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1 ECOLE NATIONALE DE MEDECINE VETERINAIRE SIDI THABET Année 2016-2017 NOTIONS DE PHARMACOCINETIQUE VETERINAIRE PHARMACIE & TOXICOLOGIE Pr Agrégé Samir BEN YOUSSEF Dr Jamel BELGUITH Dr Rim HADIJI

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ECOLE NATIONALE DE MEDECINE VETERINAIRE

SIDI THABET

Année 2016-2017

NOTIONS

DE PHARMACOCINETIQUE VETERINAIRE

PHARMACIE & TOXICOLOGIE Pr Agrégé Samir BEN YOUSSEF

Dr Jamel BELGUITH Dr Rim HADIJI

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CINETIQUE DES XENOBIOTIQUES DANS L'ORGANISME

Introduction – Importance 4

PREMIERE PARTIE : BIODISPONIBILITE, BIOEQUIVALENCE, MECANISMES DE PASSAGE TRANSMEMBRANAIRE DES XENOBIOTIQUES I. BIODISPONIBILITE, BIOEQUIVALENCE 7 1. Définitions 7 1.1 Biodisponibilité absolue 7 1.2 Biodisponibilité relative 8 2. Evaluation de la biodisponibilité 8 3. Facteurs de variation de la biodisponibilité 10 3.1. Facteurs pharmaceutiques 10 3.1.1. Facteurs liés au principe actif 10 3.1.2. Facteurs liés à la forme pharmaceutique 11 3.1.3. Interactions médicamenteuses 12 3.2. Facteurs physiopathologiques 13 II. MECANISMES DE PASSAGE TRANSMEMBRANAIRE 13 1. La membrane cellulaire 13 2. Les processus de passage transmembranaire 14 2.1. Transports passifs 15 2.1.1. Diffusion simple 15 2.1.2. La filtration 18 2.1.3. La diffusion facilitée 19 2.2. Transport actif 19 2.3. La pinocytose 20 3. Facteurs influençant le passage transmembranaire 20

DEUXIEME PARTIE : DEVENIR DES XENOBIOTIQUES DANS L'ORGANISME I. LA RESORPTION 25 1. La résorption digestive 26 1.1. La résorption gastrique 26 1.1.1. Monogastriques 26 1.1.2. Polygastriques 26 1.1.3. Oiseaux 27 1.2. La résorption intestinale 27

Avantages et inconvénients de la voie digestive 28 Facteurs de variation de la résorption digestive 29

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2. Résorption transcutanée et muqueuse 29 2.1. Voie transcutanée 29 2.2. Résorption par les muqueuses 29 3. Résorption pulmonaire 31 4. Résorption parentérale 32 4.1. Voie intraveineuse 32 4.2. Voie intra-péritonéale 33 4.3. Voies intramusculaire et sous cutanée 33 II. LA DISTRIBUTION 36 1. Transport sanguin 36 1.1. Fixation sur les protéines plasmatiques 36 1.2. Fixation sur les éléments figurés du sang 39 2. Diffusion tissulaire et cellulaire 39 3. Particularités d'organes 42 3.1. Pénétration dans le système nerveux central 42 3.2. Passage transplacentaire 43 III. BIOTRANSFORMATIONS 46 1. Réactions de biotransformations 46 1.1. Lieu des réactions 46 1.2. Principales réactions 47 1.2.1. Réactions de dégradation 47 1.2.2. Réactions de conjugaison 53 2. Facteurs de variation des biotransformations 57 2.2. Facteurs intrinsèques 57 2.3. Facteurs extrinsèques 59 2.3.1. L’induction enzymatique 59 2.3.2. L’inhibition enzymatique 61 IV. ELIMINATION 62 1. Elimination rénale 62 1.1. Filtration glomérulaire 62 1.2. Sécrétion tubulaire 63 1.3. Réabsorption tubulaire 64 2. Elimination digestive 66 2.1. Excrétion biliaire 66 2.2. Excrétion salivaire 68 2.3. Excrétion par la muqueuse digestive 69 3. Autres voies d'élimination 69 3.1. Elimination mammaire 69 3.2. Elimination par les œufs 72 3.3. Elimination pulmonaire 73 3.4. Elimination par la peau et les larmes 73 CONCLUSION

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CINETIQUE DES XENOBIOTIQUES

DANS L'ORGANISME

INTRODUCTION On entend par cinétique des médicaments et des toxiques ou pharmacocinétique (toxicocinétique pour les toxiques), l'étude quantitative et qualitative du devenir d'un xénobiotique dans l'organisme en fonction du temps après son introduction par l'une des voies d’administration. Lorsqu'un xénobiotique est introduit dans l’organisme, après une phase de contact dite phase galénique, il subit un cheminement qui se résume en quatre étapes fondamentales (Figure 1).

La résorption (Absorption*) : c’est à dire le passage du site d'application dans la circulation générale

La distribution à partir de la circulation générale dans les différents tissus et organes.

Les biotransformations qui correspondent à des modifications biochimiques que subit le xénobiotique dans l'organisme

L'élimination du xénobiotique par les différentes voies d'excrétion

Le terme de xénobiotique (du grec xénos = étranger), désigne toute substance chimique etrangère à l’organisme, qu'elle soit médicamenteuse ou toxique.

Figure 1 : Place de la pharmacocinétique

(Pr. Jean-Dominique PUYT, ONIRIS)

Le terme d'absorption, synonyme d'ingestion en français est consacré par l’usage employé ; c’est le terme anglais ; il, s’agit en fait de résorption. Le terme de métabolisme était autrefois synonyme de pharmacocinétique, à une époque où les biotransformations étaient pratiquement la seule étape pharmacocinétique que l'on connaissait.

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IMPORTANCE L'étude de la pharmacocinétique et de la toxicocinétique des xénobiotiques est importante à plus d'un titre. Elle conditionne le choix des formes pharmaceutiques, de la voie d'administration et de la posologie chez les différentes espèces. A ce titre, les études pharmacocinétiques constituent une partie importante du dossier pharmaco-toxicologique nécessaire l'obtention de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) d'un médicament vétérinaire.

Par ailleurs, elles permettent la connaissance du niveau en résidus dans les denrées alimentaires d’origine animale, lequel est nécessaire pour la détermination du temps d’attente afin de garantir l’innocuité de ces denrées pour le consommateur.

Pour qu’un médicament agisse, il faut qu’il soit libéré de sa forme pharmaceutique et qu’il puisse traverser les barrières cellulaires pour atteindre son site d’action (Fig. 1bis), aussi le présent polycopié est divisé en deux parties :

La première partie est consacrée à l’étude de la biodisponibilité des xénobiotiques ainsi qu’à l’étude du passage transmembranaire des substances chimiques.

La deuxième partie, traite des quatre étapes du devenir d’un xénobiotique dans l’organisme à savoir : la résorption, la distribution, les biotransformation et l’élimination.

Figure 1bis : Phase galénique et phase pharmacocinétique

(Pr. Jean-Dominique PUYT, ONIRIS)

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PREMIERE PARTIE

BIODISPONIBILITE ET BIOEQUIVALENCE

MECANISMES DE PASSAGE

TRANSMEMBRANAIRE DES XENOBIOTIQUES

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Afin de mieux comprendre les quatre grandes étapes du devenir d’un médicament ou d’un toxique dans l’organisme, il est intéressant d’étudier dans un premier temps la notion de biodisponibilité et les mécanismes de passage transmembranaire.

I. BIODISPONIBILITE, BIOEQUIVALENCE

1. Définitions

La biodisponibilité d’un xénobiotique correspond à la quantité de principe actif libérée de la forme pharmaceutique administrée qui parvient dans la circulation générale et à la vitesse avec laquelle elle y parvient. Avant le développement de la pharmacocinétique, on admettait le concept ancien « dose administrée = dose résorbée ». Les études pharmacocinétiques ont prouvé que seulement une fraction de la quantité administrée est résorbée et atteint les sites d’action biologiques ou toxiques. Par ailleurs, on a démontré que cette fraction résorbée dépend de la présentation du médicament, c’est à dire de la forme pharmaceutique. Le concept de biodisponibilité s’est développé initialement pour évaluer l’efficacité thérapeutique de spécialités pharmaceutiques différentes, renfermant les mêmes quantités de principe actif après administration par la même voie. La biodisponibilité s’intéresse essentiellement aux évènements qui précèdent la résorption ; c'est-à-dire à la phase galénique. Il s’agit pour un comprimé de son délitement et de la dissolution du principe actif dans le contenu du tube digestif, pour une suspension de sa dispersion dans le tissu conjonctif sous cutané ou intermusculaire puis de la dissolution du principe actif. On définit deux types de biodisponibilité : la biodisponibilité relative et la biodisponibilité absolue.

Biodisponibilité absolue Biodisponibilité relative

1.1. Biodisponibilité absolue

C’est la biodisponibilité d’un même principe actif administré par des voies différentes, elle permet de définir le rapport de la quantité de principe actif résorbé par une voie quelconque par comparaison à la voie intraveineuse

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1.2. Biodisponibilité relative C’est la biodisponibilité d’un principe actif sous des formes pharmaceutiques différentes administrés par la même voie. Elle permet de comparer deux spécialités pharmaceutiques et d’évaluer l’intérêt de l’une sur l’autre. Elle permet également d’évaluer le rôle que jouent les excipients et les techniques de fabrication (pulvérisation, micronisation…etc.). La biodisponibilité relative a pour but de comparer les différences de résorption par une même voie d’administration entre des spécialités pharmaceutiques différentes de même composition qualitative et quantitative et présentées sous des formes galéniques identiques. A une équivalence chimique ou à une équivalence galénique (même forme galénique) ne correspond pas toujours une équivalence thérapeutique (ou bioéquivalence). Ainsi deux spécialités pharmaceutiques seront dites bioéquivalentes si elles procurent dans l'organisme des courbes d'évolution des concentrations dans le temps similaires. La bioéquivalence s'applique à un principe actif dans une forme galénique donnée et ne vaut que pour une voie d'administration précise. Elle est surtout étudiée pour les spécialités pharmaceutiques destinées à la voie orale. On peut également comparer la bioéquivalence de lots de fabrication successifs d'une même spécialité. On peut enfin évaluer la bioéquivalence de spécialités pharmaceutiques dans des formes galéniques différentes et apprécier l'intérêt d'une forme galénique sur une autre. On peut à partir de là établir le rôle possible des excipients ou de la technique de fabrication.

2. Evaluation de la biodisponibilité

La biodisponibilité est évaluée essentiellement à partir des courbes pharmacocinétiques d’évolution des concentrations sanguines en fonction du temps (Fig. 2)

Figure 2 : Evolution des concentrations sanguines en fonction du temps

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La surface sous la courbe est directement proportionnelle à la quantité de principe actif qui atteint la circulation générale. Le temps qui sépare l’administration, du temps de pic de concentration plasmatique (Cmax.) est appelé : Tmax. Il permet d’apprécier la vitesse de résorption. La voie intraveineuse présente une biodisponibilité de 100% puisque toute la dose administrée parvient à la circulation générale. Le coefficient de biodisponibilité : F, se calcule par rapport à la voie intraveineuse selon la formule suivante :

F% = (Surface sous la courbe IM / dose IM) (Surface sous la courbe IV / dose IV)

On procède de la même manière pour la détermination du coefficient de biodisponibilité par les autres voies (orale, sous cutanée…etc.) Cependant, le coefficient de biodisponibilité, s’il apporte une bonne indication sur la quantité de principe actif résorbée, n’apporte aucune information sur la vitesse du phénomène. Il est alors important de l’accompagner de Tmax. et Cmax. Ceci est d’autant plus important que des spécialités ayant des coefficients de biodisponibilité identiques, peuvent avoir des effets biologiques ou toxiques différents. Le coefficient de biodisponibilité absolue permet de comparer la résorption par différentes voies d’administration. Le coefficient de biodisponibilité relative déterminé selon le même principe, permet quant à lui de comparer la résorption par la même voie d'un principe actif à partir de formes pharmaceutiques différentes spécialités. La valeur du coefficient de biodisponibilité est insuffisante à elle seule pour comparer valablement des spécialités pharmaceutiques différentes. Si elle est une bonne indication de la quantité de principe actif résorbée, elle n'apporte aucune information sur la vitesse du phénomène. On peut très bien obtenir avec deux spécialités pharmaceutiques différentes des courbes délimitant des surfaces identiques ; les coefficients de biodisponibilité sont alors identiques. Ces médicaments peuvent pourtant exercer des effets biologiques très différents. C'est pourquoi il faut prendre en compte simultanément le pic de concentration Cmax et le temps au bout duquel il est atteint c.-à-d. Tmax. On apprécie ainsi la vitesse de résorption du principe actif.

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En pratique, on admet que des spécialités pharmaceutiques (formulations galéniques identiques) sont bioéquivalentes et donc interchangeables s'il y a moins de 20 % de différences entre :

leur AUC (surface sous la courbe) ou leurs cœfficients de biodisponibilité F,

leur Tmax leur Cmax

Pour compléter les études de bioéquivalence réalisées in vivo, on a mis au point des tests in vitro simples et rapides, susceptibles de donner une information complémentaire sur des différences éventuelles de biodisponibilité et donc garantir une bioéquivalence. Les différences de biodisponibilité sont liées essentiellement à des différences de vitesse de dissolution dans l'eau du principe actif à partir de sa forme galénique. C'est en partie dans ce but qu'ont été mis au point des tests de désagrégation (délitement) pour les comprimés ainsi que des tests de dissolution. En effet les différences de biodisponibilité ont principalement pour origine des différences de mise en solution aqueuse des principes actifs avant leur résorption dans la circulation générale, condition préalable et nécessaire à tout passage transmembranaire.

3. Facteurs de variation de la biodisponibilité La libération du principe actif à partir de la forme pharmaceutique, étape préalable à la résorption dépend de plusieurs facteurs à savoir des facteurs pharmaceutiques et des facteurs biologiques.

3.1. Facteurs pharmaceutiques Ce sont des facteurs liés à la forme pharmaceutique, à ses caractéristiques physiques et chimiques.

3.1.1. Facteurs liés au principe actif a. Taille des particules

La biodisponibilité est inversement proportionnelle à la taille des particules , ce sont les particules les plus petites offrant le plus de surface de contact avec le milieu aqueux de l'organisme qui se dissolvent le mieux dans le tube digestif , dans le conjonctif sous cutané ou intramusculaire (cas des suspensions). L'acétylsalicylate de lysine (ASPEGIC®) est une forme micronisée qui illustre bien ce cas. Sa biodisponibilité est supérieure à celle des comprimés d'acide acétylsalicylique.

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b. Etat d'hydratation

Les formes hydratées sont souvent moins solubles que les formes anhydres. Pour l'ampicilline par exemple, la biodisponibilité croit avec la croissance du taux d'hydratation de la forme pharmaceutique. c. Etat cristallin Les poudres amorphes sont en général plus hydrosolubles que les formes cristallines. d. Forme chimique Les esters et les sels d'un même principe actif n'ont pas la même solubilité d'où une biodisponibilité différente et des comportements pharmacocinétiques différents.

3.1.2. Facteurs liés à la forme pharmaceutique Les excipients et les adjuvants des formes pharmaceutiques influent sur la dissolution du principe actif et par conséquent sur la biodisponibilité, le développement de "nouveaux systèmes d'administration " est à ce titre important à considérer.

a. Excipients

Les excipients aqueux sont ceux qui retiennent le moins le principe actif, leur dissolution est immédiate dans le contenu du tube digestif dans le liquide sous cutané ou intermusculaire. Les solutions aqueuses sont mieux résorbées que les solutions huileuses qui sont en général des formes retards. L'effet retard maximal est obtenu avec les formes solides ou implants sous cutanés (cas des anabolisants) permettant une libération continue et durable du principe actif.

b. Liants et désintégrants Les liants des comprimés ralentissent la vitesse de leur désintégration diminuent la biodisponibilité. Les désintégrants ont un effet inverse

c. Nouveaux systèmes d'administration (NSA)

Voie orale Les innovations les plus élaborées, concernent la voie digestive et la voie percutanée. Les formes pharmaceutiques développées visent la présence du

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principe actif pendant la période de risque durant laquelle on veut protéger l'animal et sont dites "longue durée d'action". Pour la prévention de la météorisation spumeuse chez les bovins au moment de la mise en herbe, on utilise des bolus de 165mm/38mm refermant un gel tensioactif. La taille du bolus empêche son passage à travers l'orifice réticulo-omasal ou le rejet à travers le cardia d'où une localisation réticulo-ruminale stricte. La libération du gel tensioactif s'étale sur 3 mois à partir cette forme. D'autres formes pharmaceutiques sont développées pour les antiparasitaires, les anti-infectieux systémiques, les antibiotiques ionophores et les oligo-éléments. Le système à l'origine de toute une famille est le PARATECT® (bolus qui libère du morantel) à action préventive stricte. Pour les anthelminthiques chez les bovins, des systèmes de "Pulse Release Bolus" sont développés. Ils assurent une libération de principes actifs systémiques à doses thérapeutiques sans intervention humaine. Ces bolus sont administrés par la voie orale lors de la mise en pâturage des veaux. Ils se localisent alors dans le réseau. La première dose thérapeutique est libérée en 21-23 jours pour le SYNTHEX® puis les suivantes tous les 21-31 jours, la cinquième et dernière dose étant libérée au 115è - 120è jour après l'administration. Pour l'électronic bolus " : VALBAZEN E BOLUS® constitué de " tubes collés sur un socle commun et lourd, son arrivée dans l'humidité rumen-réseau déclenche un système électronique. Exactement 31jours plus tard, il y'a libération d'une dose d'anthelminthique, aussitôt s'enclenche la libération de la deuxième charge qui se produit 31 jours après, puis la 3ème et dernière dose thérapeutique est libérée 93 jours après l'ingestion avec une erreur de plus ou moins 15 secondes.

Voie percutanée Pour la voie percutanée, les techniques dites "pour on" ou "spot on" (lorsque la quantité appliquée est faible) permettent la résorption de principes actifs appliqués le long de la région dorsolombaire avec une excellente biodisponibilité. Ces techniques seront développées dans l'étude de la résorption des médicaments et des toxiques.

3.1.3. Interactions médicamenteuses L'association de plusieurs médicaments peut être à l'origine de modifications de la biodisponibilité par suite d'incompatibilités physico-chimiques ou de phénomènes de compétition lors de la résorption.

Incompatibilités physico-chimiques

Les cas des tétracyclines qui forment des chélates insolubles avec le calcium illustre bien les incompatibilités physico-chimiques à l'origine

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d'une mauvaise résorption. C’est le cas également du charbon actif absorbant n'importe quel médicament, couramment utilisé dans le traitement des intoxications pour réduire la résorption des toxiques par la voie digestive.

3.2. Facteurs physio-pathologiques

Ce sont des facteurs liés à l'individu qui reçoit la forme pharmaceutique. La vacuité, le pH du tube digestif, une accélération du transit lors de diarrhée sont autant des facteurs biologiques qui modifient la biodisponibilité.

II. Mécanismes de passage transmembranaire des xénobiotiques Le cheminement d’un xénobiotique dans l’organisme repose sur la traversé de nombreuses membranes cellulaires : épithélium gastro-intestinal, paroi vasculaire, cellules de différents organes, épithélium des tubules rénaux…etc. Cette diversité des barrières membranaires recouvre cependant une unité structurale commune : la membrane cellulaire.

1. La membrane cellulaire

La membrane cellulaire est de nature lipoprotéique. Sa conception la plus récente est celle dite en « mosaïque fluide » de SINGER et NICHOLSON (1972). Elle apparait constituée par une double couche de phospholipides discontinue dans laquelle sont intercalés des protéines globulaires occupant la totalité ou partie de l’épaisseur de la membrane (Fig. 3).

Les molécules lipidiques sont faites d’un pôle hydrophobe dirigé vers l’intérieur et d’un pôle hydrophile dirigé vers l’extérieur (milieu extracellulaire ou intracellulaire).

La membrane cellulaire comporte des pores situés au niveau des axes centraux des protéines globulaires.

Figure 3 : La membrane cellulaire (d’après SINGER et NICHOLSON)

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Ce modèle, met en évidence le caractère lipidique prédominant de la membrane cellulaire et l’existence de pores protéiques. Ces deux caractéristiques sont fondamentales pour comprendre les mécanismes de passage transmembranaire.

2. Les processus de passage transmembranaire

La traversée des membranes biologiques (diffusion transcellulaire) par les xénobiotiques s'opère par les mêmes mécanismes biochimiques mis en jeu par les cellules pour les transports des constituants endogènes. On distingue ainsi (Fig. 4 & 4bis) : des transports passifs :

- la diffusion simple - la diffusion paracellulaire (entre deux cellules) = filtration, - la diffusion facilitée,

des transports actifs, la pinocytose (endocytose et exocytose).

Figure 4 : Processus de passage transmembranaire des xénobiotiques.

Figure 4bis : La pinocytose

Transports passifs

diffusion simple filtration Transports actifs

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2.1. Transports passifs 2.1.1. Diffusion simple

C’est le processus le plus fréquent, les substances en solution traversent la membrane par simple dissolution dans les phospholipides membranaires. C’est un transport passif ne nécessitant aucune dépense d’énergie de la part de la cellule. Les substances dissoutes migrent du milieu le plus concentré vers le milieu le moins concentré jusqu'à équilibre de part et d’autre de la membrane (notion de gradient de concentration). La vitesse de diffusion est donnée par la loi de FICK (Figure 5) :

Figure 5 : La loi de FICK

Du fait du caractère lipidique marqué de la membrane cellulaire, ce sont les molécules liposolubles, peu ionisées qui diffusent le plus facilement. La liposolubilité est le principal facteur limitant de la résorption des xénobiotiques par diffusion passive. Ceci nous amène à considérer deux paramètres importants, jouant un rôle essentiel dans la diffusion à savoir le pH du milieu qui influe sur le degré d’ionisation d’une molécule et le coefficient de partage octanol/eau de cette molécule renseignent sur sa liposolubilité.

a. pH du milieu

On distingue d’une manière générale deux catégories de xénobiotiques : - Des molécules neutres non ionisables, - Des molécules ionisables qui sont soit des acides soit des bases définies par leur

pKa ou logarithme négatif de leur constante de dissociation Ka.

pKa = - log Ka = log 1/ka

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L’équation d’HENDERSON-HASSELBACH permet de déterminer la concentration relative de la forme ionisée (fi) et de la forme non ionisée (fni) d’une substance en fonction du pH du milieu de dissolution :

log fni/fi = pH – pKa

Lorsque le pH est égal au pKa ; il ya équilibre entre les deux formes (log 1 = 0). En pratique, dans le tube digestif, dans le milieu extracellulaire ou dans le milieu intracellulaire, ces substances se trouvent sous forme non ionisée et sous forme ionisée. C’est sous la forme non ionisée (liposoluble) que les xénobiotiques diffusent bien à travers les membranes cellulaires, sous forme ionisée ils pénètrent très peu. Les molécules neutres, ne subissent aucune influence du pH.

Cas d’un acide faible

L’équation de dissolution d’un acide faible est la suivante :

AH A- + H+

L’équation d’HENDERSON-HASSELBACH donne les concentrations en fni et fi selon la formule suivante :

pKa - pH = Log [AH]/A- = log fni/fi En conséquence,

Un acide faible sera d’autant moins ionisé que le milieu est acide

Ceci explique la très bonne résorption gastrique des acides faibles (Pénicilline G, salicylés, anticoagulants coumariniques et dérivés de l’indane-dione … etc.)

Cas d’une base faible

BH+ B + H+

L’équation d’HENDERSON-HASSELBACH donne les concentrations en fni et fi selon la formule suivante :

pH - pKa = Log [B]/BH+ = log fni/fi

En conséquence, Une base faible sera d’autant moins ionisée que le milieu est basique Ceci explique la résorption duodénale des bases faibles (tétracyclines, alcaloïdes...).

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Le pH étant variable d’un compartiment à l’autre dans l’organisme, c'est-à-dire de part et d’autre d’une barrière membranaire, ceci entraine des déplacements des molécules chaque fois qu’elles se trouvent dans un milieu favorisant la fni (Fig 5). Une différence d'une unité de pH entre les deux compartiments entraîne à l'équilibre environ 10 fois plus de molécules dans un compartiment que dans l'autre. On comprend alors le déplacement des molécules ionisables par suite de différences de pH entre des secteurs différents de l'organisme.

Figure 5’ : Diffusion passive d’un xénobiotique acide faible du sang vers un tissu

b. Coefficient de portage octanol-eau (huile-eau)

Le coefficient de partage octanol-eau permet de déterminer le degré de liposolubilité d’une substance. Celle-ci jouant un rôle fondamental dans le passage transmembranaire. Ce coefficient est mesuré par évaluation de la distribution d’une substance entre l’octanol et l’eau (ou le chloroforme et l’eau). Plus sa valeur est grande, plus la substance est liposoluble et plus elle traversera facilement la membrane cellulaire. L’exemple des barbituriques, montre la relation parallèle entre le coefficient octanol-eau du composé et l’intensité de l’activité pharmacologique traduisant une meilleure traversée transmembranaire (Tableau I). Cependant, ce coefficient de partage octanol-eau ne doit pas avoir des valeurs très élevées. En effet, lors de la diffusion passive, la substance passe

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obligatoirement dans le milieu aqueux pour atteindre la membrane, de ce fait elle doit posséder un certain degré d’hydrosolubilité pour pouvoir se déplacer. Les substances exclusivement liposolubles sont incapables de franchir les barrières cellulaires (Vaseline, paraffine, …etc.) et sont utilisés pour leurs effets locaux (laxatifs).

Tableau I

Liposolubilité et activité pharmacologique de quelques barbituriques

BARBITURIQUE COEFFICIENT DE PARTAGE

OCTANOL-EAU ACTIVITE

Phénobarbital

Pentobarbital

Penthiobarbital

3

39

580

Sédatif-hypnotique

action lente

Anesthésique général

action rapide

Anesthésique général action très rapide

Au bilan, ce sont les molécules liposolubles et légèrement hydrophiles qui sont les mieux diffusibles. Les composés exclusivement liposolubles ou insolubles dans l’eau comme de nombreux métaux ne traversent pas les membranes par diffusion passive.

2.1.2. Filtration La filtration constitue le passage des substances chimiques à travers les pores membranaires ou les espaces intercellulaires. Par conséquent, seules les substances hydrosolubles ou à un moindre degré hydrosolubles, de faible poids moléculaire sont intéressés par ce processus. Etant donné la nature protéique des pores et leur dimension, les deux facteurs qui conditionnent la filtration sont l’hydrosolubilité du composé et son poids moléculaire (intéresse les médicaments de petite taille). Le processus de filtration est un processus passif qui dépend du diamètre des pores, de leur nombre ainsi que du gradient de concentration de part et d’autre de la membrane.

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En pratique, dans la plupart des cas le diamètre de ces pores est compris entre et A (1 A = 10

-10 mètre), ce qui laisse filtrer uniquement les petites

molécules de PM ‹ D environ. Il ne s’agit que d’ions minéraux (Na+, k+, Ca++, …etc.), les molécules organiques sont toutes de taille plus importante. La majorité des xénobiotiques a une masse relative comprise entre 200 et 500 D, ce qui interdit habituellement leur passage par transport par les canaux ioniques. On note cependant deux exceptions anatomiques : les capillaires sanguins des territoires hépatique, rénaux et ceux musculaires, au niveau desquels le diamètre des pores est plus important. Au niveau des reins, le diamètre est de 8 A permettant la filtration de molécules jusqu’à un PM voisin de 69000 Daltons.

2.1.3. Diffusion facilitée

Elle diffère du transfert actif dans le fait qu’elle s’effectue dans le sens du gradient de concentration, sans dépense d'énergie, mais à une vitesse supérieure à celle d’un simple phénomène de diffusion passive. Le glucose, la vitamine B12 pénètrent par ce mécanisme. La diffusion de molécules de glucose à travers la membrane cytoplasmique nécessite une protéine « transporteur spécifique au glucose ».

2.2. Transport actif : Transfert actif par l’intermédiaire de systèmes de transport Contrairement aux deux mécanismes précédents, le transfert par l’intermédiaire de systèmes de transport constitue un mécanisme actif nécessitant de l’énergie. Il fait intervenir des molécules transporteuses spécifiques et peut se faire contre un gradient de concentration. Les transports actifs nécessitent une participation active de la part des cellules sous forme d'énergie. Ils impliquent également des transporteurs spécifiques et agissent contre le gradient de concentration. On distingue des transporteurs d’efflux et d’influx ; parmi les plus importants figurent :

des glycoprotéines P qui sont surtout des transporteurs d’efflux, encore appelées pompes à efflux,

des transporteurs d’anions organiques (OAT), spécialisés dans le transport de xénobiotiques acides,

des transporteurs de cations organiques (OCT), spécialisés dans le transport de xénobiotiques basiques.

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Les molécules transporteuses se caractérisent par :

Leur spécificité pour certaines structures. Leur saturation, leur nombre étant fixe, Au-delà de certaines teneurs,

leurs capacités de transport, en particulier pour les substances acides, peuvent être dépassées

La possibilité de compétition de deux composés pour le même transporteur (Pénicilline G et probénicide).

La possibilité d’une inhibition par combinaison irréversible avec une substance inhibitrice.

Le transfert actif est un mécanisme se faisant contre un gradient de concentration c'est-à-dire du milieu le moins concentré vers le milieu le plus concentré. Il nécessite de l’énergie fournie par hydrolyse de l’ATP. Ce transfert intervient principalement au niveau du rein (sécrétion tubulaire active), des hépatocytes (excrétion biliaire) et des plexus choroïdes. Les pompes à efflux jouent un rôle majeur dans la barrière hémato-méningée au niveau des plexus choroïdes du cerveau pour l'élimination des xénobiotiques présents dans le système nerveux central. Les teneurs en xénobiotiques dans l’urine ou la bile peuvent atteindre fois et plus les teneurs sanguines. il existe des glycoprotéines membranaires P (P-gp) rejettent dans la lumière intestinale les molécules qui ont diffusé passivement dans les entérocytes. Ainsi ces pompes vont à l'encontre de la résorption intestinale de certaines molécules.

2.3. La pinocytose

La pinocytose est un processus analogue à la phagocytose qui se produit pour des éléments solides. Elle correspond à une invagination de la membrane cellulaire pour englober une gouttelette lipidique du milieu extérieur, former une vésicule qui traverse toute la membrane pour libérer son contenu dans le cytoplasme ou le milieu intérieur. Elle intéresse des molécules liposolubles (vitamines A, D, E, et K) et elle est particulièrement développée chez le jeune.

3. Facteurs biologiques influençant le passage transmembranaire Des facteurs biologiques liés à l'organisme animal interviennent surtout dans les transports passifs mais aussi, pour certains, dans les transports actifs.

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Ils sont variés. Les plus importants sont la surface d'échange, le temps de contact, le gradient de concentration et les interférences avec des constituants endogènes.

a. Surface d'échange

L'intensité des échanges de substances au travers des membranes biologiques entre deux territoires (compartiments) est proportionnelle à la surface de cette membrane. Plus la surface membranaire qui sépare deux compartiments est importante, plus les échanges sont favorisés. Le contact est en effet ainsi facilité. Cette différence de surface entre la paroi stomacale et celle de l'intestin grêle avec ses microvillosités contribue à ce que l'intestin soit le principal site de résorption des médicaments administrés par voie orale, tout comme des aliments. La très grande surface d’échange représentée par l’épithélium pulmonaire adapté pour l’oxygénation du sang permet des échanges gazeux très intenses.

b. Temps de contact

L'intensité des échanges de substances au travers des membranes biologiques entre deux territoires (compartiments) est également proportionnelle au temps de contact des molécules avec la membrane qui sépare les deux compartiments. Ainsi l'accélération du transit digestif lors de diarrhée est défavorable à la résorption aussi bien des nutriments que des xénobiotiques.

c. Gradient de concentration

L'intensité des échanges de substances au travers des membranes biologiques est enfin proportionnelle au gradient de concentration, c'est-à dire à la différence de concentrations de xénobiotique de part et d'autre de la membrane. Ce gradient a une importance prépondérante dans les transports passifs car les échanges s'opèrent conformément à la loi de FICK, du milieu le plus concentré vers le moins concentré, et ce jusqu'à équilibre de concentration de part et d'autre de la membrane. Tout facteur qui tend à diminuer ce gradient contribue à réduire les passages transmembranaires. Ainsi les médicaments pris en cours de repas subissent une dilution dans le contenu alimentaire, ce qui abaisse le gradient de concentration et, de là, réduit la résorption digestive des principes actifs. Ainsi, le contenu ruminal entraîne une dilution très importante des médicaments par voie orale, d'où le faible recours à cette voie d'administration médicamenteuse chez les ruminants.

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Inversement, la présence d'une vascularisation importante au niveau de l'intestin grêle au cours de la digestion favorise l'entraînement immédiat des nutriments et des xénobiotiques qui viennent de franchir la barrière digestive dans le courant sanguin, ce qui tend à maintenir un gradient de concentration élevé.

d. Interférences avec des constituants endogènes Un certain nombre de constituants endogènes peuvent interférer avec les xénobiotiques et avoir une influence directe sur le taux de passages transmembranaires. C'est le cas notamment des lipides, des protéines et du calcium.

• Interférences avec les lipides Certains organes sont particulièrement riches en lipides ; c’est le cas notamment du système nerveux et du foie. Les xénobiotiques liposolubles présentent une très forte affinité pour les lipides et s’y concentrent. Ainsi tous les médicaments psychotropes sont liposolubles ; leurs teneurs dans le système nerveux qui conditionne directement leur puissance d’action est proportionnelle à leur liposolubilité.

• Interférences avec les protéines Les protéines sont des constituants importants du sang (albumine, globulines) et de nombreux tissus et liquides biologiques. Beaucoup de molécules présentent une affinité pour les protéines. Cette propriété peut exercer une influence sur la distribution tissulaire des xénobiotiques. Cette influence est connue sous le nom d'effet DONNAN. En fonction de l'affinité pour les protéines et des différences de concentrations en protéines de part et d'autre de la membrane biologique, le passage transmembranaire des xénobiotiques peut être facilité ou retardé. Ce phénomène est bien connu pour les pénicillines qui, dans les conditions normales, ne sont pas présentes dans le liquide céphalorachidien ; mais lors de méningite le liquide céphalo-rachidien contient des protéines d'origine inflammatoire sur lesquelles elles se fixent, ce qui permet d'atteindre des teneurs assez importantes. Certaines protéines à groupements thiols tels que la cystine des phanères ou les métallothionéines, localisées notamment dans le foie et le rein, présentent une affinité élevée pour les métaux et métalloïdes thioloprives (arsenic, plomb, mercure, cuivre…etc.). Ceci explique la concentration dans ces organes de ces métaux lors d'intoxication.

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• Interférences avec le calcium Une affinité de certains xénobiotiques pour le calcium endogène des dents ou des os explique leur distribution particulière dans ces tissus, voire leur accumulation préférentielle. Ils forment avec le calcium des chélates insolubles qui précipitent. C'est le cas de certains antibiotiques comme les tétracyclines qui forment des complexes avec les métaux divalents ; c'est le cas encore du fluor qui est à l'origine de lésions osseuses et dentaires lors de fluorose en rapport avec son affinité pour le tissu osseux. De même, la présence de calcium non endogène, mais alimentaire (lait) peut limiter la résorption de certains xénobiotiques administrés par voie orale ; ils forment également des chélates insolubles qui sont directement éliminés par voie fécale sans pouvoir être résorbés.

L’étude de la biodisponibilité d’une part et des mécanismes de passage transmembranaire d’autre part nous permet de mieux comprendre les différentes étapes du devenir d’un xénobiotique dans l’organisme objet de la deuxième partie de ce polycopié.

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DEUXIEME PARTIE

CINETIQUE DES XENOBIOTIQUES DANS L’ORGANISME

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I. LA RESORPTION DES XENOBIOTIQUES

La résorption correspond à l’étape par laquelle un xénobiotique passe de son site d’application dans la circulation générale. Selon le mode d’administration, on distingue deux types de résorption :

La résorption médiate : le médicament est administré à l’extérieur de l’organisme ou dans une lumière (administration cutanée ou muqueuse ou par la voie digestive).

La résorption immédiate : le médicament est directement introduit dans le liquide extracellulaire au sein d’un tissu (administration parentérale).

Lors d’administration intraveineuse (IV) où le médicament est introduit directement dans le sang, la phase de résorption est supprimée (shuntée). La vitesse de résorption est variable selon les différentes voies d’administration. Le choix de celle-ci dépend souvent de l’indication d’urgence de l’intervention (Fig. 6).

Figure 6 : Vitesse de résorption d’un xénobiotique

et concentration plasmatique selon différentes voies d’administration.

IV

IP

IM

SC

Per os

Temps

Concentration

plasmatique

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1. LA RESORPTION DIGESTIVE

Après ingestion d'un xénobiotique, la résorption digestive, dite encore orale ou entérale, peut s'effectuer à tous les étages du tractus digestif mais en pratique surtout dans l’intestin grêle et l’estomac. La voie rectale est moins utilisée en médecine vétérinaire. La résorption digestive des xénobiotiques s'opère surtout par diffusion simple, ce qui suppose une liposolubilité marquée du principe actif. Afin de gagner la circulation générale, un xénobiotique administré per os est appelé à franchir la muqueuse digestive. Celle-ci peut être considérée comme une membrane lipidique à pores favorable à la résorption des substances liposolubles.

La résorption gastrique

En regard des particularités anatomo-physiologiques des différentes espèces, la résorption gastrique est différente chez les monogastriques, les polygastriques et les oiseaux.

Monogastriques

Les monogastriques présentent les particularités suivantes :

Un pH très acide du milieu stomacal, voisin de 1 à 2 chez le chien et le chat et de 4 à 5 chez le cheval et le veau.

Un faible volume : 0,1 à 1 litre chez les carnivores, 8 à 15 litres chez le cheval.

Une vidange complète de l’estomac entre les repas chez les carnivores et le porc. Chez le cheval, l’estomac n’est jamais vide.

Il en résulte qu’au niveau stomacal chez les monogastriques, ce sont les acides faibles qui vont se trouver sous la forme non ionisée qui seront les résorbés. Leur résorption est moins bonne chez le cheval et veau dont le pH du contenu stomacal est relativement plus élevé.

Le faible volume de l’estomac, limite par ailleurs le phénomène de dilution stomacale des principes actifs phénomène défavorable à la résorption.

La connaissance de la vidange stomacale permet de connaitre le moment propice d’administration du médicament per os sachant que la résorption est meilleure dans un estomac vide.

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Polygastriques

Les particularités anatomo-physiologiques des polygastriques sont :

Un réservoir gastrique de 150 litres environ chez le bovin et de 50 litres chez les ovins et les caprins ce qui représente un facteur important de dilution.

Un pH de 5,5 à 6,5 La présence d’une µ-flore ruminale importante exerçant une activité

enzymatique de dégradation sur de nombreux médicaments.

Ces particularités expliquent la résorption souvent médiocre des médicaments par la voie orale chez les poly gastriques qui est peu utilisée pour obtenir une action générale.

Oiseaux

Les particularités anatomo-physiologiques des oiseaux sont :

Un jabot à activité motrice irrégulière, à pH acide. Un système lymphatique intestinal peu développé.

Il en résulte que la résorption des acides faibles se fait au niveau du jabot par diffusion passive avec toutefois une possibilité de stockage de certains médicaments auquel fait suite une libération prolongée dans le temps. Le système lymphatique intestinal peu développé, ne permet pas une bonne résorption des composés liposolubles et les concentrations plasmatiques efficaces ne sont parfois pas atteintes (chlorotétracycline … etc.)

Il existe des différences de résorption importantes entre les mammifères et les oiseaux. Pour l’ampicilline par exemple, des doses 2 à 8 fois plus importantes sont nécessaires pour atteindre chez les oiseaux des concentrations sanguines équivalentes à celles des mammifères.

La résorption intestinale

La résorption intestinale se fait surtout dans l’intestin grêle et particulièrement au niveau du duodénum (pH 5-6).

La muqueuse intestinale représente une surface d’échange considérable, intensément vascularisée, grâce aux villosités et microvillosités. Ces villosités augmentent cette surface de 10 à 20 fois. Les bases faibles, présentent une résorption intestinale excellente, la forme non ionisée prédominant dans l’intestin.

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Par ailleurs, si théoriquement les acides faibles doivent être moins bien résorbés qu’au niveau de l’estomac, en pratique leur résorption intestinale est meilleure du fait de l’importance de la surface d’échange. La vascularisation importante en drainant rapidement tout ce qui est résorbé, concourt au maintien du gradient de concentration favorable à la résorption. L'intestin grêle possède une vascularisation porte très importante. Cette irrigation sanguine facilite l'entraînement des xénobiotiques qui viennent de franchir la barrière digestive pour arriver dans la circulation générale. Ceci concourt au maintien d'un gradient de concentration élevé, propice à leur résorption intestinale. La fraction qui franchit la barrière digestive est immédiatement entraînée dans le courant sanguin.

Au bilan, les xénobiotiques qui arrivent dans le tube digestif sont résorbés par diffusion passive au niveau de l’estomac et surtout de l’intestin grêle. Les autres mécanismes sont moins fréquents. Pour arriver au niveau du sang, la plupart des xénobiotiques filtrent à travers la paroi capillaire sanguine, les grosses molécules lipidiques et protéiques empruntent la voie lymphatique.

Avantages et inconvénients de la voie digestive :

Le principal avantage est la facilité d’administration des médicaments chez les petits animaux (comprimés, gélules, sirops…) et les grands animaux (aliments médicamenteux, additifs, …etc.). Les inconvénients en revanche sont nombreux :

- Certains composés sont dégradés au niveau de l’estomac par l’acidité importante (ce qui est gênant quand il s’agit de médicaments : pénicilline G, hormones naturelles,…etc.).

- Certains médicaments forment des complexes insolubles non résorbables avec les cations divalents (tétracyclines – Ca++ ou Mg++) ce qui diminue leur biodisponibilité.

- Tous les composés résorbés par la muqueuse digestive empruntent la veine porte, passent obligatoirement par le foie ou ils subissent l’action d’enzymes de biotransformation, ce processus en général diminue notablement la quantité de médicament actif et donc l’activité biologique. Ce processus est connu sous le nom de ‘‘first past effect’’ = ‘‘effet de premier passage hépatique’’. Ceci n’est pas le cas pour la voie rectale, qui présente l’avantage d’acheminer directement dans la circulation générale le médicament en évitant l’effet de premier passage hépatique par la traversée initiale du foie. La voie rectale peut être intéressante chez les carnivores domestiques en cas d'urgence du fait de sa facilité d'accès, notamment pour l’administration d’anticonvulsivants tels que le diazépam lors d'intoxication par des convulsivants.

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- En toxicologie la voie digestive constitue la voie la plus fréquemment empruntée dans laquelle on observe des fois une activation des toxiques ingérés (réduction des nitrates en nitrites, plus toxiques).

Facteurs de variation de la résorption digestive :

- La résorption digestive est meilleure dans un tractus digestif vide qu’en présence d’aliments qui diluent le composé.

- Les aliments gras facilitent la résorption des médicaments mais aussi des toxiques (ne jamais administrer de lait ou d’huile lors d’intoxication par la voie orale).

- L’accélération du transit intestinal lors de diarrhée est défavorable à la résorption.

2. LA RESORPTION TRANSCUTANEE ET MUQUEUSE

Voie Transcutanée

La peau constitue une barrière naturelle protectrice constituée du derme et de l’épiderme lesquels sont formés par un ensemble de couches cellulaires, l’épiderme comprend une couche cornée de cellules mortes à l’extérieur très peu perméable. D’une manière générale, l’application cutanée a pour but un effet purement local. En effet, la structure de la peau est telle que seules les substances très liposolubles peuvent franchir la barrière cutanée. Chez l’animal, la résorption peut se faire au niveau de l’appareil pilo-sébacé très développé (2000 follicules pileux /cm²). En dehors de la liposolubilité du principe actif, la résorption transcutanée dépend d’autres facteurs :

o Nature des excipients : le rôle des excipients est très important .Ce sont les excipients huileux qui favorisent la pénétration. Le diméthyl-sulfoxyde (DMSO), entraine une augmentation considérable de la résorption, il constitue l’excipient des formes « pour on » et « spot on » qui permettent le traitement de parasitoses internes en versant le produit le long de la région dorsolombaire de l’animal. Ainsi, le traitement des strongyloses digestives et pulmonaires et de l’hypodermose bovine s’effectuent par cette méthode. La biodisponibilité du lévamisole « pour on » est comparable voire supérieure à la biodisponibilité des formes orales.

o Facteurs pathologiques : l’inflammation de la peau, la présence de lésions cutanées sont autant de facteurs favorisant la résorption. des précautions d’application (traitement d’une partie du corps seulement à la fois) doivent être prises lors de lésions très étendues sous risque d’accidents médicamenteux avec certains insecticides (organo-phosphorés).

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La voie cutanée joue un rôle important en toxicologie, c’est une zone de résorption importante pour les pesticides en solution organique, le solvant favorisant la pénétration.

Résorption par les muqueuses : Malgré une résorption plus importante par les muqueuses que par la peau en raison de l’absence de couche cornée et d’une vascularisation plus importante, cette voie est en général utilisée en thérapeutique pour des effets purement locaux.

Voie vaginale et utérine :

Lors de traitements locaux, vaginaux ou utérins soit par dépôt d’oblets gynécologiques d’antibiotiques soit par injection intra-utérine on assiste à une résorption trans-muqueuse. La nature des composés conditionne la résorption. C’est ainsi que le benzyl-pénicillinate de sodium est facilement résorbé alors que les pénicillines de semi-synthèse le sont faiblement. La voie vaginale est également utilisée pour réaliser certains traitements hormonaux généraux de synchronisation de l’œstrus chez les ruminants par mise en place :

- Chez les bovins d’une spirale vaginale d’élastomère siliconé qui libère lentement la progestérone.

- Chez les ovins, d’éponges vaginales en mousse de polyuréthane imprégnées d’un progestagène de synthèse (Médroxyprogestérone, Fluorogestone) qui libère le progestagéne, qui est alors résorbé pour produire les effets hormonaux d’inhibition de l’ovulation.

Dès le retrait de la spirale chez les bovins ou de l’éponge chez la brebis, il se produit une élimination du progestagène, libération d’hormones gonadotropes, apparition de chaleurs et ovulation.

Autres muqueuses :

La résorption par les muqueuses oculaire ou auriculaire est très faible. Ce sont des voies utilisées exclusivement pour des traitements locaux.

3. RESORPTION PULMONAIRE

La résorption par la voie respiratoire est favorisée par :

La grande surface d’échange (5 à m² chez l’homme) L’épaisseur très faible de l’épithélium respiratoire ( ,2 à 2 microns) Une vascularisation importante

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Cette résorption concerne les composés gazeux et volatils liposolubles. Elle trouve des applications en anesthésie gazeuse et constitue une voie importante de pénétration des toxiques gazeux et volatils comme le CO2, CO, SO2, SH2, HCN…etc. La profondeur de la pénétration des xénobiotiques par la voie pulmonaire dépend de la taille des particules, seules les particules dont la taille est de l’ordre de l’ordre de à 3 µm parviennent jusqu’aux alvéoles pulmonaires et sont bien résorbées. Certains médicaments sont administrés par la voie pulmonaire sous forme d’aérosols. Les aérosols sont des dispersions dans l’air de très fines gouttelettes dont le diamètre est inférieur à 5 microns, capables de rester en suspension dans l’air. Inspirés elles atteignent les alvéoles pulmonaires. La pénétration des aérosols chez les volailles se répartit comme suit en fonction de la taille des gouttelettes :

Taille (microns) 10 3 3-1 1

Zone atteinte Narines Trachée Alvéoles Sacs aériens

Les aérosols sont utilisés chez l’homme (asthme, bronchites), le cheval et pour la vaccination chez les volailles.

4. RESORPTION PARENTERALE

La résorption parentérale (étymologiquement, "autre que la voie orale") concerne principalement les voies intraveineuse, intramusculaire, sous-cutanée et intrapéritonéale. Toutes ces voies sont aussi dénommées par abus de langage "injectables". L’administration des médicaments par la voie parentérale est très utilisée en médecine vétérinaire. Ce mode d’administration trouve des avantages dans le fait qu’il permet : d’éviter « l’effet de premier passage hépatique », d’obtenir des effets rapides avec une posologie précise.

Voie intraveineuse : IV

Lors de l’administration d’un médicament par la voie intraveineuse (directement dans le sang), la phase de résorption est supprimée (shuntée). L’effet pharmacologique est alors immédiat dans les thérapeutiques d’urgence.

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Des concentrations sanguines importantes d’anti-infectieux peuvent être atteintes dans les infections graves.

Avantages et inconvénients de la voie intraveineuse - Des substances irritantes par la voie intramusculaire peuvent être

administrées par la voie intraveineuse. - Cependant, il est nécessaire d’injecter des solutions aqueuses, les

suspensions et solutions huileuses sont à proscrire (risque d’embolies).

- Les solutions doivent être isotoniques. - Une injection trop rapide peut entrainer des troubles cardio-

respiratoires graves, en pratique, ces injections doivent être faites lentement.

- Enfin lors d’injection IV, l’élimination est rapide, la filtration glomérulaire étant très sollicitée.

La perfusion intraveineuse

C’est une injection intra veineuse lente, prolongée et à débit constant. L’augmentation des concentrations sanguines est progressive jusqu’à un état d’équilibre avec la quantité éliminée dans le même intervalle. La perfusion est utilisée pour administrer des volumes liquidiens importants ou des médicaments à demi-vie brève.

Voie intra-péritonéale

Le péritoine constitue une surface d’échange importante, bien irriguée par des capillaires sanguins et lymphatiques. La résorption par cette voie est presque aussi rapide que par la voie intra veineuse. La voie intra-péritonéale est parfois employée en médecine vétérinaire, surtout chez les bovins ainsi qu'en toxicologie expérimentale chez les petits rongeurs. C'est une voie très facile, peu dangereuse, indolore et extrêmement rapide dans les effets biologiques produits. Elle présente cependant l’inconvénient de gagner la circulation générale par la veine porte et donc de faire subir aux médicaments « l’effet de premier passage hépatique ».

• Voies intramusculaire et sous-cutanée

Ce sont les voies les plus utilisées en médecine vétérinaire. Ces deux voies présentent des caractères communs.

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Après injection, on distingue deux temps dans la résorption : o Dans un premier temps, les formes liquides injectées se répartissent dans

la trame conjonctive qui entoure les faisceaux musculaires ou dans le tissu conjonctif sous-cutané. Ceci suppose une hydrosolubilité des molécules. Tout excipient hydrophobe gêne cette mise en solution. C'est pourquoi les médicaments en solution aqueuse sont le plus vite résorbés puisque leurs principes actifs sont déjà au départ dans une forme dissoute dans une phase hydromiscible. Pour faciliter cette mise en solution, des adjuvants comme la hyaluronidase sont d'ailleurs parfois ajoutés dans certaines préparations destinées à la voie sous-cutanée. Elle est destinée à faciliter la diffusion des xénobiotiques dans le tissu conjonctif sous-cutané (T.C.S.C.) en dépolymérisant l'acide hyaluronique, ce qui facilite le relâchement du tissu conjonctif et augmente la mobilité de l'eau interstitielle.

o Dans un second temps, la résorption se fait par diffusion passive ou par

filtration à travers les pores des capillaires sanguins. Les xénobiotiques, une fois dissous dans l'eau extracellulaire, sont tout de suite résorbés aussi bien par filtration au niveau des lames basales entre les cellules endothéliales des vaisseaux capillaires que par diffusion simple après dissolution dans la couche lipidique membranaire. Les principes actifs mis au préalable en solution aqueuse sont ainsi immédiatement résorbés. De ce fait, les principes actifs présentés en solution aqueuse ou dans un excipient hydromiscible ont une résorption très rapide et exercent un effet immédiat et intense. En revanche les suspensions aqueuses ou les solutions huileuses forment un dépôt au site de leur injection à partir duquel les principes actifs liposolubles ou insolubles sont progressivement libérés et mis en solution dans la phase aqueuse du T.C.S.C. avant d'être résorbés. C'est pourquoi les médicaments présentés en suspension ou en solution huileuse ont un effet moins rapide mais plus durable que les mêmes présentés en solution aqueuse. Selon la nature des sels ou des esters ainsi que des excipients employés cette mise en solution aqueuse sera plus ou moins rapide. Un "effet retard" peut ainsi être recherché pour permettre au médicament d'agir plus longtemps, ce qui évite le renouvellement trop fréquent des injections. C'est le cas d'un antibiotique comme la pénicilline G qui existe sous forme de sel de sodium hydrosoluble d'action immédiate (3 heures), de sels organiques peu dissociables et donc peu solubles dans l'eau ; ainsi le sel de procaïne en suspension aqueuse possède une action retard qui se prolonge une dizaine d’heures et le sel de benzathine en suspension aqueuse retard exerce un effet pendant 15 jours à 3 semaines. De telles

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présentations sont dites"semi-retard", "retard" ou "à longue action (LA)" selon les cas. Notez qu’il arrive que l’on recherche à retarder la résorption sous-cutanée de certains médicaments en réduisant le débit sanguin local par addition de vasoconstricteurs. C'est le cas de certains anesthésiques locaux comme la procaïne qui est parfois associée à de l'adrénaline (procaïne adrénalinée) afin de prolonger l’anesthésie locale.

La rapidité de la résorption est voisine pour les deux voies sous cutanée et intra musculaire, la voie intra musculaire étant un peu plus rapide par suite d’une meilleure vascularisation des muscles. Les macromolécules (Toxines, venins) sont résorbées par voie lymphatique.

Facteurs de variation de la résorption

La vitesse de résorption varie essentiellement en fonction de la forme pharmaceutique et de l’association des principes actifs avec d’autres composés.

o Forme pharmaceutique

Ce sont les solutions aqueuses qui sont les plus rapidement résorbées par filtration à travers les espaces intracellulaires (de diamètre important 30 à 40 A°) qui séparent les cellules endothéliales des capillaires sanguins. Les molécules par la suite franchissent la paroi capillaire par diffusion passive. Les solutions huileuses permettent-elles de ralentir la résorption des principes actifs. Les suspensions aqueuses ou huileuses dans lesquelles le principe actif est insoluble procurent un effet retard important. Le principe actif étant libéré lentement par hydrolyse. Cette hydrolyse est d’autant plus lente que le radical salifiant ou estérifiant est plus long. L’effet retard maximum est obtenu par la pose d’implants ou de pellets solides en sous-cutanée. C’est un mode d’administration des hormones permettent une imprégnation faible et continue de l’organisme, l’implant se dissolvant lentement.

o Associations avec d’autres composés

L’association d’un principe actif avec la hyaluronidase qui hydrolyse la substance fondamentale (acide hyaloronique) augmente la résorption suite à une diminution de la viscosité au niveau du tissu conjonctif.

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A l’inverse, l’association d’anesthésiques locaux avec la noradrénaline diminue la résorption et augmente l’action locale de l’anesthésique. La noradrénaline étant vasoconstrictrice. Certains composés ne sont pas résorbés par la voie intramusculaire comme les hétérosides cardiotoniques (digitaline, ouabaïne) en raison de leur forte affinité pour les fibres musculaires.

La résorption des xénobiotiques est une étape très importante à connaitre pour le vétérinaire. Celui-ci selon la rapidité de l’action souhaitée, les propriétés chimiques du principe actif, les caractéristiques de la forme pharmaceutiques opte pour telle ou telle voie d’administration. En toxicologie sa connaissance permet de mettre en route la première composante du traitement des intoxications visant une limitation de la pénétration du toxique. La résorption par ailleurs prépare la deuxième étape de la cinétique des médicaments et des toxiques dans l’organisme, à savoir la distribution.

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II. LA DISTRIBUTION DES XENOBIOTIQUES

La distribution constitue la deuxième étape du devenir d’un xénobiotique dans l’organisme après sa résorption. Le médicament ou le toxique pour rejoindre leur site d’action sont véhiculés principalement par le sang qui les diffuse dans les différents tissus. Cette distribution comprend deux aspects que nous envisagerons successivement :

o Le transport sanguin o La diffusion tissulaire

1. Le transport sanguin

Les xénobiotiques sont véhiculés sous deux formes dans le sang :

• Une forme libre, seule capable de diffuser dans les tissus et d’atteindre les sites d’action.

• • Une forme liée, essentiellement par fixation sur les protéines

plasmatiques, secondairement sur les éléments figurés du sang.

La proportion de ces deux formes et ses variations jouent un rôle essentiel.

• La forme libre concerne surtout des formes chimiques hydrosolubles, par conséquent soit les substances neutres ou ionisables (ionisées ou non) hydrosolubles, soit les formes ionisées et dissociées des molécules acides ou basiques liposolubles. Une partie des formes liposolubles (en proportion de leur coefficient de partage lipides/eau) est également solubilisée dans la phase aqueuse sanguine.

• La forme liée concerne surtout les fractions liposolubles ou insolubles

dans le sang qui ne peuvent être transportées que fixées sur certains constituants sanguins, protéines et/ou cellules du sang.

1.1. Fixation sur les protéines plasmatiques

Les composés qui se fixent aux protéines plasmatiques sont les composés liposolubles ou insolubles dans le sang qui ne peuvent être transportés sous la forme libre. La fixation protéique se fait essentiellement sur l’albumine, protéine plasmatique la plus importante (≈40g/L ; 50 % des protéines plasmatiques).

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Certains composés se fixent sur des globulines particulières. C’est le cas de l’hydrocortisone qui se fixe sur la transcortine, c’est aussi le cas des androgènes et des œstrogènes qui se fixent sur la Testostérone Estradiol Binding Globulin (T.E.B.G.). Cette fixation se fait habituellement par des liaisons de faible énergie (liaison hydrogène, hydrophobe, électrostatique ou de VAN DER WAALS). Elle est immédiatement réversible. Les deux formes libre et liée se trouvent toujours en équilibre dans le sang. Lorsque la liaison est covalente, stable, des processus toxiques peuvent apparaitre. Le tableau II indique le pourcentage de fixation protéique de quelques principes actifs usuels.

Conséquences de la fixation protéique

- Des substances liposolubles ou insolubles dans le sang sont ainsi

véhiculées, leurs taux de fixation sont élevés.

- La forme libre est la seule forme diffusible aux travers des membranes biologiques ; en effet sous sa forme liée, hydrosoluble et de poids moléculaire élevée, le xénobiotique ne peut franchir les membranes biologiques ni par diffusion simple, ni par filtration. Il s'ensuit que la forme libre est la seule forme biologiquement active voire toxique.

- La forme liée des xénobiotiques constitue une forme de "stockage" dans l'organisme ; le sang exerce ainsi un certain rôle de réservoir. Le sang par sa richesse en protéines par rapport aux liquides extracellulaires retient ainsi de nombreux xénobiotiques. Ce phénomène rend compte en partie, de l'action retard des sulfamides liposolubles méthoxylés.

- L’administration simultanée de deux composés (surtout les acides en raison du nombre limité des sites de fixation sur l'albumine) à fort taux de fixation protéique peut conduire à des phénomènes de compétition. Il en résulte une augmentation de la forme libre active qui peut engendrer des effets toxiques ou une diminution de la demi-vie plasmatique par suite d’une élimination accrue. Ainsi, les anticoagulants sont facilement déplacés par l’acide acétylsalicylique ou la phénylbutazone. La pénicilline G est de la même façon déplacée par les sulfamides.

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Selon l'espèce animale on constate des différences importantes :

- dans la concentration plasmatique en protéines circulantes, le poulet par exemple possède une concentration en protéines plasmatiques moitié de celle observée chez les mammifères

- dans l'affinité des protéines pour les xénobiotiques, le chloramphénicol est fixé à 60 % aux protéines plasmatiques des bovins et seulement à 30 % chez le cheval.

Tableau II

Pourcentage de fixation aux protéines plasmatiques de quelques médicaments

MEDICAMENT POURCENTAGE

DE FIXATION

Digitaline

Digoxine Ouabaine

Sulfadimérazine

Sulfaméthoxypyridazine

Oxacilline

Pénicilline V Pénicilline G

Chlortetracycline Oxytetracycline

Streptomycine

Spiramycine Gentamycine

Colistine ampicilline

95

25 0

10

85

90

75 50

50 35

35

30 30

15 15

Généralement, les médicaments fortement liés ont une action retardée mais durable, les médicaments faiblement liés ont une action rapide mais brève. Certaines conditions physiopathologiques peuvent faire varier le pourcentage de fixation :

- Toute insuffisance hépatique sévère est susceptible de provoquer une hypoprotéinémie consécutive à la baisse de la biosynthèse protéique ; en retour, ceci entraîne une augmentation de la fraction libre des xénobiotiques surtout acides.

- Par ailleurs la fièvre diminue l'affinité de l'albumine pour les xénobiotiques.

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1.2. Fixation sur les éléments figurés du sang

Elle se fait principalement sur les hématies, elle intéresse également les composés liposolubles (anesthésiques : chloroforme) et certains métaux lourds (plomb, dérivés arsenicaux). Les leucocytes interviennent également en phagocytant des substances insolubles administrées par voie parentérale.

2. La diffusion tissulaire et cellulaire A partir du sang, les xénobiotiques sous leur forme libre diffusent dans les différents tissus et organes. Cette diffusion s’opère essentiellement par diffusion passive et par filtration au niveau des lames basales. Plusieurs facteurs influent sur la diffusion tissulaire des xénobiotiques :

1.1. La liposolubilité

Les composés liposolubles traversent facilement les membranes biologiques et pénètrent très bien dans les tissus. Les composés hydrosolubles ionisables restent dans le secteur hydrique extracellulaire. Les composés très liposolubles, diffusent bien dans les tissus riches en lipides (cerveau) : insecticides organochlorés, organophosphorés et barbituriques (Pentobarbital, Penthiobarbital).

1.2. Le degré d’ionisation des molécules Les xénobiotiques liposolubles ionisables du fait des différences de pH entre le sang et de nombreux milieux biologiques (liquide intracellulaire, salive, urine, lait,…) (Tableau III) présentent un équilibre de dissociation différent selon les compartiments.

Tableau III

Différence de pH entre le sang et de nombreux milieux biologiques

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Dans le sang (pH : 7,4), les acides faibles se trouvent essentiellement sous forme ionisée. De ce fait, ils pénètrent très peu dans les cellules (pH : 6,9) et restent dans le secteur extracellulaire. Certains organites intracellulaires tels que les lysosomes présentent un pH encore plus acide (pH ≈ -5). Les bases faibles quant à elles, sont sous forme non ionisée au pH sanguin, leur diffusion intracellulaire est de ce fait facilitée. Par ailleurs, le pH intracellulaire favorise la forme ionisée qui aura tendance à rester dans la cellule. On parle de « piégeage ionique ». Ceci explique la distribution des xénobiotiques liposolubles basiques dans les secteurs plus acides que le sang (lait, salive…), d’où des applications pratiques : traitement des mammites par les tétracyclines, traitement des infections bucco-dentaires par l’érythromycine…etc. Au bilan :

les acides faibles (de pKa < 7) se concentrent dans le secteur extracellulaire

les bases faibles (de pKa > 7) dans le secteur intracellulaire

1.3. La taille moléculaire Les molécules de poids moléculaire élevé ne diffusent pas dans les tissus et restent dans la circulation générale (Dextran et succédanés du plasma, héparine).

1.4. Le débit sanguin La quantité de xénobiotique fixée au niveau d’un tissu dépend du débit sanguin. En pratique, on distingue deux types d’organes :

- Des organes très vascularisés : poumons (100% du débit sanguin), foie (15%), reins (25%), cœur (25%)

- Des organes ou tissus peu vascularisés ; peau (1%), os, graisses, cartilages.

Les premiers reçoivent la grande partie de la dose administrée surtout pour les composés liposolubles à localisation tissulaire. C'est pourquoi aussi le foie et le rein retiennent les quantités de résidus habituellement les plus élevées de l'organisme, supérieures à celles décelées dans la viande. Inversement le tissu osseux ou la peau étant peu vascularisés reçoivent peu de xénobiotiques. Aussi des infections localisées dans ces tissus sont difficiles à

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soigner et demandent des traitements prolongés par voie générale, devant souvent être complétés par des traitements locaux. Ces différences de débit sanguin tissulaire expliquent également le phénomène de redistribution tissulaire. Lorsqu'un xénobiotique se distribue dans l'organisme, il va en priorité vers les tissus les plus vascularisés ; puis, dans un second temps, il se redistribue des territoires très vascularisés vers ceux peu ou pas vascularisés, compte tenu du gradient de concentration entre les deux types de tissu.

1.5. L’affinité tissulaire Les xénobiotiques très liposolubles présentent une affinité très importante pour les tissus riches en lipides. C'est surtout le cas du système nerveux central et du foie. Certaines protéines capables de fixer les médicaments ont été isolés dans les tissus. La ligandine, protéine de poids moléculaire 42000 fortement concentrée dans le foie et le rein semble jouer un rôle important dans la captation hépatique de molécules de faible poids moléculaire. La griséofulvine présente une affinité particulière pour les tissus kératinisés, d’où son usage dans le traitement des dermatomycoses. La phénylbutazone et l’indométacine s’accumulent dans les tissus enflammés (Effet DONNAN). Les aminosides se concentrent dans le cortex rénal. Les tétracyclines se fixent sur les os et les dents en regard de leur affinité pour le calcium. Le fluor se fixe sur les os et les dents, vu son affinité pour le cristal d’hydroxy-apatite qu’il transforme en fluoro-apatite. A côté de ces différents facteurs ayant une influence sur la fixation tissulaire, signalons l’importance évidente du gradient de concentration sang-tissu. La diffusion passive étant le principal processus de pénétration cellulaire. Ce gradient dépend de la dose administrée.

Phénomène de redistribution secondaire

La distribution de certains composés se fait en deux étapes. L’exemple qui illustre bien ce phénomène est celui de penthiobarbital.

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La concentration maximale dans le cerveau est obtenue 30 secondes après injection IV, en raison de son irrigation importante. Après quelques minutes, on observe une augmentation des concentrations dans les tissus adipeux, du fait du caractère lipophile marqué du penthiobarbital. Au fur et à mesure que la graisse s’enrichit, la concentration plasmatique diminue ainsi que la concentration dans le cerveau. Ceci explique que l’anesthésie par le penthiobarbital est rapide mais de courte durée, la redistribution s’effectuant 2 à 3 minutes après l’injection. Ce phénomène de redistribution secondaire n’est pas observé chez le lévrier Greyhound en raison de l’absence de tissu adipeux chez cet animal et explique la durée plus longue de l’anesthésie par le penthiobarbital.

3. Particularités d’organes La diffusion dans certains organes comme le système nerveux central et le placenta présente un intérêt particulier :

3.1. Pénétration dans le système nerveux central La pénétration dans le système nerveux central s'opère par diffusion simple et la liposolubilité des xénobiotiques est déterminante.

Le système nerveux central est protégé par la barrière hémato-méningée. Cette barrière est constituée par :

- Des capillaires sanguins à cellules endothéliales très jointives empêchant toute filtration.

- La présence de cellules protectrices (astrocytes) dont les expansions tapissent l’endothélium des capillaires.

- des mécanismes de transport des xénobiotiques en retour vers le sang très puissants ; des transporteurs, notamment des pompes à efflux (glycoprotéine P) rejettent dans le sang les xénobiotiques qui ont franchi la barrière hémato-méningée ; cette sécrétion a lieu principalement dans les plexus choroïdes et les villosités arachnoïdiennes ; ces pompes à efflux donnent l’impression d’une imperméabilité parfaite de la barrière hémato-méningée ; un déficit génétique en ces pompes à efflux connu chez le colley et dans un certain nombre de races canines brachycéphales est à l’origine d’une sensibilité de ces races à certains médicaments (ivermectine, métoclopramide).

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Par ailleurs, les liquides interstitiels du système nerveux central et le liquide céphalo-rachidien présentent une très faible teneur en protéines. Tous ces facteurs concourent à protéger le système nerveux central contre les aggressions chimiques. Ils expliquent que seuls les composés liposolubles pénètrent et traversent la barrière hémato-méningée. Cependant, cette barrière est moins étanche par endroits. Ainsi, l’area postrama qui constitue le centre du vomissement, n’est séparée du sang que par une seule couche de cellules, celle des capillaires qui en plus sont à ce niveau fenestrés. Ceci permet aux vomitifs centraux d’agir directement en stimulant le centre du vomissement. Le passage des antibiotiques dans le liquide céphalo-rachidien est mis à profit pour le traitement des méninges et des encéphalites bactériennes (Tableau III).

TABLEAU IV

Passage de substances antibacteriennes dans le liquide cephalo-rachidien

CONCENTRATIONS ELEVEES

TOUJOURS OBTENUES

CONCENTRATIONS THERAPEUTIQUES

OBTENUES SEULEMENT LORS DE MÉNINGITE

Chloramphénicol

Sulfamides Triméthoprime

Pyriméthamine céfolaxime

Pénicillines

Minocycline, Doxycycline

Erythromycine fluoroquinolones

3.2. Passage transplacentaire Le passage transplacentaire est à prendre en considération en raison des risques d’embryotoxicité lors des traitements effectués sur les femelles gestantes. Ce passage dépend des lois générales de passage à travers les membranes biologiques. La barrière placentaire n’est pas imperméable et protège peu le fœtus des agressions chimiques. Ce passage transplacentaire dépend également du type de placentation. En effet, les placentas sont classés selon le nombre de couches histologiques séparant le sang maternel du sang fœtal.

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Par ordre croissant de perméabilité on distingue différents types de placentations :

o Epithélio-choriale (jument, truie, vache) o Syndesmo-choriale (brebis) o Hémo-choriale (primates, rongeurs)

La diminution du nombre de couches histologiques est favorable à la diffusion des xénobiotiques. Beaucoup de médicaments liposolubles sont capables de franchir le placenta et d’exercer des effets (parfois néfastes) sur le fœtus. Certaines substances s’accumulent préférentiellement dans le fœtus, comme les stéroïdes, les anti- mitotiques anti cancéreux qui présentent un tropisme pour les cellules en multiplication et comptent parmi les tératogènes redoutables. Il est de première importance pour le vétérinaire d’être prudent lors de traitement des femelles gestantes.

Au bilan, cette distribution permet de distinguer plusieurs types de xénobiotiques.

- Des composés neutres et liposolubles qui présentent une distribution large et homogène dans tout l’organisme.

- Des composés neutres ou ionisables, hydrosolubles qui présentent une distribution extracellulaire.

- Des composés liposolubles acides à distribution extracellualaire. - Des composés liposolubles basiques qui présentent une distribution

intacellulaire. A partir de ces données il apparait du point de vue pharmacocinétique que l’organisme est constitué de compartiments. Ces compartiments sont des espaces virtuels de distribution dans lesquels le principe actif est distribué de manière homogène. Le terme compartiment désigne le volume fictif dans lequel le médicament se distribuerait. Il peut correspondre ou non à un volume réel, par exemple le volume du sang appelé premier compartiment, ou l’ensemble de l’organisme hormis le sang, appelé deuxième compartiment. L’ensemble des secteurs anatomiques réels dans lesquels le médicament se distribue à des concentrations différentes est représenté par un, deux, rarement trois compartiments virtuels où la concentration du médicament est considérée comme homogène. La notion de compartiment permet ainsi de modéliser le devenir d’un médicament (pharmacorama.com).

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Le modèle compartimental classique est constitué par :

Un compartiment central : correspondant au sang et aux tissus richement vascularisés dans lesquels le xénobiotique se répartit rapidement.

Un compartiment périphérique : assimilé aux autres tissus moins irrigués (squelette, muscle, peau, tissu adipeux) dans lesquels le xénobiotique se répartit lentement.

Des échanges réciproques sont observés entre les compartiments central et périphérique. Cette répartition compartimentale permet d’adapter la posologie et de mieux comprendre certains aspects toxicologiques. Enfin cette répartition des xénobiotiques explique leurs sites d'action pharmacodynamiques ou toxiques, les organes dans lesquels ils se concentrent préférentiellement et la localisation des résidus des médicaments vétérinaires dans les denrées alimentaires d'origine animale. C'est elle enfin qui gouverne le choix de tel ou tel prélèvement biologique pour la recherche de toxiques lors d'intoxication.

Modèle

à 1 compartiment

Modèle

à 2 compartiments

Modèle

à 3 compartiments

Compartiment

périphérique (tissus)

Compartiment

central (sang)

Dose

Compartiment central (sang)

Dose

Elimination Elimination

Compartiment

central (sang)

Dose

Elimination

Compartiment

périphérique 2

Compartiment

périphérique 1

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III. LES BIOTRANSFORMATIONS DES XENOBIOTIQUES Au cours de leur cheminement dans l'organisme, les xénobiotiques peuvent subir des transformations chimiques de nature souvent enzymatique. On parle de biotransformations ou encore de métabolisme. Ces réactions modifient la structure des composés parentaux et conduisent à l'apparition de métabolites. Les biotransformations sont des réactions biochimiques, en général enzymatiques ayant pour effet de modifier la structure chimique des xénobiotiques introduits dans l’organisme. Dans la plupart des cas, les produits de transformation acquièrent une polarité et une hydrosolubilité supérieures à celles des composés initiaux, ce qui contribue à faciliter leur élimination. Les biotransformations peuvent être considérées d’une manière générale comme des réactions de « détoxification ». Néanmoins, ceci est loin d’être une règle absolue et dans certains cas, on assiste à une augmentation de l’activité ou de la toxicité du composé initial. Nous envisageons successivement :

Les principales réactions de biotransformation et leur localisation Les facteurs de variation des biotransformations.

1. Les réactions de biotransformations

Les transformations chimiques des xénobiotiques dans l’organisme sont nombreuses et variées. Avant de les envisager, il est important de connaitre le lieu où elles se déroulent.

1.1. Lieu des réactions

Les réactions de biotransformations ont lieu essentiellement dans le foie, riche en équipements enzymatiques. Les enzymes sont localisées dans des organites membranaires spécialisés appartenant au réticulum endoplasmique lisse appelés microsomes d’où le nom de « système microsomal hépatique ». Cependant, le foie n’est pas l’unique lieu des biotransformations qui s’effectuent dans d’autres organes : notamment dans le tube digestif, le plasma, les reins, les glandes endocrines et le placenta.

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1.2. Principales réactions

On distingue deux types de réactions chimiques qui interviennent successivement (figure 7).

Des réactions de dégradation Des réactions de conjugaison des xénobiotiques ou de leurs produits de

dégradation avec des composés endogènes.

Figure 7 : Biotransformations d’un xénobiotique X

La voie la plus fréquente est la voie de dégradation suivie de conjugaison. Toutefois, un xénobiotique peut subir directement une conjugaison ou être éliminé sous forme inchangée. Pour une même substance, on peut observer les trois cheminements.

1.2.1. Réactions de dégradation (Phase 1)

Les réactions de dégradation sont des réactions d’oxydation, de réduction et d’hydrolyse.

i. Oxydations Ce sont les réactions les plus importantes, elles ont lieu essentiellement dans le foie au niveau des microsomes d’où le nom d’oxydations microsomales hépatiques.

Le système d’oxydations microsomales

C’est un ensemble enzymatique abondant dans le foie, localisé dans les microsomes des hépatocytes. Il fonctionne grâce à une hémoprotéine spécifique : le cytochrome P450, qui doit son appellation du fait que sous sa forme réduite, il peut fixer une

PHASE I PHASEII DEGRADATION CONJUGAISON X conjugué X Métabolite Métabolite conjugué ELIMINATION

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molécule de monoxyde de carbone et former un complexe stable dont le spectre d’absorption est caractérisé par un maximum à 5 nm. Ce cytochrome P450 permet l’oxydation des xénobiotiques grâce son couplage à un système de transfert d’électrons (NADPH, FAD). Son fonctionnement est complexe (Fig. 8).

Figure 8 : Cycle catalytique du Cytochrome P450.

Dans un premier temps (1), le cytochrome P450 se combine dans sa forme oxydée (Fe+++) au xénobiotique (R-H), le complexe formé est alors réduit par le NADPH et le NADPH-cytochrome réductase (2). Ce complexe est alors capable de fixer une molécule d’oxygène (3). Il subit une deuxième réduction (4) (5) précédant la libération du xénobiotique oxydé (R–OH) (6) et la régénération du cytochrome P 5 pour un nouveau cycle d’oxydation. Le cytochrome P450 est très peu spécifique, recevant un grand nombre de substrats endogènes et exogènes. Il existe en réalité une diversité d’isoenzymes à cytochrome P450. Elles sont regroupées en familles dont 40 % au moins de la structure primaire est similaire (CYP1, CYP21) et en sous-familles (CYP3A, CYP2D), et même identifiés

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par leurs gènes respectifs (CYP3A4, CYP2D6). Chaque isoenzyme est plus adaptée à tel ou tel substrat. Certaines isoenzymes sont particulièrement importantes dans le métabolisme oxydatif des xénobiotiques (CYP3A4). Une dizaine d’isoenzymes sont identifiées chez le chien (CYP A2, CYP2B , …). Cette diversité des Cytochromes P450 donne ainsi l’impression globale d’un système peu spécifique, capable de dégrader une grande diversité de substrats, aussi bien d'origine endogène (hormones stéroïdes) qu'exogènes (médicaments et toxiques). C'est pour cette raison qu’on parle de système d'oxydation microsomale à fonctions multiples. Cette diversité est à l’origine d’une polymorphisme selon les espèces animales, les races et les individus, d’où des différences individuelles possibles de sensibilité aux médicaments (réactions idiosyncrasiques). Etant localisé à l’intérieur des cellules hépatiques au niveau du réticulum endoplasmique lisse, ce sont les molécules à pénétration cellulaire liposolubles qui subissent cette action oxydante de Cytochrome P450. Les réactions d’oxydation sont nombreuses (Fig. 9a, 9b) :

Hydroxylations

Elles correspondent à des réactions de fixation d’un groupement hydroxyle (–OH) sur des chaines linéaires ou des cycles aromatiques grâce à des hydroxylases microsomales. Les chaines linéaires sont transformées en alcools secondaires, l’hydroxylation se faisant sur l’avant dernier carbone. C’est la principale réaction subie par les barbituriques. Les cycles aromatiques sont transformés en phénols.

N et S oxydations

Elles aboutissent à la fixation d’une fonction oxygène sur des atomes d’azote ou de soufre. Les amines primaires et secondaires donnent des hydroxylamines, alors que les amines tertiaires donnent des dérivés N-oxydés. Les S-oxydations conduisent à des sulfoxydes puis à des sulfones.

Désalkylations oxydatives

Ce sont des réactions qui détachent des radicaux alkyle (le plus souvent –CH3) des atomes d’oxygène ou d’azote, on parle de O-désalkyation et de N-désalkylation, cette dernière conduit à des dérivés N.O.R (Nitrogen Ohne Radical).

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Désaminations oxydatives

Elles correspondent au détachement de groupements amine (–NH2) avec fixation d’une fonction oxygénée. Ces réactions s’effectuent en dehors des microsomes hépatiques grâce aux monoamine-oxydases (MAO) et diamine-oxydases (DAO) localisés dans les mitochondries du foie, du rein et du système nerveux.

Désulfuration oxydative

Elles substituent des atomes de soufre par des atomes d’oxygène.

Oxydations des alcools et des aldéhydes Elles se font en dehors des microsomes hépatiques grâce à des alcool-déshydrogénases et des aldéhyde-déshydrogénases situées dans le cytochrome de l’hépatocyte.

ii. Les réductions

Ce sont des réactions moins fréquentes que les oxydations. Elles se font en anaérobiose surtout dans les microsomes hépatiques. Elles sont en revanche importantes chez les ruminants, dans le tube digestif sous l’action de la flore réductrice importante du rumen. Ce sont des nitro- réductions et des azo-réductions (figure10).

iii. Les hydrolyses

Ce sont des réactions très importantes dans l’organisme, elles peuvent avoir lieu dans tous les organes et tissus compte tenu de leur richesse en eau. Elles intéressent les esters et les amides et sont souvent catalysées par des estérases et des amidases (Fig. 10).

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Hydroxylations Chaines linéaires Hydroxylases

R-CH2-CH3 R-CH-CH3

Exemple : Barbituriques OH

Composés aromatiques OH

Hydroxylases Benzène Phénol

N et S oxydations N oxydation

NH NOH

Amine primaire Hydroxylamine Ou secondaire N N+, O–

Amine tertiaire N-oxyde Exemple SO2-NH-R SO2-NH-R

NH2 NH-OH Sulfamides

Figure 9a : Réactions d’oxydation.

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Desalkylation oxydative

R-N-CH3 R-N-H Dérivé N.O.R Exemple Adrénaline Noradrénaline Morphine Normorphine Ephédrine Noréphédrine

Désamination oxydative

Exemple

OH CHOH-CH2-NH2 OH CHOH-CHO

NH3 Noradrénaline

Desulfuration oxydative Exemple R-O-P R-O-P

S O Parathion Paraxon

Oxydations des alcohols et des aldéhydes Exemple alcool déshydrogénase adéhyde déshydrogénase CH3-CH2-OH CH3-CHO CH3-COOH

Ethanol Acétaldéhyde Acide acétique CH2-OH COOH CH2-OH COOH Ethylène glycol Acide oxalique

Figure 9b : REACTIONS D’OXYDATIONS

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Réduction

Nitro-réduction R-N-O2 R-N-H2

Chloramphénicol

Azo-réduction

R-N=N-R’ R-NH2 + R’-NH2

Hydrolyse Esters H2O R-COO-R’ R-COOH + R’-OH Amides R-C-NH-R’ R-COOH + R’-NH

Figure 10 : REACTIONS DE REDUCTION ET D’HYDROLYSE

1.2.2. Réactions de conjugaison (Phase 2) Ce sont de véritables réactions de synthèse aboutissant à la conjugaison du xénobiotique avec une molécule endogène. Elles suivent en général les réactions d’oxydations microsomales et se font au niveau du foie. Ces réactions de conjugaison interviennent sur des substances spécifiques et présentent des spécificités d’espèce. Elles aboutissent à des dérivés conjugués hydrosolubles facilement éliminables et biologiquement inactifs. Les molécules endogènes interviennent sous forme activée nucléotidique : une enzyme de transfert catalyse la réaction de conjugaison. Ces réactions sont nombreuses : Glucuronoconjugaison, Sulfoconjugaison, Acétylation…etc.

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i. Glucuronoconjugaison

C’est la réaction la plus importante. Elle consiste en la conjugaison d’un xénobiotique liposoluble, peu polaire avec l’acide glucuronique qui intervient sous forme d’acide uridine diphospho glucuronique (UDPGA). Il s'établit une liaison éther ou thioéther entre les deux composés. Le groupe carboxylique de l'acide glucuronique n'est donc pas impliqué dans la réaction et reste libre. Une glucorono-transférase catalyse la réaction. Les xénobiotiques intéressés par la glucoronoconjugaison sont les composés possédant : Une fonction -OH (Phénols, alcools …etc.) Une fonction -COOH (Acides carboxyliques aromatiques) Une fonction -NH2 (Amines aromatiques ou aliphatiques) Une fonction -SH (composés soufrés)

Le chat semble posséder des possibilités réduites de glucuronoconjugaison.

ii. Sulfoconjugaison

C’est une réaction de conjugaison de xénobiotiques avec des ions sulfates préalablement activés sous forme de phospho-adénosine phospho- sulfate (PAPS), elle fait intervenir une sulfo-transférase. Les xénobiotiques intéressés sont ceux possédant :

Une fonction -OH (Phénols, Alcools) Une fonction -NH2 (Amines aromatiques)

Le taux de sulfates dans l’organisme étant limité, ces réactions sont secondaires par rapport à la glucoronoconjugaison. Le porc et les poissons sont déficients en sulfoconjugaison.

iii. Acétylation

C’est une réaction de fixation d’un radical acétyl qui intervient sous forme d’acétylcoenzyme A. une N acétyl transférase catalyse la réaction. Les xénobiotiques intéressés sont ceux possédant une fonction -NH2 aromatique, comme les sulfamides, qui acétylés deviennent moins hydrosolubles et précipitent dans les tubules rénaux causant des néphropathies.

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iv. Méthylation

Elle consiste en la fixation d’un groupement méthyl apporté par la méthionine activé sous forme de S-adénosyl méthionine. La réaction est catalysée par une méthyl transférase. Le substrat peut être :

Une fonction -OH (Phénols) Certains hétérocycles azotés insaturés (Pyridine, Quinoléine) Certains métaux (Arsenic, Mercure). Le mercure voit ainsi sa toxicité

s’accroitre en raison d’une meilleure liposolubilité du méthyl-mercure.

v. Conjugaison avec les acides aminés Elle présente une spécialité d’espèce. Elle se fait avec l’ornithine chez les oiseaux alors que la glycyl conjugaison est fréquente chez les mammifères. Le glycocolle peut par sa fonction amine amidifier les acides. L’enzyme catalysant la réaction est la glycine N-acylase. Les substrats sont les composés à fonction carboxylique aliphatique ou aromatique (acide benzoïque, acide salicylique).

vi. Mercaptoconjugaison

La mercaptoconjugaison consiste dans la conjugaison au glutathion (tripeptide glutamyl-cystéinyl-glycine). En fait le complexe formé est facilement dégradé, puis secondairement acétylé en acide mercapturique.

C'est surtout une réaction de détoxification très importante des époxydes d'hydrocarbures polycycliques aromatiques (type benzopyrène) et des radicaux libres fortement réactifs. Selon le xénobiotique en jeu, la réaction peut se faire avec ou sans l'intervention d'enzymes. Cette réaction exerce un rôle majeur dans la protection des individus contre les cancers d’origine chimique pour détoxifier les métabolites intermédiaires particulièrement réactifs (époxydes, réactifs électrophiles).

vii. Trans-sulfuration

La trans-sulfuration fait intervenir une sulfur-transférase (autrefois appelée "rhodanèse"). Cette réaction est surtout importante dans la détoxification des

ions cyanures - CN- apportés par l’alimentation (hétérosides cyanogénétiques),

ces ions sont ainsi convertis en thiocyanates SCN- en présence d'ions

thiosulfates S2O3=.

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o Bilan des réactions de biotransformations

Les xénobiotiques subissent des biotransformations en fonction de leurs particularités structurales et de leurs groupements fonctionnels.

- Les molécules liposolubles pénètrent facilement l’hépatocyte et subissent les réactions de dégradation et de conjugaison les plus intenses.

- A l’opposé, les molécules hydrosolubles traversent faiblement les membranes biologiques et sont par conséquent peu biotransformées.

o Conséquences biologiques des biotransformations

Le plus souvent, les biotransformations conduisent à l’inactivation et à la « détoxification » des xénobiotiques. Cependant, ceci est loin d’être une règle générale et on assiste des fois à une véritable activation voire l’apparition de toxicité.

o Inactivation, détoxification

Les biotransformations inactivent nombreux composés par blocage chimique des groupements responsables de l’activité pharmacologique ou toxique. L’acétylation de la fonction –NH2 des sulfamides des antibactériens les rend inactifs contre les germes. La conjugaison des fonctions –OH des stéroïdes annule leurs effets biologiques. Par ailleurs, on assiste à une augmentation de la polarité des xénobiotiques biotransformés. Les biotransformations aboutissent en général à la fixation de groupements polaires. Cette augmentation de la polarité est d’autant plus intéressante que ce sont les composés liposolubles qui subissent les transformations les plus intenses. Leur élimination est alors facilitée. En l’absence de biotransformations la durée de vie du penthiobarbital (anesthésique) chez l’homme serait de ans.

o Activation

Plusieurs xénobiotiques ne deviennent actifs qu’après biotransformations in vivo. C’est le cas de la phénylbutazone hydroxylée en oxyphenbutazone, du bithionol oxydé en bithionol sulfoxyde. Le chloramphénicol acquiert une toxicité hématologique suite à la formation de métabolites toxiques, l’oxydation de son radical dichloro-acétamide entraine la formation d’acide chloramphénicol oxamique à action dépressive sur l’érythropoïèse. La réduction de son groupement –NO2 donnerait les métabolites responsables des accidents d’aplasie médullaire chez l’homme.

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L’éthylène glycol est biotransformé en acide oxalique qui précipite dans les tubules rénaux. Le parathion (insecticide organophosphoré) est transformé en paraoxon, beaucoup plus toxique.

2. Facteurs de variation des biotransformations La nature et l’intensité des réactions de biotransformations dépendent de deux types de facteurs : Des facteurs intrinsèques, biologiques Des facteurs extrinsèques en relation avec le xénobiotique ou d’autres

facteurs associés.

2.1. Facteurs intrinsèques Ce sont des facteurs génériques et des facteurs physio-pathologiques.

2.1.1. Facteurs génétiques Les différences d’équipements enzymatiques d’une espèce animale à l’autre et au sein d’une même espèce entre individus se ressentent au niveau des possibilités de biotransformations. Les facteurs génétiques déterminent le « stock » d’enzymes de l’organisme. Les facteurs essentiels sont l’espèce, la race, la souche et l’individu.

Espèce

Des variations sont observées d’une espèce animale à l’autre. Toutes les réactions peuvent être concernées, mais ce sont les conjugaisons qui présentent les variations les plus importantes. Le chat et les poissons paraissent déficients en glucoronoconjugaison. Le chat est ainsi très sensible aux dérivés phénoliques (paracétamol, acide acétylsalicylique). Le tableau V montre les carences en biotransformations de certaines espèces animales.

Race et souche

La sensibilité des bovins charolais aux insecticides organophosphorés est en relation avec les possibilités de dégradation réduites par rapport aux autres races. Les chiens Beagle métabolisent d’une manière générale plus faiblement les xénobiotiques que les autres races de chiens.

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Tableau V

Déficit de biotransformations de certaines espèces.

ESPECE TYPE DE BIOTRANSFORMATION

FAISANT DEFAUT

Chat Chien Porc

Poisson Insectes

Glucurono-conjugaison Acétylation

Sulfo-conjugaison Oxydations, glucurono-conjugaison

Estérases

Chez l’homme on connait des différences d’intensité de l’acétylation entre les races, les blancs et les noirs sont connus comme des « acétyleurs lents » et les jaunes et les esquimaux comme des acétyleurs rapides. La souche Gunn des rats WISTAR présente une déficience en glucurono-conjugaison.

Individu

Des différences individuelles existent dans le métabolisme des xénobiotiques. Leur intérêt est limité en médecine vétérinaire. Chez le lapin, certains individus sont connus pour l’activité intense de l’atropine estérase. Ces différences sont plus connues chez l’homme sous le nom de réactions idiosyncrasiques.

2.1.2. Facteurs physio-pathologiques L’intensité des biotransformations varie en fonction de plusieurs facteurs dont l’âge, le sexe, la gestation, l’état nutritionnel et l’état pathologique.

Age Chez le nouveau-né, l’activité enzymatique est réduite, l’équipement enzymatique étant inachevé. Il en résulte une grande sensibilité par rapport aux adultes. Chez l’animal l’équipement enzymatique est complet à 2 mois d’âge dans la plupart des espèces. Par ailleurs, chez les animaux âgés, le métabolisme est ralenti ce qui explique leur plus grande sensibilité aux xénobiotiques.

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Sexe D’une manière générale, les mâles semblent (pour la plupart des composés) avoir un taux de biotransformations supérieur aux femelles. L’influence des stéroïdes sexuels semble déterminante : chez un rat mâle castré on observe une diminution des biotransformations, améliorée par l’administration de testostérone. Le foie des mâles est plus riche en cytochrome P450 que le foie des femelles.

Gestation La gestation réduit sensiblement les glucurono conjugaisons. En revanche, on note une activité enzymatique au niveau du placenta.

Etat nutritionnel Un régime alimentaire carencé en protéines, vitamines…etc, peut provoquer une baisse du métabolisme.

Etat pathologique Compte tenu de l’importance du foie dans les biotransformations, toute atteinte hépatique peut induire une sensibilité accrue aux xénobiotiques.

2.2. Facteurs extrinsèques Des variations importantes sont observées dans l’intensité et les voies de biotransformations en fonction des divers types de molécules chimiques, et même au sein d’une même famille en fonction des divers composés. Certains substituants sur certaines molécules augmentent leur stabilité métabolique (pénicilline de semi-synthèse administrables per os) ou protègent des fonctions chimiques. Cette notion de substituant protecteur est exploitée pour l’obtention de dérivés à durée d’action prolongée (éthinyl-œstradiol). La posologie intervient également, l’administration de dose massive entraine une saturation des enzymes de biotransformations. Deux facteurs présentent un intérêt particulier : l’induction enzymatique et l’inhibition enzymatique.

2.2.1. L’induction enzymatique

Lorsque certains médicaments sont employés de façon prolongée et répétée, on constate parfois une réaction de l’organisme se traduisent par une diminution progressive des effets pharmacologiques de ce médicament. Ce phénomène a été mis en évidence avec les barbituriques. L’administration répétée de doses identiques d’un barbiturique entraine une diminution du temps de narcose (sommeil).

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Ce phénomène est connu sous le nom d’induction enzymatique. Les barbituriques sont dits inducteurs enzymatiques. Expérimentalement suite à l’administration de telles substances, on constate au niveau du foie une augmentation du poids de l’ordre de 2 % et une prolifération du réticulum endoplasmique lisse avec une augmentation notable de la teneur en cytochrome P450 et en cytochrome P450 réductase. Les inducteurs enzymatiques induisent la production de leurs enzymes de dégradation. Les principales enzymes induites sont les mono-oxygénases et les glucurono-transférases. Les principaux caractères de l’induction enzymatique sont : L’existence d’un temps de latence : elle s’installe dans un délai de 2 à 5

jours selon les substances.

La réversibilité : après arrêt de traitement, l’activité enzymatique revient à la normale dans un délai de un à plusieurs mois.

La non spécificité : une substance inductrice stimule non seulement sa propre biotransformation mais également celle de tous composés exogènes en endogènes sensibles à l’oxydation microsomale. On parle d’induction croisée.

Les inducteurs sont souvent des composés liposolubles tels que :

- Hypnotiques (barbituriques, hydrate de chloral) - Tranquillisants (chlorpromazine, diazépam, méprobamate) - Anti-inflammatoires (phénylbutazone, dexaméthasone) - Antibiotiques (rifampicine, griséofulvine) - Anthelminthiques (bithiol-sulfoxyde)

L’induction enzymatique est exploitée en thérapeutique chez l’homme. Le phénobarbital est administré au nouveau né ictérique pour accélérer la dégradation de la bilirubine. Les médicaments qui subissent ce phénomène d’induction enzymatique perdent ainsi progressivement de leur efficacité (somnifères, anti-épileptiques). On parle de tachyphylaxie ou encore d'accoutumance aux médicaments.

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2.2.2. L’inhibition enzymatique

C’est le phénomène inverse de l’induction enzymatique. Il est plus rare. Certains xénobiotiques inhibent les enzymes de biotransformations et notamment de l’oxydation microsomale. C’est un phénomène d’apparition immédiate qui peut durer pendant plusieurs jours voire plusieurs semaines. Chez les carnivores domestiques, suite à l’administration d’une dose thérapeutique de chloramphénicol, le temps de narcose induit par le pentobarbital est prolongé de 120% chez le chien et de 260% chez le chat ; correspondant à une inhibition des enzymes de dégradation du barbiturique, particulièrement du cytochrome P450. Le pipéronyl butoxyde dénoué d’activité antiparasitaire est associé aux pyréthrines pour les protéger du métabolisme oxydatif et prolonger leur action biologique. Cette inhibition enzymatique est à prendre en considération dans les thérapeutiques associant plusieurs médicaments. La réduction de l’inactivation d’un principe actif risque d’entrainer des phénomènes de toxicité. Chez les volailles, l’administration de tiamuline (antibiotique semi-synthétique) à des poulets recevant une alimentation supplémentée de monensin (ionophore) peut entrainer l’apparition d’accidents neurotoxiques. La tiamuline inhibant les biotransformations du monensin qui s’accumule dans l’organisme. Aussi avant d’entreprendre une thérapeutique, il faut vérifier la nature des additifs présents dans la ration.

Au bilan, les biotransformations constituent une étape importante du devenir des xénobiotiques dans l’organisme. Elles aboutissent généralement à l’inactivation des composés initiaux : « détoxification » et augmentent leur hydrosolubilité facilitant ainsi leur élimination.

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IV. L’ELIMINATION DES XENOBIOTIQUES Au terme de leur cheminement dans l’organisme, les xénobiotiques sont éliminés sous forme inchangée ou sous formes de métabolites après biotransformation. Les principales voies d’élimination du point de vue quantitatif sont la voie rénale et la voie biliaire. Mais il existe d’autres voies d’élimination parmi lesquelles la voie mammaire prend une importance particulière en médecine vétérinaire en liaison avec les résidus de xénobiotiques dans le lait. 1. L’élimination rénale C’est la voie d’élimination la plus importante faisant intervenir trois processus :

i. La filtration glomérulaire ii. La sécrétion tubulaire iii. La réabsorption tubulaire

Figure 11 : Processus de l’élimination rénale

Réabsorption

tubulaire

Sécrétion

tubulaire

Glomérule

Anse de Henlé

Tube proximal

Filtration glomérulaire

Tube distal

Tube collecteur

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i. Filtration glomérulaire

La filtration glomérulaire est un phénomène passif très important, elle représente chez l’homme 3 ml/mn et 190 l/jour. C’est le nombre et la taille exceptionnelle des pores membranaires des capillaires sanguins dans le rein qui permettent la filtration des xénobiotiques de poids moléculaire jusqu'à 69000 Daltons. Les composés conjugués filtrent et se retrouvent dans le filtrat glomérulaire, leur hydro solubilité facilite leur élimination. Les formes liées aux protéines plasmatiques ne filtrent par conséquent pas. Ce qui explique la durée d’action plus longue des médicaments à fort taux de fixation protéique.

ii. Sécrétion tubulaire C’est un processus actif d’excrétion. Les cellules du tube contourné proximal sont capables d’excréter des substances dissoutes du plasma vers l’urine. Il existe deux systèmes d’excrétion active : tableau VI.

­ Un système pour les acides ­ Un système pour les bases

TABLEAU VI

Substances acides et basiques excrétées de façon active.

ACIDES BASES

Pénicillines Salicylés, phénylbutazone

Diurétiques thiazidiques Acide urique

Dérivés glucorono-conjugués

Dérivés sulfo-conjugués

Choline

Dopamine Hexaméthonium

Dérivés de la guanidine

La sécrétion tubulaire peut s’effectuer contre un gradient de concentration. Ceci explique que les concentrations en xénobiotiques dans les urines sont jusqu'à 1000 fois supérieures à celles observés dans le sang. Même les formes liées à l’albumine peuvent être ainsi excrétées.

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Deux composés peuvent entrer en compétition pour un même système transporteur ce qui retarde leur élimination. Ainsi le probénicide était autrefois associé à la pénicilline pour retarder son élimination. IL rentre en compétition avec cet antibiotique au des transporteurs des acides ce qui permet de prolonger l’activité antibactérienne.

iii. Réabsorption tubulaire C’est un processus de résorption des xénobiotiques de l’urine vers le plasma dû au fait que l’épithélium du tubule rénal se comporte comme toute membrane biologique. Il se fait par diffusion passive et dépend des règles qui régissent le passage transmembranaire. La réabsorption tubulaire dépend de plusieurs facteurs.

Le gradient de concentration urine /plasma : Le gradient de concentration est en général favorable à cette résorption du fait des mécanismes de concentration de l’urine. C’est la raison pour laquelle on recommande d’administrer des solutés aqueux lors d’intoxications pour diluer l’urine et diminuer le gradient de concentration afin de favoriser l’élimination.

La liposolubilité : La réabsorption tubulaire s’effectuant par diffusion passive, ce sont les composés liposolubles qui seront les mieux résorbés.

Degré d’ionisation des molécules : Pour les composés liposolubles ionisables, la réabsorption dépend des différences de ph entre l’urine et le plasma. Le pH de l’urine est variable selon les espèces animales et selon les régimes alimentaires. Chez les carnivores ce ph est de 5,5 à 7,0, chez les herbivores de 7,3 à 7,6 et chez les omnivores de 5 à 7,5. Les urines des carnivores sont plutôt acides, celles des herbivores plutôt alcalines. Chez les ruminants, les urines sont plus acides en hiver qu’en belle saison au pâturage. La prédominance des formes non ionisées et ionisées vont alors varier selon le pka de la substance et le pH de l’urine. Compte tenu que seule la forme liposoluble non ionisée diffuse à travers les membranes biologiques, le pH de l’urine des carnivores est favorable à la réabsorption tubulaire passive des composés acides et celui des herbivores aux composées alcalins. Cette notion est exploitée dans le traitement des intoxications : on peut ainsi limiter la réabsorption des toxiques acides par alcalinisation de l’urine par le bicarbonate de sodium en intraveineuse et limiter la résorption des toxiques basiques en acidifiant les urines par administration de chlorure d’ammonium.

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En pratique, la filtration glomérulaire, la sécrétion tubulaire et la réabsorption tubulaire interviennent simultanément pour l’épuration du sang des déchets d’origine endogène ou exogène. L’intensité de cette élimination est appréciée par la mesure de la clairance rénale = Clr, elle s’exprime en volume / temps / poids (l. mn-1. kg-1). La clairance rénale correspond au volume virtuel de plasma épuré par unité de temps. Elle s’exprime par l’équation suivante en l. mn-1. kg-1:

Clr=U.V/P

U : concentration urinaire (g/l) V : Débit urinaire (l/mn)

P : concentration plasmatiques (g/l)

On peut également définir une clairance glomérulaire et une clairance tubulaire.

Variation de l’élimination rénale

L’élimination rénale varie essentiellement en fonction de l’âge et lors de diverses pathologies du rein.

­ Age

Chez le nouveau-né le nombre de néphrons fonctionnels est réduit d’où des possibilités d’élimination limitées. Les processus de filtration glomérulaire et de sécrétion tubulaire n’atteignent leur plein développement que deux jours après la naissance chez le veau, 3 et 7 jours chez l’agneau et le chevreau et le éme jours chez le porcelet. De même chez le sujet âgé, on observe une diminution des fonctions de filtration glomérulaire et de sécrétion tubulaire. La filtration glomérulaire est environ 2 fois plus faible que chez l’animal adulte. De même, le pouvoir sécrétoire des cellules tubulaires diminue. Il en résulte des risques d’accumulation pour les xénobiotiques à élimination essentiellement rénale.

­ Pathologies rénales

Lors d’insuffisance rénales on note une diminution de l’élimination urinaire des xénobiotiques.

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Des accidents sont signalés avec la streptomycine et la colistine essentiellement éliminés par cette voie. L’administration de médicaments chez l’insuffisant rénal doit être faite avec prudence en réduisant les doses proportionnellement au degré d’insuffisance, en espaçant les administrations ou en administrant des médicaments éliminables par d’autres voies.

2. Elimination digestive C’est la seconde voie du point de vue importance pour l’élimination des xénobiotiques. Elle constitue la voie d’élimination des xénobiotiques non liposolubles administrés per os et qui sont incapables de franchir la barrière digestive (bases fortes : sulfaguanidine, métaux lourds). Pour les autres composés arrivés dans la circulation générale, leur élimination se fait de plusieurs façons :

i. Voie biliaire ii. Voie salivaire iii. Excrétion par la muqueuse digestive

i. L’excrétion biliaire

Elle se place directement en seconde position après l’élimination rénale pour une grande majorité de xénobiotiques. C’est un phénomène actif qui peut s’effectuer contre un gradient de concentration, les concentrations dans la bile atteignant jusqu'à 5 fois les teneurs plasmatiques grâce à 4 systèmes de transport actif :

­ Un pour les acides ­ Un pour les bases ­ Un pour les composés non ioniques ­ Un pour les métaux

La P-glycoprotéine (P-gp) constitue l’un de ces transporteurs importants. Après avoir subi les biotransformations hépatiques, les métabolites pour la plupart conjugués soit retournent dans la circulation générale pour être éliminés par le rein, soit s’éliminent directement par la bile. La prépondérance d’une voie sur l’autre dépend à la fois du poids moléculaire du xénobiotiques et de l’espèce animale. D’une manière générale les systèmes de transport interviennent lorsque les composés ont un poids moléculaire supérieur à 500 Daltons.

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les molécules de masse relative inférieure à 300 sont préférentiellement éliminées dans toutes les espèces par voie rénale ;

les molécules de masse relative supérieure à 500 sont plutôt éliminées par voie biliaire, quelle que soit l'espèce animale ;

les molécules de masse relative comprise entre 300 et 500 sont éliminées de façon variable selon les espèces animales :

- plutôt par voie biliaire chez le chien, le poulet et le rat, - plutôt par voie rénale chez l'homme et le lapin, - à parts égales chez le chat et le mouton.

Les dérivées glucurono-conjugués excrétés par voie biliaire subissent dans l’intestin une hydrolyse enzymatique par la glucuronidase de la flore intestinale qui libère les composés initiaux. Ces composés souvent liposolubles sont résorbés de nouveau dans l’intestin et par la veine porte regagnent le foie, on parle de cycle entéro-hépatique (Fig.13).

X AG

X AG

Sécrétionbiliaire active

Vésiculebiliaire

Intestin(hydrolyse enzymatique)

X

Diffusionpassive

Canalcholédoque

Veineporte

Foie

Figure 12 : Cycle entéro-hépatique

L’existence de ce cycle entéro-hépatique a pour conséquence de retarder l’élimination des xénobiotiques. Ce processus contribue donc à la persistance du xénobiotique dans l'organisme et donc à la prolongation de l'action médicamenteuse. Cet effet est recherché avec les fasciolicides (traitement de la douve) qui doivent agir dans les canaux

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biliaires. Mais l'existence de ce cycle peut être néfaste lorsqu'il s'agit d'une substance toxique.

ii. L’excrétion salivaire

Certains xénobiotiques sont éliminés par voie salivaire. Cette élimination se fait par diffusion passive, elle dépend de la liposolubilité du composé de son degré d’ionisation dans le sang ainsi que du pH et du débit salivaire. Un transport par les canaux ioniques est possible pour les petites molécules (ions commeles iodures). Le pH de la salive n'est pas le même dans toutes les espèces animales :

- légèrement alcalin (pH ≈ 8, - 8,4) chez les ruminants, - neutre chez le cheval (pH ≈ 7,3 - 7,6), - plutôt acide chez les carnivores et l'homme (pH ≈ 6,5 - 7,2).

Par suite des différences d’équilibre entre le sang et la salive, il s’ensuit une élimination préférentielle des xénobiotiques basiques dans la salive des carnivores ("piégeage salivaire"), inversement les composés acides s’éliminent mieux dans la salive des ruminants. Ceci est exploité pour le traitement des infections bucco-dentaires en médecine canine par les antibiotiques basiques (érythromycine).

L’importance du débit salivaire ( à 9 litres /24 heures chez les herbivores) fait de la salive une voie d’élimination importante.

Débit salivaire litre/24h Espèce animale

0,5 Carnivores

10 - 12 Cheval

100 - 190 Bovins

Les composés éliminés par la salive sont déglutis et déversés dans le tube digestif. Leur concentration dans le rumen peut être 2 à 5 fois supérieure aux concentrations plasmatiques. Ces xénobiotiques sont alors en général dégradés dans le rumen et éliminés par voie fécale, mais certains composés liposolubles peuvent subir une réabsorption intestinale. C'est un cycle dit gastro-entérique, d'importance généralement très secondaire par rapport au cycle entéro-hépatique chez les non ruminants.

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iii. Excrétion par la muqueuse digestive En dehors de l'élimination biliaire et salivaire, les xénobiotiques peuvent être directement excrétés par les cellules stomacales et intestinales par diffusion simple. Compte tenu du pH acide de l'estomac et du duodénum par rapport au pH sanguin, ce sont par suite du phénomène de piégeage ionique uniquement les xénobiotiques basiques qui sont susceptibles d'être ainsi excrétés. Le praziquantel, un antiparasitaire cestodicide, est probablement en partie éliminé par les sécrétions digestives, ce qui pourrait expliquer son excellente action sur les larves d'Echinococcus granulosus fixées sur la muqueuse intestinale. Tel est aussi le cas chez le chien de la doxycycline, du groupe des tétracyclines. Ce processus a une importance assez limitée sauf chez les ruminants du fait de la masse relative considérable des estomacs.

3. AUTRES VOIES D’ELIMINATION

Les xénobiotiques sont également éliminés par d’autres voies en général secondaires.

o la voie mammaire, o les œufs o la voie pulmonaire, o les voies cutanées et lacrymales,

L’élimination mammaire et l’élimination par les œufs sont importantes vu leurs conséquences sur la santé du consommateur.

3.1. L’élimination mammaire

L’élimination par le lait des xénobiotiques présente un double intérêt. Elle permet le traitement par voie générale des infections mammaires et pose le problème de la présence de résidus particulièrement d’antibiotiques avec leurs conséquences pour le consommateur et pour la technologie laitière de transformation. Le passage des xénobiotiques dans le lait se fait par diffusion passive. Il dépend de la liposolubilité des composés, de leur degré d’ionisation ainsi que du pH du lait.

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Seuls les composés liposolubles peuvent ainsi être éliminés car seuls capables de franchir les membranes biologiques. Pour les composés liposolubles ionisables le pH du lait intervient celui-ci est nettement acide par rapport au pH sanguin. Il est normalement de 6,5 à 6,8. Dans les infections mammaires, ce pH peut jusqu'à 0,7 unité et se rapprocher du pH sanguin. Par suite des équilibres de dissociation ionique il en résulte que ce sont les bases faibles qui diffusent et se concentrent dans le lait. Par suite d’un trappage ionique, les concentrations peuvent atteindre 3 à 10 fois les concentrations sanguines. Les composés acides diffusent très faiblement du sang vers le lait et sont incapables d'atteindre des teneurs efficaces. Toutefois cette diffusion n'est jamais complètement nulle, de telle sorte que ces antibiotiques acides, après administration par voie générale, sont susceptibles de laisser des résidus dans le lait, ce qui peut poser un problème d'hygiène publique. C'est le cas notamment des pénicillines. Le tableau VI montre les rapports de concentration lait/plasma de quelques antibiotiques et anti infectieux. Pour les macrolides l’alcalinisation du lait lors des mammites entraine une diminution du rapport de la concentration lait/plasma de 5 à 1. Le piégeage ionique des xénobiotiques basiques dans le lait (compatible avec une bonne activité antibactérienne) est mis à profit en thérapeutique pour le traitement par voie générale d'infections mammaires à l'aide d'antibiotiques liposolubles basiques (macrolides). La richesse du lait en lipides explique l'affinité pour le lait des xénobiotiques neutres liposolubles. Ce tropisme est bien connu pour les insecticides organo-chlorés et organo-phosphorés ou pour des polluants de l'environnement tels que les P.C.B. (polychlorobiphényles), les P.B.B. (polybromobiphényles) ou encore les dioxines. Dans le lait le xénobiotiques peut rester à l’état libre ou se fixer sur de nombreux supports ce qui diminue sa capacité à atteindre les sites d’action : localisation dans les globules lipidiques du chloramphénicol et des tétracyclines, fixation à la caséine des tétracyclines de la dihydro-streptomycine et de la spiramycine. Les bêta-lactamines ont un taux de fixation faible.

TABLEAU VI

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Passage d’antibiotiques et d’anti-infectieux dans le lait après administration parentérale.

ANTIINFECTIEUX

RAPPORT DE CONCENTRATION

LAIT/PLASMA

Acides faibles

Pénicilline G Ampicilline Sulfadiazine

Sulfathiazol Sulfapyridine Bases faibles

Tétracycline Tylosine Erythromycine Triméthoprime Bases fortes Streptomycine Kanamycine

Gentamycine

0,15 0,25 0,21 0,35 0,86

0,7 2,0 3,0 3,7

0,5 0,5 0,5

Certains anthelminthiques (nitroxinil, rafoxanide) sont fortement éliminés par le lait, nécessitant des temps d’attente relativement longs. Le temps d’attente étant le temps qui s’écoule entre la dernière administration du médicament et la commercialisation des denrées alimentaires animales pour garantir leur innocuité pour le consommateur. Elimination des substances administrées par la voie galactophore

Le lait est également une voie d’élimination des médicaments administrés par la voie mammaire. L’administration de médicaments par la voie galactophore vise uniquement un effet local. Cependant une petite fraction est inévitablement résorbée dans la circulation générale. Les concentrations dans le lait sont alors beaucoup plus importantes que lors d’administration par la voie parentérale.

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Les composés hydrosolubles (pénicilline, streptomycine) sont éliminés à 70-90% après les deux premières traites. Les bases faibles (érythromycine) à moins de 15%.

La résorption sanguine à partir du lait suite à une diffusion extra-mammaire constitue la deuxième voie d’élimination des composés administrés par voie galactophore. Ce sont les composés liposolubles qui sont ainsi éliminés de la mamelle par diffusion passive. Ce passage dans le sang peut être à l’origine de la présence de résidus dans les denrées alimentaires ou d’effets secondaires (avortement chez la vache lors d’administration des corticostéroïdes par voie mammaire dans le dernier tiers de la gestation).

Les antibiotiques administrés dans le cadre du tarissement des vaches laitières par voie mammaire sont éliminés avec le colostrum. Ainsi étant donné que ce dernier n’est pas livré à la consommation humaine. Ils ne posent pas de problème pour la santé du consommateur. Cependant ils peuvent inhiber le développement de la flore digestive chez le veau nouveau-né. La durée de l'élimination est beaucoup plus conditionnée par la formulation chimique (nature de l’ester) et galénique (excipient) de la crème intra-mammaire actif, que par la nature du principe actif lui-même.

3.2. Elimination par les œufs

Les œufs des poules pondeuses constituent une voie d’élimination des xénobiotiques. La présence de xénobiotiques dans les œufs est en relation avec la physiologie de la formation de l’œuf dans l’ovaire et avec les lieux de synthèse respectifs du vitellus (dans le foie) et l’albumen (dans l’oviducte). La concentration d’un xénobiotiques dans le vitellus dépend à la de sa liposolubilité et de son affinité pour l’albumine du blanc. Les composés liposolubles comme les insecticides organochlorés se concentrent dans le vitellus. La doxycycline (malgré sa liposoluble) se concentre dans le blanc. Les médicaments liposolubles persistent dans le vitellus même après l’arrêt du traitement, jusqu’à ce que tous les ovocytes contaminés au niveau de l’ovaire lors du traitement soient éliminés.

L’oviducte contient seulement la quantité de protéines solubles nécessaires à la formation de deux œufs, ce qui explique la disparition rapide des xénobiotiques de l’albumen. Pour l’ampicilline, administrée dans l’eau de boisson à raison de ,5g/l pendant 4 jours, les concentrations maximales sont obtenues le 4ème jour après le début du traitement dans l’albumen ( , 8 ppm) et le vitellus ( , 28ppm) puis elles diminuent rapidement à partir du dernier jour de traitement.

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Pour les autres antibiotiques, il y’a en règle générale accumulation des résidus jusqu’au dernier jour de traitement et disparition à 2 jours après sa fin. Les répercussions éventuelles de la consommation d’œufs renfermant des résidus d’antibiotiques ont conduit à la fixation de temps d’attentes pour les composés susceptibles d’être éliminés par cette voie. La production d’un œuf, notamment du jaune, prend plusieurs jours, de telle sorte qu’il existe un décalage entre les concentrations plasmatiques et les teneurs dans l’œuf, de près d’une semaine. De ce fait, il est en pratique difficile de mettre en œuvre des traitements thérapeutiques en élevage de poules pondeuses en ponte, en raison des temps d’attente qui doivent être respectés.

3.3. Elimination pulmonaire

Les composés gazeux ou volatils sont éliminés préférentiellement par voie pulmonaire. Cette élimination se fait par diffusion passive, elle est conditionnée par la différence de pression partielle de gaz dans l’air et dans le sang. Du fait de la finesse de l’épithélium pulmonaire et de la grande surface d’échange, cette voie constitue une voie d’élimination importante pour les anesthésiques généraux : fluothane et méthoxy-fluorane et les expectorants : eucalyptol et gaïacol. La pénéthacilline (diéthyl-amino ester de la pénicilline G) est fortement excrétée dans les secrétions bronchiques, d’où son indication dans le traitement des infections pulmonaires.

3.4. Elimination par les phanères, la peau et les larmes

Les xénobiotiques sont également éliminés par la peau et les larmes. L’importance de ces voies est toutefois mineure. L’élimination par les phanères (poils…etc.) est exploitée pour la recherche des produits dopants et des métaux lourds (plomb). L’élimination par la peau et les larmes est exploitée dans le traitement des maladies de la peau (dermato-mycoses…etc.) et en ophtalmologie.

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CONCLUSION

L’étude de la cinétique d’un xénobiotique permet de connaitre son devenir dans l’organisme à partir de données relatives aux propriétés physico-chimiques de la substance d’une part et des caractéristiques anatomo-physiologiques de l’espèce animale considérée d’autre part. Ses conséquences thérapeutiques et toxicologiques sont évidentes. En thérapeutique, le choix du médicament par le vétérinaire doit reposer sur les données pharmacocinétiques faisant appel aux notions de résorption, distribution, biotransformation et élimination du principe actif. La posologie indiquée doit tenir compte du fonctionnement du foie et du rein de l’animal ainsi que des administrations simultanées d’autres principes actifs. En toxicologie, la connaissance de cette cinétique a un double intérêt. Elle permet de mettre en route le traitement avec ses différents objectifs à savoir limiter la résorption, lutter contre les effets toxiques et faciliter l’élimination du toxique. Elle permet par ailleurs de connaitre les niveaux en résidus dans les denrées alimentaires d’origine animale à la base de la fixation des temps d’attente afin de mettre à la disposition du consommateur des produits ne présentant aucun danger.

Nos vifs remerciements au Professeur Jean-Dominique PUYT de l’Ecole Vétérinaire de Nantes - Oniris, qui a eu la gentillesse d’enseigner pendant quelques années la pharmacocinétique à l’ENMV Sidi Thabet

et à qui on doit quelques parties de ce polycopié.