouverne-ment. «

Galope dit-il,amuse-toi

jouisde ton

reste r»Le gamin s'échappa.Sa sœuret lui coucheraientà l'auberge, et,

dès l'aube, le messager de Falaise prendrait Victorpour le descendreau pénitencier de Beaubourg,–une religieuse de l'orphelinatde Grand-Campemmè-nerait Victorine.

Foureau, ayant donné ces détails, se replongeadans ses pensées. MaisBouvardvoulut savoir com-bien pouvaitcoûterl'entretien des deux mioches.

« Bah L'affaire,peut-être ,detroiscentsfrancsLe comtem'en a remis vingt-cinqpour les premiersdébours 1 Quelpingre »

Et gardant sur le cœur le mépris de son écharpe,Foureau hâtait le pas, silencieusement.

Bouvardmurmura « Ils-me font de la peine. Jem'en chargerais bien Moiaussi, » dit Pécuchet.La mômeidée leur étant venue.

Il existaitsans doutedes empêchements?« Aucun' répliqua Foureau. 0 ailtexrsu avait!e

droit, comme maire, de confierà qui bon lui sem

blait, les enfants abandonnés, Et après uneIonguo hésitation K Khbien oui prenez-les $a leferabisquer.

Page 354: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 354/405

BOUVARBET PÉCUCHET. 349

Bouvardet Pécuchetles emmenèrent.TEnrentrant chez eux, ils trouvèrent au bas de

l'escalier, sous la madone, Marcelà genoux, et quipriait avecferveur.La tête renversée, les yeux demiclos, et dilatantson bec-de-lièvre, il avaitl'air d'unfakir en extase.

« Quellebrute dit Bouvard.Pourquoi?Ilassiste peut-êtreà des choses que

tu lui jalouserais, si tu pouvais les voir. N'y a-t-ilpas deux mondes tout à fait distincts? L'objet d'unraisonnement a moinsde valeur que la manièrederaisonner. Qu'importe la croyance Le principalest de croire. n

Telles furent, à la remarque de Bouvard, les ob- jectionsde Pécuchet.

Page 355: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 355/405

Ils seprocurèrentplusieurs ouvragestouchantl'é-ducation et leur système fut résolu. Il fallait bannirtoute idée métaphysique, et, d'après la méthodeexpérimentale,suivre le développement de la na-ture. Riennepressait, les deux élevésdevantoublierce qu'ils avaientappris.

Bienqu'ils eussent un tempérament solide, Pécu-chet voulait commeun Spartiate les endurcir en-core, les accoutumerà la faim, à la soif, auxin-tempériep,et même qu'ilsportassentdes chaussurestrouées afin de prévenir les rhumes. Bouvards'y

opposa.Le cabinet noir au fond du corridor devintleur chambre à coucher.Elle avait pour meublesdeuxlits de sangle, deux couchettes,un broc; l'œil-de-boeuf s'ouvrait au dessus de leur tête, et desaraignées couraient le long du plâtre.

Souvent, ils se rappelaient l'intérieur d'une ca-bane oùl'on se disputait.

Leur père était rentré une nuit, avecdu sang auxmains. Quelquetemps après les gendarmes étaientvenus. Ensuite ils avaient logé dans un bois. Des

hommes quifaisaient des sabots embrassaientleurmère. Elle était morte, une charrette les avait eiu-

x

Page 356: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 356/405

BOUVARh ET PËCHCHKT. 3S!

menés. Onles battait beaucoup, ils s'étaient perdus.Puis ils revoyaientte garde champêtre, M"°de Koares,Sorel, et, sans se demander pourquoi cette autremaison, ils s'y trouvaient heureux. Aussi leur éton-nement fut pénibte, quand au bout de huit mois les

leçons recommencèrent. Bouvard se chargea de la

petite, Pécuchet du gamin.Victor

distinguaitses lettres, mais n'arrivait

pasà former les syllabes. Il en bredouillait, s'arrêtaittout à coup et avait l'air idiot. Victorineposait des

questions. D'où vient que cAdans orchestre a le sond'un y et celui d'un k dans archéo)ogique? On doit

par moments joindre deux voyelles, d'autres f.as lesdétacher. Tout cela n'est pas juste. Elle s'indi-

gnait.Les maîtres professaient à la même heure, dans

leurs chambres respectives, et la cloisonétant mince,ces quatre voix, une nûtée, une profonde et deux

aiguës composaientun charivari abominable. Pour

en Unir et stimuler les mioches par l'émutation, ilseurent l'idée de les faire travailler ensemble dans lemuséum et on aborda l'écriture.

Les deux élèves à chaque bout de la table co-

piaient un exemple mais la position du corps étaitmauvaise. Il les fallait redresser, leurs pages tom-baient, leurs plumes se fendaient, l'encre se ren-versait.

Yictorine en de certains jours allait bien pendanttrois minutes, puis traçait des griffonnages et, prise

de découragement, restait les yeux au plafond. Vic-tor ne tardait pas a s'endormir, vautré au mitieu dubureau.

Page 357: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 357/405

BOUVARD ET PÉCUCHET.3S2

Peut-être souffraient-ils? Une tension trop fortenuit aux jeunes cervelles.

« Arrêtons-nous, » dit Bouvard.Rienn'est stupide commede faire apprendre par

coeur cependant si on n'exerce pas la mémoire,elle s'atrophiera et ils leur serinèrent les premièresfables de La Fontaine. Les enfants approuvaient la

fourmi qui thésaurise, le loup qui mange l'agneau,le lion qui prend toutesles parts.Devenus plus hardis, ils dévastaient le jardin.

Maisquel amusement leur donner?2Jean-Jacques dans Émile conseilleau gouverneur

de faire faire à l'élève ses jouets lui-même en l'ai-dant un peu, sans qu'il s'en doute. Bouvardne putréussir à fabriquer un cerceau, Pécuchet à coudreune balle. Ils passèrent aux jeux instructifstelsquedes découpures, Pécuchetleur montra son micros-cope. La chandelleétant allumée,Bouvarddessinait

avec l'ombre de ses doigts sur la muraillele profild'un lièvre ou d'un cochon. Le public s'en fatigua.'

Des auteurs exaltent commeplaisirun déjeunerchampêtre, une partie de bateau était-ce prati-cable, franchement? Et Fénelon recommande detemps à autre « une conversation innocente ».Impossibled'en imagineruneseule 1

Ilsrevinrent aux leçons et les boules à facettes,les rayures, le bureau typographique, tout avaitéchoué, quand ils avisèrent un stratagème.

CommeVictorétait enclin à la gourmandise, on

lui présentait le nomd'un plat bientôt il lut cou-ramment dans le CM&MMM?* /~MCCM.Victorineétantcoquette, une robe lui serait donnée, si, pour l'a-

Page 358: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 358/405

BOUVARD ET PÉCUCHET. 353

M.

voir, elle écrivait à la couturière. En moins de troissemaines elle accomplit ce prodige. C'était courtiserleurs défauts, moyen pernicieux, mais qui avaitréussi.

Maintenant qu'ils savaient écrire et lire, que leur

apprendre ? Autre embarras.Les filles n'ont pas besoin d'être savantes comme

les garçons. N'importe, on les élève ordinairementen véritables brutes, tout leur bagage intellectuelse bornant à des sottises mystiques.

Convient-ilde leur enseigner les langues? « L'es-pagnol et l'italien, prétend le Cygnede Cambray, neservent guère qu'à lire des ouvrages dangereux. »Un tel motif leur parut bête. Cependant Victorine

n'aurait quefaire de ces idiomes, tandis que l'anglaisest d'un usage plus commun. Pécuchet en étudiales règles il démontrait, avec sérieux, la façond'émettre le « tiens, comme cela, the, the, thé? M

Mais avant d'instruire un enfant. il faudrait con-naître ses aptitudes. On les devine par la phréno-logie. Ils s'y plongèrent puis voulurent en vérinerles assertions sur leurs personnes. !!ouvard présen-tait la ~osse de la bienveillance. de l'imagination,de la vénération et celle de l'énergie amoureuse

vulgo érotisme.On sentait sur les temporaux de Pécuchet la phi-

losophiqueet l'erthousia~mejoin).~a t'espritde r~e.

Effectivement, tels étaient leurs caractères. Ce

qui les surprit davantage, ce fut de reconnaître

chez l'un comme chez l'autre le penchant a l'amiMé.et, charmés de la découverte, ils s embrassèrcu!Avecattendrissement.

Page 359: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 359/405

BOUVARDET PÉCUCHET.384

Leur examen ensuite porta sur Marcel.Son plusgrand défaut, et qu'ilsn'ignoraientpas, était un ex-trêmeappétit.NéanmoinsBoudardetPécuchetfurenteffrayéseri constatantau-dessusdu pavillonde l'o-reille, à la hauteur de l'œil, l'organe de l'alimen-tivité. Avecl'âge leur domestiquedeviendraitpeut-être comme cette femme de la Salpôtrière quimangeait

quotidiennementhuit livresde pain, en-

gloutit une fois quatorze potages et une autresoixantebols de café.Ils ne pourraient y suffire.

Les têtes de leurs élèves n'avaient rien de cu-rieux ils s'y prenaient mal sans doute. Un moyentrès simpledéveloppaleur expérience.

Les jours de marché,ils se faufilaientau milieudes paysans sur la place entre les sacs d'avoine, lespaniers de fromages, les veaux, les chevaux,in-sensibles aux bousculades et quand ils trouvaientun jeune garçon avecson père, ils demandaientàlui

palperle crâne dans un but

scientiGque.Le plus grand nombre ne répondait même pasd'autres, croyant qu'il s'agissait d'une pommadepour la teigne, refusaient,vexés quelques-uns,parindifférence, se laissaientemmener sous le porchede l'église, où l'on serait tranquille.

Un matin que Bouvardet Pécuchety commen-çaient leur manoeuvre,le curé tout à coupparut et,voyant ce qu'ils faisaient, accusa la phrénologie depousser au matérialismeet au fatalisme.

Le voleur, l'assassin,l'adultère, n'ont plus qu'à

rejeter leurs crimes sur la faute de leursbosses.Bouvardobjecta que l'organe prédisposeà l'actionsans pourtant y contraindre.De ce qu'.unhommea

Page 360: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 360/405

BOUVARDET PÉCUCHET. 383

legerme d'un vice, rien ne prouvequ'il sera vicieux.« Du reste, j'admire les orthodoxes ils soutien-

nent les idées innées et repoussent les penchants.Quellecontradiction M)

Mais la phrénologie, suivant M. Jeufroy, niaitl'omnipotencedivine, et il était malséant de la pra-tiquerà l'ombre du saint lieu, en facemême de l'au-

tel.« Retirez-vous,non 1 retirez-vousM»Ils s'établirent chezGanotle coiffeur.Pour vaincre

toute hésitation,Bouvardet Pécuchetallaient jusqu'àrégalerles parents d'une barbe ou d'une frisure.

Le docteur, un après-midi, vint s'y faire couperles cheveux. En s'asseyant dans le fauteuil, il aper-çut, renétés par la glace, le? deux phrénologuesquipromenaientleurs doigts sur des cabochesd'enfant.

« Vousen êtes à cesbêtises-là? dit-il.Pourquoi, bêtise? »

Vaucorbeileut un sourire méprisant,puis affirmaqu'il n'y avait point dans le cerveau plusieurs or-ganes.

Ainsi, tel homme digère un alimentque ne digèrepastel autre 1 Faut-ilsupposerdansl'estomacautantd'estomacsqu'il s'y trouve de goûts? Cependantuntravail délasse d'un autre, un effortintellectuel netend pas à la fois toutes les facultés, chacune a unsiège distinct.

« Les anatomistesne Font pasrencontré, dit Vau-corbeil.

C'e!<tqu'ils ont mal disséqué, reprit Pécuchet.Comment?Eh, oui. Ils coupent des tranches, sans égard à

Page 361: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 361/405

BOUVARDET PÉCUCHET.356

la connexiondesparties », phrase d'un livre qu'il serappelait.

« Voilâiune balourdise, s'écria le médecin. Lecrâne ne se moule pas sur le cerveau, l'extérieursur l'intérieur.

Gallse trompe, et je vous défie de légitimer sadoctrineen prenant, au hasard, trois personnesdans

là boutique.La premièreétaitune paysanne avecde gros yeuxbleus. M

Pécuchetdit, en l'observant« Elle a beaucoup de mémoire. »Sonmari attestale fait et s'offritlui-mêmeli l~ex-

ploration.« Oh1vous, mon brave, onvous conduitdifficile-

ment.»

D'aprèsles autres, il n'y avaitpoint dans le mondeun pareil têtu.

La troisièmeépreuvese fitsurun gaminescortédesa grand mère.

Pécuchet déclara qu'il devait chérir la musique.« Je crois bien, dit la bonne femme montre à ces

Messieurspour voir. »Il tira de sa blouse une guimbarde et se mit à

soufner dedans.Unfracas s'éleva, c'étaitla porte, claquéeviolem-

ment par le docteur, qui s'en allait.Ils ne doutèrent plus d'eux-mêmes,et, appelant

les deuxélèves,

recommencèrentl'analyse

de leurboîte osseuse.

CelledeVictorineétaitgénéralementunie, marquede pondération maisson frère avaitun crâne dépio-

Page 362: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 362/405

BOUVARD ET P&CUCHET. 337

rable une éminence très forte dans l'angle mas-toïdiendespariétauxindiquaitl'organe de la destruc-tion, du meurtre, et plus basun renflementétait lesigne de la convoitise, du vol. Bouvardet Pécucheten furent attristés pendant huit jours.

Mais il faudrait comprendre le sens exact desmots ce qu'on appelle la combativitéimplique ledédain de la mort. S'ilfaitdes homicides,il peut de

même produire des 'sauvetages. L'acquisivité en-globe le tact des filouset l'ardeur des commerçants:L'irrévérenceest parallèle à l'esprit de critique, laruse à la circonspection.Toujoursun instinctse dé-doubleen deux parties une mauvaise,une bonne.On détruirala seconde en cultivantla première, etpar cette méthode, un enfant audacieux, loin d'êtreun bandit, deviendra un général. Le lâche n'auraseulementque dela prudence, l'avarede l'économie,le prodigue de la générosité.

Un rêve magnifiquelesoccupa

s'ils menaientàbien l'éducationde leurs élèves, ils fonderaientplustard un établissement ayant pour but de. redresserl'intelligence, dompter les caractères, ennoblir lecœur. Déjàilsparlaientdes souscriptionset de la bâ-tisse.

Leur triomphechezGanotlesavaitrenduscélèbres,et des gens les venaient consulter, afin qu'on leurdise leurs chancesde fortune.

Il en défilade touteslesespèces crânesen boule,en poire, en pain de sucre, des carrés, d'élevés, deresserrés,

d'aplatis,avecdesmâchoiresde

boeuf,desfigures d'oiseaux,des yeux de cochon; mais tant demonde gênait le perruquier dans son travail. Les

Page 363: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 363/405

BOUVABDET PÉCUCHET.3M

coudes frôlaientl'armoireà vitres contenantla par-fumerie on dérangeait les peignes, le lavabo futbrisé, et il flanqua dehors tous les amateurs, enpriant Bouvardet Pécuchetde les suivre,~MMa~Mqu'ils acceptèrentsansmurmurer, étant un peu fati-gués de la crtnioscopie.

Le lendemain,commeilspassaient devantle jardi-net du capitaine, ils aperçurent, causant avec lui,

Girbal,Coulon,le garde champêtreet son fils cadet,Zéphyrin, habilléen enfantde choeur.Sa robe étaittoute neuve il se promenait dessous avant de laremettre à la sacristie,et on le complimentait.

Curieux de savoir ce qu'ils en penseraient,Riac-quevent pria ces Messieurs de palper son jeunehomme.

La peau dufrontavaitl'air commetendue un nezmince, très cartilagineuxdu bout, tombaitoblique-ment sur deslèvrespincées le mentonétait pointu,le regard fuyant, l'épauledroite trophaute.

« Retireta calotte», lui dit son père.Bouvardglissases mains dans sa chevelure cou-

leur de paille, puis ce fut le tour de Pécuchet,et ilsse communiquaientà voixbasse leursobservations« Biophilie manifeste. Ah ah /o~<t~M«eo?Mc~c!o~~absente! c~a~~nuUe

Eh bien? » dit le garde champêtre.Pécuchetouvrit sa tabatière et humaune prise.« Ma foi, répliqua Bouvard, ce n'est guère fa-

meux. »

Placqueventrougitd'humiliation

a il fera tout de même ma volonté.–Oh! oh! t

Page 364: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 364/405

BOUVARDET PÉCUCHET. 35&

Mais je suis son père, nom de Dieu et j'ai bienle droit.

Dans une certaine mesure », reprit Pécu-chet.

Girbals'en mêla:« L'autoritépaternelleestincontestable.

Maissile père est un idiot ?

N'importe, dit le capitaine, son pouvoirn'enest pas moinsabsolu.Dans l'intérêt des enfants », ajouta Cou-

Ion.D'aprèsBouvardet Pécuchet, ils ne devaient rien

auxauteurs de leurs jo'n's, et les parents, au con-traire, leur doivent la nourriture, l'instruction, desprévenances,enfin tout.

Les bourgeois se récrièrent devant cette opinionimmorale.Placqueventen était blessécommed'uneinjure.

« Avec cela, ils sont jolis ceux que vous ramas-sez sur les grandes routes; ils iront loin Prenezgarde 1

Gardeà quoi?dit aigrement Pécuchet.Oh1 jen'ai pas peur de vous1Nimoinon plus »

Coulonintervint, modérale garde champêtreet lent s'éloigner.

Pendant quelques minutes on resta silencieux.Puis il fut question des dahliasdu capitaine, qui nelâcha point son monde sans les avoir exhibés l'un

après l'autre.Bouvard et Pécuchet rejoignaient leur domicile,quand, àcent pas devanteux, ils distinguèrent Plac-

Page 365: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 365/405

360 BOUVARD ET PÉCUCHET.

quevent; et Zéphyrin, près de lui, levait le coudeen manière de bouclierpour se garantir des gifles.

Ce qu'ils venaientd'entendreexprimait,sousd'au-tres formes, les idées deM.le comte mais l'exem-ple de leurs élèves témoignerait combien la libertél'emporte surla contrainte.Unpeu dedisciplineétaitcependant nécessaire.

Pécuchet cloua dans le muséum un tableau pourles démonstrations on tiendrait un journal où lesactions de l'enfant, notéesle soir, seraient relues lelendemain. Touts'accompliraitau son de la cloche.CommeDupont de Nemours, ils useraient de l'in-

 jonctionpaternelle d'abord, puis de l'injonctionmi-litaire, et le tutoiementfut interdit.

Bouvard tâcha d'apprendre le calculà Victorine.Quelquefoisils se trompaient ils en riaient l'unet l'autre, puis, le baisant sur le cou, à la place quin'a pas de Larbe, elle demandaità s'en aller il la

laissait partir.Pécuchet, aux heures des leçons, avaitbeau tirer

la clocheet crier parla fenêtre l'injonctionmilitaire,te gaminn'arrîvaitpas. Ses chausseiteslui pendaienttoujours sur les chevilles à tablemôme, il se four-rait les doigts dans le nez et ne retenait point sesgaz. Broutais, là-dessus, défendles réprimandes,car «il fautobéir aux sollicitationsd'un instinct con-servateur ».

Victorine et lui employaientun affreux langage,disant: mé ~oM pour ~moi aussi)), ~e

pour« boire », a/ pour « ei!e un ~eM~M, de /'M;M;maiscommela~t'ammaircne peut être comprisedesenfants, et qu'ils la sauront s'ils entendent parler

Page 366: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 366/405

'S~~V~ KTt'ÉCCCHET.i

9_YV4 geue,

Il

cofMCtnmeni, j~s -dcu.\ bonshommessurveiHaïent!eur8di~cou!'s jusqu'à en ôtreincommodôs.

H~d!tïerment d'opinions quant à la géographie.Bouvardpensaitqu'i)est pluslogiquediadébuter par

!a commune, Pécuchet.,par J'ensemble du monde.Avecun arrosoiret du sable, il voulut démontrer

ce qu'était un Meuve,une île, un golfe, et mômesa-crifia~ro! p!ates-handespour tes trois continents;

maistespoints cardinauxn'entraient pas dans la têtede Vtetbp.

Par unenuit de janvier, Pécuchet l'emmena enrase ~campagne.Tout en marchant, it préconisaiti'astronômie les marins .t'utitisent dans leursvoyages; ChristopheCotomb, sans elle, n'eût pasfait sa découverte.Nousdevonsdela reconnaissanceaCoperh!c.à Galiléeet a Newton.

Il gelaittrès fort, et sur le bteu noir du ciel,uneinfinité de lumières sommaient. Pécuchet leva Jesyeux.

« Comment,pas de grande ourse M»La dernière foisqu'il l'avaitvue, elle était tournée

d'unautre cô'e;enun,it la reconnut, puis montraTétoHepolaire, toujours au Nord, e~sur. laquelle ons'oriente.

Le ïendemain, i! pocaau milieu du salonun fau-teuil et se mita valser autour.

« ïmagineque ce fauteuil est te soleil,et que moi

 je suisla terre elle se meut ainsi.»Victorle considéraitplein d'ëtonnement.

ïl pritensuite une

orange, y passaune

baguettesigmnaatles pôles, puis l'énçercla d'un trait aucharbonpourmarqueri'équateur. Aprèsquoi, il pro-

Page 367: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 367/405

362 BOUVARDNTP&CUCHBT.

mena l'orange à l'entour d'une bougie, en faisaobserverquetousles pointsdela surfacen'étaientpaséclairés simultanément,ce qui produit la différencedes climats,et pour celle des saisons, il pencha Fo~range, carla terre ne setient pas droite, ce qui amèles équinoxeset les solstices. I

Victorn'y avaitrien compris.Ilcroyaitque la terr~pivote sur une longue aiguille et que l'équateur estun anneau, étreignant sa circonférence.

Au moyen d'un atlas, Pécuchet lui exposa l'Eu-rope mais, éblouipar tant de lignes et'de couleurs,il ne retrouvait plus les noms'. Les bassins et lesmontagnes ne s'accordaientpas avecles royaumes,l'ordre politiqueembrouillaitl'ordre physique. Toutcela, peut-être, s'éclaircirait en étudiant l'histoire.

Il eût été pluspratique de commencerpar le vil-lage, ensuite l'arrondissement, le département, la

provincemaisChavignolles

n'ayantpointd'annaies,

il fallaitbien s'en tenir à l'histoire universelle.Tant'de matièresl'embarrassent qu'on doit seulementenprendre les beautés.

ïl y a pour la Grecque « Nous combattronsàl'ombre. » L'envieuxqui bannit Aristide, et la con-'l'fiance d'Alexandre en son médecin. Pour la Ro-maine'. « Les oiesduCapitole, le trépied de Scévoia,le tonneau de Régulus.a Le lit de roses de Guati-mozin est considérablepour l'Amérique. Quant à laFrance, elle comportele vasede Soissons,le chêne:.g

de saint Louis,la mort de Jeanne d'Arc, la pouleaupot du Béarnais: on n'a que rembarras du choix~Ssans compter moi <f~t<~e~~e/ et le naufrage du~M~< j~

Page 368: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 368/405

BOUVARD ET P&CUCHET. 36~

Victorconfondaitles hommes, les siècles et lespays. Cependant, Pécuchet n'allaitpas le jeter dansdes considérationssubtiles et la masse des faits estun vrailabyrinthe.

Il se rabattit sur la nomenclature des rois deFrance. Victor les oubliait, faute de connaître lesdates. Maissi la mnémotechniede Dumouchelavait

été insuffisantepour eux, que serait-ce pour lui rConclusion l'histoire ne peut s'apprendre que parbeaucoup de lectures. Il les ferait.

Le dessin est utile dans une foule de circons-tances or, Pécuchet eut l'audace de l'enseignerlui-même, d'après nature, en abordant tout desuite le paysage.

Un libraire de Bayeux lui envoya du papier, ducaoutchouc, deux cartons, des crayons et du fixatif 

pour leurs œuvres qui, sous verre et dans des ca-dres, orneraientle muséum.

Levésdès l'aurore, ils se mettaient en route avecun morceau de pain dans la poche et beaucoupde temps était perdu à chercher un site. Pécuchetvoulait à la fois reproduire ce qui se trouvaitsousses pieds, l'extrême horizonet les nuages, mais leslointains dominaienttoujours les premiers plansla-rivière dégringolait du ciel, le berger marchaitsur le troupeau, un chien endormi avait l'air decourir. Pour sa part il y renonça, se rappelant avoirlu cette dénnition «Le dessin se composede troischoses la ligne, le grain, le graine fin, de plus le

-'rait de force. Maisle trait de force, il n'y a que lemaître seulqui le donne. » Il rectifiaitla ligne,'col-laborait ~ugrain,surveillaitle grainéfin, et attendait

Page 369: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 369/405

364 BOUVARD ET f&CUCHBT.

l'occasionde donner le trait de force. Elle ne venait jamais, tant le paysage de l'élève était incompré-hensible. j

Sa sœur, paresseuse commelui, bâiHaitdevant latablede Pythagore. M"*Reine!ui montraita coudre,et quand eUemarquaitdu linge, ellelevaittes doigtssi gentiment, que Bouvard, ensuite, n'avait pas le

cœurdela tourmenter avec sa

teçpnde

calcul. Unde ces jours, ils s'y remettraient. Sansdoute, l'a-_rithmétique et la couture sont nécessairesdans unménage, mais il est cruel, objectaPécuchet, d'éleverles fillesen vue seulementdu mari qu'elles auront.Toutes,ne sont pas destinées à l'hymen, si on veutqueplus tard elles se passent des hommes, il~auileur apprendrebien des choses.

Onpeut inculquer les sciences, à proposdes ob- jets les plus vulgaires dire, par exemple en quoiconsiste le vin et l'explication fournie, Vtctpr et

Victorinedevaientla répéter. U en futde mêmedesépices, des meubles, de l'ëctairage mais la lu-mière c'était pour eux la lampe,'et elle n'avait riende commun avecl'étincelle d'un caillou, la flamme Jd'une bougie, la clarté de la'lune.

Un jour Victorinedemanda « D'oùvient quele Jbois ~rale ? » Ses maîtres se regardèrent embar–jrassés, la théorie de la combustion les dépas-Jsant.

Uneautre fois,Bouvard,depuis le potage jusqu'au~fromage, parla des élémentsnourricierset ahuritles j!)

deux petits sous la fibrine, la caséine, la graisse etle gtuten. –&

Ensuite, Pécuchetvoulut leur expliquercomment1

Page 370: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 370/405

BOUVARD ET PÉCUCHET. 36~

le sang se renouvelle, et il pataugea dans la circu-lation.

Le dilemmen'est point commode,si l'on part desfaits, le plus simple exige des raisons trop com-pliquées, et en posant d'abord lesprincipes,oncom-mence par l'absolu, la foi.

Querésoudre? Combinerles deux enseignements,

le rationnelet l'empirique, mais un double moyenvers un seul but est l'inverse de la méthode. Ah 1tant pis.

Pour les initier à l'histoirenaturelle, ils tentèrentquelquespromenades scientifiques.

« Tu vois, disaient-ilsen montrant un âne, uncheval, un bœuf, les bêtes à quatre pieds, on lesnomme des quadrupèdes. Généralement,lesoiseauxprésentent des plumes, les reptiles des écaiUesetles papillonsappartiennentà la classe desinsectes. MIls avaient un filet pour en prendre, et Pécuchet,

tenant la bestiole avec délicatesse, leur faisait ob-server les quatre ailes, les six pattes, les deux an-tennes et sa trompe osseusequi aspirele nectar desSeurs.

Il cueillaitdes simples au revers desfossés, disaitleurs noms, et quand il ne les savaitpas, en inven-tait, afinde garder son prestige. D'ailleurs. la no-menclature est le moins important de la botanique.

Il écrivitcet axiomesur le tableau Toute plantea des feuilles, un caliceet une cototleenfermant unovaire ou péricarpe qui contient la graine. Puis il

ordonna à ses élèvesd'herboriser d~nala camoagne.etde cueillirles premières venues.Victor lui apporta des boutons d'or. Victorine

Page 371: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 371/405

366 BOOVARf  ETPÉCUCHET.

une touffe de fraisiers; il y chercha vainement unpéricarpe.

Bouvard~qui se menaitde son savoir,fouillatoutela bibliothèque, et découvrit, dans le Redouté des.Dames, le dessin d'un iris où les ovaires n'étaientpas situés dans la corolle, mais au-dessousdes péta-les, dans la tige. `

Il y avaitdansleur jardin des gratèrons et des mu-.guets en fleurs, cesrubiacées étaient sans calice j."ainsi le principe posé sur le table a se trouvaitfaux.

« C'est une exception,» dit Pécuchet, iMaisun hasard fit qu'ils aperçurent dans

l'hepbeune shérarde et elle avait un calice.«Allons bon! si les exceptions elles-mêmesne

sont pas vraies, à qui se fier MUn jour, dans une de leurs promenades,ils enten-

dirent crier des paons, jetèrent lesyeuxpar-dessusle

mur, et, au premier moment, ilsne reconnaissaientpas leur ferme. La grange avaitun toit, d'ardoises,les barrières étaient neuves,les cheminaempierrés.Le père Gouyparut « Paspossibleest-ce vous? aQued'histoiresdepuistrois ans, la. mortdesa femmeentre autres. Quant à lui, il se portait toujourscommeun chêne. « Entrez doncune minute..»

On était au commencement d~avril,et les pom-miers en Benrs alignaient dans les trois masuresleurs tounes blanches et rosés; le ciel, couleur de-,satin.,bleu,n'avait pas un nuage, des nappes, des

~drapset des serviettespendaient,verticaïementj&tta-~chés par des nches de bois &des cordestendues.Le~père Gouyles soulevait

pour passer, quand tout à'j

Page 372: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 372/405

OUVARDET PECUCHET. 367

coupils rencontrèrent M""Bordin,nu-tête, en cami-sole, etMariannelui onrantà pleins brasdes paquetsdelinge. «Votre servante,messieurs Faitescommechez vous moi je vais m'asseoir, je suis rom-pue. »

Le fermier proposaà toutela compagnieun verrede boisson.

« Pas maintenant, dit-elle,  j'ai trop chaud. »

Pécuchet,acceptaet disparut versle cellieraveclepère Gouy,Marianneet Victor.

Bouvard s'assit par terre, a côté de M" Dordin.Urecevaitponctuellementsa rente, n'avait pas à

s'-enplaindre, ne luien voulaitplus.La grande lumière éclairait son profil un de ses

bandeauxnoirs descendaittrop bas, et les petits fri-sonsde sa nuquese collaientà sa peauambrée,moitede sueur. Chaque fois qu'elle respirait, ses deuxseins montaient. Le parfumdu gazonse mêlaità labonne odeur de sa chair

solide,et Bouvard eut un

revit detempéramentqui le comblade joie. Alors il  îuint descomplimentssursa propriété.

Elleen futravieet parla de ses projets.Pour agrandir las cours, elle abattrait le haut-

Jbord.Victorine,en ce moment-la, en grimpait le talus

et cueillaitdes primevères,deshyacintheset desvio-lettes, sans avoirpeur d'un vieuxchevalqui broutaitl'herbe au pied.« N'est- cepasqu'elle est gentille? dit Bouvard.

.-r Gui c'est gentil, une petite fille!Et la veuvepoussa un soupir qui semblait expri-mer le longchagrindetoute une vie.

Page 373: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 373/405

368 BOUVARDETP&CUCNET.

«Vous auriez pu en avoir. »EUebaissalatête. Y~

Un'a t~nu qu'à vous.–Comment? »Uen),untel regardqu'elle s'empourpra, comme&

lasensation d'une caressebrutale maisde suite, ens'éventant avecson mouchoir

«.You:savezmanquéle coche, mon cher.Je ne comprendspas. » J

Ki, sans se lever, it se rapprochaitK!!ele considérade haut en bas longtemps puis

souriant, et lesprunelleshumides« C'est de votrefaute. HLes draps, autourd'eux, les enfermaient comme

les rideauxd'un lit.se pencha sur le coude, lui frôlant les genoux

desangure.« Pourquoi? hein? pourquoi? MRt commeeHese taisait et qu'Hétait dans un état

ou les serments ne coûtentrien, il tâchade se justi-Jier,s'accusa de folie, d'orgueil:

« Pardon ceseracommeautrefois1 voulez-vous?»Et il avait pris sa main, quelle laissait dans la

sienne.Un coup de vent brusque fit se relever les draps,

et ils virent deuxpaons, un mâle et une femelle.Lafenielle se tenait immobile, les jarrets pliés, lacroupe en l'air. Le m&lese promenaitautour d'elle,arrondissait sa

queueen

éventail,se

rengorgeait,toussait, puis sautadessusen rabattantsespluies,qui la couvrirent comme un berceau, et les deuxgrands oiseauxtremblërentd'un~eu! frémissemen!.

Page 374: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 374/405

BOUDARD ET P&CUCHET. 369

«

JBouvard le sentit dans la paume de M""Bordin.i:Mese dégagea bien vite. Il y avait devant eux,héant et commepétriné, le jeune Victorqui regar-dait un peu plus loin, Victorine,étalée sur le dosen plein soleil, aspirait toutes les fleurs qu'elles'était cueillies.

Le vieuxcheval,eSrayépar les paons, cassa sous

une ruade une des cordes, s'y empêtra les jambes,et, galopant dans les trois cours, traînait la lessiveaprès lui.

Aux cris furieux de M"*Bordin. Marianneaocou-  j'at. Lepère Gouyinjuriait son cheval « BougredeGrosse!carcan!voleur! lui donnait des coups de

pied dans le ventre, des coupssur les oreilles avec~e manched'un fouet.

Bouvardfut indignéde voirbattre un animal.Le paysanrépondit:KJ'en ai le droit il

m'appartienta

Cen'était pas une raison.Et Pécuchet survenant, ajouta que les animaux

~avaient aussi leurs droits, car ils ont une âme~comme nous, si toutefoisla nôtre existe1

Vousêtesun impie Ms'écriaM*"Bordin.Trois choses l'exaspéraient la lessive à recom-

mencer, ses croyancesqu~onoutrageaitet la crainted'avoir été entrevue tout à l'heure dans une posesuspecte.

« Je vous croyaisplus forte1 » dit Bouvard.

~JEUerépliqua magistralement:<<Jen'âimeMsle!<poIissoMs!M~aEt Gouys'en prit à eux d'avoir abîmé son cheval,

dontlesaaseauv saigoaient, Ilgrommelait tout bas

Page 375: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 375/405

370 BOUVARD ET PECUCHET.

« Sacrésgens de malheur j'allais l'ëntiérer qu~ndiissontvenus.o

Les deuxbonshommesse retirèrent en haussantles épaules.

Victorleur demanda pourquoiils s'étaient fâchésYictorleur demanda poiirquoiils s'8taientf~,ch8s~contre Gouy.

t

« Mabuse desa force, ce qai estmal.

Pourquoi est-cemal? »Les enfantsn'auraient-ils aucune notion du juste?

Peut-être.Et le soir même, Pécuchet, ayant Bouvardàsa

droite, sousla main quelquesnotes et en facedqluiles deuxélèves,commençaun coursde mora!e.'

Cette science nous apprend à diriger nos ac-tions.

Elles ont deux motifs le plaisir, l'intérêt; etuntroisième plus impérieux: le devoir.

Les devoirsse divisenten

deuxclasses i° devoirsenvers nous-mêmes, lesquels consistent à soignernotre corps, nousgarantir de toute injure. Ils enteDrdaient cela parfaitement 2° Devoirsenvers les ~u-,tres, dest-à-dire être toujours loyal, débonnairee~même fraternel, le genre humain n'étant qu'uneseule fâmule. Souvent une chose nous. agrée quinuit à nos semblables l'intérêt dufëre dubien, ca~le bien est de soi-mêmeirréductible. Les enfants n~comprenaientpas.Il remit à la foisprochainela sanc-tion des devoirs.

Danstout cela, smvantBouvard,il n'aYaitjpasdê'~nnilebien. ?"« Commentveux-tule deGnir?Onle sent. ?Alors les leçons de mprale ne conviendraient

Page 376: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 376/405

BOUVARD ET PÉCUCHET~ 374

qu'aux gens moraux, et le cours de Pécuchet n'allapas plus loin.

Ils firentlireà leurs élevés des historiettes ten-dant &inspirer l'amour de la vertu Elles assommè-rent Victor.

Pourfrapper son imagination, Pécuchet suspen-dit aux murs de sa chambre des images exposantla viedubon

sujetet

celledumauvaissujet..Le pre-mier, Adolphe, embrassaitsa more, étudiait l'alle-mand, secourait un aveugle et était reçu à l'Écolepolytechnique.

Le mauvais, Eugène, commençaitpar désobéiràson père, avaitune querelle dansun café,battait sonépouse, tombait ivre-mort, fracturait une armoire,et un dernier tableau le représentait au bagne, oùun monsieur, accompagnéd'un jeune garçon, disait,en le montrant:

« Tu vois, mon flls, les dangers de l'incondui-

ie. MMaispour lesenfantsl'avenirn'existe pas. Onavaitbeau lessaturer de cette maxime « Que le travail1est honorable et que les riches parfois sont mal-heureux, » ils avaient connu des travailleurs nulle-ment honorés et se rappelaientle châteauoù la viesemblaitbonne.

Les supplices du remords leur étaient dépeintsavec tant d'exagérationqu'ils flairaienth blague etseméûaientdureste.

Onessayade les conduire par le point d'honneur~

l'idée de l'opinion publique et le senitment de lagloire en' leur gantant les grands.hommes, surtoutles hommesutiles, tels que Beizuncc,Frankim, Jao-

Page 377: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 377/405

§72 BOUVARDET PÉCUCHET.

qaard Victorne témoignait aucune envie de Jourressembler.

Un jour qu'il avait fait une addition sans faute,Bouvardcousut à sa veste un ruban qui signifiaitla-croix.Il se pavana dessous mais ayant oublié lamort ~'Henri IV, Pécuchet le coiffa d'un bonnet

d'âne. Victorse mità braire avectant de violenceetpendant si longtempsqu'il fallut enleverses oreillesde carton.

Sa scour,commelui, se montrait fièredes élogeset indifférenteaux blâmes.

Annde les rendre plus sensibles, on leur donna,un chatnoir qu'ilsdevaientsoigner, eton leur comp-tait deux ou trois sols pourqu'ils fissentl'aumône.Ils trouvèrent la prétention injuste, cet argent leurappartenait.

Seconformant&un désir des pédagogues, ilsap-pelaient Bouvard « mononcle » et Pécuchet « bon

ami) maisilsles tutoyaient, et la moitiédes leçonsordinairement se passait en disputes.

Victorineabusait do Marcel, montait sur sondos,le tirait par lescheveux.

Pour se moquer de son bec-de-lievre,parlait dunez comme lui, et le pauvre homme n'osait seplaindre, iantii aimait la petite fille. Unsoir, sa voixrauqne s'éleva extraordinairemont.Bouvardet Pé-cuchet descendirent dansla cuisine. Les deux élè-vesobservaientla

cheminée,et

Marcel, joignant~s

mains,s'écriait« nethcz-le c'est trop c'est trop HLe couverclede la marmite sauta commeun obus

~hte. Une massegnsAh'ebondit jusqu'au p!s<bnd,

Page 378: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 378/405

BOUVARDEft'J&CUCnKT.1 373

puis tourna sur elle-même frénétiquementen pous-sant d'abominablescris.

On reconnut le chat, tout efflanqué, sans poil, laqueue pareille à un cordon, des yeux énormes luisortaient dela tête. Ilsétaient couleurde lait, commevidés et pourtant regardaient.

Labête hideuse hurlait toujours, se jeta dans

l'&tre,disparut,puis retomba aumilieudes cendres,inerte.

C'étaitVictor qui avait commis cette atrocité, etles deux bonshommesse reculèrent, pâles de stupé-factionet d'horreur. Auxreprochesqu'on lui adressa,il répondit commele garde champêtre pour son filset commelafermier pour son cheval

«Eh bien 1 puisqu'ilest à moi» sansgêne, naïve-vement, dans la placiditéd'un instinct assouvi.

L'eaubouillantede la marmite était répandue par

terre,des

casseroles,les

pincettes,et des flambeaux

 jonchaient les dalles.Marcelfut quelquetemps à nettoyer la cuisine, et

ses maîtreset lui enterrèrent le pauvre chat dans le jardin, sousla pagode.

Ensuite Bouvard et Pécuchet causèrent longue-ment de Victor.Le sang paternel se manifestait.Quefaire? Le rendre a M. de raverges ou le confier àd'autres seraitunaveud'impuissance.Il s'amenderaitpeut-être.

N'imparte! l'espoir était douteux, la tendresse

n'existait plus. Quelplaisir pourtant que d'avoir euprès de soi un adolescentcurieux de vosidées, donton observe les progrès, qui plus tard devient unfr&t'c maisVictormanquaitd'esprit, de cœur encore

Page 379: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 379/405

BOUVARU ET PÉCUCHET.374

plus 1 ot Pécuchet soupira le genou plié dans sesmains jointes.

« La sœurne vaut pasmieux, » dit Bouvard.Il imaginait une fillede quinze ans à peu près,

l'âme délicate, l'humeur enjouée, ornant J)amaisondes élégancesde sa jeunesse et commes'il eût étéson père et qu'elle vint de mourir, le bonhomme

pleura.Puis, cherchant à excuser Victor,il allégual'opi-

nion de Rousseau L'enfant n'a pas de responsabi-lité, ne peut être moral ou immoral.

Ceux-là, suivant Pécuchet, avaient l'âge du dicernement et ils étudièrent les moyens de las cor-riger. Pour qu'une punition soitbonne, ditBentham,elle doit être proportionnée à la faute, sa consé-quence naturelle. L'enfant a brisé un carreau, onn'en remettra pas qu'il souffredu froid si, n'ayantplus faim, il demanded'un plat, cédez-lui une indi-

gestion leferavite se repentir. Il est paresseux,qu'ilreste sans travail l'ennui desoi-mêmel'y ramènera.

MaisVictorne souffriraitpas du froid, son tempé-rament pouvaitendurer lesexcès et la fainéantiseluiconviendrait.

Usadoptèrent le système inverse, la punition mé-dicinale, des pensums lui furent donnés, il devintplusparesseux on le privait de confitures,sa gour-mandise en redoubla. L'ironie aurait peut-être dusuccès? Une I~is, étant venu déjeuner, les mainssales, Bouvard!erailla, l'appelant joli cavalier,mus-

cadin, gants jaunes. Victorécoutaitle front bas, blê-mit tout a coup, et jeta son assiette&la têtede JUou-vard, puis, furieux de l'avoir manqué, se précipita

Page 380: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 380/405

BOUVARD ET PECUCHET. 378

sur lui. Ce n'était pas trop que trois hommespour lecontenir. Il se roulaitpar terre, tâchant de mordre.Pécuchet l'arrosa de loin avecune carafed'eau desuite il fut calmé, mais enroué pendant deux jours.Le moyen n'était pas bon.

Usen prirent un autre, au moindre symptômedecolère, le traitant comme un malade, ils le cou-

chaient dans son lit Victor s'y trouvait bien, etchantait. Un jour, il dénichadansla bibliothèqueunevieillenoixdecocoet commençaità la fendre, quandPécuchet survint

« Moncoco M»C'était un souvenir de Dumouchel Jl l'avait ap-

porté de Parisà Chavignolles,en levales bras d'indi-gnation. Victorse mit à rire. « Bonami » n'y tintplus, et d'une large calottel'envoyabouler au fondde l'appartement, puis tremblant d'émotion, alla seplaindre àBouvard.

Bouvardlui fit des reproches.« Es-tubête avecton coco Lescoups abrutissent1

la terreur énerve.Tu te dégrades toi-même1MPécuchetobjectaque les châtimentscorporelssont

quelquefoisindispensables.Pestalozziles employait,et lecélèbreMélanchtonavoueque, sanseux, il n'eûtrien appris. Maisdespunitions cruellesont poussédes enfantsau suicide,onen lit des exemples.Victors'était barricadédans sa chambre. Bouvardpar-lementaderrièrela porte, et, pour lafaireouvrir, luipromit une tarte aux prunes.

Dèslors il empira.Restaitun moyenpréconisépar monseigneur Du-

panloup: «le regard sévère. » Ilstachèrent d'im-

Page 381: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 381/405

BOUVARD ET PÉCUCHET.376

primer à leurs visagesun aspectenrayant, etne pro-duisirent aucun effet.

« Nousn'avons plus qu'à essayerde la religion,)*»dit Bouvard.

Pécuchet se récria. Ils l'avaient bannie de leurprogramme.

Maisle raisonnementne satisfaitpas tous les be-

soins. Le cœuret l'imaginationveulentautre chose.Le surnaturel pour bien desâmes est indispensable,et ils résolurent d'envoyerlesenfantsau catéchisme.

Reine proposa de les y conduire. Elle revenaitdans la maison et savaitse faire aimer par des ma-;nièrescaressantes.

Victorinechangea toutà coup, fut réservée, miel-leuse, s'agenouillaitdevant la Madone, admirait lesacrificed'Abraham,ricanaitavecdédain, au nomdeprotestant.

Elledéclaraqu'on lui avait prescrit le jeûne, Ilss'en informèrent, ce n'était pas vrai. Le jour dejaFête-Dieu, des juliennes disparurent d'une plate-bandepour décorerle reposoir elleniaeNrontémentles avoircoupées. Une autre foiselle prit à Bouvardvingt sols qu'elle mit, aux vêpres, dans le plat d~sacristain.

Ils en conclurent que la morale se distingue deia religion quand elle n'a point d'autre base, sonimportanceest secondaire

Un soir, pendantqu'ils dînaient, M. Marescoten-

tra,Victors'enfuit immédiatement.

Le notaire, ayant refusé de s'asseoir, contace quil'amenait: Le jeune Touache avait battu, presquotué son fils.

Page 382: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 382/405

BO~VARPET~P&CUCHET. 377

Comme on savaitles origines de Victor, et qu'ilttait désagréable, les autres gamins l'appelaientforçat, et toutà l'heure, il avaitbanques M.ArnoldMarescot une insolente raclée. Le cher Arnold enportait des traces sur le corps « Sa mère est au dé-sespoir, son costumeen !ambeaux,sa santé compro-ïnise Où allons-nous? M

Le notaireexigeait unch&timentrigoureux,et queVictor,entre autres,ne fréquentâtplus lecatéchisme,aun de prévenir des colliions nou\c))es.

Bouvardet Pécuchet, bienque btessé~par son tonrogue, promirent tout ce qu'it voulut.calèrent.

Victoravait-ilobéi au sentiment de t'honneuroudela vengeance? Rn tout cas, ce n'était point unlâche.

Maissa brutalité les effrayait,la musiqueadoucis-sait les mœurs, Pécuchetimagina de lui apprendrele solfège.

Victoreut beaucoup de peine a~tire courammentles notes et à ne pas confondre les termes ~«y:<~presto et~/wza'M~o.

Son maître s'évertua à lui expliquer la gamme,l'accordparfait, la diatonique, la cht'umatique.et tesdeux espècesd'intervalles,appeté~majoH'etmmeur.

!1le fit se mettre tout droit, la poitrine en avant,les épaulesbien effacées,ta bouche grande f'uverte,et, pour l'instruire parl'exemple pnu~a desintona-tions r!'une voixfausse; celle de Victor lui sortait

péniblementdu larynx, tant i! !e coatr.tcuit q'~ad

un soupir commençaitla mesure, il pK:'t3tituut desuite ou trop tard.

Pécuchet néanmoins aborda le chaut en partis

Page 383: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 383/405

BOUVARDET PÉCCCHET.378

double. Il prit une baguette pour tenir lieu d'archetet faisaitaller son bras magistralement, commes'ilavait eu un orchestrederrière lui mais occupépardeux besognes, il se trompait de temps, son erreuren amenait d'autres chez l'élève, et fronçant lessourcils, tendant les muscles de leur cou, ils conti-nuaient au hasard, jusqu'au basdela page.

EnfinPécuchetdit à Victor « Tu n'es pasprès.debriller aux orphéons. » Et il abandonna l'enseigne-ment de la musique.

Locke,d'ailleurs,apeut-être raison: « Elleengagedans des compagniestellement dissolues qu'il vautmieux s'occuper à autre chose. »

Sansvouloir en faire un écrivain, il serait com-modepour Victorde savoirtrousser une lettre. Une

.réuexionles arrêta: le style épistolairene peut s'ap-prendre, caril appartientexclusivementauxfemmes.

Ils songèrent ensuite à fourrer danssa mémoire

quelques morceauxde littérature, et, embarrassésdu choix, consultèrent l'ouvrage de M""Campan.Elle recommande la scène d'Èliacin, les chœursd'jEs~er, Jean-BaptisteRousseautout entier.

C'est un peu vieux. Quant aux romans, elle lesprohibe, comme peignant le monde soua des cou-leurs trop favorables.

Cependantelle permet C~eB~otpcetIe Pèrea'e /~MM?/epar missOpy. Qui est-cemis§ Opy?

Ilsnedécouvrirentpas son nomdansIaFM~~teMichaud.Restaitles contesde iées. « Ils vontespérer~s patais de diamants, dit Pécuchet. La littéra-ture développel'esprit, mais exalte les passions.

Victorinefut renvoyéedu catéchismeà cause des

Page 384: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 384/405

BOUVARD ET P&CUCHRT. 379

siennes. Onl'avait surprise embrassantle filsdu no-taire, et Reinene plaisantaitpas sa figure était sé-ïieuse sousson bonnet à gros tuyaux.

Aprèsun scandale pareil, comment garder une jeune fillesi corrompue?

Bouvardet Pécuchetqualifièrentle curé de vieillebête. Sa bonne le défendit en grommelant: « Onvousconnaît on vousconnaît »

Ils.ripostèrent,et

elle s'en alla en roulant des yeux terribles.Victorineeffectivements'était prise de tendresse

pour Arnold, tant elle le trouvait joli avec son colbrodé, sa vestede velours, ses cheveuxsentant bon,et elle lui apportait des bouquetsjusqu'au momentoù elle fut dénoncéepar Zéphyrin.

Quelleniaiserieque cette aventure, les deuxen-fants étant d'une innocence parfaite

Fallait-il leurapprendre le mystère dela généra-tion ? « Je n'y verrais pas de mal, » dit Bouvard.Le

philosopheBasedowl'exposaitàses élèves,ne détail-lant toutefoisquo la grossesseet la naissance.Pécuchet pensa différemment.Victorcommençait

à l'inquiéter.Il le soupçonnaitd'avoir une mauvaise habitude.

Pourquoi pas? des hommes graves la conserventtouteleur vie, etonprétendque le ducd'Angoulemes'y livrait.

Il interrogea son disciple d'une telle façon,qu'illui ouvrit les idées et peu de temps après n'eut au-cun doute.

Alors, il l'appela criminelet voulait, commetrai-tement, lui faire lire Tissot. Cechd'-d'tBuvre,scionBouvard,était plus pernicieux qu'utUc, Mieuxvau-

Page 385: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 385/405

BOUVARD ET PÉCUCHET.380

tlrait lui inspirer un sentiment poétique AimeMartin rapporte qu'une mère, en pars:! cas, prêtela Nouvelle N<~o?s<?à son fils, et pour se rendredigne de l'amour, le jeune hommeseprécipita dansle chemin dela vertu.

Mais Victor n'était pas capable de rêver uneSophie.

« Si plutôt nous le menionschezles dames? »PécuchetexprimasonhorreurdesnUespubliques.Bouvardla jugeait idiote et mômeparla de faire

exprès un voyageau Havre.« Y penses-tu? on nous verraitentrer t

Eh bien achète-luiun appareil 1Maisun bandagiste croiraitpeut-êtreque c'est

pour moi, » dit Pécuchet.H lui aurait fallu un plaisirémouvant commela

chasse, elle amènerait la dépense d'un fusil, d'unchien ils préférèrent le fatiguer, et entreprirentdes coursesdans la campagne.

Le gamin leur échappait, bien qu'ils se re-layassent ilsn'en pouvaientpluset le soir, n'avaientpas la force de tenir !e journal.

Pendant qu'ils attendaientVictori!scausaientavecles passants, et par besoin de pédagogie tâchaientdeleur apprendre l'hygiène, déploraientla perte dese&ux,le gaspittago des fumiers, tonnaient contreles superstitions, le squelette d'un merle dans unegrange, le buis bénit au fond de t'étaMo, un sac devers sur les orteils des Bévreux.

lis en vinrent à inspecter les nourrices et s'indi.gRMentcontra le régime de leurspoupons les unes!a~a~?3"v~atde gfttxn, CMqn! !fs fa't pé"f 

Page 386: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 386/405

BOUVARDETPÉCUCHET. 38i

Mes~e; d'autres les bourrent de viande avant sixmoiset ils crèventd'indigestion; plusieurs tes net-toientde leur propre salive, toutes les manient bru-talement.

Quand ils apercevaient sur une porte un hibouoruciué, ils entraient dans la ferme et disaient

« Vous aveztort, ces animaux vivent de rats,de campagnols on a trouvé dans l'estomac d'une

chouetteune quantité de larvesde chenilles. »Lesvillageoislesconnaissaientpour les avoirvus,premièrement commemédecins, puis en quête devi ;uxmeubtes, puis à la recherche des caillouxetils répondaient

« Allez donc, farceurs n'essayezpas de nous enremontrer. »

Leur conviction s'ébrauta car les moineauxpurgent les potagers mais gobent les cerises. Leshibouxdévorent les insectes, et en môme temps leschauves-souris qui sont utiles, et si tes taupesmangenttes limaces,ellesbouleversentla terre. Unechose dom ils étaient certains, c'est qu'il faut dé-truire tout te gibier comme funeste à l'agriculture.

Un soir qu'ils passaientdans le bois de Paverges,ilsarrivèrent devant la maisonoù Sore!,au bord dela route, gesticulait.entre trois individus.

Le premier était un certain Dauphin savetier,petit, maigre, et la figure sournoise. Le second, Ïepère ,ubain, commisstonmure dans les vittages,portaitune vieilleredingote jaune avecun pautatonde coutil bleu. Le troisième, Eugène, domestiquechezM. Marescot,se distinguaitpar sa barbe, taiuée< ommeceMcdes magistrats.

Page 387: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 387/405

BOUVABD ET PECUCHET.382

Sorel leur montrait un nœud coulant, en fil decuivre, qui s'attachaità un fil ie soie retenu par unebrique,.ce qu'qn nommeun collet, et il avaitdécou-vert le savetieren train de l'établir.

« Vous~etestémoins, n'est-ce pas? »

Eugène baissa le menton d'une manière appro-Lative,et le père Aùbainrépliqua

« Dumomentque

vousle dites. »Ce qui enrageait Sorel, c'était le toupet d'avoir

dressé un piège auxabords de son logement, le gre-din se figurant qu'on n'aurait pas l'idée d'en soup-çonner dans cet endroit.

Dauphinprit le genre pleurard« Je marchais dessus, je tâchaismômedele cas-

ser. » On l'accusait toujours, on lui en voulait, ilétait bien malheureux1Sorel, sans lui répondre, avaittiré de sa pocheuncalepin, une plume et de l'encre pour écrire un

procès-verbal.« Oh non » dit Pécuchet.Bouvard ajouta « Relâchez-le, c'est un brave

homme 1Lui, un braconnierEh bien, quand celaserait?)) Et ils se mirentà

défendre'le braconnage on sait d'abord que lesla-pins rongent les jeunes pousses, les lièvresabtmentles céréales, sauf la bécassepeut-être.

Laissez-moidonctranquille. » Et le gardeécri-vait, les dents serrées.

Quel entôtcmcst murmura Bouvard.Ua mot de plus, et je fais venir les gen-da~me$1

Page 388: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 388/405

BOUVARD ET PÉCUCHET. 383

Vousêtes un grossier personnage 1 dit Pécu-chet.

Vousdes pas grand'chose, » reprit Sorel.Bouvard s'oubliant, le traita de butor, d'estafier

et Eugène répétait « La paix la paix respectonsïa loi, » tandis que le père Aubaingémissaità troispas d'eux sur un mètre de cailloux.

Troubléspar ces voix, tous les chiens de la meute

sortirent de leur cabanes, on voyaità traversle gril-lage, leurs prunelles ardentes, leurs muflesnoirs et

courant çà et là, ils aboyaient effroyablement.« Nem'embêtezplus, s'écria leur maître, ou bien

 je les lance sur vos culottes »Les deuxamis s'éloignèrent,contents,néanmoins,

d'avoir soutenu le progrès, la civilisation.Dèsle lendemain, on leur envoya une citationà

comparattredevantletribunal de simplepolice, pourinjures enversle garde, et s'y entendre condamnerà 100 francs de dommageset intérêts « saufle re-

cours du ministère public, vules contraventionspareuxcommises coût 6 fr. 75 c. Tiercelin,huissier ».

Pourquoi un ministère public? La tête. leur entourna, puis se calmant, ils préparèrent leur dé-fense, <s

Le jour désigné,Bouvardet Pécuchetse rendirentà la mairie une heure trop tôt. Personne, deschaises et trois fauteuilsentouraient une table ovalecouverte d'un tapis, une niche était creusée dans lemur pour recevoirun poêle, et le buste de l'empe-reur

occupantun

piédouche,dominait l'ensemhin.

Il nânèrent jusqu'au grenier, où il y avait uaupompe à incendie, plusieurs drapeaux, et dans un

Page 389: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 389/405

BOUVARDET P&CUCH.ET.384

coin, par terre, d'autres bustes en pl&tre le grandNapoléonsans diadème, Loui9XVIIIavec des epau-lettes sur un frac, Charles X, rèconnaissable à salèvre tombante, Louis-Philippe,les sources arquéset la chevelure en pyramide l'inclinaison du toitfrôlaitsa nuque et tous étaient salispar les moucheset la poussière. Ce spectacle démoralisaBouvardetPécuchet. Les gouvernements leur faisaient pitié

quand ils revinrent dans la grande salle.Ils y trouvèrent Sorel et le garde champêtre,l'unayant sa plaque au bras, et l'autre un képi. Unedouzainede personnes causaient, incriminées pourdé&ut de balayage, chiens errants, manque de lan-ternes à des carrioles, ou avoir tenu, pendant Ismesse, un cabaret ouvert.

Enfin Coulonse présenta affublé d'une robe enserge noire et d'une toque ronde avec du veloursdans le bas. Son greffier se mit à gauche, le maireen écharpeà droite et on appelapeu de temps après

l'affaire Sorel contre Bouvardet Pécuchet.Louis-Martial-EugèneLenepveur,valetde chambre

a Chavignolles(Calvados),profitade sa position detémoin pour épandre tout ce qu'il savait sur unefoule de chosesétrangères au débat.

Nicolas-JusteAubain, manouvrier, craignait dedéplaireà Sorel et de nuire à cesmessieurs il avait >:entendu de grosmots, en doutaitcependant alléguasa surdité.

Le juge de paixle fit se rasseoir, puis s'adressantau garde

« Persistez-vousdans vos déclarations?2Certainement. »

Page 390: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 390/405

BOUVABDNTPECUCHET. 38S

M

Coulonensuite demanda aux deux prévenus ce-qu'ils avaientà dire.

Bouvardsoutenaitn'avoir pasinjurié Sorel mais,en prenant le parti du braconnier, avoirdéfendul'in-térêt de noscampagnes il rappelales abusféodaux,les chasse.sruineuses des grands seigneurs.

« N'importe la contravention.Je vousarrête as'écria Pécuchet.

Les mots.contravention,crimeet délit ne valenttien. Vouloirainsi classer les faits punissables,c'est prendre une base arbitraire.

Autant dire auxcitoyens « Nevous inquiétezpasde lavaleur de vos actions,ellen'est déterminée quepar le châtiment du pouvoir » le Codepénal, dureste, me paraît une œuvre absurde, sans princi-pes.

« Celase peut »réponditCoulon.Et il allait prononcer son jugement; mais Fou-

reau, qui était ministère public, se leva. On avait

outragé le garde dans l'exarcice de ses fonctions.Sion ne respecte pas les propriétés, tout est perdu.

« Bref, plaise à M. le juge de paix a appliquer lemaximumde la peine. »

Elle fut de dixfrancs, sousforme de dommagesetintérêts enversSorel.

« Bravo » s'écria Bouvard.Couionn'avait~pasfini« Les condamne,enoutre, à cinqfrancsd'amende

comme.coupablesde la contraventionrelevée par leministère pubiic. M

Pécuchetse tourna vers l'auditoire« L'amende est une bagatelle pour le riche, mais

Page 391: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 391/405

386 BOJVARMt;T l'&CUCHET.

un désastre pour le pauvre. Moi, ça ne me taitrien! H w~

Etil avaitl'air de narguer le tribunal.« Vraiment,dit Coulon, je m'étonne que des gens

d'esprit.w

Laloi vousdispensed'en avoir1 répliquaPécu-

chet.Le juge de paix siège indéfiniment,tandis quele juge de la cour suprême est réputé capable jus-qu'à soixante-quinzeans, et celui de première ins-tance ne l'est plus à soixante-dix.

Maissur un geste de Foureau, Placquevent s'a-_vança. Ilsprotestèrent.

« Ah sivousétieznommésau concours1 1Oupar le conseilgénéral.Ou un comité de prud'hommes, d'apresune

liste sérieuse »

Placqueventles poussait, et ils sortirent, hués

des autres prévenus, croyant se faire bien voir aumoyen de cette bassesse.

Pourépancherleur indignation,ils allèrent le soirchez Beijambe; son café était vide; les notablesayant coutumed'en partir vers dixheures. On avaitbaisséle quinquet las murs et le comptoir appa-raissaient dans un brouillard une femme survint.C'étaitMélie.

Ellene parut pas troublée, et en souriant leurversa deux bocks. Pécuchet, mal à son aise, quittavite l'établissement.

Bouvardy retourna seul, divertit quelquesbour-geoispar des sarcasmoscontre le maire, et 4~sIor&fréquental'estaminet.

Dauphin,six semainesaprès, fut acquittéfaute de°

Page 392: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 392/405

-BOUVAHBETPÉCUCU]i:T. 387

preuves.Quellehonte Oususpectaitcesmêmes té-moin?,que l'Unavait crus déposantcontreeux.

Et leur colèren'eut pas debornesquandl'enregis-trement les avertit d'avoir à payer l'amende. Bou-vard attaqua l'enregistrement comme nuisible à lapropriété.

« Vousvoustrompez1ditlepercepteur.

Allonsdonc elle endure le tiers de la chargepublique

Je voudraisdes procédésd'impôts moinsvexatoi-res, un cadastre meilleur, des changements ~uré-gimehypothécaireet qu'on supprimât la BanquedeFrance, qui ale privilège de l'usure. »

Girbaln'était pas de force, dégringola dans l'opi-nion et ne reparut plus.

CependantBouvardplaisaità l'aubergiste il "tti-rait du monde, et en attendant les habitués, causaitfamilièrementavecla bonne.

Il émit des idées drôlessur l'instructionprimaire.On devrait, en sortant de l'école,pouvoirsoigner lesmalades, comprendre les découvertesscientifiques,s'intéresser aux arts. Les exigences de son pro-gramme le lâchèrent avecPetit et il blessa le capi-taine enprétendant queles soldats,au lieu deperdreleur temps à la manœuvre, feraient mieux c~ culd-var des légumes.

Quandvint la question du libre échange, il em-mena Pécuchet et pendant tout l'hiver, il y eutdans le cafédes

regards furieux,des attitudes mé-

prisantes, des injures et des vociférationsavecdescoupsde poingsur les tables qui faisaientsauter I~s<;aneties.

Page 393: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 393/405

JUS BOUVARD ET PÉCUCUET.

Lang!o!set les autres marchands défendaient lecommerce national Oudot, filateur, et Mathieu~orfèvre, l'industrie nationale les pcopriétau'es.eilesfermiers, l'agricul'ure nationale, chacun réclamantpour soi des privilèges au détriment du plus grandnombre. Les discours de Bouvardet Pécucheta!ar-,maient.

Commeon lesaccusaitde méconnaître

la~a~-Mg,de tendre au nivellementet à i'.mmoraiïtô,i!s déve-loppèrent ces trois conceptions remplacer le nomde famillepar unnuméro matricule hiérarchiserlesFrançais, et, pour conserver son grade, il faudraitde temps à autre subir un examen plus de châti-.zments, plus de récompenses, mais dans tous le~villages une chronique individuellequi passerait ala postérité.

On dédaignaleur système. Ilsen firent un articlepour le journal de Bayeux, rédigèrent une note au

préfet,une

pétitionaux

Chambres,un mémoire &l'empereur. 1~Le journal n'inséra pas leur article. "Æ!Le préfet ne daigna répondre.Les Chambresfurent muettes, et ils attendirent

longtemps un pli des Tuileries.De quoi donc s'occupait l'empereur, de femmes

sans doute ? '(.Foureau, de la part du sous-préfet, leur conseiMa

plus de réserve.Ilsse moquaientdu sous-préfat,du préfet,descon-

seillersde préfecture,voire du Conseild'Ètat. La jus-tice administrative était une monstruosité,car l'ad-ministratton, par desfaveurs et des menaces, gou-

Page 394: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 394/405

DOCVARï'MT PÉCUCHET. 3M

M.

verne injustement ses fonctionnaires.Bref, ils deve-naient incommodes, et les notables enjoignirent àBeijambede ne plus recevoir cesdeux particuliers.

AlorsBouvardet Pécuchetbrûlèrent de se signa-ler par une œuvre qui éblouirait leurs concitoyens,et ils ne trouvèrent pas autre chose,que des projetsd'embellissementpour Chavignolles.

Les trois quarts des maisons seraient démolies,on ferait au milieu du bourg une place monumen-tale, un hospicedu côtéde Falaise, des abattoirs surla route de Caenet «au pas dela Vaque une égliseromaine et polychrome.

Pécuchet composa un lavisà l'encre de Chine,n'oubliant pas de teinter les bois en jaune, les bâ-timents en rouge, et les prés en vert, car les ta-bleaux d'un Chavignollesidéal le poursuivaientdansses rêves il se retournait sur son matelas

Bouvard, une nuit, en fut réveille.

« Souffres-tu? »Pécuchetbalbutia« Haussmannm'empêche do dormir. »Verscette époque, il reçut une lettre de Dumou-

chel pour savoirle prixdes bains de mer sur la côtenormande.

« Qu'il aille se promener avec ses bains Est-ceque nousavonsle temps d'écrire? »

Et quand ils se furent procurés une chatned'ar-penteur, un graphomètre, un niveau d'eau et uneboussole, d'autres étudescommencèrent.

Ils envahissaientles propriétés souventles bour-geoisétaient surprisd'yvoirces deux hommes plan-tant des jalûus.

Page 395: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 395/405

390 POUYARP~f  PËCUCBE.T,

Bouvard et Pécuchet annonçaient d'un air tran-quille leurs projets et ce qui en adviendrait.

Les habitants s'inquiétèrent, car enfin i'autorj~ôse rangerait peut-être à leur a vis?

Quelquefoison les renvoyaitbrutalement.Victor escaladait les murs et montait dans les

comblespour y appendre un signal, témoignait dela bonne volontéet même une certaine ardeur.

Ils étaient aussi plus contents de Victorine.Quandelle repassaitle linge, elle poussait son fer

sur la planche en chantonnant d'une voix douce,s'intéressait au ménage, fit une calotte pour Bou-~vard, et ses points de piqué lui valurent les compli-ments de Romiche.

C'étaitun de cestailleurs qui vont dans lesfermesraccommoderles habits. On l'eut quinzejours à lamaison.

Bossuavecdes yeux rouges, il rachetait ses dé-

fauts corporelspar unehumeur bouffonne.Pendantque les maîtres étaient dehors, il amusaitMarceletVictorineen leur contant des farces, tirait sa langue

 jusqu'au menton, imitait le coucoufaisaitle ventri-loque, et le soir, s'épargnant les frais d'auberge,allait coucherdans le fournil.

Or, un matin, de très bonne heure, Bouvardayant froid, vinty prendredes copeauxpour allumerson feu.

Un spectaclele pétrISa.Derrièrelesdébris du bahut, sur une paillasse,Ro-

miche et Victorinedormaientensemble.Il lui avaitpasséle bras autour de.la taille, et son,autre main, longue comme celle d'un singe, la te-

Page 396: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 396/405

POtfVARD ET PËCUCHET. 39i

nantp&run genou, les paupières entre-choses, levisage encoreconvulsé dansun spasmede plaisir.Ellesouriait, étendue sur le dos. Le Mi!!ement desa camisolelaissait à découvertsa gorge enfantine,marbréede plaquesrougespar les caressesdu bossu;ses cheveuxblonds traînaient, et !a clarté de l'aube jetaitsur tous les deux une lumière blafarde. °

Bouvard, au premier moment, avait ressenticommeun heurt en pleine poitrine. Puis une pudeurl'empêchade faireun seul geste des réflexionsdou-loureusesl'assaillaient.

« Si jeune perdue 1 perdue »Ensuite il alla réveiller Pécuchet, et, d'un mot,

lui apprit tout.« Ah 1 le misérable

Nous n'y pouvonsrien Calme-toi.»Et ils furent longtempsà soupirer l'un devantl'au-

tre Bouvard,sansredingote et lesbras croisés Pé-

cuchet, aubjrd de sa couche,pieds nuset en bonnetde coton.Romichedevait partir ce jour-là,ayantterminéson

ouvrage. Il le payèrent d'une façon hautaine, silen-cieusement.

Maisla Providence~eurenvoulait.Marcelles conduisit peu de temps après dans la

chambrede Victoret leur montraau fondde sa com-mode une pièce de vingt francs. Le gamin l'avaitchargé de lui en fournir la monnaie.

D'oùprovenait-elle? D'un vol, bien sûr et com-

mis durant leurs tournées d'ingénieurs. Mais, pourla rendre, il eût fallu connaîtrela personne, et si onla réclamait,ils auraient l'air complices.

Page 397: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 397/405

392 BOUVARO ET PÉCUCHET.

Enfin, ayant appelé Victor, ils lui commandèrentd'ouvrir son tiroir le napoléon n'y était plus. Ilfeignit de ne pas comprendre.

Tantôt, pourtant, ils l'avaient vue, cette pièce, etMarcelétait incapable de mentir. Cette histoire terévolutionnaittellementque, depuis le matin, il gar-dait dans sa poche une lettre pour Bouvard.

« Monsieur,« Craignantque M.Pécuchet ne soit malade, j'airecoursà votre obligeance.M.

De qui doncla signature?« OlympeDNttouŒEL,née CuARpEAu.»

Elleet son épouxdemandaientdans quellelocalité~balnéaire,Courseulles, Langrune ou Lucques, setrouvaitla meilleurecompagnie, la moinsbruyante,et tous les moyens de transport, le prixdu blanchis-sage, etc., etc.

Cetteimportunitélesmit en colèrecontreDumou-~zchel puis la fatigue les plongea dans un découra- ,,>

gement pluslourd.Ils récapitulèrenttout le mal qu'ils s'étaient don-

né tant de leçons, de précautions, de tourments« Et songer, disaient-ils,que nous voulionsautre-

foisfaire d'elle une sous-maîtresse et de lui, der-nièrement, un piqueur de travaux1

.–Ah! 1quelledéception!Si elle est vicieuse,ce n'est pas la faute de ses

lectures.Moi, pour le rendre honnête, je lui avais ap-<~t.t. J-. ~t~t-- .< ,.m,t(1ptta m utugmpRto uc utmuuuuo. '~ga

Page 398: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 398/405

POUVARU RT P&CUCHR'f. 393

–Peut-être out-ils manqué d'une famillo, desH0!usd'une mère?2 ,w

J'en étaisune objectaBouvard,ïléias! reprit Pécuchet. Maisil y a des natures

dénuées de sens moral, et l'éducationn'y peutrien.

Ah oui, c'est beau, l'éducationM»Comme les orpheiins ne'savaient aucun métier,

ou leur chercheraitdeux places de domestiques;et puis, à la grâce de Dieu ils ne s'en mêleraientplus. Et désormais, « oncle et j&o~ami »les firent manger à la cuisine.

Maisbientôt ils s'ennuyèrent, leur espritayant be-soin d'un travail, leur existenced'un but.

D'ailleurs, que prouve un insuccès? Cequi avaitéchouésur des enfants pouvait être moins difnciteavec des hommes. Et ils s'imaginèrent d'établiruncours d'adultes.

11aurait fallu une conférence pour exposer leurs

idées. La grande salle de l'auberge conviendraitàcelaparfaitement.Beijambe, commeadjoint, eut peur de se compro-mettre, refusa d'abord, puis, songeant qu'il pouvaity gagner, changead'opinion et le fit dire par sa ser-vante.

Bouvard,dans l'excès de sa joie, la baisa sur lesdeux joues.

w

Le maireétait absent l'autre adjoint, M. Mares-cot, pris tout entier par son étude, s'occuperait peudela conférence;ainsielle aurait lieu, et le tambour

l'annonça pourle dimanche suivant, à trois heures.La veille,seulement, ilspensèrentà leur costume.

Page 399: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 399/405

394 BOUVARCET PECUCHET.

Pécuchet, gr&ceau ciel, avait conservéun vieHhabit de cérémonieà colletde velours,deux cravates

Manches et des gants noirs. Bouvardmit saradm-gote bleue, un gilet de nankin, des &ouUersde cas-tor et ils étaient fortémus quand ils traversèrentle,villageet arrivèrent à l'hôtei de la Croixd'or..

 /CÏs'a~~e le manuscritde GtM~ueF~M&c~.

A~OM~publions un extrait dit plan, ~OMt)~~Mses papiers, et qui indique la COMë/MMOMde ~OM-vrage.

Page 400: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 400/405

CONFÉRENCE.

L'aubergedela Croix d'or, deux galeri6sde bois

latérales au premier avec balconsaillant, corps delogisau fond, café au rez-de-chaussée,salle à man-

Mr. billard, les porteset les fenêtres sont ouvertes.Foulé: notables, gens du peuple.Bouvard « II s'agit d'abordde démontrerl'utiiïté de

notre projet, nos étudesnous donnentle droit de par-ler. »

Discoursde Pécuchet,pédantesque.

Sottisesdugouvernement

et del'administration,trop d'impôts,deuxéconomiesà faire suppressiondu

budgetdes culteset de celui de l'armée.Onl'accused'impiété.« Au contraire mais il faut une rénovation reli-

gieuse. MFoureausurvientet veut dissoudre l'assemblée.Bouvardfait rire aux dépensdu maire en rappelant

ses primesimbécilespour les hiboux. Objection.« S'ilfaut détruirelesanimaux nuisibles auxplantes,

il faudrait aussi détruire le bétail, qui mange deThcrbe. <

Foureau se retire,

Page 401: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 401/405

3~ .âS.~v~'L~l.J'J~ç.u~

 j~co!e/?<wt'tï!'ti', –fanxuer. 'j~

Préjuges ce!ibatde:tprêtres, futilité de ~<!du!~û,émancipationde la femme

« Ses bouclesd'oreiiie sont le signe de sqn~aju~S,servitude. »

Harasd'hommes..

On reproche &Bouvardet Pécuchet !'inconduitedeleursélèves. Aussi pourquoi avoir adoptéles e~d'un forçat?̀>~

Théorie de la rchaMmation. Ils dtacraient~y~Touache.

Foureau, revenu, lit, pour se venger de Bouvar~une pétitionde lui au caaseit munipipa!.où H demande~'étabHssemcntd'un bct'detà Chavignoues. (Raisons.ttcRobin.), J""

Laséancee~t te vée'ians)ep! usgrand tumulte.

En s'en retournMitchez eux, Bouvard et Pécuchetaperçoivent te dotacstiquc de Fourbu, gatopantsur jt~.route de Fahtisettt~tMctt'icr.

Ils se couchenttroufatigues, sansse douter de toutestes trames qui fermeMtctttcontt'eeux, expttquertesmotifs qu'ont de tcuren v&nbir tecurc.te mqdeon~ie maire, Marescot,te peupte,tout !e ntGuUe. ~F~~

Le kndemaia~au d~euMer.its repartent de ta con~'f~rence.

Pécuchetvoit!'avenu'de,t'Hutnanitéen noirL'hommetuoderne est amoindriet devcuuu~J.Q.

'chtne.~~narchiç Hnatedu genre huma~a~B~chuer/  IJj),ttnpo~sibU~de la Paix(id.). .f~

Page 402: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 402/405

BOUVARD ET PÉCUCHET 397

M

Barbariepar l'excèsde l'individualismeet Jedéliredela science.

Trois hypothèses: i"le radicalismepantueiste rom-

pra tout Hcnavec le passé, et un despotismeinhumains'ensuivra 20si l'absolutismethéiste triomphe, le H-bératismcdont l'humanité s'est pénétrée depuis la Ré-forme succombe,tout est renversé 3" si les convul-sionsqui existent depuis89 continuent, sans fin entre

deuxissues, cesoscillationsnous emporterontpar leurspropres forces.Il n'y aura plus d'idéal, de religion,demoratité.

L'Amériqueaura conquisla terre.Avenir(lela littérature.PiguouHismeuniversel. Tout ne sera plus qu'une

vasteribotted'ouvriers.Fin du mondepar la cessationdu calorique.

Bouvard voit l'avenir de l'Humanité en beau.L'Hommemoderneesten progrès.

L'Europe sera régénéréepar l'Asie.La loi historiqueétant quela civilisationailled'Orienten Occident,- rôledela Chine,- lesdeuxhumanitésenfinserontfondues.

Inventionsfutures manières de voyager.Ballon.Bateauxsous-marinsavecvitres, par un calme constant,l'agitation de la mer n'étant qu'à la surface. Onverra passer les poissons et les paysages au fondde l'Océan.-Animaux domptés.-Toutes les cultures

Avenir de la littérature (contre-partiede Httétatureindustrielle).Sciencesfutures. Régler la forcema-gnétique. <?

Paris deviendraun jardin d'hiver espaliers àfruits sur le boulevard.La Seinefiltrée et chaude,abondancede pierresprécieuses factices, prodigalitéde la dorure, éclairage desmaisons on emmaga-sinerala lumière,c .r il ya des corpsqui ont cettepro-

Page 403: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 403/405

BOUVAR D ET PÉCUCHET.398

priété, commele sucre, la.chair de certainsmollusquesetle phosphore de Bologne.Ou sera tenu d~faire badi-geonner les façades des maisons avec la substancephosphorescente,et leur radiationéclairerales rues.

Disparition du mal par la disparitiondu besoin.Laphilosophiesera une religion.

Communionde tous les peuples.Fêtes publiques.

Onira dansles astres, et quand la terre sera usée,l'Humanitédéménageravers lesétoiles.

.Apeine a-t-ilfini que les gendarmesapparaissent.Entrée des gendarmes.

A leur vue, eti'roi des enfants, par l'effet de teuysvaguessouvenirs.

DésolationdeMarcel.Émoi de Bouvardet Pécuchet. Veut-on arrêter

Victor?2.Lesgendarmesexhibentun mandatd'amener,C'estla conférencequi en est cause,On les accuse

dj'avoirattentéà la. religion, à l'ordre, excité à la ré-volte,,etc. 1Arrivéesoudainede M.etM""Dumouehel,avecleurs

'Mtgages;ilsviennent prendre lesbainsdemer. Dumou-ahel n'est pas changé, Madameporte des lunettes etcomposedes fables. Leurahurissement.

Le maire, sachant que les gendarmessont chezBou-ardet Pécuchet,arrive, encouragépar leur présence.Gorju,voyantque l'autoritéet l'opinionpubliquesont

tontreeux, a vouluen profiteret escorteFoureau. Sup-posant Bouvardle plus riche des deux, il l'accused'a-wir autrefoisdébauchéMétie.

« Moi, jamais1»Et Pécuchettremble.« Et mcmedelui avoir donnédu mal. »'Bouvardse récrie.

Page 404: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 404/405

BOUVARD ET PÉCUCHET. 399

« Au moins qu'il lui fasse une pension pour l'enfant

qui va naître, car elle est enceinte. »Cette seconde accusation est basée sur la Drivauté de

Bouvard au café.

Le public envahit peu à peu la maison.

Barberou, appelé dans !e pays par une affaire de son

commerce,tout à l'heure a

apprisà

l'aubergece

quise

passe et survient.Il croit Bouvard coupable, le prend à l'écart, et l'en-

gage a céder, à faire une pension.

Arrivent le médecin, comte, Reine, M* Bordin,M" Marescot sous son ombrelle, et d'autres notables.Les gamins du village, en dehors de la grille, crient,

 jettent des pierres dans le jardin. (Il est maintenant bientenu et la pn;)t)!ationen est jalouse.)

Fourcan \'cnt traîner Bouvard et Pécuchet en pri-son.

Barberou s'interpose, et, comme lui, s'interposentMarescut, le médecin et le comte avec une pitié insul-tante.

Expliquer le mandat d'amener. Le sous-préfet, au

reçu de la lettre de Fourcau, leur a expédié un mandatd'amener pour leur faire peur, avec une lettre a Mares-cot et a Favcrges, disant de les laisser tranquilles s'ils

témoignaient du repentir.Vaucorbeil cherche également à les défendre.« C'est plutô: dans une maison de fous qu'i) faudrait

les mener; ce sont desmaniaques. –Jeu

écrirai au

préfet. »Tout s'apaise.Houvat'dfera une pension s Melic.

Page 405: Flaubert - Bouvard Et

5/11/2018 Flaubert - Bouvard Et - slidepdf.com

http://slidepdf.com/reader/full/flaubert-bouvard-et 405/405

BOUVARD ET PJÈCUCHET.400

On ne peut leur laisserla direction des enfants.Ils se rebiffent; mais commeils n'ont pas adopté léga-lement !csorphelins,te maire les reprend.

I!s.montrent une insensibilitérévoltante. Bouvardet Pécucheten pleurent.

M.AimaDumouchels'envont.

Ainsitout leura

craquédansla mcin.Ils n'ont plus aucun intérêtdansla vie.

Bonneidée nourrieen secretpar chacun d'eux.Ils sela dissimulent. De tempsà autre, ils sourientquandelle leur vient, puis, enfin, sela communiquentsi-multanément

Copiercommeautrefois.

Confectiondu bureau a double pupitre. (Ils s'a-dressentpour celaa unmenuisier. Gorju,quia entenduparler de leur invention, leur propose'de le faire.Rappeler le bahut.)

Achat de registreset d'ustensiles, sandaraque,grat-toirs,

etc.. ;'¡ 1 :1. '«,'

Ils s'y mettent.

'NN.

CtttMM~T I~p. HtMt, MAJNST~, <UMMMHtCtttMM~T !M.Nnn, MAJNSTS, <UMMMHt