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EXPLICATIONS LITTÉRAIRES MME DE LA FAYETTE - CHATEAUBRIAND

MALLARMÉ - GIRAUDOUX

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Du MÊME AUTEUR

UNE CROIX SUR LE CHRIST, Roblot, 1976, distribution La Libre Pensée, 10- 12, rue des Fossés Saint-Jacques, 75005 Paris. ASSEZ DÉCODÉ !, Roblot, 1978 (Prix de la Critique de l'Académie fran- çaise, 1979), épuisé. UN MARCHAND DE SALADES QUI SE PREND POUR UN PRINCE. RÉPONSE DU « PETIT POMMIER » AU « GRAND BARBÉRIS », Roblot, 1986, épuisé. ROLAND BARTHES, RAS LE BOL !, Roblot, 1987, épuisé. LE SUR RACINE DE ROLAND BARTHES, SEDES, 1988 (publié avec le concours du CNRS). EXPLICATIONS LITTÉRAIRES : MME DE LAFAYETTE, CHATEAUBRIAND, MALLARMÉ, GIRAUDOUX, SEDES, 1990, réédition Eurédit, 2005. EXPLICATIONS LITTÉRAIRES : AGRIPPA D'AUBIGNÉ, MOLIÈRE, MONTESQUIEU, LA- CLOS, APOLLINAIRE, SEDES, 1993, réédition Eurédit, 2005. ÉTUDES SUR LE TARTUFFE, SEDES, 1994, réédition Eurédit, 2005. ÉTUDES SUR BRITANNICUS, SEDES, 1995. ÉTUDES SUR LES MAXIMES DE LA ROCHEFOUCAULD, Eurédit, 1999. ÉTUDES SUR LA PRINCESSE DE CLÈVES, Eurédit, 2000.

Le logo qui figure ci-dessus a pour objet d'alerter le lecteur sur la menace que représente pour l'avenir de l'écrit, tout particulièrement dans le domaine des sciences humaines et sociales, le développement massif du « photocopillage ».

Le code de la propriété industrielle du 1 juillet 1992 interdit en effet expressément la photocopie à usage collectif sans autorisation des ayants droit. Or, cette pratique s'est généralisée dans les établissements d'ensei- gnement supérieur, provoquant une baisse brutale des achats de livres, au point que la possibilité même pour les auteurs de créer des œuvres nouvel- les et de les faire éditer correctement est aujourd'hui menacée. Nous rappelons donc que toute reproduction, partielle ou totale, du pré- sent ouvrage est interdite sans autorisation de l'auteur, ou des auteurs, de l'éditeur ou du Centre français d'exploitation du droit de copie (CFC, 20, rue des Grands-Augustins - 75006 Paris. Tél. : 01 44 07 47 70. Téléco- pie : 01 46 34 67 19

© Eurédit - J & S éditeur, européenne d'édition numérique Paris - Janvier 2005

ISBN : 2-84830-047-7 1 éd., C .D .U. et SEDES réunis, 1990

La loi du 11 mars 1957 interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégra le ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement l'auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contre façon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.

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RENÉ POMMIER

EXPLICATIONS LITTÉRAIRES MME DE LA FAYETTE - CHATEAUBRIAND

MALLARMÉ - GIRAUDOUX

VOLUME I

Eurédit

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A ma mère

AVANT-PROPOS

Je n'ai aucunement la prétention, en publiant ces Explications littéraires, de vouloir « apprendre à lire » à qui que ce soit. Je voudrais, bien au con- traire, rassurer tous ceux à qui l'on a mis dans la tête que rien n'était plus difficile que de lire un texte, qu'ils ne pouvaient en aucun cas prétendre y arriver tout seuls et qu'ils devaient nécessairement faire appel à quantité de spécialistes hautement qualifiés. On a fait croire à des générations d'étu- diants qu'ils ne comprendraient jamais rien à la littérature, s'ils n'avaient d'abord assimilé tous les « acquis » les plus récents des sciences humaines et n'étaient devenus très ferrés, non seulement en stylistique et en linguistique, mais en sémiotique, en psychanalyse, en sociologie, en ethnologie, en mythologie comparée... On leur a fait croire qu'on ne pouvait aborder Racine que bardé de Barthes, de Goldmann et de Mauron... On leur a fait croire qu'on ne pouvait lire Rabelais, Montaigne, La Fontaine, Molière, Voltaire, Balzac, Hugo, Baude- laire, Zola, Proust... sans avoir lu d'abord, non seu- lement Marx et Freud, mais Adler, Althusser, Bour- dieu, Chomsky, Deleuze, Derrida, Foucault, René Girard, Greimas, Heidegger, Jakobson, Jung, Julia Kristeva, Lacan, Lévi-Strauss, Lukacs, Ricardou, Saussure, Michel Serres, Troubetzkoy, sans oublier

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bien sûr Dimitri Phonemopoulos, Youri Archilexe- movitch, Galina Galimatiaskaïa et le grand Anton Dekohnablock. Comment ne pas comprendre la perplexité et le désarroi de tous ceux à qui l'on propose continuellement de nouvelles méthodes pour « l'approche des textes » qui n'ont en com- mun, le plus souvent, que d'en retarder considéra- blement la lecture ? Il y a maintenant tellement d'écoles, de doctrines, de théories critiques qu'il est impossible d'en faire vraiment le tour (1). Quicon- que voudrait les examiner toutes afin de pouvoir faire son choix en toute connaissance de cause, ar- riverait harassé au terme de son existence, la tête bourdonnante de vocables barbares, et plus que jamais incapable de savoir laquelle il devrait adop- ter, si on lui accordait une seconde vie ; et sans doute déciderait-il de la consacrer à faire de la mu- sique ou des mathématiques plutôt que d'étudier la littérature.

Fort heureusement on peut tout à fait se passer de lire les fariboles rébarbatives de tous les barba- coles abscons dont se nourrit la jobardise snobi- narde de notre époque. S'il n'est pas mauvais de les parcourir à l'occasion, c'est seulement parce qu'il est souhaitable de ne pas ignorer complètement les grandes sornettes de son temps. Comme celles des théologiens, leur lecture nous permet de mieux me- surer l'ingéniosité quasi infinie de la sottise humai- ne et parfois de nous dilater la rate avec une ânerie bien gratinée. Mais il ne faut surtout pas leur de- mander de nous apprendre à lire. Comment pour- raient-ils nous apprendre ce qu'ils ont désappris ? Quelque différents moyens qu'ils utilisent pour parvenir à cette fin, ils s'emploient tous à « lire » dans les textes ce qu'ils se seraient sans doute

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refusés à y lire, si l'auteur avait songé à le dire. Toutes ces clés, toutes ces grilles, tous ces systèmes de « lecture » qui se prétendent scientifiques, n'ont pour effet, au lieu de les éclairer, que de fausser, que de forcer, que de déformer les textes, sous pré- texte de les « faire fonctionner ».

Comment pourrait-il en être autrement ? Con- trairement à ce que prétendent tous les tenants des nouvelles théories et des nouvelles méthodes criti- ques, ce qui est important, ce qui est intéressant dans un texte littéraire, c'est bien ce que l'auteur a dit parce qu'il a voulu le dire, et non ce qu'il aurait pu dire sans savoir qu'il l'avait dit. Je n'ignore pas que certains auteurs eux-mêmes ont prétendu le contraire. On connaît la déclaration que fait Gide au début de Paludes : « Avant d'expliquer aux au- tres mon livre, j'attends que d'autres me l'expli- quent. Vouloir l'expliquer d'abord, c'est en res- treindre aussitôt le sens ; car si nous savons ce que nous voulions dire, nous ne savons pas si nous ne disions que cela ». Je ne connais pas suffisamment Paludes pour savoir si Gide y a vraiment dit beau- coup de choses sans le savoir, si ce n'est justement dans cette déclaration liminaire. Et ce qu'il nous dit ici sans le savoir, ne me paraît guère être à son honneur. A moins, bien sûr, qu'il ne prenne ses lecteurs pour des imbéciles, ce qu'il nous dit sans le savoir, c'est la fausseté d'un esprit trop facilement séduit par le paradoxe (2) et un désir, assez indi- gne, de flagorner ses lecteurs. Le principal intérêt de cette déclaration, un intérêt qu'évidemment Gi- de ne soupçonne point, me semble donc être qu'el- le est particulièrement propre à marquer les limites et à montrer le peu d'intérêt de ce qu'un écrivain peut dire sans le savoir. D'une manière générale,

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sans parler des cas où, parfois avec insistance, il nous dit qu'il est borné, ce qu'un auteur peut nous dire sans le savoir relève, le plus souvent, de ce « misérable petit tas de secrets » dont parle un per- sonnage de Malraux (3) : il peut nous dire qu'il est snob, imbu de lui-même, misogyne, obsédé, para- noïaque... Bref, ce qu'il peut nous dire sans le sa- voir ne pourrait généralement que nous inciter à ne pas le lire, s'il n'avait rien d'autre à nous dire. De plus, ce qu'il peut nous dire sans le savoir a toutes les chances de rester en deçà de l'art, car il ne sau- rait vraiment le dire : il ne peut que le laisser voir.

Ne craignons donc pas d'enfoncer des portes ouvertes puisque tant d'autres prétendent les con- damner : expliquer un texte consiste à essayer de se mettre à la place de l'auteur, à se demander ce qu'il a voulu dire et comment il s'y est pris pour le dire, à tenter de reconstituer son travail. C'est une activité qui a nécessairement quelque chose, sinon d'ingrat, du moins de subalterne. Il ne s'agit pas de rivaliser avec une œuvre, mais de la mettre en va- leur ; il ne s'agit pas de s'en servir, mais de la servir, en sachant bien que tout ce qu'on peut faire pour elle est bien peu de chose par rapport à ce que l'au- teur lui-même a fait. Car un écrivain digne de ce nom ne compte que sur lui-même pour se faire comprendre. Il n'écrit pas pour être décrypté par les critiques mais s'adresse directement à ses lec- teurs. Il estime, d'ordinaire, qu'étant mieux placé que personne pour savoir ce qu'il veut dire, il a aussi toutes les chances de pouvoir le dire mieux que personne, et c'est à cette tâche qu'il se consa- cre tout entier. Mieux il s'en acquitte et plus il facilite celle de ses lecteurs. Les plus grandes œu- vres sont celles dont l'auteur a su dire ce qu'il

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voulait dire de la manière la plus forte et la plus efficace, celles, par conséquent, dont le sens de- vrait s'imposer à tous avec le plus d'évidence. Quoi que veuillent nous faire croire tous les escrocs qui ont fait main basse sur une bonne partie de la criti- que actuelle, ce n'est nullement une chose extraor- dinaire que de comprendre un texte. C'est une cho- se normale et légitime dont on n'a, d'ordinaire, au- cun lieu de s'enorgueillir, mais dont on a encore bien moins à s'inquiéter ni à avoir honte, même si l'on y parvient naturellement et sans effort. Car c'est, le plus souvent (4), ce que l'auteur a souhai- té.

Qu'on ne s'en étonne dont point ! Contraire- ment à beaucoup d'autres, je n'ai aucunement la prétention d'être le premier à comprendre vrai- ment les textes dont je parle. La façon dont je les comprends, et d'une manière générale, dont je comprends tous les grands textes de notre littéra- ture, ressemble fort, pour l'essentiel, à la façon dont la quasi totalité des lecteurs les ont compris avant moi. Aussi le lecteur ne trouvera-t-il dans les pages qui suivent que des remarques qu'il aurait pu faire lui-même, s'il avait passé sur les textes que j'é- tudie autant de temps que moi. Cela dit, et c'est la raison pour laquelle j'ai cru pouvoir publier ces Explications littéraires, la très longue familiarité que j'ai avec ces pages que je n'ai cessé de ruminer, en même temps que beaucoup d'autres, depuis vingt ou trente ans que je les sais par cœur (5), m'a permis, non pas d'en renouveler l'interprétation générale, mais d'apporter sur un certain nombre de points des observations ou des précisions inédites. Elle m'a permis notamment de relever des mala- dresses ou des inadvertances qui semblent avoir

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échappé jusqu'ici à l'attention sinon de tous les lec- teurs, du moins des commentateurs. Car la tâche du critique n'est pas seulement de mettre en valeur les réussites ; elle est aussi, quand il y a lieu, de re- lever les faiblesses et les ratés. L'une ne va pas sans l'autre et d'ailleurs la « nouvelle critique » néglige celle-ci tout autant que celle-là. Rien d'étonnant à cela ! A partir du moment où l'on ne voit dans le texte littéraire qu'un prétexte pour ses propres di- vagations, où on le considère, non pas comme une œuvre que son auteur a voulue aussi achevée que possible, mais comme un point de départ pour ses élucubrations personnelles, tout devient également bon. Pourtant, si grand, si accompli que soit un ou- vrage, un examen attentif peut toujours y déceler des défaillances et des imperfections. Certes, celles que j'ai relevées dans les deux explications de La Princesse de Clèves et d'Amphitryon 38 peuvent paraître bien légères. Si je n'en ai pour ainsi dire point trouvé dans le dernier paragraphe, très court, des Mémoires d'Outre-Tombe (mais j'en aurais trouvé, si j'avais étudié le paragraphe précédent), ce ne sont pas seulement des faiblesses et des im- perfections que j'ai relevées dans le sonnet de Mal- larmé « Sur les bois oubliés... », mais de nombreu- ses, de très graves, de détestables maladresses d'ex- pression.

Enfin, non content de critiquer le travail de l'auteur lorsqu'il m'a semblé mal fait, je me suis permis de temps à autre des remarques humoristi- ques et j'ai laissé paraître çà et là les convictions rationalistes et voltairiennes qui me tiennent lieu de philosophie. Car autant il me paraît non seule- ment malhonnête mais absurde de tirer un texte à soi, autant il me paraît normal et même souhai-

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table, après avoir, aussi objectivement que possi- ble, analysé ce que l'auteur a dit et apprécié la façon dont il l'a dit, de prendre, à l'occasion, quel- que distance avec lui. Mais précisément l'on ne peut prendre ses distances avec un texte que si l'on s'est d'abord abstenu de le tirer à soi. Bien enten- du, dans le cadre d'une explication littéraire, et a fortiori s'il s'agit d'une explication d'examen ou de concours, cela ne peut se faire que très rapidement et en passant, la fin de cet exercice n'étant pas de se livrer à des plaisanteries plus ou moins gratuites ni d'exposer sa philosophie personnelle ou de s'é- tendre sur ses états d'âme. Mais cela permet d'atté- nuer un peu le caractère nécessairement scolaire de l'explication littéraire, et, si l'on est heureux, com- me le dit Pascal (6), de trouver un homme quand on lit un auteur, il n'est pas mauvais non plus d'en trouver un, lorsqu'on ne lit qu'un critique.

NOTES 1. Rien de tel, pour se convaincre de cette impossibili-

té, que de lire l'ouvrage de Jean Yves Tadié. La Critique littéraire au XXe siècle (Belfond. 1987). Il est difficile de ne pas éprouver tout d'abord, si on se contente de le feuilleter rapidement, beaucoup d'étonnement et d'admiration. On se demande comment l'auteur qui, par ailleurs, a tant fait pour les études proustiennes, a eu le temps de lire et surtout comment il a pu réussir à dominer une telle quantité de tra- vaux souvent très longs et très arides. Mais, quand on regar- de de près ce qu'il dit des critiques sur lesquels on a soi- même travaillé, l'admiration fait bien vite place à l'indigna- tion. Outre qu'il les présente d'une manière très sommaire et parfois très maladroite qui incite à croire qu'il ne les a lus

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que très hâtivement, il se garde bien de commencer seule- ment à se livrer à un examen véritablement critique de leurs analyses et de leurs théories, alors même que cela s'imposait le plus, et leur tire, au contraire, son chapeau, alors même qu'ils ne cessent de montrer le plus total mépris tant des textes que des règles les plus élémentaires de la pensée logi- que. Pour s'incliner avec « respect », comme il le fait, de- vant les travaux de Lucien Goldmann et, particulièrement, devant ses « recherches considérables sur le jansénisme, Pas- cal et Racine » (p. 166), il faut avoir totalement renoncé à faire usage de son jugement.

2. C'est le péché mignon de Gide, comme aussi, et sans doute plus encore, de Valéry. Ils sont, en cela, les précur- seurs de Roland Barthes et de tous les grands barbacoles de notre temps. Mais les disciples ont largement dépassé les maîtres et la remarque de Malebranche : « Il y a une infinité de gens qui perdent le sens commun, parce qu'ils le veulent passer, et qui ne disent que des sottises, parce qu'ils ne veu- lent dire que des paradoxes » (Recherche de la vérité, bibl. de la Pléiade, p.431 ) n'a jamais été autant d'actualité.

3. Walter dans Les Noyers de l'Altenburg, Gallimard, 1948, p.90.

4. Je n'ignore pas qu'il y a des auteurs volontairement hermétiques. Ils ont généralement de bonnes raisons pour cela, c'est-à-dire de très mauvaises. Mais j'y reviendrai à propos de Mallarmé.

5. Ma seule « méthode », si on peut l'appeler ainsi, consiste à apprendre par cœur tous les textes que j'étudie. Je n'explique ni ne cite jamais un texte que de mémoire, et, depuis quatorze ans que j'enseigne à la Sorbonne, j'ai tou- jours fait cours sans livres et sans la moindre note. Cette méthode, on le voit, est diamétralement opposée à celle « assez fétichiste » de Roland Barthes qui consiste à noter seulement « certains passages, certains moments, voire cer- tains mots qui ont le pouvoir de [l]'exalter » (voir Le Grain de la voix, Seuil, 1 981, p.1 73), sans plus se soucier du con- texte. La méthode de Roland Barthes, je le reconnais volon- tiers, est assurément beaucoup plus rapide que la mienne.

6. Voir Pensées, Brunschvicg 29, Lafuma 675.

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MADAME DE LAFAYETTE

« Sitôt que la nuit fut venue, il entendit marcher, et quoiqu'il fît obscur, il reconnut aisément M. de Nemours. Il le vit faire le tour du jardin, comme pour écouter s'il n'y entendrait personne et pour choisir le lieu par où il pourrait passer le plus aisément. Les palissades étaient fort hautes, et il y en avait encore derrière, pour empêcher qu'on ne pût entrer ; en sorte qu'il était assez difficile de se faire passage. M. de Nemours en vint à bout néanmoins ; sitôt qu'il fut dans ce jardin, il n'eut pas de peine à démêler où était Mme de Clèves. Il vit beaucoup de lumières dans le cabinet ; tou- tes les fenêtres en étaient ouvertes et, en se glissant le long des palissades, il s'en approcha avec un trouble et une émo- tion qu'il est aisé de se représenter. Il se rangea derrière une des fenêtres, qui servaient de porte, pour voir ce que faisait Mme de Clèves. Il vit qu'elle était seule ; mais il la vit d'une si admirable beauté qu'à peine fut-il maître du transport que lui donna cette vue. Il faisait chaud, et elle n'avait rien, sur sa tête et sur sa gorge, que ses cheveux confusément rat- tachés. Elle était sur un lit de repos, avec une table devant elle, où il y avait plusieurs corbeilles pleines de rubans ; elle en choisit quelques-uns, et M. de Nemours remarqua que c'étaient des mêmes couleurs qu'il avait portées au tournoi. Il vit qu'elle en faisait des nœuds à une canne des Indes, fort extraordinaire, qu'il avait portée quelque temps et qu'il avait donnée à sa sœur, à qui Mme de Clèves l'avait prise sans faire semblant de la reconnaître pour avoir été à M. de Nemours. Après qu'elle eut achevé son ouvrage avec une grâce et une douceur que répandaient sur son visage les sentiments qu'elle avait dans le cœur, elle prit un flambeau et s'en alla, proche d'une grande table, vis-à-vis du tableau

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du siège de Metz, où était le portrait de M. de Nemours. El- le s'assit et se mit à regarder ce portrait avec une attention et une rêverie que la passion seule peut donner. »

La Princesse de Clèves ( 1 )

La célèbre scène où M. de Nemours surprend Mme de Clèves qui s'abandonne, dans le pavillon de Coulommiers, à une rêverie solitaire dont il est le centre, a, dans La Princesse de Clèves, un caractère un peu insolite. Mme de Lafayette qui, d'ordinaire, décrit si peu les êtres et les choses, nous offre ici une page qui, sans être vraiment descriptive, n'en a pas moins un caractère fortement visuel. Pour une fois, elle évoque avec une certaine précision les lieux et les objets. Certes on est encore très loin du bric-à-brac de certaines descriptions balzaciennes, mais enfin, dans aucune autre page de La Princesse de Clèves, on ne peut trouver à la fois un lit de repos, deux tables, des corbeilles pleines de rubans, une canne des Indes, un flambeau et un tableau. N'allons pas croire, pour autant, que le goût du dé- tail concret s'est brusquement développé chez Mme de Lafayette. Les indications matérielles qu'elle nous donne ici, ne sont, en effet, aucunement gra- tuites. Elles n'ont d'autre raison d'être que de ser- vir l'analyse psychologique qui, en dépit des appa- rences, reste, dans cette page, le centre d'intérêt essentiel. Mais, pour une fois, Mme de Lafayette ne se sert ni du dialogue (la scène est entièrement muette) ni du monologue intérieur (si fréquent dans La Princesse de Clèves) qui sont, dans les au- tres pages du roman, les deux instruments privilé- giés de l'analyse psychologique. Pour une fois, elle se contente presque de nous donner à voir les faits

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et gestes de ses personnages, en ne nous fournissant sur leurs sentiments que des indications très géné- rales (2). Ainsi, pour une fois, Mme de Lafayette laisse, pour une assez large part, au lecteur le soin de dégager l'exacte signification de la scène et d'ap- précier par lui-même toute la portée des gestes aux- quels se livre l'héroïne, en faisant, un peu à la ma- nière de Sherlock Holmes, parler les objets. Cette page présente donc pour le commentateur un inté- rêt tout particulier (3).

M. de Clèves est parti à Reims avec la cour pour le sacre du nouveau roi, François II. Mme de Clèves, qui n'avait pas voulu l'accompagner pour éviter d'être sans cesse exposée à rencontrer M. de Nemours, s'est retirée dans son château de Coulom- miers. Le sacre terminé, M. de Clèves a suivi la cour qui prenait ses quartiers d'été à Chambord. Mme de Martigues est venue partager quelque temps la solitude de Mme de Clèves, avant de retourner à Chambord. Chez la Reine, en présence de M. de Clèves et de M. de Nemours, elle a parlé du séjour qu'elle venait de faire à Coulommiers et vanté les agréments du pavillon où, a-t-elle dit, Mme de Clè- ves aimait à se « promener seule une partie de la nuit » (4). M. de Nemours connaissait le lieu, puis- que c'est là qu'il avait assisté, caché, à l'aveu que Mme de Clèves avait fait à son mari. Il se dit alors qu'il pourrait peut-être bien réussir à « voir Mme de Clèves sans être vu que d'elle ». Mais les ques- tions qu'il posa à Mme de Martigues pour mieux s'en assurer, éveillèrent les soupçons de M. de Clè- ves. Ses soupçons se transformèrent en certitude, quand, le lendemain matin, M. de Nemours deman- da « congé au roi pour aller à Paris ». Il se confia alors à « un gentihomme qui était à lui » et « lui

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ordonna de partir sur les pas de M. de Nemours, de l'observer exactement, de voir s'il n'irait point à Coulommiers et s'il n'entrerait point la nuit dans le jardin (5) ». Le gentilhomme, après avoir suvi M. de Nemours qui s'est arrêté dans un village près de Coulommiers, est allé se poster dans la forêt qui en- toure le jardin pour y attendre la nuit et guetter l'arrivée du duc. C'est ici que commence notre ex- trait.

L'unité et le mouvement de cette page sont tout à fait remarquables. Les trois personnages de cette scène muette nous sont montrés en train d'en regarder un autre attentivement et intensément (6), et de le regarder à son insu. Le gentilhomme s'est mis en embuscade dans la forêt pour espionner M. de Nemours. M. de Nemours va se poster derrière une porte-fenêtre pour observer à la dérobée Mme de Clèves. Mme de Clèves s'est retirée dans la soli- tude du cabinet pour contempler le portrait de M. de Nemours. Pour voir M. de Nemours sans en être vue, Mme de Clèves a, en effet, choisi de regarder son portrait. C'est une solution qui n'est sans doute pas pleinement satisfaisante (elle doit se contenter de regarder une copie), mais qui offre une parfaite sécurité, sauf, bien entendu, comme c'est le cas, quand le modèle se trouve là et vous observe. Nous suivons d'abord M. de Nemours avec les yeux du gentilhomme espion, et nous le voyons, avec ses yeux, faire le tour du jardin et franchir les palissa- des. Puis (à partir de « sitôt qu'il fut dans le jar- din [...] »), nous nous approchons du cabinet en même temps que M. de Nemours, et nous regar- dons avec ses yeux (7) Mme de Clèves nouer les rubans autour de la canne. Enfin Mme de Clèves se

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lève et nous conduit devant le portrait de M. de Nemours.

Par le regard, il se constitue ainsi une sorte de chaîne entre les trois personnages de la scène : le gentilhomme regarde M. de Nemours ; M. de Ne- mours regarde Mme de Clèves ; Mme de Clèves re- garde le portrait de M. de Nemours. Certes, pour que la chaîne soit parfaite, il faudrait que le gentil- homme regarde M. de Nemours pendant qu'il regar- de Mme de Clèves regarder son portrait. Or le gen- tilhomme a perdu de vue M. de Nemours lorsqu'il a franchi les palissades. Mais nous savons qu'il reste là, tout près (8), nous le sentons aux aguets (9), regardant dans la direction où M. de Nemours a disparu et écoutant pour essayer de deviner ce qui se passe au-delà des palissades. Pour n'être plus rap- pelée, sa présence proche et vigilante n'en continue pas moins à accroître la tension de la scène.

La progression de la scène se fait donc par une addition de regards : au regard du gentilhomme s'a- joute ensuite celui de M. de Nemours et enfin celui de Mme de Clèves. Et, en même temps que les plans se multiplient, l'angle de vue se resserre. Le gentilhomme qui regarde M. de Nemours faire le tour du jardin et escalader les palissades, a un champ d'observation plus large que M. de Nemours qui regarde Mme de Clèves à l'intérieur du cabinet, et M. de Nemours a lui-même un champ d'observa- tion plus large que Mme de Clèves qui contemple le petit carré de toile où M. de Nemours est peint. L'observateur, en effet, se rapproche de plus en plus : M. de Nemours est plus près de Mme de Clè- ves que le gentilhomme ne l'est de lui, et Mme de Clèves n'est qu'à un mètre ou deux du portrait de M. de Nemours.

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c omment ne pas comprendre la perplexité et le désarroi de tous ceux à qui l'on propose continuellement de nouvelles

méthodes pour « l'approche des textes », qui n'ont en commun, le plus souvent, que d'en retarder considérablement la lecture ? Il y a maintenant tellement d'écoles, de doctrines et de théories cri- tiques qu'il est impossible d'en faire vraiment le tour. Quiconque voudrait les examiner toutes afin de pouvoir faire son choix en toute connaissance de cause, arriverait harassé au terme de son existence, la tête bourdonnante de vocables barbares, et plus que jamais incapable de savoir laquelle il devrait adopter, si on lui accordait une seconde existence ; et sans doute déciderait-il de la consacrer à faire de la musique ou des mathématiques plutôt que d'étudier la littérature.

L'auteur de ce livre voudrait rassurer tous ceux à qui l'on veut mettre dans la tête que rien n'est plus difficile que de lire un texte littéraire, qu'ils ne sauraient prétendre y arriver tout seuls et qu'ils doivent nécessairement faire appel à Roland Barthes, à Roman Jakobson, à Anton Dekohnablock et à tous les grands « déco- deurs » de notre époque. Il voudrait les aider à se convaincre qu'un écrivain digne de ce nom écrit pour être compris par ses lecteurs et non pour être décrypté par les critiques, qu'il n'y a pas, pour « l'approche des textes », de méthode non seulement plus rapide, mais aussi plus agréable et plus sûre, que le contact direct avec les œuvres et que l'attention, le bon sens et le jugement sont beaucoup plus utiles à l'intelligence des textes littéraires que les fariboles rébarbatives de tous les barbacoles abscons et les aliborons iné- narrables dont les jobards et les snobinards ont fait leurs oracles.

Ces Explications littéraires s'adressent aux étudiants et parti- culièrement à ceux qui préparent des concours (E.N.S., agrégation, CAPES), aux enseignants et à tous ceux qui s'intéressent à la litté- rature française.

Agrégé des Lettres classiques, ancien élève de l'E.N.S., docteur d'État, René Pommier a enseigné vingt-deux ans à l'université de Paris- Sorbonne (Paris IV). Adversaire très résolu de la « nouvelle critique », il a obtenu en 1979 le Prix de la Critique de l'Académie française pour Assez décodé ! (1978) et a consacré sa thèse d'Etat à une étude aussi sévère que serrée du Sur Racine de Roland Barthes (1988).

Prix France : 30 euros ttc III. couverture : Alfred Agache, Énigme, huile sur toile, 280 x 169, 1888 Rouen, musée des Beaux-Arts © Musées de la Ville de Rouen Photographie Catherine Lancien ISBN : 2-84830-047-7

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Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement

sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

Cette édition numérique a été réalisée à partir d’un support physique parfois ancien conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

Elle peut donc reproduire, au-delà du texte lui-même, des éléments propres à l’exemplaire qui a servi à la numérisation.

Cette édition numérique a été fabriquée par la société FeniXX au format PDF.

La couverture reproduit celle du livre original conservé au sein des collections

de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

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La société FeniXX diffuse cette édition numérique en vertu d’une licence confiée par la Sofia ‒ Société Française des Intérêts des Auteurs de l’Écrit ‒

dans le cadre de la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012.