EANEpub:979-1-03060-068-1©ÉditionsdesBéatitudesSociétédesŒuvresCommunautaires,novembre2015Conceptiondelacouverture:mc-design–MartinCasteresIllustrationdecouverture:©Gettyimages/Westend61

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confusiondans la têted’unadodequinzeans…Pendantneufans, jem’imaginaisquechaque foisque j’allais communier, jecommettais un sacrilège à cause de ce fameux péché de lachair…Mais jedoisquandmêmelereconnaître : toutaufondde moi, je sentais que Dieu me tenait par la main, qu’il nem’abandonnaitpasetquejedevaiscontinuermonchemin.C’estmystérieux tout cela, mais je sais maintenant, par expérience,queDieunenousabandonnejamais,ilnouslesignifiepardestouchestrèssubtiles.Celadit,jefinismonlycéeetentreprislesétudesthéologiques,l’esprit assombri par une seconde dépression. Un mal-êtrem’habitait, ce qui ne m’empêcha pas de recevoir les Ordressacrés.En1963,jefusordonnéprêtre.

–Maisquellemouchevousadoncpiqué?Commentdevenirprêtreaprèsdetelsévénements?

–J’avaislacertitudequeDieum’appelait,etpuis,cetteÉglise,jel’aime,elleestmamère,ellemenourrit.Etiln’yapasquedemauvaisexemples,voussavez.Bref,onm’envoyacommevicairedans une grande ville. Toujours guetté par ce mal-être, je nesupportaispaslaproximitéphysiquedesautres,surtoutàtable.Mapeauémettaitdessignesdedétresse,ellemedémangeait,jemecrispais, lepoilhérissé.Lasimpleidéedem’asseoirautourd’unetablemerendaitmalade.Unetroisièmedépressionfonditsur moi, causée cette fois-ci par un « corps étranger » àl’intérieur demapeau, au-dedans demoi. Je n’étais plusmoi-même,déchiréentredeuxpersonnalités:l’unemetiraitenhauttandisquel’autremetenaitàterre,dansledésespoir.Quelqu’unavait pris possession de mon corps. Enfin, je consultai unmédecinquimeprescrivitdesmédicaments,justepourm’aideràgarderlatêtehorsdel’eau.Aprèsonzeansdesacerdoce,jedécidaidesuivredessessions

PRH(personnalité,relationshumaines)quim’ontpermisdemedégonfler.Danscettedynamiquedegroupebaséesurlepartagedesonvécu,jesentaisquequelquechosebougeaitenmoi,monaffectivité blessée émettait des signaux. J’en veux pour preuvel’intervention d’une stagiaire du groupe : « Dis-moi, PèreMathieu,as-tudéjàétéaimédanstavie?»Unchoc!Jesentisl’amour envahir mon cœur. Pour la première fois, je me suissentiaimé.Gratuitement,pourmoi-même.Alorsque,jusque-là,aimersignifiait«danger»,etpourcause!Lanuitsuivante,jefisunrêveéveillédecettefemme,l’entraînantdanslessoubresautsdelachair.Lelendemain,jeluiconfiaimadéceptiondel’avoiraimée ainsi, en l’abîmant. Elle me répondit : « Laisse sortircomme ça vient, ne t’inquiète pas. »Alors, je lui ai donné unpetitbec(unpetitbisou).Cettefemme,jel’aivraimentaimée!Touchépar l’amour, j’avaisenviedepleurer.Un jetde lumièrevenait de percer une porte blindée enmoi, verrouillée sur dessouvenirsdouloureux.Lesoir,j’aivomitoutcefielquej’avaisingurgité depuis tant d’années. C’était fini. J’avais trente-septans.Àl’horizondemavieselevaitlesoleildel’amour.

– Si je comprends bien, Père Mathieu, vous avez pour lapremièrefoisacceptéetaccueillil’amourdequelqu’und’autre,sansavoirlachairdepoule.Toucheretêtretouché(lepetitbec)ne signifie plus pour vous être utilisé et réduit à l’état de purobjet. Vous avez éprouvé la proximité de l’autre, non pluscomme une menace, mais comme un geste de pure affection,quelque chosequi fait grandir, qui donned’exister réellement.Vousvousêtesenfinlâchéetl’amourapercélenégatif.

–Oui, je crois que c’est cela. Je sentais sourdre enmoi uneétrangejoie.Pourtant, je n’étais pas au bout de mes peines puisque, desannées plus tard, à cinquante ans, la dépressionme rattrapait.

« L’autre » ne m’avait pas vraiment quitté, il se manifestait ànouveau.Àplusieursreprises,unepulsiondesuicidemepoussaà commettre l’irréparable, mais une force plus forte que moi-mêmem’empêchaitdepasseràl’acte.J’étaisencorehantéparlesentimentdeculpabilité.Jedécidaidereprendrelessessionssurl’affectivité,àsoixante-huitans,pourcreuseretcreuserencoreplus profond à l’intérieur de moi, pour trouver une source…Enfin, j’acceptais d’être qui je suis, un être cabossé,mais quipeutassumersesblessuresdupassé.Dansl’unedessessions,onm’encouragea à écrireune lettre au seul abuseur encore enviesur les trois. Lesmots disaient : « Tu as abusé demoi et lesconséquencesontétédramatiques.J’avaisconfianceentoiettum’as cassé à tout jamais. Aujourd’hui, je veux te pardonner.J’attends une lettre de toi afin que tu le reconnaisses et medemandespardon.»Jen’aijamaisreçuderéponse.Cethomme,on l’a retrouvémort deuxmois après. Je vismieux depuis, laculpabilitéapratiquementdisparu.

–Maispourquoi,àunmomentouàunautredevotreparcours,n’avez-vouspasportéplaintecontrevosagresseurs?

– C’est vrai que cela m’aurait aidé, mais maintenant, quevoulez-vous, tous sont morts. Dénoncer à la Justice est unebonne chose car cela enlève une bonne part de la culpabilité,l’abusésesentreconnucommeteletilpeutsemettrefaceàsonbourreau, il se délie de lui, il chasse l’habitant clandestin.Onpeutsortirde laconfusionetde l’emprisedesessouvenirs,cequipermetd’emprunterunnouveauchemin.

– Existe-t-il un chemin spirituel complémentaire à l’aidepsychologique?

–Je tiensà leredire : j’aimel’Église, j’aimeprieretpartageravec d’autres. Je n’identifie pas l’Église à quelques prêtres

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propose tout simplement de prendre Cédric dans sa chambredouble,afinquejepuissemieuxmereposer.Unenouvelleétapeestfranchie.Ilm’arrivetoutefoisd’avoirdesdoutessurlarelationentrelesdeux. « Mais non, je rêve, cet homme est tellementformidable!»Unsystèmedeconfianceaveugleseconstruitmalgrémoi,jenemaîtrise plus rien. Et puis, un jour, J. propose de partir envoyageavecCédric,sansmoi…Jemetrouvemalgrémoiisolée,exclue. Victime d’insomnies, je finis par ne plus savoir qui araison: lui,ceprêtrequeDieuamissurmonchemin,oumoi,qui me trouble peut-être pour rien du tout ? Mon fils amaintenant treize ans. Lors du retour d’un voyage, ilme parled’attouchements…!Jen’ycroispas:«Maisnon,tuconfonds!C’estdelatendresse!»L’enfantneparleraplus,mutique…Àdix-septans,jesensqu’ilm’aéchappé,ilnem’appartientplus.Ilvitquasimentchezleprêtre.J’ai,parailleurs,unamireligieuxqui accueilledans sonmonastèredesprêtrespédophiles à leursortiedeprison.Jevaisunefoisparanlevisiteraumonastère.Cetteannée-là,ilmeposelabonnequestion:«Jevoudraisquevousm’expliquiezcommentunemamanpeutnepascroiresonenfantquandilparledegestesdéplacés,c’esttoujourslamêmehistoire ! » Je lui raconte mes doutes… « Vous devez allerdéposer plainte à l’évêché, pour votre enfant, pour d’autresvictimespossibles,poursuit-il.Sivousnepouvezpaslefairedevous-même,faites-leparobéissance!»Cefrèreavait trouvé lelevier pour casser la cage dans laquelle j’étais séquestrée,humiliée,dévalorisée,déshumaniséeaupointd’avoirléguémonenfantauprêtrecensémieuxl’aimerquemoi.Aussitôtdit,aussitôtfait,jerencontrelacommissionenchargedes affaires de pédophilie. Je leur raconte mon histoire ensoulignantque jeviensparobéissanceàun frèrebénédictinet

quejenesuismoi-mêmepasd’accordavecmadémarche,carleprêtreestformidable:jedoispasserpourunefolle!Jepréciseaussiqu’il esthorsdequestionque jepoursuivemadémarcheau-delàdel’Église.Grâceàlafermeté,maisaussiàl’humanitéetàlapatiencedemes interlocuteurs, je prends progressivement conscience demonerreur, dema crédulité, demanaïveté, dema légèreté, demastupidité…Enmême temps, je ressens ladouleurde trahirunami,unprêtreappréciédesesparoissiens.Unêtrehumainnepeutêtrerésuméàunepartiedesesactes.Oui, j’ai été manipulée dans le but d’accaparer mon enfant.Oui, cet enfant a été abusé sexuellement, humainement,affectivementetspirituellement.Mais oserai-je dire que, malgré tout, j’éprouve de lacompassionpourceprêtre,poursamisèreaffective?Parallèlement à mes démarches à l’évêché, je parle depédophilie avec mon fils. Je lui demande pardon de ne pasl’avoircru,jeluidisquenousdevonssignalerlesfaitspourquetout cela s’arrête et qu’il n’y ait pas d’autres victimes. Parpudeur, jenepeuxpasdemanderàmonado lesdétails sur lesactescommisetc’estàmonamibénédictinquecejeunededix-sept ans se confie.Le verdict du frère est clair : les faits sontpassiblesd’unepeinedeprison.S’ensuivent de longues semaines de tractations. Petit à petit,nouscheminons,Cédricetmoi,verslesignalementdesfaitsàlapolice.Cesdeuxinterrogatoiressonttrèséprouvantspournous.Nousdevonsfairefaceseuls,chacundenotrecôté,etàl’issuede mon propre interrogatoire, Cédric étant mineur, je déposeplainte : nonparvengeance,nonpourobtenir réparation,maispour épargner d’autres victimes potentielles. Je suis informéed’unautretémoignage,portantsurlecontenudel’ordinateurduprêtre,confirmantsesdéviances.C’estlechoc!

Desannéesaprès,jenesaispasdirecommentjesuisremontéedesenfers,probablementavecl’aidedutemps, laprièred’amiset d’inconnus, le soutien de plusieurs communautésbénédictines.J’aiparcourucesjoursetcesmoisinterminables,seule,àlamanièredupèlerinrusseavecpourseulobjectifdemeleverchaquematinetdedurerjusqu’ausoir.«Seigneur,Jésus,FilsdeDieu,Sauveur,prendspitiédemoipécheur…»Lanuit,lejour,unenuitaprèsl’autre,unjouraprèsl’autre:j’airabâchécetteprièredesmilliers,desmillionsdefoispeut-être,parcequeje n’avais plus la force d’aucune autre prière. Pendant tout cetemps,jemesuisaussi«shootée»àl’Adorationeucharistique.Là au moins, pas d’intermédiaire ! Je déposais mon cœur enmiettesdevantJésus,enpartantjelereprenaisraccommodé…etjeleramenaisdanslemêmeétatlafoissuivante.Cequialeplusmanquéàmaviespirituelle?LesacrementdeRéconciliation : commentm’agenouiller devant un prêtre sansrevoirleprêtreformidablequeDieuavaitmissurmarouteetquiaabusédemonenfant?Et puis, j’ai fait le pas. Au cours du sacrement deRéconciliation (encore un coupmonté par la Providence), j’aipu,dansuntorrentdelarmesquivenaitduplusprofonddemesentrailles,déverserl’incompréhensionetlarancœuraccumuléesdepuissilongtemps.Latendresseduprêtrequim’aaccueillieetlaMiséricordeont fait le reste : les larmes,compagnesdemesnuitsautombeau,sesontarrêtéespourneplusjamaisressurgir.Jesuis tombéedansunocéandeMiséricorde, j’aipuvraimentme relever ; j’ai reçu la grâce de pouvoir regarder aveccompassion toutes les personnes qui souffrent, abuseurs etabusés,sansjugementniapriori.Aujourd’hui, j’ai écrit ces lignes sans larme. Je n’éprouve niressentimentnisentimentdeculpabilité.MonchemindeCroixapeut-êtrepermisàdesmeurtrissuresenfouieschezd’autresde

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estégalementàl’écouteduvécuémotionneldublessé,seradelemettreencommunionavecDieuetsonaction.Laclé,c’estlaconversion!Seconvertir,c’estsetournerversleSeigneurdetoutsoncœur,pouraccueillirtoutelapuissancede son amour : « L’amour de Dieu a été répandu dans voscœursparl’EspritSaintquivousaétédonné.»(Rm5,5)Laconversion révèle notre vraie nature, notre profonde identité :«Tuesfils,filledeDieudansleFils,tuesplusquetablessure,tuasmaintenantunPèrequiveutprendresoindetoi.»Enunmot,ellenousouvreàlavieetàl’amourdeDieu.Mais,disons-le, l’expérience de l’accompagnement spirituel nous l’asuffisamment démontré, l’action deDieu dans l’être blessé nefaitpasdisparaître lablessured’uncoupdebaguettemagique.Cependant, elle peut libérer petit à petit la victime de sesréactions paralysantes et aliénantes : sentiment de culpabilité,agressivité,tristesse,repli,honte,mal-être…À ce sujet, le psychiatre humaniste, Viktor Frankl, déjà cité,notececi:« Dans le passé […], les hommes qui souffraient n’allaient pas voir lemédecin,ilsallaienttrouverleprêtre.C’estbienlui,enfait,qu’ilsdevraientallertrouveraujourd’hui8.»

Le prêtre n’a pas pour tâche de s’occuper de la psychiatrie,mais du salut de l’âme, c’est-à-dire de l’homme en quête desens, qui aspire à connaître le but ultime de sa vie, Dieu.Néanmoins, il arrive que son rôle soit des plus efficaces dupointdevuedel’hygiènementale,enassurantàl’homme«unesécuritéetunenracinementsanspareils,qu’ilnesauraittrouvernulle part ailleurs, la sécurité et l’enracinement dans latranscendance,dansl’absolu9».Leprêtrepeutaiderlapersonnequi souffre à faire l’expérience de Dieu en tant qu’Amour,Force,Douceur etConsolation.Alors, elle se sentira soutenuede l’intérieur,portéeentredesbras invisibles,attendueau-delà

delamort,dernierpalierverslebutultime,verslacommunionàla Présence et l’épanouissement de tout l’être dans l’Amourdivin.Une telle perspective ne peut que transfigurer la vie, lasouffranceetlamortdel’hommegrâceàcettelumièrejetéesursonâme.Le Divin joue un rôle catalyseur des forces spirituelles quigisent en nous. Dans le tréfonds de l’homme « existent unespiritualité inconsciente, une moralité et une foiinconscientes10»qu’ilfautréveiller…AuborddelapiscinedeBéthesda,Jésuss’adresseàunhommeinfirmedepuistrente-huitans:«Veux-tuguérir?»Personnenes’inquiète de lui, tout le monde l’ignore, d’où sa réponse :«Seigneur, je n’ai personne pourmeplonger dans la piscinelorsquel’eau(curative)commenceàbouillonner…»C’estlàledrame, le vrai problème : n’avoir personne, être seul, rejeté etexclu…Jésusentendsadétresse,illeguéritenlelibérantdesaparalysie«relationnelle»,carc’étaitbienàcausedecelaqu’ils’étaitisolé.LarencontreavecJésuschangesavie,maisilrentre«songrabatsurledos»,pourbiensignifierqu’iln’estpaspourautantauboutdesespeines(cf.Jn5,2-9).Le lieu de la blessure débouche sur une rencontreextraordinaire, sur une expérience de foi et de confiance quichangetouteunevie.Lafaiblessesefaitforce:«Jepeux touten celui qui me rend fort ! » (Ph 4, 13) dit saint Paul etpourtant,l’apôtren’apasétéguéridecertainesfaiblesses,dontcette«échardedouloureusedanslachair»(2Co12,7)afindelegarderdansl’humilité,toujoursappuyésurDieu.S’agissait-ild’uneblessurephysique,morale,affective?«Dansbiendescas,préciseBernardDubois,médecinetaccompagnateurspirituel, on ne peut guère envisager la disparition de toutes lesconséquencespéniblesd’uneblessure.Ilrestetoujourspossiblecependant

d’en limiter l’influence de telle sorte qu’elle ne domine plus en tyran surnosattitudesou,afortiori,surnosdécisions.Etsurtout,parnosprièresetcelles de nos frères, nous pouvons toujours confier ces blessures auSeigneurenluidemandantdenouslibérerdeleuremprise11.»

La victime d’un abus restera toute sa vie fragile,hypersensible au regard qu’on pose sur elle, trop avided’affectionparfois,maisladouleurperdraprogressivementsonvenin paralysant, préparant ainsi l’éclosion d’une personnalitéaltruiste, sensible et créative, faisant preuve d’une émouvantecompassionenverslessouffrants(témoignagedeMarc,duPèreMathieu). Le signe évident de la guérison de l’âme est cettecapacitéd’aimerànouveau,desouffrir,certes,maisdedépasserlasouffrancedansledondesoi:«Situpartagestonpainavecl’affamé,situhébergescheztoilepauvresansabri, si tu vêts celui que tu vois nu, si tu ne te dérobespasdevantceluiquiesttaproprechair,alorstalumièreéclateracommel’aurore,tablessureguérirarapidement.»(Is58,7-8)

4. Jacques Poujol, Les abus sexuels, op.cit., p. 27. Voir aussi : Sous ladirectiondeKarlijnDemasure,Sereleveraprèsl’abussexuel,op.cit.5. Fabienne Héritier, De la boue sur mes lèvres, Éditions de l’Hèbes,

Charmey,2014,p.85-86.6.Ibid.,p.31-51.7.Voir«pédophilie»dansSœurMarie-PauleRoss,religieuseetsexologue,Je voudrais vous parler d’amour et de sexe, Michel Lafon, Neuilly-sur-Seine,2011,p.179-203.8. La psychothérapie et son image de l’homme, Éditions Resma, Paris,

1970,p.81.9.Ibid.,p.69.10.Ibid.,p.101-102.11.Cheminsdeguérisondesblessuresdel’enfance,SurlespasdeThérèsedeLisieux,EDB,Nouan-Le-Fuzelier,2014,p.21.Sur lesujetdesblessuresde l’enfance, jenepeuxquevousconseillerde lirece livre remarquableetcomplet.

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plusgrandioses,cartoutcelaestl’œuvremerveilleusedesonAmour35.»

DieuestPèreetcePèreattenddenousquenousluiparlionsdenosmisèrescommedenosjoies,etaussidenoscolères,denosrévoltes.N’est-cepasunepremièremanièredel’apprivoiseretdeselaisserapprivoiserparlui(voirletémoignagedeDenis,chap. 1). Thérèse et Van nous apprennent la simplicité dansnotre relation à Dieu. Peut-être trouvons-nous cette démarchetrop simple ? Le mieux, c’est de s’y lancer pour voir… Van,quant à lui, va se laisser aimer puissamment par le Père, c’estdanscetAmourqu’iltrouvesaguérison,c’est-à-direlaforcedetransformerlasouffranceenbonheur,pourluietpourlesautres.DeretouràHuu-Bang,nouslevoyonsrassemblersescamaradesd’infortunepourlesprotéger,ilseferaleurberger,commeplustard, à la fin de sa vie, jeté dans les geôles communistes, ilencourageraetévangéliserasescompagnonsdecellule.Vanirajusqu’auboutdel’amour…Sonengagementnousleprouve:l’enfancespirituellen’estniinfantilismeniirresponsabilité,bienaucontraire,puisqu’elleleprojetteverslesautres,lerendantsensibleàtouteslessituationsdedétresse,aveclaclaireconscienced’êtreportéetsoutenuparle Père. Un Père qui ne s’impose pas, mais qui propose undialogueavecsonenfantenluidemandant:«S’ilteplaît,situveuxbien…»C’est dans cedialogue intime avec lui queVantrouve les justes attitudes et les paroles qui sèment la joie etl’espérance.

L’enfancespirituelle,lepivotdelaguérisonDurantmes cinq années de stage pratique en hôpital commeinfirmier, j’avais fait le constat suivant : au fond d’un litd’hôpital,nousressemblonstousàdesenfants!Quelquesoitlestatutoulerangsocialdupatient,c’esttoujoursunenfantquiapeur, qui a mal, qui pleure, qui mendie attention, amour,

consolation,quis’abandonneentouteconfianceentrelesmainsdupersonnelsoignant.Unenfantqui,parfois,laisseéchapperdeseslèvres:«Maman!»Aumomentdelamort,c’estsurtoutuntoutpetitenfantqui lâchepriseet se laisseallerentre lesbrasd’un « Autre » dont la présence tangible est devenue uneévidence.Alors, jemedemande : cette«âme»sibiendéfiniepar les philosophes et les théologiens, ne serait-elle pas enréalité un tout petit enfant qui, un jour, dégagé de ses langes,entreàlamaisondesonpère?Avecsesmotsbienàlui,leCuréd’Ars force l’intuition : « L’âme est dans le corps comme unbébédansseslanges,onneluivoitquesafigure!»L’enfant,neserait-cepaségalementnotreidentitélaplusprofonde?Notre identité personnelle de masculin et de féminin nes’enracine-t-elle pas dans une identité encore plus profonde,totalementspirituelle,cellequifaitdenousdesfilsetdesfillesduPèredans leFils deDieu ?La lettre auxHébreux l’attesteainsi:« Aussi, ne rougit-il pas (le Fils) de les appeler ses frères et de dire :“J’annonceraitonnomàmesfrères.[…]Mevoici,moietlesenfantsquetum’asdonnés.”Ainsidonc,puisquelesenfantsontencommunlesangetlachair,luiaussipartagealamêmecondition.»(He2,11-14)

FrèresdeJésus,notreidentitéprofondesefondedanslaparoleduPère :«Tuesmon fils,ma fillebien-aimée, en toi jemetstoutmonamour.»NosracineshumainesplongentenDieu,ellespénètrent le cœur du Père. L’évangéliste Jean illustre cettedéclaration par une parabole tirée de son terroir :« Je suis lecep,ditJésus,etvous,lessarments,monPèreestlevigneron.Celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-làproduira du fruit en abondance. » (Jn 15, 1.5) Aussi, jel’affirme avec conviction : l’adulte accompli, c’est celui qui aatteintsapleinematuritéd’enfant…deDieu!Aiméill’est,illesera,pourl’éternité.Jésusneditpaslecontraire:«Sivousne

changezetnedevenezcommedesenfants,non,vousn’entrerezpas dans le royaume des cieux. » (Mt 18, 3)Unemanière dedire : «Va chercher l’enfant dans ton identité profonde. » LePère révélé par Jésus, loin de nous verrouiller dansl’infantilisme, nous en libère au contraire. Il est la source denotreêtreet legagedenotre liberté, lui«dequi tout vient etversquinousallons»(1Co8,6).Ilestlavoixtoutaufonddenotre conscience qui nous oriente vers ce qui est juste etconstructeurdenotrepersonnalité:«LeFilsnepeutrienfairedelui-même,maisseulementcequ’ilvoitfaireauPère;carcequefaitlePère,leFilslefaitpareillement.»(Jn5,19)LeFilsestenparfaitaccordaveclavoixquirésonneenlui,enperpétueldialogueaveclePère(cf.Jn12,49-50).Tousdeuxontlemêmeprojet : aller jusqu’au bout de l’amour, rester ferme sur cecheminquimonteauCalvaireavantdeculminerdanslalumièredelaRésurrection.LeFilsnesubitpaslavolontéduPère,elleest juste pour lui, il la vit dans la confiance, en parfaiteconcordanceaveclui.Decedialogue,leFilsdécideducheminàsuivre, librement. Rien ni personne ne pourra l’arracher de lamainduPère:ildemeureinvulnérable,fortdelaforceduPère(cf.Jn10,27-28).UniauFils,touthommepeutdèslorstrouversavraielibertéetvivre libre (cf. Jn 8, 31-32 ; 34-36). Il peut se libérer de ses«mécanismesdedéfensepsychologiques»,de sespeurs etdesespéchés:«Fils, vous l’êtes bien :Dieu a envoyé dans vos cœurs l’Esprit de sonFils, qui crie “Abba, Père”. Tu n’es donc plus esclave, mais fils ; et,commefils,tuesaussihéritier:c’estl’œuvredeDieu.»(Ga4,6-7)

EnJésus, lePèrenousaffranchitde toutcequientravenotreliberté,ilnoustraiteenfils!Donc,«devenirenfant»(Mt18,3) ne relève ni de l’infantilisme ni de la douce rêverie !« L’enfant », c’est cette partie en nous d’innocence, de

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Chapitre4

MÊMELESBOURREAUXONTUNEÂME

En s’adressant aux catholiques d’Irlande au sujet des actespédophiles perpétrés par des prêtres, Benoît XVI, tout endéplorant ces crimes et le manteau de honte jeté sur l’Église,s’adressaitnotammentauxabuseurs47:«La justicedeDieuexigequenous rendionscomptedenosactionssansrien cacher. Reconnaissez ouvertement vos fautes, soumettez-vous auxexigencesdelajustice,maisnedésespérezpasdelamiséricordedeDieu.»

S’ilestnormalquelesabuseursdoiventêtredénoncés,misaubanc des accusés et payer leurs crimes pour autant qu’ils lepeuvent,ilvasansdirequele«Pèredetouteslesmiséricordes»ne les abandonne pas à leur triste sort, dans lamesure où ilsregrettent leurs torts, implorent le pardon et demandent del’aide. Eux aussi ont droit à une aide psychologique et à unaccompagnementspirituel.

Accompagnerlesabuseursrepentis–PèreAntoine,vousêtesmoinebénédictinde l’abbayede laPierre-qui-Vire48 et vous accompagnez des abuseurs repentis,principalementdesprêtres,quiontaccomplileurpeineousontenattentede leur jugement.Etvousn’êtespas seulpourcettetâchepuisquevous travaillezavecuneéquipedepsychologuesetdethéologiens.Toutd’abord,jevousremerciedem’accordercet entretien. Ma première question vous semblera peut-êtreémanerd’unamateur:invitez-vouscesprêtresàlarepentance?

–Non!Toutd’abord,jelesembrasseenleurdisant:«Tuesmonfrèredanslesacerdoce,nousallonscheminerensemble!»

– Alors là, je nem’attendais pas à une telle réponse ! Si jecomprendsbien,vousévitezdecommencerpardelamorale?

–L’artdel’accompagnementspiritueln’estpasdeculpabiliserlefaibleenprenantunairdesupérioriténidecondescendance,mais de lui faire sentir qu’il a un frère devant lui car noussommes tous les enfants d’unmême Père. Et puis, qui suis-jepourjuger?Quandilsarriventcheznous,jesuistoujoursémudevoirleurvisageravagéparledésespoiretparledégoûtd’eux-mêmes. Ils se détestent tellement que l’envie du suicide lestaraude. Ils ont l’impression de ne plus être des hommes…Alors,vouscomprenez,sienplus,onsemetàtirersurlaficellede la culpabilisation, il ne leur reste plus que le suicide.L’accueil chaleureux que leur réserve la communautémonastique leur redonneunsemblantd’humanité.C’est surcepoint d’abord que nous travaillons, sur leur assise humaine etspirituelle : «Vousêtesdes filsdeDieu, aimésdeDieu,vousrestezsesenfantsquelsquesoientvosactes.Dieuvousregardetoujourscommesesenfants.»

– Ce qui m’épate, Père Antoine, c’est que votre spiritualitérejointlamienne,enpleindanslemille!Abuséouabuseur,jereste persuadé qu’on ne peut s’en sortir qu’en empruntant lavoiedel’enfancespirituelle,àlasuitedeThérèseetdeMarcelVan par exemple. On ne peut détruire ce territoire « quiappartient à l’enfant », camouflé au fond de nous tous,inaccessibleaumal.Cet«enfant»ne sommeille-t-ilpasaussidansl’âmedesplusterriblescriminels,toujourssusceptiblesunjour ou l’autre de s’éveiller sous la caresse d’un puissantamour ? Et de se laisser aimer par le Père comme desfilsprodiguesquiveulentbienrevenirà lamaison?Sansfairedehautephilosophie,jediraissimplementque«l’enfant»,c’estleregarddel’âmetournéversDieu.EtquiregardeDieu,comme

ditlepsaume,«resplendirasansombrenitroubleauvisage»(Ps 33).Mais venons-en à la question suivante, PèreAntoine.Aprèsl’accueildeceprêtrecoupable,commentfaites-vouspouréveiller en lui l’enfant étouffé sous les décombres d’une viebrisée?

– La vie fraternelle au contact de la communauté estprimordiale.Lacharitéauquotidienentrefrèresàl’intérieurdumonastère a un impact très positif sur le regard négatif qu’ilsportentsureux-mêmes.Etcommentnepasouvrirsoncœuràlabeauté de la liturgie, aux prières communautaires, auxsacrements !Ce climat familial imprégnéduDivin contribue àfaire craquer lesmécanismes de défense, les peurs de regarderl’autredroitdanslesyeux.Àtraversl’amourdelacommunauté,ils se laissentapprocherpar l’amourduChrist :«Toutcequevousavezfaitaupluspetitd’entremesfrères,c’estàmoiquevousl’avezfait»,ditl’Évangile(Mt25,40).Cetteréalité,ilslaviventauquotidienàtraverslesfrères.

–Jepenseaussiquevousleurdonnezdesensei-gnements?

–Oui, je travaille surtout les relations humaines. Je pars destextesdulivredelaGenèsepourcomprendrequenousavonsétécréés par l’Amour et pour l’amour, et voir comment l’hommes’est perverti en rejetant l’amour deDieu. Jeme penche aussibeaucoup sur les textes de saint Paul qui parlent de la vraielibertéà l’inversede l’esclavagedessensetdupéché.J’aiuneprédilectionpourlalettreauxÉphésiensquidécritlesrelationsnouvelles entre nous, dans le Christ (cf. Ep 5-6). L’hymne audébut de la lettre chante cette bonne nouvelle :« Le Père denotre Seigneur Jésus-Christ nous a choisis en lui avant lafondation du monde pour que nous soyons saints etirréprochables sous son regard, dans l’amour. Il nous a

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Neuilly-sur-Seine,2011.

TABLEDESMATIÈRES

Avant-propos

OuvertureOserenparlerEhbien,parlons-en!Sortirdunégatifetcrierl’espérance!Briseruntabou?

Chapitre1Desmotspourledire«Lemalm’étantvenuparunprêtre,lebienm’estvenupard’autresprêtres»Marc,55ans«Etpourtant,jel’aime…l’Église!»PèreMathieu,78ans«Jemesuisaccrochéeàmesrêvesetj’airéussi»Alicia,64ans«Mafamilleestplusfortequemondésespoir!»Sandra,50ans«Jenesuispastoujoursresponsabledecequel’onmefaitsubir,maisjesuisresponsabledecequej’enfais»Jérôme,51ans«Seulunimmenseamourpeutnouslibérerdenosamoursbrisées»Denis,40ans«Ilfautfairelapartdeschosesentrel’Églisedesêtreshumainspauvresetfragilesetl’ÉgliseCorpsduChristquinousdonneDieu!»Annick,55ans,mamand’unenfantabusé

Chapitre2Desmotspourcomprendre,desmotspouraiderDéfinirladouleurLeportraitdel’abuseurPremiersverslalibertéRadiographied’uneblessurePeut-onparlerdeguérison?

Chapitre3L’enfancespirituelle,chemindeguérisonMarcelVan,l’enfantquiveutchangerlatristesseenjoie1.Unenfanthypersensible(1928-1931)2.IntimitéavecDieu(1931-1935)3.Maltraitance,abussexuels(1935-1940)5.LagrâcedeNoël19406.LapetiteThérèseausecoursdeVan(1941-1942)

7.Aimer,c’esttoutdonner(1942-1954)Vanetl’enfancespirituelleL’enfancespirituelle,lepivotdelaguérisonLesétapesdel’enfancespirituelle

Chapitre4MêmelesbourreauxontuneâmeAccompagnerlesabuseursrepentisÉveillerdansl’autrelepouvoirdubienJacquesFesch:del’assassinausaint

ConclusionCommeinsistel’AmourLaguérisonestunerencontreVan,tuarrivesàpoint!

Bibliographie

Tabledesmatières

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Octobre2015